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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 3 - Témoignages du 22 mars 2001


OTTAWA, le jeudi 22 mars 2001

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, saisi du projet de loi S-4, Loi no 1 visant à harmoniser le droit fédéral avec le droit civil de la province de Québec et modifiant certaines lois pour que chaque version linguistique tienne compte du droit civil et de la common law, se réunit aujourd'hui à 10 h 50 pour examiner ledit projet de loi.

Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, avant d'entendre nos témoins au sujet du projet de loi S-4, j'ai une déclaration à lire aux membres du comité.

Honorables sénateurs, hier après-midi, l'honorable sénateur Fraser a demandé que deux témoins, soit les professeurs Nemni et Behiels, rétractent certaines remarques concernant les raisons qui auraient motiver le gouvernement à utiliser certains termes dans le préambule du projet de loi S-4. L'honorable sénateur Cools a ensuite fait un rappel au Règlement. Un débat a suivi et les témoins ont fini par répondre à la déclaration du sénateur Fraser.

J'ai eu l'occasion de discuter de l'échange d'hier avec nos responsables de la procédure, et je voudrais donc en profiter aujourd'hui, non pas pour annoncer une décision au sujet de l'échange d'hier, mais pour éclairer tous les membres du comité quant à la procédure à suivre à l'avenir.

L'honorable sénateur Cools avait parfaitement raison de faire un rappel au Règlement en ce sens que l'honorable sénateur Fraser, s'étant offusquée de ce que suggéraient les témoins, aurait dû elle-même faire un rappel au Règlement avant de demander directement aux témoins de se rétracter.

Si le sénateur Fraser avait justement fait un tel rappel au Règlement, aurait-elle eu raison de demander qu'ils se rétractent?

Comme les parlementaires, les témoins qui comparaissent devant un comité parlementaire sont protégés et ne peuvent donc être tenus responsables de leurs déclarations devant un tribunal. C'est pour cette raison qu'il existe des règles de conduite au Parlement, dont certaines empêchent les députés et sénateurs d'employer des expressions non parlementaires ou d'attaquer les intentions des parties concernées. Les témoins qui jouissent du privilège parlementaire doivent donc se conformer à ces principes, car s'ils font des accusations dans le cadre de délibérations publiques dans l'enceinte du Parlement, les personnes qui font l'objet de ces accusations n'auront aucun recours. Si le sénateur Fraser avait exprimé ses préoccupations en faisant un rappel au Règlement et si je m'étais trouvée dans l'obligation de prendre une décision à cet égard à la fin du débat, j'estime que la mesure la plus appropriée que j'aurais pu prendre aurait consisté à demander aux témoins d'éviter d'attaquer les intentions du gouvernement.

Je vous informe également, honorables sénateurs, que nous avons également reçu une lettre de l'honorable Anne McLellan. Elle fait partie d'une série de documents que nous avons reçus du ministère en réponse à nos questions. Je n'ai pas l'intention de vous tous ces documents. J'ai des copies en anglais et en français, et nous les ferons distribuer à tous les sénateurs; je me permets cependant de vous lire intégralement la lettre en question:

L'honorable Lorna Milne, présidente
Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles
Sénat du Canada
Sénateur,

Lors de ma comparution devant votre comité, le 14 mars 2001, je me suis engagée à répondre à la question posée par l'honorable Joan Fraser concernant le marquage de la législation pour distinguer les termes de droit civil de ceux de la common law.

Le 1er mars 2001, le professeur Claude Fabien de l'Université de Montréal a soumis au comité l'idée du marquage. En particulier, le professeur Fabien a mentionné que:

[Français]

Les termes de droit civil en anglais et les termes de common law en français devraient être marqués par une convention quelconque.

[Traduction]

Des conseillers juridiques de la Section du Code civil ainsi que des rédacteurs de la Direction des services législatifs du ministère de la Justice ont examiné attentivement cette question. Ils sont d'avis que le marquage poserait des difficultés.

La première difficulté a trait à l'aspect symbolique de la forme du texte de loi. Le législateur parle toujours d'une seule voix; les deux versions linguistiques de la loi ont la même forme. Ainsi le législateur ne parlerait plus d'une même voix à toutes les communautés juridiques, s'il faisait une distinction entre les systèmes de droit par l'emploi de caractères typographiques différents. Le législateur devrait employer la même forme, non seulement du point de vue de la langue, mais aussi des concepts juridiques. L'apparence uniforme de la loi est un symbole important; il n'y a pas une langue ou un concept qui a priorité sur l'autre. Ils sont égaux à tous égards et aucun n'est particularisé.

À cet égard, il y a lieu de noter le commentaire suivant du professeur Nicholas Kasirer devant votre comité, le 14 mars 2001: «[...] pour ce qui est de l'apparence symbolique de la législation - sa pureté et son uniformité, il est clair que la valeur et l'autorité de cette dernière sont étroitement liées à son aspect. Ce n'est pas un hasard que les caractères d'imprimerie utilisés pour les lois du Canada soient toujours les mêmes - c'est justement pour communiquer l'idée que le législateur parle d'une seule voix. Si l'on y touche, il y aura un prix à payer».

Deuxièmement, il y a plusieurs difficultés techniques liées à un système de marquage. Pour être efficace, le marquage devrait se faire de façon uniforme. Si un concept n'est pas mis en relief alors qu'il aurait dû l'être, cela pourrait avoir des conséquences plus graves que de ne pas avoir de système de marquage. En effet, un tel défaut pourrait conduire à une fausse conclusion, selon laquelle le concept juridique qui n'est pas mis en relief n'est pas un concept juridique. En outre, on pourrait avoir de la difficulté à déterminer si tel terme devrait être mis en relief ou non. Pour ne donner qu'un exemple, le terme «sécurité/security» devrait-il être mis en relief lorsqu'il s'agit d'un terme commun pour les deux systèmes de droit? Comme le professeur Alain-François Bisson de l'Université d'Ottawa l'a mentionné devant le comité le 1er mars 2001 [...]

[Français]

[le marquage] entraîne une nouvelle complexité dans des lois déjà assez complexes. Je serais plutôt favorable à un document préparatoire ou «postpréparatoire».

[Traduction]

Il n'y a pas de doute que ce que nous proposons est innovateur et peut donc, par le fait même, causer quelques difficultés, du moins au début. C'est pour cette raisonque l'article 8 du projet de loi ajouterait de nouvelles dispositions à la Loi sur l'interprétation pour faciliter la compréhension des nouvelles techniques de rédaction, conçues pour refléter la réalité bijuridique canadienne dans la législation fédérale.

En outre, en réponse aux préoccupations exprimées au sujet de l'ordre de priorité du droit civil et de la common law dans les dispositions d'harmonisation, les rédacteurs législatifs proposent d'incorporer la note suivante dans le sommaire du projet de loi S-4:

En général, dans les dispositions où une notion juridique s'exprime par l'usage d'un terme de droit civil et d'un terme de common law, le terme de droit civil est mentionné le premier dans la version français et le terme de common law, le premier dans la version anglaise. Par exemple, on retrouvera «immeuble» suivi de «biens réels» dans la version française et «real property» suivi de «immovables» dans la version anglaise.

Le sommaire fera partie du projet de loi imprimé dans sa version adoptée. Par ailleurs, les dispositions fiscales qui sont harmonisées dans des projets de loi fiscale distincts contiendront des notes explicatives relativement à la nouvelle terminologie d'harmonisation.

Outre ces outils d'aide à l'interprétation, je suis tout à fait d'accord pour dire qu'il faut communiquer efficacement à la communauté juridique et à la population en générale les nouvelles techniques de rédaction bijuridique. Le professeur Fabien lui-même a suggéré d'élaborer un lexique de termes juridiques de common law et de droit civil, ou d'investir dans la recherche, si on n'a pas recours au marquage.

Je tiens à souligner que le ministère de la Justice a déjà pris une série de mesures pour faire mieux connaîtrel'harmonisation. Nous sommes en train de préparer un lexique et des fiches bijuridiques en collaboration avec le Bureau de la traduction du gouvernement du Canada. Ces outils seront publiés lorsque la loi sera en vigueur comme documentation de référence sur le site Internet du ministère de la Justice, sur les CD de Justice, de même quedans Termium, la banque de données linguistiques du gouvernement du Canada, et ils seront également disponibles sur support papier dans les bibliothèques d'un bout à l'autre du pays.

Des avocats du ministère de la Justice ont également fait des exposés sur le processus d'harmonisation et les techniques de rédaction bijuridique devant les membres de plusieurs facultés de droit canadiennes et de membres de lacommunauté juridique. Nous avons publié des articles sur l'harmonisation et la rédaction bijuridique, et nouscontinuerons de le faire. Nous publierons notamment un recueil d'articles en mai 2001 sur le sujet, et en particulier sur la méthodologie et la terminologie de l'harmonisation.

En espérant que ces commentaires vous seront utiles dans le cadre de l'examen du projet de loi S-4, veuillez agréer, sénateur, l'expression de mes sentiments les meilleurs.
A. Anne McLellan

Le document qu'on vous a remis contient également la traduction française de cette lettre.

Le sénateur Cools: Madame la présidente, je constate qu'un document y est annexé. Peut-être pourrions-nous prévoir que le tout soit annexé au compte tenu de nos délibérations. C'est peut-être déjà prévu, d'ailleurs.

La présidente: Tous ces documents ont été déposés et distribués à chaque sénateur.

Le sénateur Cools: Oui, je le sais. Je parlais de la possibilité que le tout soit annexé au compte rendu de nos délibérations.

Le sénateur Beaudoin: C'est justement ça que j'ai compris.

La présidente: Tout a été déposé.

Le sénateur Cools: Oui, mais il faut normalement adopter une motion ou prendre la décision d'annexer la documentation au compte rendu de nos délibérations. Ce n'est pas automatique.

La présidente: Les membres du comité souhaitent-ils que ces documents soient annexés au compte rendu de nos délibérations?

On vient de m'informer qu'il y a une dizaine d'années, le Comité de la régie interne aurait demandé aux comités de ne plus suivre cette pratique étant donné qu'elle est extrêmement coûteuse. Mais si telle est la décision du comité, nous le ferons.

Le sénateur Beaudoin: Nous parlons ici d'un projet de loi très particulier. Les documents revêtent donc une grande importance.

Le sénateur Joyal: Il s'agirait en réalité d'ajouter seulement deux pages de plus au compte rendu.

Le sénateur Cools: Le Comité de la régie interne ne faisait pas nécessairement allusion à ce genre de situation lorsqu'il a signalé aux comités que cette pratique coûtait cher. Ici nous parlons de la déclaration d'une ministre et à mon avis, le compte rendu devrait reproduire le texte intégral de cette dernière.

Le sénateur Beaudoin: Je suis tout à fait d'accord.

La présidente: Les membres sont-ils donc d'accord pour que tout le document soit annexé au compte rendu de nosdélibérations?

Des voix: D'accord.

(Pour consulter le texte du document, voir l'annexe, p. 3A:16)

La présidente: Nous accueillons donc ce matin nos témoins du ministère de la Justice, soit Alain Bisson, avocat général principal, Section du Code civil, et Yves DeMontigny, conseiller spécial au sous-ministre adjoint principal, Droit public.

Bienvenue, messieurs.

M. Alain Bisson, avocat général principal, Section du Code civil, ministère de la Justice du Canada: Madame la présidente, la dernière fois que nous avons comparu devant le comité, nous avons donné un aperçu général du projet de loi. Nous sommes tout à fait disposés à revenir là-dessus, ou sinon, nous sommes à votre disposition pour répondre aux questions des membres du comité concernant tout aspect du projet de loi.

[Français]

Le sénateur Beaudoin: Nous avons eu une longue discussion sur la signification «d'harmonisation». J'ai toujours pensé que dans notre pays, depuis 200 ans, nous avions deux systèmes de droit. Si nous n'en avions qu'un seul, peut-être que le projet deloi S-4 n'aurait pas été nécessaire. Nous aurions été comme les Américains et les Britanniques - les Américains parce que c'est une fédération - et la common law se serait appliquée «at large». Mais telle n'est pas notre histoire et nous avons deux systèmes de droit. Je ne voudrais pas revenir sur la discussion d'hier sur le deuxième attendus, mais je crois qu'il entre dans le principe même du projet de loi S-4 parce qu'il y est écrit clairement que nous avons deux systèmes de droit.

[Traduction]

J'aimerais savoir si vous estimez que tel est vraiment l'objectif du projet de loi; à mon avis, c'est cela qu'on entend par harmonisation. Mais je voudrais savoir si vous êtes d'accord ou non, et pour quelles raisons.

[Français]

M. Bisson: Nous sommes d'accord avec votre interprétation de ce que signifie le caractère unique de la société québécoise dans le contexte de l'harmonisation. Dans nos remarques de la semaine dernière, la ministre et moi n'avons pas expliqué la genèse du projet de loi. Nous remontons au début des années 70. Après l'adoption par le gouvernement du Québec du nouveau Code civil en 1990, il s'est passé une période de quatre ans avant que le nouveau code n'entre en vigueur à la fin de 1994.

Durant cette période, le ministère de la Justice a joué le rôle de chef de file et il a décidé d'évaluer quelles seraient les implications du gouvernement fédéral quant à l'entrée en vigueur du nouveau code. C'est à ce moment que nous avons révisé une foule de formulaires et de contrats types qui étaient en usage dans l'administration fédérale. Des concepts comme les délits et les quasi-délits étaient alors remplacés par le concept de la responsabilité extra-contractuelle. Cela avait un impact sur les contrats types du gouvernement fédéral et nous devions les amender. Au fur et à mesure que nos travaux progressaient, nous avons constaté que nous devions non seulement faire des amendements aux formulaires et aux contrats types, mais aussi aux règlements et aux lois qui encadraient ces formulaires et ces contrats types.

C'est donc au milieu des années 90 que le ministère de la Justice a proposé cela. Règle générale, le corpus législatif fédéral n'avait pas accordé au droit civil la même place qui était accordée au concept de common law.

Le sénateur Beaudoin: D'accord.

Le fait que le Québec venait de se doter d'un nouveau Code civil a servi d'élan pour lancer le programme d'harmonisation. D'ailleurs, il faut le dire, le gouvernement du Québec a dû procéder à une révision systématique de toutes les lois publiques du Québec pour remplacer les termes qui étaient devenus caduques, vétustes avec le nouveau Code.

Ils nous ont d'ailleurs donné accès à une liste d'environ150 termes qu'ils ont systématiquement remplacés dans tout leur corpus législatif. Nous les utilisons pour les rares lois où il y a du droit civil et pour moderniser le corpus législatif fédéral. L'exercice consiste à examiner une loi fédérale; cette loi s'applique-t-elle au Québec? Si oui, y a-t-il des notions de common law dans cette loi qui sont mal rendues ou qui ne sont pas rendues adéquatement en droit civil du Québec? C'est de cette façon que se fait le travail.

Le sénateur Beaudoin: Je considère cela comme unévénement très important. La preuve, c'est qu'ils ont demandé à tous les avocats du Québec inscrits au Barreau de suivre des cours. Nous avons suivi des cours pendant des heures et des heures. On a changé considérablement le droit civil québécois.

Si je comprends bien, vous avez dit que ceci étant le cas, on va harmoniser les lois fédérales en général avec le génie même du droit civil au Québec et avec le génie de la common law dans les autres provinces. C'est ce qu'on voulait?

M. Bisson: Exactement.

M. Yves DeMontigny, conseiller spécial au sous-ministre adjoint principal, Droit publique, ministère de la Justice du Canada: Cet exercice a été fait avec la collaboration à la fois du Barreau, de la Chambre des notaires et du ministère de la Justice du Québec, ce qui illustre bien l'importance des difficultés.Vous avez parfaitement raison de décrire le but d'un préambule. Il n'y en a pas dans toutes les lois. Toutefois dans ce cas-ci, le projet de loi est très innovateur, qui va se poursuivre sur un certain nombre d'années. Il fallait donc expliquer le contexte dans lequel cet exercice prendrait place. Ce contexte vous l'avez décrit; c'est le contexte constitutionnel que l'on connaît où le droit civil et le droit privé existent au Québec alors que la common law est le droit privé des autres provinces. Cela se réflète de façon très claire dans la Loi constitutionnelle de 1867 et dans de nombreuses dispositions. De même que dans la Loi sur la Cour suprême qui prévoit que trois juges doivent être membres du Barreau du Québec. Ce projet de loi n'est que le reflet de ce qui existe déjà dans la Constitution canadienne.

Le sénateur Beaudoin: Et même avant la Constitution.

M. DeMontigny: Et même avant.

Le sénateur Beaudoin: On peut remonter jusqu'à 1864?

M. DeMontigny: Tout à fait.

[Traduction]

Le sénateur Fraser: J'accepte volontiers le raisonnement de la ministre relativement à l'idée qui m'a tant séduite. Je suis donc tout à fait prête à reconnaître qu'il faut éviter que les textes de loi semblent faire des distinctions entre différentes portions du texte, pour que toutes aient le même poids et la même valeur. C'est un objectif tout à fait louable.

Il reste qu'un point me laisse perplexe. Si je ne me trompe pas, vous étiez présents hier soir lorsque le professeur Gaudreault-DesBiens a témoigné devant le comité. Il a défendu avec beaucoup d'éloquence l'idée selon laquelle les textes de loi doivent être accessibles et que les termes qu'on y emploie aient la signification qu'ils semblent avoir, afin que les citoyens ordinaires puissent, dans la mesure du possible, les comprendre.

Je pense néanmoins que cela risque de poser problème à certains égards. J'étais en train d'examiner le projet de loi il y a quelques instants, et je suis tombée sur quelque chose qui ne constitue peut-être pas le meilleur exemple. J'examinaisl'article 67, à la page 32, qui prévoit qu'un document délivré par la Cour fédérale, etc., etc. «may be recorded for the purpose of creating security, or a charge, lien or legal hypothec...»

Puisque le terme «security» est souligné, je présume que ce terme est tiré du Code civil même. C'est bien ça?

M. Bisson: Je voudrais demander à mon collègue, Alain Vauclair, qui est responsable de cette partie du projet de loi, de vous répondre.

La présidente: Ayez donc l'obligeance de venir nous rejoindre.

M. Alain Vauclair, avocat principal, Section du Code civil, ministère de la Justice du Canada: Nous avons déjà discuté de cela à une réunion précédente.

Le sénateur Fraser: Mes excuses.

M. Vauclair: Non, il n'y a pas de problème; je voulais juste relire le passage en question. Le terme «security» représente effectivement la bonne traduction du terme «sûreté», qui se trouve dans la version française. Les termes «security» et «sûreté» sont des termes neutres ou génériques qui, comme on le disait tout à l'heure, peuvent avoir un sens différent selon qu'on parle de la common law ou du droit civil, mais si nous l'avons inclus dans la version anglaise, c'est parce que ce terme n'y figure pas, alors que nous l'avons dans la version française. Nous avons fait de même pour le terme «charge». Nous avions le terme «charge» dans la version anglaise alors qu'il ne figurait pas dans la version française. Il s'agit simplement de faire en sorte que chaque version linguistique du texte réponde aux besoins de l'ensemble des personnes et groupes auxquels elle s'adresse.

Le sénateur Fraser: Oui, je comprends. Je voudraissimplement m'assurer que le résultat ici correspond bien à notre intention, qui est de clarifier et d'harmoniser les textes de loi pour les rendre aussi accessible que possible. J'admets que la Loi sur le Régime de pensions du Canada n'est peut-être pas le genre de loi que les citoyens ordinaires auront à consulter tous les jours. Mais en ce qui concerne ce mot «security», tant qu'il ne sera pas souligné, aura-t-il la signification que moi, en tant que citoyenne ordinaire dont la langue maternelle est l'anglais, lui attribuerait, ou aura-t-il une signification particulière que je serais susceptible d'ignorer?

M. Vauclair: Non, c'est le sens normal du terme. Si vous regardez dans les dictionnaires ordinaires, vous trouverez ce sens-là.

Le sénateur Fraser: C'est donc utilisé dans le sens d'une garantie.

M. Vauclair: Oui. C'est exactement ça. Si vous demandez à des spécialistes de vous donner leur interprétation de ce concept, ils vous diront qu'il a ce sens-là et c'est ainsi qu'ils l'interpréteront dans le contexte de la loi.

Le sénateur Fraser: Je n'ai pas l'intention d'aller jusque-là.

M. Vauclair: Vous avez parfaitement raison de croire que ce terme a le sens d'une sûreté ou garantie donnée pour un prêt, c'est-à-dire pour une dette ou une obligation.

M. Bisson: Sénateur, nous avons parmi nous nos collègues de la Direction des services législatifs. Mme France Allard est une experte en droit comparatif. Elle participe également à un projet de la Direction qui vise à faire en sorte que les textes de loi soient plus faciles à comprendre. Peut-être voudrait-elle intervenir.

Le sénateur Fraser: C'est un objectif tout à fait louable.

M. Bisson: Oui, mais c'est également un défi de taille.

Mme France Allard, avocate générale, Droit comparatif, directrice, Direction des services législatifs, ministère de la Justice du Canada: Si vous examinez la disposition à laquelle vous faisiez allusion, soit l'article 67, vous constaterez qu'il s'agit déjà d'une disposition technique. D'ailleurs, les lois fédérales dans leur ensemble sont très techniques, et c'est pour cela que divers projets ont été entrepris au sein du ministère. Le premier prévoit l'utilisation de la langue courante dans les textes de loi pour que la formulation soit plus claire et plus accessible. Il y a également le projet de bijuridisme. Ces deux projets visent à rendre les textes de loi plus faciles à comprendre pour ceux qui peuvent les lire.

À l'heure actuelle, ces dispositions ne sont pas à la portée de tous et nous sommes également limités en ce qui concerne les modifications que nous pouvons apporter aux lois actuelles. Pour que ces textes soient plus accessibles, il faut que tous puissent les comprendre. À l'heure actuelle, on estime que si un groupe ou un segment du public risque de ne pas comprendre un texte de loi, on ne peut le considérer accessible. L'idée donc de l'harmonisation et de la prise en compte des besoins des divers utilisateurs des lois au Canada est de rédiger les textes de loi en utilisant des termes que tous peuvent comprendre.

D'ailleurs c'est déjà le cas pour certains milieux. Par exemple, un avocat du Québec qui lit cette même disposition n'aura pas de mal à comprendre les termes qu'on y trouve. Autrement dit, ces termes devraient avoir une signification particulière en droit. Le terme «security» est un terme technique qui s'utilise tant en droit que dans la langue courante.

Le sénateur Fraser: Oui, mais de plusieurs façons différentes.

Mme Allard: C'est exact. Un terme de ce genre a déjà un sens technique. Si l'on précise toutes ces notions, on aura l'équivalent d'un dictionnaire pour chaque disposition.

Dans d'autres cas où il n'y a pas d'énumération, nous cherchons à décrire l'objet de la disposition ou de la rendre plus accessible, étant donné qu'elle n'est pas technique en soi, et ce, en cherchant à décrire différents types de «security» ou de «charge» ou «sûreté» en français. Ainsi les gens qui liront ce texte comprendront qu'il est question ici du droit des sûretés relativement à un droit sur un bien réel, comme une «hypothec» au Québec ou un «mortgage» en common law.

Les gens comprendront le sens en fonction des termes qui leur sont familiers. Un mot peu avoir plusieurs sens pour un avocat de common law ou un avocat civil, mais le mot «security» importe peu, même si les conséquences ne sont pas les mêmes, étant donné que la règle fédérale veut qu'on tienne compte des différents sens. L'harmonisation ne signifie que la loi s'appliquera de la même façon au Québec que dans les provinces de common law. Dans certains cas, nous pourrions souhaiter qu'elle s'applique de la même façon. À ce moment-là, il faudra examiner les distinctions pour nous assurer que les règles s'appliquent de la même manière.

Si vous ouvrez un dictionnaire, vous trouverez une définition générale pour le mot «security». Si vous ouvrez un dictionnaire pour chercher le mot «charge», vous constaterez que son sens correspond à celui de l'autre terme. Il s'agit essentiellement de combler toutes les lacunes. Comme vous l'expliquait M. Vauclair, quand vous lisez le français, vous constatez qu'il y a quelque chose qui manque. Il en va de même pour la version anglaise, où il manque également quelque chose.

Le texte de la Loi sur l'assurance-emploi fait actuellement l'objet d'une révision pour qu'elle soit rédigée en termes plus courants. Mais c'est un processus extrêmement long. Il faut procéder étape par étape. Dans un premier temps, nous essayons de faire en sorte que tous aient accès aux textes de loi. Ensuite, dans le cadre de projets précis, nous nous efforçons de les rendre plus accessibles en les rédigeant en termes plus simples et clairs, pour qu'il soit plus facile à comprendre. Ainsi on améliore l'accès aux textes de loi. Essayez de lire ces dispositions en faisant abstraction du fait que ce mot est souligné.

Le sénateur Fraser: C'est justement de ça que je vous parle. Le témoin qui a donné lieu à tout ce débat faisait justement valoir que si on élimine le soulignement, on veut s'assurer que tout le monde va comprendre le sens du terme. La ministre explique dans sa lettre que le mot «security» correspond justement à l'exemple d'un terme qui a deux sens différents. C'est alors que je me suis demandé si, en l'absence du soulignement, je pourrais être induite en erreur? Vous me dites que non.

Mme Allard: Non. Si vous avez à appliquer ce texte en Ontario, vous interpréterez ce terme «security» selon le sens qu'il a en Ontario. Si vous voyez le terme «security» et que vous devez l'appliquer au Québec, vous allez l'interpréter en fonction du sens qu'il a au Québec, c'est-à-dire selon les différents instruments qui peuvent constituer ce qu'on appelle «security». Ils ne sont pas nécessairement les mêmes, car les catégories ne sont pas les mêmes. L'objet de l'exercice consiste donc à réglementer tout ce qui est caractérisé comme «security», même si le sens est différent.

Le sénateur Fraser: Merci d'avoir fait preuve d'autant de patience devant le manque de compréhension d'une non-initiée.

La présidente: En tant que non-initiée, moi aussi, je dois dire qu'en lisant cet article-là, le mot «security» me préoccupe beaucoup moins que le sens du terme «legal hypothec».

Le sénateur Fraser: Je crois savoir qu'il existe une différence entre le sens des mots «hypothec» et «mortgage». Si nous en avons le temps, quelqu'un pourrait-il nous expliquer en une phrase la différence entre les deux?

M. Vauclair: Si vous me permettez, le terme «legal hypothec» renvoie à un concept de droit civil. Ce concept-là n'existe pas dans la common law. On parlerait plutôt de «security interests», «pledges» et «mortgages», comme l'expliquait Mme Allard. Là il est question d'un instrument particulier.

Le sénateur Fraser: Et que signifie le terme «hypothec»?

M. Vauclair: C'est une charge qui vise un meuble ou immeuble au Québec. Il fallait inclure ce terme ici.

[Français]

Le sénateur Joyal: J'aimerais profiter de la présence deM. Bisson et revenir à la lettre de Mme McLellan, plus précisément au bas de la page 2, lorsqu'elle réfère à la banque de terminologie Termium. J'étais le secrétaire d'État quand cette banque a été mise sur pied il y a...

[Traduction]

... il y a environ 22 ans, si je ne m'abuse. À l'époque, c'était considéré comme un outil révolutionnaire pour aider non seulement les Canadiens, mais les gens du monde entier àaccéder à la définition légale d'un concept qui faciliterait le rapprochement des deux systèmes. Une banque de terminologie n'est pas un simple outil, comme un dictionnaire. Dans un dictionnaire, vous retrouvez le sens d'un terme, vous lisez la définition et ça s'arrête là. Une banque de terminologie est beaucoup plus complexe. D'après ce qu'on m'a fait comprendre au moment où nous l'avons créée - et j'étais l'un de ceux qui aient le plus insisté sur la création d'une banque car j'étais convaincu qu'elle constituerait ultérieurement un outil tout à fait essentiel - une banque de terminologie doit permettre de comprendre la philosophie qui sous-tend le système que vous cherchez à décrire.

Quand j'ai lu...

[Français]

... la fiche bijuridique que vous avez jointe à la lettre du ministre McLellan. Lorsque vous parlez du problème semi-bijuridique, il est extrêmement important que la façon d'exprimer le problème soit le plus collée possible aux valeurs de base du système. C'est là toute la difficulté du bijuridisme. Dans certains cas, vous avez pris une décision d'arbitrage. Dans votre présentation vous avez vous-même référé, par exemple, au fait qu'il n'est pas évident qu'un terme soit parfaitement «substituable» - si je peux utiliser un néologisme - à un autre.

Ma question est purement technique. Comment expliquez-vous la décision que vous avez prise, laquelle était une décision d'arbitrage, alors que le terme n'existe pas vraiment dans l'autre système?

M. Bisson: Je vais inviter ma collègue, Louise Maguire-Wellington, qui travaille avec les terminologues du bureau, à vous expliquer exactement comment va fonctionner le système des fiches.

Dans un premier temps, nous tentons d'obtenir un consensus. Il faut s'assurer de trouver un terme d'un concept de common law correspondant à un terme en droit civil. Nous allons faire une recommandation au ministère responsable de cette loi et donner les justificatifs pour notre recommandation. S'il n'y a pas d'institution, en droit civil, comparable à un concept de common law, nous allons évaluer l'utilisation d'un terme neutre qui pourrait satisfaire les deux auditoires, les «common law lawyers» et les civilistes. Enfin, nous allons examiner la possibilité de créer notre propre définition sans faire injure ni à la common law ni au droit civil.

C'est un exercice gigantesque, on en est à nos premiers balbutiements. De là à dire que l'on a trouvé, pour tous les problèmes qui vont se présenter, des techniques ou une façon d'opérer, ce n'est pas le cas. Je peux vous le dire dès maintenant, ce n'est pas le cas. On a présentement environ 200 termes,qui sont inclus dans cette loi et qui ont fait l'objet d'une harmonisation. Différentes techniques ont été utilisées, ce qu'on appelle clause Québec lorsque c'est vraiment au Québec que ce terme veut dire telle chose. C'est une technique que l'on a utilisée. On a utilisé la définition et on a utilisé le doublet, les quatre termes cadre. Le modèle qu'on vous donne où il y a quatre case en droit civil français, anglais et common law pour les quatre auditoires. Donc, on expérimente par l'expérience. Évidemment, on est guidé et on tente, si possible, de trouver l'équivalent à l'expression juste en droit civil qui correspond à une notion de common law.

Mme Louise Maguire-Wellington, conseillère juridique, Section du Code civil: Je pense que vous avez résumé assez bien les techniques. Vous avez dans la fiche un exemple que l'on a appelé un doublet où il y a un terme différent pour chaque auditoire, le droit civil en français, le droit civil en anglais, la common law en français et la common law en anglais. Parfois on va choisir un terme général, neutre comme «prêt» et «loan», qui est le même en anglais ou en français, et les termes, par exemple, «bail» et «lease». Vous aurez dans votre fiche, pour vous y reconnaître, les quatre cases. L'auditoire de common law saura que «bail», c'est pour l'auditoire de common law et c'est aussi pour l'auditoire de droit civil, et «lease» c'est pour l'auditoire de common law et aussi pour l'auditoire de droit civil.

Il y a une variété de techniques. Comme M. Bisson l'a expliqué, il y a la définition, il y a aussi le contexte définitoire et la description, si on n'a pas un terme spécifique. On utilise parfois une définition ou, parfois, le doublet avec l'alinéa, où il est expliqué que dans la province de Québec c'est telle situation et dans les autres provinces, c'est telle autre situation. Il y a plusieurs techniques qui sont utilisées dépendant du contexte et des impératifs de la législation.

Le sénateur Joyal: Merci bien. J'essaierai de consulter un certain nombre de fiches de la banque puisqu'elle demeure un outil essentiel de diffusion des objectifs de l'harmonisation.

Je voudrais revenir sur la question du préambule parce qu'il y a des éléments juridiques qui sont impliqués dans le préambule et qui devraient, à mon avis, faire l'objet d'une réflexion au ministère de la Justice.

Je vais m'adresser principalement à monsieur DeMontigny. Le ministère de la Justice est bien au fait, j'imagine, des décisions que la Cour suprême et des tribunaux canadiens qui ont déjà été rendues sur l'interprétation de la dualité canadienne, à savoir le Québec, les Canadiens français - pour mettre cela dans des termes encore plus larges - et la communauté d'expression anglaise au Canada.

Comment interprétez-vous le positionnement des tribunaux canadiens là-dessus? Peut-être que la question vous prend par surprise, mais j'imagine que lorsque vous avez rédigé ce préambule, étant donné qu'il réfère à une notion politique à laquelle on va donner une signification juridique, il me semble que le ministère de la Justice a dû certainement faire une réflexion pour savoir comment - d'une façon traditionnelle - les tribunaux canadiens avaient interprété la dualité.

M. DeMontigny: Je dois vous dire que c'est une question que je n'avais pas prévue. Je ne sais pas à quelle décision vous faites allusion. La Cour suprême, dans l'arrêt Ford, en particulier, a fait référence à la dualité et au caractère unique, sans employer nécessairement ces termes, pour reconnaître, sous l'article 1, de la Charte, que compte tenu de la situation démographique et du fait français en Amérique du Nord, il était légitime - et même que la Cour est allée au-delà de ce à quoi on s'attend normalement d'un tribunal sous l'article 1 - compte tenu de cette situation particulière du Québec en Amérique du Nord que d'utiliser dans l'affichage, de façon prédominante, le français. La cour a déjà pris acte, au moins dans ce jugement. Le regretté juge en chef Dickson, dans une conférence qu'il livrait en 1996, après son départ de la Cour, disait ceci, et je me permettrai de vous citer un court extrait de sa conférence qu'il avait donnée, - cela a été rapporté dans les journeaux pour fin de référence, dans La Presse, en traduction, le 27 juillet à la page B-2. Je vous cite un très court extrait. Le juge Dixon parlait de toute la question du caractère unique ou distinct du Québec:

Je sais que cette question demeure un sujet quelque peu controversé dans l'Ouest canadien. Mais permettez-moi de dire tout de go, que je suis très à l'aise avec ce concept. En fait, les tribunaux interprètent déjà la Charte des droit et la Constitution en tenant compte du rôle distinctif du Québec dans la protection et la promotion de son caractère francophone. Conséquemment, dans la pratique, l'enchassement de la reconnaissance formelle du caractère distinct du Québec dans la Constitution ne nous éloignerait pas beaucoup des pratiques actuelles de nos tribunaux.

Je fait référence au professeur Jean-François Gaudreault-DesBiens, lorsqu'il disait qu'il ne faut perdre de vue que l'on parle ici d'un préambule et non pas d'un texte constitutionnel. Ce préambule pourrait être utilisé pour interpréter la loi s'il y avait quelque ambiguïté que ce soit. Tout comme M. Gaudreault-DesBiens, je vois assez mal quelle ambiguïté dans le texte pourrait nécessiter l'utilisation de ce concept de société unique ou de caractère unique.

J'ajouterai aussi que contrairement à ce que la proposition de l'Accord du lac Meech ou de l'Entente de Charlottetown aurait fait - qui était non seulement d'introduire le concepte dans un texte constitutionnel, je le précise, et lui attacher des conséquences très précises - il s'agit ici d'un préambule d'une loi ordinaire. Aucune conséquence juridique en découle.

Si vous me permettez, un dernier point pour essayer de répondre à votre question, le mot «société» sur un plan strictement juridique - et là je n'entrerai pas dans un débat politique, vous êtes mieux placé que moi pour le faire - n'a aucune connotation. Le mot «nation» peut en avoir. Quand on parle d'un État-nation, on sait à quoi ce mot se réfère. Le mot «peuple» peut en avoir, bien entendu, et le renvoi de la Cour suprême sur la sécession portait essentiellement sur le droit des peuples à disposer d'eux-même. C'est un concept connu en droit international. Toutefois, le mot «société» est un terme qui ne fait que décrire une réalité sociologique et n'a aucune conséquence ou implication juridique.

Il est exact que le mot «société» en lui-même est un terme général. Je peux dire «la Société des écrivains du Québec». Cela existe, c'est une corporation sans but lucratif regroupant des écrivains. Cela peut être la Société des ornithologues ou n'importe quoi d'autre, c'est-à-dire un regroupement de personnespartageant les mêmes intérêts. Vous ne pouvez pas ignorer, monsieur DeMontigny, que l'expression «société distincte» a fait l'objet de débats énormes au Canada depuis 20 ans, en fait, depuis que cette résolution est apparue dans le vocabulaire politique. Si je joins l'adjectif «distincte» à celui de «société», pour simuler une analyse psychologique, quand je vous montre cette expression, à quoi pensez-vous? C'est la même chose. C'est un terme qui est, comme on dit en anglais, «loadé»; pas du tout neutre. Le terme en lui-même est un collectif d'un généralisme qui peut impliquer tout et n'importe quoi en même temps, mais pris dans le contexte de la politique canadienne, on sait immédiatement à quoi il réfère. Personne ne peut faire semblant qu'il ne le voit pas.

Ce point a été, à mon avis, confirmé avec une déclaration du ministre Dion. Il y a à peine un mois, le 14 février 2001, le ministre Dion déclarait, à Toronto, lors d'une conférence dont le texte a été distribué à tous les parlementaires, et je le cite:

Je ne dis pas que notre Sénat est parfait ou qu'une clause interprétative reconnaissant le caractère unique du Québec ne serait pas chose utile.

Si je lis en parallèle le texte du ministre Dion, qui veut une clause interprétative de la Constitution canadienne basée sur le caractère unique du Québec - et le ministre Dion n'est quand même pas un ministre qui n'a pas d'intérêts dans le débat politique au Québec - et celui du préambule, à l'article 2, n'est-on pas en train de faire dans une loi ce qu'on devrait faire dans un texte constitutionnel?

Que l'on veuille faire une clause interprétative avec cette mention, qui est, comme vous le savez, un concept politique qui a amené le Canada dans des débats extrêmement importants depuis les 20 dernières années, serait un débat qu'on pourrait faire dans un autre contexte.

Je suis d'accord avec le sénateur Beaudoin que l'on reconnaisse que le Code civil au Québec est une caractéristique de la province de Québec, parce que c'est en vertu de 1991, 1992 et 1993 que le Québec s'est donné ce Code civil - je n'ai pas de problème avec cela, au contraire, je crois que cela devrait même être mentionné -, mais pour faire cette reconnaissance de l'existence au Québec d'une tradition de droit civil, on utilise un concept politique qui fait référence à tout un débat politique antérieur, auquel le ministre Dion a lui-même fait écho il y a à peine un mois. Vous comprendrez qu'on peut avoir certaines réticences dans un projet de loi qui est d'un autre ordre, et auquel je souscris entièrement, mis à part l'article 5, je l'ai déjà dit pour d'autres considérations et toute l'initiative qui doit s'ensuivre.

Le ministère de la Justice ne peut pas ignorer non plus les jugements qui ont émané des plus hauts tribunaux, en particulier ceux du juge Laskin, dans la référence sur le rapatriement de la Constitution en 1981, et du juge Turgeon, en 1982, sur le droit de veto du Québec, qui ont été extrêmement clairs pour dire que ces théories de pacte entre deux groupes, deux communautés - et je le cite:

[Traduction]

Qu'on parle de la théorie intégrale du pacte fédératif, ou d'une théorie modifiée du pacte fédératif comme celle que réclame certaines provinces, les théories sont appliquées dans un contexte politique. S'agissant d'études des sciences politiques, elles ne reposent pas sur le droit.

[Français]

De la même façon, le juge Turgeon a dit, en 1982, toujours dans les deux jugements que vous connaissez bien:

[Traduction]

Cependant, ces distinctions ne confèrent pas à l'Assemblée législative du Québec de plus vastes pouvoirs qu'aux autres qui rejettent le principe de la dualité.

[Français]

Mon problème, ce n'est pas que l'on débatte de ces questions en politique. Je crois que le ministre Dion peut avoir de très bonnes raisons de vouloir faire la promotion d'une clause interprétative de la Constitution. Ce à quoi je ne veux pas souscrire, c'est que, en reconnaissant le fait que le système de droit civil au Québec est codifié - ce qui à mon avis doit être reconnu - on utilise un concept politique qui fait l'objet de débats et qui va continuer à faire l'objet de débats.

Je ne veux pas que l'on se retrouve éventuellement dans la situation où on dise que le Parlement du Canada, en 1995, a adopté une résolution, c'était inofensif, mais maintenant puisque vous l'avez adopté dans ce projet de loi, le Parlement a parlé. Je ne suis pas d'accord avec votre propose voulant qu'un préambule ne veut rien dire. S'il ne voulait rien dire, je proposerais qu'on le retire. Je crois qu'un préambule est utile dans une loi. Il exprime l'objectif de la loi, l'environnement de la loi, le contexte de genèse de la loi et il explique les objectifs de la loi.

Selon moi, les mots du préambule sont importants. Le mot «société», au deuxième attendu, ne peut pas être enlevé de l'ensemble du débat politique qui a eu lieu au Canada là-dessus. Il est inutile d'essayer de nous faire croire que le mot est neutre. Personne ne peut ignorer tous les débats qui ont eu lieu à ce sujet et qui vont continuer d'avoir lieu au cours des prochaines années. Je crois que ce projet de loi de loi est absolument souhaitable, qu'il mérite d'être encouragé parce qu'il représente l'essence même de l'existence du Canada de faire cohabiter deux traditions qui s'expriment chacune dans les deux langues, tout comme on a un objectif de deux langues officielles existant sur une base égalitaire dans les institutions canadiennes. C'est éminemment fédéral comme approche. Pourquoi essayer à ce moment-ci d'introduire ce concept pour lequel il n'y a pas une entente de la part de l'ensemble des Canadiens? Ce n'est pas encore dans la loi constitutionnelle, cela viendra peut-être. J'aurai une autre opinion là-dessus en temps et lieu et le ministre Dion nous a déjà dit qu'il voudra en discuter.

À cette étape-ci, il me semble que l'on pourrait exprimer exactement le sens du deuxième attendu et dire simplement...

[Traduction]

Attendu que la tradition de droit civil du Québec, qui trouve sa principale expression dans le Code civil du Québec, témoigne du caractère unique [...]

[Français]

Je n'ai aucun problème avec cela, mais lorsqu'on joint le mot «distincte» ou «unique» au mot «société», on est tout de suite dans le champ du débat politique. À mon avis, quand le ministère de la Justice fait une loi, il doit la faire en reconnaissant essentiellement le contexte juridique à l'intérieur duquel le droit constitutionnel canadien évolue.

Je vous souligne qu'un débat constitutionnel peut avoir lieu à d'autres étapes. C'est la raison pour laquelle je suis d'accord avec l'idée de reconnaître que le Code civil caractérise le système juridique québécois. Je crois qu'il faut que cela soit présent. Ma réticence, ma réserve et mon intention d'amender, viennent précisément du retrait de cet élément contentieux basé sur un positionnement juridiquement clair de la part de l'interprétation que les tribunaux en ont donné.

M. DeMontigny: Votre intervention amène plusieurscommentaires. Du point de vue du ministère de la Justice, il est clair que l'objectif n'était pas et n'est toujours pas de rouvrir un débat strictement politique autour du concept de société distincte comme on l'a connu dans la passé.

La raison première pour laquelle vous avez cet attendu dans le préambule, comme vous l'avez dit et comme la ministre l'a aussi dit lors de son témoignage ici, c'est pour donner le contexte dans lequel ce projet de loi est adopté.

Une partie de ce concept inclut des résolutions adoptées par les deux Chambres en 1995. Encore une fois, vous connaissez très bien ces résolutions, mais je me permets de relire une portion de la résolution où il est dit:

Attendu que le peuple du Québec a exprimé le désir de voir reconnaître la société distincte qu'il forme, la Chambre reconnaisse [...]

1) Donc que le Québec forme au sein du Canada une société distincte;

2) [...] que la société distincte comprend notamment une tradition de droit civil.

Personne n'est en désaccord avec cela. Ce qui est encore plus important pour nous:

4) La Chambre incite tous les organismes des pouvoirs législatifs et exécutifs du gouvernement à prendre note de cette reconnaissance et à se comporter en conséquence.

Aux yeux du ministère, nous ne faisons que nous conformer à cette résolution qui a été adoptée par les deux Chambres en 1995, d'une part.

D'autre part, vous avez fait allusion au caractère «loadé» du concept de société distincte.

Je ne veux pas refaire la genèse de ce concept, d'autres l'ont fait mieux que moi. C'est un concept que l'on peut tirer du rapport de la Commission Laurendeau-Dunton de 1967. Je vais vous citer un extrait de ce rapport:

[...] et nous avons reconnu dans le Québec, les principaux éléments d'une société francophone distincte ainsi en étude pour l'autre culture.

La même chose, M. Beaudoin pourra en témoigner, en 1979, dans le rapport de la Commission Pepin-Robarts, où on allait plus loin, car on recommandait que le préambule de la Constitution reconnaisse l'association historique des Canadiens francophones et anglophones et la spécificité du Québec.

La Cour Suprême a fait allusion de façon explicite dans l'affaire Ford à la société québécoise à la société québécoise. Il est vrai - ce n'est pas mon rôle d'entrer dans un débat de nature politique - que le concept de société distincte à certaines époques et pour certaines fins, a été utilisé avec un agenda très précis. C'est un fait dont tout le monde peut prendre acte. Ce n'est plus nécessairement le cas à l'heure actuelle, comme vous le savez. Je vous ferai grâce des débats politiques, mais vous êtes conscients comme moi que ce terme n'a pas nécessairement la même charge qu'il avait à une certaine époque. L'attendu que vous avez dans le préambule ne fait que reprendre le texte de la Déclaration de Calgary, qui a été endossée par une large proportion de la population canadienne.

Je voudrais ajouter que les mots «société unique» ou «caractère unique de la société québécoise» n'apparaissent pas de façon abstraite. Ils n'apparaissent pas dans un contexte d'une réforme constitutionnelle. Ce n'est pas ce que le ministère de la Justice cherche à faire par des moyens détournés. Ils apparaissent dans un préambule qui mentionne à deux reprises la province de Québec. Tout le génie de ce projet de loi fait en sorte qu'il est inconcevable que l'on puisse interpréter le deuxième attendu comme étant une perche vers un agenda politique puisqu'on parle d'harmoniser le droit fédéral avec le droit québécois.

Donc, l'essence même du projet de loi est de nature fédérale. Je suis d'accord que le préambule qui a une portée. On n'adopte pas un préambule pour le plaisir, mais pour donner un contexte au projet de loi. Il n'attache aucune conséquence juridique à l'emploi des mots «société québécoise», qui n'est certainement pas une loi constitutionnelle. Son seul objet - c'est vraiment la perspective dans laquelle le ministère de la Justice l'a adopté - est de décrire une réalité sociologique qui, aux yeux du gouvernement, représente quelque chose d'acquis pour tout le monde. C'est-à-dire que le Québec, par sa langue, sa culture et son droit civil, est une société différente, unique au sein du Canada.

[Traduction]

Le sénateur Joyal: En ce qui concerne la déclaration de M. Laurendeau dans les pages bleues du rapport, le rapport qui a donné lieu à la décision du gouvernement canadien - et j'en faisais partie à l'époque...

[Français]

La Commission Laurendeau-Dunton a été une commission sur le bilinguisme et le biculturalisme. Le gouvernement a retenu les recommandations sur le bilinguisme et a refusé celles sur le biculturalisme. C'est ce qui a donné naissance à la politique de multiculturalisme.Lorsqu'on cite le rapport Laurendeau-Dunton, pour étayer la recevabilité du concept, on le fait dans un contexte qui n'est pas exact. Le professeur Léon Dion, dans ses bribes de souvenirs sur André Laurendeau aux pages 49 et 51, a expliqué ce que M. Laurendeau avait à l'esprit lorsqu'il a écrit cette partie du rapport, et je cite le professeur Léon Dion:

André Laurendeau, pour sa part, partait de la nécessité de procurer au Québec un statut constitutionnel très spécial. Cette province étant la pierre d'assise et le garant du français pour tout le pays. Pour lui, (André Laurendeau) la condition d'existence des Canadiens français était la persistance de la société qu'ils avaient façonnée. Si le français avait survécu au Canada, c'était grâce à cette dernière et aussi parce que le Québec était doté d'un sens de décision politique.

En d'autres mots, la théorie que M. Laurendeau développait dans les pages bleues du rapport, c'était la théorie d'un statut particulier pour le Québec basé sur le constat qu'il faisait d'une société distincte comme il l'a décrivait à l'époque. Je cite M. Laurendeau:

Le mot «société», dirions-nous, désigne ici les formes d'organisations et les institutions qu'une population assez nombreuse, animée par la même culture, s'est données et a reçues, dont elle dispose librement sur un territoire assez vaste et où elle vit de façon homogène selon des normes et des règles de conduite qui lui sont communes et nous avons reconnu dans le Québec, les principaux éléments d'une société francophone distincte.

La raison pour laquelle le gouvernement canadien a refusé cette interprétation des conclusions de M. Laurendeau, c'est quele gouvernement canadien a voulu établir une politique de bilinguisme égale pour l'ensemble des francophones au Canada, et d'assumer toutes ses responsabilités à l'égard de la promotion du fait français au Canada et de ne pas nier les institutions que le Québec s'était données depuis 1774, 1867, et depuis l'époque de la Révolution tranquille. Le gouvernement canadien ayant été à chaque étape d'un secours imminent à la décision du Québec de se donner ces institutions. On veut le nier aujourd'hui, mais la réalité est autre.

Lorsque l'on cite M. Laurendeau, les pages bleues du rapport de la Commission Laurendeau-Dunton, il faut le faire dansle contexte des conclusions du rapport. Je vous soumets respectueusement, que si on appliquait à la lettre la résolution de décembre 1995, porterait elle-même son aboutissement dans des contextes extrêmement de conséquence pour la réalité canadienne.

Je relis encore le point que vous avez relu de la résolution:

La Chambre ou le Sénat incite tous les organismes, les pouvoirs législatifs et exécutifs du gouvernement àprendre note de cette reconnaissance et à se comporter en conséquence.

Nous recevrons bientôt de la Chambre des communes un projet de loi sur l'immigration. Comme l'immigration est un sujet extrêmement délicat au Québec, - il y a eu une entente que le gouvernement canadien a signé à laquelle j'ai participée -c'est reconnu comme un élément essentiel de l'équilibre démo-linguistique au Québec et au Canada, on devra reconnaître dans le préambule de la Loi sur l'immigration, que le Québec, à toutes fins pratiques, a un caractère unique et qu'il faudra en prendre acte dans la Loi sur l'immigration. Nous avons débattu pendant de nombreuses semaines, sous la présidence de notre présidente actuelle, un projet de loi sur la citoyenneté.Le professeur Gaudreault-DesBiens a comparu devant nous hier et nous a affirmer qu'il n'avait aucune objection à la double citoyenneté, que cela existait dans certains pays et ne dérangeait aucunement et ces pays restaient unis.

Dans la Loi sur la citoyenneté, on reconnaîtra que le caractère unique du Québec peut amener cette province à se donnerune double citoyenneté. On adoptera tous les projets de loi éventuellement, si on donne acte au principe contenu dans le dernier paragraphe.

On a une conception du pays et on la maintient tant que la Loi constitutionnelle n'a pas été changée. On peut faire le débat public. C'est la raison pour laquelle le Parlement et les tribunes publiques existent. Toutefois, quand nous faisons une loi de nature juridique comme celle-ci, m'est avis que, introduire un concept politique qui n'a pas encore fait l'objet de la sanction des Canadiens, c'est tout autre. Comme vous le dites, la déclaration de Calgary a fait l'objet de l'endossement des Canadiens. Le Parlement canadien n'a jamais voté sur la déclaration de Calgary. Cela a été une déclaration politique de dix premiers ministres.

[Traduction]

Sur les 10 premiers ministres qui l'ont signé, trois ont quitté leurs fonctions. C'est un document politique dont on peut discuter librement au Canada. Il n'a jamais fait l'objet d'un référendum ou d'une résolution dans le cadre des travaux d'une assemblée législative provinciale. Il n'a pas non plus force obligatoire.

Si nous rédigeons un projet de loi ayant pour objectif extraordinaire d'harmoniser les deux systèmes juridiques dans les deux langues, nous devrions pour l'instant éviter d'y introduire un concept qui a été débattu, comme nous le savons tous, qui va continuer de faire l'objet de débat mais sur lequel la population canadienne en général ne s'est pas prononcée. À deux reprises, les Canadiens ont eu l'occasion de se prononcer là-dessus, et ils l'ont rejeté. Ils l'ont rejeté dans l'Accord du lac Meech et ils l'ont encore rejeté dans l'Entente de Charlottetown. Si nous voulons agir dans la légalité et nous assurer de faire quelque chose qui «tient la route», si je puis dire, nous devrions, dis-je, éviter d'y introduire un concept qui a déjà été débattu et qui continuera de l'être dès lors que ce projet de loi aura été adopté.

Vous nous avez dit que les gens oublieront le préambule et se concentreront sur le fond du projet de loi. Eh bien, je peux vous garantir que ce préambule constituera justement l'un des arguments qu'on avancera dans tout débat futur sur l'introduction dans la Constitution d'une disposition interprétative sur la société distincte du Québec.

[Français]

M. DeMontigny: Tout d'abord, je voudrais préciser qu'en tant que fonctionnaire, ce n'est pas mon rôle de me prononcer sur ce que des experts sont venus dire, notamment sur le concept de la double citoyenneté ou, encore, sur l'opportunité pour leParlement, dans d'autres lois à venir, d'adopter un préambule de cette nature. Ce sera votre décision, bien entendu.

D'autre part, je voudrais qu'on s'entende sur le fait que la seule raison pour laquelle j'ai fait référence au rapport de la Commission Laurendeau-Dunton, comme au rapport de la Commission Pepin-Robarts, ce n'est pas parce que le ministère endosse les conclusions de ces rapports et, particulièrement, les conséquences que l'on attachait à ce concept de société québécoise.

La seule raison pour laquelle j'y ai référé, c'est pour illustrer le fait que c'est une expression qui vient de loin et que l'on a utilisée dans plusieurs contextes. Cette expression fait maintenant partie, nous semble-t-il, du paysage de ce qu'on décrit comme la société québécoise.

Pour ce qui est de la question du biculturalisme, encore une fois ce n'est pas à moi de juger s'il est opportun ou pas de rejeter cette notion. Vous avez raison de dire que l'on a accepté la notion de bilinguisme, mais non pas la notion de biculturalisme.

Ce projet de loi attire l'attention sur le fait que l'une des caractéristiques de la société québécoise est le bijuridisme. Je crois que peu de débats auront lieu autour de cette table pour accepter le fait que le droit privé du Québec soit différent, unique ou distinct. Encore une fois, on peut utiliser tous les termes qui existent dans les autres provinces. Tout ce que le préambule veut refléter, c'est qu'il s'agit évidemment d'une caractéristique parmi d'autres. Il ne s'agit pas d'essayer d'énumérer de façon exhaustive quelles sont toutes ces caractéristiques puisque l'une d'elles tombe sous le sens et c'est le caractère bijuridique du Canada. On n'attire pas l'attention seulement sur le fait que le Québec a un droit privé différent. On fait aussi état que la common law fait partie du droit canadien. Il y a donc un équilibre qui est maintenu.

Encore une fois, la position du ministère sur l'utilisation du mot «société québécoise» n'est d'aucune façon une tentative déguisée d'introduire dans la Constitution canadienne un concept qui a fait l'objet de débats et qui, peut-être encore, fera l'objet de débats parce qu'il s'agit d'abord d'un préambule qui n'a pas de force obligatoire comme telle.

Il ne s'agit pas d'une loi constitutionnelle, il s'agit d'une loi ordinaire. Il n'y a aucune conséquence juridique qui est attachée à cette mention de la société québécoise, contrairement à ce qu'on aurait essayé de faire avec l'Accord du lac Meech ou l'Entente de Charlottetown. Il ne s'agissait pas simplement d'introduire ce concept dans le corpus constitutionnel canadien, mais de lui donner surtout des conséquences juridiques. D'après ce que je peux comprendre des débats qu'on a eus, c'était ce qui posait problème. Il n'y a rien de tel ici.

La position du ministère, est celle-ci: on ne fait que décrire une situation de fait, c'est-à-dire que le droit civil fait partie des caractéristiques du Québec. Il ne faut pas y voir autre chose qu'une description factuelle d'un état de fait. Je comprends que l'on puisse vouloir extrapoler. Ce n'est pas mon rôle de commenter sur les extrapolations que l'on peut vouloir en faire. J'essaie simplement de vous exposer les motifs qui ont présidé à l'utilisation de cette expression et à l'inclusion de cet attendu dans le préambule qui ne se veut qu'une réflexion de la réalité telle qu'on la connaît.

[Traduction]

Le sénateur Joyal: Vous avez dit que ce n'est qu'un préambule. Je me permets cependant de vous renvoyer à la décision de la Cour suprême où cette dernière s'est justement basée sur certains éléments importants du préambule de la Constitution pour prendre la décision qu'elle a prise. Un préambule n'est pas quelque chose de neutre. L'exemple qui vient tout de suite à l'esprit est celui de la décision dans la cause fiscale touchant l'Alberta, où la Cour a statué que le préambule consacrait justement le principe selon lequel le débat caractérise le système démocratique dans un Parlement. Elle s'est fondée là-dessus pour tirer bon nombre de conclusions. Donc, quand vous dites qu'un préambule est sans intérêt et sans conséquence, eh bien je dois m'inscrire en faux contre une telle assertion. La Cour a souvent fondé ses décisions - je n'en ai pas sous les yeux, mais je pourrais vous en citer - sur l'importance d'un préambule.

C'est tout ce que je voulais vous dire au sujet de la nature d'un préambule dans un projet de loi.

Le sénateur Beaudoin: Je pense qu'à peu près toutes les opinions ont été exprimées à cet égard, mais je désire simplement déclarer publiquement que je ne suis pas d'accord.

Nous avons l'Acte de Québec de 1774, qui prévoit l'application du droit français dans une colonie britannique. Sur le plan constitutionnel, cela correspond à la meilleure description qu'on ait jamais vu jusqu'à présent d'une «société distincte».

En 1866, nous avons créé le Code civil. En 1967, nous avons confié la responsabilité des droits de propriété et civils aux provinces. La raison de ce transfert de responsabilité était claire pour Cartier. Il s'agissait essentiellement d'appliquer l'Acte de Québec dans ces domaines-là.

Nous avons deux jugements du Comité judiciaire du Conseil privé, celui qui concernait l'assurance et l'autre qui l'a suivi, où l'on déclare en termes très clairs que l'expression «droits de propriété et civils» a le même sens dans la Constitution que dans l'Acte du Québec et qu'il convient par conséquent d'interpréter ces droits de façon libérale. Nous avons l'affaire Ford, où il est question du «visage linguistique du Québec». Nous avons la déclaration de Dickson, où nous retrouvons un énoncé très clair concernant le caractère unique ou particulier du Québec. Dans la Constitution, nous avons l'article 27 de la Charte, où il est question d'un Canada bilingue mais multiculturel en même temps. Nous avons également certains articles, soit les articles 98 et 94, qui indiquent clairement que le Québec a un Code civil et un système de droit privé qui sont différents. Il est impossible de changer tout cela. Ces éléments font partie intégrante de la jurisprudence et de la Constitution.

Voilà donc qui m'amène à décembre 1995, et à la motion adoptée par la grande majorité des législateurs des deux Chambres à la demande du gouvernement et du Cabinet, motion qui déclare que le Québec constitue une société distincte. Il ne s'agit ni d'une loi ni d'une modification constitutionnelle; cette résolution correspond à une mesure prise par l'organe législatif de l'État.

J'ai écouté attentivement la discussion, qui a duré des heures et des heures. Tous étaient d'accord pour reconnaître que la tradition de droit civil trouve son expression dans le Code civil. L'opinion dissidente qui a été émise ne concernait pas le Québec. Elle concernait exclusivement l'utilisation de deux termes, soit «société distincte».

À mon avis, le Canada est fondé sur deux systèmes de droit. Cette réalité est bien acceptée, donne de très bons résultats et elle est consacrée dans la Cour suprême; et il ne fait aucun doute que le Québec est distinct sur le plan juridique du point de vue de son droit privé. Faut-il le dire? Certains disent non, d'autres disent oui. Ma réponse est oui. J'aime les faits et j'aime l'histoire. Je pense qu'il faut le dire.

Quels termes faut-il employer? Je ne m'oppose pas du tout à l'idée de dire que dans notre pays - et j'essaie de trouver un autre exemple - nous avons deux langues officielles et deux systèmes de droit privé: l'un des systèmes ne concerne qu'une province, alors que l'autre concerne toutes les autres provinces - c'est-à-dire la common law et le droit civil. La common law et le droit civil sont deux systèmes extraordinaires qui ont leur propre génie.

En conclure que cela témoigne du caractère unique de la société québécoise est tellement évident que je ne peux pas en dire plus. Je sais que ce préambule pourra être utilisé par les tribunaux et le Parlement - je suis d'accord là-dessus - mais commencer par parler de «la province de Québec», ce n'est certainement utile ni pour nos conseillers ni pour nos rivaux, comme on nous l'expliquait hier. Il n'y a rien de plus fédéraliste que ce projet de loi, car on y précise que le Canada ne forme qu'un pays, qu'une nation dans le sens du système britannique.

Le sénateur Joyal: Où avez-vous vu ça? Où trouve-t-on le mot «nation» dans le préambule?

Le sénateur Beaudoin: Je dis simplement que le Canada ne forme qu'un pays. C'est un pays fondé sur deux systèmes de droit privé. Nous indiquons ici que l'un d'entre eux s'applique dans la province du Québec et témoigne du caractère unique de la société québécoise. C'est tellement évident qu'on peut le dire.

Certains prétendent qui si on fait cela, on va favoriser la cause des souverainistes, mais je ne suis pas d'accord. Nous ne favorisons la cause de personne, alors que nous devrions chercher à favoriser la nôtre. Cela décrit simplement la réalité. Nous allons peut-être découvrir des sens différents à cette expression.

[Français]

On peut toujours changer les mots, on peut toujours changer les idées, mais le Canada est un pays unique et c'est la province que Québec qui, sur le plan juridique, est dans une situation unique. Je pense que c'est une bonne chose, c'est l'histoire du Canada.

Je n'ai pas peur des expressions «caractère unique» ou «société distincte». Si jamais on plaide le deuxième attendu à la Cour Suprême du Canada, je ne pense pas que cela deviendra un argument en faveur d'une thèse confédérale. Au contraire, ce projet de loi est fédéral.

Nous avons ensuite la résolution de la Chambre des communes et du Sénat. Des sénateurs et des députés, qui représentent tout notre pays, ont accepté cette motion. Évidemment, ce n'est pas une loi, ce n'est pas un amendement, mais c'est un fait. Il fallait le dire pour les fins du dossier.

[Traduction]

Je suis tout à fait d'accord pour le faire. Je respecte l'autre point de vue et je le comprends très bien mais je ne voterai jamais en faveur de la suppression du deuxième «attendu que» parce que cela décrit bien la réalité du Canada.

La présidente: À mon avis, vous n'êtes pas obligé de répondre.

Le sénateur Cools: J'ai écouté attentivement les témoins. Je me sens toujours un peu mal à l'aise lorsque des avocats me disent que certaines expressions n'ont pas de conséquences juridiques lorsqu'on les utilise dans le contexte d'un projet de loi. Si elles n'ont pas de conséquences juridiques, on devrait pouvoir les enlever assez facilement ou ne pas les utiliser du tout, ce qui serait encore mieux. Si elles n'ont aucune valeur et aucune conséquence, peut-être les témoins pourraient-ils nous indiquer pour quelles raisons on les trouve dans ce projet de loi - à moins que quelqu'un ait eu une intention poétique.

J'ai lu de nombreuses décisions de la Cour suprême où les arguments des juges ont surtout leur origine dans le préambule. Je ne me souviens plus très bien, étant donné que cela remonte assez loin, mais si je ne m'abuse, la décision de la Cour suprême dans le cadre du renvoi sur la sécession reposait aussi en partie sur le préambule. Il faudrait que je vérifie. Ai-je raison?

M. DeMontigny: Oui.

Le sénateur Cools: Je suis de ceux et celles qui ne comprennent pas comment la Cour suprême a pu tirer de telles conclusions. Mais il faudra attendre un autre jour pour tenir ce débat-là.

Cela dit, si ces mots ou expressions n'ont aucune conséquence juridique, pourquoi a-t-on cru bon de les inscrire dans ce projet de loi?

Ma deuxième question concerne ce qu'on appelle nos deux systèmes de droit. Au Canada, nous n'avons créé le Code criminel en tant que loi distincte en 1892, et beaucoup d'infractions criminelles de la common law ont continué d'exister jusqu'en 1955. Mais le fondement même du Code criminel a été la common law britannique. Pourriez-vous donc me parler de l'application du droit criminel, qui repose essentiellement sur la common law, et de ce qui a été fait dans la province de Québec sur ce plan-là? Je pense que nous perdons de vue qu'il existe une forte tradition de common law au Québec également. On semble l'oublier.

Troisièmement, je vous félicite d'avoir investi le temps et l'effort nécessaires pour préserver la pureté et l'intégrité du Code civil, mais cela m'a frappée quand vous avez mentionné tout à l'heure que le point de départ de ce projet était l'introduction du nouveau Code civil en 1994. J'en conclus donc que la genèse de cette initiative était le Code civil du Québec, plutôt que le désir d'assurer l'harmonisation de nos lois à l'échelle nationale.

Peut-être pourriez-vous répondre à ma dernière question. Vous m'avez convaincue que vous souhaitiez protéger l'intégrité et la pureté du Code civil, mais en élaborant et en rédigeant ces dispositions, je voudrais savoir quelles mesures vous avez prises pour protéger l'intégrité et la pureté de la common law également. À mon avis, on ne peut pas se permettre de simplement changer un mot ici et là. Je n'aime pas beaucoup ces démarches qui consistent à introduire davantage la langue courante dans les texte de loi parce que je sais pertinemment que beaucoup de lois ont été révisées de fond en comble pour permettre justement d'y incorporer des termes plus courants. Le fait est que beaucoup de lois ont été complètement remaniées et réécrites pour cette raison-là.

Pourriez-vous répondre à ces trois questions? Je ne vous en voudrais pas si vous me dites qu'elles sont un peu trop compliquées.

M. DeMontigny: Je vais demander à mon collègue de répondre à votre troisième question, car il est mieux placé pour le faire que moi.

En ce qui concerne votre deuxième question, vous avez parfaitement raison de dire que la common law est le fondement du droit criminel et de tout droit public. Si cela peut vous rassurer - et je suis un ancien professeur de la faculté de droit de l'Université d'Ottawa - nous enseignons beaucoup la common law, même dans la province de Québec. Le droit public - c'est-à-dire le droit constitutionnel, commercial et tout le reste -, c'est la common law. Cette dernière fait partie intégrante du programme d'enseignement de tout étudiant en droit.

Ne vous faites pas de mauvais sang à cet égard. La common law est encore bien en vie dans la province de Québec.

Le sénateur Cools: C'est comme si ce phénomène ne concernait que le Québec, alors qu'en réalité, il y a toutes sortes d'autres «droits» qui s'appliquent à tout moment dans la province de Québec. Je vous demande simplement de dire les choses de façon un peu plus équilibrée. Je ne peux accepter l'idée que ce projet de loi ne concerne pas les Québécois, mais seulement les Franco-Québécois, et que les autres devraient donc rester passifs et permettre que le projet de loi soit adopté.

M. DeMontigny: Encore une fois, le droit privé relève des provinces. Il est vrai que le droit civil est différent au Québec par rapport aux autres provinces, mais nous essayons de tenir compte de cette différence dans les lois fédérales. C'est tout ce qu'on fait.

En ce qui concerne votre première question, je me suis peut-être mal exprimé. Je ne crois pas avoir jamais dit que les préambules n'ont pas de conséquences juridiques. Ils ont parfois des conséquences juridiques lorsque les lois sont ambiguës puisqu'on peut y avoir recours pour interpréter des mots, des phrases ou des articles qui posent problème. Je ne voudrais pas qu'on me fasse dire que les préambules sont d'aucune utilité. Je pense que vous conviendrez avec moi que les préambules servent surtout à situer le contexte dans lequel une loi est promulguée.

Le sénateur Joyal: Le préambule énonce également l'objectif.

M. DeMontigny: Le préambule énonce les objectifs, qui sont très souvent de nature politique.

Le sénateur Cools: Je ne remettais pas en question tout ce que vous avez dit au sujet des préambules; je réagissais simplement à votre exemple, à savoir qu'à votre avis, l'expression «témoigne du caractère unique de la société québécoise» et notamment les mots «société québécoise», n'avaient aucune conséquence juridique. La question que je vous pose est donc très précise.

M. DeMontigny: Pour répéter ce que j'ai déjà dit, l'intention de cet «attendu» de l'ancien préambule consistait, en ce qui concerne le ministère, à préciser ce qui nous semble évident. C'est un énoncé de fait, et rien de plus. Nous n'essayons pas d'inscrire dans la Constitution de nouveaux concepts qui pourraient avoir des conséquences pour l'ensemble de la Constitution etl'interprétation globale de celle-ci, comme si nous modifiions la Loi constitutionnelle de 1867 ou la Charte des droits et libertés.

Cela dit, ce préambule pourrait évidemment - en théorie - servir à donner un sens particulier au fond du projet de loi. Tout ce que je peux vous dire à ce sujet - et je vous renvoie aux propos de M. Gaudreault-DesBiens d'hier - c'est qu'à première vue, on peut difficilement imaginer qu'une ambiguïté de ce projet de loi puisse être tirée au clair grâce au concept de la société québécoise. À mon avis, il est impossible que cette expression permette de dégager des interprétations de quelque article ou passage que ce soit du projet de loi qu'on ne pourrait normalement tirer des dispositions proprement dites.

Le sénateur Cools: Sans vouloir vous contredire, je vous aurais dit il y a quelques mois que rien dans l'Acte de l'Amérique du Nord britannique ou dans aucune loi constitutionnelle canadienne n'aurait permis à la Cour suprême de rendre la décision qu'elle a rendue dans le cas du renvoi sur la sécession, mais c'est pourtant cela qui s'est produit.

M. DeMontigny: Rappelez-vous également que si jamais la Cour décidait de recourir au préambule et à cet «attendu» pour interpréter le projet de loi, elle ne se contenterait pas de regarder ce seul «attendu»; elle examinerait l'ensemble du préambule. Et quand vous examinez tout le préambule, l'objet de ce dernier en ressort clairement. Encore une fois, comme je vous l'ai déjà dit, nous faisons allusion à la province de Québec à diverses reprises. Nous parlons aussi de la nécessité, pour tous les Canadiens, d'avoir accès à une législation fédérale qu'ils peuvent comprendre dans les deux langues et qui tient compte des deux systèmes juridiques.

Si vous considérez le préambule comme un tout, je ne vois vraiment pas pourquoi le deuxième «attendu» poserait problème, puisqu'il ne serait pas considéré isolément, mais plutôt dans le contexte du préambule dans son ensemble.

Le sénateur Cools: Je me rend très bien compte qu'il vous est difficile de répondre à ma question.

M. DeMontigny: Je vais demander à mon collègue de répondre à votre troisième question.

M. Bisson: Pour ce qui est de modifier la common law, je vous ai parlé de notre méthodologie, de notre façon de travailler. Quand nous examinons une loi, nous essayons tout d'abord d'en dégager les concepts liés au droit privé - par exemple, le mot «contrats». Il existe tout un ensemble de droits concernant l'âge à partir duquel on peut passer un contrat. Si ce n'est pas précisé pour les fins du gouvernement fédéral dans la loi que nous examinons, nous devons nécessairement nous tourner vers le droit privé des provinces. L'âge auquel on peut légalement passer un contrat sera donc déterminé parce que nous désignons le droit privé des provinces.

Note méthode consiste donc à dégager les concepts liés à la common law qui se trouvent actuellement dans les lois fédérales. Comme la ministre vous l'a fait remarquer, nous n'avons pas toujours réussi par le passé à incorporer dans les lois fédérales les concepts appropriés de droit civil. Il s'agit donc d'un programme de redressement, dans une certaine mesure. Nous essayons de nous rattraper. Ainsi nous partons du concept de common law pour essayer de voir s'il existe un équivalent en droit civil. Sinon, nous essayons d'en trouver un nouveau en recourant au Code civil du Québec de 1994. Si le concept existe en droit civil, nous essayons de voir si la terminologie a changé. Nous travaillons avec une liste de termes qui nous a été donnée par le ministère de la Justice du Québec et qui a été le point de départ de l'effort de modernisation de l'ensemble du droit public dans la province de Québec.

Le principal objectif du programme d'harmonisation n'est pas de modifier les lois. Ce projet de loi est d'ordre purement technique. Ce projet de loi constitue en quelque sorte un exercice de droit comparatif sur le vif.

Le sénateur Cools: Oui, je comprends.

M. Bisson: Notre rôle n'est pas de modifier les lois. Cela suppose qu'on passe par de nombreuses étapes.

Le sénateur Cools: Je vous demanderais maintenant de regarder l'article 3 à la page 23.

L'article 36 prévoit que l'article 3 de la Loi sur laresponsabilité civile de l'État et le contentieux administratif soit remplacé par ce qui suit: «Liability and Civil Salvage», autrefois le titre était «Tort and Civil Salvage». Il faut regarder ensemble les projets de paragraphe 3a) et b). Autrefois, on disait «the Crown is liable in tort». Maintenant vous faites une distinction entre «la province de Québec» et «... les autres provinces». Voilà les deux distinctions.

Dois-je donc comprendre que le terme «liability» a le même sens que le terme «tort».

M. Bisson: Je voudrais inviter Guy Faggiolo à venir se joindre à nous. Il est responsable de cette partie du projet de loi.

La présidente: Venez nous joindre, ici.

M. Guy Faggiolo, avocat général, Section du Code civil, ministère de la Justice: Votre question comporte deux volets. D'abord, vous posez une question au sujet de l'emploi dans le titre des mots «liability» et «responsibility». Votre deuxième question concerne la distinction entre «tort» et «responsabilité civile extracontractuelle», et l'ancien concept de «responsabilitédélictuelle».

En ce qui concerne le titre, dans la version anglaise, nous avions les mots «tort» et «civil» alors que dans la version française, les termes utilisés étaient «délits civils» et «sauvetage civil». Le terme «délits civils» traduisait une notion du Code civil du Bas-Canada. Cette notion a été remplacée par celle de «la responsabilité civile extracontractuelle».

L'expression «responsabilité civile extracontractuelle» est l'équivalent en droit civil du Québec de la notion de «tort» qu'on retrouve dans la common law. On aurait pu utiliser dans le titre une série de mots pour correspondre à cette notion de «torts» et «extra-contractual civil liability» ou «responsabilité civileextracontractuelle» et «responsabilité délictuelle» qui constitue l'équivalent français de «tort» en common law. Nous avons préféré cependant opter pour un seul terme qui refléterait la réalité des deux systèmes juridiques. Ce terme est donc «liability» ou «responsabilité». Ayant fait cela, on a donc repris l'article remanié.

Là on faisait face à une situation où la notion de «responsabilité civile extracontractuelle» remplaçait la notion de «délit civil» du droit civil au Québec. De plus, on savait que la version anglaise de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif était fondée uniquement sur la common law, alors que la version française de cette même loi était fondée exclusivement sur le droit civil. Nous avons donc décidé de faire en sorte que les deux réalités juridiques soient reflétés dans chaque version linguistique.

À cette fin, nous avons créé des sous-alinéas. Nous avons une définition qui prévoit qu'en matière de responsabilité, l'État est assimilé à une personne dans la province de Québec pour tout dommage causé par la faute de ses préposés. La notion de «faute» est un élément clé de la responsabilité civile extracontractuelle.

Le sénateur Cools: Est-ce également un élément clé de la notion de «tort» en common law?

M. Faggiolo: Voilà justement qui nous amène au projet de paragraphe 3b) où l'on dit «dans les autres provinces, les délits civils commis par ses préposés...».

La notion de «tort» repose sur trois grand éléments. D'abord, il y doit y avoir un dommage.

Le sénateur Cools: Quand vous dites «dommage», ce n'est pas dans le sens d'une indemnisation, mais plutôt dans le sens d'un bras cassé, non?

M. Faggiolo: Oui.

Deuxièmement, il faut déterminer le montant del'indemnisation. Il faut également établir un lien entre l'acte qui a causé le dommage et le dommage lui-même. Si ces trois éléments sont établis, un tribunal pourrait conclure qu'il y a une responsabilité civile délictuelle.

De même, selon le droit civil du Québec, si vous établissez la faute ou le dommage, et que vous réussissez à établir une corrélation entre la faute et le dommage, le tribunal adjugera des dommages-intérêts. Comme ce sont des concepts très théoriques, il serait peut-être bon de vous en citer un exemple précis.

Supposons que quelqu'un conduit sa voiture sur une route. Cette personne a un accident et décide que si elle a eu cet accident, c'est parce que le gouvernement provincial n'a pas mis de sel sur la route. Ce sera ensuite au tribunal de déterminer si la province a été négligente en ne mettant pas de sel sur la route. S'il n'y avait plus de sel sur la route parce qu'il a plu 15 minutes auparavant et que la température a ensuite baissé, si bien que la route était verglacée et les camions n'ont pas eu le temps de mettre du sel sur les routes, le tribunal va dire: «Oui, il y a eu des blessures, et oui, vous avez subi des dommages, mais il nous est impossible d'établir une corrélation entre les dommages que vous avez subis et le comportement de la province». À ce moment-là, le tribunal ne conclurait pas la négligence.

En résumé, les termes «liability» et «responsabilité» qu'on retrouve dans le titre traduisent les deux traditions juridiques.

Pour ce qui est de l'organisation interne de cette section, le projet de paragraphe 3a) décrit la réalité au Québec, alors que le projet de paragraphe 3b) décrit la réalité dans les autres provinces. Au Québec, on parlerait de «responsabilité civile extracontractuelle» alors que dans les autres provinces, la notion pertinente est celle de «tort». Quelqu'un qui lirait cet article se dirait: «Je suis en Ontario. Par conséquent, le paragraphe 3b) décrit le droit qui va régir ma situation». Si cette personne était au Québec, elle se fonderait sur le paragraphe 3a).

Le sénateur Cools: Pour ce qui est du projet de paragraphe 3a), par rapport aux distinctions que vous avez décrites, faudrait-il que l'accident ou l'incident se déroule dans la province en question?

M. Faggiolo: Généralement, oui.

Le sénateur Cools: Autrement dit, si une personne du Québec conduisait sa voiture à Ottawa lors de l'accident en question, lequel des deux systèmes s'appliquerait?

M. Faggiolo: Cette personne serait régie par le droit de l'Ontario.

Le sénateur Cools: Je comprends parfaitement ce que vous dites. Passons maintenant à l'article 37, qui modifie l'article 4 de la loi. Il dit ceci:

L'État est également assimilé à une personne pour ce qui est de sa responsabilité à l'égard du dommage que cause à autrui [...]

Que signifie le terme «autrui»? Je constate que vous avez déjà utilisé le mot «personne».

M. Faggiolo: «Autrui» est essentiellement un autre mot pour «personne». Il peut s'agir d'une personne physique ou morale. Autrement dit, d'un particulier ou d'une société.

Reprenons l'exemple de l'accident de la route. Supposons que cette personne roulait sur une route qui appartient augouvernement fédéral. Si le propriétaire du véhicule est une société, cette dernière aurait le droit d'être dédommagée étant donné que le mot «anyone» en anglais ou «personne» en français inclut une société. De la même façon, si le propriétaire était un particulier, ce dernier aurait également le droit d'être dédommagé, à condition d'avoir établi tous les autres éléments.

Le sénateur Cools: Dans cet article, vous employez deux termes en particulier. Dans la version anglaise, on utilise le mot «anyone», et un peu plus loin, on lit ceci «if it were a person», vous me dites cependant que le terme «anyone» signifie «person». Si «anyone» signifie «person», dans le sens de n'importe quelle personne, pourquoi n'avez-vous opté pour l'expression «any person»?

Dans l'exemple de l'accident de la route que vous avez décrit, supposons qu'une personne emmène une femme enceinte à l'hôpital en voiture pour accoucher et que l'accident se produit dans les circonstances que vous avez décrites. À ce moment-là, le terme «anyone» comprendrait-il l'enfant qui était sur le point de naître?

M. Faggiolo: Cela veut dire que l'État est assimilé à une personne pour ce qui est de sa responsabilité.

Le sénateur Cools: La définition de «personne», qui se trouve au haut de la page, est très claire. Mais c'est moins clair dans le projet de paragraphe 4, quand vous utilisez le mot «anyone».

M. Faggiolo: Nous y arrivons. L'État est assimilé à une personne pour ce qui est de sa responsabilité. Nous voulons nous assurer que les règles qui s'appliquent à n'importe quel citoyen s'appliqueront également à la Couronne.

Ayant établi que l'État est assimilé à une personne, nous précisons qu'il est assimilé à une personne pour ce qui est de sa responsabilité à l'égard du dommage que cause à autrui un véhicule automobile lui appartenant. Donc, si des dommages sont causés à votre voiture ou si vous êtes blessée par un véhicule automobile appartenant à l'État, ce dernier pourrait faire l'objet de poursuite et être jugé responsable, puisque les dommages que vous avez subis ont été causés par un véhicule automobile appartenant à l'État.

Vous posiez une question au sujet d'un enfant qui n'est pas encore né. C'est une question assez complexe, mais supposons que l'enfant qui naît après l'accident soit blessé à cause de ce même accident. Dans ce cas-là, la Couronne ou l'État serait jugé responsable.

Le sénateur Cools: Dans ce cas-là, l'État serait jugé responsable. C'est très intéressant. Il existe justement un cas de ce genre.

M. Faggiolo: L'État serait responsable puisque, comme je vous l'expliquait il y a quelques instants, n'importe quel autre citoyen serait également jugé responsable.

Le sénateur Cools: L'expression qu'on retrouve dans l'actuel article 3 est «private person». Votre nouvelle définition se lit ainsi:

The Crown is liable for the damages for which, if it were a person, it would be liable [...]

Mais la loi que vous proposez de modifier dit: «if it were a private person». Est-ce que l'expression «private person» a le même sens que le mot «person»?

M. Faggiolo: Je voudrais préciser que l'article actuel se lit ainsi:

«[...] if it were a private person of full age and capacity».

Vous aurez remarqué que nous proposons de modifier l'article 2.1 pour qu'il se lise ainsi:

[...] «person» means a natural person of full age and capacity [...]

Les changements touchant l'expression «private person» par opposition à «public person» n'influent pas sur la réalité qui est décrite dans le paragraphe qui précède. Le principe de base est que l'État est assimilée à une personne. On n'a pas jugé nécessaire de parler de «private person» en anglais. La définition proposée est claire:

a natural person of full age and capacity other thanHer Majesty in right of Canada or a province.

Par conséquent, la portée du projet de loi n'est aucunement changée.

Le sénateur Fraser: J'ai une question à poser de même qu'une observation à faire, mais je vais essayer d'être aussi brève que possible.

Pourriez-vous expliquer à quelqu'un qui n'est pas avocate la différence entre un préambule et une disposition interprétative?

M. DeMontigny: Il y a sans doute des gens plus à même de vous expliquer la différence que moi, mais essentiellement, le préambule ne fait pas partie de la loi, alors qu'une disposition interprétative, qui fait partie intégrante de la loi, devra être en vigueur chaque fois qu'on interprète la loi. On n'aura recours au préambule que si un problème d'interprétation surgit. Disons qu'il n'a pas le même poids, juridiquement parlant, qu'une disposition interprétative qui existe pour faciliter l'interprétation de la loi.

Le sénateur Fraser: Pour aller jusqu'au bout de cette logique, si le législateur inscrivait dans le projet de loi et adoptait erronément une disposition qui ne cadrait pas avec les objectifs du préambule, dois-je donc supposer que c'est la disposition se trouvant dans le corps du texte qui l'emporterait?

M. DeMontigny: En fait, vous vous souviendrez peut-être que nous avons déjà tenu tout ce débat au sujet de l'article sur la société distincte dans les années 80, et que la discussion s'articulait alors autour de la question de savoir si cetarticle devait se trouver dans le préambule ou dans la Loi constitutionnelle de 1867. À l'époque, on avait justement insisté sur la distinction entre les deux en expliquant qu'une disposition a plus de poids si elle se trouve dans la loi elle-même, par opposition au préambule.

Le sénateur Fraser: Mon observation concerne lareconnaissance de la nature du Québec, problème que nous essayons en vain de solutionner depuis des années.

Il convient de noter, cependant, que l'impulsion relative à une forme de reconnaissance explicite a presque toujours été donnée au départ par des fédéralistes au Québec, et non pas des séparatistes. Pour les minorités, c'est une réaction normale que de dire: «Nous ne voulons pas nous séparer, mais nous souhaitons que vous nous reconnaissiez pour qui nous sommes; et que: même si nous faisons partie d'un groupe ou d'une collectivité, nous ne sommes pas exactement comme vous.» De par leur nature, les majorités ont du mal à accepter ce concept, quelle que soit la question qu'on examine. Je vous fais remarquer, par exemple, que pendant des années, des hommes - des hommes bien intentionnés, charitables et généreux - avaient beaucoup de mal à accepter que les femmes bénéficient de quelque forme de reconnaissance que ce soit qui ne corresponde pas à la forme de reconnaissance qui, de l'avis de ces hommes, leur convenait.

La présidente: C'est-à-dire, d'être considérées comme des personnes.

Le sénateur Fraser: Voilà. Les minorités, pas seulement au Canada, ressentent souvent le besoin de bénéficier d'une forme de reconnaissance. Dans le cas du Québec et de sa majorité francophone, on pourrait soutenir que les faits historiques justifient ce genre de reconnaissance.

On a fait allusion à lord Durham, qui découvrait deux nations en état de guerre au sein d'un même État. Les Canadiens anglais ont tendance à l'oublier, mais selon moi, les Canadiens français n'ont jamais oublié que la solution qu'il a proposée pour contourner cette difficulté consistait à assimiler tous les Français, pour qu'il n'y ait plus de Canadiens français. Il n'y aurait plus de problème à ce moment-là. Mais pour les Canadiens français, et notamment ceux qui vivent au Québec, où ils forment la majorité, cette possibilité ne leur sourit guère. Malheureusement, ils ont entendu d'autres Canadiens anglais faire des suggestions semblables au fil des ans.

À mon avis, c'est à cause de tous ces antécédents que les fédéralistes québécois - et j'insiste bien sur le fait qu'il s'agit de fédéralistes - disent maintenant: «Nous voulons être Canadiens. Nous voulons vraiment être Canadiens. Nous reconnaissons que le Canada est un grand pays, un pays merveilleux. Mais ce grand et merveilleux pays doit aussi reconnaître que nous ne sommes pas exactement comme les autres - ni meilleurs ni pires, ni supérieurs ni inférieurs, tout simplement différents».

Si les diverses tentatives pour reconnaître cette réalité n'ont pas abouti, c'est parce que bien souvent, les séparatistes ont réussi à exploiter la formule proposée, quelle qu'elle soit, pour atteindre leurs propres fins. Hier soir, nous discutions justement d'une résolution de l'Assemblée nationale et du fait que le Parti québécois, en reprenant la formulation du programme du Parti libéral du Québec, avait réussi à beaucoup embrouiller les choses.

Ce qui m'intéresse tout particulièrement dans la formulation du préambule, c'est qu'elle repose sur la déclaration de Calgary. La déclaration de Calgary représente l'un des rares cas, peut-être même le seul - et c'est certainement le seul qui me vient à l'esprit pour l'instant - où l'initiative venait exclusivement des fédéralistes. Les séparatistes ne l'ont jamais reprise. En fait, les séparatistes s'en sont moqués, car la dernière chose qu'ils pourraient souhaiter serait que le Canada donne l'impression d'accueillir le Québec ou le fait québécois. Elle a fait l'objet d'énormément de discussions à la base au Canada anglais. D'après mon souvenir, elle a été adoptée par la plupart des assemblées législatives provinciales. Mais elle n'a jamais été «récupérée» par les forces qui cherchent à séparer le Québec du reste du pays. C'est l'une des raisons pour lesquelles je l'aime tant.

Le sénateur Joyal: Je pense que vous devriez permettre aux témoins de répondre, sénateur.

M. DeMontigny: Je n'ai rien à ajouter. Je suis content de vous écouter.

Le sénateur Joyal: Je voudrais revenir sur la question de la nature juridique des préambules et des dispositions interprétatives. Vous dites qu'on aura recours au préambule pour comprendre les objectifs du projet de loi, le fond du projet de loi, et le contexte général des mesures qui sont prises, et je ne suis pas du tout en désaccord avec vous à cet égard. Voilà justement la nature essentielle d'un préambule.

Là où je ne suis pas d'accord avec vous, c'est lorsque vous dites que le fond du projet de loi l'emportera toujours sur le préambule. À mon avis, et la jurisprudence le confirmera, lorsqu'un tribunal est appelé à donner son interprétationconcernant le statut d'une province dans le contexte d'un conflit avec le gouvernement fédéral sur l'exercice de certains pouvoirs, ou l'interprétation de la Charte des droits et libertés - et si je ne me trompe pas, le juge Dickson l'a même dit - ce tribunal devra tenir compte de toute la législation, pas seulement la loi qui fait l'objet du différend, mais d'autres ensembles de droit, et ce pour essayer de comprendre la signification et le champ d'application d'un certain pouvoir.

Je citerais à titre d'exemple le renvoi de 1982 sur le droit de veto du Québec. Cette fois-là, aucune loi importante n'était contestée. Aucune loi ne prévoyait que le Québec n'avait pas de droit de veto. De même, aucune loi québécoise ne précisait que le Québec jouissait d'un droit de veto. Il y avait la résolution de l'Assemblée nationale, qui était comme celle de 1995, ni plus ni moins. Elle n'avait rien d'obligatoire. Comme l'a fait remarquer le sénateur Cools, elle est morte de sa belle mort lors de la dernière législature. Elle n'est pas non plus obligatoire pour la prochaine législature. Un autre gouvernement aurait pu être élu et s'il avait adopté une autre résolution, personne n'aurait pu prétendre que celle qui l'a précédée était exécutoire.

Ce que j'essaie de vous dire, c'est que lorsque les tribunaux se voient dans l'obligation d'interpréter la nature d'un prétendu pouvoir d'une province ou du gouvernement fédéral, oud'interpréter une loi - et là je fais allusion à l'affaire Montfort - ils vont nécessairement examiner différentes lois pour être sûrs de connaître tous les tenants et aboutissants de la question et de la demande de pouvoir.

Je suis donc d'avis qu'un préambule comme celui-ci pourrait servir dans une telle situation. Je sais que des cas de ce genre sont rares devant les tribunaux. Mais je maintiens que dans le cas du renvoi de 1982 devant la Cour suprême, et dans le cas des déclarations d'autres juges relativement au rapatriement, un énoncé comme celui-là, dans le contexte politique qui caractérise de tels énoncés, est significatif.

Je ne prétends pas nécessairement qu'il s'appliquera dans le contexte de l'article 35 de la loi, mais on ne peut jamais savoir ce qui peut arriver.

Comme le disait le sénateur Fraser, la nature du Canada et le statut du Québec font encore l'objet d'un différend. Lorsque ce différend se règle devant un tribunal, ce dernier a surtout recours aux lois pour essayer d'interpréter l'intention du législateur. Même si ce mot semble anodin, comme tout le monde l'a fait remarquer, nous ne pouvons faire abstraction du fait qu'il a fait l'objet de longues discussions. D'ailleurs, c'est toujours le cas, et il continuera certainement à l'avenir de susciter beaucoup de discussions.

Je pense qu'il convient de nuancer vos propos quand vous prétendez qu'il s'agit d'un simple préambule qui concerne la nature du projet de loi proprement dit et qui est donc d'une portée limitée. Je maintiens que dans une affaire devant un tribunal canadien où le statut du Québec ou l'exercice des pouvoirs de ce dernier était en jeu, ce préambule pourrait être invoqué pour soutenir ou expliquer l'une ou l'autre position. C'est ça que j'essaie de vous dire. Cet énoncé représente une définition du pays.

On peut être d'accord là-dessus ou ne pas être d'accord. Pour revenir sur les propos du sénateur Fraser, certains fédéralistes estiment qu'il règle le problème de l'insécurité des minorités. D'autres fédéralistes sont de l'avis contraire. Ça, c'est un débat qu'il faudra tenir dans une autre tribune.

Voilà pourquoi je suis convaincu que ce préambule a des conséquences juridiques, qui ne se limitent pas au fond du projet de loi lui-même, étant donné que le préambule concerne justement la question du statut du Québec au Canada. Voilà pourquoi j'affirme que cet énoncé n'est pas neutre.

M. DeMontigny: Je suis tout à fait d'accord avec vous pour dire que le préambule d'une loi pourrait, en théorie, servir à interpréter d'autres lois, même aucun exemple précis ne me vient à l'esprit pour l'instant. Normalement, on s'en tiendrait au préambule de la loi en question, plutôt que d'adopter un autre préambule qui servirait dans un autre contexte pour d'autres fins. En théorie, vous avez raison. J'accepte donc cette prémisse.

Pour ce qui est du renvoi de 1982 sur le droit de veto, vous vous souviendrez que le point de départ de l'analyse n'étaitpas une résolution ou une loi, mais plutôt les conventions constitutionnelles - rien de moins et rien de plus.

Là où nous ne sommes pas d'accord - même si vous avez raison de croire que ce préambule pourrait servir à interpréter une autre loi, et c'est vrai, à mon avis - le ministère est d'avis que cet énoncé ne constitue qu'une déclaration factuelle. Comme la ministre l'a si bien expliqué lorsqu'elle a comparu devant le comité il y a deux semaines, il s'agit d'un simple exposé de fait. Si un tribunal devait tenir compte de ce préambule dans son analyse, comme j'expliquais tout à l'heure, il tiendrait compte de l'ensemble du préambule et non simplement cet «attendu»-là. Si on voulait que ce préambule soit plus qu'un simple énoncé de fait, et si le statut du Québec était en jeu, comme vous l'avez dit, à mon avis, le tribunal tiendrait certainement compte du fait que l'Accord du lac Meech et l'Entente de Charlottetown n'ont pas été constitutionnalisés. Pour moi, ces derniers ont beaucoup plus de pertinence et de poids que ce préambule-ci, qui est tout à fait anodin à cet égard. C'est pour cela que je peux difficilement accepter que cet «attendu» pourrait éventuellement servir à interpréter une autre loi et finir par avoir un sens qui est fort différent de celui qu'on souhaitait lui attribuer en adoptant cet «attendu».

En toute sincérité, je pense qu'il est très peu probable qu'on puisse invoquer cet «attendu» pour les fins que vous avez décrites, vu le contexte historique et politique du Canada et le rejet de l'Accord du lac Meech et de l'Entente de Charlottetown. Encore une fois, il ne s'agit pas là d'un document constitutionnel. Il n'a pas pour objet de faciliter l'interprétation de la Constitution. Nous parlons en réalité d'un simple énoncé de fait.

Le sénateur Moore: Est-ce que les deux témoins ont comparu hier?

M. DeMontigny: Oui.

Le sénateur Moore: Dans ce cas-là, vous savez que nous en parlons depuis cinq heures, et que notre discussion a surtout porté sur ce deuxième alinéa du préambule, qui est sans importance.

L'un de nos témoins, le professeur Gaudreault-DesBiens, a dit qu'il aura un effet minime et qu'il ne signifie pas grand-chose. J'ai répliqué que s'il ne signifiait pas grand-chose, à quoi bon l'inscrire dans le projet de loi. D'autres pensent au contraire qu'il faut le changer. Je suppose que cela a dû être fait puisque ça nous a occupés pendant cinq heures.

D'autres sont d'avis qu'il faut supprimer tout ce qui suit les mots (Code civil du Québec) ou que l'expression «société québécoise» devrait être remplacée par les mots «province de Québec».

Je vais me concentrer sur la formulation du reste du document. Par contre, je me demande d'où sort l'expression «une fenêtre sur le monde». Je comprenais la raison pour laquelle on voulait parler «d'occasion unique», mais d'ouvrir «une fenêtre sur le monde»? On dirait vraiment les paroles d'une chanson.

J'aimerais savoir ce que vous pensez des propositionsd'amendement qu'on nous a faites concernant ce deuxième alinéa, c'est-à-dire soit de mettre un point après les mots «le Code civil du Québec», soit de remplacer l'expression «la sociétéquébécoise» par «la province de Québec».

M. DeMontigny: Je ne puis que répéter ce que la ministre vous a dit il y a deux semaines. Pour le ministère, cet alinéa se contente de constater une réalité. Cette réalité, c'est que le Code civil et le droit civil du Québec témoignent du caractère unique de la société québécoise.

Je ne puis me prononcer sur d'éventuels amendements qui pourraient être soumis à l'examen du comité dans les semaines qui viennent, mais le ministère estime que ce préambule et notamment cet «attendu» sont les plus appropriés pour traduire la finalité du projet de loi.

Le sénateur Moore: Vous estimez que vous ne devriez pas donner votre point de vue sur les changements qui ont été proposés? Qu'est-ce qu'on fait là, alors? Pourquoi suis-je venu?

M. Bisson: Nous allons évidemment communiquer à la ministre les préoccupations qui ont été exprimées. Mais c'est à la ministre et au gouvernement de déterminer s'ils veulent ou non rouvrir le projet de loi. Certains des arguments avancés sont très pertinents, et nous allons justement les communiquer à la ministre.

Le sénateur Moore: Je voulais connaître votre réaction à ces diverses possibilités. Sont-elles contre-productives? Sont-elles utiles ou pas utiles? Font-elles en sorte que le sens soit plus précis? Quel est l'impact des changements proposé? J'aimerais bien que vous me répondiez. Ça sert à rien de me dire: «Je suis un simple bureaucrate. Je ne peux pas vous répondre.» C'est ça, votre travail.

M. DeMontigny: Comme je vous l'ai déjà dit, l'origine de cet «attendu» était la déclaration de Calgary et la résolution adoptée par les deux Chambres en 1995. Voilà donc la source de ce libellé. Le ministère est d'avis que cette formulation est la plus appropriée pour décrire l'objectif de cette initiative et la réalité de la tradition de droit civil au Québec et celle du reste du pays. Selon nous, et le ministère est toujours de cet avis, le texte que propose le projet de loi est le plus approprié dans ce contexte.

Évidemment, si d'autres proposent des amendements, c'est-à-dire de supprimer telle portion de l'«attendu» ou encore de supprimer tout l'alinéa, ce sera au gouvernement d'évaluer les amendements proposés et d'y réagir. Que je sache, nous n'en sommes pas encore là, et je peux donc difficilement donner ma réaction à d'éventuels amendements qui peuvent vous être proposés dans le cadre de vos audiences.

Le sénateur Moore: Ai-je raison de croire qu'il vous importe peu qu'on apporte de tels amendements au texte du projet de loi?

M. DeMontigny: C'est-à-dire que ces amendements nechangeraient aucunement le fond du projet de loi. Et nous croyons pouvoir vous faire cette affirmation en toute confiance. Ce projet de loi vise à harmoniser les lois fédérales avec le nouveau Code civil du Québec, et le préambule a pour simple objectif d'expliquer le contexte de cette initiative - rien de plus, rien de moins.

Le sénateur Cools: Je voudrais commenter la question du sénateur Moore. Il n'est pas possible que vous parliez là au nom d'un ministre. À mon avis, les sénateurs ici réunis savent très bien que ce n'est pas à la ministre de décider si le Sénat doit ou non faire une nomination. Certains ministres croient détenir ce pouvoir, certains autres l'affirment, et d'autres encore font comme si c'était le cas, mais c'est au Sénat de prendre de telles décisions.

Quand vos rédacteurs législatifs préparent un projet de loi en suivant les règles normales - et je sais que c'est très compliqué - y a-t-il quelqu'un qui les oriente pour qu'ils s'assurent d'opter pour une formulation qui va recevoir un maximum d'appui et qui pourra donc être adoptée sans susciter beaucoup de controverse? Il me semble que quelqu'un d'intelligent qui rédigerait un projet de loi comme celui-ci chercherait surtout à reprendre le texte de la déclaration de Calgary ou d'une autre déclaration, plutôt que de l'éviter à tout prix.

Pourquoi aurait-on décidé de supprimer ces deux mots dans le projet de loi dont nous sommes saisis?

M. DeMontigny: Au moment de la rédaction du projet de loi - et même si je n'ai pas fait partie de l'équipe de rédaction de l'ancien projet de loi, j'ai participé à la préparation du présent bill - encore une fois, nous cherchions à mettre en oeuvre et exécuter les résolutions adoptées par les deux Chambres du Parlement. Nous étions convaincus que cela serait accepté sans problème, car encore une fois, nous nous contentions de faire ce que les deux Chambres du Parlement et le premier ministre lui-même nous avaient demandé. Voilà donc l'origine de ce préambule et de cet «attendu».

M. Bisson: J'ajouterai que nous avons tenu deux séries de consultations publiques sur le projet de loi, la première en 1998 et l'autre à l'automne de 1999 et au début de 2000, avant de déposer le projet de loi S-22 en mai dernier.

Ce projet de loi a donc été examiné à trois reprises. Nous avons tenu de larges consultations.

Le fait est que personne, dans aucun des forums que nous avons tenus, n'a jamais soulevé la question du deuxième «attendu». Ce projet de loi a fait l'objet de discussions d'un bout à l'autre du pays. Tous les ministères de la Justice et toutes les facultés de droit dans tout le Canada l'ont reçu. Nous avons tenu des réunions avec des représentants du Barreau du Québec, la Chambre des notaires et l'Association du Barreau canadien.

Nous sommes donc un peu surpris de constater lespréoccupations qu'il semble susciter. En trois ans, cette question n'a jamais fait l'objet d'autant d'attention qu'à l'heure actuelle.

Le sénateur Cools: En ce qui concerne les consultations publiques, pas sur ce projet de loi en particulier mais en général, il conviendrait que les comités sénatoriaux s'intéressent un peu à ces consultations. Il arrive très souvent, lorsque que nous sommes saisis d'un projet de loi, qu'on nous dise qu'il y a déjà eu des consultations publiques, qu'il y a eu des rencontres avec tel et tel groupe, etc.; mais on ne m'a encore jamais invitée à assister à une de ces consultations ni même à l'observer. J'aimerais bien savoir ce qu'ils font là-bas. Je crois savais que cela coûte assez cher.

Peut-être qu'on devrait inscrire nos noms sur la liste des personnes qui sont invitées à participer à ces consultations publiques.

La présidente: Pour conclure, monsieur DeMontigny, puisque tout ce projet vise à clarifier le droit fédéral, serait-il juste de dire que l'objet du projet de loi est d'éliminer toute ambiguïté dans la législation fédérale, que ce préambule vise donc simplement à établir le contexte de cette initiative et qu'il est donc peu probable qu'on y ait recours?

M. DeMontigny: Pour moi, vous avez tout à fait raison. Encore une fois, comme la ministre l'a dit, et comme M. Bisson l'a aussi dit précédemment, il s'agit d'un projet unique. Que je sache, cela n'a jamais été fait jusqu'à présent dans aucune autre région du monde. C'est également un projet de longue haleine qui évoluera au fil des ans. Le ministère estimait donc qu'il fallait absolument, dans le premier projet de loi qui serait déposé, préciser le contexte et les antécédents de cette initiative. Évidemment, lorsque les lois qui ont besoin de modification auront été modifiées, le préambule revêtira beaucoup moins d'importance. Il restera dans les lois de 2001 et ne sera pas reproduit dans chaque loi qui sera modifiée après l'adoption de ce projet de loi.

La présidente: Dieu merci. Merci beaucoup.

La séance est levée.


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