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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 8 - Témoignages du 31 mai 2001 (10 h 55)


OTTAWA, le jeudi 31 mai 2001

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 10 h 55, pour examiner le projet de loi C-9, Loi modifiant la Loi électorale du Canada et la Loi sur la révision des limites des circonscriptions électorales.

Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Sénateurs, nous allons commencer. Nous avons le quorum. Nous allons entendre nos témoins qui représentent le Parti de l'Héritage Chrétien du Canada, le Parti Marxiste- Léniniste du Canada, le Parti Vert du Canada et le Parti communiste du Canada. Bienvenue au Sénat. Veuillez commencer.

M. Miguel Figueroa, chef du Parti communiste du Canada: Sénateurs, j'aimerais vous remercier d'avoir permis à notre parti d'exprimer son point de vue sur le projet de loi C-9.

Comme vous le savez, c'est surtout la décision rendue par la Cour d'appel de l'Ontario le 16 août 2000 dans l'affaire Figueroa qui est à l'origine du projet de loi C-9. Cet arrêt confirmait en partie une décision antérieure de madame le juge Molloy, de la cour de l'Ontario, qui annulait le seuil de 50 candidats exigé pour avoir droit à la mention de l'appartenance politique des candidats sur les bulletins de vote ainsi que d'autres éléments de la Loi électorale du Canada qui était en vigueur à l'époque.

Pour ce qui est du projet de loi, notre parti souhaite vous présenter deux observations. Tout d'abord, j'aimerais vous présenter quelques remarques générales au sujet du processus.

Ce projet de loi, et il faudrait également mentionner plusieurs changements importants apportés par le projet de loi C-2 adopté au cours de la dernière session, tire son origine de la bataille politique et juridique qu'a déclenché le Parti communiste il y a huit ans environ. Vous vous souvenez peut-être que vers la fin du gouvernement Mulroney, on avait apporté des changements importants à la Loi électorale du Canada que l'on pourrait qualifier d'attaque radicale et profondément antidémocratique contre les droits de notre parti et des autres petits partis. Parmi ces changements, les pires étaient la confiscation des biens des partis ayant perdu leur statut de parti enregistré et l'augmentation de 400 p. 100 du dépôt exigé des candidats, dont 50 p. 100 n'était pas remboursable si le candidat n'obtenait pas 15 p. 100 des suffrages.

Ces modifications étaient effectivement antidémocratiques et inconstitutionnelles et visaient uniquement à restreindre la participation des petits partis. C'était notre point de vue, celui des autres petits partis et celui d'innombrables comités de rédaction de la presse écrite. C'était également l'opinion de la plupart des candidats des partis d'opposition, y compris ceux du Parti libéral du Canada, à l'élection générale de 1993. Cependant, les promesses électorales du parti qui a éventuellement pris le pouvoir sont demeurées lettre morte et la loi n'a pas été modifiée.

La poursuite que notre parti a intentée en 1993 a débouché sur le jugement Molloy qui annulait plusieurs dispositions de l'ancienne loi, notamment celle qui concernait la confiscation des biens, le non-remboursement du dépôt exigé des candidats et le seuil de 50 candidats exigé pour l'enregistrement des partis. Le jugement Molloy ramenait de 50 à deux candidats le seuil exigé.

C'est cette conclusion qui a fait l'objet d'un appel devant la Cour d'appel de l'Ontario. La cour d'appel a renvoyé l'affaire au Parlement pour le motif que les tribunaux n'étaient pas en mesure, au moins dans cette affaire-là, de réécrire cette loi.

D'une façon générale, nous souscrivons à une telle approche. Les lois devraient être élaborées et rédigées par des organismes élus démocratiquement et non par des organismes dont les membres sont nommés. Je vous prie de ne pas voir là une critique personnelle du Sénat. Il existe toutefois une contradiction flagrante dans notre droit électoral, à savoir que ce sont les partis qui sont au pouvoir à l'heure actuelle au Parlement qui fixent les règles relatives à la tenue des élections et qui réglementent, en la restreignant, la participation de tous les autres partis qui pourraient, à un moment donné, contester leur hégémonie. En bref, il existe un risque permanent et inévitable que les personnes au pouvoir choisissent des règles électorales qui servent leurs propres intérêts et qui facilitent leur maintien au pouvoir.

Dans son jugement, la juge Molloy cite à ce propos le passage de l'arrêt Vriend que voici:

Si on tolère que les atteintes aux droits et aux libertés de ces groupes se poursuivent pendant que les gouvernements négligent de prendre des mesures diligentes pour réaliser l'égalité, les garanties inscrites dans la Charte ne seront guère plus que des voeux pieux.

Comme nous l'avons déjà mentionné au cours de nos précédentes comparutions, la population est de plus en plus cynique à l'égard du processus électoral, ce qui se traduit, notamment, par la popularité croissante de la représentation proportionnelle. La seule solution véritablement démocratique serait donc que le Parlement procède à une révision publique et complète du système électoral actuel en vue de le réformer.

Pour ce qui est du projet de loi C-9 en particulier, j'aimerais faire deux remarques. Tout d'abord, ce projet de loi aurait, d'après nous, pour effet de créer deux catégories de partis enregistrés, une pour les partis qui répondent aux conditions d'enregistrement pour ce qui est de la seule appartenance politique et une deuxième catégorie pour ceux qui répondent à des conditions plus rigoureuses et qui bénéficierait alors du statut de parti enregistré. Rien ne s'oppose au départ à ce que l'on prévoit des seuils différents pour les différents avantages découlant du statut de parti enregistré. Par exemple, notre parti accepterait fort bien que les droits de diffusion soient soumis à des conditions plus exigeantes que le simple enregistrement d'un parti. Bien sûr, nous critiquons vivement la façon dont le temps de diffusion est actuellement réparti entre les partis enregistrés mais cela est une autre question.

Nous soutenons cependant que tous les partis enregistrés devraient bénéficier de certains droits et avantages fondamentaux sans qu'ils soient tenus de présenter 50 candidats. Ces avantages comprennent la mention de l'appartenance politique sur le bulletin de vote qui est prévu par le projet de loi C-9, la possibilité pour un candidat de transférer les fonds non dépensés de son parti au lieu de les remettre au gouvernement, des dispositions relatives à la délivrance des reçus d'impôt, ainsi que le droit de recevoir des listes d'électeurs officielles. Il n'existe aucune raison valable, d'après nous, pour refuser ces droits fondamentaux à tous les partis politiques qui répondent aux conditions légales.

Nous invitons donc votre comité à modifier le projet de loi C-9 pour que le nouveau seuil s'applique non seulement à la mention de l'appartenance politique sur les bulletins de vote, mais également à la délivrance des reçus d'impôt, à la possibilité pour les candidats de transférer les fonds non dépensés et au droit de recevoir une liste électorale officielle.

Ma deuxième remarque concerne le seuil de 12 candidats qui est proposé actuellement. Il est évident que ce seuil est beaucoup plus faible que celui de 50 candidats mais notre parti souscrit au raisonnement tenu dans le jugement Malloy selon lequel la question n'est pas de savoir comment fixer le nombre de candidats qu'un parti doit présenter pour obtenir certains avantages mais plutôt celle de savoir s'il est légitime de fixer un tel seuil. Un parti est une organisation qui présente une liste de candidats de sorte que l'on devrait uniquement exiger qu'il présente deux candidats.

Nous invitons donc le comité à modifier le projet de loi C-9 pour ramener de douze à deux le nombre minimal de candidats exigé.

Enfin, nous aimerions informer le comité que notre demande d'autorisation d'appel à l'égard de l'arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario, la décision à l'origine du projet de loi C-9, a été accordée par la Cour suprême du Canada, ce qui permettra de régler la question constitutionnelle que soulève l'enregistrement des partis. La Cour suprême a accepté d'entendre notre appel et ce fait confirme l'importance des arguments constitutionnels que nous avons présentés pour appuyer la réduction du nombre minimal de candidats exigé pour l'enregistrement d'un parti. Le jugement de cette cour pourrait entraîner d'autres modifications à la loi électorale.

Mme Anna Di Carlo, secrétaire du Parti Marxiste-Léniniste du Canada: Nous estimons que les modifications apportées à la Loi électorale du Canada par le projet de loi C-9 ne répondent pas aux problèmes fondamentaux dont souffre notre droit électoral, qui devient de plus en plus anachronique. Il serait futile d'essayer de modifier cette loi pour la rendre plus cohérente. Les changements doivent avoir pour but de permettre aux Canadiens de choisir véritablement leurs pairs et de les élire. La loi actuelle n'applique pas les mêmes règles à tous les partis politiques. Elle ne garantit pas un vote éclairé. Les particuliers et les représentants de groupes politiques non partisans ne peuvent participer au processus électoral à cause des dispositions qui interdisent les dépenses effectuées par des tiers. Les médias ne sont pas considérés comme des tiers ou des groupes défendant des intérêts particuliers, mais en réalité, le peuple les considère comme tel. La notion de liberté de la presse et de vote éclairé est sérieusement compromise lorsque des groupes d'intérêt peuvent activement faire la promotion de leurs intérêts alors que la loi empêche d'autres électeurs de vraiment participer au processus.

Comme cela a été mentionné, le projet de loi C-9 est une réponse à l'arrêt Figueroa de la Cour d'appel de l'Ontario. Cette affaire n'est pas encore terminée puisque la Cour suprême du Canada a accordé une autorisation d'appel.

Les tribunaux, tout comme le gouvernement libéral, soutien nent que les principes fondamentaux de la Constitution canadien ne doivent l'emporter sur les droits des Canadiens d'élire leurs représentants et d'être élus. Ce principe fondamental est défini comme étant le processus politique qui permet de dégager «une volonté politique claire et cohérente» sous la forme d'un parti gouvernemental élu, un parti élu à la majorité simple. C'est ainsi que l'on soutient que le droit à l'égalité reconnu par la Charte, le droit de vote et les autres droits, doivent céder le pas à des principes qui visent à préserver des institutions politiques actuelles et non à examiner ce que veulent dire vraiment aujourd'hui dans une société moderne ces mêmes droits politi ques.

Nous pensons que le temps est venu de renoncer à réformer la loi électorale dans le seul but de préserver et de renforcer le système non représentatif de gouvernement inspiré des conceptions qu'avait au XIXe siècle les libéraux sur ce que doit être un bon gouvernement. Tant que l'on refusera de demander aux Canadiens de se prononcer sur ce qui constitue aujourd'hui un bon gouvernement, toutes les modifications apportées à la loi électorale en vue de renforcer des principes intéressés empêcheront de résoudre la crise politique qui sévit actuellement. Bien au contraire, le manque de crédibilité de la Chambre des communes et le discrédit jeté sur les partis politiques, les institutions politiques et les politiques ne fera que s'accentuer. La confiance de la population envers le processus électoral n'a jamais été aussi faible.

La réponse qu'a apportée le gouvernement libéral à l'arrêt de la Cour de l'Ontario, sous la forme du projet de loi C-9, répond, d'après nous, aux décisions des tribunaux. Nous estimons cependant que le fait d'examiner le problème d'un point de vue purement légaliste occulte la véritable question et ne fait que préserver le statu quo. Comment les changements proposés par le projet de loi C-9 donneront-ils aux citoyens les moyens de participer aux décisions qui les concernent? Dans quelle mesure le mécanisme prévu donne-t-il un tel pouvoir aux citoyens? Comment ce projet de loi va-t-il, par exemple, réduire l'abstentionnisme?

Outre l'abstentionnisme, les demandes et les aspirations des Canadiens qui souhaitent renouveler le processus politique et le refus du gouvernement de prendre des mesures en ce sens se traduit par le fait que les Canadiens s'adressent de plus en plus aux tribunaux pour obtenir réparation. Cette voie est bien souvent inefficace parce que le Parlement peut annuler les décisions judiciaires et parce qu'on utilise les principes fondamentaux pour justifier ces décisions. Tant que l'on ne débattra pas publiquement de ces principes fondamentaux, nous estimons que les réformes ne pourront qu'exacerber davantage la crise de légitimité dont souffre notre régime électoral.

Mentionnons parmi les poursuites en cours, une contestation constitutionnelle de la méthode utilisée pour compter les votes, c'est-à-dire, du système de la majorité simple, et une autre contestation des dispositions de la loi relatives au temps d'émission accordé aux partis politiques. Ces contestations indiquent que la population est de plus en plus consciente du fait que le processus politique lui échappe ainsi que du fait que le gouvernement du Canada se refuse à moderniser le processus politique pour que tous les Canadiens puissent véritablement participer à la gouvernance de leur pays.

Nous abordons dans notre mémoire des développements récents qui accentuent l'incohérence des règles en matière d'élection. Ce droit contient des règles tout à fait contradictions puisque le parti qui a le droit de faire inscrire son nom sur un bulletin de vote est qualifié de tiers parti pour tout le reste; il y a l'idée que les électeurs sont informés parce que le nom d'un parti figure sur le bulletin de vote, alors que les Canadiens se préoccupent de plus en plus du manque d'information objective qu'on leur fournit au cours des élections, et l'absence de tout mécanisme destiné à informer la population, à moins de soutenir que la campagne électorale menée par les partis politiques revient à informer les électeurs.

Nous recommandons de voter contre le projet de loi C-9. Il faudrait mettre de côté ce projet de loi parce qu'il ne répond pas aux besoins fondamentaux de la population. Nous avons entendu le ministre Boudria reconnaître qu'il y a du vrai dans ces critiques mais que le gouvernement va revoir la question de façon plus détaillée à l'automne, lorsque M. Kingsley aura présenté son rapport. C'est là, d'après nous, un argument qui ne saurait justifier l'adoption de ce projet de loi. Le nombre des affaires soumises aux tribunaux démontre qu'il y a lieu de revoir en profondeur ce domaine du droit. Cette révision devrait être publique, la population devrait être invitée à y participer pleinement et elle devrait permettre aux Canadiens de voter sur ces questions lors d'un référendum.

M. Ron Gray, chef du Parti de l'Héritage Chrétien du Canada: Madame la présidente, sénateurs, je dois vous indiquer dès le départ que le mémoire que j'avais préparé et traduit a péri parce que non pas un ordinateur mais les deux ordinateurs de mon bureau ont rendu l'âme. Je vais donc me limiter à quelques brèves observations.

Mon parti a fait une suggestion au comité parlementaire au sujet de l'article 2 du projet de loi C-9, qui propose de modifier l'article 18.1 de la loi électorale. Nous avons indiqué qu'il serait facile d'ajouter à ces directives destinées au directeur général des élections une disposition lui indiquant qu'en plus de procéder à des études sur de nouvelles manières de voter, notamment le vote électronique, il devrait également étudier d'autres façons de choisir les représentants de la population.

Je recommande au comité un livre de M. Milner, intitulé Making Every Vote Count, dans lequel il examine les élections tenues récemment au Canada et soutient qu'on aurait pu éviter certaines disparités, et même en partie, la balkanisation politique de notre pays, et obtenir une Chambre des communes qui refléterait mieux l'éventail national des partis politiques si l'on adoptait un des systèmes électoraux dont il fait l'examen. Il serait souhaitable que ce projet de loi demande au directeur général des élections de procéder à une étude officielle de ces autres régimes. Nous avons proposé que l'article 2 soit modifié par l'ajout d'une directive en ce sens.

Je ne vais pas passer en revue les écarts considérables constatés au cours des dernières élections, mais je vais en mentionner deux. L'un concerne la Colombie-Britannique, ma province d'origine, où le parti qui a obtenu 57 p. 100 des voix a obtenu 97 p. 100 des sièges, ce qui a entraîné un déséquilibre grave. Au cours de la dernière élection provinciale au Québec, la province où je réside actuellement, le parti qui a obtenu le plus de vote est devenu l'opposition officielle. Il est évident qu'il faut remédier à cet état de chose.

Il s'est tenu à la fin du mois de mars une réunion dans ces édifices mêmes pour créer un nouvel organisme appelé Fair Vote Canada. Cet organisme a formulé une question qui résume très bien le problème, la voici: Les Canadiens ne devraient-ils pas avoir le droit de choisir un système fait au Canada pour choisir leurs représentants? Cela ne privilégie aucune méthode de vote particulière. Cette question nous amène simplement à nous interroger sur l'opportunité d'examiner la question du système utilisé pour choisir nos représentants qui siègent à la Chambre des communes. Je n'en dirai pas plus.

J'ai déjà présenté d'autres observations au comité. Il s'agissait des dispositions de la loi concernant la répartition du temps d'émission et l'utilisation de l'argent des contribuables pour subventionner les partis qui siègent à la Chambre de façon à leur permettre de commencer la prochaine campagne électorale avec des coffres presque pleins grâce à l'argent des contribuables. Cette répartition des ressources est très injuste. Elle ne fait toutefois que refléter une lacune plus grande qui est à la base de cette loi, à savoir que la loi prévoit des mécanismes électoraux qui vont servir les parties alors qu'elle devrait avoir pour objectif de déterminer comment la loi électorale peut servir les électeurs.

Un des éléments essentiels d'une démocratie saine est un électorat bien informé qui peut alors faire des choix en fonction de l'information à laquelle il a accès. La loi actuelle refuse aux électeurs l'accès à cette information par ses dispositions qui devraient en fait viser à informer les électeurs. Ce sont des aspects que nous avons demandé de modifier et de corriger.

Je vais parler de la question du nombre minimal de candidats exigé et vous fournir une explication concrète de la façon dont ces dispositions sont contraires à l'intérêt des électeurs. Après la dernière élection, au cours de laquelle mon parti a perdu son statut de parti enregistré parce que nous n'avons présenté que 46 candidats, j'ai fait un sondage par téléphone auprès des membres de notre parti pour savoir ce qu'ils souhaitaient. J'ai parlé à une femme, un membre de notre parti de la région de St. Catharines, qui m'a dit qu'elle avait reconnu sur le bulletin de vote le nom d'une personne qui s'était présentée pour nous à l'élection de 1997 mais que son nom apparaissait sans indication de son appartenance politique parce que nous avions perdu notre statut de parti enregistré. Elle m'a dit qu'elle avait pensé qu'il avait quitté notre parti et qu'elle n'allait pas voter pour un transfuge; elle a donc annulé son bulletin de vote. Je soutiens que cet exemple montre comment le fait de refuser des renseignements utiles a eu pour effet de tromper l'électrice et de l'amener à voter comme elle ne l'aurait pas fait autrement.

Le nombre minimum de candidats mentionnés dans l'arrêt Figueroa devrait certainement être beaucoup plus bas, comme les tribunaux l'ont déclaré ou vont être amenés à le faire. M. Figueroa a sans doute raison de soutenir que lorsque deux candidats ou plus choisissent de se présenter sous la même bannière, il serait utile que les électeurs puissent obtenir cette information. Par conséquent, on devrait permettre à ces personnes de s'enregistrer en tant que parti.

Je vous ai déjà parlé de ces sujets et serais donc heureux de répondre à vos questions.

M. Chris Bradshaw, chef intérimaire du Parti Vert du Canada: Sénateurs, merci de nous avoir invités à vous faire connaître notre point de vue sur cette question importante.

Je tiens à vous préciser que le Parti Vert occupe la sixième place parmi les partis du Canada. C'est le parti non parlementaire le plus important. Vous avez sans doute noté que nous avons été très heureux d'être soutenus par l'électorat au cours de l'élection qui s'est tenue en Colombie-Britannique la semaine dernière. Si l'on avait adopté la représentation proportionnelle au Canada, les voix que nous avons obtenues, un pour cent des suffrages, nous auraient donné trois sièges à la Chambre des communes. Nous n'aurions pas obtenu de siège au Sénat, mais cela pourrait changer.

Résultat, nous nous trouvons placés devant des extrêmes, comme vous l'ont également expliqué sous différentes formes mes collègues. Parce que nous n'avons pas élu un seul député, nous n'avons personne qui nous représente sur la colline parlementaire, nous n'avons pas de service de recherche, et nous n'avons pas accès aux émissions politiques gratuites qui permettent aux partis de s'adresser à la population, bien souvent après 23 h 30.

C'est le genre de choses qui, combinées à des règles s'appliquant différemment selon le nombre de députés élus, se traduit par un changement brutal lorsqu'un parti n'élit aucun député. C'est probablement une différence beaucoup plus grave que celle que représente le nombre magique de 12, qui, comme vous le savez, a été choisi pour attribuer le statut de parti reconnu.

Différents facteurs expliquent la croissance du nombre des partis politiques au Canada, phénomène que l'on retrouve dans la plupart des démocraties. Il y a notamment l'explosion démographique, le renforcement du pouvoir des gouvernements nationaux, les intérêts commerciaux nationaux et les ONG qui ont modifié les habitudes de l'électorat qui, au lieu de voter pour des personnes en se fondant sur le fait qu'ils connaissent les candidats personnellement, votent aujourd'hui en fonction des priorités législatives et des conceptions en matière de gouvernance. Malheureusement, les citoyens ne disposent que d'un seul vote pour choisir leur député. Ils ne peuvent voter sur les principes politiques. Le processus d'étiquetage des candidats dont M. Gray a parlé constitue un aspect important de ce problème.

C'est ce qui a entraîné une augmentation du nombre des partis politiques, qui fonctionnent comme un genre de mécanisme d'étiquetage qui indique aux électeurs que le candidat, qu'ils ne connaissent sans doute personnellement, possède un minimum d'intégrité et qu'une fois élu, celui-ci se conduira de façon prévisible pour protéger les intérêts compatibles avec les idées politiques du parti dont il porte l'étiquette et en respectant, bien sûr, les priorités exposées dans le programme électoral du parti.

De nombreux pays ont modifié leur régime électoral pour faciliter la formation et le réalignement des partis politiques en vue de refléter les réalités nouvelles et pour que la composition des organes législatifs représente plus fidèlement les préférences des électeurs à l'égard des partis. La grande majorité de nos règles électorales visent manifestement à aller à l'encontre de ces tendances historiques et permettent au Canada de se raccrocher, par peur de l'incertitude, à des mécanismes électoraux désuets.

Les seules grandes démocraties qui s'en remettent de nos jours exclusivement au critère de la majorité relative sont le Canada, les États-Unis et l'Inde. Deux de ces pays prétendent être des modèles de démocratie pour les autres pays des Amériques. Je crois qu'il y a lieu de s'interroger sur le bien-fondé d'une telle affirmation.

Pour ce qui est du projet de loi, nous pensons que le nombre minimal de candidats devrait être inférieur à 12. Nous estimons que ce chiffre devrait se situer entre deux et cinq. Nous faisons remarquer qu'il suffit de deux points pour définir une ligne droite, de trois points pour définir un plan et que trois personnes constituent, en fait, un groupe. Nous pensons qu'un parti devrait avoir un peu plus de trois candidats. Le chiffre de 12 semble avoir été choisi parce que, comme je l'ai indiqué, c'est le nombre de députés qu'il faut avoir pour bénéficier du statut de parti officiel. Ce chiffre a fait l'objet de vives critiques à la Chambre des communes.

D'une façon plus générale, il suffirait que les privilèges associés au statut de parti reconnu s'accompagnent de certaines responsabilités et fassent l'objet d'une surveillance exercée par un organisme indépendant. En outre, le nombre des députés exigé pourrait varier selon l'avantage concerné, comme l'a déjà fait remarquer M. Figueroa, ce qui donnerait une progression beaucoup plus fine qui fournirait non pas tant une issue de secours pour abandonner le statut de parti politique mais une série de défis que devrait relever un parti qui se développe. Un tel cadre favoriserait l'apparition de partis politiques plus aguerris qui pourraient ainsi se préparer à éventuellement prendre le pouvoir ou tout au moins, à faire partie de l'opposition dans notre régime parlementaire.

Pour ce qui est régimes électoraux, je tiens à mentionner que notre parti a formé, il y a deux semaines, une demande, avec l'aide du centre des contestations constitutionnelles de la faculté de droit de l'Université de Toronto, dans laquelle il conteste le critère de la majorité simple parce qu'il porte atteinte, d'après nous, à deux articles de la Charte des droits et libertés de notre Constitution. Notre premier argument est que ce critère empêche les femmes et les membres des minorités ethniques d'obtenir une représentation équilibrée et qu'il favorise à tort les partis régionaux par rapport aux partis nationaux. Dans l'ensemble, ces partis adoptent des points de vue moins généraux qui se conjuguent mal avec une approche nationale à la résolution de problème et à la protection de nos ressources naturelles et humaines. Ces partis utilisent les avantages injustifiés dont bénéficient les partis établis pour obtenir des ressources qu'ils concentrent sur un petit nombre de circonscriptions proches les unes des autres, desservies par des médias en nombre limité. Ils envoient constamment des messages négatifs touchant les transgressions commises par le gouvernement, à la fois en qualité de principal parti et d'institution gouvernementale nationale. Ils évoluent rapidement pour éviter qu'on leur colle l'étiquette de «parti d'opposition permanente» qui s'attache peu à peu à bon nombre de petits partis qui ne réussissent pas à élire un seul député.

J'ai écrit un article qui a été publié dans l'Ottawa Citizen du 18 mai. Je faisais référence à une chronique antérieure de John Robson qui avait fait remarquer qu'on ne devrait pas obliger les Canadiens à vivre avec un gouvernement de coalition puisqu'ils n'ont pas voté pour ce genre de gouvernement. On n'a pas demandé aux Canadiens, à cause de notre système électoral, d'indiquer quelle serait, d'après eux, la composition idéale du Parlement. Il n'est pas certain qu'un gouvernement minoritaire ou un gouvernement de coalition soit une mauvaise chose pour un pays, puisque la stabilité est la marque des pays qui utilisent des systèmes électoraux très divers, tout comme l'est, dans une certaine mesure, l'instabilité. Je tiens à mentionner que le départ du gouvernement conservateur il y a moins de 10 ans de cela, qui est passé de 180 à deux sièges, a fait perdre à notre pays une somme d'expérience considérable, quelles que puissent être les opinions personnelles que l'on entretient au sujet des principes dont s'inspire ce parti.

Seuls les systèmes où il existe deux catégories de députés, systèmes utilisés à l'heure actuelle en Allemagne et en Nouvelle- Zélande, donnent aux électeurs deux votes, un pour un candidat et l'autre pour un parti, même si ces deux éléments ne correspondent pas toujours. On utilise en Colombie-Britannique un autre système. Les électeurs peuvent voter pour autant de candidats qu'il y a de sièges à pourvoir. On pourrait obtenir le même effet, à savoir la possibilité de voter pour plusieurs candidats, en utilisant un système peu connu appelé «le vote par approbation». Les électeurs pourraient indiquer sur leur bulletin de vote, tous les noms des députés qu'ils souhaitent voir élus, sans avoir à les classer.

J'aimerais que l'on envisage cette solution pour remplacer notre régime électoral actuel, s'il permettait un recoupement national et provincial des votes donnés aux candidats qui n'ont pas été élus, de façon à pouvoir déclarer élus des candidats supplémentaires provenant des listes établies par les partis.

Je dirai en terminant que nous nous en remettons au Sénat du Canada, parce que, tout comme les tribunaux auxquels nous avons également soumis ces questions, vous n'avez pas été élus. Vous n'êtes pas aveuglés par ce que je pourrais appeler «la maladie du gouvernement au pouvoir» qui frappe souvent les partis, qui s'étaient engagés à faire des réformes, et qui prend la forme d'une amnésie sélective qui leur fait oublier leurs engagements lorsqu'ils sont au pouvoir. Le NPD de la Colombie-Britannique souhaite certainement que cela n'ait pas été le cas.

Vous jouez un rôle unique au Canada, un rôle que vous avez brillamment rempli dans le passé et que nous espérons vous voir remplir encore à l'avenir.

Le sénateur Joyal: J'aimerais poser une question à M. Figueroa, mais les autres témoins peuvent également intervenir.

Monsieur Figueroa, vous avez cité, à l'avant-dernière page de votre mémoire, un passage du jugement de la juge Molloy. Pouvez-vous le commenter? Voici ce passage: «la question n'est pas tant de savoir où fixer la limite pour ce qui est du nombre des candidats qu'un parti doit présenter... mais plutôt de savoir s'il est justifié de fixer une telle limite puisque si un parti est une organisation qui présente une liste de candidats, il suffirait d'exiger un minimum de deux candidats.»

D'après moi, il est possible d'interpréter cette déclaration de la juge Molloy, comme l'a fait le ministre hier, et de soutenir que lorsqu'elle affirme dans le jugement qu'il est justifié d'établir une limite, celle-ci doit être fixée en fonction d'une organisation. Ne serait-il pas préférable de définir ce qu'est un parti plutôt que de se contenter de lancer des chiffres? J'aimerais savoir ce que vous en pensez. Tous les témoins ont déjà eu l'occasion de réfléchir à cet aspect important. Nous pourrions comprendre que l'on définisse un «parti» comme étant «un groupe d'au moins deux personnes». Ce n'est pas toutefois ce que ce jugement semble indiquer. Le jugement fait appel à la notion d'«organisation». Par «organisation», il faut comprendre, d'après moi, un regroupement de membres, avec une structure qui représente ses membres et bien sûr, un programme.

Les gens se regroupent en fonction d'orientations précises. Ils essaient de faire connaître leurs objectifs et d'être sensibles au désir de la population. Ils essaient de convaincre la population en «vendant» leur programme ou en fixant des règles pour choisir leurs membres et en exerçant diverses activités. Je crois que c'est à cela que pensait la juge Molloy lorsqu'elle a utilisé le mot «organisation» dans son jugement.

Pourrais-je avoir des commentaires sur ce point? Cela ne semble pas être aussi clair que l'on peut le penser lorsqu'on lit le jugement.

M. Figueroa: Merci d'avoir posé cette question. On pourrait l'aborder à plusieurs niveaux mais je ne vais pas faire de la philosophie avec le comité. Je dirais que notre parti souscrit à certaines remarques qu'a présentées Mme Di Carlo, du Parti Marxiste-Léniniste du Canada, pour ce qui est de la nécessité d'élargir notre notion de processus démocratique ainsi que le rôle que jouent les citoyens, les organisations, les groupes et les partis dans ce contexte.

Il est évident que notre parti a, depuis sa création, une conception du rôle des partis politiques qui est très différente de celle de la société civile conventionnelle et bourgeoise. Son principal rôle, voire son seul rôle, est d'assurer une participation au processus électoral.

Dans la réalité quotidienne, nous avons toujours considéré que la politique était un élément essentiel que l'on retrouvait dans pratiquement toutes les relations entre les individus. Il y a les relations économiques et sociales mais la politique n'est pas uniquement réservée aux bulletins de vote ou aux assemblées de députés. La politique se vit dans nos collectivités, sur les lieux de travail et dans nos relations quotidiennes. Les partis politiques, en tout cas le nôtre, s'intéressent de près aux activités extraparlementaires.

Le problème que posent notre système électoral et la loi électorale elle-même est qu'ils ne reconnaissent pas cette conception. L'arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario qui a retenu la notion de parti politique ayant comme rôle principal la participation aux élections, et l'expression d'une volonté populai re cohérente, restreint encore la portée de cette notion. D'après cette décision, le rôle d'un parti politique n'est pas seulement d'être actif sur le plan électoral, mais surtout d'avoir, sur le plan électoral, un effet suffisamment important pour pouvoir constituer un bloc de députés au Parlement. Il nous paraît difficile d'accepter un tel raisonnement.

Pour ce qui est de la question de savoir ce qu'est un parti politique, on utilise différents mécanismes dans les provinces et les territoires et à l'étranger. La Loi électorale du Canada fixe les conditions que doivent respecter les partis qui souhaitent s'enregistrer; ils doivent pouvoir démontrer qu'ils possèdent des membres, une constitution, qu'ils procèdent à une vérification annuelle, qu'ils ont des dirigeants élus et ainsi de suite. Ces partis peuvent également avoir un programme politique cohérent et reconnu, de sorte que les personnes qui se portent candidats pour représenter ces partis politiques défendent un programme commun. Dans le cas contraire, on pourrait soutenir que ces candidats sont en fait indépendants.

De notre point de vue, la loi actuelle fixe déjà suffisamment de conditions pour qu'on ne veuille pas limiter davantage l'accès au statut de parti enregistré en exigeant un nombre minimal de candidats. Selon les arguments qui ont été présentés au tribunal et dans l'arrêt Molloy, il faut établir une limite. La juge Molloy a raisonné que, lorsqu'un parti ne présente qu'un seul candidat, celui-ci peut être considéré comme étant candidat indépendant. Cependant, lorsque plus d'un candidat défend le même programme, ces personnes constituent un parti et les électeurs ont le droit de le savoir. Cette organisation politique a le droit de se voir appliquer les mêmes règles que celles que l'on applique aux autres organisations.

Nous savons tous que les règles ne sont pas appliquées de la même façon à tous. Il n'y a pas seulement la question des reçus d'impôt. Il y a l'énorme concentration des médias et la notion d'organisation politique légitime ou d'organisation quasi politi que.

Soyons francs. Nous ne demandons pas à ce que les règles soient les mêmes pour tous. Même en adoptant quelques-unes des modifications proposées, cela ne changerait pas les règles applicables et ne renforcerait pas la démocratie, mais ce serait tout de même un début.

Jusqu'ici, les tribunaux ont retenu la plupart de ces arguments. Nous pensons que la lutte va se poursuivre non seulement devant les tribunaux mais surtout auprès des citoyens.

Je ne sais pas si je vous ai bien répondu. J'ajouterais une dernière chose. Dans certaines provinces, les partis politiques peuvent conserver leur enregistrement sans être tenus de présenter de candidats à une élection donnée. L'Alberta en est un exemple.

Mme Di Carlo: Il s'agit en fait d'un problème très complexe qui vient du fait que notre loi électorale n'accorde pas aux individus mais aux partis politiques le pouvoir de gouverner. La loi électorale contient la première définition légale des partis politiques. La seule condition est de présenter des candidats et d'avoir un chef qui signe les documents de mise en candidature. La loi n'exige pas que le parti ait un programme. À toutes fins pratiques, le programme pourrait se résumer à la volonté de gagner des sièges, des sièges à la Chambre des communes.

Nous pensons que la façon dont l'on va résoudre les problèmes que soulèvent le processus politique, en tenant compte des droits individuels, du droit de tous les groupes sociaux de participer à la gouvernance du pays et des droits des partis politiques, pose actuellement un problème grave. Comment va-t-on réussir à concilier tous ces aspects?

Nous pensons que la seule façon d'y parvenir serait de supprimer tous les privilèges qui sont accordés aux partis politiques. Nous avons examiné le système de fond en comble. C'est là que réside, d'après nous, le coeur du problème.

Une bonne partie du rapport de la commission Lortie, qui étudiait la loi électorale, portait sur la façon de renforcer le rôle essentiel que jouent les partis politiques dans ce processus. Vous savez sans aucun doute jusqu'où cette commission a examiné ce problème. Par exemple, les partis politiques disparaissent entre les élections. Les auteurs du rapport donnent l'exemple des membres du NPD qui étaient considérés comme étant le plus actif des partis parlementaires et ils mentionnent que, si quelqu'un allait voir les électeurs entre deux élections, ces derniers ne sauraient pas trop quoi penser.

Ce qu'est un parti politique au Canada n'est pas un secret. Il existe, objectivement, plusieurs partis politiques différents au Canada. Le Parti Marxiste-Léniniste est un parti politique cadre.

Le sénateur Cools: Les partis politiques sont des clubs privés.

Mme Di Carlo: Ils représentent également les intérêts particuliers et c'est une autre facette du problème actuel. Comment pouvons-nous définir les petits partis comme étant des groupes d'intérêt jouissant de droits limités et dire que les partis politiques ne sont pas des groupes d'intérêt, alors que tout le monde sait que c'est le cas.

Notre intérêt particulier est de représenter la classe des travailleurs au Canada. Nous le disons ouvertement. Les autres partis ne disent pas ouvertement quels sont ceux qu'ils représentent.

Cette question ne sera jamais réglée si nous continuons à affirmer que le système des partis fonctionne bien et que nous devrions le conserver. Nous pourrions également dire qu'il faudrait améliorer le système pour qu'il accorde plus d'avantages aux individus, aux petits partis ou aux partis qui ne répondent pas à la définition consacrée par la loi. Cela est complètement arbitraire. On pourrait choisir n'importe quel nombre minimum de candidats.

M. Gray: Nous nous créons bien souvent des problèmes lorsque nous essayons de définir les choses avec trop de précision. Il arrive même que des personnes portent une étiquette et n'agissent pas dans le même sens. C'est ce que l'on constate à l'heure actuelle à la Chambre des communes. L'étiquette devient alors une simple étiquette.

J'aimerais signaler que la juge Molloy n'a pas déclaré que deux personnes constituaient un parti mais qu'il fallait deux candidats. Le fait qu'ils soient candidats exige que l'organisation en question possède au moins 100 membres dans chacune des deux circonscriptions et soit capable de préparer une constitution. Le fait de s'entendre pour se porter candidats ensemble implique qu'il existe entre ces personnes un minimum de cohérence sur le plan de l'appartenance politique et du programme, à tout le moins. Il est sans doute préférable, et tout à fait conforme à notre tradition démocratique, d'utiliser une définition de parti qui soit aussi souple que possible.

J'aimerais, encore une fois, inviter le comité, et par votre intermédiaire le Sénat et le Parlement, à s'intéresser non pas aux partis mais aux électeurs. La loi électorale a pour objet de fournir aux électeurs une voix indirecte qui puisse influencer la façon dont le gouvernement est structuré et qui va les représenter au Parlement.

La question essentielle consiste à déterminer comment représenter le mieux possible les électeurs. Comment faire pour que les électeurs aient accès à tous les renseignements dont ils ont besoin pour choisir intelligemment les personnes qui vont les représenter?

M. Bradshaw: Je suis sensible au principe qui sous-tend votre question. Si l'on ramenait à deux députés le minimum applicable à une certaine catégorie, ou à un autre chiffre, puisqu'il y aurait d'autres minima pour les autres catégories de privilèges, ne faudrait-il pas alors remplacer cela par quelque chose d'autre dans l'intérêt public? Le législateur a décidé, très sagement, de ne pas s'occuper du programme du parti lorsqu'il s'agit d'examiner certains aspects qualitatifs. Certains ont proposé des critères de performance, proposition très à la mode de nos jours, avec des objectifs de performance et le reste. Cela était très sage parce que les partis politiques bénéficient, jusqu'à un certain point, d'une souveraineté comparable à celle du gouvernement national qu'ils essaient de former et nous voulons éviter d'avoir à examiner le contenu des programmes des partis. Cela devient un club de partis qui souhaitent limiter l'arrivée de nouveaux membres. Notre parti ne souhaite pas avoir à examiner en détail la constitution des partis, à l'exception peut-être des éléments fondamentaux.

Il existe une écologie politique. Nous avons depuis une dizaine d'années deux nouveaux éléments, la carotte et le bâton, qui obligent pratiquement les membres du comité à se pencher sur cette question. Le premier concerne les restrictions apportées aux activités des tiers et l'autre est la carotte, les généreux avantages fiscaux accordés aux personnes qui donnent de l'argent à un parti politique, deux aspects admirables en soi. Nous savons le rôle que jouent les comités d'action politique et nous connaissons, également, les réticences qu'ont les Canadiens à participer à un système électoral bien financé, sans aller jusqu'à être complètement financé par l'État, système que notre parti regarderait d'un oeil très favorable s'il était proposé. Je n'ai pas de solution pour régler cette question. C'est une question très large parce que, comme je l'ai dit, il s'agit d'écologie. Lorsque l'on règle un problème, on constate ensuite que les partis modifient leur comportement, ce qui se produit parfois dans les systèmes électoraux et cela s'appelle un comportement stratégi que. Les gens sont ainsi obligés d'abandonner le comportement qu'ils auraient eu naturellement pour pouvoir faire ce qu'ils veulent parce que des forces extérieures sont venues limiter les options qu'ils possédaient auparavant.

Je suis très sensible à cet aspect. Il faut toutefois le voir dans un sens écologique, en tenant compte des principes qui montrent que les changements ont des répercussions insoupçonnées et peuvent parfois compromettre la durabilité d'un système.

M. Gray: J'aimerais ajouter un commentaire, en me servant des remarques de M. Bradshaw; j'aimerais dire que ce qu'il a qualifié d'écologie politique a créé un problème, auquel le directeur général des élections a fait allusion. Les Canadiens participent de moins en moins au processus politique. Une partie de cette désaffection vient du fait qu'ils sont forcés de voter de façon stratégique pour obtenir une majorité artificielle. Il y a beaucoup de gens qui estiment que la situation ne représente aucunement leurs choix politiques et qui restent chez eux plutôt que de participer à une opération qu'ils considèrent comme un échec. C'est pourquoi l'abstentionnisme augmente, à un point qui est maintenant inquiétant.

Le sénateur Mahovlich: Quel est le système parfait? Demandez-vous aux Canadiens de nous fournir la réponse? Les Américains ont-ils trouvé la solution?

M. Gray: Monsieur le sénateur, lorsque j'ai parlé de la nouvelle organisation appelée Fair Vote Canada, j'en ai dit du bien précisément parce qu'elle ne proposait pas un système parfait, choisi parmi ceux qui existent ailleurs, mais parce qu'elle invitait les Canadiens à mettre au point un système qui répondrait à leurs besoins, tant de nature géographique, linguistique, culturelle qu'ethnique. Tous ces facteurs, et il y en a beaucoup d'autres, jouent un rôle. C'est pourquoi les membres de cette organisation affirment que nous devrions nous-mêmes élaborer un système canadien qui refléterait nos besoins et grâce auquel tous les électeurs, quelle que soit leur opinion, pourvu qu'il existe un certain nombre de personnes qui partagent cette opinion, auront le sentiment qu'il y a au Parlement quelqu'un qui les représente. Il y a au moins un tiers des Canadiens qui ne pensent pas aujourd'hui que ce soit le cas et qui, par conséquent, ne votent pas.

La présidente: Je vous remercie d'être venus ici.

Monsieur Gray, vous avez montré un livre et, pour le compte rendu, nous devrions avoir le nom du livre et celui de son auteur au cas où des membres du comité voudraient se le procurer.

M. Gray: Ce livre s'intitule Making Every Vote Count: Reassessing Canada's Electoral System. Il a été publié sous la direction du professeur Henry Milner; il enseigne la science politique au collège Vanier et il est professeur adjoint à l'Université Laval; cet ouvrage regroupe de nombreux travaux. Il est publié par Broadview.

La présidente: C'est un résumé?

M. Gray: Oui. Il a été publié l'année dernière et contient toutes sortes d'informations récentes sur la situation canadienne.

M. Bradshaw: Je recommanderais également ce livre au comité. Un membre du Sénat était assis à côté de moi à la conférence sur le Projet pilote intégré de relocalisation, PPIR, qui s'est tenue il y a un mois sur ce sujet. J'ai fait un commentaire favorable sur ce livre et elle a immédiatement trouvé quelqu'un qui le vendait. Il y a déjà un exemplaire qui circule au Sénat.

Le sénateur Cools: Il est incontestable que les partis politiques sont des clubs privés. Cela est incontestable.

En fait, il y a des partis qui n'ont aucune existence juridique et qui n'ont pas la personnalité morale. Je ne sais pas si c'était là votre intention mais vous avez amorcé un débat sur des questions très vastes qui commencent à nous interpeller. La plupart des gens éprouvent une grande réticence à examiner ces questions. Je réfléchis à ces sujets depuis des années parce que je pense qu'ils sont importants. Nous serons bientôt obligés de faire face à ces questions. Il est inquiétant de voir les tendances qui se dessinent à l'échelle nationale pour ce qui est des élections et de constater qu'il y a de vastes secteurs de la population vivant dans de nombreuses régions qui se trouvent de plus en plus marginalisées. À un moment donné, nous serons certainement amenés à examiner tout cela mais la nature humaine étant ce qu'elle est, le système peut fort bien continuer à fonctionner sans que personne n'examine ces graves problèmes.

Je fais un peu de philosophie parce que c'est bien ce qui se passe. Vos remarques partent d'une bonne intention.

La présidente: Ne dépassent-elles pas le cadre du projet de loi?

Le sénateur Cools: Non. Plusieurs aspects qui ont été mentionnés concernent directement le projet de loi. L'article 2, qui modifie le paragraphe 18(1) de la loi, énonce que le directeur général des élections peut faire des études sur la tenue d'un scrutin, notamment sur de nouvelles manières de voter, concevoir et mettre à l'essai un processus de vote électronique pour usage à une élection générale ultérieure.

Cette question n'a pas été débattue au Parlement et nous donnons maintenant au directeur des élections le pouvoir de concevoir et de mettre à l'essai diverses choses. Le Parlement ne s'est même pas prononcé sur la question de savoir si nous voulions utiliser le vote électronique. Tout cela se rapporte au projet de loi mais j'essayais de dire que ce sont là des questions fondamentales.

La présidente: On a ajouté cette fois-ci le Sénat.

Le sénateur Cools: Cela est vrai mais les lacunes de cet article n'ont aucunement été corrigées. Il a été amélioré parce qu'on a ajouté le Sénat mais le fond de cette disposition, par opposition au processus, n'a pas encore fait l'objet d'un débat. Avant de demander au directeur général des élections de mettre à l'essai un processus de vote électronique, le Parlement devrait commencer par demander à la population si c'est la voie qu'elle veut choisir. J'ai entendu des histoires d'horreur à propos du vote électronique.

Les témoins ont raison. On lance des initiatives sans se demander vraiment si elles sont justifiées et sans examiner les conséquences possibles de ce genre de décisions.

Ma question porte sur la définition de parti politique et du nombre minimum de candidats exigé pour constituer un parti politique. L'arrêt de la Cour d'appel dans l'affaire Figueroa c. The Attorney General est tout à fait contraire au jugement de la juridiction inférieure prononcé par madame le juge Molloy. Il me paraît tout à fait impossible de dire que deux candidats constituent un parti politique. Je ne peux même pas concevoir que l'on puisse trouver cela raisonnable.

Dans le projet de loi, c'est le chiffre 12 qui a été retenu. Quelle est la raison de ce choix? Je n'en vois aucune. Vous voudriez un chiffre très bas parce que vous n'avez pas beaucoup de membres. Les grands partis voudraient un chiffre plus élevé parce qu'ils ont beaucoup de membres. Comment l'intérêt public devrait-il influencer le choix d'un tel chiffre?

Mme Di Carlo: Il y a d'abord le fait que ce n'est pas parce qu'un parti politique ne présente que deux candidats que ce parti n'a que deux membres. Je vais vous donner l'exemple du Parti Vert, qui pourrait décider de présenter des candidats dans les circonscriptions où il existe de graves problèmes environnementaux. Si un de ces candidats était élu, et montrait qu'il est en mesure de s'attaquer à ces problèmes en les mettant sur la place publique, cela aiderait beaucoup ce parti. Mais cela ne modifierait pas le nombre des membres de ce parti, ni le sérieux de sa démarche.

Le sénateur Cools: Voulez-vous dire que cette décision ne devrait pas être prise en fonction du nombre des candidats mais en fonction de celui des membres du parti?

Mme Di Carlo: Cette loi soulève toutes sortes de questions. C'est ce que je veux faire ressortir. Je vais vous donner un autre exemple. Disons que le Conseil des Canadiens décide de présenter des candidats. Ce n'est pas un parti politique mais sur le plan politique, il a parfaitement le droit de décider de choisir des candidats et de les présenter comme étant des candidats du Conseil des Canadiens. Cet organisme ne prétend aucunement être un parti politique. Ne devrait-il pas avoir le droit de voir indiquer sur les bulletins de vote qu'il s'agit de candidats du Conseil des Canadiens?

Le sénateur Cools: Tout ceci démontre que ces augustes instances vont, à un moment donné, devoir se pencher sur la question de ce qui constitue un parti politique et le reste. À une certaine époque, un groupe ne pouvait imaginer pouvoir se considérer comme un parti politique s'il n'était pas en mesure de montrer qu'il disposait d'un appui très vaste dans la population. La création d'un parti politique était une tâche considérable.

Cela est tout à fait différent du particulier qui décide de se présenter comme candidat indépendant. Sur le plan des droits des citoyens, on confond ces deux aspects dans ce débat. À un moment donné, peut-être dans le cadre d'une grande étude faite par un comité, et qui ne serait pas limitée par ce projet de loi, le Parlement va devoir examiner sérieusement ces grandes questions que nous avons hésité à aborder jusqu'ici.

M. Figueroa: Cette question comporte de nombreux aspects mais je voudrais traiter de la question des nombres et des intérêts des partis. Honorable sénateur Cools, vous avez semblé affirmer que les petits partis préféraient que le seuil exigé soit le plus faible possible parce que cela est dans leur intérêt et que les grands partis souhaitent le contraire, là encore parce que c'est dans leur intérêt. La difficulté vient du fait, comme vous et d'autres l'ont mentionné, que les partis politiques se considèrent comme des clubs privés.

Nous ne considérons pas que notre parti est un club privé. On ne devient pas membre d'un club privé pour se retrouver en prison à cause d'une chasse aux sorcières lancées contre les communistes, comme cela s'est fait au cours des années 30. Il y a peut-être des partis qui sont effectivement des clubs privés. Mais le processus démocratique ne devrait pas être un club privé.

Imaginez que vous êtes membre d'un cercle sportif privé. Nous savons que ce genre de club connaît toujours certains problèmes, comme le racisme qui a écarté les Noirs et les Juifs des clubs de golf aux États-Unis pendant des dizaines d'années, peut-être des siècles. On pourrait toutefois soutenir, que dans un club privé, les membres peuvent décider d'accepter ou de refuser de nouveaux membres, parce qu'il s'agit d'une affaire privée. C'est là un aspect des problèmes que pose la propriété privée. Le système électoral n'est pas un cercle sportif privé. Cependant, la réalité est que ce sont les partis qui sont au pouvoir qui fixent les règles qui déterminent la participation à ce processus. Cela fait problème.

On ne peut pas dire, par exemple, qu'il faut qu'un groupe bénéficie d'un large appui dans la population et d'une grande crédibilité pour pouvoir dire qu'il constitue un parti politique, parce que la vie n'est pas comme cela. Des forces nouvelles apparaissent, se développent et parfois disparaissent.

L'idée est que, si l'on choisit un seuil trop élevé, on crée une situation qui, par définition, exclut les autres partis et empêche toute concurrence. Je veux parler de la règle des 50 candidats. C'est une histoire très intéressante. Si l'on se reporte aux débats qui ont entouré, au début des années 70, la première Loi électorale du Canada, on constate que le parti au pouvoir à l'époque, le Parti libéral, avait présenté une motion proposant de retenir le chiffre de 75 candidats. Les conservateurs, qui étaient dans l'opposition, proposaient 25 candidats. Ed Broadbent, le chef du NPD, soutenait en fait qu'un seul candidat suffisait. Il ne voyait pas pourquoi un tel nombre ne suffirait pas à accorder le statut de parti enregistré à un parti politique.

Le fait est que les conservateurs proposaient 25 candidats, les libéraux 75 et qu'on a retenu le chiffre de 50. Est-ce là une décision bien rationnelle?

Pourquoi le Parti libéral proposait-il le chiffre de 75? Il a été démontré que la véritable raison n'était pas que le chiffre de 75 avait quelque chose de magique, mais parce que cela empêcherait l'apparition d'un parti séparatiste au Québec; en effet, à l'époque, il y avait moins de 75 circonscriptions dans la province de Québec. C'était là le véritable motif, un motif astucieux et pragmatique mais qui n'était manifestement pas fondé sur des principes démocratiques. C'est là la véritable raison de ce choix.

La question est posée, pourquoi le chiffre 12? Je crois que vous connaissez tous l'argument qu'il faut au moins 12 députés pour être considéré comme un parti parlementaire. Pendant les débats qui ont entouré la présentation du projet de loi C-2, un parti d'opposition a présenté une motion visant à ramener à 12 le chiffre de 50. Tous les partis de l'opposition à l'exception des conservateurs ont appuyé cette motion, à laquelle s'opposaient, bien entendu, les libéraux au pouvoir à la Chambre des communes. Cet amendement a été défait mais il avait l'appui du Bloc, du NPD, du Parti réformiste, qui est devenu plus tard le Parti de l'Alliance canadienne. C'était l'argument avancé pour choisir le nombre de 12.

La question fondamentale est la suivante: Le statut de parti politique enregistré n'est pas un privilège accordé aux partis politiques; il touche le droit de la population canadienne d'être informée et de pouvoir voter de façon éclairée.

Après les élections qui viennent d'avoir lieu en Colombie- Britannique, j'ai vu une liste de l'organisme Elections BC, qui indiquait que le nombre des partis politiques enregistrés en Colombie-Britannique était d'environ 25, 30, voire davantage.

M. Bradshaw: Il est très élevé.

M. Gray: Plus de 30.

M. Figueroa: Plus de 30. Cela n'a pas entraîné beaucoup de confusion. Certains soutiennent parfois qu'en choisissant un seuil très bas, les partis vont se multiplier et la population ne va pas comprendre ce qui se passe. Cela reflète une attitude assez condescendante envers la population. La population est tout à fait capable de savoir quels sont tous ces partis politiques. L'essentiel est de n'exclure personne.

Les reçus d'impôt constituent un autre aspect important. Certains affirment que cela confère un certain avantage. Nos partis n'ont pas le même point de vue. La commission Lortie a, dans son rapport de 1990, reconnu l'importance d'accorder aux partis politiques le droit de délivrer des reçus d'impôt à l'égard des dons politiques non pas tant pour aider au financement des partis politiques que pour encourager les Canadiens, dans leur ensemble, à participer au processus politique.

Nous sommes redevenus un parti enregistré après la dernière élection mais était-il équitable que, depuis 1993, les personnes qui appuyaient le Parti communiste ne pouvaient pas obtenir de reçu d'impôt lorsqu'ils versaient de l'argent à notre parti alors qu'ils auraient pu en recevoir un s'ils décidaient d'appuyer les libéraux? En outre, si nous réduisons le nombre des candidats présentés, va-t-on tout à coup exploiter cette possibilité? Est-ce que le nombre des membres du Parti communiste va augmenter parce que nous remettons maintenant des reçus d'impôt? Cela est tout à fait ridicule.

Le principe est que tous les citoyens devraient avoir les mêmes droits parce qu'ils participent au processus politique en appuyant le parti politique de leur choix.

Le sénateur Cools: J'aurais une dernière question. Vous avez raison au sujet de l'initiative de 1974 qui visait à encourager les Canadiens à contribuer au financement des partis politiques.

Je n'aime pas que les tribunaux empiètent sur ce que je considère comme le territoire du Parlement. J'ai lu les deux jugements. Vous dites que vous défendez le processus démocratique et que vous essayez de favoriser la participation de la population mais madame la juge Molloy en est arrivée à sa conclusion en utilisant un processus tout à fait antidémocratique, à savoir l'interprétation de dispositions législatives. Si vous considérez l'arrêt de la Cour d'appel, vous pouvez constater que celle-ci est plus prudente et a fait preuve de plus de mesure.

Vous dites que vous êtes ici pour défendre les droits démocratiques. Comment pouvez-vous affirmer que le processus qui nous a amenés à être saisi de ce projet de loi est démocratique?

M. Figueroa: Comme je l'ai indiqué dans nos remarques, nous appuyons le principe voulant que seuls des organismes démocratiques puissent adopter des lois. Cependant, il y a là un problème. S'il existe une autre façon de régler le problème, nous devrions l'utiliser.

En fait, nous recommandons une autre façon de procéder qui ne consiste pas à demander aux tribunaux d'interpréter des dispositions législatives, que ce soit de façon extensive ou restrictive, mais à adopter un processus véritablement démocratique et public, qui prévoirait la tenue d'un référendum sur une réforme complète du système électoral, après un large débat. Autrement, si l'on étudie ce problème que dans ces augustes salles, on se heurte à la contradiction fondamentale que j'ai déjà mentionnée, à savoir que les personnes qui sont ici, qui sont au pouvoir, vont utiliser ce pouvoir. Elles l'ont déjà utilisé et vont certainement continuer à l'utiliser pour défendre leurs intérêts et pas nécessairement ceux de l'ensemble de la population. Il faut élargir le processus. Je crois que nous sommes tous d'accord sur ce point.

Le sénateur Joyal: J'aimerais poser une question à M. Bradshaw et les autres témoins pourront également intervenir.

Monsieur Bradshaw, dans votre mémoire, vous confirmez que vous avez présenté une cause constitutionnelle type. Je crois savoir que les documents ont été déposés au greffe du tribunal?

M. Bradshaw: Oui.

Le sénateur Joyal: Pour notre information, pourriez-vous nous exposer brièvement le raisonnement que vous utilisez pour appuyer votre conclusion selon laquelle le système actuel est inconstitutionnel?

M. Bradshaw: Oui. J'ai reçu hier une copie de ces documents. Il y a un mémoire accompagné de quatre affidavits, dont l'un émane d'un expert, M. Cairns, qui est apparemment respecté par toutes les parties; un autre a été préparé par la partie dont le nom figure sur les documents, l'ancienne chef de notre parti, Joan Russow, qui a dirigé notre parti pendant deux élections fédérales.

Nous contestons la loi électorale en nous fondant sur l'article 3 et le paragraphe 15(1) de la Charte, à ce que je crois. Ces dispositions traitent de représentation équitable. Notre argument, et nous savons que cet argument doit être fondé sur des preuves empiriques relatives au système électoral, est que le système actuel est discriminatoire pour ce qui est de l'élection des femmes et que, par conséquent, il porte atteinte aux droits des femmes de notre pays. Il est assez rare que l'on aborde officiellement toute la gamme des questions qui sont importantes pour les femmes, en raison du rôle traditionnel qu'elles jouent dans la société et de leur point de vue particulier. Ces questions comprennent non seulement le droit de se porter candidat mais également celui d'être représenté par des candidats qui représentent leurs intérêts.

Nous soutenons que cet argument est principalement fondé sur la performance des régimes de représentation proportionnelle qui utilisent des listes que les grands partis établissent en respectant habituellement un certain équilibre entre les hommes et les femmes et en se préoccupant également de la composition ethnique des électeurs que ces listes doivent représenter. La plupart du temps, l'électeur ne peut changer l'ordre dans lequel les noms figurent sur la liste, mais cela est possible avec certains systèmes électoraux.

Le premier point est d'obtenir une représentation plus équitable des citoyens canadiens par leurs représentants élus et le rendement des deux systèmes. Deux études, dont l'une est citée dans le livre Making Every Vote Count, montrent qu'avec le régime de la majorité simple, les femmes sont deux fois moins représentées qu'avec la représentation proportionnelle.

L'autre argument est en fait un peu plus fort. Il est basé sur le fait que le système électoral actuel a tendance à privilégier le régionalisme, non seulement pour les électeurs mais pour les partis, parce qu'il favorise certains choix stratégiques. L'exemple qu'a donné ici mon collègue du Parti Marxiste-Léniniste est que le Parti Vert pourrait fort bien regrouper toutes les ressources qui lui viennent des différentes régions. C'est un parti très actif. Il peut choisir de présenter deux candidats pour améliorer ses chances. Ce n'est pas là-dessus que portent notre discussion mais cela serait une stratégie tout à fait légitime, compte tenu du système électoral. Si nous répartissons également nos ressources, nous pourrons peut-être nous féliciter du suffrage populaire obtenu mais nous n'obtiendrons pas de résultats concrets, c'est-à-dire des sièges. Nous serons donc encore maintenus à distance, nous pourrons faire du bruit, agrémenter la pelouse du Parlement, mais nous resterons les piétons des autoroutes de la politique.

Le fait est qu'avec la majorité simple, les électeurs finissent par voter de façon stratégique, non pas peut-être pour le parti qui serait leur premier choix mais pour le parti qui peut faire connaître leur insatisfaction. Autrement dit, le NPD a essayé d'influencer nos électeurs en Colombie-Britannique en leur disant qu'à cause de la dominance du Parti libéral dans les sondages, un vote pour le Parti Vert était un vote pour les libéraux, un comportement tout à fait déplacé.

Nous soutenons que cet argument a réussi dans certains cas à influencer les électeurs, même si la baisse de notre pourcentage des suffrages ne correspond pas exactement aux gains enregistrés par le NPD au cours de cette élection, mais cela a également pour effet de décourager les gens de voter. Il y a beaucoup de gens qui se disent: «Je me trouve vraiment dans une situation impossible. Je préfère ce parti mais si je vote pour lui cela pourrait faciliter l'arrivée au pouvoir d'un autre parti dont le programme ne me convient pas; il est donc préférable d'éviter ce dilemme et de ne pas voter.»

Sur bien des points, on peut dire qu'avec notre système électoral, les consommateurs n'ont guère le choix. Dans le secteur privé, les consommateurs peuvent choisir, mais nous avons un marché politique qui ne suit pas la réalité.

Le sénateur Joyal: À quel article de la Charte faites-vous référence?

M. Bradshaw: Je m'en remets à mes collègues. Je n'ai pas le document ici et je n'ai pas d'expérience au niveau national.

Mme Di Carlo: Ce sont les articles 3 et 15.

M. Bradshaw: Il y a beaucoup de votes qui ne comptent pas. La plupart du temps, les suffrages obtenus par les candidats non élus sont supérieurs à ceux qu'a obtenu le gagnant. Nous savons qu'avec un régime de majorité relative, il n'y a pas d'autre façon de donner effet au choix de ces électeurs.

Notre régime électoral favorise les partis régionaux et les partis qui veulent faire élire leur candidat ont tendance à concentrer leurs activités dans certaines régions. Il est très difficile que les électeurs qui ont voté pour des candidats qui n'ont pas été élus soient représentés, de façon indirecte, par des candidats élus ailleurs, parce que le programme de leur parti est bien souvent contraire aux intérêts des électeurs des autres régions du Canada. Cela nous empêche d'avoir des gouvernements qui gouvernent pour le bien de la nation. Nous avons des programmes nationaux dans lesquels nous proposons des mesures avantageuses pour l'ensemble du pays et non pas des programmes accordant à des régions ou à des groupes une certaine priorité sur d'autres groupes.

La présidente: Monsieur Bradshaw, je tiens à signaler que je n'ai pas apprécié une de vos remarques. Vous avez parlé de l'espèce mâle. L'adjectif mâle désigne un des deux sexes mais les femmes et les hommes appartiennent à la même espèce.

M. Bradshaw: Le terme est le genre. Merci de me l'avoir signalé et je vous prie de m'excuser.

Le sénateur Fraser: Premièrement, je félicite M. Figueroa d'avoir eu la ténacité de nous obliger à examiner ces questions. Il n'est pas facile de se lancer dans une grande lutte judiciaire, en particulier lorsque l'on représente une petite organisation. Quelle que soit l'issue de cette affaire, il est évident que les questions que vous avez soulevées méritent qu'on s'y intéresse de près. Je vous félicite sur ce point.

Deuxièmement, d'une façon générale, j'aimerais faire remarquer que faire élire des députés au Parlement n'est pas le seul moyen qu'ont les petits partis pour exercer une influence politique importante et je citerai en particulier le cas d'un parti comme le Parti Vert. Je n'avais jamais fait de politique avant d'être nommée au Sénat il y a trois ans. Je suis nouvelle ici, et j'ai beaucoup appris. Il y a une chose qui me fascine, c'est qu'à l'intérieur des grands partis traditionnels, il s'exerce des pressions énormes pour tenir compte d'un éventail très vaste d'intérêts, ceux des électeurs, de sorte que, chaque fois qu'un petit parti montre qu'il est capable d'avoir l'appui d'une partie de la population, les grands partis examinent immédiatement la situation. Ils ne s'intéressent peut-être pas d'assez prêts ou assez rapidement à ce genre de choses mais il ne faudrait pas penser que, parce que vous n'avez obtenu qu'un pour cent des suffrages et pas de siège, vous n'avez rien accompli. Cette affirmation constitue peut-être une trahison politique mais je crois vraiment que cela représente la réalité.

Le sénateur Beaudoin: Soutenez-vous que notre système électoral est inconstitutionnel parce qu'il porte atteinte à l'article 3 ou au paragraphe 15(1) de la Charte?

M. Bradshaw: Notre argument est que nous demandons au tribunal de juger que le système est invalide pour ces deux motifs, si l'on tient compte, en particulier, du fait qu'il existe d'autres systèmes; nous ne demandons pas au tribunal de préciser quels sont ces systèmes ou de décider quelle devrait être la solution retenue. Nous sommes très prudents. Je sais que les médias ont signalé que nous demandions en fait au tribunal d'exercer un rôle législatif. Bien sûr, le fait de déclarer qu'une loi est inconstitutionnelle est un aspect de ce contexte. Nous pensons que cela est tout à fait justifié, étant donné l'aveuglement dont font preuve les représentants élus sur ce point.

Le sénateur Beaudoin: Cela m'intéresse parce que notre système découle du système britannique et, dans une certaine mesure, du système américain. Il existe très peu de décisions canadiennes qui portent sur le droit de vote et très peu, sur la question d'égalité. En fait, je me souviens d'une affaire, en Saskatchewan. Aux États-Unis, bien entendu, c'est le principe d'un vote par personne et on a soutenu que le régime proportionnel respectait davantage l'article 15 que le système que nous avons hérité de la Grande-Bretagne. Avez-vous l'intention de soulever cette question devant le tribunal?

M. Bradshaw: Oui. Je ne sais pas très bien quelle est votre question. Nous citons cet article. Il ne s'agit pas du principe une personne un vote. Nous disons que tous les votes sont comptés. Nous affirmons qu'il y a un filtre qui influence l'effet que peut avoir le mode de scrutin sur la composition du Parlement et c'est cela que nous remettons en question. L'effet, non pas direct mais indirect, est que chaque vote n'a pas la même influence sur l'issue de l'élection, si l'on tient compte en particulier du fait qu'il existe d'autres solutions.

Nous ne disons pas que la loi interdit de voter à certains électeurs ou que l'on jette leurs votes à la poubelle pour en retenir d'autres. Ce n'est pas ce que nous soutenons. Nous soutenons que dans ce système, la justice qui a les yeux bandés pour être équitable et juste agit de façon préjudiciable, parce que c'est au gouvernement de remédier à certaines inégalités qui existent dans l'ensemble de la société.

Le sénateur Beaudoin: Il existe une distinction essentielle dans notre système. Aux États-Unis, le principe de base est que chaque personne a droit à un vote et les Américains appliquent ce principe de façon très rigoureuse. Au Canada, nous avons une ou deux décisions qui portent sur ce point mais nous acceptons une certaine disparité entre les circonscriptions. Nous avons eu une commission qui a étudié cela. Nous avons étudié cela de façon très détaillée. Certains soutiennent que la représentation proportionnelle est plus conforme au paragraphe 15(1) de la Charte que le système dont nous avons hérité parce que chaque vote compte.

Je ne connais pas de décision de la Cour suprême portant sur ce point. Je suis étonné que cette question n'ait jamais été soulevée devant les tribunaux. Je comprends vos arguments et je me dis que si vous êtes convaincu que tel est bien le cas ou si vous êtes convaincu que la représentation proportionnelle est un système supérieur à celui que nous avons, pourquoi ne pas soumettre cette question devant les tribunaux?

M. Bradshaw: C'est en fait ce que nous faisons.

Je peux faire un bref commentaire sur l'affaire de la Saskatchewan. C'est une décision de cette province qui a été soumise à la Cour suprême, dans laquelle l'on soutenait que le principe une personne un vote n'était pas respecté parce que les circonscriptions rurales étaient moins peuplées. Le tribunal a jugé qu'un écart de ce genre était acceptable, même s'il existait depuis un certain temps.

Nous soutenons, dans le mémoire que nous avons présenté à la cour, que cela est une variation beaucoup plus faible, deux contre un, que ce qui se passe dans l'attribution des sièges au Parlement, l'exemple classique étant l'élection de 1993 dans laquelle les conservateurs avaient obtenu quelque 20 p. 100 des voix et deux sièges.

Le sénateur Beaudoin: J'ai lu le renvoi relatif à l'affaire de la Saskatchewan. Madame la juge McLachlin, maintenant juge en chef, a prononcé le jugement. Certains de ses collègues étaient d'accord avec elle mais ils n'ont pas abordé cette question. Au contraire, je pense qu'ils en sont arrivés à la conclusion que le système que nous avons au Canada n'était pas incompatible avec l'article 15.

Certains ont soutenu que la représentation proportionnelle respectait mieux l'égalité devant la loi que ne le faisait notre système. Je dirais simplement qu'il serait sans doute bon de soumettre, un jour, cette question aux tribunaux. C'est tout ce que je veux dire.

M. Bradshaw: Une autre remarque au sujet de l'article 3, c'est que l'opposition région rurale-région urbaine n'est pas un motif de discrimination interdit, alors que nous parlons d'autres facteurs qui font partie de ces motifs.

La présidente: Je vous remercie beaucoup d'avoir comparu devant le comité.

La séance est levée.


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