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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 11 - Témoignages du 3 octobre 2001


OTTAWA, le mercredi 3 octobre 2001

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles qui a reçu l'ordre de renvoi concernant le projet de loi C-7, Loi concernant le système de justice pénale pour les adolescents, et modifiant et abrogeant certaines lois en conséquence, s'est réuni aujourd'hui à 15 h 35 pour examiner ce projet de loi.

Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, je crois que nous avons le quorum. Je déclare donc la séance ouverte.

Les témoins que nous entendrons ce matin sont M. Gary Rosenfeldt, directeur exécutif de Victimes de violence, Centre canadien pour les enfants portés disparus, et M. Steve Sullivan, président-directeur exécutif du Centre canadien de ressources pour les victimes de crime.

Avant de donner la parole à M. Rosenfeldt, j'aimerais faire remarquer aux honorables sénateurs que nos débats ne sont malheureusement pas télévisés ce matin. Comme nous le savons tous, les débats sur un projet de loi doivent normalement être télédiffusés intégralement du début jusqu'à la fin de l'examen. Or, CPAC a décidé unilatéralement de se consacrer aujourd'hui à d'autres comités. Je vous demande de nous excuser de ne pas avoir de débat enregistré, mais vous pouvez être certains que CPAC va en entendre parler. L'équipe de télévision sera avec nous demain matin.

Monsieur Rosenfeldt, la parole est à vous.

M. Gary Rosenfeldt, directeur exécutif, Victimes de violence, Centre canadien pour les enfants portés disparus: Je suis, moi aussi, déçu que les caméras ne soient pas ici car je pense que le sujet que nous allons traiter est d'une extrême importance pour la plupart des Canadiens.

Pour ceux d'entre vous qui ne connaissent pas l'organisation Victimes de violence, nous sommes une organisation nationale de victimes du crime, principalement de personnes survivant à des homicides. Nous avons des adhérents dans toutes les régions du pays.

Nous offrons un programme de soutien aux familles des victimes de crimes violents. Une grande partie de notre travail consiste à intervenir au sein de la collectivité qui a été le théâtre d'un meurtre. Nous visitons les familles des victimes. Nous les accompagnons au tribunal et nous faisons tout notre possible pour les assister dans leurs rapports avec le système de justice pénale. Cela fait 20 ans que je fais moi-même ce genre de travail. Nous avons dans notre organisation des membres qui ont autant d'ancienneté que moi.

Une des tâches les plus difficiles que nous avons consiste à nous rendre chez les gens pour rencontrer les familles des victimes de jeunes contrevenants - des jeunes qui commettent quelques-uns des crimes les plus révoltants au Canada. Notre tâche est difficile et ne consiste pas uniquement à aider les victimes à traverser l'épreuve. En effet, pour beaucoup d'entre elles, l'expérience peut durer de nombreuses années dès que le procès commence - si la police parvient à appréhender l'auteur du crime. Il arrive souvent que les victimes soient déçues par le jugement que rend le tribunal. Elles sont découragées et ne comprennent pas comment notre système judiciaire peut les traiter de cette manière. Elles sont frustrées et mécontentes.

Les médias semblent s'en délecter. Les chaînes nationales de télévision nous montrent régulièrement des parents d'enfants assassinés dans diverses régions du pays qui manifestent leur colère et leur mécontentement. L'incapacité du système judiciaire à rendre justice est à l'origine de ce sentiment. Je vais vous donner brièvement un exemple.

C'est un cas qui s'est passé en Ontario. En janvier 1994, une jeune Ontarienne a disparu et a été ensuite retrouvée assassinée. Lors de l'enquête sur la disparition et le meurtre de cette jeune fille, la police a perquisitionné chez un suspect. Elle y a trouvé le corps d'une autre jeune fille dans la baignoire. Par la suite, le suspect a été accusé du meurtre des deux jeunes filles.

Ma femme et moi avons rencontré les familles des deux victimes et nous avons bien connu une d'entre elles. Nos lois ont changé depuis 1994, mais cette famille a éprouvé bien des difficultés dans ses rapports avec le système judiciaire. Les parents de la victime ont tenté de faire juger l'accusé par un tribunal pour adultes, appelant de la décision des tribunaux jusqu'en Cour suprême du Canada. Le jeune contrevenant qui n'avait pas tout à fait 17 ans a fait l'objet de deux chefs d'accusation de meurtre au premier degré.

Après s'être pourvue en appel pendant sept ans, en janvier 2001, au début du procès et au moment de la sélection du jury, la famille a été avisée que l'accusé avait décidé de plaider coupable à un meurtre au deuxième degré dans un cas et coupable d'une accusation moins importante pour le décès de l'autre jeune fille. Autrement dit, sept ans après le dépôt des accusations, le défendeur a décidé de plaider coupable. Nous avons assisté au procès.

Après avoir passé sept ans en détention, l'accusé a plaidé coupable à un meurtre au deuxième degré et a été condamné à sept ans de prison en vertu de la loi qui existait à l'époque, pour le meurtre de deux magnifiques jeunes filles, dans une petite ville de l'Ontario.

Il n'a jamais été reconnu coupable de l'autre meurtre, mais il a été condamné pour une accusation moins grave. Toutefois, il peut purger cette peine concurremment à celle dont il a écopé pour le meurtre au deuxième degré. Ce qui s'est réellement passé, c'est qu'en janvier 2001, cette année, il a été condamné à une peine de sept ans de prison, ce qui le rend admissible à une libération conditionnelle en 2002. Il est admissible une année après.

Il n'a pas présenté de demande en ce sens, mais pendant tout ce temps, les familles n'ont jamais été informées. Lorsqu'elles se sont adressées aux autorités, on leur a simplement répondu que «ces choses prennent du temps». Du temps? Faut-il attendre sept ans pour qu'une affaire soit jugée devant les tribunaux?

Le jeune contrevenant était à quelques jours de ses 17 ans. Puisque c'est un jeune contrevenant, son nom ne peut être divulgué. Sept ans après les faits, on ne se souvient plus très bien de ce qui s'est passé, mais les familles en souffriront toute leur vie. Elles pensent que le jeune contrevenant obtiendra une libération conditionnelle l'an prochain et elles estiment que bien des questions sont restées sans réponse. Elles n'ont pas été informées de l'évolution du dossier, elles ne savent pas ce que fait le contrevenant en prison, ni s'il suit des programmes de réadaptation. Il n'a été en prison que pendant quelques mois et sera libéré dans un an. Il est resté pendant sept ans en cellule de détention provisoire. Je ne sais pas comme il peut suivre un programme de réadaptation en cellule de détention provisoire. Ce processus n'a aucun bon sens.

Voilà le type de victimes que nous rencontrons régulièrement. Nous essayons de leur expliquer qu'un tueur en série comme Paul Bernardo, auteur de l'enlèvement, du viol et du meurtre de deux jeunes filles, et qui n'a que quelques années de plus, a écopé d'une peine de prison à perpétuité que la société juge insuffisante. Nous estimons nous aussi qu'il est un contrevenant dangereux, si bien qu'il ne pourra pratiquement jamais sortir de prison.

Par comparaison, ce jeune délinquant qui a un peu moins de 17 ans est condamné à sept ans de prison, ce qui représente trois ans et demi pour le meurtre de chacune des jeunes filles. Les familles des victimes d'homicide sont outrées et estiment que justice n'a pas été rendue. Étant donné qu'il ne passera qu'un an dans un pénitencier fédéral, il ne pourra pas bénéficier des programmes de réadaptation tels que les cours de gestion de la colère qui y sont offerts. Et pourtant, il sera admissible à une libération conditionnelle en janvier 2002. Voilà le genre de frustration à laquelle nous devons faire face.

Beaucoup de gens disent que les victimes sont des personnes motivées par la vengeance et la haine. Notre expérience nous a démontré qu'il ne s'agit pas de haine et de vengeance, mais de donner tout simplement aux victimes la possibilité de rester informées et d'intervenir dans les procédures de justice pénale. Une des familles de l'Ontario dont je vous ai parlé n'avait jamais été informée, pendant les sept ans qui ont précédé le procès, de ses droits de présenter une déclaration. Ce n'est qu'une demi-heure avant le prononcé de la sentence du jeune contrevenant que le procureur de la Couronne l'a avertie qu'elle avait le droit de présenter une déclaration de la victime.

Voilà comment notre système judiciaire traite les victimes. On peut lire ici que les victimes ont le droit à l'information, et cetera. C'est très bien, mais au bout du compte, les victimes n'obtiennent pas ces services. Nous souhaiterions qu'il soit stipulé clairement que toutes les victimes ont le droit d'obtenir ces informations. Nous souhaiterions que le libellé actuel soit remplacé par l'expression «des informations seront données».

L'autre sujet de mécontentement qui touche de nombreuses victimes concerne l'âge du contrevenant. Nous en parlons dans notre mémoire. Nous estimons que les jeunes âgés de 16 et 17 ans qui sont accusés de crimes violents graves comme le meurtre, la tentative de meurtre, l'homicide involontaire coupable, l'agression sexuelle, le vol qualifié, l'enlèvement, la négligence criminelle causant la mort et les voies de fait graves, devraient être automatiquement jugés devant des tribunaux pour adultes. Les contrevenants de 14 et 15 ans qui commettent de tels crimes devraient également être jugés devant des tribunaux pour adultes, sauf dans des circonstances dûment justifiées. Pour les jeunes de 12 et 13 ans reconnus coupables de crimes graves, il faudrait également établir une peine obligatoire minimale pour chacun de ces crimes.

Lorsque nous demandons que le système judiciaire prenne en compte les crimes commis par des jeunes de moins de 12 ans, nous ne préconisons pas l'emprisonnement des enfants; nous ne voulons pas envoyer des jeunes de 10 et 11 ans au pénitencier de Millhaven. Ce n'est pas ce que nous voulons. Ce que nous demandons, c'est qu'un jeune de 10 ou 11 ans soit confronté à la loi lorsqu'il commet un crime grave. Les agents de police doivent être au courant, savoir qui sont ces jeunes et ce qu'ils font. Il faudrait que ces jeunes puissent être traduits devant des tribunaux et tenus responsables de leurs actes.

Je ne préconise pas l'emprisonnement des jeunes, mais nous avons tous entendu parler récemment de ce garçon de Toronto âgé de 11 ans qui a commis un crime sexuel et qui avait le sourire aux lèvres lorsque la police est intervenue. Je pense que les jeunes de 10 et 11 ans doivent être tenus de rendre des comptes.

Par ailleurs, je suis tout à fait convaincu que nos services de police et nos tribunaux peuvent très bien s'occuper des jeunes. Ils peuvent ainsi se rendre compte s'il y a un problème. Actuellement, ces jeunes sont pris en charge par la société d'aide à l'enfance. Or, le personnel de l'aide à l'enfance est débordé, et dans certains cas, il n'est pas au courant qu'il y a eu un règlement judiciaire. Un jeune qui commet un crime et qui est condamné par le tribunal est confronté à la loi, à la police et aux tribunaux.

Il y a quelques années au Canada, la police attendait 48 heures avant de faire enquête sur la disparition d'un enfant. Au bout de ce laps de temps, les parents pouvaient revenir au poste de police pour remplir un formulaire et déclarer la disparition de l'enfant.

Nous avons fini par convaincre les services de police. Il ne s'agit pas de mettre la police aux trousses de tous les jeunes qui font une fugue. Ce que nous voulons, c'est une intervention du système judiciaire. Lorsqu'un enfant est porté disparu, nous demandons à la police de faire enquête. La police doit alors chercher à savoir pourquoi l'enfant a disparu, ou si l'enfant est victime de violence physique ou sexuelle à la maison. La police peut facilement obtenir ce genre de renseignements en parlant au jeune. C'est très simple. Les agents de police le font très bien de nos jours. Ils ne se contentent pas de penser que «c'est un fugueur de plus». Ils essaient de savoir pourquoi l'enfant est parti.

De la même manière, lorsqu'un enfant de 11 ans commet une infraction sexuelle, il faut bien entendu chercher à comprendre pourquoi. Nous pensons que la police et éventuellement le tribunal doivent commencer à examiner la situation familiale. L'enfant est-il victime de violence sexuelle chez lui?

Dans l'état actuel des choses, les jeunes qui commettent de tels crimes sont placés sous la responsabilité des sociétés d'aide à l'enfance. Loin de moi l'idée de critiquer les sociétés d'aide à l'enfance, mais leur personnel est débordé; leur charge de travail est deux ou trois fois plus lourde qu'elle ne devrait l'être. Ils n'ont jamais assez de ressources. Ne pensez-vous pas qu'il serait bon pour le jeune d'être confronté à un moment donné à l'autorité?

La police a le choix de porter ou non des accusations. Cela met au moins la police en contact direct avec l'enfant et les parents. La police peut réfléchir avec les parents afin de déterminer pourquoi l'enfant se comporte de cette manière. La collectivité peut craindre que le jeune commette des crimes plus graves lorsqu'il sera adulte.

De nos jours, beaucoup d'agents de police savent très bien comment travailler avec les jeunes. Les services de police ont tous des détachements spécialisés dans la jeunesse. Je ne crois pas que ces agents veulent travailler avec les enfants extrêmement jeunes, mais ils sont à même de reconnaître et de signaler les crimes graves dont sont victimes les enfants. Cela amène les jeunes en contact avec la loi.

Pour ce qui est de la publication des noms, nous pensons que la collectivité a le droit d'être protégée des personnes qui commettent des crimes très graves. Je pourrais vous exposer plusieurs cas d'infractions sexuelles récents, dont un d'entre eux en Ontario où un jeune homme qui n'avait pas tout à fait 18 ans a enlevé, violé et assassiné une jeune femme, puis agressé sexuellement son cadavre. Il a été condamné à la peine minimale en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants, a été incarcéré, puis libéré dans une ville de l'Ontario. Personne ne connaît son identité. Certains parents pourraient l'engager comme gardien pour leurs enfants. Nous estimons que les noms des auteurs de crimes graves devraient être publiés.

La police a elle aussi le droit de savoir qui commet des crimes dans la collectivité. Les noms et les dossiers de tous les jeunes contrevenants devraient être versés dans le Centre d'information de la police canadienne, le CIPC. Le système actuel est tel qu'un jeune contrevenant qui a commis un crime à Ottawa et dont la famille déménagerait à Toronto, serait absolument inconnu de la police de cette ville. Toutes les informations concernant une telle personne devraient être versées au CIPC.

À 18 ans, un jeune peut solliciter un pardon. Cela arrive constamment au Canada. Et 90 p. 100 des demandes de pardon sont acceptées.

Telles sont nos préoccupations principales.

M. Steve Sullivan, président-directeur exécutif, Centre canadien de ressources pour les victimes de crime: Merci, madame la présidente et mesdames et messieurs les sénateurs de nous donner la possibilité de nous exprimer sur ce projet de loi important.

Je fais partie du Centre canadien de ressources pour les victimes de crime. Nous sommes un groupe national de défense des victimes et de lobbyisme, à but non lucratif, financé par l'Association canadienne des policiers. Nous tentons de porter assistance aux victimes dans toutes les régions du pays.

Compte tenu des récents événements aux États-Unis, il est difficile de revenir à des préoccupations plus proches de nous. La gravité des attaques dont nos voisins ont été victimes mobilise notre esprit sur les risques qui proviennent de nations étrangères. Cependant, il est important également de réfléchir aux menaces qui s'adressent aux Canadiens et Canadiennes à l'intérieur de leurs frontières et pas seulement aux menaces extérieures. Nous devons nous protéger des personnes qui sont prêtes à utiliser la violence au nom de la religion - ou de leur interprétation erronée de celle-ci - et au nom du terrorisme, ainsi que des personnes susceptibles d'utiliser la violence pour des motifs plus «normaux».

Je pense qu'il est important de faire observer dès le départ que la majorité de nos jeunes n'ont jamais maille à partir avec le système de justice pénale. Quant à ceux qui s'y voient confrontés, la majorité d'entre eux ne sont pas des contrevenants dangereux ou violents. C'est une petite minorité de jeunes contrevenants qui est à l'origine d'une quantité disproportionnée de crimes. Il est important de s'en souvenir lorsqu'on parle des jeunes contrevenants, car on a souvent tendance à mettre l'accent sur les cas les plus sensationnels qui, heureusement, sont très rares au pays.

L'examen du projet de loi par le comité est extrêmement important. La tâche qui vous incombe est considérable. Comme l'ont fait remarquer la plupart des sénateurs qui ont commenté le projet de loi en deuxième lecture, il s'agit là d'un projet de loi très vaste et difficile. Le sénateur Joyal a dit qu'il lui a fallu des heures pour lire le projet de loi. De mon côté, il m'a fallu plusieurs jours et je ne suis pas certain d'en avoir bien saisi tout le sens.

Nous avons évoqué la complexité du projet de loi devant le Comité de la justice de la Chambre des communes. J'ai été étonné de constater le nombre de témoins - des personnes qui ont beaucoup plus d'expérience et de compétences que moi dans ce domaine - qui ont exprimé les mêmes préoccupations. Un avocat de la défense a déclaré au comité que ce type de législation est excellente pour le compte en banque des avocats. Un juge a déclaré au comité que cette loi risque d'aggraver le système. Plusieurs témoins du gouvernement provincial ont souligné que ce projet de loi était tout simplement impossible à appliquer. En Saskatchewan, des témoins venus parler du projet de loi C-7 ont indiqué que certains articles du projet loi sont encore pires depuis que le gouvernement a apporté des amendements au projet de loi C-3.

La complexité de ce projet de loi est un des aspects les plus importants que vous examinerez au cours de vos travaux. Le gouvernement affirme que la Loi sur les jeunes contrevenants ne donnait pas de bons résultats et que le nouveau projet de loi sera meilleur. Cependant, comment peut-on croire à ce nouveau projet de loi alors que les experts, les praticiens et les provinces ne partagent pas l'avis du gouvernement?

Nous sommes dans une position délicate pour nous opposer à ce projet de loi, puisque j'approuve son orientation générale et les objectifs que le gouvernement essaie d'atteindre. Nous voulons éloigner la plupart des jeunes contrevenants du système judiciaire et concentrer nos efforts sur ceux qui commettent les crimes les plus graves et qui sont sans doute les plus perturbés.

Parallèlement, nous devons souligner que la ministre reconnaît dans ce projet de loi les droits des victimes de crimes. Je pense que cela reflète son souci de protéger les victimes qu'elle a exprimé également dans d'autres lois.

Par contre, si ce projet de loi donne naissance à un système qui ne fera qu'augmenter la confusion et la frustration, ainsi que les délais, il n'ira pas dans l'intérêt des victimes ni d'aucun intervenant du système.

Certes, la Loi sur les jeunes contrevenants n'était pas parfaite, mais elle n'était pas aussi mauvaise que certaines personnes l'ont laissé entendre. On pouvait l'améliorer à l'aide de certains amendements positifs que l'on retrouve dans le projet de loi. Le sénateur Andreychuk a fait observer que ce n'était pas un problème de législation, mais un problème de ressources.

Le nouveau projet de loi met l'accent sur les «mesures extrajudiciaires», une expression qui ne désigne rien d'autre que des mesures de rechange. Il n'y a rien de nouveau dans cette philosophie. C'est simplement un nouveau nom qui, d'ailleurs, me paraît apporter de la confusion pour le grand public. Si nous voulons que le public comprenne le système, il faut utiliser un langage simple. Nous connaissons tous les mesures de rechange. La nouvelle appellation ne fera qu'ajouter à la confusion.

Mais le problème de l'application de mesures extrajudiciaires en général ne portait pas tant sur les dispositions de la loi que sur la quantité de ressources qu'on y consacrait. La ministre s'était engagée à accorder plus de crédits aux provinces pour créer un plus grand nombre de programmes. C'est très bien, mais on peut se demander pourquoi une nouvelle loi est nécessaire pour produire un tel résultat. Imaginez tout l'argent qui a été dépensé jusqu'à présent pour les diverses versions de ce projet de loi, les consultations, la convocation de témoins qu'entendra votre comité, la révision de l'ensemble du système judiciaire pour la jeunesse en 1997 et la quantité considérable de séances de formation que devront suivre les personnes qui auront à appliquer le nouveau projet de loi! Je pense qu'il aurait été préférable d'investir tout cet argent dans les programmes communautaires.

Je vais passer en revue quelques aspects que nous soulevons dans notre mémoire avant de me soumettre aux questions des honorables sénateurs.

Nous estimons que la Loi sur les jeunes contrevenants est une loi acceptable et nous réfutons les arguments de la ministre affirmant qu'il était impossible de modifier cette loi. Nous estimons que le présent projet de loi est trop complexe.

Nous avons émis certaines réserves au sujet de l'absence de toute notion de protection du public dans le préambule. J'aimerais préciser quelque chose. Pour protéger la société, il ne suffit pas d'incarcérer certaines personnes. L'incarcération est parfois une solution. En effet, il s'avère parfois nécessaire d'exclure certaines personnes de la société pour leur donner la possibilité de trouver l'aide dont elles ont besoin. Mais il faut également répondre aux besoins des jeunes et leur donner les moyens de modifier leur comportement, car c'est en fin de compte la meilleure protection que nous pourrons avoir. Il est erroné de penser que la protection de la société et la réadaptation sont deux notions contradictoires. La réadaptation est un moyen d'atteindre le but visé, à savoir la protection du public. Il est important qu'un projet de loi affirme dès le départ que le but visé est la protection du public.

Il faut éviter de penser que ces deux notions s'excluent mutuellement. Nous avons recommandé de renforcer et de clarifier les dispositions relatives aux victimes et M. Rosenfeldt a évoqué certaines d'entre elles. J'aimerais ajouter un commentaire à notre troisième recommandation. J'ai oublié de mentionner que les victimes devraient être avisées de la libération d'un contrevenant.

Nous avons abordé la question des enfants de moins de 12 ans et recommandé la mise en place d'un mécanisme spécial qui s'appliquerait aux jeunes de 10 et 11 ans qui commettent des crimes graves, même s'ils ne sont pas très nombreux. Je rappelle au comité que le Comité de la justice, à majorité libérale, avait présenté une recommandation analogue en 1997. Il n'était pas question de jeter en prison des jeunes de 10 et 11 ans, mais de donner aux tribunaux de la jeunesse, lorsque toutes les autres mesures ont échoué, le pouvoir de recourir aux éléments positifs de la Loi sur les jeunes contrevenants: supervision, probation, services communautaires, traitements - éléments qui font parfois défaut dans nos systèmes provinciaux de protection de l'enfance.

Le reste de nos recommandations porte sur la détermination de la peine. Dans notre dernière recommandation, nous demandons que la loi soit révisée cinq ans après son entrée en vigueur. C'est un projet de loi complexe. D'autres lois telles que la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, ont utilisé la mesure de temporisation qui permettra d'apporter des changements positifs au système une fois que nous aurons constaté ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Dans cinq ans, nous en saurons plus sur les dispositions de ce projet de loi qui donnent de bons résultats. J'espère sincèrement que l'avenir nous dira que nous avons eu tort de nous alarmer et que les aspects positifs du projet de loi s'avéreront plus nombreux que les aspects négatifs.

Je vais terminer ici mon exposé et me mettre à la disposition des sénateurs qui voudront me poser des questions.

Le sénateur Nolin: Où est la version française de votre mémoire?

M. Sullivan: Je l'ai fait parvenir la semaine dernière au comité. Je suppose qu'elle est disponible.

Le sénateur Nolin: Monsieur Rosenfeldt, pouvez-vous nous expliquer brièvement quels sont les services que vous offrez aux victimes de jeunes contrevenants?

M. Rosenfeldt: Nous offrons essentiellement un programme de soutien. Beaucoup de victimes ne connaissent rien du système judiciaire dans lequel elles se trouvent projetées. Les membres de notre groupe accordent leur assistance aux victimes et leur fournissent des renseignements. Notre bureau est doté d'un personnel de recherche complet qui peut leur fournir des renseignements sur leur cause. Nous essayons de les accompagner au tribunal. Dans beaucoup de cas, comme ici à Ottawa, nous avons deux personnes qui ne font rien d'autre que d'accompagner les familles des victimes au tribunal. C'est un programme de soutien et d'assistance.

Nous ne sommes pas des conseillers pour personnes en deuil, ni une équipe d'urgence. Nous contactons simplement les gens. Nous avons un numéro gratuit que les gens peuvent utiliser dans toutes les régions du Canada. Chaque jour, nous recevons des appels de personnes qui veulent avoir des renseignements sur le système judiciaire. Nous produisons beaucoup de documentation sur la protection des enfants, que nous distribuons dans les collectivités. Nous disposons d'un atelier d'impression complet qui se consacre uniquement à la production de documents sur la protection de l'enfance.

Le sénateur Nolin: J'aimerais attirer votre attention sur le paragraphe 6(1) qui concerne le pouvoir accordé à la police de donner un avertissement, comme on dit en français - «a warning» en anglais. Croyez-vous qu'un agent de police soit en mesure de savoir ce qui est bon pour un jeune contrevenant?

M. Rosenfeldt: Je pense qu'aujourd'hui les agents de police ont une bien meilleure formation et sont beaucoup plus compétents pour traiter avec les jeunes. Beaucoup de grandes villes offrent des services d'aide à la jeunesse. Je connais des personnes qui ont travaillé dans de tels services. Elles savent très bien comment aborder les jeunes. Je connais certains agents de police qui ont beaucoup apporté à des jeunes.

Il y avait autrefois un programme qui permettait aux jeunes contrevenants de faire un travail communautaire qui consistait à assembler dans notre bureau une grande partie de notre documentation sur la protection de l'enfance. Le soir, nos bureaux accueillaient une quinzaine, voire une vingtaine de jeunes condamnés pour des délits contre les biens, pour vandalisme, pour vol ou autres.

Pendant des années, j'ai écouté ces jeunes me parler de la Loi sur les jeunes contrevenants. J'y fais allusion dans le mémoire.

Le sénateur Nolin: J'aimerais avoir votre avis sur le paragraphe 6(1). Lisons-le ensemble: «L'agent de police détermine s'il est préférable, compte tenu des principes énoncés à l'article 4, plutôt que d'engager des poursuites contre l'adolescent à qui est imputée une infraction ou de prendre d'autres mesures...», et cetera. L'agent de police sera la personne qui décidera au départ à quel moment le processus s'arrêtera.

M. Rosenfeldt: Oui.

Le sénateur Nolin: Ou devrait s'arrêter.

M. Rosenfeldt: Oui.

Le sénateur Nolin: Pensez-vous que cela soit dans l'intérêt de la victime?

M. Rosenfeldt: Oui, dans bien des cas. Je n'y vois aucun problème, car la grande majorité des agents de police qui travaillent de nos jours avec des jeunes, ont autant de contacts avec le contrevenant qu'avec la victime. Nous parlons également un peu plus loin des autres mesures qui sont prévues par la loi. L'agent de police est le premier à rencontrer les deux parties. Dans bien des cas, il peut déterminer si l'affaire devrait être poursuivie ou non. Je suis convaincu que les agents de police peuvent le faire. Ils écoutent le point de vue de la victime et savent si elle veut emprunter la voie du système judiciaire.

La plupart des victimes de crimes moins graves ne souhaitent pas faire appel au système judiciaire. Les agents de police sont ensuite en mesure d'examiner le jeune contrevenant et de déterminer pourquoi il a commis le crime.

Le sénateur Nolin: C'est l'article qui se rapporte expressément aux principes et aux objectifs de la loi.

M. Rosenfeldt: Oui.

Le sénateur Nolin: Quand on lit cela dans l'article 4, cela nous paraît époustouflant, comme on dit, mais j'accepte votre point de vue lorsque vous affirmez que c'est dans l'intérêt de la victime. Merci.

Le sénateur Andreychuk: Monsieur Rosenfeldt, j'ai consacré 12 années de ma vie au système judiciaire, à titre de juge et auparavant comme avocate. Je suis parvenue à la conclusion que l'agent de police n'est pas le seul à jouer un rôle utile dans la vie d'un jeune, mais qu'il y a également l'école, les parents, un travailleur social, et parfois un voisin. Vous semblez avoir abandonné le reste du système et avoir tout misé sur le fait que le juge sera en mesure de consacrer ses ressources et son attention à la personne. Vous vous êtes montré très positif à cet égard, et en particulier au sujet de la police.

Ce qui me paraît difficile dans cette loi, c'est que le jeune sera confronté aux tribunaux puis orienté vers les mesures extrajudiciaires. C'est alors qu'interviendra toute une batterie de possibilités que la société aurait dû mettre en oeuvre avant que le jeune n'entre en conflit avec la loi. En procédant de cette manière, on déclenche la procédure judiciaire que le jeune apprend à connaître - bien que je le soupçonne d'en connaître déjà l'existence - et nous essayons en vain toutes ces autres mesures que nous aurions déjà dû appliquer. Le jeune revient donc devant les tribunaux et nous ne pouvons faire aucun commentaire sur tout ce processus.

Est-ce que ce n'est pas apprendre au jeune à manipuler? À ne pas respecter les tribunaux? N'aurait-il pas été préférable de laisser les mesures extrajudiciaires à l'extérieur des tribunaux?

M. Rosenfeldt: Je respecte beaucoup les tribunaux. Lorsqu'un jeune contrevenant sérieusement perturbé commet une infraction grave et qu'il est remis au tribunal, celui-ci peut prendre des décisions qui s'avéreront positives pour le jeune.

Tout d'abord, c'est la police qui décidera de faire comparaître l'adolescent devant un tribunal. Je suis convaincu que la police peut prendre la bonne décision dans une telle situation et éventuellement porter l'affaire devant les tribunaux. Je ne désavoue pas les enseignants, les travailleurs sociaux et le personnel des Sociétés d'aide à l'enfance, mais tous ces gens-là sont débordés de nos jours et je ne pense pas que les jeunes reçoivent l'attention dont ils ont besoin. Parfois, il faut imposer cette attention aux jeunes.

Le sénateur Andreychuk: Vous pourriez peut-être nous préciser de quels tribunaux vous parlez. Dites-moi si j'ai raison ou pas. Les tribunaux pour la jeunesse connaissent actuellement les mêmes problèmes que les travailleurs sociaux - ils ont très peu de ressources. Tout cela paraît très bien sur le papier, mais un tribunal moyen - juges, agents de probation, travailleurs en service social individualisé - dispose de très peu de solutions de rechange parce que les ressources n'existent que sur papier, pas dans la réalité. Là où les ressources existent, il y a une liste d'attente de six mois. Par conséquent, la ressource ultime du juge, c'est l'incarcération. Souvent, c'est sa seule ressource.

Est-ce de cette manière que nous allons résoudre le problème des services sociaux dans nos collectivités?

M. Rosenfeldt: Tout dépend des infractions concernées.

Le sénateur Andreychuk: Je ne parle pas des infractions violentes, mais plutôt des infractions ordinaires.

M. Rosenfeldt: À mon avis, l'auteur d'une infraction non violente ne devrait jamais se retrouver devant un tribunal. Ce type d'infraction est l'affaire des agents de police. Il y a des programmes de réconciliation des victimes et des contrevenants. Je suggère que ces infractions soient soumises au tribunal. Pour ce qui est des infractions violentes - par exemple une agression sexuelle par un jeune de 11 ans - je me pose des questions sur l'avenir que se préparent certains jeunes et pourquoi ils en sont arrivés là.

Je reviens au cas de ce jeune de 11 ans qui a commis des infractions sexuelles. Une infraction sexuelle est un crime très grave. De manière générale, un jeune de 11 ans ne pense pas à commettre une infraction sexuelle, à moins d'y être incité par certaines circonstances de sa vie. Peut-être le jeune est-il agressé sexuellement chez lui ou à l'école ou ailleurs? La police cherche à y voir plus clair. L'agent de police peut communiquer avec le contrevenant, alors qu'au tribunal, c'est tout à fait différent.

J'ai plus confiance qu'une intervention soit possible auprès des jeunes lorsque la police et les tribunaux s'en mêlent. Qu'en pensez-vous? Je comprends votre point de vue lorsque vous dites que de nos jours, toutes les ressources sont utilisées au maximum. Mais je ne crois pas que l'on devrait tout simplement orienter vers les services sociaux les jeunes délinquants qui commettent des crimes graves avant l'âge de 12 ans.

Le sénateur Andreychuk: Il est intéressant de s'interroger sur la première manifestation de cette violence. C'est rarement au moment du crime; généralement, la violence est antérieure. C'est un aspect auquel nous devons réfléchir.

Vous réclamez que le nom du jeune soit divulgué dans la collectivité. Je suis un peu ambivalente à ce sujet et vous pouvez peut-être m'éclairer. Les gens qui cherchent à protéger les victimes dans la collectivité ont besoin de connaître les noms des contrevenants. En revanche, quand on veut travailler avec un jeune et l'amener à changer d'attitude, on veut éviter de le stigmatiser. Cela peut donner des bons résultats, selon la collectivité dans laquelle il vit. Dans une grande ville, cela ne pose peut-être pas autant problème.

Mais dans une petite ville, dès que le nom est connu, le contrevenant reste marqué pendant longtemps. J'essaie de peser le pour et le contre. J'aimerais connaître votre avis à partir de votre expérience.

Dans le cas de la plupart des jeunes auxquels j'ai eu affaire au tribunal, tout le monde était au courant de leur comparution; tout le monde connaissait les conséquences. Le jeune n'était pas stigmatisé dans son école ou sa collectivité, puisque tout le monde était au courant. C'est seulement dans les collectivités plus grandes que la police avait besoin du nom du contrevenant.

J'ai pensé peut-être que la publication de son nom ne poserait pas vraiment problème. Pour quelle raison souhaitez-vous que le nom du contrevenant soit publié?

M. Rosenfeldt: Pour la protection de la collectivité.

Le sénateur Andreychuk: Parlez-vous d'une grande ou d'une petite collectivité? Pensez-vous que la collectivité ne connaît pas l'identité du jeune contrevenant? Dans les petites collectivités, tout le monde est au courant.

M. Rosenfeldt: Oui, je sais que tout le monde finit par savoir.

Il y a quelques années, Kemptville a été le théâtre d'un meurtre horrible. La fille de la famille Desroches a été sauvagement assassinée. Tout de suite après le meurtre, je me suis rendu dans la famille. Tous les gens à qui j'avais parlé à Kemptville savaient qui était l'auteur du crime. Je savais moi-même qui il était. Tout le monde en parlait. Le lendemain, il était à l'école et c'est là qu'il a été accusé. Dans une petite ville, tout le monde est au courant. Il est impossible de protéger l'identité d'un contrevenant dans une petite ville.

Dans une plus grande ville, comme à Ottawa, je pense qu'il faut considérer le droit de la collectivité de savoir que quelqu'un qui a commis un crime vit à cet endroit.

Ici même à Ottawa, il y a quelques années, les médias avaient publié le nom d'un délinquant sexuel qui s'était installé dans une maison de transition de la ville. Un groupe communautaire s'est constitué pour assurer la surveillance de la maison de transition 24 heures sur 24. La police s'en est mêlée et nous sommes parvenus à obtenir du délinquant sexuel qu'il signe un engagement à ne pas troubler l'ordre public.

Mais l'important, c'est que cette situation a provoqué la création de deux groupes communautaires par souci d'assurer la protection de la collectivité. Les gens avaient peur et étaient préoccupés. À l'occasion d'une réunion publique, nous avons parlé aux membres des deux groupes afin de dissiper leurs craintes. Le délinquant en question s'était installé dans cette maison de transition à Ottawa tout simplement parce qu'il devait suivre un traitement à l'Hôpital Royal d'Ottawa.

Le sénateur Joyal: Quel âge avait-il?

M. Rosenfeldt: C'était une personne âgée - un délinquant adulte.

Quand on donne aux gens la possibilité de mieux comprendre le système judiciaire, on s'aperçoit tout à coup que l'on n'a pas affaire à des gens craintifs et remplis de haine qui s'inquiètent de la présence d'un délinquant sexuel dans leur voisinage. Après avoir parlé à des membres de ces deux groupes communautaires, les gens en sont arrivés à la conclusion suivante: «Si c'est bon pour lui et que cela permettra d'empêcher d'autres crimes de se produire dans la collectivité à l'avenir, alors, nous pouvons l'accepter.» Ils étaient contents de savoir qui il était.

Depuis quelques années, il s'est passé des choses bizarres lorsque des pédophiles ont déménagé à certains endroits. Les gens ont affiché leurs photos au coin de la rue. Un magazine intitulé Pedophile Alert a été distribué dans toute la ville de Vancouver avec des publicités à pleine page pour Canada Safeway.

Quant à nous, nous affirmons d'entrée de jeu que la collectivité a le droit de savoir. En particulier dans le cas des délinquants sexuels, la collectivité veut savoir qui ils sont et s'ils vivent dans le voisinage. Une fois que les gens comprennent mieux la situation, qu'ils constatent que le délinquant réclame un traitement et qu'il a été libéré d'un pénitencier, la plupart des gens cessent d'être remplis de haine et de réclamer vengeance. Ils seraient sans doute même prêts à lui offrir un emploi ou autre chose. Cependant, ils gardent une option. Ils ne vont pas l'engager pour travailler à la piscine ou pour garder leurs jeunes enfants. Mais je pense que la collectivité a le droit de savoir.

Je ne dis pas que tous les gens pardonnent - en particulier aux délinquants sexuels. Toutefois, je pense que nous avons une mauvaise impression de certaines activités. Je suis intervenu dans beaucoup de collectivités où la tension était très élevée en raison de la présence d'un délinquant sexuel dans le voisinage. Cependant, si on leur fournit les informations nécessaires pour comprendre la situation, la plupart des Canadiens et Canadiennes sont prêts à accepter ces délinquants au sein de leur collectivité et à leur donner toutes sortes de possibilités.

Le sénateur Grafstein: Monsieur Rosenfeldt, je vais vous poser certaines questions auxquelles vous aurez peut-être de la difficulté à répondre. J'espère que vous comprendrez que le travail que vous faites, surtout au sujet des enfants disparus, me paraît extrêmement important. Il suffit d'avoir rencontré une famille dont l'enfant a disparu pour prendre la mesure de la tragédie qu'elle vit.

Ce que je vous propose, c'est en quelque sorte un échange d'idées philosophiques.

J'ai de la difficulté à accepter le principe que vous avez énoncé et qui consiste à tenir pour responsable de ses actes un enfant de 10 ou 12 ans, quelle que soit la violence des actes en question. On interdit à un enfant de conduire une voiture, de se marier, de voter, d'acheter un fusil, ou de commander une boisson. Nous ne lui accordons pas de responsabilités civiles, et pourtant, vous proposez de tenir cet enfant violent et aberrant responsable de ses actes. Où cesse la responsabilité des parents et où commence celle de l'enfant? À 10 ans? Ou à 11, 12, 13 ou 14 ans?

M. Rosenfeldt: C'est une bonne question. Je pense que les parents sont responsables de leurs enfants. Je pense qu'ils demeurent responsables de leurs enfants tant que ceux-ci habitent sous leur toit et jusqu'à ce qu'ils deviennent adultes. En fait, c'est une affaire de famille et c'est la famille qui est responsable.

Le sénateur Grafstein: Ne serait-il donc pas préférable de remplacer la Loi sur les jeunes contrevenants par une loi sur les parents des jeunes contrevenants?

M. Rosenfeldt: C'est une idée intéressante. Le problème aujourd'hui, c'est que les gens pensent qu'un jeune de 10 et 11 ans, par exemple, ne connaît pas ses droits et ne comprend pas la loi et ne sait pas qu'il agit mal, et cetera. Or, ces enfants - les travailleurs sociaux me le répètent constamment - comprennent parfaitement leurs droits. Ils connaissent la loi. Ils savent jusqu'où ils peuvent enfreindre la loi. Mais, bien entendu, les parents continuent d'être responsables d'un jeune de 10 ans et doivent eux aussi être impliqués.

Le sénateur Grafstein: Êtes-vous en train de me dire que si un enfant sait faire la différence entre le bien et le mal, il faut le rendre responsable pratiquement comme un adulte, dans un système judiciaire semblable à celui qui s'applique aux adultes?

M. Rosenfeldt: Je dis que je souhaite que des enfants de 11 ou 10 ans soient traduits devant les tribunaux. J'aimerais que les parents le soient également. J'aimerais savoir d'où vient le problème. Il n'est pas question d'incarcérer des jeunes. Ça c'est une autre chose, mais il faut les tenir responsables. En cas de vandalisme, je pense que c'est les parents qui doivent payer. Je pense que les parents doivent assumer une partie de cette responsabilité.

Le sénateur Grafstein: Je vous suis, mais j'aimerais cerner les principes qui poussent un gouvernement à se lancer dans ce domaine tout à fait inconnu qui l'amènerait à tenir un jeune de 10 ans responsable de ses actes en vertu d'un système quasi pénal. Avant même d'entrer dans les détails, on peut dire que c'est une question philosophique et j'ai bien du mal à comprendre ce point de vue.

M. Rosenfeldt: Il y a quelques années nous avons tous suivi à la télévision l'histoire de ce jeune de 11 ans de l'État de New York qui a été condamné à la prison à perpétuité après avoir commis un meurtre très grave.

Le sénateur Grafstein: Nous ne sommes pas à New York.

M. Rosenfeldt: Je le sais.

Le sénateur Grafstein: Nous ne sommes pas au Texas.

M. Rosenfeldt: Bien entendu.

Le sénateur Grafstein: Nous ne sommes pas en Pennsylvanie.

M. Rosenfeldt: Je ne prétends pas que nous devrions incarcérer des jeunes de 11 ans à perpétuité. Nous disons clairement dans notre mémoire que nous ne voulons pas envoyer des jeunes en prison. Cependant, si ces jeunes et leurs parents sont traduits devant les tribunaux, il y a au moins une possibilité de faire quelque chose pour éviter qu'ils deviennent encore plus violents. Voilà notre point de vue.

Le sénateur Grafstein: Je pose une autre question avant de céder la place. Croyez-vous que tous les Canadiens et Canadiennes sont égaux devant la loi?

M. Rosenfeldt: Oui, je le crois.

Le sénateur Grafstein: Vous pensez que tous devraient être traités également devant la loi.

M. Rosenfeldt: Oui.

Le sénateur Grafstein: Tous les Canadiens?

M. Rosenfeldt: Oui.

Le sénateur Grafstein: Que pensez-vous de cette disposition de l'article 61? Regardez l'article 61. Je vais vous le lire. Il donne au lieutenant-gouverneur en conseil - c'est-à-dire au Cabinet de chaque province - le choix de décider ou non si un jeune doit être traité d'une manière différente dans une province par rapport à une autre. Selon cette formule, le système judiciaire n'est pas homogène puisqu'une province peut décider d'y adhérer et qu'une autre, le Québec, par exemple, peut décider que le système existant ne lui convient pas.

Comment pouvez-vous affirmer que tous les citoyens sont égaux devant la loi si le Cabinet d'une province peut imposer une norme pénale différente de celle d'une autre province? Ne pensez-vous pas que cette possibilité est anticanadienne?

M. Rosenfeldt: Je suis d'accord avec vous.

La présidente: Voilà, sénateur Grafstein, une question que vous poserez sans doute à l'Association du Barreau canadien et au Barreau du Québec, demain.

Le sénateur Grafstein: Non, madame la présidente, je ne poserai pas cette question aux représentants du Barreau. Je veux la poser aux témoins afin de savoir s'ils sont prêts à appuyer un système disparate qui s'appliquerait aux jeunes délinquants, s'ils croient, comme M. Rosenfeldt et moi-même que tous les citoyens devraient être traités également devant la loi, dans n'importe quelle région du pays. Je veux connaître le point de vue des témoins. Nous nous arrangerons avec les constitutionnalistes, comme nous l'avons déjà fait auparavant. Je veux entendre le point de vue de la population. Je suis ravi de la réponse que j'ai entendue car elle correspond à mon propre point de vue.

Le sénateur Beaudoin: J'aimerais revenir à cette question d'une justice pour les jeunes et d'une justice pour les autres, ainsi qu'à l'article 15 de la Charte des droits et libertés. Nous sommes tous égaux devant la loi. Cependant, cela ne nous empêche pas d'avoir un système différent pour les jeunes délinquants. Les principes qui sous-tendent ce système sont très différents. Permettez-moi de citer le troisième paragraphe, à la page 4 de votre mémoire:

La ministre a raison de déclarer que la LJC comporte des lacunes et elle a d'ailleurs souligné certaines de ces lacunes. Cependant, elle n'a pas expliqué pourquoi on ne pourrait pas tout simplement apporter des changements à la LJC afin de corriger ces problèmes et permettre une plus grande participation des victimes, la réintégration des jeunes, leur renvoi à des tribunaux pour adultes, et cetera.

C'est un secteur juridique délicat, puisque nous avons le pouvoir de légiférer en matière pénale. Les tribunaux ont interprété librement cette notion; nous sommes en terrain très sûr. Cependant, la protection de la jeunesse ne relève pas entièrement du gouvernement fédéral. Les volets éducatifs et sociaux relèvent de la loi provinciale. Bien entendu, la Constitution est la même dans toutes les provinces et toutes les provinces sont égales dans ce domaine précis.

Je pense que c'est la seule façon de régler le problème des jeunes contrevenants. Nous avons un système qui est différent pour une personne de 12 ans et pour une personne de 21 ou 22 ans. Nous devons l'accepter. Nous devons accepter que le système soit le même dans toutes les provinces; je partage ce point de vue également. Je ne pense pas que cela soit contraire au principe de l'égalité devant la loi. Je pense que la philosophie sous-jacente doit être différente.

La critique que l'on entend le plus souvent au sujet du projet de loi C-7 est que les deux systèmes ne sont pas parfaits et que le système qui s'applique à la jeunesse est assez semblable à celui qui s'applique aux adultes.

Quel est votre point de vue à sujet, vous qui travaillez sur le terrain? Est-ce que vous pensez que le système que propose le projet de loi est un bon système? Est-ce qu'il donnera de bons résultats? Est-ce qu'il parviendra à résoudre le problème de la violence chez les jeunes?

Je ne vous pose pas une question juridique; je veux tout simplement connaître votre point de vue en tant qu'homme de terrain.

M. Rosenfeldt: Au fil des années, nous avons rencontré de nombreuses victimes de jeunes délinquants. Je ne suis pas un spécialiste des jeunes auteurs d'actes violents, car nous ne travaillons pas avec eux. Cependant, je peux vous citer une multitude de cas où des jeunes ont abusé au maximum de la loi, sachant très bien qu'ils ne seraient pas tenus responsables de leurs actes, et en profitaient pour commettre des crimes.

J'ai connu le père de deux garçons à Calgary, en Alberta. Il disait que la Loi sur les jeunes contrevenants lui avait volé ses deux fils. Un d'entre eux était obèse et il fut poignardé à mort dans la cour d'école, simplement parce qu'il était gros. C'est le motif qui fut invoqué. Il n'y avait aucun système pour s'opposer aux brutalités dont il faisait quotidiennement l'objet. Il avait peur d'aller à l'école tellement il craignait pour sa vie. Il a fini par être tué dans la cour d'école, par des brutes qui n'ont pas eu à rendre compte de leurs actes.

À la suite de ce meurtre, son frère a commencé lui aussi à commettre des actes violents. Il savait qu'il pouvait faire n'importe quoi et il a fini par commettre un meurtre. C'est pourquoi le père disait que la Loi sur les jeunes contrevenants lui avait volé ses deux fils.

En conséquence, je ne suis pas certain que les mesures que nous avons prises depuis quelques années ont été les plus judicieuses en ce qui a trait aux jeunes contrevenants du pays.

Mon neveu est un travailleur social auprès des jeunes contrevenants. Il a fait un voyage en canot avec de jeunes contrevenants dans le nord de la Saskatchewan. Cela faisait partie du programme de réadaptation. C'est merveilleux, mais je connais beaucoup d'autres jeunes qui ne font jamais de voyage en canot. Seuls ceux qui commettent des infractions font des voyages en canot organisés par les services sociaux de la Saskatchewan.

Le soir, au camp, deux jeunes contrevenants en probation ont commencé à harceler les autres. Ensuite, ils se sont mis à menacer physiquement une des travailleuses sociales. Mon neveu a levé la main pour les arrêter et un des jeunes s'est heurté à la paume de sa main. Quelques heures plus tard, le jeune contrevenant de 14 ans accusait le travailleur social de voies de fait.

Croyez-moi, les jeunes contrevenants connaissent leurs droits et savent comment s'en tirer à bon compte. Le tribunal a tout simplement rejeté les accusations contre mon neveu, mais cet incident montre qu'il est très difficile pour les travailleurs sociaux de travailler avec beaucoup de ces jeunes contrevenants. Les jeunes contrevenants sauront parfaitement ce que contient la loi. Ils sauront manipuler le système.

Le sénateur Beaudoin: Croyez-vous toujours que la justice n'est pas nécessairement la même pour les jeunes que pour les adultes?

M. Rosenfeldt: Tout à fait. Je pense qu'il faut avoir deux systèmes différents.

Le sénateur Beaudoin: Il est donc tout à fait justifié d'avoir deux systèmes?

M. Rosenfeldt: Tout à fait.

Le sénateur Beaudoin: Dans ce sens?

M. Rosenfeldt: Dans ce sens. Je suis d'accord.

Le sénateur Beaudoin: Évidemment, il y a une énorme différence entre un jeune de 12 ans et un autre de 20 ans.

M. Rosenfeldt: Bien sûr.

Le sénateur Beaudoin: Pensez-vous que la loi qui existe maintenant est meilleure que le nouveau projet de loi?

M. Rosenfeldt: C'est le point de vue de M. Sullivan et j'ai tendance à me ranger à son point de vue.

Le sénateur Beaudoin: Vous êtes d'accord?

M. Rosenfeldt: Oui.

Le sénateur Beaudoin: Mais il faudra quand même modifier le projet de loi. Il faudra modifier le précédent.

M. Rosenfeldt: Le présent projet de loi compte 182 pages - trois fois plus que la Loi sur les jeunes contrevenants. Je ne suis pas certain que l'on ait besoin de 182 pages pour faire face aux jeunes contrevenants qui enfreignent la loi au Canada.

Le sénateur Beaudoin: Vous avez peut-être raison.

Nous avons un débat de droit constitutionnel. Certaines constitutions ne comptent que 15 pages et d'autres en ont 100 ou 200.

Le sénateur Joyal: J'ai deux questions et j'aimerais que chacun d'entre vous y réponde. J'aimerais revenir à votre mémoire, vers le bas de la page 5, à la fin de l'avant-dernier paragraphe, lorsque vous déclarez: «En fait, de nombreux témoins se sont dit gravement inquiets de constater que la LSJPA se rapproche davantage du système pour adultes que la LJC.»

Si tel est votre point de vue, pouvez-vous me préciser à quel aspect du projet de loi vous faites allusion?

M. Rosenfeldt: C'est le mémoire de M. Sullivan.

Le sénateur Joyal: Ma deuxième question porte sur votre dernière recommandation. Je vais la lire. Elle occupe trois lignes à la page 10. Recommandation 16: «Modifier le projet de loi C-7 de façon à inclure une disposition exigeant que le Parlement revoie la loi après cinq ans d'application.»

J'ai certaines inquiétudes quant à la mise en oeuvre d'une telle recommandation. Pouvez-vous m'expliquer pourquoi vous estimez qu'il faudrait surveiller l'application et pourquoi le Parlement devrait avoir la possibilité d'examiner les résultats atteints par le projet de loi cinq années après son adoption? Pourquoi cinq ans?

M. Sullivan: Je vous remercie de votre question. Je vais d'abord répondre à la dernière partie.

Nous connaissons d'autres lois comme la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition qui propose essentiellement l'instauration d'un tout nouveau système. C'est ce que fera le projet de loi dans le cas des jeunes contrevenants. Il est important de prendre le temps de réfléchir afin de vérifier si nous avons pris les bonnes ou les mauvaises décisions. Beaucoup d'intervenants du système actuel pensent que ce n'est pas un bon changement. Nous avons opté pour cinq ans, parce que c'est la période qui avait été retenue dans l'autre loi. Il semble que ce soit un délai standard. Les dispositions concernant la santé mentale prévues dans le Code criminel devaient être revues dans un délai de cinq ans, comme c'était le cas dans la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Au cours de cette période, on peut définir ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Si l'on décèle des problèmes, on peut alors y remédier.

J'espère que les inquiétudes que j'ai au sujet de ce projet de loi ne sont pas justifiées et que la Loi sur les jeunes contrevenants donne de bons résultats. J'espère également que tous les autres ont tort de s'en faire. Toutefois, que le comité accepte notre recommandation ou opte pour une autre période, je pense qu'il est bon que le Parlement prenne du recul afin de savoir ce qui a été bien fait, ce qui a été mal fait et ce qu'il serait possible d'améliorer.

Pour répondre à la première partie de votre question concernant le système qui s'applique aux adultes, nous reconnaissons qu'il faudrait traiter les jeunes contrevenants d'une manière autre que les adultes. Je ne suis pas certain que ce soit le cas avec le projet de loi. J'aimerais souligner d'entrée de jeu que je ne souhaite pas retirer aux jeunes les droits ou la protection légale dont ils bénéficient.

Cependant, nous apprenons aux jeunes, à la maison, dans les écoles et dans la vie quotidienne, qu'ils doivent dire la vérité lorsqu'ils commettent une erreur, et en accepter la responsabilité. Pourtant, devant les tribunaux, nous faisons le contraire. Nous encourageons les gens à ne pas dire la vérité. Nous leur conseillons de ne rien dire à la police avant d'avoir parlé à leur avocat. Souvent l'avocat conseille à son jeune client de ne rien révéler à ses parents parce qu'ils voudront qu'il plaide coupable et que cela va à l'encontre de la stratégie de l'avocat qui veut faire acquitter son client. Au lieu de faire ce qu'il y a de mieux pour le jeune afin de l'aider véritablement, l'avocat se donne pour objectif d'obtenir la peine la plus faible possible.

Voilà ce que le système pénal enseigne aux adultes. C'est un tout autre domaine et je ne pense pas que ce soit une bonne leçon. Toutefois, si nous voulons traiter les jeunes différemment, alors faisons-le complètement. Ne nous contentons pas de leur imposer des peines différentes et de leur garantir des critères différents pour la protection de leur identité. Apprenons-leur aussi qu'il est bon de dire la vérité et d'accepter la responsabilité de ses actes.

Nous devrions interpréter la loi de manière plus libérale que nous le faisons normalement. Les jeunes qui font des déclarations à la police bénéficient de protections supplémentaires. Les textes de loi ont été modifiés de manière à rendre acceptable une déclaration, même en cas d'erreur technique. Je crois que c'est une mesure positive. Il me paraît justifié que la déclaration soit maintenue, même en cas d'erreur technique faite par la police - car la procédure qui concerne les jeunes contrevenants est très compliquée.

Une disposition du paragraphe 10(4) prévoit que lorsqu'un jeune admet sa culpabilité et accepte de bénéficier de mesures extrajudiciaires - l'accusé doit admettre sa culpabilité pour accéder à un tel programme - et ne respecte pas par la suite les conditions de service communautaire, le fait que cette personne a admis sa culpabilité n'est pas considéré comme pertinent. La police ne peut plus présenter cette information devant un tribunal.

Je crois que nous nous rapprochons du système qui s'applique aux adultes. C'est ce qui s'était déjà produit lorsque nous sommes passés de la Loi sur les jeunes délinquants à la Loi sur les jeunes contrevenants. Avec ce projet de loi, nous nous en rapprochons encore plus.

Le sénateur Joyal: Le solliciteur général a publié l'été dernier les résultats des consultations nationales. Votre mémoire reflète-t-il le ton général ou le contenu des recommandations présentées dans le cadre des consultations nationales auprès des victimes de crimes?

M. Sullivan: Je pense que oui. Il y avait dans ce document certains principes énoncés par les victimes, notamment la nécessité qu'elles soient tenues au courant et qu'elles aient leur mot à dire. Elles veulent seulement savoir ce qui se passe. Je pense que nous avons appliqué ces principes à la Loi sur les jeunes contrevenants. Les victimes veulent avoir leur mot à dire à différentes étapes du processus. Elles doivent avoir le droit d'être informées des mesures prises à l'égard des jeunes en cause, ainsi que des résultats de ces mesures. Ces principes sont appliqués également dans le mémoire de M. Rosenfeldt.

Que vous soyez victime d'un jeune contrevenant, d'un adulte ou d'un libéré conditionnel, vos besoins sont les mêmes: l'information et la possibilité de se faire entendre, avant tout.

Le sénateur Joyal: Vous ne faites pas de distinction, en ce qui concerne les besoins des victimes, quand c'est un jeune contrevenant qui est en cause et quand c'est un adulte?

M. Sullivan: À mon avis, les besoins sont les mêmes. Il y a plus de possibilités dans le cas des jeunes contrevenants. Par exemple, les programmes de réconciliation entre victimes et délinquants peuvent être beaucoup plus utiles pour les jeunes que pour les adultes. Mais les besoins et les préoccupations des victimes sont à peu près les mêmes, il me semble, que l'auteur du crime soit un jeune ou un adulte.

Le sénateur Fraser: Monsieur Sullivan, j'ai trouvé très intéressant que vous demandiez que la «protection du public» soit mentionnée dans le préambule. Je ne comprends pas très bien. Je constate que, dans la déclaration de principes, la «protection du public» est le premier principe énoncé, à l'article 3.

J'ai toujours pensé qu'une disposition comme celle-là, qui fait partie intégrante du texte de loi, avait plus de poids qu'une belle déclaration ronflante dans un préambule. Pourquoi n'êtes-vous pas satisfait de la disposition actuelle?

M. Sullivan: Pour deux raisons. Nous pourrions dire la même chose de tout ce qui se trouve dans le préambule. Si le préambule ne veut rien dire, il ne sert à rien d'en avoir un. Il me semble que le préambule fournit une orientation générale, qui précise la raison d'être de la loi et les objectifs recherchés. Vous avez raison de dire que la déclaration de principes a plus de poids, du point de vue de l'interprétation, parce qu'elle se trouve dans la loi elle-même. Je dirais que, si nous devons avoir un préambule, c'est le premier principe à y énoncer, à savoir que la loi a notamment pour objectif d'offrir une certaine protection au public.

En outre, dans la version anglaise, la déclaration fait état d'une protection à long terme - «long-term protection» - du public. Je pense que nous devrions aussi nous concentrer sur sa protection à court terme. Ce qui oblige parfois à isoler de la société les gens qui ont commis des crimes très graves, pour qu'ils puissent recevoir l'aide qui nous assurera une protection à long terme.

Vous avez raison de souligner que la protection du public est mentionnée dans la déclaration. Mais l'accent est mis surtout sur le long terme. À mon avis, il faudrait parler tout simplement de la «protection du public».

Le sénateur Fraser: Je voudrais faire un bref commentaire. Je ne pense pas qu'il soit question de la protection dont nous pourrions bénéficier un jour, dans un avenir éloigné. Dans la version française, on parle d'une «protection durable», d'une protection qui durerait longtemps, plutôt que de quelque chose que nous aimerions avoir un de ces jours.

Ma deuxième question porte sur la publication des noms. Je comprends très bien pourquoi les victimes veulent savoir que la justice suit son cours. Je ne suis cependant même pas certaine que les victimes devraient nécessairement connaître le nom du jeune contrevenant en cause. Mais laissons cela pour le moment et supposons que la victime sache de qui il s'agit. Le projet de loi donne aux victimes le droit de consulter le dossier des jeunes contrevenants, pendant assez longtemps dans certains cas.

J'en reviens à ce qu'a dit le sénateur Andreychuk. En quoi la diffusion des noms peut-elle mieux protéger l'intérêt public?

Je pense par exemple à Steven Truscott, qui - si ma mémoire est bonne - a dû changer d'identité parce que son nom avait été diffusé partout, alors qu'il s'est avéré que le pauvre garçon n'était probablement pas coupable. Mais, comme il s'agissait d'un crime très spectaculaire, ce nom est gravé dans la conscience des Canadiens même si l'adulte qui le portait à sa naissance mène maintenant une vie irréprochable quelque part. Est-ce que cela a aidé à protéger l'intérêt public?

M. Sullivan: Je vais vous répondre brièvement, parce que M. Rosenfeldt a parlé plus longuement de cette question dans son mémoire. Le projet de loi vise les jeunes contrevenants qui ont commis des crimes extrêmement graves et qui sont renvoyés devant un tribunal pour adultes.

Le sénateur Fraser: Pour l'établissement de leur peine.

M. Sullivan: Oui, vous avez raison. Il n'y a plus de renvois. Il y a aussi une question de responsabilité. «J'ai fait quelque chose, et je n'ai que 16 ans en effet, mais j'ai commis un crime très grave et j'en suis responsable devant la communauté. C'est l'État qui me punit.»

Franchement, il suffit de se présenter au tribunal pour savoir comment s'appelle l'accusé. Si tous les membres de la communauté voulaient suivre le procès, ils pourraient le faire. Mais je pense qu'il y a une question de responsabilité. Le gouvernement se concentre seulement sur ceux qui ont commis les crimes les plus graves - et qui sont rares, heureusement. La majorité des mesures visant à protéger les jeunes vont donc rester. Je pense que M. Rosenfeldt recommandait de les étendre.

Le sénateur Fraser: Messieurs, je suis désolée. J'aurais dû vous poser cette deuxième question à vous, monsieur Rosenfeldt.

M. Rosenfeldt: Je parle de protection de la société dans le cas des crimes à caractère sexuel et de certains crimes très graves. Je pense que les gens, dans la communauté, ont le droit de savoir et que les noms de ceux qui commettent des crimes graves devraient être rendus publics.

Le sénateur Fraser: Même si cela pourrait nuire à leur réadaptation'

M. Rosenfeldt: Je ne pense pas que cela nuirait à leur réadaptation. Premièrement, cela créerait une certaine responsabilité; le jeune devrait assumer la responsabilité de ce qu'il a fait parce que les gens le sauraient. Ce que je trouve horrible, c'est que les jeunes peuvent commettre de nos jours certains des crimes les plus haineux qu'on puisse imaginer sans que leur nom soit divulgué. Prenons le cas du jeune Sylvain Leduc, qui a été assassiné ici même à Ottawa. Il y avait trois jeunes contrevenants en cause dans cette affaire. Ils l'ont torturé et tué. Ils lui ont introduit un fer à friser dans l'anus; ce sont des crimes horribles, inimaginables. Ces jeunes sont allés faire un tour en prison et sont maintenant de retour dans la communauté. Vous pourriez les embaucher pour faire garder un de vos petits-enfants. Je trouve cela inquiétant.

Le sénateur Fraser: Je pense que je comprends votre position.

Le sénateur Pearson: J'ai deux questions. La première ne se rapporte pas vraiment au projet de loi C-7; je vais la poser à M. Rosenfeldt, du Centre pour les enfants portés disparus. Comment travaillez-vous avec la GRC, dans ce centre?

M. Rosenfeldt: En très étroite collaboration. La GRC tient un registre des enfants disparus. Nous nous occupons surtout des enlèvements par des étrangers. Il y a un jeune enfant qui a été porté disparu en Alberta il y a quelques mois et qui a par la suite été retrouvé mort. Ce qui s'est passé dans cette affaire, c'est que nous avons obtenu l'information du service de police de Lethbridge. Nous avons trois imprimeurs qui impriment des affiches et de l'information sur les enfants portés disparus. Nous travaillons avec les gens de la Gendarmerie royale du Canada, et ils travaillent avec nous.

Dans le cadre de notre programme des enfants portés disparus, nous distribuons toutes les photos par l'entremise de Douanes Canada. Quand la disparition de cet enfant a été signalée, nous avons envoyé des photos à la GRC, qui les a fait parvenir à tous les bureaux de Douanes Canada. Donc, nous nous occupons de l'impression des affiches et nous travaillons avec la GRC, en effet.

Le sénateur Pearson: Et vous travaillez de la même façon avec Enfants-Retour?

M. Rosenfeldt: Enfants-Retour est une organisation complètement différente. Il y a seulement quelques programmes concernant les enfants portés disparus qui sont approuvés par la GRC au Canada. Vous les trouverez sur notre site Web. Enfants-Retour en est un, tout comme nous.

Le sénateur Pearson: C'est intéressant.

Ma question s'adresse surtout à M. Sullivan. Elle porte sur la comparaison entre la loi actuelle et ce projet de loi. Comment expliquez-vous que le Canada incarcère plus de jeunes que tous les autres pays du monde occidental? Que feriez-vous à ce sujet-là?

M. Sullivan: La ministre a mentionné cela à quelques reprises. C'est une des raisons pour lesquelles elle a déposé le projet de loi. Je partage sa préoccupation.

Là où je ne suis pas d'accord, cependant, c'est que je pense que ce projet de loi n'y changera pas grand-chose. Si nous incarcérons autant de jeunes, c'est notamment parce qu'il n'y a pas d'autres options. Le sénateur Andreychuk en a parlé. Il n'y a pas d'autre endroit où les envoyer. S'il n'y a pas de programmes communautaires et que la détention est la seule option à la disposition du juge, et si le jeune s'est déjà présenté devant le juge un certain nombre de fois, la détention est la seule option possible.

La solution, c'est d'avoir plus de programmes communautaires. Le fait que le projet de loi compte dix pages à ce sujet-là, plutôt que trois paragraphes dans la loi actuelle, ne changera pas grand-chose à mon avis. Ce qui va faire une différence, ce sont les ressources. Le Québec a un des systèmes judiciaires les plus progressistes au monde pour les jeunes. Il l'a mis en place sous le régime de la Loi sur les jeunes contrevenants, en investissant de l'argent dans la communauté.

Le sénateur Pearson: C'est parce qu'il pouvait s'appuyer sur la Loi sur la protection de la jeunesse.

M. Sullivan: Oui. Vous avez raison. Mais le gouvernement québécois a reconnu également que, quand on consacre les ressources nécessaires d'un côté, on économise de l'argent de l'autre.

Le fait que le gouvernement donne plus d'argent aux provinces et qu'il les encourage à se servir de cet argent pour mettre de nouveaux programmes en place est le meilleur moyen d'abaisser le taux d'incarcération. Cela n'a rien à voir avec l'adoption d'une nouvelle loi.

Le sénateur Cools: Je souhaite la bienvenue aux témoins. Ils savent sûrement que nous respectons beaucoup le travail qu'ils accomplissent.

Je voudrais revenir à une observation de M. Rosenfeldt pour savoir si nous pouvons avoir plus d'information sur un aspect de la question qui est très troublant et très préoccupant. M. Rosenfeldt a dit que certains jeunes commettent des crimes extrêmement haineux. Et je remarque que M. Sullivan indique dans son document qu'il y a eu 41 homicides, ce qui représente une baisse de 9 p. 100.

M. Rosenfeldt a dit que certains jeunes contrevenants étaient très bien informés. Ils connaissent le système et la procédure, et ils connaissent leurs droits. Il n'y a rien de mal à ce que les gens connaissent leurs droits - les enfants aussi. Ce qu'il y a de mal, c'est que les jeunes n'ont aucun respect, aucune empathie pour les droits des autres, et qu'ils ont l'instinct ou la pulsion de faire mal ou de violer, sous quelque forme que ce soit.

Je m'intéresse en particulier à la question du renvoi des jeunes contrevenants devant les tribunaux pour adultes. Monsieur Rosenfeldt et monsieur Sullivan, pourriez-vous nous donner des détails et nous renvoyer à des connaissances et à des études approfondies, si possible, sur le phénomène de ce que j'appellerais les enfants dépouillés de leur enfance et de leur innocence, les enfants tellement dénaturés qu'ils sont poussés vers la déviance criminelle, la déviance sexuelle ou les pulsions criminelles? C'est extrêmement troublant.

Je ne sais pas si l'un de vous deux a déjà travaillé, par exemple, avec des enfants qui ont adopté un comportement hypersexualisé. C'est une terrible tragédie. Je connais le cas d'un enfant tellement sexualisé que les intervenants qui travaillaient avec lui devaient le surveiller constamment parce que, dès qu'il était en contact avec d'autres enfants, il adoptait immédiatement un comportement sexuel avec eux.

C'est une chose qui va droit au coeur. J'ai entendu parler d'un autre cas où la mère louait les services sexuels de son enfant. Une des premières choses que la gentille intervenante a dû faire a été d'essayer de convaincre la pauvre enfant de porter des vêtements appropriés à son âge. Elle portait toutes sortes de vêtements plus aguichants les uns que les autres.

Je me demande si vous pourriez nous donner des renseignements sur ces jeunes qui ont été tellement dénaturés qu'ils sont devenus aussi délurés que des adultes. Je n'aime pas me servir du mot «adulte», parce que cela laisse entendre que c'est une question d'âge, mais ce sont des pulsions tout à fait immorales, et terribles. Et elles sont d'autant plus terribles que ces gens-là sont encore très jeunes et qu'ils n'ont pas la maturité nécessaire pour comprendre pleinement les conséquences de leurs gestes et les dommages qu'ils causent aux autres.

Pourriez-vous nous parler un peu de cet aspect-là? Quand on entend parler de «jeunes contrevenants», je pense que c'est le plus souvent à ce genre de jeunes-là que les gens pensent, plutôt qu'aux malheureux individus qui se font prendre à entrer quelque part par effraction ou à commettre d'autres crimes mineurs. Si nous pouvions avoir quelques renseignements à ce sujet-là, je pense que cela pourrait être utile.

M. Rosenfeldt: D'après mon expérience personnelle de ce genre de choses, je pense à pas mal de jeunes auprès de qui nous avons fait du travail bénévole. Certaines des situations dont nous avons eu connaissance ont de quoi fendre le coeur.

Je me souviens d'un jeune garçon qui a travaillé avec nous dans le cadre d'un programme de travail ordonné par la cour. Il avait une douzaine d'années. Un de ses camarades m'a dit un jour que ce garçon avait de sérieux problèmes avec sa jambe. J'ai jeté un coup d'oeil. Il avait la jambe toute infectée, pleine de pus et de croûtes. Nous l'avons amené immédiatement à l'hôpital. Les autres enfants nous ont dit que sa mère ne s'en occupait pas. C'était aussi simple que cela. Personne ne s'occupait de lui. Il n'y avait absolument personne qui se souciait de ce qui lui arrivait.

Il y a beaucoup d'enfants comme celui-là dans le système. Il avait peu de contacts avec le monde extérieur, il vivait dans son petit monde. Personne ne s'occupait de lui. Nous avons pu obtenir de l'aide pour cet enfant-là. Mais quand des enfants vivent comme cela tous les jours, quand ils doivent se débrouiller pour trouver quelque chose à manger dans la maison parce que personne ne se donne la peine de savoir s'ils mangent un seul repas par jour... Ce garçon dormait sur le divan du salon. Il n'avait jamais eu de chambre. Il devait toujours s'organiser. Personne ne s'inquiétait de savoir s'il dormait sur son divan tous les soirs.

C'était il y a quelques années. Nous avons rencontré un certain nombre de jeunes comme lui au fil des années. Je me suis souvent demandé comment il s'était débrouillé. Il y a eu des accusations portées contre lui. Mais nous avons déjà vu ce genre de cas régulièrement.

Il y a aussi une autre catégorie de jeunes dont nous devons parfois nous occuper: ceux qui ont été agressés sexuellement quand ils étaient petits et qui finissent par tomber dans l'alcool et la drogue, qui font des tentatives de suicide et qui vivent d'autres situations horribles et tragiques. Encore là, la réponse du système judiciaire frustre ces jeunes encore plus.

Une jeune femme qui avait déjà été mannequin est venue me voir un jour. Nous avons pu l'aider à récupérer 10 000 photos pornos sur lesquelles elle figurait. Elle posait pour un catalogue; vous la reconnaîtriez probablement tous. Mais le photographe les rappelait le soir, elle et ses amis, et il a pris des dizaines de milliers de photos pornos de ces enfants. Il les payait en alcool et en drogue. Quelques années plus tard, elle est venue nous voir; elle voulait de l'aide pour faire juger cet homme.

Nous avons fini par obtenir que des accusations soient portées contre lui. À l'époque, l'homme avait à peu près 70 ans. J'ai parlé au procureur au téléphone, et il m'a dit: «Qu'est-ce que vous cherchez? Envoyer un vieillard en prison? Elle a récupéré ses photos. Qu'est-ce qui la dérange tant?» Elle avait fait trois tentatives de suicide. Elle avait encore peur que des copies des photos circulent dans tout le Canada sur Internet.

Ce sont des situations que nous voyons régulièrement. Le système judiciaire ne fait rien pour ces jeunes. Il n'a pas aidé cette jeune femme. Le photographe qui avait commis ces crimes, probablement contre des centaines d'enfants sur une assez longue période, a sans doute plaidé coupable à une accusation moins grave et il s'est fait enlever toutes ses photos, à moins qu'il ne s'en soit débarrassé lui-même parce qu'il savait que la police allait venir. Et l'histoire a fini là.

Donc, bon nombre des cas que nous connaissons sont vraiment tragiques. Je pense qu'il y aura toujours des choses de ce genre dans la société. Cela nous ramène à ce dont je parlais avec le sénateur Andreychuck. À mon avis, plus la police et les tribunaux peuvent intervenir de bonne heure dans la vie de certains de ces enfants, mieux c'est.

J'ai connu beaucoup de jeunes qui avaient développé avec le temps une relation de confiance avec des policiers et des juges, et pour qui cela avait été bénéfique à long terme. Ils sont parfois plus ouverts avec ces intervenants. Je ne veux pas minimiser le rôle des travailleurs sociaux, mais ils n'ont pas toujours assez de temps et de ressources à consacrer à certains de ces enfants.

Les policiers sont mieux à même de comprendre qu'un enfant a un problème. Quand un enfant est porté disparu, c'est eux qui peuvent demander pourquoi. Quand un enfant devient un objet de pornographie, les policiers connaissent beaucoup mieux les pornographes et ceux qui commettent ces crimes contre les enfants. Souvent, ils savent quelles questions poser aux enfants pour obtenir les bonnes réponses, qui leur permettent de porter des accusations.

Le sénateur Cools: Madame la présidente, allons-nous convoquer des témoins qui pourront nous fournir des renseignements à ce sujet-là? Je pense que c'est un des problèmes fondamentaux. Allons-nous recevoir des témoins qui pourront nous aider à examiner tout le processus selon lequel certains enfants sont ainsi dénaturés? Vous avez parlé de certains autres cas, mais je pensais surtout aux jeunes violents et agressifs. Vous vous souvenez de M. Brown, de l'école Browndale? Certains...

La présidente: Sénateur Cools, nous ne citerons pas de noms pour le moment. Je vais faire circuler la liste de témoins que nous avons établie et que le comité de direction a approuvée pour que vous puissiez tous y jeter un coup d'oeil et la commenter si vous le voulez.

Le sénateur Andreychuk: J'invoque le Règlement. Pourrions-nous savoir à l'avance à peu près combien de temps le comité de direction a prévu pour chaque témoin? Je pense que nous pourrions consacrer beaucoup de temps à chacun des témoins et que nous pourrions être plus efficaces et plus utiles si nous sachions combien de temps vous avez réservé à chacun.

La présidente: Je constate que, sur l'avis de convocation qui a été envoyé, la durée de la comparution des différents témoins n'est pas indiquée. Elle le sera à partir de maintenant. Je suggère que nous essayions de faire nous-mêmes le tri de nos questions compte tenu de la période allouée.

Le sénateur Andreychuk: Il serait utile que nous sachions à quelle heure vous pensez finir parce que nous siégeons aussi à d'autres comités.

Le sénateur Beaudoin: Surtout pour les tables rondes.

La présidente: Précisément.

Le sénateur Andreychuk: Ma question s'adresse à M. Sullivan. Une des différences entre la Loi sur les jeunes contrevenants et la nouvelle Loi sur le système de justice pénale pour adolescents, c'est que ce sera désormais à l'étape de l'établissement de la peine que les conséquences pourraient être les mêmes que pour les adultes, et que nous essayons de conserver l'aspect «jeunesse».

Cependant, dans le cas des crimes violents et très graves qui seront jugés devant le tribunal de la jeunesse, les carrefours et les points d'aiguillage vont se trouver au début du processus.

L'intention était de traiter les jeunes comme des jeunes le plus longtemps possible. Je comprends cela. Mais comme ils subiront ensuite les mêmes conséquences que des adultes, s'ils sont condamnés à des peines similaires à celles des adultes, nous devons modifier le système pour y inclure des procès par juge et jury, des mécanismes de sélection, des options et toutes sortes de choses de ce genre, ce qui dilue l'intention de traiter les jeunes entièrement comme des jeunes.

Pensez-vous qu'en effectuant ce changement au niveau des conséquences, tout en gardant certaines choses au départ, nous aurons vraiment un système distinct, qui sera davantage axé sur les jeunes que celui qui existait sous le régime de la Loi sur les jeunes contrevenants, à cause de la disposition sur les renvois?

M. Sullivan: En un sens, nous appuyons les modifications à la disposition sur les renvois, parce que nous avons toujours trouvé qu'on procédait à l'envers en décidant si quelqu'un devait être traduit devant le tribunal pour adultes avant même qu'il soit reconnu coupable. Maintenant, il faudra que les contrevenants soient reconnus coupables avant qu'on décide comment leur peine sera établie. En même temps, vous avez raison: comme on ne saura pas à l'avance que leur peine sera établie par un tribunal pour adultes, ces jeunes vont bénéficier des mêmes mesures de protection que des adultes, même s'ils restent devant le tribunal de la jeunesse.

C'est probablement un des aspects par lesquels nous nous approchons davantage du système pour adultes. Dans l'ensemble, la philosophie qui sous-tend ce changement a été positive. Je ne sais pas si cela répond vraiment à votre question.

Le sénateur Andreychuk: Je ne sais pas jusqu'à quel point vous avez travaillé sur le terrain. Vous dites que cette philosophie est peut-être préférable. Ce qui m'inquiète, c'est l'aspect pratique de la question, quand nous allons commencer à mettre en oeuvre toutes ces nouvelles dispositions qui vont maintenir les tribunaux de la jeunesse, mais que nous aurons dû revenir en arrière, et prévoir des options et certaines autres règles de procédure propres aux tribunaux pour adultes. Est-ce que cela va semer la confusion encore davantage chez les jeunes et les rendre encore plus cyniques? Est-ce que ce sera plus utile si la réadaptation est notre objectif à long terme?

Autrement dit, est-ce qu'il y aura plus d'éléments à manipuler pour eux ou si ce sera préférable pour leur sécurité, leur apprentissage et leur réadaptation?

M. Sullivan: La ministre a dit notamment que le processus serait plus rapide si nous faisions cela à la fin. Je n'en suis pas sûr. En raison des aspects pratiques que vous avez mentionnés, tous les jeunes susceptibles d'être condamnés à une peine pour adultes auront droit à un procès devant juge et jury, alors qu'avant, c'était le cas uniquement pour ceux qui étaient renvoyés devant le tribunal pour adultes. Dans la pratique, je pense que les tribunaux vont être plus engorgés.

Cela dit, cependant, si nous imposons aux jeunes des peines comme celles des adultes, nous devons leur accorder les mêmes mesures de protection qu'aux adultes. Je ne sais pas si ces dispositions vont inculquer à ces jeunes la mauvaise leçon quant à la nécessité d'assumer leurs responsabilités. Je pense que, malheureusement, ils ont déjà appris depuis longtemps les mauvaises leçons.

Quant à savoir si cela aura un effet sur leur réadaptation, en définitive, je n'en sais rien. Mais je pense qu'il est important, si nous voulons imposer à ces jeunes les mêmes peines qu'aux adultes, que nous leur accordions les mêmes mesures de protection qu'aux adultes.

Le sénateur Beaudoin: La question soulevée par le sénateur Fraser m'intéresse en raison d'une phrase que nous citons souvent, dans l'arrêt Sussex, qui date de 1924: «Justice doit non seulement avoir été rendue, mais doit paraître avoir été rendue.» Ce qui me porte à croire que nous pourrions avoir de très bonnes raisons de divulguer le nom des jeunes contrevenants. Mais dans quelle mesure allons-nous le faire?

Après tout, le public devrait finir par connaître leur nom. Comment pouvons-nous justifier que ce nom ne soit jamais mentionné? Après tout, voyez-vous, la justice doit être rendue en public. Cela fait partie de notre droit, de notre convention. La justice doit être rendue, nous en convenons tous; mais elle doit aussi être rendue de façon manifeste.

Je comprends que nous devons protéger les jeunes, mais il y a des limites. Je ne suis pas certain que nous puissions garder ces noms secrets éternellement.

Le sénateur Pearson: C'est le cas actuellement.

M. Rosenfeldt: C'est un des problèmes, pour les victimes. Les victimes ne voient pas que justice a été rendue, surtout si le nom de l'auteur du crime reste caché. Quelle que soit la peine imposée, ce qui compte, c'est qu'à leurs yeux, il n'est pas manifeste que justice a été rendue. Voilà le problème.

Le sénateur Beaudoin: C'est exactement ce que je voulais dire. Nous ne pouvons pas ressusciter une personne qui a été tuée. Le fait de ne pas mentionner le nom peut se justifier dans certains cas, mais j'ai mes doutes. Nous voulons savoir qui a fait ceci et qui a fait cela. C'est normal. C'est dans la nature humaine.

M. Rosenfeldt: Exactement.

La présidente: J'ai bien l'impression, sénateur Beaudoin, que nous allons entendre des représentants des associations de policiers et d'éducateurs - surtout d'éducateurs - qui vont nous dire qu'ils doivent connaître ces noms pour savoir quelles méthodes adopter afin de traiter les jeunes en question quand ils seront de retour dans le système scolaire.

Le sénateur Grafstein: Je voudrais poser une question qui fait suite à l'affirmation selon laquelle, si nous imposons aux jeunes des peines comme celles des adultes, nous devons aussi les protéger comme des adultes. Est-ce que cela inclut les enfants de 10 à 12 ans?

M. Sullivan: S'il était question d'imposer des peines d'adultes aux enfants de 10 et 11 ans, peut-être. Mais, en vertu de ce projet de loi, nous ne pouvons imposer aucune peine à des enfants de cet âge-là.

Le sénateur Grafstein: Je veux parler de la possibilité, en vertu de cette disposition, qu'un enfant de 10 ans soit traduit devant un tribunal pour adultes.

M. Sullivan: Il n'y a rien qui permet ce genre de chose dans ce projet de loi.

Le sénateur Grafstein: Dites-moi ce que vous pensez du cas des enfants de 10 ans.

M. Sullivan: Nous avons recommandé que, pour les enfants de 10 et 11 ans qui seraient présumés avoir commis des crimes graves, il y ait un mécanisme spécial permettant de les traduire devant le tribunal de la jeunesse.

Le sénateur Grafstein: C'est similaire aux dispositions sur les renvois qui existent déjà pour les enfants plus vieux. Ce n'est pas vraiment ce que je voulais vous demander.

Nous essayons tous de trouver un modèle qui permettrait de résoudre deux problèmes, à savoir la nécessité de traiter les jeunes contrevenants de manière appropriée sans les criminaliser et, en même temps, la justice envers les victimes. C'est un couteau à double tranchant. Il y a un conflit entre ces deux éléments. Il faut penser à la réadaptation des contrevenants, mais aussi à la guérison des victimes. Ce n'est pas à sens unique.

Connaissez-vous le tribunal chargé des affaires touchant les stupéfiants, à Toronto, qui est à peu près le seul du genre au monde?

M. Sullivan: Oui.

M. Rosenfeldt: Je sais qu'il existe, mais c'est tout.

Le sénateur Grafstein: Grâce au leadership du sénateur Nolin, nous avons pu assister à une séance à Toronto il y a quelque temps. J'avais entendu parler de ce tribunal, mais je n'avais jamais eu l'occasion de parler aux gens qui y travaillent. Des visiteurs du monde entier viennent maintenant voir ce tribunal unique en son genre où tout le processus d'établissement de la peine est changé, d'une manière qui réduit substantiellement les taux de récidive, qui est beaucoup plus efficace et qui sort complètement les gens du système judiciaire.

Autrement dit, M. Sullivan a raison de dire que le paradigme du système de justice pénale est contraire au principe voulant qu'il faut aider les enfants à dire la vérité. On en fait des criminels avant qu'ils le soient vraiment parce qu'ils doivent se soumettre au paradigme du système de justice pénale. Cette expérience remporte un grand succès, à ce que je sache, et la ministre en a fait la promotion; pourtant, il n'y a rien qui reflète ce genre de chose dans le projet de loi.

Le sénateur Beaudoin: A-t-il été créé par une loi du Parlement?

Le sénateur Grafstein: Il a été créé par le gouvernement fédéral, avec des fonds du gouvernement fédéral, et organisé par le ministère de la Justice. Les gens du monde entier disent que c'est un excellent modèle de rechange.

Ce que nous avons ici, c'est une autre incarnation d'un système qui ne fonctionne pas et que tout le monde - ceux qui aiment le système autant que ceux qui ne l'aiment pas - trouve trop complexe, trop difficile, trop incertain et trop coûteux. Or, nous avons en Ontario un excellent système, qui pourrait être encore meilleur s'il recevait plus d'argent.

Pourriez-vous examiner ce système et assister aux séances de ce tribunal?

Le sénateur Nolin: Aucune loi n'a été modifiée pour permettre la mise en place de ce système.

Le sénateur Grafstein: Aucune loi n'a été modifiée. C'était une décision administrative brillante. C'est une bonne formule, qui s'intégrerait facilement dans le système actuel. La raison en est, comme vous le comprendrez sûrement, que 55 p. 100 des affaires criminelles portées devant les tribunaux de Toronto sont liées aux stupéfiants - et je suis sûr que c'est le cas partout au pays. C'est une façon de séparer ce genre de cas et de réduire les coûts.

Il serait très utile, avant que le comité termine son examen du projet de loi, que vous fassiez tous les deux une critique du projet de loi et que vous nous disiez par écrit s'il existe un modèle de rechange qui permettrait d'éviter les problèmes du système de justice pénale et, en même temps, d'atteindre l'objectif public consistant à traiter de façon équitable les jeunes en réadaptation et les familles des victimes. Il y a d'autres solutions.

M. Rosenfeldt: Merci de nous avoir parlé de cela. Je vais examiner la question.

La présidente: J'étais là moi aussi ce jour-là, à Toronto, et j'aimerais préciser que ce tribunal est réservé aux gens qui en sont à leur première infraction. S'ils récidivent, ils se retrouvent dans le système normal.

Le sénateur Beaudoin: Ils n'ont pas le droit d'y retourner. Mais la clientèle des tribunaux se compose de récidivistes. C'est la raison pour laquelle ce tribunal a été créé, parce que la majorité des clients des tribunaux s'y retrouvent régulièrement pour le même problème.

M. Sullivan: Souvent, les meilleures solutions aux problèmes que posent les jeunes ne sont pas des solutions législatives et - avec tout le respect que je vous dois - elles ne viennent pas d'Ottawa. Elles viennent des communautés. Ce sont les solutions que nous pourrons trouver pour remplacer le système officiel, et dont il est question dans ce projet de loi, qui seront les plus utiles pour la réadaptation des jeunes contrevenants.

La présidente: Vous appuyez ces dispositions de la nouvelle loi?

M. Sullivan: Oui. D'ailleurs, elles se trouvaient aussi dans l'ancienne loi.

Le sénateur Nolin: J'aimerais revenir à votre recommandation numéro 8, au sujet des enfants de 10 et 11 ans. Si je comprends bien, vous dites qu'en vertu de la loi, certaines provinces prennent les moyens nécessaires pour appliquer tous les pouvoirs dont elles disposent afin d'atteindre leurs objectifs sociaux.

M. Sullivan: Oui.

Le sénateur Nolin: Pourtant, il y a d'autres provinces qui ne le font pas. Vous mentionnez le Earlscourt Child and Family Centre. Où est-ce?

M. Sullivan: À Toronto.

Le sénateur Nolin: Alors, l'Ontario est-elle une des provinces qui ont adopté des lois à caractère social, à votre avis?

M. Sullivan: Je ne pense pas qu'il en soit question dans l'étude. L'Ontario n'en serait probablement pas une.

Le sénateur Nolin: C'est ce que je voulais savoir. Vous parlez d'un document qui dit en gros que le système ne fonctionne pas parce que des «jeunes» de moins de 12 ans commettent des crimes et qu'il n'y a rien de prévu à leur sujet. C'est une affirmation sérieuse que vous faites là. Essentiellement, vous nous demandez de modifier le projet de loi et d'obliger les provinces à faire leur travail.

M. Sullivan: Oui.

Le sénateur Nolin: Mais tout porte à croire que, si nous «judiciarisons» le système, cela ne marchera pas.

Le sénateur Grafstein: Non, il est question de judiciariser l'administration de la justice. C'est de compétence provinciale.

Le sénateur Nolin: «Judiciariser», cela veut dire les envoyer en cour. C'est l'inverse, pour la raison que le sénateur Cools vient de mentionner. Vous allez en faire des criminels.

Le sénateur Grafstein: Vous avez raison. Il y a les deux.

Le sénateur Nolin: Mais c'est ce qui est recommandé. C'est pourquoi je pose la question.

M. Sullivan: La question est de savoir ce qu'il faut faire avec les enfants de 10 ou 11 ans - que ce soit en Ontario, au Québec ou en Saskatchewan - qui ont bénéficié des meilleurs services sociaux offerts par la province. Est-ce que nous devrions attendre qu'ils aient 12 ans pour nous en occuper?

Le sénateur Nolin: Combien y a-t-il de cas de ce genre? Cinq?

M. Sullivan: Heureusement, il n'y en a pas beaucoup, mais je ne suis pas sûr que cela ait de l'importance. Combien faudra-t-il d'agressions commises par des jeunes pour que nous fassions quelque chose?

Le sénateur Nolin: Êtes-vous convaincu qu'il y a des enfants de 10 ans qui commettent des crimes à caractère sexuel?

M. Sullivan: Nous savons qu'il y en a. Je ne dis pas qu'il y en a beaucoup, ou que c'est un énorme problème.

Le sénateur Nolin: Combien y en a-t-il?

M. Sullivan: Pas beaucoup.

La présidente: Combien? Trois, quatre, cinq?

M. Sullivan: Les cas ne sont pas signalés; alors, nous l'ignorons.

M. Rosenfeldt: Il n'y a pas moyen de le savoir, pas moyen d'établir des chiffres.

Le sénateur Nolin: Personnellement, je n'aime pas tellement l'idée de nous servir d'une loi fédérale pour forcer la main à une province. Je pense que, si nous prétendons être des partenaires dans le domaine de la justice pénale, il revient à la province et au gouvernement fédéral de s'organiser. Ce n'est pas en modifiant le projet de loi que nous y arriverons. Les provinces vont répondre en nous demandant plus d'argent. Nous avons déjà entendu cela bien des fois.

M. Sullivan: C'est une solution de dernier recours. Ces jeunes reçoivent de l'aide des services sociaux, mais il y a toujours un problème. Les systèmes provinciaux de services sociaux ne fonctionnent tout simplement pas.

Le sénateur Nolin: Pour les enfants de 10 ans?

M. Sullivan: Pour ceux de 10 ou 11 ans.

Le sénateur Nolin: Si vous avez de l'information et de la documentation supplémentaires à ce sujet-là, pouvez-vous nous les faire parvenir? Je ne suis pas convaincu.

M. Sullivan: Parce que ces enfants-là ne sont pas envoyés devant le tribunal de la jeunesse, nous ne savons pas combien il y en a; il n'y a pas de chiffres disant combien il y en a en Saskatchewan, par exemple. Si j'avais des chiffres comme ceux-là, je vous les fournirais. Je ne pense pas qu'il y ait beaucoup de cas de ce genre, mais cela ne doit pas dicter notre façon de traiter ces enfants.

M. Rosenfeldt: Il y en a.

Le sénateur Nolin: Nous savons cela, au moins, et nous avons des fonctionnaires fédéraux qui vont venir témoigner après vous. En 1977, il y a eu quatre meurtres commis par des enfants de moins de 12 ans; il y en a eu cinq en 1991 et deux en 1996. S'il a été possible d'établir ces chiffres, il doit bien exister plus d'information. Mais avant que je tombe d'accord avec vous, nous allons devoir examiner cela de plus près. Pour le moment, je ne peux certainement pas appuyer ce que vous nous demandez de faire.

M. Sullivan: Je vous signale également que le Comité de la justice de la Chambre des communes a déjà fait la même recommandation en 1997.

Le sénateur Nolin: Je sais. Je l'ai lue. Cela ne m'a convaincu non plus. Le fait que le comité de la Chambre l'ait recommandé ne suffit pas à me convaincre. Je veux plus de preuves.

Le sénateur Joyal: Dans l'exercice de vos responsabilités, vous êtes-vous déjà occupé de jeunes Autochtones et, si oui, dans quelle proportion, par rapport à l'objectif de votre organisation?

M. Rosenfeldt: Notre organisation s'occupe de nombreux Autochtones, en effet. Ma femme est autochtone. Au fil des années, je pense qu'un certain nombre d'Autochtones ont probablement été attirés par notre organisation en raison des origines de ma femme. Elle a déjà travaillé comme conseillère auprès des alcooliques et des toxicomanes au Poundmakers Lodge, à Edmonton, auprès des Autochtones. Elle a beaucoup d'expérience. Elle ne travaille plus pour notre organisation. Elle est maintenant présidente de l'Office des affaires des victimes d'actes criminels du gouvernement de l'Ontario. Mais nous recevons encore beaucoup d'Autochtones.

Le sénateur Joyal: Diriez-vous qu'en général, ceux dont vous devez vous occuper se trouvent dans une situation plus difficile que la moyenne des jeunes contrevenants?

M. Rosenfeldt: Nous nous occupons des victimes de crimes. Je pense que la plupart des Autochtones vivent à peu près les mêmes problèmes que les autres, mais peut-être à un degré plus grand, simplement à cause de leur isolement dans bien des cas. Très souvent, ils n'ont pas les connaissances ou les capacités nécessaires pour obtenir de l'information.

Nous nous occupons actuellement d'une femme des Territoires du Nord-Ouest dont le fils a été assassiné ici, à Ottawa. Avec l'Office des affaires des victimes d'actes criminels du gouvernement de l'Ontario, nous essayons de lui fournir les moyens de venir assister au procès de la personne qui est accusée d'avoir tué son fils.

Cependant, dans la plupart des cas, nous n'avons pas les ressources nécessaires pour faire ce genre de chose. Les Autochtones souffrent souvent en silence dans leur communauté. Ils ne font pas l'effort de communiquer avec nous comme l'a fait cette femme. Nous avons pu l'aider. Mais beaucoup d'Autochtones ne communiquent pas avec les organisations qui peuvent les aider, tout simplement parce qu'ils ne savent pas qu'elles existent.

Depuis quelques années, nous constatons que les Autochtones connaissent beaucoup mieux leurs droits en tant que victimes. Ils ont participé au processus ces dernières années.

Le sénateur Joyal: Monsieur Sullivan, pourriez-vous nous dire ce qu'il en est pour votre organisation?

M. Sullivan: Nous n'intervenons pas tellement auprès des familles autochtones; il n'y en a pas beaucoup qui communiquent avec nous. Notre organisation est toute petite; elle ne compte que deux employés, ici à Ottawa. Je pense que la majorité des victimes autochtones ne savent même pas que nous existons.

La présidente: Merci beaucoup, messieurs, de votre comparution. Vous avez donné un visage aux victimes de crimes. Je vous en remercie.

La présidente: Nous entendrons maintenant M. Roy Jones, qui est directeur du Centre canadien de la statistique juridique. Monsieur Jones, vous nous avez apporté beaucoup de lecture. Vous pourriez peut-être nous guider à travers tous ces documents.

M. Roy Jones, directeur, Centre canadien de la statistique juridique: Ne vous laissez surtout pas impressionner par la quantité de documents que j'ai fait distribuer. Je ferai référence à seulement quelques-uns d'entre eux. Je vais essayer de rester bref et de m'en tenir au sujet du jour.

Pour commencer, je dois mentionner que le Centre canadien de la statistique juridique est une division de Statistique Canada. Nous travaillons en collaboration avec les organismes et les ministères fédéraux, provinciaux et territoriaux chargés de l'administration de la justice au Canada, de même qu'avec nos collègues de Statistique Canada. Nous travaillons sous la direction de Statistique Canada, à l'intérieur de son infrastructure.

Le mandat de l'initiative dont je vais vous parler aujourd'hui est de fournir à la communauté judiciaire et au grand public de l'information sur la nature de la criminalité et l'administration de la justice au Canada. La majeure partie des données que je vais vous citer viennent des ministères - fédéraux ou autres - qui participent à cette initiative. Elles sont tirées surtout des sondages dont nous supervisons la réalisation. Ces sondages portent sur trois secteurs du système judiciaire: l'Enquête sur la déclaration uniforme de la criminalité a trait aux services policiers; l'Enquête sur les tribunaux de la jeunesse concerne les tribunaux; et l'Enquête sur la détention des jeunes et les travaux communautaires se rapporte aux services correctionnels.

Pour tracer un portrait plus complet de la justice et de la criminalité au Canada, le centre se fonde aussi sur d'autres sources de données pour ses publications et ses analyses.

Par exemple, pour évaluer les caractéristiques des crimes qui ne sont pas signalés à la police, nous nous servons de l'Enquête sur la victimisation, dont la dernière a été réalisée en 1999 dans le cadre de l'Enquête sociale générale. Dans ce sondage effectué auprès d'un échantillon représentatif composé de Canadiens de toutes les provinces âgés de 15 ans et plus, nous avons demandé aux répondants d'évaluer leurs expériences relatives à certains incidents criminels définis dans le Code criminel, mais non à tous les crimes.

Nous avons aussi lancé un certain nombre d'enquêtes longitudinales, ce dont nous sommes très contents. La plus importante de ces enquêtes, dans le contexte de la justice, est l'Enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes. Elle porte sur les comportements délinquants et la victimisation chez les enfants de 10 ans et plus qui signalent eux-mêmes ces activités. À mesure que nous analyserons les renseignements recueillis au fil des années, nous nous constituerons une base de données très riche qui nous permettra d'analyser la situation familiale et l'expérience de ces jeunes, non seulement dans le système judiciaire, mais à l'école et à la maison.

Nous sommes donc heureux de la mise en place d'études statistiques de ce genre, ainsi que du soutien que nous avons reçu à cette fin des autres ministères, tant fédéraux que provinciaux.

Je voudrais maintenant vous parler des documents que je vous ai fait distribuer. Je vous ai apporté deux numéros de Juristat comme documents de référence, dont vous pourrez vous servir quand vous écouterez d'autres témoignages plus tard. Le premier est le numéro annuel consacré aux tribunaux de la jeunesse, publié en mai 2001.

J'ai également apporté un document intitulé «Les enfants et les jeunes au Canada», qui comprend des données intégrées plus générales, dont certaines sont tirées d'enquêtes effectuées en dehors du Centre de la statistique juridique. Enfin, je vous ai apporté un numéro de Juristat portant sur les comportements déviants et la délinquance chez les enfants et les jeunes. Il s'agit d'une de nos premières analyses sur la justice à reposer sur les données recueillies dans le cadre de l'enquête dont je vous ai parlé, l'Enquête longitudinale sur les enfants et les jeunes.

Voyons la première figure, qui porte sur la tendance relative aux pourcentages de jeunes mis en accusation au Canada. Il y a un petit encadré au bas de ce graphique, dont j'aimerais vous parler pour commencer.

En 1999, les jeunes de la tranche d'âge visée par la Loi sur les jeunes contrevenants représentaient 8 p. 100 de la population totale du Canada. Les projections fondées sur un modèle de croissance moyenne des naissances et de l'immigration permettent de croire que cette population - plus précisément le groupe des 14 à 17 ans - va augmenter légèrement au cours des cinq prochaines années, pour atteindre un sommet en 2006, après quoi elle commencera à décliner légèrement. Cela vous donne idée générale de la composition future de la population à risque.

Pour ce qui est du graphique lui-même, le taux de criminalité juvénile est généralement mesuré selon le nombre de jeunes qui sont accusés d'infractions au Code criminel. Comme vous pouvez le voir sur ce graphique, nous avons là une tendance qui remonte à 1985. À la fin du graphique, sur la ligne correspondant à l'ensemble des infractions au Code criminel, on constate une très légère augmentation en 2000, avec tout juste un peu plus de 4 100 jeunes mis en accusation par tranche de 100 000 jeunes dans la population en général. Vous noterez que le taux a diminué légèrement chaque année, après avoir atteint en 1991 un sommet de 6 300 par 100 000 jeunes. Tout au long des années 80, le taux global avait augmenté chaque année.

C'est un peu difficile à voir étant donné l'échelle de ce graphique, mais le pourcentage des jeunes mis en occasion pour des crimes violents suit à peu près la même tendance. Il a augmenté d'environ 7 p. 100 en 2000, après avoir diminué depuis 1995. Cette augmentation à la toute fin de la période étudiée est surtout attribuable, dans le cas des crimes violents, aux voies de fait simples.

À l'autre bout de l'échelle des crimes violents, il y a les homicides. Il en a été question tout à l'heure, en ce qui a trait aux nombres de jeunes qui se retrouvent devant les tribunaux de la jeunesse. Ces chiffres ont toujours été bas, et ils le sont encore. Ils varient entre un minimum de 41 homicides attribués à des jeunes en 2000 et un maximum de 68 en 1995. Il s'agit vraiment de cas relativement rares.

Pour ce qui est des infractions contre les biens, vous pouvez voir sur le graphique qu'ils ont diminué eux aussi en 2000. Leur pourcentage avait commencé à baisser en 1992, après avoir été à la hausse tout au long des années 80. Quant à la répartition des infractions, on constate que les infractions contre les biens comptent pour près de la moitié des crimes commis par des jeunes. Près de 22 p. 100 sont des crimes violents. Cela représente un changement par rapport à la situation il y a dix ans, puisque seulement 12 p. 100 des accusations portées contre des jeunes concernaient alors des crimes violents tandis que près des deux tiers étaient liées à des infractions contre les biens.

Il y a eu en effet une augmentation du nombre de jeunes qui ont été accusés officiellement de voies de fait simples par la police, et une diminution des inculpations concernant des infractions comme les vols et les introductions par effraction. C'est ce qui explique le déplacement général de cette tendance.

Il reste donc un tiers des jeunes inculpés qui ont été accusés d'«autres» infractions au Code criminel. Cela inclut surtout les dommages à la propriété et les méfaits, de même que les infractions de nature administrative comme le non-respect des conditions de libération et l'évasion d'un lieu de détention.

Pour garder le graphique à une échelle convenable, nous n'avons pas inclus ici les accusations concernant les stupéfiants, mais je pense qu'il est important de les mentionner quand même. Dans le cas des jeunes accusés d'infractions liées aux stupéfiants, le nombre d'infractions et les pourcentages qu'elles représentent ont fluctué sensiblement depuis quelque temps. Cependant, leur taux a généralement commencé à augmenter tout au long des années 70 et a atteint un point où 7 900 jeunes ont été accusés d'infractions liées aux stupéfiants en 2000. Cela représente environ 300 jeunes par tranche de 100 000; vous comprendrez donc qu'il était difficile de représenter cela sur un graphique de la même façon que les autres infractions. Mais j'ai pensé que ce chiffre vous intéresserait.

Le sénateur Grafstein: Ce n'est pas inclus?

M. Jones: Non. Il s'agit ici des infractions au Code criminel, qui ne comprennent pas les accusations concernant les substances contrôlées, en vertu de la Loi des aliments et drogues ou de la Loi sur les stupéfiants. Cependant, les tendances que je vous ai décrites sont similaires, bien que les accusations concernant les stupéfiants aient grimpé pendant les années 90, contrairement à la tendance générale.

Le sénateur Grafstein: Y a-t-il une corrélation entre les accusations liées aux stupéfiants et les voies de fait simples? Avez-vous des chiffres montrant une corrélation de ce genre?

M. Jones: Non, nous n'en avons pas.

Le sénateur Grafstein: Ou entre les crimes graves et les stupéfiants?

M. Jones: Non plus.

Le sénateur Grafstein: Vos chiffres portent sur les jeunes de 12 à 17 ans, alors que le projet de loi s'applique aux 12 à 16 ans. Pour le moment, il y a une option qui abaisserait l'âge à 14 ans; c'est donc une échelle graduée. Si vous preniez exclusivement les jeunes de 17 ans, où se situeraient-ils par rapport aux plus jeunes?

M. Jones: Il y a un graphique, à la figure 5, qui porte sur les taux par âge.

Le sénateur Grafstein: Est-ce que cela inclut les Autochtones?

M. Jones: Ce graphique porte sur tous les Canadiens.

Le sénateur Grafstein: Tous.

M. Jones: Oui, tous.

M. Jones: La figure 2, qui porte sur les jeunes accusés d'infractions contre les biens entre 1985 et 2001, par sexe, montre que le pourcentage des accusations de ce genre a diminué pour la neuvième année consécutive en 2000; il a baissé de 4 p. 100 l'an dernier. Le rapport entre le nombre de garçons et le nombre de filles mis en accusation est d'environ trois contre un pour les dernières années.

De même, si vous regardez la figure 3... Il a été question de l'augmentation de la violence chez les jeunes, garçons et filles. Ce graphique montre que le pourcentage des garçons accusés de crimes violents a augmenté de façon générale entre 1985 et 1995, mais qu'il a ensuite décliné de 1996 à 1999.

Le pourcentage des filles accusées de crimes violents a aussi augmenté de façon générale entre 1985 et 1993. Là encore, il y a eu un hiatus, après quoi ce pourcentage a continué d'augmenter entre 1995 et 2000. C'est difficile à voir sur ce graphique, mais le pourcentage des filles mises en accusation est relativement constant.

Le taux global des accusations portées contre des garçons pour des crimes violents était d'environ 1 300 par 100 000 en 2000, ce qui est à peu près trois fois plus que chez les filles.

Le sénateur Beaudoin: Le numéro 4 mérite une explication.

M. Jones: Je vais passer maintenant à la figure 4.

Le sénateur Beaudoin: Il y a une grosse différence entre les territoires et les provinces.

M. Jones: Oui. Vous voyez ici que le taux global pour le Canada, pour tous les jeunes et tous les types d'infractions, dépasse légèrement 4 100 par 100 000 pour les 12 à 17 ans.

Le taux dans les territoires - Nunavut, Territoires du Nord-Ouest et Yukon - est généralement plus élevé que dans les provinces. Cependant, comme ces taux sont exprimés par tranche de 100 000, ils fluctuent considérablement d'année en année. Nous n'indiquons généralement pas les taux par 100 000 pour les territoires, mais pour les mettre à la même échelle, nous les avons gardés ainsi pour ce graphique. Pour ce qui est des provinces, on compte un peu plus de 10 000 jeunes mis en accusation par tranche de 100 000 en Saskatchewan, et un peu plus de 7 000 au Manitoba.

Le sénateur Andreychuk: Madame la présidente, comme l'alerte d'incendie sonne, nous devrions peut-être lever la séance?

La présidente: Sénateurs, voulez-vous que je lève la séance et que je demande à M. Jones de revenir si nous avons encore besoin de lui? Nous aurons alors eu le temps de regarder tous ces documents.

Je suis désolée, monsieur Jones. Vous pourriez peut-être distribuer vos notes, avec la traduction. Merci d'être venu. Nous allons maintenant lever la séance.

M. Jones: Puis-je vous envoyer mes notes plus tard, parce qu'elles sont écrites à la main?

La présidente: Bien sûr. Merci beaucoup. Je suis désolée de ce qui s'est passé.

La séance est levée.


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