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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 12 - Témoignages du 16 octobre 2001


OTTAWA, le mardi 16 octobre 2001

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui à 17 h 10 pour examiner le projet de loi C-7, loi concernant le système de justice pénale pour les adolescents, et modifiant et abrogeant certaines lois en conséquence.

Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, la séance du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles est ouverte.

Nous allons entendre des témoins au sujet du projet de loi C-7, qui traite de la Loi sur les jeunes contrevenants. C'est la quatrième séance que nous consacrons à ce projet de loi. Au cours de la première séance, nous avons entendu l'honorable Anne McLellan, ministre de la Justice. La deuxième séance a été consacrée à l'audition de témoins représentant le Victims of Violence Centre for Missing Children, et le Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes.

Des représentants de l'Association du Barreau canadien et du Barreau du Québec ont comparu devant nous lors de notre avant-dernière réunion. Nous allons entendre aujourd'hui M. Roy Jones, directeur du Centre canadien de la statistique juridique, Statistique Canada. Nous vous souhaitons la bienvenue encore une fois, monsieur Jones.

Avant de commencer, j'aimerais distribuer aux membres du comité une lettre du sénateur Clinton. Après la catastrophe de New York, je lui ai écrit, au nom du comité, pour lui exprimer notre inquiétude et pour lui offrir aussi toute l'aide que nous pouvions lui apporter en étant ici au Canada. Elle a répondu rapidement et nous a envoyé une lettre très amicale, dont vous allez chacun recevoir une copie.

Monsieur Jones, je vous en prie.

M. Roy Jones, directeur, Centre canadien de la statistique juridique, Statistique Canada: Je suis heureux d'être à nouveau devant vous. Je suis désolé de n'avoir pu terminer mon exposé lors de ma dernière comparution mais je suis toujours heureux d'être ici.

Comme vous vous en souvenez, je voulais vous fournir un aperçu du système de justice pour les jeunes au Canada en vous communiquant à l'aide de quelques diapositives les principales données statistiques concernant les indicateurs du système. Cela devrait prendre une vingtaine de minutes et je pourrai ensuite répondre à vos questions.

Je vais commencer par indiquer que le Centre canadien de la statistique juridique relève de l'Entremise nationale relative à la statistique juridique, un organisme fédéral, provincial et territorial composé de représentants de tous les ministères responsables de la justice au Canada et de Statistique Canada. Le centre est une division administrative de Statistique Canada et il constitue la branche opérationnelle de l'Entreprise nationale relative à la statistique juridique.

Le centre a pour mandat de fournir de l'information à la population au sujet de l'administration de la justice au Canada ainsi que sur la nature et l'ampleur de la criminalité au Canada. Je vais parler aujourd'hui principalement des sources officielles des statistiques relatives à la criminalité et à la justice. Ces statistiques sont fondées sur les données provenant d'enquêtes nationales qui visent à recueillir de l'information administrative et opérationnelle préparée par les provinces et les territoires ainsi que par les services de police au Canada.

Voici les trois principales sources de données - enquêtes nationales - auxquelles je vais faire référence aujourd'hui: l'Enquête sur la déclaration uniforme de la criminalité pour le secteur des services de police, l'Enquête auprès des tribunaux de la jeunesse, pour le secteur des tribunaux et l'Enquête sur les services communautaires et placement sous garde des jeunes, pour le secteur correctionnel. Au cours de ma dernière comparution, j'ai distribué quelques documents de référence qui contenaient des données sur la victimisation tirées de l'Enquête sociale générale de 1999. Ces documents contiennent des estimations sur les tendances générales de la victimisation au Canada fondées sur les déclarations des répondants. Les incidents qu'ils mentionnent n'ont pas toujours été rapportés aux services de police mais ont été obtenus grâce à cette enquête basée sur les déclarations des Canadiens âgés plus de 14 ans.

La première diapositive montre un graphique général des tendances et du nombre des adolescents inculpés au Canada, au niveau national, depuis 1985. Ce graphique contient également une description de la population des adolescents, les jeunes âgés de 12 à 17 ans, à qui cette loi est applicable. Vous noterez que cette population représente environ 8 p. 100 de la population totale du Canada, pour l'année 1999. Si l'on effectue une projection basée sur une hypothèse de croissance moyenne, on constate que le nombre des jeunes âgés de 14 à 17 ans va augmenter légèrement jusqu'en 2006 et qu'il diminuera légèrement par la suite, mais pas de façon significative.

Le graphique indique que le taux général de la criminalité chez les adolescents, que l'on mesure habituellement par le nombre des jeunes ayant été accusés d'infractions au Code criminel, a légèrement augmenté l'année dernière. C'est ce que montre la dernière partie du graphique et ce taux représente environ 4 100 accusations par 100 000 adolescents. Dans l'ensemble, les taux ont diminué chaque année depuis le sommet de 6 300 atteint en 1991. Ce sommet avait été précédé d'une augmentation générale au cours des années 80.

Pour ce qui est des infractions avec violence, on constate que leur nombre suit une courbe semblable, même si l'augmentation enregistrée l'année dernière a été légèrement supérieure, se situant à 7 p. 100. Ce chiffre a diminué par rapport au sommet qu'il avait atteint au début des années 90, après une période d'augmentation relativement importante au cours des années 80. Je tiens à noter que la légère augmentation indiquée à l'extrémité du graphique s'explique principalement par une augmentation du nombre des voies de fait simples, et non pas par celle des voies de fait graves et des infractions avec violence.

Je tiens également à signaler que le nombre annuel des adolescents inculpés d'homicide est très faible. Ce nombre a varié entre un sommet de 68 en 1995 et le creux le plus récent de 41 accusations, l'année dernière.

Pour ce qui est des infractions contre les biens, le nombre des adolescents inculpés de ces infractions a diminué de 4 p. 100 en 2000, poursuivant ainsi la réduction qui s'était amorcée en 1992 et qui suivait, elle aussi, une période d'augmentation assez constante enregistrée au cours des années 80.

Si l'on examine la répartition de ces infractions, pour avoir une image générale de la délinquance juvénile au Canada, on constate que pratiquement la moitié de ces infractions, soit 46 p. 100, visent les biens et qu'environ 22 p. 100, soit un cinquième, sont des infractions avec violence. Le reste, un tiers environ, sont des infractions prévues par d'autres articles du Code criminel, principalement les méfaits et les infractions contre l'administration de la justice, notamment le défaut de comparaître, l'évasion et la violation des conditions de la mise en liberté.

Il y a dix ans, 12 p. 100 environ des jeunes étaient inculpés d'infractions avec violence et deux tiers d'entre eux d'infractions contre les biens. On constate donc que la répartition des infractions s'est modifiée progressivement au cours de cette période. L'augmentation du nombre des voies de fait simples s'est accompagnée d'une diminution des vols et des introductions par effraction; cela explique le changement constaté dans la répartition des infractions au cours de cette période.

Je devrais également mentionner, ce qui ne figure pas sur ce graphique, un certain nombre de chiffres qui concernent les infractions relatives aux stupéfiants commises par des adolescents. Ces chiffres ont beaucoup varié pendant cette période, surtout au cours des années 80, mais ils ont augmenté de façon générale au cours des années 90. Ils ont atteint un sommet de 7 900 adolescents inculpés de ce type d'infractions pour l'année 2000, la plus récente. Cela représente un taux d'environ 320 adolescents inculpés d'une infraction reliée aux stupéfiants pour 100 000 adolescents. Cela ne figure pas sur le graphique parce que l'échelle utilisée ne permet pas vraiment d'illustrer cette tendance. Sur dix adolescents inculpés d'une infraction reliée aux stupéfiants, neuf environ ont commis une infraction concernant le cannabis, et près de deux tiers de ces infractions représentent la possession de cette drogue.

Pour ce qui est du lieu où ces infractions ont été commises, d'après un sous-ensemble de nos répondants appartenant aux services de police, on peut affirmer que 9 p. 100 environ de ces infractions ont été commises en milieu scolaire. Ce sont les chiffres de 1997. Les infractions avec violence sont les plus fréquentes. Elles représentent 38 p. 100 des infractions commises en milieu scolaire, contre 14 p. 100 pour les infractions avec violence commises ailleurs. On pense que l'augmentation du nombre des écoles ayant adopté une politique de tolérance zéro en matière de déclaration à la police explique en grande partie cette augmentation.

Les jeunes de moins de 12 ans représentent moins d'un pour cent du total des personnes accusées d'une infraction. Ces jeunes sont le plus souvent des garçons, près de huit sur dix des garçons de moins de 12 ans. Près de trois quarts de ces infractions visent les biens; ce sont le plus souvent des vols simples de moins de 5 000 $, des méfaits, des introductions par effraction et 5 p. 100 des incendies criminels.

Un quart des infractions contre la personne commises par les enfants de moins de 12 ans sont des voies de fait simples. On a enregistré quelques vols qualifiés et menaces mais nous parlons là d'un très faible pourcentage d'un très petit nombre. Nous verrons plus tard avec le tableau 5 la répartition du nombre des accusations en fonction de l'âge, ce qui vous donnera une perspective sur les nombres relatifs correspondant aux adolescents, aux adultes et aux enfants de moins de 12 ans.

La présidente: Monsieur Jones, je vous demanderais de nous mentionner à chaque fois le numéro du tableau dont vous parlez. Si nous insérons ces tableaux dans le film par la suite, nous pourrons alors faire le rapport avec vos explications.

M. Jones: Passons maintenant au tableau 2. Ce tableau montre le nombre des jeunes accusés d'infractions contre la propriété entre 1985 et 2000, réparti selon le sexe. Vous noterez que le nombre des jeunes ayant commis ce type d'infractions a considérablement diminué. Cela fait neuf années de suite que cette diminution se poursuit. La diminution la plus récente était de 4 p. 100. Le taux des adolescents accusés de ces infractions pour l'année 2000 était d'environ 2 800 par 100 000 de population, ce qui représente à peu près trois fois celui des adolescentes.

Ce graphique montre également que la diminution du nombre général de ces jeunes s'explique principalement par une diminution du nombre des adolescents mais pas des adolescentes. Le nombre des adolescentes ayant commis ce genre d'infractions a beaucoup moins varié depuis dix ans.

Si l'on passe au troisième graphique, le tableau 3, on trouve une répartition selon le sexe des jeunes inculpés d'infractions avec violence pour la même période, soit de 1985 à 2000. Notez que le nombre des adolescents inculpés de crime avec violence a connu une augmentation générale entre 1985 et 1995, qui a été suivie d'une légère diminution entre 1996 et 1999. Dans l'ensemble, entre 1987 et 1997, le nombre des adolescents inculpés de voies de fait simples a pratiquement doublé.

Le nombre des adolescentes inculpées d'infractions avec violence a également augmenté d'une façon générale depuis 1985. Là encore, cette augmentation s'explique principalement par celle des voies de fait simples commises par des adolescentes âgées de 12 à 17 ans. Je vous rappelle que le nombre des adolescents inculpés d'infractions avec violence en 2000 représentaient environ trois fois celui des adolescentes, soit un peu plus de 1 300 par 100 000 pour les adolescents contre un peu moins de 400 pour les adolescentes.

Le tableau 4 montre le taux général des adolescents inculpés par province et territoire pour l'année 2000. Au plan national, comme je l'ai mentionné, ce taux est d'environ 4 100 jeunes par 100 000 jeunes appartenant à ce groupe d'âge. Le taux des territoires varie beaucoup d'une année sur l'autre et ces variations peuvent être très fortes à cause du petit nombre de leur population.

La province où ce taux est le plus élevé est la Saskatchewan; il y a un peu plus de 10 000 jeunes inculpés par 100 000 jeunes, et cette province est suivie par le Manitoba, avec un peu plus de 7 000 adolescents inculpés. Exception faite du Nouveau-Brunswick et de la Colombie-Britannique, le nombre des adolescents inculpés est toujours plus faible dans les provinces à l'est de l'Ontario et traditionnellement, c'est le Québec qui enregistre toujours le nombre le plus faible d'inculpations, qui se situe à 1 900 environ par 100 000 jeunes.

Il est important de savoir, lorsqu'on examine le nombre des adolescents inculpés, que la plupart des provinces et des territoires prennent des mesures de rechange à l'égard des jeunes avant de déposer des accusations. La seule exception est l'Ontario, qui utilise principalement un système de renvoi après le dépôt d'accusations.

Le graphique suivant, le tableau 5, montre le nombre des adolescents ayant commis des infractions avec violence et des infractions contre les biens, selon l'âge. Le graphique va jusqu'à 55 ans. Ces statistiques concernent les personnes ayant fait l'objet d'accusations. Elles fournissent un contexte général permettant d'évaluer le rapport relatif existant entre les infractions commises par des jeunes et celles commises par des adultes. Vous noterez que la tranche des 14 à 21 ans est celle qui commet le plus grand nombre d'infractions avec violence et d'infractions contre les biens. D'une façon générale, le nombre des infractions augmente rapidement entre 10 et 14 ans, aussi bien pour les crimes contre les biens que pour les infractions avec violence. Ce chiffre se stabilise entre 15 et 17 ans; les données correspondent à une population de 100 000 personnes pour chacun de ces âges.

Les taux selon l'âge semblent très élevés pour le groupe des 12 à 17 ans, mais ce groupe ne représente qu'une population relativement faible de la population canadienne. Par conséquent, en chiffres réels, on peut dire que la plupart des infractions sont commises par des adultes. Près de 84 p. 100 des personnes inculpées d'infractions avec violence et près de trois quarts des personnes accusées d'infractions contre les biens sont des adultes de plus de 18 ans.

Le tableau 6 montre la répartition selon l'âge et le sexe des adolescents accusés d'une infraction. Pour les adolescentes, la participation à des actes criminels atteint un sommet plus rapidement que ce n'est le cas pour les adolescents. Dans l'ensemble, l'activité criminelle des adolescents atteint un sommet lorsque ceux-ci ont entre 15 et 17 ans. Le nombre des adolescents inculpés d'infractions au Code criminel augmente avec l'âge et atteint un sommet chez les 16 à 17 ans. Pour les adolescentes, le sommet correspond aux âges de 14 et 15 ans, et ces activités diminuent un peu plus tôt chez elles.

Il y a un aspect qui a été soulevé après ma dernière comparution, celui des chiffres concernant les victimes des infractions avec violence commis par les adolescents. La majorité des victimes, environ 55 p. 100, des infractions avec violence commises par les jeunes sont des jeunes. Huit pour cent seulement de ces victimes ont moins de 12 ans et il est relativement rare qu'un Canadien de plus de 55 ans soit victime d'un jeune, soit environ 2 p. 100.

Le tableau numéro 7 montre la répartition des infractions pour lesquelles les adolescents sont le plus souvent inculpés. Cette répartition porte sur environ 81 p. 100 des près de 101 000 adolescents ayant été inculpés d'une infraction en 2000. Un cinquième, environ, sont inculpés de vol de moins de 5 000 $, et 12 p. 100 d'introduction par effraction. Les voies de fait simples, 12 p. 100, représentent un autre élément important des infractions commises par les jeunes. La violation des conditions de la mise en liberté représente environ 10 p. 100, le méfait 7 p. 100, le vol de véhicule automobile 6 p. 100 et la possession de biens volés 6 p. 100.

Cela vous donne une idée générale de la répartition des infractions au Code criminel dont sont accusés les adolescents.

Le tableau 8 montre des données relatives aux causes provenant de l'enquête auprès des tribunaux de la jeunesse. Il montre la répartition des infractions pour lesquelles des adolescents ont comparu devant les tribunaux en 1991 et 2000. Les 102 000 affaires entendues correspondent à une diminution de 4 p. 100 par rapport à l'année précédente et à une diminution de 11 p. 100 par rapport à 1992-1993. Ces dernières données constituent un point de repère pour certaines répartitions parce que c'est la première année pour laquelle nous avons obtenu des données nationales.

Cinq infractions représentent la plus grande partie des affaires entendues, et ce sont celles qui ressortent également de la répartition des accusés que je vous ai montrée il y a un instant. Ces cinq infractions sont le vol de moins de 5 000 $, de défaut de se conformer à une décision prise en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants, le défaut de comparaître, l'introduction par effraction et les voies de fait simples.

Dans l'ensemble, le nombre des affaires concernant les infractions contre les biens entendues par les tribunaux a diminué de 38 p. 100 depuis 1992-1993. Le pourcentage des affaires d'infractions avec violence a légèrement diminué; il a fléchi de 3 p. 100 par rapport à 1998-1999 pour atteindre à peu près le même niveau qu'il avait en 1992-1993.

Un peu plus de la moitié des affaires entendues par les tribunaux pour adolescents concernent des jeunes de 16 et 17 ans. Les adolescents plus jeunes, ceux de 12 à 14 ans, représentent un quart des affaires et ceux de 15 ans, un cinquième des affaires entendues par les tribunaux pour adolescents.

Le tableau 9 montre l'utilisation relative des mesures de rechange par les provinces et les territoires ainsi que le nombre des causes entendues par les tribunaux. L'Alberta a enregistré le plus fort taux de participation des jeunes à des mesures de rechange (384 par 10 000 jeunes) alors que la Colombie- Britannique et l'Ontario ont affiché les taux de participation les plus faibles, soit 66.

Cela s'explique en partie par les différences qui existent entre les divers régimes des mesures de rechange. L'Alberta utilise une définition de «mesures de rechange» qui est plus large que celle de l'Ontario ou de la Colombie-Britannique.

Dans l'ensemble, le taux des jeunes comparaissant devant les tribunaux (435 par 10 000) représente environ quatre fois celui des jeunes qui participent à des programmes officiels de mesures de rechange dans les provinces et les territoires pour lesquels nous disposons de données. Parmi toutes les provinces, le Québec a enregistré le taux de participation des jeunes aux mesures de rechange (165 pour 10 000 jeunes) qui se rapproche le plus du taux des causes entendues par les tribunaux (201).

Près de trois quarts des mesures de rechange concernent des infractions contre les biens et 15 p. 100, des infractions comme le méfait et le fait de troubler la paix. En outre, 7 p. 100 se rapportent à des voies de fait simples, 3 p. 100 environ à d'autres infractions au Code criminel ou à des infractions à des lois fédérales.

Cela vous donne une idée générale de la répartition relative du recours aux mesures de rechange dans les différentes régions du pays, ainsi que le nombre des affaires entendues par les tribunaux.

Le tableau 10 montre une première répartition des décisions prises par les tribunaux pour adolescents. Près de deux tiers des affaires entendues par les tribunaux pour adolescents ont entraîné en 1999-2000 une déclaration de culpabilité. Ce chiffre a peu varié depuis 1992-1993, à l'échelle nationale. Plus d'un quart des affaires ont donné lieu au retrait des accusations. Trois pour cent ont abouti à une décision d'acquittement ou à un rejet des accusations.

Les pourcentages varient beaucoup selon le territoire ou la province concerné. Parmi les provinces, le taux de déclaration de culpabilité va d'environ 60 p. 100 pour le Manitoba et l'Ontario à plus de 80 p. 100 pour l'Île-du-Prince-Édouard, le Québec et le Nouveau-Brunswick.

Le nombre des renvois devant les tribunaux pour adultes est un autre élément intéressant. Ce nombre est très faible en valeur absolue et en pourcentage. Il y en a eu environ 52 l'année dernière. Ces renvois visent principalement les jeunes de 17 ans. Ces adolescents représentent un quart environ du nombre total des dossiers mais plus de la moitié des renvois devant les tribunaux pour adultes. Cela paraît logique, en termes de pourcentages.

Le tableau 11 indique le type de décisions prises par les tribunaux, en retenant la décision la plus grave. Quarante-huit pour cent, soit environ la moitié, des 68 000 affaires ayant donné lieu à une condamnation ont débouché sur une ordonnance de probation. La majorité de ces ordonnances étaient d'une durée de plus de six mois. La garde en milieu ouvert ou en milieu fermé a été ordonnée dans un tiers environ des cas ayant entraîné une condamnation. Les affaires reliées aux infractions à la loi sur les jeunes contrevenants, à l'omission de respecter une décision, à la violation des conditions d'une probation et à l'évasion, ont entraîné plus fréquemment la délivrance d'une ordonnance de probation.

Plus de 90 p. 100 des ordonnances de garde en milieu ouvert et fermé étaient d'une durée inférieure à six mois. Près de la moitié des affaires ayant entraîné une condamnation ont donné lieu à l'imposition d'une seule peine. Un peu plus d'un tiers, soit 36 p. 100, ont donné lieu à deux peines, et 19 p. 100, à trois peines et plus. Pour les jeunes ayant fait l'objet de plusieurs peines, la combinaison la plus fréquente était la probation associée à des travaux communautaires, pour 19 p. 100.

Voilà qui vous donne une idée de l'issue des affaires ayant débouché sur une condamnation par les tribunaux pour adolescents.

Le tableau 12 montre les données judiciaires - non pas celles des services correctionnels - sur le taux des ordonnances de garde pour 1999-2000. Dans l'ensemble, ce taux est pour le Canada de 95 pour 10 000 jeunes. Là encore, ce taux a été relativement stable au cours des dernières années, ne variant que de 5 à 10 p. 100 par an.

Parmi les provinces, le taux des placements sous garde imposés au Québec (44 pour 10 000 jeunes) est le plus faible du pays et représente la moitié environ de la moyenne nationale. Ce résultat est principalement attribuable au fait qu'au Québec, le nombre des affaires soumises aux tribunaux est plus faible, et dans une mesure moindre, ce taux reflète un recours moins fréquent au placement sous garde au moment de la condamnation.

À l'autre extrémité, la Saskatchewan a enregistré le taux le plus élevé qui s'établit à plus de 200. Cela s'explique principalement par un fort taux de criminalité, plutôt qu'un fort pourcentage de condamnations ou un recours particulièrement fréquent à la détention dans cette province; il y a tout simplement davantage de jeunes qui font l'objet d'accusations. Si l'on exprime ces taux par rapport à des tranches de 10 000 habitants, on constate qu'ils reflètent le taux de la criminalité et non pas un changement dans le nombre des ordonnances de garde ou des condamnations dans la province.

Le pourcentage des affaires ayant donné lieu à des placements sous garde de courte durée, moins de trois mois, a légèrement augmenté depuis 1992-1993, passant d'environ 71 p. 100 à 77 p. 100 pour 1999-2000. La durée générale des ordonnances n'a pas varié beaucoup récemment.

Le tableau 13 indique les infractions qui ont donné lieu à des placements sous garde. Onze infractions représentent plus de 80 p. 100 des 23 000 affaires ayant débouché sur un placement sous garde en milieu fermé ou ouvert en 1999-2000. Les infractions relatives à la Loi sur les jeunes contrevenants, le défaut de se conformer à une décision représentent un fort pourcentage de ces affaires, tout comme l'introduction par effraction, le défaut de se conformer et l'inobservation d'un engagement. Près de la moitié des 11 000 condamnations concernant des infractions à la LJC ont entraîné un placement sous garde en milieu ouvert ou fermé. C'est là un taux extrêmement élevé mais qui reflète, là encore, l'échec auquel a abouti une décision antérieure.

La principale accusation dans les dossiers ayant donné lieu le plus fréquemment à un placement sous garde en milieu ouvert ou fermé était l'évasion ou le fait d'être en liberté sans excuse, qui représente près de 90 p. 100, le meurtre et l'homicide involontaire coupable plus de 75 p. 100, le vol de plus de 5 000 $ environ 50 p. 100, et le vol qualifié, 50 p. 100 également. Moins d'une affaire de stupéfiant sur cinq a donné lieu à une condamnation combinée à un placement sous garde en milieu ouvert ou fermé. La grande majorité de ces condamnations concerne la possession de cannabis ou des infractions connexes.

Sur les 23 000 dossiers ayant entraîné un placement sous garde, un tiers de ces placements étaient d'une durée inférieure à un mois, 40 p. 100 d'une durée d'un à trois mois, 16 p. 100 de quatre à six mois et 6 p. 100 de plus de six mois. On constate qu'en général, les placements sous garde sont de courte durée.

Le tableau 14 compare les décisions prises à l'égard des délinquants primaires à celles qui visent les récidivistes pour 1999-2000. Les récidivistes sont définis comme étant les jeunes qui ont été condamnés antérieurement au moins une fois. Ils représentent environ 35 p. 100 de toutes les affaires. Nous disposons également de données à l'égard des multirécidivistes, que nous définissons comme les jeunes qui ont déjà été condamnés au moins trois fois. Ils représentent environ 10 p. 100 de toutes les condamnations. Les adolescents sont deux fois plus nombreux que les adolescentes dans la catégorie des multirécidivistes.

Les récidivistes commettent près de 53 p. 100 des infractions contre les biens et 25 p. 100 des infractions avec violence. Les contrevenants primaires font plus fréquemment l'objet d'ordonnances de probation, 63 p. 100, que les récidivistes, 42 p. 100. Les récidivistes sont également placés sous garde, en milieu fermé plus précisément, trois fois plus souvent, à 23 p. 100, que les contrevenants primaires. Ces contrevenants font deux fois plus souvent l'objet d'un placement sous garde en milieu ouvert, 19 p. 100, que les contrevenants primaires.

Comme on pourrait s'y attendre, la probabilité de faire l'objet d'un placement sous garde augmente avec le nombre des condamnations antérieures. Trente pour cent des affaires concernant des récidivistes ont débouché sur un placement sous garde. Ce pourcentage passe à 42 p. 100 pour les récidivistes ayant déjà été condamnés deux fois et à 63 p. 100, soit près de deux tiers, pour ceux qui ont fait l'objet de trois condamnations et plus. Il est d'ailleurs logique que la sévérité des peines imposées aux récidivistes augmente avec le nombre des condamnations antérieures.

Le tableau 15 montre le pourcentage des adolescents autochtones faisant l'objet d'un placement sous garde, et je suis sûr que cela ne surprend personne. Ces jeunes sont sensiblement surreprésentés dans le système correctionnel pour les jeunes. Dans les provinces et les territoires qui déclarent ces données, les Autochtones représentent près d'un quart du nombre total des placements sous garde, alors qu'ils représentent environ 5 p. 100 de la population des jeunes dans ces provinces et territoires. Au Manitoba en particulier, les trois quarts des placements sous garde concernent des Autochtones, alors que ces derniers représentent 16 p. 100 de la population des jeunes Manitobains. En Saskatchewan, la situation est très semblable, puisqu'ils représentent 74 p. 100 des placements sous garde, alors que 15 p. 100 seulement de la population générale des jeunes est d'origine autochtone.

Ce sont là les données qui font ressortir les caractéristiques générales du fonctionnement du système de justice pour les jeunes. Je suis prêt à répondre à vos questions.

Le sénateur Beaudoin: Est-ce que les mesures de rechange varient d'une province à l'autre ou sont-elles identiques? J'aurais tendance à penser qu'elles changent.

M. Jones: Oui, elles varient de façon considérable pour ce qui est des conditions d'admission, de la nature de l'infraction et des antécédents judiciaires et aussi, pour ce qui est de la nature des programmes. Comme je l'ai mentionné lorsque nous avons examiné cette diapositive, l'Alberta a adopté une définition de mesures de rechange qui est beaucoup plus large que celle qui est utilisée par les autres provinces. Cette définition comprend des choses comme les lettres à la victime.

Le sénateur Beaudoin: L'image que l'on obtient finalement n'est donc pas d'une précision mathématique. Si cela varie d'une province à l'autre, ces chiffres ne peuvent nous donner qu'une indication, guère plus. Le tableau 9 indique clairement que toutes les mesures de rechange sont plus courtes. Elles sont moins nombreuses.

M. Jones: Oui.

Le sénateur Beaudoin: C'est une indication, mais même cela n'est pas définitif.

M. Jones: Non, et nous ne pouvons fournir de chiffres définitifs par rapport à d'autres aspects qui touchent les comparaisons entre les provinces et les territoires, comparaisons qu'il convient d'aborder avec prudence. Il existe une différence entre les programmes pour ce qui est de la déjudiciarisation avant le dépôt d'accusations et d'examiner l'opportunité de mesures de rechange, ainsi que pour ce qui est des conditions d'utilisation de ces mesures.

Par exemple, si l'on compare le taux du recours aux mesures de rechange de la Colombie-Britannique, en se fondant sur l'indicateur du nombre des affaires concernant les jeunes, on constate qu'il n'est pas très loin de la moyenne nationale. Cependant, dans cette province, la déjudiciarisation s'opère fréquemment avant le dépôt d'accusations et c'est ce qui explique le faible taux d'accusations portées dans cette province par rapport aux autres. C'est une image très complexe et mouvante qu'il n'est pas facile de saisir. Je reconnais que nous ne possédons pas tous les renseignements sur les conditions d'accès aux programmes, les pratiques en matière d'application de la loi dont nous aurions besoin pour pondérer, sur le plan quantitatif, les comparaisons entre les provinces et les territoires.

Le sénateur Beaudoin: Les mesures de rechange varient d'une province à l'autre. Cela est tout à fait conforme au droit, comme l'indique l'arrêt Sheldon S. Il y a le système ordinaire et celui des mesures de rechange; ce dernier système a été contesté devant les tribunaux qui en ont confirmé la validité. Cela me paraît une bonne chose, j'en suis heureux. Je pense que c'était une bonne idée de prévoir des mesures de rechange.

Mon autre question concerne l'âge et le sexe des accusés, tels qu'ils figurent dans le tableau 6. Le pourcentage des adolescents est beaucoup plus élevé pour les âges de 16 et 17 ans, mais pour la tranche d'âges des 12 et 13 ans, c'est le contraire et c'est le pourcentage des adolescentes qui est plus élevé. Comment expliquez-vous cela?

M. Jones: Cette répartition est basée sur le nombre total des adolescents et des adolescentes, de sorte qu'elle tient compte uniquement des différences dans la composition du nombre total des adolescents et des adolescentes. Ce tableau indique que, si l'on considère le nombre total des adolescents inculpés, ce qui donne 100 p. 100, 20 p. 100 d'entre eux ont de 12 à 13 ans, par rapport au groupe des femmes, et 14 p. 100 de ce dernier groupe fait partie de cette catégorie d'âge. Nous ne faisons pas de comparaison entre les sexes, nous comparons la répartition des groupes d'âges chez les adolescents et chez les adolescentes.

Le sénateur Beaudoin: Les adolescents de 16 et 17 ans représentent 50 p. 100.

M. Jones: Oui. Pour ce qui est des comparaisons en chiffres absolus, mais pour les taux relatifs par âge et par sexe, je vous renvoie à d'autres tableaux qui indiquent les taux d'activités criminelles par sexe et par âge et qui montrent que le rapport est environ de trois contre un, tous les ans, tant pour les infractions contre les biens que pour les infractions avec violence.

Le tableau 6 fait simplement ressortir l'existence d'une différence pour ce qui est du groupe d'âges le plus actif chez les accusés selon le sexe, par opposition à une comparaison entre les sexes sur le nombre absolu ou sur le taux de chaque catégorie d'âges. Ce tableau fournit une perspective différente que celle que représente l'autre, qui fait une comparaison entre les sexes.

Le sénateur Beaudoin: Les chiffres pour les Territoires du Nord-Ouest et le Yukon sont très élevés mais bien sûr «l'échantillonnage», comme nous disons en français, est restreint comparé au Québec et à l'Ontario, par exemple, et aussi à la Saskatchewan. Est-ce à cause des Autochtones? Est-ce que l'on tient compte de ce facteur?

M. Jones: Oui. Il existe de nombreux facteurs. Le pourcentage de la population autochtone est un de ces facteurs. Le profil démographique de la province ou du territoire est un autre facteur, dont nous tenons compte pour établir des taux par province et territoire. Tous ces éléments ont un effet. Il y a également les pratiques en matière d'application de la loi et de déjudiciarisation. Il y a beaucoup d'éléments qui influent le taux global.

À l'heure actuelle, les services de police ne nous fournissent pas de renseignements concernant les Autochtones, ce qui nous empêchent de faire des comparaisons sur ce point. Cela explique pourquoi le seul tableau qui tienne compte du statut d'autochtone concerne le secteur correctionnel.

Le sénateur Pearson: On aurait pensé que les statistiques allaient éclaircir ces choses, mais on dirait parfois qu'elles ne font que les compliquer. Il est très difficile de définir des catégories comparables pour classer des statistiques qui viennent de l'ensemble du pays.

Le tableau 4 nous montre les différences qui existent entre l'Ontario et le Québec. Pour ce qui est du nombre des accusations, vous avez dit qu'en Ontario, on utilise les mesures de rechange après le dépôt d'accusations alors qu'au Québec, on le fait avant. Est-ce bien exact?

M. Jones: Habituellement, oui, c'est ce qui se produit.

Le sénateur Pearson: Voilà qui modifie la portée de ces chiffres. Si l'on déduisait de la liste ontarienne le nombre des jeunes qui font l'objet de mesures de rechange, on obtiendrait des chiffres beaucoup plus bas.

M. Jones: Tout à fait.

Le sénateur Pearson: Lorsque l'on fait des comparaisons entre l'Ontario et le Québec, on obtient des résultats qui ne reflètent pas toujours la réalité.

M. Jones: C'est exact.

Le sénateur Pearson: Cela m'intéresse parce que ce sont les deux provinces les plus peuplées. Leurs populations sont, dans une certaine mesure, semblables. Je voulais signaler cela.

La présidente: Nous ne savons pas toutefois quels seraient les chiffres en Ontario pour les mesures prises avant la déclaration de culpabilité.

M. Jones: Oui, nous avons les chiffres pour les infractions en Ontario, pour ce qui est du nombre des accusés.

Le sénateur Pearson: Il est possible de se voir imputer une infraction et de ne pas être inculpé, n'est-ce pas?

M. Jones: C'est exact. Pour ce qui est des mesures de rechange, elles sont utilisées en Ontario après les accusations et au Québec avant.

Le sénateur Pearson: J'aimerais également que vous m'expliquiez comment un enfant de trois ans peut-il être accusé d'une infraction avec violence ou d'une infraction contre les biens, j'ai du mal à croire que cela est possible. J'aimerais que vous me disiez ce que cela veut dire.

M. Jones: Aucun des jeunes de moins de 12 ans n'a fait l'objet d'accusations mais on leur a imputé des infractions criminelles. Malheureusement, je ne sais pas quelles sont les infractions qui correspondent à chacun des nombres mentionnés pour ce groupe d'âges.

Le sénateur Pearson: Cette idée me fascine, même si je ne sais pas quoi en penser. Ce n'est pas important à long terme.

Le sénateur Grafstein: D'après le Code criminel, il n'est pas possible de porter des accusations criminelles contre un jeune de moins de 10 ans.

Le sénateur Pearson: Nous sommes en train de dire que les statistiques indiquent qu'on a imputé une infraction à un jeune de trois ans. Cet enfant a été accusé de crime avec violence et d'infraction contre les biens.

Le sénateur Grafstein: Une imputation n'est pas une inculpation.

Le sénateur Pearson: C'est exact.

Le sénateur Grafstein: Tout d'abord, il y a le fait que l'on retrouve certains aspects du modèle thérapeutique et du modèle de justice pénale. Le Québec privilégie le modèle thérapeutique et le reste du Canada, un modèle inspiré de la justice pénale, même si celui-ci comporte des éléments du modèle thérapeutique. Les jeunes contrevenants semblent former un groupe très hétérogène.

Je me demande où est le problème lorsque j'examine ces chiffres. Pourquoi, avec de telles statistiques, bouleverser notre système et obliger le contribuable à assumer des dépenses dont nous ne connaissons pas le montant? Nous avons connu 10 ans de calme relatif pour ce qui est des crimes avec violence et une diminution du nombre des infractions au Code criminel et contre les biens.

Où est le danger manifeste et actuel qui nous menace? Je ne le vois pas dans ces chiffres, à part certains problèmes isolés auxquels nous ne nous sommes jamais attaqués: que faire pour les jeunes Autochtones qui vivent dans des situations très difficiles. Je regarde ces chiffres et je ne peux m'empêcher de me demander où est le danger manifeste et actuel qui nous oblige à adopter un projet de loi? Je ne le vois pas.

Je ne vous demande pas d'être d'accord avec moi mais tous les tableaux depuis dix ans montrent que la criminalité est en diminution ou au pire, constante. Habituellement, le gouvernement fédéral adopte une loi lorsqu'il existe un danger manifeste et actuel auquel il faut réagir en adoptant d'autres normes légales ou un autre modèle de traitement. Je ne vois pas cela dans ces statistiques.

Je ne sais pas comment vous allez répondre à ma question parce que vous êtes un statisticien et que vous avez tendance à demeurer neutre. Ces chiffres n'indiquent pas qu'il y a péril en la demeure. Je ne vois pas de danger ici; pensez-vous qu'il existe un danger dans une de ces catégories?

M. Jones: Je suis heureux que vous ayez mentionné que je ne suis pas en mesure de vous répondre. Je ne peux qualifier ces chiffres.

Le sénateur Grafstein: Je reviens d'Europe où j'ai passé quelque temps avec un grand spécialiste des soins de santé destinés aux jeunes, et qui travaille en Hollande. Il m'a présenté une étude qui montre que la Hollande aborde de façon tout à fait différente la délinquance juvénile.

Ce pays considère la délinquance juvénile de façon tout à fait différente, il l'aborde comme un problème thérapeutique. Dans ce pays, on a établi des paramètres permettant de dépister très tôt les jeunes susceptibles de commettre des actes de violence et d'utiliser le plus tôt possible à leur endroit tout un ensemble de méthodes thérapeutiques et de mesures sociales. On essaie de leur donner un bon départ.

Pour ce qui est de la délinquance juvénile, cet expert m'a déclaré qu'il ne comprenait pas très bien de quoi nous parlions. Il m'a dit qu'en utilisant le système pénal pour les jeunes, on augmenterait la récidive. En Hollande, on utilise un modèle thérapeutique qu'il faut constamment raffiner et qui est coûteux. En fin de compte, il en coûte 10 000 $ pour amender un enfant violent lorsqu'il est très jeune, quelles que soient les raisons qui le poussent à agir ainsi, au lieu de 45 000 $ pour le mettre en prison. Ce sont des chiffres qui concernent l'Europe mais je pense qu'ils doivent être assez proches des nôtres.

Monsieur Jones, avez-vous examiné, dans un but de comparaison, les modèles axés sur le traitement thérapeutique et sur le traitement pénal dans d'autres pays d'Europe? Pouvez-vous nous fournir des éléments sur ce point pour que nous puissions évaluer les affirmations qu'on m'a faites?

M. Jones: Habituellement, nous ne faisons pas de comparaisons entre les différents modèles d'administration de la justice.

Le sénateur Grafstein: Est-ce que les Nations Unies le font? Le spécialiste hollandais m'a parlé de la convention des Nations Unies, et il semble qu'il existe des chiffres qui touchent précisément ce problème. Est-ce que nous pourrions nous les procurer?

M. Jones: Oui, cela est possible.

Le sénateur Grafstein: Ce sont des données qui pourraient nous être utiles. Nous parlons d'un modèle tout nouveau et nous aimerions savoir si ce modèle-là serait plus utile à la société.

La présidente: Nous allons nous pencher sur cette question, monsieur le sénateur Grafstein.

[Français]

Le sénateur Nolin: J'aimerais revenir au tableau numéro 4. Si je comprends bien, il est difficile de réconcilier la situation du Québec avec celle de l'Ontario sans ajouter l'élément qui fait en sorte qu'au Québec, une mesure de diversion s'opère avant qu'une mise en accusation ne soit faite.

[Traduction]

Serait-il possible d'avoir un tableau 4.1 qui comparerait le nombre des jeunes accusés au Canada dans toutes les provinces et les deux territoires pour être certains que nous comparons la même chose? D'après la réponse que vous avez fournie au sénateur Pearson, il n'est pas possible de comparer les chiffres de l'Ontario avec ceux du Québec dans le tableau 4, si l'on ne tient pas compte qu'au Québec la déjudiciarisation s'opère avant le dépôt d'accusations alors qu'en Ontario, elle la suit. Est-il possible de veiller à ce que l'on fasse des comparaisons entre les provinces et les territoires qui portent sur les mêmes aspects?

M. Jones: C'est possible pour la plupart des provinces et des territoires mais, dans certains cas, les services de police ne nous transmettent pas de renseignements concernant les mesures prises avant le dépôt d'accusations, lorsqu'ils ne recommandent pas le dépôt d'accusations ou qu'ils portent eux-mêmes des accusations, ce qu'il nous faudrait avoir pour faire des comparaisons.

Le sénateur Nolin: Quelles sont ces provinces et ces territoires?

M. Jones: Il faudrait que je revienne.

Le sénateur Nolin: Nous voulons être sûrs que nous parlons de choses comparables.

La présidente: Nous voulons comparer des choses qui peuvent se comparer.

Le sénateur Andreychuk: Vous avez parlé de mesures de rechange. Si j'ai bien compris, vous parlez ici d'un système officiel qui existe au Québec et pour les autres provinces et territoires, on dépose des accusations et les mesures de rechange viennent ensuite. Il est difficile de définir ce que sont les mesures de rechange parce que, partout au Canada, les services de police ont le droit de ne pas porter d'accusations s'ils pensent que cela n'est pas justifié, conformément aux politiques de cette province ou de ce territoire. Si l'on prend le cas de l'Ontario, on constate qu'il y a très certainement des mesures de déjudiciarisation qui sont prises avant le dépôt d'accusations, et que d'autres sont prises par la suite. N'est-ce pas le cas dans toutes les provinces? Affirmez-vous que vos statistiques ne peuvent tenir compte de tous ces facteurs?

M. Jones: C'est là la difficulté. Nous ne possédons pas d'éléments sur ce qui se passe avant le dépôt des accusations, sur les mesures de rechange prises par la police dont nous aurions besoin pour effectuer ces comparaisons et compléter nos données. Les mesures de rechange varient. Qu'elles soient prises avant ou après le dépôt des accusations, il y a signalement et prise en charge officielle du cas et peu importe à quel moment cela se fait. Ces chiffres représentent le nombre des cas pris en charge.

C'est l'information qui n'est pas rassemblée par les services de police, dans les cas où il y a déjudiciarisation après enquête au sujet d'un jeune avant que l'on recommande le dépôt d'accusations ou que l'on en dépose et avant que ce dossier soit renvoyé à un programme de mesures de rechange, s'il n'y a pas encore eu d'accusations de déposées. Nous n'avons pas ces renseignements.

Le sénateur Andreychuk: Vous ne savez pas vraiment quelles sont les mesures de déjudiciarisation que prennent les autres systèmes. Par exemple, vous avez parlé du fait que la plupart des voies de fait simples et des infractions avec violence sont commises en milieu scolaire. Si les autorités scolaires adoptent une politique de tolérance zéro, cela veut dire que ces infractions sont rapportées à la police. Si les autorités scolaires règlent elles-mêmes ce genre de problème, la police ne participera pas aux décisions sur ce point; ce seront les politiques adoptées par les établissements scolaires qui vont encadrer le recours aux mesures de rechange. Il existe parfois certains programmes. Vous essayez en fait d'aller aussi loin que possible.

M. Jones: Oui et il y a aussi le renvoi officiel aux services de police pour les actes commis en milieu scolaire. Cela s'applique lorsqu'il y a une tolérance zéro pour les comportements violents ou un pouvoir discrétionnaire dans le cas des infractions relatives aux biens commises dans les écoles. Évidemment, cela varie d'un conseil scolaire à l'autre et d'une province à l'autre.

La présidente: Cela varie même à l'intérieur d'une province?

M. Jones: Oui.

Le sénateur Nolin: Il est peut-être impossible de répondre à ma question. Peut-on comparer l'Ontario et le Québec sur au moins un aspect?

La présidente: J'aimerais aussi pouvoir comparer l'Ontario et le Québec sur certains aspects, parce que ce sont deux extrêmes et que nous allons entendre des représentants de ces deux provinces. Il serait bon d'avoir des chiffres qui nous permettent de comparer, jusqu'à un certain point, des choses comparables.

Le sénateur Fraser: Sur ce point, j'aimerais demander une précision au sujet d'un tableau que je pensais comprendre auparavant, il s'agit du tableau 9. Est-ce que le tableau 9 décrit uniquement ce qui se passe après le dépôt d'accusations?

M. Jones: La ligne foncée montre le nombre des affaires portées devant les tribunaux pour adolescents. Cette ligne foncée correspond aux accusations, toutes ces personnes ont été accusées. La ligne grise indique le nombre des jeunes qui font l'objet de mesures de rechange pour 10 000 jeunes. Cela comprend aussi bien ceux qui ont fait l'objet d'accusations que ceux qui n'en ont pas fait l'objet.

Le sénateur Fraser: Cela ne nous permet-il pas de faire la comparaison que demandait le sénateur Nolin?

M. Jones: Nous ne disposons pas de tous les renseignements sur les mesures de rechange prises avant les accusations.

Le sénateur Fraser: J'abandonne car je n'y comprends plus rien.

Le sénateur Nolin: La déjudiciarisation est la réponse à cette question. J'essaie de comparer au moins deux provinces, et s'il est possible de les comparer toutes, ce serait encore mieux. Cependant ce n'était pas la question que je voulais poser.

Ma deuxième question concerne les récidivistes. Est-il possible d'avoir des données concernant l'évolution sur plusieurs années, sur 10 ans peut-être, des récidivistes dans chacune des provinces? Lorsque je parle de récidivistes, il peut s'agir d'un multirécidivistes. Cela nous permettrait, je crois, de savoir si le système est efficace ou non.

Bien entendu, avec le temps, la plupart de ces jeunes deviennent des adultes. Par comparaison, est-il possible d'avoir des données concernant les jeunes contrevenants qui ont commencé leur vie criminelle au cours de leur adolescence, qui sont ensuite devenus adultes et ont récidivé à ce moment-là? Est-il possible d'établir ces comparaisons dans ma province sur une période de 10 ans?

M. Jones: J'aimerais beaucoup vous dire que oui, mais cela n'est malheureusement pas possible. Nous n'avons pas accès à toutes ces données à cause de l'impossibilité de recouper les données annuelles. Les données que je vous ai fournies viennent du secteur judiciaire, elles existent à partir de 1992-1993 et ces liens relient les dossiers d'une province, mais pas ceux de provinces différentes.

Le sénateur Nolin: Que se passe-t-il si ces personnes changent de province?

M. Jones: Nous l'ignorons. Nous ne pensons pas que cette migration soit importante mais cet aspect prend de plus en plus d'importance pour nous, à mesure que ces jeunes avancent en âge. Malheureusement, nous ne disposons pas de microdonnées, au niveau national, pour les statistiques policières. Il s'agit ici de données judiciaires. Nous pouvons vous fournir des données correspondant à des périodes plus courtes pour certaines provinces en utilisant la définition que j'ai donnée ici et nous avons effectivement des tableaux qui regroupent ces chiffres. Je serais heureux de vous les transmettre.

La présidente: Très bien.

Le sénateur Nolin: Pour moi, c'est peut-être la seule façon de voir si le système fonctionne, s'il a bien fonctionné et s'il y a lieu de le modifier.

Le sénateur Joyal: Je vais faire précéder ma question d'un bref commentaire. Nous avons entendu les témoins qui représentaient l'Association du Barreau canadien et le Barreau du Québec et on nous a dit que, même si ce système donne de bons résultats au Québec, nous voulons avec ce projet de loi introduire dans les autres provinces un système qui donnera encore de meilleurs résultats.

Cela me semble constituer l'hypothèse de départ et nous allons donc changer le système pour que vous puissiez nous présenter des statistiques plus précises lorsque vous reviendrez ici dans 10 ans pour sans doute essayer d'améliorer cette loi.

Je me demande comment l'on pourrait changer le système pour que l'utilisation précoce de la déjudiciarisation, la politique adoptée au Québec, soit étendue aux autres provinces. Si nous ne faisons pas cela, nous allons tout mélanger sans obtenir les résultats souhaités.

J'ai appelé votre bureau la semaine dernière pour avoir des statistiques sur l'incarcération après que la ministre ait déclaré qu'il y avait au Canada quatre fois plus d'incarcérations qu'aux États-Unis. Cela me semble être un résultat vraiment épouvantable qui condamne le système actuel. Avec ce système, sans rien y changer, le Québec a le plus faible taux d'incarcération. Je vais distribuer maintenant le document qui m'a été envoyé.

Pour l'année 1995-1996, le taux d'incarcération était de 10 par 10 000 jeunes au Québec. Dans les autres provinces, ce taux était beaucoup plus élevé. Le taux d'incarcération pour 1998-1999 était de zéro au Québec. Il s'élevait à 64 dans d'autres provinces et à 48 dans les Territoires du Nord-Ouest et au Yukon.

Je me pose beaucoup de questions au sujet de la loi actuelle, qui semble donner de bons résultats au Québec puisque le taux d'incarcération y est très faible, voire égal à zéro. Nous n'avons pas réussi à concilier les données apparemment satisfaisantes provenant du Québec, il est difficile d'avoir un chiffre inférieur à zéro, mais cela ne nous empêche pas de vouloir modifier cette loi, en particulier son article 61, pour donner au lieutenant-gouverneur de chaque province le pouvoir d'adopter un âge différent. Autrement dit, le nouveau système ne sera pas uniforme, il variera d'une province à l'autre.

Pensons-nous que les autres provinces vont également arriver à un moment donné à un nombre d'incarcérations égal à zéro? Comment pouvons-nous être sûrs, si nous changeons les aspects fondamentaux du système, que nous allons réussir à améliorer les résultats que l'on obtient actuellement au Québec?

M. Jones: Je vous demande de m'excuser; je vous ai envoyé ce tableau le plus rapidement possible et nous avons, je ne sais pourquoi, oublié la légende correspondant aux données pour l'année 1998-1999. Ces symboles indiquent que nous ne disposons pas de données pour le Québec, et non que ces données sont égales à zéro.

Nous voyons les choses très différemment mais cela ne fait pas disparaître le fait que la moyenne québécoise représente la moitié de la moyenne nationale. Elle n'est certainement pas égale à zéro. À partir de 1996-1997, le Québec n'a pas été en mesure de fournir le nombre des admissions quotidiennes dans les établissements. Je vous demande de m'excuser de ne pas avoir inséré cette légende dans le graphique.

Vous avez tout à fait raison. En principe, le Québec a un meilleur taux et je l'ai fait remarquer lorsque j'ai montré la diapositive traitant des condamnations. Le taux du Québec représente moins de 50 p. 100 du taux national pour les placements sous garde, en milieu ouvert et en milieu fermé.

Le sénateur Joyal: Autrement dit, lorsqu'un jeune comparaît devant un tribunal québécois, le taux est toujours inférieur à celui des autres provinces, d'après les statistiques que nous avons ici?

M. Jones: Cela vient du fait qu'il y a moins d'adolescents qui sont traduits devant les tribunaux. Le taux québécois des condamnations n'est pas très différent des autres. Les ordonnances de placement sous garde ne sont pas très différentes des autres, lorsque l'adolescent est jugé. Le Québec filtre davantage les dossiers au départ, pour éviter que les jeunes soient traduits devant les tribunaux. Cela se reflète dans le fait que les taux sont beaucoup plus faibles. Cela ne vient pas de la façon dont les jeunes sont jugés par les tribunaux; ce sont les mesures qui sont prises avant que le jeune ne soit jugé par un tribunal qui expliquent cette différence dans le taux global des incarcérations au Québec.

Le sénateur Joyal: Quoi qu'il en soit, en fin de compte, le taux d'incarcération est plus faible, ce qui veut dire que le système fonctionne mieux.

M. Jones: Tout ce que je peux dire, c'est que le taux d'incarcération est plus faible. Cela est peut-être mieux ou moins bien selon la façon dont on évalue la situation. Il est très différent, voilà ce que je peux dire.

Le sénateur Andreychuk: Sur ce point, je sais que vous n'avez pas ces renseignements ici mais que vous allez essayer d'obtenir ces statistiques sur les récidivistes.

M. Jones: Oui.

Le sénateur Andreychuk: Nous aimerions également voir quelles sont les différences entre les provinces. Un des critères pourrait consister à se demander si le système est efficace lorsque les jeunes se retrouvent constamment devant les tribunaux? Il faut prendre comme hypothèse qu'une bonne partie d'entre eux ne quittent pas la province et que la police porte ses accusations de la même façon. Si l'on fait une série d'hypothèses, on pourrait tirer un certain nombre de conclusions importantes à partir des statistiques sur les récidivistes.

On nous a déjà fourni des statistiques brutes antérieures à 1985 qui montraient quelle était la situation au cours des années 70 avec la Loi sur les jeunes délinquants et comment les choses avaient changé avec l'adoption de la Loi sur les jeunes contrevenants qui a entraîné une augmentation du nombre des dossiers à traiter.

Vous avez sans doute ces chiffres dans vos archives. Nous avons les chiffres à partir de 1985 et il manque une période de deux ans qui correspond à la mise en place du système et à la formation du personnel. J'aimerais savoir si le système des jeunes contrevenants a donné les résultats escomptés par rapport au système précédent. Pouvez-vous nous fournir ces données brutes.

M. Jones: Oui, nous avons des statistiques fondées sur les données des services de police qui sont antérieures à 1985 et remontent jusqu'en 1962. Nous serions très heureux de fournir au comité des statistiques sur une période plus longue.

Le sénateur Andreychuk: Je vais révéler un de mes préjugés favorables - la Saskatchewan. Si nous réussissions à résoudre les problèmes juridiques, sociaux et autres qui touchent la communauté autochtone, au lieu de les criminaliser comme nous le faisons actuellement, cela réduirait considérablement le taux de la criminalité.

Avez-vous des statistiques qui portent sur la criminalité des adultes par province, et qui tiennent compte de la population autochtone?

M. Jones: Nous disposons uniquement des indicateurs qui nous sont fournis à l'heure actuelle par le secteur correctionnel sur les Autochtones. Nous connaissons toutefois le taux global de la criminalité des adultes ainsi que les activités judiciaires pour la Saskatchewan. Là encore, je serais très heureux d'envoyer ces documents au comité.

Le sénateur Pearson: Si l'on part de l'hypothèse que les jeunes vieillissent, j'aimerais savoir si le taux d'incarcération des adultes du Québec est différent de celui que l'on retrouve dans le reste du pays?

Le sénateur Andreychuk: C'est pour cette raison que je voulais reculer davantage dans le temps.

M. Jones: Je n'ai ces chiffres avec moi. Nous avons les taux d'incarcération des adultes par province et territoire. Je peux fournir ces chiffres au comité.

Le sénateur Pearson: Merci.

Le sénateur Andreychuk: Vous avez dit qu'un pourcentage important des infractions avec violence étaient des voies de fait simples. Est-ce exact?

M. Jones: Oui.

Le sénateur Andreychuk: À partir de quand avez-vous commencé à séparer les infractions avec violence des voies de fait simples?

M. Jones: Nous n'avons pas beaucoup de renseignements qualitatifs sur la façon dont fonctionnent les différents systèmes de renvoi, notamment ceux des conseils scolaires. Nous connaissons toutefois la répartition des accusations selon l'infraction commise depuis 1962. Cela figure dans les documents concernant les statistiques policières qui portent sur des périodes plus longues.

Le sénateur Andreychuk: Nous pourrions donc obtenir ces données?

M. Jones: Oui.

Le sénateur Fraser: Je m'intéresse à la répartition selon le sexe. Je note que le nombre des adolescentes accusées d'infractions avec violence a augmenté de façon surprenante depuis 15 ans. Y a-t-il une différence qualitative entre la violence exercée par les adolescentes et celles qu'exercent les adolescents? Les filles ont-elles plus tendance à donner une claque à quelqu'un dans la cour de l'école et les garçons à taper sur les vieilles femmes? Vous venez de nous dire qu'il n'est pas fréquent qu'ils tapent sur les vieilles femmes mais vous voyez ce que je veux dire.

M. Jones: Cette répartition concerne la catégorie des infractions avec violence, qui constitue de toute façon une catégorie assez abstraite. La répartition est quelque peu différente pour les adolescentes de moins de 17 ans. Le pourcentage des voies de fait simples est plus élevé mais ces jeunes femmes commettent quand même un bon nombre de voies de fait graves, de voies de fait armées et de vols qualifiés.

Le sénateur Fraser: Il s'agit donc vraiment d'infractions avec violence?

M. Jones: Tout à fait.

Le sénateur Fraser: Est-ce que la répartition que montre le tableau 3 est relativement uniforme à l'échelle nationale ou y a-t-il des variations régionales?

M. Jones: Il existe de légères variations régionales mais les chiffres globaux concernant la nature des infractions commises ne varient pas autant que les chiffres absolus. Il existe une plus grande uniformité d'une province à l'autre pour cet aspect.

Le sénateur Fraser: Il n'y a pas de région du Canada où les adolescentes semblent être plus délinquantes qu'ailleurs?

M. Jones: Non.

Le sénateur Fraser: Enfin, avons-nous des chiffres sur la répartition selon le sexe des décisions prises à l'endroit des jeunes - placement sous garde, services communautaires et tout cela?

M. Jones: Oui, nous en avons.

Le sénateur Fraser: J'aimerais bien voir ces chiffres. Pourriez-vous nous dire un peu ce qu'ils montrent?

M. Jones: Ils se trouvent dans la publication «Statistiques sur les tribunaux de la jeunesse» de Juristat. Ce document fournit une certaine répartition selon le sexe des affaires soumises aux tribunaux et des décisions auxquelles elles donnent lieu. D'une façon générale, si ma mémoire est fidèle, les adolescentes se voient légèrement plus fréquemment imposer une ordonnance de probation que les adolescents, mais pour le reste, il n'y a guère de différence entre ces deux groupes. Vous trouverez ces données dans le résumé Juristat de l'année dernière.

La présidente: Avant de démarrer la deuxième série de questions, je voudrais rappeler aux sénateurs qu'il y a des représentants du ministère de la Justice qui attendent de comparaître devant nous.

Le sénateur Nolin: Comment définissez-vous «récidiviste»?

M. Jones: Un récidiviste est un jeune qui comparaît devant un tribunal et qui possède un dossier dans cette province indiquant qu'il a déjà été condamné par un tribunal. Lorsqu'un jeune est traduit devant les tribunaux, nous possédons suffisamment de données dans cette province ou ce territoire concernant les contrevenants et leurs antécédents pour vérifier ce qu'il y a à son sujet dans la base de données. Si cet adolescent a des antécédents judiciaires dans cette province ou territoire, il est qualifié de récidiviste ayant été condamné une fois.

Le sénateur Nolin: Que se passe-t-il dans le cas du jeune contrevenant qui en est à la première étape du processus, l'étape de la déjudiciarisation? Il revient plusieurs fois mais n'est jamais renvoyé devant les tribunaux. Où figure-t-il dans cette statistique?

M. Jones: Nous ne connaissons pas le nombre des contacts qui ne débouchent pas sur une accusation officielle et nous n'avons pas les microdonnées policières dans les provinces et les territoires qui nous donneraient le moyen d'établir des liens entre les contacts avec la police et la présence devant les tribunaux. Nous pouvons tenir pour acquis que les adolescents qui ont des contacts répétés avec la police en arrivent à un point où ils font l'objet d'un signalement qui va déboucher officiellement sur des accusations ou une comparution devant un tribunal. Nous n'avons pas les données initiales sur le nombre des contacts avec les services de police.

Le sénateur Nolin: J'aimerais que l'on compare celui qui a été jugé une fois et qui revient. C'est un récidiviste mais nous n'avons pas de renseignements à son sujet. Une simple vérification, nous allons obtenir des statistiques sur les récidivistes, si j'ai bien compris ce que vous venez de me dire?

M. Jones: C'est exact.

Le sénateur Grafstein: Cette question porte sur la responsabilité envers la société, sur le développement des enfants et sur l'information que nous avons au sujet de la justice pour les jeunes et de la délinquance juvénile. Avez-vous effectué des études longitudinales indiquant quels sont les facteurs de risque associés à l'augmentation de la probabilité que des adolescents commettent des infractions graves et avec violence? Autrement dit, est-ce qu'il existe des études longitudinales qui font ressortir ce genre de chose pour que l'on puisse s'occuper davantage des groupes à haut risque? Avez-vous des études de cette nature?

M. Jones: Oui. La dernière fois que je suis venu, je vous ai remis un profil Juristat intitulé «Les problèmes de comportement et la délinquance chez les enfants et les jeunes». Ce document se fondait sûr notre nouvelle enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes qui examine les activités scolaires, les activités criminelles rapportées par leur auteur, les questions de comportement, la dépression - on est en train de rassembler toute une série de renseignements sur ce sujet avec des échantillons constants et cela constitue notre première analyse.

Le sénateur Grafstein: Quand avez-vous commencé cette enquête?

M. Jones: En 1994-1995, nous sommes donc en train de constituer la base de données.

Le sénateur Grafstein: Est-ce que ces données existaient la dernière fois que nous nous sommes rencontrés?

M. Jones: Oui, c'est un des trois documents que je vous ai distribués et qui touche un domaine que nous avons hâte d'explorer avec notre programme de recherche.

Le sénateur Pearson: Ma question porte sur la définition de la violence et des voies de fait simples, et de ce genre de catégories. Où placez-vous le fait de proférer des menaces?

M. Jones: Cela dépend du secteur. Le fait de proférer des menaces n'entre pas à l'heure actuelle dans la catégorie des infractions avec violence dont nous parlons ici. Cette infraction fait partie de la catégorie «autres infractions au Code criminel» pour ce qui est des catégories utilisées dans les statistiques policières.

Le sénateur Pearson: Cela ne fait pas partie des infractions courantes.

M. Jones: Pour ce qui est du nombre et de la fréquence, non. Je pensais que votre question portait sur les catégories.

Le sénateur Pearson: Nous savons à propos de l'agression chez les adolescentes qu'elle prend souvent la forme de «violence relationnelle», et qu'elle se manifeste plutôt par des mots que par des actes. J'imagine que ces choses ne figurent pas souvent dans vos statistiques tant qu'elles ne débouchent pas sur de la violence physique.

Le sénateur Beaudoin: D'après le tableau 9, je constate que les mesures alternatives arrivent toujours en premier, c'est pourquoi je pense que le système actuel fait problème, d'après moi. Si les mesures de rechange sont toujours choisies en premier, le moment n'est-il pas venu de modifier le système? Je pourrais poser cette question aux représentants de la justice. N'est-il pas vrai qu'elles arrivent toujours en premier?

M. Jones: Je préférerais que vous adressiez cette question à la section des politiques.

Le sénateur Beaudoin: J'aimerais que vous me disiez si cela est bien le cas.

M. Jones: Je ne suis pas en mesure de formuler une opinion.

Le sénateur Beaudoin: Je retire ma question.

Le sénateur Andreychuk: Avant de passer à la Loi sur les jeunes contrevenants, l'âge variait entre 16 et 18 ans selon la province. À l'époque, je me souviens qu'il y avait des statistiques qui montraient que certains adolescents passaient d'une province où l'âge maximum était de 18 ans à une province où il était fixé à 16 ans pour obtenir une peine moins sévère. Il y a eu un certain suivi sur cette question; je ne me souviens pas si c'était les provinces comme la Saskatchewan et le Manitoba, ou l'Ontario et le Québec, qui s'en chargeaient ou si c'était le gouvernement fédéral. Avez-vous des données là-dessus dans vos archives, si vous pouvez ajouter ce paramètre?

M. Jones: Je vais ajouter cela à la liste des choses que je vais chercher.

Le sénateur Nolin: Il semble qu'il y ait un problème d'accès aux données dans la mesure où vous êtes prêt à rassembler tous les renseignements mais que vous ne recevez pas tous les renseignements dont vous avez besoin. Le projet de loi C-7 contient-il une disposition qui pourrait vous aider dans ce domaine?

M. Jones: Pas expressément, même si le projet de loi mentionne la communication de renseignements à des fins statistiques. La Loi sur la statistique devrait faciliter la collaboration avec les différents secteurs, au moins autant que le faisait la Loi sur les jeunes contrevenants. Ce n'est pas faute de volonté. Dans certains cas, les stratégies adoptées exigent que l'on modifie complètement les systèmes administratifs provinciaux et territoriaux.

Le sénateur Nolin: En termes simples, le projet de loi ne contient aucune disposition obligeant un organisme à vous transmettre des données.

M. Jones: Cette obligation existe dans la Loi sur la statistique, mais je dois vous dire que je ne connais peut-être pas le projet de loi aussi bien que je le devrais. C'est une question à laquelle Justice Canada pourrait vous répondre.

La présidente: Monsieur Jones, j'attends normalement la fin pour poser mes questions, parce qu'habituellement, d'autres sénateurs les ont déjà posées. Mais cette question n'a pas encore été posée.

Le tableau 1 montre que les infractions prévues au Code criminel, les infractions contre les biens et les autres infractions prévues par le Code criminel ont toutes atteint un sommet en 1991. Qu'est-ce qui explique la diminution qui s'est produite par la suite?

M. Jones: C'est une bonne question. Nous ne savons pas exactement ce qui a entraîné cette réduction de la délinquance juvénile. En général, la diminution de la criminalité chez les adultes suit assez bien celle de la criminalité chez les autres. Cependant, la situation économique était mauvaise au début des années 90 et elle s'est améliorée par la suite. La tendance à la baisse de la criminalité est fortement influencée par la situation économique. Le profil démographique du pays a légèrement changé, notamment le nombre absolu de la population en danger, ce qui comprend les jeunes adultes.

La présidente: Il ne s'agit pas d'une diminution progressive mais, en 1991, c'est plutôt une chute brusque, un renversement très net de la tendance qui s'est produit.

M. Jones: Oui, c'est bien cela, et cela coïncide avec une période de récession économique suivie d'une reprise. À plus long terme, nous pensons au fait que les perspectives en matière d'emploi et de vie familiale se sont améliorées au Canada au cours des années 90.

La présidente: Merci, monsieur Jones.

Nous allons maintenant entendre les témoins qui représentent le ministère de la Justice. Madame Latimer, je vous invite à prendre la parole.

Mme Catherine Latimer, avocate générale et directrice générale, Justice pour les jeunes, ministère de la Justice: Honorables sénateurs, j'aimerais présenter mes collaborateurs. J'ai avec moi ce soir Eileen Hornby, directrice de la mise en oeuvre, Paula Kingston, notre autorité sur les aspects correctionnels du projet de loi ainsi que sur certains aspects internationaux, Yolande Viau, qui s'intéresse particulièrement à tous les aspects qui touchent le Québec, ainsi qu'aux aspects judiciaires du projet de loi, Dick Barnhorst, qui est chargé des importantes mesures prises au cours de l'étape initiale et des dispositions du projet de loi en matière de détermination de la peine, enfin de Bruno Marceau, responsable des ententes financières avec les provinces et nos ententes à coûts partagés, qui jouent un grand rôle dans l'appui qu'elles accordent.

Je suis heureuse d'être ici pour parler du projet de loi C-7, le projet de loi qui va remplacer la Loi sur les jeunes contrevenants par la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Il me paraît important d'examiner de façon sérieuse et objective toutes les questions que soulèvent la délinquance juvénile et la justice pour les jeunes, en grande partie parce qu'il existe de nombreux malentendus sur ces questions, et aussi à cause du climat social dans lequel cette nouvelle loi sur la justice pour les jeunes va être adoptée.

Comme l'a signalé le sénateur Grafstein, il existe de nombreuses façons de s'attaquer aux comportements délinquants. Certaines de ces façons s'inspirent des lois sur la santé, des lois sur la santé mentale, des lois sur la protection de la jeunesse, par exemple. Le gouvernement fédéral possède une compétence en matière de droit pénal. Avec l'élément législatif de cette initiative, nous tentons d'appliquer le droit pénal aux adolescents de façon appropriée.

Nous savons que, pour lutter efficacement contre la délinquance juvénile, il faut mettre au point une stratégie plus vaste et nous devons travailler de concert avec les autres acteurs clés du système, en particulier les secteurs de la santé, de la protection de la jeunesse et d'autres qui ont un rôle à jouer pour répondre de façon constructive à la délinquance juvénile et aux questions de justice pour les jeunes.

Je sais que le Sénat a déjà été saisi d'autres réformes de la justice pour les jeunes et que cela n'est donc pas nouveau pour vous. Vous connaissez donc le climat social dans lequel s'inscrit la justice pour les jeunes. Il y a une chose qui est claire pour nous, c'est que la population a des idées bien arrêtées sur la délinquance juvénile et sur la justice pour les jeunes. Les données provenant de nos sondages indiquent qu'à l'échelle nationale, 70 p. 100 environ des Canadiens n'ont aucune confiance dans la Loi sur les jeunes contrevenants. Il y a également le fait que le public réagit de façon viscérale à la délinquance juvénile. Il semble d'ailleurs réagir davantage à la délinquance juvénile qu'à la criminalité des adultes et être moins tolérant à cet égard. Il y a aussi beaucoup de fausses informations qui circulent au sujet de la délinquance juvénile et de la justice pour les jeunes.

D'après les sondages, la population estime généralement que le système de justice pour les jeunes actuel n'est pas suffisamment sévère, qu'il est beaucoup trop indulgent pour les adolescents. Ceci est tout à faire contraire aux données qu'on vient de vous présenter et de l'information sur laquelle nous avons fondé notre réforme législative. On commence à bien saisir ce que veulent dire ces données lorsqu'on les compare à celles d'autres pays. On commence alors à voir les points forts du système, les points faibles et les écarts.

Nous avons trouvé préoccupant le fait que trop d'adolescents comparaissent devant les tribunaux de la jeunesse, le fait que le droit pénal pénètre dans la vie des jeunes Canadiens et que l'on incarcère trop de jeunes. C'est là le principal problème, et il n'est pas facile de préparer un projet de loi qui réponde à ces préoccupations, en sachant que la population l'examine d'un point de vue tout à fait différent. C'est pourquoi nous sommes très heureux de pouvoir expliquer ce projet de loi aux sénateurs, qui sont en mesure de l'évaluer de façon plus objective.

Notre objectif était de renouveler la justice pour les jeunes, mais pour y parvenir, il fallait concilier la nécessité d'avoir une action suffisamment large et celle de respecter les limites de notre compétence en droit pénal. En tant que gardiens de la compétence en droit pénal, nous voulions savoir pourquoi le Canada paraissait faire fi des principes fondamentaux de la justice pénale - en particulier de la notion de mesure - lorsqu'il appliquait le droit pénal aux adolescents.

Nous avons également tenu compte de la nécessité d'adopter une approche multisectorielle. Nous ne pensions pas que l'on pouvait vraiment lutter contre la délinquance juvénile en s'en remettant uniquement à l'appareil répressif. Il fallait donc inviter d'autres partenaires à participer à cette réforme en vue de découvrir des façons plus constructives d'aborder les problèmes reliés à la délinquance juvénile.

Nous voulions également mettre au point un outil législatif qui encadrerait le recours au droit pénal et veillerait à ce qu'il soit appliqué de façon efficace et équitable aux adolescents, au sein d'un système distinct qui leur accorderait des protections, des droits et des garanties supplémentaires, qui tiennent compte de leur âge et de leur niveau de maturité.

Un autre aspect important était l'appui dont devait bénéficier la mise en oeuvre de la loi. Le sénateur Andreychuk a déjà soulevé ces aspects. Il va falloir mettre sur pied un ensemble de programmes si nous voulons modifier la façon dont la justice pour les jeunes fonctionne en pratique. Pour nous, la mise en oeuvre de cette loi est un élément essentiel du changement que nous voulons introduire. Ce sujet comporte de nombreux aspects que nous serions heureux d'aborder avec vous, dont le principal est celui des ententes financières avec les provinces. Nous sommes responsables du droit pénal et de sa procédure mais ce sont les provinces qui sont chargées d'administrer la justice.

Nous essayons d'encourager les provinces à réaliser nos objectifs en utilisant des incitations financières. Nous les aidons également à préparer le personnel du système de justice pour qu'il soit prêt à mettre en oeuvre cette loi dès qu'elle sera adoptée. Nous préparons des documents explicatifs, nous travaillons avec les juges et toutes les personnes qui doivent être informées du contenu de la loi pour pouvoir l'appliquer. Nous nous efforçons également d'établir des partenariats avec d'autres secteurs, comme ceux de l'éducation, de la protection de la jeunesse, et d'autres, dans le but de concerter notre approche aux enfants ayant des problèmes de comportement pour ne pas trop avoir à s'en remettre au droit pénal pour régler ces problèmes.

Nous sommes très motivés à lancer des projets pilotes pour démontrer quelles sont les méthodes qui donnent de bons résultats. Nous avons élaboré des projets pilotes qui favorisent les approches novatrices et nous avons hâte de faire connaître les résultats de ces essais. Nous organisons des conférences d'évaluation de la recherche pour favoriser la diffusion des connaissances sur ces problèmes liés à la justice pour les jeunes. Il nous paraît important d'essayer de corriger les fausses informations qui circulent et de démystifier le système de justice pour les jeunes et la délinquance juvénile. C'est un défi constant à cause de toutes ces faussetés. Nous tentons de le faire en mettant sur pied des programmes d'éducation juridique et en organisant des campagnes d'information.

Nous avons également lancé certaines initiatives spéciales qui portent sur les situations problématiques. L'une d'entre elles est la question des jeunes de moins de 12 ans. Le gouvernement a subi certaines pressions pour abaisser l'âge de la responsabilité pénale mais il ne l'a pas fait. Il a conservé l'âge minimum de la responsabilité pénale qui est de 12 ans. Nous avons estimé qu'il était important d'élaborer une stratégie prévoyant des mesures destinées aux jeunes qui n'ont pas atteint l'âge de la responsabilité pénale mais qui ont commis des actes qui peuvent être considérés comme choquants ou dangereux. Nous avons ainsi mis au point une stratégie pour les moins de 12 ans.

L'autre domaine dans lequel nous avons agi est celui des Autochtones. Le sénateur Grafstein en a parlé il y a un instant. C'est un problème important pour nous. On constate une surreprésentation des Autochtones dans le système de justice pour les jeunes, comme c'est déjà le cas dans le système pour les adultes. Un des objectifs énoncés dans le discours du Trône était de réduire en une génération le nombre des Autochtones incarcérés. Nous aimerions beaucoup y parvenir plus rapidement, si cela est possible. Nous avons examiné les projets d'infrastructure communautaire, le renforcement des capacités et essayé de découvrir des façons d'étendre les programmes du système de justice pour les jeunes qui donnent de bons résultats pour les Autochtones.

[Français]

Le renouvellement du système de justice pour les jeunes est une initiative globale et multisectorielle qui a des orientations clés: la prévention, les conséquences significatives, la réadapta tion et la réinsertion sociale.

Les objectifs généraux de l'initiative de renouvellement sont les suivants: la réduction de la criminalité chez les jeunes; un système de justice équitable, efficace et distinct pour les jeunes; la diminution du recours au système de justice formel; la réduction du recours à l'incarcération; l'amélioration de la réadaptation et de la réinsertion sociale; une approche plus globale à l'égard des problèmes liés aux infractions perpétrées par des jeunes et une confiance accrue dans le système de justice pour les jeunes.

[Traduction]

Lorsque nous avons examiné le cadre législatif, nous avons été confrontés à deux questions complexes sur lesquelles nous avons axé le nouveau projet de loi. La première était la suivante: pourquoi le Canada, un pays habituellement tolérant et juste, envoie-t-il en prison plus de jeunes que n'importe quel autre pays occidental? La seconde était: Pourquoi le Canada ne veille-t-il pas à ce que les principes fondamentaux qui viennent limiter et encadrer le recours au droit pénal, comme le principe de proportionnalité, le principe de mesure et les droits individuels, soient appliqués scrupuleusement aux jeunes?

Il semble que ce soit une attitude paternaliste et répressive qui explique le fort taux d'incarcération des jeunes et l'application abusive du droit pénal aux adolescents. Malgré les éléments qui montrent que la dissuasion n'est pas efficace et que les peines communautaires sont au moins aussi productives que les peines privatives de liberté, il y a des personnes qui sont encore convaincues qu'il faut adopter des mesures encore plus sévères pour lutter contre la délinquance juvénile. D'un autre côté, il y en a qui estime qu'il est nécessaire de prolonger la période d'incarcération des adolescents au-delà de ce que justifierait la gravité de l'infraction commise de façon à pouvoir traiter le jeune. Avec une telle approche, les jeunes qui connaissent certains problèmes sont privés de leur liberté pendant des périodes supérieures à ce que justifierait la nature de l'infraction commise. Le projet de loi tente d'éviter ces deux écueils et de mettre en place un système de justice pour les jeunes équitable et efficace. Il ne modifie pas l'âge de la responsabilité pénale et n'augmente pas non plus la durée des peines imposées aux adolescents. Il ne fait pas appel non plus aux objectifs qui sous-tendent la détermination des peines pour les adultes comme la dissuasion générale. En outre, ce projet de loi écarte toute possibilité d'utiliser des sanctions pénales à des fins de protection de la jeunesse, tout en aménageant le renvoi des jeunes à des programmes de protection de jeunesse à des fins d'évaluation et il introduit une proportionnalité entre la privation de liberté et la gravité de l'infraction. Il met en oeuvre la notion importante de proportionnalité pour toutes les mesures prises à l'égard des adolescents.

J'aimerais maintenant passer en revue les principales modifications que contient le projet de loi. Premièrement, nous avons façonné une justice pour les jeunes qui s'inspire d'un certain nombre de principes. On a souvent reproché à la Loi sur les jeunes contrevenants d'énoncer une série de principes contradictoires et non structurés. Nous espérons que ce projet de loi énonce un ensemble de principes cohérents. On les retrouve dans le préambule et dans la déclaration de principes qui expose les caractéristiques particulières du système de justice pour les adolescents et qui décrit les protections prévues. Ce projet de loi renverse en fait l'arrêt JJM parce qu'il établit un ensemble de principes structurés et limite l'application du droit pénal à ce qui est juste et proportionnel, compte tenu de la gravité de l'infraction. Nous avons tenté d'adopter une approche ciblée au recours au droit pénal de façon à ce que les infractions graves et avec violence soient traitées de façon rigoureuse et constructive et que la majorité des infractions mineures reçoivent un traitement équitable et efficace, habituellement sans entraîner le placement sous garde et bien souvent, sans que les tribunaux n'interviennent.

Ce projet de loi met essentiellement en oeuvre une stratégie de déjudiciarisation et de désincarcération. Nous voulons que moins d'adolescents soient traduits devant les juridictions pénales et que moins d'adolescents soient placés sous garde. Pour y parvenir, comme le montrent les chiffres qu'a fournis mon collègue de Statistique Canada, il convient d'intervenir au cours de la phase initiale du processus. Le nombre des adolescents détenus dépend du nombre des adolescents qui sont jugés et déclarés coupables. Trente pour cent environ des adolescents déclarés coupables font l'objet d'un placement sous garde.

Il nous faut agir au cours de la première étape du processus et encourager les intervenants à utiliser des moyens plus efficaces et plus rapides à l'endroit de l'immense majorité des actes de délinquance juvénile. Nous y sommes parvenus en introduisant les mesures extrajudiciaires dès la première étape du processus. Nous ne parlons plus de mesures de rechange qui seraient considérées comme une alternative à la méthode normale, à savoir le dépôt d'accusations. Nous parlons de mesures ou de sanctions extrajudiciaires. Les adolescents doivent passer par cette étape avant d'être traduits devant les tribunaux. Cela oblige les policiers à décider que les mesures prévues ne suffisent pas à faire répondre de ses actes l'adolescent concerné avant de pouvoir déposer des accusations contre lui. Ces mesures comprennent l'avertissement, la mise en garde ou le renvoi de l'adolescent à un organisme communautaire ou à un programme de sanctions extrajudiciaires qui s'inspire beaucoup des programmes de mesures de rechange actuels. On s'efforce davantage de régler les problèmes dès l'étape initiale du processus.

Le processus judiciaire a également subi des changements importants. Le principal, d'après moi, est que les adolescents ne seront plus renvoyés devant les tribunaux pour adultes. Auparavant, aux termes de la LJC, les adolescents qui étaient accusés d'avoir commis des infractions graves, et parfois des infractions moins graves, pouvaient être renvoyés, en fonction des accusations portées, devant les tribunaux pour adultes et être jugés par eux, sans bénéficier de garanties procédurales adaptées à leur âge, en raison de la nature des accusations portées contre eux. Cette approche n'était pas compatible avec les garanties procédurales qu'exigent l'âge de ces adolescents, ni avec le fait que l'instance appropriée pour juger les actes de délinquance juvénile sont les tribunaux pour adolescents, qui accordent à ces derniers certaines garanties supplémentaires comme le droit aux services d'un avocat, le droit au respect de la vie privée, et d'autres choses dont ont besoin, d'après nous, les adolescents lorsqu'on utilise à leur endroit le droit pénal.

Le critère applicable en matière de renvoi a été modifié. Ce n'est plus le caractère adéquat des programmes de réinsertion sociale offerts par les divers systèmes qui est déterminant mais la question de savoir si la peine prévue pour les jeunes est suffisante pour faire répondre l'adolescent de son comportement délictueux.

Dans certaines circonstances limitées, le juge du tribunal pour adolescents peut imposer une peine pour adulte, mais uniquement après avoir tenu un procès, après avoir déclaré l'adolescent coupable et avoir ensuite pris une décision en ce sens. L'avocat de l'adolescent peut tenter de réfuter la présomption applicable en cas d'infraction très grave et la Couronne peut tenter de démontrer qu'une peine pour adulte est appropriée en l'espèce. Dans l'un et l'autre cas, le critère applicable est le même: la peine prévue par le système de justice pour les jeunes est-elle suffisante pour faire répondre l'adolescent de ses actes?

Certains sénateurs ont manifesté quelques préoccupations au sujet des présomptions, au moment où elles ont été mises en place. Nous avons suivi de près cet aspect en vue de déterminer quel serait l'effet de ces présomptions sur les renvois dans le système des adultes. Nous pensons que ces dispositions vont entraîner une diminution du nombre des renvois parce qu'elles ne s'appliquent qu'à la fin du processus.

Il y a plusieurs affaires dont vous allez, je l'espère, entendre parler. L'une concerne Cammy, une adolescente de 15 ans qui a commis une infraction, a attendu pendant deux ans l'audition de la demande de renvoi et dont le tribunal a ordonné le renvoi. Elle a été accusée de meurtre au premier ou au second degré. Au moment où les faits ont été présentés, l'accusation a été réduite à homicide involontaire coupable. La durée de la peine correspondant à cette infraction aurait facilement pu prendre la forme d'une peine pour adolescent prononcée par un tribunal pour adolescents. Cela n'était plus possible. Elle a reçu une peine pour adulte qu'elle a commencé à purger dans un établissement provincial pour adultes. Elle a ensuite été transférée au pénitencier de la Saskatchewan, où sont incarcérés principalement des détenus adultes. Cette décision a eu des effets dévastateurs sur cette personne et son cas a fait ressortir un certain nombre de problèmes.

Le Service correctionnel du Canada a expliqué que, d'après les critères applicables à l'époque, il existait d'excellents programmes pour les femmes autochtones, ce qui est exact, notamment des pavillons de ressourcement et d'autres choses de ce genre. Cela ne veut pas dire que tous les détenus ont accès à ces programmes, et cet accès lui était refusé. Elle a donc été traitée de façon rigoureuse, conformément à la gravité de l'infraction commise. Je mentionne cette affaire pour montrer que ces dispositions pourraient entraîner des résultats très différents.

Certains sénateurs ont également exprimé quelques inquiétudes à l'égard des protections procédurales applicables aux déclarations. Je tiens à souligner de nouveau que les adolescents bénéficient de protections supplémentaires. La Charte correspond à un minimum. Les adolescents ne peuvent bénéficier de garanties moins efficaces que celles que prévoit la Charte.

Nous reconnaissons que les déclarations que font les adolescents aux policiers «qui sont en fait des confessions» soulèvent un problème réel. Les adolescents ne sont pas aussi avertis que les adultes. Toute personne interrogée par la police est incitée à parler mais les adolescents ne réfléchissent pas beaucoup et ils sont prêts à plaider coupable à n'importe quoi pour peut-être pouvoir rentrer chez eux avant le souper, en espérant que leurs parents ne s'apercevront de rien. Nous ne savons pas vraiment pourquoi ils plaident coupables à certaines accusations.

Le projet de loi introduit de nombreuses garanties qui touchent le moment où il est possible de faire une déclaration et leur admissibilité. L'article 146.6 a suscité certaines questions, notamment celle de savoir si les irrégularités techniques pouvaient toucher le droit de consulter un avocat. Le droit aux services d'un avocat n'est pas susceptible de faire l'objet d'une irrégularité technique. Les policiers étaient préoccupés par toutes ces protections et dans certaines provinces, ils utilisaient des formulaires de 11 pages pour être sûrs que les déclarations faites étaient volontaires et répondaient à toutes les conditions. Il est parfois arrivé que l'accusé signe 10 des 11 pages, parce qu'il voulait que sa déclaration soit admissible, mais que le fait qu'il ait oublié une page était considéré comme une irrégularité technique ayant pour effet d'exclure la déclaration; il est compréhensible que certains aient vu là une faille de la loi. Ce résultat n'était satisfaisant ni pour la police, ni pour les victimes, ni pour les adolescents qui voulaient faire une déclaration mais qui constataient que celle-ci n'était pas admissible.

Nous avons attribué aux juges une certaine discrétion, une certaine souplesse, pour qu'ils puissent admettre des déclarations irrégulières dans certaines circonstances très limitées. Il faut qu'il s'agisse d'une irrégularité technique. L'Association du Barreau canadien, notamment, pensait qu'il y avait lieu de renforcer le critère original. C'est ce que nous avons fait en accordant aux adolescents des garanties supplémentaires. Nous estimons que les adolescents sont bien protégés lorsqu'ils font des déclarations.

Nous avons apporté un autre changement important qui touche les principes applicables à la détermination de la peine. Vous trouverez à l'onglet 9 de vos classeurs, des documents d'information qui contiennent certaines données statistiques et exposent les questions qu'elles soulevaient et qui nous ont amenées à apporter certains changements. Les principes de la détermination de la peine ont été une des principales raisons de ces changements. Il était manifeste que les peines imposées aux adolescents ne respectaient pas le principe de la proportionnalité. Nos chiffres indiquent que, pour la plupart des infractions mineures, les adolescents se voyaient imposer des peines qui étaient plus sévères que celles qu'on aurait infligé à des adultes dans des circonstances comparables.

Le système de justice pour les jeunes doit tenir compte du fait que les adolescents n'assument qu'une responsabilité atténuée et qu'on ne peut exiger qu'un jeune de 14 ans réponde de ses actes comme le ferait un homme de 40 ans. Les adolescents sont en période d'apprentissage. Ils commettent des erreurs. Leur jugement n'est pas très sûr. D'une façon générale, leurs peines devraient être moins sévères que celles que l'on imposerait aux adultes mais ce n'est pas ce qui se passait. Nous avons donc insisté sur la notion de proportionnalité. Nous avons exigé que la peine imposée à un adolescent soit plus courte que celle que recevrait normalement un adulte dans des circonstances semblables. Nous espérons qu'en prévoyant une durée maximale pour les peines, la peine choisie demeurera néanmoins proportionnelle à la gravité de l'infraction et conforme aux peines qui ont été imposées à d'autres.

Nous avons étoffé certaines options en matière de peine, en particulier pour encourager les mesures de rechange aux peines privatives de liberté. Nous voulions prévoir des peines plus rigoureuses, accompagnées de surveillance et de mesures de sécurité, susceptibles d'être purgées dans la collectivité pour les jeunes particulièrement dangereux.

Nous avons également prévu des programmes de présence et des mesures de soutien et de surveillance intensives dans l'exécution des peines. Le projet de loi contient également une disposition concernant le report du placement sous garde qui donne au jeune, même lorsque la Couronne a franchi tous les obstacles qui s'opposent à l'imposition d'une peine privative de liberté, la possibilité de purger sa peine dans la collectivité tant qu'il ne viole pas une des conditions rigoureuses dont elle est assortie. Il existe de nombreuses options qui permettent à un adolescent de purger sa peine dans la collectivité. La recherche est claire sur ce point. Les peines communautaires sont dans l'ensemble plus efficaces que les peines privatives de liberté. Celles-ci nuisent davantage aux adolescents, elles ont un effet négatif qu'il est difficile de contrer une fois que l'adolescent a appris toutes les choses antisociales que lui enseignent les autres détenus.

Nous avons mis en place un nouveau type de peine privative de liberté, à savoir l'ordonnance de garde et de surveillance. C'est une peine essentielle qui représente un changement important. Le projet de loi exige que tous les placements sous garde soient suivis d'une période de surveillance au sein de la collectivité. Une des faiblesses de la Loi sur les jeunes contrevenants est qu'elle ne prévoyait pas de stratégie visant à faciliter la réinsertion du jeune. Il arrivait souvent qu'un adolescent purge une peine privative de liberté et qu'il se retrouve ensuite lâché dans la collectivité sans aucun soutien ni sans aucun plan pour réintégrer la société, alors qu'il se trouve à une étape de son développement où il est particulièrement vulnérable.

Nous avons fait en sorte qu'il soit obligatoire de faire suivre le placement sous garde d'une période de surveillance et de soutien au sein de la collectivité. C'est là une des différences essentielles qui existe entre ce projet de loi et la Loi sur les jeunes contrevenants. Il y a également la disposition qui exige que les adolescents soient détenus à l'écart des adultes en prévoyant toutefois la possibilité de les renvoyer devant les tribunaux pour adultes si l'âge de l'adolescent l'autorise.

Il a également un nouveau type de peine privative de liberté, une peine dont la mise en oeuvre est lourdement financée par le gouvernement fédéral, à savoir la peine de garde en vue de mesures de réadaptation intensives. C'est une peine privative de liberté de nature thérapeutique destinée aux jeunes les plus violents et les plus perturbés. Nous avons vraiment tenté de concevoir un projet thérapeutique capable d'atténuer les comportements violents et de résoudre certains problèmes qui sont à l'origine de ce comportement chez les adolescents.

Nous visons à favoriser un système de justice pour les jeunes qui soit beaucoup plus rassembleur. Les comités de justice pour la jeunesse ont vu leur rôle élargi. Plusieurs provinces et territoires ont des réseaux de justice pour les jeunes très étendus, en particulier l'Alberta et le Manitoba. D'autres n'ont créé que quelques comités de justice. Le procureur général peut établir un comité de justice pour la jeunesse et le charger d'examiner si les dispositions de la loi permettent d'assurer le respect des droits des adolescents. Ce projet de loi donne aux intéressés les moyens de déceler les problèmes et d'y répondre dès que le projet de loi sera mis en oeuvre.

Nous avons également introduit la possibilité de créer des groupes consultatifs qui peuvent participer à toutes les décisions importantes prises au cours du processus. Un groupe consultatif peut prendre plusieurs formes. Nous avions envisagé en fait deux types. Le premier permettrait au juge de réunir tous les intéressés, par exemple, le travailleur social et, si l'adolescent a déjà été pris en charge par les services de protection de la jeunesse, les personnes qui s'intéressent activement à l'adolescent. Ces personnes pourraient fournir des conseils sur le renvoi à un organisme communautaire, sur les conditions d'une ordonnance de probation qui serait susceptible de donner de bons résultats pour cet adolescent, et elles seraient en mesure de donner un autre éclairage aux difficultés qu'éprouve l'adolescent et de proposer une sentence qui serait efficace.

L'autre type pourrait prendre des formes très diverses, celle d'un cercle de détermination de la peine ou d'un groupe familial, et réunir davantage de participants, notamment la victime, l'adolescent, la famille de l'adolescent, les personnes qui soutiennent l'adolescent, celles qui soutiennent la victime, pour qu'elles parlent de la situation et fournissent leur avis sur la façon dont l'adolescent pourrait rendre compte de ses actes.

C'est là, d'après nous, un point essentiel parce que bien souvent, les adolescents ne jouent qu'un rôle passif dans le système judiciaire et ils ne peuvent jouer un rôle actif. On ne demande pas leur avis. Ils n'ont pas la possibilité de mentionner le genre de conditions qui seraient appropriées dans leur cas, ni d'expliquer ce qu'ils aimeraient faire pour tenter de réparer les dommages qu'ils ont causés. Cela fournit aux adolescents la possibilité de jouer un rôle actif dans la façon dont s'applique à leur endroit le système de justice pour les jeunes. Cela les inciterait à juger ce système de façon plus positive.

Je vous ai décrit un certain nombre d'éléments essentiels du projet de loi, et il y en a beaucoup d'autres, et nous sommes prêts à répondre aux questions que vous pourriez poser sur certains éléments particuliers. Avant de passer aux questions, j'aimerais décrire les principaux éléments de notre stratégie de mise en oeuvre qui vont jouer un rôle important pour changer la façon dont la justice pour les jeunes est appliquée au Canada.

Il y a, parmi ces éléments essentiels, les ententes financières conclues avec les provinces et les territoires. Un des problèmes que nous avons eus avec la Loi sur les jeunes contrevenants est que nous nous sommes lancés dans un partage égal des coûts non plafonnés, ce qui veut dire que les provinces et les territoires qui avaient recours au placement sous garde, un type de peine particulière coûteux, ont obtenu la plus grosse part des sommes consacrées à ce secteur. Cette méthode a eu des effets pervers sur le financement et sur la réalisation de nos objectifs: nos objectifs étaient axés sur la déjudiciarisation et la désincarcération mais les arrangements financiers avaient l'effet contraire et affectaient des ressources très importantes aux solutions privatives de liberté. Nous avons tenté de renverser cette tendance et de veiller à ce que nos incitations financières soient compatibles avec nos objectifs.

Deux types d'ententes financières sont offerts aux provinces. M. Marceau est le spécialiste de cette question et il répondra à ce sujet. Il y a les ententes de financement axées sur les priorités et les ententes axées sur les résultats. Nous souhaitons de cette façon que le cadre financier facilite la réalisation des objectifs fédéraux. Nous avons procédé à de nombreuses consultations fédérales-provinciales pour définir les priorités en matière de financement et nous en sommes arrivés à un accord général sur la nature de ces priorités qui consistent à viser la déjudiciarisation et la désincarcération. Nous avons réalisé des progrès importants sur ces deux points, à part quelques exceptions notables.

Nous avons également fourni un appui aux provinces pour faciliter la mise en oeuvre de la nouvelle loi. Il s'agissait de les aider à réorienter leur système et nous mettons à la disposition des provinces et des territoires des ressources destinées aux secteurs clés. Un de ces secteurs est celui de la formation; nous leur fournissons des ressources pour que leur personnel et les responsables de la mise en oeuvre de la loi sur la justice pour les jeunes connaissent bien le nouveau système et soient en mesure de l'utiliser. Il y a aussi l'appui à la mise en oeuvre, qui porte sur la modification des formulaires, des directives et des manuels de procédure pour tenir compte des nouvelles dispositions.

Nous avons également le souci d'encourager l'établissement de partenariats pour que les provinces et les territoires s'habituent à consulter d'autres disciplines pour essayer de régler les problèmes sous-jacents que connaissent ces jeunes et pour ne pas trop dépendre du droit pénal qui, à lui seul, n'est pas l'outil approprié pour apporter des solutions.

Nous leur transmettons également des renseignements pour leurs systèmes d'information. Au lieu d'exiger qu'ils fournissent ce que prévoient les nouvelles dispositions, nous les aidons à améliorer leurs systèmes pour qu'il leur soit plus facile de rassembler les données en vue de les fournir au centre canadien et aux autres organismes intéressés.

Nous avons également une nouvelle catégorie qui touche la réinsertion sociale et qui est destinée à les aider à planifier la mise en oeuvre des nouvelles dispositions - qui représentent un changement systémique très important - qui prévoient la fourniture d'un soutien aux adolescents qui veulent se réintégrer dans la société après une période d'incarcération. Il y a également des sommes que nous dépensons nous-mêmes pour élaborer des documents explicatifs et pour essayer de faciliter l'opérationnalisation du projet de loi. C'est un projet de loi long et compliqué mais il n'est pas difficile à comprendre lorsqu'il est présenté en fonction des divers acteurs et de leurs rôles. Nous essayons de fournir des documents explicatifs qui vont être utiles à tous ceux qui vont recevoir une formation pour être en mesure de mettre en oeuvre les dispositions du projet de loi.

Nous travaillons étroitement avec les auditoires et les groupes clés du système. Le premier a été les services de police. Il faut agir à l'étape initiale du processus si l'on veut modifier réellement le système de justice pour les jeunes, et les agents de police jouent un rôle clé à ce moment-là. Nous avons fait un certain nombre de choses pour essayer de travailler de concert avec la police. Nous avons récompensé les approches novatrices adoptées par les services de police à l'endroit des adolescents et donné à leurs agents de formation l'occasion de se réunir en vue de déterminer le genre de documents qui leur seraient utiles. Nous avons fourni un cadre dans lequel les services de police ont rencontré des représentants de la collectivité et d'organismes de soutien pour que les agents de police aient une idée de tous les programmes et possibilités qu'offre la collectivité, pour qu'ils sachent qu'il y a des gens qui sont prêts à aider les jeunes en difficulté et qu'il existe d'autres solutions que le système judiciaire.

Nous essayons de créer des partenariats, non seulement avec les services de police et la magistrature, mais également avec toute une série d'organismes, y compris des ministères fédéraux, pour essayer de briser l'isolement. Nous travaillons très étroitement avec, par exemple, Patrimoine Canada sur le rôle que les arts et le secteur des loisirs pourraient jouer pour stimuler une conduite sociable chez les adolescents qui ont des problèmes de comportement. Nous collaborons à l'initiative des sans-abri de DRHC dans le but de déterminer si nous ne pourrions pas accorder un soutien aux adolescents qui ont des besoins particuliers en matière de logement et qui ont des démêlés avec la justice. Ce projet se présente bien. Nous travaillons également avec de nombreux partenaires non traditionnels, notamment le secteur de l'éducation, les services de santé mentale pour les enfants, les responsables de la protection de la jeunesse et divers autres organismes qui n'avaient jamais été invités à participer au système de justice pour les jeunes et à voir comment cela fonctionnait. Nous sommes tout à fait désireux d'amener tous ces organismes à participer de façon constructive à notre action.

Nous avons démarré un certain nombre de projets pilotes qui vont mettre à l'épreuve certaines techniques novatrices. Nous évaluons les résultats obtenus grâce à ces projets. Le but recherché est l'innovation. Nous ne pensons pas que tous ces projets vont donner de bons résultats. Nous sommes en train de les évaluer de façon à déterminer s'il n'y a pas des programmes ou des options qui donnent de meilleurs résultats avec certains groupes de jeunes qu'avec d'autres.

Nous diffusons également de l'information, un élément essentiel pour nous, sur la recherche, et les initiatives de recherche que nous avons lancées. Il y en a un certain nombre. M. Barnhorst vous parlera peut-être des études effectuées sur divers sites qui vont nous fournir de bonnes données de base pour que nous puissions savoir ce qui change et quels sont les effets de la nouvelle loi.

Nous travaillons aussi sur une étude portant sur les pouvoirs discrétionnaires de la police qui va nous permettre de savoir comment les policiers ont utilisé jusqu'ici ces pouvoirs et comment ils pourraient les utiliser à l'avenir maintenant que la nouvelle loi les encourage à les utiliser et en structure l'exercice.

Nous avons également fait certaines choses qui viennent renforcer certains éléments clés, comme, par exemple, le renforcement des capacités de la communauté autochtone. C'est une initiative permanente et nous nous sommes demandés si nous rejoignions véritablement les communautés qui en ont besoin ou si les propositions que nous recevions venaient de communautés où vivaient d'excellents rédacteurs de propositions mais qui ne connaissaient peut-être pas le même type de problèmes avec les adolescents que connaissaient d'autres collectivités.

Nous avons pris un «instantané» des jeunes Autochtones placés sous garde. Nous avons fait ce travail en collaboration avec nos collègues provinciaux, et cela a consisté à faire une enquête sur tous les jeunes Autochtones se trouvant placés sous garde une journée donnée et nous leur avons demandé de quelle communauté ils venaient, dans quelle communauté ils se trouvaient lorsqu'ils ont commis l'infraction qui a entraîné leur incarcération et dans quelle communauté ils avaient l'intention de retourner. Nous souhaitions ainsi identifier certaines communautés clés où il y aurait des jeunes en nombre suffisant pour pouvoir travailler avec eux et essayer de résoudre certains problèmes que pose la justice pour les jeunes.

Nous avons été très surpris de découvrir que le problème était surtout urbain dans les provinces de l'Ouest et qu'il ne fallait pas nous limiter aux réserves. Nous devons nous attaquer aux problèmes graves que connaissent les jeunes Autochtones vivant en milieu urbain et découvrir des façons efficaces de les résoudre. Cela revient à la remarque qu'a faite le sénateur Andreychuk. Ces personnes vivent dans la pauvreté et n'ont pas les appuis sociaux dont elles ont besoin. Nous devons intervenir, bien avant que le système de justice pénale le fasse, et leur apporter un soutien social de base. Nous faisons également de la formation auprès de la population.

La présidente: Pourriez-vous nous parler de l'étude sélective que vous avez faite? Ce serait extrêmement utile pour le Comité du Sénat qui examine actuellement la situation des jeunes Autochtones et des Autochtones en général vivant dans les villes.

Mme Latimer: Cette étude est encore à l'état de projet. Nous espérons pouvoir la remettre à l'imprimeur et la publier sous peu. Lorsque nous reviendrons, nous nous ferons un plaisir de vous en offrir des copies.

Le sénateur Grafstein: Vous mentionnez constamment le tribunal pour adolescents, mais je me permets de vous faire observer que le projet de loi a pour titre La Justice pénale pour les jeunes.

Mme Latimer: C'est une remarque tout à fait pertinente. Notre choix était tout à fait délibéré car ce que nous essayons de faire c'est de limiter l'application de la loi pénale aux jeunes, et de nous assurer qu'elle est appliquée de manière appropriée.

Le sénateur Grafstein: Je croyais que c'était une question de compétence.

Mme Latimer: Ça l'est effectivement, dans une certaine mesure.

Le sénateur Grafstein: À la page 8, onglet 10, vous indiquez qu'en 1999, 106 000 jeunes sont passés devant les tribunaux pour adolescents. Une personne du Centre canadien de la statistique juridique nous a dit qu'en l'an 2000, ce chiffre est tombé de 106 600 à 100 000 en dépit de l'augmentation de la population. En termes aussi bien absolus que relatifs, il y a donc eu une diminution du nombre de cas présentés dans le cadre du système actuel.

Mme Latimer: C'est absolument exact et nous sommes ravis de le constater. L'initiative plus générale que représente notre Stratégie de renouvellement relative à la justice pour les jeunes a démarré en 1999, et il y a au moins deux ans que des ressources sont mises à la disposition des provinces pour encourager l'adoption de mesures de rechange. Nous ne savons pas exactement si c'est là le résultat direct de ce que nous faisons, et nous ne prétendons nullement le revendiquer, mais nous aimons l'orientation qui a été prise.

Le sénateur Grafstein: Vous m'avez entendu féliciter le ministère à propos de son tribunal spécialisé dans les affaires de stupéfiants à Toronto, qui a fait un travail remarquable mais qui est très loin d'être doté de fonds suffisants et n'a donc pas pu en faire plus. Ce modèle thérapeutique donne de bons résultats.

Je vais maintenant changer de sujet. Vous avez entendu mes commentaires sur les affaires de la compétence, sur les questions constitutionnelles et sur l'article 61. Pouvez-vous nous dire si l'article 61 constitue ou non une délégation contraire à la jurisprudence de la Cour suprême du Canada.

Je croyais que nous devions recevoir une note écrite qui nous permettrait d'examiner ce point.

La présidente: Je l'ai demandé mais Mme Latimer m'a donné une explication orale entre-temps.

Mme Latimer: La ministre tient absolument à respecter l'engagement qu'elle a pris lorsqu'elle a comparu devant le comité, qui consistait notamment à essayer de répondre à ces questions.

Le sénateur Grafstein: Serait-il préférable de lui transmettre nos questions?

La présidente: Ma question concernant la constitutionnalité portait sur l'article 146.6.

Le sénateur Grafstein: Ma question avait trait à l'article 61.

Mme Latimer: Nous sommes prêts à discuter de l'article 61.

Le sénateur Grafstein: Y a-t-il délégation de pouvoir ou non?

Mme Paula Kingston, avocate, ministère de la Justice: Je crois que c'est important. Je pense qu'il serait bon d'examiner l'arrêt Sheldon S. de la Cour suprême du Canada, auquel le sénateur Beaudoin a fait plus tôt allusion. Il s'agit d'un arrêt pris par la Cour suprême du Canada en 1990, qui avait trait à une disposition similaire selon laquelle la loi accordait aux provinces une certaine latitude dans la manière dont elles appliquaient certaines dispositions de la Loi sur les jeunes contrevenants. Cette question a été portée devant la Cour suprême du Canada à plusieurs reprises; dans un cas notamment, il s'agissait de déterminer s'il était inconstitutionnel de déléguer l'autorité du Parlement en matière du droit pénal et de procédure. La Cour a clairement déclaré dans ce cas, que ce n'était pas contraire à la Constitution.

Le sénateur Grafstein: Ne s'agissait-il pas de quelque chose de fondamentalement différent de la disposition dont nous parlons?

Mme Kingston: Non, pas à notre avis, car cela permet à la province de décider de la manière dont elle veut appliquer un aspect de la procédure pénale. À cet égard, la Cour suprême, dans l'arrêt R. c. Sheldon S., (1990), 2 R.C.S., a dit que la Loi sur la Constitution de 1867 ne limite pas la capacité du Parlement de laisser l'application des programmes ou des aspects problématiques à la discrétion des procureurs généraux provinciaux. Les provinces ont accepté que le Parlement leur délègue des responsabilités dans d'autres domaines, notamment les poursuites, la liberté d'établir des programmes qui posaient problème ici, ainsi que, à notre avis, celle de fixer l'âge d'application des instructions désignées.

Le sénateur Grafstein: Mais que dit exactement le texte? Lisez le paragraphe auquel vous vous référez.

Mme Kingston: C'est précisément ce qu'il disait. C'était la conclusion.

Le sénateur Grafstein: Je n'ai pas lu tous les arrêts et il y a longtemps que je n'ai pas examiné cette question, mais l'arrêt Hodge et les décisions de la Cour suprême jusqu'en 1980 et même après, montrent clairement qu'il n'y a pas de possibilité de délégation de compétence en matière de droit pénal. C'est indiscutable.

Mme Kingston: C'est contraire à la conclusion de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Sheldon S.; à cette occasion, la Cour s'était fondée sur une abondante jurisprudence.

Le sénateur Grafstein: Non, il y a là une différence, et je vais vous dire les faits, madame la présidente; je reviendrai ensuite à notre propos. Dans ce cas, il y a une différence entre l'administration de la justice qui existe déjà au niveau provincial et l'établissement de normes différentes pour l'application de la loi pénale dans diverses régions du pays.

Par exemple - cette série d'arrêts a clairement montré qu'il y avait conflit entre les contraventions au code de la route et les infractions prévues au Code pénal. Il est clair que la Cour a dit qu'il ne s'agit pas là d'un cas de délégation, implicite ou non, puisque de toute façon les provinces avaient ce pouvoir et qu'il n'y a donc pas interdélégation. Il s'agissait simplement de l'exercice d'une compétence parallèle.

La présidente: L'administration de la justice de la Cour.

Le sénateur Grafstein: Dans le cas présent, nous établissons cependant quelque chose d'entièrement différent, à savoir l'âge du contrevenant à partir duquel le lieutenant-gouverneur en conseil d'une province peut décider de l'application des dispositions du Code pénal.

Mme Kingston: Je vous renvoie aux arrêts cités par la Cour suprême du Canada. Aucun doute n'existe depuis les décisions de la Cour - il y en a toute une liste - en commençant par l'arrêt de 1983 concernant Les Transports nationaux du Canada Limitée, que le Parlement fédéral a compétence pour conférer aux responsables provinciaux le pouvoir de superviser les poursuites pénales, et c'est précisément ce qui est en jeu ici. Vous avez soulevé d'autres questions connexes au sujet des différences régionales et des dispositions de la Charte en matière d'égalité qui sont également examinées dans cet arrêt.

Le sénateur Grafstein: La Charte est une autre affaire.

Mme Kingston: En effet.

Le sénateur Grafstein: Je lirai l'arrêt; c'est une question d'interprétation.

La présidente: Il se peut très bien que vous ayez raison, sénateur Grafstein. J'estime que l'âge auquel la justice pour les jeunes s'applique est une question de fond, et qu'il ne peut pas y avoir de délégation de pouvoir.

Mme Latimer: Nous avons peut-être ici affaire à une perception erronée de la question. En effet, la responsabilité criminelle, en dehors de ce qu'elle est à 14 ans au moins, est la même partout dans notre pays. Nous parlons ici d'une présomption, de savoir si son bien-fondé doit être démontré par la Couronne ou s'il doit y avoir réfutation par l'avocat. Le point essentiel est que tout adolescent de 14 ans au moins - ce qui est le cas depuis longtemps - pourrait être frappé d'une peine applicable aux adultes. Nous n'avons rien changé à cela. La présomption ne change rien au point de départ. Il y a simplement une certaine latitude en ce qui concerne la détermination de la présomption. En fin de compte, le critère juridique est le même, qu'il soit fondé sur une présomption ou que la Couronne apporte des éléments montrant que le critère s'applique. Essentiellement, l'âge est le même et le critère est le même.

Le sénateur Grafstein: Il y a un monde de différence entre le pouvoir discrétionnaire de la Couronne et son application par le lieutenant-gouverneur. Ce n'est pas du tout la même chose, mais il s'agit encore d'interprétation.

La question de l'intention criminelle me pose aussi un problème. Vous nous avez dit qu'il y a une différence entre un adolescent de 14 ans, par exemple, qui entre en contact avec le système de justice pénale et quelqu'un de plus de 17 ans, par exemple. C'est vous-même qui l'avez dit. C'était dans votre témoignage de ce soir et c'est inscrit au compte rendu.

Mme Latimer: Je crois que j'ai dit 14 ans et 40 ans.

Le sénateur Grafstein: Je n'ai pas tout noté, mais vous avez dit que lorsqu'un adolescent a maille à partir avec la justice pénale, il fait automatiquement des aveux parce que tout ce qu'il veut, c'est rentrer chez lui, auprès de sa maman. Les adolescents ne s'intéressent pas à leurs droits; ils ne les comprennent pas. Pourtant, dans cette disposition, vous n'avez pas prévu la présence d'un avocat lorsqu'il s'agit d'un adolescent qui a atteint un âge plus crucial. Vous avez dit qu'il n'est pas obligatoire qu'il y ait un avocat indépendant lorsque l'adolescent est âgé de 14 ans.

Mme Latimer: En fait, à partir de 12 ans, dès qu'ils sont passibles des dispositions de la loi pénale, ils ont droit à un avocat. L'âge minimum de la responsabilité criminelle est de 12 ans; à cet âge, l'adolescent bénéficie de tous les droits afférents.

Le sénateur Grafstein: Mais au moment précis où les adolescents ont leur premier contact avec le système de justice pénale en la personne d'un agent de police, ils font des aveux. Ils sont incapables de se représenter ce qu'est une intention criminelle.

Mme Latimer: Les dispositions relatives aux déclarations, lorsqu'il s'agit d'enfants comportent donc de très importantes mesures de protection, et à toutes les étapes du processus, ils ont droit à un avocat. L'admissibilité de leurs déclarations est limitée du fait que les mesures de protection sont très fortes, ce qui est normal car les adolescents sont plus vulnérables dans ce système. C'est la raison pour laquelle le projet de loi prévoit des droits nettement accrus.

Le sénateur Grafstein: La question fondamentale est donc la suivante: Pensez-vous qu'à 14 ans on est capable de comprendre une intention criminelle aussi bien qu'un adolescent de 17 ans, par exemple?

Mme Latimer: Les tests de capacité comportent habituellement deux éléments. Il faut que l'adolescent comprenne que son comportement est répréhensible, et qu'il comprenne également la nature et les conséquences de ce comportement.

Le sénateur Grafstein: Autrement dit, nul n'est censé ignorer la loi.

Mme Latimer: Non.

Le sénateur Grafstein: Ils sont censés connaître le Code criminel, au même titre qu'un adulte. Ils sont censés connaître ce code ainsi que la nature de l'infraction spécifique dont ils sont accusés.

Mme Latimer: Pour que leur capacité pénale soit reconnue, il faut qu'ils sachent que leur comportement était répréhensible. S'ils ne savent pas, ils n'ont pas de capacité pénale ni d'intention criminelle.

Le sénateur Grafstein: Cela ne soulève pas de question dans votre esprit, lorsqu'on parle d'intention criminelle chez quelqu'un de 14 ans?

Mme Latimer: Je me pose beaucoup de questions au sujet de l'intention criminelle, mais il s'agit de domaines précis, tels que les problèmes de santé mentale, le syndrome et les effets de l'alcoolisme foetal, etc., mais dans le cas des adolescents normaux de 14 ans, non, j'estime qu'ils sont tout à fait capables d'avoir une intention criminelle.

La question est la suivante: Doit-on les tenir responsables au même titre qu'un adulte? À mon avis, non, parce qu'ils n'ont pas encore atteint leur maturité. Vous avez donc besoin d'un système de justice pour les adolescents qui tient compte de ce fait.

Le sénateur Grafstein: Cela existait déjà dans la Loi sur les jeunes contrevenants.

Mme Latimer: Pas vraiment. On pourrait parler du caractère disproportionné du traitement réservé aux adolescents. Nous avons constaté que beaucoup d'entre eux subissaient des peines plus sévères que les adultes; autrement dit, dans le cadre de l'application de la LJC, les adolescents sont obligés de respecter des normes de responsabilité plus rigoureuses que les adultes. C'est un sérieux problème.

Le sénateur Grafstein: Je n'insisterai pas là dessus. Il est évident qu'il y a un désaccord fondamental entre notre façon de voir les enfants dans notre société.

En ce qui concerne l'égalité des droits dans tout le pays en vertu de la Charte, pourriez-vous nous dire quelques mots à ce sujet et nous recommander les jugements à lire.

Mme Kingston: C'est également là une des principales questions soulevées dans l'arrêt Sheldon S.

Le sénateur Grafstein: Vous vous fondez sur cet arrêt aussi bien pour la délégation de pouvoir que pour l'égalité des droits.

Mme Kingston: Ces droits sont directement en cause dans cette affaire. Si vous me le permettez, je vais vous lire la conclusion de la Cour à ce sujet.

Le sénateur Grafstein: Qui était le juge?

Mme Kingston: Le juge Dickson, juge en chef à l'époque, a écrit que dans un régime fédéral, les valeurs qui sous-tendent le paragraphe 15(1) ne peuvent pas avoir une portée illimitée. La répartition des compétences autorise non seulement un traitement différentiel dans la province de résidence, mais elle exige et encourage la distinction sur le plan géographique. L'inégalité de traitement découlant uniquement de l'exercice, par des législateurs provinciaux, de leurs pouvoirs légitimes, ne peut pas faire l'objet d'une contestation en vertu du paragraphe 15(1) pour la simple raison qu'il crée des distinctions fondées sur la province de résidence.

La Cour entre beaucoup plus dans le détail, mais c'est là l'essentiel de sa conclusion.

Le sénateur Beaudoin: Il est clair pour moi que l'article 61, qui vise non seulement l'assemblée législative mais le lieutenant-gouverneur, représente une délégation de pouvoir, ce qui, à mon avis, est important. Ce pouvoir n'est pas délégué à l'assemblée législative. Il est fondé sur l'arrêt Sheldon S., parce que les mesures de rechange varient d'une province à l'autre. Il y a là un problème, et je n'en démordrai pas. Le seul arrêt que nous ayons jusqu'à présent est l'arrêt Sheldon S. C'est peut-être aussi bien ainsi, mais au premier abord, il pèse bien lourd.

Ma question est différente. Nous avons signé la convention. Nous avons un système dualiste; pour devenir la loi du pays, un traité doit être appliqué dans le cadre de notre régime constitutionnel. Où est l'application? Dans notre projet de loi?

Mme Kingston: Nous nous attendions à cette question car elle a été posée par un certain nombre d'autres témoins. Il est important de comprendre que la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, comme vous le savez, contient un certain nombre d'éléments qui touchent aux droits des enfants, dont beaucoup relèvent de la compétence provinciale. Cela va donc beaucoup plus loin que la justice pour les adolescents.

En ce qui concerne les éléments relatifs à la justice pour les adolescents figurant dans la Convention des Nations Unies, le projet de loi et la Charte des droits concourent à assurer le respect de nos obligations internationales. Chaque disposition de la Convention des Nations Unies relative aux droits des enfants est reflétée dans la Charte et couverte par elle, et cela encore plus dans le projet de loi C-7. Par exemple, celui-ci ne dit pas que la Convention des nations Unies est applicable, mais il établit spécifiquement le droit qu'un adolescent a d'être représenté par un avocat.

Le sénateur Beaudoin: Vous dites que nous avons signé un traité; notre Constitution et notre Charte des droits - qui est dans la Constitution - règlent donc tous les cas?

Mme Kingston: Je parle du projet de loi C-7 et de la Charte. Ce projet de loi amplifie les dispositions de la Convention.

Le sénateur Beaudoin: L'application est imposée par la loi.

Mme Kingston: Oui.

Le sénateur Beaudoin: Où se trouve-t-elle donc? Pas dans notre Constitution; ce n'est pas possible. Elle l'est indirectement, mais nous sommes tenus d'appliquer la loi. Ou bien cela se trouve dans le projet de loi ou bien vous serez obligés d'admettre que nos lois sont parfaites et que nous n'avons pas besoin de les modifier lorsque nous signons un traité. J'ai du mal à accepter cela.

Mme Kingston: Lorsque le Canada a signé la Convention, il a déclaré qu'il veillerait à ce que notre système de justice respecte les obligations prévues dans la Convention des Nations Unies sur les droits de l'enfant. C'est la raison pour laquelle vous devez examiner chaque article afin de déterminer quelles protections sont fournies. Par exemple, aucun enfant ne sera soumis à la torture ou à des peines ou traitement cruel, inhumain ou dégradant. L'article 12 de la Charte des droits traite spécifiquement de cela. Cependant, certaines dispositions de ce projet de loi le font également.

Le sénateur Beaudoin: Ce n'est pas ce que je veux dire. Je suis probablement plus généreux à l'égard de la Charte que vous ne l'êtes. C'est un chef-d'oeuvre. Je suis d'accord. Nous avons un système fédéral qui est bon, mais là n'est pas ma question. Ce que je veux savoir c'est où se trouve l'application?

Mme Kingston: Dans les dispositions du projet de loi C-7. Je peux vous en donner de nombreux exemples. Le paragraphe 40(2) souligne le droit de l'enfant mis en accusation d'être présumé innocent. Le projet de loi C-7 offre plus de protection que la Loi sur les jeunes contrevenants parce qu'il y a plus de transfert, avant la tenue du procès, d'un adolescent au système de justice applicable aux adultes, ce qui, on pourrait le faire valoir, contrevenait à la présomption d'innocence. Nous modifions la loi afin d'assurer le respect des droits prévus dans la Convention des Nations Unies.

Le sénateur Beaudoin: Vous vous référez aux «considérants» des conventions des Nations Unies, mais pourquoi la loi ne comporte-t-elle pas l'objectif convenu d'appliquer de nos traités internationaux et nos obligations qui en découlent? C'est la seule chose qui manque.

Mme Kingston: La référence se trouve dans le préambule et le préambule est un énoncé plus général de notre engagement en faveur des droits de l'enfant.

Nous ne pouvons pas appliquer dans sa totalité la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant par le biais de la loi elle-même car cette convention s'applique aussi aux adolescents, à la garde et au droit de visite, aux questions provinciales de compétence, au divorce - aux droits des enfants dans toutes sortes de domaines. Nous empruntons à la Convention des Nations Unies les éléments relatifs au droit pénal et nous intégrons ces protections au projet de loi.

Le sénateur Beaudoin: Ce n'est pas suffisant d'en faire mention dans le préambule. J'aime bien les préambules et je me bats pour qu'on les utilise, mais je me bats également pour que les lois soient correctement rédigées. Le corps de la loi est la loi elle-même. Je dis cela en passant.

Si nos mesures de rechange sont tellement bonnes que nous y gagnons à tous les coups, à en croire les statistiques, le système actuel n'est pas le meilleur. S'il n'est pas le meilleur, pourquoi ne pas concevoir une loi fondée sur les programmes de mesures de rechange? On obtiendrait probablement quelque chose de meilleur que ce qu'on a actuellement.

Mme Kingston: C'est bien l'intention de ce projet de loi.

M. Dick Barnhorst, avocat-conseil, ministère de la Justice: Je trouve intéressant que l'on dise que les mesures de rechange sont les gagnantes.

Le sénateur Beaudoin: C'est ce qu'a dit le statisticien.

M. Barnhorst: En général, c'est une bonne façon de s'y référer. C'est également une bonne façon de se référer au fond de ce projet de loi car, contrairement à la Loi sur les jeunes contrevenants, il fait une bien plus large place aux mesures prises au cours des étapes initiales du processus. Il implique effectivement que, pour les adolescents, c'est une méthode supérieure à notre système de justice pénale traditionnel. Les tribunaux devraient être réservés au règlement des questions les plus graves.

Sur le plan international - bien que l'on ne soit pas toujours d'accord sur les statistiques - le Canada fait un usage immodéré des tribunaux pour adolescents. D'autres pays font un large usage des mesures extrajudiciaires. Nous avons nous-mêmes obtenu de bons résultats grâce à ces mesures. Comme vous le dites, ce sont les mesures gagnantes. L'objectif tout entier du projet de loi, dans les principes comme dans les préambules, est d'essayer d'éviter la judiciarisation. Pour la première fois, si ce projet de loi est adopté, nous aurons des dispositions selon lesquelles, s'il s'agit d'un jeune, d'un délinquant primaire, non violent, la procédure normale consistera à utiliser d'autres mesures que la judiciarisation. C'est là une déclaration importante.

D'autres dispositions stipulent, par exemple, dans tous les cas où un agent de police est tenu d'envisager toutes les options autres que la mise en accusation, qu'il faut voir si ces options ou mesures extrajudiciaires seraient suffisantes pour responsabiliser l'adolescent.

Le projet de loi dit également que nous devons nous montrer plus libéraux dans la manière dont nous utilisons les mesures initiales du processus. Je ne sais pas si le statisticien est parvenu à examiner la question dans le cadre de son enquête sur les mesures de rechange, mais il en ressort que nous ne nous occupons en général que d'infractions mineures et presque exclusivement d'adolescents coupables d'infractions primaires mineures.

Ce projet de loi stipule d'emblée que les sanctions extrajudiciaires, nouveau nom donné aux mesures de rechange, pourraient être utilisées pour certaines des affaires actuellement instruites par les tribunaux. Nous pourrions utiliser des avertissements informels, des avis, des renvois à des programmes communautaires et d'autres mesures judiciaires qui relèvent normalement de l'initiative de la police, là où nous utilisons maintenant des mesures de rechange.

Nous pourrions utiliser une approche progressive. Pour les cas les moins graves, faisons largement appel aux avertissements et aux renvois à des programmes communautaires. Lorsque les infractions deviennent plus graves, sans pour cela renoncer à notre objectif de réduction du recours aux tribunaux, nous utiliserions des sanctions extrajudiciaires, appelées jusqu'à présent mesures de rechange. Nous parviendrons ainsi graduellement à l'objectif consistant à réserver le tribunal pour les affaires plus graves.

Le sénateur Beaudoin: Je suis d'accord avec l'utilisation de mesures de rechange. Je n'ai absolument rien contre. La Cour suprême a souvent dit que nous avons besoin d'un système de justice pour les jeunes qui soit distinct du système applicable aux adultes. Dans ce projet de loi, je vois que l'objectif premier est de protéger la société. C'est ce qui est énoncé dans ce document. Les adolescents viennent en deuxième position. Vous avez donc changé d'objectif dans une certaine mesure.

Je ne dis pas que c'est bien ou mal, mais j'ai l'impression que le projet de loi ne propose pas un système qui se démarque plus nettement qu'auparavant par rapport au système visant les adultes. C'est le contraire, et cela m'inquiète.

Je ne dis pas non plus que c'est contraire à la constitution. Cependant, la cour a clairement dit qu'il nous faut un système pour les adolescents qui soit distinct du système applicable aux adultes. Nous devrions nous conformer à ce que dit la Cour suprême. Lorsque j'examine le projet de loi, je constate que nous ne l'avons pas fait.

Mme Latimer: D'accord; on devrait en effet faire une distinction.

Le sénateur Beaudoin: Si vous êtes d'accord avec moi sur ce point, il n'y a plus de problèmes.

Mme Latimer: Vous avez probablement emprunté l'objectif du système de justice pénale pour les adolescents à la déclaration de principes, et cela a changé entre le projet de loi C-3 et le projet de loi C-7, si bien que beaucoup moins d'importance est accordée à la protection du public.

Le sénateur Beaudoin: Cela a-t-il été changé dans le projet de loi C-7?

Mme Latimer: Oui. Je cite:

a) Le système de justice pénale pour les adolescents vise à prévenir le crime par la suppression des causes sous-jacentes à la criminalité chez les adolescents, à les réadapter et à les réinsérer dans la société et à assurer la prise de mesures leur offrant des perspectives positives en vue de favoriser la protection durable du public;

Les objectifs clés sont la prévention, les perspectives positives et la réinsertion. C'est ce que dit l'alinéa 3(1)a) de la déclaration de principes.

Nous pourrions certainement passer en revue les éléments du projet de loi qui nous paraissent nettement distincts. Certains des principes clés de la détermination de la peine qu'on nous a fortement poussés à inclure et qui auraient rapproché la loi du système applicable aux adultes, n'y figurent pas. Il existe de nombreuses options: groupes consultatifs et d'autres mécanismes d'application de la loi qui ne sont pas accessibles aux adultes. Il s'agit surtout ici d'une tentative pour que le système de justice pour les adolescents ait un sens pour ceux-ci et pour qu'il ait des effets utiles. Nous attachons beaucoup d'importance, à l'aspect réparateur et à leur fonction éducative des mesures prises en cas de préjudice.

Le sénateur Beaudoin: Le caractère distinct de la nouvelle législation paraît-il être suffisamment marqué?

Mme Latimer: Oui.

Le sénateur Andreychuk: Lorsque vous expliquez ce que vous essayez de faire cette fois-ci et ce qui le distingue de ce que vous avez fait pour la Loi sur les jeunes contrevenants, j'ai des difficultés à accepter ce que vous dites des défauts de cette loi car vous répétez exactement ce qu'avait dit le ministère de la Justice au moment de l'abrogation de la Loi sur les jeunes délinquants et de son remplacement par la Loi sur les jeunes contrevenants. Selon les critiques que nous avions alors entendues, on disait que les adolescents étaient condamnés à des peines plus longues que les adultes; qu'ils avaient besoin d'un système distinct, efficace et que les tribunaux faisaient une trop large place à la détermination de la peine et aux dispositions concernant la garde, sans utiliser les mesures de rechange.

Je ne trouve rien de nouveau ni de différent entre ce que vous proposez pour corriger la Loi sur les jeunes contrevenants et ce que vous proposiez pour améliorer la Loi sur les jeunes délinquants. Cela dépend en réalité d'un certain nombre de choses. Il y a le fait que les provinces ont la capacité d'utiliser des mesures de rechange. Un grand nombre des mesures de rechange auxquelles vous faites allusion relèvent de toute façon de la compétence provinciale. Les services de santé mentale, les soins aux jeunes enfants, les services spécialisés dans les écoles, et les différents types de services sociaux sont autant d'éléments qui contribueraient à la formation d'un adulte responsable.

Vous l'aviez dit à l'époque et vous le répétez maintenant. Les gens ont perdu confiance dans la Loi sur les jeunes contrevenants parce que le gouvernement fédéral a commencé à dire que la Loi ne fonctionnait pas, au lieu de faire un effort pour utiliser plus largement les mesures de rechange.

Quel argent nouveau injectera-t-on dans le système pour établir ce projet de loi? On n'a pas dégagé les fonds nécessaires dès le départ et en désespoir de cause on n'a pu compter que sur une chose - l'application de la loi qui vous incite à recourir au placement sous garde. Qui a-t-il donc de différent maintenant et combien d'argent supplémentaire faudra-t-il?

Mme Latimer: Je serai heureuse de répondre à cela mais, pour revenir à la remarque que vous avez faite tout à l'heure au sujet des arguments en faveur de la LJC lorsque la LJD était en vigueur, cela me ramène très loin en arrière à l'époque où je présentais certains de ces arguments devant d'autres publics. Le passage d'une loi à l'autre a marqué un changement profond, surtout du fait que l'âge maximum n'était pas le même partout, qu'il y avait de nombreux problèmes relevant des règles du droit pénal et que les adolescents faisaient l'objet de peines d'emprisonnement pour une période indéterminée et ils étaient assujettis aux dispositions du droit pénal lorsqu'ils avaient commis des infractions liées au statut légal. Le sexisme jouait également un rôle car un plus grand nombre de jeunes filles se faisaient arrêter pour vagabondage sexuel et autres délits. Les problèmes étaient différents.

La LJC a beaucoup aidé à régler les problèmes propres à la LJD. À son tour, ce projet de loi contribuera au règlement de certaines des difficultés d'application de la LJC ainsi que de certains des problèmes philosophiques qui sont apparus à cause de la manière dont cette loi a été mise en vigueur. Je reconnais cependant volontiers que sans appui aux programmes et sans aide financière, on ne peut rien changer à la situation à la base.

Le sénateur Andreychuk: Ce que je voudrais savoir ce n'est pas de quelle façon l'argent sera redistribué. Je veux savoir quels fonds fédéraux seront réellement mis en place. Ma question suivante est inspirée par le fait qu'on a dit que ces ententes existent déjà. Je voudrais savoir quelles provinces ont accepté un programme d'aide financière et sont prêtes à appliquer cette loi, et combien négocient encore?

M. Bruno Marceau, analyste principal de politiques, ministère de la Justice: Jusqu'à présent, 11 des 13 administrations ont signé les nouvelles ententes sur cinq ans. Malheureusement, il y en a deux qui réservent encore leur décision, l'Ontario et le Québec.

Le sénateur Andreychuk: Si je comprends bien, les provinces ont signé l'entente d'aide financière sur cinq ans pour les services de justice destinés aux adolescents. N'y a-t-il pas une négociation distincte, sous réserve de la mise en oeuvre de cette loi, portant sur le dégagement de nouvelles ressources? Voulez-vous dire que ces administrations ont accepté de se soumettre aux dispositions du projet de loi C-7?

M. Marceau: C'est exactement ce que je dis. Au cours des négociations, il est clairement apparu que l'octroi de nouvelles ressources était indiscutablement lié à la nouvelle loi et à l'initiative en général. L'offre a été faite avec l'entrée en vigueur du projet de loi.

La raison pour laquelle nous avons poursuivi les négociations avec les 11 administrations signataires est qu'il est préférable d'être prêt pour la proclamation que d'essayer de négocier des ententes à la va-vite et d'établir hâtivement des programmes, une fois la loi votée.

Les fonds supplémentaires prévus pour la période de cinq ans couverte par ces ententes représentent un montant d'environ 225 millions de dollars supplémentaires, mais au total, il s'agit d'un engagement de 950 millions de dollars.

Ce n'est qu'une réponse partielle. Les ententes sont conçues de telle façon que 65 p. 100 de la contribution fédérale totale soient utilisés pour des services et des programmes prioritaires. Ils comprennent manifestement les mesures initiales du processus. Ils comprennent également d'autres programmes considérés comme des solutions extrajudiciaires au placement sous garde. Cette liste hautement prioritaire contient de nombreuses catégories différentes de services et de programmes; elle a été élaborée en étroite collaboration avec les provinces et les territoires. Si cela peut vous être utile, je peux passer ces 15 catégories en revue.

Le sénateur Andreychuk: Peut-être pourra-t-on nous les fournir par écrit au lieu de les énumérer ce soir. Cela nous fera gagner du temps.

La présidente: Oui, s'il vous plaît. M. Marceau a dit que cet argent a déjà été dépensé, qu'il a déjà été donné aux provinces pour qu'elles se préparent à appliquer la loi même si celle-ci n'a pas encore été votée par le Parlement.

M. Marceau: Non. Les fonds disponibles sur une période de cinq ans atteignent 950 millions de dollars. Une partie de cette somme a déjà été dépensée parce que les ententes couvrent la période du 1er avril 2000 au 31 mars 2005.

La présidente: La loi n'a pas encore été promulguée.

M. Marceau: En effet, nous le savons parfaitement. Il est possible de procéder ainsi à cause de la stratégie générale. Il y a de nouveaux programmes et services qui peuvent être mis en vigueur en vertu de la loi actuelle, les noms changeront simplement en vertu de la loi proposée.

La présidente: Il serait intéressant d'entendre la réaction du sénateur Grafstein s'il était encore présent.

Le sénateur Andreychuk: Cette intervention a été fort utile.

[Français]

Le sénateur Nolin: Selon le document que vous nous avez distribué, le montant de 950 millions de dollars couvre les cinq dernières colonnes et non les deux premières?

M. Marceau: Oui.

Le sénateur Nolin: Les deux premières concernent des fonds qui ont déjà été distribués aux provinces.

M. Marceau: Pour ce qui est des années 1998 et 1999, les fonds ont déjà été distribués. Pour ce qui est des années 1999 et 2000, un certain montant n'a pas été dépensé. Il s'agit d'un montant mineur, d'environ deux ou trois millions de dollars.

[Traduction]

Le sénateur Andreychuk: Au départ, la Loi sur les jeunes contrevenants ne comportait pas la disposition en matière de renvoi avec le renversement du fardeau de la preuve, si je peux me permettre de m'exprimer ainsi. Quand cet amendement a été présenté, d'autres personnes et moi-même avons demandé si elle était contraire à la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant.

Les fonctionnaires qui ont comparu devant notre comité et ont déclaré qu'il y avait accord entier entre le projet de loi et la Convention des Nations Unies et qu'en ce qui les concernait, c'était tout ce dont on avait besoin, que la loi était conforme et que le Canada respectait ses obligations.

Nous avons depuis découvert qu'il n'en était rien. Les Nations Unies se sont inquiétées du nombre élevé des placements sous garde d'adolescents au Canada.

Pourquoi ne voulez-vous pas adopter une loi habilitant, ce qui, selon le sénateur Beaudoin, serait la meilleure solution? Vous avez maintenant utilisé dans ce projet de loi tous les concepts applicables aux adultes. N'oubliez pas que dans la plupart des cas, les difficultés surviennent lorsqu'un jeune contrevenant violent est arrêté. Nous aurons des choix et tout ce qui existait auparavant dans l'organisation judiciaire concernant les adultes. Ne trouvez-vous pas que ce système ressemble plus que jamais au système judiciaire pour les adultes?

Deuxièmement, êtes-vous disposés à inclure un éclaircissement à un endroit quelconque de cette loi, de manière à ce qu'en cas de difficulté d'interprétation de la loi, les tribunaux se fondent sur la Convention des Nations Unies pour offrir leur interprétation? Autrement dit, la Convention serait le principe qui guiderait l'interprétation de cette loi par les tribunaux. Dans le texte actuel, il n'en est fait aucune mention. Il est simplement dit que nous sommes partie à cette Convention. Accepteriez-vous que la convention détermine les interprétations de cette loi?

Mme Latimer: En réponse à votre première question, dès que la peine maximum imposée à un adolescent dépassait dix ans, toutes ces mesures de protection - enquêtes préliminaires, droit à un procès devant jury - entraient en vigueur en vertu de la Constitution. Un adolescent ne devrait pas avoir moins de droits qu'un adulte ou être pleinement exposé aux rigueurs de la loi pénale. Des droits supplémentaires, telle que l'audience préliminaire, qui est facultative, ne devraient pas être refusés à un adolescent.

Le sénateur Andreychuk: Ce n'est pas ce que je demandais. Une fois que nous décidons de créer un tribunal, l'adoption de mesures de protection s'ensuit. Ce que je veux savoir c'est si c'est le modèle approprié à utiliser si nous voulons vraiment encourager l'adolescent à mûrir et à devenir un adulte responsable, au lieu d'en faire un pion du système de justice. Comme nous le savons tous, plus tôt une personne entre dans ce système, plus longtemps elle y reste et plus grande est l'influence négative des détenus plus âgés sur elle.

Mme Latimer: L'objectif est d'avoir moins d'adolescents dans le système et de réserver le recours aux tribunaux. L'appareil judiciaire est juste et équitable lorsqu'il s'agit de rendre une décision dans le cas d'une infraction grave, mais il ne convient pas nécessairement pour un adolescent. Il n'y a pas de meilleur endroit lorsqu'il s'agit de faute grave, mais lorsque les rigueurs de la loi pénale sont imposées à un adolescent, celui-ci devrait bénéficier de toute la gamme des mesures de protection.

Nous reconnaissons qu'il faut faire de gros efforts pour établir des régimes thérapeutiques destinés à résoudre les problèmes des adolescents très enclins à la violence. Autrement, ils demeureront prisonniers du système pendant longtemps et continueront à être un danger pour le public. C'est la raison pour laquelle nous avons introduit la peine de garde en vue de mesures de réadaptation intensives. On négocie actuellement le dégagement de fonds supplémentaires pour ce programme. Il s'agit là d'un très gros effort pour apporter aux adolescents les plus violents et les plus dangereux une aide dont ne bénéficieraient pas les adultes. Le régime auquel un adolescent serait confronté - en particulier lorsqu'il s'agit de quelqu'un de très violent - est tout à fait différent de celui qui est imposé à un adulte.

Le sénateur Andreychuk: Et la question de la Convention?

Mme Kingston: Comme nous l'avons dit tout à l'heure, les dispositions de la Convention sont reflétées dans la loi, dans les mesures de protection, dans certaines dispositions spécifiques. La Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant est un traité qui lie le Canada. À cause de la nature de ce traité, les tribunaux utiliseront la Convention comme outil d'interprétation et de rappel des normes internationales dans ce domaine.

Le sénateur Andreychuk: C'est cela le coeur du problème. La Convention n'a pas force obligatoire tant que nous n'aurons pas adopté notre propre loi habilitante.

Mme Kingston: Il règne peut-être une certaine confusion à ce sujet. Certains types de traités exigent effectivement des changements législatifs particuliers de la part des pays signataires. On en discute en ce moment même dans le contexte des mesures antiterroristes. Le Canada signe des traités qui exigent que ses lois énoncent des points précis. La Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant n'en fait pas partie; c'est un traité d'application générale. Il n'exige pas l'adoption de mesures législatives précisant que cette convention s'applique ici de cette manière.

Le sénateur Pearson: Je suis partisane de la Convention des Nations Unies même si ce n'est pas l'instrument le plus parfait au monde. Je ne veux pas me contenter d'un traité international quand nous pouvons faire mieux.

Je comprends les différences qui existent entre des traités d'application directe et d'autres types de traités et nos traditions de common law. Je ne suis pas avocate mais je côtoie le domaine depuis 20 ans, soit par le biais de recherches soit par mes conversations avec différents experts.

Vous dites qu'il s'agit d'une application générale, et je pense que cela est important. Le Comité des droits de l'enfant nous a sensibilisés à quatre principes de la Convention. Un de ces principes est le point de vue de l'enfant qui, selon moi, est amplement représenté ici. L'enfant a le droit de participer aux questions législatives ou aux questions administratives qui le concernent. Ce n'est pas toujours le cas dans certains domaines provinciaux, mais cela est une autre histoire.

La question de la non-discrimination est comme ce qui est prévu dans la Charte, et c'est très bien.

Les notions de survie et le développement ne sont pas en cause, sauf dans la mesure où le développement l'est. Nous ne voulons pas jeter les enfants dans le système dans le but de leur nuire. Il se peut que les provinces examinent certaines questions, mais ce n'est pas de cela dont il s'agit ici.

L'autre élément est l'intérieur supérieur de l'enfant. Vous devez tenir compte de la réserve que nous avons exprimée concernant ce principe, parce que, dans certains cas, pour séparer les enfants des adultes, il faut les transférer à des milliers de kilomètres de chez eux, comme c'est le cas dans le Nord, loin de leurs familles. Nous n'agissons pas nécessairement dans l'intérêt supérieur de l'enfant en le plaçant dans une installation distincte, compte tenu des caractéristiques géographiques particulières de notre pays.

La question de savoir si les engagements en matière de droits de la personne devraient être mis en oeuvre par voie législative au Canada, est toute autre. Ce n'est pas la façon dont les choses fonctionnent actuellement. C'est la façon dont les choses fonctionnaient dans le passé, c'est la façon dont les engagements sont incorporés à la législation canadienne. Dans une certaine mesure, la Charte des droits et libertés permet de les appliquer, mais ce n'est pas une loi habilitante pour les engagements en matière de droits sociaux et politiques. Cela ne me pose aucun problème. La voie que nous avons empruntée, c'est-à-dire l'adoption au cas par cas, couvre bien notre système de droit particulier. Je tiens à le mentionner parce que la Convention relative aux droits de l'enfant est un document très important, mais il représente un compromis, et je veux m'assurer que nous pouvons faire mieux.

Le sénateur Fraser: La partie 6 de ce projet de loi m'intéresse tout particulièrement parce qu'elle concerne la confidentialité des renseignements concernant les adolescents, c'est-à-dire leurs noms et leurs dossiers. Cette partie du projet de loi interdit la publication de noms mais précise que cette protection ne s'applique pas à une vaste catégorie de jeunes: ceux qui écopent d'une peine pour les adultes et même ceux qui écopent d'une peine pour adolescents s'il s'agit d'une infraction désignée, etc.

La liste des personnes qui peuvent accéder aux dossiers des jeunes contrevenants est assez longue et il n'existe pas beaucoup de contrôle. Un policier peut donner accès à un dossier à une compagnie d'assurance, laquelle compagnie peut, si elle le désire, ajouter à ses propres dossiers une note disant que «Johnny Jones est un mauvais risque; ne pas l'assurer».

Vous dites que le projet de loi respecte la Convention relative aux droits de l'enfant. J'y lis pourtant que les droits du jeune contrevenant précisent «que sa vie privée soit pleinement respectée à tous les stades de la procédure». Rien de plus.

L'article 8.1 de l'Ensemble de règles minima des Nations Unies concernant l'administration de la justice pour mineurs, les «Règles de Beijing», précise ce qui suit:

Le droit du mineur à la protection de sa vie privée doit être respecté à tous les stades afin d'éviter qu'il ne lui soit causé du tort par une publicité inutile et par la qualification pénale.

L'article 8.2 se lit comme suit: «En principe, aucune information pouvant conduire à l'identification d'un délinquant juvénile ne doit être publiée». Je me permets d'ajouter le commentaire des NU:

Les recherches criminologiques dans ce domaine ont montré les effets pernicieux (de toutes sortes) résultant du fait que des jeunes soient une fois pour toute qualifiés de «délinquants» ou de «criminels».

Si vous dites à un enfant qu'il est un criminel et si vous dites au monde entier qu'il est un criminel, il restera sans doute qu'un criminel.

Je trouve impossible de réconcilier le texte des Nations Unies et la partie 6 du projet de loi. Je vous prie de m'aider.

Mme Latimer: Il ne fait aucun doute que la protection de la vie privée en vertu du projet de loi diffère de ce qui est prévu dans la Loi sur les jeunes contrevenants. Le nom des adolescents qui sont transférés dans le système pour adultes n'est pas publié tant qu'il n'y a pas eu condamnation. En vertu du régime précédent, c'est-à-dire le régime de la Loi sur les jeunes contrevenants, le nom était publié dès que l'enfant passait dans un système pour adultes. Il pouvait plus tard être acquitté d'une accusation qui pesait contre lui et pourtant son nom demeurait terni et sa réputation entachée du fait de la publication de son nom.

Nous convenons qu'il s'agit d'une mauvaise approche dans le contexte de la réinsertion des adolescents. Il faudrait protéger avec soin leur dossier et leur nom.

Nous avons l'impression que le projet de loi respecte la Convention des Nations Unies, à tous les stades de la procédure, point. De la procédure, point final.

Mme Kingston: Je le répète, à tous les stades de la procédure. Après la déclaration de culpabilité, le projet de loi prévoit certaines exceptions mais le nom de l'adolescent est généralement protégé pour les raisons que vous avez évoquées.

Certaines exceptions s'appliquent en cas d'infraction grave et si l'adolescent est trouvé coupable et qu'il écope d'une peine applicable aux adultes. Il y a certaines exceptions pour les infractions graves.

Le sénateur Fraser: Les règles de Beijing ne disent pas «À tous les stades de la procédure», mais bien «à tous les stades». Le texte nous met aussi en garde contre les risques de stigmatisation. Pourquoi voulez-vous incorporer à ce nouveau projet de loi, grâce auquel vous cherchez à établir un merveilleux système de règle, «Mais la protection ne s'applique pas»? Certains de ces adolescents n'ont que 14 ans.

Mme Latimer: La protection de la vie privée est sans doute un des aspects les plus controversés du système de justice pour les jeunes. Nous avons beaucoup consulté et le comité parlementaire a rencontré de nouveaux groupes. La consultation a été large et nous avons entendu un message clair - je suis surprise que vous ne l'ayez pas entendu: l'accès aux dossiers des adolescents doit être facilité et les gens ont droit d'avoir un système de justice pénale pour les adolescents qui soit visible. La population estime avoir droit à cette information et avoir le droit de savoir.

Nous sommes en désaccord. Nous avons résisté à la pression d'élargir l'accès au dossier des adolescents. Ce privilège est très limité et ne s'applique qu'en cas de crime violent ou d'infraction très grave.

Le sénateur Fraser: Je comprends ce que vous dites, bien que nous ne soyons pas du même avis sur la notion d'exception. Vous me dites que le nom d'un adolescent de 14 ans doit être publié, même s'il n'écope pas d'une peine applicable aux adultes, parce que le public le veut ainsi.

Mme Latimer: La population semble penser que le comportement de l'adolescent reconnu coupable d'une infraction constitue un risque et qu'elle - les groupes de victimes en particulier - soutiendra qu'elle ne veut pas de cet adolescent comme gardien d'enfant, par erreur. Les gens veulent savoir si l'adolescent a été reconnu coupable d'une action violente. C'est une façon de se protéger, de se mettre à l'abri de la violence.

Il s'agit d'un problème difficile. Et c'est la justification. Plusieurs estiment que le système de justice pénale devrait faire preuve d'ouverture et que la gravité de certaines infractions devrait entraîner la perte de certains droits, à la suite des procédures et après la condamnation, et qu'il existe un intérêt sociétal de le savoir.

Le sénateur Fraser: Quelles sont ces voix qui demandent la non-publication des noms?

Mme Latimer: Je peux vous donner une liste de ces personnes également. Il s'agit principalement de techniciens des services à l'enfance, de défenseurs des intérêts des enfants, d'enseignants et d'avocats de la défense.

La présidente: Nous entendrons demain le témoignage de l'Association canadienne des commissions/conseils scolaires et de la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants. Ces deux associations souhaitent la publication des noms.

Mme Latimer: Elles souhaitent un meilleur accès à l'information. C'est là un problème difficile.

Le sénateur Joyal: Dois-je comprendre, madame Kingston, que vous faites partie de l'équipe qui participera au renvoi à la Cour d'appel du Québec, qui préparera le mémoire du ministère de la Justice du Canada?

Mme Kingston: Oui, nous y participerons toutes les deux.

Le sénateur Joyal: Savez-vous quand les gouvernements fédéral et provincial déposeront leur mémoire? Y a-t-il déjà eu rencontre entre les avocats des deux parties?

[Français]

Mme Yolande Viau, avocate, ministère de la Justice: Nous n'avons pas encore reçu le mémoire du Québec. Il nous est alors impossible de développer nos arguments et de présenter notre propre mémoire. On nous a dit que cela irait assez tard cet automne ou peut-être même au début de l'année prochaine avant que le Québec soit en mesure de déposer son mémoire. Le nôtre va suivre.

Le sénateur Joyal: Vous avez eu des questions ce soir qui ont assez bien illustré des éléments qui feront l'objet des présenta tions. Les questions qui réfèrent à la cour d'appel traitent de la satisfaction des articles 7 et 15 de la Charte et surtout d'un élément extrêmement important - c'est une des premières fois que la question est posée si clairement aux tribunaux - à savoir le respect des instruments internationaux qui ont trait aux droits de l'enfant, eu égard au système de justice pénale pour les adolescents.

J'essaie de comprendre quelle est la différence de philosophie juridique qui organise un système de justice juvénile versus un système de justice pénale. Il y a des éléments des conventions internationales - on en a donné deux dans la référence au Québec et le sénateur Fraser en a mentionné deux autres - et la Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Baker, dans l'arrêt Burns et Rafay et dans l'arrêt Keegstra, a très bien confirmé que la compréhension des instruments internationaux relatifs aux droits de la personne servent à interpréter les obligations du Canada, eu égard à la Charte canadienne des droits et libertés et à la Loi sur les droits de la personne du Canada. Les cours n'attendent pas formellement une disposition du Parlement du Canada pour donner effet aux obligations qui découlent des instruments internationaux comme celles exprimées par le sénateur Fraser par exemple. On pourrait en exprimer d'autres dans le projet de loi au niveau de l'incarcération.

Quels sont les principes qui, d'après vous, dans un système de justice pour enfants sont différents d'un système de justice pour adultes? C'est ce que vous aurez à argumenter devant la cour d'appel du Québec et peut-être devant la Cour suprême du Canada lorsque vous aurez à dire que ce projet de loi satisfait aux obligations internationales du Canada.

Il ne suffit pas de le dire dans le préambule, il faut le voir dans chacune des dispositions substantielles du projet de loi. Autre ment, toutes les lois pourraient avoir un préambule disant: «Nous nous conformons aux obligations internationales du Canada», mais en pratique, il faut aller plus loin que de le dire. Il faut l'intégrer à toutes les étapes du système pénal ou du système de justice que l'on veut mettre en place.

[Traduction]

Mme Latimer: Nous avons commencé le travail en partant des principes, c'est-à-dire l'article 3. Nous avons commencé en posant ce que nous pensions être les caractéristiques particulières d'un système de justice pénale pour les adolescents et de ce qui, dans la loi actuelle, ne correspond pas à ces caractéristiques. Nous avons cherché à apporter des améliorations afin d'en arriver aux éléments clés d'un système de justice pénale pour les adolescents, par opposition à un système de justice pénale pour les adultes.

Il y a trois éléments clés à considérer. Premièrement, il faudrait réfléchir sérieusement à la prévention, parce que cette notion en est toujours au stade de l'élaboration, et quelle constitue une opportunité importante de maintenir les adolescents hors du système de justice criminelle. Deuxièmement, il faudrait tenir compte des conséquences qui sont importantes pour les adolescents et elles diffèrent grandement de ce qu'elles seraient dans un système pour les adultes. Le choix du moment est très important pour les adolescents. Il faut aussi une participation immédiate et constructive des parents et de la victime - une gamme complète de mesures de responsabilisation pour tenter de montrer à l'adolescent que son comportement était mauvais et qu'il a causé des torts et lui donner la chance de réparer ces torts. Ce sont les caractéristiques d'un système de justice pour adolescent sur lesquelles on ne met pas l'accent dans un système de justice pour adulte, où il est plutôt question de sanctions. Nous cherchons plutôt à incorporer une fonction d'éducation.

Le dernier élément clé est l'accent sur la réinsertion et la réhabilitation. Nous devons reconnaître que les adolescents en sont toujours au stade du développement et qu'ils ont la possibilité de changer de comportement. Une bonne partie de leur comportement peut être d'ordre expérimental et une façon d'éprouver les limites imposées par la société, et ne constitue pas nécessairement une approche pour la vie.

Nous devons favoriser le changement de la conduite sociale et donner aux adolescents l'occasion de mettre leur comportement expérimental derrière eux. Pour cela, il faut insister davantage sur la protection de la vie privée et sur le fait que le dossier criminel ne suive pas l'adolescent dans sa vie adulte. Il s'agit d'une occasion unique où tout peut se régler dans le système pénal pour adolescents.

En conséquence, plusieurs éléments clés caractérisent le système de justice pour les adolescents.

Si la justice criminelle s'appliquait aux adolescents, il leur faudrait des droits et des mesures de protection plus importantes pour faire face aux procédures du droit criminel. C'est là un autre élément clé. Vous verrez cela à plusieurs endroits dans les procédures qui ont été élaborées dans le projet de loi.

Ce sont les grandes caractéristiques. Elles sont assez clairement énoncées dans la déclaration de principe où nous tentons de préciser les distinctions et les caractéristiques principales d'un système de justice pour les adolescents.

Le sénateur Joyal: Pouvez-vous nous préciser à quel endroit, dans la loi, vous accordez des droits plus importants et une protection plus importante quand il y a des références au système pénal ou au système de justice pour adulte? Par exemple, comment pourrez-vous convaincre le tribunal qu'il s'agit là d'un système valable? Malgré que le système proposé semble retenir certains aspects du système pour les adultes - et je cherche à bien comprendre votre point de vue - existe-t-il en pratique des garanties qui font en sorte que nous ne nions pas les objectifs énoncés à l'article 3 et dans le préambule?

Selon moi, c'est l'argument clé que vous devrez utiliser pour convaincre le tribunal que le projet de loi est constitutionnel et qu'il est conforme aux instruments internationaux endossés par le Canada et par la province de Québec.

[Français]

On parle en particulier de la référence au Québec, mais si cela se retrouve en Cour suprême du Canada, les procureurs généraux des autres provinces pourront probablement intervenir et deman der à être entendus. À un moment ou l'autre, les débats deviendront d'intérêt national puisque le point de vue des autres provinces devra nécessairement être exprimé. La cour en tiendra compte.

C'est l'élément essentiel de toute la démarche que nous essayons de faire. Vous avez entendu les autres sénateurs autour de la table. Nous sommes tous préoccupés par cet élément du projet de loi qui, comme vous l'avez dit vous-même au début de votre présentation:

[Traduction]

Vous êtes influencée par les sondages d'opinion selon lesquels nous devons faire preuve de plus de fermeté, que ces jeunes doivent être envoyés en prison. Les Canadiens ont le sentiment que nous avons été trop tolérants, que le système n'est pas suffisamment dur envers les adolescents.

Au départ, le ministère voulait refléter l'opinion publique canadienne que la loi n'est pas suffisamment rigoureuse envers les jeunes contrevenants. Le ministère a donc décidé de proposer une loi assez dure et aussi rigoureuse à certains égards que celles qui régissent le système pour les adultes.

[Français]

Madame Viau, le système semblait fonctionner au Québec. De façon générale, selon les statistiques, une approche de diversion existait.

[Traduction]

Aux premiers stades de la procédure, et il y avait une meilleure compréhension des principes que vous nous expliquez. Aujourd'hui, nous devons modifier le système afin, prétendons-nous, de le rendre encore meilleur.

[Français]

Presque tous les intervenants du milieu - je ne parle pas des politiciens - nous disent que cela ne fonctionnera pas, que nous ne prenons pas la bonne voie. Nous essayons de réconcilier ces messages contradictoires autant sur le plan juridique que sur le plan de la mise en application du système. Ce sont là nos préoccupations.

[Traduction]

Ni l'Ontario, ni le Québec, ni la Saskatchewan ni aucune autre province ne souhaite que nous revenions à la charge avec un autre projet de loi. En d'autres mots, nous ne voulons pas répéter l'expérience de 1984. J'étais au Parlement du Canada lorsque la Loi sur les jeunes contrevenants a été adoptée. J'ai écouté la ministre il y a environ trois semaines et je vous écoute aujourd'hui. Je vous ai dit que nous avions fait des efforts et que nous avions échoué. Le niveau d'incarcération au Canada est l'un des plus élevés au monde. Manifestement, il y a quelque chose qui ne fonctionne pas bien.

Si jamais nous devions reconsidérer ce projet de loi dans 15 ans, quelle assurance avons-nous que la situation ne sera pas pire qu'elle ne l'est aujourd'hui ou qu'elle sera équivalente?

Mme Latimer: Vous avez soulevé d'excellents points. Nous sommes heureux de faire l'analyse afin de démontrer que le système proposé est adapté aux jeunes et qu'il comprend des éléments qui le distinguent du système pour les adultes.

Deuxièmement, j'ai parlé de l'opinion publique au début uniquement pour vous montrer les avantages d'un Sénat et d'une bureaucratie qui ont tendance à travailler à l'abri des regards publics et à regarder les choses de manière plus objective. Par exemple le sénateur Andreychuk estime que dans une certaine mesure un projet de loi peut susciter le mécontentement ou même perdre de sa crédibilité si le législateur se fie entièrement à l'opinion du public qui veut des peines plus sévères pour contrer la criminalité juvénile. Cela s'est produit à deux reprises dans le cas de la Loi sur les jeunes contrevenants. L'approche était la suivante: rendre les peines plus sévères afin d'apaiser les craintes du public au sujet de la criminalité chez les adolescents.

Dans le cas qui nous intéresse, nous avons adopté une approche législative plus large qui propose un cadre plus durable pour aborder le problème de la criminalité chez les jeunes, plutôt qu'une solution législative qui ne donne pas de bons résultats.

Je le mentionne pour montrer que nous n'avons pas durci le système de justice pour les adolescents. Nous n'avons pas allongé les peines. Et il y a plusieurs autres choses que nous n'avons pas faites. Je le mentionne uniquement à cette fin. Je suis désolée de vous avoir laissé sous l'impression que nous avions préparé un projet de loi qui réponde à la pression du public de prévoir des peines plus dures et de raffermir le système, parce que ce n'est pas ce que nous avons fait.

[Français]

Mme Viau: J'aimerais ajouter un point à ce que Mme Latimer a dit. Je vais faire référence à des propos que vous avez entendus de la part des représentants du Barreau du Québec. Je me réfère au mémoire qu'ils ont déposé lorsqu'ils ont comparu devant vous.

Le Barreau avait soulevé les mêmes questions que vous soulevez, à savoir si nous sommes en effraction vis-à-vis la Convention des droits de l'enfant. Par exemple, pour être en accord avec la Convention, l'arrestation, la détention et l'empri sonnement d'un enfant sont des mesures qui ne doivent être utilisées qu'en dernier ressort et doivent être aussi brèves que possible.

En ce qui a trait à l'arrestation, le projet de loi C-7, fournit de meilleurs outils aux policiers qui favorisent la responsabilisation des jeunes par des mesures extrajudiciaires plutôt que par l'arrestation.

Les mesures extrajudiciaires proposées dans le projet de loi C-7 vont bien au-delà des mesures de rechange que nous retrouvons dans la Loi sur les jeunes contrevenants. Dans cette loi, nous retrouvons des sanctions extrajudiciaires qui entraînent tout de même des conséquences assez importantes sur l'enfant. Par exemple, des antécédents judiciaires demeurent au dossier pendant deux ans.

Dorénavant, pour répondre aux besoins de la Convention, nous offrons aux intervenants de première ligne des outils qui leur permettent d'imposer des mesures extrajudiciaires qui ne créeront pas d'antécédents judiciaires, mais qui responsabiliseront les jeunes, parce que les jeunes commettent des infractions qui sont moins graves que d'autres.

Dans le projet de loi C-7, on parle de détention provisoire en attente du procès. Cependant, le fardeau pour convaincre un tribunal de garder un jeune en détention jusqu'au moment du procès est très lourd. Autrement dit, on retrouve cela dans très peu de cas. On a même un élément supplémentaire. Si le juge conclut qu'il faut détenir le jeune provisoirement jusqu'à son procès, il doit s'enquérir de la présence d'une personne responsable dans la société autour de cette personne pour le prendre en charge jusqu'au moment du procès.

Troisième élément, l'emprisonnement n'est utilisé qu'en dernier ressort et doit être d'une durée aussi brève que possible. Nous le retrouvons à l'article 39 du projet de loi C-7, ce que nous n'avions pas dans la Loi sur les jeunes contrevenants. C'est exactement ce que nous faisons avec le projet de loi. Vous n'avez qu'à regarder comment ont été conçus les articles 38, 39 et les options de sentence prévues à l'article 42. On fait en sorte que le jeune subisse la peine la moins lourde possible dans les circonstances, à la fois pour le responsabiliser et tenir compte de ses besoins de réadaptation et de réinsertion sociale. Tous les programmes doivent être mis en place dès le premier jour, si on arrive à la conclusion qu'il doit être mis sous garde.

L'article 94 du projet de loi C-7 est bien spécifique à l'effet que le directeur provincial doit désigner un délégué de la jeunesse immédiatement de sorte que le jeune soit responsabilisé, mais réadapté dans la société avec succès.

Le sénateur Joyal: Pourriez-vous répondre à l'objection soulevée par le Barreau du Québec quant aux infractions désignées à l'article 62? Les représentants du Barreau du Québec nous ont donné une liste de 18 pages de toutes les infractions qui ont pu être relevées dans le Code pénal et qui sont assujetties à l'article 62. Il s'agit de toutes les infractions dont on pouvait trouver un jeune coupable et qui sont sujettes à des pénalités pour adultes donc aux pénalités du Code pénal.

Comment qualifieriez-vous cette situation? La totalité de toutes les infractions ou à peu près se retrouvent dans cette liste. Les autres infractions qui restent sont mineures et n'ont presque pas de conséquence sur le plan social.

L'élément clé de la représentation du Barreau du Québec est que l'emphase était mise précisément sur la pénalité, l'infraction elle-même, plutôt que sur le jeune.

[Traduction]

Le problème semble être que nous réfléchissons en fonction de ce que devrait être un système de justice pour les adolescents. L'accent devrait être mis sur la personne, sur l'adolescent, tandis que dans un système pour les adultes, l'accent est mis davantage sur la peine et sur l'amende, sur une punition ou sur une décision exemplaire prise à la suite de la commission d'un acte. Il y a donc contradiction entre l'analyse juridique que vous faites du projet de loi et l'autre analyse, celle qui sera faite par le tribunal. Il ne suffit pas de dire qu'il n'en est pas ainsi. Tôt ou tard, le tribunal sera appelé à se prononcer à ce sujet et je ne recommande nullement d'attendre cette décision. Je ne défendrai jamais cette approche parce qu'il serait facile pour quelque province que ce soit de faire un renvoi relatif à toutes les dispositions, ce qui entraverait l'autorité du Parlement. Ce n'est certainement pas mon intention.

En tant que législateur, je dois me convaincre que les arguments présentés sont valables. Je le dis en toute déférence pour le ministère de la Justice. Notre comité a participé à d'autres discussions au cours desquelles le ministère de la Justice nous a dit qu'il ne fallait pas s'inquiéter de la constitutionnalité d'un élément pour constater, plus tard, que le tribunal avait une opinion fort différente, en rendant une décision unanime. En conséquence, il semble que certains n'aient pas lu le même texte de loi que nous.

Il s'agit ici d'un élément clé. Il ne s'agit pas d'une loi concernant la circulation. Il s'agit d'un projet de loi qui traite des droits et libertés d'une personne qui en est aux premiers stades de sa vie. La question est grave et elle est lourde de conséquences.

Puisque nous pouvons compter sur la présence de ces témoins pour toute la durée de nos travaux, il leur serait peut-être utile de relire le témoignage des autres témoins et de leur demander de revenir pour nous parler de ces autres interventions.

La présidente: Je devrais vous dire, honorables sénateurs, que nous avons l'intention de demander aux fonctionnaires du ministère, de même qu'à la ministre, de revenir à la fin de nos travaux. À ce moment, tous pourront à nouveau tenter de répondre à certaines de nos préoccupations.

[Français]

Le sénateur Nolin: Compte tenu de ce que vous venez de nous dire, je vais restreindre mes questions aux mesures actuelles de rechange et aux futures mesures extrajudiciaires.

Madame Viau, dans votre réponse au sénateur Joyal, vous mettez en lumière le fait qu'il y a de nouvelles avenues et vous faites, entre autres, référence à de nouveaux outils dont les policiers bénéficieront pour divertir l'adolescent ou le jeune contrevenant plutôt que de l'amener dans le processus judiciaire.

Nous avons entendu plus tôt un statisticien qui nous a brillamment démontré que ces mesures de diversion existaient déjà au Québec et que c'est pour cette raison qu'il y a moins de jeunes qui entrent dans le système et donc moins de jeunes qui en sortent. C'est une règle de physique assez fondamentale.

On peut lire dans la loi actuelle, aux mesures de rechange, à l'article 4(1)a), qu'il est prévu que l'autorité et la juridiction provinciale pourront mettre en place un processus, et je cite:

a) ces mesures sont dans le cadre d'un programme de mesures de rechange autorisé, soit [$] par une personne ou une personne faisant partie d'une catégorie de personnes désignée par le lieutenant gouverneur en conseil d'une province.

Ces mesures de diversion font en sorte que les statistiques québécoises sont définitivement hors normes. Ces statistiques québécoise tiennent-elles au fait que la loi actuelle n'a pas attendu que vous introduisiez les articles mentionnés, incluant l'article 4 qui contient de très beaux principes et objectifs, et les articles 5, 6, 7 et 8 qui font référence aux principes et objectifs, et aux avertissements que le policier peut donner pour renvoi? Déjà, la diversion, c'est le renvoi.

Est-ce que le Québec a déjà mis en place ces mesures que vous semblez considérer, par votre réponse au sénateur Joyal, une grande amélioration par rapport à la loi actuelle?

Mme Viau: La loi actuelle prévoit des mesures de rechange, c'est vrai. Vous avez entendu un statisticien qui vous a démontré, par exemple, que le taux de criminalité était plus bas au Québec qu'ailleurs.

Par contre, on vous a aussi dit qu'il faut comprendre que la façon dont les programmes de rechange fonctionnent d'une province à l'autre fait en sorte que parfois, comme au Québec, on a eu la sagesse de renvoyer les jeunes vers des mesures de rechange avant de déposer officiellement les accusations au tribunal, alors qu'on le fait après dans d'autres provinces.

Vous avez demandé au statisticien de rétablir ces chiffres pour voir si, avec des données réajustées, nous pourrions noter beaucoup de différences. J'attendrai donc que vous receviez l'information. Il reste qu'il faut prendre cela aussi en considéra tion.

Le statisticien vous a aussi démontré que l'Alberta, par exemple, était actuellement le grand utilisateur des mesures de rechange. C'est difficile parfois de comparer, parce qu'il peut être question de plusieurs éléments différents.

Néanmoins, il est vrai que nous avons au Québec un système de mesures de rechange, comme nous en avons dans toutes les provinces par ailleurs. Le Québec a un bon système de mesures de rechange, il l'utilise beaucoup et c'est bien.

Ils vont pouvoir en faire un peu plus. Le projet de loi C-7 permettra non seulement les mesures de rechange actuelles, qui, je le répète, bâtissent quand même un dossier judiciaire qui demeure en place pour deux ans, mais il y aura des mesures de rechange à deux niveaux. Les mesures de rechange actuelles, en vertu du projet de loi C-7, seront pour le deuxième niveau. Le premier niveau n'existe pas jusqu'à présent, mais il existera avec le projet de loi C-7.

Le sénateur Nolin: Quand vous parlez du premier niveau, c'est avant d'entrer dans le système judiciaire?

Mme Viau: C'est avant que des accusations soient déposées formellement, mais sans qu'on ait eu recours aux sanctions extrajudiciaires. Parce que dans le projet de loi C-7, vous avez des mesures extrajudiciaires et des sanctions extrajudiciaires.

De la façon dont sont bâties les mesures extrajudiciaires, elles n'ouvrent pas l'élément de dossier judiciaire ou d'antécédent judiciaire comme tel. On n'étiquette pas le jeune, on lui donne une chance. Tandis que déjà au moment où on impose une sanction extrajudiciaire, qui est la mesure de rechange actuelle, on étiquette le jeune.

Le sénateur Nolin: Le statisticien nous a dit, il n'y a pas plus de trois heures, que la mesure de diversion au Québec se fait avant que le processus judiciaire s'applique. C'est pour cela que nous n'avons pas de données statistiques. Si le Québec le fait, et je présume que le Québec agit à l'intérieur de sa juridiction qui, selon la Cour suprême, est une délégation constitutionnelle, cela veut dire que cette mesure vient d'une loi fédérale.

N'est-ce pas l'article que je viens de vous lire? Le Québec n'a-t-il pas déjà le droit de mettre en place des mesures de diversion extrajudiciaires pour mettre en place ces mesures?

Mme Viau: Sauf qu'il y a quand même des conséquences importantes rattachées à ces mesures. Dans le nouveau projet de loi, on étend ce genre de mesures pour permettre une intervention sans qu'il y ait nécessairement une conséquence importante. Quand on parle de dossier judiciaire, il faut comprendre ce que cela implique pour le jeune. Le jeune, souvent, est privé d'un emploi et il a de la difficulté à rentrer à l'université.

Maintenant la plupart des universités vérifient les antécédents judiciaires et refusent les jeunes sur cette base. C'est une chance supplémentaire qui est donnée aux intervenants du milieu dans le but de responsabiliser le jeune et faire en sorte que malgré tout, on n'étiquette pas le jeune à long terme.

Cette façon de faire est accueillie avec beaucoup d'enthousias me par les premiers intervenants et ce, même au Québec. Je dirais qu'ils sont très heureux de voir appliquer cette mesure.

[Traduction]

Le sénateur Nolin: J'ai d'autres questions à poser sur d'autres aspects.

Le sénateur Fraser: Vous avez parlé de la juridiction du Québec, mais je suppose que vous parliez de toute province?

Le sénateur Nolin: Selon moi, toutes les provinces ont l'autorité, la marge de manoeuvre nécessaire, mais cela ne semble pas être le cas.

[Français]

Madame Viau, on ne se comprend pas. On se fait dire qu'il n'existe pas d'information statistique possible. Il n'y a donc pas de casier judiciaire.

Mme Viau: En vertu de l'aliéna 44 de la Loi sur les jeunes contrevenants, il est clairement stipulé qu'une mesure de rechange bâtit un dossier judiciaire et ce dossier demeure en place pour une période de deux ans.

Le sénateur Nolin: Pourquoi le statisticien nous a-t-il dit qu'il n'y avait pas de statistique sur les diversions?

Mme Viau: Le statisticien a répondu à une question bien différente de celle que vous me posez actuellement.

Le sénateur Nolin: On lui reposera la question ultérieure ment.La mesure de diversion fait en sorte qu'on n'amène pas l'adolescent dans le processus judiciaire.

Mme Viau: La mesure de rechange est tout de même comptabilisée. Vous avez d'ailleurs les statistiques sur les mesures de rechange.

Le sénateur Nolin: D'accord, on examinera tout cela.

[Traduction]

Le sénateur Beaudoin: Ma question est fort simple. Le système du Canada est dualiste: quand nous signons un traité, nous devons légiférer. Si nous ne le faisons pas, le traité n'est pas applicable. Notre système de droit constitutionnel et de droit international est ainsi fait. Si nous n'adoptons pas une loi pour donner effet au traité, le traité n'a aucune incidence sur les lois du pays. Tel est notre système.

C'est le seul point que j'ai à soulever. Bien sûr, nous avons une constitution et, bien sûr, nous avons la primauté du droit, mais cela ne règle pas tout. Quand nous signons un traité, nous devons légiférer pour qu'il puisse prendre effet. C'est là une obligation morale. Si nous ne le faisons pas, j'estime que nous sommes en faute, ne serait-ce que du point de vue de cette obligation morale.

Si vous dites que ce projet de loi répond à toutes nos obligations en vertu de la Convention des Nations Unies, alors bravo. Pourtant, je n'en suis pas si sûr après avoir entendu le sénateur Fraser.

Je poserai la même question dans deux semaines et j'espère que vous serez en mesure de dire «Oui, la mise en oeuvre de ce projet de loi couvre tous les aspects de la Convention». Si vous me le dites, je prendrai votre parole.

La présidente: Quand vous reviendrez, soyez convaincant.

Le sénateur Joyal: Madame Latimer, serait-il utile que le projet de loi comporte une disposition de temporisation? Nous cherchons à définir de nouveaux objectifs que Mme Viau nous a fort bien expliqué, il y a une minute. Il serait utile que le Parlement examine les objectifs du projet de loi, mettons dans trois à quatre ans, afin de savoir si la mise en oeuvre a permis d'attendre les objectifs visés. Plusieurs textes de loi sont maintenant systématiques pour ce qui est des objectifs.

Mme Latimer: Nous surveillerons la mise en oeuvre de ce projet de loi de diverses façons. Nous serons heureux de revenir et de vous présenter les résultats, de vous dire si les objectifs sont atteints et de vous parler des problèmes que nous éprouvons. Est-ce qu'il faudra alors modifier la loi? Je ne le sais pas. Je serai heureuse de vous rendre compte.

La présidente: Madame Latimer, vous avez dit que ce projet de loi est fondé sur l'article 3, c'est-à-dire la déclaration de principe. En réponse à une question du sénateur Beaudoin, vous avez dit qu'il est axé sur la jeunesse. Vous avez fait référence à l'alinéa 3(1)a):

...le système de justice pénale pour adolescent vise à prévenir le crime par la suppression des causes sous-jacentes à la criminalité chez les adolescents, à les réadapter et à les réinsérer dans la société et à assurer la prise de mesures leur offrant des perspectives positives...

Cet alinéa se termine par les mots «en vue de favoriser la protection durable du public». Ce projet de loi semble donc tourner autour de la protection à long terme du public et non de la réadaptation des adolescents.

Mme Latimer: Je dirais que votre interprétation du projet de loi C-7 n'est pas la bonne. Vous faites ici référence à l'interprétation du projet de loi C-3.

La présidente: C'est bien le projet C-7 que je lis.

Mme Latimer: Oui, mais le législateur vise les trois objectifs qui sont énumérés.

La présidente: En vue de favoriser la protection durable du public.

Mme Latimer: C'est là un effet secondaire de la réalisation des trois grands objectifs.

La présidente: «En vue de» fait référence à l'effet désiré.

Mme Kingston: Ce ne sont pas des objectifs incompatibles. Cela s'ajoute au fait qu'à long terme, la société veut qu'un adolescent puisse se réadapter et se réinsérer dans la société. Il ne s'agit pas d'un choix. C'est la façon d'assurer la protection durable du public.

Le sénateur Andreychuk: Si j'étais sur le banc, mon interprétation - s'il y avait deux ou trois options - serait guidée par la mesure qui favoriserait la protection de la société plutôt que par celle qui pourrait être bonne pour l'adolescent. Il faut faire un choix. Il faut espérer que ces choix ne soient pas définitifs, mais s'ils le sont, le juge optera pour la protection de la société.

M. Barnhorst: La question qui se pose est la suivante: Quel est le rôle du système de justice criminelle et dans quelle mesure peut-il contribuer à la protection de la société?

Une des différences les plus marquantes entre le projet de loi C-3 et le projet de loi C-7 est la référence à la durabilité. Cela signifie que nous ne voulons pas d'attentes à court terme, de solutions rapides pour prévenir le crime et protéger la société.

Dans tout débat sur la prévention du crime, il faut adopter un point de vue à long terme. Un système de justice criminelle pour les adolescents doit viser les trois objectifs auxquels Mme Latimer a fait référence - prévenir le crime, réadapter et aborder les problèmes de manière équilibrée. Il ne s'agit pas d'une solution à court terme. Si nous nous concentrons sur ces trois questions, le système de justice criminelle peut contribuer à la protection de la société.

Soyons réalistes. Il s'agit d'une approche à long terme et il n'est pas raisonnable d'envisager ce projet de loi en disant «en cas de doute, optons pour la protection de la société», parce que le texte ne contient pas un tel message. Le projet de loi ne dit pas qu'en cas de doute, il faille enfermer l'adolescent; ce qu'il dit est fort différent.

Le projet de loi précise clairement qu'il faut chercher des façons de réagir équitablement et de manière proportionnée aux besoins de réadaptation de l'adolescent. Telle peut être la contribution d'un système de justice criminelle pour les adolescents en vue de la protection durable de la société. Ma perception du projet de loi diffère de la vôtre.

La présidente: Merci.

La séance est levée.


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