Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 12 - Témoignages du 18 octobre 2001
OTTAWA, le jeudi 18 octobre 2001
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 11 heures, dans le but d'examiner le projet de loi C-7, Loi concernant le système de justice pénale pour les adolescents, et modifiant et abrogeant certaines lois en conséquence.
Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Honorables sénateurs, nous nous réunissons de nouveau ce matin dans le but d'examiner le projet de loi C-7, qui porte sur le système de justice pénale pour les adolescents. Il s'agit de la sixième réunion sur le sujet. Nous sommes presque à mi-chemin de notre étude. Plus de soixante témoins doivent comparaître devant le comité, et nous en avons déjà entendu une trentaine.
Cette semaine, nous avons entendu le témoignage du Centre canadien de la statistique juridique, des fonctionnaires du ministère de la Justice, des représentants des associations des policiers et du milieu de l'enseignement. Aujourd'hui, nous accueillons diverses associations de jeunesse, dont la Youth Canada Association, le Conseil canadien des organismes provinciaux de défense des droits des enfants et des jeunes, le Réseau national des jeunes pris en charge et l'Association canadienne d'aide à l'enfance.
Mme Deborah Parker-Loewen, présidente, Conseil canadien des organismes provinciaux de défense des droits des enfants et des jeunes; Bureau de la protection de l'enfance, Saskatchewan: Honorables sénateurs, c'est un honneur pour moi que d'être ici aujourd'hui. Je suis accompagnée de Mme Judy Finlay, avocate principale du Bureau d'assistance à l'enfance et à la famille de l'Ontario.
Je travaille pour le Bureau de la protection de l'enfance de la Saskatchewan. Nous représentons toutes les deux le Conseil canadien des organismes provinciaux de défense des droits des enfants et des jeunes.
Le Conseil regroupe les cinq défenseurs des droits des enfants nommés par la Colombie-Britannique, l'Alberta, la Saskatchewan, le Manitoba et l'Ontario, l'ombudsman des enfants de la Nouvelle-Écosse, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec, et le commissaire à l'enfance de la Colombie-Britannique. Plusieurs d'entre nous relèvent directement de nos assemblées législatives, et d'autres, d'instances différentes.
Nous avons tous pour objet de défendre les intérêts, les droits et la dignité des enfants. Nous nous occupons ensemble des dossiers nationaux qui concernent les enfants et les adolescents, parce qu'il y a plusieurs questions qui ne relèvent pas de la compétence des provinces, mais qui intéressent manifestement, comme c'est le cas ici, et le gouvernement fédéral et les provinces. Nous nous attachons à promouvoir le respect des droits des enfants, à faire valoir les intérêts des enfants et des adolescents.
En ce qui a trait aux adolescents qui ont des démêlés avec le système de justice pénale, il y a quatre bureaux du protecteur des enfants qui offrent des services particuliers aux enfants placés sous garde ou sous probation. Toutefois, nous offrons tous des services aux nombreux adolescents en difficulté, plus de la moitié d'entre eux ayant également été pris en charge par les services de protection de l'enfance.
Offrir des services particuliers signifie entendre la plainte que dépose un jeune, ou parfois son avocat, au sujet des aspects non judiciaires des services qu'il a reçus du gouvernement provincial. Un jeune peut communiquer avec nous, par exemple, s'il a été détenu, s'il a été injustement maintenu en isolement, ou s'il a été privé d'une visite de sa famille.
Nous adoptons également, à l'égard de notre rôle, une approche systémique. Nous prônons l'adoption de changements au niveau des pratiques, des politiques ou des mesures législatives pour faire en sorte que les enfants sont traités avec respect et conformément aux droits fondamentaux qui leur sont conférés par, entre autres, la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant. Mme Finlay vous parlera plus en détail de cette question.
Nous avons tous le pouvoir législatif de mener des examens sur place, de procéder à des enquêtes systémiques particulières ou générales, et de faire rapport publiquement des résultats de nos enquêtes et de nos travaux. Je vais demander à Mme Finlay de parler plus directement du projet de loi C-7 pour accélérer les choses.
Mme Judy Finlay, avocate principale et directrice, Bureau d'assistance à l'enfance et à la famille, Ontario; Conseil canadien des organismes provinciaux de défense des droits des enfants et des jeunes: Honorables sénateurs, en tant que défenseurs provinciaux des droits des enfants, nous appuyons de nombreux aspects du projet de loi C-7. Mentionnons, entre autres, les mesures extrajudiciaires, la déjudiciarisation des crimes jugés moins graves, les stratégies de réinsertion des jeunes dans la collectivité; la redéfinition des peines applicables au placement sous garde, lesquelles consisteront en une période de garde suivie d'une période de supervision et de soutien au sein de la collectivité, le renvoi à la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, le droit d'intervention de l'enfant, les traitements ou la réinsertion intensive, le recours aux peines les moins contraignantes possible, ainsi de suite. Ce sont là des aspects du projet de loi que nous appuyons.
Le projet de loi soulève plusieurs préoccupations qui, à notre avis, méritent un examen plus approfondi. D'abord, comme le prévoit le projet de loi C-7, les enfants et les adolescents ont des besoins en matière de développement qui sont foncièrement différents de ceux des adultes. Pour cette raison, la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant met l'accent sur le fait que les enfants de moins de 18 ans ont besoin de mesures spéciales de protection. Nous souscrivons à ce principe en tant que société.
Par exemple, nous disons qu'un jeune de 14 ans ne peut voter, consommer de l'alcool, conduire, se marier, verser des impôts. Il doit fournir une note de ses parents s'il doit s'absenter pour une visite chez le médecin, et il ne peut vivre seul. Nous sommes conscients, en tant que société, de la vulnérabilité des jeunes et c'est pour cette raison que nous prenons des mesures pour les protéger. Or, nous envisageons d'adopter une loi qui précise que les enfants peuvent être incarcérés dans des établissements pour adultes.
L'Ontario a pendant longtemps placé des jeunes dans des établissements correctionnels pour adultes, les défenseurs des droits des enfants ayant été confrontés tous les jours aux cas de ce genre. Les gardiens de prison ont reçu une formation leur permettant de travailler avec des délinquants adultes. Cette formation ne leur permet pas de répondre aux besoins particuliers des jeunes. De plus, les prisons pour adultes offrent une supervision limitée. Les comportements violents y sont monnaie courante. Les jeunes sont tyrannisés et exposés aux comportements criminogènes. Ces lieux ne favorisent pas leur réinsertion sociale.
L'Ontario est en train de prendre des mesures en vue d'ouvrir des centres réservés uniquement aux jeunes délinquants. Nous savons que la plupart des problèmes concernant les jeunes délinquants surviennent lorsqu'ils sont incarcérés dans des locaux situés à proximité des établissements pour adultes. Même si les enfants sont tenus à l'écart des adultes, ils les côtoient. La mentalité correctionnelle des adultes infiltre le milieu des jeunes.
L'Ontario est bien conscient de la situation. Voilà pourquoi la province compte installer les jeunes délinquants dans des établissements distincts. Cette expérience pénible lui a fait comprendre à quel point il est important de tenir les jeunes à l'écart des adultes.
Ensuite, le projet de loi C-7 accorde aux provinces le pouvoir de décider du niveau de garde, de fixer la limite d'âge des adolescents présumés passibles d'une peine applicable aux adultes, et de déterminer le recours aux mesures extrajudiciaires.
Nous craignons, en tant que défenseurs des droits des enfants, que la volonté politique et la disponibilité des ressources n'influent sur ces décisions. L'octroi de tels pouvoirs discrétionnaires fera que certaines provinces ne chercheront pas à imposer les peines les moins contraignantes possibles.
Nous aimerions également dire quelques mots au sujet de l'article 35 du projet de loi, qui autorise le renvoi à un organisme de protection de la jeunesse pour que celui-ci détermine si l'adolescent requiert ses services. Cinquante-sept pour cent des jeunes délinquants ont déjà été pris en charge par les services de protection de l'enfance. Soixante-trois pour cent des jeunes délinquants placés sous garde ont fait l'objet d'un ou de plusieurs diagnostics psychiatriques. Ces enfants, une fois qu'ils ont quitté les services de protection de l'enfance, deviennent de jeunes délinquants parce que le système n'a pas été en mesure de leur venir en aide. Le projet de loi C-7 accorde aux juges le pouvoir de renvoyer ces jeunes dans ce même système qui n'a pas été capable de répondre à leurs besoins. Ce système manque de ressources et fait face à de très grandes difficultés à l'échelle nationale.
Le renvoi aux organismes de protection de la jeunesse risque de faire en sorte que les jeunes se retrouvent dans la rue. Il faut prévoir une disposition qui permet une évaluation des besoins des jeunes et l'établissement de plans communautaires qui répondent adéquatement à ces besoins. Il faut pour cela établir des partenariats efficaces entre tous les intervenants.
Enfin, il faut établir des mesures de garde à la fois sécuritaires, justes et humaines. À l'heure actuelle, de nombreuses provinces au Canada favorisent les soins en établissement, ce qui nuit à la réinsertion sociale des jeunes. Les interventions sont punitives. Elles reposent sur le recours excessif à la force. Les jeunes sont mal surveillés et insuffisamment encadrés. Dans certains centres, il y a un employé pour 20 jeunes. Cette situation encourage la violence chez les jeunes, un phénomène qui aujourd'hui constitue un problème majeur au Canada. Les jeunes ne se sentent pas en sécurité dans ces milieux.
Il existe en Ontario un centre bien connu dont les programmes figurent parmi les meilleurs. Mon bureau a été appelé récemment à intervenir auprès de ce centre. On y avait trouvé de nombreuses armes, ce qui est plutôt inhabituel pour un endroit comme celui-là. Nous avions présumé que ces armes avaient été fabriquées par les jeunes les plus violents, qui les gardaient dans leurs cellules ou leurs chambres. Ce n'était pas le cas. Elles avaient été fabriquées par les enfants les plus jeunes qui, craignant pour leur sécurité, les cachaient dans leurs chambres. Ils ne se sentaient même pas en sécurité dans leurs propres chambres.
Pour ce qui est des programmes de réadaptation intensifs destinés aux jeunes aux prises avec de sérieuses difficultés, très agressifs ou dangereux, les défenseurs des droits des enfants dans plusieurs provinces estiment que cette forme de réadaptation s'apparente souvent au maintien en isolement. Il existe en Ontario et ailleurs des unités spéciales qui s'occupent des jeunes qui ont un comportement agressif et des besoins particuliers. Les jeunes sont enfermés pendant 23 heures et demie, tous les jours, dans leur cellule et ils n'ont accès à aucun programme. C'est là une forme de contrôle qui n'a rien à voir avec la réadaptation. Toutefois, les ressources limitées, l'absence de formation et une mauvaise compréhension de ces enfants font qu'il n'est pas inhabituel que les enfants ayant des besoins particuliers se retrouvent enfermés pendant 23 heures et demie.
Nous avons besoin de normes nationales pour faire en sorte que les adolescents bénéficient de mesures de garde sécuritaires, justes et humaines.
Mme Cathy Ann Kelly, membre du conseil, Youth Canada Association: Honorables sénateurs, je tiens à vous remercier de nous avoir invités à assister à cette réunion ce matin. Le groupe «Youth Organizing to Understand Conflict and Advocate Non-Violence» est un organisme national de jeunes qui se spécialise dans la résolution des conflits et le maintien de la paix.
M'accompagnent aujourd'hui Robert Paiement, conseiller principal de l'organisation; Rebecca Jaremko, qui va vous parler des aspects juridiques du projet de loi; et David Farthing, directeur exécutif et fondateur du groupe Youth Organizing to Understand Conflict and Advocate Non-violence, ou YouCAN.
M. Robert Paiement, conseiller principal, Youth Canada Association: Honorables sénateurs, j'aimerais vous dire quelques mots au sujet du projet de loi lui-même. Dans l'ensemble, YouCAN! Youth Canada Association appuie cette mesure législative. Mme Jaremko va vous parler des aspects d'ordre juridique du projet de loi qui nous préoccupent, tandis que M. Farthing va vous parler des activités de l'organisation et surtout du travail qu'elle effectue auprès des jeunes à risque.
Le projet de loi et le financement des programmes sont perçus comme deux mesures importantes sur le plan communautaire. En effet, nous privilégions l'approche communautaire quand il est question de venir en aide aux jeunes qui ont des démêlés avec la justice. Mme Jaremko abordera d'autres aspects de la problématique.
Nous aimerions que le Sénat s'intéresse au rôle que pourraient jouer les organisations nationales de jeunesse comme le Réseau national des jeunes pris en charge et YouCAN. Il est également essentiel, à mon avis, de sensibiliser le public à cette mesure législative.
En effet, l'absence de sensibilisation du public a été perçue comme une des principales lacunes de la Loi sur les jeunes contrevenants. Les études indiquent que plus le public est sensibilisé aux dispositions d'une loi, moins il sera porté à exiger l'adoption de mesures punitives. Nous devons sensibiliser les jeunes à tous les aspects de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents.
La meilleure façon d'y arriver, c'est de permettre aux jeunes de renseigner les autres jeunes sur les dispositions de cette loi. Les recherches et les interventions que nous avons effectuées auprès des jeunes ayant des démêlés avec la justice montrent à quel point cette démarche est efficace.
Nous prévoyons tenir une conférence internationale sur le maintien de la paix et la résolution des conflits du 21 au 24 février 2002. Tous les ateliers seront animés par des jeunes. Ces derniers réagissent de façon beaucoup plus positive quand se sont des jeunes qui cherchent à les sensibiliser au processus de résolution des conflits. Cela ne veut pas dire que les adultes n'ont aucun rôle à jouer au sein des organismes de jeunesse. J'agis en qualité de conseiller auprès du conseil d'administration et du directeur exécutif pour ce qui est des politiques et des programmes que doit adopter l'organisme. Il est clair que les jeunes réagissent positivement aux autres jeunes et aux adultes qui essaient de les conseiller, mais en collaboration.
Pour ce qui est d'empêcher les jeunes d'avoir des démêlés avec la justice, j'aimerais qu'on appuie les efforts des organismes de jeunesse comme YouCAN et le Réseau national des jeunes pris en charge. Il faudrait prévoir des ressources pour les programmes d'éducation du public.
Mme Rebecca Jaremko, coordonnatrice de l'emploi des jeunes, Youth Canada Association: J'agis en qualité de coordonnatrice de l'emploi des jeunes, de concert avec YouCAN, pour la conférence qui doit avoir lieu prochainement à Kingston. J'étudie également le droit. J'aimerais vous parler des dispositions de la LSJPA qui figurent dans le projet de loi C-7.
Je vais me reporter directement au mémoire que nous avons présenté. Vous pourrez le consulter, si vous l'avez en main.
D'abord, pour ce qui est du préambule et des principes, YouCAN appuie certains aspects du préambule. Nous sommes particulièrement satisfaits du renvoi à la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, de la clarté de l'énoncé des principes et de la mention des questions relatives à l'égalité à l'article 3, soit la déclaration de principes. Nous estimons que la formulation des objectifs et des principes est plus claire dans la LSJPA qu'elle ne l'était dans la LJC et nous en félicitons les auteurs.
Toutefois, nous nous inquiétons du texte principal de la loi et de la mesure dans laquelle les dispositions sont conformes à la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant.
De façon plus précise, nous avons des inquiétudes au sujet de la connotation négative qu'a l'expression «infractions graves avec violence» et du recours accru aux peines réservées aux adultes. Le résumé législatif prévoit une augmentation du nombre de jeunes qui seront jugés comme des adultes. Je sais que ce résumé n'a aucune valeur juridique, mais j'estime qu'il s'agit d'une interprétation juste du texte de loi.
Il y aura plus de jeunes qui seront jugés comme des adultes et qui seront incarcérés dans des établissements pour adultes. C'est un sujet qui nous préoccupe, et qui inquiète également les défenseurs des droits des jeunes. Nous nous entendons sur ce point. Nous sommes également très inquiets du fait qu'un plus grand nombre de jeunes pourront, dès l'âge de 14 ans, être jugés comme des adultes.
D'après la John Howard Society, le Canada incarcère un trop grand nombre de jeunes. Nous félicitons les auteurs du projet de loi d'avoir tenu compte de cette réalité.
Nous sommes favorables à l'importance accrue et à l'ampleur accordées aux mesures extrajudiciaires dans la nouvelle loi. Toutefois, nous nous demandons si cela se traduira par des changements concrets. Les provinces conservent le pouvoir discrétionnaire qu'elles possèdent à l'égard de bon nombre des programmes qu'elles décident de mettre en oeuvre. Or, nous aimerions qu'elles soient tenues de mettre en place de tels programmes.
Nous craignons également que les jeunes délinquants qualifiés de «violents» bénéficient de peines fondées sur la justice réparatrice. Comme le projet de loi a pour effet de punir les contrevenants violents, nous préférerions que les jeunes reconnus coupables d'infractions violentes ou qui auraient prétendument commis des infractions violentes aient accès aux programmes fondés sur la justice réparatrice. On assimile de plus en plus les agressions dans les cours d'école à des infractions violentes. Cette situation nous préoccupe beaucoup.
Nous appuyons la recommandation de la John Howard Society qui propose que le projet de loi soit modifié pour permettre à un tribunal d'annuler les accusations de la police lorsque celle-ci a négligé d'envisager des solutions de rechange. Nous sommes convaincus que les jeunes devraient être représentés au sein des comités de justice pour les jeunes.
Encore une fois, en tant qu'organisme de jeunes, nous estimons qu'il est important que les comités de justice pour les jeunes ne constituent pas une autre façon de bâillonner les jeunes. Il est important qu'ils aient leur mot à dire au sujet de ce processus.
Pour ce qui est des peines, c'est à ce chapitre que l'on retrouve certains des changements les plus profonds qui caractérisent le système de justice pénale pour les adolescents. Nous applaudissons au fait que les principes sont clairement énoncés. Il s'agit là d'un facteur important. On tente manifestement de réduire le recours excessif à la mise sous garde des jeunes, initiative à laquelle nous sommes favorables.
Comme nous l'avons déjà mentionné, les études montrent que les interventions les plus efficaces auprès des jeunes sont appliquées à l'extérieur des établissements de garde. Il est essentiel que de telles mesures soient mises en application et que la loi reflète l'objectif de réduction de la mise sous garde.
Nous sommes également favorables au changement procédural qui concerne l'audition de transfert. Il s'agit là d'une excellente mesure qui vise à protéger les droits en matière de procédure des jeunes. Toutefois, nous craignons qu'un plus grand nombre de jeunes soient jugés comme adultes et détenus avec des adultes, geste qui enfreint la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant. Bien que le Canada ait émis une réserve à l'égard de l'article 37 de la Convention, rien n'excuse, d'un point de vue moral, le traitement ou la violence que subissent les jeunes détenus dans des établissements pour adultes.
Le régime de la détermination de la peine a été amélioré, mais il y a encore place pour l'amélioration. Pour ce qui est de la publication des dossiers et de la confidentialité des renseignements, la LSJRA ouvre davantage la porte à la publication de dossiers et d'information au sujet de jeunes qui ont présumément commis des infractions. Nous nous élevons également contre cela. Il faut que l'identité de ces jeunes soit protégée.
Enfin, en ce qui a trait à la représentation juridique, l'article 25 du projet de loi laisse aux provinces le pouvoir discrétionnaire de recouvrer auprès des père et mère le montant des honoraires versés à l'avocat de l'aide juridique qui représente un jeune inculpé. Pour nous, c'est un problème fondamental. Cette disposition a deux effets: premièrement, elle crée un conflit d'intérêts puisque les parents se trouvent à payer pour l'avocat. Il s'ensuit que l'avocat peut avoir du mal à faire droit aux besoins du jeune, plus particulièrement lorsque ceux-ci ne coïncident pas avec ceux des parents. Deuxièmement, il y aura de plus en plus de jeunes sous-représentés au tribunal pour adolescents. Ceux-ci ont déjà du mal à comprendre les procédures. S'ils sont privés des services d'un avocat, c'est un problème fondamental. Sur ce, je vais donner la parole à M. Farthing.
M. David Farthing, directeur exécutif, Youth Canada Association: Honorables sénateurs, nous sommes ici pour faire écho à la voix des jeunes au Canada du mieux que nous le pouvons. Les jeunes Canadiens représentent sans doute le groupe le plus diversifié de jeunes n'importe où dans le monde. En tant qu'organisation, il y a une chose que nous avons apprise à la suite de l'exercice de consultation que je vais présenter au Comité permanent de la justice de la Chambre des communes et à votre comité. Nous devons faire davantage pour être à l'écoute des jeunes, conventionnels et marginaux, afin de les sonder sur diverses questions et écouter ce qu'ils ont à dire.
Je tiens à féliciter le ministère de la Justice qui a fait un travail incroyable - peut-être le meilleur jusqu'ici - dans le cours de l'élaboration de projets de loi, lorsqu'il a consulté des jeunes de multiples groupes divers. Au Canada, nous avons encore du pain sur la planche pour l'avenir. Nous devons non seulement écouter ce que les jeunes ont à dire au sujet du système de justice pénale pour les adolescents au Canada, mais nous devons également essayer de les éduquer pour qu'ils comprennent mieux ce système. Nos initiatives de formation nous ont amenés à divers endroits. Il se peut que des jeunes conviennent qu'une approche plus répressive s'impose et cela parce qu'ils ne comprennent pas vraiment les principes de justice réparatrice, la réconciliation ou d'autres dispositions qui seront concrétisés par le biais de cette mesure.
Cela ne fait pas partie de leur vocabulaire. La culture des adolescents ignore l'existence de la justice réparatrice. Il y a beaucoup de travail à faire dans ce domaine.
Dans l'intérêt des jeunes Canadiens, il faut régler deux problèmes. Premièrement, l'opinion publique a une fausse conception de la violence et du taux de criminalité chez les jeunes. La perception du public est à côté de la marque. Cela dit, je ne sais pas comment le Canada compte réagir ou s'y prendre pour trouver une ébauche de solution à ces problèmes.
Deuxièmement, les adolescents sont sur-représentés dans le système de justice pénale. Le projet de loi comporte de nombreuses dispositions visant à éviter que les jeunes relèvent du système de justice pénale. Là encore, je ne sais pas exactement ce que le gouvernement entend faire pour réduire le nombre de jeunes en détention, notamment grâce à la prévention et à la déjudiciarisation.
Une chose me frappe. Que je parle à des intervenants d'agences vouées à la défense des jeunes ou d'organismes gouvernementaux, il semble que la question de la participation des jeunes est au coeur de leurs préoccupations. De tous côtés, j'entends la même question: Comment aller chercher les jeunes, comment mieux répondre à leurs besoins? L'un des grands défis qui se posent pour notre organisation, YouCAN, pour le gouvernement du Canada et pour d'autres regroupements fantastiques comme le Réseau national des jeunes pris en charge et les groupes de défense des droits des enfants et des jeunes, c'est de susciter chez eux le même enthousiasme qui anime les jeunes militant dans le mouvement environnemental.
Je constate que de nombreux jeunes s'intéressent aux grands enjeux. Ils savent ce qui se passe dans le mouvement environnemental international. Ils en connaissent les aspects positifs et négatifs parce qu'ils sont impliqués. Je ne constate pas la même chose ici au Canada. Je ne vois pas nécessairement autant de groupes de jeunes qui se rencontrent pour parler des grands enjeux.
Les dix prochaines années seront importantes pour le projet de loi, s'il est adopté. Ce qui me passionne, c'est de trouver une solution axée sur la collaboration avec le gouvernement, une solution où tous les intervenants mettraient l'épaule à la roue pour trouver des moyens d'intéresser les jeunes au système de justice pénale et de développer chez eux l'adhésion, le respect et la compréhension que l'on constate dans les milieux de défense de l'environnement.
M. Matthew Geigen-Miller, directeur de l'éducation et des communications, Réseau national des jeunes pris en charge: Honorables sénateurs, je voudrais apporter un correctif: je ne suis pas directeur exécutif, mais plutôt directeur de l'éducation et des communications du Réseau national des jeunes pris en charge.
Le Réseau national des jeunes pris en charge est un organisme de jeunes ayant une expérience personnelle du système. Nous faisons partie d'une organisation de jeunes gens pris en charge par le gouvernement dans l'ensemble du Canada. Par là, nous entendons surtout des jeunes qui ont grandi dans les organismes de protection de la jeunesse - foyers d'accueil et foyers collectifs, ou autres - où ils ont été placés parce qu'ils étaient maltraités, négligés ou en butte à d'autres problèmes dans leurs foyers.
Au fil des ans, la définition de prise en charge a été élargie pour englober d'autres formes de garde en établissement, comme les établissements pour les jeunes contrevenants et les enfants souffrant de troubles mentaux.
Personnellement, je connais tous les tenants et aboutissants du système pour les jeunes contrevenants. C'est ce qui m'a incité à faire des pieds et des mains pour remplacer la Loi sur les jeunes contrevenants.
Dans ma jeunesse, j'ai relevé du système pour les jeunes contrevenants en Ontario. J'ai purgé une peine carcérale lorsque j'étais adolescent. J'ai connu la garde fermée, la garde ouverte et la probation. J'ai donc connu toute la gamme, à ma première infraction. J'ai donc fait l'expérience de la Loi sur les jeunes contrevenants et des divers processus qu'elle enclenche, les meilleurs comme les pires.
J'ai rencontré des travailleurs auprès des jeunes compatissants et encourageants et j'ai participé à un programme thérapeutique fantastique. Cependant, j'ai aussi été maltraité et battu par des gardiens de prison et j'ai passé deux mois en isolement, seul dans une cellule. J'ai connu toute une brochette d'agents de probation qui étaient indifférents et qui changeaient fréquemment. J'ai en aussi connu un avec qui j'ai noué des liens et qui m'a énormément soutenu. J'ai donc cette perspective et j'ai tout vu, bien que je ne sois passé qu'une seule fois par le système. C'est donc en relation avec mon vécu que je m'exprime aujourd'hui.
Je peux aussi vous parler des visites que j'ai faites pendant un an dans divers établissements de garde dans le but de m'entretenir avec des jeunes contrevenants - des personnes qui y séjournent actuellement ou qui y ont séjourné - pour obtenir leurs commentaires. Nous avons examiné quels sont les besoins des jeunes en matière de réintégration et nous leur avons posé aussi des questions plus vastes. Voilà mes antécédents.
Si je devais choisir entre le projet de loi sous sa forme actuelle et la Loi sur les jeunes contrevenants, je choisirais le projet de loi C-7. Cependant, nous avons une Chambre haute et cette mesure, bien qu'elle soit très valable et qu'elle comporte un tas de bonnes choses, mérite une seconde réflexion.
Il y a certains éléments clés dont je veux parler. Chose certaine, je n'ai pas exprimé toutes mes préoccupations ni abordé tous les éléments dans mon mémoire et je ne le ferai pas non plus dans ma déclaration liminaire. La mesure est trop volumineuse: 200 articles. Quelqu'un ici a-t-il lu le projet de loi en entier?
Le sénateur Joyal: Oui, je l'ai tout lu et je l'ai trouvé complexe. D'ailleurs, je l'ai dit au Sénat.
M. Geigen-Miller: Merci. Je ne peux pas parler de tout, mais je m'attacherai à quelques dispositions clés. Premièrement, je m'attacherai au cas des mineurs incarcérés dans des établissements pour adultes comme les établissements correctionnels provinciaux et les pénitenciers fédéraux. Cela arrive à l'heure actuelle. Il ne reste pas tellement d'établissements comme ceux-là - sept ou huit dans tout le Canada. Et dès que le projet de loi C-7 sera adopté, je crois que cela ne se produira plus. Il y a des garanties qui empêchent cela.
Cependant, une exception permet qu'un jeune de moins de 18 ans ne soit pas détenu dans un établissement pour adolescents, si l'on juge que c'est dans son meilleur intérêt ou que la sécurité de quelqu'un pourrait être menacée. Je tiens à faire une mise en garde au comité: je fais partie d'un groupe de jeunes qui ont connu des situations très difficiles alors qu'ils relevaient des services gouvernementaux. Apparemment, ces situations étaient justifiées parce qu'on agissait dans notre meilleur intérêt.
Je signale au comité qu'on a ouvert une porte avec cette petite exception et l'on fera un usage beaucoup plus fréquent de cette porte que ne peuvent l'imaginer les concepteurs de la mesure.
Le président: De quel article du projet de loi parlez-vous?
M. Geigen-Miller: Je parle du paragraphe 76(2), qui porte sur le placement sous garde des jeunes. Certains qualifieront cet article d'«exception technique». Autrement dit, c'est une disposition qui n'est pas censée être utilisée fréquemment. Or, elle le sera.
Même si la mesure est solide à bien des égards, certaines dispositions, entre les mains de personnes qui ne partagent pas l'intention du gouvernement, risquent d'être très destructives. Nous savons pertinemment que les gouvernements des provinces et des territoires ont des approches très différentes. On peut être sûr que certains d'entre eux appliqueront le projet de loi de façon minimale.
Je voudrais parler de façon générale de l'application des dispositions relatives aux infractions désignées. Je m'offusque de cette notion d'une infraction désignée. Je m'élève contre le fait qu'une personne de moins de 18 ans puisse être assujettie aux dispositions relatives aux infractions désignées. L'idée qu'on puisse présumer qu'un jeune de plus de 14 ans mais d'au plus 16 ans est plus âgé qu'il ne l'est dans le contexte de l'application des dispositions relatives aux infractions désignées, est tout simplement ridicule. Rien ne prouve que ce soit une bonne chose d'appliquer des peines prévues pour les adultes à des jeunes de moins de 18 ans. Il n'y a aucune preuve que ce soit nécessaire.
La présidente: Monsieur Geigen-Miller, nous fouillons dans le projet de loi pour être sûrs que nous regardons bien la disposition dont vous parlez. Êtes-vous dans les définitions?
M. Geigen-Miller: Je parlais de mémoire, pour être franc.
La présidente: Il serait utile que vous nous renvoyiez à un article précis, si vous y faites référence.
M. Geigen-Miller: Je ferai de mon mieux.
Le sénateur Joyal: J'invoque le Règlement. Madame la présidente, le projet de loi est très complexe. Je ne suis pas le seul à l'avoir dit. Et le témoin n'est pas non plus le seul à l'avoir fait remarquer. Hier, les chefs de police nous ont dit la même chose. Exiger d'un témoin qui n'est pas avocat qu'il se réfère à des articles précis par numéro est déraisonnable. Nous pouvons débrouiller cela après avoir entendu les témoins. Des représentants du ministère de la Justice sont assis derrière nous. Ils ont fourni des notes à quiconque comparaît devant le comité. Nous pouvons décider par la suite à quelle partie du projet de loi nous devons nous attacher.
La présidente: Vous avez raison, sénateur. Merci.
M. Geigen-Miller: Nous savons qu'une personne peut être passible d'une peine pour adulte à l'égard de certaines infractions entre l'âge de 14 ans et de 16 ans, selon le bon vouloir du lieutenant-gouverneur de la province ou du territoire. Cela est prévu dans la mesure.
Je mets au défi tous les sociologues du monde de démontrer qu'il peut être nécessaire d'imposer à un jeune une peine pour adulte pour le responsabiliser adéquatement ou protéger la sécurité de la collectivité. Je ne pense pas que les infractions désignées aient quoi que ce soit à voir avec ces deux objectifs, qui m'apparaissent cruciaux dans le projet de loi. C'est plutôt un effort pour faire avaler le projet de loi à certains éléments de la population pour que les autres éléments positifs de la mesure puissent être acceptés.
C'est le genre de chose à laquelle on s'attend de la part de la Chambre des communes. En effet, c'est le genre de compromis qu'il faut faire pour faire adopter un projet de loi à la Chambre des communes. Cela dit, c'est aussi pour cela que nous avons le Sénat. En l'occurrence, le Sénat a l'occasion de prendre du recul par rapport au discours populaire du jour et de faire preuve de leadership. J'espère que votre comité gardera cela à l'esprit.
Je voudrais maintenant parler de la mauvaise utilisation de la détention sous garde. D'ailleurs, j'y fais référence dans mon mémoire. Je mentionne aussi un ou deux articles précis du projet de loi.
Premièrement, nous souscrivons sans réserve à ce qu'a dit Mme Finlay au sujet de l'article 35 et des renvois aux services de protection de l'enfance. Souvent, c'est de là que viennent les jeunes et nous les renvoyons dans un système qui les a laissés tomber. Néanmoins, j'affirme dans mon mémoire appuyer les dispositions 29(1), 37 et 39(5) prises ensemble car j'estime qu'elles affirment clairement qu'on ne saurait utiliser la garde ou la détention comme substitut à d'autres mesures sociales.
J'avais une idée de ce qu'étaient les services de protection de l'enfance avant d'entrer dans le système applicable aux jeunes contrevenants. Cependant, j'ai vraiment appris comment fonctionnent ces services pendant mon séjour en prison car j'étais incarcéré avec beaucoup d'autres jeunes qui relevaient de la tutelle de la province. À ce titre, leurs parents étaient vraiment le gouvernement et ce dernier ne s'était pas très bien occupé d'eux. S'ils avaient des problèmes compliqués, coûteux à résoudre ou s'ils étaient réputés difficiles à gérer ou intraitables, il était facile pour les autorités de les renvoyer aux services pour jeunes contrevenants.
En fait, il est facile d'utiliser cette avenue car les enfants en tutelle font déjà l'objet d'une surveillance intense de la part de l'État. Les bureaucrates des services sociaux les surveillent et gardent des dossiers à leur sujet. Ce sont là des tâches qu'assument les travailleurs sociaux pour garantir l'assurance de la qualité, mais cela a d'autres effets. Les jeunes considérés comme «à problème» d'après leur expérience sont acheminés vers les services aux jeunes contrevenants. Ils y sont abandonnés.
Il est bon que le projet de loi stipule clairement que cela ne devrait pas se produire et comporte une interdiction explicite concernant le recours à la détention ou à la garde en guise de «mesures sociales», comme on le dit.
Je suis d'accord avec les propos de Mme Finlay. Il serait formidable de pouvoir aller plus loin et de discuter de ce que nous devrions faire au lieu d'utiliser la détention ou la garde comme mesure sociale. La formulation actuelle est adéquate, mais je conviens assurément que nous pourrions aller plus loin.
Parlons maintenant du cycle de l'incarcération. Je ne sais pas si quiconque a attiré votre attention là-dessus. J'ai toujours été au courant, mais j'en ai appris beaucoup à l'occasion de ma tournée des établissements de garde d'un bout à l'autre du Canada.
Je voudrais vous communiquer cette idée. Prenons le cas d'un jeune à qui l'on impose un placement sous garde et une probation. Il arrive à bien des gens de se voir imposer ce double volet. Ils purgent leur période de détention. Ils sortent et on leur assigne un agent de probation. Si un incident mineur se produit - un comportement qui serait considéré insignifiant dans un contexte pénal et peut-être même normal dans le contexte de l'adolescence - devient criminel parce qu'il viole une condition de la probation. Toute violation d'une condition de la probation est une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité. On ne s'attendrait pas à ce qu'un grand nombre de personnes purgent des peines pour avoir violé les conditions de leur probation. Cependant, un jeune sur cinq sous garde y est pour des infractions de nature administrative. J'ai cru comprendre que par le biais de la mesure à l'étude, le gouvernement vise à réduire sensiblement ce nombre. C'est un gaspillage de l'argent des contribuables et cela ruine la vie des jeunes touchés. C'est une réponse absolument ridicule, inutile et répressive face à des erreurs normales que font souvent les adolescents. Qu'une personne puisse être réhabilitée ou non, il peut lui arriver d'outrepasser son couvre-feu d'une heure. Cela n'a pas nécessairement grand-chose à voir avec les objectifs de la loi.
Je propose qu'aux termes de cette nouvelle loi, il ne soit plus possible d'imposer une peine carcérale pour une violation des termes de la peine ou de la probation. Cela ne plaira guère aux agents de probation. Ils vont dire que nous compromettons leur pouvoir et leur capacité de protéger le public. À mon avis, c'est, au mieux, une méprise grossière et, au pire, un mensonge flagrant.
Un jeune qui commet un délit sérieux au cours de sa période de probation devrait se voir imposer une peine correspondante; à ce moment-là, on pourra l'inculper de quelque chose d'autre que d'avoir transgressé une condition de sa peine ou de sa probation.
Le sénateur Cools: M. Geigen-Miller apporte un argument très profond. Comment se fait-il qu'un jeune se voit imposer une prolongation de peine pour une infraction de nature administrative?
M. Geigen-Miller: On ne m'a jamais inculpé de violation de ma probation. Cependant, je crois savoir que les agents de probation peuvent faire en sorte qu'un jeune soit inculpé pour non-respect des conditions de sa probation. C'est à eux qu'il appartient de vérifier l'observance des conditions d'une ordonnance de probation. Ils peuvent donc demander que des accusations soient portées.
Un grand nombre de jeunes plaident coupable à ces accusations parce qu'ils pensent qu'il est vain d'essayer de les contester. Franchement, ils ont sans doute raison puisque c'est la parole d'un jeune contre celle d'un agent de probation. Qui va gagner en pareil cas?
J'ignore quel est le taux d'acquittement ou de verdict de culpabilité. Chose certaine, un grand nombre de jeunes sous garde à l'heure actuelle y sont parce qu'à leur sortie de prison, ils ont fait une gaffe. Ils ont fait une erreur, mais ce n'est pas une erreur qui justifie une réponse aussi répressive qu'une prolongation de leur période de détention.
Dans une conversation avec des jeunes en détention, ils m'ont dit que l'agent de probation de leur petite ville circulait en voiture à l'heure du couvre-feu en quête de jeunes qui l'auraient raté de cinq minutes. Pour être honnête, même moi qui me porte à la défense des enfants et qui suis leur porte-parole, je ne les ai pas crus. Je viens d'une ville et je ne pouvais pas imaginer une chose pareille.
Un autre groupe de jeunes participant à un groupe de discussion différent mais dans le même établissement m'a raconté la même chose. Il leur aurait été impossible de communiquer les uns avec les autres. Un autre groupe de jeunes m'a raconté la même histoire dans une autre province. Ce genre de chose arrive. C'est absurde. En l'occurrence, les agents de probation font un usage abusif de leur pouvoir. Il faut que cela cesse.
Je voudrais maintenant parler de la confidentialité, de la stigmatisation des jeunes et du rapport entre la publication des dossiers et la communication d'information confidentielle à des figures d'autorité et la réinsertion sociale des jeunes.
Nous comprenons tous à quel point il serait difficile de voir notre nom ou notre photo diffusés aux actualités du soir pour une infraction que nous avons commise. D'après certains, cela fait partie des conséquences naturelles liées au fait d'avoir commis une infraction pénale. D'autres font valoir que ce n'est pas là une conséquence naturelle puisque les jeunes sont plus vulnérables et qu'ils ont droit à une plus grande protection.
J'accueille avec joie les parties du projet de loi où il est précisé que le nom du jeune ne peut être publié. Cependant, j'accepte moins bien les parties où l'on dit que c'est l'exception. Je ne vois pas pourquoi cela devrait être une exception.
À cet égard, je veux vous parler surtout des conseils scolaires. Je crois savoir que vous avez entendu des éducateurs. Ils sont venus vous parler.
Je suis souvent en contact avec des éducateurs. J'ai participé deux années de suite aux réunions de l'Association canadienne des commissions/conseils scolaires. J'ai parlé à des administrateurs, à des commissaires d'école et à des intervenants du milieu. Tous voulaient davantage d'information.
J'ai dirigé des ateliers pour eux et je leur ai expliqué comment il se fait que les enfants en tutelle ou relevant des services de protection de l'enfance ne réussissent pas aussi bien à l'école que les autres. Ils m'ont dit qu'ils avaient besoin de plus d'information. Je leur ai demandé quel rapport cela avait quoi que ce soit. Ils ont répondu qu'ils avaient besoin de pouvoir fixer les niveaux des taxes pour l'éducation. Encore une fois, je leur ai demandé ce que cela avait à voir avec la performance scolaire des enfants en foyer d'accueil.
Je ne pense pas que ça aie rien à voir avec cela. Je peux vous assurer que les éducateurs voudront toujours être plus informés et qu'ils voudront toujours avoir plus de contrôle sur les taxes et leurs revenus. Cependant, cela n'a pas grand-chose à voir avec ce dont je parlais à leurs conférences, ni avec ce projet de loi.
Ils utiliseront l'information de manière tout à fait contraire à l'esprit de ce projet de loi, je pense, parce que c'est ce qu'ils font de l'information sur les enfants en famille d'accueil. Ils l'utilisent pour, d'emblée, stigmatiser, étiqueter, blâmer, trouver des boucs émissaires et refuser l'admission dans les écoles. C'est parfaitement répugnant.
Il y a beaucoup de jeunes vivant en famille d'accueil qui disent que les enseignants font preuve de discrimination à leur égard. Ce serait à peu près impossible à prouver. Je dirais qu'il y a beaucoup d'inquiétude relativement à un groupe d'enfants vulnérables. Nous devrions faire attention à ne pas armer le même groupe de professionnels de plus d'information sur un autre groupe qui a vraiment besoin d'une seconde chance.
Je vous dirais qu'il n'y a pas de risque reconnu à ne pas fournir cette information aux commissions scolaires. Il n'y a qu'à penser à toutes ces fusillades bizarres, je ne pense pas qu'aucun de leurs auteurs avait un dossier de délinquance juvénile. Je pourrais le parier. L'existence ou non d'un dossier criminel ne détermine pas si un adolescent commettra des infractions dangereuses à l'école.
Je suis prêt à répondre à vos questions.
Mme Cherry Kingsley, Aide à l'enfance: Merci de m'avoir invitée à venir vous donner de l'information.
Je ne parlerai pas de dispositions spécifiques du projet de loi. J'aimerais parler des jeunes avec qui je travaille et de certaines de leurs préoccupations relativement au projet de loi et au système.
Récemment, nous avons consulté des jeunes de tout le Canada en vue de la séance spéciale des Nations Unies sur les enfants. Les jeunes du Canada se préoccupent surtout de problèmes comme la pauvreté, la toxicomanie, la clochardise et la violence, les mauvais traitements et l'exploitation dont les enfants sont les victimes.
Il n'y a qu'à voir le contexte de vie et les antécédents des jeunes détenus ou délinquants juvéniles, vous verrez qu'ils sont beaucoup à avoir connu ces problèmes - comme la pauvreté, la toxicomanie et la violence.
D'un côté, les jeunes demandent aux dirigeants de leur pays, de leur gouvernement et de leur communauté de l'aide pour régler ces problèmes. De l'autre côté, vous verrez que les jeunes qui sont dans le système judiciaire ont vécu de tels problèmes.
Les jeunes avec qui je travaille connaissent bien la rue. Ils participent au commerce du sexe. Beaucoup sont sans abri et ont longtemps subi la violence et les mauvais traitements. Ces jeunes s'inquiètent parce qu'ils sont généralement criminalisés.
Le système pénal est généralement le seul qui permette une certaine intervention. Par exemple, Vancouver a reçu 1 100 demandes de traitement pour la toxicomanie et de désintoxication. La ville ne peut, avec ses ressources, répondre qu'à 200 de ces demandes. Cela signifie que 9 000 enfants intoxiqués demandent de l'aide et ne l'obtiennent pas. Certains meurent, et d'autres sont criminalisés.
Nous devons vraiment décider, en tant que pays, si c'est là où nous voulons mettre toutes les ressources dont nous disposons pour les enfants. Voulons-nous que les tribunaux et les centres de placement sous garde soient notre seul moyen d'intervention?
Beaucoup d'agents de police disent qu'il leur faut intervenir. Ils doivent recourir à la loi parce qu'ils veulent sauver la vie d'un adolescent. Il serait moins coûteux et plus efficace d'offrir un traitement.
Je ne comprendrai jamais pourquoi nous criminalisons les adolescents qui participent au commerce du sexe. Je ne sais pas pourquoi le Code criminel dit qu'on ne peut acheter les services sexuels d'un adolescent tandis que, d'un autre côté, nous les criminalisons. Là encore, les policiers diront souvent qu'ils appliquent la loi parce qu'ils essaient de sauver des vies.
Les adolescents nous supplient de leur fournir un toit et des programmes de retrait, et nous n'en avons pas au Canada. J'en suis stupéfié. Le public croit qu'il existe une vaste de gamme de services et que les adolescents les refusent en bloc. Ce n'est pas vrai. Nous n'avons pas de services pour les jeunes qui participent au commerce du sexe.
Nous devons examiner les activités des jeunes qui sont criminalisées. Ils sont exploités par le marché des drogues. Le commerce de la drogue est une industrie qui rapporte des milliards de dollars, généralement au niveau de la rue et sur le dos des enfants. Le commerce de la drogue s'épanouit aux dépens des enfants des communautés appauvries et assiégées par l'exploitation.
Ce ne sont pas les enfants qui en profitent. Il y a de nombreuses raisons d'amener les enfants dans le commerce de la drogue ou du sexe. Généralement, ce n'est que le prolongement de la violence, des mauvais traitements et de l'exploitation qu'ils subissent déjà dans leur vie.
La plupart des jeunes s'inquiètent du fait que, bien que le projet de loi sur le renouvellement du système de justice pour les jeunes comporte certains principes, ils ont encore l'impression qu'ils continueront d'être punis, criminalisés et institutionnalisés pour des choses sur lesquelles ils n'ont aucun contrôle. En même temps, ils demandent de l'aide.
Là où les gouvernements et les centres de mise sous garde ne peuvent pas criminaliser d'une façon franche et loyale, nous créons ce que nous appelons les «soins en milieu surveillé» et nous les privons de leurs droits fondamentaux. La Colombie- Britannique, l'Alberta et l'Ontario sont à diverses étapes d'avancement du développement des centres de soins en milieu surveillé. Ces centres permettent de procéder à un examen médical et au traitement forcé des jeunes. Ils limitent les contacts que peuvent avoir les adolescents avec leurs familles et les dirigeants de leurs communautés. Il n'est pas exigé que les enfants soient représentés par un avocat et ils peuvent attendre une audience plusieurs jours après leur arrestation.
De plus, l'évaluation est fondée sur l'apparence et l'heure à laquelle ils restent dehors la nuit. C'est ainsi que les gens évaluent qui doit être appréhendé. C'est fondé sur le sexe, ce qui signifie que bien que la loi permette l'arrestation des gens qui achètent les enfants, et même des garçons qui sont exploités sexuellement, généralement, la loi est axée sur les filles et leur aspect physique, leur habillement et l'endroit où elles se trouvent la nuit.
L'autre chose que disent les adolescents c'est que, parfois, ils subissent des mauvais traitements ou qu'ils sont toxicomanes et ils supplient pour recevoir des services. Ils sont alors mis sous garde et l'on tient pour acquis que l'agression, le viol ou la violence fait partie de leur sanction. Parfois, ils subissent des mauvais traitements alors même qu'ils sont détenus, aux mains d'autres jeunes ou du personnel. On tient tout simplement pour acquis que cela fait partie de la condamnation, qu'ils doivent composer avec la violence et les mauvais traitements dans le milieu de détention.
Nous partageons beaucoup des préoccupations qu'ont exprimées Mme Finlay et M. Geigen-Miller. Je n'ai pas préparé de document, mais je vous en ferai parvenir un aux fins de distribution.
Nous demandons des services tangibles pour les adolescents vulnérables. Nous savons qu'il y a assez d'information sur qui, dans notre société, est vulnérable et pourtant, nous ne répondons à aucun de leurs besoins.
Je vous demande, lorsque vous négocierez avec les provinces et que vous songerez à faire entrer ce projet de loi en vigueur, bien que cela soit prévu dans les principes, de prévoir un moyen de faire le suivi des enfants de manière à ce que, si nous les punissons pour les infractions qu'ils commettent, nous devons aussi les protéger.
Je pensais à l'affaire Persons, et à la façon dont, il y a des années, les femmes étaient soumises à la souffrance et aux châtiments mais où elles n'avaient aucun droit ni privilège. C'est souvent le cas des enfants du Canada: ils connaissent les souffrances et les châtiments, mais ils n'ont aucun droit ni aucun privilège. Je demande que nous essayions d'y remédier.
La présidente: Je peux vous assurer que, bien que ce comité du Sénat n'ait rien à voir avec l'entrée en vigueur d'une loi, il y a ici des représentants du ministère de la Justice. Je suis sûre qu'ils ont pris des notes.
Mme Jaremko: Madame la présidente, je m'excuse, je dois partir pour assister à une réunion cet après-midi à Kingston. Je vous remercie beaucoup de m'avoir accordé de votre temps. Mes collègues répondront à vos questions.
Le sénateur Beaudoin: J'ai une question d'ordre général. Nous avons signé le traité de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant. Dans notre pays, nous reconnaissons des droits et libertés aux jeunes. C'est dans le préambule. Bien entendu, je suis d'accord.
Cependant, ce n'est pas assez, de toute évidence. J'aurais préféré une loi qui entérine la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant. C'est ce dont a besoin notre pays. J'ai soulevé la question auprès du ministère de la Justice et je reviendrai à la charge plus tard.
Sans une telle loi, le traité ne devient pas la loi du pays. Il est grand temps que nous le comprenions enfin. Il ne devient pas loi du pays tant qu'il n'est pas entériné par une loi adoptée par le Parlement du Canada.
Je suis en faveur de la Convention; évidemment, nous le sommes tous. Je vous écoute avec un immense intérêt. J'ai l'impression que vous n'êtes pas très convaincus que le projet de loi C-7 entérine le traité. C'est ce qui m'inquiète. C'est ma seule inquiétude.
J'aimerais savoir si vous pensez que ce texte de loi entérine le traité que nous avons signé et que nous sommes tenus de mettre en vigueur? Après tout, si nous signons un traité, nous avons l'obligation de l'appliquer, parce qu'autrement c'est inutile. Ce n'est pas la loi au niveau fédéral. Ce n'est pas la loi au niveau provincial. Cette équipe est tant fédérale que provinciale. Nous devons en tenir compte: au fédéral, c'est la loi pénale; au provincial, c'est le droit de la famille.
Êtes-vous convaincus que nous entérinons la convention? J'ai l'impression que non.
Mme Kingsley: Je suis d'accord. Je suis frustrée de voir que, parfois, les enfants ont plus de droits et d'opportunités une fois qu'ils sont détenus qu'avant leur arrestation. C'est vraiment effrayant. J'entends des jeunes dire qu'ils essayent de se faire arrêter rien que pour pouvoir manger et avoir un toit, et pour avoir accès aux droits humains fondamentaux et aux services. C'est vraiment effrayant.
J'ai même connu des gens qui se sont rendus malades pour que le système de santé les prenne en charge. Ils ont le SIDA ou l'hépatite rien que pour avoir un toit, parce qu'ils n'ont rien. Je ne pense pas que nous reconnaissions les souffrances des enfants de notre pays; qu'il y a autour de nous des enfants qui sont horriblement maltraités, achetés, vendus et exploités. Il n'y a rien pour eux, aucun moyen d'obtenir de l'aide, si ce n'est par le biais du système de mise sous garde. Il faudra bien que nous en parlions.
M. Paiement: Le sénateur Pearson défend avec vigueur la Coalition canadienne pour les droits des enfants. L'un de leurs objectifs est d'informer les jeunes des conventions. Comme la plupart des organisations sont sans but lucratif, le grand problème, pour cette organisation, vient des importantes restrictions budgétaires.
Je le répète, l'éducation publique est indispensable à l'éducation des jeunes, dans un langage qui soit clair et adapté pour eux. Le meilleur moyen d'y parvenir est d'appuyer les organismes de jeunesse qui travaillent avec les jeunes et s'occupent d'eux, ceux qui travaillent avec les jeunes en général - y compris avec les jeunes ordinaires. Ce sont eux qui connaissent le mieux les jeunes, et ils connaissent leur clientèle. C'est tout ce que j'avais à dire.
M. Farthing: En ce qui concerne les dispositions de ce nouveau projet de loi pénale qui permet que les jeunes soient jugés comme des adultes dès l'âge de 14 ans, il y a déjà des jeunes de moins de 18 ans dans le système pénitentiaire du Canada. Ils sont peu nombreux. Si leur nombre devait augmenter, je pense que ce serait une violation des droits des jeunes du Canada d'être jugés comme des délinquants juvéniles. À mon avis, il faudrait une analyse plus poussée. Je suis sûr que le ministère de la Justice a de très bonnes raisons de proposer la loi telle quelle l'est. Cependant, notre instinct et nos entretiens avec les jeunes nous disent qu'il y a déjà tellement de droits qui sont enfreints.
Je vais vous raconter une histoire. Il y a quelques mois, je donnais une formation dans un établissement correctionnel provincial, avec de jeunes Autochtones. Nous avons commencé la formation sur un très mauvais pied, parce que l'un des détenus passait la longue fin de semaine dans ce qu'il appelait «le trou» - l'isolement cellulaire. Nous avons dû résoudre en quelque sorte ce problème avant de pouvoir même commencer la formation. À la fin de la formation, nous avions passé beaucoup de temps à parler de moyens de rompre le cycle de la colère et de composer avec la colère et le conflit.
La conclusion générale de ces jeunes, à la fin de cette formation, est qu'ils pouvaient appliquer ce que nous leur enseignions dans le contexte de leurs relations en dehors de l'institution, mais pas en son sein. Si nous voulons réadapter ces jeunes gens, si nous essayons de leur donner les outils pour réussir à l'extérieur, et non pas à l'intérieur, la question que j'ai à poser est la suivante: pourquoi y a-t-il tant d'obstacles à ce qu'ils puissent mettre ceux-ci en pratique dans les institutions elles- mêmes?
Beaucoup de recherches révèlent un rapport entre les institutions, le système et la structure. Il se pourrait que cela ait rapport avec l'attitude de macho qu'il faut avoir pour protéger les détenus. Je ne le comprends pas tout à fait. J'ai soulevé beaucoup de questions et de préoccupations, et cela confirme le fait qu'il y a tellement de violations des droits de la personne. Nous avons besoin de quelque chose pour vraiment les soutenir et nous avons besoin de donner à tous les groupes, que ce soit des groupes sans but lucratif, gouvernementaux ou autres, les moyens de vraiment protéger les enfants.
Mme Parker-Loewen: J'aimerais répondre à la question du sénateur. Le Canada ne respecte pas ses engagements qui découlent de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, à bien des égards. Le processus de justice pénale pour les jeunes en est un élément spécifique. En tant qu'organisation de défense des droits des enfants, nous nous en inquiétons beaucoup. En tant que nation, nous devons prévoir un mécanisme au niveau fédéral, pour régler de façon exhaustive les questions qui se rapportent à cette convention.
Nous savons qu'une proposition a été présentée au sujet de la désignation d'un commissaire de défense des droits des enfants du Canada. Nous avons maintenant huit organismes provinciaux qui sont les porte-parole des droits des enfants, mais il nous faut encore quelque chose au niveau fédéral. Nous devrions clairement appuyer cela - un commissaire ou un organe quelconque qui pourrait le faire.
Si nous n'intégrons pas la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant dans nos lois canadiennes, il nous faudra tout de même un porte-parole quelque part afin que les préoccupations relatives à la Convention et à d'autres engagements qu'a pris le Canada à l'égard des enfants du pays puissent être entendues. Il faut un processus, ou un organe qui englobe vraiment tous les jeunes.
Je suis tout à fait d'accord avec vous, il nous faut un tel organe au Canada, et c'est urgent. Toute réponse à la Convention ne sera que paroles en l'air si nous ne faisons rien de concret quelque part.
Le sénateur Andreychuk: Justement, à ce propos, il semble qu'il y ait vraiment besoin de faire l'éducation des avocats, des juges et de la communauté dans son ensemble pour qu'ils comprennent que le fait de ratifier une convention au Canada n'en fait pas une loi. Si nous allions partout au Canada demander aux gens ce qu'ils pensent de ce qui arrive après que le gouvernement du Canada ait signé et ratifié une convention des Nations Unies, nous verrions bien que les Canadiens sont tout à fait convaincus qu'elle devient partie intégrante de notre loi, et pourtant ce n'est pas le cas.
Tant que nous n'aurons pas comblé cette lacune, nous ne tiendrons pas nos engagements. La confusion vient en partie du fait que nous entendons tellement parler des Américains qui ne ratifient pas les conventions tandis que nous, nous le faisons. Cependant, lorsque les Américains ratifient une entente, elle devient partie intégrante de leur loi nationale; ce n'est pas le cas chez nous. Il est grand temps que nous disions toute la vérité et que nous trouvions un moyen de faire ce que nous affirmons au monde entier avoir l'intention de faire. C'est ce que je voulais dire aux deux porte-parole, ici.
Est-ce que ce projet de loi appuie la Convention plus que ne l'a fait la Loi sur les jeunes contrevenants? Il s'y trouve certains bons éléments qui, selon moi, clarifient certaines choses et sont plus encourageants. Cependant, lorsque la Loi sur les jeunes contrevenants est entrée en vigueur, c'est le même ministère de la Justice - peut-être des ministres différents - qui a dit que la mise sous garde serait un dernier recours, et non pas une première mesure avec la Loi sur les jeunes contrevenants. Cependant, nous avons entendu ici qu'il manque de ressources et, par conséquent, nous semblons nous rejeter sur le tribunal comme moyen d'obtenir ces ressources.
Est-ce que le projet de loi aura le même sort que la Loi sur les jeunes contrevenants, si rien n'est fait pour régler le problème des ressources, en ce qui concerne le cadre, les mécanismes et le processus pénal?
Mme Finlay: Les provinces exercent une autorité discrétionnaire. Selon la volonté politique ou la disponibilité des ressources, elles détermineront ce qu'il adviendra des enfants dans le système de justice pénale. Dans certaines provinces, en raison de leur programme politique et parce qu'elles manquent de ressources communautaires, les enfants sont détenus. Je ne parle pas que de l'Ontario, mais de plusieurs provinces.
Les ressources se font rares dans le domaine de la santé mentale des enfants ou du bien-être des enfants, mais le nombre des enfants qui ont besoin d'aide monte en flèche. Nous observons la nature des problèmes que connaissent nos jeunes de nos jours: les troubles neurologiques du développement, l'hébergement, la pauvreté et les problèmes de vie familiale ont fait augmenter le nombre d'enfants qui ont des besoins très spéciaux. Ce sont ces jeunes-là même que nous retrouvons dans le système de délinquance juvénile. C'est justement le système qui est le moins équipé pour y faire face.
Avec l'introduction de ce projet de loi, bien qu'il parle de ce problème en disant que nous ne sommes pas là pour fournir des services aux enfants qui ont des besoins très spéciaux et des troubles mentaux, par défaut, les enfants gravitent autour de ce système et continueront de le faire jusqu'à ce qu'on fasse quelque chose dans le contexte plus général et qu'on commence à parler avec nos partenaires.
M. Paiement: Je me ferai l'écho des sentiments de Mme Finlay. Le véritable défaut de ce projet de loi est que les provinces ont le choix de ne pas participer. C'est un problème. De plus, le projet de loi sur la délinquance juvénile prévoit 200 millions de dollars. En Colombie-Britannique, avec le problème des services de santé mentale et des besoins spéciaux des enfants vulnérables, nous pourrions facilement dépenser cette somme rien que dans une communauté autochtone, par exemple. Je le répète, le ministère de la Justice doit exercer des pressions sur le Centre national de prévention du crime, qui a reçu des ressources financières supplémentaires pour la prévention du crime.
Il nous faut mettre l'accent sur les services actuels, et en particulier sur le renforcement des capacités des organisations comme le Réseau national des jeunes pris en charge, l'Association canadienne d'aide à l'enfance et l'organisme de pression pour pouvoir vraiment répondre aux besoins des enfants et des jeunes, particulièrement de ceux qui sont vulnérables.
Par exemple, YouCAN ne reçoit aucun financement de base. C'est un grave problème pour tout nouvel organisme de défense des droits des jeunes ou tout organisme sans but lucratif. Nettement, le gouvernement doit nous aider. Nous sommes prêts à collaborer. Par exemple, à la direction de la justice pour la jeunesse, la définition des possibilités de demande de financement est très limitée, à moins que nous lancions, par exemple, un programme de mesures de rechange ou un programme de mesures extrajudiciaires. Il nous faut une organisation capable d'offrir des programmes de résolution de conflit aux jeunes. Sans financement, nous ne pouvons pas combler les besoins de programmes communautaires de résolution de conflit.
M. Geigen-Miller: Je vais maintenant ramasser les restes, mais je ne veux pas répéter ce que les autres ont déjà dit. Tout ce que tout le monde a dit jusqu'ici est tout à fait vrai. Il y a un rapport entre la discrétion provinciale et le financement - ces gouvernements provinciaux imprévoyants préfèrent recourir à la prison et refuser d'appliquer la merveilleuse gamme des pénalités extrajudiciaires. Ils n'en veulent pas. Ils préfèrent se rejeter sur la très coûteuse mise sous garde. S'ils étaient obligés de mettre en oeuvre des pénalités extrajudiciaires qui empêchent l'emprisonnement de jeunes qui n'en ont pas besoin, peut-être pourrions-nous réorienter certaines de ces ressources sur les jeunes qui, malgré tout, entreront dans le système de détention. Bien entendu, en général, il y a un grand besoin de services dans les domaines du bien-être social pour les enfants et de divers soutiens pour les familles à risque.
Il est certain qu'avec ce projet de loi, des ressources seraient libérées si les provinces exerçaient leur discrétion pour appliquer les pénalités extrajudiciaires. Elles dépenseront moins sur la détention, ce qui leur laissera plus d'argent par personne pour faire en sorte que les gens reçoivent vraiment des services et des programmes qui en vaillent la peine.
Mme Kingsley: Bien qu'en principe il s'agisse de favoriser la déjudiciarisation pour les jeunes, il y a trois problèmes à surmonter. Premièrement, partout au pays, les services sont réduits, non pas seulement dans le cas des enfants, mais aussi dans le cas des familles vulnérables. Nous réduisons les services, les programmes et le financement. Ainsi, l'Ontario impose des examens pour déterminer le niveau d'alphabétisation et pour déceler la consommation de drogue. Ce n'est là qu'un exemple. Dans plusieurs cas, les services offerts aux familles vulnérables et aux enfants sont punitifs et suscitent la honte chez ceux qui les utilisent.
Deuxièmement il y a la question de l'attitude. Certaines personnes croient que les enfants n'ont pas de droits. J'écoutais un débat à la radio sur la question du droit de discipliner physiquement un enfant. J'ai été abasourdie. Je ne pouvais en croire mes oreilles. Il ne s'agissait pas de déterminer si les enfants pouvaient être battus, mais de déterminer comment ils devaient être frappés. Un groupe religieux se demandait s'il fallait utiliser un bâton ou une ceinture et s'il était préférable de les frapper à peau nue ou par-dessus les vêtements. Le fait qu'un tel débat soit tenu à la radio publique me dépasse. En ce qui me concerne, cela pourrait être assimilé à un crime haineux.
Ce genre de débat ne pourrait cibler aucun autre groupe. Si l'on parlait d'Autochtones ou de femmes dans ce contexte, ce serait considéré comme un crime haineux. Il devrait être interdit de parler ainsi à la radio publique pour inciter à la violence contre certaines personnes.
Ce sont les enfants qui sont les plus vulnérables. L'attitude des gens est révoltante.
Lorsque de jeunes ont contesté la loi sur la garde en milieu surveillé en Alberta, un membre de l'assemblée législative, du fait qu'il s'agissait d'une contestation fondée sur la Charte des droits, a dit, «au diable la Charte.» Il s'agit là d'un membre d'une assemblée législative qui devrait s'assurer que la Charte soit respectée dans ce pays. Mais certains envoient la Charte au diable lorsqu'il s'agit d'enfants.
Il s'agit là d'une attitude navrante au Canada et cela va miner les principes de base de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents.
La troisième chose qui va miner ce principe, c'est la façon dont nous criminalisons les enfants. Nous adoptons des lois bizarres comme celle qui interdit aux jeunes de nettoyer les pare-brise des automobilistes en Ontario. À Victoria, les tambours bongos sont illégaux. Il y avait des jeunes qui jouaient du tambour sur la rue, et cette pratique a donc été rendue illégale. Est-ce que nous allons criminaliser les enfants parce qu'ils jouent sur des tambours bongos ou parce qu'ils se servent de «squeegees»? Est-ce que nous allons criminaliser les enfants du fait qu'ils sont exploités ou qu'ils font l'objet d'abus? Voilà les trois choses qui vont miner les principes sur lesquels s'appuie ce projet de loi.
Le sénateur Pearson: J'aimerais faire un commentaire parce que j'ai vraiment apprécié l'exposé que nous avons entendu ce matin. Nous sommes aujourd'hui le 18 octobre, et nous commémorons la Journée de la personne. L'année dernière, M. Kingsley a été l'une des personnes qui ont reçu un prix à cette occasion. J'aimerais que cela se sache.
Des voix: Bravo!
Le sénateur Pearson: Ma question s'adresse à M. Geigen-Miller. J'aimerais revenir à la question de l'échange d'information et de la confidentialité. Je crois très fermement qu'il ne faut pas trop élargir la portée de la loi. Vous suggérez la possibilité d'aller dans une autre direction et de la rendre encore plus sévère. Vous suggérez qu'il devienne plus difficile de partager de l'information portant sur de jeunes personnes.
Pourriez-vous nous donner davantage de détails sur les témoignages que des jeunes personnes sous garde vous ont confiés et sur ce qui se produit lorsque l'information est partagée? Est-ce qu'il arrive que ces personnes sont consultées?
M. Geigen-Miller: En général, les professionnels partagent parfois de l'information derrière des portes closes. Les lois sur la santé mentale provinciales, par exemple, exigent un consentement pour qu'il soit possible de partager de l'information se rapportant à des services de santé mentale.
Permettez-moi de vous donner un exemple de partage d'information qui pourrait avoir lieu entre un professeur et un travailleur social dans le contexte du système d'aide sociale à l'enfance ou entre un parent de famille d'accueil et un représentant du système d'aide à l'enfance. Cela peut se faire sans aucune formalité. Il est possible de discuter de différentes choses. Lorsqu'il y a partage d'information entre des professionnels responsables d'aider une personne, toute la discussion portera sur des questions d'ordre clinique ou pathologique. Il sera question de problèmes et de la façon de les résoudre. L'enfant pourra être étiqueté et un traitement pourrait être ordonné pour résoudre le problème. Tout cela se fait en l'absence de la personne en question. Il ne s'agit pas d'une expérience qui confère des pouvoirs. La décision est prise derrière une porte close. Elle s'applique à des jeunes personnes qui ont des problèmes de comportement et qui ont besoin de programmes éducatifs spéciaux. Il est possible que ces personnes souffrent d'un trouble déficitaire de l'attention et que certains médicaments soient à conseiller. Plusieurs discussions se déroulent derrière des portes closes.
Officiellement, la jeune personne doit être consultée pendant le processus de décision. Non-officiellement, les décisions ont déjà été prises avant que quelqu'un ne lui parle. Les aidants professionnels savent ce qu'ils veulent faire. Ils ont leur propre ordre du jour, qui n'est pas nécessairement conforme aux souhaits du jeune ou qui ne tient pas compte de ses meilleurs intérêts.
Le stigmate et la discrimination entrent aussi en ligne de compte. Je ne comprends pas pourquoi les professeurs, que nous souhaiterions voir favoriser une interaction sociale salubre et positive avec ces jeunes, devraient automatiquement avoir accès à ce genre d'information. Ce n'est pas nécessairement ce qui va se produire, mais c'est une possibilité en vertu de ce projet de loi. Les professeurs pourraient avoir accès au dossier des enfants de leur classe qui sont des criminels. Ce projet de loi n'interdit pas cette possibilité d'accès au dossier; il la rend possible. Qu'est-ce qui va se passer par la suite?
Cela empêcherait cette jeune personne d'établir un bon et solide rapport avec ce professeur en l'impressionnant favorablement par sa personnalité plutôt que d'avoir à composer avec ce qu'elle a fait dans le passé. D'après la documentation disponible et d'après les commentaires formulés par les jeunes, ils se sentent davantage sécurisés lorsqu'il est possible de créer un rapport de confiance étroit avec une personne qui se trouve dans une position positive et qui lui offre un appui réel et efficace. Dans le cas de plusieurs jeunes personnes qui ne bénéficient pas nécessairement de l'appui de la famille ou qui n'ont personne autour d'elles, un enseignant pourrait jouer ce rôle.
Il faut donner à ces jeunes personnes toutes les possibilités de créer un tel rapport. S'ils choisissent volontairement de fournir ce genre d'information, cela ne leur ferait aucun mal. Par contre, il est absolument nécessaire que ces jeunes puissent avoir la possibilité de se faire valoir eux-mêmes.
Les commissions scolaires pourraient en outre se servir de cette information pour refuser l'admission à une école ou à une commission scolaire, ce qui va définitivement à l'encontre des dispositions visant à garantir l'éducation de la Convention sur le droit des enfants en matière de droit à l'éducation. Un jeune étant assujetti à une condition de probation exigeant qu'il fréquente l'école pourrait aussi éprouver des difficultés. Par ailleurs, il ne pourrait pas fréquenter l'école parce que la LSJPA informerait la commission scolaire qu'il a un casier judiciaire.
Comment un tel système peut-il desservir les meilleurs intérêts des jeunes? L'adolescent est ballotté d'un endroit à un autre, et chacun pointe l'autre du doigt.
La loi crée un cercle vicieux. Voilà certains des problèmes qui j'ai pu identifier.
Mme Finlay: D'après mon expérience auprès des adolescents qui sont incarcérés, certains sont expulsés des écoles en vertu de la loi actuelle de la province de l'Ontario, la Safe school Act. Lorsque ces adolescents ont purgé leur peine d'incarcération et que nous essayons de les réintégrer dans le milieu scolaire, ils éprouvent beaucoup de difficultés. Si les écoles sont informées du genre d'infractions pour lesquelles ils ont été jugés coupables comme jeunes contrevenants, ils seront certainement exclus.
Nous essayons de les inscrire dans une école autre que celle qu'ils fréquentaient auparavant. La nouvelle a été transmise d'une école à une autre. Le comportement et l'infraction commise par l'adolescent ont été notés sur son dossier scolaire. À cause de cela, l'adolescent ne peut même pas s'inscrire dans une école parallèle.
Ce projet de loi propose un partage d'information entre les écoles. Cela est maintenant interdit, mais l'information est quand même transmise. Cela crée d'emblée une situation où les adolescents ne peuvent pas librement choisir la meilleure école. Ce projet de loi stigmatiserait davantage les adolescents et rendrait plus difficile l'accès à l'éducation dont ils ont besoin.
Mme Parker-Loewen: J'aimerais ajouter quelque chose à cela. Nous savons que plusieurs des enfants que l'on retrouve en milieu surveillé ne fréquentent pas l'école. En Saskatchewan, certains jeunes n'ont pas fréquenté l'école depuis deux ans losqu'ils se retrouvent dans le système de justice pénale pour les jeunes contrevenants.
Le projet de loi prévoit plusieurs options. Il impute aux systèmes scolaires la responsabilité d'identifier beaucoup plus tôt les adolescents qui ne fréquentent pas l'école et d'appuyer et d'aider ces adolescents d'une façon ou d'une autre avant qu'ils ne se retrouvent à l'intérieur du système de justice pénale pour les adolescents.
Ces adolescents ont soit décroché de l'école ou en quelque sorte été invités à quitter l'école bien longtemps avant de se retrouver à l'intérieur du système de justice pénale pour les adolescents. Nous aurions de nombreuses possibilités d'intervenir beaucoup plus tôt.
D'une part, il y a les questions relatives à la confidentialité. D'autre part, en ce qui me concerne, nous savons que ces adolescents ne fréquentent pas l'école. Ils ont des démêlés avec la justice en partie à cause du fait qu'ils ne fréquentent pas l'école. Le système scolaire a la responsabilité - qu'il n'assume habituellement pas - d'identifier ces adolescents et de les inciter à retourner à l'école d'une façon ou d'une autre.
Je ne pense pas qu'il soit approprié que des enfants, particulièrement des enfants âgés de moins de 16 ans, soient suspendus ou expulsés de l'école. Dans plusieurs cas, ils ont été suspendus de l'école à de nombreuses reprises. Il se peut qu'ils ne soient pas expulsés de façon officielle mais après avoir été suspendu de l'école un certain nombre de fois, ils peuvent commencer à se sentir désemparés. Nous disposons de nouvelles possibilités d'intervenir dans le système scolaire. Ce projet de loi ouvre certaines possibilités à cet égard, mais je ne crois pas que nous devrions envisager une solution législative à ce qui est essentiellement un problème social.
Le sénateur Nolin: Mes questions portent sur l'article 25. J'ai été heureux de lire que la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse de Québec est membre de notre association.
Vous avez soulevé la question du remboursement des frais judiciaires. Le Québec a soulevé la même préoccupation. Vous avez étudié la disposition 25. Vous vous êtes informé sur l'accès à l'aide juridique et sur le droit spécial accordé aux jeunes - un juge peut exiger que la province donne accès aux services d'un avocat - quelle est votre position en ce qui concerne le droit d'avoir recours aux services d'un avocat et le fait que la disposition 25(2) portant sur cette question ne confère pas ce droit particulier au jeune au moment de son arrestation par un officier de police?
Le président: Cette disposition précise que l'adolescent doit «dès son arrestation ou sa mise en détention, être avisé».
Le sénateur Nolin: L'adolescent doit être avisé sans délai de ce droit, mais l'accès à l'aide juridique ne peut lui être consenti que par un tribunal ou autre instance judiciaire du genre. J'aimerais entendre vos commentaires là-dessus.
M. Paiement: Je ne connais pas bien la disposition 25(2). Veuillez m'accorder un instant.
Le président: La disposition 25(2) précise que:
L'adolescent doit, dès son arrestation ou sa mise en détention, être avisé par l'agent qui a procédé à l'arrestation ou par le fonctionnaire responsable, selon le cas, de son droit d'avoir recours aux services d'un avocat, il lui sera donné l'occasion de retenir les services d'un avocat.
Le sénateur Nolin: Pour être bien certain que vous compreniez ma préoccupation, les dispositions 24(4), (5) et (6) portent sur l'aide juridique et sur le droit spécial qu'a l'adolescent d'avoir accès aux services d'un avocat retenus par la province. Ces sous-paragraphes ne s'appliquent pas à la disposition 25(2). Ils ne s'appliquent qu'à la disposition 25(3).
Mme Parker-Loewen: Je ne pensais pas que c'était le cas. Je pensais que le droit aux services d'un avocat avait une plus grande portée.
Le sénateur Nolin: Le droit aux services d'un avocat est un droit universel comme il est mentionné à la disposition 25(1).
Dans la disposition 25(2), l'agent qui a procédé à l'arrestation doit informer l'adolescent de son droit de recours aux services d'un avocat. La disposition 25(3) est plus complexe et porte sur tout le processus de comparution devant un juge et sur le droit d'avoir recours aux services d'un avocat pendant les audiences. La disposition 25(4) porte sur l'aide juridique; c'est le juge qui a pouvoir de décider en cette matière et non l'agent de police.
Mme Parker-Loewen: Si tel était le cas, en tant que défenseurs, nous aurions pu penser que le jeune devait aussi avoir droit aux services d'un avocat lorsqu'il est détenu par la police. Il faudrait qu'il puisse être informé du fait qu'il a droit aux services d'un avocat. S'il y a un problème d'interprétation de la loi, il faudrait le régler.
J'ai vraiment une préoccupation au sujet de l'article 25; j'ai peur qu'on demande aux parents de payer.
Le sénateur Nolin: J'ai la même inquiétude.
Mme Parker-Loewen: Il y a un énorme conflit dans ce cas-là. Nous savons que pour un grand nombre de ces adolescents, leurs parents légaux sont le gouvernement parce qu'ils sont pris en charge par des organismes de protection de la jeunesse. Ils ont peut-être un conflit avec leur tuteur légal ou leurs parents naturels. Il s'agit d'une énorme préoccupation. C'est sûrement une violation majeure des droits de l'enfant à être représenté par un avocat, et un avocat n'ayant aucun lien de parenté avec les père ou mère. D'où vient que les parents devraient payer pour cela? Je ne comprends pas.
Ces adolescents vivent habituellement un conflit ou un autre, en particulier lorsque le parent légal est le gouvernement. L'Ontario estime que 57 p. 100 des jeunes sont dans cette situation, et c'est chose courante d'un bout à l'autre du Canada.
M. Paiement: Encore un fois, il s'agit d'une mesure législative très complexe. En toute franchise, je ne peux répondre à votre question. Notre préoccupation est que les parents soient éventuellement obligés de payer pour les services d'un avocat. Cette inquiétude est mentionnée dans notre mémoire.
Le sénateur Nolin: Aimeriez-vous consulter Mme Jaremko et nous écrire plus tard?
M. Paiement: Nous en serions heureux.
La présidente: La Cour suprême n'a-t-elle pas dit que chaque personne, jeune, âgée ou entre les deux, doit être représentée par un avocat après son arrestation? Ce ne serait pas nécessaire alors dans le projet de loi.
Le sénateur Nolin: Ils doivent être avisés qu'ils ont droit aux services d'un avocat. Le paragraphe 25(1) est parfaitement conforme à la jurisprudence. Les autres paragraphes posent un problème.
J'aimerais que dans le paragraphe 25(4) l'on renvoie à la fois au paragraphe 25(3) et au paragraphe 25(2). C'est pour cette raison que j'ai posé la question.
Le sénateur Moore: Monsieur Geigen-Miller, vous avez parlé de votre travail au sujet du «cycle de garde» et la contravention aux dispositions relatives à la probation liée à la garde. Si un adolescent dépasse son heure de rentrée de cinq ou 10 minutes, on peut estimer qu'il s'agit d'une violation de sa probation et on peut le retourner en prison.
D'après vous, que devrait-il arriver? Je sais que vous ne voulez pas entendre parler d'incarcération. Devrait-on agir de la même façon à la première ou à la deuxième violation de la probation? Quelle est d'après vous la bonne façon de régler ces situations?
M. Geigen-Miller: Je ne veux pas faire trop de sensationnalisme ici. Il y a beaucoup de personnes au Canada qui sont en prison pour avoir raté leur heure de rentrée de cinq minutes. Je me suis servi de l'heure de rentrée parce que c'est une condition très courante des ordonnances de probation.
Votre question est importante. Je prends donc pour prémisse que nous avons affaire à des adolescents pour qui il est normal de prendre quelques risques ou d'avoir un comportement non conforme, et des adolescents avec qui on ne devrait aucunement traiter sur un plan criminel. Même s'ils ont déjà été reconnus coupables d'une infraction et qu'ils sont en probation, il n'en demeure pas moins que ce sont toujours des adolescents - ou des êtres humains.
J'ai présenté cet argument dans le document de travail préparé à l'intention du ministère de la Justice sur la planification de la réinsertion. Une diminution importante de l'ampleur et du volume des comportements irréguliers est un objectif plus important qu'une fin absolue des comportements irréguliers qui n'est pas nécessairement un objectif réaliste.
J'ai parlé à un jeune qui était incarcéré et qui a dit qu'il a eu sa leçon et qu'on ne le prendrait jamais plus à des activités criminelles. Je lui ai demandé «jamais?» Il m'a répondu, «eh bien, je vais vendre de la mari».
Je lui ai dit, «c'est du trafic de stupéfiants. Qu'est-ce que tu me dis là?»
Eh bien, on l'avait incarcéré pour vol à main armée, parce qu'il avait fait feu sur quelqu'un. En réalité, il n'a pas visé la personne. Ce qu'il me disait, c'est ceci: «Je ne me tiendrai plus avec des bandes. Je ne toucherai plus aux armes à feu. Je dois gagner ma vie de sorte que je le ferai de la façon que je connais».
Cependant, il s'agit d'une diminution importante de la qualité et de la quantité des infractions. Je pense que nous devons commencer par la prémisse que c'est raisonnable. Nous ne devrions pas aborder cette question d'une façon très rigide, sur le plan du crime et du châtiment.
Il existe de nombreuses façons de régler cette situation. Toutes les sanctions prévues par la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents qui est proposée, à l'exception de l'incarcération, pourraient s'appliquer. Encore plus important, les agents de probation - et on devrait donner crédit à de nombreux agents de probation pour le faire déjà - pourraient faire une enquête relativement à la situation au lieu de porter des accusations, afin de déterminer s'il serait possible de faire quelque chose pour l'adolescent et déterminer pourquoi l'adolescent agit de la sorte. Ce contact personnel et cette intervention de la part de l'agent de probation sont de la plus haute importance. Si une accusation doit être portée, il y a une foule de sanctions possibles à part l'incarcération.
M. Paiement: L'expérience que j'ai acquise au début de ma carrière dans des installations de garde en milieu ouvert et en milieu fermé est qu'il est passablement courant pour un adolescent qui a été accusé d'un délit d'être en contravention sur une base assez régulière. Par exemple, lorsque j'assurais la garde de trois ou quatre adolescents, il était tout à fait courant de rencontrer l'agent de probation sur une base régulière, probablement une fois par mois. Je lui mentionnais que ce jeune avait une demi-heure de retard, ce qui est assez normal pour n'importe quel jeune. Le problème est que certains - et j'insiste sur le mot certains - agents de probation considèrent cette infraction comme première solution. Je pense que M. Geigen-Miller a raison de dire que nous devons considérer l'infraction comme un dernier recours et envisager d'autres solutions pour les jeunes.
Lorsqu'un adolescent est accusé d'un nouveau délit, plus le nombre de violations de sa probation est élevé, plus il est probable qu'il sera incarcéré. Étant donné que le nombre d'infractions augmente, le juge évaluera la situation et dira, «il y a un comportement uniforme en ce qui concerne les violations de la probation par l'adolescent», et tout le reste. Plus l'adolescent a contrevenu à sa probation, plus il est probable qu'il sera incarcéré. Je suis d'accord avec M. Geigen-Miller pour ce qui est d'examiner d'autres solutions.
M. Farthing: À ce sujet justement, on m'a demandé de parler aux agents de probation à l'emploi du gouvernement de l'Ontario il y a environ deux ans. Je faisais partie d'un groupe d'experts chargé de discuter de justice réparatrice pour la première fois. Je veux seulement vous en faire part. Dans mon travail dans le domaine de la justice réparatrice, j'ai vu des choses surprenantes se produire en vertu desquelles, au lieu d'adopter des politiques de tolérance zéro dans les écoles ou les collectivités, on donne aux adolescents la chance et le soutien nécessaires pour parler de ce qui s'est passé, et la collectivité propose une sanction appropriée à l'endroit de l'adolescent en question. Nous en avons eu une expérience lors de notre dernière conférence. Un jeune s'est sauvé. Notre conférence a une règle très stricte, à savoir que les adolescents doivent faire ce qu'ils sont censés faire. Nous avons formé un cercle. C'était fascinant. Nous disons très clairement dans nos documents que si un adolescent contrevient à l'une des règles de nos conférences ou événements, l'adolescent en question doit être renvoyé chez lui aux frais de ses parents. C'est très clair. Mme Kelly et d'autres membres du conseil ont participé au processus. Nous avons pensé à une solution qui, d'après moi, a fait l'affaire de tout le monde.
Dans le présent cas, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents qui est proposée prévoit que l'on peut favoriser des mécanismes de justice réparatrice, mais ces mécanismes devraient être là et les provinces peuvent participer ou ne pas participer. Nous devons envisager d'autres systèmes, comme l'approbation et le système correctionnel, et envisager des approches de justice réparatrice pour régler des conflits comme lorsque les jeunes arrivent en retard. Je pense que nous pouvons proposer de meilleures solutions que de dire, «très bien, portons des accusations pour infraction».
Mme Kingsley: Certains adolescents avec lesquels je travaille, qui sont accusés, et qui font l'objet d'ordonnances de probation ne se font pas donner les ressources pour satisfaire aux prescriptions de la probation. Ils pourraient devoir rencontrer un conseiller en matière de drogues une fois par semaine ou ils doivent habiter à un certain endroit ou avec leurs parents. Parfois, ils n'ont pas l'argent nécessaire pour prendre l'autobus et se rendre à leurs rencontres. Il y en a qui ont des enfants, ou qui vont à l'école, ou qui n'ont pas d'école dans leur voisinage qui les accepte. Parfois ils n'ont pas les ressources pour satisfaire aux ordonnances. Il faut en tenir compte.
Si vous ordonnez à des adolescents d'habiter avec un parent qui boit et qui les violente, il viendra probablement un temps où ils ne pourront pas respecter l'ordonnance. Si vous leur ordonnez d'assister à certaines réunions et qu'il leur est impossible de s'y rendre, ou d'aller à l'école mais que l'école n'est pas un lieu sûr ou ne les accepte pas, l'ordonnance ne peut être respectée. Il y a toutes ces situations différentes dans la vie d'un adolescent.
Il se peut qu'un adolescent ne puisse faire part d'un problème à son agent de probation parce qu'il y a parfois des rapports d'opposition. Il se peut que l'adolescent ne puisse faire part de toutes les difficultés rencontrées dans sa vie.
Prenez par exemple le rapport entre les adolescents et le système des jeunes contrevenants: tous ces rapports prédécisionnels qui étaient censés aider les adolescents à trouver la bonne peine et qui se sont en fait retournés contre eux. Donc, ces adolescents étaient plus susceptibles d'être incarcérés lorsqu'aucun des parents ne se présentait en cour ou quand ils recevaient des soins ou avaient des problèmes de toxicomanie ou de santé mentale. Par conséquent, les jeunes ont appris au fil des années qu'ils ne peuvent pas dire la vérité et faire des divulgations franches devant les tribunaux et auprès des agents de probation parce que les différents problèmes et vulnérabilités dans leur vie se retourneront en fait contre eux.
Nous devons penser à ce que nous attendons des adolescents et vérifier s'ils ont les ressources. Les mettons-nous à risque en leur disant, «vous devez habiter ici» ou «vous devez rencontrer ce conseiller»? Est-ce en leur faveur ou, dans certains cas, courent-ils des risques plus graves?
Le sénateur Joyal: J'ai une préoccupation, dont j'ai d'ailleurs fait part dans d'autres contextes, au sujet de ce projet de loi, et c'est la suivante. Nous mettons l'adolescent dans une situation d'adulte, ou nous agissons comme si l'adolescent était un adulte dans certaines situations décrites dans le projet de loi. En réalité, c'est un autre fardeau que nous ajoutons à cet adolescent parce qu'il n'a pas la capacité d'un adulte de se défendre. Je vais prendre l'exemple extrême de l'emprisonnement d'un jeune contrevenant dans une prison pour adultes. Nous savons ce qui se passe. Je pense que vous pouvez nous en donner des exemples. En réalité, nous créons un autre fardeau pour que cette personne essaie de se défendre dans un système alors que cette personne ne peut le faire parce qu'elle n'est pas un adulte.
Ce qui me préoccupe le plus, c'est l'article 61, comme vous l'avez signalé, qui permet au lieutenant-gouverneur en conseil d'une province de fixer l'âge à 14 ans. Vous avez indiqué bien clairement que dans certaines provinces, il y a un programme politique, et je ne nommerai aucune province, par souci d'équité pour tout le monde. Dans certaines provinces, le programme politique est le suivant: «faisons preuve d'une extrême rigueur car ils constituent réellement une menace».
Ma principale préoccupation a trait à la structure philosophique du projet de loi. Le projet de loi dans son ensemble ne me pose aucun problème. Il renferme de très bonnes dispositions et vous avez raison de le dire.
Pourtant, je ne peux pas faire le lien entre l'objectif fondamental d'un système de justice pénale pour les adolescents, tel que nous devons le comprendre je pense, au sens de la Convention relative aux droits de l'enfant des Nations Unies et tous les autres engagements dont le Canada fait la promotion. Qu'en pensez-vous? Ai-je raison? Quels exemples pratiques me donneriez-vous d'après votre expérience?
Mme Kingsley: Vous avez mentionné tellement d'aspects. C'est vrai, des adolescents sont mis dans des situations dans lesquelles ils n'ont aucune possibilité de se défendre et vous savez déjà qu'ils vont en souffrir de bien des façons. Je ne sais pas de quelle façon les gens réconcilient tout cela; ce n'est tout simplement pas approprié. Il n'existe d'ailleurs aucune situation où c'est approprié. J'ai parlé à l'agent des services d'assistance judiciaire auprès des prisonniers de Corrections Canada, et il m'a dit qu'il ne peut pas souffrir de voir des enfants mis dans ces situations - des enfants à qui l'on cause du tort. Les gens savent que cela va se produire - si les enfants se retrouvent dans une installation pour adultes, ils en souffriront à de nombreuses reprises tout au long de leur séjour. Je ne sais pas comment nous pouvons réconcilier tout cela.
Cependant, il y a la perception du public que c'est bien ce qu'ils méritent. Il n'est pas nécessaire de mentionner de provinces précises, mais il existe une perception selon laquelle les adolescents méritent ce traitement et ne méritent aucune pitié ni chance ni service. Il y a une sorte de mentalité de justice d'ordre public qui n'a rien à voir avec la justice réelle.
Nous ne parlons pas de justice sociale, et nous ne parlons pas nécessairement d'un sentiment plus général de justice pénale. Nous parlons de sanction, de rétribution et de vengeance. Il existe une perception que les adolescents ont trop de droits; qu'ils s'en tirent peu importe quoi; qu'ils ont trop de services à leur disposition; et que nous devons commencer à faire preuve de rigueur envers nos adolescents. Cela n'a rien à voir avec les réalités des enfants au Canada, que la plupart des gens ne reconnaissent pas. De toute évidence, les politiciens ne font aucune promotion de ces réalités.
M. Geigen-Miller: C'est intéressant. Je viens de l'Ontario, ce qui en soi est un signal d'avertissement de ce qui pourrait se passer dans d'autres provinces si on leur donne beaucoup de discrétion. Il a fallu traîner l'Ontario devant les tribunaux pour mettre en oeuvre les mesures de rechange. L'Ontario est une province où l'on traite les jeunes de 16 et 17 ans à peine comme de jeunes contrevenants. C'est seulement sur le plan technique qu'ils les tiennent à part des adultes. Dans certains cas, ils se retrouvent dans les mêmes installations et sont assujettis aux mêmes règlements et procédures relevant du même ministère. Dans le cas des jeunes de 16 et 17 ans, nous avons la section des étapes 1 et 2, ce dont plusieurs personnes vous ont sûrement parlé. Ainsi, nous voyons ce qui peut se produire lorsque des provinces s'emportent.
Vous avez parlé du fardeau. Vous savez que les dispositions portant sur les infractions désignées, c'est-à-dire si une personne est accusée d'une infraction désignée et reconnue coupable, le fardeau de la preuve incombe à l'adolescent qui doit démontrer pourquoi il ne devrait pas être sanctionné comme un adulte. En d'autres mots, le fardeau de la preuve incombera à l'adolescent qui devra établir pourquoi on devrait le traiter comme un adolescent.
Voici les raisons pour lesquelles j'estime qu'ils devraient être traités en adolescents. Le fait de les traiter comme des adultes n'a rien à voir avec les objectifs de la présente mesure législative. Cela n'a rien à voir avec la prévention du crime. Cela n'a rien à voir avec des perspectives positives, parce que l'on peut obtenir des perspectives positives par le biais d'une peine spécifique. Cela n'a absolument rien à voir avec la réadaptation ou la réinsertion. Cela n'a rien à voir avec le rétablissement de la confiance du public dans une loi sur le système de justice pénale pour les adolescents.
Si nous prenons le rapport du comité de la Chambre intitulé «Le renouvellement du système de justice pour les jeunes», nous constatons que l'un des principaux problèmes est celui de la confiance du public vis-à-vis de la loi. Le problème n'est pas attribuable au fait que la Loi sur les jeunes contrevenants n'était pas assez rigoureuse, mais bien plus au fait qu'on avait mal compris la Loi sur les jeunes contrevenants. Le public n'a pas confiance parce qu'il - 66 p. 100 de la population selon certaines études en criminologie - se fiait aux médias. Si vous prenez les journaux de grande diffusion et les actualités du soir, des études d'analyse du contenu de ces deux supports médiatiques ont démontré que 90 p. 100 de ce qui est écrit au sujet des jeunes a rapport à la violence chez les jeunes - faire la pluie et le beau temps et ne pas pouvoir être nommés en vertu des dispositions de la loi.
Le problème est bien évident et on sait ce qu'il faut faire pour établir la confiance du public. Je vous dis que les infractions désignées, ou les peines applicables aux adultes en général, ne donnent absolument rien lorsqu'il est question des objectifs de la présente mesure législative.
Mme Parker-Loewen: J'aimerais compléter ce que Mme Kingsley et M. Geigen-Miller ont dit. Je suis également préoccupée du fait qu'il y aura des différences entre les provinces. La présente mesure législative accorde la discrétion à chaque province. Je ne comprends pas comment, au Canada, un enfant en Saskatchewan, ou en Colombie-Britannique, ou encore en Nouvelle-Écosse, ne pourrait être traité de la même façon aux termes des lois fédérales. Cela n'est tout simplement pas logique.
C'est d'ailleurs un problème soulevé par Mme Finlay dans ses remarques. J'aimerais le réitérer. Si nous sommes pour traiter les ados de 14 ans d'une façon et ceux de 15 ans d'une autre, en plus d'avoir les problèmes de l'enfant que l'on définit comme une personne de moins de 18 ans, nous devons maintenant ajouter une autre discrétion possible d'une province à l'autre. Cela me semble injuste. Un enfant devrait croire qu'il recevra le même traitement juste et équitable d'un bout à l'autre du pays.
M. Paiement: En tant que société, nous devons reconnaître que l'on devrait recourir à la garde en dernier recours. Nous devrions examiner toutes les autres solutions de rechange possibles pour venir en aide aux jeunes qui entrent en conflit avec la loi. Nous avons cette compréhension philosophique fondamentale que la garde ne sera utilisée qu'en dernier recours. Nous aurions un changement pour ce qui est du programme public. Je tiens à préciser de nouveau qu'il nous faut rééduquer le public et que nous pourrions faire beaucoup mieux. Une fois que le public sera au courant du fonctionnement du système de justice pénale pour les adolescents, il est moins probable qu'il demande des peines plus sévères.
Mme Kelly: Le jour, je travaille comme recherchiste et mon travail consiste à faire des rapports correctionnels communautaires à l'endroit de contrevenants fédéraux de sexe masculin. J'ai le plaisir de travailler avec plusieurs contrevenants qui purgent une peine de longue durée, qui sont en liberté conditionnelle et qui conseillent des contrevenants dans la prison. Suite à mes discussions avec eux, il est plus qu'évident que les jeunes n'ont pas leur place en prison - il n'y a aucune raison de les incarcérer avec des adultes. Peu importe à qui vous parlez dans le système, on vous le dira clairement.
Il y en a beaucoup qui vous diront que vous n'avez pas votre place en prison si vous n'avez pas 25 ans. Ce n'est pas un endroit sûr et ce n'est pas un endroit pour se réadapter. Ce n'est pas un milieu propice pour enseigner aux jeunes des aptitudes, par l'entremise des programmes donnés dans les établissements, ni pour leur enseigner à mettre en oeuvre ces aptitudes à leur sortie. Les incarcérer dans un établissement avec des personnes qui y sont depuis plus de 10 ans n'est pas propice à la mise en oeuvre des aptitudes acquises à leur sortie. C'est une véritable préoccupation. Nous sommes tout à fait d'accord avec vous.
Le sénateur Joyal: Y a-t-il quelqu'un parmi vous qui a une expérience particulière des jeunes contrevenants autochtones et, le cas échéant, pouvez-vous parler de leur situation par rapport à celle des autres jeunes contrevenants?
Mme Kingsley: Ce n'est que tout récemment que les jeunes Autochtones sous garde ont pu avoir accès à leur famille, à leur collectivité ou à leur culture. Même là, c'est passablement limité. Je visite certains adolescents dans les centres où nous avons des cercles de la parole. Nous connaissons certains problèmes historiques auxquels sont confrontés les Autochtones. Un grand nombre des jeunes ne les connaissent que d'une façon abstraite, même si cela les touche directement dans leur vie, que leurs parents aient été dans des pensionnats ou aient été appréhendés, ou peut-être qu'ils aient eux-mêmes été appréhendés. Certains de ces jeunes ne savent pas de quelle nation ils sont et ne connaissent pas leur famille.
Il y a quelque chose de bizarre qui se produit maintenant, les jeunes - les jeunes Autochtones - dans les centres ont presque l'impression d'être ghettoïsés lorsqu'il est visible qu'il s'agit d'Autochtones parce qu'ils sont automatiquement transférés dans des programmes pour Autochtones, s'il y en a. Ils sont automatiquement mis dans le programme, même s'ils ne connaissent peut-être par leur famille ou leur nation ou même la région d'où ils viennent.
Ce qu'il faut retenir, c'est qu'ils sont ghettoïsés tant qu'ils sont dans le système. S'ils sont de toute évidence des Autochtones, peu importe qu'ils s'identifient ou non à leur culture, on les met là, et certains des services ne sont pas conformes aux normes. Par exemple, je vis à Vancouver dans la partie est du centre-ville, au coin de Main et de Hastings, il y a des milliers de consommateurs de drogues prises par voie intraveineuse près du palais de justice. En ce qui concerne les services de santé pour Autochtones, il n'y a pas de culture ici. Vous vous présentez pour obtenir des condoms, des seringues, des tests du sida, des tests pour l'hépatite, des feuillets de renseignements sur les MTS, mais cela n'a rien à voir avec la culture dans le domaine des services de santé.
C'est au Centre d'accueil que se fait le flânage. C'est là que se fait le commerce du sexe. Lorsque moi-même et d'autres femmes sortons pour fumer, il y a toujours des voitures qui s'immobilisent. Pourtant, ces personnes sont obligées de faire partie de ces programmes. Elles sont assises dehors en train de fumer, les voitures s'immobilisent et des hommes les approchent.
Les conseillers parajuridiques autochtones qui travaillent au coin de Main et de Hastings, directement en face du palais de justice, ne sont même pas dans un endroit sûr, et nous envoyons des jeunes là-bas.
Ce que je dis, c'est que dans certains cas en ce qui concerne les programmes pour Autochtones, c'est comme si le pendule est allé tellement loin sur l'aspect culturel que nous avons en réalité ghettoïsé certains jeunes sans vraiment leur donner la culture. Ce n'est pas comme si nous nous tenions avec nos aînés, à apprendre nos chansons et notre langue, à créer des attrape-rêves. Nous sommes ghettoïsés.
Mme Parker-Loewen: Dans ma province, la Saskatchewan, la majorité des enfants incarcérés sont des Autochtones. Quatre-vingts pour cent est une estimation raisonnable. Vous ne pouvez pas entrer dans une installation pour jeunes en Saskatchewan et voir facilement des enfants qui de toute évidence ne sont pas Autochtones. Un grand nombre d'entre eux viennent d'endroits éloignés, isolés. Les installations les plus proches de l'endroit où ils vivent dans le nord de la Saskatchewan sont à des centaines de milles.
La semaine dernière, j'ai passé toute la semaine dans des collectivités accessibles uniquement par avion dans le nord où l'on amène les enfants de ces collectivités pour vivre et servir leur garde sécuritaire et, dans de nombreux cas, ouverte dans des installations qui sont à deux ou trois heures d'avion, et non de route. Il n'y a pas de routes. Ils ne sont jamais sortis de leurs collectivités. Ils sont terrifiés à l'idée d'aller dans une installation de garde sécuritaire ou même ouverte loin de leur propre collectivité. Il y a peut-être des problèmes dans leur collectivité, mais ces jeunes sont terrifiés, et il n'y a rien pour eux.
Dans un tribunal pour adolescents de l'une des ces collectivités nordiques accessibles uniquement par avion, j'ai regardé un jeune de 13 ans comparaître devant le juge menottes aux poignets et chaîne aux pieds. L'avocat de la défense interviewait le jeune dans la toilette - je l'ai vu de mes propres yeux - où il y avait un lavabo, une toilette et deux fauteuils, et c'est là que l'avocat interviewait l'accusé avant de comparaître devant le juge. C'est effroyable. Le problème des enfants autochtones est énorme et le présent projet de loi ne l'examine pas en substance, à mon avis, si ce n'est qu'il apporte quelques nuances.
Dans les provinces où il y a des endroits éloignés et ruraux comme la Saskatchewan -j'ai passé une semaine dans les Territoires du Nord-Ouest cet été -, il y a des problèmes semblables. J'ai communiqué avec ces autres provinces. Ces enfants ne sont pas signifiés de façon appropriée ni équitable. Par exemple, ils méritent une absence temporaire, mais ils ne peuvent aller chez eux parce qu'il n'y a aucun fonds leur permettant de prendre l'avion. Le coût est de 1 000 $ pour se rendre dans leur collectivité. Personne ne paie pour permettre à leurs parents de venir et de les visiter. À notre bureau, nous avons reçu des plaintes dans lesquelles on dit que des parents sont venus pour visiter leurs enfants à grands frais et on leur a refusé cette visite parce qu'ils n'étaient pas venus au bon moment.
Nous ne parlons pas de système particulièrement sensible aux complexités de la vie des Premières nations et d'autres peuples autochtones. Je ne saurai jamais insister assez sur la nécessité de normes de soins et de soins prodigués avec compassion, dont vous parlez dans la loi, et il faut que ce soit mis en oeuvre d'une façon claire et systématique partout au Canada - en particulier dans le cas des enfants que l'on retire de leur collectivité. Un grand nombre de ces enfants ne parlent pas l'anglais. Ils parlent la langue des Dénés dans ces collectivités accessibles uniquement par avion. Ils viennent dans une collectivité du sud, et comme l'a dit Mme Kingsley, il se peut qu'il y ait des programmes dans la collectivité du sud, mais ils n'ont rien à voir avec leur propre culture. Dans notre province, il pourrait s'agir de programmes axés sur le cri ou le saulteux, mais pas nécessairement des programmes axés sur la langue des Dénés.
J'espère que, au fur et à mesure de la mise en oeuvre de la mesure législative, on examinera très attentivement cet aspect.
Le président: J'ai l'impression que nous devrions prendre des mesures législatives très intelligemment de temps à autre.
M. Farthing: Je voulais sortir des écoles ordinaires le genre de formation en matière de résolution de conflit que nous offrons en tant qu'organisation. J'ai demandé à deux ou trois personnes qui travaillaient pour le gouvernement ontarien de faire de la formation dans les prisons et de commencer à parler aux délinquants violents de la façon dont l'application de ces techniques que nous enseignons pourrait fonctionner pour eux. En ce qui concerne la surreprésentation des Autochtones, j'ai vu les statistiques lorsque j'ai commencé à visiter les établissements pénitenciers en Ontario. C'était incroyable. Ma première visite a eu lieu à Thunder Bay et la deuxième au Birch Correctional Facility à l'extérieur de Brandford. J'ai été fort surpris de donner la formation à un groupe composé à 95 p. 100 d'Autochtones. La confiance s'installe. La formation s'est assez bien déroulée.
Il est entre autres ressorti de cette expérience là-bas, de même qu'à Winnipeg et à Regina, que les ressources ne sont pas suffisantes pour les jeunes gens qui sont victimes de violence familiale, qui cherchent comment communiquer et à qui s'adresser pour obtenir des ressources. Je ne parle pas seulement de collectivité autochtone mais de toutes les collectivités.
L'une des choses que je vois, et cela ne s'applique peut-être pas directement à cette mesure législative, c'est que le financement du gouvernement fédéral en Nouvelle-Écosse n'englobe plus la violence familiale. Compte tenu du processus de guérison et du parcours que doivent suivre bien des gens pour se sortir de la violence de même que de la nécessité de réduire le crime et la violence au Canada, il est important que nous examinions la question en tant que pays et que nous prenions l'initiative étant donné l'ampleur de la violence qui sévit dans nos maisons et nos collectivités - surtout dans les collectivités autochtones - et les efforts insuffisants que nous déployons pour donner aux gens les ressources dont ils ont besoin.
Mme Kingsley: Je suis d'accord. Si nous devons mettre en place des services ou reconnaître les enfants autochtones et leur culture, nous devons être réalistes, cesser de les ghettoïser et de manifester un intérêt de pure forme. Si nous passons à l'acte, nous devons fournir les ressources et essayer de renforcer ces liens avec les jeunes gens dans leur collectivité de même qu'avec leurs aînés et leurs familles. Nous devons être sérieux et respectueux. Je constate maintenant que la question est à ce point ghettoïsée que cela devient négatif plutôt que positif pour les jeunes gens.
Le sénateur Fraser: J'ai deux questions pour M. Geigen-Miller. Après qu'il y aura répondu, les autres pourront le faire. En ce qui concerne la publication des noms, et je ne parle pas de la communication avec les conseils et les commissions scolaires, vous nous avez parlé brièvement des effets de la publication en général des noms des jeunes contrevenants. Pourriez-vous préciser ce que seraient ces répercussions?
M. Geigen-Miller: Le projet de loi C-7 prévoit certaines situations dans lesquelles le nom d'un jeune pourrait être publié par exemple, l'imposition d'une peine applicable aux adultes. Le comité de la Chambre des communes a posé une question semblable d'un point de vue différent. Un membre du Parti réformiste voulait qu'on le renseigne au sujet des crimes haineux et de la nécessité des dénonciations et de l'humiliation publique. Il était prêt à tout à part la flagellation.
Un autre jeune et moi ayant déjà eu maille à partir avec le système étions présents à cette séance. Nous avons déclaré que toute la question de la dénonciation et de l'humiliation ne relève pas du système de justice pénale. Ni l'une ni l'autre n'a un rôle à jouer au sein du système de justice pénale et vice versa. La honte et les dénonciations se produisent dans les quartiers, dans les familles, dans les terrains de jeu ou Dieu sait où.
L'État n'a pas de rôle à jouer à ce niveau. Il n'est pas opportun de légiférer en la matière. Il est impossible de faire disparaître ce phénomène par voie législative. Il y a des conséquences naturelles à toutes ces choses au-delà des sanctions prévues dans le Code criminel. Vous nuirez aux relations avec la famille, les amis, l'école et les pairs.
Nous devrions être satisfaits de laisser les choses là où elles sont. Je ne crois pas que nous devrions confier à l'État un rôle qui aurait pour effet d'accroître les dénonciations, l'humiliation et la stigmatisation qui sont déjà une réalité dans les familles, les collectivités ou les cours d'école. Je ne vois pas de rôle légitime pour le gouvernement à cet égard.
Les médias assurent une couverture large et fréquente des crimes les plus sensationnels. Nous lisons tous les journaux. Pourriez-vous imaginer ce qui arriverait si, toutes les fois qu'ils disent qu'ils ne peuvent révéler l'identité de la personne sans enfreindre la loi, ils révélaient le nom? Si cela arrivait, le nom de ces personnes ne cesserait d'être répété. La recherche est unanime sur un point: lorsque ce genre d'information est publié, les gens doivent fuir et se cacher. Ils ne peuvent revenir et tenter d'arranger les choses. Cela est devenu un problème de notoriété publique.
Le gouvernement n'a pas de rôle à jouer pour exagérer l'humiliation et les dénonciations. Il faut absolument, au nom de la réintégration et de la protection de la société, interdire la publication dans quelque circonstance que ce soit, sauf s'il s'agit d'appréhender quelqu'un.
Le sénateur Fraser: On nous a laissé entendre que la permission de publier les noms dans le cas d'infractions graves commises par des jeunes qui se voient imposer des peines d'adultes fait partie d'un système pénal ouvert et permet d'informer la population au sujet du système pénal. Dans l'ensemble, notre société croit qu'un système de justice pénale ouvert garantit en fin de compte la protection de l'accusé et la nôtre.
On nous a aussi dit que les victimes et les voisins ont le droit de savoir qui a commis le crime et de connaître la sentence et la date de libération. On cite fréquemment comme exemple le fait que les gens ont besoin de savoir pour éviter d'embaucher un contrevenant comme gardien d'enfants.
Pourriez-vous nous dire ce que vous pensez de ces deux justifications?
M. Geigen-Miller: Pour ce qui est du droit des victimes de savoir, je ne vois pas comment la protection de la vie privée d'une jeune personne entre en conflit avec le droit d'une victime d'obtenir ce genre d'information. Je parle du point de vue de quelqu'un qui a déjà perpétré un crime mais aussi en tant que victime d'un crime violent commis par d'autres jeunes contrevenants. J'ai commis un crime contre les biens, mais nous nous volions tous mutuellement.
Je suis tout à fait d'accord pour que la victime connaisse l'auteur du crime. Je parle de la publication dans les médias. Il y a peut-être des victimes ou des familles des victimes qui aimeraient que cela se fasse. Cela fait-il partie de leur droit de savoir? Non. Je suis tous à fait en faveur du droit d'une victime d'obtenir ce genre d'information et d'autres renseignements comme le prévoit cette mesure législative.
Nous devons fixer une limite à la publication. C'est quand nous la rendons plus importante que la relation entre la victime, le contrevenant et l'infraction.
En ce qui concerne le système de justice pénal ouvert, qu'arriverait-il si les journaux, au lieu de dire que la jeune personne ne peut être nommée en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants, écrivaient que n'importe qui peut assister n'importe quand à une audience d'un tribunal pour adolescents? Les audiences sont publiques. Qu'arriverait-il alors? Personne ne le sait.
J'estime que le manque de confiance vient du malentendu et non du mystère qui entoure en fait le système. Il faut sensibiliser la population. C'est aussi une des conclusions à laquelle en était venu le comité permanent des Communes.
Le président: Je remercie nos témoins. Nous avons eu là une séance très intéressante. Vous avez jeté une lumière nouvelle. Nous vous en sommes reconnaissants. Merci beaucoup d'avoir comparu devant les membres du comité.
Notre prochaine réunion aura lieu mardi à 17 heures, même si le Sénat siège. Nous tiendrons une autre série de tables rondes.
La séance est levée.