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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 13 - Témoignages du 23 octobre 2001


OTTAWA, le mardi 23 octobre 2001

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-7, concernant le système de justice pénale pour les adolescents, et modifiant et abrogeant certaines lois en conséquence, se réunit ce jour à 17 h 10 pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, la réunion du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles est maintenant commencée.

C'est notre septième réunion sur le projet de loi C-7, la Loi sur le système de justice pénale pour les jeunes. Notre premier groupe de témoins ce soir se compose de M. Jonathan Rudin des Aboriginal Legal Services of Toronto et de M. Cal Albright de la Federation of Saskatchewan Indians Nations qui est accompagné de son avocat, Darren Winegarden.

Bienvenue, messieurs.

Avant de commencer, sénateurs, je rappelle que notre comité a toujours eu pour tradition de ne pas voter avant d'avoir entendu tous les témoignages. Nous pourrions nous entendre maintenant pour répéter cette tradition. Sommes-nous d'accord?

Des voix: D'accord.

La présidente: C'est entendu.

Messieurs, nous vous écoutons.

M. Jonathan Rudin, directeur de programme, Aboriginal Legal Services of Toronto: Sénateurs, je suis très heureux d'être ici aujourd'hui pour présenter le point de vue de l'organisme Aboriginal Legal Services of Toronto au sujet du projet de loi C-7, Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, une loi qui, nous le craignons, pourrait aggraver encore l'énorme surreprésentation des Autochtones dans les prisons.

Aboriginal Legal Services of Toronto ou ALST est un organisme sans but lucratif qui administre un large éventail de programmes et dessert la plus vaste communauté autochtone en milieu urbain au Canada. Quatre de nos activités sont particulièrement fascinantes dans le contexte de notre présentation au comité et je vais vous en parler rapidement.

Les quatre programmes sont notre Programme d'intervention auprès des jeunes contrevenants (Young Offender Court Worker), notre programme de Conseil communautaire, nos activités dans le cadre de causes types et notre participation à la Cour Gladue, pour les Autochtones.

Dans le cadre de notre travail auprès des jeunes contrevenants, nous offrons une aide juridique aux jeunes Autochtones accusés de toutes sortes d'infractions en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants. Le travailleur social aide ces clients à obtenir les services d'un conseiller juridique, explique la procédure judiciaire aux accusés et à leur famille et aide à établir des options et des peines de rechange.

Le Conseil communautaire est un programme de déjudiciarisation criminelle. Premier programme de déjudiciarisation autochtone en milieu urbain au Canada, le Conseil instruit des causes depuis 1992. Il en a entendu plus de 900 depuis sa création. Le Conseil communautaire est prêt à entendre tous les contrevenants autochtones, peu importe le nombre de leurs condamnations antérieures, et il instruit des procès portant sur un large éventail d'infractions criminelles - vol, méfait, incendie criminel ou négligence criminelle. L'an dernier, grâce à l'appui financier de la Direction de la justice pour les jeunes du ministère de la Justice, le mandat du Conseil communautaire a été élargi aux affaires impliquant de jeunes contrevenants.

Le mandat de notre clinique d'aide juridique prévoit des activités de contentieux lié à des causes-types. L'ALST est intervenu devant la Cour suprême du Canada dans un certain nombre d'affaires - les plus pertinentes dans le présent contexte étant les affaires Williams, Gladue et Wells.

Plus tôt au cours du mois, la Cour Gladue (pour les Autochtones) a commencé à instruire des causes dans le Old City Hall de Toronto, le palais de justice le plus occupé au Canada. Nous sommes très fiers d'avoir participé aux délibérations et réunions initiales en vue d'établir la Cour et nous continuons à jouer un rôle de premier plan dans son développement. L'objectif visé est d'établir une instruction pénale en fonction de l'affaire Gladue, de l'alinéa 718.2e) du Code criminel ainsi que des circonstances particulières de délits des contrevenants et des prévenus adultes autochtones.

La Cour Gladue exerce les mêmes activités que tout autre tribunal du Old City Hall, à la différence que tous les services sont offerts dans une seule enceinte. Ce qui distingue la Cour est que ceux qui y travaillent ont une compréhension et une expertise particulière des programmes et services offerts aux Autochtones de Toronto. Elle peut prendre ses décisions conformément à l'orientation tracée dans l'arrêt Gladue de la Cour suprême du Canada, car elle dispose immédiatement de tous les renseignements requis.

En premier lieu, nous voulons féliciter le gouvernement de s'être engagé, dans le cadre du débat sur le discours du Trône, à «réduire le nombre d'Autochtones incarcérés ou qui ont des démêlés avec la justice; en une génération nous devrions faire disparaître toute disparité dans les taux d'incarcération entre les Autochtones et le reste de la société canadienne». Dans nos discussions avec les représentants du ministère de la Justice, nous avons constaté une réelle volonté de concrétiser cette promesse et nous sommes encouragés par les efforts que déploie le ministère.

Malheureusement, nous croyons que, dans sa forme actuelle, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents ne permettra pas de réduire les taux trop élevés d'incarcération des Autochtones. En fait, nous craignons que la situation n'en soit aggravée.

Nous avons deux grandes préoccupations en ce qui concerne la loi: Premièrement, elle n'intègre pas les dispositions de l'alinéa 718.2e) du Code criminel, ce qui fait que l'arrêt Gladue de la Cour suprême du Canada ne peut s'appliquer aux affaires instruites par les tribunaux pour adolescents; deuxièmement, certaines des mesures visant à promouvoir des solutions de rechange à la détention et à la réintégration des contrevenants autochtones pourraient bien avoir l'effet contraire sur le plan concret.

Je voudrais d'abord dire un mot au sujet de l'absence de l'alinéa 718.2e). Comme lorsque nous avons comparu devant le Comité de la justice des Communes pour discuter du projet de loi C-3, le prédécesseur du projet de loi C-7, nous exhortons le comité à ajouter le libellé de l'alinéa 718.2e) aux articles 38 et 39 du texte de loi proposé. L'alinéa 718.2e) du Code criminel fait partie des réformes exhaustives du processus de détermination de la peine adoptées en 1996 par le Parlement dans le cadre du projet de loi C-41. Cet article dispose qu'au moment d'imposer une peine, il convient d'examiner:

toutes les sanctions substitutives applicables qui sont justifiées dans les circonstances, plus particulièrement en ce qui concerne les délinquants autochtones.
Cet article a été pris en considération par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt clé R. c. Gladue. Dans cette affaire, la Cour a conclu que l'un des objectifs de l'alinéa 718.2e) était de réduire les taux d'incarcération trop élevés des Autochtones. Bien que les juges aient signalé qu'il ne serait pas possible de régler tous les problèmes de surreprésentation grâce à des réformes de la détermination de la peine, ils ont néanmoins observé que des solutions de rechange à l'emprisonnement étaient particulièrement nécessaires dans le cas des contrevenants autochtones.

La Cour a évoqué la nécessité de la justice réparatrice dans la détermination de la peine et fait valoir clairement que cette approche ne devrait pas être limitée aux infractions sans violence. Elle a aussi exprimé clairement que les voies de la justice réparatrice ne comportent pas nécessairement des sanctions plus légères et peuvent répondre aux objectifs de la dissuasion et de l'exemplarité encore mieux que les peines d'emprisonnement.

Pourquoi est-il nécessaire d'ajouter l'alinéa 718.2e) à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents? L'article 140 de cette dernière stipule que le Code criminel s'applique à toutes les infractions imputées aux adolescents, sauf si elles sont incompatibles avec la loi ou écartées par celle-ci. Étant donné que la Loi contient ses propres dispositions en matière de détermination de la peine, les juges ne pourront, même s'ils veulent le faire, s'en remettre à l'alinéa 718.2e) lors de leurs délibérations sur le prononcé de la sentence. Ainsi, la prise en compte des réalités de la jeunesse autochtone et la nécessité d'examiner des solutions de rechange à l'incarcération dans tous les cas sont des éléments absents de l'actuel projet de loi.

Il y a là une grande source d'inquiétude. Les articles 38 et 39 de la Loi, qui énoncent les principes de la détermination de la peine et les circonstances où l'incarcération serait appropriée, sont beaucoup plus faibles que l'alinéa 718.2e). On ne demande pas précisément à un juge de prendre en considération la situation des contrevenants autochtones au moment d'envisager une peine de détention. C'est particulièrement important compte tenu du fait que la ministre de la Justice a reconnu, lors de sa comparution devant le Comité de la justice des communes au moment de l'examen du projet de loi C-3, que «les jeunes Autochtones sont surreprésentés dans les tribunaux de la jeunesse et, malheureusement, dans les établissements de détention pour jeunes».

La perpétuation d'un processus qui donnera lieu à l'incarcération d'un nombre de plus en plus grand d'adolescents autochtones est, en soi, un crime. Il importe que la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents contienne une disposition exigeant explicitement des juges qu'ils examinent des solutions de rechange à l'incarcération, en particulier en ce qui concerne les adolescents autochtones.

L'une des raisons pour lesquelles cette question est si importante est que la population autochtone est, en moyenne, beaucoup plus jeune que le reste de la population canadienne. Par ailleurs, la Commission royale sur les peuples autochtones a fait observer que la population autochtone augmente en proportion de la population totale du pays. Cette augmentation est particulièrement évidente parmi les jeunes.

On pourrait soutenir que l'alinéa 718.2e) du Code criminel n'est pas nécessaire puisque la loi proposée contient ses propres dispositions à cet égard. Par exemple, l'alinéa 3(1)c) du projet de loi stipule que:

c) les mesures prises à l'égard des adolescents, en plus de respecter le principe de la responsabilité juste et proportion nelle, doivent

(iv) viser à prendre en compte tant les différences ethniques, culturelles, linguistiques et entre les sexes que les besoins propres aux adolescents autochtones et à d'autres groupes particuliers d'adolescents;
Cette disposition très générale et vague ne peut remplacer le libellé direct de l'alinéa 718.2e).

Nous savons que des énoncés généraux à l'intention du tribunal en vue d'éviter l'incarcération des adolescents n'auront aucun effet quant à la surreprésentation des Autochtones. Nous le savons parce que des études effectuées en Alberta et au Manitoba sur l'incidence de dispositions législatives similaires ont montré que même lorsque les taux d'incarcération des adolescents non autochtones diminuaient, celui des adolescents autochtones augmentait. Si les articles 38 et 39 ont véritablement pour objet de restreindre les placements sous garde, les juges des tribunaux pour adolescents ne devraient-ils pas s'appuyer sur les mêmes considérations que ceux des tribunaux criminels pour adultes?

Une autre question très importante doit être soulevée à cet égard. Comme nous l'avons déjà clairement indiqué, nous croyons que les dispositions de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents sont notablement inférieures aux dispositions similaires du Code criminel en ce qui concerne la détermination de la peine pour les adolescents autochtones. Cela produit le résultat absurde que les juges ont davantage de latitude pour éviter d'incarcérer des contrevenants autochtones adultes que de jeunes contrevenants autochtones. Cela signifie en outre que des programmes novateurs comme la Cour Gladue (pour les Autochtones), établis pour les contrevenants autochtones adultes, ne peuvent être offerts aux jeunes contrevenants autochtones.

Non seulement cette situation est absurde, mais elle viole la Charte canadienne des droits et libertés. Les contrevenants autochtones adultes obtiennent un avantage dont ne peuvent bénéficier leurs frères et soeurs adolescents. Si le projet de loi est adopté tel quel, on exercera à l'égard des jeunes contrevenants autochtones une discrimination fondée sur l'âge, ce qui est contraire à l'article 15 de la Charte.

Si l'alinéa 718.2e) du Code criminel n'est pas intégré à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, l'Aboriginal Legal Services of Toronto, à la première occasion suivant la promulgation de celle-ci, comparaîtra devant un juge d'un tribunal de la jeunesse qui s'apprête à imposer une peine à un jeune contrevenant autochtone et fera une contestation en vertu de l'article 15 de la Charte à l'audience de détermination de la peine. Nous sommes confiants de réussir et croyons que cette cause survivra aux appels devant les tribunaux supérieurs. Toutefois, ce n'est pas la meilleure façon de régler ce dossier. Une contestation en vertu de la Charte prendra des années à se rendre en Cour suprême, de sorte que les répercussions se feront sentir sur le prononcé de la sentence de tous les adolescents autochtones - et non autochtones - au Canada. Durant le délai qui sera nécessaire pour qu'un appel franchisse les différents niveaux du système judiciaire, des milliers et des milliers de jeunes gens se seront vu imposer une peine. Nous exhortons donc le Comité à modifier maintenant le projet de loi et à écarter ainsi la nécessité d'une contestation en vertu de la Charte.

L'autre problème, de notre point de vue, est qu'en voulant bien faire avec cette loi, on risque d'obtenir exactement le contraire. Les peuples autochtones savent trop bien que les mesures que prend l'État pour les meilleures raisons qui soient, selon toute apparence, peuvent avoir des conséquences tragiques. À cet égard, nous aimerions nous attarder brièvement à trois articles de la Loi: l'article 19, portant sur les groupes consultatifs; le paragraphe 27(4), concernant l'obligation des parents d'être présents au tribunal pour adolescents; et l'alinéa 42(2)n), qui impose une période additionnelle obligatoire sous surveillance au sein de la collectivité dans les cas de peine d'incarcération pour un jeune contrevenant. Je vais examiner chacun de ces articles l'un après l'autre.

Il y a lieu de se réjouir de cette loi pour l'importance qu'elle accorde aux mesures de justice alternative; toutefois, à l'article 19, elle semble donner aux «groupes consultatifs» la priorité comme mécanisme substitutif de règlement des conflits. Bien que les «groupes consultatifs» ne soient pas précisément définis dans la Loi, l'expression est maintenant utilisée pour décrire une forme particulière de règlement extrajudiciaire des conflits. La Loi donne à certaines personnes, comme le juge, l'agent de police ou le poursuivant, le droit et la capacité de constituer un groupe consultatif, et elle permet également au procureur général d'une province d'autoriser d'autres personnes à les constituer. Le paragraphe 19(2) donne à entendre que les groupes consultatifs doivent être le principal instrument de concrétisation de la justice alternative.

Nous ne sommes pas contre le recours à des groupes consultatifs pour régler une situation, mais ce n'est pas la méthode de résolution de conflits choisie par la communauté autochtone de Toronto, ni par bon nombre d'autres communautés autochtones. Il n'est pas nécessaire de privilégier un mécanisme de règlement des différends en particulier, de donner à certains individus, en raison de leur position dans le système de justice, le privilège d'enclencher un tel mécanisme, ni d'en faire une disposition législative explicite. Cette façon d'indiquer une préférence pour une forme particulière de règlement des conflits enlève aux communautés autochtones leur droit et leur capacité d'élaborer leurs propres solutions.

L'article 27 de la Loi a pour but de garantir que les parents assistent aux audiences d'un tribunal pour adolescents concernant leurs enfants. Le paragraphe (4) habilite un juge à déclarer le père ou la mère coupable d'outrage au tribunal, si la personne ne s'est pas présentée au tribunal, et à lui imposer la peine correspondante. C'est une mauvaise façon de procéder. Bien sûr, nous voulons que les parents se déplacent pour leurs enfants, mais certains ne peuvent le faire ou ne le feront pas. Pour bien des Autochtones qui vivent dans des réserves éloignées ou des régions rurales du Canada, il n'est pas facile de se présenter à la cour: cela peut prendre beaucoup de temps et exige d'avoir accès à un véhicule. De plus, certains parents peuvent éprouver des problèmes qui nuisent à leur capacité d'agir comme ils l'aimeraient en tant que parents. Nous craignons, si l'on examine quels parents sont cités pour outrage au tribunal en vertu de cet article, qu'évidemment les Autochtones seront encore une fois surreprésentés.

Enfin, l'alinéa 42(2)n) de la Loi exige que, si un adolescent est incarcéré, la peine comprendra automatiquement une période de surveillance au sein de la collectivité, dont la durée sera la moitié de la période purgée sous garde. Une telle ordonnance est censée donner au jeune les ressources nécessaires pour réintégrer la collectivité. En fait, pareille disposition ne fait que prolonger la période pendant laquelle un adolescent est soumis à la surveillance du système de justice, ce qui augmente son risque d'être accusé de non-conformité à une condition de sa mise en liberté surveillée, infraction qui le ramène en prison.

Il faut se souvenir que de multiples rapports sur le système de justice et les Autochtones ont conclu que ces derniers étaient victimes de discrimination tant directe que systémique. L'une des manifestations de cette discrimination tient à ce que certains représentants de la justice appliquent régulièrement leur pouvoir discrétionnaire dans le cas des Autochtones. De donner aux intervenants d'autres occasions d'exercer un pouvoir discrétionnaire qui pourrait entraîner l'incarcération d'Autochtones, que ce soit des parents ou de jeunes contrevenants sous surveillance au sein de la collectivité, occasionnera de plus en plus d'incarcérations chez les Autochtones.

Nous sommes heureux de pouvoir exprimer notre opinion devant le Comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles et nous nous réjouissons que le Sénat ait tenu des audiences sur ce projet de loi puisque la Chambre des communes n'avait pas jugé bon de le faire. Nous nous inquiétons, toutefois, que la vitesse à laquelle la mesure est traitée au Parlement signifiera que nos préoccupations ne seront pas sérieusement prises en considération.

Lorsque d'importantes décisions se prennent au sein d'une communauté autochtone, les aînés nous rappellent souvent que nous devons penser pour les sept prochaines générations. Comme l'a dit Oren Lyons, gardien de la foi de la Nation onondaga:

Dans notre mode de vie, dans notre régime de gouverne ment, nous gardons toujours à l'esprit la septième génération à venir lorsque nous prenons des décisions. C'est nous qui devons veiller à ce que nos descendants, les générations qui ne sont pas encore nées, héritent d'un monde qui n'est pas pire que le nôtre - et si possible meilleur.
Lorsque nous foulons le sol, nous posons toujours nos pieds avec prudence parce que nous savons que les générations futures nous regardent à partir des profondeurs de la Terre. Nous ne les oublions jamais.
Nous comprenons qu'il est souvent difficile pour des politiciens qui doivent se faire réélire tous les quatre ans de penser à 10 à 15 ans d'avance, et encore plus pour les sept prochaines générations. Mais la triste réalité - la tragédie - de la surreprésentation des Autochtones dans la population carcérale du pays s'explique, du moins en partie, par le fait que les décideurs ont souvent omis de prendre en considération l'impact de leurs décisions sur les communautés autochtones.

Le simple fait d'insérer dans la Loi sur la justice pénale pour les adolescents l'alinéa 718.2e) du Code criminel et de régler les autres problèmes que nous avons soulevés aujourd'hui ne mettra pas fin à lui seul au syndrome de la porte tournante qui affecte tant d'Autochtones et ne rendra pas non plus immédiatement nos collectivités plus sûres. Mais nous aurons quand même pris la bonne piste, une piste sur laquelle nous nous retrouverons dans une génération ou deux en nous disant que, lorsque nous en avons eu la chance, nous avons franchi les étapes nécessaires pour rendre notre monde meilleur.

Merci, miigwetch.

M. Cal Albright, directeur de programme, Justice pour les jeunes, Health and Social Development Commission, Federation of Saskatchewan Indian Nations: Sénateurs, je suis d'ascendance crie/soto du territoire du Traité 4. Ma communauté se trouve en fait au Manitoba, mais j'ai grandi et passé le plus clair de ma vie en Saskatchewan. Je travaille actuellement pour la Federation of Saskatchewan Indian Nations, organisme politique qui regroupe les 75 communautés de Saskatchewan. Nous représentons 100 000 personnes des Premières nations. Mon rôle de directeur du programme de Justice pour les jeunes des Premières nations est de mettre de l'avant les principales questions touchant la jeunesse des Premières nations et de contribuer à l'établissement de politiques et de lois susceptibles de promouvoir un système de justice réparatrice pour les jeunes. La FSIN existe depuis plus de 50 ans.

Avec ce projet de loi particulier, nous avons sans doute discuté plus de justice pour les jeunes que de toute autre question en rapport avec la justice.

Je vais tout d'abord vous parler du concept de justice des Premières nations qui l'assimilent à un processus de guérison. En dernière analyse, le système de justice pour les jeunes ne peut avoir qu'un impact limité sur les niveaux de comportement délinquant. Si l'on adopte des solutions punitives, unidimensionnelles pour régler des problèmes sociaux complexes, on ne peut obtenir qu'un succès limité. Si l'on veut véritablement réduire le nombre de comportements fautifs chez les jeunes des Premières nations, il faudra apporter des changements significatifs dans leur vie, leurs communautés, leurs familles et leurs écoles. La FSIN, en partenariat avec les Premières nations, met en oeuvre une initiative de justice destinée à promouvoir un mode de vie sain pour les adolescents et à réduire la délinquance. Cette initiative comporte des programmes contre l'abus de solvants, des programmes d'activités d'été, des camps d'entraînement de la milice et des camps scientifiques. Nous avons également un certain nombre d'initiatives de justice réparatrice au niveau communautaire.

Avant de présenter nos recommandations, je voudrais parler au comité des problèmes de financement et de ressources liés à ce projet de loi, d'après nous. Je vais proposer quelque chose qui pourrait fonctionner avec le programme que nous souhaitons mettre en oeuvre en Saskatchewan à la suite de certaines des initiatives qui pourraient découler de la nouvelle loi.

La plupart des difficultés touchant les jeunes des Premières nations sont en rapport avec le manque de financement des services fournis par les Premières nations. Il y a eu une certaine résistance en ce qui concerne les ressources nécessaires dans la mesure où les fournisseurs de services n'appartenant pas aux Premières nations craignent de perdre des emplois et des ressources. D'après nous, ces craintes ne sont pas réalistes et il pourrait y avoir autant d'emplois dans un système de ressourcement que dans un système carcéral.

Quoi qu'il en soit, le gouvernement fédéral n'honore pas ses obligations de représentant envers les Premières nations. On peut dire que l'article 70 actuelle de la Loi sur les jeunes contrevenants et l'article 156 du projet de loi C-7 permettent au gouvernement fédéral d'imposer des conditions à une province en ce qui a trait au financement accordé aux jeunes des Premières nations. Cependant, il serait préférable que la nouvelle loi soit amendée de façon à spécifier que le gouvernement fédéral peut conclure des ententes précises avec des communautés indiennes ou des gouvernements des Premières nations afin de soutenir financièrement les programmes ou les installations destinés aux adolescents des Premières nations dans le cadre du système de justice pour les adolescents.

En Saskatchewan, 80 p. 100 des ressources à l'intention des jeunes délinquants vont aux programmes offerts en milieu carcéral. Nous proposons que la province rencontre les représentants des Premières nations afin qu'ensemble nous définissions des moyens de réorienter les ressources afin de doter davantage les programmes de justice établis au niveau de la communauté. Par exemple, nous voudrions que notre province s'engage à réduire le nombre de lits en milieu carcéral et à consacrer l'argent ainsi économisé à des programmes communautaires de justice réparatrice.

Nous avons rencontré de nombreux intervenants dans le domaine de la justice à propos des programmes correctionnels pour les jeunes. Dans l'un des centres que nous avons visités, le personnel nous a dit clairement qu'il pensait que 70 p. 100 des jeunes se trouvant là pouvaient être gérés dans le cadre d'un programme communautaire. La présence de jeunes Autochtones dans le système de justice pénale ne devrait pas relever exclusivement des ministères de la Justice provinciaux et fédéral. Il faudrait plutôt que les deux paliers de gouvernement coordonnent des initiatives globales multiministérielles afin d'apporter des solutions pluridisciplinaires aux problèmes et aux difficultés de nos jeunes. Si nous tenons vraiment à notre jeunesse, nous devons partager la responsabilité de son bien-être aussi largement que possible entre tous les secteurs.

Sous réserve du droit à la justice découlant des traités, le FSIN appuie l'orientation générale du projet de loi C-7 mais nous aimerions que les changements suivants soient apportés. Tout d'abord, la déclaration de principe se trouvant dans le projet de loi sur la justice pénale pour les adolescents reconnaît spécifiquement les besoins des jeunes Autochtones. La Loi actuelle sur les jeunes contrevenants ne comporte pas de tels principes et nous sommes heureux de ce changement. Toutefois, il faut reconnaître les besoins des jeunes Autochtones dans l'application de chacune des parties du projet de loi.

Nous appuyons également le transfert de priorités dans le cadre du système de justice pour les adolescents pour privilégier la réadaptation et la réinsertion dans la communauté plutôt que la dissuasion. Des mesures de réparation auront plus d'effet sur les jeunes Autochtones que les peines carcérales. Les approches axées uniquement sur la dissuasion n'ont pas fonctionné. En particulier, en Saskatchewan, ceci a entraîné une surreprésentation des jeunes Autochtones en milieu carcéral. C'est une démarche coûteuse, inefficace et qui nuit au développement de notre jeunesse. Selon le juge Omer Archambault, les juristes et les spécialistes en matière de justice doivent participer aux efforts visant à établir un meilleur équilibre entre la protection des intérêts de la société dans son ensemble et les besoins et la réadaptation des jeunes en particulier.

En ce qui concerne l'article sur les mesures extrajudiciaires et de remplacement, nous pensons que les Premières nations doivent pouvoir exercer un plus grand contrôle sur le système judiciaire et les services correctionnels pour leurs adolescents. On peut satisfaire à ce besoin en mettant en place des mesures extrajudiciaires. Lorsque je parle de mesures extrajudiciaires, j'inclus les sanctions. Dans mon esprit, c'est toujours ce que nous appelons actuellement les mesures de remplacement.

Jusqu'à ce que cet objectif soit atteint, il serait très intéressant d'utiliser des mesures extrajudiciaires pour garantir un traitement approprié, non accusatoire et d'orientation communautaire pour les adolescents des Premières nations. Mais, comme en vertu de l'alinéa 10(2)a), une approbation provinciale est exigée pour un tel plan, il y a peu de programmes pour les jeunes des Premières nations en Saskatchewan en dépit du fait que les collectivités des Premières nations ont élaboré de vastes propositions pour mettre de tels programmes en place. Présentement, le gouvernement provincial ne veut pas autoriser le déblocage de fonds suffisants pour mettre en place des modèles de justice pour les jeunes des Premières nations et déléguer ce pouvoir.

Nous croyons que les Premières nations constituent une catégorie de personnes au regard de la loi et à ce titre sont considérées par la loi comme ayant la capacité de recevoir des pouvoirs délégués de la province pour créer et mettre en oeuvre des programmes extrajudiciaires. Le simple texte des articles de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents et de la Loi sur les jeunes contrevenants ne semble pas exclure la délégation de responsabilité à des Premières nations puisque les termes sont utilisés au sens le plus large possible et que le texte stipule que le lieutenant gouverneur en conseil peut désigner une personne ou une personne au sein d'une catégorie de personnes.

Nous souhaiterions avoir une loi sur les mesures extrajudiciaires pour les Premières nations. Nous avons élaboré notre propre législation. Nous avons une Loi sur l'aide à l'enfance indienne. Nous souhaiterions avoir une loi sur les mesures extrajudiciaires pour les Premières nations qui énoncerait le cadre et les paramètres de la participation des Premières nations au système de justice pour les adolescents et constituerait ainsi une entente officielle en vertu de laquelle les programmes de mesures de remplacement pourraient être délégués aux Premières nations.

Toutefois, comme la Saskatchewan n'est pas d'accord avec notre point de vue sur la question et continuera probablement de refuser de déléguer de telles responsabilités aux Premières nations, nous pensons qu'il faut que les architectes de cette loi stipulent clairement que cette délégation aux Premières nations est effectivement envisagée par la loi.

Par conséquent, nous recommandons que le gouvernement fédéral veille à ce que le financement des programmes de mesures extrajudiciaires pour les jeunes des Premières nations soit administré par des organisations des Premières nations. Il serait aussi souhaitable de modifier l'alinéa 10(2)a) de la Loi sur les jeunes contrevenants pour préciser que si une communauté des Premières nations ne peut pas être désignée par le lieutenant gouverneur en conseil, elle pourra demander à être désignée par un juge de tribunal pour adolescents qui pourra alors stipuler que le financement doit être fourni par le gouvernement provincial.

Nous recommandons aussi que les Premières nations soient par conséquent reconnues comme une catégorie de personnes aux fins de cette loi.

Cette loi vise à améliorer les programmes communautaires à l'intention des jeunes qui sinon se trouveraient en détention ou sont déjà en détention. D'où vont venir ces ressources? Cela semble être un problème pour de nombreux intervenants qui examinent cette loi actuellement.

Nous voudrions convaincre les provinces de collaborer avec nous et de consentir officiellement à réduire le nombre de places en détention en réaffectant une partie de l'argent de manière à améliorer et à développer les programmes nécessaires que le pouvoir judiciaire devrait utiliser en premier lieu.

Sur ce, je vais laisser la parole à M. Winegarden.

M. Darren Winegarden, conseiller juridique, Federation of Saskatchewan Indian Nations: Je m'appelle Darren Winegarden, mais ce n'est pas mon nom autochtone. J'ai été adopté. J'ai fait partie de la fournée des années 60 et on m'a enlevé à ma famille et élevé dans une autre famille. Je viens de la Première nation Kawacatoose, à environ 90 milles au nord de Regina. Toute ma vie - du début jusqu'à maintenant - a été un exemple des problèmes des Autochtones. J'aimerais vous dire quelques mots à ce sujet pour me présenter.

M. Albright et moi-même travaillons dans le domaine de la justice des Premières nations depuis assez longtemps, depuis environ six ans. Nous avons vu beaucoup de choses. Nous avons essayé de travailler dans le plus grand nombre de secteurs de la justice possible. Nous sommes allés quelques fois en Cour suprême et nous sommes allés devant les tribunaux du grand nord de la Saskatchewan, et nous avons fait une oeuvre de pionnier en matière de conseil de détermination de la peine en Saskatchewan et dans ce genre de chose.

Nous avons eu l'occasion aujourd'hui de rencontrer un nouveau responsable d'un des programmes de Justice. Nous étions un peu découragés, moi en tout cas. Je me suis dit qu'il fallait que j'essaie de vous en parler un peu. Il était plus jeune que nous, et je pense qu'il avait moins d'expérience de la justice que nous. Il parlait de financement et de la réalité des opérations financières et de ce genre de chose. Je me suis senti obligé de lui répondre que dans un avenir proche j'allais faire une enquête sur un décès, une enquête de coroner sur le décès d'une jeune femme de Pinegrove Facility. Elle avait 22 ans, mais quand elle avait 16 ou 17 ans, sa mère l'emmenait avec sa soeur et demandait aux clients avec laquelle ils voulaient coucher. C'est sa mère qui faisait cela.

Voilà la réalité des enfants dont nous parlons. Ce n'est pas quelque chose qu'on peut écarter du revers de la main ou observer du coin de l'oeil avec un regard clinique. C'est une question profondément affective et très importante pour notre peuple.

Comme l'a dit mon ami M. Rudin, l'omission des principes de l'article 718 de la Loi sur les jeunes contrevenants dans le projet de loi proposé est à mon avis un mensonge. C'est-à-dire que les préoccupations des jeunes des Premières nations ne sont pas des préoccupations de premier plan au Canada. Nous savons que quand nous parlons d'incarcération des jeunes au Canada, nous parlons surtout de l'incarcération des jeunes des Premières nations. En Saskatchewan, le taux d'incarcération de ces jeunes est de 90 p. 100, alors que chez les jeunes non autochtones, il est d'environ 10 p. 100 seulement. En fait, on constate que ces jeunes seront incarcérés et pénalisés parce qu'ils sont Autochtones.

Je vous recommande de ne pas vous y tromper. C'est dans cette réalité que nous vivons. Ce n'est pas parce que ces gens-là sont mauvais. C'est simplement le résultat du fait que nous ou nos parents avons été confrontés au problème des écoles résidentielles toute notre vie et que nous affrontons maintenant cette réalité très jeune dans des circonstances très problématiques. Dire que la situation particulière des Autochtones ne devrait pas intervenir dans la détermination de la peine, c'est un mensonge, et je vous demande d'exercer vos pouvoirs pour rectifier cette situation.

Je poursuis à partir de la page 8 où M. Albright s'est arrêté, 4.3, le rôle de l'agent de police. Au nom de la Federation of Saskatchewan Indian Nations, nous comprenons qu'il est très important que les policiers interviennent dans l'équation et que leur participation est essentielle. Toutefois, dans l'article 6.2, on semble avoir quelque chose qui renverse ce qui est dit à l'article 6.1. À l'article 6.1, on explique comment l'agent de police doit exercer sa fonction en faisant des mises en garde, et cetera, alors qu'à l'article 6.2 on renverse ces indications. J'imagine que le but est de rendre aux policiers leurs pouvoirs discrétionnaires. Toutefois, nous constatons que ces pouvoirs discrétionnaires n'ont pas toujours été administrés de la meilleure façon possible. Je citerais l'exemple des policiers qui ont abandonné en banlieue de Saskatoon des Autochtones dont certains ont eu le malheur d'en mourir de froid.

Nous n'avons pas toujours été d'accord avec la façon dont cette discrétion s'est exercée. Nous estimons qu'il faudrait lui imposer des limites. Notre troisième recommandation est que l'article 6.2 soit supprimé et qu'on envisage des limites plus sérieuses au pouvoir discrétionnaire de poursuite et au pouvoir discrétionnaire des policiers de porter ou non des accusations contre de jeunes Autochtones.

J'ai déjà un peu parlé des principes de la détermination de la peine. Quatre-vingt-dix pour cent des jeunes en établissement correctionnel en Saskatchewan sont des Autochtones, essentiellement des jeunes des Premières nations.

L'alinéa 37b) de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, dont le Canada est signataire, stipule que «l'emprisonnement d'un enfant ne doit être qu'une mesure de dernier ressort et être d'une durée aussi brève que possible». Or, il n'est pas utilisé en tant que mesure de dernier ressort. C'est souvent un simple expédient.

À titre d'exemple, un jeune délinquant de 12 ans que je représente actuellement a commis une série de crimes l'été dernier. Sa mère est alcoolique, de même que son père. Ils ne vivent pas ensemble, mais il y a aussi le beau-père dans l'équation, qui est lui aussi alcoolique. Ils passent beaucoup de temps à boire et ce jeune garçon est très souvent laissé à lui-même. Le soir, au lieu de rester à la maison avec toutes ces personnes qui boivent, il part sur sa bicyclette et il s'attire des ennuis. Il s'est mis en difficulté trois fois cet été. Au lieu de le placer chez d'autres membres de la famille ou dans la réserve, on l'a incarcéré en partant du principe que si quelqu'un persiste à faire des bêtises pendant un certain temps, il faut le retirer du tableau pour l'empêcher de continuer à commettre des crimes. On l'a donc incarcéré à Prince Albert, en Saskatchewan, et expédié ensuite au centre de détention de Saskatoon. Quand ce centre a été plein, on l'a envoyé au Paul Dojack Youth Centre à Regina. Cela n'a pas très bien marché non plus, et on l'a donc envoyé ensuite à North Battleford en Saskatchewan. Nous avons finalement réussi à ramener l'affaire devant le tribunal pour essayer de le placer dans un contexte plus satisfaisant, et on l'a ramené en avion de North Battleford à Prince Albert. Il avait fait le tour de la province.

C'était sa première expérience de l'incarcération, il avait 12 ans, et ses parents étaient de misérables alcooliques qui ne pouvaient pas l'accompagner à travers la province. Cela a été une expérience traumatisante pour ce jeune.

Le moins qu'on puisse dire, c'est que c'est un recours exagéré à l'incarcération et une manifestation de mauvaise administration. Nous aimerions bien que ces principes soient repris dans les modifications au projet de loi.

On trouve un exemple de la façon dont nous souhaiterions rendre la détermination de la peine plus sensible à la situation des jeunes Autochtones à l'article 39, qui se lit comme suit:

(1) Le tribunal pour adolescents n'impose une peine comportant le placement sous garde en application de l'article 32 (peines spécifiques) que si, selon le cas:

a) l'adolescent a commis une infraction avec violence;

Nous souhaiterions remplacer ces mots par «une infraction grave avec violence». Certains des crimes violents les moins graves que commettent les jeunes contrevenants sont de simples agressions mutuelles. Le fait qu'ils commettent ce genre d'actes violents ne signifie pas que ce soit de mauvaises personnes ou de véritables délinquants. La loi devrait préciser que c'est dans le cas des jeunes délinquants dangereux ou récidivistes qu'il faut recourir à des mesures lourdes telles que la détention.

Nous avons examiné l'alinéa 42(2)n), un important élément de la détermination de la peine dans ce projet de loi, dont M. Rudin a discuté dans son exposé. Nous avons trouvé cet alinéa compliqué et difficile à lire. Il est difficile à comprendre pour les membres de la collectivité, et nous sommes sensibles aux besoins de ces personnes dans notre travail. Nous travaillons depuis un certain temps à administrer la justice communautaire en Saskatchewan. Nous travaillons avec des personnes des Premières nations en Saskatchewan qui participent directement à l'administration de la justice. Nous allons dans leurs collectivités pour essayer de les aider. Ces personnes travaillent avec des lois comme celle-ci et elles ont beaucoup de mal à en comprendre le texte alambiqué.

Nous recommandons de reprendre la rédaction de ce genre d'articles pour les rendre plus clairs et plus brefs éventuellement, et permettre ainsi aux personnes qui doivent s'y reporter de les comprendre plus facilement.

Nous avons le même problème à propos de l'article 19, qui parle des groupes consultatifs. Dans les Premières nations, nous utilisons traditionnellement le cercle de détermination de la peine, qui découle de notre vision du monde. C'est une notion qui parle beaucoup plus aux jeunes Autochtones que les conférences. Les conférences sont traditionnellement utilisées, en tout cas en Saskatchewan, par la police. Par conséquent, la conférence est en fait un modèle policier qui rabaisse le modèle de cercle de détermination de la peine des Premières nations. C'est un manque de vision.

En Saskatchewan, la juge Mary Ellen Turpel-Lafond a récemment mis sur pied une cour de détermination de la peine des jeunes qui s'inspire du modèle du cercle. La Loi sur les jeunes contrevenants passe ainsi au deuxième plan des activités du pouvoir judiciaire en Saskatchewan. Le moins que le Canada puisse faire, c'est de suivre les progrès réalisés sur divers fronts.

Enfin, il y a une foule de pouvoirs que nous souhaiterions voir formuler dans la loi pour transférer aux Premières nations la possibilité de se servir des programmes et des institutions que nous essayons de développer dans le domaine de la justice autochtone. Il y a notamment les services à l'enfance et à la famille indienne. Il serait important de veiller à ce que les tribunaux et les organismes de services sociaux s'en servent. Au lieu de sortir les enfants de leurs familles et de leurs communautés, il faudrait essayer de s'occuper d'eux dans leurs communautés.

Sur ce, nous vous invitons à nous poser des questions. Je tiens à remercier le comité de nous avoir permis d'exprimer notre point de vue.

La présidente: Merci.

Le sénateur Andreychuk: Je remercie tous les témoins d'avoir montré de façon très convaincante que ce projet de loi ne répond pas suffisamment aux besoins de la jeunesse ou des collectivités autochtones.

La loi est très complexe. Dans la recommandation no 4 de l'exposé de la Saskatchewan, vous dites que vous souhaitez qu'un article soit plus clair et plus court, mais ensuite vous en avez dit plus en fait. Je vais vous exprimer mon point de vue en tant que personne qui a fait partie de la magistrature pendant de nombreuses années. Toute la procédure était étrangère aux Autochtones. Je pense qu'au fil des ans, certains éléments du système de justice pour les jeunes finissent par avoir un certain effet sur les jeunes, leurs familles et leurs collectivités. Comme l'a dit quelqu'un, pour essayer de bien faire, la loi est devenue très complexe.

Je vais vous poser une série de questions. Ce projet de loi va-t-il entraîner encore plus les jeunes Autochtones sur la voie du système de justice pour les adolescents plutôt que sur la voie d'une solution à leurs problèmes existentiels au sein des communautés autochtones? Est-ce un meilleur modèle que la Loi sur les jeunes contrevenants, ou s'agit-il d'un texte symptomatique des mêmes problèmes? Quand la Loi sur les jeunes contrevenants a été présentée, nous avons dit qu'elle n'était pas adaptée à la situation. Voilà ma question d'ensemble.

J'ai beaucoup de petites questions, mais il y en a deux qui me préoccupent particulièrement. Il y a d'abord toute l'affaire des parents. Est-il exact que le terme «parent» ou «gardien» n'est pas vraiment adapté au contexte de la communauté autochtone? Dans les réserves en particulier, un enfant peut grandir avec une mère dans le tableau, mais ce n'est pas nécessairement elle qui élève l'enfant, et quelqu'un d'autre peut s'en occuper. Il y a une responsabilité communautaire. En utilisant de façon étroite le terme «parent», on ne représente pas bien les personnes qui s'occupent de l'enfant et toutes les personnes importantes de son existence. Devrions-nous nous occuper de ce problème?

Enfin, vous parlez du dilemme présent dans toute la loi. Vous avez affirmé de façon très convaincante que ce projet de loi ne prenait pas en compte les circonstances dont bénéficient même les Autochtones adultes. Si nous voulons vraiment résoudre le problème de ces taux d'incarcération très élevés chez les Autochtones et sortir les jeunes du système de justice criminelle, ce n'est pas sur le comportement criminel qu'il faut nous concentrer, mais plutôt sur la solution des problèmes autochtones dans la collectivité et les problèmes d'aptitude à la vie quotidienne que connaissent les Autochtones.

Voilà quelques commentaires. Après toutes ces années, je me suis finalement dit que si nous utilisions l'argent pour nous attaquer aux problèmes des Autochtones, nous mettrions fin à cette surreprésentation. En Saskatchewan en particulier, vous dites que 100 000 personnes sont représentées par la FSIN, mais que 90 p. 100 des jeunes sont incarcérés. Ces statistiques n'ont pas changé depuis des années. Vous ne m'avez pas donné l'espoir que nous avions réussi à faire reculer ne serait-ce qu'un peu le problème. Devons-nous vraiment revoir tout le système de manière entièrement différente, et ce modèle est-il totalement inadapté aux Autochtones?

M. Winegarden: Je peux répondre à la dernière question. Je dirais que le système actuel ne répond pas à la réalité des Autochtones. C'est là un des problèmes. Vous soulignez le point saillant des parents. Les jeunes sont fondamentalement élevés dans un contexte communautaire. Centrer la responsabilité uniquement sur les parents, c'est probablement une erreur, et c'est même une contradiction de la réalité. Quand on place des jeunes dans des foyers et qu'on fait ce genre de chose, c'est une erreur de penser seulement aux parents. Les jeunes sont aussi élevés par leurs tantes et leurs oncles. Les grands-parents sont toujours présents dans le tableau et même les amis jouent un rôle important. Il faut avoir une vision plus large. Le contexte culturel est très différent.

Vous parliez de l'absence de l'équation autochtone et de la question de l'aptitude à la vie quotidienne; nous en parlions hier. Nous discutions avec des personnes qui s'occupent de prévention de la criminalité. Franchement, je ne pense pas qu'il y ait beaucoup d'aspects de l'existence des enfants des Premières nations qui ne soient pas liés à des questions de justice, de délinquance des jeunes, ou encore des questions sociales ou de santé.

Nous avons représenté un jeune délinquant qui s'est retrouvé au service psychiatrique de l'hôpital de Prince Albert à l'âge de 11 ans parce qu'il prenait des pilules. Il était dans la rue dès l'âge de 7 ans à faire des choses comme du vol à l'étalage pour avoir de l'argent pour s'acheter de la drogue. C'était un jeune délinquant qui commettait des crimes, mais il n'était pas encadré par ses parents à la maison. Ce sont de graves problèmes sociaux ou de graves problèmes de conception de l'enfance qui l'ont mené sur cette voie. Il avait des problèmes de santé comme sa toxicomanie qui l'ont amené vers un établissement de santé. Ensuite, il s'est mis à commettre des crimes qui l'ont amené sur le terrain de la justice. Toutes ces institutions gouvernementales sont complètement cloisonnées et distinctes et ne peuvent pas apporter l'aide collective nécessaire pour aider ce jeune.

N'est-ce pas là la situation à laquelle sont confrontés la plupart des Autochtones, une situation tellement complexe qu'il est impossible d'y répondre par le biais d'une seule institution? Quand j'entends parler de dissuasion et de ce genre de chose, j'aimerais bien qu'on m'explique comment on va améliorer le comportement d'un jeune drogué de 11 ans qui traîne dans la rue depuis quatre ou cinq ans en lui imposant une peine un peu plus dure. Ce qu'il lui faut, c'est un soutien collectif holistique de la part de plusieurs institutions pour l'aider à mieux accepter son existence.

M. Rudin: Sénateur, je crois que vous soulevez des problèmes importants. N'oublions pas que le problème de la surreprésentation autochtone dans les établissements carcéraux est connu au Canada depuis au moins la fin des années 80, quand M. Michael Jackson a rédigé son rapport Locking Up Indians in Canada. Il est intéressant de constater que, bien que nous soyons au courant de cette situation depuis la fin des années 80, les taux d'incarcération des Autochtones ont malgré tout continué à progresser depuis. Ce n'est pas parce que nous sommes conscients de cette réalité et que nous secouons tous la tête en disant que c'est tragique qu'on efface cette réalité. Cela n'y change rien. Même chez les adultes, les modifications à la détermination de la peine appliquées avec le projet de loi C-41 en 1996 n'ont pas fait baisser le taux d'incarcération des Autochtones. Les chiffres les plus récents datent d'avant la décision Gladue.

Qu'est-ce que cela montre? À mon avis, cela montre que nous avons tort de sauter à la conclusion que la réponse à la criminalité autochtone, c'est la prison. C'est parce que nous avons trop facilement tendance à classer les délinquants autochtones dans la catégorie des délinquants incorrigibles, des récidivistes - le genre de personnes que ce projet de loi étiquette immédiatement comme des personnes qui méritent d'être incarcérées parce qu'elles commettent une infraction grave ou ne peuvent pas accepter une certaine discipline ou une certaine supervision.

L'un des problèmes que connaissent particulièrement les Autochtones qui sont condamnés ou contre lesquels on porte des accusations, c'est qu'ils ne réussissent pas à respecter les conditions de leur probation. Pourquoi? Il y a bien des raisons à cela. Premièrement, c'est parce qu'en général on a des agents de probation non autochtones qui travaillent avec des enfants et des adultes autochtones, et que quand ces personnes doivent exercer leur discrétion, elles le font en portant des accusations plutôt qu'en donnant des avertissements ou en faisant autre chose. Évidemment, on obtient alors l'image d'un individu incorrigible et incapable d'accepter une supervision. Il ne reste donc plus qu'à le mettre en prison.

Les solutions de remplacement comme les programmes administrés par la FSIN et notre conseil communautaire sont importantes. Néanmoins, même ces solutions de remplacement ne touchent qu'un petit nombre de personnes impliquées dans le système. Notre programme de déjudiciarisation pour les adultes à Toronto ne touche que 100 ou 120 personnes par an, peut-être. Or, probablement plus de 1 000 Autochtones sont condamnés chaque année à Toronto.

Il faut veiller à limiter le processus d'incarcération dans ce type de projet de loi. Nous savons que l'incarcération n'est pas quelque chose de neutre. Nous savons que dans le cas des Autochtones - et des autres aussi, je crois - la personne qui est incarcérée ne ressort pas de prison telle qu'elle était avant d'y avoir passé trois mois. Elle en sort pire. La prison ne fait qu'aggraver la situation.

Nous estimons donc qu'il est très important d'inclure dans ce projet de loi l'alinéa 718.2e), pour que les juges, à chaque fois qu'ils condamneront un délinquant autochtone, se posent cette question: «Réfléchissons, que sommes-nous en train de faire?» Nous avons fait siéger notre cour autochtone Gladue. Elle n'a siégé que trois fois jusqu'à présent, mais nous avons déjà constaté une différence dans la façon dont les Autochtones sont traités par la justice parce que toutes les personnes qui participent à cette cour comprennent la réalité des délinquants. On fournit à la cour des informations qu'elle n'aurait pas dans d'autres circonstances, et elle peut utiliser des formules différentes de détermination de la peine pour répondre aux besoins du délinquant.

En l'absence de cet alinéa 718.2e), ce ne sera pas le cas. Je vous le garantis car c'est ce qui s'est passé dans le cas de la Loi sur les jeunes contrevenants. Les taux d'incarcération diminueront peut-être pour les jeunes en général, mais certainement pas pour les jeunes Autochtones.

Le sénateur Pearson: Vous m'avez énormément intéressée. Je suis tentée de profiter de cette occasion pour vous demander de nous raconter encore d'autres histoires qui illustrent les problèmes que nous examinons. Toutefois, je ne vais pas vous demander de le faire car nous pourrions rester là toute la nuit.

Vous-même et le sénateur Andreychuk, vous avez parlé de l'utilisation du terme «parent» et de la possibilité d'accuser un parent d'outrage. Cela nous ramène à une question qui a déjà été soulevée auparavant, celle du recours aux organismes de protection de la jeunesse. Bien souvent c'est à cause de l'échec de ces organismes que les jeunes ont des démêlés avec la justice. Je ne sais pas si ces organismes réussiraient mieux s'ils avaient plus de fonds, mais la véritable question est de savoir qui est responsable de ces enfants.

Souvent, ce n'est pas le parent qui est l'avocat naturel de ces enfants, comme cela peut être le cas dans d'autres contextes que les communautés autochtones. Serait-il possible de faire en sorte que ces jeunes qui ont des ennuis avec la justice soient suivis durant tout leur parcours par un avocat naturel? Je constate que quand ces avocats changent sans cesse, on perd le contact avec ces enfants.

Vous avez parlé des enfants que vous essayez de défendre, mais c'est une démarche beaucoup plus coûteuse. Il devrait y avoir une autre voie avant cela. Je ne sais pas si vous avez dans les communautés autochtones un système de gardien, de mentor ou d'avocat qui suit l'individu d'un bout à l'autre de la procédure.

M. Albright: Il faut bien comprendre la triste réalité qui est que beaucoup de ces jeunes dont nous parlons s'élèvent en fait tout seuls. Pourtant, quand ils ont des ennuis avec la loi, on s'attend à voir apparaître tout d'un coup une famille nucléaire qui va assumer la responsabilité de ces enfants.

Si on les guide un peu, beaucoup d'entre eux peuvent survivre. J'ai travaillé avec des jeunes qui étaient fondamentalement livrés à eux-mêmes. Avec un peu d'aide d'une agence communautaire ou de quelqu'un à qui ils peuvent se confier, et que la collectivité appuie aussi, ils peuvent survivre. Nous devrions être plus ouverts à de tels scénarios.

Quand on place ces enfants en milieu protégé, parfois ils vivent ensemble en communauté avec des adultes qui les aident et les guident. Ce n'est pas nécessairement une famille nucléaire. Ces enfants ne savent pas ce qui est une famille nucléaire. Ils ont perdu la leur depuis bien longtemps.

Je serais d'accord pour envisager de confier ces jeunes à des membres de la communauté qui les superviseraient sans être en permanence en travers de leur chemin. Un jeune de 15 ans qui a connu les organismes de protection de la jeunesse et qui est tombé dans le système des jeunes délinquants peut souhaiter avoir de l'aide et un traitement. Je ne sais pas comment on pourrait appeler l'adulte qui s'occuperait de ce jeune, mais ce serait la bonne façon d'agir dans certains de ces cas. Il ne faut pas imposer des valeurs de classe moyenne à ces enfants, car on ne fait qu'empirer leur situation.

Le sénateur Pearson: Je sais que dans les d'immigration, on assigne parfois aux mineurs non accompagnés un représentant désigné qui doit suivre l'affaire du début à la fin. Il ne faudrait pas nécessairement professionnaliser ce service, il suffirait que ce soit une personne désignée par la communauté.

M. Rudin: C'est important. À Toronto, nous tenons des dossiers assez détaillés sur les personnes qui s'adressent à notre programme de justice alternative. Environ la moitié des personnes dont nous nous occupons parce qu'elles ont des ennuis avec la loi ont été adoptées ou placées. Quand la Commission royale sur les peuples autochtones est allée au pénitencier de Saskatchewan et a demandé aux Autochtones combien d'entre eux avaient été placés en foyer nourricier ou adoptés, toutes les mains se sont levées. Un des indices qui permettent de prédire que des Autochtones vont avoir des ennuis avec la justice, c'est le fait qu'on les enlève de leur famille car à partir de là, une fois que les choses dérapent, ils n'ont plus personne vers qui se tourner.

Dans les foyers nourriciers de l'Ontario, comme dans d'autres régions du pays, quand deux jeunes ont un conflit, on appelle automatiquement la police. Les enfants qui ont des problèmes affectifs sont placés en foyer nourricier. S'il y a une altercation et qu'ils menacent une personne travaillant dans le foyer nourricier, on appelle immédiatement la police et on porte de nouvelles accusations.

Il est donc très juste de dire que ces personnes ont besoin de quelqu'un d'autre dans ce contexte de foyer nourricier pour les aider. Nous essayons de mettre sur pied à Toronto un programme de création d'une «ma tante» institutionnalisée. Elle s'occuperait uniquement des besoins du jeune.

Je vous félicite de sortir des sentiers battus. Nous avons besoin de ce genre de chose car une fois que nous les personnes sont entraînées dans ce système, elles ont énormément de difficulté à s'en sortir et il est extrêmement difficile de trouver quelqu'un qui se préoccupe simplement de répondre à leurs besoins.

Le sénateur Joyal: Monsieur Rudin, mes premières questions portent sur le critère Gladue. Quand j'ai lu le projet de loi C-7 pour la première fois, je pensais trouver le principe Gladue dans la partie sur la détermination de la peine. J'ai cherché le mot «Autochtone» dans tout le projet de loi. Évidemment, comme vous le dites, il n'apparaît qu'à l'article 3.

M. Winegarden a parlé de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant à propos de l'article 39. Je conviens avec vous que ce projet de loi ne reflète pas l'interprétation que donne la Cour suprême de la situation des Indiens dans le contexte de la détermination de la peine au regard du Code criminel et des obligations internationales du Canada. Si ce projet de loi n'est pas modifié, auriez-vous avantage à essayer d'intervenir en Cour d'appel du Québec où ces questions sont en référé? J'ai l'impression que si l'on ne modifie pas le projet de loi pour qu'il soit conforme à la décision Gladue, il y a certainement une ouverture ici qui justifierait une révision sur la base des droits internationaux de la personne et naturellement des précédents juridiques au Canada. Avez-vous examiné cela?

Ma deuxième remarque concerne M. Albright et M. Winegarden. Quand on envoie un adolescent ou une adolescente autochtone en prison, on lui impose des conditions encore plus dures qu'aux autres Canadiens. Vous n'avez pas parlé des conditions d'incarcération. Si l'on essaie de comprendre les besoins psychologiques d'un adolescent, il faut se souvenir qu'il n'a pas encore l'âge de la majorité légale. Si l'on place cette personne dans les mêmes conditions qu'un adulte, on lui impose des conditions qui sont plus dures alors qu'elle n'a pas la maturité psychologique ou affective que un adulte qu'un adulte possède ou est censé posséder aux yeux du Code criminel. C'est d'autant plus vrai pour les Autochtones compte tenu de leur contexte culturel différent de celui des autres Canadiens, et les tribunaux l'ont reconnu dans la définition de Gladue.

Je crois qu'il est très important de comprendre que quand on parle de justice pour les jeunes autochtones, il ne faut pas définir le système exactement de la même façon que pour les autres Canadiens. Le tribunal l'a dit. La Cour suprême l'a dit très clairement dans l'affaire Gladue. Pourriez-vous nous parler de cet aspect de la réalité?

M. Rudin: Merci pour vos commentaires. Nous sommes d'accord sur l'importance de cette absence de l'alinéa 718.2e). Nous examinerons les possibilités de nous joindre à l'action en cours au Québec. C'est pour l'instant le problème tactique de la possibilité d'ajouter des études et des informations dans un autre procès qui nous préoccupe. Je ne connais pas suffisamment bien le procès actuel au Québec pour savoir en quoi consiste l'argumentation et quel serait notre rôle, mais je pense que nous avons probablement des points communs.

Quoi qu'il en soit, nous pensons que c'est important et nous envisageons de commander des recherches portant spécifiquement sur les répercussions de cette absence de l'alinéa 718.2e) sur les taux d'incarcération des Autochtones à partir de l'expérience tirée de la Loi sur les jeunes contrevenants. Je ne suis pas sûr que nous puissions le faire dans le contexte du contentieux actuel au Québec. C'est la réponse tactique.

Pour pouvoir faire présenter au tribunal les informations dont nous avons besoin, nous devrons peut-être présenter une demande une fois que le projet de loi sera adopté, à supposer qu'il résiste à une contestation initiale. Je partage votre analyse et votre préoccupation au sujet des dispositions du projet de loi.

M. Winegarden: Je ne sais pas si vous vouliez que je réponde sur ce point au sujet du projet de loi, mais en Saskatchewan nous avons envisagé de le contester sur la base de ce qui a été dit ici. Nous pensions attendre que l'affaire arrive en Cour suprême pour que notre action ait le maximum d'efficacité.

Pour ce qui est de l'idée d'emprisonner les jeunes Autochtones en s'imaginant qu'une expérience plus dure leur sera salutaire, je dirais que beaucoup des enfants auxquels nous sommes confrontés n'ont jamais connu d'amour dans leur vie. Ils n'ont jamais connu la joie de la présence de parents autour d'eux. Nous avons emmené certains de ces enfants, dans quelques rares cas, faire des excursions en haut de la montagne, et cetera. Cela leur a donné une autre perspective des choses. À bien des égards, je crois que c'est cela, la réalité pour les enfants autochtones: ils n'ont jamais reçu d'amour.

Le modèle de la dissuasion, c'est la menace du retrait de l'amour. C'est une menace institutionnelle qui vise à priver la personne d'amour. Mais cela ne marche pas avec les enfants indiens parce qu'ils n'en ont jamais eu, donc c'est un mensonge. C'est un pur mensonge. Je ne pense pas que l'incarcération soit plus dure pour eux, ce n'est que le prolongement de tout ce qu'ils ont connu depuis le début de leur existence.

Il faut commencer à envisager des notions de parents de substitution et ce genre de chose. Il faut agir de façon plus intelligente. Il faudrait qu'un représentant d'une institution quelconque suive le jeune et essaie d'exercer auprès de lui un rôle parental parce que les parents n'ont pas pu le faire pour toutes sortes de raisons. Nous devons être plus inventifs. La dissuasion brutale et un projet de loi noir et blanc, ce n'est pas la bonne orientation.

En tant que fournisseur de services autochtones, notre fédération est prête à jouer ce rôle. Nous sommes prêts à nous occuper de mettre sur pied les institutions nécessaires. Nous avons envisagé une option - nous essayons de hisser ce drapeau mais personne ne le salue - qui consisterait à acheter un bloc d'appartements. Beaucoup des jeunes dont nous nous occupons, des jeunes de 13 ou 14 ans, ont déjà leurs propres enfants. Elles vivent à la maison, elles n'élèvent pas leurs enfants et elles ont besoin de faire des pauses. Elles n'ont personne pour leur montrer comment élever des enfants, comment changer des couches, comment faire tout ce qu'il faut faire. Personne ne leur a lu de livres et elles n'en lisent pas à leurs enfants. Il faut qu'elles en prennent conscience, mais ce n'est pas en prison qu'elles vont le faire.

Si nous voulons vraiment sauver ou aider des personnes, si c'est cela notre objectif, il faut faire cela pour elles. Qu'on trouve un édifice d'appartements et qu'on y installe ces jeunes filles avec leurs enfants, et qu'on envoie des travailleuses sociales y travailler par postes pour les aider à s'occuper de leurs enfants et leur apprendre ce qu'il faut faire. Ce n'est pas en imposant des peines plus lourdes qu'on réglera le problème.

M. Albright: J'ai travaillé pendant un certain temps dans ces prisons. Les experts qui nous aident à concevoir les programmes disent que si les personnes qui les aident ne peuvent pas leur nuire, c'est déjà un progrès. C'est un triste constat. Je veux croire que l'on essaie de remédier à cela avec cette loi, même si c'est d'une façon un peu détournée. Lorsque je me préparais pour cette présentation, je me demandais: est-ce que cela peut vraiment être utile? Est-ce que cela va vraiment nous aider à éviter que tous ces adolescents n'entrent dans le système? C'est complexe, mais nous parlons d'êtres humains et nous sommes complexes par définition. Ce n'est pas de leur faute si nos adolescents autochtones se trouvent dans ces situations. Est-ce que cette loi va les aider à s'en sortir?

Le Saskatchewan Indian Justice Council reçoit 2 millions de dollars pour la justice autochtone - 1 million du gouvernement fédéral et 1 million de la province. Nous avons une infrastructure embryonnaire. Il faut la développer. Personne d'autre au Canada n'a une telle infrastructure.

Ce projet de loi va-t-il nous aider à mettre sur pied les programmes qui nous permettront d'aider ces jeunes qui sont traumatisés? Ou laissera-t-on ce traumatisme se traduire par un comportement criminel? Cette loi va-t-elle les sortir de leur situation? Nous sommes censés être protégés dans une certaine mesure par le fait que nous sommes reconnus comme «distincts» dans la Constitution. Une déclaration suffit-elle? Les gouvernements fédéral et provinciaux vont-ils le reconnaître et collaborer avec les peuples des Premières nations?

Nous avons ici l'occasion de mettre cette forte déclaration en pratique là où nous avons déjà quelque chose. Nous avons déjà fait une bonne partie de ce travail. Le mouvement est amorcé. Nous pouvons peut-être y arriver si nous avons les ressources.

Nous savons que la province touche déjà une somme considérable - nous savons ce que le système des jeunes délinquants coûte en Saskatchewan. Il faut que ceci soit rééquilibré afin qu'on n'utilise les installations qu'en dernier recours. À l'heure actuelle, d'après ce que l'on me dit, des voies de fait simples constituent une infraction avec violence, passible de prison. Ce n'est pas acceptable. C'est inutile. Je crois que si des personnes comme ça sont mises en prison, elles seront bien pires encore en sortant. Ce n'est pas acceptable pour les Premières nations.

Le sénateur Joyal: Monsieur Rudin, vous avez cité deux autres affaires dans votre exposé, Williams et Wells, et elles semblent porter sur le sujet dont nous discutons mais vous n'avez pas décrit les principes en détail dans votre mémoire. Pourriez-vous nous donner de plus amples précisions?

M. Rudin: L'affaire Williams était celle qui permettait la récusation motivée d'un juré pouvant avoir un parti pris contre un accusé autochtone. Ceci ne s'applique pas précisément dans ce cas. L'affaire Wells faisait partie de la série d'affaires examinées en même temps que Proulx en ce qui concerne l'utilisation des condamnations conditionnelles. Là encore, les condamnations conditionnelles ne font pas nécessairement partie de la Loi concernant le système de justice pénale pour les adolescents et je ne suis pas certain que ce soit pertinent. Je me référais à cette affaire simplement pour montrer que nous nous intéressons aux questions de justice pénale en rapport avec les Autochtones. La seule affaire qui ait un rapport direct avec le sujet qui nous occupe serait Gladue.

Le sénateur Nolin: Monsieur Rudin, je voudrais revenir à l'alinéa 718.2e). Le ministère s'opposera probablement à votre argument au sujet de l'article 3 et de l'article 38.2. Pouvez-vous nous donner des raisons de ne pas suivre le raisonnement des membres du ministère et de suivre le vôtre?

M. Rudin: Il y a deux raisons. Tout d'abord, ce qui est gênant dans l'article 38.2, c'est l'alinéa 38.2b). Il prévoit que «la peine doit être semblable à celle qui serait imposée dans la région à d'autres adolescents se trouvant dans une situation semblable pour la même infraction commise dans des circonstances semblables;». Ceci fait apparaître la notion de peine proportionnelle et nous savons que les nombreux juges et procureurs qui ont résisté à l'arrêt Gladue dès le début, craignent que le seuil de détermination de la peine soit l'emprisonnement. Si la personne A est condamnée à la prison, la personne B doit aussi être condamnée à la prison.

Il va être difficile avec cet article de soutenir, par exemple, qu'un adolescent autochtone ne doit pas être condamné à la prison en raison des circonstances et parce qu'il y a d'autres options disponibles pour lui parce que les gens vont dire que si on le fait pour un non-Autochtone, il faut le faire aussi pour un Autochtone. Je pense donc que cet alinéa 38.2b) pose problème.

Je suis particulièrement préoccupé, comme M. Winegarden, par l'article 39 car l'article 38 énonce les règles générales et ensuite on dit qu'on n'impose le placement sous garde «que si». Et on constate à l'alinéa 2 que ce «que si» renvoie à une infraction avec violence. M. Winegarden a bien parlé de cela. J'ai constaté d'expérience à Toronto que le fait que deux jeunes se bagarrent avec un troisième n'est pas considéré comme de la violence, mais comme une activité de bande. La Couronne considère que c'est une infraction liée à une bande et réprime très durement ce genre de comportement si elle considère que c'est le cas.

De plus, cette notion d'infraction avec violence laisse entendre qu'il y a certaines limites bien tracées. Quelle est la différence entre le vol et le vol qualifié? Si c'est du vol, je ne le touche pas, si c'est du vol qualifié, je réprime. Qui prend ces décisions? C'est la police au départ et ensuite le juge. Par conséquent, la notion d'infraction avec violence est très subjective et il est très facile de faire tomber quelqu'un tout d'un coup sous le coup d'une telle accusation.

Ensuite, à l'alinéa b), on dit que l'adolescent n'a pas respecté les peines ne comportant pas de placement sous garde qui lui ont déjà été imposées. Cela nous ramène à l'autre problème: on libère un Autochtone sous caution ou on lui impose une peine ne comportant pas de placement sous garde, et il doit faire rapport à un agent de probation; s'il y a conflit entre les deux, l'agent de probation peut l'accuser de manquement à son engagement. Soudain, l'adolescent ne peut plus faire l'objet d'une peine comportant le placement sous garde. Ce n'est pas de la théorie, c'est la réalité.

Il existe des programmes de justice alternative au Canada, que je ne nommerai pas, et qui ont débuté en tant que programmes destinés à des délinquants autochtones et non autochtones, mais qui sont ensuite devenus essentiellement des programmes destinés aux non-Autochtones parce qu'aucun des adolescents autochtones qui auraient pu en bénéficier n'était jugé apte, soit parce qu'il avait été condamné pour infraction avec violence ou parce qu'il était récidiviste, ou encore parce qu'il avait déjà eu l'expérience de peines ne comportant pas de placement sous garde qui n'avaient pas fonctionné.

Voilà pourquoi l'alinéa 718.2e) est si essentiel: c'est parce qu'au moment de la détermination de la peine, il oblige le juge à se demander s'il existe une autre possibilité. Il permet à l'avocat de la défense ou à d'autres personnes comme à la Cour Gladue de Toronto de présenter des informations au tribunal sur la situation de la personne et de faire des suggestions utiles. Sans cela, les articles 38 et 39 n'auront aucun effet sur les taux d'incarcération des Autochtones. On ne fera que canaliser les Autochtones sur la voie de l'incarcération tout en écartant au contraire de nombreux non-Autochtones.

Le sénateur Nolin: Ma deuxième question est plus technique. Si vous aviez la possibilité de modifier ce projet de loi, ajouteriez-vous un alinéa analogue au 718.2e) à l'article 38 et à l'article 39?

M. Rudin: Oui.

Le sénateur Nolin: Que pensez-vous de l'article 50, qui stipule que la détermination de la peine prévue à la partie 23 du Code criminel ne s'applique pas à ce projet de loi, à l'exception d'une série d'articles? Ne pensez-vous pas que nous devrions avoir l'article 718 à la place de cela? C'est plus technique.

M. Rudin: Il est important que ce soit dans la disposition de détermination de la peine. Peut-être faudrait-il le redire ailleurs, par souci de cohérence, mais il faut que ce soit dans la partie concernant la détermination de la peine. C'est cela que vont considérer les juges et le ministère public.

J'aimerais aussi vous préciser que ceux qui n'aimaient pas l'alinéa 718.2e) peuvent être rassurés car on a dit aux juges qui se servent de cet alinéa qu'ils peuvent le faire autant qu'ils le veulent maintenant, mais que dans quelques mois ce serait fini.

L'omission de cette disposition ici fait le jeu des personnes qui veulent se débarrasser des retombées de l'affaire Gladue. Cette affaire n'a pas eu les retombées qu'elle aurait pu avoir, mais cette situation va faire le jeu de ces personnes. L'article sera pire et non meilleur. Si le comité en a le pouvoir, je l'exhorte à faire cette intervention et je vous fais confiance pour faire les suggestions voulues en ce qui concerne l'emplacement où ces amendements devraient figurer.

La présidente: Je remercie les témoins de leur exposé. Il est très proche de celui que nous avons entendu lors de notre dernière réunion avec un groupe de jeunes. Il répond aussi directement au souhait du comité directeur d'entendre haut et fort le point de vue des Autochtones au comité, notamment en raison du taux élevé d'incarcération des adolescents autochtones.

Honorables sénateurs, nous accueillons des représentants de la Indian Justice Chiefs Commission: le juge Tony Mandamin est membre de la Première nation Wikwemikong sur l'île Manitoulin; il travaille au tribunal pour adolescents de l'Alberta et il a une expérience des cercles de ressourcement dans le contexte de la détermination de la peine. Et nous accueillons aussi le juge Peter Harris, de Scarborough, qui est un expert en justice pénale pour adolescents, sujet auquel il a consacré un livre.

Le juge Peter Harris: Honorables sénateurs, je vous remercie de me donner l'occasion de comparaître devant vous.

J'ai quelques idées sur la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents car j'ai été avocat pendant 15 ans dans les tribunaux pour adolescents de Toronto, et j'ai plus récemment siégé pendant six ans au barreau, où je m'occupais essentiellement d'affaires concernant des adolescents même si j'interviens régulièrement au tribunal pour adultes.

J'ai eu l'occasion de m'adresser au comité juridique du Sénat à l'époque où vous étudiiez la Loi sur les jeunes contrevenants: vous voyez donc depuis combien de temps je me préoccupe de la justice pour adolescents au Canada.

Il y a dans ce projet de loi certains éléments positifs dont je peux vous parler d'expérience personnelle. Je me suis récemment occupé d'une affaire de transfert dans mon tribunal à Scarborough, en Ontario, à propos d'un meurtre. L'adolescent a été au tribunal pendant environ quatre semaines pour l'audience de transfert. Pour autant que je pouvais le constater, ce jeune n'était pas criminellement responsable. Quelqu'un qu'il ne connaissait pas avait été attaqué de façon fortuite. Le jeune venait de Somalie et n'avait pas de certificat de naissance, il y avait un débat sur son âge. Certains pensaient qu'il avait plus de 18 ans; il était plus vraisemblable qu'il en avait 17, mais il n'y avait aucune preuve. Selon toute probabilité, et c'est sur cette probabilité qu'on s'appuie, il devait avoir à peu près cet âge-là.

La victime avait reçu environ 32 coups de couteau, sans raison apparente. Des jours après, on a trouvé l'adolescent dans sa cellule, déshabillé, en train de chanter. D'après sa famille, il était comme cela depuis plusieurs mois. Sa famille s'inquiétait beaucoup et avait essayé de lui faire donner des soins psychiatriques, mais sans grand succès.

Nous avons tenu notre audience de changement de ressort sur cette affaire de meurtre. Pour moi, il était évident que le système pour adolescents était le mieux adapté à l'état de santé mentale de ce jeune. J'ai conclu au terme d'un long jugement qu'il fallait qu'il soit jugé par un tribunal pour adolescents. Ma décision a été portée en cour d'appel où il a été déterminé que la gravité de l'accusation était un élément essentiel montrant que cette personne devait être jugée par un tribunal pour adultes. Ma décision a été renversée et le tribunal pour adultes a jugé ce jeune et constaté qu'il n'était pas criminellement responsable.

Mon intervention dans cette affaire pendant quatre semaines a été pure perte de temps. Je voyais bien qu'il n'était pas criminellement responsable. Si l'on était passé par la Cour de première instance d'abord, on aurait pu éviter des coûts énormes. Il y avait trois ou quatre avocats et de nombreux témoins. Toute la procédure était superflue parce qu'à la fin, comme je m'y attendais, le juge de la Cour supérieure a trouvé qu'il n'était pas criminellement responsable. Je suppose qu'il ira attendre le plaisir du lieutenant gouverneur, comme on dit. Il sera placé dans un centre psychiatrique.

Avec ce projet de loi, la procédure de transfert pourra se faire à la fin du processus judiciaire, ce qui évite cette situation bizarre où l'adolescent est présumé coupable aux fins de l'audience de transfert, alors qu'en même temps, comme il n'a pas encore été jugé, nous devons présumer qu'il est innocent.

Voilà le genre de théories contradictoires dans lesquelles les juges doivent essayer de voir clair. En plus, c'est une grande perte de temps, surtout dans la mesure où il y a un appel à chaque fois. Dans le cas de ce jeune homme, cela a ajouté trois ans à sa période de détention du début à la fin. En tout, la procédure a duré trois ans.

On peut dire qu'il a fallu un an et demi juste pour l'audience de transfert et les appels qui en ont découlé. C'était absolument inutile. On aurait pu juger et régler son cas. En fait, sa situation s'est détériorée pendant la période de détention parce que le traitement dont il a fait l'objet pendant cette période ne se comparait pas à ce qu'il aurait pu recevoir dans un centre psychiatrique.

Quand le moment du procès est finalement arrivé, il était tellement difficile à gérer que la procédure judiciaire s'est trouvée gravement perturbée. La plupart du temps, il n'était qu'à moitié habillé et il fallait des gardiens pour l'aider. C'est un exemple de ce qui peut arriver si l'on continue les procédures de transfert avant le procès, comme c'est le cas actuellement en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants.

Il y a un certain nombre de dispositions très prometteuses dans le projet de loi. Le nouvel article qui propose différentes options de peines est important. L'article mentionne un genre de centre où l'adolescent devrait aller, ce que l'on appelait à l'origine «centre de fréquentation obligatoire». On y mentionne aussi le placement différé, ce qui est un régime de condamnation conditionnelle, analogue au régime de condamnation des adultes du Code criminel. Il y a un genre particulier de probation qui prévoit une surveillance intensive. Cette disposition se trouve dans un groupe d'articles nouveaux dans ce projet de loi et qui proposent une nouvelle structure pour les adolescents dans la collectivité.

L'article sur le programme intensif de réadaptation est très prometteur pour les adolescents ayant commis des crimes très graves et présentant des signes de troubles psychologiques. En fait, au lieu de les entreposer quelque part, il est possible maintenant de faire quelque chose d'utile, peut-être d'arriver à une certaine réadaptation pendant la période de garde.

Ces nouvelles dispositions, dans le cadre des articles 41 et 42, seront très efficaces dans la mesure où elles nous donneront de nouvelles options à utiliser dans notre travail au tribunal pour adolescents.

Je veux vous donner une idée de ce que peut être le travail dans un tribunal pour adolescents ayant un volume important, afin que vous puissiez suivre ma pensée. Généralement, je commence au tribunal à 9 h 30 le matin et je me trouve devant une salle pleine, avec des personnes debout sur les côtés. Il y a là en général de 80 à 90 adolescents avec des parents et une liste de 200 accusations.

Il apparaît très vite que je dois, entre autres choses, déterminer si je peux terminer la liste dans la journée, parce que les membres du personnel ont des problèmes de garderie et doivent avoir terminé pour 4 h 30. Le temps est donc très limité du fait de ces considérations pratiques.

Disons qu'à environ 10 h 30, on amène un adolescent au banc des accusés. Appelons-le Jimmy. Jimmy est accusé d'entrée avec effraction et d'avoir négligé de se conformer. Il est en détention depuis 15 jours. On apprend qu'il a déjà commis deux entrées avec effraction et qu'il y a peut-être déjà eu une négligence de se conformer - généralement après un vol avec effraction précédant à la suite duquel on lui avait imposé une heure de rentrée particulière pendant la probation. C'est sa troisième entrée avec effraction au moment où il était toujours assujetti à l'heure de rentrée obligatoire. On se trouve maintenant devant un autre cas où il a omis de se conformer à la règle, une nouvelle entrée avec effraction, deux entrées avec effraction antérieures, et encore une omission de se conformer.

C'est assez typique. Nous avons un récidiviste dont les problèmes ne sont pas complètement incontrôlables. Il est en détention parce que sa mère ne peut pas le tenir et il manque des jours d'école. Généralement, un juge de paix se trouvant dans notre édifice décide que Jimmy ne peut pas être surveillé correctement parce qu'il n'est pas convaincu, pour des raisons secondaires, qu'il ne va pas à nouveau commettre un délit s'il est libéré. Il garde Jimmy en détention.

Les avocats interviennent ensuite pour dire qu'ils ont une soumission conjointe en vue d'obtenir trois mois de garde en milieu ouvert à la suite du nouveau délit. Puis on apprend, par le rapport prédécisionnel qui a été préparé, que l'adolescent a des difficultés d'apprentissage. On voit qu'il a des problèmes avec sa mère, qu'il ne suit pas les règles et qu'il abuse peut-être d'alcool ou d'autres drogues. Les avocats présentent cette soumission conjointe, ce qui est une façon élégante de parler d'une négociation de plaidoyer. Ils veulent seulement trois mois de garde en milieu ouvert, puis une période de probation assortie des conditions habituelles - ne pas troubler l'ordre public et avoir une bonne conduite, se présenter au tribunal, obtenir des services de counseling et fréquenter l'école à plein temps.

C'est habituel. Je ne me plains pas des avocats. Ce ne sont pas des travailleurs sociaux.

Ce nouveau projet de loi contient des dispositions concernant les groupes consultatifs. Pour bien faire son travail, le tribunal voudrait qu'il y ait un plan pour cet adolescent et que l'on comprenne exactement quels sont les problèmes. Généralement, s'il y a un groupe consultatif, il faut trouver quelqu'un pour l'organiser. Une personne attachée au tribunal pourrait peut-être réunir les autorités scolaires, la police, la mère et quelqu'un d'un organisme social susceptible de fournir des services, par exemple en matière d'apprentissage ou de désintoxication. Ensemble, toutes ces personnes pourraient arriver à élaborer un plan sur la façon de gérer le cas de Jimmy. Ainsi, on peut penser que l'on fait quelque chose d'utile au lieu de se borner à approuver automatiquement les ententes établies par les avocats.

Ce projet de loi offre plusieurs possibilités nouvelles comme un centre ou un local non résidentiel. Nous en avons un à Scarborough qui vient d'être créé.

Dans le projet de loi C-3, on parlait de lieu de fréquentation obligatoire, et l'on considérait que c'était un endroit où les adolescents pouvaient aller après l'école. Si les mères ont des difficultés à affronter des problèmes sociaux associés aux adolescents, il est ainsi possible de leur faire suivre des services de counseling. Ce peut être aussi bien des cours de formation professionnelle que des questions d'apprentissage. On parle d'aptitudes cognitives. Il pourrait y avoir des cours d'informatique et toutes sortes de services ou d'installations existant dans le centre de fréquentation obligatoire. Ce pourrait être un centre multiservices pour répondre à tous les divers problèmes d'un adolescent. Ce serait une démarche efficace si l'on pouvait utiliser de tels services quand on planifie l'avenir de cet adolescent.

On peut parler de supervision intensive de la part de l'agent de probation, mais ces agents ont peut-être 100 adolescents et adultes à surveiller. Si vous y réfléchissez bien, au mieux ils peuvent consacrer deux heures par semaine à un adolescent. Qu'est-ce que c'est que deux heures sur 168? Cela n'aura aucun effet sur le jeune, surtout un jeune exposé aux influences externes de la collectivité, à la drogue, à la pègre, et cetera.

Cet adolescent va courir des risques élevés d'ici un an ou deux si on ne l'arrête pas et si on n'intervient pas efficacement maintenant. Le projet de loi nous permet d'aller dans cette direction; il permet d'organiser des groupes consultatifs avec des organisations et des locaux. Il prévoit aussi des centres de fréquentation obligatoire, une surveillance intensive et des ordonnances différées de placement sous garde.

Un juge peut imposer à un adolescent une ordonnance différée de placement sous garde. Cela veut dire qu'à la prochaine erreur, il sera placé sous garde. Cette menace va peser sur cet adolescent. S'il n'est pas prêt à montrer qu'il est capable de vivre de manière responsable, il devra en subir les conséquences à ses dépens. On peut dans une certaine mesure avoir un certain contrôle sur un adolescent qui est sur le point de déraper dans des comportements vraiment antisociaux.

Je pourrais vous parler de nombreuses autres choses dans ce projet de loi, mais ce sont là les principales. Certains disent qu'il faudrait qu'il soit plus dur ou plus clément. Franchement, cela ne m'intéresse pas. Je m'occupe simplement de la réalité de mes ressources et de ce que je peux faire dans les groupes consultatifs pour obtenir ces ressources.

Je pense que ce projet de loi va considérablement améliorer mes conditions de travail actuelles.

Le juge Tony Mandamin: Merci, honorables sénateurs, de m'avoir invité. Il serait peut-être bon que je me présente pour que vous compreniez sur quelle base je vous parle aujourd'hui.

Je suis membre de la Première nation Wikwemikong. C'est une Première nation de l'île Manitoulin composée d'Odawa, d'Ojibway et de Potawatomi. C'est là que j'ai été élevé avant de partir en pensionnat à North Bay et ensuite à l'université.

J'ai résidé en Alberta après avoir obtenu mon diplôme universitaire de génie électrique. C'était une erreur de ma part. Je croyais qu'ils disaient «Injun-eering» à cette époque. J'ai travaillé en Alberta pour la Indian Association of Alberta et j'ai été actif au sein d'organisations autochtones durant toute ma carrière. J'ai été président du Canadian Indian Youth Council à ses débuts. Avant d'être nommé à la magistrature, j'ai été président puis président général du Canadian Native Friendship Centre à Edmonton.

J'ai travaillé un certain nombre d'années en Alberta et à Ottawa pour le gouvernement fédéral, puis je suis parti faire des études de droit. J'ai obtenu mon diplôme et j'ai commencé à exercer, et je l'ai fait pendant 17 ans en Alberta. Je représentais surtout les Premières nations, des organisations autochtones, des particuliers autochtones et d'autres particuliers dans des affaires que l'on peut qualifier d'affaires d'ordre général en pays indien. Cela allait d'affaires des tribunaux au contentieux civil, en passant par des questions de régie, tout l'éventail.

J'ai aussi participé à des comités non autochtones, au Alberta Crafts Council, et j'ai été président de la Edmonton Police Commission.

Il y a deux ans, j'ai été nommé juge de la Cour provinciale, en réponse à une proposition de la Nation Tsuu T'ina en Alberta du sud. Les Tsuu T'ina sont une Première nation historiquement connue comme les Sarsis. Ils sont installés tout près de la ville de Calgary. Ils sont environ 1 800. Ils ont proposé au gouvernement provincial de créer un tribunal des Premières nations dans la réserve, parallèlement à un programme de conciliateurs. Ce tribunal des Premières nations serait un tribunal provincial mais les intervenants au départ seraient des Autochtones pour donner aux résidents locaux le sentiment d'être partie prenante dans le système de justice. Ce tribunal devait être situé dans la réserve.

L'autre raison très importante pour laquelle on voulait avoir des personnes d'origine autochtone était de faire en sorte que toutes les personnes présentes dans le tribunal soient conscientes de la situation des Autochtones. La proposition de mise sur pied de ce tribunal était accompagnée d'une proposition de création d'un programme de conciliateurs. Cela signifiait que la police, la Couronne ou le tribunal pouvait renvoyer certaines affaires à ce groupe qui examinait le problème à l'origine de l'incident et proposait une solution satisfaisante pour tous.

Cette proposition stipulait que les participants connaissaient la procédure des tribunaux afin que le processus de conciliation soit exploité au mieux de ses capacités.

En réponse à cette proposition, la province a constitué un comité d'examen présidé par un député provincial et incluant des représentants fédéraux et provinciaux ainsi que des représentants autochtones de cette Première nation et d'autres Premières nations. Ce comité a recommandé à la province d'aller de l'avant avec la création de ce tribunal.

On m'a invité, ainsi que d'autres personnes, à présenter ma candidature à ce tribunal. En octobre 1999, j'ai été assermenté comme juge de cour provinciale pour siéger à ce tribunal et ailleurs.

Je reviendrai au tribunal Tsuu T'ina en quelques instants, mais j'aimerais revenir sur l'exposé que j'entendais tout à l'heure et au cours duquel on a parlé du grand nombre d'adolescents autochtones. J'aimerais vous faire remonter loin en arrière pour remettre les choses en perspective.

On a fait diverses estimations du chiffre de population autochtone de l'Amérique du Nord à l'époque du premier contact, en particulier au Canada. Selon les chiffres les plus conservateurs, cette population aurait été de l'ordre d'un quart de million, mais elle était beaucoup plus élevée que cela. À supposer qu'on s'en tienne à ce chiffre conservateur, il y aurait eu un quart de million d'Autochtones au Canada à l'époque du premier contact, en 1492 ou 1497, selon le navire auquel on veut se référer.

Au début du XXe siècle, la population indienne, c'est-à-dire la plus importante des groupes autochtones, se composait d'environ 95 000 individus d'après le ministère des Affaires indiennes. En 400 ans, la composante la plus importante de la population autochtone était tombée de 250 000 à 95 000 individus.

Quand j'ai quitté la réserve pour partir à l'université, je m'intéressais à ces questions autochtones. La population indienne à l'époque était d'environ un quart de million. Donc, de 1905 environ aux années 60 ou 70, la population était remontée d'autant qu'elle avait décliné auparavant.

Je ne sais pas quel est le chiffre estimatif aujourd'hui, mais je ne pense pas me tromper en disant que nous devons être environ trois quarts de million. Cela vous donne l'évolution de 1968, par exemple, à aujourd'hui.

Cette remontée de la population autochtone s'explique par plusieurs facteurs. Premièrement, nous avons traversé toutes les épidémies nouvelles qui ont ravagé les peuples autochtones à l'époque des premiers contacts. Nous avons aussi connu des circonstances économiques très dures. Les économies autochtones se sont effondrées avec tous les problèmes que cela entraîne, en plus de la maladie qui décimait les populations.

La santé et les conditions de vie de base se sont considérablement améliorées. J'ai même pu le constater moi-même. Je me souviens de la première fois où nous avons eu des lampes électriques. Je me souviens de la première télévision dans la réserve. Je me souviens de l'époque où il y avait quelques voitures. Voilà la transformation que nous avons connue. La population autochtone est donc en train de croître très rapidement, beaucoup plus vite que la moyenne canadienne. C'est un peu la même chose que ce qui s'est produit en Europe à l'époque de la révolution industrielle.

Quand vous regardez la courbe démographique du Canada, vous voyez un renflement qui correspond à l'époque du baby-boom, puis une baisse du nombre de naissances. Le pourcentage de jeunes dans notre population d'ensemble demeure relativement constant. En revanche, la situation de la communauté autochtone est très différente. Alors que le pourcentage de jeunes non-Autochtones demeurait constant, le pourcentage de jeunes Autochtones a augmenté régulièrement. Dans la plupart des communautés autochtones, environ 54 ou 55 p. 100 de la population est constituée de jeunes de moins 25 ans. Dans une communauté autochtone de l'Alberta où je présidais une enquête, plus de 65 p. 100 de la population est âgée de moins de 25 ans. Il y a donc là une dynamique démographique complètement différente.

Quand j'étais à la Edmonton Police Commission, les policiers nous ont dit qu'un des indices de la criminalité était le nombre de jeunes dans un certain secteur de la population. Par exemple, si l'on voit augmenter le pourcentage de jeunes hommes de 15 à 25 ans, le taux de criminalité augmente, et si ce pourcentage diminue, le taux de criminalité diminue aussi. Ce n'est pas à cause d'un trouble particulier, c'est simplement parce que ces jeunes sont en pleine adolescence, qu'ils n'ont pas atteint leur maturité, qu'ils sont confrontés à toutes sortes de problèmes. Si vous transposez cela à la communauté autochtone, vous constatez que vous avez un problème.

Nous pourrions revenir en arrière et examiner une autre question, à savoir que les Autochtones ont traversé des périodes difficiles. Ils ont subi un effondrement économique. Cela ne s'est pas produit au même endroit et au même moment dans toutes les communautés. Dans le sud de l'Ontario, par exemple, des collectivités qui avaient un mode de vie traditionnel fondé sur la chasse et la pêche ont disparu il y a une centaine d'années. Dans le nord de l'Alberta, c'est seulement maintenant que les collectivités traditionnelles sont en train de perdre leurs traditions.

Cela dit, quand leur mode de vie traditionnel a été menacé, de nombreux Autochtones se sont tournés vers de nouvelles modalités économiques. Le commerce des fourrures était un important facteur économique, de même que la pêche et l'exploitation forestière. L'agriculture, qui fait appel à beaucoup de main d'oeuvre, était aussi un facteur économique. Tout cela a disparu. L'agriculture s'est mécanisée, de même que l'exploitation forestière. La pêche s'est commercialisée et la chasse est devenue un sport plutôt qu'une activité de subsistance.

Les communautés autochtones ont subi un effondrement économique à des moments et à des endroits différents, mais elles ont toutes partagé cette expérience. En outre, il y a le bien-être social, le chômage, l'alcoolisme, la désintégration des familles et d'autres facteurs encore. Avec les écoles résidentielles, on a enlevé les enfants à leurs parents. Je suis allé en pension. Le pensionnat indien a fermé l'année où j'ai quitté la réserve, et je suis donc allé dans un pensionnat général à North Bay. J'y suis allé à l'âge de 16 ans, ce qui n'est pas trop mal. Les jeunes qu'on envoyait en pensionnat à six ans ont grandi à l'écart de leur famille. À mon avis, ce sont eux qui ont le plus souffert. À 16 ans, on commence à voler de ses propres ailes, et cela fait partie de l'expérience, mais quand on est plus jeune, les résultats sont tragiques.

Toutes ces personnes essaient de survivre. Dans les communautés des réserves, le niveau de stress est considérable. Il n'y a pas de travail. On vit avec un revenu minime: le bien-être social, qui ne permet pas d'accumuler quoi que ce soit. Cela ne vous permet pas d'avancer ni de rompre avec votre mode de vie. L'alcool devient quelque chose de très courant. La consommation de médicaments d'ordonnance devient aussi très courante, et il y a aussi d'autres drogues. Il y a énormément de violence familiale et de déchirement des familles, des quantités de relations qui ne résistent pas au stress, et des enfants qui grandissent au milieu de tout cela.

Le taux d'incarcération anormalement élevé des Autochtones est en un certain sens un phénomène nouveau, mais d'un autre côté il n'est pas si nouveau que cela. Je me souviens d'avoir entendu le juge Murray Sinclair parler d'études réalisées au Manitoba qui montraient que dans les années 20, 30 et 40, le pourcentage d'Autochtones dans les pénitenciers était inférieur à leur pourcentage dans la population générale. Dans les années 50, il y avait à peu près autant d'Autochtones que de non-Autochtones dans les pénitenciers, c'est-à-dire que si 2 p. 100 de la population générale était incarcérée, il y avait aussi 2 p. 100 de la population autochtone en prison. Au cours des années 60, la situation a commencé à évoluer et le nombre d'Autochtones a augmenté. Une étude réalisée en 1968, Les Indiens et la loi, a montré que le nombre d'Autochtones incarcérés augmentait. Les chiffres publiés dans les études réalisées au cours des années 70 sont devenus disproportionnés; au cours des années 80 et 90, il y a eu une véritable hyperinflation. Les études réalisées depuis 20 ans parlent toutes de surincarcération.

La Commission royale sur les peuples autochtones a eu l'avantage de présenter son rapport après la rédaction de toutes ces études: la Commission royale sur la poursuite contre Donald Marshall Jr., le «Report of the Aboriginal Justice Inquiry of Manitoba: The Justice System and Aboriginal People», the «Justice on Trial: Report of the Task Force on the Criminal Justice System and its Impact on the Indian and Métis People of Alberta», les enquêtes réalisées dans le nord de l'Ontario et en Colombie- Britannique. Il y a eu de nombreuses enquêtes.

La Commission royale a conclu qu'il y avait deux raisons pour lesquelles on trouvait plus d'Autochtones dans les prisons. La première est que les Autochtones ont une vision du monde différente. En conséquence, ils ne réagissent pas comme ils sont censés le faire dans le système. La seconde est qu'il y a plus de troubles et de turbulence dans la communauté autochtone. Si l'incarcération est censée protéger la société et rendre la situation plus paisible, elle n'y parvient pas. C'est aussi simple que cela. Il y a plus de problèmes chez les Autochtones maintenant qu'auparavant.

Quand on a rédigé ces rapports au cours des années 90, on s'est rendu compte que les choses ne marchaient pas et qu'il fallait essayer autre chose. En conséquence, les procureurs, les juges, les policiers et les personnes qui s'occupent du système de justice criminelle ont été plus disposés à examiner d'autres formules.

Je me souviens d'un juge de l'Alberta qui me racontait qu'on lui ramenait sans cesse le même Autochtone qui avait toujours le même problème, l'ivresse sur la voie publique avec les problèmes connexes. Il avait essayé de lui imposer des amendes, de le faire traiter, il avait essayé la prison, mais il se retrouvait toujours en face de cet individu. Exaspéré, le juge dit à cet Autochtone: «Qu'est-ce qu'il y a? Vous aimez la prison?» La réponse - et ce n'était pas un jeune Autochtone - fut: «C'est correct.» Le juge m'a dit qu'il a alors compris qu'il ne pouvait rien faire pour aider cette personne ou aider la société à le faire changer de comportement.

Le juge s'en est plaint à l'un des aînés de la communauté autochtone de la région qui lui a répondu: «C'est parce que c'est votre système de justice, pas le nôtre.» Le juge et cet aîné ont discuté très longuement, et leur discussion a débouché sur la création de ce qu'ils ont appelé le «Tribunal autochtone». Il n'y a pas de sanction officielle, pas d'approbation, pas d'autorité, pas de loi, mais si un Autochtone comparaissait devant le tribunal et plaidait coupable - ce qu'ils font généralement - il pouvait demander à être jugé par le Tribunal autochtone. Le tribunal se réunissait de nouveau, généralement le même après-midi, dans un autre cadre, avec le juge, le greffier, le procureur, l'agent de probation, le policier, trois membres de la communauté et l'accusé assis autour d'une table. Le juge expliquait qu'il avait demandé que le tribunal autochtone se prononce. Le procureur exposait les circonstances et il y avait un débat. Au terme de ce débat, le juge imposait une sentence.

Le tribunal a fonctionné pendant une quinzaine d'années. Il est rarement utilisé de nos jours, et j'ai demandé au juge de ce tribunal, au procureur de la Couronne et à l'agent du Tribunal autochtone pourquoi c'était le cas. En un mot, on m'a expliqué qu'on ne voyait plus beaucoup d'Autochtones au tribunal désormais.

À Fort Chipewyan, la population s'inquiétait de ce que devenaient les jeunes. Avec une population de 1 300 habitants, le Tribunal pour la jeunesse passait deux jours par mois à instruire des causes et à mener des procès. Il y a deux bandes indiennes, la communauté métisse et une petite population non autochtone. Les Indiens et les Métis se sont réunit pour essayer de faire quelque chose pour que les jeunes ne soient plus envoyés en détention en dehors de leur communauté. Ils ne voulaient pas de cela. Ils se rendaient compte des effets négatifs de cette pratique. Quand ces jeunes revenaient, ils étaient devenus plus durs, plus sauvages et plus difficiles à contrôler.

Ils ont essayé d'obtenir un financement pour avoir des locaux dans la réserve ou dans la région, mais ils n'ont pas pu l'obtenir. Ils ont lu dans la Loi sur les jeunes contrevenants qu'on pouvait avoir un comité de justice pour la jeunesse. Ils sont donc allés dire au juge qu'ils voulaient créer ce comité. Le juge leur a dit qu'il allait y réfléchir. Il est revenu un peu plus tard leur dire qu'il était d'accord.

Le juge a commencé à envoyer les adolescents et les tuteurs au comité. Il ne leur demandait pas leur consentement, il les envoyait directement. Les membres du comité rencontraient l'adolescent et le tuteur ou parent. Ils parlaient avec les victimes. Ils réfléchissaient à la situation, délibéraient et soumettaient une recommandation au juge. En temps normal, ils passaient environ deux heures avec le jeune, au lieu des 10 ou 15 minutes que met le Tribunal pour adolescents à rendre sa sentence.

Ils disaient aux parents: «Que pouvons-nous faire pour vous aider avec votre enfant?» Ils disaient à l'adolescent: «Qu'y a-t-il dans ton existence qui te cause tellement de problèmes ou qui te pousse à agir comme tu le fais?» Je me souviens d'avoir entendu l'un des membres de ce comité me dire que ce qu'ils faisaient lors de ces rencontres, c'était aimer leurs enfants.

Ils avaient pour coutume de ne jamais vouloir imposer la garde fermée à un adolescent. Ils essayaient par tous les moyens de le garder dans la communauté. Il y a un centre de traitement pour adolescents appelé Poundmaker's Lodge à St. Paul, en Alberta. C'est là qu'on envoie les jeunes qui ont des problèmes d'alcoolisme et de drogues. C'était et c'est toujours le seul établissement en Alberta. On demandait au jeune comment on pouvait l'aider. On lui disait qu'on allait lui donner une éducation pour qu'il puisse devenir un leader à l'avenir, et que personne ne voulait avoir un chef idiot. L'adolescent n'en revenait pas. Personne ne lui avait jamais parlé de devenir un leader.

Quand j'ai été nommé, j'ai continué jusqu'au dixième anniversaire des Tsuu T'ina. C'est le dixième anniversaire de la date à laquelle le gouvernement les a reconnus, mais ils fonctionnaient déjà depuis deux ans. Le Tribunal pour adolescents ne siège plus qu'une demi-journée par mois maintenant à Fort Chipewyan, par opposition à deux jours complets auparavant.

Les Tsuu T'ina ont un tribunal qui connaît très bien les jeunes Autochtones. Le juge ne doit pas absolument être un Autochtone. Si je ne suis pas là, un autre juge me remplace. Le procureur est une Autochtone, mais si elle n'est pas là, quelqu'un d'autre la remplace, et c'est la même chose pour l'avocat de service.

Il y a un coordonnateur de la conciliation au tribunal. Il peut intervenir de sa propre initiative sur des questions de conciliation. Il n'a pas besoin de demander l'autorisation du procureur ou la mienne. Il peut intervenir s'il juge que la conciliation est justifiée. Le coordonnateur, en conférence avec le procureur, l'accusé et la défense, décide si une question sera renvoyée au cercle de conciliation. S'il ne peut pas se prononcer sur-le-champ, il prend la question en délibéré et nous le laissons réfléchir à la question pendant deux semaines.

Il y a une règle rigoureuse qui stipule que s'il y a une victime, elle doit toujours accepter de participer à la conciliation. Si la victime le refuse, l'affaire n'est pas renvoyée en conciliation. Cela cause quelques anomalies, mais c'est leur décision, c'est le choix de leur communauté. Par exemple, si la victime est un policier, la police a toujours pour politique de maintenir les poursuites et de ne pas participer à un cercle de conciliation même si le jeune concerné le souhaite.

Si l'affaire est acceptée en conciliation, le coordonnateur de la conciliation choisit un membre de la collectivité qui sera conciliateur. On a choisi les membres en allant demander à tous les foyers de la communauté qui leur paraissait juste. On a demandé à toutes ces personnes de proposer des noms de personnes de leur famille et de l'extérieur. La liste de noms a été étudiée et on a écarté ceux qui avaient une autre occupation, qui étaient en situation de conflit ou ne venaient pas du bon contexte, et on a retenu une liste de 50 noms. On a expliqué à ces personnes la signification de la conciliation, et après avoir suivi une formation, ce sont elles qui dirigent le programme.

Le conciliateur revient. Le procureur retire l'accusation si la conciliation est acceptée, et dans les cas graves, la conciliation débouche sur une recommandation de procès au tribunal.

La présidente: Monsieur Mandamin, quelle influence ce projet de loi va-t-il avoir sur les procédures que vous venez de nous décrire?

M. Mandamin: Les Autochtones parlent de justice réparatrice. Ils parlent de restaurer les liens entre les individus. Ils parlent de guérir les individus et de cicatriser les relations, du côté de la victime ou de l'accusé. C'est un langage que l'on retrouve communément chez les Autochtones, quelle que soit la forme de leur démarche. Je le dis parce que c'est l'expression de cette vision du monde différente qu'avait constatée la Commission royale. C'est une démarche organique et non pas dirigée par des règles.

J'ai participé à une conférence sur les comités de justice pour la jeunesse où étaient regroupés des comités de justice pour la jeunesse autochtone et non autochtone. Il y a une différence entre les deux. Les comités de justice autochtones sont axés sur les personnes; ils établissent des liens avec les personnes et réfléchissent à ce qu'il faut faire. Les comités non autochtones sont dirigés par des règles; ils se soucient du protocole et des règles. Ce projet de loi correspond à cette deuxième démarche.

Je n'y vois pas beaucoup de traces de ce dont parlent les Autochtones. Si c'est le cas, c'est peut-être dans les secteurs discrétionnaires, dans les petites failles que l'on trouve ça et là dans le système de justice criminelle.

Si vous voulez parler des répercussions de ce projet de loi, songez que le pourcentage de jeunes Autochtones qui ont des démêlés avec la justice pénale est complètement disproportionné par rapport au pourcentage de jeunes non-Autochtones. Si l'on abaisse l'âge, si l'on impose encore plus de peines pour adultes et si l'on rajoute encore plus de conditions aux décisions, c'est ce groupe qui a déjà le plus de démêlés avec le système qui sera le plus pénalisé.

Les ressources sont les principaux problèmes pour les communautés autochtones. Dans une des communautés autochtones où je siège, il y avait un jeune agent de probation pour adolescents qui a fait un travail superbe pendant trois mois. Un beau jour, il n'y a plus eu d'argent et il n'y a plus eu d'agent de probation pour adolescents. Voilà ce qui se passe dans la plupart des communautés autochtones.

La présidente: Un des arguments que nous ont présentés tous les groupes qui ont comparu devant nous est que, si l'on veut que ce projet de loi donne des résultats positifs, il faut prévoir les ressources nécessaires pour permettre aux juges de sortir les jeunes contrevenants du système et de les orienter vers d'autres ressources.

Le sénateur Andreychuk: Je n'ai rien à demander aux deux témoins, si ce n'est simplement de m'excuser. J'essaie de m'occuper de trop de comités en une seule soirée, et je m'excuse d'avoir dû participer à l'autre comité. Ce ne serait pas juste de poser des questions. Je ne manquerai pas de lire votre témoignage. J'ai entendu la fin de votre exposé.

J'ai débuté dans le système des tribunaux de la jeunesse en 1976. D'après ce que vous me dites, les choses n'ont guère changé. Nous nous en remettons à la discrétion pour faire ce qu'exige la situation, et il n'y a pas de modèle unique pour nous montrer la voie du succès. Les ressources et les personnes font la différence.

En ce qui concerne notamment la société autochtone, il faut que le système comprenne mieux la communauté. Mais c'est quelque chose que nous disions déjà il y a 20 ans. Je pense que ce que vous nous dites, c'est que les choses n'ont guère changé.

Le sénateur Pearson: Monsieur Harris, c'est intéressant de passer une journée au tribunal avec vous. Vous portez un fardeau vraiment très lourd. Vous vous occupez d'un grand nombre d'adolescents en très peu de temps, avec toutes les complications que cela entraîne.

D'un point de vue concret, si nous adoptons ce projet de loi et que les policiers commencent à réfléchir aux moyens d'éviter de porter des accusations avant d'en porter, y aurait-il un moyen de savoir si vous avez moins d'affaires à traiter?

M. Harris: J'imagine qu'il y aura un changement visible. C'est une question de relativité. Je me trompe peut-être, mais on m'a dit que 50 p. 100 environ des affaires dans lesquelles on pouvait porter des accusations aboutissaient devant le tribunal. Si nous réduisions notre volume de 50 p. 100, je n'aurais pas besoin de statistiques. Je saurais instantanément qu'il y a un changement fantastique. La facette discrétionnaire de la justice pour les jeunes est une question provinciale. Chaque province a un mode différent de déjudiciarisation.

Si nous pouvions atteindre des niveaux plus élevés de déjudiciarisation grâce à un examen avant l'inculpation, y compris le genre de déjudiciarisation que pratiquaient autrefois les policiers, et qui consistait à donner un avertissement et à aller parler aux parents, j'aurais plus de temps à consacrer aux affaires plus compliquées.

Avec toute la planification qui s'impose pour essayer d'influencer les résultats, pour faire échec au crime et réduire les taux de récidive - ce qui comprend les avocats qui présentent des soumissions conjointes à longueur de journée - et pour imposer des peines et des ordonnances de probation pro forma, nous n'aurons absolument aucun impact sur le nombre élevé d'incarcérations. Par contre, si les mesures extraordinaires ou les mesures de remplacement augmentaient considérablement, nous verrions les résultats immédiatement. Nous pourrions vraiment nous attaquer en profondeur au travail de planification qui est indispensable pour changer un mode de vie criminel et réduire les risques pour les jeunes.

Le sénateur Pearson: C'est la réponse que j'attendais mais il est bon de l'avoir au compte rendu.

L'un de nos membres qui s'occupe actuellement du projet de loi antiterrorisme, s'intéresse particulièrement, comme moi, à la question de la publication des noms. En tant que juge, pouvez-vous nous donner un avis général sur cette question? Essentiellement, nous considérons que pour les jeunes de moins de 18 ans, il ne faudrait pas publier les noms. Publication ne veut pas dire divulgation de l'information, et cela exclut les cas où les autorités essaient de trouver une personne.

M. Harris: C'est un peu difficile et il faut beaucoup étudier la question. Aux audiences du comité lors de l'adoption de la Loi sur les jeunes contrevenants, beaucoup d'experts sont venus dire que le processus de réadaptation serait gravement perturbé par l'effet de la publicité et de la stigmatisation de l'adolescent dans la collectivité.

Je comprends les deux points de vue. Dans une grande ville comme Montréal, Toronto ou Vancouver, les gens ne se connaissent pratiquement pas et il n'y a pas de journalistes, de sorte que si les noms étaient rendus publics, cela n'aurait pas grande importance. Le tribunal est relativement loin de la collectivité et il n'y a pas de journalistes dans chaque tribunal local.

Par contre, c'est crucial dans une petite communauté. Un problème majeur avec la police, comme un vol de voiture à l'âge de 15 ou 16 ans, peut conduire un jeune à être tout à fait ostracisé dans sa collectivité parce que les parents ne veulent pas que leurs enfants se tiennent avec un jeune qui a eu ce genre d'activité. Cela peut l'amener à se joindre à une sous-culture indésirable au lieu de se réintégrer complètement dans la communauté.

Je comprends les deux points de vue, mais dans l'ensemble, il est sans doute préférable pour des criminels immatures d'avoir la possibilité de continuer à vivre en oubliant une malheureuse histoire qui aurait pu être causée par toutes sortes de pressions et ne correspond pas nécessairement à la façon dont ils auraient naturellement voulu vivre dans la collectivité à long terme. Ils peuvent l'oublier si leur nom n'est pas publié.

Cependant il y a des crimes très graves dans lesquels le public a le droit de savoir. Cela semble être prévu dans le projet de loi. Il y a une disposition prévoyant la publication pour les jeunes auxquels pourrait s'appliquer une peine pour adultes. Même si la peine est finalement imposée par un tribunal pour adolescents, les infractions graves peuvent être publiées. C'est logique d'une certaine façon parce que lorsque l'infraction est suffisamment grave, la protection du public va passer avant les obstacles à la réadaptation.

Le sénateur Moore: Juge Harris, traitez-vous de nombreux cas d'adolescents autochtones?

M. Harris: J'en ai eu un au cours des deux dernières années, et il n'est pas négligeable parce qu'il revient sans arrêt. Je comprends parfaitement ce que voulait dire le juge Mandamin. Ce jeune contrevenant ne répond pas comme on aurait pu le penser aux mesures qui sont prises, comme un programme incitatif pour l'amener à abandonner ses activités criminelles.

Vernon Harper, de Toronto, a une propriété à la campagne avec une suerie et tout l'environnement spirituel et culturel adapté aux adolescents autochtones. Nous avons pensé que c'était une excellente idée de placer le jeune dont je parle dans cette résidence. Il était très enthousiaste mais après deux semaines seulement, il est parti et a recommencé ses activités criminelles. Ça lui était égal d'être en détention parce que tous ses amis y étaient aussi. La question est de savoir comment approcher la réadaptation et comment traiter les comportements.

Le sénateur Moore: Juge Mandamin, en ce qui concerne le processus de conciliation et le tribunal autochtone dont vous avez parlé et qui existe depuis 15 ans, quels ont été les résultats pour ce qui est des récidivistes? Est-ce que les jeunes ont répondu de façon positive? Y a-t-il eu moins de récidive?

M. Mandamin: Il n'y a pas de statistiques, ce qui semble être classique dans les initiatives de justice autochtone. Nous examinons cette question à Tsuu T'ing avec le cercle de conciliation. Il nous a fallu un an pour démarrer et nous fonctionnons depuis à peu près un an. Nous essayons de faire le suivi des résultats.

Les gens en général, mais surtout les jeunes, réagissent aux autres. Robert Yazzie, juge en chef de la Cour d'appel de la Nation Navajo, a dit qu'il y avait un dicton navajo selon lequel lorsque quelqu'un se conduit mal, il se comporte comme s'il n'avait pas de parenté. C'est la présence d'autres personnes qui fait réagir les adolescents, qui les lient et les poussent à s'engager sur d'autres voies.

Le sénateur Moore: Est-ce que vous siégez comme juge dans le processus de conciliation?

M. Mandamin: Non. La conciliation se fait dans une communauté loin du tribunal. Lorsqu'une question est renvoyée au cercle de conciliation, le contrevenant doit prendre contact avec le bureau du conciliateur. Nous ajournons l'affaire pour trois mois en général. Le processus de conciliation se déroule normalement et s'il ne réussit pas, l'affaire revient au tribunal, sans commentaire et sans porter préjudice au contrevenant, et la procédure judiciaire continue. Si le processus de conciliation réussit, un bref rapport sera envoyé au tribunal, généralement sous forme de lettre. La Couronne l'évalue et décide s'il convient de retirer les accusations.

Le processus de conciliation se déroule sans juge. C'est une méthode communautaire pour régler les problèmes. Si l'affaire est tellement grave que la Couronne estime qu'elle ne peut pas retirer les accusations, le cercle de conciliation présente des recommandations à la cour au sujet de la détermination de la peine.

Le sénateur Moore: Quelle était la situation dont vous parliez avec le juge et les trois aînés?

M. Mandamin: J'ai parlé de cela pour donner un exemple d'un cas qui s'est produit dans une communauté. C'est un exemple de démarche différente.

Le sénateur Moore: Voyez-vous des récidivistes dans le processus de conciliation? Depuis combien de temps cela existe-t-il?

M. Mandamin: Cela se fait depuis un an. Il faut comprendre aussi qu'il y a un autre facteur: les circonstances qui amènent ces jeunes au tribunal sont toujours là. L'environnement est toujours là. Il les pousse toujours dans une certaine direction.

Le meilleur exemple que je puisse vous donner concerne les conseils de détermination de la peine du Yukon où l'on essaie de faire une évaluation. Les membres de ces conseils ont pris des cas chroniques graves, des cas d'abus d'alcool ou d'autres drogues et de voies de fait graves - autrement dit, des infractions susceptibles de poursuites - et ont dit aux personnes concernées que si elles restaient en dehors du programme pendant un an, on étudierait l'année précédente. Si elles restaient en dehors du programme pendant cinq ans, on examinerait les cinq années précédentes. Ensuite on a essayé de tout additionner pour évaluer le résultat. Je n'ai jamais vu de rapport écrit, mais j'ai entendu un exposé sur les résultats, et il y a eu, semble-t-il, une réduction de 85 p. 100 des infractions passibles de poursuites commises par ces individus. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas eu récidive. Mais souvent ces récidives portaient plutôt sur la procédure. C'est-à-dire que les contrevenants ne respectaient pas la probation, ne se conformaient pas aux règles, et cetera. Mais ils ont considéré que c'était une amélioration.

Le sénateur Moore: Mais les accusations ont diminué, n'est-ce pas?

M. Mandamin: Oui.

Le sénateur Nolin: Je remercie nos deux témoins. Nous avons rarement la chance d'entendre deux juges. Merci beaucoup d'avoir accepté de comparaître devant notre comité.

Juge Harris, vous nous avez raconté une affaire, et je comprends qu'il est inhabituel pour un juge de faire des commentaires sur un arrêt rendu par une cour supérieure et renversant sa décision. Cependant, je voudrais parler des principes qui ont été invoqués et non des faits.

Étant donné la gravité des infractions, la cour supérieure a décidé que l'affaire relevait d'un tribunal pour adulte.

M. Harris: C'est exact.

Le sénateur Nolin: Vous avez décidé, au contraire, qu'étant donné non la gravité des infractions mais l'état de l'adolescent lui-même, il valait mieux qu'il soit jugé par vous. Est-ce bien cela?

M. Harris: C'est un peu plus subtil, mais c'est à peu près ça.

Le sénateur Nolin: Je suis sûr que vous avez lu le projet de loi dont nous sommes saisis. Les principes de détermination de la peine régissant vos décisions sont énoncés au paragraphe 38(2). Si ces mesures étaient en place, pensez-vous que vous auriez pu prendre la décision que vous avec prise?

M. Harris: De toute façon, la décision que j'ai prise n'était pas la bonne d'après la Cour d'appel.

Le sénateur Nolin: Je savais que vous alliez dire ça.

M. Harris: Quoi que je fasse je n'aurai pas gain de cause là-dessus. En vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants, on cherche à concilier réadaptation et protection du public. Je pensais pouvoir le faire parce que je croyais que l'adolescent pouvait être traité avec succès pendant la durée autorisée, c'est-à-dire les 10 ans prévus par la Loi. Nous avons entendu des experts dire qu'il y avait de fortes chances qu'au bout de ces 10 ans, on ait assez bien réussi à traiter sa schizophrénie, puisque c'est bien de cela qu'il s'agissait.

La Cour d'appel a soutenu qu'il y avait un autre expert, auquel je n'avais pas accordé autant de poids, mais à qui elle s'était fiée. Apparemment, il faut exclure toutes les opinions possibles et ne pas s'appuyer sur un avis en écartant l'autre. Je trouvais que le psychiatre était un peu plus efficace. Cependant, ce n'est pas votre question, j'y arrive.

Dans ce projet de loi-ci, il s'agit de responsabilité. Peut-on faire répondre l'adolescent de ses actes tout en le gardant devant un tribunal pour adolescents? C'est cela que ça veut dire. Si l'on entend par répondre de ses actes: L'adolescent peut-il recevoir une peine appropriée tout en étant jugé par un tribunal pour adolescents, il n'est plus alors question de psychiatre ou de savoir combien de temps il faudra pour réadapter l'adolescent. Il s'agit plutôt de savoir ce que mérite l'infraction? Si 10 ans ne suffisent pas, alors la loi oblige à imposer une peine pour adultes.

Il y a bien sûr d'autres considérations mais si l'on utilise le terme «répondre», cela veut dire que c'est une peine proportionnelle au niveau de responsabilité qui devrait être imposée. Le niveau de peine doit être de 10 ans ou moins, dans un cas de meurtre, pour que l'adolescent soit jugé par un tribunal pour adolescents.

Je dois dire que je préfère le critère de la conciliation des deux éléments plutôt que celui de la responsabilité parce que dans le premier cas on accorde plus d'importance aux aspects psychiatriques et sociologiques de la réadaptation que dans le deuxième.

Quoi qu'il en soit, il y a un mouvement général pour ce qui est de ce genre de considérations au niveau de la Cour supérieure. Toute personne accusée de meurtre et représentée par un avocat sera vraisemblablement entendue à titre préliminaire à mon niveau.

Le sénateur Andreychuk: Si vous avez abordé cette question dans votre témoignage, je pourrai le lire. Mais je voudrais savoir si vous avez calculé, du point de vue du juge, le temps qu'il faudrait pour la procédure décrite dans ce projet de loi par rapport à celle de la Loi sur les jeunes contrevenants?

M. Harris: Voulez-vous parler de l'ensemble de la procédure?

Le sénateur Andreychuk: Nous n'avons pas tellement de juges et nous voulons un mécanisme qui soit efficace pour des jeunes qui ne sont pas encore arrivés à maturité. Par conséquent, il faut procéder le plus rapidement possible tout en conciliant les droits, et cetera. Faudra-t-il plus longtemps pour régler le cas d'un adolescent suivant les dispositions de la Loi sur les jeunes contrevenants ou selon la procédure du projet de loi C-7, en moyenne?

M. Harris: C'est tout à fait subjectif et empirique; ce n'est pas scientifique. À mon avis, on peut enlever un an et demi au processus. C'est dû à la question du transfert puis à la procédure d'appel. Le transfert prend six mois du moment où on commence à le planifier. Il est terminé en un mois à six semaines. La procédure d'appel commence alors et il faut environ un an pour arriver à un résultat. C'est la nature de la procédure d'appel et c'est le temps qu'il faut prévoir. Après, on arrive à un résultat et l'on peut décider où va se faire le procès pour une infraction particulière. Tandis que si l'on a le procès, le prononcé de la peine, on peut avoir l'audience d'admissibilité et, peut-être avant, l'audience pour déterminer si c'est une troisième infraction grave, si c'est de cela qu'il s'agit.

Je ne peux pas faire de commentaire sur la durée du procès. Mais si l'adolescent est jugé coupable, la procédure suivant le procès devrait probablement être terminée en trois ou quatre semaines.

Le sénateur Andreychuk: Même avec les choix et la procédure préliminaire?

M. Harris: Même avec l'audience d'admissibilité, la procédure préliminaire et la détermination de la peine, je dirais que l'on enlève un an à un an et demi de la procédure.

Le sénateur Cools: Monsieur Harris, vous avez consacré une bonne partie de votre témoignage à un jeune que vous avez appelé Jimmy et vous parliez en particulier du phénomène des transferts vers un tribunal pour adultes. Savez-vous à peu près combien il y a de transferts de ce genre chaque année à Scarborough, Ontario? Monsieur Mandamin, pourriez-vous nous donner les mêmes chiffres pour votre province? J'aimerais savoir combien il y a approximativement de transferts par an.

Dans le cas de transfert évoqué par M. Harris, il y avait manifestement de graves problèmes mentaux. Vous pourriez peut-être nous dire, monsieur Harris, combien de ces transferts concernent des cas où il y a des problèmes mentaux. Dans combien de ces cas peut-il y avoir des problèmes de personnalité ou même des comportements psychopathes? Je m'intéresse beaucoup au phénomène du transfert.

M. Mandamin: Je siège dans deux réserves, où il n'y a pas eu de transfert. Il n'y a pas eu de procès devant ces tribunaux durant la période où j'y ai siégé - c'est-à-dire un an et demi dans une région et un an dans l'autre. Les Autochtones n'ont pas souvent recours aux tribunaux. C'est sans doute dû à leur culture, parce que c'est reconnaître ce qu'ils ont fait. Le problème est de savoir ce qu'il faut faire pour régler le problème.

Il y a des transferts dans les tribunaux pour adolescents provinciaux en Alberta, généralement dans des affaires de meurtre. Je ne peux pas vous donner les chiffres, mais ça se produit régulièrement. Nous ne savons pas exactement dans combien de cas il y a des problèmes mentaux. Toutefois, il y a souvent des cas liés au syndrome de l'alcoolisme foetal et aux effets de l'alcoolisme sur le foetus. Je dirais que nous ne les connaissons pas tous.

On peut avoir un adolescent qui semble très bien, qui paraît entendre et réagir correctement, mais qui va recommencer la même infraction peut-être deux jours plus tard. C'est le genre de problèmes que les collectivités autochtones essaient de régler. Il y a une forte incidence d'alcoolisme. On a fait des études sur les mères et l'on s'est rendu compte que certaines avaient consommé de fortes doses d'alcool pendant leur grossesse. On sait qu'il y a des personnes présentant ces caractéristiques dans la collectivité et elles sont certainement devant les tribunaux. Cela n'apparaît pas dans notre système. Il est impossible de faire une évaluation ou de les identifier facilement.

Le sénateur Cools: Je suis heureuse que vous ayez soulevé cette question parce qu'en dépit de l'attention que le projet de loi et le système accordent aux transferts, nous n'avons que très peu de renseignements sur ces adolescents. Je l'ai déjà mentionné.

Il y a des années, j'ai siégé pendant un moment à la Commission nationale des libérations conditionnelles. Les derniers adolescents à avoir été jugés par les tribunaux pour adultes, et même condamnés à mort mais dont la peine avait été commuée, étaient toujours dans le système à l'époque où j'étais à la Commission des libérations conditionnelles. Je me souviens avoir lu leur cas avec grand intérêt. Il semble que ce soit caractéristique de l'ensemble du système, lorsqu'on pose des questions au sujet de ces personnes, il n'y a que très peu de renseignements disponibles.

M. Mandamin: C'est exact.

Le sénateur Cools: Il y a eu de très graves troubles de la personnalité chez certaines personnes très tordues.

M. Harris: Pour vous donner une vue d'ensemble, il y a environ une trentaine d'audiences de transfert dans tout le Canada chaque année. C'est un chiffre assez constant. À Toronto, il peut y en avoir trois ou quatre. Certaines années, peut-être une ou deux, ou cinq ou six, mais c'est de cet ordre-là.

En général, on cherche à savoir si l'adolescent a un trouble de la personnalité ou ce que l'on appelle des troubles de comportement, ce qui est la version juvénile de trouble de la personnalité. Aucun psychiatre connaissant la psychiatrie légale ne va dire que l'on peut arriver à une réadaptation réussie avec ce genre de problème de santé mentale, contrairement à d'autres types de troubles mentaux où le pronostic de réadaptation est meilleur.

Il est difficile de savoir dans une année donnée, quels vont être les cas qui iront de tel ou tel côté. Il y a généralement une bataille entre deux ou trois psychiatres, la défense et la Couronne. Les juges décident d'en privilégier un. Il y a parfois trois ou quatre témoins spécialistes en santé mentale. Je rassemble et j'étudie beaucoup de ces cas, et on semble avoir tendance à appliquer le critère de la loi de telle sorte que les adolescents sont plus nombreux à être transférés vers les tribunaux pour adultes qu'à être jugés par le tribunal pour adolescents.

C'est le produit final, après la cour d'appel, mais c'est un critère assez sévère dans la Loi sur les jeunes contrevenants, et il s'agit d'infractions graves. Il faut vraiment déterminer que l'adolescent peut être guéri de son problème, au point de ne plus représenter de risque pour la société, au bout de 10 ans pour une accusation de meurtre ou au bout d'un peu moins longtemps, pour un meurtre au deuxième degré. Au deuxième degré, la peine maximum est de sept ans. Voilà les paramètres que nous devons respecter. Il est impossible de deviner où en sera l'adolescent à la fin du processus.

Certains adolescents n'ont pas problème de santé mentale identifiable. Ils peuvent être transférés à un tribunal pour adultes et être ensuite acquittés. Il est presque impossible de savoir comment ces affaires vont se terminer ou quels sont les chiffres sans entreprendre une enquête professionnelle sur les types de personnes et les résultats.

Le sénateur Cools: C'est un vaste sujet. En ce qui concerne les jeunes ayant des difficultés avec la loi, y a-t-il de nombreux cas où le contrevenant est d'abord adolescent puis un contrevenant adulte après son 18e anniversaire? Il y a eu une grave affaire de meurtre à Toronto. Un juge m'a dit que l'accusé avait comparu devant lui comme adolescent la semaine avant le meurtre. L'adolescent avait eu 18 ans cette semaine-là.

Je me suis souvent posé des questions sur le phénomène de ces jeunes qui arrivent à ce moment de transition, transition qui peut se faire d'un jour à l'autre dans leur vie. Aux yeux de la loi, il y a une différence énorme. Avez-vous des études à ce sujet?

M. Harris: Non. Le professeur Doob vient demain, et je crois qu'il a des éléments d'information à ce sujet. Le Département de criminologie de l'Université de Toronto a étudié le phénomène. Dans quelle mesure y a-t-il récurrence, escalade, pour ces adolescents, si l'on devait commencer à essayer de prévoir, pourrait-on dire que cet adolescent va commettre une infraction grave un de ces jours.

Les chercheurs se concentrent actuellement sur l'évaluation des risques plutôt que sur une autre approche pour aborder la criminalité. Ces instruments d'évaluation des risques deviennent très élaborés.

La présidente: Je voudrais revenir à une remarque faite par le juge Mandamin. Il s'agissait du nombre croissant d'adolescents victimes du syndrome de l'alcoolisme foetal. Que se passe-t-il dans le cas d'un contrevenant comparaissant devant le tribunal pour adolescents qui souffre du syndrome de l'alcoolisme foetal? Vous pouvez répondre tous les deux. Par curiosité, j'aimerais savoir ce qui arrive à ces personnes qui n'ont pas grand espoir de comprendre ce qu'elles ont fait et pourquoi.

M. Mandamin: L'un des problèmes est que nous ne savons pas toujours qui est aux prises avec ce problème lorsque ces personnes comparaissent devant nous. Ce n'est pas facile d'avoir cette évaluation.

À Lethbridge, en Alberta, il y a un protocole qui a commencé comme une initiative policière. Il existe un comité. Si un adolescent est accusé et que l'on pense qu'il peut souffrir des effets de l'alcoolisme foetal ou d'un syndrome de l'alcoolisme foetal, il est possible d'effectuer une évaluation rapidement. Si l'évaluation confirme le syndrome, on va prendre d'autres mesures pour s'attaquer aux problèmes de l'adolescent et l'on va retirer les accusations ou surseoir aux accusations. Lorsque c'est grave, l'évaluation de syndrome de l'alcoolisme foetal et les recommandations feront partie des documents du tribunal. C'est une initiative qui a été mise en place à Lethbridge.

Dans les communautés autochtones où je siège, il y en a une en particulier, Siksika, qui a étudié la question sur une base communautaire, mais nous ne sommes pas encore arrivés à ce point-là. Des mesures ont été prises pour avoir l'aide d'un psychologue afin d'être en mesure d'effectuer ces évaluations.

M. Harris: Je n'ai jamais eu de cas d'évaluation pour des adolescents ou des adultes victimes du syndrome de l'alcoolisme foetal, mais il m'est arrivé d'avoir des doutes. En effet, on peut soupçonner ce genre de problèmes lorsqu'on voit les documents de base qui font partie du rapport prédécisionnel, les documents préparés par les travailleurs sociaux, et les évaluations d'apprentissage qui montrent qu'un adolescent qui semble intelligent sur le moment est incapable de fonctionner à quelque niveau que ce soit. D'après ce que j'ai pu voir, la seule façon efficace de gérer ces adolescents dans la communauté, et c'est peut-être la formule la plus efficace au plan des coûts, c'est d'avoir une personne de la communauté qui suit cet adolescent en permanence, pour être son ami et le surveiller - un grand frère ou une grande soeur qui serait là régulièrement pour freiner ses élans.

S'il n'y a pas d'inhibitions, de contraintes sociales ou autres, si ce sont les indices du SAF, on aura probablement une personne qui pourrait, pratiquement chaque jour, avoir un comportement criminel. Je connais un certain nombre d'organisations qui peuvent fournir une personne pour encadrer un jeune dans la communauté de façon régulière, à condition d'avoir le financement nécessaire. C'est sans doute la meilleure façon de procéder.

La présidente: Nous reviendrons sur cette question de financement. Merci d'avoir attendu si longtemps et d'avoir comparu ce soir. Sénateurs, nous nous réunirons à nouveau demain, dans notre salle de réunion habituelle, je crois, à 15 h 30 ou à l'ajournement du Sénat.

La séance est levée.


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