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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 13 - Témoignages du 24 octobre 2001


OTTAWA, le mercredi 24 octobre 2001

Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel est renvoyé le projet de loi C-7, Loi concernant le système de justice pénale pour les adolescents, et modifiant et abrogeant certaines lois en conséquence, se réunit aujourd'hui à 15 h 55 pour examiner ledit projet de loi.

Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, je souhaite la bienvenue aux nouveaux membres du comité.

Nous tenons aujourd'hui notre huitième journée d'audiences sur le projet de loi C-7, Loi concernant le système de justice pénale pour les adolescents. À ce jour, nous avons entendu dix groupes de témoins, soit plus de 30 personnes au total. Nous en sommes rendus à peu près au milieu de la liste des témoins. Ce projet de loi suscite beaucoup d'intérêt.

Nous souhaitons la bienvenue à notre premier groupe. Vous avez la parole.

[Français]

Mme Cecile Toutant, membre du conseil d'adminstration, Association canadienne de justice pénale: Madame la présidente, je voudrais vous présenter L'Association canadienne de justice pénale qui comprend 1 200 membres. Même si je parle français, je représente une association canadienne qui travaille dans l'ensemble du domaine de la justice pénale autant sur le plan des hommes et des femmes que sur le plan des jeunes et des adultes.

L'Association canadienne de justice pénale a toujours été très préoccupée par le traitement accordé à la prévention et à l'application de la justice, que ce soit pour les adultes ou les adolescents. C'est dans cet esprit que je vais vous résumer brièvement la présentation de l'Association canadienne de justice pénale.

J'espère que vous ne serez pas trop comme les vieux curés à qui on a répété toujours les mêmes péchés et qui n'écoutent plus. Je me suis demandé comment je pourrais me faire comprendre par des gens qui entendent peut-être depuis plusieurs jours les mêmes choses.

Vous le savez probablement déjà, mais j'aimerais, dans un premier temps, vous résumer l'histoire de nos lois qui encadrent la criminalité des jeunes.

Au début des années 1900, aux États-Unis, il y avait un groupe de femmes particulièrement intéressées par le sort des enfants. Selon elles, il fallait absolument influencer les réactions de notre société face à la criminalité des jeunes. On a alors eu des tribunaux très particuliers pour les jeunes, ce qu'on n'avait pas avant. On traitait les jeunes comme les adultes. On s'est dit que ce n'était pas une façon de faire adéquate et qu'il fallait absolument s'occuper des jeunes de façon très différente.

Le Canada a alors créé, en 1908, des tribunaux de la jeunesse qu'on appelle aujourd'hui des chambres de la jeunesse. Le rôle du juge en était un de bon père de famille. Cela vous donne une bonne idée de la façon d'intervenir. Le juge est un bon père de famille et les enfants sont le produit d'une éducation fautive. Jusqu'à un certain point, on percevait les enfants plus comme des victimes que des gens qui pouvaient être responsables de leurs gestes.

Lorsque j'ai commencé à pratiquer en 1969, c'était la Loi des jeunes délinquants qui était en vigueur. Dans les tribunaux, on s'occupait beaucoup des besoins des enfants, mais on a vu un certain nombre de failles apparaître avec le temps. Les jeunes avaient très peu de droits. On s'occupait de leurs besoins. On pouvait parfois suspendre un certain nombre d'accusations en disant que lorsque le jeune sortira, si cela ne va pas assez bien, on reviendrait avec les accusations. Disons que légalement, ce n'était pas ce qui protégeait le mieux les enfants.

Tranquillement, on est allé vers la Loi des jeunes contrevenants. On a commencé à la planifier plusieurs années avant qu'elle ne soit promulguée en 1984. Il faut s'en rappeler, c'est une loi qui est venu uniformiser l'âge maximal à 18 ans pour comparaître à la chambre de la jeunesse, à travers le Canada. Ceci n'existait pas avant. C'est seulement au Québec et au Manitoba qu'on avait établi l'âge maximal de la jeunesse à 18 ans. C'est très important lorsqu'on regarde la disponibilité des ressources développées dans les provinces. Il y a des provinces qui n'avaient pas, avant 1984, l'obligation de s'occuper des jeunes de 16 ou 17 ans. Ces jeunes étaient dans le réseau pour adultes. La Loi des jeunes contrevenants a apporté, à notre avis, un heureux équilibre entre le respect des besoins des jeunes et la protection du public. Il fallait responsabiliser davantage les jeunes au lieu de les laisser dans un état où ils étaient considérés comme des victimes et non comme des personnes qui agissent et qui sont responsables de leurs gestes.

On a alors vu apparaître, dans les tribunaux, des avocats. On n'en voyait pas nécessairement avant. Jusqu'en 1984, on pouvait arriver au tribunal et l'avocat était occupé dans une autre chambre. On prenait quand même des décisions quant aux jeunes. C'est une loi qui a apporté plusieurs éléments positifs.

Pourquoi le projet de loi C-7 nous inquiète-t-il tant? Au moment de la Loi des jeunes délinquants, les tribunaux étaient le royaume des travailleurs sociaux. Avec le projet de loi C-7, les tribunaux vont devenir le royaume des avocats. Je ne pense pas avoir besoin de vous le prouver. C'est vrai qu'il y a beaucoup plus d'articles que dans la Loi des jeunes contrevenants, mais ce n'est pas seulement le nombre d'articles qui importe: c'est le nombre effarant de procédures qui y sont inscrites et qui vont amener de très grands délais dans la façon d'appliquer la justice aux jeunes. C'est un système qui s'éloigne de plus en plus d'un système de justice pour les jeunes. Il y a des procédures compliquées, de longs délais et le type de délit y prend une importance beaucoup trop grande par rapport aux besoins des jeunes. On fait une très grande distinction, tout au long du projet de loi, entre les délits mineurs et les délits violents. Mais qui sont les jeunes derrière les délits? Le délit, c'est une étiquette. Dans cette pièce, plusieurs pourraient être accusés d'avoir conduit à une vitesse excessive à 6 heures aujourd'hui sans peut-être avoir les mêmes raisons. Il y aurait toutes sortes d'explications. Lorsqu'on s'arrête uniquement à l'étiquette, c'est très inquiétant. Tout à l'heure, je vous parlerai au nom de l'Institut Philippe Pinel où je travaille avec des jeunes. Je reviendrai sur la notion de délits.

Nous sommes totalement en désaccord avec les infractions désignées pour lesquelles il y a une présomption automatique de peine pour adultes. Il faut considérer l'infraction et le délit, mais il faut aussi, une fois le délit constaté, regarder quels sont les besoins. Il ne devrait pas y avoir d'automatismes parce que dans le fond, les présomptions de renvoi et les infractions désignées, ce sont des automatismes qu'on peut contourner avec de longs délais inutiles.

Je vais revenir à l'automatisme de libération après le deux tiers du placement lorsque je vais parler des adolescents violents.

Je passe maintenant à la possibilité de transfert suite au début d'un traitement. Il est impensable de commencer des traitements dans le système juvénile et de tout transférer aux adultes lorsque le jeune atteint l'âge de 18 ou 20 ans. Plus tard, je vais m'attarder à la notion de traitement de délinquants violents.

Quant à la libération sous conditions avec des conditions prévues dans la loi, - donc des conditions dépersonnalisées qui sont bonnes pour tout le monde - à notre avis, les gens n'ayant pas tous les mêmes problèmes, ils n'ont pas tous besoin des mêmes conditions. Il s'agit de moyens pour ne pas individualiser le suivi des jeunes.

L'Association canadienne de justice pénale dit clairement que la loi sera excessivement coûteuse à appliquer. Il faudra former des gens. Cette loi demandera un nombre important d'appels pour en définir les termes. Cette loi a malheureusement décidé de balayer toute la terminologie qui était connue dans la Loi des jeunes contrevenants. On a changé les mots, on ne sait pas pourquoi parce que, bien souvent, ce sont les mêmes réalités. Des peines à la chambre de la jeunesse, des peines spécifiques, des peines pour adultes, des mesures extrajudiciaires, et cetera. Je vais vous sauver du reste de l'énumération, mais il y a une série de termes avec lesquels il va falloir se familiariser. Il va falloir aller en appel pour définir plus précisément la loi. Dans ce sens, on vous livre ce message: est-ce que cet argent ne serait pas mieux dépensé si on décidait de l'investir dans des ressources aux deux extrémités de notre système juvénile? Je parle des ressources à l'extérieur des institutions parce qu'on en a besoin et qu'on les favorise lorsque c'est possible mais pas sous forme d'automatismes et des ressources pour les adolescents les plus difficiles. Ce sont ceux qui, au Canada, tombent constamment entre deux chaises parce qu'ils ont des troubles neurologiques étant les enfants d'une mère alcoolique ou droguée. Ces enfants ont des troubles d'impulsivité, personne n'en veut et ils qui finissent par aboutir dans des institutions pénales pour adultes parce que dans les chambres juvéniles, on n'a pas les ressources.

Élaborer de nouveaux projets de loi nécessite de fortes dépenses. Vous connaissez sans doute ces coûts. On peut très bien vivre avec la Loi sur les jeunes contrevenants. Cette loi a peut-être connu certaines difficultés, mais il s'agissait surtout de problèmes d'application et de perception dans le public plutôt que de problèmes concernant la loi comme telle. Souvent, le public considérait qu'une simple décision de juge constituait la loi.

Si un juge demain matin décide d'imposer une sentence de trois ans à un adolescent, cela ne veut pas dire que c'est le maximum prévu par la loi. La loi permet parfois dix ans. En 1992, la Loi sur les jeunes contrevenants a été modifiée pour établir la peine maximale à cinq ans. Cette modification n'a pas été utilisée.

Une loi ne règle pas les problèmes. S'il y a des choses à changer, il faudrait prendre un autre moyen.

M. Jacques Dumais, Directeur de la protection de la jeunesse: Je suis directeur de la protection de la jeunesse depuis 1993, dans la région de Chaudière-Appalaches, sur la rive sud de Québec. J'assume également les responsabilités de directeur provincial. Au Québec, tel que le prévoit la Loi sur les jeunes contrevenants, on a décrété que les directeurs de la protection de la jeunesse assumeraient les fonctions de directeur provincial.

Avant d'être directeur de la protection de la jeunesse, j'ai été responsable du service aux jeunes contrevenants dans la grande région de Québec. J'ai participé à l'implantation de la Loi sur les jeunes contrevenants en 1984, un secteur dans lequel j'9uvre depuis plusieurs années. Les directeurs de la protection de la jeunesse sont regroupés dans 16 Centres jeunesse au Québec. Je représente également l'Association des Centres jeunesse, laquelle regroupe au moins 1 500 intervenants travaillant directement avec les jeunes contrevenants. Il s'agit d'éducateurs spécialisés, de criminologues et de travailleurs sociaux. Nous desservons autour de 23 000 jeunes contrevenants annuellement au Québec. Je suis le porte-parole de l'Association des Centres jeunesse, mais aussi un directeur de la protection de la jeunesse qui s'occupe quotidiennement des jeunes.

J'ai essentiellement quatre messages à vous livrer. Le premier message est que nous n'avons pas besoin d'une autre loi pour traiter les jeunes contrevenants, même les plus endurcis. Même les statistiques fournies par le gouvernement fédéral démontrent une baisse générale de délits au Canada, une réduction même des crimes de violence depuis les dernières années. On comprend mal pourquoi on nous présente un nouveau projet de loi.

Le Québec, qui a appliqué intégralement la Loi sur les jeunes contrevenants, peut au moins se dire que les accusations contre les mineurs sont deux fois inférieures à la moyenne canadienne, soit environ 2.6 jeunes accusés de délit alors qu'au Canada, c'est 4.9. C'est la même chose par rapport aux mises sous garde, lorsqu'on retire un jeune de son milieu pour l'envoyer dans un lieu d'hébergement.

Au Québec, on applique la mise sous garde pour 4,4 jeunes sur mille alors qu'au Canada c'est 10,5 jeunes sur mille. On a la moitié moins de mises sous garde même s'il faut reconnaître que la mise sous garde est parfois un peu plus longue au Québec, compte tenu qu'elle est réservée à des jeunes qui ont commis des crimes un peu plus graves et qui ont récidivé.

Nous avons eu au Québec en 1995, le rapport important de l'honorable juge Jasmin, qui dit que la Loi sur les jeunes contrevenant était une bonne loi, mais qu'il fallait améliorer son application. En particulier, il soulignait les délais de comparution devant le tribunal, l'harmonisation des relations entre les différents partenaires, travailleurs sociaux, procureurs et policiers. Mais au fond, c'était une bonne loi. Le rapport du juge Jasmin s'intitulait: «Au nom et au-delà de la loi».

Au nom signifie que l'encadrement législatif est important. Au-delà de la loi veut aussi dire qu'il y a d'autres facteurs que le contexte législatif pour venir en aide aux jeunes, que ce soit l'expertise développée en réadaptation, les lieux d'hébergement développés au Québec, la formation du personnel, et j'en passe. Il y a donc autre chose que la loi, mais il reste que le contexte légal est majeur pour encadrer l'intervention sociale auprès des jeunes.

Mon deuxième message c'est que même si on l'a entendu sur toutes les tribunes, il est faux de prétendre que le nouveau projet de loi ne change rien au traitement des jeunes contrevenants au Québec.

Il faut reconnaître qu'il y a dans le projet de loi C-7 un certain nombre d'éléments qu'on retrouve dans la Loi des jeunes contrevenants actuelle, que ce soit le pouvoir discrétionnaire des policiers, le programme de mesures de rechange qui s'appelle maintenant des sanctions extrajudiciaires, la probation et la mise sous garde. Il y a des éléments dans le projet de loi actuel qui sont tirés de la Loi sur les jeunes contrevenants. Mais ne nous leurrons pas, ce n'est pas un amendement à la loi, c'est un nouveau projet de loi basé sur des valeurs différentes et une philosophie différente de la loi actuelle. On met beaucoup plus l'accent sur le délit et beaucoup moins sur le jeune qui est l'auteur du délit. En ce sens, le projet de loi C-7 vient briser selon nous l'équilibre qu'on a établi depuis 15 ans entre la protection de la société d'une part, et les besoins des jeunes, d'autre part. Cet équilibre fait en sorte qu'on a eu des succès avec la Loi sur les jeunes contrevenants et on comprend mal pourquoi on veut la changer aujourd'hui.

Le projet de loi C-7 vise essentiellement, selon nous, deux objectifs: premièrement, punir plus sévèrement les crimes graves, ce qui n'est pas toujours requis en fonction des caractéristiques personnelles des auteurs de ces délits. Ce n'est pas vrai qu'il faut faire la même chose pour tout le monde. Deuxièmement, en ce qui concerne la réduction de la mise sous garde, malheureusement, tous les discours que j'ai entendus l'identifient à l'incarcération.

La mise sous garde, au Québec, ne se fait pas dans un centre détention, mais dans un centre de réadaptation. Le centre de réadaptation est peut-être un lieu de privation temporaire de liberté, mais c'est aussi un lieu où on peut donner l'opportunité à des jeunes de changer des comportements et de régler un certain nombre de problèmes relationnels, des problèmes plus spécifiques tels que la toxicomanie ou la violence, avec l'appui de personnel spécialisé. Qu'on arrête de comparer la mise sous garde à la détention et qu'on arrête de dire que c'est une mesure qui n'est pas correcte. C'est une mesure sévère pour les jeunes, mais c'est aussi une mesure sociale qui permet d'intervenir auprès des adolescents.

Dans le projet de loi C-7, en faisant de la mise sous garde une mesure de dernier recours, qu'on devrait utiliser strictement pour les jeunes qui ont commis des délits graves avec violence ou des jeunes qui ont récidivé à plusieurs reprises, on constate qu'on ne permettra pas d'utiliser la bonne mesure au bon moment. On risque d'avoir, à plus ou moins brève échéance, une réduction des institutions efficaces pour venir en aide aux jeunes que sont nos centres de réadaptation.

Le troisième message que je veux vous livrer, c'est que nous assistons à une érosion sans précédent d'un système de justice distinct pour les mineurs. Il y a eu des modifications sur la Loi des jeunes contrevenants en 1986, en 1992, en 1995, toujours dans le sens de durcir les décisions applicables aux adolescents. On a augmenté deux fois la durée des mises sous garde. On a introduit une présomption de renvoi pour les jeunes qui ont commis tel type de délit. Chaque fois qu'il y a eu des modifications, c'était toujours pour se rapprocher graduellement du système des adultes. Avec le projet de loi C-7, nous assistons à une volonté encore plus manifeste de rendre le système de justice pour mineurs semblable au système pour adultes. On retrouve des termes dans la loi: détermination de la peine, peine applicable aux adultes, proportionnalité et harmonisation des peines en fonction du type de délit, admissibilité à la libération conditionnelle, libération automatique après les deux tiers. En fin de compte, c'est l'exclusion d'un certain nombre de jeunes d'un système conçu pour eux parce qu'ils ont commis tel type de délit et qu'ils sont âgés entre 14 et 18 ans. On a maintenant élargi la présomption pour les adolescents de 14 et de 15 ans.

Donc on considère qu'en modifiant le mécanisme de renvoi qui existait dans la loi et qui existe toujours dans la loi actuelle, on pouvait faire le renvoi au système adulte. Maintenant on dit qu'on va le remplacer par des peines applicables aux adultes. On croit qu'on fait rentrer le système adulte dans le système juvénile. On trouve cela beaucoup plus insidieux que de faire un renvoi à un jeune. Pour lui, on a pris toutes les mesures possibles dans le réseau juvénile. Quand vient le temps de constater l'échec, il y aura peut-être un autre réseau pour s'en occuper.

Dans ce sens, on nous dit que c'est peut-être moins grave parce que la décision va être prise par un juge de la Chambre de la jeunesse. Une partie de la peine pour adulte pourra être purgée dans un système juvénile. Mais imaginez quel imbroglio on aura avec des jeunes dans nos centres de réadaptation, tantôt en mise sous garde comme jeunes contrevenants et tantôt avec d'autres condamnés à des peines pour adultes. Je pense qu'on va avoir le plus grand fouillis qu'on a jamais connu dans le système d'aide aux jeunes.

Et il est tout à fait juste de s'inquiéter du respect de la convention relative aux droits de l'enfant dont pourtant notre pays est signataire parce qu'on a un système qui est de moins en moins distinct pour les mineurs.

Ce projet de loi est d'une complexité inimaginable, pour experts seulement et je vous dirais, encore! Dans la loi actuelle, il y a 70 articles. Dans la loi proposée, il y en a 200. On a une déclaration de principe dans la loi actuelle avec huit alinéas; dans le projet de loi, c'est quatre déclarations de principe et 32 alinéas.

Imaginez avec les huit qu'on avait, nous sommes allés en Cour suprême pour essayer d'établir le poids relatif d'un principe par rapport à un autre. Aujourd'hui on propose une loi avec 32 principes. Imaginez les causes qui vont se rendre jusqu'à la Cour suprême pour établir lequel prédomine. Il y a toute une gymnastique des calculs de la peine que je laisserai aux spécialistes.

Malgré un assouplissement au projet de loi C-3, le projet de loi C-7 demeure encore inacceptable au Québec parce qu'il est trop centré sur le délit commis et pas assez sur le jeune qui lui est l'auteur du délit. L'impact au Québec en sera le suivant: beaucoup plus de jeunes traités comme des adultes avec tous les automatismes de libération et autres et probablement plus de récidives parce qu'on aura pas pris la bonne mesure au bon moment.

M. Serge Charbonneau, coordonnateur, Regroupement des organismes de justice alternative du Québec: Le regroupement des organismes de justice alternative est une association de 39 organismes au Québec qui emploie environ 150 intervenants qui travaillent directement auprès des jeunes, surtout dans le cadre du programme de mesures de rechange québécois et suite à certaines ordonnances du tribunal qui consistent en travail communautaire et en amélioration des aptitudes sociales. Ces mesures de rechange ont été appropriés par les juges et ils les ont intégrées dans leurs ordonnances. Nous assurons la supervision de ces mesures. On travaille en partenariat avec les Centres jeunesse du Québec.

Dans la dernière année, 11 340 jeunes adolescents ont été confiés aux 39 organisations dont j'assure une certaine coordination.

J'9uvre dans la Loi sur les jeunes contrevenants depuis 1985. J'ai assisté également aux changements. Notre regroupement est régulièrement intervenu en disant qu'il n'y avait aucun appui scientifique dans les connaissances criminologues pour dire que la sévérité ou l'augmentation de la sévérité des peines avait un quelconque effet sur la criminalité des jeunes. Je vous le répète, la loi actuelle, selon nous, ne repose sur aucun appui scientifique. Sa nécessité n'est pas démontrée, compte tenu des taux de criminalité connus partout ailleurs au Canada.

Je ne veux pas répéter ce qui a été dit. Nous sommes d'accord avec l'affirmation que les problèmes principaux de la loi actuelle sont des problèmes d'application de la loi. D'ailleurs nous travaillons déjà depuis quelques temps au Québec à organiser un autre programme de mesures de rechange. Il y a déjà une entente partenariale qui veut revoir l'ensemble du programme de mesures de rechange québécois. Ce sont de nouvelles orientations qui s'inspirent de la justice réparatrice qui seront appliquées à partir d'avril 2002 au Québec. Dans le cadre de la Loi sur les jeunes contrevenants, nous avons tous les outils pour mettre en place de nouvelles dispositions, de nouvelles pratiques qui s'inspirent des tendances internationales.

Le projet de loi C-7 va constituer un recul par rapport aux tendances que la plupart des organisations ou des pays occidentaux sont en train d'entreprendre. La plupart des législations adopté dans ces pays occidentaux ont laissé une grande place à la justice réparatrice. J'aborderai cette question de la justice réparatrice. Elle ne trouve pas un espace plus grand dans ce projet de loi.

Comment fonctionnons-nous présentement au Québec lorsqu'un jeune se fait arrêter? Je vais vous faire une illustration. Lorsque la nouvelle loi sera en vigueur, quels seront les changements à apporter à la pratique québécoise? Si nous disons que le projet de loi C-7 menace les pratiques de réadaptation des centres d'accueil québécois, je vous affirme aujourd'hui que le projet de loi menace également le programme de mesures de rechange québécois. Et je vais essayer de vous en faire la démonstration.

La loi crée une nouvelle disposition, les mesures extrajudiciaires, dans laquelle aux articles 4 et 5, on énonce les principes. À l'article 6, on énonce les mesures extrajudiciaires et les sanctions extrajudiciaires sont incluses dans les mesures extrajudiciaires. Cela m'a pris un mois à comprendre. J'ai pourtant une formation de base en droit. Il y a une distinction entre sanction extrajudiciaire et mesure extrajudiciaire. L'un était dans l'autre, le plus grand ensemble se retrouve plus petit dans la loi mais on passe là-dessus.

Les mesures extrajudiciaires, contrairement aux sanctions extrajudiciaires, soulèvent des problèmes sérieux de droit pour les jeunes. Avant la Loi sur les jeunes contrevenants au Québec, on a connu les programmes de mesures volontaires qui avaient été des dérives de droit et qui avaient fait connaître des abus auprès des jeunes.On avait privé des jeunes de liberté sans leur assurer une défense par un avocat et sans qu'il y ait nécessairement reconnaissance de leur responsabilité. Toutes les mesures extrajudiciaires prévues à l'article 6 ne prévoient pas la reconnaissance de la responsabilité et ne prévoient pas le droit à un avocat. Ceci veut dire qu'à l'heure actuelle au Québec, lorsqu'un jeune est arrêté par un policier, dans l'ensemble, les policiers ferment 53 p. 100 des dossiers. Il en reste 47 p. 100 qu'ils vont orienter vers le SPG. Cette étape franchie, le substitut oriente 60 p. 100 des dossiers vers le directeur provincial que personnalise ici M. Dumais. Il va procéder à une évaluation psycho-sociale du jeune. Selon un ensemble de considérations, il va soit décider de fermer le dossier puisqu'il est inutile pour ce jeune de faire autre chose ou il va retourner le dossier au SPG qui pourra poursuivre avec la judiciarisation ou qui proposera une mesure de rechange. Au Québec, l'année dernière, il y a eu 7 541 mesures de rechange signées entre un délégué à la jeunesse et un jeune. Ces 7 541 mesures ont été supervisées en majeure partie par les organismes de justice alternative. Elles consistent principalement dans des mesures de travaux communautaires, d'amélioration des aptitudes sociales et de médiation victime-contrevenant.

Demain matin, la loi entre en vigueur. Le policier qui fermait 53 p. 100 de ses dossiers décide de ne plus fermer 53 p. 100 de ses dossiers parce qu'on lui offre une mesure fantastique, des mesures extrajudiciaires.

Le policier n'a pas une expertise d'une vingtaine d'années en évaluation psychosociale des jeunes contrevenants et en supervision de mesures de jeunes contrevenants, mais il peut et il doit - d'ailleurs la loi le prévoit - agir dans le cadre des mesures extrajudiciaires avant d'agir dans le cadre des sanctions extrajudiciaires.

Aussi, les sanctions extrajudiciaires sont exactement la répétition du programme de mesures de rechange québécois. Il est donc maintenant prévu, avant le programme de mesures de rechange, une nouvelle mécanique, le programme de mesures extrajudiciaires.

Ceci veut dire que la plupart des jeunes qui se voyaient autrefois avertis par un policier - des études et des recherches ont été faites à ce sujet et c'était extrêmement efficace, suffisant et cela ne coûtait rien, on parle de 53 p. 100 des dossiers - vont maintenant connaître un ensemble d'interventions où il n'était pas nécessaire d'intervenir.

De ces 53 p. 100, que fera-t-on? Le policier a le choix d'avertir. Il peut le faire sans que le jeune reconnaisse sa responsabilité et sans procéder à l'arrestation d'un jeune. Il n'y a aucune disposition dans la loi actuelle qui force un policier à obtenir du jeune une reconnaissance de sa responsabilité et, finalement, le droit à un avocat. Ceci pose un sérieux problème de droit.

Des gens se penchent présentement là-dessus. Je ne suis pas un spécialiste de ces questions, mais ces problèmes seront soulevés dans l'application de la loi et éventuellement seront plus qu'un grain de sable.

Alors que des sanctions extrajudiciaires prévoient la reconnaissance de la responsabilité du droit à un avocat, les mesures extrajudiciaires ne le prévoient pas. Que fera le policier, maintenant? Il fermait 53 p. 100 de ces dossiers, il en orientait 47 p. 100. Que se passera-t-il avec ceux-ci? Il est évident qu'il en retiendra 10 à 15 p. 100. Comme il est en train de se créer tout un réseau de relations, de comités consultatifs ou de comités de justice autour de lui, d'amis, d'organismes communautaires qui sont capables de s'occuper des jeunes, ce policier aura tendance à retenir davantage de situations et à les confier à des organisations.

Ce qui veut donc dire que l'expertise développée en programme de mesures de rechange au Québec va s'amoindrir et s'étouffer, lentement, de plus en plus. Je ne dis pas qu'il n'en restera pas, mais on peut facilement prévoir que dans cinq à dix ans, la majorité des cas des mineurs seront traités par le programme de mesures de rechange extrajudiciaires d'abord.

Ce programme deviendra beaucoup plus gros que le programme de mesures de rechange qui, lui, constitue une réussite que tout le monde reconnaît et qui introduit deux choses: des organisations communautaires qui sont proches des citoyens et qui voient à l'organisation de la supervision des services et un directeur provincial qui a une expertise psychosociale, capable de procéder à l'évaluation du jeune de manière adéquate. Alors qu'on voulait autrefois contourner le système judiciaire, on est en train maintenant de contourner ce qui était non judiciaire avec cette nouvelle mécanique.

J'ai lu à plusieurs endroits dans les documents préparés par le ministère de la Justice, et bien entendu la loi ne le précise pas, que le nouveau projet de loi constituait une avenue de justice réparatrice et qu'il s'inscrivait dans ce cadre. Permettez-moi de vous dire que ce ne sont pas des mécaniques de comités consultatifs ou de comités de justice qui sont des garanties de justice réparatrice.

D'ailleurs, M. Harris a déjà dit, lors d'une conférence de presse, qu'il préférait de beaucoup les comités de justice parce qu'ils sont beaucoup plus sévères.

L'introduction de comités de justice, de groupes consultatifs et de mesures extrajudiciaires est peut-être une dérive importante, un retour ou un glissement vers la vindicte privée. S'il n'y a pas d'encadrement et si la loi ne vient pas assurer des garanties pour les personnes qui sont impliquées, il y a des dangers de dérive et d'abus de pouvoir dans ces questions. Nous les avons déjà connus au Québec et tout, dans la loi actuelle, est là pour que cela se reproduise.

Il s'agit d'un projet de loi qui ne s'appuie sur aucun besoin, sur aucune nécessité et qui ne repose pas sur des appuis scientifiques. On y retrouve des principes de loi qui s'éloignent des tendances internationales présentes. On y note l'introduction de plusieurs citoyens dans des mécanismes sans balises et sans garantie de droits, ainsi qu'un croc-en-jambe majeur au programme de mesures de rechange québécois et au programme de réadaptation québécois.

Le sénateur Joyal: Dans le mémoire déposé au nom de l'Association canadienne de justice pénale, il y a au milieu de la page 10 un titre extrêmement important. Cela rejoint en partie la présentation de M. Charbonneau.

Je le lis:

Il devrait exister un système de justice pour les jeunes qui soit différent de celui des adultes.

Au bas de la page 10, il y a toute une énumération d'éléments que le projet de loi contient et qui illustrent le titre que je viens de lire, dont l'imposition de nouvelles exigences au tribunal pour adolescents au chapitre de la procédure; l'application de peines pour adultes à des jeunes de 14 à 17 ans; les dispositions qui s'apparentent au blocage, les transferts en établissements pour adultes; la probabilité d'un accroissement de négociations de plaidoyers; la publication des noms d'adolescents et l'admissibilité de certaines déclarations d'adolescents qui auraient pu être recueillis en contravention aux dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés. M. Charbonneau a évidemment illustré par les mesures extrajudiciaires comment, en pratique, l'emphase est mise sur la judiciarisation du système.

Comment le projet de loi, dans sa conception, peut-il à la fois réconcilier les mesures de réhabilitation, dont l'énumération des principes nous fait valoir l'objectif et, en même temps, piper les dés au point où, en pratique, on n'est plus dans un système de justice juvénile, mais dans un système de justice pénale?

D'ailleurs, le titre de la loi le dit bien : nous ne sommes pas en cour juvénile comme on disait autrefois. Carrément un jeune délinquant doit avoir le code pénal à côté de lui pour savoir à quoi il sera assujetti.

Je dois vous avouer que c'est la définition de la sévérité de la loi qui me préoccupe. Qu'un jeune commettant un homicide volontaire encoure une peine sérieuse, je pense que personne ne niera cela. Mais la définition d'à peu près toutes les infractions à l'article 62, d'après ce que nous avons entendu par d'autres témoins, nous dit qu'en définitive ce sont des infractions désignées de deux ans et plus. De plus, quand on en fait la liste, on obtient à peu près tout ce qu'il y a dans le code pénal ou à peu près. Ne sommes-nous pas en contradiction flagrante avec l'objectif que l'on poursuit dans les conventions internationales, qui est de reconnaître qu'un adolescent n'est pas une personne à qui on peut appliquer la même norme de droit ou une norme de droit équivalente à un adulte?

Lorsque, par toutes sortes de biais, on place l'adolescent à un niveau comparable à celui de l'adulte, ne l'oblige-t-on pas à assumer une peine ou des obligations qu'il n'est pas en mesure d'assumer parce qu'il n'est pas un adulte? S'il était un adulte, on l'enverrait carrément dans le système de justice pénale. Lorsqu'on place un adolescent dans une situation d'adulte, et vous en voyez à tous les jours dans votre pratique, lui impose-t-on un fardeau additionnel parce que la loi considère qu'il ne dispose pas de tous les éléments du développement émotif, psychologique, humain qui le rendrait équivalent à la responsabilité d'un adulte?

J'ai de la difficulté à articuler comment la norme de droit qui s'applique aux adultes s'applique de façon automatique à des adolescents. Où fait-on la réconciliation entre la protection du public - la loi vise à protéger le public, on nous dit que c'est l'objectif que la loi poursuit - et la reconnaissance que nous devons avoir des droits des adolescents. On parle ici d'adolescents. En bas de 12 ans, ils sont dans une autre catégorie. Comment peut-on concilier cela pour être juste par rapport à nos obligations.

Mme Toutant: Je dirais que c'est particulièrement difficile à réconcilier. Je pense que je l'ai dit au début de ma présentation. La Cour suprême en 1993 dans l'arrêt JJM avait dit très clairement que, même si on voulait tenir compte du délit et qu'il fallait en tenir compte, lorsqu'on parlait d'adolescents, il fallait mettre davantage l'accent sur les besoins des jeunes plutôt que sur le type de délit. Parfois cela pouvait justifier un placement qui n'aurait pas été équivalent à la gravité du délit ou bien un placement plus long que ce que le délit aurait commandé quand, dans d'autres situations, la Cour aurait pu ordonner des placements plus courts. La Cour suprême avait dit très clairement, en essayant de redéfinir la notion de proportionnalité, que lorsque l'on a affaire à des adolescents, à des gens qui ne sont pas mûrs, il faut tenir compte du fait que leur évolution n'est pas complétée, et que l'on a une responsabilité d'éducation et d'appui face à eux. C'est ce qui fait qu'on est, dans le domaine de l'intervention clinique, aussi mal à l'aise avec des automatismes. Je ne veux pas vous faire de reproche, madame la présidente, mais les représentants de Pinel n'ont pas parlé encore.

Au Québec, on connaît l'Institut Pinel. Les sénateurs des autres provinces ne le connaissent pas peut-être. Cela m'apparaît important d'en parler. C'est un hôpital en psychiatrie légale créé en 1972. Le département va avoir 30 ans bientôt. C'est un département pour adolescents violents. Même si c'est un hôpital psychiatrique, les patients ne souffrent pas de troubles mentaux. Je peux vous dire que c'est très rare de retrouver des adolescents qui ont des maladies psychiatriques franches. On trouve plutôt des jeunes qui ont des problèmes de comportement importants et des troubles psychologiques graves. Depuis 1972, 700 adolescents ont été évalués et traités dans notre unité, qui reçoit des jeunes de 14 à 18 ans qui ont commis des gestes violents. Je voulais en parler un petit peu parce que je vais vous faire part de notre réaction à cette loi et de nos inquiétudes face à cette loi.

Certains adolescents semblent incapables de profiter des services de réadaptation. Il y a des cliniciens qui vous diraient que tous les adolescents sont traitables, qu'ils sont contents d'être là, et je vous dirais que c'est faux. Il y en a qu'on aide très bien, qui participent très bien, et il y en a qui ne veulent pas se faire traiter. Au Québec, comme ailleurs, il y en a qui demandent eux-mêmes leur renvoi dans le système adulte. Et un adolescent de 17 ans qui vous dit qu'il ne veut pas rester peut être transféré dans un système adulte. La personne qui fait l'évaluation peut dire qu'on ne sait pas quoi lui offrir, qu'on a tenté à maintes reprises de l'aider, que cela fait deux placements antérieurs qu'il a dans les centres de jeunesse, et qu'il ne réagit pas. On ne sait plus quoi faire et il peut donc aller dans le système adulte.

Mais parmi ceux qu'on garde, je peux vous dire qu'il y a d'excellents pronostics. Et c'est parfois chez les jeunes qui ont commis les délits les plus épouvantables. Je dis toujours aux journalistes que les adolescents ne commettent pas de délits élégants. Je ne sais pas quels termes je pourrais utiliser, mais les adolescents s'acharnent sur leurs victimes, ils n'arrivent pas avec une arme à feu pour commettre un délit bien propre. Ils sont coupables de délits qui font dresser les cheveux sur la tête. On en a plusieurs de cet ordre.

Dans les médias, on décrit sans cesse les délits mais on ne parle pas de la personne derrière le délit, ni du milieu qui a façonné l'enfant. On sait que les adolescent à problèmes n'ont pas poussé dans les nuages. Les enfants de onze ans qui ont tué un enfant en Angleterre, ils avaient des antécédents dont on n'a jamais entendu parler. On a entendu parler que des caractéristiques du délit. Tout ça pour dire que ceux qui commettent des délits très graves, auxquels on réagit beaucoup et qui sont trop médiatisés, ne sont pas les plus mauvais pronostics, au contraire.

Quand au pronostic de réadaptation, on dit que les plus mauvais sont ceux qui ont développé la criminalité comme mode de vie, ceux qui répètent beaucoup. Certains ont commencé à sept ans. À l'âge de sept ans, ils attendaient leur père sur les marches d'un hôtel et très rapidement ils ont commencé à commettre des délits. Quand ils ont à 17 ans, il n'est pas évident de les traiter parce que leur mode de vie, c'est la délinquance.

L'adolescent qui est allé à l'école, qui a eu des difficultés et, qui n'a pas résolu sur ses problèmes et qui explose dans un délit très voyant n'est pas le pire des pronostics, au contraire. Les recherches le prouvent. Pour ceux qui n'ont pas d'antécédents, même s'ils commettent des meurtres, la récidive est excessivement minime et très rarement violente. Je revois des jeunes que nous avons traités et qui vont très bien, beaucoup mieux que les jeunes qui ont commis des délits contre la propriété.

J'aurais aimé inviter un de mes anciens clients. Ce que je veux vous dire, c'est que ce ne sont pas des monstres. Malheureusement, avec cette loi, tous les automatismes dont j'ai parlé tantôt représentent un danger : la présomption de peine adulte pour certains délits, le traitement deux tiers, un tiers qui enlève toute la souplesse dans l'intervention, - je pourrais vous donner beaucoup d'exemples où cela va nuire - et la publication des noms. Cette publication de noms ne donne strictement rien sauf quelques points au dossier du plus délinquant qui va répéter qu'il a eu quatre fois son nom dans le journal. La publication des noms n'a aucun effet positif, à notre avis.

[Traduction]

La présidente: Madame Toutant, vous avez répondu à une question posée par un membre du comité qui est absent aujourd'hui, au sujet de la publication des noms. Malheureusement, ce sénateur siège cette semaine au comité qui fait l'étude préalable du projet de loi antiterroriste. Vous avez répondu à sa question, même si elle n'était pas ici pour la poser. Je vous en remercie.

Le sénateur Wilson: Il y a un jour ou deux, nous avons entendu un exposé sur ce projet de loi par des représentants des Premières nations. Ce n'était pas des Premières nations francophones, mais ils ont dit que les objectifs de ce projet de loi ne correspondent pas aux objectifs de la justice telle que leurs communautés et leur culture autochtone la perçoivent.

On trouve au Québec une importante communauté autochtone. Quelles sont vos relations avec ses membres? Les avez-vous consultés au sujet de ce projet de loi? Qu'en pensent-ils? Ce projet de loi exige par exemple que les parents soient présents au prononcé de la sentence d'un adolescent, ce qui ne tient aucun compte du fait que les parents peuvent habiter très loin de là et ne disposer d'aucun moyen de transport. Pouvez-vous commenter ça brièvement, pour ma propre information?

[Français]

M. Dumais: On a quelques communautés amérindiennes au Québec qui offrent sensiblement le même traitement aux jeunes contrevenants comme au reste de la population québécoise. C'est le directeur de la protection de la jeunesse qui s'occupe de ces jeunes. Mais si on va dans le nord du Québec, une justice différente commence à prévaloir. Elle est davantage une justice avec des cercles de justice. Il commence à se développer dans ces nations une façon différente de traiter les jeunes. Les communautés amérindiennes à proximité des centres urbains, par exemple les Attikameks de Sept-Îles, en Mauricie, au centre du Québec, reçoivent sensiblement la même forme de traitement avec parfois plus de mesures de rechange adaptées pour les jeunes. Compte tenu du milieu, on peut faire des propositions sur le traitement approprié à ces jeunes et quelle sorte de mesures on pourrait appliquer. Dans le grand nord québécois, je connais moins les traitements offerts. Même l'application de la Loi de la protection de la jeunesse est différente, et l'application de la Loi des jeunes contrevenants est aussi différente.

M. Charbonneau: Il y a quelques années, le Québec a produit le rapport Coutu, qui démontrait l'orientation du ministère de la Justice du Québec. Ce dernier créait dans les communautés des Premières Nations des organisations propres qui allaient reprendre des responsabilités dans l'administration de la justice. On constate que, dans les milieux non-autochtones, le Québec est bien doté d'institutions, et des partenariats avec les organismes communautaires et les institutions publiques sont en place. Dans les communautés autochtones, chez les Premières Nations, il y a une culture différente. Dans plusieurs communautés, on participe à un exercice qui est celui d'identifier les valeurs de ces communautés, malgré le cadre juridique, leur réaction à la criminalité. Ensuite, on travaille avec eux pour qu'ils reprennent les responsabilités dans l'administration de la justice, dans la déjudiciarisation. On travaille à développer des conférences familiales, des cercles de guérison, et des conseils de détermination de la peine. Les communautés autochtones sont en train de reprendre ces responsabilités. Ce sont nos travaux en cours.

[Traduction]

Le sénateur Wilson: Il y a donc une certaine ouverture à des perspectives culturelles différentes, d'après vous?

Le sénateur Grafstein: Je remercie les témoins. J'ai trouvé vos mémoires très convaincants. Il semble que vous êtes tous d'accord pour dire que ce projet de loi n'affecte aucune valeur nouvelle, qu'il pourrait avoir l'effet contraire à celui recherché, étant donné les pratiques actuelles qui sont avantageuses et que, pour le moins, vous croyez que le nouveau budget qu'on prévoit consacrer à cette mesure devrait plutôt être dépensé dans le cadre du régime actuel. Ai-je bien résumé votre témoignage?

Mme Toutant: Oui.

Le sénateur Grafstein: En plus de cela, vous dites - je ne sais trop lequel d'entre vous est responsable du mémoire du Regroupement des organismes de justice alternative du Québec. J'ai trouvé à la page 12 de votre mémoire une autre réponse au projet de loi. Je vais vous citer le passage; vous n'avez pas besoin de le chercher. L'autre justification de ce projet de loi est que les victimes ne sont pas bien traitées dans le cadre du régime actuel, que les victimes doivent être mieux traitées d'une façon ou d'une autre. Vous dites ici quelque chose d'intéressant. À la page 12 de votre mémoire, vous dites ceci: «Aux États-Unis et au Canada, il existe déjà quelques programmes de médiation réunissant des victimes et de détenus reconnus coupables de délits graves.»

Il y a donc des programmes de médiation pour les victimes. Comment cela fonctionne-t-il?

[Français]

M. Charbonneau: Sur cette question, il y a beaucoup de recherche évaluative qui démontre l'efficacité de la médiation victime-contrevenant. On peut vous en faire parvenir. Elles sont quand même assez nombreuses et cela se développe. Le nouveau programme de mesures de rechange québécois prévoit que la première mesure à mettre en place sera la médiation. On connaît environ 10 p. 100 à 15 p. 100 de médiation au Québec dans le programme de mesures de rechange. Selon nos pronostics, on pourrait connaître environ 40 p. 100 de médiation dans le cadre du programme de mesures de rechange. C'est une orientation québécoise. Il y a une unanimité sur cette orientation. La plupart des institutions et des organisations l'ont adoptée. Cela s'appuie sur des recherches qui démontrent que c'est très efficace et que cela modifie profondément le sentiment de justice pour les victimes.

[Traduction]

Le sénateur Grafstein: Je viens de l'Ontario. Ayant examiné votre système et ses objectifs, j'ai constaté qu'il est manifestement beaucoup plus propice à la justice thérapeutique, préventive et de réparation que le modèle pénal qui existe n'importe où ailleurs au Canada. Je pense que vous l'avez démontré de façon absolument convaincante.

Cela dit, je voudrais votre avis sur deux autres questions. Je m'adresse maintenant à l'Association des centres jeunesses du Québec. Est-ce vous, monsieur Dumais? Je vous invite à vous reporter à la dernière page de votre mémoire. Je voudrais que vous nous donniez des précisions. Si vous ne pouvez pas nous répondre maintenant, vous pourrez le faire par écrit.

Vous dites deux choses. Premièrement, vous dites ceci:

[...] nous ne pouvons pas souscrire à un système de justice pénale pour les jeunes qui présuppose que des peines pour adultes seront imposées à des enfants de 14 ans, et nous nous demandons comment cette disposition peut être conciliée avec les dispositions de la Convention des Nations Unies relatives aux droits de l'enfant.

Pourriez-vous nous expliquer pourquoi vous dites cela? Nous avons entendu d'autres témoignages, mais j'aimerais connaître votre point de vue.

[Français]

M. Dumais: Dans la convention signée par le Canada, la Convention relative aux droits de l'enfant, à l'article 40(3), on dit que les États s'efforcent de promouvoir l'adoption de lois, de procédures, de mises en place d'autorités et d'institutions spécialement conçues pour les enfants soupçonnés, accusés ou reconnus coupables d'une infraction à une loi pénale. Nous avons mis sur pied un système. Je parle de la Loi sur les jeunes contrevenants. Comme le disait le sénateur Joyal, ce ne sont pas des adultes mais des adolescents en développement. Il faut appliquer des mesures différentes, il faut les traiter différemment des adultes.

[Traduction]

Le sénateur Grafstein: Vous dites que le fait de prendre un enfant de 14 ans et de penser qu'on puisse le traiter en conformité du système pénal pour adultes constitue une violation de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant. Est-ce votre position?

[Français]

M. Dumais: Nous croyons qu'on a donné à cette loi une connotation de justice pénale pour adultes. On donne de moins en moins le caractère distinct du début de 1984. Ceci fait en sorte qu'on va appliquer, comme le disait Mme Toutant, beaucoup d'automatismes: puisque c'est tel délit, c'est telle peine; puisque c'est telle peine, il y aura une période de libération à la fin, que le sujet soit prêt ou non à sortir du centre de réadaptation. On sait que les jeunes sont en développement.Il faut profiter du fait que les jeunes sont mineurs pour essayer de leur inculquer une voie à suivre.

[Traduction]

Le sénateur Grafstein: Je ne veux pas vous interrompre, mais vous dites que cela constitue, à votre avis, une violation de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant? Cette distinction quant au traitement appliqué aux enfants?

[Français]

M. Dumais: On considère plusieurs jeunes de 14 à 18 ans, ayant commis tel type de délit, comme des adultes.

[Traduction]

Le sénateur Grafstein: Je veux seulement que ce soit dit publiquement. Je ne suis pas d'accord avec cela, mais je ne veux pas me poser en témoin.

Enfin, je m'intéresse beaucoup à cette proposition parce qu'elle coordonne avec mon propre point de vue. Vous dites à la page 2 de votre mémoire, dans votre troisième exemple, que vous ne pouvez pas accepter une application différente d'une province à l'autre des principes fondamentaux de ce projet de loi. Vous demandez comment nous pouvons expliquer aux jeunes canadiens d'un bout à l'autre du pays qu'ils peuvent être traités différemment dans des circonstances identiques.

[Français]

M. Dumais: L'application de la loi actuelle a été très variable au Canada depuis son entrée en vigueur. Prenons simplement le programme de mesures de rechange. En Ontario, il est arrivé, au cours des dernières années, qu'on envoie des jeunes de 16 et 17 ans dans une annexe d'une prison où le personnel est rattaché à une institution carcérale adulte.

Au Québec, nous avons des centres de réadaptation avec un personnel comprenant des éducateurs spécialisés, des travailleurs sociaux et des criminologues qui travaillent avec les jeunes. Nous avons souvent des ratios de un éducateur pour trois jeunes pour s'assurer qu'il y ait un suivi particulier pour chacun des jeunes qui sont dans nos centres de réadaptation. Les activités au cours de leur séjour au centre de réadaptation incluent des groupes de discussion au sujet de la violence, de la consommation de l'alcool ou de la toxicomanie. Dans ce sens, il est vrai que ce ne sont pas toutes les provinces qui offrent ce traitement.

[Traduction]

Le sénateur Grafstein: En terminant, je ne suis pas en désaccord avec ce que vous dites, mais il y a des modèles thérapeutiques différents dans chaque province; c'est évident. Cependant, le fait d'abaisser l'âge de 16 ans à 14 ans, qu'est-ce que cela signifie? Je ne veux pas vous faire dire ce que vous n'avez pas dit, mais j'ai le sentiment que le fait d'abaisser l'âge, et vous citez à ce sujet l'article 61, nous entraîne vers une certaine conclusion. Est-ce là-dessus que se fonde votre troisième exemple, à savoir qu'une province peut appliquer l'âge de 14 ans tandis qu'une autre province peut utiliser l'âge de 16 ans? Est-ce la conclusion?

[Français]

M. Dumais: Le projet de loi C-7 accorde maintenant une discrétion aux provinces pour appliquer ou non la présomption de peine pour adulte pour les 14-15 ans, même si la loi affirme qu'il y a une présomption pour les 14-18 ans. Les provinces auront à prendre position si ce projet de loi est adopté. On risque d'avoir une justice applicable différente selon les provinces, puisque la présomption de peines pour adulte va commencer à 16 ans dans certaines provinces, et va peut-être commencer à 14 ans dans d'autres provinces. En voulant conserver les particularités des provinces, on risque d'avoir un système qui est loin d'être cohérent dans l'ensemble du Canada.

Le sénateur Nolin: Dans le mémoire que vous avez déposé devant la Chambre des communes, en février 2000, la partie 2 de ce mémoire m'apparaît être importante. Je ne la retrouve pas dans le mémoire actuel. Je vais vous donner le titre: « L'approche québécoise après 50 ans d'efforts et de concertation serrée au développement d'un réseau intégré de services aux délinquants en puissance ou en action. » Cela m'apparaît, en quelques pages, un très bon résumé des principes que vous ne retrouvez pas ou que vous jugez être en danger dans le projet de loi C-7. Croyez-vous opportun de nous distribuer, dans les deux langues officielles, ce document? Si vous l'avez juste en français, on peut le faire traduire.

[Traduction]

La présidente: Merci. Nous verrons à ce que chacun en est un exemplaire.

Le sénateur Poy: Je voudrais enchaîner sur ce qu'a dit le sénateur Grafstein au sujet du système de justice pénale du Québec, qui serait actuellement le meilleur du pays. Ce que vous avez dit est très convaincant.

Vous avez dit également qu'il y a des mesures de rechange dans chaque province. Cela signifie-t-il que même si le projet de loi C-7 est adopté, chaque province continuera d'agir comme elle l'a toujours fait? Chaque province peut appliquer sur son territoire le programme qu'elle juge approprié, n'est-ce pas? J'ai besoin de comprendre cela. Je n'ai pas de formation juridique.

[Français]

M. Charbonneau: La loi répète la discrétion des provinces dans l'établissement d'un programme de mesures de rechange ou d'un programme de sanctions extrajudiciaires. S'il y a un programme de sanctions extrajudiciaires, il devra être adopté par le gouvernement de chacune des provinces.Il ne force pas les lois. Cela demeure.

Par contre, l'introduction des mesures extrajudiciaires menacent le programme de mesures de rechange ou le programme de sanctions extrajudiciaires. C'était un peu cela qu'on vous présentait. Aucune province n'est forcée de le mettre sur pied à l'extérieur du Québec. Bien entendu, nous allons devoir faire quelque chose avec les mesures extrajudiciaires, mais aucune province n'est forcée de mettre en place un programme de sanctions extrajudiciaires. Il y a encore des libertés d'agir dans chacune des provinces quant aux les sanctions extrajudiciaires. Il n'y a pas de liberté d'agir quant aux mesures extrajudiciaires, et pour nous, les mesures extrajudiciaires menacent les pratiques qui ont cour au Québec actuellement.

[Traduction]

Le sénateur Poy: Pourquoi serait-ce une menace si l'on n'a pas besoin d'en tenir compte, si le Québec peut continuer d'agir comme il l'a toujours fait, appliquant le système dont vous dites qu'il fonctionne bien? Pourquoi ce projet de loi est-il une menace? Je ne comprends pas cela.

[Français]

M. Charbonneau: Au niveau des mesures alternatives, il y a des menaces. Cela est différent au niveau des mesures de réadaptation. Compte tenu qu'on introduit les mesures extrajudiciaires et qu'on dit qu'il est prévu de recourir aux mesures extrajudiciaires avant de recourir aux sanctions extrajudiciaires, on modifie la donne énormément. On change énormément de choses. Car quelqu'un pourrait faire valoir: « pourquoi n'avez-vous pas procédé par une mesure extrajudiciaire plutôt qu'une sanction extrajudiciaire?» La loi introduit une première étape, qui fait que le programme de mesures de rechange actuel québécois devient la deuxième réponse au comportement criminel d'un mineur. Cela modifie énormément de choses et cela laisse place à la créativité de tous les corps policiers et de tous les groupes de citoyens, et nous ne pouvons rien faire. Il n'est pas prévu que nous puissions adopter des dispositions pour restreindre cette utilisation, elle est totalement ouverte. Quant à la réadaptation, c'est autre chose.

M. Dumais: Effectivement dans la loi, il y a des libertés d'agir laissées aux provinces. On a parlé des programmes de mesures de rechange et de présomptions de peine pour adulte pour les 14-15 ans. On en parle aussi pour déterminer le niveau de garde, à savoir si ce sera un milieu fermé ou un milieu ouvert. C'est vrai dans la loi, on laisse aux provinces certaines options. Mais l'ensemble du projet de loi fait que l'on axe toute l'intervention sur le délit.

On tient de moins en moins compte du jeune qui a commis le délit. On a beau avoir des pouvoirs discrétionnaires, cela change la façon de travailler et les décisions que les juges prendront. On dit que la mise sous garde est un dernier recours. On devra démontrer que toutes les étapes ont été suivies avant d'arriver à la mise sous garde. Le juge n'aura pas le choix d'appliquer la loi, puisqu'il est dit dans un article que c'est une mesure de dernier recours. En ce sens, même si certains assouplissements sont prévus, cette loi demeure fondamentalement contraignante parce qu'elle est beaucoup trop axée sur le délit et pas assez axée sur le jeune.

[Traduction]

Le sénateur Poy: Vous dites que cette mesure lie les mains des juges?

M. Dumais: Oui.

[Français]

Cela fait plus que lier les mains du juge, cela lie les décisions des intervenants aussi. Je voudrais vous parler de la formule deux tiers, un tiers. Je vais vous donner un exemple concret.

Supposons qu'on décide d'un placement de trois ans pour un adolescent. Après deux ans, on le remet en liberté conditionnelle de façon automatique, sauf dans le cas d'un adolescent qui serait considéré comme étant dangereux. Il faut alors aller devant le tribunal pour dire que l'adolescent est dangereux et qu'il devrait demeurer en institution. Quand il sera près à sortir, il faudra retourner devant le tribunal pour dire qu'il est prêt à sortir. Nous n'avons pas cela.

Actuellement, quand un jeune est placé, on fait un rapport d'évolution au tribunal tous les ans. Cela ne veut pas dire qu'on peut faire n'importe quoi avec le jeune. Ce rapport indique où on en est rendu avec le jeune, et comment on prévoit l'accompagner pour la période de temps qu'il passe avec nous.

Avec la nouvelle loi, aux deux tiers, quand il est temps pour le jeune de sortir, il retourne à l'école ou il va travailler. La plupart des jeunes vont travailler parce qu'ils n'ont pas toujours les capacités pour étudier. On commence alors le programme de réinsertion. Si cela ne va pas, le jeune ne vient pas nous le dire. On s'en rend compte par son comportement.

Il devient souvent beaucoup plus agressif verbalement ou il a l'air plus triste. L'équipe clinique peut décider d'arrêter ses sorties et le garder quelques jours. Ce n'est pas nécessairement les 48 heures prévus dans la loi actuelle. Cela peut prendre trois jours ou une semaine. Nous le garderons avec nous pour faire le point. Il recommencera le travail à l'extérieur dès qu'il en sera capable. Il y a autour de la décision clinique une souplesse qui permet une intervention très personnelle.

On ne fait pas de la réhabilitation, on fait de l'habilitation. Ce sont des jeunes qui n'ont jamais travaillé ou étudié. Ce n'est pas vrai que cela fonctionne du premier coup. Il faut de la souplesse dans l'intervention. Nous sommes contre les automatismes pour ces raisons. J'ai toujours pensé qu'on avait inclus les automatismes pour forcer les gens à faire de la réinsertion sociale. On ne légifère pas sur le traitement ou sur la réinsertion sociale, on forme des gens pour le faire.

Je ne dis pas que nous sommes plus sages au Québec. Vous vous souviendrez de Boscoville, une institution créée au Québec pour faire de la rééducation. À travers cette institution s'est développée la formation d'éducateurs dans les cégeps et les universités. Des colloques de formation et de supervision y ont vu le jour. La réadaptation demande une infrastructure qui ne se légifère pas, mais il faut se donner les moyens.

[Traduction]

Le sénateur Andreychuk: Je suis d'accord avec ce que vous dites dans votre mémoire. Pour donner suite à la question du sénateur Poy, dans les meilleures intentions du monde, cherchant à faire en sorte que les jeunes aient l'appui qu'il leur faut, et peut-être sans le vouloir, le projet de loi ne semble pas faire confiance aux gens qui travaillent dans le système: les travailleurs sociaux, les agents de police, les juges, les agents de probation. Ce projet de loi est trop dirigiste, il enlève toute marge de manoeuvre. Si je vous ai bien compris, ces gens-là ont une formation et une expérience qui leur donnent la capacité de répondre précisément aux besoins de chaque enfant. Ce projet de loi lie les mains des intervenants et les force à prendre les mesures envisagées par le projet de loi. C'est bien cela?

Mme Toutant: Oui.

[Français]

Le sénateur Rivest: Au Québec, j'ai eu l'occasion de me prononcer sur ce projet de loi. Les explications que vous avez fournies sont valables pour l'ensemble des Canadiens. C'est notre responsabilité, sur le plan législatif, de bien l'affirmer. L'expertise québécoise est simplement utile, ce n'est pas un problème québécois.

En ce qui concerne l'érosion sur les automatismes, dans la société, on fait beaucoup de choses pour les jeunes, de l'éducation entre autres. On les traite différemment parce qu'on parie sur leur réadaptation, beaucoup plus que pour un adulte déjà formé. C'est la raison fondamentale pour laquelle on a une loi pour les jeunes délinquants et qu'on les traite différemment. Vous avez très bien illustré le fait qu'à travers toute la mécanique, la structure, on arrive à une érosion de ce choix pour des raisons que l'on ne connaît pas.

C'est un nouveau projet de loi. On emploie donc de nouveaux mots, de nouveaux termes, de nouveaux critères, de nouveaux principes. Vous dites que ce sera une bonne affaire pour les avocats, mais qu'au contraire cela en sera une très mauvaise pour les jeunes. Ce projet de loi occasionnera beaucoup de débats devant les tribunaux et même devant la Cour suprême pour trancher le poids de tel principe par rapport à tel autre. Avez-vous une idée du résultat de la mise en oeuvre de ce projet de loi, s'il était adopté tel quel?

M. Dumais: On a pris 15 ans à obtenir un certain équilibre pour huit principes, surtout le principe de la protection de la société et de la prise en compte des besoins des jeunes. Je ne pourrais pas vous dire combien de temps ce nouveau projet de loi nous demandera, ni quelle énergie sera dépensée, ni combien de batailles juridiques s'ensuivront, bien souvent sur le dos des enfants.

Le rôle d'un avocat de la défense est de défendre son client. Il prendra tous les moyens pour étirer les procédures, en se demandant par exemple si on a pris tous les moyens avant de faire une mise sous garde, et cetera. Cela fait partie de la dynamique d'un avocat de la défense de tenter d'obtenir la moindre des mesures pour son client.

Le sénateur Rivest: Ce qui veut dire que les gens vont travailler sans trop savoir.

Les gens diront qu'ils ont gagné, qu'ils ont bien fait parce qu'une cause s'est retrouvée en Cour d'appel en Saskatchewan, au Québec ou ailleurs au pays. Ce sera une véritable pagaille sur le plan de la mise en place des structures d'application au détriment des jeunes, et même sur celui du texte de loi tel que rédigé.

Il faut dire qu'on est dans un régime de droit, que les avocats doivent défendre leurs clients, mais il faut aussi savoir ce qu'est le droit. Quelle que soit l'ardeur des procureurs de la défense en cause, il faudra savoir ce que les mots et les principes veulent dire.

On va certainement réfléchir sur un de ces aspects de la loi. C'est la première fois qu'on mentionne ce point et je vous en remercie.

[Traduction]

La présidente: Je vous remercie d'être venue. Nous vous sommes reconnaissants de votre participation.

Nous entendrons maintenant un groupe de professeurs d'université.

Vous avez la parole.

M. Anthony N. Dobb, professeur, Centre de criminologie, Université de Toronto: Sénateurs, je vous invite à consulter mon mémoire écrit; je n'ai pas l'intention de vous le lire. Je vous exhorte à recommander l'adoption rapide du projet de loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, afin que nous puissions traiter plus efficacement les jeunes qui commettent des infractions.

Je vous fais cette recommandation pour une raison bien simple: Le projet de loi constitue globalement une grande amélioration par rapport à la Loi sur les jeunes contrevenants. Je suis peut-être en désaccord avec certains de ces éléments, mais c'est certainement un projet de loi bien meilleur que la loi qu'il remplace.

Au lieu de me contenter de vous lancer des affirmations, je vais tenter de vous donner les faits sur lesquels je m'appuie pour tirer mes conclusions. Beaucoup de ces faits sont consignés dans mon mémoire écrit.

Je commence par vous rappeler un fait important dans le domaine de la criminologie, à savoir que les lois qui s'appliquent aux infractions commises par les jeunes ont très peu à voir avec le nombre de crimes commis par des jeunes dans une société. Si nous cherchions à réduire la criminalité chez les jeunes, nous serions en train de discuter de programmes gouvernementaux visant à donner un soutien aux enfants, aux familles, aux écoles et aux collectivités. Nous ne sommes pas réunis ici pour discuter de ces importants problèmes. Nous sommes ici pour discuter de la façon dont la société réagit face aux jeunes qui commettent des infractions, ce qui est également une question très importante.

Deux raisons principales m'incitent à recommander que le projet de loi soit adopté rapidement. Premièrement, le projet de loi sur le système de justice pénale pour adolescents sera très probablement couronné de succès pour ce qui est de réduire notre trop grande dépendance envers les tribunaux pour adolescents comme moyen de réagir aux crimes commis par des jeunes et comme mécanisme permettant d'obliger les jeunes à rendre compte de leurs actes. C'est important, pour les raisons énumérées au tableau 1 qui se trouve à la page 2 de mon mémoire. En termes simples, nous gaspillons des ressources et nous causons presque certainement du tort aux jeunes qui ont commis des infractions mineures en traduisant devant les tribunaux pour adolescents un aussi grand nombre de jeunes qui ont commis des infractions mineures.

Le tableau 1 présente un fait bien simple au sujet de la loi actuelle. Selon la définition que l'on adopte - et je m'en remets à vous pour établir cette définition - entre 43 p. 100 et 73 p. 100 des cas dont sont saisis les tribunaux pour adolescents ne sont pas des affaires très graves. Le chiffre que vous choisissez dépend de la ligne de démarcation que vous voulez tracer entre les affaires mineures et les affaires encore moins graves.

Même en prenant le chiffre le plus bas, soit 43 p. 100, cela veut dire qu'environ 44 000 affaires mineures se retrouvent inutilement devant les tribunaux.

Vous venez d'entendre un groupe du Québec. J'ai des données équivalentes pour le Québec, si les sénateurs souhaitent en prendre connaissance. Comme vous pouvez vous y attendre, après avoir été informé sur le régime en vigueur au Québec, les chiffres sont évidemment plus bas. Il est clair que les tribunaux sont saisis d'un moins grand nombre d'affaires mineures. Par contre, si vous examinez les quatre premières lignes - vol de moins de 5 000 $, ce qui est essentiellement du vol à l'étalage; possession de biens volés; défaut de comparaître; et défaut de se conformer à une décision - environ 30 p. 100 des affaires qui se retrouvent devant les tribunaux au Québec sont des infractions relativement mineures.

Le Québec n'est pas à l'abri de ce problème, et il est important que vous ne perdiez pas cela de vue quand vous entendez des témoignages.

Les tribunaux pour adolescents ne sont pas le bon endroit pour traiter des infractions mineures. Les données sont claires sur ce qui se passe et sur les affaires dont sont saisis les tribunaux pour adolescents. Ce sont des milliers d'infractions très mineures. Vous avez les chiffres sous les yeux. Vous pouvez tracer la ligne où vous jugerez bon de le faire.

La partie du projet de loi qui traite des mesures de déjudiciarisation dans le cadre du système de justice pour adolescents constitue une énorme amélioration par rapport aux très faibles mesures alternatives qui existent actuellement dans la Loi sur les jeunes contrevenants. Les raisons en sont détaillées dans mon mémoire. Ce qui est important, c'est que l'on donne à la police et aux autres intervenants une orientation quant aux types d'affaires qu'il est préférable de traiter sans passer par les tribunaux. Il y a présomption que certaines affaires peuvent être réglées hors cour. On trouve dans la loi proposée sur le système de justice pénale pour adolescents des énoncés qui indiquent que des mesures extrajudiciaires pourraient être utilisées à répétition, peuvent être appliquées même quand le jeune a déjà été reconnu coupable d'une infraction. La police est tenue d'envisager d'appliquer des mesures extrajudiciaires quand elle a affaire à un jeune.

Nous avons un très grave problème et ce problème est résumé dans une forme très simple par les chiffres qui figurent au tableau 1.

La deuxième raison pour laquelle je préconise l'adoption rapide du projet de loi, ce sont les dispositions sur la détermination de la peine qui figureraient dans la Loi sur le système de justice pénale pour adolescents. Au tableau 2, à la page 3 de mon mémoire, vous pouvez voir que dans l'ensemble du Canada, 48 p. 100 des condamnations au placement imposées au Canada le sont pour ces quatre infractions mineures. Quarante-huit pour cent des enfants que nous mettons en détention au Canada le sont pour vol de moins de 5 000 $, possession de biens volés, défaut de comparaître et défaut de se conformer à une condition. Les chiffres pour ces infractions mineures sont également plus bas au Québec, soit 34 p. 100. Un tiers des enfants du Québec qui condamnés au placement le sont pour l'une de ces quatre infractions mineures. Vous devez vous poser la question de savoir si cela correspond au Canada dans lequel vous voulez vivre.

Nous devons lutter contre le recours exagéré à la détention pour les infractions mineures. Le système de justice pénale pour adolescents que l'on propose dans cette loi s'y attaquerait de deux manières. Premièrement, l'article 38 stipule que la peine doit être proportionnelle à la gravité de l'infraction. C'est le principe qu'on doit appliquer. La raison en est évidente. La plupart d'entre nous croyons que le degré d'intervention de l'État dans la vie d'un adolescent doit être limité selon la gravité du crime. Notre problème, que l'article 38 viendrait régler en partie, est décrit au tableau 2 de mon mémoire, à la page 3. La proportionnalité devrait réduire, mais pas à elle seule, le recours exagéré au placement.

Il existe un besoin encore plus évident, à savoir que trop d'affaires mineures conduisent en prison et qu'il faut faire quelque chose à ce sujet.

La deuxième manière dont le recours à la détention sera limité aux termes de la loi proposée, c'est en imposant des obstacles aux juges qui voudraient prendre la décision de recourir à la détention. L'article 39 énonce quatre de ces obstacles. L'adolescent ne peut être placé sous garde que si son affaire correspond à l'un ou plusieurs de ces critères. Les limites aideront beaucoup à réduire la fréquence du placement sous garde.

Je vous invite à revenir à la Loi sur les jeunes contrevenants pour en comparer le libellé à ce projet de loi, car la raison pour laquelle nous sommes aux prises avec le problème décrit au tableau 2 de mon mémoire, c'est que la Loi sur les jeunes contrevenants n'est pas aussi explicite et n'énonce pas aussi clairement que le projet de loi à l'étude les principes voulant qu'il faut éviter de placer les adolescents sous garde.

Les besoins des adolescents ne sont pas laissés pour compte dans la loi proposée sur le système de justice pénale pour adolescents. En effet, la loi proposée impose des limites, selon le principe de la proportionnalité, à l'ingérence qui est autorisée dans la vie d'un adolescent. Rappelez-vous que dans le cadre des limites définies par le principe de la proportionnalité, le juge doit imposer les sanctions qui favoriseront le plus possible la réadaptation et la réinsertion. Ce n'est pas un choix; c'est une obligation imposée par la loi.

La loi proposée sur le système de justice pénale pour adolescents ne permettra toutefois pas aux tribunaux d'enfermer des adolescents dans des établissements de garde, contrairement aux arguments que certains viennent de vous présenter, voulant que les tribunaux soient autorisés à le faire, pour ce que d'aucuns considéraient comme leur propre bien. Je signale toutefois que la Loi sur les jeunes contrevenants ne le permettait pas non plus. L'alinéa 24.1.1a) de la Loi sur les jeunes contrevenants dit explicitement que ce n'est pas autorisé. Quand les gens disent que le projet de loi ne permettra pas aux tribunaux de le faire, je leur rétorque qu'ils se trouvent à dire du même coup que la loi actuelle n'est pas satisfaisante. Le projet de loi ajoute que ce n'est pas une mesure appropriée. Cela ne veut pas dire, toutefois, que l'adolescent ne peut pas se voir imposer des peines favorisant la réadaptation et la réinsertion; le juge doit imposer de telles peines.

La troisième raison dont on vous a bien sûr déjà parlé, c'est le passage de l'ordonnance de garde à une ordonnance de garde et de surveillance. C'est une amélioration énorme, en partie parce que cela force les établissements de garde à commencer dès le début de la peine à planifier la réinsertion de l'adolescent dans la collectivité. Une période de réinsertion est obligatoire pour tous les contrevenants. C'est assurément une bonne pratique.

La loi proposée sur le système de justice pénale pour les adolescents présente toutefois certains problèmes. Vous comprendrez que je ne suis pas un grand partisan des peines pour adultes «par présomption», mais j'estime qu'il faut en comprendre le contexte. Ce sont les juges des tribunaux pour adolescents qui prendront les décisions à cet égard; et compte tenu des critères qu'ils doivent respecter et du fait qu'une sentence pour adolescents n'est pas suffisamment longue pour obliger le jeune à rendre compte de ses actes, il n'y a pas trop lieu de s'inquiéter. N'oubliez pas qu'il a toujours été possible au Canada de traduire des adolescents devant des tribunaux pour adultes dès l'âge de 14 ans. Cet abaissement de l'âge de la présomption est à mon avis inapproprié.

Je ne m'en inquiète toutefois pas autant que certains, pour les raisons qui sont énoncées à la page 6 de mon mémoire. Il y a à la page 6 deux séries de faits dont vous devriez prendre connaissance. D'abord la figure 1, qui décrit le nombre des affaires déférées au tribunal pour adultes au Canada chaque année depuis 20 ans. Ce qu'il faut remarquer, c'est que c'est une décision qui, heureusement, est rarement utilisée au Canada. Il y a des milliers d'affaires qui pourraient être déférées, mais très peu le sont en réalité. Il y a relativement peu de demandes en ce sens.

Mon deuxième argument est que même lorsque nous avons institué le transfert par présomption des adolescents de 16 et 17 ans, quand cette loi est entrée en vigueur en 1996, elle n'a pas eu d'effet appréciable sur le nombre des transferts. Je ne dis pas que c'est un élément valable du projet de loi. Tout ce que je dis, c'est que la gravité des problèmes que cela pose doit être mise dans la balance contre les énormes problèmes que nous avons du côté de la surutilisation des tribunaux et du placement sous garde.

Je ne pense pas que c'est une loi que l'on pourrait qualifier de douce, de trop douce, ou de dure ou de trop dure. C'est une approche plus raisonnable à un problème très complexe.

Je vous recommande vivement de l'adopter rapidement.

M. James Hackler, professeur, Université de Victoria: Comme je l'ai dit au début de mon mémoire, le professeur Bala, le professeur Doob et moi-même sommes probablement d'accord 99 p. 100 du temps; ce n'est que dans 1 p. 100 des cas que nous sommes en désaccord, et ceci en est un exemple. Je ne vais pas lire mon mémoire. Il n'a que deux pages. J'ai aussi distribué un exemple de ce qui se fait aux Fidji. Nous aurions beaucoup à apprendre de ces îles, soit dit en passant, mais je ne vais pas m'attarder à cela. Je vais seulement vous donner plusieurs exemples.

Un jeune homme s'est retrouvé au tribunal après s'être enfui d'un établissement de garde en milieu ouvert. Il n'a pu donner aucune raison précise qui aurait satisfait le juge, et celui-ci a donc appliqué sa règle ordinaire et l'a envoyé en garde en milieu fermé pendant six semaines. Pendant le déjeuner, le juge - un nouveau juge qui venait d'accéder à la magistrature - a dit qu'il utilise toujours le même modèle, à savoir que lorsqu'un jeune ne respecte pas les règles la première fois, il monte la barre d'un cran, de sorte que six semaines de garde en milieu fermé est la peine normale qui attend un jeune qui s'enfuit d'un établissement de garde en milieu ouvert. Cet après-midi-là, j'ai visité l'établissement que ce jeune homme avait quitté. Pourquoi était-il parti? Le psychologue a dit qu'il avait été battu par les autres enfants. Le juge le savait-il? Non. Pourquoi pas? Eh bien, l'adolescent ne voulait pas le dire dans la salle d'audience, en présence d'autres enfants. Comment un juge peut-il le savoir? Est-il possible de lui téléphoner? Non, on ne peut pas faire cela. Les juges français et allemands ne comprennent pas. Pourquoi le juge doit-il être la personne la plus ignorante dans la salle? Notre système a tendance à rendre nos juges ignorants. Ailleurs dans le monde, notamment en Europe, les juges tiennent à savoir ce qui se passe.

Pourquoi vous ai-je raconté cette histoire? Deux ans plus tard, quand je suis revenu au même tribunal, les deux mêmes juges agissaient désormais différemment. Ils avaient appris à lire les indices. Ils avaient appris à recueillir des renseignements. Ils avaient appris à être mieux informés. Cela n'a rien à voir avec le texte de loi.

Voici où je veux en venir: tous les tribunaux d'un bout à l'autre du Canada, y compris dans les petites localités du Nord, élaborent leurs propres stratégies. Il y a d'énormes différences d'un endroit à l'autre. J'ai donné dans mon mémoire l'exemple d'une localité du Grand Nord, mais je peux vous donner beaucoup d'autres exemples de gens qui ont appris à faire en sorte que le système fonctionne. Ils apprennent à manipuler la loi. Chaque fois qu'une nouvelle loi entre en vigueur, c'est un véritable fouillis pendant plusieurs années, jusqu'à ce que les juges aient fini par apprendre à composer avec la loi.

Nous l'avons vu dans le cas de la Loi sur les jeunes contrevenants. Nous avons commencé à recourir davantage aux tribunaux après l'introduction de la Loi sur les jeunes contrevenants. Pourtant, depuis 10 ans on note un déclin. Chaque année, depuis une dizaine d'années, on utilise un peu moins le système officiel. Nous avons maintenant le problème bien en main.

Même au Québec, la province qui, de l'avis de la plupart de ceux qui étudient la justice pour les jeunes, a mis en place le meilleur système, quand on a légiféré en 1979, avant la Loi sur les jeunes contrevenants, que s'est-il passé? Ils ont créé un comité de sélection qui excluait la police. Pendant un certain temps, les policiers étaient en colère et les choses n'allaient pas bien. Toutefois, la police est ensuite devenue membre du comité de sélection et les choses ont commencé à s'améliorer.

Autrement dit, quand on introduit une nouvelle loi, surtout une loi comme celle que l'on propose en l'occurrence, il faut deux ou trois ans pour tirer les choses au clair. Les avocats devront se reporter à leur édition Martin du Code criminel. Après l'introduction de la Loi sur les jeunes contrevenants, les avocats ont dû se replonger dans le code pendant un certain temps. Ils l'ont fait pendant quelques années et ils l'ont maintenant bien assimilé. Ce n'est pas ce que la loi stipule qui aide le système à fonctionner; ce sont les réseaux qu'on met en place. Ces réseaux fonctionnement moins bien quand on y jette une loi trop lourde.

En 1984, on a introduit à Hong Kong une Loi sur la justice pour les jeunes qui comprenait 14 pages en tout. J'ai le sentiment que le processus fonctionne au ralenti quand il y a trop de détails. Cette loi est trop détaillée. Tout le monde le sait. Elle discrédite l'intervention du Parlement. En essayant de contenter tout le monde et en n'y parvenant pas, on a discrédité le processus d'élaboration des lois.

À la page 95 du projet de loi, il y a une disposition aux termes de laquelle la personne qui rédige un rapport d'étape est tenue de s'entretenir avec la famille et de faire tout ce que les travailleurs sociaux font actuellement. C'est une insulte. Ces gens-là font ce travail depuis des années. Le projet de loi stipule explicitement qu'il est possible d'aller s'entretenir avec des membres de la famille pour obtenir des renseignements - c'est une véritable insulte.

Il y a aussi une disposition selon laquelle la police est tenue d'envisager des mesures de rechange et, si elle décide de ne pas appliquer ces mesures de rechange, elle peut dire qu'elle a envisagé de le faire et a décidé de ne pas les utiliser. Cela n'a absolument aucun sens. En fait, la police a toujours envisagé les mesures de rechange, même avant l'invention du terme. Nous n'aimions pas le mot «déjudiciarisation», qui est utilisé aux États-Unis, et nous avons donc inventé «mesures de rechange». La police a toujours fait une présélection des enfants et c'est au Québec qu'on l'a fait avec le plus grand succès. Dans cette province, on fait de façon officieuse une présélection des enfants depuis longtemps. À Montréal, il y a trois fois plus d'enfants placés sous garde pour vols avec effraction que pour vols simples, parce que le vol n'est pas traité devant les tribunaux; l'enfant est plutôt amené chez lui, à la maison.

M. Nicholas C. Balla, professeur, Faculté de droit, Université Queen's: Je pense que, tout compte fait, le projet de loi dont vous êtes saisis constitue une amélioration par rapport à la loi actuelle, et que les diverses versions de celle-ci au fil des dernières années ont également constitué des améliorations successives. Dans l'ensemble, je préconise l'adoption de ce projet de loi, en prévoyant une certaine période pour sa mise en vigueur.

Je considère ce projet de loi comme un élément d'un processus d'évolution continue. Notre système de justice pour adolescents a considérablement évolué au cours des dernières années et j'espère qu'il continuera d'évoluer, grâce aux ressources qui lui seront affectées.

Je conviens sans réserve avec le professeur Hackler que l'adoption d'une loi semblable entraînera certaines dépenses. L'énergie de ceux qui travaillent dans le système de justice pour adolescents sera détournée dans une certaine mesure vers l'étude et la réflexion au sujet de la mise en oeuvre de la nouvelle loi. Il a raison de dire qu'il continuera d'exister d'importants écarts entre les provinces et territoires, et au sein de ces derniers, quant à la mise en vigueur de ce projet de loi. Nous continuerons de constater des écarts dans le taux de détention.

Par ailleurs, ce projet de loi est important. À bien des égards très importants, comme l'a dit le professeur Doob, ce projet de loi fait progresser le Canada dans la bonne direction. Le professeur Doob a souligné deux des secteurs les plus importants de cette mesure. D'une part, la diminution du recours excessif à la détention. Dans certains cas, les jeunes contrevenants pourront être mis en détention, mais c'est une méthode utilisée beaucoup plus fréquemment au Canada que dans le reste du monde et c'est une solution très coûteuse, inefficace et parfois contre-productive pour s'occuper des jeunes contrevenants.

Le deuxième élément important est le recours aux sanctions extrajudiciaires - une expression horrible, selon moi. Il vaut mieux continuer d'utiliser l'expression actuelle, «solutions de rechange». Le professeur Doob est peut-être un peu trop optimiste quant à l'incidence de ce projet de loi. Comme on l'a signalé, il incombera entièrement aux spécialistes et aux provinces de prendre les décisions quant à la mise en vigueur des dispositions relatives aux sanctions extrajudiciaires. L'inclusion de cet énoncé dans le projet de loi, de façon plus claire que dans la loi actuelle, incitera les policiers, les procureurs et les collectivités à recourir à ces méthodes qui sont souvent plus efficaces pour s'occuper des jeunes contrevenants que le système judiciaire officiel. Les juges continueront de jouir d'un pouvoir discrétionnaire. Il n'y aura pas d'uniformité dans la mise en vigueur des restrictions visant le recours à la détention des adolescents, mais cette solution sera moins utilisée que par le passé.

J'aimerais aborder brièvement certains aspects du projet de loi qui me préoccupent grandement. Je vais suggérer des secteurs où il serait peut-être souhaitable de proposer des amendements au projet de loi avant de l'adopter.

Tout d'abord, s'agissant des dispositions relatives à l'assujettissement, je conviens avec le professeur Doob que l'on aura recours à cette solution dans quelques cas peu nombreux, parmi les plus graves. Toutefois, il y a également les cas où la loi aura le plus d'impact. Le projet de loi prévoit des modifications procédurales. Il est préférable, au nom de l'efficacité et de l'équité, d'adopter un modèle postdécisionnel. L'ensemble de critères prévus me préoccupe. Le libellé de l'article 72, qui met uniquement l'accent sur la question de responsabilité, me préoccupe également. La loi actuelle, la Loi sur les jeunes contrevenants, prévoit que l'on tienne compte à la fois de la nécessité de réadapter le jeune et de la protection de la société. Ce projet de loi prévoit un critère entièrement fondé sur la «responsabilité». Les présomptions que renferme ce projet de loi sont à bien des égards inopportunes et, d'une certaine façon, inutiles.

Dans le projet de loi, il y a des différences entre les provinces pour ce qui de l'âge. Il y est dit que, dès l'âge de 14 ans, il y aura une présomption mais que, si les provinces le souhaitent, elles peuvent fixer un âge supérieur. D'après ce que je crois savoir, le Québec envisage de fixer la limite d'âge à un niveau supérieur. Cela risque d'exacerber les problèmes des différences provinciales et d'entraîner d'éventuelles contestations aux termes de la Charte des droits.

On a déjà parlé de la question de la publicité. Dans le projet de loi à l'étude, l'article 75, qui autorise la publication du nom des jeunes contrevenants qui commettent des infractions graves, est à la fois préjudiciable et contraire aux dispositions de la Convention des Nations Unies relatives aux droits de l'enfant. Il y a évidemment la question de l'incidence juridique de cette convention, mais cette disposition est manifestement contraire à l'esprit de celle-ci. Elle est inutile et, à bien des égards, fait appel aux pires sentiments des gens. Les Canadiens ont des sentiments très ambivalents au sujet de la délinquance juvénile dans notre pays. Dans certains cas, les gens souhaitent qu'on exige des adolescents qu'ils rendent compte de leurs actes. Dans d'autres cas, lorsqu'ils reconnaissent que la publication des noms risque d'avoir un effet contraire à l'objectif recherché, ils favorisent un recours restreint à la publication.

Je voudrais dire quelques mots au sujet de la représentation juridique. Notre système de justice pour les adolescents est relativement officiel. De nombreux cas sont réglés sans l'intervention des tribunaux, ce qui est normal, mais dans les cas sérieux qui sont renvoyés devant les tribunaux, les avocats jouent un rôle important. Tous les avocats n'ont pas reçu la formation voulue pour représenter les jeunes; toutefois, la plupart du temps, il y a des avocats compétents et compréhensifs qui savent comment fonctionne le système de justice pour les adolescents. Ces avocats travaillent souvent dans des cliniques d'aide juridique et s'occupent principalement de la représentation des jeunes. Ils peuvent leur expliquer le processus et s'assurer que le tribunal connaît leurs opinions ainsi que les ressources disponibles dans la collectivité.

Je crains que la nouvelle disposition qui permettra aux provinces de contraindre les parents à payer pour les services d'un avocat n'empêche les jeunes d'en bénéficier. On dira aux parents que si leur enfant est représenté par un avocat, ils devront payer ce service, et certains parents diront donc à leurs enfants de ne pas retenir les services d'un avocat. En conséquence, un grand nombre d'adolescents comparaîtront devant un tribunal sans bénéficier des services d'un avocat. Certains d'entre eux plaideront coupables même s'ils sont innocents. D'autres feront l'objet de décisions injustes.

Si l'on veut obliger les parents à assumer leur responsabilité, il vaut bien mieux leur dire que si leur enfant est reconnu coupable par un tribunal pour adolescents et mis en détention, ils devront en assumer les frais. Après tout, l'enfant ne vit pas chez lui où ses parents devraient assumer tous ses frais. Toutefois, il n'est pas normal de leur faire payer les services d'un avocat et, à bien des égards, cette disposition sera contre-productive.

M. Irwin J. Waller, professeur, Département de criminologie, Univesité d'Ottawa: Depuis sept ans, je dirige le Centre international pour la prévention de la criminalité de Montréal. Ce centre a été créé en vue de trouver les méthodes qui permettent de réduire la criminalité et la meilleure façon de les mettre en vigueur.

J'ai lu ce que la ministre a déclaré devant votre comité et je souscris à son objectif ambitieux pour ce qui est de la politique canadienne.

C'est une bonne chose de réduire la délinquance juvénile, de respecter les besoins des victimes et de limiter le recours à la détention, non pas pour en faire un dernier recours, mais pour utiliser cette sanction lorsqu'elle est la mieux adaptée à la situation. La sécurité est aussi importante pour les Canadiens que les soins de santé et d'éducation, et nous devons la prendre tout aussi au sérieux. Malheureusement, toutefois, le projet de loi sous sa forme actuelle, faute de s'accompagner d'une stratégie satisfaisante - car aucune stratégie visible n'est prévue - n'aura aucun effet sur la diminution de la criminalité. Il ne réduira pas la criminalité, ni parmi les criminels invétérés, les truands à la sauvette ou les criminels violents, et c'est un point qu'il importe de souligner. Je répondrai volontiers à vos questions à ce sujet. Le projet de loi à l'étude ne diminuera pas le nombre de personnes en détention. En fait, d'après ce que j'ai entendu aujourd'hui, il risque même d'accroître considérablement le nombre d'adolescents mis en détention.

En troisième lieu, s'il est mis en vigueur, ce projet de loi nous fera gaspiller à mauvais escient les maigres ressources humaines et financières dont le Canada dispose. Il est évident que ces ressources devraient être consacrées à la réduction de la délinquance juvénile et non à des mesures de pénalisation de la criminalité, comme le prévoit ce projet de loi.

Quatrièmement - cela n'est pas dans le mémoire, mais j'en ai préparé un autre pour le sénateur Wilson - je ne pense pas que le projet de loi sous sa forme actuelle sera conforme à toutes les dispositions de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, surtout en raison des sanctions présomptives et des questions qui ont été soulevées relativement à l'aide juridique et aux dispositions qui prévoient, par exemple, que les enfants soient considérés comme des délinquants dangereux dès l'âge de 14 ans. Je ne fais pas de comparaison avec la Loi sur les jeunes contrevenants. Je compare ce projet de loi à ce que devrait faire une société civilisée, ce qui est à la base de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant.

Il importe de replacer cette question dans son contexte. Nous suivons tous les nouvelles, je suppose, et nombre d'entre nous avons l'impression que la criminalité est à la baisse. Permettez-moi de vous rappeler qu'elle a augmenté de 200 p. 100 par rapport aux années 60 et 70. Les indicateurs relatifs à tous les délits de droit commun prévus dans ce projet de loi, à l'exception de l'homicide, sont plus élevés aujourd'hui au Canada qu'aux États-Unis. Il faut être réaliste. Je ne suis pas surpris que les Canadiens votent contre un gouvernement qui ne prend pas la criminalité au sérieux. Prendrons la criminalité au sérieux, cela ne veut pas dire appliquer la loi sur les contrevenants dangereux à des jeunes de 14 ans sans s'assurer qu'ils ont accès à l'aide juridique; prendre la criminalité au sérieux, c'est faire en sorte de mettre en place des mesures sérieuses qui ont fait leurs preuves pour réduire la criminalité.

Je ne suis pas en haut de ma tour ivoire en train de rêver au sujet des mesures novatrices que pourrait prendre le Canada. D'autres pays le font déjà. Il suffit de voir ce que le gouvernement britannique fait depuis cinq ans. Après avoir diminué de plus de 30 à 40 p. 100 le nombre de vols avec effraction - quelles qu'en soient les raisons, ces derniers ont effectivement diminué - le gouvernement britannique s'est présenté devant l'électorat en s'engageant à réduire d'encore 50 p. 100 le nombre d'entrées par effraction, et il a, selon moi, tous les éléments en main pour atteindre cet objectif. Les éléments de preuve sont disponibles sur l'Internet. Il suffit de prendre connaissance du rapport du ministre de la Santé, des rapports du ministère de l'Intérieur et de ceux du Centre international pour la prévention de la criminalité. L'information est complète et aucun de ces renseignements n'est pris en compte dans le projet de loi à l'étude. On n'y invite même pas les juges à recourir aux solutions les plus efficaces et les plus rentables. Rien ne les incite à le faire.

Je suis totalement d'accord avec le professeur Doob selon lequel, si l'on prévoit cette option, les gens vont s'en prévaloir. Nous savons que ce n'est pas le cas. Nous savons que lorsqu'on propose des mesures sévères, on les invoque plus souvent. Que se passe-t-il? Les gens n'observent pas la loi. Selon son propre témoignage, la non-observation de la réglementation constitue l'une des principales raisons pour lesquelles les gens sont condamnés à la détention au Canada. À l'alinéa 39b), vous n'avez pas observé la loi. Rien ne va changer. Nous verrons de plus en plus d'adolescents mis en détention pour des actes d'importance mineure. Inévitablement, un plus grand nombre de criminels invétérés pour lesquels il existe déjà des programmes efficaces seront mis en détention, ce qui, comme nous le savons, n'a aucun effet et constitue un gaspillage de deniers publics.

Pourquoi suis-je venu ici faire cette déclaration? Je fais certaines déclarations au sujet des détails du projet de loi. Je ne sais si vous pourrez en empêcher l'adoption. Je suppose que vous pouvez y apporter certaines modifications. Vous pourrez peut-être inclure la Convention des Nations Unies dans la déclaration de principes, pour que les avocats, lorsqu'ils auront compris comment la loi fonctionne, lorsqu'ils arriveront au niveau de la Cour suprême, puissent vraiment obliger celle-ci à tenir compte de la Convention des Nations Unies. Voilà qui constituerait un progrès.

Je conviens que l'expression «procédures extrajudiciaires» n'est pas vraiment la plus souhaitable. Toutefois, je suppose que ce projet de loi va être adopté. Il vous incombe de veiller, s'il est adopté, à ce qu'il s'accompagne de stratégies et de programmes dignes d'un pays développé et civilisé comme le nôtre.

Il y a deux choses simples que vous pourriez faire. Le Centre national de prévention de la criminalité relève actuellement du ministère de la justice. Il serait souhaitable qu'il devienne un organisme indépendant, doté d'un financement suffisant, au même niveau - pas le même niveau de financement que la GRC - mais au même niveau de responsabilité par rapport au gouvernement. C'est le seul organisme qui puisse logiquement garantir que les mesures que souhaite mettre en oeuvre la ministre de la Justice au Canada, grâce au projet de loi à l'étude, se concrétisent véritablement. Le centre pourrait collaborer avec les provinces et d'autres organismes pour faire en sorte que l'on ait recours aux méthodes les plus efficaces en vue d'empêcher les jeunes de devenir délinquants ou de continuer à récidiver.

En second lieu, il conviendrait d'accroître les ressources à la disposition du Centre de la statistique juridique. La ministre a déclaré au comité que le Canada condamne plus d'adolescents à la détention que les États-Unis ou un autre pays du monde occidental. Ce chiffre correspond au nombre de personnes qui sont condamnées à la détention; autrement, on n'en arriverait pas à ce taux. Il est impossible de faire des comparaisons entre les différents pays car ils n'appliquent pas tous les mêmes méthodes de déjudiciarisation, et cetera. Si l'on voulait tenir compte du nombre de personnes réellement détenues, on constaterait que le Canada ne fait pas exception au sein du monde occidental, et qu'il n'est certainement pas aussi excessif que les États-Unis. Le processus de renvoi devant un tribunal pour adultes est utilisé très fréquemment aux États-Unis, à raison de plus de 10 000 cas par an; toutes proportions gardées, il n'y en a même pas autant au Canada.

Il faut établir des statistiques pour nous permettre de gérer un système de justice dans le cadre d'une stratégie visant à réduire la délinquance juvénile. Il faut avoir facilement accès à tout renseignement concernant les diverses infractions commises par les adolescents, ou à des statistiques sur la consommation de drogues, ou autres. Ces statistiques doivent être recueillies tous les ans. Nous devons savoir dans quelle mesure les forces policières utilisent les propositions formulées ici, et dans quels cas elles ont fait usage ou non de leur pouvoir discrétionnaire. Nous devons savoir combien de personnes sont en détention, et nous devons surtout savoir combien d'entre elles récidivent?

À mon avis, il est futile de débattre de la question de savoir si le système québécois vaut mieux que celui de l'Ontario ou de la Grande-Bretagne, si nous ne disposons pas de renseignements suffisants sur la façon dont ces systèmes fonctionnent chez nous. Nous devons établir une base de statistiques pertinentes.

En outre, nous devons demander au gouvernement fédéral d'adopter une stratégie nationale sur la façon dont on va réduire la criminalité. C'est ce que souhaitent les Canadiens et ils veulent savoir quelle place ce projet de loi occupera dans cette stratégie, le cas échéant. La marge de manoeuvre est sans doute suffisante pour l'y adapter.

Nous devons fixer des objectifs. C'est ce qu'utilise un pays moderne et c'est pourquoi les électeurs ont élu le gouvernement Blair. Comme nous avons pu le constater, dans l'Ouest, la population n'a pas voté libéral. Elle a voté contre le gouvernement car il ne faisait rien pour lutter contre la criminalité. Le gouvernement pourrait faire quelque chose pour y remédier; toutefois, ce n'est pas en augmentant les sanctions ou en offrant des choix aux forces de police qu'on y parviendra. Il faut s'assurer que nous disposons de mesures rentables. Vous n'êtes pas obligés de me croire, pas plus que le ministre de la Santé des États-Unis ou le ministère de l'Intérieur de la Grande-Bretagne. Il faut qu'un groupe canadien nous fournisse des conseils sur les méthodes qui donnent des résultats, pour la gouverne des provinces, du gouvernement fédéral, du Sénat et de la Chambre des communes.

Nous devons commencer à modifier la culture parmi les forces de police, les écoles et le système de justice, pour que la diminution de la criminalité soit notre objectif premier. Je suis partisan de la défense des droits des contrevenants et des victimes. Il faut veiller à ce que la diminution de la criminalité soit le principal objectif. C'est ce que souhaitent les gens mais ne l'obtiennent pas actuellement dans notre pays.

Nous devons faire beaucoup plus sur le plan de la médiation. Comme vous le savez sans doute, le gouvernement français a créé 25 000 emplois de médiateurs du domaine social. C'est une façon de résoudre le problème du vol et du vol à l'étalage. De toute évidence, je conviens avec le professeur Doob que le vol à l'étalage ne devrait pas être jugé par un tribunal pour adolescents, mais il faut quand même prendre des mesures logiques en dehors du système judiciaire, et la médiation est l'une des options possibles.

Il faut créer dans notre pays une capacité de réduire la criminalité. Autrement dit, il faut aider les policiers, les enseignants et les parents à prendre des mesures qui contribueront à résoudre le problème. À mon avis, ce n'est pas parce que votre comité examine tout seul de son côté - et c'est bien là le problème - ce genre de projet de loi, qu'il faut dire pour autant que les écoles doivent réfléchir à la question. Les enfants ne partagent pas leur vie entre ce qui relève de l'école et ce qui relève du tribunal pour adolescents. C'est pourquoi certains élèves se font malmener ou intimider dans nos écoles.

Il vous sera peut-être intéressant de savoir que, au lendemain des incidents de Columbine, le procureur général du Colorado a recommandé des mesures semblables à ce qu'on a pu voir hier soir dans un documentaire présenté au réseau télévisé CBC au sujet des moyens à prendre pour diminuer la violence dans les écoles. Or, il n'en est question nulle part dans ce projet de loi.

Je pense en avoir dit suffisamment pour énoncer clairement ma position.

Le sénateur Cools: Non, non, continuez.

M. Waller: Vous trouverez d'autres arguments dans le reste du mémoire. Je vous communiquerai volontiers certains sites Internet où vous pourrez facilement consulter cette information. Je suis disposé à parler de certains programmes précis. Dans mon mémoire, j'ai joint un tableau indiquant les taux de réduction de la délinquance juvénile découlant de certains programmes. Je vous remercie.

La présidente: Il vous faudra peut-être également discuter du partage des pouvoirs au sein de notre Confédération très décentralisée et dans le cadre de notre Constitution.

Le sénateur Andreychuk: Je remercie la présidente de la remarque qu'elle vient de faire car c'est exactement la question que je voudrais aborder avec le professeur Waller. Vous avez dit que certains d'entre nous qui avons une longue expérience du système ont déclaré qu'il faut adopter une optique générale face aux besoins des enfants, au lieu de se contenter d'obliger ces derniers à rendre compte de leurs actes criminels.

Malheureusement, au Canada, depuis un certain nombre d'années, l'opinion publique semble croire que la loi peut modifier les comportements, et c'est pourquoi nous adoptons une loi concernant la justice pour les adolescents. Nous sommes passés de la Loi sur les délinquants juvéniles à la Loi sur les jeunes contrevenants et à une modification à cette dernière. Chaque fois qu'il y a eu un problème mettant en cause des enfants, nous nous sommes tournés vers la justice pour les jeunes. Je tiens à signaler que, selon vos remarques, nous devons réduire et prévenir la criminalité, adopter un modèle axé sur les enfants, mais que le recours judiciaire n'est pas la seule solution.

Je me suis heurté à deux problèmes. J'ai déjà parlé du premier, à savoir que nous semblons croire que si l'on modifie la loi, on pourra influer sur les comportements et faire disparaître le problème. Vous avez réfuté cet argument en expliquant le genre de stratégie globale qu'il nous faut adopter. Peu importe que je partage ou non votre avis quant à l'utilité d'une telle stratégie pour réduire la criminalité.

La question à laquelle vous n'avez pas répondu concerne le problème fédéral-provincial. Certains témoins nous ont dit qu'une bonne partie de ces mesures de réduction de la criminalité incombe aux provinces et qu'une bonne partie des ressources nécessaires pour mettre en oeuvre ce modèle doivent également venir des provinces. Nous utilisons le système judiciaire, le pouvoir fédéral, pour faire porter le chapeau aux provinces.

Je sais comment la ministre a organisé ces consultations. Le Comité de la Chambre des communes a étudié la question. A-t-on vraiment tenté de discuter avec les provinces pour s'attaquer véritablement à ce problème de façon très officielle? En tout cas, je n'en ai pas entendu parler et je suis sûre que le grand public et les journalistes sont dans le même cas que moi.

En d'autres termes, lorsque nous avons discuté de la pauvreté des enfants, nous avons éparpillé nos énergies. Lorsque le grand public a fini par faire pression sur les responsables fédéraux et provinciaux, une conférence fédérale-provinciale a été organisée et on a au moins déclenché un processus nous permettant de commencer à nous pencher sur le problème des enfants pauvres.

À mon avis, tant que les provinces n'examinent pas de concert avec le gouvernement fédéral la situation des jeunes aux prises avec la justice et la toxicomanie, nous tournerons en rond. Qu'en pensez-vous?

M. Waller: Si nous remontons aux années 70...

Le sénateur Andreychuk: Malheureusement, c'est mon cas. Le professeur Bala peut en témoigner.

M. Waller: J'ai eu l'honneur d'être directeur général de la recherche et des statistiques pour le solliciteur général à l'époque où la peine de mort a été abolie au Canada. À cette époque, il y avait des réunions fédérales-provinciales où l'on utilisait l'information, les preuves et les données disponibles. Malheureusement, depuis 20 ans, il y a eu une pénurie de renseignements. Le Centre de la statistique juridique dispose de données très restreintes et n'a même pas compilé de données sur la détermination de la peine pendant des années. Il n'a pas à sa disposition les systèmes de données que possèdent d'autres grands pays. Il ne fait pas d'enquête à intervalle régulier sur la situation des victimes. Il y a peu de temps que le Centre a entrepris cette enquête sur les enfants.

Il est impossible de discuter avec les provinces en vue de modifier le programme sans disposer d'éléments de preuve. Voilà le problème. Les discussions ne peuvent porter que sur ce que les avocats peuvent faire devant un tribunal et ensuite sur les dispositions qui autorisent les forces de police à user de leur pouvoir discrétionnaire, ce qu'elles ont déjà fait par le passé. Cela va alourdir la charge de travail des avocats, alors que nous devrions donner du travail à une catégorie toute différente de personnes, celles qui peuvent vraiment influer sur la délinquance juvénile.

La GRC emploie un tiers de tous les policiers du pays et dispose d'un gros budget. Les services correctionnels du Canada constituent un organisme important. Je sais qu'ils ne s'occupent malheureusement pas de nombreux adolescents, mais ils sont un intervenant important. Comment pouvons-nous influer sur la politique nationale en matière de santé si la santé est du ressort des provinces? Nous pouvons prendre toutes sortes de mesures pour influer sur la politique en matière de santé. S'agissant de la justice pour les jeunes, nous pouvons au niveau fédéral énoncer une vision sur la façon de réduire la délinquance juvénile, en nous fondant sur l'information dont nous disposons actuellement au Canada, sur la mine de renseignements provenant des Pays-Bas, de l'Angleterre et des États-Unis quant aux mesures qui donnent des résultats, et en examinant les modèles en vigueur dans d'autres pays.

La Grande-Bretagne n'est pas le seul pays à avoir réduit considérablement - beaucoup plus que les autres pays d'Europe - ses taux de crime graves au cours des cinq dernières années, mais la ville de New York a également réduit son taux de criminalité cinq fois plus que le taux national. La ville de Boston a également diminué la criminalité, puisqu'elle n'a pas connu un seul meurtre commis par un adolescent depuis trois ans. Fort Worth a réduit de 70 p. 100 ses taux de criminalité. Nous vivons dans un monde où les gens qui veulent vraiment réduire la criminalité ont réussi à le faire, et ils l'ont fait en se fixant des objectifs, en obligeant les responsables à rendre des comptes, et en persuadant tout le monde de le faire. Il n'y a pas de dictateur dans une ville américaine: il y a une collaboration entre les gens au niveau fédéral, de l'État et du comté.

Nous sommes tout à fait en mesure dans notre pays d'élaborer une vision sur la façon de réduire la criminalité, surtout parmi les adolescents. Nous pouvons convaincre les provinces la plupart du temps, voire dans tous les cas, de collaborer avec nous. Si la ministre déclarait: «J'aimerais discuter avec vous d'une stratégie qui nous permettra de réduire de 30 à 40 p. 100 les crimes les plus courants dans notre pays, en plus des diminutions que nous avons déjà connues», je pense que les provinces l'écouteraient. C'est une ambition très modeste pour notre pays, bien loin de ce qui s'est fait à New York ou en Angleterre.

La présidente: Nous avons pu obtenir l'opinion de certaines provinces et procureurs généraux, mais je suppose que l'Ontario ne partage pas votre avis à ce sujet.

M. Waller: Puis-je répondre à cela?

La présidente: Je crois que le professeur Doob souhaite répondre.

M. Doob: Je pensais que nous étions ici pour discuter du projet de loi concernant le système de justice pénale pour les adolescents. Je suis parfaitement d'accord avec le professeur Waller lorsqu'il dit que la prévention du crime est importante, mas ce qui est non moins important, c'est que les mesures qui seront prises pour prévenir la criminalité sortent de la portée du projet de loi à l'étude. Que nous appliquions la Loi sur la justice pénale pour les adolescents, la Loi sur les jeunes contrevenants, la Loi sur les délinquants juvéniles, ou que le Code criminel s'applique à tous, l'important c'est la façon dont nous traitons les enfants et dont nous les considérons, mais cela n'a pas grand-chose à voir avec la façon dont nous réduirons la criminalité.

M. Waller: Si vous présentez ce projet de loi au gouvernement de l'Ontario, vous obtiendrez la réponse à laquelle vous vous attendez. Si vous présentez certains faits au gouvernement, avec certaines preuves quant à ce qui donne des résultats, et si vous dites: «Ne faudrait-il pas mettre en place davantage de mesures comme celles-là? Elles ont fait leurs preuves. Voyez ce qui s'est passé à New York. Voyez ce qui se passe en Angleterre et ce que fait la France», le gouvernement réagirait sans doute différemment. Sinon, et si vous présentez aux gens des faits concrets quant aux mesures qui fonctionnent - et je ne parle pas dans le vide - ils vous appuieront. Il suffit de voir le projet 36 en Californie. C'est la mesure qui a fait sortir les toxicomanes de prison pour les réintégrer dans la collectivité. Le gouvernement a réussi à faire accepter cette mesure aux Américains qui sont bien connus pour leur propension à bâtir des prisons et à y incarcérer les gens. Les Californiens ont accepté cette mesure parce qu'on leur a prouvé qu'elle était rentable; 61 p. 100 d'entre eux ont voté pour le projet 36. Je pense que 75 p. 100 des Ontariens seraient pour. Les électeurs britanniques ont voté en faveur d'une reddition de comptes qui a pour effet de réduire la criminalité et qui prévoit certaines sanctions dans le contexte des tribunaux pour adolescents, mais également tout un réseau parallèle et divers autres moyens de s'attaquer au problème de la criminalité.

Le sénateur Andreychuk: Je crois que nous étions tous deux à la même table il y a longtemps lorsque la Loi sur les jeunes contrevenants a été présentée. À cette époque, on nous avait dit qu'il ne fallait pas recourir à la détention, que c'était une mesure de dernier recours, et que nous aurions des mesures de rechange dès le départ. En tant que juge, je l'ai cru à l'époque. Je croyais sincèrement que nous allions entrer dans une ère nouvelle. Je voyais que c'était un système beaucoup plus criminalisé, ce qui me semblait bon pour le respect des droits de l'enfant, mais je savais qu'il aurait la structure d'un tribunal pour adultes. Toutefois, je croyais ce qu'on me disait, soit que nous disposerions des ressources d'entrée de jeu.

J'ai eu à faire à des directeurs de services sociaux qui me disaient: «Il n'y a pas d'argent». Nous avons alors commencé à nous servir de notre imagination pour interpréter les notions de garde en milieu ouvert et en milieu fermé. Pour nous, cette dernière signifiait renvoyer le jeune chez ses parents, qui nous téléphonaient parce que par manque de ressources, l'enfant récidivait. J'aurais pu dire: «Je sais qu'il va récidiver; toutefois, je ne veux pas qu'on me le ramène pour manquement aux conditions de probation parce que je vais simplement prolonger sa période de probation». En somme, je n'avais pas d'autres moyens.

Les services sociaux et moi faisions preuve d'imagination dans l'interprétation de certains modèles de garde. Je nous vois dans ce projet de loi aucun changement par rapport à cela, si ce n'est plus d'avertissements aux juges et aux services sociaux et plus de promesses de la part du gouvernement qu'il y aura de l'argent pour appliquer ces mesures de rechange.

Ce que nous avons entendu dire, c'est que les mesures de rechange qui ont donné des meilleurs résultats sont attribuables à ce que j'appelle le niveau du désespoir, et émanent de la communauté autochtone qui a mis en place des cercles de détermination de la peine, des policiers qui ont des programmes communautaires et des juges qui se sont engagés. Je ne vois pas comment cette mesure changera les choses si nous n'avons pas soit une stratégie totalement différente ou tout au moins des fonds à mettre entre les mains des provinces. Même 200 millions de dollars ne suffiront pas s'ils sont répartis dans tout le pays sur une période de cinq ans.

Voilà, j'ai dit ce que j'avais à dire et maintenant je me sens mieux.

M. Bala: Il y a beaucoup de vrai dans ce que vous venez de dire, comme dans vos interventions antérieures sur la réalité à laquelle le Canada doit faire face en ce qui concerne le partage des compétences entre le gouvernement fédéral et les provinces quant au rôle législatif par rapport au pouvoir de dépenser. M. Waller a soulevé une foule de très bonnes questions. À mes yeux, toutefois, ce ne sont pas des questions qu'on peut régler par ce type de mesure législative. En examinant ce projet de loi, ce qu'il faudrait se demander ce n'est pas si cela constitue une solution au problème de la criminalité chez les jeunes dans notre pays, même si l'on améliore ainsi la sécurité de la société? Un bon nombre des facteurs dont a parlé M. Waller, dont certains interviennent au niveau prénatal et se poursuivent à l'étape de la garderie, à l'école et plus tard encore, ne concernent pas à mon sens le système de justice pénale pour les adolescents. Ils ont trait au moyen d'améliorer la sécurité pour la société. Quand on examine ce projet de loi, la question à se poser est celle-ci: Permet-il mieux que la loi actuelle de s'occuper des jeunes qui ont à faire à la police et aux tribunaux? À toutes fins utiles, est-il à ce point meilleur qu'il justifie l'énergie et les ressources nécessaires pour le mettre en oeuvre? À mon avis, oui.

Dans la Partie I du projet de loi, le gouvernement fédéral promet 200 millions de dollars pour contribuer à sa mise en oeuvre. Cela m'apparaît un élément important. Il y a lieu de se demander ce que nous faisons à partir de là, et vous devrez demander à la ministre et à ses hauts fonctionnaires s'ils vont retirer cet argent, une fois le projet de loi mis en oeuvre, s'il est adopté. Le projet de loi contient des messages importants pour la police, les agents de probation, les collectivités et les juges quant aux mesures et à l'orientation qu'ils devraient prendre. Le projet de loi couvre-t-il tout à lui tout seul? Absolument pas, mais je pense qu'il contient d'importantes orientations.

Le sénateur Andreychuk: Je veux dire que les policiers, les juges et les travailleurs sociaux comprennent les messages que contient la loi. Ils n'y ont pas donné suite, faute de moyens. Je ne pense pas que ce soit des gens qui veulent condamner les jeunes ni les voir dans le système de justice pénale.

Ils espèrent plutôt pouvoir avoir accès à une ressource si le jeune délinquant comparaît devant un tribunal. Les juges espèrent pouvoir obtenir des ressources si on met les jeunes contrevenants sous garde. C'est le désespoir qui a donné le jour à la Loi sur les jeunes contrevenants. Que changera ce projet de loi? Les avertissements? Ils ont tiré les enseignements de ces leçons.

M. Bala: Je ne pense pas qu'il n'y ait que les avertissements. Certains estiment qu'il s'agit d'un message d'Ottawa qui dit aux administrateurs du système de justice qu'ils ont tout bousillé et Ottawa va les sauver. En fait, les gens sur le terrain disent: «C'est vous qui avez causé tout ce gâchis et maintenant vous nous compliquez encore la tâche».

Je pense qu'il y a là des signaux importants. Certes, chez moi, en Ontario, je m'occupe d'un programme de mesures de rechange. À Kingston, l'un des problèmes auquel nous nous heurtons, c'est que les règles du gouvernement provincial définissant les cas auxquels nous pouvons appliquer des mesures de rechange sont si strictes que relativement peu de cas en bénéficient. Nous pourrions traiter une gamme beaucoup plus étendue de cas.

Je mentionne dans mon mémoire qu'il vaudrait mieux que le gouvernement fédéral tienne tête à la province et dise: «Voici la liste des infractions qui doivent donner lieu à des mesures de rechange dans certaines circonstances». Ce n'est pas ce que fait ce projet de loi. À mon avis, ce serait souhaitable, et je le dis d'ailleurs dans mon mémoire.

J'ai l'impression, étant donné la conjoncture politique et constitutionnelle, que le gouvernement fédéral n'a pas l'intention de pousser les provinces aussi loin. Il le devrait peut-être.

M. Hackler: Je reconnais avec M. Bala qu'il faut utiliser la loi de façon constructive. Je ne pense pas qu'on en ait ici un exemple. Je ne sais pas vraiment comment il faut s'y prendre. J'ai pu constater qu'on faisait preuve d'une extraordinaire souplesse dans les diverses petites cours que j'ai visitées, où on fait preuve de beaucoup d'imagination. Une des suggestions que j'ai faites en Colombie-Britannique consistait à accorder aux juges une petite caisse noire de 5 000 $ et à leur demander de rendre compte de son utilisation après coup. On pourrait l'inscrire dans la loi. Dans un cas, par exemple, un jeune devait faire l'objet d'une évaluation dans le sud de la Colombie-Britannique. Il venait du nord de la province. Cela aurait coûté des centaines de dollars pour que le jeune vienne subir son évaluation. La voiture cellulaire n'était pas une bonne solution de rechange. Sa grand-mère aurait pu l'amener en voiture, si le juge avait pu lui verser 200 $.

Je propose que tous les juges disposent d'une petite caisse et qu'ils rendent compte de son utilisation à la fin de l'exercice. Un bon nombre d'entre eux sont innovateurs et ont beaucoup d'imagination. Ils dépendent de réseaux locaux et d'autres institutions. Comment inclure dans la loi une disposition qui donne une marge de manoeuvre aux juges? Je constate d'excellents exemples du bon travail qui se fait, surtout dans les petites localités.

M. Bala: Il est bien certain que si M. Hackler veut dire qu'on doit faire confiance aux juges d'abord et aux gouvernements provinciaux ensuite, pour ma part je ferais confiance aux juges des tribunaux pour adolescents qui travaillent avec ces derniers avant de faire confiance au premier ministre de l'Ontario pour ces questions.

Le sénateur Andreychuk: Il a démissionné; vous n'avez plus à lui faire confiance.

M. Doob: On peut se demander jusqu'où le gouvernement fédéral est prêt à aller. Normalement, si 102 000 cas aboutissent devant des tribunaux pour adolescents chaque année et qu'un examen de ces cas indique que de 30 000 à 50 000 ne devraient pas y aboutir, alors la déjudiciarisation d'un grand nombre de cas libérerait des ressources. Il faut donc s'y mettre.

Comment le projet de loi permet-il de le faire? Pour répondre à cette question, j'aimerais vous présenter deux exemples. Le premier, c'est que, comme on l'a signalé, cela n'entraîne aucune conséquence. Selon le paragraphe 6(1):

L'agent de police détermine s'il est préférable [...] plutôt que d'engager des poursuites [...] de ne prendre aucune mesure [...]

Si un agent de police ne donne pas d'avertissement à un jeune, le juge va réprimander l'agent de police et lui dire que l'affaire n'avait pas à aboutir devant la cour pour commencer.

Je me suis entretenu avec des services de police. Ils trouvent très intéressant le fait d'avoir maintenant cette exigence. Ils y tiennent, en affirmant: «La loi dit que c'est l'agent de police le détermine, par conséquent nous déterminons. Et nous avons intérêt à mettre en place des structures qui nous permettent de le faire efficacement.» Les agents de police pensent effectivement qu'un bon nombre des affaires qu'ils soumettent à la cour ne devraient pas y aboutir. Le paragraphe 6(1) dicte aux agents de police ce qu'ils doivent faire et constitue pour eux non seulement une obligation mais une autorisation face à leurs maîtres politiques de dire que la loi est maintenant rédigée dans ce but.

Pour ce qui est de l'administration de la loi, l'alinéa 4d) dispose que la présente loi n'a pas pour effet d'empêcher qu'on ait recours à des mesures extrajudiciaires à l'égard d'adolescents qui en ont déjà fait l'objet ou qui ont déjà été déclarés coupables d'une infraction. Bien que rien ne l'interdise, cela ne signifie pas qu'il faille y recourir. Par ailleurs, il existe divers règlements, M. Bala l'a mentionné, qui en Ontario l'interdisent. Par ce projet de loi, le gouvernement fédéral dit maintenant aux agents de police et à d'autres: «Écoutez, il y a des choses que vous pouvez faire. Ce n'est pas parce que vous avez déjà vu ce jeune ici que vous ne pouvez pas recourir à ces mesures.» La question n'est pas de savoir si c'est parfait, mais si c'est mieux. La réponse à cela est bien claire.

M. Bala: Si vous cherchez des suggestions précises concernant les mesures extrajudiciaires, le paragraphe 6(2) dispose qu'un juge ne peut pas renverser la décision de l'agent de police de ne pas recourir à des mesures extrajudiciaires à l'égard d'un adolescent non plus que de recourir dans son cas à des mesures extrajudiciaires. On pourrait amender cette disposition de manière que si le juge estime qu'un cas aurait dû faire l'objet de mesures extrajudiciaires, il peut intervenir en ce sens. Certains juges interprètent la Loi sur les jeunes contrevenants de cette façon et ont dit qu'il y avait et qu'il y a encore des cas qui aboutissent à tort devant la cour et où les juges disent: «Nous avons le pouvoir de demander un réexamen de l'affaire.»

Ces jugements ont été renversés par la Cour suprême du Canada en raison de la façon dont est rédigée la Loi sur les jeunes contrevenants. On pourrait dire que les juges ont bel et bien le pouvoir d'examiner les cas. Ce serait une affirmation beaucoup plus solide que ce que dispose la loi actuelle.

Le sénateur Nolin: Monsieur Doob, M. Charbonneau nous a dit de façon assez convaincante que le paragraphe 6(1), que vous venez tout juste de mentionner, va probablement anéantir d'ici 10 ans les divers programmes que le Québec a mis en place. Qu'en pensez-vous?

M. Doob: Je ne vois pas du tout comment un programme conçu pour que les jeunes contrevenants n'aient pas affaire à la cour puisse être miné par cette disposition. Cela semble bien clair, à l'article 4, qui traite des principes et des objectifs, à l'article 5, qui traite des résultats escomptés et à l'article 6, où l'on présente les choix possibles.

L'idée que quelque chose va de quelque manière empêcher le recours à des mesures extrajudiciaires est difficile à saisir. Pour moi cette disposition signifie que les agents de police sont censés déterminer s'ils ne vont prendre aucune mesure ou s'ils vont recourir à un groupe communautaire, à un programme, à une agence de la collectivité ou à autre chose. L'idée que le Québec va de quelque manière être contraint de faire appel au système officiel est difficile à comprendre.

Le sénateur Nolin: Travaillez-vous pour le ministère de la Justice?

M. Doob: Non, monsieur.

Le sénateur Nolin: Avez-vous travaillé au ministère de la Justice pour l'étude du projet de loi C-68 ou du projet de loi C-63?

M. Doob: J'ai à l'occasion agi à titre de conseiller de mai 1998 à mars 1999.

Le sénateur Grafstein: Je suis un peu confus en ce qui concerne les articles 4, 5 et le paragraphe 6(1). D'après ce que j'ai vu dernièrement, ayant précisément posé ces questions, la police, la Couronne et les juges prennent effectivement ce genre de mesures aujourd'hui. Une accusation est portée, on écoute et puis normalement ce qu'on fait, pour agir de façon extrajudiciaire, c'est de laisser tomber l'accusation et de recourir à une mesure extrajudiciaire. Celle qu'on emploie souvent, qui est très efficace, c'est le cautionnement. La cour peut dire à quelqu'un qu'on renoncera à porter des accusations dans la mesure où l'enfant est tenu de respecter un engagement, un contrat ou une entente.

Je ne comprends pas pourquoi vous dites que le système actuel empêche la prise de mesures extrajudiciaires innovatrices. Ce qu'on fait, c'est établir un régime législatif, selon la police, qui les oblige à prendre diverses mesures coûteuses et complexes, alors qu'auparavant elle avait le pouvoir de s'en occuper. C'est ce que nous a dit un agent de l'Association des policiers. Les policiers ont ajouté en outre que cela réduisait l'efficacité des aveux parce que maintenant ils sont tenus de lire à l'adolescent ou à l'adolescente la liste de ses droits qui peut s'étendre sur 12 pages et plus. Si l'on criminalise le processus préliminaire, l'efficacité du recours à des mesures extrajudiciaires par la police, la Couronne et les juges est réduite d'autant.

C'est ressorti du témoignage que nous avons entendu. Vos observations me laissent un peu perplexe, messieurs Doob et Bala.

M. Hackler: Je consacre la plus grande partie de ma vie professionnelle à surveiller ce que font les juges plutôt qu'à surveiller ce que dispose la loi. Je pense que le plus grand obstacle, ce sont les options. Tout le monde est sur la brèche et cherche des options. Si les juges ont de bonnes options, et ils en trouvent à toutes sortes d'endroits, ils s'en servent.

Comment peut-on réduire le nombre de cas dont on doit s'occuper? Le tiers environ de nos cas aboutissent à la cour pour des raisons administratives. Les gens sont en détention pour des raisons administratives. En France, c'est impossible. Si vous ne vous pliez pas aux souhaits du juge, ce n'est pas un crime. Il faut faire plus que ça pour commettre un crime. J'ai demandé à des juges français comment ils réagissaient quand les enfants ne faisaient pas ce qu'ils leur disaient de faire. Les juges ont répondu que peut-être que leurs idées n'étaient pas si bonnes que cela après tout. C'est une attitude tout à fait différente.

Nos juges n'aiment peut-être pas beaucoup cela, mais les juges sont des gens convaincants. Ils peuvent convaincre les enfants de beaucoup de choses. Les juges français usent de leur pouvoir de persuasion et recourent rarement à la loi telle quelle. Pour réduire le nombre de jeunes détenus, on pourrait retirer le pouvoir de criminaliser des décisions administratives. Cependant, je ne pense pas qu'on le fera.

Le sénateur Grafstein: Monsieur Hackler, j'essaie de voir ce qu'il en est de la loi. Je comprends les modèles français et les autres modèles européens. Nous avons recueilli des témoignages secondaires et tertiaires à ce sujet. Toutefois, nous essayons de comprendre le modèle que nous soumet le gouvernement. Que pensez-vous de ce modèle?

M. Hackler: Je vous dis ceci: Pourriez-vous modifier la loi pour que les jeunes ne puissent être condamnés à la détention pour n'avoir pas respecté des règles administratives?

M. Bala: Le principe consiste à s'occuper hors cour de jeunes qui ont commis des délits mineurs. On peut débattre de la question de savoir ce qu'est un délit mineur, mais on pourrait certainement y inclure des choses comme les voies de fait dans les cours d'école. Pendant longtemps, sans la moindre loi, nous traitions un bon nombre de ces cas hors cour. La Loi sur les jeunes délinquants ne contenait pas de disposition à ce sujet. La Loi sur les jeunes contrevenants visait à maintenir et à encourager cette pratique. Comme l'a dit M. Waller, l'article 4 de la Loi sur les jeunes contrevenants a eu pour effet, dans certains contextes, surtout au début, d'élargir le filet, si bien que des cas qui dans le passé étaient traités hors cour ont fait l'objet de mesures de rechange, et de nouveaux cas dont les cours avaient été saisies ont été renvoyés ailleurs.

Les articles 4 à 11 du projet de loi sur le système de justice pénale pour les adolescents visent à faire en sorte que certains des cas qui aboutissent maintenant devant les tribunaux soient traités de façon moins formelle, plus expéditive, par le recours à des options plus communautaires. Ces méthodes sont souvent très efficaces et relativement rapides.

Le sénateur Grafstein: Je suis d'accord sur tout ce que vous dites, mais là n'est pas la question. La question c'est: Est-ce que cette loi ne va pas affaiblir la pratique actuelle qui consiste à donner le plus grand pouvoir discrétionnaire possible aux trois ordres d'intervenants et créer un processus réglementaire qui privera les tribunaux, la police et les travailleurs sociaux du pouvoir discrétionnaire qu'ils ont de recourir à des mesures qui visent d'abord à aider l'enfant?

M. Bala: Avant les audiences à la cour, ça n'empêchera certainement rien du tout. Cette mesure législative est plus généreuse que la loi actuelle en ce qui concerne les recours à des mesures extrajudiciaires avant les audiences devant la cour. Par ailleurs, le problème tient au fait que tout est théorique, d'une certaine manière, et discrétionnaire. De nombreux corps policiers veulent effectivement faire davantage appel aux agents de police dans la rue, et de nombreux chefs de police en reconnaissent l'avantage. Cependant, dans certaines provinces, surtout en Ontario, le gouvernement s'est donné une politique qui fait que dans de nombreux cas où la police souhaiterait recourir à des mesures extrajudiciaires avant toute audience devant la cour, elle ne peut pas le faire, et si elle le fait et qu'il se pose des problèmes, elle devra en répondre.

M. Doob: Comme l'a dit M. Bala, l'important c'est que les agents de police puissent continuer de faire ce qu'ils font maintenant. On leur présente un ensemble de possibilités. Certaines sont plus formelles, mais ils peuvent encore faire exactement ce qu'ils faisaient auparavant. On leur donne encore plus de justification juridique de le faire. Quand ils comprennent, comme ils l'ont fait, qu'ils doivent déterminer ce qu'il est préférable de faire, ils disent qu'ils vont le déterminer.

À l'heure actuelle, si un agent de police, après avoir conclu une entente, renvoie simplement chez lui un délinquant mineur qui a déjà été reconnu coupable d'un délit, cela pourrait paraître inconvenant. Ce projet de loi rassure l'agent de police en lui indiquant qu'il peut effectivement agir ainsi même si le jeune contrevenant a déjà été reconnu coupable d'une infraction. Ce n'est peut-être pas une assurance aussi formelle que certains d'entre nous le souhaiteraient. L'essentiel est de savoir si c'est pire qu'avant. Je ne pense pas du tout qu'il y aura davantage de cas. J'ai assez confiance que certains des nouveaux cas seront traités hors cour grâce aux diverses nouvelles options. Il y en a effectivement d'autres.

Le sénateur Grafstein: Monsieur Doob, l'article 61 me préoccupe d'un point de vue constitutionnel et vous vous en inquiétez sérieusement du point de vue administratif. L'article 61 permet au lieutenant-gouverneur en conseil de fixer un âge de plus de 14 mais d'au plus 16 ans pour l'application des dispositions relatives aux infractions désignées.

M. Doob: Je m'oppose dans tous les cas à l'assujettissement à la peine applicable aux adultes.

Le sénateur Grafstein: Vous le dites avec encore plus de fermeté dans votre mémoire. Vous dites que la disposition sur l'assujettissement à la peine applicable aux adultes est inutile et fait fi des principes.

M. Doob: Oui. Je pense que c'est faire fi des principes parce qu'il me semble que ce n'est pas parce qu'un jeune a déjà commis un délit grave pour lequel il a été reconnu coupable qu'il doive être assujetti à la peine applicable aux adultes. Du reste, les peines applicables aux adultes existent depuis 1908 et manifestement depuis plus longtemps encore puisqu'il n'y avait pas auparavant de loi spéciale visant les jeunes. Nous avons toujours eu la possibilité de traiter les jeunes comme des adultes.

Contrairement à M. Bala, j'aime bien cette condition qui fait qu'une sentence applicable aux adultes ne puisse être prononcée que lorsqu'une sentence applicable aux jeunes ne serait pas suffisamment longue. C'est ce principe qui prévaut.

Pour revenir à ce que vous disiez, je trouve que l'idée que quelqu'un soit assujetti à une peine applicable aux adultes...

Le sénateur Grafstein: C'est ce que dispose cet article du projet de loi.

M. Doob: Je le sais, et je m'y opposais aussi en 1995-1996.

Le sénateur Grafstein: Bienvenue dans le camp des minoritaires.

M. Doob: Je pense que c'est une mauvaise disposition. Comme je l'ai dit, une loi aussi complexe ne sera jamais acceptée par tous. La raison pour laquelle cette disposition ne m'incite pas à croire qu'il faudrait renoncer à tout le projet de loi, c'est que cela aura un impact relativement mineur.

Le sénateur Grafstein: Votre témoignage est bien clair. Il y a dans ce projet de loi des parties que vous aimez beaucoup, d'autres que vous n'aimez pas beaucoup, mais dans l'ensemble le projet de loi vous plaît assez. Je comprends cela. J'essaie de me concentrer sur un ou deux éléments qui me semblent non seulement contraire à la Constitution mais qui, comme vous le dites, font fi de certains principes. Vous l'avez dit encore mieux que moi.

Est-ce que les trois autres témoins partagent les inquiétudes de M. Doob au sujet de cette disposition?

M. Bala: Oui, et on peut prévoir qu'il y aura des contestations relatives à la Charte des droits. En interprétant la Loi sur les jeunes contrevenants et la Charte, jusqu'à maintenant les tribunaux ont jugé que dans un régime fédéral, il peut y avoir des variations entre les provinces.

Le sénateur Grafstein: Non, c'est ce que nous ont dit des hauts fonctionnaires. Ce n'est pas ce qui est dit dans les arrêts.

M. Bala: Le sénateur Beaudoin s'y connaît certainement mieux que moi, mais nous avons eu des cas portant spécifiquement sur l'article 4 de la Loi sur les jeunes contrevenants et où les tribunaux ont dit que dans un régime fédéral, le fait de donner à certaines provinces des pouvoirs pour administrer la justice autrement que dans les autres provinces était acceptable et n'allait pas à l'encontre de l'article 15.

Or, à mon avis, l'article 61 va au-delà de ce qui existe maintenant et s'avérera certainement plus problématique et va à tout le moins certainement susciter des contestations en vertu de la Charte et, dans ce contexte, les auteurs des contestations pourraient bien l'emporter.

Le sénateur Grafstein: Permettez-moi de résumer pour gagner du temps. Je crois qu'il y a une contestation judiciaire en vertu de la Charte, et je crois aussi qu'il y a une contestation en vertu des articles 91 et 92, ce qui est différent de ce que disent les hauts fonctionnaires, parce que bien que l'administration de la justice puisse varier, les principes de justice pénale ne peuvent pas eux varier selon les régions.

Le vice-président: C'est une excellente discussion. Pour l'instant il n'y a que deux cas devant la Cour suprême.

Le sénateur Grafstein: J'ai le devoir, monsieur le président, de voir si je peux cerner ces cas. Cela dit, je ne demande pas d'avis constitutionnels puisque les témoins ne prétendent pas être des constitutionnalistes. J'essaie de voir si on peut s'entendre ou non sur la politique sous-jacente, d'un point de vue canadien, qui consiste à réduire l'âge, selon le pouvoir discrétionnaire du lieutenant-gouverneur en conseil de chaque province, pour qu'il passe de 16 à 14 ans, comme on nous l'a dit, donc de savoir si cela améliorerait le système de justice pénale pour les jeunes. C'est ce qu'on nous a dit. C'est l'argument invoqué.

M. Hackler: Sénateur, nous sommes d'accord sur beaucoup de choses. Je ne vois aucun avantage à réduire cet âge à 14 ans.

Le sénateur Grafstein: Ni à donner un pouvoir discrétionnaire aux lieutenants-gouverneurs?

M. Hackler: Aucun avantage.

M. Waller: Je partage vos inquiétudes comme celles des autres professeurs. Le meilleur moyen de corriger cette mesure législative, c'est de s'en tenir à ce que la ministre de la Justice a dit devant le comité, et qui se trouve et dans le préambule et dans les principes.

Le sénateur Grafstein: Ce n'est pas là la question que je pose.

M. Waller: Si vous le permettez, il ne s'agit pas ici d'opinions individuelles sur des questions de principe. Le Canada a ratifié la Convention des Nations Unies sur les droits de l'enfant, alors il faut s'assurer que le projet de loi y est conforme. Je pense que beaucoup des problèmes que pose cette mesure législative, notamment ceux que vous avez mentionnés, peuvent être réglés en précisant dans la rubrique des principes qu'elle doit être conforme à la Convention des Nations Unies, puis en permettant aux avocats de mener des contestations jusqu'à la Cour suprême. Nous verrons alors si ces dispositions sont acceptables étant donné les variations entre les provinces.

Le sénateur Grafstein: Permettez-moi de me répéter. Je ne vous demande pas si cette disposition est conforme à la Convention des Nations Unies, ou aux normes de la Charte, ou encore si elle porte sur les pouvoirs fédéraux en matière pénale. Telle n'est pas ma question, et d'ailleurs tels ne sont pas les motifs invoqués par la ministre pour insérer cet article dans la loi. La ministre affirme que la disposition améliorera le système de justice pénale pour les adolescents, en réduisant l'âge pour certaines infractions de 16 à 14 ans, tel qu'indiqué à l'article 1, et en déléguant le pouvoir relatif à cette question à chacun des lieutenants-gouverneurs. Voilà ce qu'elle dit. Lorsqu'elle reviendra, elle contestera peut-être mon interprétation, mais je la maintiens.

La question que je vous pose, à vous qui êtes criminologues et sociologues, est donc la suivante: Est-ce une bonne chose?

M. Bala: Pour ma part, ce qui me préoccupe dans le libellé actuel de la disposition, c'est qu'il permet aux provinces de faire passer l'âge de 14 ans à 16 ans dans le cas d'une infraction désignée. Je crois d'ailleurs savoir qu'au Québec, on envisage de le faire. Si toutefois on modifiait le libellé de l'article, je ne voudrais pas que chacune des provinces soit obligée de s'en tenir à un âge seuil de 14 ans sans le moindre recours. Il me paraît préférable de conserver le seuil actuel de 16 ans pour les infractions désignées plutôt que celui de 14 ans proposé dans le projet de loi.

Le sénateur Grafstein: S'il vous plaît, essayez de me donner une réponse précise. Je ne tiens pas à faire moi-même un exposé ici à votre place, ni à vous poser des questions tendancieuses. Ma question est la suivante: cette disposition améliore-t-elle ou non le système de justice pénale pour les adolescents? Il y aura une variation et à cause de cela, certains nous ont fait part de leurs inquiétudes. Telle est ma question.

Si je me reporte à vos observations, professeur Doob, d'après lesquelles cette disposition est inutile et fait fi des principes, j'en conclus que d'après vous elle n'améliorera en rien le système de justice.

M. Doob: À mon avis, les infractions désignées n'améliorent en rien le système de justice.

Le sénateur Grafstein: C'est la question que je vous pose à vous aussi, professeur Waller.

M. Waller: Je pense effectivement que cet article n'améliore rien. Ici ce n'est pas un avis personnel que je vous donne mais bien professionnel et fondé sur la Convention des Nations Unis relative aux droits de l'enfant, qui est d'ailleurs la norme que nous devrions utiliser.

M. Hackler: En Europe, on estime qu'il n'est pas vraiment efficace de transférer les adolescents devant les tribunaux pour adultes. Un juge de tribunal pour adultes n'a aucune préséance sur un juge de tribunal pour adolescents. En Allemagne, les jeunes de 20 ans ne sont pas traités de la même façon que ceux de 22 ans. Nous n'avons découvert aucun avantage au transfert de ce genre de cause devant les tribunaux pour adultes.

Le vice-président: Êtes-vous du même avis, professeur Bala?

M. Bala: Dans presque tous les pays au monde dotés d'un système de justice pour les jeunes, on dispose d'un mécanisme quelconque conçu expressément pour traiter les cas les plus graves, et ces dispositions varient et ne sont pas toujours définies de la même façon. Dans notre pays, de jeunes de 17 ans commettent parfois des meurtres atroces et semblent n'avoir que de très faibles possibilités de réinsertion sociale; dans de tels cas, une peine de 10 ans selon le régime pour jeunes contrevenants ne convient pas. En conséquence, lorsqu'on demande si le projet de loi va améliorer l'administration de la justice, il faut garder à l'esprit le contexte de l'article 61 dans l'ensemble du projet de loi. À certains égards, le projet de loi prévoit des mécanismes supérieurs de mise en oeuvre dans le cas des peines prononcées devant le tribunal pour adultes, de meilleures soupapes de sûreté que la loi actuelle, en se fondant sur un modèle d'intervention postérieure au jugement et au prononcé de la sentence. C'est une amélioration par rapport au modèle actuel, en vertu duquel le transfert devant les tribunaux pour adultes précède le jugement. Cela retarde le processus et exige du juge qu'il se prononce sans connaître tous les faits, et il est inefficace et injuste. Par conséquent, ce qui est proposé est à certains égards une amélioration. Cela dit, l'abaissement de l'âge dans le cas des infractions désignées demeure problématique.

Le sénateur Joyal: Monsieur Bala, vous avez parlé d'une variation d'une province à l'autre dans l'âge seuil, qui risque d'exacerber les différences et pourrait mener à des contestations en vertu de la Charte. Pouvez-vous vous expliquer là-dessus.

M. Bala: Ainsi que le précisait le sénateur Beaudoin, dans certains arrêts de la Cour suprême du Canada traitant surtout de jeunes contrevenants, les provinces peuvent administrer la justice d'une manière qui crée des variations. Le problème que présente l'article 61 ne tient pas seulement au fait qu'il y a variation dans l'administration de la justice mais aussi qu'un adolescent jugé au Québec, où on va choisir l'âge seuil de 16 ans, ne sera peut-être pas transféré devant un tribunal pour adultes. En revanche, en Ontario, un jeune ayant commis le même délit dans les mêmes circonstances le sera et recevra donc une peine d'adulte.

Il s'agit donc des dispositions portant le plus à conséquence dans le projet de loi. Ici, il est intéressant de noter que dans les causes où la Cour suprême a accepté certaines variations provinciales dans l'administration de la justice, c'était toujours par rapport à des infractions moins graves. Il est question ici de la mesure la plus grave qu'on peut prendre à l'égard d'un jeune de moins de 18 ans. Le projet de loi donne énormément de latitude aux gouvernements territoriaux et provinciaux en matière d'administration de la justice, c'est-à-dire qu'il permet des variations selon les provinces. Cela prêtera le flan à l'argument voulant qu'il y ait discrimination fondée sur la géographie d'une province à l'autre. Cela ouvrira ensuite la porte à des contestations fondées sur l'article 15 de la Charte, vraisemblablement de la part des provinces qui auront adopté l'âge seuil plus élevé. Les contrevenants demanderont pourquoi ils sont traités différemment de ceux vivant dans les provinces où l'âge seuil est plus bas.

Le vice-président: Les deux causes que j'ai mentionnées sont Furtney et Sheldon S. Il se peut qu'elles fassent l'objet de contestations, bien qu'il ne s'agisse pas tout à fait des mêmes choses, mais quoi qu'il en soit, il s'agit de voir s'il y a un aspect interparlementaire ici ou ce qu'on appelle une délégation indirecte. C'est une question fascinante, je ne pense pas que nous allons la régler ce soir.

Merci à nos témoins.

[Français]

Nous pouvons enchaîner immédiatement avec la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. Comparaissent devant nous ce soir Mme Athanasia Bitzakidis et Mme Claire Bernard. Vous pouvez faire votre exposé et ensuite, on procédera à la période des questions.

Mme Athanasia Bitzakidis, Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse: Tout d'abord, j'aimerais vous remercier de votre invitation à comparaître devant votre comité. Je suis avocate au contentieux de la Commission et je suis chargée du dossier d'intervention de la Commission dans le renvoi formulé par le gouvernement du Québec dans cette affaire.

Le vice-président: Vous parlez au nom du gouvernement du Québec?

Mme Bitzakidis: Non, au nom la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse.

Le vice-président: D'accord.

Mme Bitzakidis: La Commission a formulé une intervention pour participer au renvoi. Ma collègue Claire Bernard est avocate à la recherche. Elle est l'un des auteurs du document qui vous a été remis en vue de la présentation de ce soir.

Ma présentation sera brève. Je ferai valoir la raison pour laquelle il est important pour la Commission de s'impliquer. Je soulèverai aussi quelques points dans le texte de loi qui, à première vue, nous semblent problématiques. Ma collègue enchaînera sur la principale préoccupation de la Commission, celle de savoir si les droits des enfants reconnus par la Charte et les conventions internationales sont respectés dans le projet de loi C-7.

Pour ce qui est de l'intérêt et du rôle de la Commission relativement au projet de loi C-7, la Commission a un intérêt dans la présente affaire, compte tenu de sa mission en vertu de la l'article 57 de la charte québécoise et en vertu de l'article 23 la Loi sur la protection de la jeunesse.

En substance, sa mission vise à veiller à la protection de l'intérêt de l'enfant et au respect de ses droits, assurer la promotion et le respect des droits de l'enfant dans le cadre de la Loi sur la protection de la jeunesse et de l'actuelle Loi sur les jeunes contrevenants, enquêter lorsqu'il y a des raisons de croire qu'il y a des lésions de droit, prendre des moyens légaux et faire des recommandations au Ministère ainsi que des études sur le sujet.

En plus d'accomplir sa mission, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse juge utile de faire partager son expertise. La Commission a une expertise au niveau du droit international, compte tenu des rapports et des études qu'elle a à faire et de sa participation à la mise en oeuvre des conventions internationales.

La Commission a également une connaissance du Réseau- jeunesse, que ce soit au niveau de la protection ou de la délinquance, et la Commission a une connaissance des droits protégés par la charte québécoise qui a un statut quasi constitutionnel. On parle aussi de droits économiques et sociaux, et de l'article 39 qui reconnaît le droit de l'enfant à la protection et à la sécurité.

Dans la charte québécoise, aux articles 1 à 9.1, on retrouve les droits fondamentaux, entre autres le droit à la vie privée, et les droits judiciaires que l'on retrouve aux articles 23 à 38: le droit d'être assisté par un avocat et le droit à une défense pleine et entière.

La principale préoccupation de la Commission, par rapport au projet de loi C-7, est de s'assurer que l'intérêt et les besoins de l'enfant demeurent au centre de toute décision qui est prise à son égard. Ce faisant, la Commission ne nie pas l'importance de la protection de la société, mais la principale préoccupation est de maintenir un équilibre entre la protection de la société et l'intérêt et les besoins de l'enfant et, également, conserver un système axé sur la réadaptation plutôt que sur la correction.

Je vais vous faire part brièvement de certaines sections de la loi qui, selon nous, menacent cet équilibre entre la protection de la société et l'intérêt de l'enfant. Il nous semble que la loi met maintenant l'accent sur le délit, c'est-à-dire qu'on crée un fossé encore plus grand que dans la loi actuelle entre un délit mineur et ce qui serait considéré un délit grave.

Les décisions concernant l'enfant vont souvent se prendre en fonction de cela, et on passe par dessus la notion d'intérêt et de besoin de l'enfant pour mettre l'accent sur le crime ou le délit qu'il a commis. Cela s'illustre par des contradictions dans les objectifs énoncés par le législateur.

Tout d'abord, le préambule fait mention de l'intérêt de l'enfant qui se retrouve au premier rang, contrairement au projet de loi C-3 où l'intérêt de l'enfant était au troisième rang. Soit, mais un préambule, en matière d'interprétation des lois, cela vaut ce que cela vaut. C'est accessoire et cela ne peut servir à établir l'intention du législateur lorsqu'il y a des problèmes d'interprétation.

De plus, le préambule est contredit par des déclarations de principe qu'on retrouve un peu partout dans des sections particulières de la loi. Pour n'en nommer que quelques-unes, en ce qui a trait aux mesures extrajudiciaires, je me réfère à l'article 4 et à l'article 10 du projet de loi C-7. L'objectif qui ressort de ces mesures est de traiter les crimes sans violence. On fait encore une fois allusion aux délits pour établir une mesure et on perd, par le fait même, la notion d'intérêt et de besoins de l'enfant, qui devrait être au premier rang.

Il y a également la détermination de la peine. L'objectif visé à l'article 38 est la protection du public et la garde et la surveillance. L'article 83 vise lui aussi la protection de la société, ainsi que la réinsertion des adolescents dans la société pour en faire des citoyens respectueux des lois.

Selon nous, en plus d'affecter l'équilibre entre la protection de la société et les intérêts et les besoins de l'enfant, ces contradictions et d'autres complexités dans la loi vont apporter des problèmes d'interprétation des lois qui vont attaquer la stabilité judiciaire acquise après plusieurs années de débat devant les tribunaux pour concilier et interpréter les différents objectifs de la loi actuelle.

Les problèmes d'interprétation qui vont en résulter ne seront sûrement pas dans l'intérêt des enfants qui, comme tout le monde le sait, doivent voir leur dossier traité avec célérité, compte tenu de l'importance du temps dans la vie d'un adolescent. Ce n'est sûrement pas non plus pour rassurer l'opinion publique, qui se verra présenter des jugements contradictoires au début, jusqu'à ce que la Cour suprême prenne la décision ultime.

Une autre menace à l'équilibre entre la protection de la société et l'intérêt de l'enfant est la détermination de la peine, qui semble être centrée sur le délit. Une illustration flagrante de ceci est le fait que la peine pour adultes est imposée à un adolescent de façon automatique en vertu de l'article 62.

Bien sûr, dans la loi actuelle, il est prévu de référer des adolescents au tribunal pour adultes, et il y a une peine pour adultes qui s'ensuit, mais le procureur général doit faire valoir différents critères énoncés dans la loi, et le tribunal doit en tenir compte dans sa décision. Ici, on renverse le fardeau. On donne à l'adolescent le fardeau, premièrement, de faire une demande pour que cet article ne s'applique pas à lui et, deuxièmement, faire valoir les différents critères au tribunal.

Selon nous, le fait de rendre automatique une peine pour adultes si l'adolescent ne se prononce pas, c'est perdre la notion de besoins de l'adolescent. J'aimerais souligner que même quand c'est le tribunal qui doit tenir compte de ces critères et que c'est le procureur général qui doit les faire valoir, la jurisprudence reconnaît que la gravité des accusations n'est qu'un des éléments dont il faut tenir compte, mais qu'elle n'est pas déterminante. Même aujourd'hui, on considère que ce n'est pas déterminant, alors qu'avec le projet de loi C-7, cette jurisprudence ne tiendra plus parce que le législateur dit complètement le contraire.

Le vice-président: C'est quel article?

Mme Bitzakidis: L'article 62. Enfin, j'aimerais simplement souligner que les droits des enfants, qui doivent être au centre des décisions, semblent être menacés. Cela peut s'illustrer, entre autres, par la garde et le niveau de garde. On donne maintenant - et c'est à l'article 85 - au directeur provincial la possibilité de déterminer le niveau de garde. Lorsque le tribunal ordonne la garde, c'est le directeur provincial qui la détermine. De quelque chose qui appartenait avant aux tribunaux où il y avait plusieurs critères à respecter par le juge pour déterminer le niveau de garde, on en fait maintenant une décision administrative.

L'inquiétude est à savoir si les droits des enfants vont être respectés, entre autres le droit à l'audi alteram partem, le droit d'être entendu avant qu'il y ait une décision qui soit prise, et le droit que ces décisions prennent en considération l'ensemble de son dossier. Le tribunal aura eu l'occasion d'entendre la preuve, d'entendre différents éléments concernant l'enfant, ce que le directeur provincial n'aura pas. On se questionne donc à savoir si le directeur provincial n'aurait pas un autre agenda lorsqu'il prendra la décision, que ce soit un agenda économique, par mesure de compressions budgétaires ou autre? Enfin, on s'inquiète à savoir si les droits des enfants et leurs intérêts seront au centre des décisions.

C'est, selon nous, une illustration très brève des problèmes flagrants. Ma collègue va poursuivre en ce qui a trait au droit international.

Mme Bernard: Comme on vient de le dire, la Commission veille à ce que soient respectés les engagements internationaux que le Canada a contractés, avec l'accord du Québec et des autres provinces, en matière de droits des enfants.

La Commission fonde sa position à l'égard du projet de loi C-7 sur les principes reconnus par la communauté internationale dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dans la Convention relative aux droits de l'enfant, dans les règles minimales des Nations Unies concernant l'administration de la justice pour mineurs ainsi que dans les règles des Nations Unies pour la protection des mineurs privés de liberté.

Au cours des témoignages, la Convention et les règles ont été évoquées. J'ai pensé que cela pourrait être utile d'identifier quels sont ces différents instruments internationaux et d'expliquer leur portée et les liens entre eux.

Tout d'abord, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques a été adopté par l'Assemblée générale des Nations Unies en 1966. Il est entré en vigueur en 1976 et il a été ratifié par le Canada la même année, donc en 1976.

On va voir plus loin qu'il ne prévoit pas les droits de façon aussi étendue que la Convention des droits de l'enfant, puisqu'il a une portée beaucoup plus large, mais il prévoit déjà la reconnaissance de certains droits pour les enfants qui sont détenus.

La Convention relative aux droits de l'enfant a été adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies en 1989. Elle est entrée en vigueur en 1990 et elle a été ratifiée par le Canada, avec l'accord du Québec et des autres provinces, en 1991.

D'autre part, l'ONU a adopté trois ensembles de règles en matière de justice des mineurs. Ces règles ont été élaborées par les congrès des Nations Unies sur la prévention du crime et le traitement des délinquants. Ces congrès sont convoqués tous les cinq ans et réunissent les représentants de gouvernements du monde entier. Le dernier congrès regroupait des représentants de plus de 180 pays. C'est une représentation assez large de la communauté internationale.

Ils regroupent aussi des membres d'organismes internationaux et d'organisations non gouvernementales, ainsi que des juristes de renommée internationale et des spécialistes de la prévention du crime et de la justice pénale, tels que des hauts fonctionnaires de police, des criminologues, des spécialistes de la pénologie et d'autres experts.

Ces congrès se réunissent et adoptent d'autres types de règles, et ils en ont adopté trois qui concernent plus précisément le système de justice des jeunes, mais nous allons ici traiter de deux d'entre eux.

Ce sont d'abord les règles dites de Beijing qui sont les règles des Nations Unies qui concernent l'administration de la justice pour mineurs. Ces règles ont été adoptées en 1985 par l'Assemblée générale des Nations Unies. Le congrès élabore les règles et, après, elles sont adoptées. Tous les représentants des pays participent, et les règles sont acceptées quand elles sont adoptées par l'Assemblée générale des Nations Unies.

Cela a été fait pour les règles de Beijing 1985, donc quelques années avant la Convention relative aux droits de l'enfant.

En 1990, l'Assemblée générale des Nations Unies a adopté deux ensembles de règles: les principes directeurs pour la prévention de la délinquance juvénile - nous ne reviendrons pas sur ces règles, mais elles peuvent servir à éclairer d'autres aspects de la question que vous étudiez - et finalement les règles des Nations Unies pour la protection des mineurs privés de liberté. Elles ont été adoptées à la même date que les règles pour la prévention de la délinquance juvénile.

C'est vrai qu'à la différence du pacte et de la convention, les règles sont en soi non contraignantes. Toutefois, certaines ont acquis une valeur contraignante dans la mesure où elles ont été reprises aux articles 37 et 40 de la Convention relative aux droits de l'enfant. C'est vrai pour les règles de Beijing adoptée en 1985; à partir du moment où elles sont reprises, on considère qu'elles sont intégrées donc elles ont une valeur contraignante. De plus, dans son préambule, la convention fait allusion aux règles de Beijing.

Quant aux règles des Nations Unies adoptées plus tard, on constate qu'elles développent ou elles explicitent des éléments formulés plus généralement dans la Convention relative aux droits de l'enfant. On voit, par exemple, que le droit à la vie privée est reconnu dans la convention, mais qu'il est beaucoup plus explicité dans les ensembles de règles. Il faut comprendre que ces ensembles de règles complètent et doivent servir de guide normatif à l'application des droits reconnus par la Convention, comme l'indique régulièrement le Comité des droits de l'enfant. Il est d'ailleurs attendu des États membres qu'ils mettent en oeuvre dans leur législation nationale les résolutions et les autres instruments adoptés aux différents congrès.

Le vice-président: Pourriez-vous reprendre cette phrase ?

Mme Bernard: Il faut donc comprendre que ces ensembles de règles complètent et doivent servir de guide normatif à l'application des droits reconnus par la Convention. C'est pour expliquer que malgré le fait qu'elles soient, en soi, non contraignantes, elles acquièrent un caractère contraignant non seulement parce qu'elles sont reprises textuellement, mais parce qu'elles viennent expliciter. Quand on voit les rapports du Comité des droits de l'enfant, ils se réfèrent aux règles pour déterminer si un pays se conforme ou non. Ils viennent imposer des standards de mise en application des principes.

C'est donc en se fondant sur ces instruments internationaux que la commission a conclu que le projet de loi ne respectait pas plusieurs droits reconnus à l'adolescent.

Ma collègue a déjà souligné que l'intérêt de l'enfant n'est plus une considération primordiale; ce qui n'est pas conforme à l'article 3 de la convention et aux articles 5 et 17 des règles de Bejing. J'ai apporté différentes règles si vous voulez revenir sur les différents droits.

Le sénateur Nolin: Est-ce qu'on peut obtenir ces documents de la part du témoin et les faire distribuer aux membres du comité?

Le vice-président: Je l'espère bien. Vous touchez un problème fondamental dont a déjà discuté.Je suis très heureux que vous souleviez ce point.

Mme Bernard:Ce sera avec plaisir et le tout est accessible sur Internet.

Le sénateur Nolin: Vous aurez un condensé.

Mme Bernard: Ma présentation était déjà dans notre mémoire qui avait été envoyé en 1999 au comité de la Chambre des communes. En fait, on reprend le même raisonnement, avec les quelques modifications qui s'appliquent aux projets de loi C-3 et C-7, et les règles sont identifiées.

On dit qu'il y a une violation des intérêts de l'enfant et aussi des droits plus spécifiques.Le projet de loi reconnaît le droit à l'avocat.La convention reconnaît le droit à l'avocat ainsi que les règles de Beijing. Le droit à l'assistance d'un avocat est consacré par l'article 10 de la Charte canadienne des droits et libertés ainsi que par la Charte québécoise des droits et libertés de la personne. Celle-ci reconnaît, à l'article 29, le droit à l'assistance d'un avocat à partir du moment où on est détenu ou arrêté, et à l'article 34, on garantit le droit à la représentation de l'avocat devant tout tribunal.

C'est vrai que le principe est admis, mais on voit deux difficultés. Une de ces difficultés vous a été soumise plus tôt aujourd'hui. En principe, les adolescents devraient avoir droit à l'assistance d'un avocat à toutes les étapes de la procédure - c'est ce que dit le projet de loi - sauf au stade des mesures extrajudiciaires qui ne sont pas des sanctions. Même si on ne le dit pas explicitement, quand on lit les autres articles du projet de loi, on voit qu'on le prévoit pour les sanctions extrajudiciaires, et on le voit à l'article 25 qui précise dans quels cas on a droit à l'avocat. Ce qui semblait plus grave pour la commission - et elle le soulevait en 1999 - c'est de permettre aux provinces de réclamer des parents par la suite les frais d'avocat que les provinces auront assumés au nom de l'enfant. La commission est tout à fait opposée à cette mesure. D'ailleurs, elle s'est opposée avec succès à des modifications aux règles québécoises qui régissent l'admissibilité financière à l'aide juridique et qui devaient modifier cette règle. Il s'agit d'éviter des conflits d'intérêts entre le parent et l'enfant. Le projet de loi prévoit que c'est à la fin du processus qu'on peut faire la demande. Normalement, on avertit les parents. C'est certain qu'ils vont avoir une influence sur l'accès de l'enfant à un avocat, compte tenu des dépenses, puisque certains parents savent très bien qu'avec les règles d'admissibilité de leur province, ce sont eux qui devront rembourser. On a toujours été contre. On a toujours estimé que si on veut vraiment reconnaître le droit à la défense de l'enfant par un avocat, d'être assisté par un procureur, il faut que ce procureur soit complètement indépendant des parents dans la mesure où il donne une certaine information.

Le deuxième droit est un droit qui est reconnu par la Convention relative aux droits de l'enfant reconnaît ainsi que par la Charte canadienne et la Charte québécoise : c'est le droit de ne pas s'auto-incriminer. On reprend l'article 56 de la loi actuelle, mais on permet maintenant au tribunal d'accepter certains témoignages qui ne respectent pas les règles à cause d'irrégularités techniques. La commission indique que si on veut éviter ces problèmes pratiques, il faut davantage miser sur une meilleure formation des policiers et sur de meilleures ressources au moment où la prise de la déposition est faite. Il faut appliquer les règles actuelles ou à venir, plutôt que de permettre une exception qui a été modifiée entre le projet de loi C-3 et C-7 et qu'on ne comprend par vraiment. Je ne peux même pas essayer de vous expliquer dans quels cas le tribunal pourrait ou non décider qu'il accepte tout de même la déclaration en invoquant ce principe.

Troisièmement, en ce qui a trait au droit à la vie privée, il y a vraiment des anicroches plus graves. La convention énonce explicitement le droit du jeune contrevenant au respect de sa vie privée. Les règles de Béjing et celles des Nations Unies sont très explicites sur ce que veut dire la protection aux droits à la vie privée. Cela s'applique d'une part à la publication, la diffusion de l'information qui touche le jeune principalement par les médias, mais aussi par les règles qui entourent le dossier du jeune contrevenant et l'accès au dossier. Depuis 1995, on avait ouvert les exceptions à ce principe de respect aux droits à la vie privée. On vient renforcer ces exceptions même si on garde le principe qu'on permet la publication du nom de l'adolescent condamné à une peine spécifique pour une infraction désignée.

Par exemple, le nom d'un jeune contrevenant âgé de 14 ans ou plus, qui serait reconnu coupable d'une des cinq infractions désignées, serait publié et ce, même lorsqu'il n'est pas condamné à une peine applicable aux adultes. On pourrait dire que le juge a le pouvoir d'ordonner que le nom du jeune ne soit pas rendu public, mais le fardeau de demander l'ordonnance de non publication revient à l'adolescent ou au procureur général.

De plus, à la différence de la règle qui protège l'accès au dossier, on permettrait la publication même avant l'expiration des délais d'appels.

D'autre part, on sait que pour protéger la vie privée, on prévoit des règles de confidentialité, mais en admettant les exceptions, notamment parce qu'on augmente le nombre de personnes qui peuvent avoir accès au dossier sans autorisation judiciaire. Déjà en 1995, la commission était opposée aux modifications qui avaient été introduites et qui avaient déjà eu pour effet d'atténuer la portée des principes. Ce qu'on continue de faire, c'est d'aggraver la situation.

Le sénateur Joyal: Pourriez-vous nous donner les exceptions aux règles de confidentialité?

Mme Bernard:À l'article 117, par exemple, on retrouve la liste des personnes qui peuvent avoir accès au dossier.

Le projet de loi continue l'atteinte aux principes de la séparation des jeunes qui sont détenus par rapport aux adultes.

On sait que le Canada a signé une réserve, c'est une réserve à l'article 37c) de la convention. Le principe était déjà inscrit à l'article 10 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. C'est une disposition qui ne permet pas de dérogation. Le comité des droits de l'homme a fait une observation générale sur cet article et il dit:

Cette disposition ne permet pas la dérogation et le Canada n'avait pas fait de réserve au moment où il a ratifié le pacte international.

En plus, en étendant dorénavant aux mineurs âgés de 14 et 15 ans le régime de présomption de renvoi, on aggrave ce non-respect. On a dû vous dire que même si le Canada a signé la réserve, le comité des droits de l'enfant lui a rappelé qu'il aimerait bien, quand il se présentera la prochaine fois, que cette réserve soit enlevée.

En prévoyant un régime particulier, notamment sur les peines applicables qui sont des peines pour adultes et pour les infractions désignées, on exclut de la série de protection prévue en droit international, qui est prévu dans le projet de loi, presque l'ensemble des jeunes. On exclut de ces protections les jeunes qui sont condamnés à une peine pour adulte ou alors à une peine spécifique mais pour une information désignée, puisque dans leur cas, on permet la publication de leur identité et on exclut la protection que procure les règles sur l'accès au dossier et ce, même si on dit qu'il y a des atténuations. De toute façon, ces règles ne s'appliquent pas à ce groupe de jeunes, avec la conséquence évidemment qu'on étend cette dérogation à des jeunes de 14 et 15 ans.

[Traduction]

Le sénateur Andreychuk: Vous êtes les premiers témoins à avoir souligné de façon aussi poussée les obligations internationales du Canada et leurs effets sur la loi actuelle et le projet de loi. Je vous en remercie car cela rejoint l'une de mes préoccupations depuis ma nomination au Sénat. En effet, en 1995, lorsque nous avons adopté des modifications, nous l'avons fait en sachant que nous ne nous conformions pas à la convention internationale et c'était inacceptable de procéder ainsi.

Cette fois-ci, nous faisons preuve de bonnes intentions dans le préambule, où nous affirmons avoir ratifié la convention ou que nous tenons à y adhérer. Cependant, rappelons que nous n'avons adopté aucune loi habilitante de manière à faire de la convention une loi proprement canadienne.

Avez-vous discuté de la question avec le gouvernement du Québec? Vous venez de cette province. Nous avons besoin d'une loi habilitante au niveau tant fédéral que provincial. Votre mémoire ne se contenterait donc pas de nous dire quelle orientation nous devrions prendre, il obligerait le gouvernement à respecter les obligations que vous avez mises en lumière.

[Français]

Mme Bernard: Si je comprends bien votre question, vous vous demandez si le Québec a l'intention d'adopter une loi générale.

Le sénateur Andreychuk: Oui.

Mme Bernard: On ne voit pas d'orientation dans ce sens. Il est vrai que c'est difficile à cause de la situation du partage des compétences. Ceci dit, chaque fois que le législateur québécois et le législateur fédéral adopte une loi, il a l'obligation de s'assurer qu'elle se conforme aux obligations.

Il est difficilement possible d'avoir une loi parcellaire. On pourrait vous répondre que la Loi sur la protection de la jeunesse est déjà une mini charte pour les enfants qui sont protégés par cette loi. Évidemment, il faut voir si elle se conforme aux nouvelles obligations.

Par contre, le gouvernement québécois est sensible au respect du législateur fédéral en ce qui a trait à la convention, puisque c'est une des questions qui est posée à la Cour d'appel sur la conformité des dispositions vis-à-vis le pacte international et la convention.

[Traduction]

Le sénateur Andreychuk: Si j'ai bien compris, le gouvernement du Québec n'a pas adopté de loi portant précisément sur la convention internationale, mais vous affirmez qu'il la respecte. Le gouvernement fédéral dit la même chose. Lorsque la ministre a comparu devant nous, elle nous a dit que le projet de loi respecte la convention. Vous avez cependant souligné ce qui est selon vous une foule de manquements à la convention.

[Français]

Mme Bernard: Le gouvernement québécois a l'obligation. Nous avons déjà eu l'occasion sur d'autres dispositions législatives ou d'autres pratiques de dire qu'il ne se conforme pas. C'est son obligation de se conformer dans la mesure où c'est de sa compétence.

Quand vous dites que les tribunaux auraient le pouvoir d'interpréter l'impact de la convention, c'est vrai, dans la mesure où ils ont un pouvoir discrétionnaire. Sans qu'on le soulève directement, on a réduit de beaucoup le pouvoir discrétionnaire des tribunaux. D'office, je ne crois pas qu'ils pourraient soulever la question de la conformité à la convention.

[Traduction]

Le sénateur Andreychuk: Si nous avions inséré la mention de la convention non dans le préambule mais dans le texte même du projet de loi, cela indiquerait clairement aux tribunaux qu'il faut lui accorder plus d'importance.

[Français]

Mme Bernard: Il faut regarder tous les droits qui sont reconnus. Généralement, on reconnaît certains de ces droits. Ce sont les exceptions qui blessent. Il faudrait alors s'assurer que les dispositions sur l'accès au dossier et les dispositions sur la publication de l'identité ne portent pas atteinte aux droits à la vie privée.

Le vice-président: Est-ce qu'il y a, à votre connaissance, une loi québécoise qui met en oeuvre le traité?

Mme Bernard: Non. D'ailleurs, très peu de pays ont une loi qui met complètement en oeuvre la convention. Peut-être le Brésil.

Le vice-président: C'est vrai que la plupart des pays n'ont pas besoin d'avoir une loi, mais nous avons un système qui nous oblige à mettre en oeuvre les traités. Il n'y en a pas eu?

Mme Bernard: Non. Il n'y a pas de loi générale.

Le vice-président: Je suis sûr que mes collègues vont revenir sur ce sujet.

[Traduction]

Le sénateur Grafstein: Je reste un peu perplexe, non en raison de votre témoignage mais à la pensée du témoignage de la ministre et des hauts fonctionnaires. Avant de vous écouter attentivement et de lire votre mémoire, je présumais que le projet de loi était un moyen conçu pour mettre en oeuvre la Convention des Nations Unies relatives aux droits de l'enfant, au moyen d'une loi explicite. Si je suis arrivé à une telle conclusion, c'est que la ministre elle-même nous a dit ici même que le texte de loi se conforme à la convention. En outre, au quatrième attendu du projet de loi C-7, on peut lire ce qui suit:

ATTENDU: que le Canada est partie à la Convention des Nations Unies relatives aux droits de l'enfant et que les adolescents ont des droits et libertés, en particulier ceux qui sont énoncés dans la Charte [...]

Si cela n'est pas une forme de mise en oeuvre, alors qu'est-ce qui peut bien l'être? Pourquoi nous donnons-nous même la peine de mentionner la Charte des Nations Unies? S'agit-il simplement d'un tour de passe-passe?

[Français]

Mme Bernard: Je ne peux répondre pour le ministre, mais ce n'est pas suffisant. Évidemment, je ne peux pas vous dire pourquoi ils l'ont mis dans le préambule. Ce qu'il faut, c'est que les droits soient reconnus dans les dispositions qui s'appliquent de façon pratique.

On peut prendre, par exemple, l'arrêt Baker de la Cour suprême. On n'a pas dit qu'il fallait que la Loi sur l'immigration indique qu'elle se réfère à la convention. On a plutôt dit que les fonctionnaires devaient considérer l'intérêt de l'enfant dans leur décision et cette notion figure à l'article 3 de la convention. Il faut donc regarder les articles de la convention et voir comment ils sont intégrés et où ils ne sont pas respectés dans les différentes dispositions. Donc à notre avis, ce n'est pas suffisant.

[Traduction]

Le sénateur Grafstein: Je vous remercie de cela car c'est important. Le personnel pourra peut-être réexaminer le témoignage de la ministre et de ses collègues afin de trouver ce qui a été dit de façon précise au sujet de la Convention des Nations Unies. Je crois cependant l'avoir entendu dire que le projet de loi s'y conformait.

Peut-être a-t-on patiné un peu en utilisant des termes généraux comme de dire que nous reconnaissons la Charte des Nations Unies mais nous nous concentrons plutôt ici sur la convention. C'est bien ce que pensent les partisans du projet de loi.

Il importe de retrouver les propos de la ministre afin de savoir si d'après elle le projet de loi se conforme à la convention ou nous respectons l'esprit de cette convention, ce qui diffère de la conclusion que j'ai tirée moi-même de son témoignage.

On vient de me fournir le procès-verbal, je me rapporte donc à la page 10 des 28 consacrées au témoignage de la ministre du 27 septembre dernier.

Permettez-moi donc de citer ses propos afin qu'on tire la question au clair. Elle affirme donc en partie ce qui suit:

Honorables sénateurs, pour certains, cette nouvelle loi ne respecte pas la compétence provinciale. Or, je peux dire que les provinces bénéficient d'une très grande latitude en ce qui concerne l'administration de cette loi.

Je n'ai rien à redire à cela. J'aimerais maintenant la citer à nouveau:

Le gouvernement du Canada est convaincu que le projet de loi C-7 est constitutionnel.

Cela fera l'objet d'un autre débat un autre jour. Revenons cependant au texte, où elle poursuit de la manière suivante:

Il constitue un exercice valable du pouvoir pénal du gouvernement fédéral et il respecte nos obligations en vertu de la Convention de l'ONU relatives aux droits de l'enfant. Toutes ces questions ont été examinées en profondeur par nos avocats et par d'autres. Nous appuyons cette loi et nous la défendrons s'il le faut.

Je n'ai pas vraiment de question à poser aux témoins, mais monsieur le président, je conclus de ce texte que la ministre veut faire respecter chacune des normes de la Convention des Nations Unies relatives aux droits de l'enfant en les insérant dans le projet de loi, dont l'adoption garantit leur mise en vigueur.

Le vice-président: Ou en les insérant dans la Charte.

Le sénateur Grafstein: Non, dans le projet de loi. La ministre a dit ce qui suit:

Il constitue un exercice valable du pouvoir pénal du gouvernement fédéral et il respecte nos obligations en vertu de la Convention de l'ONU relatives aux droits de l'enfant.

Elle se trouvait ainsi à dire: «Ne vous y trompez pas, mesdames et messieurs les sénateurs, ce texte est conforme à la convention.»

Je devrai vérifier mes propres sources, mais à en juger d'après les propos de la ministre, en se conformant à la législation des Nations Unies, qui est citée dans les attendus du projet de loi, le projet de loi met en oeuvre nos obligations en vertu de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant.

S'agit-il d'une mise en oeuvre de fait, implicite, une ratification de la mise en vigueur du projet de loi? La ministre n'est pas tenue d'indiquer dans le texte de la loi que «nous nous trouvons à mettre en vigueur la convention par le fait même de la mise en vigueur de la loi». Elle a bel et bien affirmé qu'il y avait mise en vigueur dans son témoignage et elle le répète dans les attendus du texte. Peut-être pourrait-elle revenir nous expliquer la situation. Avait-elle l'intention de mettre en vigueur le projet de loi en se reportant à cette législation oui ou non? Elle est certainement en mesure de le faire car il s'agit d'un pouvoir pénal. Nous y reviendrons.

Madame Bernard, vous avez soulevé une autre question par rapport à la convention qui me porte à réfléchir, il s'agit de la réserve. Expliquez-nous encore une fois pourquoi d'après vous la réserve figurant dans la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant ne donne pas plus de latitude à la ministre.

[Français]

Mme Bernard: Effectivement, si on regarde strictement l'article 37(C), elle a le droit de le faire.

[Traduction]

Le sénateur Grafstein: De faire quoi?

[Français]

Mme Bernard: De prévoir que dans certains cas, une fois qu'il a été reconnu coupable, un adolescent peut être détenu de façon préventive avec des adultes. La réserve lui permet de le faire.

D'une part, ce droit d'être détenu séparément est aussi garanti par l'article 10 du Pacte international des droits civils et politiques, et dans ce cas, il n'y a pas eu de réserves de faites au moment où le Canada a ratifié.

D'autre part, chaque fois qu'il y a des réserves, le Comité des droits de l'enfant recommande au pays de retirer leurs réserves éventuellement parce que les pays font des réserves pour différentes raisons. Et à partir du moment où on le fait, c'est une exception à la reconnaissance des droits.

Mais je ne veux pas dire que ces dispositions ne sont pas conformes à l'article 37(C) puisque, en effet, la réserve le permet.

[Traduction]

Le sénateur Grafstein: Votre mémoire me paraît éclairant sur cette question. Si je l'ai bien compris, et si j'ai bien saisi vos propos, si en outre mon argument est juste et si la ministre vient de mettre en oeuvre la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant par le fait même qu'elle met en oeuvre la loi, d'après vous, la disposition de réserve porte sur l'incarcération mais non sur les autres questions comme le droit à un avocat, le droit à la protection de la vie privée et le reste; ai-je bien compris vos remarques?

Mme Bernard: Tout à fait.

Le sénateur Joyal: Rappel au Règlement. En ce qui a trait à la discussion portant sur notre respect de la convention des Nations Unies, j'ai revu le témoignage de la ministre et je m'apprête à vous le lire.

Monsieur le président, cela vous paraîtra peut-être utile car ces propos soulèvent certains problèmes auxquels vous aimeriez peut-être réfléchir. La ministre a donc dit ce qui suit, et je cite:

Qui plus est, le préambule et les principes de la loi ajoutent la clarté et l'orientation nécessaires en reconnaissant explicitement l'importance d'autres éléments tels que la conformité à la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant. C'est la première fois que nous reconnais sons que la Convention sert, en partie, de fondement à la façon dont nous concevons le système de justice pour les jeunes au Canada. Il s'agit là d'un élément important.

Ce sont les paroles mêmes de la ministre qu'elle a prononcées devant le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles du Sénat, le jeudi 27 septembre 2001. À mon avis, à moins qu'elle ait dit là des banalités, la ministre a bel et bien l'intention de respecter les principes de la Convention de l'ONU dans le système de justice. Elle a bien utilisé le terme conformité. Si le terme conformité ne veut pas dire conformité, alors qu'est-ce qu'il veut dire?

Le vice-président: Si ma mémoire ne me trompe pas, j'ai dit qu'il ne s'agissait pas de mise en oeuvre à ce moment-là.

Le sénateur Grafstein: Encore une fois, monsieur le président, c'est précisément là où nous voulons en venir. La mise en oeuvre n'exige pas nécessairement qu'une loi dise explicitement qu'elle est en train de mettre en oeuvre le principe de la convention. Elle se fonde sur une interprétation claire du projet de loi et sur l'intention exprimée par la ministre elle-même. Elle peut utiliser un terme qui correspond à «loi» puis dans une déclaration préciser qu'elle est en train de mettre en oeuvre le projet de loi d'une façon très poussée, et c'est précisément ce qu'elle a fait ici. Il s'agit d'une mise en oeuvre des principes par voie d'adoption d'une loi nationale.

[Français]

Le sénateur Nolin: J'ai une questions sur un point précis en ce qui a trait à la ratification québécoise. Au paragraphe deux de votre requête, vous faites référence au décret du procureur général dans son renvoi à la cour d'appel. Il est question de ratification exécutive par deux arrêtés en conseil, deux décrets de ces deux conventions internationales.

Mme Bernard: Avant qu'il ne ratifie la convention, étant donné qu'une partie des questions touchées par la convention relevaient de la compétence des provinces, le Canada devait s'assurer que les provinces étaient d'accord.

Le sénateur Nolin: C'était l'outil de ratification a priori?

Mme Bernard: Voilà. Les deux sont venus en 1991. Le Canada a adopté son décret. Si on me demandait si le Québec a adopté depuis une loi générale qui calquerait les principes de la convention et qui serait une loi québécoise de la convention, je répondrais que non.

Le vice-président: Comme je l'ai indiqué au début, nous avons soulevé la question ici. Évidemment, je suis dans une position un peu différente, mais j'ai alors dit que dans notre système, quand on signe un traité et qu'on le ratifie, il faut aller un pas plus loin. Il faut légiférer pour mettre en oeuvre le traité. Alors c'est la de législation qu'il faut, mais on ne l'a pas fait.

Le sénateur Joyal: Lors d'une réunion du Comité sénatorial des droits de la personne, nous avons reçu le témoignage du professeur Leuprecht, doyen de la faculté de droit de l'Université McGill à Montréal. Nous lui avons posé clairement la question suivante: lorsque les tribunaux canadiens ont à interpréter la portée et la nature des obligations que le Canada assume lorsqu'il ratifie une convention et la reconnaît formellement dans ses lois comme dans le cas présent, quelles sont les sources du droit pour interpréter la convention? Chaque État n'est pas libre d'interpréter la convention plus ou moins comme il veut, puisque vous avez vous-même fait référence à la recommandation faite par le Comité des droits de la personne des Nations Unies sur précisément une disposition qu'on retrouve mentionnée indirectement dans le projet de loi qui concerne la détention des mineurs dans des institution carcérales pour adultes.

À votre avis, y aurait-il d'autres décisions de la Commission des droits de la personne des Nations Unies qui aurait interprété la convention relative aux droits de l'enfant, toujours dans le contexte d'un système de cours juvénile, donc dans la partie qui nous intéresse pour les fins de ce projet de loi ?

Est-ce qu'il y aurait d'autres sources d'interprétation que nous pourrions consulter pour arriver à déterminer la définition des principes qui s'appliquent, eu égard aux conventions et aux règles auxquelles vous avez fait référence lorsqu'il s'agit de définir un système de justice pour les mineurs?

Mme Bernard: Sur la Convention des droits de l'enfant, le Comité des droits de l'enfant est l'organe chargé de recevoir les rapports. Contrairement au Comité des droits de l'homme, le Comité des droits de l'enfant ne peut pas recevoir de plaintes individuelles.

C'est peut-être une des lacunes pour le moment de ce processus. Il n'y a pas de jurisprudence, par exemple, où le Canada a été interpellé dans des cas par rapport aux pactes internationaux. Il ne peut donc pas y avoir de jurisprudence, mais le comité adopte des observations générales, il tient des discussions générales.

Dans le texte, j'ai invoqué une certaine interprétation, par exemple, pour dire que les règles qui sont normalement non contraignantes deviennent des normes. C'est une interprétation que le comité a fait dans son débat général sur la justice des mineurs, mais qu'il reprend aussi, chaque fois qu'il examine un rapport d'un pays. Il fait des observations et des conclusions. Cela peut valoir pour tous les pays. Par exemple, si on regarde la question des châtiments corporels, il a fait des recommandations au Canada et aussi à d'autres pays. C'est une piste de son interprétation. Il ne peut pas y avoir de plaintes individuelles.

Comment est-ce que le tribunal canadien peut interpréter ces règles? La Cour suprême nous l'a dit dans l'arrêt Baker. On ne peut pas invoquer directement devant le tribunal l'arrêt Baker. Dans cet arrêt Mme L'Heureux-Dubé dit qu'on peut invoquer les principes à cause des valeurs qui sont communes; certaines valeurs de la convention sont reconnues par tous les pays, et elle deviennent donc la coutume.

Un des principes d'interprétation du droit international est qu'on peut se référer à la coutume. L'article 3 de la Convention des droits de l'enfant garantit que l'intérêt de l'enfant doit être le critère prédominant. On dit ici que c'est un critère mais il n'est pas prédominant, et on l'a illustré. Non seulement il n'est pas prédominant dans les principes directeurs. Il l'est devenu dans le préambule suite aux modifications, et certainement dans les différents objectifs qu'on voit, par exemple, dans la détermination de la peine. L'intérêt du mineur n'est plus le critère prédominant. La convention, les règles de Beijing et les autres règles stipulent que la priorité du système de justice pour mineurs doit être l'intérêt du jeune contrevenant.

Les tribunaux, pour interpréter les valeurs canadiennes, peuvent s'inspirer des droits reconnus dans la Convention. Je le résume peut-être mal, car je ne me suis pas préparée à expliquer le cas Baker.

Le sénateur Joyal: J'essaie d'obtenir de vous une sorte de résumé ou d'analyse des commentaires que le comité des droits de l'enfant aurait fait, eu égard à l'interprétation à donner aux différents principes qui, normalement, devraient s'appliquer dans le cas de la justice pour adolescents, puisqu'on parle des adolescents. On ne parle pas des enfants de cinq ans ou six ans ici, on s'entend qu'on parle des adolescents.

Que peut-on retirer des commentaires ou des observations que le comité des droits de l'enfant aurait pu faire depuis qu'il considère l'application de la Convention? Que peut-on sortir - je vais utiliser une expression populaire - comme jus? Je cherche les éléments qui nous aideraient à comprendre l'application des quatre instruments internationaux dont vous avez parlé, eu égard à un système de justice pour enfants.

Vous avez dit que l'intérêt de l'enfant est prédominant. Évidemment, c'est un principe important. Il doit y en avoir d'autres, dans la Convention, qui sont des principes directeurs. Comme Mme le ministre nous a dit qu'elle est en conformité avec les principes, le contenu et les obligations qui sont sous-jacents à la Convention, cela nous permettrait de bien comprendre ou d'être en mesure d'évaluer comment ce projet de loi se conforme, comme le ministre le soutient, à la Convention ou aux conventions.

Il y a un élément particulier dans notre débat : lorsqu'un ministre se présente devant notre comité, singulièrement le ministre de la Justice, et qu'il déclare qu'un projet de loi se conforme à la Charte canadienne des droits et libertés ou à la Loi canadienne des droits de la personne et qu'il est, par conséquent, constitutionnel eu égard à la Charte, nous tenons pour acquis qu'il y a une présomption que c'est le cas. Cela ne nous empêche pas de faire un examen, mais nous tenons pour acquis que c'est une présomption de validité au niveau du respect de la Charte.

Le ministre comparaît au comité et nous propose un projet de loi qui, dans son préambule, nous dit qu'il met en application les obligations et les principes de la convention internationale.

On pose donc la question à savoir en quoi il met en application les principes et de quelle manière il le fait. Jusqu'à présent, nous avons dû tenter d'identifier, dans le projet de loi, différents aspects qui nous semblaient problématiques eu égard à la Convention des droits de l'enfant et des autres documents.

Par conséquent, il ne suffit pas, à mon avis, de lire simplement les conventions ou les instruments internationaux. Il faut déterminer la portée de ces instruments. C'est un peu comme la Charte canadienne des droits et libertés, on peut la lire, mais en pratique, il faut voir comment elle a été interprétée pour arriver à déterminer l'étendue des droits. C'est là où nous avons besoin de vos lumières et de votre aide, parce que nous sommes dans la position où le projet de loi est devant les tribunaux avant d'être adopté, ce qui est très exceptionnel.

Normalement, les contestations ont lieu une fois que le projet de loi est adopté. Mais nous sommes en contestation devant en plus un tribunal supérieur, qui est la cour d'appel d'une province, au moment où nous sommes encore à débattre du contenu du projet de loi et au moment où nous cherchons précisément à obtenir des réponses, là même où les tribunaux auront à se prononcer éventuellement.

On peut faire deux choses. On peut se dire que ce projet de loi est devant les tribunaux de toute façon et qu'on n'aura donc pas le dernier mot. Les déclarations du ministre seront vérifiées par les tribunaux et la décision sera rendue. On peut aussi comme législateur, se poser sincèrement la question et se demander si ce projet de loi est un exercice valable de respect de mise en application des principes que le Canada défend sur le plan international? Car le Canada est un des pays qui se fait fort de promouvoir les droits de l'enfant dans plusieurs tribunes internationales. Le sénateur Pearson est un porte-parole de notre institution sur cette question.

Nous sommes confrontés au défi d'essayer de comprendre la portée de la convention, alors que dans d'autres circonstances, nous ne ferions que reconnaître sa présence et qu'elle est probablement reflétée dans la Charte canadienne des droits et libertés, dans la Loi canadienne sur les droits de la personne, dans la charte du Québec et dans d'autres décisions ou d'autres législations canadiennes.

Nous sommes confrontés à une décision extrêmement importante, à savoir si nous avons des doutes raisonnables que le projet de loi que nous étudions laborieusement se conforme vraiment à la Convention. Ce soir, vous venez nous dire que non, dans plusieurs de ces dispositions.

Nous vous demandons donc quelles sont les autres sources que nous pourrions consulter pour nous amener à formuler une opinion sur cette question.

Mme Bernard: Cela demande une recherche plus élaborée que celle que nous avons pu faire jusqu'ici. Par exemple, pour comprendre la portée de chaque droit donné par le comité, il faudrait regarder chacun des rapports et surtout l'étude de chacun des rapports par le comité des droits de l'enfant. C'est possible, mais je dois vous dire que ce n'est pas un exercice que nous avons fait jusqu'à maintenant.

Sur le principe général, le comité des droits de l'enfant a déjà tenu un débat général sur la question de l'administration de la justice des mineurs. Ce débat est accessible sur Internet et on peut observer qu'il revient sur les grands principes. Il ne parle pas de cas spécifique, comme par exemple l'atteinte à la vie privée. Il traite aussi de la détention qui est un problème beaucoup plus grave dans plusieurs pays du monde, mais il souligne quand même que les problèmes se posent. quel que soit le type de pays ou de régime dans lequel on se situe.

Par contre et c'est pour cela qu'on l'a souligné. Ce qui est important pour nous, c'est qu'il soulignait la nécessité de veiller à ce que toute mesure concernant les enfants réponde au premier chef à l'intérêt supérieur de l'enfant. C'est ce qu'il tire comme conclusion de la lecture de l'article 40 et des règles applicables. On vous a indiqué qu'en mettant plutôt comme objectif soit la répression, soit la protection de la société, le critère prédominant n'est pas l'intérêt du jeune qui a commis le délit.

Le vice-président: Avez-vous déjà demandé que le Québec procède à l'élaboration et l'adoption d'une loi pour donner effet à la Convention sur les droits de l'enfant?

Mme Bernard: Globalement, non. Il y a toujours un problème de juridiction, mais l'utilité d'un organisme comme le nôtre est que lorsque un projet de loi ou un projet de règlement ou même certaines pratiques sont introduits, nous les examinons à la lumière des principes et nous indiquons à ce moment au législateur s'il agit en conformité.

Le sénateur Beaudoin: Il est évident ici que le législateur fédéral dans certains domaines autant que les provinces dans d'autres domaines, ont chacun une compétence législative. Si on veut que les droits du traité soient mis en 9uvre au Canada, il va falloir que le gouvernement fédéral et aussi les provinces légifèrent.

Mme Bernard: Ceci est un très bon domaine. Quand on regarde les dispositions de la convention, ce sont les articles 37 et 40 traitant de l'administration de la justice qui ont été les plus complétés par des règles qui établissent des standards. Pour d'autres droits qui sont reconnus dans la convention, on n'a pas de règles additionnelles. Je vous ai donné l'exemple du droit à la vie privée qui, à l'article 40, n'est pas détaillé. On ne parle pas de l'accès au dossier et de la confidentialité de l'identité comme on le fait dans les règles. C'est effectivement le temps opportun de faire cet exercice parce que si on regarde d'autres dispositions de la convention, elles sont plus générales.

Le sénateur Joyal: Je ne veux pas trop allonger la discussion sur ce point, mais cela devient extrêmement important dans l'évolution de l'étude que nous faisons. Cette session spéciale sur la justice juvénile a-t-elle eu lieu il y a longtemps?

Mme Bernard:En décembre 1995.

Le sénateur Joyal: J'imagine que par la suite, le comité des droits de l'enfant a tenu compte des conclusions de cette session spéciale quand il a évalué la conformité ou la non-conformité des différents pays engagés par la Convention. Je suppose que cela a servi à l'élaboration de principes directeurs et à l'évaluation de la conformité des initiatives et des systèmes que les pays mettent en place dans le contexte de la justice juvénile.

Mme Bernard: La Convention est entrée en vigueur il y a maintenant 11 ans. Si on la compare avec le pacte relatif aux droits civils et politiques, ce qu'a fait le comité des droits de l'homme et ce que peut faire le comité des droits de l'enfant est d'adopter des observations générales. Cela donne une plus grande portée. Ces observations ont été utiles pour les tribunaux, notamment pour des cas à certains niveaux dans une affaire qui touche les droits économiques et sociaux sur laquelle va se pencher la Cour suprême.

Le comité des droits de l'enfant vient d'adopter des observations générales qui peuvent servir d'interprétation, mais c'est dans un seul cas qui est le droit à l'éducation. C'est assez récent. Cela va venir éventuellement, mais on n'a pas encore cette source d'interprétation par rapport aux articles 37 et 40.

Le sénateur Joyal: Les articles qui touchent à la justice juvénile?

Mme Bernard: Exactement.

[Traduction]

Le sénateur Grafstein: J'ai eu la possibilité d'examiner le mémoire que la commission a soumis à la Cour d'appel du Québec. Le témoin, Mme Bitzakidis, a signé la demande au nom du requérant, elle est donc au courant de la question.

J'aimerais poser une question supplémentaire. Lorsque la Cour suprême s'est penchée sur des questions liées à l'égalité des sexes, elle a affirmé qu'une fois la Convention des Nations Unies signée, elle fait partie du droit canadien. Elle se trouve ainsi à affirmer que les Canadiens sont tenus de la respecter.

Dans un sens, cela répond à la question du sénateur Joyal au sujet des conséquences. À ma connaissance, le fait d'avoir signé la Convention des Nations Unies se trouve à l'inscrire dans les lois canadiennes, qu'il s'agisse des lois conventionnelles ou de la common law qui porte que nous ne mettrons pas en vigueur ni ne respecterons des lois qui ne se conforment pas à une norme des Nations Unies. Voilà pour les conséquences. Du côté de l'ONU, c'est une conséquence politique cette fois, une sanction, en ce sens que l'organisme adopterait une résolution de blâme contre notre pays.

L'aspect critique, c'est qu'une fois qu'un crime est reconnu en vertu du droit national, les crimes contre l'humanité étant un exemple, des poursuites peuvent être intentées en vertu de ce droit.

C'est exactement ce que vous dites dans votre mémoire à la Cour d'appel. Au paragraphe 2, vous dites que c'est incompatible avec les conventions internationales ratifiées par le Canada et vous mentionnez des décrets en conseil. Les territoires et les provinces ayant donné leur accord, cela réduit le problème de la compétence partagée. Il ne s'agit pas de savoir si le Québec appliquera ou non la mesure. Si le gouvernement fédéral l'applique en vertu de ses pouvoirs aux termes du droit criminel ou du pouvoir qui lui est conféré de légiférer en ce qui touche les enfants à titre individuel, ce qui, à mon avis, constitue un pouvoir partagé, cela ne suffit-il pas pour que les tribunaux puissent dire si la mesure se conforme au droit international ou non. Qu'en pensez-vous?

[Français]

Mme Bitzakidis: Je vais laisser ma consoeur répondre au niveau du droit international parce que je crois que la réponse a été posée plus tôt par le sénateur Nolin relativement au décret mentionné à la requête.

Mme Bernard: À partir du moment où le projet de loi se réfère à la convention, cela donne un outil de plus pour les tribunaux pour se prononcer sur la conformité. Il faut aussi voir qu'il y a une évolution de la jurisprudence canadienne. Est-ce que la cour d'appel aurait pu le faire s'il n'y avait pas eu une référence? Je pense que ce n'est pas nécessaire d'y répondre, je ne me risquerai pas.

[Traduction]

Le sénateur Grafstein: Vous convenez donc avec moi que si la convention internationale est réputée faire partie du droit national, la Cour suprême décidera si elle est conforme ou non à ce droit.

Mme Bernard: En effet.

Le sénateur Grafstein: Je vais maintenant aborder une question que vous n'avez pas traitée dans votre demande d'autorisation d'interjeter appel et qui me préoccupe. Il s'agit de savoir si l'article 61 qui permet aux lieutenants-gouverneurs en conseil des provinces d'abaisser l'âge à partir duquel on peut être jugé coupable d'un crime désigné constitue une délégation de pouvoir inconstitutionnel en vertu de l'article 91.27 qui énonce que le gouvernement fédéral a pouvoir exclusif en matière de droit pénal.

[Français]

Mme Bitzakidis: Ce point n'a pas été abordé dans la requête. Pour la permission à l'intervention, il faut tenir compte de la mission de la commission qui lui est conférée par la charte et par la Loi sur la protection de la jeunesse. Donc l'intérêt de la commission à intervenir dans le débat était circonscrit par sa compétence définie dans les lois québécoises. La commission intervient plus particulièrement sur les questions qui touchent sa compétence.

[Traduction]

Le sénateur Grafstein: Je comprends, mais lorsque votre demande qui cite le ministre de la Justice du Québec, le procureur général du Québec et votre commission comme demandeur et le ministre de la Justice et le procureur général du Canada comme défendeur, la Cour devra se demander si la question est constitutionnelle parce que vous avez soulevé la question de la constitutionnalité.

Le sénateur Nolin: Je ne le pense pas.

Le sénateur Grafstein: Je lui demande son avis.

Le vice-président: J'aimerais savoir si cette question est abordée dans le renvoi présenté à la Cour d'appel.

[Français]

Est-ce que c'est dans le renvoi devant la cour d'appel? Si ce n'est pas le cas, on peut difficilement en discuter.

Le sénateur Nolin: C'est la question du sénateur Grafstein. Est-ce que les deux paragraphes auxquels vous faites référence représentent la totalité des questions posées à la Cour d'appel?

Mme Bitzakidis: Non, il y a d'autres questions qui sont posées par le gouvernement du Québec sur lesquelles n'interviendra pas la Commission.

[Traduction]

Le sénateur Grafstein: Je m'adresse à titre d'avocat à d'autres avocats. Si la constitutionnalité d'une loi est contestée devant un tribunal, que ce soit en vertu de la Charte, qui est un élément fondamental de la Constitution, ou de l'article 91, le tribunal sera tenu de simplement entendre l'argumentation qui lui est présentée. Le tribunal peut se pencher sur la question qui, comme vous le savez, est une question sur laquelle nous ne partageons pas le même avis que les fonctionnaires du ministère de la Justice et que la ministre de la Justice elle-même.

[Français]

Mme Bitzakidis: En fait, la Commission est interpellée par la première question du renvoi du procureur général, surtout en ce qui a trait à la Loi sur la protection de la jeunesse, qui prévoit que certains des principes énoncés dans cette loi s'appliquent également aux jeunes qui sont sous la Loi des jeunes contrevenants. Pour la Commission, l'important est de s'assurer que les modifications qui seront apportées à la Loi sur les jeunes contrevenants ne viennent pas contrecarrer les missions qu'elle a en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse pour ces mêmes jeunes. C'est donc à ce niveau que la Commission va se situer dans le débat constitutionnel.

[Traduction]

Le sénateur Grafstein: Lorsque vous faites mention des articles 92.13 et 92.14 de la Loi constitutionnelle, faut-il comprendre que vous soutenez qu'il s'agit d'un domaine de compétence provinciale et que par conséquent la loi empiète sur cette compétence. C'est un aspect de la question.

[Français]

Mme Bitzakidis:Je comprends ce que vous dites mais j'aimerais préciser que le paragraphe 1 qui est énoncé au paragraphe 2 de la requête de la Commission, c'est le paragraphe du Procureur général du Québec que nous reprenons.

[Traduction]

Le sénateur Grafstein: Je crois que c'est l'article 2.1.

[Français]

Mme Bitzakidis: Exactement. C'est le paragraphe formulé par le Procureur général du Québec et on retrouve au paragraphe 3 les préoccupations de la Commission par rapport à cet énoncé. La première question porte sur l'étendue des obstacles que peut poser la loi concernant le système de justice pénal pour les adolescents à l'application des normes juridiques et des pratiques psychosociales en vigueur au Québec, en matière de rééducation des enfants qui ont commis des actes criminels.

Ces pratiques sont énoncées dans la Loi sur la protection de la jeunesse qui prévoit spécifiquement, à son article 11.3, que certains des articles de la Loi sur la protection de la jeunesse et les principes qui y sont énoncés s'appliquent aux jeunes qui sont soumis à la Loi sur les jeunes contrevenants.

Le vice-président: C'est à l'intérieur de ces données que vous intervenez?

Mme Bitzakidis: Parce que la Commission a compétence à l'intérieur de ces données.

Le sénateur Nolin: Peut-on obtenir le texte du décret au complet?

Le vice-président: On peut évidemment y référer, en autant que cela touche à la loi qui est devant nous.

Le sénateur Nolin: C'est la raison d'être du décret de renvoi à la Cour d'appel.

Mme Bitzakidis: Le décret du gouvernement du Québec?

Le vice-président: Oui.

Le sénateur Joyal: Concernant votre requête pour pouvoir intervenir en cour d'appel, je me réfère au paragraphe 23, le dernier paragraphe de votre requête. Il est dit:

De plus, si la présente requête est accordée, la requérante entend soumettre à la cour des éléments visant à établir (1) que les fondements de la nouvelle loi, (2) ses principes directeurs (3) certaines de ses dispositions sont incompatibles avec le respect des obligations internationales qui doivent régir les décisions concernant un enfant.

Vous allez donc vous concentrer à expliquer à la cour d'appel ce que, dans votre surpris, sont les fondements de la nouvelle loi, les principes directeur et certaines des dispositions qui sont incompatibles. À mon avis, vous avez fait ce soir une démonstration de certaines des dispositions incompatibles, et on pourra éventuellement y réfléchir par nous-mêmes.

Dois-je comprendre que vous ferez d'autres recherches, réflexions ou études sur les fondements de la nouvelle loi et les principes directeurs ou bien que ce que vous avez présenté dans votre mémoire ici et à l'autre endroit correspond à l'essentiel de votre pensée?

Mme Bitzakidis: Vous comprendrez que dans un acte de procédure, un article est prévu d'une façon assez large pour nous permettre d'élaborer notre point de vue à ce sujet et que nous n'en sommes qu'à l'étape de la permission d'intervention. Pour l'instant, la requête pour la permission d'intervention n'a pas encore été soumise à la Cour d'appel. Elle a été déférée au juge en chef de la Cour d'appel.

Le vice-président: Cela n'a pas été étayé.

Mme Bitzakidis: Non, parce que le juge en chef qui s'occupe du dossier nous communiquera la date d'audition. À partir du moment où la Commission aura la permission d'intervenir - ce que nous souhaitons - il est bien clair que nous devrons nous pencher plus à fond sur la question et nous-mêmes faire un renvoi qui permettra à la Cour d'appel d'étudier la question. Je ne pourrais pas affirmer aujourd'hui que nous nous limiterons à ce qui vous a été soumis, mais cela ira dans ce sens.

Le sénateur Beaudoin: Je doute qu'on puisse aller plus loin parce que votre témoignage est basé sur le projet de loi qui est devant nous. Le renvoi, c'est quelque chose de passionnant, mais ce n'est pas la raison principale pour laquelle vous êtes devant nous.

Le sénateur Joyal: Non, absolument pas. Sauf que le travail que les témoins font pour définir les fondements et les principes directeurs de la nouvelle loi peut être drôlement utile pour notre compréhension de la loi selon l'interprétation qu'ils en feront.

Je comprends que si votre requête est entendue et acceptée, vous présenterez à la cour d'appel les motifs contenus dans la preuve, selon l'étude que vous ferez des fondements de cette loi, de ses principes directeurs et selon des exemples de dispositions qui sont contradictoires.

Vous demanderez un délai important entre le moment où la requête vous sera accordée et le moment où vous déposerez votre mémoire. J'essaie de savoir si, lors de nos travaux, nous pouvons compter sur ce document ou si nous devons nous satisfaire de votre mémoire de ce soir.

Mme Bitzakidis: Je peux tout de suite vous dire que le juge en chef, l'honorable Claude Michaud, nous a indiqué qu'il avait l'intention d'entendre notre requête au courant du mois de novembre. C'est le juge en chef qui décidera de l'ordre du jour, et je ne peux pas vous dire à quel moment la requête sera entendue.

Le sénateur Beaudoin: Cela nous donne le temps de réfléchir.

Mme Bernard: Les principes directeurs, on en parle lorsqu'il est question de protection de la société par rapport aux gens. Lorsqu'on parle du système des adultes qui devient applicable à des jeunes, on parle des fondements de la loi, on parle des principes directeurs aussi. Vous avez quand même beaucoup d'éléments.

[Traduction]

Le sénateur Grafstein: Je tiens à remercier les témoins et les autres personnes de la commission qui ont participé à la rédaction de ce mémoire que je trouve excellent.

[Français]

Le vice-président: Je voudrais remercier les témoins de ce soir. Je pense qu'ils ont suscité un intérêt certain.

La séance est levée.


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