Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 14 - Témoignages du 30 octobre 2001
OTTAWA, le mardi 30 octobre 2001
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-7, Loi concernant le système de justice pénale pour les adolescents, et modifiant et abrogeant certaines lois en conséquence, se réunit aujourd'hui à 17 h 10 pour étudier le projet de loi.
Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Honorables sénateurs, je déclare ouverte la 9e réunion du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles consacrée aux délibérations entourant le projet de loi C-7, Loi concernant le système de justice pénale pour les adolescents, et modifiant et abrogeant certaines lois en conséquence.
Nous avons avec nous M. Joe Tascona, et M. David Tilson de la Commission ontarienne de lutte contre le crime.
La parole est à vous.
M. Joe Tascona, député provincial, coprésident, Commission ontarienne de lutte contre le crime, et adjoint parlementaire au solliciteur général de l'Ontario: Honorables sénateurs, je tiens à vous remercier de l'occasion qui m'est donnée aujourd'hui de comparaître devant vous relativement au projet de loi.
Les Ontariens se sont exprimés on ne peut plus clairement: la Loi sur les jeunes contrevenants est horriblement inadéquate. Selon un sondage CTV/Angus Reid rendu public en 1997, 72 p. 100 des répondants ont une confiance limitée dans la Loi sur les jeunes contrevenants ou n'ont pas du tout confiance en elle. Au cours de la dernière décennie, nous avons constaté des tendances troublantes relativement à la criminalité chez les adolescents. Selon un rapport de Statistique Canada de 1999, le taux de crimes violents commis par des adolescents a augmenté de 38 p. 100 entre 1989 et 1999. Selon le Programme de déclaration uniforme de la criminalité, en l'an 2000 seulement, le nombre de crimes violents commis par des adolescents a augmenté de 7 p. 100 par rapport à 1999. Selon Statistique Canada, une fois de plus, on a observé en 2000 une hausse du nombre de crimes violents commis par des adolescents dans presque toutes les catégories, soit 18 p. 100 pour les agressions sexuelles, 7 p. 100 pour les agressions et 2 p. 100 pour les vols qualifiés.
Fait encore plus troublant, la violence chez les adolescentes a fait un bond spectaculaire. Entre 1989 et 1999, le nombre d'adolescentes accusées de crimes violents a augmenté de 81 p. 100. Selon Juristat de Statistique Canada, l'augmentation du nombre d'adolescentes accusées de crimes violents a augmenté de 61 p. 100, ce qui représente une hausse plus de deux fois supérieure à celle observée chez les adolescents, soit 25 p. 100.
La Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents proposée constitue non seulement un remplacement timide de la Loi sur les jeunes contrevenants, mais aussi, à maints égards, un affaiblissement de cette dernière. Au titre des dispositions législatives proposées, par exemple, rien ne garantit qu'un jeune contrevenant violent sera jugé et condamné au même titre qu'un adulte.
Le gouvernement de l'Ontario a tenté de dénoncer ce projet de loi faiblard. David Young, procureur général, David Turnbull, solliciteur général et Rob Samson, ministre des Services correctionnels, ont officiellement demandé à comparaître devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes. On n'a même pas fait aux représentants élus de l'Ontario la courtoisie d'une réponse.
Le 29 mai, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents a été adoptée par la Chambre des communes d'Ottawa; le 30 mai, elle a été déposée au Sénat aux fins d'un second examen objectif. Nous pensons que votre second examen objectif revêt une importance toute particulière en ce qui concerne le projet de loi C-7, Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Nous savons qu'une partie de votre mandat consiste à écouter les personnes qui n'ont pas eu l'occasion de comparaître devant le comité de la Chambre des communes. La Commission ontarienne de lutte contre le crime de l'Ontario a demandé à comparaître devant vous pour vous faire part des préoccupations des Ontariens.
David Young, procureur général de l'Ontario, nous a demandé de sonder les Ontariens à propos du système de justice pour les adolescents et d'inclure leurs commentaires sur les modifications du projet de loi C-7 proposées par le procureur général. C'est pourquoi la Commission ontarienne de lutte contre le crime a, au cours des cinq derniers mois, tenu des audiences partout en Ontario. Nous avons ainsi organisé des séances au sujet de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents à Scarborough, Aurora, Huntsville, Sudbury, Kitchener, Guelph, Niagara Falls, Brantford, Stratford, London, Brockville, Willowdale, Barrie et Ottawa. Dans l'ensemble de la province, trois principaux commentaires se dégagent des consultations.
Premièrement, les citoyens et les personnes qui travaillent auprès des jeunes, notamment les policiers, les enseignants de même que les travailleurs communautaires et sociaux, tiennent à ce qu'on sache que la plupart des jeunes auprès de qui ils interviennent deviennent des citoyens et des adultes productifs et respectueux de la loi.
Deuxièmement, ils tiennent à ce qu'on sache que, en ce qui concerne les jeunes qui en sont à une première infraction mineure, les policiers et les tribunaux devraient bénéficier de vastes pouvoirs discrétionnaires pour corriger le comportement sans recours à l'incarcération.
Troisièmement, ils tiennent à ce que les contrevenants violents et les récidivistes soient contraints de façon que le public soit protégé. Comme l'a dit Irene O'Tooke du Community Safety and Crime Prevention Council à l'occasion de l'audience tenue à Kitchener, en Ontario, à la date fatidique du 11 septembre: «Dans les cas de meurtre, nous ne croyons pas qu'il suffise de taper sur les doigts.»
Nous craignons que la Loi sur le système de justice pénale pour les jeunes tendra à perpétuer le mépris que les jeunes contrevenants violents et les jeunes récidivistes nourrissent à l'endroit de la Loi sur les jeunes contrevenants. Il s'agit d'un très petit pourcentage des jeunes du pays qui ne respectent pas le système de justice canadienne, et nous pensons que cette situation est préoccupante.
M. David Tilson, député, coprésident, Commission ontarienne de lutte contre le crime et adjoint parlementaire au solliciteur général de l'Ontario: Honorables sénateurs, je tiens à vous remercier de l'occasion que vous nous donnez de faire état de certains des propos que nous avons recueillis aux quatre coins de la province.
Pour faire suite à ce que M. Tascona a déclaré, nous pensons que le projet de loi que vous étudiez contient certains aspects problématiques. On a indiqué au Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes que le projet de loi C-7, Loi sur le système de justice pour les adolescents, ne tient pas compte du fardeau financier que le projet de loi oblige les provinces à assumer. Certains critiques ont laissé entendre que l'Ontario ne devrait pas se préoccuper d'un secteur qui relève de la compétence fédérale.
Comme je l'ai indiqué à l'occasion de notre tournée dans la province, ce sont les procureurs de la Couronne, les policiers et les travailleurs sociaux de la province qui doivent expliquer aux victimes et à leur famille pourquoi un jeune contrevenant violent n'a reçu qu'une peine symbolique. Ce sont les procureurs de la Couronne et les policiers de la province qui doivent expliquer aux victimes et à leur famille pourquoi un jeune contrevenant violent ne peut être jugé et condamné au même titre qu'un adulte.
Dans les faits, on demande aux administrateurs du Code criminel, les gouvernements provinciaux, dont celui de l'Ontario, d'assumer un fardeau financier plus grand en raison du projet de loi que vous avez devant vous.
Le gouvernement fédéral verse des fonds aux provinces pour aider ces dernières à assumer principalement les coûts des programmes. Il agit ainsi en vertu de l'accord sur le partage des coûts intervenu entre le gouvernement fédéral, d'une part, et les provinces et territoires, d'autre part. En Ontario, ce sont le ministre des Services sociaux et communautaires et le ministre des Services correctionnels qui négocient le financement.
Aux termes des accords de 1985, 1986 et 1989-1990, les gouvernements fédéral et provincial assumaient à parts égales les coûts du système de justice pour les adolescents. Depuis avril 1990, la participation du gouvernement fédéral a été plafonnée au niveau de 1989-1990. L'Ontario consacre chaque année environ 254 millions de dollars au système de justice pour les adolescents, tandis que la contribution du gouvernement fédéral a, cette année, été limitée à 68,8 millions de dollars. À l'heure actuelle, le gouvernement fédéral assume environ 25 p. 100 des coûts. Après avoir discuté avec les procureurs de la Couronne, les policiers et d'autres intervenants de la province, nous nous attendons à ce que le projet de loi C-7 entraîne une hausse du fardeau général, tandis que la part de ce fardeau assumée par le gouvernement fédéral continuera de diminuer.
Dans le projet de loi C-7, on retrouve un cadre procédural détaillé et complexe visant à mettre l'accent sur la réadaptation des adolescents reconnus coupables d'infractions criminelles. Pour faire la promotion de cette idée, le projet de loi propose un éventail accru de possibilités de peines conçues pour s'attaquer à ce que, dans le projet de loi, on présente comme les causes sous-jacentes de la criminalité chez les jeunes. Le projet de loi a pour but de s'attaquer à ces problèmes de la façon la plus exhaustive possible, tout en mettant l'accent sur les besoins personnels des adolescents. Au total, le projet de loi renferme 20 types différents de peines. Dans la Loi sur les jeunes contrevenants, il y en avait 13.
En plus d'accorder une marge de manoeuvre plus grande au chapitre de la détermination de la peine pour les jeunes, les dispositions législatives proposées donnent l'impression d'habiliter les gouvernements provinciaux à déterminer s'il convient ou non d'offrir certains programmes requis par certaines des possibilités de peines et de mesures extrajudiciaires proposées.
En théorie, chacune des provinces devrait pouvoir adapter la mise en oeuvre des dispositions législatives proposées en fonction de ses propres points de vue et initiatives stratégiques. Malheureusement, bon nombre des options relatives aux programmes contenues dans le projet de loi C-7 sont fonction de la disponibilité de ressources financières considérables: sans financement du gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux ne seront tout simplement pas en mesure de mettre en oeuvre le projet de loi comme l'entend le procureur général fédéral. En conséquence, les juges et les procureurs risquent de se trouver paralysés au moment des audiences de détermination de la peine, incapables qu'ils seront d'imposer ou de recommander des peines susceptibles d'avoir d'importants effets correctifs ou favorisant la réadaptation, mais financièrement hors d'atteinte. À moins que le gouvernement fédéral ne soit en mesure de promettre et de fournir les ressources nécessaires, la souplesse promise par le projet de loi C-7 demeurera illusoire.
Je tiens à remercier les honorables sénateurs de l'occasion qu'ils nous ont donnée, à M. Tascona et à moi, de comparaître au nom de la Commission ontarienne de lutte contre le crime, et je remercie la greffière d'avoir fait le nécessaire pour que nous puissions comparaître.
M. Joe Wamback, consultant, Bureau d'aide aux victimes d'actes criminels de l'Ontario: Honorables sénateurs, j'agis comme consultant auprès du Bureau d'aide aux victimes d'actes criminels de l'Ontario, mais je suis aussi un père de famille et un Canadien qui a été victime d'un crime. Je préférerais me voir ailleurs, ce soir, que devant le comité. J'aimerais mieux être à la maison et profiter de la vie auprès des membres de ma famille ou de ma collectivité, en jouissant du fruit de mes efforts, mais ce n'est pas la chose à faire. La chose à faire, c'est d'être ici pour prendre la parole devant vous et porter à l'attention du Sénat des questions qui revêtent une importance vitale en rapport avec le projet de loi C-7, Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents.
Si je suis ici, c'est en raison de l'attaque en bande violent et haineux dont a été victime mon fils quand il avait 15 ans. Il est resté trois mois dans le coma, et sa mère et moi avons vécu avec lui à l'hôpital pendant ces trois mois de même que pendant une période additionnelle de sept mois.
Tout ce temps, j'ai été en communication avec la Couronne, la police et le système de justice. J'ai commencé à m'initier à la Loi sur les jeunes contrevenants. J'ai été frustré par la totale absence de reddition de comptes inhérente à ce texte de loi tout autant que par les difficultés et les problèmes de procédures qu'on rencontre aux termes de la Loi sur les jeunes contrevenants lorsqu'on veut obliger les adolescents violents à rendre des comptes à la société.
Lorsque le gouvernement fédéral a proposé le projet de loi C-3, qui a précédé le projet de loi C-7, j'ai réagi avec surprise. J'étais emballé à l'idée qu'on élabore un nouveau texte de loi parce qu'on m'avait dit qu'il s'agirait d'une panacée, d'un remède à tous les maux de notre société. J'ai lu le projet de loi C-3, et ma frustration a grandi. De concert avec le Bureau d'aide aux victimes d'actes criminels de l'Ontario, j'ai déposé un mémoire à la Chambre des communes, et les députés m'ont entendu, mais ils ne m'ont pas écouté.
J'ai parcouru des collectivités de tout le Canada, et je suis le seul témoin à comparaître devant le comité qui puisse se vanter de représenter plus de 1 million de Canadiens, des mères, des pères, des policiers, des avocats, des juges, des travailleurs sociaux et des citoyens ordinaires qui en ont marre du système tel qu'il existe aujourd'hui. Ils veulent du changement. Ils ne cherchent ni la rétribution ni la vengeance. Ce qu'ils veulent, ce sont des changements positifs et majeurs. Ils ne préconisent pas un surcroît de procédures ni de technicalités. En trois mots simples, ils veulent de la clarté, de la responsabilisation et de la certitude - éléments qui, dans le projet de loi C-7, brillent par leur absence.
Je demande aux membres du comité d'aller au-delà du préjugé anecdotique à la lumière duquel on perçoit les victimes et d'aller au-delà des statistiques qu'on jette avec libéralité à la tête du grand public canadien, lesquelles, quand le grand public regarde de plus près, apparaissent comme fausses et erronées.
Je demande au comité de recommander au Sénat de renvoyer le projet de loi C-7 à la Chambre des communes pour produire le projet de loi que les pères et mères de famille du Canada méritent. Nous méritons mieux que le projet de loi que nous avons devant nous aujourd'hui. Nous méritons mieux que des procédures et des technicalités. Nous méritons plus qu'un projet de loi qui profitera aux criminels et à ceux qui auront charge de les défendre.
Le projet de loi est complexe, alambiqué et rempli de renvois ainsi que de définitions inexistantes. Je ne suis pas avocat, mais j'ai discuté du projet de loi avec bon nombre de lumières de notre pays. Si le projet de loi est adopté, je suis convaincu qu'il faudra des années avant qu'un nouveau jeune contrevenant violent soit traduit en justice dans notre pays.
Mme Priscilla deVilliers, consultante, Bureau d'aide aux victimes d'actes criminels de l'Ontario: Honorables sénateurs, depuis que ma famille a été victimisée il y a dix ans, je suis mêlée, à titre de présidente des Canadiens contre la violence partout recommandant sa révocation, au débat relatif à la politique gouvernementale portant sur une diversité d'enjeux. Pendant ce temps, j'ai compris qu'il existe une capacité infinie de changer et de répondre à des problèmes qui, auparavant, ne se posaient même pas. Je fais en particulier référence aux victimes et aux problèmes qui les concernent.
Ce soir, je vous fais bénéficier d'un point de vue de victime, celui de la victime d'un acte criminel. Je veux vous parler du rôle d'une victime dans le système et de celui de personnes qui ne veulent pas être victimisées, mais qui sont paralysées, traumatisées et affectées par des actes criminels, même s'ils n'en ont pas été les victimes principales. C'est dans cette perspective que j'ai examiné le projet de loi et tenté de l'analyser de façon intègre, crédible et honnête.
Depuis que je travaille pour le compte des Canadiens contre la violence partout recommandant sa révocation, j'ai presque toujours été mêlée à des questions touchant les jeunes. La vaste majorité de mes tâches a trait aux jeunes.
Selon un numéro de Juristat, c'est chez les étudiants qu'on observe les taux les plus élevés de victimisation personnelle. Ce sont les enfants des écoles et de la collectivité. Ce qu'on ne dit pas ici, c'est que tous les jeunes qui les entourent deviennent partie à cette victimisation; ils sont en quelque sorte infectés par les effets des actes criminels. Lorsqu'on s'intéresse aux jeunes victimes, on a nécessairement affaire à des problèmes plus vastes que lorsqu'on travaille auprès d'adultes.
Dans le même numéro de Juristat, on affirme que les taux sont plus élevés. Les jeunes de 15 à 24 ans sont, apprend-on, 21 fois plus susceptibles d'être victimes de violence que les personnes appartenant au groupe des 65 ans et plus. Voilà peut-être l'une des raisons qui font que la société est si profondément préoccupée par le système de justice pour les adolescents et qu'elle lui adresse tant de reproches.
Au fil des ans, nous avons appris que nous ne devons pas nécessairement nous montrer durs. Ce qu'il faut, c'est réagir de façon opportune, efficace et honnête au problème de la criminalité chez les adolescents et de la victimisation des jeunes.
Lorsque, il y a quelques années, j'ai lu la première incarnation du projet de loi, soit le projet de loi C-3, je dois avouer que j'ai été au départ heureuse de constater qu'on incluait les jeunes victimes dans la définition au sens large. Au terme d'une analyse minutieuse et de la lecture des petits caractères, j'ai toutefois compris que, dans les faits, le projet de loi ne servait pas bien les jeunes victimes. L'extraordinaire complexité du projet de loi entraînera une gamme complète de nouveaux problèmes pour les jeunes victimes d'actes criminels, qui seront désormais directement associés au système de justice pour les adolescents.
Pendant mon dernier mandat à titre de présidente des Canadiens contre la violence partout recommandant sa révocation, nous avons, de concert avec le Bureau d'aide aux victimes d'actes criminels de l'Ontario, sondé les intervenants sur le terrain, et les agents chargés des cas, ceux qui interviennent auprès des jeunes à tous les niveaux, en quête d'opinions multidisciplinaires provenant des quatre coins de l'Ontario. À titre d'information, nous avons inclus les recommandations issues de ces déclarations dans le rapport de vision intitulé: «Youth Safety Strategies Report 2000, Youth Violence in Ontario Schools and Communities». Je vous prie instamment d'en prendre connaissance.
Nos préoccupations rendent compte de ce sondage d'opinion plutôt exhaustif. Je suis ici ce soir pour vous demander de bien vouloir étudier la question. Examinez les petits caractères. Analysez le projet de loi et venez-en à la conclusion que, dans sa forme actuelle, il ne répond nullement aux besoins des jeunes victimes du pays. À ce titre, il devrait faire l'objet d'un examen plus approfondi, de corrections et d'une réflexion plus poussée.
Le sergent John Muise, chef d'équipe de projet spécial, Bureau d'aide aux victimes d'actes criminels de l'Ontario: Honorables sénateurs, c'est pour moi un privilège et un honneur que d'être ici pour participer au processus démocratique. Permettez-moi de me présenter pour que vous puissiez comprendre les expériences sur lesquelles se fonde mon point de vue et les inquiétudes que le projet de loi C-7 a fait naître en moi.
Je suis le policier du groupe. Je suis un vétéran de 26 ans du service de police de Toronto. Depuis trois ans, je travaille à ces dossiers auprès du Bureau d'aide aux victimes d'actes criminels.
Même si je comparais ici au nom du Bureau d'aide aux victimes d'actes criminels en tant que groupe d'intérêts particuliers, je bénéficie d'une expérience poussée du terrain. Je vais vous en parler quelque peu pour vous expliquer pourquoi le projet de loi C-7, dans sa forme actuelle, ne doit pas aller de l'avant.
En 1989, nous avons créé à Toronto une unité communautaire appelée l'unité des crimes de la rue. Nous étions une poignée de jeunes policiers qui pilotaient par instinct. Nous avons créé cette unité et établi des partenariats entre la police et les écoles. Nous avons été des précurseurs au Canada. Si on tient compte de la façon dont nous étions organisés, nous avons peut-être constitué la première unité du genre en Amérique du Nord.
Nous avions constitué un modèle communautaire. Ce faisant, nous avons réduit la dépendance à l'égard du système de justice pénale. Je pense que c'est une bonne idée, notamment en ce qui concerne les jeunes contrevenants.
Pour ce faire, nous avons eu recours à des moyens relativement créatifs. Nous avons protégé les victimes et réduit les possibilités offertes aux contrevenants en utilisant des engagements de ne pas troubler l'ordre public et des cautionnements créatifs, souvent suivis par des ordonnances de probation créatives. Nous avons obtenu de bons résultats. L'ironie de toute cette affaire, c'est que, souvent, nous n'avions pas à nous adresser aux tribunaux ni à envoyer un adolescent dans un établissement de garde ouverte ou fermée. J'invite ceux d'entre vous qui se demandent si notre modèle a bien fonctionné à visiter le site Web du solliciteur général du Canada. En 1994, le solliciteur général a eu le bon sens de rédiger un rapport au sujet de notre bureau. Le rapport, qui s'intitule «Projet communautaire de lutte contre la violence dans les écoles», a été rédigé par un chercheur à l'esprit remarquablement pratique, M. Fred Matthews. Il en est venu à la conclusion que les policiers venaient en aide aux victimes et aux contrevenants en établissant le contact avec eux et en travaillant près d'eux, du point de vue de la sécurité communautaire, de la sécurité en milieu scolaire, de la sécurité des étudiants et de la sécurité des contrevenants et des victimes.
Comme Mme deVilliers l'a indiqué, la réalité, c'est que la violence, sans nier le fait que les jeunes sont souvent victimes de violence familiale, se manifestent plus souvent qu'autrement entre jeunes.
Nous avons remporté un nombre considérable de succès, dont rend compte le rapport Projet communautaire de lutte contre la violence. Si j'en parle ici, c'est parce que nous n'avons pas eu recours à des sanctions extrajudiciaires. Nous n'avons pas eu besoin de dispositions législatives relatives à l'administration de la loi. Nous avons agi de notre propre chef. Le projet de loi C-7 concerne l'application de la loi, et j'imagine facilement ce qui arrivera dans les tribunaux lorsque nous aurons passé en revue les éléments de la liste d'épicerie qu'on entend nous imposer.
Ce qu'a fait l'unité des crimes de la rue, des services de police et d'autres organismes du pays l'ont fait avec quelques dollars, avec rien de plus qu'un engagement envers les enfants, les contrevenants tout autant que ces victimes. Ils ont agi de leur propre initiative.
Je sais que vous avez entendu d'autres policiers, des chefs aussi bien que des représentants d'associations, qui vous ont dit que, à leur avis, les sanctions extrajudiciaires se justifiaient. Ils les considèrent comme marquées au sceau de la bienveillance. Elles ne le sont pas. Elles ont limité notre capacité de répondre aux besoins des enfants de façon créative et proactive.
Notre unité est également en mesure d'offrir ses propres services de médiation, de règlement de conflits et de conciliation. Nos détectives ont recours à des conférences entre membres de gangs pour obtenir des trèves régionales. Nous avons pris ces initiatives par nous-mêmes. Nous n'avons pas eu besoin de toutes sortes de dispositions législatives.
Le phénomène de la violence chez les jeunes s'aggrave. Ne vous y trompez pas: le phénomène s'aggrave. M. Newark vous présentera les statistiques. Nous savons que les crimes violents commis par des jeunes contrevenants augmentent: de 1986 à 1999, la hausse est de plus de 100 p. 100. Au départ, les conflits se réglaient à coup de pieds et de poings. Lorsque des jeunes s'interposaient, c'était pour séparer les adversaires. À 45 ans, je suis assez vieux pour me rappeler ce genre de choses.
De nos jours, les combats entre jeunes contrevenants ne se livrent plus à coups de poings et de pieds, au corps à corps. Ils se battent en groupes et en gangs. Lorsqu'ils s'interposent, c'est avec une arme au poing, et dans l'intention non pas de mettre un terme au conflit, mais bien plutôt de le prolonger. Les problèmes sont réglés par la suite dans le cadre d'incidents au terme desquels des jeunes sont laissés sans vie ou entre la vie et la mort.
Je me suis permis de m'approprier une phrase de M. Newark. Pourquoi a-t-on préparé un projet de loi qui semble s'accrocher avec ténacité au petit nombre de contrevenants violents et de récidivistes qui nous donnent tant de fil à retordre? Dans le projet de loi, on semble s'en tenir mordicus à la notion d'infractions graves commises par des adultes, et pourtant on introduit des sanctions extrajudiciaires.
En ce qui a trait aux délinquants qui commettaient des délits mineurs, la Loi sur les jeunes contrevenants convenait parfaitement. Elle nous allouait toute la marge de manoeuvre voulue. Pourquoi «bureaucratiser» l'action des policiers et d'autres organismes communautaires qui savent parfaitement comment intervenir auprès des enfants? Si vos homologues de la Chambre des communes tiennent à faire ce qu'il faut pour les jeunes contrevenants et les jeunes victimes d'actes criminels, ils devraient, au lieu de rédiger ce genre de dispositions législatives, imiter ce qu'ont fait leurs homologues du sud de la frontière: investir dans de bons partenariats entre la police et les écoles. En décembre, je me suis rendu à Washington D.C., où on a littéralement investi des centaines de millions de dollars dans des programmes de partenariat entre la police et les écoles parce que les résultats de ces programmes sont probants.
En conclusion, je me contenterai de mentionner que les sanctions extrajudiciaires sont complexes. L'obtention de déclarations est complexe. Ces mesures auront pour effet d'engorger les tribunaux. Nous tenons à ce que la société respecte les dispositions législatives touchant les jeunes, et le texte de loi proposé ne va pas fonctionner. Les Canadiens seront horriblement déçus. On les aura laissé tomber.
Si le projet de loi C-7 est adopté dans sa forme actuelle, des critiques se feront entendre dans les médias moins d'une semaine après sa promulgation, et elles seront là pour de bon. Une bonne part de ces critiques seront légitimes.
M. Scott Newark, vice-président et conseiller spécial, Bureau d'aide aux victimes d'actes criminels de l'Ontario: La taille du mémoire que nous avons déposé ne vise à faire peur à personne. Il se compose surtout d'annexes. Je vais tenter de résumer le mémoire, qui figure au début.
Contrairement à ce que nous faisons dans bon nombre de nos exposés, nous n'avons pas proposé de solution de rechange au projet de loi. Comme M. Wamback l'a indiqué, nous sommes d'avis, après avoir étudié le projet de loi en détail - et nous avions également témoigné à propos du projet de loi C-3 - que la nature du texte de loi à l'étude est telle que vous devriez à tout le moins envisager sérieusement de le renvoyer. Nous avons tenté de soulever les cas à propos desquels vous voudrez peut-être exercer ce qui constitue de toute évidence une forme remarquable de pouvoir.
Le premier aspect a trait aux problèmes de validité constitutionnelle dans le texte de loi proposé. Ce dernier va très loin. Les pouvoirs liés au droit pénal s'étendent désormais à l'intérieur des voitures de police et vont jusqu'à indiquer aux policiers comment penser et exercer leurs pouvoirs discrétionnaires. Je serai heureux de débattre de cette question en rapport avec les dispositions concernées du projet de loi. Tout figure dans notre mémoire.
Cependant, on aborde de la même façon tous les aspects du système de justice, de la façon dont il administre la compétence en matière pénale à l'adoption de dispositions relatives au droit pénal. J'analyse des textes de loi fédéraux depuis une quinzaine d'années. Jamais encore je n'ai vu de projet de loi aux répercussions plus vastes.
Deuxièmement, je suis d'avis que l'article 12 soulève une question relative au traitement des victimes d'actes criminels. Je vous invite à convoquer de nouveau la ministre pour lui demander, à elle ou à ses fonctionnaires, pourquoi le projet de loi prévoit que des questions litigieuses où il y a une part de subjectivité feront d'office l'objet d'une présomption de renvoi, de préférence à ce que nous avons normalement fait jusqu'ici, c'est-à-dire utiliser l'annexe pour prendre des décisions relatives aux peines. Nous allons contraindre des victimes à revenir à la barre des témoins pour subir un contre-interrogatoire au sujet de la nature des torts et des préjudices qu'on leur a faits.
Voilà le spectre que soulève l'article 12. Il serait peut-être intéressant d'établir si de tels droits sont accordés à des personnes autres que des contrevenants. Je vous prie instamment d'étudier cette question.
Une autre raison a trait au processus. En annexe à notre mémoire, vous trouverez des délibérations du comité de la chambre qui a étudié le projet de loi C-7. Comme vous le savez, il y a eu deux journées et demie d'audiences. On a entendu des représentants de quatre provinces. On a recommandé 106 modifications du projet de loi issues de l'étude du projet de loi C-3.
Des objections ont été soulevées. La majorité des membres du comité de la Chambre n'a pas entendu les témoins qui ont comparu au sujet du projet de loi C-3. J'ai inclus un extrait d'un échange entre Mme deVilliers, M. Blaikie et M. Toewes comme je n'en ai jamais rencontré auparavant. L'échange porte sur le refus d'autoriser un représentant élu à comparaître. Sur le plan de la procédure, je suis d'avis qu'il s'agit d'un processus participatif remarquablement déficient, et je vous invite à apporter un remède tout aussi remarquable.
En ce qui concerne les préoccupations de fond, nous nous contentons de donner des exemples. Comme M. Muise l'a laissé entendre, vous auriez intérêt à étudier les infractions les plus graves et les critères auxquels il faut répondre pour pouvoir renvoyer un prévenu devant le tribunal pour adulte. Soit dit avec tout le respect que je vous dois, les critères imposés sont ridiculement élevés.
Penchez-vous aussi sur les infractions les moins graves du point de vue des mesures de déjudiciarisation. Voyez les précautions que nous prenons pour faire en sorte que des infractions ne soient pas prises en compte. Voyez le traitement réservé aux victimes d'actes criminels. Je suis d'avis - et d'autres témoins l'ont affirmé - que le projet de loi entraînera des retards et des dépenses corrélatives. Je vous soumets respectueusement que le projet de loi ne devrait pas être imposé au public canadien.
Nous allons maintenant répondre de notre mieux à vos questions.
La présidente: Tous les témoins ont dit ne pas avoir pu comparaître devant la Chambre des communes. Cependant, nous sommes ici au Sénat, et nous sommes à votre écoute. Nous vous avons accueillis ici à bras ouverts.
Le sénateur Andreychuk: Je tiens à vous remercier d'être venus et de nous avoir directement fait part de la perspective ontarienne.
Nous avons entendu des commentaires au sujet de la sévérité de l'approche adoptée par l'Ontario. J'ai été heureuse d'apprendre de la bouche de M. Tascona que, dans votre étude, les gens se préoccupent du sort des victimes. Vous avez souligné que vous tenez à l'utilisation de mesures de rechange. Vous vous inquiétez des contrevenants violents et des récidivistes violents en affirmant qu'on doit, dans le projet de loi, faire quelque chose à leur sujet. Je comprends ce que vous voulez dire.
Je voulais poser une question à M. Tilson. Les membres de l'Association du Barreau canadien nous ont indiqué, au moment de leur comparution devant nous, ne pas s'inquiéter du fait que le gouvernement fédéral utilise le projet de loi pour contraindre les provinces à offrir des services sociaux correctifs ou, pour dire les choses franchement, des fonds pour la prestation de tels services, et c'était un des moyens d'y parvenir: exercer des pouvoirs fédéraux pour faire en sorte que de telles mesures sociales soient prises pour les enfants.
On semble croire que la criminalité ne prend pas naissance à 12 ans ni même à sept ans. En fait, elle est souvent ancrée dans des problèmes précoces qui ne sont pas corrigés, que ce soit à l'école ou dans la collectivité, ou qu'il s'agisse de problèmes de santé mentale, du syndrome d'alcoolisme foetal, et cetera.
L'Association du Barreau semblait d'avis que le gouvernement fédéral était fondé à exercer des pressions sur les provinces en utilisant ses pouvoirs en matière de droit pénal. Que répondriez-vous à cela? Pourriez-vous nous dire si, au moment où vous avez établi les coûts et la réduction du régime de partage des frais à 50-50, vous avez analysé seulement le coût du système de justice pour les adolescents ou si vous avez des chiffres qui indiquent que le partage des coûts a diminué dans d'autres secteurs?
M. Tilson: Les commentaires que j'ai faits ont strictement trait au système de justice pour les adolescents.
Je ne peux pas faire de commentaires sur les propos de l'Association du Barreau canadien. Je suis avocat, mais je ne le suis pas depuis longtemps, et je n'ai pas la prétention de posséder ces dossiers à fond. Tout ce que je puis vous dire, c'est ce que les personnes que nous avons entendues dans le cadre de notre démarche m'ont dit, qu'il s'agisse de procureurs de la Couronne ou d'avocats de la défense.
À la vue du projet de loi, les avocats de la défense salivent. Ils ne se tiennent plus d'impatience. Ils attendent l'adoption du projet de loi avec impatience. Des membres de l'appareil judiciaire nous ont dit ne pas comprendre le projet de loi. Il est très complexe.
Nous avons déjà discuté avec les travailleurs sociaux. Notre exposé porte pour une bonne part sur les adolescents violents. D'autres aspects du droit exigeront également des services de réadaptation. Nous sommes favorables à la réadaptation, mais pas comme elle nous a été présentée. M. Newark et d'autres pourront vous en dire plus à ce sujet.
Les travailleurs sociaux affirment qu'ils auront besoin de plus de cours, de connaissances et de ressources humaines. Les policiers estiment eux aussi qu'ils auront besoin de plus de formation. Les données que je vous ai fournies portent sur les mécanismes judiciaires et juridiques, et non sur ce qui arrive après.
J'ignore si vous aurez l'occasion d'entendre des témoins qui vous parleront de ces chiffres. Tout ce que je puis vous dire, c'est ce que j'ai entendu à l'occasion de nos audiences: il faudra plus de fonds, des fonds que la province de l'Ontario en particulier n'a pas.
M. Newark: Franchement, il s'agit d'une utilisation intéressante du pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral. Je fais référence au texte de Laforest qui, à mon avis, constitue l'ouvrage qui fait autorité dans le domaine. À mes yeux, cela sera assurément pertinent le moment venu d'établir s'il s'agit d'un empiétement aux termes de l'article 92.14 de la Loi constitutionnelle, à supposer qu'on ait affaire à ce genre de provocation et qu'elle soit délibérée. Je vous invite à demander à la ministre si les ressources accrues qui sont offertes sont assorties de conditions. Versera-t-on de l'argent uniquement à des programmes précis? Il s'agirait une fois de plus d'une preuve d'un empiétement. Le gouvernement agit dans le domaine du droit pénal, mais, ce faisant, il empiète sur l'administration de la justice elle-même.
Le sénateur Andreychuk: Imaginons que des fonds soient versés à condition qu'ils servent à 80 p. 100 à des activités non liées à la garde au sein du système de justice pour les adolescents. Serait-ce là un exemple du genre de situation dont vous parlez?
M. Newark: C'est une illustration parfaite de ce que j'ai dit. Absolument.
Le sénateur Andreychuk: Monsieur Wamback et madame deVilliers, vous avez à juste titre affirmé qu'on doit tenir compte des besoins des victimes. Voyez-vous une différence entre l'approche définie dans le projet de loi C-7 - je comprends qu'il s'agit d'une approche plus légaliste - et celle qui s'applique aujourd'hui en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants? En d'autres termes, les juges donnent-ils aux victimes l'occasion de faire valoir leur point de vue?
M. Wamback: D'après moi, le projet de loi C-7 retire aux victimes les droits qu'elles exercent au pays depuis des temps immémoriaux. Ces droits, on les retire à la poursuite privée. L'adoption du projet de loi entraînera la mise en place de procédures qui se traduiront par la quasi-élimination de la participation des victimes aux sanctions extrajudiciaires. Il s'agit d'une mesure régressive.
Mme deVilliers: Soit dit en passant, nous avons dressé une liste de toutes les dispositions du projet de loi qui, à notre avis, ont de graves impacts sur les jeunes victimes. Je ne veux pas vous en faire la lecture.
L'une de mes principales préoccupations, c'est que les victimes, même si on fait allusion à elles dans les principes, brillent par leur absence dans bon nombre d'autres dispositions qui, lorsqu'il s'agit des jeunes contrevenants, contiennent force détails. L'article 4, par exemple, est une disposition très importante, mais on n'y fait nullement mention des victimes. Doit-on comprendre qu'elles ne sont pas incluses? À l'analyse, j'ai l'impression qu'il est bien possible qu'elles ne le soient pas.
En vertu des articles 6 et 8, on peut - on peut même penser qu'on doit - ne pas porter d'accusation en cas de crime sans que la victime soit consultée. On doit analyser chacune de ces dispositions. À propos de tous les aspects relativement auxquels les victimes seront exclues ou incluses, mais de façon problématique, on doit se livrer à une réflexion approfondie. Le projet de loi aura un impact énorme sur les victimes.
J'appuie mes dires sur une expiration personnelle amère. Étudiez le projet de loi. Si son adoption entraîne les coûts que je crains relativement à la formation, aux ressources et à tout le reste, on abandonnera une fois de plus les victimes à leur sort, tels des orphelins du système qu'on laisse se débrouiller tout seuls au milieu de questions complexes diverses dont elles sont exclues.
Le projet de loi a un effet très grave sur ce qui semble être la reconnaissance des victimes dans le cadre du projet de loi.
M. Newark: Je vous prie instamment d'examiner les documents que nous avons déposés et de communiquer ensuite avec les fonctionnaires ou la ministre pour leur demander si notre analyse est juste. On a ici affaire à deux énormes pas en arrière. Le premier a trait à la non-utilisation des annexes pour établir si une personne sera admissible à des infractions désignées. Nous avons ici affaire aux pires délinquants qui soient.
À la place, nous avons choisi, pour des raisons que j'ignore, d'opter pour des expressions subjectives individuelles, par exemple «lésions corporelles graves». Il faut que les infractions commises en aient causé. Nous devons donc citer les intéressés à comparaître. Il s'agit d'une mesure terrible. Comme vous le savez, dans d'autres textes de loi, nous faisons sans cesse appel à des restrictions figurant dans une annexe.
Si quelqu'un est reconnu coupable d'agression sexuelle grave ou de vol à main armée, cela, me semble-t-il, devrait suffire. Nous ne devrions pas avoir à nous interroger sur l'accusation.
De la même façon, dans les définitions, nous effectuons un pas en arrière relativement à la signification de «dommage grave». Dans l'affaire Budreo, on a étudié un projet de loi adopté il y a des années, soit le projet de loi C-45, qui avait pour effet d'élargir la définition de «dommage grave» de façon qu'elle inclue les traumatismes psychologiques. Cela ne figure pas dans le projet de loi. Les tribunaux devront peut-être demander aux victimes: «Lorsque vous avez été violée, avez-vous subi des coupures?» Les dommages graves et les traumatismes sont compris, il s'agit d'une mesure régressive qui n'a pas sa place dans un projet de loi de cette nature. Il est mal rédigé.
La présidente: Je tiens à souligner à MM. Tilson et Tascona que nous avons déjà entendu plus de 60 témoins au sujet du projet de loi. Nous ne cherchons nullement à couper court aux délibérations. Nous avons tout mis en oeuvre pour entendre le plus vaste éventail d'opinions possible.
M. Tilson: Je suis heureux de l'entendre. Je faisais référence au Comité de la Chambre des communes.
La présidente: C'est son problème, pas le nôtre.
M. Tilson: C'était l'objet de mon commentaire. Vous effectuez un travail remarquable, sénateur, et nous vous en sommes reconnaissants.
M. Newark: Vous voudrez peut-être simplement tenir compte de ce que nous vous avons dit et renvoyer le projet de loi à la Chambre.
Le sénateur Beaudoin: Monsieur Newark, le pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral ne comprend pas, c'est évident, le droit d'assortir les dépenses de conditions ou d'obligations qui vont trop loin. D'un point de vue juridique, c'est plus difficile. Le projet de loi repose sur la compétence qu'exerce le gouvernement fédéral dans le domaine du droit pénal aux termes de l'article 91.27 de la Loi constitutionnelle. Cependant, le Québec conteste devant le tribunal un éventuel empiétement sur l'article 92.14 et, jusqu'à un certain point, sur le droit de la famille, même si certains aspects du droit de la famille relèvent du gouvernement fédéral, et d'autres, du gouvernement provincial.
L'argument que vous soulevez est intéressant. Peut-être va-t-on trop loin dans le sens des pouvoirs liés au droit pénal. Par ailleurs, il est très difficile de prévoir la réaction des tribunaux en raison des pouvoirs accessoires des assemblées législatives fédérale et provinciales.
Votre remarque est intéressante. Elle m'est restée présente à l'esprit. Aimeriez-vous fournir plus de détails à ce sujet?
M. Newark: Je ne suis pas certain que le jugement qu'on porte sur le projet de loi en le qualifiant de bon ou de mauvais ait une grande incidence. Cela a toujours été l'ironie de la situation. Certains Québécois sont d'accord avec certains Ontariens pour dire qu'il ne s'agit pas d'un très bon projet de loi, mais pour des raisons entièrement différentes. C'est la raison d'être du droit et de tout le cadre constitutionnel.
La question en cause a trait à l'empiétement. Peu importe les formes d'empiétement qu'on envisage, on s'attend généralement à ce que l'exercice par le gouvernement fédéral de ses pouvoirs dans le domaine du droit pénal soit considéré comme un empiétement. J'ai fourni deux ou trois exemples. Les détails figurent dans le mémoire.
À cet égard, il convient de se demander si le projet de loi n'est pas tout simplement trop ambitieux. Va-t-il loin au point de pouvoir être considéré comme anticonstitutionnel? Il n'est pas normal qu'on se pose cette question, mais on a ici affaire à un empiétement si remarquable et important que, à mon avis, les membres du comité seraient tout à fait fondés à pencher sur cette question.
Le sénateur Beaudoin: Peut-être le projet de loi sera-t-il contesté au motif qu'il constitue une certaine forme d'empiétement. Cependant, l'est-il au point d'être invalide? Cette question m'intéresse au plus haut point. Vos propos sont intéressants.
Mon autre question s'adresse aux quatre derniers témoins. Vous vous opposez très vivement au projet de loi, et j'aimerais en connaître plus au sujet de vos raisons. Le projet de loi est complexe, mais ce n'est pas la première fois que nous étudions un projet de loi complexe. Je maintiens pour ma part qu'il faut du temps pour rédiger un projet de loi sans ambiguïté.
Quand vous faites une telle affirmation, avez-vous des exemples précis en tête? Préféreriez-vous une absence de projet de loi à un projet de loi complexe? Êtes-vous d'avis que nous empiétons sur les droits des adolescents?
M. Wamback: J'ai consacré deux années et demie de ma vie à l'étude de ce qui arrive non seulement aux victimes et à leur famille, mais aussi aux délinquants et à leur famille. La complexité additionnelle ira à l'encontre même de ce que la justice devrait être, c'est-à-dire rapide. On devrait réduire le temps qui s'écoule entre le comportement délictueux et la conséquence. Toute conséquence devient insignifiante dans la vie d'un adolescent qui grandit. Je vais faire allusion au cas de mon fils. Plus de deux ans se sont écoulés entre l'arrestation de son agresseur et sa condamnation. Deux semestres et demi s'étaient écoulés. Ces enfants sont retournés à l'école. La conséquence n'a pas été immédiate et assurément pas finale. C'est très difficile. En tant que société, nous devons aux jeunes, aux victimes comme aux accusés, une justice rapide.
Le texte de loi proposé, selon les spécialistes à qui j'ai parlé, entraînera l'ajout de 13 étapes dans le cadre des audiences de même que des procès à l'intérieur des procès. Nous n'allons pas réduire le temps nécessaire pour obtenir justice ni pour demander, le cas échéant, que les coupables subissent les conséquences de leurs actes. En prolongeant le délai qui s'écoule entre le comportement et la conséquence, on portera atteinte à la confiance déjà limitée dont bénéficie le système de justice du pays.
J'ai discuté avec des Canadiens d'un océan à l'autre. Au cours des deux dernières années, ma femme et moi avons personnellement parlé à plus de 8 000 personnes. La violence a eu un effet sur la vie de ces personnes. Si nous ne modifions pas le système de façon à réduire le temps qu'il faut pour traduire les adolescents en justice, nous allons leur causer un tort considérable.
Le sénateur Beaudoin: Jusqu'ici, je suis impressionné par les mesures de rechange. Le système de justice pour les adolescents ne devrait pas être un calque du système de justice pour les adultes.
M. Wamback: Je suis d'accord avec vous.
Le sénateur Beaudoin: Il semble bien que les mesures de rechange - et je ne suis pas un spécialiste du domaine - donnent de bons résultats. Je suis enclin à croire qu'il s'agit de la voie à suivre. Dans le projet de loi, nous ne pouvons pas nous montrer plus rigoureux sans courir le risque qu'on nous reproche d'avoir créé un système plus dur, sans plus.
Bien entendu, ce n'est pas si simple. Vous avez le droit de dire qu'un tel système vous déplaît parce qu'il est inéquitable et très complexe. Dans ce cas, que devons-nous faire du projet de loi?
M. Wamback: Sénateur, je vais répondre au reste de la question que vous avez posée. Je pense que les dispositions législatives actuelles concernant les jeunes délinquants sont nettement supérieures à celles qu'on propose dans le projet de loi.
Mme deVilliers: Il y a de nombreuses choses à dire.
En ce qui concerne les mesures extrajudiciaires, il est certain qu'on a affaire à un mode d'intervention qui s'est perfectionné au fil du temps. Il ne fait aucun doute qu'on obtient beaucoup de succès auprès des jeunes délinquants non violents qui en sont à une première infraction. Au moment où nous nous parlons, je mène un projet de recherche, dans le cadre duquel j'ai l'occasion de rencontrer les responsables pour les conseils communautaires de l'Ontario, et le taux de réussite est bon.
Pour en revenir à ce que j'ai dit au début, j'examine la question du point de vue de la victime parce nous nous sommes battus pendant longtemps et avec acharnement pour que la loi tienne compte des victimes. Comme je l'ai indiqué, les jeunes victimes en particulier ont besoin d'une telle attention. Compte tenu des impacts qu'elles subissent dans la collectivité, à l'école et ailleurs, on doit tenir compte de leurs besoins pour qu'elles aient confiance dans le système ou bénéficient d'une forme ou d'une autre de redressement. Ce qui m'inquiète dans ce projet de loi complexe, c'est que de nombreuses dispositions risquent de porter préjudice aux victimes.
À titre d'exemple, il y a un aspect du projet de loi qui me préoccupe tout particulièrement: l'absence de conditions assorties au cautionnement, lesquelles auraient pour effet d'empêcher le délinquant de fréquenter l'école de la victime et des témoins. On a ici affaire à un projet de loi très détaillé. Pourtant, pas moins de 63 p. 100 des victimes d'actes violents commis par des jeunes sont âgés de moins de 18 ans, et il s'agit dans presque tous les cas de personnes que les victimes connaissent. Nous sommes d'avis qu'il n'est pas raisonnable d'obliger les victimes à supporter en permanence la proche présence de l'agresseur dans les écoles, sans supervision. Le projet de loi est muet sur cette question.
Le sénateur Beaudoin: Le projet de loi respecte-t-il adéquatement la Convention relative aux droits de l'enfant?
Mme deVilliers: Tout dépend de votre définition de «droits de l'enfant». Je dois avouer que le droit entretient généralement un préjugé très favorable envers les droits du jeune délinquant. Nous devons assurer le respect adéquat des droits de la jeune victime parce que ces droits sont inclus dans certaines dispositions du projet de loi.
Ce que je vous demande, c'est de rédiger avec soin ce projet de loi complexe. Examinons tous les enjeux, corrigeons les lacunes et répondons aux problèmes. Nous aurons alors affaire à un projet de loi valable. Pour le moment, des aspects importants ont été omis ou traités de façon inadéquate. C'est cet aspect qui me préoccupe, et non la complexité en soi.
M. Muise: J'essaie d'envisager le projet de loi d'un point de vue pratique. À titre de policier travaillant sur le terrain, c'est ce que je dois faire. En ce qui concerne l'obtention de déclarations, soit l'article 56 de la Loi sur les jeunes contrevenants, j'ai souri en lisant le témoignage des témoins qui ont comparu devant le comité parce qu'un représentant de l'Association canadienne des chefs de police et un de l'Association canadienne des policiers (ACP) ont fait allusion à la renonciation de sept pages préparée par l'unité des crimes de la rue. Nous avons établi ce formulaire il y a des années parce que, à l'époque, nous tentions de faire admettre par les tribunaux des déclarations obtenues aux termes de l'article 56 de la Loi sur les jeunes contrevenants et échouions misérablement. Nous n'arrivions pas à les faire admettre. Nous avons préparé le document en pensant que nous pourrions obtenir les bonnes réponses aux questions posées dans le document de sept pages parce que nous constituions une unité spécialisée et étions en mesure de nous battre et de faire quatre heures de travail supplémentaire. Vous allez peut-être rire, mais, en ces temps où les budgets sont limités, il est très important d'effectuer ce genre de travail à l'intérieur d'un quart de dix heures. Ce qui m'inquiète à propos du projet de loi C-7, c'est que la disposition relative à l'obtention des déclarations fera en sorte que le document de sept pages devra désormais en compter dix. Il n'est pas du tout plus facile d'obtenir la déclaration d'un jeune délinquant. Du point de vue de la complexité, la procédure est à la fois similaire et différente.
En ce qui concerne le partage d'information, j'ai lu les exposés présentés par les représentants des conseils scolaires. La seule fois que j'ai été adéquatement consulté remonte, en ce qui a trait au partage d'informations, à avant les modifications apportées à la Loi sur les jeunes contrevenants en 1996. Le ministère de la Justice a fait ce qu'il fallait. Il a fait part de sa volonté de voir utiliser le mot «devoir»; si on retenait le mot «devoir» plutôt que le mot «pouvoir», il était disposé à accepter les dispositions législatives. Je ne suis pas tout à fait d'accord avec le ministère, mais je dirais que, au lieu d'apporter ce document horriblement complexe, on devrait plutôt fournir des ressources à ceux d'entre nous qui faisons le travail sur le terrain.
Le sénateur Beaudoin a fait allusion au moyen que nous pourrions prendre pour régler ces problèmes au niveau local. Si on nous donnait les ressources nécessaires et qu'on assurait aux intéressés la formation voulue, les conseils scolaires obtiendraient de l'information. Ce que je peux vous dire, c'est que, à l'unité des crimes de la rue, tout responsable chargé d'une école donnée à laquelle nous étions liés était au courant de toutes les conditions assorties aux cautionnements, de toutes les ordonnances de probation et de toutes les ordonnances se rapportant à l'école. Nous avions établi un partenariat, et l'information était partagée.
Voilà le portrait d'ensemble. La complexité ne nous facilite pas la tâche. Elle a pour effet de bureaucratiser ce que nous faisons déjà très bien. Donnez-nous des outils, plus de ressources humaines et financières. Voilà ce dont nous avons besoin. Nous n'avons pas besoin de la bureaucratisation à outrance de méthodes comme la conciliation, la médiation et le règlement de différends.
Le sénateur Joyal: Monsieur Tascona, je crois comprendre que, la semaine dernière, le gouvernement de l'Ontario a rendu sa décision au sujet de l'utilisation de l'article 61 pour ramener l'âge de 16 à 14 ans. Êtes-vous en mesure de le confirmer? On a fait circuler un document de deux pages. Peut-être M. Muise l'a-t-il vu. On y présente la position du gouvernement de l'Ontario sur l'utilisation de l'article 61, qui se lit comme suit:
61. Le lieutenant-gouverneur en conseil d'une province peut, par décret, fixer un âge de plus de quatorze ans mais d'au plus seize ans pour l'application des dispositions de la présente loi relatives aux infractions désignées.
M. Tascona: Je vais devoir vérifier. Je ne suis pas au courant.
Le sénateur Joyal: Monsieur Tilson, vous avez présenté un exposé intéressant au sujet des coûts. C'est un problème avec lequel nous nous débattons nous aussi. Les témoins que nous avons entendus ont jaugé l'efficacité des objectifs du projet de loi sous deux aspects. Le premier concerne la mesure dans laquelle la province acceptera les objectifs en question; le deuxième touche l'argent qui devrait être versé au chapitre de la mise en oeuvre.
Nous apprenons qu'il y aura une autre enveloppe de 250 millions de dollars, pour laquelle deux années sont déjà prises en considération. Autrement dit, cette somme d'argent supplémentaire aura déjà été répartie par la province en fonction d'une période de deux ans. Cela veut dire qu'il reste encore trois années à prévoir.
J'aimerais que vous nous disiez, si cela est possible, ce que représente la part de l'Ontario pour la période de deux ans en question, puis ce que représenteraient les trois années à prévoir en ce qui concerne votre budget et les coûts qu'il faudra engager, selon vos calculs, pour la mise en oeuvre de ce projet de loi.
M. Tilson: Je ne saurais vous dire cela. Je ne veux pas vous induire en erreur, mais il me semble que quelqu'un m'a parlé de 270 millions de dollars, dans l'ensemble du pays, pour trois ans. Là n'est pas la question. La somme prévue est pour l'ensemble du pays. Quant à votre question - que représente la part de l'Ontario? - je ne le sais pas. Nous pouvons essayer de trouver ce chiffre pour vous.
J'insiste simplement sur ce que j'ai dit durant mon exposé préparé. Si on ne fait que tenir compte des options proposées pour ce qui est de la détermination de la peine, de la myriade d'options dont il est question, compte tenu des ressources limitées à notre disposition, je ne sais pas si cela peut se faire. Voilà une question dont il faut tenir compte. Les ressources sont déjà utilisées au maximum. Vous n'admettez peut-être pas que les coûts vont augmenter pour tous les éléments du système, qu'il s'agisse des juges, des procureurs de la Couronne, de la police et ainsi de suite, puis il y a la détermination de la peine et le chemin à emprunter à cet égard. Tout le monde dit que les fonds manquent.
Le gouvernement fédéral doit prévoir un financement substantiel. Le financement dont vous parlez, si je saisis bien ce que vous avez dit, est ponctuel. Ça s'arrête là. Ensuite, nous revenons aux 25 cents sur le dollar.
Je ne peux répondre à la question. Pour une fois, nous devons nous demander: une fois revenu aux 25 cents sur le dollar, cela sera-t-il suffisant? Il semble que vous ayez entendu, en long et large, un plus grand nombre de témoins que moi, mais je présume que les autres ont formulé des observations du même genre. L'argent manque.
Le sénateur Joyal: Si vous pouviez nous donner des renseignements complémentaires, nous apprécierions certes cela.
M. Tilson: Je ferai de mon mieux, sénateur.
Le sénateur Joyal: C'est une question que nous sommes en train d'étudier soigneusement.
M. Tilson: Je ferai de mon mieux pour vous donner cela.
M. Newark: Puis-je ajouter une chose à propos des coûts? Concrètement, si c'est trop long et que les coûts sont trop élevés, les gens sont dissuadés d'agir. Par exemple, dans le cas des audiences de renvoi, que vous acceptiez ou non notre analyse et notre raisonnement - elles sont biaisées, elles ne sont pas aussi efficaces qu'elles pourraient l'être -, aussi nous avons raison de dire qu'elles vont prendre plus de temps parce que nous avons élargi le droit d'instruction préliminaire et que les critères sur lesquels reposeront les jugements pour toutes ces formes d'audiences... cela veut dire qu'il sera beaucoup plus coûteux d'invoquer les dispositions dans les cas les plus graves. M. Muise est policier, et j'ai déjà été avocat. Je vous l'assure: cela veut dire qu'elles ne serviront pas. Nous allons envisager les coûts en jeu. Vous devez vous rappeler ce fait, car c'est cette solution qui est proposée dans le cas des crimes graves. Si c'est trop coûteux, c'est illusoire. La question des coûts: c'est ce qui nous tue. Ce n'est pas seulement la somme d'argent prévue, mais c'est aussi l'effet sur l'intégrité et la confiance dans l'ensemble - si nous ne nous servons pas de cette option parce qu'elle est trop coûteuse.
Le sénateur Joyal: Je présume que vous allez pouvoir nous donner des renseignements complémentaires. La question que vous soulevez est légitime.
Pour ma prochaine question, je vous renvoie à la page 5 du mémoire de M. Newark. Mes collègues, et particulièrement le sénateur Grafstein, de Toronto, ont déjà soulevé la question. J'aimerais lire la première partie du deuxième paragraphe, qui porte précisément sur la constitutionnalité du projet de loi en ce qui concerne l'article 15 de la Charte.
Je cite:
[Traduction] En outre, la Cour suprême du Canada a refusé d'assimiler à une violation des droits à l'égalité prévus à l'article 15 de la Charte le fait pour une province de ne pas mettre en place un programme de mesures de rechange, mais le fait que le projet de loi C-7 permette à une province d'appliquer des règles d'applicabilité différentes est presque à coup sûr un élément dont il faut tenir compte pour déterminer si le texte de loi est constitutionnel.Le sénateur Grafstein a soulevé la question auprès d'autres témoins. Comme vous le savez, cela fait partie de la troisième question soulevée par le gouvernement du Québec dans son renvoi à la Cour d'appel du Québec.
Je ne sais pas si vous disposez d'autres arguments pour faire valoir ce que vous dites, mais nous avons entendu un groupe du Québec qui préconise des mesures de rechange. Un des témoins s'est défendu en employant une certaine liste de références provenant de la décision précédente de la Cour suprême. Rappelons-nous que selon l'une des décisions de la cour, l'âge est un facteur dont il faut tenir compte lorsque des mesures différentes sont adoptées par diverses provinces. L'article 61 traite des différences d'âge, ce qui confirmerait votre raisonnement. Tout renseignement complémentaire nous serait utile.
M. Newark: Je ne disposais que d'un nombre très limité d'ouvrages de droit constitutionnel chez moi au moment où j'ai rédigé mon mémoire, même si c'est un peu pour cela que je souhaitais, au départ, faire mon droit. Ce qui ressort clairement de cela, bien sûr, c'est qu'il ne s'agit pas seulement de composer avec une option possible, comme on composerait avec quelqu'un. Les mécanismes de la loi déboucheront sur une application différente des conditions fondamentales d'admissibilité. Au meilleur de ma connaissance, qui n'est pas immense, cela va déboucher sur une analyse différente de l'article 15 et de son application. Je soupçonne que c'est cela qui sera unique, car le projet de loi s'appliquera à vous de telle ou telle façon suivant, littéralement, que vous habitez d'un côté de la rivière ou de l'autre. C'est ce qui est nouveau selon moi. Est-ce anticonstitutionnel? Des commentateurs plus savants que moi sauront vous le dire. C'est certainement nouveau.
Le sénateur Joyal: Monsieur Tilson, croyez-vous qu'il conviendrait que vous demandiez d'obtenir le statut d'intervenant à la Cour d'appel du Québec pour aller y défendre ce point de vue?
M. Tilson: L'avocat sera ici demain, et je crois qu'il va donner une réponse aussi vague que celle que je vous donnerais aujourd'hui. C'est une possibilité qui est envisagée. Je ne saurais vous dire aujourd'hui ce que nous sommes prêts à faire.
Le sénateur Joyal: Bien entendu, je n'ai pas à insister sur le fait que la décision serait positive en ce qui concerne le caractère anticonstitutionnel de la loi qui s'appliquerait dans tout le Canada.
M. Wamback, j'ai lu dans l'édition du 10 septembre du Sun d'Edmonton un entretien que vous avez accordé pour expliquer ce projet de loi, qui est complexe.
J'ai écouté soigneusement ce que vous et Mme deVilliers avez à dire à propos du rôle des victimes. Je suis d'accord avec vous: cela se joue dans les deux sens. Il peut être bon pour un jeune contrevenant de chercher à exprimer ses regrets aux victimes. À mon avis, une partie du processus de réadaptation consiste à prendre conscience des dommages et des conséquences de ses actes. En même temps, je suis tout à fait d'accord avec vous. Cela peut être très traumatisant pour la victime et, comme vous l'avez dit, sur le plan psychologique plus que toute autre chose, parfois.
J'ai vu dans votre mémoire certains éléments précis à cet égard. Si vous pouviez établir des priorités pour ce qui est d'améliorer le projet de loi en ce qui concerne les droits de la victime, quelles seraient-elles?
M. Wamback: Il me faudra beaucoup de temps pour expliquer ma position en ce qui concerne les améliorations qui, selon moi, devraient être apportées. Je suis ingénieur de profession. Mes convictions sont enracinées profondément dans ma formation, dans mon éducation. Quand on me présente un plan qui comporte des lacunes, une idée dont je sais qu'elle ne fonctionnera pas ou qu'elle va créer plus de problèmes qu'elle permet d'en résoudre, mon conseil est toujours le même: n'essayez pas de manipuler, de modifier, de retravailler ce qui est déjà déficient. Recommencez et faites les choses correctement dès le départ.
Quant à la participation conjointe des victimes et de leurs agresseurs à un programme quelconque, le scénario n'est plus le même lorsqu'on décide de réunir une victime et son agresseur dans le cas d'un crime extrêmement violent compte tenu, particulièrement, du traumatisme psychologique aussi bien que des dommages physiques. Je parle d'une victime qui a survécu à une agression violente dans le cas particulier de mon fils et des autres jeunes hommes que nous avons rencontrés depuis deux ans.
Ma femme et moi faisons le travail que nous faisons au Canada, en voyageant et en nous adressant aux gens, de notre propre gré. Nous ne comptons sur les fonds ou l'appui d'aucune organisation - philosophique, politique ou autre. Nous ne recevons aucune somme d'argent de quiconque. Nous faisons cela parce que nous estimons que c'est la chose à faire et nous le faisons parce que nous croyons que les solutions, même dans le cas d'un problème très compliqué, ne sont pas si difficiles. Il faut avoir la volonté politique de faire ce qu'il faut faire. À mon avis, ce qu'il faut faire, c'est de traiter les criminels violents conformément au Code criminel qui existe déjà au Canada et traiter les criminels non violents, les jeunes hommes et les jeunes femmes qui font des bêtises, en dehors du système judiciaire. Nous n'essayons pas de rendre les choses plus ardues. Nous essayons de faire ce qu'il faut faire pour protéger la société contre les criminels violents et les récidivistes. Il y a des jeunes qui, même à l'âge de 12 ans, vous glaceraient le sang. Le système n'est pas conçu pour de tels cas.
Mme deVilliers: Permettez-moi de dire deux choses. Je crois qu'il doit y avoir une certaine uniformité. Nous devons examiner toutes les questions qui touchent aux victimes et nous assurer qu'il y a uniformité. Ensuite, nous avons parlé de mesures extrajudiciaires. Cela semblerait être le champ d'action idéal, si nous tenons compte des principes de la justice réparatrice et ainsi de suite, de la réparation par le contrevenant de l'acte commis auprès de la victime, dans la mesure où - j'ajouterais cela et j'insisterais là-dessus - la victime le souhaite.
Néanmoins, la victime n'est nullement mentionnée aux articles 4 et 5. Il semble qu'il y ait un manque d'uniformité. On pourrait faire valoir que cela est dit au début des principes. Toutefois, voilà l'endroit où on s'attendrait à voir mentionner la notion de participation de la victime.
Ce qui me dérange le plus, et M. Newark en a parlé - j'ai également participé aux délibérations concernant Wray Budreo et j'ai agonisé à propos du fait qu'il faut prouver qu'il y a dommage - que les enfants doivent, essentiellement, prouver qu'il y a eu dommage, particulièrement dans le cas d'infractions violentes et graves. Ce qui constitue probablement à mes yeux la mesure la plus régressive dans tout cela, c'est que l'on pourrait faire fi de ce principe et montrer que la victime doit maintenant prouver devant le tribunal qu'il y a bel et bien eu préjudice. Nous avons établi en 1996 qu'il faut accepter qu'il y aura un grave dommage moral et que l'on n'a pas à montrer la blessure. J'ai énormément de difficulté avec cela. Nous voyons plusieurs autres problèmes, et nous les avons énumérés.
Ce qui est d'une importance capitale de mon point de vue et de celui du bureau pour les victimes d'actes criminels, c'est que le projet de loi doit faire l'objet d'une analyse rigoureuse et honnête, article par article, et dont le but consisterait à déterminer où les victimes ont été prises en considération et quels seraient les résultats de la démarche, car il pourrait y avoir des résultats extrêmement néfastes. Nous avons donné quelques exemples. Dans d'autres cas, les victimes brillent par leur absence, alors qu'elles devraient vraiment être présentes. À mon avis, cet article n'a pas fait l'objet d'une mûre réflexion.
La présidente: Madame deVilliers, l'alinéa 5d) se lit comme suit:
d) l'inciter à reconnaître et à réparer les dommages causés à la victime et à la collectivité;
Le sénateur Beaudoin: L'alinéa 5b) est également pertinent.
Mme deVilliers: Je ferai une correction. Je faisais allusion à l'article 4, sous la rubrique «Principes et objectifs».
M. Newark: Les victimes sont exclues des décisions touchant la déjudiciarisation. Elles sont exclues des comités de justice pour les jeunes, sauf pour ce qui est de leur participation à la réconciliation avec les contrevenants. Les droits se rapportant aux programmes d'examen préliminaire, permettez-moi de vous le dire, seront très différents. Quant à savoir s'ils ont la capacité, il se trouve que je ne suis pas d'accord avec la décision de ne pas porter d'accusation. La possibilité qui existait par le passé - si je ne suis pas d'accord, je peux opter pour la dénonciation du particulier - ne se trouve pas dans le projet de loi.
Nous avons remis une longue liste de questions. Je vous proposerais d'examiner la liste dont il s'agit et de vous poser des questions dans ce contexte. Il existe certes des cas où les victimes sont incluses. À mon avis, ce sont des cas qui n'ont pas une grande importance sur le plan fonctionnel, et il manque deux cas importants: la marche à suivre pour la rétrocession et les principes.
Il y a un cas où nous avons proposé une option: un énoncé de principe pour le projet de loi qui, à notre avis, est plus complet et mieux équilibré. Vous trouverez cela dans le mémoire.
Le sénateur Joyal: Monsieur Muise, vous avez mentionné que vous avez pris part aux consultations du ministère en 1996. Si vous y avez pris part, trouvez-vous dans ce projet de loi une certaine idée de ce que vous avez proposé, compte tenu de votre expérience dans le domaine comme agent qui a affaire à de jeunes contrevenants, en général?
M. Muise: Je parlais d'un article en particulier portant sur le partage d'information, article qui a, de fait, été amélioré en 1995 ou 1996. J'ai travaillé officieusement avec des gens du ministère de la Justice. J'ai reçu un appel téléphonique à la dernière minute. L'interlocuteur disait: «Accepteriez-vous ceci?» Comme il s'agissait d'une amélioration très nette par rapport à l'article 38 précédent de la Loi sur les jeunes contrevenants, j'ai dit: «Bien sûr, j'accepterais.»
Quant aux vastes consultations qui ont été effectuées pendant des années, j'ai assisté moi-même à une réunion en ville où il y avait une trentaine de personnes, mais où j'étais le seul policier. Je ne suis pas hypersensible, mais ce n'est pas ce que j'aurais qualifié de consultation. Je suis parti en sachant très bien que la personne responsable n'acceptait pas des choses que j'avais à dire. Voilà mon expérience de la situation, expérience très négative. Je n'avais pas l'impression qu'on m'écoutait. J'ai été consulté de deux façons, officiellement et officieusement. La consultation officieuse concernant l'échange de renseignements a été positive. La consultation officielle, je l'ai jugée négative. C'est la vie.
Le sénateur Fraser: Monsieur Tilson, j'ai été frappé par vos observations concernant les coûts supplémentaires de l'exercice, qui, j'imagine, concernent non seulement la prolongation des procès, mais encore l'élaboration des mesures extrajudiciaires dans son ensemble.
Je suis originaire du Québec. Quelle que soit la mesure envisagée, ma province est plus pauvre que la vôtre. Sa capacité financière est nettement moindre. Le Québec est une province «démunie». L'Ontario fait bonne figure parmi les provinces «nanties».
Des années avant que n'apparaissent les 270 millions de dollars, ma province a fait le choix politique qui consistait à établir un système complexe de mesures de rechange dans le cas des enfants. Elle l'a fait parce que c'était la chose correcte à faire, selon son jugement politique. Il n'y a jamais assez d'argent pour quoi que ce soit chez les humains, et les responsables des mesures en question pourraient certainement bénéficier d'argent supplémentaire. Tout de même, dans la mesure où le gouvernement pouvait le faire, il en a fait une priorité. Cela m'invite à dire qu'il est question ici de choix politiques provinciaux.
La province de l'Ontario a déterminé et - je déduis cela d'après ce que vous dites - continuera de déterminer que ce n'est pas la voie à suivre.
M. Tilson: Je ne peux vous dire ce qu'il en est au Québec. Visiblement, vous le savez. Je peux uniquement parler des gens avec qui je me suis entretenu, des professionnels et des profanes, qui connaissent bien ce qui se passe à l'intérieur du système.
Vous avez raison, il n'y a jamais assez d'argent, quelle que soit la province où on se trouve, que ce soit il y a dix ans ou dans dix ans. Je suis d'accord là-dessus. Quant aux processus qui sont proposés, qu'il s'agisse des tribunaux ou des options proposées sur le plan de la détermination de la peine et de ce que la police est censée faire, je n'ai pas de statistiques, n'ayant pas de boule de cristal. Je sais que les gens disent: «C'est ce que nous avons en ce moment et nous avons de la difficulté sur ce plan.» Le procureur de la Couronne, le policier et le travailleur social qui traitent de questions relatives à la détermination de la peine ne peuvent faire les choses qui doivent être ajoutées. C'est ce qu'ils disent.
Je ne peux croire que ce message n'est pas véhiculé dans la province de Québec. Je ne peux croire que les gens au Québec disent: «Nous avons assez d'argent.»
Le sénateur Fraser: Les gens au Québec disent: «Nous avons besoin de plus d'argent.»
M. Tilson: C'est bien sûr qu'ils le disent.
Le sénateur Fraser: Le souci qu'ils ont en rapport avec le projet de loi, c'est la crainte que celui-ci ne limite la capacité qu'a le Québec de recourir à des mesures extrajudiciaires.
M. Tilson: C'est là une différence philosophique. Je ne connais pas bien le renvoi du Québec dont on a parlé. Tout de même, étant donné le peu que je connais, je crois qu'il s'agit là d'une différence philosophique. C'est probablement différent de ce que disent les gens en Ontario. Les gens en Ontario disent que le projet de loi est trop faible, et les gens au Québec disent qu'il ne va pas assez loin.
Je parle des ressources. Quel que soit le camp dans lequel vous vous trouvez, mes observations portent sur les ressources, sans toucher aux idées politiques du Québec ou de l'Ontario. Les ressources sont insuffisantes.
Le sénateur Fraser: Je parlais de la façon dont on choisit d'employer les ressources à sa disposition.
M. Newark: Monsieur Bellehumeur, député de Berthier-Montcalm, a exprimé ses réserves quant au coût accru que ferait engager ce projet de loi, qui fait s'accroître la possibilité que les gens demandent une enquête préliminaire. Le nombre d'enquêtes préliminaires peut s'accroître.
Le sénateur Fraser: Les témoins que nous avons accueillis n'ont pas soulevé la question.
M. Newark: M. Bellehumeur a soulevé à la Chambre des communes la question des coûts accrus découlant directement de cette situation.
Le sénateur Cools: Le paragraphe 25(10) traite du recouvrement des coûts du recours à un avocat. Dans la mesure où il y a des députés ontariens ici présents, j'aimerais savoir pourquoi les députés ou le gouvernement de l'Ontario voudraient d'un article comme celui-là. Essentiellement, l'article se lit comme suit:
(10) La présente loi n'a pas pour effet d'empêcher le lieutenant-gouverneur en conseil d'établir un programme autorisant à recouvrer auprès de l'adolescent ou de ses père et mère le montant des honoraires versés à l'avocat qui le représente.
Pourquoi le gouvernement de l'Ontario ou les députés du Parlement de la province de l'Ontario voudraient-ils d'un tel article? Peut-être que personne ne vous a dit, messieurs, que cet article-là se trouvait dans le projet de loi.
M. Tilson: Je laisse à M. Newark le soin de répondre à cette question.
M. Newark: Comme vous le savez, c'est un projet de loi adopté par un autre gouvernement que celui de l'Ontario. Je soupçonne que ce serait pas mal différent si c'était le gouvernement de l'Ontario qui l'adoptait.
D'après les discussions que j'ai eues avec les gens ici et là, il existe des cas où certaines personnes, qui disposent amplement des moyens nécessaires pour assumer les honoraires d'avocat de leurs enfants, arrivent à se prévaloir des services d'un avocat aux frais du contribuable. Cela fait trois ans que je suis là, mais je n'ai jamais entendu quiconque dire que le gouvernement ontarien souhaitait que tous assument les honoraires de leur avocat. Mes connaissances en la matière se limitent à cette zone circonscrite.
Le sénateur Cools: Il est dit que la loi n'a pas pour effet d'empêcher la province d'agir. Si elle n'a pas pour effet de l'empêcher, alors pourquoi une disposition législative qui dit qu'elle n'a pas cet effet? Si elle ne l'empêche pas, alors rien ne l'empêche. Il n'est pas nécessaire de dire dans le projet de loi que rien ne l'empêche.
M. Tascona: Si nous étudions le texte, le sens qui en découle est évident. Cela permet à la province, par l'entremise de son lieutenant-gouverneur ou de son délégué, d'agir comme tel. C'est une option possible qui est donnée. Que le lieutenant-gouverneur l'applique ou non, c'est un instrument à la disposition de la province. C'est clair et net. Il reste à voir si la possibilité sera exploitée. Ce n'est pas seulement pour la province de l'Ontario; c'est pour le pays dans son ensemble.
Le sénateur Cools: Ça ne l'est pas. Cela ne permet pas du tout aux provinces de faire ça. Ce n'est pas une disposition habilitante. Ce projet de loi est dense et lourd, il est rempli de toutes sortes d'articles que le législateur pourrait facilement supprimer sans que personne ne voie la différence.
M. Tascona: Votre intervention est légitime. Il n'était pas strictement nécessaire d'avoir cet article.
Le sénateur Cools: Si la loi n'empêche pas de le faire, alors il n'est pas nécessaire de mentionner que la loi n'empêche pas.
M. Tascona: C'est indicatif. Le projet de loi indique: voici ce que vous pourriez faire.
Le sénateur Cools: Non.
M. Tascona: Les provinces ne sont pas obligées.
Le sénateur Cools: Ce n'est pas du tout une disposition habilitante.
M. Tascona: Ça dépend de la façon de l'interpréter. Le libellé vise à dire que cette possibilité n'est pas retirée à la province. C'est un projet de loi très indicatif.
La présidente: Je me pose des questions sur la Commission ontarienne de lutte contre le crime. Quelle est la composition de cette commission? Se compose-t-elle de députés de l'Ontario, monsieur Tilson ou monsieur Tascona?
M. Tascona: Elle se compose de trois députés de la province de l'Ontario. M. Wood, de London, est l'autre. Il est adjoint parlementaire du ministre des Services correctionnels. M. Tilson et moi-même sommes députés aussi. Nous avons un personnel sous notre supervision et nous faisons rapport au premier ministre de diverses questions touchant la sécurité et la justice.
La présidente: Aucun membre de l'opposition ne fait partie de la commission. C'est une commission unipartite?
M. Tascona: La commission ne compte que des députés membres du gouvernement, oui.
La présidente: Personne d'autre n'a été invité à y siéger?
M. Tilson: C'est une commission dont les membres sont désignés par le premier ministre de la province.
La présidente: Merci beaucoup de venir comparaître. La séance a été instructive.
Honorables sénateurs, nous accueillons l'honorable Gord Mackintosh, ministre de la Justice et procureur général du Manitoba, et M. Chris Axworthy, ministre de la Justice et procureur général de la Saskatchewan.
L'honorable Gord Mackintosh, ministre de la Justice et procureur général du Manitoba: M. Bruce MacFarlane est procureur général adjoint. Nous demandons au comité d'autoriser qu'il témoigne en notre compagnie.
Je vous remercie de l'occasion que vous nous offrez de présenter un exposé sur la question de la justice et les jeunes au Canada.
Le Manitoba estime depuis longtemps - et cela lui vient de l'expérience particulière que nous vivons dans l'Ouest - qu'il s'agit certes de l'une des questions les plus importantes auxquelles font face les Canadiens aujourd'hui. Je souhaite qu'une chose soit claire: la province du Manitoba est d'accord avec plusieurs des dispositions du projet de loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Par exemple, nous sommes tout à fait d'accord avec l'idée de recourir davantage aux mesures extrajudiciaires et avec la notion selon laquelle l'adolescent accepte davantage la responsabilité de ses actes. Bien entendu, un élément intégral de notre respect de la justice communautaire et de la nécessité de développement de la justice communautaire tient à notre respect du rôle de la victime dans le processus pénal, qui, à notre avis, serait mieux assuré avec un modèle de justice communautaire.
Cela dit, le Manitoba étudie activement des façons possibles de mettre en place une justice communautaire dans la province. Nous craignons que le projet de loi ne soit pas suffisamment sévère pour constituer une réponse efficace et significative à la criminalité chez les jeunes, qui permettrait de protéger la société.
Nous avons eu ces discussions dans divers milieux au Manitoba, et notre approche repose en partie sur une analyse selon laquelle il faut se fier moins au facteur arbitraire que constitue l'âge afin de déterminer comment la justice pénale doit réagir à un acte criminel. Nous croyons que l'âge, quand il sert à élaborer un système, est forcément arbitraire. Il faudrait se fier davantage à une évaluation individuelle de l'infraction et de la situation du contrevenant pour déterminer la meilleure façon d'agir.
Le projet de loi nous préoccupe sous de nombreux aspects. Tout de même, au fil du temps que nous avons consacré à ce projet de loi, nous avons pris conscience du fait qu'il faut privilégier certains messages clés, malheureusement au détriment de certains problèmes que nous pose le projet de loi. Nous allons insister sur quelques questions clés afin d'échafauder une argumentation solide. Nous allons discuter de la manière dont le projet de loi, selon nous, peut avoir une incidence sur la confiance du public. Nous voulons discuter de la complexité des procédures et du libellé. Nous allons parler des effets négatifs que nous croyons que cela aura sur les victimes et de la manière dont nous croyons qu'il faudrait traiter les contrevenants ayant moins de 12 ans, et nous allons parler brièvement de la gestion des peines. Mon rôle consiste à exprimer des préoccupations et à fournir des conseils propices à l'élaboration des politiques, et non pas à prodiguer des conseils techniques sur des articles particuliers.
Pour ce qui est de la confiance du public, à notre avis, les problèmes qui, au départ, ont nourri les critiques à l'égard de la Loi sur les jeunes contrevenants n'ont pas été réglés dans la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents; de fait, le public sera encore plus sévère envers le système de justice pénale si ce projet de loi entre en vigueur. Le projet de loi est présenté comme représentant un meilleur équilibre entre une responsabilité efficace, passant par la justice communautaire dans le cas des infractions relativement bénignes, et l'adoption de mesures plus sévères dans le cas des infractions plus graves et de la plupart des infractions comportant de la violence. C'est de cette façon qu'il a été présenté aux Canadiens. Si nous fouillons la question un peu, nous constatons que, dans le cas des crimes graves, des infractions avec violence, la situation est à l'opposé de ce qui a été dit en public.
La loi qui est proposée prévoit une peine maximale de trois ans pour l'adolescent dans les cas où un adulte aurait reçu une peine d'emprisonnement à perpétuité. Dans les cas où l'adulte aurait reçu une peine moindre, l'adolescent peut se voir attribuer une peine d'emprisonnement maximale de deux ans. Les peines maximales de deux et de trois ans sont donc les mêmes que celles qui existaient auparavant dans la Loi sur les jeunes contrevenants.
La Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents prévoit que le dernier tiers d'une peine comportant la garde et la surveillance doit être purgée au sein même de la collectivité, sous surveillance. Ainsi, une peine de trois ans correspond en réalité à deux années de garde, suivies d'une année de liberté sous surveillance. La période de garde maximale qui peut être imposée en application de la loi pour ces genres d'infraction est donc inférieure à ce qui était prévu dans la Loi sur les jeunes contrevenants.
L'effet de ce changement est simple. Pour une infraction grave, par exemple une agression sexuelle sous la menace d'une arme blanche, la période de garde maximale qui peut être fixée passe de deux ans à 16 mois. Les critiques les plus sévères du public envers la Loi sur les jeunes contrevenants sont les suivantes: les peines que les tribunaux peuvent imposer sont trop courtes, et le système de justice pour les adolescents est beaucoup trop clément dans le cas des crimes relativement plus graves comportant de la violence. Les peines comportant une période de garde devraient être accrues dans le cas des auteurs d'infractions violentes graves, et non pas réduites. De ce fait, le public doit se soucier du projet de loi.
Les dispositions concernant la détermination de la peine vont miner la confiance des gens à l'égard des tribunaux parce qu'elles ne protègent pas adéquatement le public contre les jeunes contrevenants les plus dangereux et qu'elles donnent une impression trompeuse de la durée des peines avec garde qui sont imposées. Ce qu'il faut savoir, c'est qu'avec l'adoption du projet de loi, les autorités vont libérer d'office de nombreux adolescents sans chercher à voir s'ils ont suffisamment progressé dans le contexte des programmes de l'établissement de garde et sans évaluer le risque qu'ils représentent pour la collectivité à leur retour. Cette considération, à elle seule, suffirait à miner la confiance qu'inspire la nouvelle loi. Pour de nombreux Canadiens, ce sera la première chose qu'ils entendront dire à propos du nouveau fonctionnement de notre système de justice pour les jeunes. J'avance que l'approche obligatoire et sans discernement envisagée dans le cas des libérations aura pour effet de miner la confiance du public à l'égard de la loi qui est proposée.
Il y a de nouvelles dispositions qui permettraient de prolonger la garde d'un adolescent jusqu'à la fin de la peine imposée, mais, selon le ministère, elles sont trop sévères et s'appliqueront seulement dans de rares cas.
De même, la possibilité d'imposer une garde qui va au-delà des deux tiers de la peine dans le cas de certaines infractions est une mesure trop restrictive qui, de ce fait, aura peu d'effet. Un contrevenant condamné pour invasion de domicile, par exemple, passera au plus deux ans dans un établissement de garde. C'est la peine maximale que permet d'imposer à un adolescent la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Dans la pratique, il sera impossible de faire purger une peine plus longue en établissement de garde à ce contrevenant.
La libération d'office des jeunes contrevenants une fois purgés les deux tiers de la peine en établissement de garde est une mesure tout à fait arbitraire, car elle n'est pas liée à la réduction du risque que pose le contrevenant pour la collectivité.
Le Manitoba croit que la libération anticipée d'un contrevenant devrait seulement se faire si ce dernier a une bonne conduite dans l'établissement de garde, s'il a suivi avec succès les programmes voulus, s'il existe des stratégies de réduction des risques et si la collectivité est en mesure de réintégrer le jeune contrevenant et de gérer les risques qu'il pose chez elle.
L'autre préoccupation du Manitoba quant à la confiance du public à l'égard du projet de loi concerne les modifications apportées au préambule et à l'énoncé de principes: soit qu'elles font disparaître, soit qu'elles minimisent la question de la protection et celle des conséquences significatives des actes posés. Ce sont là des questions importantes qui devraient se situer au premier plan dans ce projet de loi.
Nous recommandons que soit modifiée la déclaration de principe de manière à inclure de façon nette et sans équivoque la dénonciation du comportement criminel. Nous l'affirmons en connaissant le contexte où s'inscrit le projet de loi, mais nous sommes d'avis que dans les cas où un adulte serait condamné à une peine d'emprisonnement à perpétuité, la peine maximale pour l'adolescent, dans le projet de loi, devrait être portée à cinq ans moins un jour. Or, cette proposition est certainement bien différente de ce qui se trouve dans le projet de loi. De même, la libération d'office des contrevenants une fois purgés les deux tiers de la peine en établissement de garde est une mesure qu'il faudrait éliminer tout à fait.
Quant au libellé du projet de loi, la complexité du langage employé est ce qui frappe d'abord et avant tout le lecteur. Or, cette complexité comporte deux conséquences indésirables. Il sera extrêmement difficile de comprendre la loi, et la loi suscitera des retards et un arriéré de causes judiciaires.
Pour donner quelques exemples, disons que le texte passe de 70 articles, dans la Loi sur les jeunes contrevenants, à 200 articles, ici. Il passe de 86 à 171 pages. L'article 42, qui porte sur la détermination de la peine comporte 17 paragraphes et 38 alinéas. Il y est fait allusion à 89 autres dispositions qui se trouvent dans ce projet de loi ou dans d'autres lois encore. À lui seul, cet article fait neuf pages. C'est un fouillis.
M. James Robb, professeur à la faculté de droit de l'Université de l'Alberta et membre de l'institut national sur la formation en droit, a rencontré récemment un groupe de fonctionnaires provinciaux et territoriaux afin de discuter du projet de loi. Il a signalé que, selon l'institut, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents est une loi extrêmement compliquée que les tribunaux prendront de deux à cinq ans pour interpréter. Permettez-moi de dire que c'est là une estimation modeste. C'est à l'opposé tout à fait de ce qui devrait se passer, avec le remplacement de la Loi sur les jeunes contrevenants. La Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents devrait être facile à comprendre et ne pas exiger une interprétation pour être appliquée efficacement à la question du crime chez les jeunes.
Il est indispensable que le jeune contrevenant ait à l'esprit un lien étroit entre l'acte répréhensible et la conséquence possible. Il faut que cela soit un objectif et un principe fondamental du système de justice pour les adolescents, ce qui devrait se refléter dans la loi. À une époque où nous devrions simplifier le système de justice pour les jeunes et faire en sorte que le message tombe à point nommé - et le moment choisi peut, dans certains cas, être aussi important que la conséquence elle-même -, le projet de loi procède en sens inverse. Il crée quelque chose de très complexe, et je crains que cela va aggraver la situation en ce qui concerne les arriérés de causes. Il servira à établir tout un fouillis d'avertissements de la police, de renvois, de mises sous garde de l'État et de sanctions extrajudiciaires. La consultation des comités de justice peut permettre d'obtenir des renseignements sur la mesure qui s'impose, un groupe consultatif peut être établi, et le contrevenant a droit à un avocat tout au long de chacune des démarches.
Sous sa forme actuelle, le projet de loi permet d'établir des règles régissant le recours aux groupes consultatifs dans les cas où cela n'est pas imposé par le tribunal, mais il n'est pas possible de gérer ce recours dans un contexte judiciaire. Le concept des groupes consultatifs est bien compris dans le système de justice pour les jeunes, mais, tel qu'il est conçu dans le projet de loi, il retardera considérablement les choses. Une mise au point de ce concept s'impose, et j'insiste pour dire que le concept des groupes consultatifs, dans le contexte de la justice communautaire, se justifie.
Le projet de loi fait intervenir une enquête préliminaire dans un nombre beaucoup plus important de causes devant les tribunaux pour adolescents. Le résultat, c'est que cela complique encore plus le processus judiciaire, avec l'ajout d'une étape litigieuse. La nécessité de l'enquête préliminaire dans le contexte des tribunaux pour adolescents est très discutable, compte tenu des obligations accrues imposées à la Couronne en matière de divulgation de la preuve. Par ailleurs, la Loi sur les jeunes contrevenants et la Loi sur les jeunes délinquants ont été appliquées pendant des décennies, sans que le besoin de procéder à des enquêtes préliminaires n'ait été établi. Il faut tenir compte également de la tendance récente qu'ont les tribunaux pour adultes de limiter le recours aux enquêtes préliminaires. De fait, à la dernière réunion provinciale-territoriale des ministres responsables de la justice, nous avons recommandé vivement que le gouvernement fédéral élimine tout à fait l'enquête préliminaire du système de justice pénale. L'extension de l'enquête préliminaire signifiera pour nous des coûts supplémentaires en ce qui concerne l'aide juridique, les poursuites et les tribunaux. Cela n'a pas été bien pris en considération.
Le texte de la loi sur le système de justice pénale pour les adolescents est difficile à suivre, c'est le moins que l'on puisse dire. La terminologie de tout le projet de loi est difficile à comprendre. Les articles sont trop longs, les paragraphes et alinéas, trop nombreux. Le législateur recourt parfois à un langage clair et simple, mais cela ne suffit pas pour que les Canadiens comprennent le projet de loi. Quelqu'un s'est mis à écrire, mais n'a pu s'arrêter.
Je crois que le projet de loi pourrait être refait. On pourrait en réduire la longueur de la moitié en employant des termes plus simples, en adoptant des renvois mieux avisés et en établissant des notes entre parenthèses. Tout cela me rappelle le bon mot de Churchill: «Je vous adresse une lettre de trois pages. Si j'avais eu plus de temps, je vous adresserais une lettre de une page.»
Ce projet de loi suit la filière législative au Parlement, mais je crois que le législateur n'a pas mis suffisamment de temps à le rédiger comme il devrait être rédigé.
Ceci est important: les victimes ont tout à fait intérêt à ce que la procédure judiciaire avance bien, pour en finir et se remettre à vivre une vie normale. Si la preuve est plus forte, les causes peuvent être plus fortes.
La Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents renferme nombre de dispositions qui occasionneront des retards importants, ce qui nuit aux victimes. Dans les principes évoqués, il est question de bien traiter les victimes, de leur causer le moins d'inconvénients possible et de ne pas porter atteinte à leur dignité et à leur vie privée; par contre, le projet de loi, de la manière dont il est structuré à l'heure actuelle, ne favorise pas les principes en question. Les retards et l'accroissement de l'arriéré des causes des tribunaux, puis les multiples comparutions devant le tribunal seront la norme, à notre avis.
J'aborderai maintenant la question des contrevenants ayant moins de douze ans, question qui préoccupe beaucoup le Manitoba. Nous commençons à mieux comprendre au Manitoba le nombre d'actes criminels commis par des enfants ayant moins de 12 ans, et ce nombre n'est pas très élevé.
Dans un tel cas, confier l'enfant aux parents ou aux responsables des services à l'enfance peut régler le problème. Toutefois, lorsqu'un enfant de moins de 12 ans commet à répétition des actes criminels ou une infraction grave, le public est frustré d'apprendre que le système de justice pour les adolescents n'y peut rien. Les options possibles reposant sur une surveillance judiciaire n'existent pas dans le système de justice pénale.
Deuxième préoccupation: une personne de moins de 12 ans qui est accusée d'une infraction grave ne dispose d'aucun moyen de s'assurer que les circonstances entourant l'acte sont pleinement entendues, pour que la responsabilité en cause soit établie ou encore pour que son innocence soit établie. Le droit, pour être équitable, doit accorder aux adolescents et aux enfants les mêmes garanties que celles qui sont accordées aux adultes. C'est l'application régulière de la loi. Je crains de voir le jour où un enfant canadien de moins de 12 ans sera accusé de meurtre, par exemple. La colère du pays sera énorme. Si l'enfant nie avoir commis le crime en question, quel recours y a-t-il alors? Quelle mesure existe pour l'équilibre des choses?
Ce n'est pas seulement une question de conséquences; c'est une question d'application régulière de la loi. Nous croyons que le projet de loi devrait être modifié de manière à permettre d'intenter une poursuite contre les contrevenants ayant moins de 12 ans, dans des circonstances exceptionnelles, par la voie d'une demande particulière faite par la Couronne. Le critère à appliquer pour savoir s'il faut intenter une action ferait peut-être intervenir plusieurs facteurs. Nous proposons que la nature de l'infraction ou des infractions ait à cet égard une très grande importance. Il faudrait aussi prendre en considération la situation du contrevenant, et notamment ses antécédents et son degré de maturité, chercher à savoir s'il est dans l'intérêt à long terme du contrevenant de voir l'affaire portée devant les tribunaux, avec une application régulière de la loi qui serait dans l'intérêt de l'accusé, la vérité de l'affaire et les intérêts de l'accusé.
Je parlerai brièvement de la gestion des peines. Pour ce qui est de la gestion des peines avec garde, le législateur crée diverses procédures pour régir les décisions en ce qui concerne le degré de confinement à imposer, la libération anticipée, les conditions à imposer en cas de mise en liberté et ainsi de suite.
Les procédures compliquées débouchent sur divers problèmes et représentent l'intrusion la plus importante qui soit dans des domaines qui, de tradition, relèvent de lois provinciales. De notre point de vue, Ottawa ne devrait pas gérer une peine imposée par un tribunal pour adolescent au Manitoba. Le Manitoba est le mieux placé pour gérer les peines imposées aux jeunes d'une manière qui concorde avec nos caractéristiques et nos valeurs uniques sur le plan social, démographique, culturel et communautaire.
Il faudrait modifier le projet de loi en éliminant la nécessité d'établir divers niveaux de garde et en imposant simplement des peines comportant la garde, comme c'est le cas pour le système des adultes. Il faudrait modifier le projet de loi en éliminant la nécessité d'établir divers niveaux de surveillance au sein de la collectivité. La forme de surveillance choisie devrait être établie pour ceux qui sont appelés à jauger le risque que poserait l'adolescent pour la collectivité.
J'aimerais ajouter un point. Le monde de l'éducation a fait valoir des arguments en ce qui concerne l'accessibilité des dossiers. Dans les cas où, évidemment, il pourrait y avoir un risque pour d'autres personnes à l'école, sinon pour les enseignants eux-mêmes, il faudrait réenvisager la disposition du projet de loi qui n'est habilitante que pour ce qui touche le partage d'information.
Pour conclure, même si le financement du système de justice pour les adolescents et la date éventuelle de promulgation de la loi ne s'inscrivent pas dans le mandat du comité et du Sénat lui-même, nous vous incitons vivement à examiner quelques questions. Jadis, le financement de la justice était assumé à parts égales par le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial. Au fil du temps, la répartition des coûts a changé au point où c'est chacune des provinces qui, aujourd'hui, assume la majeure partie du fardeau. Les coûts supplémentaires créés par la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, dans chaque province et territoire, devraient se révéler importants, et le gouvernement fédéral n'a apparemment pas pris cela en considération.
Au Manitoba, nous croyons que les seuls coûts liés aux poursuites vont augmenter de 750 000 $ par année. J'ai vu moi-même l'étude exhaustive qui est à l'origine de cette prévision. Les coûts liés à l'aide juridique, aux services correctionnels et au travail des tribunaux devraient aussi connaître une augmentation importante. Tant et aussi longtemps que la répartition des coûts demeure inégale, ce projet de loi ne devrait pas être adopté.
Il existe une autre raison de ne pas adopter le projet de loi et même de le renvoyer au législateur. Étant donné les événements mondiaux récents, diverses instances ont décidé de réexaminer les modalités touchant la sécurité. Ce sont là des questions pressantes et immédiates. Le remplacement d'un système de justice pour les jeunes qui est déficient par un autre système qui est plus coûteux, plus difficile à comprendre et à mettre en oeuvre et qui soulève des objections de la part de toutes les instances, est une question qu'il faut réévaluer.
Si le projet de loi est adopté, le Manitoba demande que le Sénat prenne les mesures nécessaires pour combler les lacunes graves que nous avons relevées dans notre mémoire concernant la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Le Manitoba reconnaît les mesures adoptées jusqu'à maintenant et les modifications apportées au projet de loi C-7 par rapport aux versions précédentes, le projet de loi C-68 et le projet de loi C-3. De fait, nous aimons croire que nous avons eu une influence sur les changements en question.
Il reste encore beaucoup de travail à faire. Nous voulons travailler de concert avec le gouvernement fédéral, à titre de partenaire, pour nous assurer que le système renouvelé de justice pour les jeunes est en mesure d'appliquer en temps opportun des approches simples et efficaces pour composer avec les actes répréhensibles que posent certains jeunes.
Les améliorations en question sont nécessaires pour améliorer la confiance du public à l'égard de notre système de justice, pour tenir les contrevenants responsables de leurs actes de façon convenable et, fait très important, pour s'assurer que les victimes ont un rôle significatif à jouer dans le règlement des affaires criminelles et dans l'amélioration de la sécurité du public. La réforme du système de justice pour les adolescents s'impose absolument, mais nous vous prions de nous donner le temps de retravailler les questions à la satisfaction des instances provinciales et territoriales.
L'honorable Chris Axworthy, ministre de la Justice et procureur général de la Saskatchewan: Je suis heureux d'être ici ce soir avec mon collègue du Manitoba. S'il trouve le projet de loi compliqué, alors imaginez ce que j'en pense.
Je partage un grand nombre de ses préoccupations, alors je ne répéterai pas ses commentaires. Nous appuyons les objectifs du projet de loi, mais nous sommes préoccupés par un certain nombre de points.
J'ai remis au comité des exemplaires du mémoire présenté au Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes par le ministre de la Justice de la Saskatchewan, en avril 2001. Comme vous vous en souviendrez, le Comité ne permettait pas aux ministres de témoigner, de sorte que les sous-ministres l'ont fait. Ces mémoires sont à votre disposition. Ils sont beaucoup plus étoffés que mon exposé.
Pour commencer, je reprends un point soulevé par M. Mackintosh en parlant de l'incidence de ce projet de loi sur l'administration de la justice en Saskatchewan.
Il faut que le gouvernement fédéral prévoie suffisamment de temps et de ressources pour permettre aux provinces de se présenter pour la mise en oeuvre du projet de loi. Au chapitre de la mise en oeuvre, il n'est pas possible de faire grand chose avant que la version finale du projet de loi ne soit établie. Évidemment, nous pouvons faire certaines choses, mais il faudra du temps - selon nous, une année - pour se préparer à exécuter le projet de loi et élaborer des plans de formation étendus dans les divers secteurs, y compris la police, les intervenants qui travaillent auprès des jeunes, l'aide juridique, le personnel des tribunaux, les organismes communautaires qui dispensent des services aux jeunes, les travailleurs autochtones auprès des tribunaux, les éducateurs et les fournisseurs de soins de santé. Tous ces groupes devront bénéficier d'une formation spécifique relative à la nouvelle loi.
Certains de ces partenaires de l'appareil judiciaire, peut-être tous, devront désapprendre les processus qu'ils appliquaient en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants et remplacer ces connaissances par la connaissance de processus plus complexes s'inscrivant dans la nouvelle loi. Il faudra aussi concevoir et apporter divers changements aux programmes et aux activités opérationnelles. Cela signifie qu'il faudra étendre nos diverses mesures de rechange, nos programmes de sanctions extrajudiciaires, et un certain nombre d'autres dispositions.
Nous devons perfectionner nos services d'information. Ils ne sont pas en très bon état, et cette mise à niveau coûtera environ dix millions de dollars.
Nous devrons modifier certaines lois provinciales comme notre Child and Family Services Act, afin de tenir compte des changements, non seulement terminologiques, mais aussi méthodologiques, contenus dans le projet de loi C-7. Il faudra mettre du temps pour couvrir tous ces aspects permettant l'exécution ordonnée du projet de loi et l'accroissement de la confiance du public en ce qui concerne la capacité de ce projet de loi de répondre plus efficacement aux enjeux touchant les jeunes qui commettent des crimes, aspect qui est particulièrement important à nos yeux. Nous croyons qu'une exécution hâtive minera la crédibilité du projet de loi aux yeux du public.
Tout comme l'ont souligné d'autres administrations, ainsi que M. Mackintosh, nous continuons d'être préoccupés par les coûts liés à l'exécution de ce projet de loi et à l'absence de financement fédéral adéquat. Les politiciens provinciaux se plaignent toujours au sujet de l'argent lorsqu'ils viennent à Ottawa, mais l'enjeu est important. C'est un grave problème lorsque le gouvernement fédéral apporte des changements sans vraiment tenir compte de nos préoccupations, et qu'il prévoit que nous disposerons des sommes considérables d'argent nécessaires pour faire notre part au chapitre de l'exécution. Des fonds ont été consentis, mais, dans tous les domaines, le financement consenti par le gouvernement fédéral ne suffit pas à la demande réelle. Par exemple, on a prévu neuf millions de dollars pour la conception de systèmes. Or, les provinces et les territoires estiment que le coût total de ces travaux tournerait autour de 40 millions de dollars.
En ce qui concerne les coûts d'exécution du projet de loi, nous prévoyons que les changements occasionneront des coûts ponctuels de l'ordre de douze millions de dollars, ainsi que des coûts de fonctionnement annuels d'environ onze millions de dollars. Si les changements sont mis en oeuvre trop rapidement, il en coûtera davantage, en raison du besoin de réagir plus rapidement aux coût liés à la formation et aux systèmes. Pour nous, il s'agit de coûts considérables. Nous nous demandons si c'est le moyen le plus efficace de dépenser de l'argent dans ce domaine.
Les jeunes Autochtones sont surreprésentés au sein des jeunes victimes et des jeunes contrevenants dans le système judiciaire de la Saskatchewan, tout comme c'est le cas dans l'Ouest, dans le nord de l'Ontario et de nombreuses régions du pays. À la lumière de la responsabilité constitutionnelle du gouvernement fédéral à l'égard des peuples autochtones, des fonds fédéraux devraient être consentis pour résoudre ces problèmes.
Nous sommes considérablement préoccupés par l'impact de l'application du projet de loi sur le public en général et son point de vue à l'égard non seulement du droit pénal, mais aussi du droit pénal touchant les jeunes en particulier.
Chaque année, nos frais concernent environ 6 000 jeunes en Saskatchewan. Nous estimons que l'exécution de ce projet de loi coûterait environ 4 000 $ par jeune contrevenant. Nous nous demandons si c'est le meilleur moyen d'aider les jeunes qui sont en conflit avec la loi. Avant de prendre des mesures étendues, nous devrions effectuer une analyse des coûts et des avantages de ces mesures. Est-ce que cette orientation optimise l'utilisation des ressources limitées dont nous disposons à l'échelle du pays?
Nous appuyons l'orientation et les principes fondamentaux énoncés dans le projet de loi. Nous croyons que ces aspects auraient pu être réalisés sous le régime de la Loi sur les jeunes contrevenants avec des ressources adéquates et de la volonté. Le Québec est perçu, avec raison, comme un modèle en ce qui concerne ce type de réforme. Dans une large mesure, nous avons suivi l'approche québécoise lorsque nous avons lancé notre stratégie de service destinée aux jeunes, au printemps 2000.
En insistant non pas sur l'accroissement du financement des programmes, mais bien sur une réforme législative, il semble que le gouvernement fédéral n'utilise pas le bon outil pour favoriser un changement fructueux. Les instances provinciales et territoriales devront réaffecter des ressources limitées pour répondre à des besoins touchant non pas la programmation, mais bien la mise en oeuvre. Cela fausse l'ordre de priorité que nous avons établi, car nous sommes forcés de faire des choses que nous ne choisirions pas de faire. Il est parfois utile que les priorités soient ainsi faussées, car le public n'est pas le plus tolérant et le plus visionnaire dans ce contexte. Essentiellement, le projet de loi nous pousse dans une direction que nous ne choisirions pas nécessairement.
Nous avions demandé que certaines dispositions de la Loi sur les jeunes contrevenants soient modifiées, et le nouveau projet de loi tient compte de nos commentaires. Nous tenions particulièrement à traiter plus efficacement le dossier de jeunes contrevenants dont les infractions sont graves, violentes et chroniques; ce groupe compte pour 12 ou 13 p. 100 des jeunes contrevenants. Certaines des modifications proposées ont été enchâssées dans le projet de loi, comme la possibilité de faire passer de 16 à 14 ans l'âge à partir duquel un jeune peut être jugé comme un adulte. Nous acceptons que la barre soit mise à 14 ans.
Nous devons examiner soigneusement les changements qui pourraient être apportés pour réduire la complexité, accroître la clarté et faire le strict nécessaire pour fournir un cadre de travail pour un système judiciaire efficace dans le cas des jeunes. Le projet de loi est incroyablement compliqué et bureaucratique. Nous nous demandons s'il ne va pas trop loin à cet égard. Il serait utile de simplifier les concepts et les processus. Il serait avantageux de simplifier le projet de loi, compte tenu du fait que la loi proposée touche le public. Le public éprouve de la difficulté à comprendre que nous avons fait ce qu'il voulait qu'on fasse, et cela s'aggrave lorsque les gens ne comprennent pas ce que nous faisons et nous ne pouvons le leur expliquer efficacement.
À titre d'exemple, mentionnons l'article 19, qui prévoit un nouveau processus selon lequel les juges et d'autres parties peuvent, en vue de la prise d'une décision dans le cadre de la présente loi, constituer un groupe consultatif. Or, on a omis d'établir des critères clairs pour déterminer quand et pourquoi ces groupes consultatifs seront constitués, ou comment on assumera les coûts liés au temps, aux déplacements et aux autres aspects liés à la conférence. Les provinces n'ont aucun contrôle sur le recours à des groupes consultatifs par les juges ou les juges de paix. On peut résoudre le problème des coûts en ce qui concerne les autres intervenants dans le système judiciaire, mais il n'y aucune échappatoire en ce qui concerne les juges ou les juges de paix. On peut aisément imaginer les coûts que le recours étendu à l'article 19 par un juge pourraient occasionner pour la province.
Nous ne comprenons pas clairement le but de ces groupes consultatifs. Ils ne semblent pas avoir une fonction judiciaire. Les juges peuvent déjà recourir à des examens, à des rapports prédécisionnels, à des conseils de détermination de la peine, et à d'autres aussi. Il est difficile de voir quels avantages supplémentaires les groupes consultatifs pourraient offrir. La proclamation de cet article pourrait accroître la confusion qui surviendra au moment de l'exécution du projet de loi, et nous préférons qu'il soit radié ou que la proclamation soit reportée.
Il y a un manque de clarté considérable et une possibilité réelle de confusion et de perte de confiance du public, en raison de l'utilisation des termes «infraction sans violence», «infraction avec violence» et «infraction grave avec violence» dans le projet de loi. On ne peut pas classer facilement toutes les infractions dans ces catégories. Dans quelle catégorie placerait-on un trafiquant de drogue, un proxénète ou un automobiliste en état d'ébriété? Quelle sera la confusion ou l'incohérence causée par ces termes?
La confusion et l'incohérence ne mènent pas à une augmentation de la confiance du public et à son soutien de la loi. Naturellement, une plus grande confusion occasionne plus de coûts, sous forme d'appels et d'autres recours.
Dès le début, l'une de nos principales demandes de réforme concernait la reconnaissance, dans le projet de loi, du fait que le but principal du système de justice pénal pour les jeunes est la protection du public. Le projet de loi C-3, prédécesseur du projet de loi C-7 apportait une solution partielle en prévoyant que le but principal du système de justice pénal pour les jeunes était de protéger le public. Le projet de loi C-7 ne fait pas cela. De fait, le projet de loi C-7 fait référence à la réadaptation préventive comme outil favorisant la protection durable du public.
Les procureurs généraux éprouvent des difficultés avec cette question. Le public ne perçoit pas la réadaptation de la même façon que des personnes plus tolérantes et progressives. Notre but, bien souvent, consiste à établir l'équilibre entre les revendications bruyantes du public pour de la protection et des interventions utiles de la part des jeunes. Nous soutenons avec énergie que, à moins que l'on fasse porter un accent plus marqué sur le but de ce projet de loi, c'est-à-dire la protection du public, le public éprouvera plus de difficulté à soutenir les types d'intervention qui constituent le fondement du projet de loi.
Je ne peux parler pour M. Mackintosh, mais il est très difficile d'obtenir l'appui du public pour la prise de mesures utiles en matière de justice pénale. Si on ne déclare pas clairement que la protection du public est un but important, il est encore plus difficile d'obtenir cet appui.
Concernant d'autres aspects, il semble que l'équilibre du projet de loi n'est pas parfait non plus. Le principe de détermination de la peine, par exemple, ne fait aucunement référence aux notions de réprobation et de dissuasion. Nous ne voulons pas donner trop d'importance à ces éléments de détermination de la peine et la sanction en général. Il est relativement clair que la réprobation et la dissuasion ont moins d'impact sur les jeunes que sur les adultes, mais même la Cour suprême reconnaît leur importance au chapitre de la détermination de la peine pour les jeunes. Or, le projet de loi ne fait aucunement référence à ces éléments. Je crois que le public aura de la difficulté à accepter cela.
De même, le public éprouvera de la difficulté à accepter la date de libération prévue pour le dernier tiers de la peine. En vertu de cette loi, les jeunes retourneraient dans la collectivité après avoir purgé les deux tiers de leur peine, peu importe s'ils se sont bien comportés, s'ils ont bien réagi aux programmes ou s'il y a un risque de récidive. Aucun de ces éléments n'influera de façon significative sur la décision de procéder à la réinsertion sociale du jeune contrevenant pour le dernier tiers de la peine.
De plus, il semble que la question des types d'infraction que les jeunes sont susceptibles de commettre n'est pas pertinente. Le public, comme nous le savons tous, ne voit pas d'un bon oeil la récidive au chapitre du vol d'automobile ou du harcèlement criminel, du trafic de drogue et d'autres délits. On peut s'attendre à ce qu'un jeune délinquant remis en liberté s'adonne à ces activités, mais il sera relâché quand même. Cela ne tient pas compte des préoccupations du public en matière de sécurité, et cela ne dit pas grand chose non plus sur l'efficacité de la réadaptation et de la réinsertion sociale d'une jeune personne.
Le dernier groupe de témoins a expliqué à quel point ce projet de loi empiète sur les compétences provinciales. C'est l'un des thèmes soulevés par le Québec. Effectivement, le projet de loi empiète sur les priorités provinciales en matière de protection des enfants, ainsi que sur les responsabilités constitutionnelles de la province en ce qui concerne l'administration de la justice pour les jeunes.
Laissez-moi vous donner un exemple. L'article 35 permet à un tribunal de saisir un organisme de protection de la jeunesse d'un cas afin de procéder à une évaluation. Aucun critère n'est énoncé à l'égard de ce renvoi, et la fin judiciaire du renvoi n'est pas claire. On ne tente pas de tenir compte des paramètres de la loi provinciale régissant la protection de l'enfance. On ne limite pas clairement ce renvoi aux organismes officiels de protection de l'enfance. Un cas pourrait être renvoyé à tout organisme considéré comme approprié par le juge. À notre avis, cela pourrait être inopportun et pourrait imposer un fardeau indu sur les ressources provinciales.
Ce renvoi ne semble pas nécessaire. La plupart des administrations ont établi des dispositions qui exigent le signalement de tout enfant que l'on croit avoir besoin de protection. Il ne semble pas nécessaire que les juges effectuent aussi des renvois à cette fin. Tous les ministres provinciaux et territoriaux de la Justice et tous les ministres responsables de la protection de l'enfance ont demandé que cet article ne soit pas adopté. On empiète de façon assez considérable sur les compétences provinciales.
Nous appuyons l'orientation générale du projet de loi, mais nous croyons que le texte n'est pas très clair. Il est complexe; il manque de clarté et d'équilibre. Nous risquons, avec notre réforme, de miner davantage la confiance du public à l'égard de la loi actuelle. Aucune réforme ne sera efficace si elle n'est pas soutenue par des ressources fédérales convenables.
Ce projet de loi n'arrive pas à établir un équilibre approprié entre les besoins des jeunes, d'une part, et la protection du public, d'autre part. Il empiète sur la capacité des provinces d'administrer efficacement le système de justice pour les jeunes. Il crée de nouveaux processus et génère de nouveaux coûts importants. S'il fallait exécuter le projet de loi sur-le-champ, on ne disposerait pas d'un délai d'exécution convenable.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur Axworthy.
Le sénateur Joyal: Tout comme M. Mackintosh, M. Axworthy a fait référence à l'ingérence du gouvernement fédéral dans les compétences provinciales. C'est un enjeu fondamental. Comment peut-on établir un équilibre dans un système défini par une loi fédérale, mais mis en oeuvre par les gouvernements provinciaux dont le gouvernement fédéral a la responsabilité constitutionnelle?
J'ai demandé au témoin précédent si l'Ontario avait l'intention de demander le statut d'intervenant dans le cadre du renvoi du Québec. Il semble y avoir un consensus provincial en ce qui concerne cet élément du projet de loi. Avez-vous l'intention de présenter votre point de vue à la Cour d'appel du Québec, de façon à ce que le point de vue d'autres provinces donnent plus de poids à la décision?
M. Axworthy: Je pourrais probablement répondre à cette question demain. Nous n'avons pas encore vraiment envisagé cette question. Il est probable que certaines de nos préoccupations ne soient pas exactement identiques à celles du Québec. Il est certainement sensé d'envisager sérieusement cette option. Je suis en faveur d'une telle mesure pour l'instant, mais je n'ai pas encore pleinement envisagé l'intervention.
C'est un enjeu important pour nous, car, comme je l'ai dit, cette ingérence risque vraiment de fausser nos priorités. Le projet de loi ne fausse pas nécessairement nos priorités, mais il ne nous permet pas de décider ce qu'il y a de mieux pour les jeunes de notre province. Il est très probable que les provinces interviennent.
Le sénateur Joyal: Vous pourriez aussi écrire officiellement au Procureur général du Québec afin de veiller à ce que vos préoccupations soient soulevées dans le mémoire du Québec. Elles seraient présentées au tribunal afin qu'il tranche. Nous aurions de meilleures chances de faire entendre ces préoccupations par le tribunal. Si l'affaire se rend jusqu'aux plus hautes instances, on aura au moins tranché sur la question que vous avez soulevée. Est-il possible d'obtenir les commentaires de M. Mackintosh sur la question?
M. Mackintosh: Il est très inhabituel pour le Manitoba d'intervenir devant un tribunal d'appel. L'appui du Manitoba dans cette situation tiendrait tout particulièrement au fait qu'il y a empiétement sur une compétence provinciale, soit la gestion des peines. L'affaire ne concerne ni une question de droit ni le projet de loi; elle ne concerne qu'un aspect particulier.
Tout comme l'a fait M. Axworthy, je peux dire que nous n'avons pas envisagé la possibilité d'intervenir dans le cadre de cette contestation. Toutefois, nous pourrions l'envisager à notre retour, et nous pourrions consulter nos experts en droit constitutionnel. Il ne faut pas perdre de vue que notre préoccupation est très précise: la question de la gestion des peines.
Le sénateur Joyal: Ma prochaine question concerne le statut des jeunes Autochtones. Nous avons accueilli des représentants de groupes de la Saskatchewan qui participent à la prise de mesures de rechange et, bien sûr, contribuent à des processus de réadaptation. Nous avons aussi entendu des témoins du milieu juridique soulever certaines préoccupations en ce qui concerne les jeunes Autochtones. Nous sommes pleinement conscients de la surreprésentation des Autochtones dans le système de justice pour les jeunes, et je suis certain que vous êtes au courant aussi.
Vous avez mentionné dans votre mémoire, et M. Mackintosh l'a aussi mentionné dans le sien, que le projet de loi ne s'assortit d'aucune disposition portant spécifiquement sur ce que la Cour suprême a défini comme des facteurs à considérer au moment de déterminer la peine de contrevenants autochtones. Comme vous le savez bien, la prison ou le pénitencier ne sont pas toujours les meilleurs endroits pour favoriser la réadaptation. Bien souvent, il est préférable de confier ces jeunes aux collectivités, à condition de fournir un minimum d'aide.
Puisqu'il s'agit d'un enjeu social important dans vos provinces respectives, pourriez-vous préciser votre point de vue, car vous n'abordez pas cette question en profondeur?
M. Mackintosh: Au Manitoba, nous avons un rapport très pratique s'assortissant de recommandations qui nous permettront d'aller de l'avant et de relever les défis dans le domaine de la justice autochtone. Il s'agit du rapport de la Commission de mise en oeuvre des recommandations sur la justice autochtone. Nous préparons actuellement notre réponse officielle à ces recommandations.
De façon générale, la justice autochtone favorise une plus grande justice communautaire et un contrôle communautaire accru, qu'il s'agisse des services de police et de la justice communautaire pour établir les conséquences ou les peines, d'une plus grande satisfaction des victimes, de probation locale, ou même de surveillance locale des personnes en liberté sous caution. Plus le système de justice pénale fait porter un accent marqué sur l'amélioration de la justice communautaire, plus on fait comprendre au contrevenant qu'une personne a été blessée et qu'il doit corriger son erreur. Le système judiciaire doit lancer un message plus fort, et ce message est décidément plus fort lorsque les victimes et les survivants sont présents pour exprimer le mal qu'ils ont subi - lorsque c'est ce qu'ils veulent. Ils ont le droit de refuser tout contact avec un contrevenant.
Il est important qu'un contrevenant regarde dans le blanc des yeux un membre de la collectivité qui a été blessé. Un tel processus de «réconciliation et responsabilisation» constitue un progrès important au chapitre de la justice. Ainsi, nous réduirons la participation à des actes criminels.
Voilà pourquoi je m'intéresse au perfectionnement de la justice autochtone, car, en toute franchise, c'est une question de sécurité publique et de messages plus forts. Les meilleurs messages sont locaux, ils proviennent des victimes et des collectivités. Le meilleur moyen de réduire l'incarcération d'Autochtones, c'est de leur permettre de pratiquer ce qu'ils perçoivent comme une justice plus efficace. En général, cela concernera les infractions mineures. Il faut tuer le problème dans l'oeuf et lancer un message fort dès le début.
Voilà comment, selon moi, nous pouvons réduire la surreprésentation alarmante des Autochtones dans nos établissements correctionnels. Pour réduire la proportion d'Autochtones qui purgent une peine, il faut réduire le taux de criminalité. On baisse le taux de criminalité en utilisant un système judiciaire plus efficace.
Le sénateur Joyal: Serait-il possible, madame la présidente, d'obtenir le rapport sur le système de justice pénale pour les peuples autochtones que le Ministre a mentionné?
M. Mackintosh: Nous serions fiers et heureux de vous remettre ce rapport le plus tôt possible. On y trouve de nombreuses recommandations qui portent spécifiquement sur les jeunes.
La présidente: Merci. Lorsque nous recevrons ce rapport, nous le distribuerons aux membres du comité.
M. Axworthy: Sénateur Joyal, vous avez vraiment touché l'enjeu essentiel pour une province comme la Saskatchewan. Notre province affiche les pires statistiques en matière de criminalité. Nous commençons à reconnaître ouvertement que cela découle de notre incapacité d'assurer l'engagement social de personnes marginalisées, dont la plupart sont des Autochtones. Pour nous, il était important de reconnaître cela. Cela exige que nous prenions des mesures à de nombreux échelons, et le système judiciaire n'est qu'un de ces échelons.
Le système judiciaire ne peut à lui seul résoudre ce problème. On ne peut le résoudre qu'en veillant à ce que les personnes qui sont socialement à l'écart puissent prendre leur place dans la société. Comme vous pouvez l'imaginer, ce n'est pas chose facile, mais c'est notre première préoccupation.
Le point que j'ai soulevé pendant mon témoignage était relativement restreint. J'en ai parlé hier, avec M. Nault, et, de fait, nous en parlons chaque fois que nous venons à Ottawa: la compétence en ce qui concerne les Métis et les Premières nations hors réserve. Cela ne veut pas dire que la criminalité a lieu dans les réserves, mais une part importante de la criminalité s'y retrouve.
Nous sommes d'avis que, peu importe où l'infraction est commise, que ce soit dans une réserve ou à l'extérieur d'une réserve, le gouvernement fédéral est, dans une large mesure, responsable de nous aider à résoudre le problème. Nous ne nous attendons pas à ce que le gouvernement fédéral assume toutes les responsabilités, mais nous souhaitons certainement un partenariat plus efficace que celui qui existe actuellement. Il y a la question financière, qui détermine la qualité de notre réaction à chaque dossier, selon les ressources dont nous disposons.
Dans une province comme la nôtre, les personnes qui vivent dans les communautés des Premières nations se déplacent beaucoup. Elles se rendent en ville, elles retournent dans leur communauté, et se déplacent vers d'autres collectivités. Même si des frontières sont dessinées sur une carte, il n'y a pas de frontière sociale significative selon laquelle, logiquement, cette personne devrait être sous la responsabilité du gouvernement fédéral ou du gouvernement provincial. C'est un problème que nous devons résoudre. Nous parlons parfois de renoncer à nos chicanes constitutionnelles et de trouver des solutions. Dans le contexte du système de justice pour les jeunes, cette nécessité de travailler ensemble n'est pas efficace, car on ne dispose pas des ressources nécessaires pour faire ce qui est proposé, et, en ce qui concerne les Autochtones, on se bute encore à une question constitutionnelle au chapitre du financement. C'est notre principale préoccupation à cet égard.
Le sénateur Andreychuk: Vous êtes député depuis un certain nombre d'années, monsieur Axworthy, vous vous souvenez que la Loi sur les jeunes contrevenants a eu la vie dure. De nombreuses personnes insistaient sur le besoin de substituer la Loi sur les jeunes contrevenants à la Loi sur les jeunes délinquants en raison des coûts élevés pour le recyclage des employés et la mise en oeuvre du système, l'argent étant affecté à ces aspects plutôt qu'aux jeunes. C'est évidemment ce qui s'est produit, et cela a jeté le discrédit sur la loi.
Lorsque la loi est tombée en discrédit, on a fait beaucoup de bruit sur la colline parlementaire. Les détracteurs du système de justice pour les jeunes de l'époque disaient qu'il fallait «rendre la loi plus sévère». Une part importante de ces revendications provenaient de l'Ouest. Ensuite, on a entendu ce que j'appelle l'autre version, de l'Ouest et d'ailleurs, selon laquelle le modèle de la réadaptation était toujours important. Le projet de loi semble avoir tenté de trouver une solution qui rassemble toutes ces options. Vous avez signalé, graphique à l'appui, que l'on affectera beaucoup d'argent à la gestion du système, au lieu de travailler avec les jeunes. La ministre a dit que neuf provinces sur dix étaient en faveur du projet de loi.
Je comprends pourquoi vous avez avantage à nouer de bonnes relations de travail avec la ministre et à maintenir cette relation. Toutefois, j'ai l'impression que la ministre n'a pas reçu un message clair des provinces. Le gouvernement a peut-être reçu un message des membres de l'Opposition à la Chambre des communes, selon lesquels nous n'aidons vraiment pas les jeunes si nous répétons l'exercice sans disposer des ressources nécessaires, mais les provinces n'ont pas transmis ce message. Les provinces ne disposent pas des ressources nécessaires, et le gouvernement fédéral n'aura probablement pas une telle somme à sa disposition.
Le temps n'est-il pas venu pour le gouvernement fédéral de négocier un modèle plus coopératif avec les provinces? Si je reprends vos statistiques concernant les 6 000 jeunes contrevenants en Saskatchewan, il en coûtera 4 000 $ par personne pour maintenir un système sans aider les jeunes contrevenants du tout. Ne serait-il pas préférable de prendre cet argent pour concevoir de concert des ressources communautaires pour nos jeunes Autochtones? Que faisons-nous ici?
M. Axworthy: C'est une très bonne question. Ce serait bien de pouvoir s'asseoir avec la ministre fédérale de la Justice, de discuter pleinement de ces questions avec elle et de lui faire comprendre les préoccupations qui existent partout au pays. Aucune province ne nierait, officieusement, qu'il serait bien de mettre l'accent sur la réadaptation afin de réduire le crime, d'améliorer le sentiment de sécurité des collectivités, de produire un système judiciaire mieux respecté par les personnes qui le connaissent, et d'améliorer vraiment la vie des gens.
Il n'y a pas de doute sur le fait que, dans l'Ouest, nous éprouvons de la difficulté à établir l'équilibre entre le besoin d'être sévère envers les criminels et le besoin de s'attaquer aux causes du crime. Il n'est pas tout à fait clair que la pauvreté et la dysfonction sociale et familiale sont des causes du crime, car les personnes qui se retrouvent dans ces situations ne deviennent pas nécessairement des criminels. Cependant, on constate que le taux de criminalité est plus élevé chez les personnes et dans les collectivités aux prises avec ces problèmes.
Les exemples de mesures de rechange que nous avons tous essayées occasionnent des coûts moindres. Elles supposent la participation d'un nombre assez important de personnes. Elles permettent à la province de décider avec la collectivité des meilleurs moyens de composer avec les contrevenants, et elles donnent de bien meilleurs résultats. En mettant l'accent sur une telle démarche, on utiliserait les fonds d'une façon beaucoup plus efficiente, et on obtiendrait de meilleurs résultats.
J'ai assisté à l'application d'une mesure de rechange qui ressemblait à un conseil de détermination de la peine. Cette mesure a coûté environ 900 $. Si cette jeune personne avait comparu devant un tribunal, avec tous les coûts que cela suppose, la facture se serait élevée à environ dix fois ce montant. Cette personne est maintenant, pour diverses raisons, dans le droit chemin, et elle contribue pleinement à la société. La comparution devant un juge n'aurait peut-être pas donné de tels résultats.
J'aimerais soulever un autre point. Nous avons maintenant un tribunal cri dans le nord de la Saskatchewan, où le juge, les fonctionnaires de la cour et les procureurs parlent cri. C'est un processus coûteux. Même si le tribunal existe depuis peu de temps, il a bénéficié d'un soutien considérable des collectivités. Dans une collectivité, le tribunal a reçu une ovation debout. Je suppose que le sénateur Andreychuk n'a jamais eu d'ovation debout lorsqu'elle était juge.
Le sénateur Andreychuk: On m'a déjà remerciée une fois.
M. Axworthy: Les collectivités disent: «C'est désormais le tribunal et nous contre le crime. Avant, c'était nous contre le tribunal et contre les criminels.» Une mesure qui apporte des changements rend votre argument beaucoup plus avantageux que les coûts importants de mise en oeuvre du projet de loi. Nous préférons aller de l'avant et faire des choses, au lieu de nous préparer à dépenser de l'argent que nous n'aurons peut-être pas dans l'avenir.
M. Mackintosh: C'était une excellente question parce que, lorsqu'on considère, par exemple, que les coûts additionnels de 750 000 $ par année pour les procureurs - imputables pour une bonne part à l'introduction des enquêtes préliminaires dans le système de justice pour adolescents -, mis à part les défis socio-économiques au sens large et le rôle que peuvent jouer les possibilités et les espoirs offerts aux jeunes, nous pouvons, à l'aide des seuls programmes ciblés, faire bouger les choses. Nous connaissons les facteurs susceptibles de faire en sorte que les jeunes soient aux prises avec le système de justice pénale.
Au Manitoba, nous avons introduit un programme appelé Lighthouses. Nous disposons de 21 sites établis dans des écoles, lesquels sont utilisés après les heures de classe. Nous avons beaucoup investi dans cette merveilleuse infrastructure d'écoles publiques, et nous n'avons pas les moyens de laisser les lumières d'éteindre. Un bon nombre les gardent ouvertes, mais certaines les laissent s'éteindre - un nombre disproportionné d'entre elles se trouvent dans des quartiers où les accumulations de facteurs de risque sont les plus grandes. Souvent, il suffit de faire en sorte que les jeunes demeurent occupés pendant les périodes où le plus grand nombre d'infractions sont commises, soit entre 15 h 30 et 18 h 30. Nous devons tous comprendre que le système de justice est un système de nettoyage. Si nous investissions plutôt cette somme de 750 000 $ dans des programmes comme Lighthouses ou les programmes de lutte au décrochage, en raison de la corrélation élevée entre le décrochage et les comportements délictueux, nous nous serons rendu un fier service en tant que Canadiens. L'argent serait mieux investi que si on le verse à des procureurs chargés de mener un plus grand nombre d'enquêtes préliminaires.
Le sénateur Andreychuk: Dans le nouveau projet de loi, on introduit des mesures extrajudiciaires, tandis que, dans la loi actuelle, il y a des mesures de rechange. Les mesures de rechange, dans la Loi sur les jeunes contrevenants, visaient à éviter que les jeunes n'entrent dans le système de justice, à les en détourner. Ces mesures extrajudiciaires sont plutôt complexes et obligent la police et les tribunaux à passer par une procédure qui doit être documentée. Je vois d'ici la bureaucratie que cela exigera. Les jeunes intéressés devront faire des aveux. Des avocats seront donc en cause. Au bout du compte, l'adolescent ou l'adolescente, en cas d'échec de la procédure, risque de récidiver. Que pensez-vous des mesures extrajudiciaires par rapport aux mesures de rechange prévues dans la Loi sur les jeunes contrevenants?
M. Axworthy: Il importe de faire tout ce que nous pouvons faire avant qu'une personne ne soit accusée et avant qu'elle ne soit arrêtée par la police. C'est là que devraient se concentrer nos efforts.
Bon nombre de mesures de rechange sont prises avant le dépôt d'accusations. Nous devons persuader les procureurs de faire plus à ce sujet. Il suffit d'éliminer un problème précis auquel les jeunes délinquants sont confrontés, soit un casier judiciaire, de façon que, au moment de présenter leur candidature à un poste, ils ne soient pas éconduits et laissés avec peu d'autres possibilités. Nous avons tout intérêt à mettre l'accent sur ce que nous pouvons faire avant.
J'aimerais faire un commentaire qui ne porte pas sur cette question. Nous passons le plus clair de notre temps à mettre sous garde des personnes malades dont la maladie se manifeste par des actes criminels. Vous comprendrez, j'en suis certain, qu'il ne s'agit pas d'une solution très productive. Je ne fais pas uniquement référence au syndrome d'alcoolisme foetal, du fait que les personnes n'arrivent plus à faire la part du bien et du mal ni à tenir compte des conséquences de leurs actes ou des règles qu'elles enfreignent.
C'est là-dessus que repose tout notre système. Il s'agit d'un type de personnes malades que nous institutionnalisons et criminalisons. Il en va de même pour les victimes de violence sexuelle ou physique. Vous êtes au courant du pourcentage de jeunes mis sous garde qui ont été victimes d'agression sexuelle et physique. Sont-ils des criminels? Ils commettent des actes que nous qualifions de criminels. Dans ce cas, il convient de se rappeler que ce ne sont pas toutes les démocraties libérales qui qualifient de tels actes de criminels. Quoi qu'il en soit, nous le faisons, nous, et nous criminalisons les personnes en question. Le projet de loi à l'étude ne fera rien du tout pour remédier à ce problème. En fait, j'ai l'impression qu'il nous mènera sur une voie qui nous empêchera de nous attaquer à ce problème fondamental au sein de notre système.
Cela ne veut pas dire que les personnes en question ne font rien de mal. Seulement, leurs actes s'expliquent souvent par des raisons médicales.
Le sénateur Andreychuk: Pourrais-je vous entendre au sujet du système très complexe qu'instituera le projet de loi? L'une des raisons invoquées pour justifier la grande complexité du système tient au fait que nous avons affaire à une personne moins mûre qu'un adulte. D'autres ont affirmé que nous reproduisions, dans le système pour adolescents, un système s'apparentant de plus près à celui qui s'applique aux adultes. Quelle est votre opinion à ce sujet?
M. Mackintosh: À titre d'exemple, le fait d'introduire des enquêtes préliminaires dans le système de justice pour adolescents entraîne la mise en place d'une procédure douteuse et désuète. Comme je l'ai déjà indiqué, il est grand temps de simplifier le processus. Les options relatives à la justice communautaire qu'on retrouve dans le projet de loi sont trop officielles, au point où elles risquent de compromettre la justice communautaire elle-même. On doit permettre à la justice communautaire de croître, de s'épanouir et de se perfectionner au gré de la couleur et des traditions locales. On devrait établir et fournir des normes, sans pour autant les inclure dans un texte de loi. Ce problème nous ramène en partie à celui que vous avez soulevé. Dans l'ensemble, on s'engage sur la mauvaise voie.
M. Axworthy: Exactement. Je crois cependant qu'il y a des moments et des adolescents pour qui nous devons avoir des mesures plus sérieuses. Il importe d'établir un système s'apparentant à celui des adultes pour les récidivistes qui semblent indifférents à leurs activités antisociales. Les citoyens exigent qu'on traite avec fermeté le cas de ces jeunes qui n'ont aucun respect pour eux-mêmes ni pour autrui.
Cela dit, ce n'est pas le cas de la vaste majorité des jeunes. Ce n'est pas non plus ici que la plupart d'entre nous réagirions face à des problèmes au sein de notre famille ou parmi les personnes à qui nous avons affaire. Lorsqu'il est possible de négocier, nous avons tendance à le faire.
Pour revenir au point soulevé par le sénateur Joyal, la démarche revêt une importance toute particulière à propos des Autochtones, qui constituent la plus importante communauté à risque. Ils ne considèrent pas comme pertinent un système de justice qui rejette le blâme sur quelqu'un. Cela ne fait pas partie de leur contexte culturel. Cependant, nous mettons l'accent sur le blâme. Nous trouvons une personne coupable, puis nous la punissons. Ce n'est pas ainsi que fonctionne la justice autochtone.
Dans nos établissements, on retrouve un grand nombre d'Autochtones. Nous devrions également nous rappeler qu'il y a un grand nombre d'Autochtones victimisés puisque les chiffres sont très similaires. Une population qui se préoccupe peut-être moins du sort des criminels autochtones pourrait au moins s'inquiéter de celui des victimes autochtones.
En fait, nous avons beaucoup à apprendre du système de justice des Autochtones. Dans le projet de loi, rien n'indique que nous ayons tiré des leçons de ceux qui disent: «Guérissons la personne et guérissons la collectivité. Ensemble, essayons de progresser et de tirer le meilleur parti possible d'un acte antisocial.»
C'est ce que nous devrions faire au lieu de renforcer sans cesse un système de justice simplement étranger. Il est certain qu'un système de justice étranger ne donnera jamais de bons résultats. Il ne sera jamais accepté, et il ne fonctionnera jamais comme nous le souhaitons. En d'autres termes, il ne contribuera à réduire ni les comportements délictueux ni les comportements antisociaux. Dans les petites communautés autochtones, c'est absolument évident.
La présidente: Je vous remercie beaucoup, messieurs, d'être venus de si loin et d'être restés si tard pour nous aider dans nos délibérations. Nous vous sommes reconnaissants du temps que vous nous avez consacré. Vous pouvez avoir l'assurance que vos propos sont transmis aux membres du comité qui n'ont pu être avec nous aujourd'hui.
Nous allons maintenant poursuivre à huis clos.