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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 14 - Témoignages du 31octobre 2001


OTTAWA, le mercredi 31 octobre 2001

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-7, Loi concernant le système de justice pénale pour les adolescents, et modifiant et abrogeant certaines lois en conséquence, se réunit à 15 h 45 pour étudier le projet de loi.

[Traduction]

Mme Jill Anne Joseph, greffière du comité: Honorables sénateurs, la présidente et le vice-président du comité m'ont avisée qu'ils sont retenus au Sénat. À titre de greffière du comité, je suis prête à accepter une motion proposant la nomination d'un président suppléant en attendant l'arrivée de la présidente ou du vice-président.

L'honorable sénateur Fraser propose que l'honorable sénateur Moore soit président suppléant. Plaît-il aux honorables sénateurs d'adopter la motion?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Wilfred P. Moore (président suppléant) occupe le fauteuil.

Le président suppléant: La séance du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles est ouverte. Il s'agit de notre dixième réunion pour étudier le projet de loi C-7 concernant le système de justice pénale pour les adolescents et modifiant et abrogeant certaines lois en conséquence.

Nous accueillons aujourd'hui M. Stewart de la Société John Howard et Mme Pate des Sociétés Elizabeth Fry.

Allez-y, monsieur Stewart.

M. Graham Stewart, directeur, Société John Howard: Honorables sénateurs, je vous remercie de nous donner l'occasion d'exprimer notre opinion sur le projet de loi C-7 devant votre comité. Cela fait déjà bien des années que la Loi sur les jeunes contrevenants préoccupe la Société John Howard. La société est un organisme national présent dans 60 collectivités du Canada. Elle regroupe environ 15 000 travailleurs, employés et bénévoles qui oeuvrent dans divers programmes reliés à la justice pénale et qui visent à aider ceux qui ont eu des démêlés avec le système de justice pénale à devenir d'honnêtes citoyens.

De façon générale, notre réaction au projet de loi C-7 est positive. À notre avis, il contient certaines améliorations importantes par rapport à la Loi sur les jeunes contrevenants. Nous sommes heureux que cette mesure s'insère dans les paramètres selon lesquels les mesures de justice pénale peuvent aider à réduire le crime. L'accent qu'on y met sur la prévention du crime et certains autres facteurs est primordial et nous sommes heureux que cette considération soit entrée en ligne de compte dans la stratégie globale des législateurs.

Nous savons que les taux de criminalité varient énormément d'un bout à l'autre du Canada. Nous vous signalons que ces variations ne peuvent pas être attribuées à des différences d'accès au système de justice. Au Canada, nous avons les mêmes lois, les mêmes structures policières, le même accès aux tribunaux, et ainsi de suite.

L'accès au système de justice est équitable d'un bout à l'autre du pays, mais on ne peut pas dire la même chose pour d'autres facteurs comme l'emploi, l'instruction et les conditions sociales. C'est surtout de là que viennent les raisons d'une participation à des activités criminelles.

Certaines des améliorations à la Loi sur les jeunes contrevenants viennent de l'installation de principes que nous jugeons cohérents et pertinents. Nous sommes heureux des dispositions relatives aux mesures extrajudiciaires qui n'étaient pas prévues dans la Loi sur les jeunes contrevenants. Selon nous, il importe de prévoir dans le projet de loi la tenue d'audiences pour la détermination d'une peine applicable aux adultes après le procès, la libération conditionnelle sous surveillance, des ordonnances de programmes intensifs de réadaptation, de garde intensive et de surveillance. Les principales objections que nous avons au projet de loi tiennent aux dispositions qui permettent qu'on applique le projet de loi de façon différente selon les provinces.

Je vais maintenant entrer davantage dans les détails. Nous aimons le préambule et les principes du projet de loi. Selon nous, ces principes sont cohérents et ne sont pas mutuellement exclusifs. Ils ne visent pas à refléter toutes les idéologies, mais comprennent plutôt un ensemble cohérent de principes qui vont faire beaucoup pour donner certaines directives et certains conseils aux tribunaux.

C'est une très bonne chose que le projet de loi insiste sur la réadaptation et la réinsertion sociale comme principaux moyens de répondre aux préoccupations de sécurité du public. C'est aussi une bonne chose qu'on y ait inclus les conventions internationales puisque cela permet de placer le projet de loi dans un contexte international, ce qui est utile et important.

Nous sommes heureux de la façon dont les mesures extrajudiciaires sont prévues dans le projet de loi. Les principes, les objectifs et les solutions offertes montrent bien qu'on insiste sur autre chose que des mesures judiciaires. Nous sommes ravis qu'on autorise les avertissements et les mises en garde formelles. C'est une bonne chose et cela peut aussi être utile pour réduire le recours au système de justice pénale.

Nous approuvons également la formation de comités de justice pour la jeunesse vu que ceux-ci permettront d'obtenir la participation des citoyens au processus. Nous avons cependant certaines inquiétudes quant à la façon dont les membres de ces comités seront choisis. Nous voulons être certains que ces comités ne seront pas utilisés de façon non appropriée pour répondre aux objectifs politiques particuliers de certaines provinces.

La question d'optionnalité est une chose qui nous inquiète. Les provinces pourraient décider de ne pas participer aux mesures extrajudiciaires aux termes des articles 7 et 8 et de l'alinéa 10(2)a) en ce qui concerne les mises en garde et les sanctions extrajudiciaires.

Dans certains cas, le recours aux solutions de rechange dépend de la possibilité d'appliquer ces solutions dans les diverses provinces, ce qui laisse entendre que la prison est préférable à la solution de rechange. À notre avis, ce devrait être le contraire.

Les mesures de surveillance et de soutien intensif semblent être facultatives dans certaines provinces et semblent aussi exiger le consentement du directeur provincial. Cela pourrait restreindre les choix disponibles.

Les sentences présomptives peuvent être applicables à des âges différents selon ce que les provinces auront décidé. La peine applicable à un adolescent de 15 ans dans une province pourrait être extrêmement différente de la peine applicable dans une autre.

La définition des niveaux de garde laisse à désirer et ne porte que sur le degré de confinement, ce qui veut dire qu'on donne une très grande marge de manoeuvre aux provinces pour avoir des définitions très différentes de ce qui constitue la garde en milieu ouvert. Nous voudrions que le projet de loi établisse certaines normes et donne certaines directives à ce sujet.

Les principes relatifs à l'imposition de la peine sont tout à fait positifs et tiennent compte de l'importance de l'uniformité et de l'équité. Ces principes insistent aussi sur la nécessité de réduire le recours à la garde. C'est une bonne chose qu'on ait recours à des ordonnances d'assistance et de surveillance intensive. Ce serait cependant préférable qu'on inclue la nécessité d'obtenir le consentement de l'adolescent dans ces dispositions, surtout pour la participation à des programmes hautement intrusifs, conflictuels, qui présentent des risques ou qui nuisent grandement à la participation à des activités scolaires ou professionnelles normales.

Les ordonnances d'assistance et de surveillance intensive peuvent être très utiles si elles sont utilisées convenablement. Nous sommes heureux qu'elles visent uniquement les adolescents à qui on impose une sentence présomptive. Il importe que ces mesures s'appliquent uniquement à ceux qui en ont le plus besoin au lieu de devenir chose commune. Nous sommes heureux aussi que le projet de loi prévoit des solutions de rechange à la garde. Ces solutions de rechange permettent de se concentrer sur la réinsertion et la réadaptation et c'est dans un tel milieu que ces programmes sont souvent le plus efficaces.

Nous aimons beaucoup les dispositions relatives à la garde sous surveillance. La plupart des gens supposent qu'il existe des mécanismes de surveillance conditionnelle pour les jeunes contrevenants comme pour les adultes. Nous considérons cependant que les mesures de garde sous surveillance prévues dans le projet de loi sont de beaucoup préférables à ce qui existe pour les adultes.

Nous sommes particulièrement heureux que le tribunal doive préciser la période de surveillance au moment de la détermination de la peine pour éviter qu'on pense que la garde sous surveillance constitue un amoindrissement de la peine prévue au départ. Selon nous et, à mon avis, d'après bon nombre d'études menées jusqu'ici, la réinsertion graduelle est le moyen le plus efficace qui soit pour réduire le récidivisme parmi les personnes incarcérées. Il faut supposer que ces mesures existent.

Cependant, la garde sous surveillance n'est ni une forme de clémence ni une récompense pour un comportement conforme, mais bien une condition importante de l'incarcération. Si nous enlevons des gens de la collectivité, nous devons ensuite nous occuper de leur réintégration. Nous sommes heureux que la garde sous surveillance soit obligatoire dans à peu près tous les cas.

Nous sommes aussi heureux qu'il soit prévu dans le projet de loi que la période de garde sous surveillance ne s'ajoute pas à la période de garde, ce qui aurait augmenté la durée de la peine. Cela nous inquiète que le projet de loi ne précise pas de normes relativement aux mesures d'appui et de surveillance communautaires. Nous ne voulons pas que le soutien et la surveillance n'aient aucun poids, sinon, on pourrait les juger inefficaces dans quelques années, ce qui serait tragique. Nous savons que des mesures de ce genre peuvent être efficaces.

C'est très bien que l'on insiste partout dans le projet de loi sur l'utilité de réduire ou de restreindre le recours à la garde.

Relativement aux peines pour adultes, je dois tout d'abord signaler que notre société n'a jamais été en faveur de l'imposition de peines pour adultes à des adolescents. Selon nous, il est tout à fait contraire à la nature de la Loi sur les jeunes contrevenants de les traiter comme des adultes. Par ailleurs, vu que cette possibilité existe dans la loi depuis bien des années et continuera probablement d'exister, nous jugeons que le processus prévu dans le projet de loi pour l'imposition de peines pour adultes constitue une grande amélioration par rapport aux dispositions de la Loi sur les jeunes contrevenants.

Plus particulièrement, l'abolition des audiences de renvoi avant le procès en faveur d'audiences après le procès est une amélioration importante. Je sais moi-même pour avoir témoigné à diverses audiences de transfert qu'il est très troublant de participer à un processus qui vise à déterminer à quel point l'accusé est dangereux avant même d'avoir décidé s'il est coupable ou non.

J'ai vu un cas où un accusé considéré trop dangereux pour être jugé par un tribunal pour adolescents a été acquitté par le tribunal pour adultes. De telles audiences accélèrent aussi le processus. Il peut arriver aujourd'hui que les audiences relatives au transfert durent deux ans avant même qu'on en arrive au procès.

Nous ne sommes pas en faveur des sentences présomptives pour adultes. Cela va à l'encontre de la nature de la Loi sur les jeunes contrevenants. Les sentences ne doivent pas être présomptives, l'adolescent ne doit pas être transféré au tribunal pour adultes et il faudrait prouver que c'est nécessaire et procéder dans le sens inverse.

Le critère utilisé pour l'imposition de peines pour adultes constitue une amélioration par rapport à la loi actuelle où l'on vise à mettre en opposition les besoins de l'enfant et la protection du public. Le projet de loi insiste sur la responsabilité. C'est bien d'être tenu responsable. Certains diront que la responsabilité équivaut à la sévérité, mais ce n'est pas notre avis. Ce n'est pas ainsi que nous interprétons le projet de loi et ce serait malheureux que nous nous trompions.

Nous ne pouvons pas savoir combien de ces mesures seront efficaces avant qu'elles n'aient été appliquées et que les tribunaux aient commencé à rendre des décisions. Selon nous, la notion de responsabilité comprend la notion de contrainte et de relativité, alors que ce n'est pas le cas de la notion de la protection du public. Le critère prévu dans le projet de loi est donc préférable.

Selon nous, même si l'on pourra imposer une peine pour adultes aux adolescents dans le cadre du projet de loi, les adolescents devraient néanmoins être assujettis aux principes de la nouvelle loi.

Dans l'ensemble, nous considérons que les dispositions relatives à l'imposition de peines pour adultes constituent une amélioration marquée par rapport à la Loi sur les jeunes contrevenants.

Nous trouvons qu'il y a à la fois du bon et du mauvais dans les dispositions relatives au placement dans un établissement pour adultes. Nous sommes heureux que les adolescents à qui l'on a imposé une peine pour adultes resteront généralement dans le système pour adolescents jusqu'à l'âge de 20 ans. Nous pensons que c'est une bonne chose. D'autre part, nous tenons à ce que les adolescents à qui l'on impose une peine pour adolescents restent dans le système de justice pour adolescents et ne soient en aucun cas transférés au système pour adultes.

Dans le cas des infractions graves avec violence, nous ne sommes pas en faveur du recours aux sentences présomptives pour adultes. Par ailleurs, la définition de ce qui constitue une infraction grave avec violence est bien meilleure dans le projet de loi C-7 qu'elle ne l'était dans le projet de loi C-3. Nous nous en réjouissons parce que cette définition sera dorénavant beaucoup plus claire.

Relativement à la publication des noms dans des circonstances particulières, nous sommes généralement contre la publication des noms. Les adolescents devraient pouvoir assumer les conséquences de leurs infractions sans être assujettis à cette attention de la part du public, surtout que la publication des noms pourrait avoir des conséquences encore plus graves pour les adolescents que pour les adultes, non seulement pour l'adolescent lui-même, mais pour sa famille, ses frères et soeurs et les autres membres de la collectivité.

Les dispositions relatives à l'admission de déclarations qui seraient sinon inadmissibles sont une amélioration par rapport aux mesures prévues dans le projet de loi C-7, mais elles ne sont pas une amélioration dans la mesure où des déclarations inadmissibles pourraient être admises en preuve.

Nous nous opposons aux dispositions qui ont été incluses dans le projet de loi pour permettre aux provinces de recouvrer les frais juridiques des parents des jeunes contrevenants. Cela pourrait inciter les adolescents à plaider coupables simplement pour ne pas faire du tort à leurs parents ou bien, dans certains cas, leurs familles pourraient exercer des pressions sur eux pour qu'ils le fassent afin d'éviter les frais juridiques.

En outre, cette disposition renforce la notion selon laquelle le rôle des parents est le principal facteur en cause dans l'activité criminelle d'adolescents alors que bien d'autres facteurs entrent en jeu. Ce serait très difficile de déterminer comment le rôle des parents peut être le seul facteur important alors que les enfants grandissent dans des situations et des milieux sociaux qui varient énormément au Canada.

Le président suppléant: Monsieur Stewart, le mémoire que vous avez présenté est daté de janvier 2000. Si j'ai bien compris, vous l'aviez présenté à la Chambre des communes.

M. Stewart: Oui.

Le président suppléant: Avez-vous quelque chose à ajouter comme mise à jour ou à la lumière des témoignages des gens entendus par notre comité? Est-ce tout pour l'instant?

M. Stewart: C'est tout ce que j'ai à dire pour l'instant. Je regrette de n'avoir pas pu mettre notre mémoire à jour.

Le président suppléant: Je viens de remarquer la date.

M. Stewart: C'est le mémoire que nous avions présenté et j'ai essayé d'expliquer les changements importants pendant mon exposé.

Mme Kim Pate, directrice exécutive, Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry: Je tiens à remercier le comité au nom de l'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry de nous avoir invités à témoigner devant votre comité. Les membres de mon conseil d'administration s'excusent de leur absence. Deux jeunes femmes qui avaient espéré être ici n'ont malheureusement pas pu se joindre à nous.

L'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry regroupe 24 sociétés Elizabeth Fry du Canada qui ont pour mandat de travailler auprès des jeunes femmes et des femmes adultes dans le système de justice. L'association offre des services aux adolescentes et aux femmes adultes qui ont été victimisées, criminalisées ou incarcérées.

Nous sommes essentiellement en accord avec ce que M. Stewart a dit au nom de la Société John Howard du Canada. Pour ma part, je voudrais me pencher de façon particulière sur certaines des dispositions qui auront à notre avis des conséquences spéciales pour les adolescentes. Ensuite, je serai heureuse de faire quelques observations d'ordre plus général.

Bon nombre d'entre vous savent déjà que bien des organismes y compris le nôtre n'étaient pas heureux avec la présentation du projet de loi C-7 que nous considérions être une mesure qui abrogerait et remplacerait la Loi sur les jeunes contrevenants. Ce qui nous inquiétait, c'est qu'on semblait en bonne partie juger nécessaire d'abroger la loi actuelle à cause de certaines perceptions du public et, surtout, de perceptions erronées de ce qui arrivait et ce qui arrive encore aux adolescents, plutôt que de s'appuyer sur la nécessité d'instaurer un nouveau régime législatif.

Je suis cependant heureuse de pouvoir dire qu'on a apporté des améliorations importantes au projet de loi. Nous avons encore certaines inquiétudes, mais le libellé du projet de loi a été considérablement amélioré et c'est de cela que je voudrais parler tout d'abord.

Nous sommes heureuses que le législateur ait décidé d'insister dans les principes et les objectifs du projet de loi sur la nécessité d'améliorer l'éducation du public en tenant compte des conséquences à long terme plutôt que des objectifs à court terme d'interventions de types particuliers auprès des adolescents. Le projet de loi vise à intégrer les adolescents de façon plus holistique et inclusive grâce à la réinsertion sociale et à d'autres moyens d'intégration, tant au sein du système de justice pour adolescents que d'autres systèmes, au lieu d'insister davantage sur les objectifs à court terme. C'est l'accent qu'on mettait sur ces objectifs à court terme qui a entraîné l'isolement de certains adolescents à cause d'une utilisation accrue de l'incarcération ou de dispositions de garde pour les adolescents.

C'est particulièrement le cas pour les adolescentes. Outre les problèmes mentionnés par M. Stewart, comme les adolescentes sont relativement peu nombreuses dans le système pénal, la gamme de solutions offertes dans leurs cas a été encore plus restreinte et plus restrictive.

Les adolescentes, qu'elles soient en détention préventive, en détention libre, en période de traitement ou en détention en milieu fermé, sont souvent détenues dans des milieux extrêmement fermés et sont souvent isolées des autres adolescents. Dans certains établissements où il y a des garçons ou des adolescents, les adolescentes sont souvent encore plus isolées à cause de certains incidents d'agression sexuelle, de harcèlement et parfois de grossesses.

Il importe de voir la situation dans son ensemble et de faire en sorte que le public sache qui fait partie du système de justice pour adolescents et quel est le taux de détention des adolescents. Nous sommes tout à fait d'accord là-dessus.

Nous sommes aussi d'accord pour qu'on resserre la définition d'expressions comme «préjudice grave». Nous craignons que les dispositions actuelles permettent une bonne part d'interprétation subjective de la part de ceux qui travaillent dans le système comme les policiers, les travailleurs sociaux, les avocats de la Couronne et les membres de la magistrature pour ce qui est de déterminer si un adolescent a commis une infraction qui présente des risques importants de causer un préjudice grave. Ce sont les lignes directrices, les conseils et la formation des intervenants qui dicteront en bonne mesure comment on utilisera les ressources disponibles et si de moins en moins d'adolescents seront injectés ou non dans le système. La plupart de ces lignes directrices n'ont pas encore été articulées.

Nous nous inquiétons aussi des différences entre les diverses provinces, mais M. Stewart en a déjà suffisamment parlé et je n'en dirai pas plus long là-dessus.

Nous sommes heureuses que l'article 35 favorise les renvois aux agences de bien-être de l'enfance dans les cas où c'est de là que vient le principal problème. Il est souvent arrivé dans le passé que des adolescentes aient été détenues avant leurs procès et par la suite surtout parce qu'on n'avait pas d'autres endroits pour les envoyer. Selon nous, cet article montre nettement aux juges et à tous les intervenants du système de justice pour adolescents que ce n'est pas une solution appropriée.

Nous craignons néanmoins que l'un des facteurs déterminants ici sera la question de savoir s'il est raisonnable ou non de renvoyer un adolescent dans le système d'aide à l'enfance. Compte tenu du manque de ressources que l'on peut constater partout dans le pays, nous nous demandons si cette disposition sera vraiment appliquée de la façon voulue.

À notre avis, l'article 39 du projet de loi est clairement rédigé, mais il faut examiner les ressources disponibles au niveau local. Ce qui nous inquiète, c'est qu'à moins qu'on insiste dans le cadre des ententes de partage des coûts pour que les provinces garantissent que les solutions communautaires sont suffisamment bien financées, on continuera de voir des adolescents, surtout des jeunes filles, en détention avant et après leurs procès surtout à cause d'un manque de ressources au niveau local. On pourrait à ce moment-là juger déraisonnable de les renvoyer au système de bien-être de l'enfance même si l'on juge que c'est le meilleur endroit pour elles.

J'incite les honorables sénateurs à examiner ce qu'ont fait certains juges de la Saskatchewan, notamment un juge qui a essayé de renvoyer au système d'aide à l'enfance des jeunes Autochtones qui étaient atteintes du syndrome d'alcoolisme foetal. Sa décision a été annulée parce que les ressources n'étaient pas disponibles. Elle a ensuite demandé au ministre des services sociaux de fournir ces services.

C'est le genre de choses qui nous inquiète au sujet du projet de loi. Nous préférerions que la mesure stipule clairement que le problème de l'itinérance et le manque de ressources du système d'aide à l'enfance ne peuvent pas être considérés comme un motif raisonnable pour ne pas avoir recours à ce système.

Nous jugeons aussi que les ordonnances de réintégration et de surveillance intensive sont appropriées. On devrait s'en servir dans les cas les plus graves.

Ce que nous craignons, c'est que si l'on finance ces services de préférence, il arrivera au système de justice pour adolescents la même chose qu'au système pour adultes. Dans le système pour adultes, il arrive de plus en plus souvent que les femmes, qu'elles soient jeunes ou vieilles, qu'on avait trop souvent dans le passé renvoyées aux établissements de santé mentale ou psychiatrique se retrouvent sans abri faute d'autres solutions. Normalement, on ne devrait pas criminaliser un tel comportement. Normalement, on devrait juger que ce comportement est relié à leur maladie mentale ou à leur problème cognitif, mais elles aboutissent maintenant dans le système de justice.

Ce qui est paradoxal, c'est que la nécessité de répondre à ces besoins a mené à la création de ressources dans les établissements carcéraux qui ne sont pas disponibles au niveau communautaire. À cause de cela, de plus en plus de femmes se trouvent incarcérées. Certains juges commencent même à dire qu'ils espèrent que l'accusée recevra le traitement dont elle a besoin dans le milieu carcéral vu qu'elle sera envoyée dans une belle prison régionale toute neuve. Les juges considèrent qu'une nouvelle prison est un bon endroit où accéder à des programmes de traitement.

Ce que nous craignons, c'est que ces ordonnances de réadaptation et de surveillance intensive aient le résultat contraire de ce qu'espère le législateur, c'est-à-dire qu'il y ait moins de jeunes dans le système. Si l'on n'insiste pas autant sur la création de services au niveau local, surtout les services de santé mentale, les tribunaux auront tendance à mettre de plus en plus d'adolescents en milieu carcéral. C'est une chose qui nous inquiète relativement à la mise en oeuvre et au financement du système.

Relativement à l'éducation du public, le personnel du ministère de la Justice a fait un bon travail pour garantir que le public est mieux renseigné sur la participation des adolescents à des infractions graves avec violence. Le pourcentage d'adolescentes qui commettent des infractions avec violence ou autres a sans doute augmenté, mais ce ne sont que des augmentations proportionnelles et non pas des augmentations en chiffres absolus. Ces augmentations proportionnelles sont en bonne partie attribuables aux données obtenues des rapports, des services policiers, des avocats de la Couronne et de la détermination de la peine. Le nombre d'adolescentes qui commettent des infractions n'a pas vraiment augmenté. C'est aussi ce qui ressort des chiffres contenus dans les autoévaluations.

Même si le public a l'impression que les adolescentes deviennent plus violentes qu'auparavant, les chiffres n'ont pas vraiment augmenté. Notre organisme a fait valoir certains renseignements qui pourraient être utiles à cet égard. Selon nous, le projet de loi C-7 contient des améliorations importantes à la loi actuelle.

Nous nous opposons catégoriquement au transfert d'adolescents au système pour adultes. Je voudrais vous raconter l'histoire d'une jeune femme qui devait être ici aujourd'hui mais qui n'a pas pu se joindre à nous. Elle a raconté son histoire devant le comité de la Chambre des communes et cette histoire montre comment le projet de loi constitue probablement une amélioration par rapport à la loi actuelle. Bon nombre de ceux qui ont examiné le projet de loi croient que cette jeune femme n'aurait pas été transférée au système pour adultes si le projet de loi avait été en vigueur à l'époque. Elle n'aurait pas été tenue à l'écart dans une unité à sécurité maximale d'un pénitencier pour hommes de la Saskatchewan. Je ne me serais pas intéressée à son cas après sa deuxième tentative de suicide. Elle ne serait pas encore maintenant sans-abri, sans ressources et presque sans appui après sa libération.

Le projet de loi contient des mesures très utiles et il y a donc de bonnes raisons de l'appuyer. Nous tenons à souligner à quel point il importe que votre comité, à l'instar des employés du ministère de la Justice, des organismes comme le nôtre, de la Société John Howard et d'autres, fasse bien comprendre que l'une des clés de l'efficacité du projet de loi sera le service approprié des services communautaires.

Nous préférerions que l'on ne finance pas davantage la garde ou la détention. Si la Loi sur les jeunes contrevenants n'a pas pu atteindre l'objectif visé, c'est qu'une grande partie des ressources se concentraient sur la garde et la détention et non sur les solutions de rechange communautaires.

Je répondrai volontiers à vos questions.

Le sénateur Grafstein: Si j'ai bien compris, vous êtes du même avis sur au moins deux points fondamentaux. L'article 61 stipule que:

Le lieutenant-gouverneur en conseil d'une province peut, par décret, fixer un âge de plus de 14 ans mais d'au plus 16 ans pour l'application des dispositions de la présente loi relatives aux infractions désignées.

Vous jugez tous deux cette disposition inacceptable?

M. Stewart: Oui.

Mme Pate: Oui.

M. Stewart: Nous préférerions que l'âge soit fixé à 16 ans par toutes les provinces.

Le sénateur Grafstein: Pourquoi?

M. Stewart: D'abord, nous jugeons qu'il est inutile d'avoir un renvoi présomptif au système pour adultes d'un adolescent de 14 ans. À 14 ans, on devrait présumer que l'adolescent ne doit pas être renvoyé au système pour adultes. Même selon la loi actuelle, un adolescent de 14 ans pourrait être transféré au système pour adultes, mais la présomption n'existe pas.

La deuxième raison, c'est que la peine imposée pourrait varier énormément. Dans certains cas, un adolescent âgé de 15 ans pourrait être passible d'un maximum de 10 années d'emprisonnement dans une province et d'emprisonnement à vie dans une autre province. Une telle différence au Canada dans le cadre du même Code criminel semble injustifiée.

Mme Pate: Ce qui nous inquiète c'est que, à part cela, les agents de correction et les décideurs reconnaissent que ceux qui sont souvent les plus difficiles à contrôler dans un milieu carcéral sont les plus jeunes parce qu'ils sont souvent aux prises avec ce que l'on considère comme étant l'étape normale de la rébellion et du défi.

Il y a trois façons dont un détenu peut être mis dans la catégorie de sécurité maximale dans le système fédéral. Il y a d'abord l'infraction commise, parce que l'adolescent a commis une infraction grave. Un adolescent peut aussi être désigné de sécurité maximale si l'on juge qu'il risque de s'enfuir ou de représenter une menace s'il est relâché dans la société.

Nous avons cependant constaté que la principale raison pour laquelle on considère qu'un adolescent fait partie de la catégorie de sécurité maximale, comme c'est le cas pour bien des femmes, c'est qu'on a du mal à les contrôler parce qu'ils sont suicidaires, peuvent se blesser, peuvent hurler ou peuvent être émotifs. En plus de ce que M. Stewart a déjà dit, ce qui nous inquiète ici, c'est qu'une trop grande partie de ces adolescents sont tenus à l'écart. Ils sont détenus dans des conditions que ne voulait pas le législateur ou le tribunal qui a imposé la peine et ils purgent leur peine dans des conditions carcérales extrêmement brutales avant d'être relâchés.

Ce n'est donc pas une exagération que de dire qu'ils ont encore plus de mal que les autres à se réinsérer dans la société compte tenu de ces défis supplémentaires et des problèmes qu'ils avaient peut-être avant leur incarcération. Ce sont les adolescents que nous connaissons. Plus un adolescent transféré au système pour adultes est jeune, plus il est probable qu'il poursuivra ses activités criminelles.

Le sénateur Grafstein: Ce sont les problèmes d'incarcération et de récidivisme.

Compte tenu des témoignages, il semblerait que bien des gens sont d'accord pour qu'on supprime les infractions présomptives et qu'on ne puisse pas réduire l'âge pour toutes les raisons que vous avez énumérées.

Je suis curieux. Vous représentez l'un comme l'autre un organisme communautaire bien connu. Vos sociétés respectives ont la réputation de faire un travail important partout dans le pays. Comment se fait-il que nous en soyons rendus là? D'où viennent ces pressions malignes nous incitant à traiter des enfants comme des adultes? D'après vous, d'où vient l'article 61? Vous dites qu'il existe de fausses perceptions au sujet de l'augmentation des crimes de violence. D'où cela vient-il?

M. Stewart: Je l'ignore. Nous avons constaté en Amérique du Nord et partout dans le monde que le public a maintenant des attitudes plus sévères à l'égard des jeunes. C'est probablement vrai qu'on leur fait une mauvaise presse dans bien des cas. Je pense que cela vient aussi du fait qu'on pose la mauvaise question. Si vous demandez aux gens s'ils trouvent que le système est trop tolérant et devrait être plus sévère, ils ont tendance à répondre oui. D'autre part, si vous leur demandez s'ils jugent que le système de justice du Canada doit être le plus sévère du monde, ils diront non. Si vous demandez quelle devrait être la priorité du système de justice, ils diront presque inévitablement que c'est la réinsertion sociale. Cela dépend beaucoup de la façon dont on présente les choses au public.

Il y a des gens qui essaient d'alarmer et d'inquiéter le public. C'est ce qui les pousse à vouloir obtenir des réponses courtes et immédiates. Quand on examine les recherches menées par des gens comme le Dr Anthony Duke de Toronto, on constate que le public n'est pas...

Le sénateur Grafstein: Il dit que cette disposition ne s'appuie sur aucun principe.

Mme Pate: Avant la Loi sur les jeunes contrevenants, les médias n'avaient pas accès à ces cas. Aujourd'hui, à cause des médias, les yeux sont davantage tournés vers les adolescents. Ce matin encore, on m'a demandé de commenter un cas en Alberta pour lequel la Cour du banc de la reine de l'Alberta a rejeté l'application des dispositions de la Loi sur les jeunes contrevenants qui protègent les victimes d'infractions commises par les adolescents. Cette affaire concernait davantage la protection des médias et leur accès aux renseignements pour qu'ils puissent atteindre leurs objectifs que la protection des victimes.

Depuis 1984, les médias ont accès au tribunal pour adolescents. Quand les médias n'ont pas eu gain de cause devant la Cour suprême du Canada pour faire supprimer l'interdiction de publication, ils ont dit que cela allait à l'encontre de la liberté de parole. On a assisté à une tentative concertée de dénigrer la loi et les jeunes. Ce n'est cependant pas entièrement la faute de la presse.

Auparavant, on ne savait pas ce qui se passait dans le système de justice pour les adolescents.

Le sénateur Grafstein: À cause de l'interdiction.

Mme Pate: Oui, parce que les médias n'y avaient pas accès. Il y a des avantages à ouvrir le processus. Il s'était passé des choses avant la Loi sur les jeunes contrevenants qui ne devraient plus être tolérées ou qui n'auraient pas dû l'être dès le départ. L'ouverture du processus a eu du bon sur ce plan-là.

Le revers de la médaille a été la réaction du public. Nous savons tous que ce sont les cas les plus horribles et les plus outrageants qui captent l'attention des médias. Cela a tendance à donner au public une idée fausse de ce qui se passe devant les tribunaux.

Les gens sont vraiment consternés d'apprendre que, au Canada, dans huit sur neuf des catégories d'infractions les plus courantes, les infractions sont commises par des adolescents à qui on impose des peines plus sévères qu'aux adultes. Ils sont scandalisés d'apprendre que quatre fois plus d'adolescents sont incarcérés que d'adultes. Ils sont vraiment scandalisés d'apprendre que les chiffres sont plus élevés au Canada qu'aux États-Unis. Tout cela fait partie du problème.

Le sénateur Fraser: J'aurais deux questions, monsieur Stewart. D'abord, je voudrais une mise au point. J'ai cru vous entendre dire que vous ne vous opposiez pas au recouvrement des frais juridiques auprès des parents. Ensuite, j'ai cru comprendre que vous vous y opposiez énergiquement.

M. Stewart: Oui, je m'y oppose.

Le sénateur Fraser: Au sujet de la détermination de la peine, nous avons entendu hier soir au comité des témoins qui n'étaient pas d'accord pour qu'on impose une peine maximale de trois ans aux adolescents, même pour les infractions graves. Ils auraient voulu que les peines maximales soient beaucoup plus lourdes.

Pouvez-vous nous dire en quoi le résultat des peines imposées aux adolescents et aux adultes est différent?

M. Stewart: Il y a certaines choses que je peux vous dire. D'abord, même à l'heure actuelle, il est très rare qu'on impose la peine maximale à un adolescent dans le système de justice actuel. Cela ne voudrait pas dire grand-chose de relever la peine maximale parce que, dans la très grande majorité des cas, les infractions commises par les adolescents méritent une peine beaucoup moins longue que trois ans.

Deuxièmement, on limite la durée des peines qu'on peut imposer aux adolescents parce que nous savons que le temps passé sous garde est destructif dans l'ensemble. Dans le cadre de travaux de recherche que vient de terminer le professeur Paul Gendreau de l'Université du Nouveau-Brunswick, on a fait une analyse méthodique de toutes les grandes études du taux de récidivisme par rapport à l'emprisonnement en Amérique du Nord depuis une trentaine d'années. Le professeur Gendreau a inclus 53 études dans ses recherches qui se conformaient à ses critères stricts. Il a constaté que, dans tous les cas, les études indiquaient qu'une période d'incarcération plus longue n'avait pas de conséquences pour le taux de récidivisme ou bien avait une conséquence négative dans la mesure où les détenus avaient davantage tendance à reprendre une activité criminelle.

Les auteurs du projet de loi ont reconnu qu'il est tout simplement faux de dire que les peines d'emprisonnement plus longues contribuent à la sécurité du public. C'est plus qu'un mythe; c'est une tentative délibérée d'induire en erreur les décideurs.

Nous essayons de contrer cette tendance. Il s'agit ici d'adolescents, dont la grande majorité ne récidiveront pas à l'âge adulte. Une bonne partie de leur comportement est attribuable à leur jeunesse. Nous savons qu'on peut réduire beaucoup le taux de récidivisme grâce à un système où l'on offre de l'aide aux adolescents pour résoudre les problèmes qui les ont menés en prison, par exemple en améliorant leurs compétences cognitives, en s'attaquant à leur toxicomanie, en s'attaquant aux problèmes d'éclatement des familles et d'analphabétisme et en ayant de bons services de traitement et de surveillance au niveau local. C'est tout à fait logique d'opter pour cette solution, surtout quand il s'agit d'adolescents qui pourraient sinon se retrouver pris au piège dans un système carcéral à l'âge adulte. Il est très utile de limiter la période d'incarcération pour les jeunes.

On a publié récemment une étude aux États-Unis où l'on comparait les infractions criminelles commises par des adolescents au Maryland et dans le district de Columbia. À cause d'ordonnance des tribunaux, on a dû réduire de façon spectaculaire le nombre d'incarcérations dans le district de Columbia, mais pas au Maryland. Il en a résulté au Maryland une population carcérale quatre fois supérieure à celle du district de Columbia.

Dans les deux cas, les taux du crime ont baissé, comme ils l'ont fait partout en Amérique du Nord, mais ils ont baissé beaucoup plus vite dans le district de Columbia où les tribunaux avaient obligé les agents de correction à trouver des solutions de rechange à l'incarcération, comparativement au Maryland où l'incarcération était chose courante. On a mené bon nombre d'études du même genre. Les prisons sont un moyen de dernier recours. On peut faire certaines bonnes choses en prison, mais l'incarcération même a des conséquences destructives à long terme selon nous et l'on ne devrait y avoir recours que très peu. À notre avis, le fait d'avoir une loi distincte pour les adolescents permet de limiter le recours aux peines d'incarcération.

Mme Pate: M. Stewart a parlé de la recherche.

Le sénateur Grafstein: Pouvez-vous nous donner la référence pour l'étude dont vous avez parlé?

Mme Stewart: L'étude a été menée par Paul Gendreau, de l'Université du Nouveau-Brunswick, et elle a été publiée par les Services correctionnels.

Le sénateur Grafstein: À quelle date?

M. Stewart: Il y a environ deux ans.

Mme Pate: L'étude est disponible sur le site Web des Services correctionnels.

Le sénateur Grafstein: Mille neuf cent quatre-vingt-dix-neuf.

M. Stewart: Je peux vous l'obtenir.

Mme Pate: M. Stewart vous a indiqué la recherche de base. Pour mettre un visage humain sur cette recherche, vous pourrez lire l'histoire de «K» qui est une autre jeune femme qui se trouve dans des circonstances très semblables à celles de cette femme mais qui n'a pas été transférée à un tribunal pour adultes. Elle a bénéficié des services d'un avocat-conseil qui a décidé de consacrer beaucoup d'énergie, un grand nombre de ses propres ressources, à une audience de transfert. J'en parle parce que cette jeune femme a été aidée grâce à des ressources privées. L'année dernière, cette jeune femme m'a téléphoné après avoir terminé ses examens de sa troisième année d'université. Essentiellement, elle a eu les mêmes démêlés avec la justice à cause d'un cas de meurtre. C'est l'aspect qui préoccupe le plus les gens. Ces deux jeunes femmes regrettent leurs actes. Elles ont pris des chemins complètement différents. Il s'agissait dans les deux cas de jeunes femmes de couleur. Pourtant, l'une d'elles, pour une raison quelconque, a capté l'intérêt d'un avocat-conseil, et cet avocat a consacré beaucoup d'énergie, de temps, d'efforts et de ressources personnelles, comme l'a fait son cabinet d'avocats, pour représenter cette jeune femme.

Elle n'a pas été transférée à un tribunal pour adultes. Elle est restée dans le système de justice pour les jeunes. Par conséquent, elle a échappé au stigmate que vivent les personnes dont le nom est rendu public, et elle termine cette année ses études universitaires. Elle est en quatrième année d'université.

C'est une réalité différente de celle à laquelle fait face l'autre jeune femme... Elle était connue dans la collectivité, son nom a été rendu public dans la collectivité et elle n'avait pratiquement aucune possibilité de vivre autrement qu'en fonction de cette étiquette.

Il y a aussi le cas de Lisa Neeb qui est assez bien connu. C'est une autre jeune femme qui continue de connaître des difficultés parce qu'elle a eu des démêlés avec le système de justice pour les jeunes.

Ces récits anecdotiques, conjugués à la recherche, peuvent vous fournir suffisamment de preuves selon lesquelles il est loin d'être efficace de transférer les jeunes dans le système pour adultes. Ce n'est sûrement pas dans l'intérêt à long terme du public, de la sécurité publique ou de la collectivité, vu la victimisation susceptible de s'ensuivre.

Le sénateur Pearson: Il est extrêmement utile pour nous d'avoir une idée de la situation telle qu'elle existe dans le système, ce qui parfois n'est pas possible lorsque l'on entend des témoins qui abordent des aspects plus théoriques. Je connais l'histoire de K et je connais la jeune femme.

J'ai trouvé l'une de vos observations très intéressantes. Vous avez dit que les jeunes filles présentes parfois de grands problèmes en partie parce que nous n'avons pas des ressources adéquates pour les traitées, et en partie parce qu'elles sont en phase de rébellion et qu'elles se conduisent mal. Je reviens d'une réunion à Saskatoon en Saskatchewan où on m'a présenté le dispositif de contrainte, que je trouve d'ailleurs horrible, que la province de la Saskatchewan vient de commander. On nous a indiqué que ce dispositif serait utilisé principalement sur les jeunes filles. Ils nous en ont fait la démonstration sur une jeune fille qui s'était prêtée volontaire. Ce dispositif ressemble à une camisole ou quelque chose du genre. Êtes-vous au courant de ce dispositif?

Mme Pate: Oui.

Le sénateur Pearson: Puis on la menotte à ce dispositif. Elle doit être assise bien droite; elle ne peut pas se coucher ni se tourner d'un côté ou de l'autre. Ce dispositif est muni d'une poignée dans le dos qui permet de traîner la jeune fille. Ce dispositif est utilisé également dans les centres de traitement. Il n'est pas utilisé uniquement dans le système de justice pour les jeunes. On utilise ce dispositif en Saskatchewan, où les mesures de correction sont assez sévères, parce que les hommes n'aiment pas contraindre physiquement les jeunes filles, craignant d'être accusés de harcèlement. La sangle leur comprime la poitrine. Ça doit être extrêmement douloureux, mis à part le reste.

On a soulevé une préoccupation à propos des normes à cette réunion et c'est une question que je commence à trouver très importante. Quelles sont les normes que ce projet de loi nous permet d'imposer dans le cas de telles mesures extrêmes? Ce qui me pose en partie problème, c'est que je ne suis pas sûre qu'il le permette.

Il existe différents types de mesures extrêmes. Nous sommes au courant du cas en Ontario où on s'est assis sur des jeunes jusqu'à qu'ils suffoquent. Les mesures de ce genre peuvent être physiques, chimiques et ainsi de suite. On y a recours assez fréquemment, en plus de l'isolement dont vous parlez à propos de K qui a été mise en isolement pendant des jours, des mois, des années, 23 heures et demie par jour.

Je ne vois pas comment cela peut aider un enfant. Ce n'est pas tellement mieux pour un adulte, mais en ce qui concerne l'adulte, cela est considéré comme une mesure punitive. Cependant, pour un enfant, si votre intention première est la réadaptation, une telle mesure ne peut pas être efficace. Cela dit, des jeunes qui ont été interrogés en Ontario ont dit que parfois ils ont besoin d'une forme quelconque de contrainte. S'ils se conduisent mal, ils reconnaissent qu'il est nécessaire de prendre des mesures pour les calmer. Je considère que la situation laisse particulièrement à désirer dans le cas des filles, mais que pouvons-nous faire pour imposer des normes, des protocoles, un traitement et une formation? De toute évidence, ce projet de loi ne permet pas d'établir ce genre de choses parce qu'il confère beaucoup de pouvoirs aux instances provinciales. Cependant, pourrions-nous recommander certaines mesures? Y a-t-il des règlements que nous pourrions ajouter au projet de loi, qui pourraient être utiles?

Mme Pate: En ce qui concerne la question de contrainte et d'isolement, le rapport de la Commission Arbour, sous la direction de Mme la juge Louise Arbour, a formulé certaines bonnes recommandations dans le cadre de l'enquête portant sur la situation des prisonnières adultes à Kingston en Ontario. Ces recommandations portaient sur le recours à l'isolement, aux sanctions punitives et sur la nécessité d'un examen judiciaire de telles sanctions. Une proposition utile serait d'envisager de condamner et de tenir le système de justice pénale responsable, dans ce cas le système de justice pénale pour les adolescents, lorsque les mesures utilisées violent les droits prévus par la Charte, les droits de la personne et le principe de la loi. Ces recommandations sont formulées dans le rapport de Mme la juge Arbour, et sont aussi disponibles sur le même site Web que les travaux de M. Paul Gendron.

Par ailleurs, certaines recommandations à propos de l'utilisation de normes calquées sur les éléments plus progressistes des politiques relatives à la protection de l'enfance et à la santé mentale seraient utiles.

On pourrait aussi insister davantage sur la nécessité d'assurer le recours au soutien par les pairs. Je suis au courant du travail fait par Justice for Girls et du travail que font le Réseau national des jeunes pris en charge et Aide à l'enfance pour élaborer ce type de ressources. Les jeunes et les adultes ne cessent de nous dire que ceux qui font partie du système avec eux sont souvent les mieux en mesure de les calmer sans avoir recours à des dispositifs de contrainte.

Nous entendons trop d'histoires d'horreur de jeunes femmes qui demandent couramment que l'on prenne des mesures de contrainte à leur égard parce qu'elles doivent alors être surveillées par les membres du personnel. Des jeunes femmes peuvent être habituées à vivre en isolement 23 heures par jour. Nous avons eu des cas où des jeunes femmes ont indiqué que la raison pour laquelle elles demandaient qu'on leur impose des mesures de contrainte, c'est parce que les membres du personnel sont obligés alors de s'occuper d'elles et qu'elles auraient ainsi quelqu'un à qui parler. Cela revient à la question de normes mais aussi à la question des ressources et à l'opportunité de prévoir des ressources non pas pour des options en milieu carcéral mais pour des options plus positives d'abord et avant tout au sein de la collectivité.

M. Stewart: À cet égard, le projet de loi énonce un certain nombre de normes en matière de détermination de la peine. Il fournit aux juges un ensemble clair de principes et d'orientations, ce que je considère très valable.

J'approuve moi aussi l'orientation adoptée. À mon avis, les normes concernent le système correctionnel. On peut avoir un processus uniforme de détermination de la peine mais si la mise en oeuvre de cette peine au niveau correctionnel varie énormément d'une province à l'autre, cela sape complètement l'intention du projet de loi. Même en ce qui concerne les niveaux de garde, la seule façon dont on peut les distinguer, c'est en fonction du niveau de contrainte. Il pourrait s'agir dans les deux cas de milieux où les contraintes sont très importantes.

De toute évidence, la notion de garde en milieu ouvert prévoyait que ces institutions feraient partie de la collectivité, auraient un périmètre de sécurité très limité et bénéficieraient des ressources communautaires, des ressources scolaires, du milieu du travail et de la famille pour prendre soin de l'enfant en question. En vertu du présent projet de loi, vous pourriez littéralement prévoir une aile dans le cadre d'une institution pour jeunes à sécurité maximale où les règles seraient légèrement moins strictes et où on pourrait parler de «garde en milieu ouvert». Cela répondrait aux exigences prévues par le projet de loi.

Dans le système fédéral pour les adultes, une loi entière est axée sur le régime correctionnel. Il s'agit de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition qui tâche, sur plusieurs pages, d'établir certaines normes. Même là, des problèmes se sont posés. Comme Mme Pate l'a mentionné, la Commission d'enquête Arbour a constaté de très sérieux manquements à ces exigences. Cependant, cela indique que si l'on veut établir des normes, on ne peut pas simplement laisser cela au hasard.

Le fait est que ceux qui administrent ces institutions n'ont pas la tâche facile. Certains détenus sont de fortes têtes. Ce n'est pas un travail facile, mais il est vrai aussi que lorsque l'on travaille dans un tel environnement, on peut toujours justifier le recours à un pouvoir, à une contrainte et à un contrôle accrus. Il n'y a jamais eu de restrictions quant au recours au fouet, à la ségrégation ou à toute autre forme de sanctions auxquelles on peut songer au Canada qui n'aient pas été jugées nécessaires par ceux qui dirigeaient les institutions à l'époque.

Je ferais valoir qu'il serait difficile d'inscrire toutes les mesures nécessaires dans ce projet de loi. La question de normes nationales pour le système correctionnel est une question importante. Il faudrait peut-être en traiter dans le cadre d'une loi complémentaire. Je crois par ailleurs que cela ne se fera tout simplement pas.

Les provinces adopteront nécessairement la même série de valeurs et de principes, et même tâcheront de mettre en oeuvre cette loi d'une manière juste et progressiste dans l'ensemble du pays.

[Français]

Le sénateur Rivest: Je pense que vous êtes au fait que de très nombreux témoins, venant du Québec en particulier, se sont en général opposés vigoureusement au projet de loi présenté par la ministre de la Justice.

J'ai deux questions, mais je ne veux pas créer de conflit ou de polémique entre vous et vos collègues du Québec. D'une part, les statistiques sur le niveau de la criminalité chez les jeunes, sur la réhabilitation et la réinsertion semblent très impressionnantes, par rapport au reste du Canada.

Est-ce à cause d'une méthode statistique ou est-ce vraiment la réalité que la performance du système québécois semble meilleure que celle du reste du Canada?

Deuxièmement, croyez-vous que les gens qui travaillent auprès des jeunes délinquants sont des professionnels de tout ordre, venus nous dire leur opposition et leurs inquiétudes au projet de loi parce que cela mettrait en cause leur pratique? Croyez-vous ces craintes justifiées, compte tenu des réserves et des points d'interrogation que vous avez signalés?

[Traduction]

M. Stewart: Il ne fait aucun doute qu'en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants, le Québec a donné l'impression d'appliquer cette loi d'une façon plus progressiste que dans bien d'autres régions du Canada: cette province a eu moins recours à l'incarcération; elle était moins susceptible de condamner et de traiter les contrevenants; et elle a obtenu de meilleurs résultats. Cela est tout à fait conforme avec la recherche et les constatations que j'ai présentées, et que Mme Pate a présentées elle aussi ici aujourd'hui.

Je tiens également à signaler que vous avez tout à fait raison lorsque vous dites que les valeurs et l'idéologie adoptées par les professionnels du Québec et celles qui vous sont présentées ici aujourd'hui sont tout à fait cohérentes. Nous sommes engagés dans la même voie. Notre point de vue diffère quelque peu quant à l'influence du projet de loi, en partie parce que notre expérience est différente. Mon expérience se fonde surtout sur la situation qui existe en Ontario, puisque l'Ontario a adopté une attitude tout à fait différente à l'égard des jeunes contrevenants et s'en sert régulièrement de ceux-ci comme chair à canon à des fins politiques, semble-t-il. L'Ontario a essayé de saper un grand nombre de principes importants énoncés par la loi au fil des ans.

Je ne suis pas encore convaincu, après avoir lu les mémoires de nos collègues du Québec, que la loi les obligerait vraiment à agir différemment qu'ils ne le font à l'heure actuelle.

Je peux comprendre leurs préoccupations et je sais qu'il existe des problèmes de langue. On semble craindre beaucoup plus l'utilisation d'un mot comme «responsabilité», par exemple, comme critère de transfert au système pour adultes, qu'au Canada anglais.

Je ne suis pas convaincu à ce stade que le projet de loi renferme des dispositions qui obligent le Québec à adopter un système beaucoup plus sévère, peut-être à l'exception des présomptions de renvoi, ce à quoi nous nous opposons. Parallèlement, le projet de loi renferme des dispositions susceptibles d'encourager ou d'obliger d'autres régions du Canada à adopter certaines mesures semblables à celles en vigueur au Québec ou à en élargir la portée pour qu'elles soient conformes à ces orientations.

Mme Pate: Je suis d'accord avec ce qui vient d'être dit. J'ajouterai qu'une question qui a été effectivement soulevée par nos membres au Québec c'est qu'il risque d'y avoir une différence de traitement en vertu de la loi sur le système de justice pour les jeunes, mais en fait, le nombre d'adolescents qui sont institutionnalisés n'est pas tellement différent. À certains égards, la situation est conforme à ce que propose le projet de loi.

Je conviens avec M. Stewart qu'il est possible pour le Québec de continuer à agir comme il l'a fait. Il est possible aussi que le Québec offre de meilleures mesures de protection pour les adolescents. Il ne fait aucun doute que le présent projet de loi, sauf en ce qui concerne les dispositions qui prévoient des présomptions de renvoi, pourrait appuyer le réflexe du Québec de consacrer plus de ressources à d'autres systèmes et d'autres mécanismes pour les jeunes.

Je crois que le système en vigueur au Québec permettrait d'interpréter de façon plus progressiste ces dispositions que d'autres régions, ce qui est d'ailleurs une question que j'ai soulevée au début de mon exposé en parlant de la subjectivité de leur interprétation.

M. Stewart: Puis-je ajouter que l'un des autres avantages que présente ce projet de loi, c'est qu'il prévoit un financement important au Québec et à toutes les provinces pour des initiatives de traitement très intensif dans le cadre de programmes de traitement intensifs.

Cela pourrait avoir deux conséquences. Premièrement, en vertu de ces dispositions, il pourrait être plus difficile de transférer un adolescent à un tribunal pour adultes en premier lieu. Deuxièmement, je ne crois pas que nous devrions sous-estimer l'importance de prévoir de nouvelles ressources considérables ciblées vers les adolescents qui nous préoccupent le plus.

Mme Pate: Il importe de signaler le risque que dans les régions autres que le Québec, pour avoir accès à ces ressources, on risque de voir un plus grand nombre de jeunes criminalisés et désignés comme des criminels. C'est pourquoi il faut s'assurer que les ententes de partage de coûts prévoient aussi des ressources pour d'autres secteurs du système.

Le président: Je tiens à rappeler à tous, y compris à nos témoins, que nous aurons probablement un vote cet après-midi. La sonnerie commencera à retentir vers 17 heures. Il s'agira d'une sonnerie d'une demi-heure. Si à ce moment-là, nous n'avons pas terminé nos questions, nous devrons suspendre la séance et revenir. Il serait aimable de notre part de libérer nos témoins avant le vote.

[Français]

Le sénateur Rivest: Une des inquiétudes qui nous a été signalée, par exemple, concerne la réécriture de la loi qui utilise de nouvelles dispositions. On a ajouté des principes qui, à première vue, peuvent paraître cohérents. Il y a une immense incertitude juridique qui risque de perdurer un certain temps, car chacun de ces principes devra être testé par les tribunaux.

En particulier, au Québec, les intervenants avaient réussi à mettre sur pied un cadre juridique imparfait mais suffisamment clair pour fonctionner. Comme on recommence à zéro, quelles que soient les bonnes intentions des principes de la loi, ils seront contestés par les avocats de la défense en cour d'appel, d'une province à l'autre, en Cour suprême, et cetera. Voyez-vous des inconvénients dans l'administration de notre législation en ce qui concerne les jeunes contrevenants? Il y en a sûrement. Cela vous paraît-il sérieux? Aurait-il été préférable de modifier la Loi sur les jeunes contrevenants pour y apporter des améliorations incluses de toute façon dans le projet de loi au lieu de complètement refaire une nouvelle loi?

[Traduction]

Mme Pate: C'était la position que nous avions adoptée au début. Il est clair qu'il y aura une nouvelle loi quelconque. À ce stade, nous considérons qu'il aurait été bon que toute la loi sur les jeunes contrevenants soit modifiée pour rendre compte des mesures plus positives prévues par le projet de loi C-7. Cependant, ce n'est pas où nous en sommes.

En ce qui nous concerne, nous continuerons à faire valoir cet argument, mais à ce stade, ce qui nous intéresse davantage, c'est de constater des progrès directs en ce qui concerne le système de justice pénale pour les adolescents et le traitement des adolescents. Les aspects qui selon nous auraient pu être réglés grâce à la Loi sur les jeunes contrevenants, avec de bonnes raisons à l'appui, ne l'ont pas été. On se trouvait en fait à aller dans le sens contraire. Peut-être que grâce à un nouveau départ, ceux qui s'en occupent obtiendront de meilleurs résultats et s'attacheront d'abord et avant tout à ne pas expédier des adolescents dans le système. C'est certainement ce que nous espérons.

M. Stewart: Comme je ne suis pas avocat, il m'est impossible de commenter avec compétence les incidences de la complexité du projet de loi et les contestations qu'il risque de soulever. Je crois qu'il est probable qu'il y aura contestation. C'est un projet de loi compliqué. Il comporte 175 pages et une terminologie nouvelle.

Parallèlement, si on veut établir une nouvelle orientation, il est difficile de le faire en utilisant les mêmes mots, les mêmes expressions et les mêmes notions utilisés dans les lois passées.

Les grandes orientations sont claires en ce qui concerne les principes et ainsi de suite. Vous avez tout à fait raison lorsque vous dites que certains aspects de ce projet de loi devront être mis à l'épreuve devant les tribunaux. Je ne vois pas comment cela pourrait être entièrement évité.

Le sénateur Joyal: J'ai été frappé par l'histoire des jeunes femmes. Ce qui est le plus inquiétant, outre le tort qui a été causé à ces deux jeunes femmes, c'est que l'une d'entre elles a bénéficié d'un meilleur traitement parce que, vous l'avez dit, elle a eu un meilleur avocat.

Nous savons bien que la majorité des jeunes qui ont des démêlés avec la justice proviennent en général d'un milieu pauvre, avec des antécédents sociaux et familiaux associés au plus faible revenu. La plupart de ces personnes n'ont pas les moyens de se payer des avocats bien formés et réputés qui ont la capacité nécessaire pour comprendre ce projet de loi. On nous a maintes fois répété que ce projet de loi est d'une lecture très difficile. Comme vous l'avez dit vous-même, même si vous n'êtes pas avocat, vous savez ce qui se produira après l'adoption de l'article 42 et de ses paragraphes, qui s'étalent sur neuf pages.

Comment régler ce problème? Comme vous, je crois que ce projet de loi découle de bonnes intentions, pour nombre de ces dispositions. Mais en termes pratiques, est-ce que nous ne refilons pas les lacunes des objectifs de ce projet de loi aux avocats? Comme nous le savons, la plupart des avocats qui défendront ces jeunes personnes seront rémunérés par l'aide juridique. Je ne dis pas que les avocats de l'aide juridique ne sont ni compétents ni utiles, mais votre propre histoire démontre que si vous avez eu un très bon avocat, vous pouvez profiter de tout ce que le système peut vous offrir de bon. En termes pratiques, que faisons-nous qui aura un réel impact?

Mme Pate: Une chose doit être claire: la jeune femme dont j'ai parlé avait un avocat de l'aide juridique. Mais cet avocat avait à sa disposition d'autres ressources. Je ne veux pas nécessairement dire que l'avocat de l'autre jeune femme ne faisait pas son travail, ni qu'il était incompétent, mais il ne pouvait certainement pas profiter des mêmes ressources. C'est un avocat qui a ensuite abandonné la pratique. Il était en fin de carrière; c'était une sorte de chant du cygne pour lui.

Je comprends votre argument. Cela revient à un point que l'on a demandé à M. Stewart d'éclaircir.

Si vous voulez vous assurer que cela ne se produise pas, concentrez-vous sur les principes selon lesquels les jeunes doivent être écartés du système de justice pénale pour les jeunes au départ, quand c'est possible. Quand la seule solution pour les tenir responsables de leurs actes semble être le système de justice pénale pour adolescents, essayez au moins de les écarter de la détention et à tout prix empêchez-les de se retrouver en prison avec des adultes. Ce sont des mesures importantes.

Nous recommandons aussi le retrait de dispositions comme le paragraphe 24(10) sur la possibilité de faire payer les frais juridiques par les parents. Dans les deux situations dont nous avons parlé, les avocats représentaient les jeunes femmes dans le cadre de mandats de l'aide juridique.

Il est important de supprimer cette disposition ou d'en recommander l'abrogation. Autrement, il est probable qu'on fera davantage pression sur les jeunes. Déjà, on fait pression sur des adolescents pour qu'ils plaident coupables, de manière que les parents ne perdent pas de journées de travail. Ce n'est pas pour m'en prendre aux parents, mais lorsqu'on parle de parents marginalisés, qui ont un emploi au salaire minimum et qui doivent perdre deux semaines ou trois jours de travail pour être aux côtés de leur enfant, il n'est pas étonnant que ceux-ci soient de plus en plus nombreux à se présenter seul, ou à subir les pressions de leurs parents pour mettre fin aux procédures en présentant un plaidoyer de culpabilité.

Le sénateur Joyal: Vous avez parlé des Autochtones en Saskatchewan. J'en déduis que vous travaillez beaucoup dans les provinces où il y a de grandes communautés autochtones. Pourriez-vous nous décrire brièvement vos constatations relatives à la condition des jeunes femmes autochtones, en comparaison des autres groupes, afin que nous sachions quelle est l'incidence sur les peuples autochtones?

Mme Pate: Je crois que mes chiffres sont exacts. Neuf jeunes femmes ont été l'objet d'un transfert au tribunal pour adultes, en Saskatchewan, et toutes étaient Autochtones. Je reconnais que ce nombre est peu élevé.

Le sénateur Cools: Toutes?

Mme Pate: Je suis désolée, c'est en fait trois des jeunes femmes renvoyées au tribunal pour adultes qui étaient des jeunes Autochtones, en Saskatchewan. Toutes ont été placées dans des unités d'isolement à sécurité maximale de la prison des hommes du pénitencier de Saskatchewan ou dans le centre psychiatrique régional de Saskatoon. Toutes ont été gardées en isolement, pour la plus grande partie de leur peine. La plupart des adolescentes qui font l'objet d'un renvoi au tribunal pour adultes sont des jeunes femmes racialisées.

Le sénateur Grafstein: Que voulez-vous dire par de jeunes femmes «racialisées»?

Mme Pate: Je veux dire qu'elles sont soit Autochtones, Noires ou de couleur. Ce ne sont pas des Blanches. Elles ont aussi tendance à venir des provinces ou des secteurs où ce groupe est déjà surreprésenté dans le système carcéral.

Nous savons que c'est au Manitoba qu'il y a le plus de transferts d'adolescents et que presque tous sont Autochtones. Dans les prisons de Saskatchewan, la majorité des adolescents sont Autochtones. Il y a certainement une surreprésentation des jeunes dans ces régions. «K» était du Manitoba, et il y a actuellement deux adolescentes de la Saskatchewan qui ont des démêlés avec le système judiciaire et toutes trois sont Autochtones.

Le sénateur Joyal: Étant donné votre expérience de cette communauté, pourriez-vous nous décrire quels moyens et soutiens leur offrent leur communauté? Si je comprends bien les objectifs du projet de loi, les mesures extrajudiciaires sont très importantes. Comment ce concept s'applique-t-il concrètement aux Autochtones?

Mme Pate: Je ne prétends certainement pas avoir toutes les réponses. On a certainement recommandé que dans le cas de certaines adolescentes avec lesquelles nous avons travaillé, des ressources doivent être affectées au renforcement de l'appui communautaire. Nous avons insisté là-dessus.

Si ces jeunes femmes avaient disposé de ressources au départ, elles auraient évité bien des problèmes. Il y a peu de ressources pour assurer des mécanismes de soutien adéquats et une surveillance adéquate, selon la nature de l'infraction et la responsabilisation nécessaire.

Il faut en priorité renforcer ces ressources. Si la plupart des ressources sont consacrées aux solutions de détention, comme semble le demander actuellement les provinces, la tendance actuelle se maintiendra.

M. Stewart: De nos jours, en Saskatchewan, un adolescent a plus de chances d'aller en prison que de recevoir un diplôme d'une école publique.

Le sénateur Grafstein: Vous avez des statistiques là-dessus?

Le sénateur Fraser: Pour tous les adolescents?

M. Stewart: Pour les adolescents mâles autochtones. Il ne s'agit pas là d'un échec du système de justice pénale, mais de l'échec de l'ensemble de l'environnement social des jeunes Autochtones de la province.

La question soulevée est excellente. Je dirai simplement que l'une des choses que j'aime au sujet de ce projet de loi, c'est qu'on essaye d'aller au-delà du contexte de la justice pénale. Il est très important de garder cela en tête. On peut faire ce qu'on veut des lois relatives à la justice pénale. Cela ne changera pas grand-chose à la criminalité.

Le sénateur Cools: Avez-vous des chiffres semblables pour les jeunes Noirs?

Mme Pate: En Alberta, le rapport Cosby disait qu'à l'âge de 30 ans, 90 p. 100 des adolescents autochtones mâles ont un casier judiciaire, alors que le nombre de ceux qui ont un diplôme universitaire est bien inférieur.

M. Stewart: Ce n'est pas une statistique très fiable, mais je me rappelle d'un travailleur de la Société John Howard de Yellowknife qui me disait qu'au centre de détention de Yellowknife, il y avait 265 détenus. De ce nombre, 264 étaient Autochtones. L'autre, c'était un Noir.

Il y a l'étude effectuée par David Cole à Toronto. Elle portait davantage sur les adultes et la discrimination systémique. Il n'y a pas de raison de croire que les problèmes de surreprésentation carcérale des minorités visibles ne touchent pas toutes les minorités visibles aussi.

Le sénateur Cools: Le chiffre équivalent pour les États-Unis, c'est qu'un Noir sur quatre ira en prison. Il y a donc beaucoup plus de Noirs.

Le sénateur Grafstein: Diriez-vous tous deux que les dispositions relatives à la divulgation des noms, dans ce projet de loi, n'ont pas d'utilité?

Mme Pate: Oui.

Le sénateur Grafstein: Cela peut nuire tant à l'adolescent qu'à sa famille.

Mme Pate: Oui, c'est exact.

Le sénateur Grafstein: Pensez-vous que c'est une question constitutionnelle relative à un traitement déraisonnable des adolescents? Est-ce pour vous une question de Constitution ou seulement de politique?

Mme Pate: Les deux.

Le sénateur Grafstein: Pourriez-vous me résumer en une ou deux phrases l'aspect constitutionnel de cette question?

Mme Pate: J'espère que la cause albertaine dans ce domaine fera l'objet d'une contestation. Quand on a choisi d'instaurer ces protections, lorsqu'elles étaient violées, il n'y a pas eu de procès, ensuite. Cette contestation est nécessaire.

Il n'y a jamais eu de telles contestations. Le problème, c'est les ressources nécessaires pour financer ce genre de contestation.

Le sénateur Grafstein: D'un point de vue constitutionnel, vous avez des préoccupations au sujet de cette disposition aussi.

Mme Pate: Oui, en effet.

Le sénateur Andreychuk: Vous avez dit que trois des adolescentes envoyées au tribunal pour adultes en Saskatchewan étaient Autochtones. Est-ce que les trois étaient impliquées dans l'incident de North Battleford?

Mme Pate: L'une était du Manitoba et les deux autres, de la Saskatchewan. J'ai bien dit trois de la Saskatchewan. Deux étaient impliquées dans l'incident de North Battleford.

Le sénateur Cools: Croyez-vous tous deux qu'il faut supprimer le paragraphe 25(10)? Le recommandez-vous officiellement? J'ai raté votre exposé. Recommandez-vous la suppression du paragraphe 25(10)?

M. Stewart: J'irais encore plus loin, je demanderais qu'une disposition soit ajoutée au projet de loi pour l'interdire.

Actuellement, si j'ai bien compris, il n'y a pas de disposition à ce sujet dans le projet de loi, même si c'est ce qu'on fait dans certaines provinces. Cela permet la pratique déjà courante dans certaines provinces. Cette disposition visait à arranger ces provinces.

Je ne pense pas que ce soit bon en principe. Je préférerais l'inverse, une disposition qui ne permette pas aux provinces de poursuivre les parents pour le paiement des frais juridiques.

Mme Pate: Je suis d'accord là-dessus.

Le sénateur Cools: J'ai posé une question à ce sujet hier soir, parce que la disposition est même libellée assez étrangement. Ce n'est pas une disposition habilitante, mais elle est singulière du fait qu'elle est exprimée d'une manière négative. On peut lire en effet, au paragraphe 25(10):

La présente loi n'a pas pour effet...

Vous affirmez que ce genre de chose se produit déjà dans certaines provinces, même si le pouvoir de le faire n'est pas expressément accordé. Avez-vous une idée des sommes en jeu? Quelles sommes ont été récupérées?

M. Stewart: C'est une très petite somme.

Le sénateur Cools: En effet, ce doit être une assez petite somme. À mon avis, on récupérerait avec ce genre de programme moins d'argent qu'il en faudrait pour l'administrer.

M. Stewart: Ce n'est pas tout. Si on s'en sert, on le fera sûrement d'une manière très discriminatoire.

Le sénateur Cools: Notre comité a envisagé une étude de la détermination de la peine. Les ententes, les négociations de plaidoyer ou peu importe ce qu'on les appelle sont devenues si courantes qu'on fait souvent pression sur les accusés pour qu'ils plaident coupables, parce que c'est plus simple, plus facile et plus rapide. Avez-vous une idée du nombre d'adolescents qui plaident coupables simplement parce que c'est administrativement plus commode?

M. Stewart: Je n'ai pas de données là-dessus. Je peux faire la différence entre ceux qui sont réellement coupables et ceux qui veulent simplement en finir.

Le sénateur Cools: Dans un autre domaine, j'ai souvent affaire à des hommes accusés de maltraiter leur femme pendant leur mariage ou lors de causes de divorces. On leur conseille de plaider coupable pour régler la question une fois pour toutes.

M. Stewart: Cela se produit très fréquemment. Il n'y a aucune raison de croire qu'il en ira différemment pour les jeunes contrevenants.

Le sénateur Cools: Si vous examinez les barèmes d'honoraires que touchent les avocats, vous comprendrez qu'il est très intéressant de régler au plus vite un dossier. Plaider coupable, c'est la façon la plus rapide de clore une affaire.

J'aimerais savoir si vous avez des données à ce sujet.

Mme Pate: Je n'en ai pas non plus. Il est difficile d'obtenir de tels chiffres à moins d'être véritablement en train d'étudier le processus. À ma connaissance, aucune étude semblable n'a été faite et il n'existe donc pas de données.

La présidente: Il serait difficile d'établir s'ils étaient vraiment coupables en l'absence d'un procès.

Merci.

La séance est suspendue à 17 h 12.

La séance reprend à 18 h 08.

La présidente: Nous reprenons la séance sur le projet de loi C-7. Nos témoins suivants sont Mme Danyluk, de la Fédération canadienne des municipalités, M. Trépanier, de l'Université de Montréal, et M. Schwartz, de l'Association du Barreau canadien-Colombie-Britannique. Nous vous écoutons.

[Français]

Mme Vera Danyluk, présidente, Comité permanent sur la sécurité de la communauté et de la prévention sur le crime, Fédération canadienne des municipalités: Madame la présidente, mesdames et messieurs les sénateurs, au nom de la Fédération canadienne des municipalités, je remercie les membres de votre comité d'avoir accepté de nous donner l'occasion de nous exprimer et de faire nos commentaires sur le projet de loi C-7 concernant le système de justice pénale pour les adolescents.

La Fédération canadienne des municipalités représente les intérêts de toutes les municipalités à l'égard des politiques et des programmes relevant du gouvernement fédéral. Les gouvernements municipaux membres de la Fédération canadienne des municipalités représentent plus de 20 millions de Canadiens dans nos municipalités.

Le projet de loi C-7 répond à plusieurs préoccupations que la FCM a déjà exprimées par le biais de résolutions et dans deux mémoires, présentés en 1995 et en 1996, dans le cadre de la Loi sur les jeunes contrevenants.

[Traduction]

La FCM croit fermement que les principes régissant la loi devraient tenir compte à la fois de la protection du public et des besoins des jeunes personnes en cause. La FCM convient que la sécurité publique est une préoccupation primordiale. Toutefois, les collectivités au sens général ont la responsabilité d'agir pour le bien de tout le monde.

Les responsables municipaux comprennent ce défi. Le coût financier de la criminalité pour les municipalités explique la priorité que les municipalités à l'échelle du Canada accordent à cette question. Le coût des services de police représente à lui seul plus de 3 milliards de dollars chaque année, une part importante des budgets municipaux.

La FCM est heureuse de constater que la nouvelle loi entend moins s'en remettre à l'incarcération et privilégier davantage la réinsertion en exigeant que le dernier tiers de l'incarcération soit servi dans la collectivité sous supervision. Les responsables municipaux reconnaissent que la plupart des contrevenants retournent éventuellement dans la collectivité où l'infraction a été commise. Le taux de récidivisme est influencé par le réseau de soutien du contrevenant ainsi que par les possibilités de réintégrer graduellement la collectivité. De plus, la FCM appuie la disposition de la nouvelle loi visant à prévoir plus d'options pour la détermination des peines, y compris des peines dans la collectivité et des mesures de justice réparatrice.

[Français]

L'approche de la FCM à l'endroit de la prévention du crime repose sur deux principes. Le premier est que les municipalités sont les experts incontestés lorsqu'il s'agit de cerner, et les problèmes de criminalité à l'échelle locale, et les solutions possibles. Le deuxième est que les solutions efficaces exigent une coopération entre les organismes ainsi que des partenariats. Les gouvernements municipaux souhaitent participer à la planification et à la mise en oeuvre d'une nouvelle stratégie de justice pour les jeunes, et ils ont beaucoup à contribuer.

Pour que cette nouvelle orientation soit efficace, le gouvernement fédéral doit s'assurer que les infrastructures locales, qui sont déjà lourdement mises à l'épreuve, ne subissent pas de fardeaux excessifs à la suite des nouvelles mesures prévues dans la loi. Une portion des quelques 206 millions de dollars qui seront alloués pour appuyer les services de police ainsi que les programmes et les services communautaires, doit être accessible aux municipalités. Des fonds doivent être disponibles pour la prévention, pour le traitement sous garde et la réinsertion, pour les peines purgées dans la collectivité ainsi que pour la formation des policiers.

Par ailleurs, la FCM estime que la période d'implantation de quatre mois qui est prévue est trop courte. Les municipalités ont besoin d'au moins 12 mois afin d'établir les mécanismes requis pour appliquer les mesures extrajudiciaires prévues par le projet de loi. Ces préparatifs incluent la formation des policiers. Cette période de 12 mois est aussi nécessaire pour que les municipalités aient le temps de créer des programmes qui s'attaqueront aux causes profondes de la criminalité chez les jeunes.

[Traduction]

La FCM appuie une bonne part des mesures prévues dans la loi, notamment les mesures extrajudiciaires, comme les projets pilotes; l'imposition de peines d'adultes pour les jeunes âgés de 14 à 17 ans reconnus coupables de crimes graves avec violence; la possibilité pour le lieutenant-gouverneur en conseil d'une province de fixer par décret à au moins 14 mais et au plus à 16 ans l'âge pour l'application des dispositions de la présente loi relatives aux infractions désignées. Cette question a vivement préoccupé les membres québécois du Comité permanent de la FCM sur la collectivité, la sécurité et la prévention du crime que je préside. Nous sommes également pour la publication des noms des jeunes reconnus coupables d'un crime grave avec violence.

La FCM comprend que cette disposition s'appliquera aux jeunes condamnés à titre d'adultes ou à ceux qui sont reconnus coupables d'une infraction désignée mais condamnés en tant que jeunes. Nous appuyons également les dispositions visant à simplifier et clarifier les infractions présomptives, des mesures plus graves à l'égard des récidivistes et le principe selon lequel le projet de loi ne doit pas s'appliquer aux enfants de moins de 12 ans.

La FCM exhorte le gouvernement fédéral à encourager les provinces à imposer des amendes supplémentaires à l'intention des victimes et à s'assurer que les sommes recouvrées servent au financement des services aux victimes. Nous appuyons les mesures élaborées de concert avec les Autochtones. Enfin, nous appuyons les principes proposés dans le préambule et la déclaration de principe, nommément la recherche d'un système de justice équitable et qui prévoit une réponse significative en faisant la distinction entre la majorité des jeunes contrevenants non violents et les contrevenants violents.

[Français]

La FCM a aussi certaines préoccupations concernant, entre autres, les lieux où les jeunes purgeront leur peine, l'admissibilité des déclarations et la restitution aux victimes. L'article 76 du projet de loi prévoit que le tribunal doit décider du lieu où un adolescent condamné purgera sa peine d'emprisonnement. Les centres de détention provinciaux et fédéraux figurent parmi les possibilités. La FCM considère qu'en aucun cas les adolescents ne devraient être incarcérés dans des établissements pour les adultes, et cela, afin d'éviter qu'ils ne fréquentent des criminels adultes.

En ce qui a trait à l'admissibilité des déclarations, l'article 146(6) du projet de loi permet à un juge d'admettre une déclaration pouvant être entachée d'irrégularités techniques, s'il est d'avis que cela ne déconsidère pas l'administration de la justice. Les membres de la FCM ont souvent déploré que les déclarations étaient trop souvent rejetées pour des raisons techniques. Néanmoins, la FCM recommande fortement que le gouvernement fédéral s'assure que les normes d'admissibilité des preuves soient définies distinctement pour un jeune de 12 ans et pour un jeune de 17 ans.

[Traduction]

Dans un autre domaine, même si la FCM appuie le principe voulant qu'un jeune reconnu coupable en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents devrait faire une restitution à sa victime, la fédération croit fermement que cette mesure ne devrait pas imposer un fardeau excessif aux parents du jeune contrevenant reconnu coupable. La FCM suggère que le projet de loi C-7 prévoit une vérification des moyens avant d'ordonner des mesures de restitution.

Pour les mêmes raisons, la FCM n'est pas favorable aux poursuites civiles intentées aux parents pour les dommages ou les pertes découlant des actes criminels de leurs enfants. La FCM constate que cette question n'est pas du ressort de ce projet de loi. Toutefois, elle considère que le fait de tenir les parents responsables de la restitution au nom des jeunes délinquants est contraire à l'objectif de promotion de l'unité familiale et d'une plus grande participation parentale. La restitution financière ou les poursuites civiles, en particulier pour les familles à faible revenu, peuvent punir les autres enfants de la famille et nuire au soutien familial pour le jeune contrevenant.

[Français]

En conclusion, la Fédération canadienne des municipalités reconnaît qu'une bonne part des préoccupations que nous avons soulevées au cours des cinq dernières années au sujet du système de justice pour les jeunes est abordée dans la nouvelle loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. La FCM exhorte le gouvernement fédéral à envisager certaines des questions en suspens soulevées dans le présent mémoire, lesquelles, de l'avis de la FCM, contribuent également à la protection de la société et à un système de justice équitable.

[Traduction]

M. Richard Schwartz, président, Section de la justice pour les jeunes, Association du Barreau canadien de la Colombie- Britannique: Honorables sénateurs, je remercie le comité de m'avoir invité à discuter de cette question qui m'intéresse à titre personnel, tant de par ma profession que de par l'importance qu'elle revêt pour l'ensemble du pays.

Je suis avocat de cabinet privé à Victoria, en Colombie- Britannique. J'ai été appelé au barreau en 1980. J'ai plus de 21 ans d'expérience des questions touchant la justice pour les adolescents. J'ai commencé ma carrière comme procureur de la poursuite, tant dans les procès de jeunes contrevenants que dans ceux des adultes. Depuis lors, j'occupe principalement les fonctions d'avocat de la défense. Je continue également à agir comme procureur de temps à autre.

Je témoigne aujourd'hui en tant que président de la section de justice pour les jeunes de l'Association du Barreau canadien de la Colombie-Britannique. Je tiens à bien préciser que je ne suis pas le porte-parole du barreau, mais ce dernier a passé mes observations au peigne fin. Les remarques que je vais faire me sont propres dans la mesure où elles sont exactes ou inexactes, et j'en suis seul responsable. Dans la mesure où elles sont désagréables, j'en suis également responsable.

Dans le cadre de mon travail, je suis engagé à contrat pour représenter les pupilles du directeur des enfants et de la famille devant le tribunal pour adolescents de Victoria. L'équivalent serait la Société de l'aide à l'enfance de l'Ontario. Je ne connais pas l'organisme équivalent dans les autres provinces.

J'ai également participé à la vie communautaire, ce qui m'a permis de me familiariser avec le fonctionnement du système de justice pour les adolescents. J'ai siégé au conseil d'administration d'une école secondaire parallèle et de la Société John Howard. J'ai eu la chance d'entendre le témoignage de M. Stewart au début de l'après-midi. Je connais M. Stewart, qui fait vraiment autorité dans ce domaine. C'est une mine de renseignements et je vous exhorte à tenir compte de ses observations, que je partage presque entièrement.

J'ai fait partie du Comité pour les programmes à l'intention des jeunes du procureur général de la Colombie-Britannique, du Comité du tribunal de la famille de Victoria, du Comité consultatif du centre-ville de Victoria et de la Commission de planification consultative de Victoria. Cela m'a permis de comprendre comment fonctionne le système de justice pénale pour les jeunes, du point de vue de la Couronne, de la défense, des familles des jeunes contrevenants accusés, des organismes sociaux qui s'occupent de ces questions et de la collectivité en général.

Après vous avoir dit quelques mots à mon sujet, je voudrais vous parler des jeunes que je représente. Ce sont des garçons et des filles de toutes origines raciales et religions. Ils viennent des quatre coins de la ville, de tous les groupes de revenus, ayant des aptitudes ou des handicaps différents, et sont aussi bien des surdoués que des jeunes ayant des problèmes d'apprentissage. Ils souffrent parfois de THADA, DCA, EAF ou SAF, d'hépatite C ou de VIH. Ils proviennent de familles biparentales, monoparentales ou sont orphelins. Ils ont des frères et soeurs, des demi-frères et soeurs naturels, des frères et soeurs sans lien de parenté ou légaux, des frères et soeurs de la rue ou sont enfant unique. Ils ont souvent fait l'objet de tous les abus pensables et inimaginables.

Ceux qui nous préoccupent le plus sont les récidivistes violents, qui sont généralement du sexe masculin. Ces garçons ont souvent des problèmes dès la naissance ou ils ont peu de chance de s'en sortir indemnes pendant leurs années de formation. Le syndrome d'alcoolisme foetal, le S.A.F., est une cause commune de la faible intelligence et de l'impulsivité incontrôlable de ce petit groupe de récidivistes. En outre, une négligence et une violence extrême peuvent entraîner des effets semblables pendant la petite enfance. La toxicomanie des parents qui mène à la pauvreté, à la violence et à la désintégration de la cellule familiale fait également des victimes. L'éclatement de la famille, où l'enfant éprouve un sentiment d'abandon affectif de la part d'un de ses parents ou des deux, a très souvent l'effet de rendre les enfants révoltés.

Je dois dire que, la plupart du temps, c'est un facteur présent chez mes clients, mais pas toujours. Les familles désunies ne contribuent pas toujours à la violence, mais celles où l'enfant est abandonné par ses parents sont toujours un facteur déterminant.

Des beaux-parents violents et frustrés qui essayent de rétablir l'ordre à la maison ne font qu'exacerber les problèmes chez leurs enfants.

Outre les problèmes parentaux et les familles dysfonctionnelles, certains enfants ont également des problèmes de santé mentale qui leur rendent la vie difficile, pour eux comme pour ceux qui les entourent. Lorsque ces enfants grandissent et deviennent à leur tour parents, leurs enfants sont défavorisés et le cycle se répète.

Lorsqu'on rédige un nouveau projet de loi en vue de trouver une solution à long terme à des problèmes chroniques, il ne faut pas oublier que l'expression «on ne naît pas criminel, on le devient», est un cliché qui renferme un principe utile.

D'après mon interprétation du projet de loi C-7, cette mesure vise à proposer des mesures plus efficaces à l'égard des actes criminels graves commis par les adolescents, mais en même temps, à limiter davantage le recours aux sanctions officielles et aux mesures punitives à l'égard des jeunes contrevenants qui ne posent pas de risque grave pour la société. J'approuve cette approche. Le système de justice pénale, pour les adultes ou les adolescents, devrait être réservé aux problèmes graves. Faire appel à ce système lorsque c'est inutile constitue un gaspillage de nos maigres ressources et entraîne un respect moindre à l'égard des sanctions officielles.

Le problème que pose ce projet de loi toutefois, c'est qu'il crée une incertitude alors qu'une plus grande prévisibilité aurait été souhaitable. L'incertitude engendre le conflit. En tant que membre responsable de ma collectivité, je déplore le gaspillage de ressources et la frustration dus aux retards qu'entraîne l'incertitude. Je dois dire que les avocats de la défense se réjouiront à la lecture de ce projet de loi, car de nombreux points sont litigieux.

Ce projet de loi renferme certaines modifications positives. Le projet de loi C-7 a modifié les règles visant le transfert des adolescents devant un tribunal pour adultes. En vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants, il fallait décider avant le procès si un adolescent devait être renvoyé devant un tribunal pour adultes, où il devenait ainsi passible d'une peine plus longue généralement imposée aux adultes. Les audiences de renvoi avant procès devaient se fonder sur les rapports de police et des témoignages non vérifiés. En vertu du projet de loi C-7, cette décision est reportée après le procès, de sorte qu'elle n'est prise qu'en fonction de faits avérés, ce qui constitue un changement positif.

En outre, ce projet de loi précise et limite les motifs en vertu desquels les tribunaux peuvent imposer des peines pour adultes aux jeunes contrevenants. L'article 72 précise que la seule raison pour laquelle un adolescent devrait être condamné comme un adulte, c'est parce que la peine disponible pour l'adolescent n'est pas assez longue pour tenir compte de toutes les circonstances de l'affaire et de l'accusé proprement dit.

Le projet de loi requiert le recours limité aux ressources officielles de la justice pénale. La partie 1 crée un régime à plusieurs niveaux de mesures de déjudiciarisation qui devraient permettre de faire le tri entre les dossiers selon leur niveau de gravité. Cela me rappelle une remarque faite lors d'une conférence sur la justice pour les adolescents il y a quelques années. Une personne avait demandé qui, parmi les participants, pouvaient affirmer n'avoir jamais commis d'actes de délinquance entre l'âge de 12 et de 17 ans: bousculer un camarade de jeu, envoyer une boule de neige sur une personne peu méfiante, prendre sans payer une barre de chocolat, graver ses initiales sur un bureau, formuler une menace méchante ou fumer un joint de marijuana. Était-ce de la vertu ou de la chance?

À mon avis, le système de justice doit se concentrer sur ce qui est important et il faut prévoir des moyens moins officiels de régler les cas les moins graves. C'est ce que fait le projet de loi C-7.

D'après mes renseignements, le Canada a un taux d'incarcération des jeunes contrevenants parmi les plus élevés au monde, si ce n'est le plus élevé. Il va sans dire que s'il y a la moindre vérité dans cela, nous devons examiner attentivement notre contexte judiciaire et apporter les changements qui s'imposent pour s'assurer que seuls les adolescents qui en ont absolument besoin sont placés sous garde. Le projet de loi apporte des modifications prometteuses à cet égard.

À l'article 3, le projet de loi renferme une nouvelle déclaration de principe. Elle est plus humanitaire que celle que renfermait la LJC. Cette déclaration se concentre sur la réadaptation des jeunes contrevenants en vue de protéger la société à long terme. On réitère cet objectif à la partie 4 qui porte sur la détermination de la peine. Contrairement à la LJC, le projet de loi C-7 prévoit son propre énoncé de principes relativement à la détermination de la peine.

Voici le libellé du paragraphe 38(1):

L'assujettissement de l'adolescent aux peines visées à l'article 42 a pour objectif de favoriser la protection de la société en faisant répondre celui-ci de l'infraction qu'il a commise par l'imposition de sanctions justes assorties de perspectives positives favorisant sa réadaptation et sa réinsertion.

J'ai souligné dans mon exposé les termes «et» et «durable». Ce sont des termes importants pour l'interprétation de cette disposition, car ils forceront les juges à tenir compte de tous ces facteurs ensemble en vue de déterminer une peine appropriée.

Pour plus de clarté, l'article 38 prévoit d'autres règles précises concernant les cas où le placement sous garde est une peine autorisée. En conséquence, les peines applicables aux adolescents doivent désormais viser certains objectifs: elles doivent favoriser leur réadaptation et leur réinsertion sociale; elles ne doivent pas être plus longues que celles qui seraient imposées à un adulte dont des circonstances semblables; elles doivent être les moins contraignantes possible, compte tenu de toutes les circonstances, et elles doivent offrir au contrevenant les meilleures chances de réadaptation, compte tenu de toutes les circonstances. Cette phrase précise du projet de loi est celle que j'ai l'intention d'utiliser dans mon argumentation pour défendre mes clients. L'expression «la peine qui offre les meilleures chances de réadaptation», ce qui constitue une des conditions préalables de la peine choisie, va représenter un outil très puissant pour convaincre les juges de choisir la solution la moins contraignante.

En outre, le placement sous garde disparaît en fait dans les cas où l'infraction ne s'est pas accompagnée de violence et que le contrevenant n'a pas de casier judiciaire. Toutes ces mesures constituent une amélioration par rapport à la LJC.

L'article 29 du projet de loi qui porte sur la mise en liberté provisoire, ou sur les dispositions de caution pour les adolescents, est tout aussi important pour limiter les cas de détention sous garde. À eux deux, les articles 29 et 39 auront pour effet de restreindre le nombre de peines d'emprisonnement pour les adolescents comme solution de rechange aux ressources qui devraient être fournies par les services de protection de l'enfance ou les ministères qui s'occupent de la santé mentale.

Après avoir présenté les bons côtés de ce projet de loi, selon moi, j'aimerais parler de certains problèmes qu'il me cause. Après avoir entendu les témoins précédents, je repense au paragraphe 25(10). Cela ne se trouve pas dans mon mémoire. C'est l'article qui vise à permettre aux provinces de recouvrer auprès des parents les frais relatifs au programme d'aide juridique offert à l'adolescent par la province. Il s'agit là d'une disposition négative du projet de loi.

Elle aura un effet dissuasif sur les adolescents qui font appel à l'aide des avocats dans le cadre de l'aide juridique. Je suppose que les parents seront informés de cette disposition si leur enfant demande des services d'aide juridique, ce qui risque d'obliger les familles à prendre une décision qui n'est pas nécessairement dans l'intérêt supérieur de l'adolescent. Je partage cette préoccupation au sujet du paragraphe 25(10).

Le projet de loi C-7 affirme à la déclaration de principes que le système doit mettre l'accent sur la prise de mesures opportunes, et la rapidité d'intervention de la part des personnes chargées d'appliquer la loi, étant donné la perception du temps qu'ont les jeunes.

En d'autres termes, le projet de loi stipule qu'il est très important que le délai s'écoulant entre la perpétration de l'infraction et la détermination de la peine, le cas échéant, ou entre l'infraction et le procès et l'acquittement, le cas échéant, soit aussi court que possible. Toutes les dispositions du projet de loi devraient donc viser à atteindre cet objectif.

Je trouve toutefois que certains problèmes bien réels nous empêcheront d'atteindre cet objectif. Je suis préoccupé par le paragraphe 2(1):

«infraction grave avec violence» Toute infraction commise par un adolescent et au cours de la perpétration de laquelle celui-ci cause des lésions corporelles graves ou tente d'en causer.
Cette définition se rattache directement à la définition de lésions corporelles graves. Qu'entend-t-on exactement par là? Il n'existe encore aucune définition qui soit un précédent à ce sujet. Je crains que d'un tribunal à l'autre, d'un juge à l'autre, d'une province à l'autre, nous ne finissions par des résultats divergents, ce qui serait regrettable.

Qu'est-ce qui constitue une tentative en vue de causer des lésions corporelles graves? On peut spéculer au sujet de différents scénarios qui pourraient, le cas échéant, constituer une telle tentative. Un tel manque de précision dans la loi, à mon avis, ne contribue pas à la résolution prompte ou efficace des causes soumises à un tribunal pour adolescents.

Qu'entend-t-on par infraction avec violence? On utilise cette expression à l'article 39 du projet de loi. Si l'on vérifie dans le dictionnaire la définition de violence, on constate qu'elle est assez générale pour s'appliquer à diverses infractions dont sera saisi le tribunal pour adolescents.

L'alinéa 38(2)a) vise-t-il vraiment à prévoir dans la loi que toutes les peines infligées à un adolescent soient équivalentes à celles dont est passible un adulte dans les mêmes circonstances? Si c'est le cas, c'est intéressant. Au cas contraire, ce sera une disposition qui sera sérieusement débattue devant les tribunaux pour adolescents.

Cette disposition crée apparemment une procédure de détermination de la peine à deux niveaux, dans le cadre de laquelle on détermine quelle pourrait être la peine applicable à l'adolescent et où il faut établir ensuite quelle pourrait être la peine applicable à un adulte dans les circonstances semblables. Il faut ensuite s'assurer que la peine imposée à l'adolescent n'est pas plus grave que celle qui serait imposée à l'adulte. Cette disposition ne contribuera pas au règlement rapide des causes entendues par les tribunaux pour adolescents.

L'alinéa 39(1)c) utilise l'expression «plusieurs déclarations». D'après mes renseignements, cette expression a déjà été contestée dans la loi sur les contrevenants dangereux. Je ne le savais pas. Quoi qu'il en soit, c'est une expression très vague et il faudra attendre un certain temps avant que son sens ne soit précisé.

Le recours aux réprimandes dans le cadre de la détermination de la peine me préoccupe sérieusement. À l'heure actuelle, entre autres peines, il est prévu dans la LJC et il sera prévu dans le projet de loi C-7 la possibilité d'absoudre inconditionnellement l'adolescent. Quelle différence entre l'absolution conditionnelle et la réprimande? Pourquoi faire perdre le temps précieux du tribunal en soutenant, au nom de mon client, que ce dernier devrait recevoir une réprimande plutôt qu'une absolution inconditionnelle? Je ne vois pas quelle est la meilleure solution. Je ne comprends pas ce que représentera une réprimande à l'avenir pour une personne reconnue coupable et ensuite réprimandée. Le projet de loi ne précise pas si cette décision sera considérée comme une décision officielle du tribunal pour adolescents lors des procès futurs.

Voilà certains exemples de mes préoccupations. Si on ne modifie pas ces dispositions, elles favoriseront un manque d'uniformité entre les régions du pays, un manque de prévisibilité du processus judiciaire et le gaspillage de maigres ressources judiciaires.

J'espère que la période de transition se fera sans heurt et que le projet de loi atteindra ses objectifs. À cette fin, il est d'importance cruciale de débloquer les fonds nécessaires pour améliorer les aspects du système qui ont en besoin.

Des mesures de réadaptation intensive coûtent plus cher que la peine alternative. La supervision et le soutien intensifs coûtent plus cher que la peine alternative. La tenue de discussions grugera les maigres ressources dont nous disposons. Il faudra également dépenser des ressources supplémentaires pour exiger que toutes les peines de placement en détention prévoient la libération conditionnelle.

Le succès du projet de loi C-7 dépendra de la mise en vigueur de toutes les mesures novatrices qu'il prévoit. J'espère que le gouvernement fédéral pourra engager les fonds requis pour s'assurer que toutes les provinces ont les moyens de mettre cette mesure en vigueur.

En Colombie-Britannique, le gouvernement provincial a exprimé son intention de réduire considérablement le budget des ministères directement responsables des services correctionnels pour les jeunes et de l'administration de la justice.

Je peux vous dire que nous avons déjà des adolescents qui croupissent en détention et sont sur une liste d'attente pour des programmes de réadaptation auxquels ils participeraient déjà si nous avions les fonds nécessaires.

Je vous remercie de m'avoir permis de traiter de cette question des plus importantes et d'avoir pris le temps de m'écouter.

Le sénateur Fraser: Je tiens à féliciter Mme Danyluk du prix qu'elle a reçu.

[Français]

M. Jean Trépanier, professeur, Université de Montréal: Il y a maintenant 35 ans que je travaille dans le domaine de la justice des mineurs. J'ai vu deux plusieurs changements au cours de ces 35 années. Les changements qui sont proposés, particulièrement ceux qui sont proposés depuis les amendements apportés à la loi en 1995, font partie d'une orientation à laquelle je ne peux pas souscrire.

J'ai exprimé devant le comité de la Chambre des communes des réserves très importantes à l'endroit du projet de loi. Un certain nombre d'amendements ont été apportés par la ministre de la Justice. Malheureusement, ces amendements ne n'écartent pas mes réserves, et je le regrette beaucoup.

Essentiellement, il n'y a pas péril en la demeure en ce qui concerne les taux de délinquance. Selon Statistique Canada, la délinquance des jeunes diminue depuis 1992, et la délinquance violente diminue depuis 1995. Quant au taux d'homicide, il connaît une fluctuation en dents de scie depuis 30 ans, de sorte que rien ne permet de penser qu'il y ait une urgence particulière à modifier la loi.

Je suis tout a fait d'accord avec certains objectifs que la ministre de la Justice a formulés, notamment celui de réduire le taux de judiciarisation des jeunes - donc moins de jeunes devant les tribunaux - et celui de réduire l'utilisation de la mise sous garde, particulièrement celle de courte durée. Cependant, est-il nécessaire de changer la loi pour atteindre ces objectifs? Quand on regarde les taux de judiciarisation et de mise sous garde dans les diverses provinces du Canada, on voit qu'au Québec, ces taux sont de loin très inférieurs à tous ceux des autres provinces canadiennes, et cela sous le régime de la Loi sur les jeunes contrevenants.

La conclusion à laquelle nous parvenons est qu'il importe de mettre sur pied des programmes adéquats qui préviennent des taux de judiciarisation et de mise sous garde trop élevés. Même en changeant la loi, si on n'offre pas aux juges des programmes de rechange à la mise sous garde ou qu'on rende la mise sous garde plus difficile d'accès, on n'aura pas réglé le problème. Il faut avoir des ressources à leur offrir afin qu'ils puissent recourir à autre chose que la mise sous garde et, de la même façon, mettre sur pied des mesures de rechange adéquates - ce que toutes les provinces n'ont pas fait. Certaines provinces ont manifesté beaucoup de réticence à le faire, ce qui explique que l'on recourt à la judiciarisation de façon excessive. Ces objectifs peuvent être atteints sous le régime de la loi actuelle.

Par ailleurs, certains points du projet de loi vont dans une direction que je ne peux pas endosser. Je n'en mentionnerai que quelques-uns. Il y a évidemment les présomptions de sentence pour adultes. Les amendements apportés à la loi, en 1995, ont introduit les présomptions de renvoi aux tribunaux pour adultes concernant les jeunes de 16 et 17 ans qui étaient accusés d'infractions très graves.

Cela n'existait pas auparavant. Les renvois étaient possibles, mais la nécessité de renvoyer le jeune devait être prouvée par la Couronne qui était chargée du fardeau de la preuve. On a introduit les présomptions de renvoi. Je m'y étais objecté à l'époque et je n'ai toujours pas changé d'idée. Non pas que je m'objecte à tout renvoi des jeunes dans le réseau pour adultes. Nous devons constater à regret que le réseau des jeunes n'a pas réussi à l'endroit de certaines jeunes : par exemple, des jeunes qui sont revenus maintes et maintes fois devant les tribunaux pour des infractions tout à fait diverses, des jeunes qui, malgré leurs stages dans des centres de mise sous garde, non seulement n'ont pas accepté avec le temps de s'insérer dans une démarche de réadaptation, mais qui en plus ont constitué par leur comportement un obstacle à la réadaptation de d'autres jeunes dans les groupes où ils se trouvaient. Dans ces cas, il faut malheureusement constater l'échec et avoir recours au renvoi dans le système des adultes.

Cependant, le critère utilisé pour les présomptions, à savoir la gravité de l'infraction, m'apparaît être un mauvais critère pour déterminer quel cas devrait être renvoyé devant les tribunaux pour adultes. C'est beaucoup plus l'ensemble de la situation du jeune et de sa réaction aux diverses mesures qui lui ont été imposées que l'on doit envisager. Cela fait que lorsqu'on utilise des présomptions, on doit avoir des critères simples comme, par exemple, l'infraction. Cependant, l'infraction est un mauvais critère, ce qui fait que le mécanisme de la présomption m'apparaît inadéquat.

J'ajouterais ceci: le fait d'étendre la présomption aux jeunes de 14 et 15 ans au-delà des dimensions techniques de la présomption comporte un message très important. Cette présomption signifie qu'aux yeux du Parlement canadien, la sentence normale à imposer à un jeune de 14 ans qui a été déclaré coupable d'une infraction très grave, est une peine pour adulte. C'est une modalité à laquelle jamais je ne pourrai souscrire. Dans un pays civilisé, nous ne devons pas recourir à de telles choses.

Il y a une semaine et demie, j'ai participé à un séminaire de travail à l'Université de Cambridge, en Angleterre, auquel participaient d'autres collègues venus de l'Amérique du Nord et de l'Europe. Il était frappant de voir les collègues européens nous dire: pourquoi les Nord-Américains parlent-ils de renvoi dans le système pour adulte? Nous ne connaissons pas cela dans nos pays et la justice fonctionne très bien! De sorte que lorsqu'on parle de présomption de renvoi, on aggrave le problème.

Au-delà de la question des présomptions, qui ne touche qu'un nombre très limité de jeunes, j'ajouterais, si on regarde le fonctionnement habituel de la justice des mineurs, que les transformations proposées dans le projet de loi rapprochent malheureusement à divers titres la justice des mineurs de celle des adultes. Je ne saurais souscrire à certains de ces points.

Il faut voir la conjonction de certains points. Premièrement, le principe de la proportionnalité, qui devient tout à fait prédominant dans la prise de décision concernant les mesures. Lorsqu'on regarde le paragraphe 38(2)(d), qui commence par: «sous réserve de l'alinéa c)», on s'aperçoit que le principe de la proportionnalité a préséance sur certains objectifs tels que, par exemple, l'objectif de la réadaptation et de la réinsertion sociale du jeune.

Il faut voir que, dans le projet de loi, le principe de proportionnalité est défini de la manière suivant laquelle on le définit traditionnellement en droit criminel, à savoir que la peine doit être proportionnelle à la gravité de l'infraction et à la responsabilité du jeune. Lorsqu'on regarde les instruments de l'ONU, c'est-à-dire l'article 40 de la Convention des droits de l'enfant ainsi que l'article 17 des règles de Beijing, le principe de proportionnalité est défini de manière très différente, au lieu d'être centré seulement sur la gravité de l'infraction et la responsabilité du jeune. Il comporte trois éléments: la gravité de l'infraction, mais également les besoins du jeune ainsi que les besoins de la société.

Donc, la manière suivant laquelle le projet de loi définit le principe de la proportionnalité est très différente de celle suivant laquelle ce même principe est défini dans les instruments des Nations Unies. J'attire l'attention des membres du comité sur cette question.

J'ajouterais qu'une autre disposition du projet de loi me pose problème et montre jusqu'à quel point l'endossement en principe de la réadaptation des jeunes comme objectif ne semble pas être inscrit dans certaines dispositions précises du projet de loi. J'attire l'attention des membres du comité sur cette règle suivant laquelle, lorsqu'une ordonnance de mise sous garde et surveillance est rendue, le jeune devra automatiquement quitter le centre de réadaptation après les deux tiers de la mesure. On ne se posera pas la question à savoir s'il est prêt ou pas à quitter le centre. On ne se posera pas la question à savoir si sa démarche de réadaptation fait qu'il est prêt. On va dire: «Les deux tiers sont passés, tu sors. Prêt pas prêt, tu sors.»

Si le projet de loi avait vraiment été conçu dans une perspective de réadaptation, à partir d'un certain moment qui pourrait être les deux tiers, on poserait la question à savoir si le moment est venu de réinsérer le jeune dans la collectivité, de façon à assurer une réinsertion sociale graduelle et harmonieuse. Il faut individualiser les mesures. Le fait d'introduire les automatismes que l'on connaît dans le système adulte m'apparaît un pas dans une mauvaise direction.

J'attirerais également l'attention des membres du comité sur une autre disposition: celle suivant laquelle on dit que le juge, au moment de choisir la mesure, devra tenir compte du temps passé en détention provisoire. Cela se fait chez les adultes dans un contexte où le régime des adultes est essentiellement punitif, et cela se comprend dans un régime punitif.

Prenons un cas précis pour voir quels effets pervers, non désirés sans doute, sont susceptibles de se produire et quels effets peuvent découler de l'application du projet de loi. Il se peut très bien que les juges, au moment de tenir compte du temps passé en détention provisoire, appliquent la même règle que pour les adultes. Ils ne le feront peut-être pas, mais c'est très possible qu'ils le fassent. Pour ce qui est du Québec, la cour d'appel du Québec a établi une ligne directrice que j'appellerais la ligne directrice du 2 pour 1. C'est-à-dire pour chaque jour passé en détention provisoire, on crédite la personne condamnée de deux jours de prison.

Prenons un cas concret où un juge dirait à un jeune: «Tu as été déclaré coupable de telle infraction. Selon la gravité de l'infraction, je peux t'imposer une mesure de mise sous garde pouvant aller jusqu'à six mois. J'ai un rapport prédécisionnel qui m'indique que, compte tenu de ta situation, un minimum de six mois à l'intérieur, en mise sous garde, est nécessaire pour entreprendre une démarche de réadaptation valable.» Dans le régime actuel, le jeune va aller six mois en mise sous garde, et si les responsables du centre estiment que le jeune peut sortir de façon anticipée, on retournera voir le juge et on demandera au juge de le libérer de façon anticipée. Si le projet de loi est adopté, que se passera-t-il? Il est très possible que le jeune ait passé du temps en détention provisoire, et si on compte le temps, par exemple, de la préparation du rapport prédécisionnel, qu'on l'inclut en plus du temps relatif au procès, il ne serait pas du tout inhabituel qu'un jeune ait passé deux mois en détention provisoire. Pour le même cas, le juge dirait, s'il applique la même norme que pour les adultes: «Je peux imposer six mois de mise sous garde et surveillance. Maintenant, je dois retrancher quatre mois de cela parce qu'il y a deux mois qui ont été purgés en détention provisoire.» Ce qui veut dire qu'il reste seulement deux mois et de ces deux mois, un tiers doit être retranché, donc le jeune ne passera qu'un mois et un tiers en détention.

La conséquence de cela, me semble-t-il, est qu'on va assister à l'impossibilité d'effectuer la réadaptation de l'interne. Remarquez bien que je ne suis pas un partisan de l'enfermement des jeunes. Je pense qu'on doit utiliser la mise sous garde de façon tout à fait minimale, mais il y a des cas où on ne peut pas en faire abstraction. J'ajouterais à cela que si les juges appliquent la règle du 2 pour 1 en tenant compte de la détention provisoire, le danger est que des avocats de la défense ne s'objecteront pas à la mise en détention provisoire de leur client au moment où l'enquête sur cautionnement aura lieu lors des procédures. Il y a des avocats de la défense qui m'ont déjà dit qu'ils le feraient si le projet de loi était accepté. Ils vont dire à leur client: «Tu sais, tu as de fortes chances d'être mis sous garde, alors autant te mettre des crédits en banque de manière à ce que, pour chaque jour que tu passeras en détention provisoire, tu auras deux jours de moins en mise sous garde.» Ce qui veut dire qu'on risque d'avoir un accroissement de la détention provisoire et une diminution du temps passé en mise sous garde.

J'attirerais l'attention des membres du comité que, lors de la détention provisoire, le jeune est toujours présumé innocent et lui aussi il se considère innocent, puisqu'on n'a pas encore fait la preuve de sa culpabilité. Des programmes de réadaptation ne peuvent pas être entrepris à ce stade-là. Donc un effet pervers du projet de loi risque fort de saper les efforts de réadaptation dans une très large mesure. Je trouverais cela extrêmement malheureux.

Je ne m'attarderai pas à la complexité du projet de loi, il suffit de le lire pour voir à quel point il est complexe. On dépossédera les jeunes de leur cause encore plus. Ce sont les avocats qui deviendront les maîtres du tribunal encore plus qu'ils ne le sont à l'heure actuelle et ce, dans un contexte où on risque de rendre l'accès aux avocats plus difficile, précisément parce qu'il se peut que les parents aient à payer au moins en partie les frais des avocats engagés par l'aide juridique.

Je termine en disant qu'il y a des problèmes très réels qui affectent la justice des mineurs. On l'a bien vu pour le Québec dans le rapport Jasmin, et ces problèmes tiennent à l'administration de la loi beaucoup plus qu'à la loi elle-même. Je pense, par exemple, à ce que nous avons constaté lorsque nous avons fait une recherche dans trois villes du Québec: Montréal, Joliette et Valleyfield. Nous avons constaté que les parents étaient absents des séances du tribunal dans 50 p. 100 des cas et que, lorsqu'un des parents était présent, c'était la mère. Les deux parents étaient présents dans seulement 10 p. 100 des cas. La présence ou l'absence des parents est un problème très réel, mais c'est un problème d'administration de la justice, et le rapport Jasmin a bien fait ressortir jusqu'à quel point ce qui était en cause, c'était les attitudes des intervenants beaucoup plus que la loi elle-même à cet égard.

Je parlerais également des délais. Nous avons constaté que le délai moyen qui s'écoulait entre le jour où l'infraction avait été commise et le moment où le juge imposait la mesure dans les cas qui étaient judiciarisés, était de cinq mois à Joliette, de six mois à Montréal et de neuf mois à Valleyfield. Quelle signification la mesure peut-elle avoir pour un jeune lorsqu'on la lui impose neuf mois après la commission de l'infraction? Le jeune a eu tout le temps de rationaliser, de se refaire une histoire, de sorte qu'au moment où le juge impose la mesure, le lien se fait très mal dans l'esprit du jeune entre l'infraction commise et la mesure imposée. D'autant plus que le jeune, dans certains cas, se dira intérieurement: «Monsieur le juge ou madame le juge, vous me parlez de l'infraction que j'ai commise il y a neuf mois. Si vous saviez toutes celles que j'ai commises depuis ce temps-là.» De sorte que ces délais ont pour effet de défaire le lien entre l'infraction et la mesure imposée.

Heureusement, il y a eu un petit effort dans un des amendements apportés au projet de loi C-7, à l'article trois ou quatre, mais cela m'apparaît bien insuffisant. Ce sont des problèmes d'administration de la justice. Je termine avec ces deux exemples, de la présence des parents et des délais, pour soulever le fait que les principaux problèmes semblent être des problèmes d'administration de la loi. Malheureusement, ces problèmes ne seront pas réglés en changeant la loi.

Le sénateur Beaudoin: Ma première question s'adresse à Mme Danyluk. Si ce projet de loi était adopté tel quel, croyez-vous qu'il serait possible pour le Québec de continuer de travailler avec le système actuel?

Mme Danyluk: J'aimerais, avant de vous répondre, expliquer un peu ma situation. Je représente la Communauté urbaine de Montréal, laquelle est responsable du plus gros service de police au Québec. Au Québec, il existe entre le ministre de la Justice et le ministre de la Sécurité publique une très grande opposition face à ce projet de loi. Ce soir, je parle au nom de la Fédération canadienne des municipalités. Sur le comité que je préside à la Fédération canadienne des municipalités, siègent des élus qui représentent les municipalités de la province de Québec et des élus qui représentent des municipalités à travers le Canada. Sur ce comité permanent de la RCM, tout le monde est d'accord avec ce projet de loi, mais avec certaines réserves. Messieurs Schwartz et Trépanier ont également parlé de leurs réserves.

Pour revenir à votre question, je suis convaincue qu'au Québec nous pourrions conjuguer les pratiques que nous avions autrefois avec celles comprises dans ce projet de loi. Cela changerait très peu la façon de traiter nos jeunes. Premièrement, la loi contient des imprécisions, mais il est possible pour les policiers de trouver d'autres options pour les jeunes. Cela adoucirait un peu le traitement tout en déjudiciarisant le processus.

[Traduction]

La présidente: Je m'excuse de vous interrompre, madame Danyluk. On vient de me dire que nous devrions suspendre nos travaux pour aller voter. Nous reviendrons dès que possible.

Le sénateur Grafstein: Pouvons-nous poursuivre en votre absence?

La présidente: On nous a demandé de suspendre la séance.

Le sénateur Beaudoin: Le problème, c'est que nous pouvons siéger s'il y a quorum, mais apparemment, si aucun représentant de l'autre parti n'est présent, c'est impossible. Ce n'est pas obligatoire, mais c'est l'usage.

Le sénateur Grafstein: Madame la présidente, je sais sur quoi porte le vote. C'est une question de procédure, à mon avis. Je préfère rester ici plutôt que d'aller au Sénat.

Le sénateur Beaudoin: J'ai été très surpris. Les représentants du gouvernement étaient partagés et l'opposition s'est ralliée du côté du groupe.

La présidente: Nous avons cinq minutes et j'ai suspendu la séance.

La séance est suspendue à 19 h 05.

Le comité reprend sa séance.

La présidente: Honorables sénateurs, le vote est terminé et nous sommes de retour. Je tiens à présenter mes excuses aux témoins pour les avoir interrompus au beau milieu d'une phrase. Le sénateur Beaudoin va poursuivre ses questions.

[Français]

Le sénateur Beaudoin: Vous m'avez dit, madame Danyluk, que si le projet de loi était adopté tel quel, le Québec pourrait continuer avec le système qu'il préfère?

Mme Danyluk: Je suis convaincue que la réponse est oui. M. Trépanier vous dira non, c'est sûr.

Le sénateur Beaudoin: Alors votre réponse est oui, en principe.

Mme Danyluk: Oui, en principe avec quelques petites préoccupations. Il faut s'assurer, à cause des éléments nouveaux dans la loi, qu'il y a un temps suffisant pour former les policiers qui maintenant auront à faire des choix. Comme M. Schwartz l'a mentionné, il y a certains éléments dans la loi où il y a des incertitudes, des éléments à clarifier et à préciser parce qu'ils ne sont pas clairs. On n'a pas de définitions claires quant à la façon dont nous devront traiter les déclarations des jeunes de 12 à 16 ans qui sont différentes de celles des jeunes de 16 ou 17 ans. En général, le Québec n'aura pas de problèmes à appliquer cette loi. Toutefois, tous sont d'accord pour dire que le gros problème dans le système des jeunes contrevenants se situe sur le plan des ressources afin d'offrir des services suffisants pour ces jeunes. Dans cette loi, comme dans la loi précédente, on ne change pas le genre de services qu'on a à offrir à nos jeunes, et cela est malheureux.

Le sénateur Beaudoin: Cette question s'adresse à vous également, monsieur Trépanier.

M. Trépanier: Ma préoccupation ne se limite pas au Québec, mais s'étend à l'ensemble du Canada. Il est tout à fait vrai que pour certaines dispositions comme celle de l'extension de la présomption de sentence pour adultes aux jeunes de 14 et 15 ans, un des amendements apportés au projet de loi vise à permettre à une province, qui souhaite ne pas voir cette présomption appliquée sur son territoire, de l'éviter. J'espère que, pour le Québec, le gouvernement choisira de ne pas appliquer cette présomption, de sorte que pour ce point très précis, si tel était le cas, il n'y aurait pas de changements à cet égard. Je trouverais néanmoins déplorable que le changement survienne dans le reste du Canada, parce que cela m'apparaît une mauvaise politique. Cela dit, pour ce qui est du reste, je ne dirais pas que tout va changer avec le projet de loi. Il y a des choses qui vont continuer à se faire et, bien sûr, tout ne va pas changer.

Cependant, et je reprendrai pas en entier la présentation que j'ai faite tout à l'heure, au moment où le vote vous avait forcé à devoir sortir. J'ai tenté de montrer, par un exemple, le type d'effets pervers qui est susceptible de survenir de l'effet conjoint de différents facteurs comme, par exemple, le recours au principe de la proportionnalité, qui a préséance sur le reste. Il y a aussi le fait que le dernier tiers de la mesure de mise sous garde et de surveillance doit obligatoirement se faire à l'extérieur, sans qu'on se pose la question à savoir si le jeune est prêt ou non à sortir. Cela serait essentiel pour incarner dans les faits l'objectif de réadaptation. Il ne suffit pas de le mentionner au début du projet de loi comme objectif. Il faut aussi se donner, dans l'articulation même de la loi, les moyens de le faire. Le fait d'introduire les automatismes qu'on trouve dans le système des adultes, où, après le deuxième tiers, il y a libération automatique sans qu'on se pose la question à savoir si la personne est prête à sortir ou non, m'apparaît contraire à un objectif de réadaptation ou de réhabilitation. Il y aura un changement très réel. Si les juges appliquent la règle que la Cour d'appel du Québec a établie pour ce qui est du calcul de la détention provisoire chez les adultes, un juge doit établir la durée de la peine de prison, le temps passé en détention provisoire compte double et on le déduit de la peine de prison.

Le projet de loi mentionne qu'au moment d'établir la mesure imposée aux jeunes, le juge doit tenir compte de la durée de la détention provisoire. Je donnais l'exemple d'un cas où le juge, compte tenu de la gravité de l'infraction, disait qu'il pouvait justifier six mois de mise sous garde. Dans le régime actuel, il pourrait imposer les six mois de mise sous garde aux jeunes, et un rapport prédécisionnel indiquerait que six mois de mise sous garde sont nécessaires pour entreprendre une démarche de réadaptation. Le juge pourrait imposer les six mois de mise sous garde, quitte à ce qu'on revienne voir le juge pour faire modifier la décision, si le jeune est prêt à sortir avant. Si on applique le projet de loi, si le jeune a passé deux mois en détention provisoire - ce qui n'est pas inhabituel - le juge déciderait de six mois de mise sous garde et de surveillance, duquel on devra retirer deux fois deux mois en raison de la détention provisoire, la soustraction était faite, il reste deux mois, dont le dernier tiers sera passé à l'extérieur de la collectivité.

Il restera un mois et un tiers où le jeune sera à l'intérieur. Les jeunes arriveront avec le but non pas de s'inscrire dans une démarche de réadaption, mais seulement avec l'idée de purger leur peine, comme chez les adultes. On remet alors en cause notre capacité, par le réseau des centres de réadaptation, de vraiment faire de la réadaptation. Je ne veux surtout pas suggérer que l'internat soit la seule manière de faire de la réadaptation. On doit favoriser le plus possible des mesures dans la société et utiliser l'internat au strict minimum. C'est ce qui se passe au Québec à l'heure actuelle, parce que c'est la province canadienne qui a de loin le taux le plus bas de mise sous garde des jeunes.

On doit favoriser cela, mais en reconnaissant qu'il y a des jeunes pour qui il est nécessaire d'utiliser la mise sous garde. Si on veut penser en termes de la réadaption de ces jeunes, il faut se donner les moyens d'avoir le minimum de temps.

Le sénateur Beaudoin: Est-ce possible?

M. Trépanier: Oui. Cependant, le projet de loi risque de créer un effet pervers qui rendra cela beaucoup plus difficile. Si les juges appliquent la règle du deux pour un pour la détention provisoire, des avocats de la défense risquent fort de conseiller à leurs clients, au moment de l'enquête sous cautionnement, de ne pas s'objecter à la détention provisoire, mettant ainsi en crédit du temps double. On risque de rencontrer des situations où on accroîtra le temps passé en détention provisoire, et où on réduira le temps passé en mise sous garde. Durant le temps passé en détention provisoire, en raison notamment de la présomption d'innocence et de l'attitude du jeune tant qu'il n'a pas été déclaré coupable, on ne peut pas appliquer de programme de réadaptation. Cela devient du temps mort pour fin de réadaptation, et on risque d'accroître ce temps mort et de réduire le temps utile lors de la mise sous garde.

[Traduction]

Le sénateur Fraser: Madame la présidente, compte tenu de l'heure tardive et comme je sais que nos témoins ont d'autres engagements, je vais passer mon tour de question.

Le sénateur Grafstein: Monsieur Schwartz, au cours de votre exposé, vous avez dit partager l'avis de M. Stewart selon lequel la disposition visant à accorder au gouverneur général en conseil le pouvoir de ramener l'âge de 16 à 14 ans n'est pas souhaitable.

M. Schwartz: Je pense que cette disposition n'est pas souhaitable et pour en revenir à l'autre question, elle est douteuse.

Le sénateur Grafstein: Elle est anticonstitutionnelle à votre avis?

M. Schwartz: C'est possible.

Le sénateur Grafstein: La question de la publication des noms vous préoccupe. Il a été très clair sur ce point.

M. Schwartz: Je partage ses inquiétudes, même si cette question ne me tient pas autant à coeur que d'autres.

Le sénateur Grafstein: J'aimerais parler de l'exposé de la Fédération canadienne des municipalités. Votre analyse des coûts m'intéresse. Avez-vous fait, pour le compte de la fédération, une analyse du coût annuel de l'incarcération d'un adolescent?

Mme Danyluk: Nous avons toutes les statistiques qui ont été préparées. J'aurais dû les apporter avec moi. Nous savons que l'incarcération des jeunes coûte extrêmement cher.

Le sénateur Grafstein: Combien cela coûte-t-il par année, à votre avis?

Mme Danyluk: Je ne sais pas si Mme Hanley a ces renseignements sous la main, mais nous avons ces données. C'est pourquoi dans notre mémoire, nous affirmons que, en premier lieu, nous n'approuvons pas l'incarcération des jeunes dans les centres de détention ou prisons réservés aux adultes. La FCM reconnaît que les ressources allouées aux centres d'aide à l'intention des jeunes ou aux services qui leur viennent en aide sont insuffisantes. C'est pourquoi j'ai dit plus tôt que la loi est une chose mais qu'il faut bien admettre qu'il y a des lacunes sur le plan des ressources.

Le sénateur Grafstein: Un ou deux témoins ont dit qu'il fallait revoir la question de l'intention. Certaines personnes ont dit que cela coûtait 45 000 $ par an.

Mme Danyluk: Je pense que c'est même plus que cela.

Le sénateur Grafstein: Prenons pour hypothèse que c'est ce que coûte l'incarcération d'un adolescent par opposition à ce qu'il en coûte si l'on prend des mesures extrajudiciaires ou d'autres mesures de réadaptation. Votre groupe s'est-il penché sur cette question et en a-t-il conclu qu'il serait beaucoup plus souhaitable d'envisager la non-incarcération?

Mme Danyluk: Sans aucun doute. C'est pourquoi nous disons dans notre mémoire que nous préconisons d'autres méthodes pour s'occuper des jeunes qui ont des démêlés avec la justice. Nous sommes pour une justice réparatrice. Bon nombre de nos municipalités appliquent déjà des projets en partenariat pour mettre en place des méthodes extrajudiciaires ou de justice réparatrice.

Par ailleurs, ce projet de loi, avec toutes les faiblesses qu'il peut avoir, tombe à pic, au moment où le gouvernement fédéral, par l'entremise du Centre national pour la prévention du crime, a augmenté le budget consacré à la stratégie nationale qui permet aux municipalités, en partenariat avec le système judiciaire et d'autres intervenants, de financer des projets appuyant la justice réparatrice et les solutions de rechange.

Le sénateur Grafstein: Je comprends, mais il y a quelque chose qui me tracasse dans votre mémoire. D'une part, vous dites clairement qu'à votre avis, les adolescents ne doivent jamais être incarcérés dans des établissements pour adultes. Pourtant, votre deuxième recommandation est:

L'imposition de peines d'adulte pour les jeunes âgés de 14 à 17 ans reconnus coupables de crimes graves avec violence.
Si je comprends bien, vous voulez des peines d'adulte, mais pas dans des établissements pour adultes?

Mme Danyluk: C'est exactement ce que nous voulons dire. Nous disons qu'il doit y avoir une autre façon de traiter ces jeunes personnes. Nous ne voulons pas qu'elles soient incarcérées dans des établissements où elles vont côtoyer des criminels adultes.

Le sénateur Grafstein: Vous dites que vous n'appliqueriez pas le projet de loi aux enfants de moins de 12 ans. Pourquoi ne pas fixer cet âge à 10 ans? Pourquoi avez-vous choisi 12 ans?

Mme Danyluk: Comme je l'ai dit au début de mon exposé, vous devez comprendre que je parle au nom des municipalités de l'ensemble du Canada. Je préside un comité qui comprend d'autres membres. Nous avons des membres du Québec qui se prononcent contre une grande partie de ce qui se trouve dans le projet de loi. Nous avons aussi des membres d'autres provinces canadiennes qui veulent au contraire un projet de loi plus sévère. En fin de compte, ceux qui veulent une plus grande sévérité et ceux qui en veulent moins se sont mis d'accord pour dire que la loi ne doit pas toucher aux enfants de moins de 12 ans.

Il y a eu un consensus à la Fédération canadienne des municipalités parce que nous reconnaissons que nous comptons des membres du Québec. Il y a eu consensus sur cette question parce que nous avons décidé que la loi était suffisamment souple pour permettre au Québec de continuer à faire ce qu'il fait, de manière que le Québec ne soit pas coincé sur cette question. C'est pourquoi j'ai dit que sur certaines questions, il y a eu un compromis de manière à obtenir un consensus de toutes nos municipalités.

[Français]

Le sénateur Joyal: Monsieur Trépanier, vous avez mentionné dans votre présentation que vous étiez impliqué dans le domaine de la justice pour adolescents depuis plus de 35 ans. Vous avez fait référence à l'article 40 de la Convention des droits de l'enfant ainsi qu'à l'article 17 des règles de Beijing. Vous connaissez les instruments internationaux qui se rapportent aux droits des enfants.

M. Trépanier: J'en ai une certaine connaissance qui vient, notamment, du fait que j'ai été invité, avec M. Willie McCarney, qui est juge pour enfants à Belfast en Irlande du Nord, à rédiger un chapitre d'un manuel de formation à l'intention des juges et des avocats. Le manuel sera publié, éventuellement, par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme, à Genève, qui est une constituante de l'ONU. Nous avons été invités à rédiger le chapitre qui concerne les droits des enfants dans les instruments des Nations Unies.

Le sénateur Joyal: Est-ce plus précisément en ce qui concerne la justice juvénile?

M. Trépanier: C'est exactement sur cela que nous avons travaillé. Ce chapitre, que nous avons rendu en 1997, n'est pas encore publié. Il y a parfois dans certaines organisations concernant les droits des jeunes apportés en justice des délais de publication assez longs.

Le sénateur Joyal: Nous avons eu au moins 60 groupes de personnes de différents milieux qui sont venus témoigner devant nous. Un certain nombre de gens ont soulevé la question de l'adéquation de ce projet de loi avec les éléments essentiels des instruments internationaux qui se rapportent aux droits des enfants et des adolescents.

Selon votre analyse de ce projet de loi, quel sont, à votre avis, les éléments qui pourraient être en contradiction avec les objectifs ou les éléments poursuivis dans les instruments internationaux dont on a parlé tantôt?

M. Trépanier: Je n'ai pas fait une étude exhaustive de la question, je dois le dire. Toutefois, un point m'apparaît particulièrement frappant, en ce qui a trait à la définition du principe de la proportionnalité, qui est absolument central dans le projet de loi. À l'article 38(2)d), on indique que le principe de la proportionnalité aura préséance sur d'autres principes, dont notamment celui d'offrir les meilleures chances de réadaptation et de réinsertion sociale du jeune.

Dans le projet de loi, le principe de la proportionnalité est défini de la manière qu'on le définit en droit criminel traditionnel, à savoir que la peine doit être proportionnelle à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité de l'infracteur.

Dans les instruments de l'ONU, le principe de la proportionnalité est défini d'une manière très différente. On indique que la mesure imposée aux jeunes doit être proportionnelle à la gravité de l'infraction, aux besoins du jeune, ainsi qu'aux besoins de la société.

Ceci veut dire que la gravité de l'infraction n'a pas préséance sur les besoins du jeune dans le cadre des instruments de l'ONU, alors que dans le projet de loi, la gravité de l'infraction a préséance sur les besoins du jeune. Il me semble qu'il y a là une divergence fort importante.

À cet égard, il me semble que la Loi sur les jeunes contrevenants, qui n'établit pas cette préséance du principe de la proportionnalité, m'apparaît beaucoup plus conforme à ce que l'on trouve dans les instruments internationaux. Ce n'est pas que l'on ne doive pas recourir au principe de la proportionnalité sous la Loi sur les jeunes contrevenants. La Cour suprême l'a d'ailleurs dit très clairement d'ailleurs dans l'arrêt M. (J.J.) où M. le juge Cory a indiqué que, dans le cadre de la Loi sur les jeunes contrevenants, le principe de la proportionnalité doit être utilisé, mais pas au même degré que dans le système pour adultes.

Le sénateur Joyal: Concernant la question relative à la publication des noms dans les Règles de Beijing, des témoins ont mis d'avant l'interprétation de l'obligation faite de ne pas publier les noms des jeunes. Est-ce, selon vous, un accroc?

M. Trépanier: Je crains que oui, dans le sens où le projet de loi prévoit que les jeunes qui auront fait l'objet de ce que le projet de loi appelle des peines spécifiques - c'est-à-dire des peines pour mineurs - verront leur identité dévoilée, en principe, lorsqu'ils seront condamnés pour une infraction dite spécifique.

Cela m'apparaît, en effet, poser problème. C'est suite à une présomption de sentence pour adultes, dans biens des cas, que le jeune se verra imposer une telle mesure. Le fait qu'il soit possible de publier les noms dans de tels cas va, effectivement, à l'encontre de l'esprit de ces règles.

La Convention des droits de l'enfant ainsi que les Règles de Beijing qui précisent, en quelque sorte, le contenu de la Convention en matière d'administration de la justice pour les jeunes, sont dans l'ensemble très centrées sur l'intérêt du jeune, mais il s'agit de l'intérêt du jeune contrebalancé par celui de la société.

De façon générale, il me semble que l'esprit de ces instruments de l'ONU sont beaucoup plus conforme à l'esprit général de la Loi sur les jeunes contrevenants qu'à celui du projet de loi qui, lui, se rapproche davantage du droit criminel traditionnel.

Je ne veux pas dire que le projet de loi viole dans l'ensemble les règles contenues dans les instruments de l'ONU. Cependant, l'orientation générale du projet de loi m'apparaît moins conforme à l'esprit des instruments de l'ONU que celle contenue dans la Loi sur les jeunes contrevenants.

[Traduction]

Le sénateur Andreychuk: J'aurais une question pour Mme Danyluk, de la Fédération canadienne des municipalités. Madame Danyluk, votre mémoire est présenté au nom de tout le Canada et vous avez traité spécifiquement du Québec. Ce sentiment est-il répandu dans l'ensemble de vos municipalités? Dans quelle mesure faites-vous l'analyse coûts-avantages? Dans certaines provinces, la police relève de la province tandis que dans d'autres, elle relève des municipalités. Dans certaines provinces, les ressources nécessaires sont provinciales et les services sont fournis par la province. Dans d'autres régions, ce sont des ressources provinciales, mais le tout est délégué aux municipalités. C'est difficile de cerner le coût des jeunes contrevenants.

Vous dites que vous avez fait une analyse coûts-avantages, mais pouvez-vous nous remettre cette analyse? Tient-elle compte des variations entre les provinces?

Mme Danyluk: Dans le mémoire que nous avons présenté, le coût des services de police représente l'ensemble des services de police à tous les niveaux. Dans les municipalités où les services policiers sont assurés par, disons, la GRC, le chiffre donné représente le coût total, qu'il s'agisse de la GRC, de la police provinciale ou de la police locale. Quant à l'analyse, nous recevons de tous les niveaux de gouvernement des statistiques sur le coût de l'incarcération des jeunes. Nous compilons ces données et en faisons l'analyse à la FCM. Quand je dis que je parle au nom de la FCM, je veux dire évidemment les municipalités qui en sont membres. Celles-ci représentent 20 millions d'habitants au Canada. Ce sont tous les élus de toutes ces municipalités qui se réunissent dans des comités permanents pour établir la position des municipalités. C'est la raison pour laquelle sur certaines questions, notamment l'âge auquel les jeunes doivent être renvoyés aux tribunaux pour adultes, il y a de grands écarts entre l'ouest du Canada, le Québec et l'est du Canada.

Vous avez devant vous des représentants des quatre coins du Canada qui vous présentent le point de vue des élus municipaux sur ce projet de loi. De façon générale, ils appuient le projet de loi, mais ils ont certaines préoccupations. Parmi ces préoccupations, il y a notamment le temps qu'il faut pour former et entraîner des agents de police, et certains pouvoirs discrétionnaires qui sont conférés au juge pour l'utilisation des déclarations des adolescents. Nous craignons que les juges puissent abuser de ce pouvoir discrétionnaire.

Dans plusieurs domaines, il faut rendre le projet de loi plus clair. Comme M. Schwartz l'a dit tout à l'heure, nous estimons que sur certains points, quand il est question d'infractions présomptives, il y a de l'incertitude dans le projet de loi. Il vaut mieux définir ces infractions. De plus, il faut établir une distinction dans la loi.

Si l'on abaisse l'âge auquel les adolescents peuvent être traités comme des adultes, précisons au moins s'il y a une différence dans la façon dont, dans une situation donnée, on traite les plus jeunes comme des adolescents plus vieux ou comme des adultes. Je ne pense pas que l'on puisse établir une seule façon uniforme de traiter des adolescents qui ont 14 ans et d'autres qui ont 17 ans. C'est ce que pensent les municipalités canadiennes.

La présidente: Je remercie les témoins d'avoir été aussi patients quand nous vous avons interrompue. Vous nous avez fait de très bons exposés.

Nous entendrons maintenant le témoin suivant, qui sera notre dernier témoin ce soir.

Je rappelle aux honorables sénateurs que la séance n'est pas encore levée.

Nous accueillons l'honorable David Young, procureur général et ministre délégué aux Affaires autochtones de l'Ontario.

L'honorable David Young, procureur général et ministre délégué aux Affaires autochtones (Ontario): Honorables sénateurs, la soirée est quelque peu perturbée par des difficultés d'horaire. J'ai un engagement qu'il me serait difficile de remettre à cette heure tardive. Je me demande si nous pourrions nous arranger pour que je puisse partir vers 20 h 35.

La présidente: Je crois que vous avez un avion à prendre.

M. Young: J'ai un avion à prendre et aussi une interview avec quelqu'un qui m'attend depuis un certain temps en bas.

Je voudrais tout d'abord vous remercier tous de m'avoir donné l'occasion de prendre la parole devant le comité. Je suis venu vous parler d'une question qui est d'une grande importance pour les Ontariens et, sans nulle doute, d'une grande importance pour tous les citoyens de notre grand pays.

La violence croissante parmi nos jeunes est un problème dans nos villes et nos quartiers. Nous croyons en Ontario que c'est un problème qui exige une intervention nationale énergique.

Nous avons de très sérieuses réserves au sujet du projet de loi C-7, la loi proposée par le gouvernement fédéral sur le système de justice pénale pour les adolescents, parce que nous croyons qu'il représente une réponse très insatisfaisante à ce très grave problème. J'ai exprimé ma gratitude il y a un instant. Je répète que je suis particulièrement reconnaissant parce que je n'ai pas eu auparavant l'occasion de prendre la parole à Ottawa sur cette question. Vous savez peut-être que j'ai demandé à témoigner devant le Comité de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes. Je ne m'attarderai pas là-dessus, mais ma requête a été accueillie par un silence assourdissant et un refus catégorique. Tous mes collègues de Queen's Park ont vécu la même expérience.

La présidente: Monsieur Young, il n'est pas nécessaire de revenir là-dessus parce que nous les avons entendus hier soir. Nous leur avons fait remarquer que le Sénat ne fonctionne pas comme la Chambre des communes.

M. Young: Je suis heureux d'être ici. J'allais justement aborder le vif du sujet et je vais le faire sans plus tarder.

J'espère toutefois que cette occasion qui nous est donnée maintenant nous permettra d'apporter des changements en profondeur au projet de loi avant qu'il ne reçoive la sanction royale.

Honorables sénateurs, les citoyens de l'Ontario veulent se sentir en sécurité dans leurs maisons. Ils veulent se sentir en sécurité dans leurs villes. Ils veulent se sentir à l'abri des crimes violents commis par des jeunes. Pour cela, il nous faut des lois énergiques qui protégeront le public et qui obligeront les jeunes contrevenants à répondre de leurs crimes.

Depuis 20 ans, le gouvernement fédéral, à notre humble avis, a échoué dans ses tentatives de légiférer efficacement pour contrer la criminalité des jeunes, d'abord avec la Loi sur les jeunes contrevenants et aujourd'hui avec une mesure de remplacement très mal faite, le projet de loi C-7.

Les journaux sont remplis de manchettes qui traitent des gangs de jeunes, d'adolescents qui agressent vicieusement d'autres adolescents et d'étudiants qui apportent des armes à l'école. Les données récentes de Statistique Canada dépeignent le même tableau très inquiétant. L'étude de Statistique Canada dont je viens de parler a permis de constater que l'année dernière, le nombre de jeunes accusés d'infractions avec violence a augmenté de 7 p. 100. On a également constaté que le nombre de jeunes accusés d'agression sexuelle a augmenté l'année dernière de 18 p. 100, ce qui est atterrant.

On a par ailleurs constaté une tendance fort inquiétante qui se manifeste certainement sur beaucoup plus qu'une seule année civile, à savoir que la violence parmi les adolescentes a connu une spectaculaire augmentation de 81 p. 100 entre 1989 et 1999. Ce n'est pas la société dans laquelle nous voulons vivre et ce n'est pas la société que nous voulons pour nos enfants.

Madame la présidente, je ne suis pas venu ici simplement pour me plaindre d'un projet de loi fédéral qui ne répond pas aux souhaits d'une province en particulier. Je suis disposé à faire beaucoup plus que cela. Je suis ici pour offrir des solutions.

L'Ontario a fait des propositions concrètes, des propositions que je crois constructives qui permettraient de resserrer le projet de loi C-7. Notre gouvernement croit que nous devons aux victimes et que nous devons à leurs familles de faire tout en notre pouvoir pour combattre le crime avec violence. C'est pourquoi nous avons élaboré une loi sur les jeunes contrevenants qui ne permet plus à ceux-ci de s'en tirer aussi facilement et qui renferme 100 propositions d'amendement sérieuses et constructives pour améliorer le projet de loi C-7.

Les amendements proposés par l'Ontario résulteraient en des «peines d'adulte pour des crimes d'adulte», des peines de prison obligatoires pour toute infraction commise avec des armes et la dénonciation publique des jeunes contrevenants violents.

Je voudrais d'abord traiter de la question des peines d'adulte pour les crimes d'adulte. Aux termes du projet de loi C-7, il n'y aurait aucune peine d'adulte automatique, peu importe la gravité de l'infraction. Aux termes des amendements proposés par l'Ontario, tous les adolescents de 16 ans et de 17 ans accusés d'infractions graves, notamment le meurtre, la tentative de meurtre et l'homicide involontaire, seraient automatiquement traités comme des adultes pour leur procès et la détermination de leur peine.

Les adolescents de 14 et 15 ans accusés d'infractions graves se verraient également infliger des peines d'adulte, à moins que l'on puisse démontrer que le contrevenant doit recevoir une peine d'adolescent. Nous établissons des critères pour cela dans nos amendements proposés.

Aux termes de nos amendements, les dispositions de libération conditionnelle pour adultes s'appliqueraient aux jeunes contrevenants qui ont reçu une peine d'adulte pour meurtre. Ce n'est pas le cas aux termes du projet de loi C-7.

Un adolescent condamné à une peine d'adulte pour meurtre est assujetti à un régime d'admissibilité à la libération conditionnelle beaucoup plus souple que les adultes.

Aux termes des amendements proposés par l'Ontario, les juges seraient habilités à imposer des peines plus sévères aux jeunes contrevenants violents. En particulier, si les amendements que nous proposons sont adoptés, des peines de prison seront automatiques en cas d'infractions perpétrées avec des armes. Tout adolescent trouvé coupable d'une infraction impliquant l'utilisation réelle ou envisagée d'une arme devrait purger au moins six mois de détention. Aux termes de la loi proposée sur le système de justice pénale pour les adolescents, il n'y aucune peine maximale obligatoire pour les jeunes reconnus coupables d'infractions perpétrées avec des armes.

Le projet de loi C-7 ne prévoit pas non plus de peine maximale pour les adolescents reconnus coupables de meurtre. Les amendements de l'Ontario créeraient une peine obligatoire pour les adolescents de 12 à 15 ans qui sont condamnés à une peine d'adolescent pour meurtre. La peine minimale pour le meurtre au premier degré serait de 10 ans. Les adolescents purgeraient six ans en prison et quatre ans en libération conditionnelle surveillée.

Pour le meurtre au deuxième degré, la peine obligatoire pour les adolescents serait de sept ans. Ceux-ci passeraient quatre ans en prison et trois ans en libération conditionnelle surveillée.

Nos amendements augmenteraient aussi la durée de la peine infligée aux adolescents pour les infractions autres que le meurtre, qui serait portée à cinq ans moins un jour. Aux termes du projet de loi C-7, la peine maximale que l'on peut infliger aux adolescents pour des infractions autres que le meurtre est de seulement trois ans.

Un autre aspect inquiétant du projet de loi C-7, c'est qu'il continue de protéger les jeunes contrevenants au détriment des victimes. C'est pourquoi nos amendements proposés permettraient la publication de l'identité des jeunes contrevenants dans un plus grand nombre de cas. Les amendements proposés par l'Ontario permettraient la publication de l'identité dès qu'un jeune contrevenant est condamné à une peine pour adulte et aussi lorsqu'un adolescent de 14 ans ou plus est reconnu coupable d'une infraction grave comme le meurtre ou les voies de fait graves.

De plus, honorables sénateurs, les autorités scolaires auraient accès aux dossiers judiciaires des adolescents, ce qui leur donnerait l'information dont ils ont besoin pour garantir la sécurité des étudiants et du personnel et aussi pour s'assurer que le jeune contrevenant reçoit de l'aide au besoin.

Pendant que je rédigeais les 100 amendements dont j'ai parlé il y a un instant, j'ai rencontré des représentants de l'Association des conseils scolaires publics de l'Ontario. Je les ai rencontrés à leur demande pour discuter de la question de la publication de l'identité. Ils m'ont demandé de vous demander...

Le président: Ils ont comparu devant nous, monsieur Young, et nous l'ont demandé en personne.

M. Young: Alors vous savez que je suis sincère quand je vous dis qu'ils veulent avoir accès à cette information et je pense qu'ils ont des raisons convaincantes à l'appui de leur demande.

Notre gouvernement est préoccupé par le coût de la mise en oeuvre du projet de loi C-7. Je sais que nous touchons à la fin d'une longue journée et que ce n'est pas votre premier jour d'audience. Je sais que beaucoup d'autres témoins ont parlé des coûts et je serai donc relativement bref.

Je tiens à ce que vous sachiez que le budget fédéral prévu pour assurer la mise en oeuvre de ce projet de loi est tout à fait insuffisant, à notre humble avis. En conséquence, les gouvernements provinciaux seront incapables de mettre en oeuvre le projet de loi tel que prévu. Je suis venu ici pour vous dire, comme l'ont fait beaucoup de mes collègues et homologues d'autres provinces, que nous devons revenir au partage fédéral-provincial moitié-moitié des coûts des services de justice pour les jeunes.

Dans le cas de l'Ontario, nous dépensons environ 254 millions de dollars chaque année pour la justice pour les adolescents. Les ententes conclues avec le fédéral nous permettent de récupérer moins de 25 p. 100 des coûts admissibles au partage; je pense qu'en fait, le pourcentage se rapproche plutôt de 22 p. 100, et il est clair que c'est tout simplement insuffisant.

Depuis 1989-1990, l'Ontario a perdu environ 440 millions de dollars en revenu au chapitre de la justice pour les adolescents à cause de la baisse du financement fédéral. Nous avons la conviction que le gouvernement fédéral a le devoir de payer sa juste part des coûts de la justice pour les jeunes. Compte tenu du fait que le projet de loi proposé sera indéniablement beaucoup plus lourd et coûteux à administrer, il faut absolument remédier à ce problème.

Certains critiques ont laissé entendre que nous n'avons pas d'affaire, qu'aucune province, y compris l'Ontario, n'a d'affaire à se mêler de l'élaboration d'une loi fédérale, et que nous n'avons aucun droit ni aucun rôle à jouer dans la rédaction des amendements à ce qui est clairement un projet de loi fédéral dans le domaine du droit criminel. Je ne suis pas d'accord. Je crois que nous sommes tout à fait justifiés de venir en aide au gouvernement fédéral dans un dossier des affaires publiques.

Il importe par ailleurs de ne pas perdre de vue que ce sont les procureurs généraux des provinces, les hommes et les femmes qui travaillent dans mon service, qui se présentent tous les jours devant les tribunaux un peu partout dans la province de l'Ontario pour expliquer aux familles et aux victimes pourquoi un jeune contrevenant violent a reçu seulement ce que l'on considère comme une tape sur les doigts. Je suis convaincu que les victimes méritent mieux que cela. Je suis convaincu que les victimes méritent justice.

Je sais que vous avez entendu hier bon nombre de victimes. J'ai lu le compte rendu des interventions de ces gens-là qui sont venus vous voir comme ils sont venus me voir pour exprimer leur très vif mécontentement à l'égard du processus de justice pénale. Ils estiment qu'ils ont encore une fois été victimisés. Je ne vais pas répéter leurs histoires parce que je sais que vous les avez déjà entendues. Je veux toutefois qu'il en soit fait mention dans mon exposé pour que l'on tienne compte de la réalité que ces gens-là vivent.

Je peux vous dire que nous ne sommes pas seuls, à notre avis. Je sais que d'autres provinces ont des points de vue tout à fait différents sur la façon dont le système de justice pénale pour les adolescents et la législation dans ce domaine devraient fonctionner au Canada. Je tiens à vous dire que nous ne sommes pas seuls. Vous avez entendu hier des gens qui sont très actifs dans ce dossier. Vous avez entendu les représentants de la police. Je suis venu de l'aéroport aujourd'hui avec le chef de l'Ontario Provincial Police Association, qui m'a encouragé à venir vous voir et à vous présenter les 100 amendements que nous avons rédigés et dont il a pris connaissance. Il m'a demandé de vous dire, au nom des membres de son association qui doivent composer avec ce problème, que vous devez réfléchir sérieusement à ce que nous avons proposé.

Il croit, tout comme moi, que la procédure prévue par ce projet de loi est complexe. Elle exigera un système compliqué et laborieux pour transférer un jeune contrevenant au tribunal pour adultes et obtenir qu'on lui inflige une peine pour adulte. Des citoyens et d'autres intervenants sont venus dire à mon gouvernement et tout récemment à la Commission de lutte contre le crime de l'Ontario que les contrevenants violents et récidivistes - je tiens à être bien clair, je parle des contrevenants violents et récidivistes - doivent être traités comme ils le méritent pour assurer la sécurité du public.

Nous affirmons que le projet de loi C-7 n'est pas la solution. Ce n'est pas la solution que recherchent les citoyens de l'Ontario. Il y a finalement très peu de différences entre le projet de loi C-7 et la Loi sur les jeunes contrevenants. Nous l'avons déjà dit et nous le répétons, nous sommes convaincus qu'il s'agit en fait du même livre dont on a simplement changé la couverture.

Au cours des 17 dernières années, le public a dit clairement qu'il est mécontent de la Loi sur les jeunes contrevenants. Le dernier sondage Angus Reid que j'ai pu trouver date de 1997 et il indique clairement que 72 p. 100 des Canadiens avaient très peu ou pas du tout confiance en la Loi sur les jeunes contrevenants. Je vous affirme qu'ils auront très peu ou pas du tout confiance dans la loi qui va la remplacer, à moins qu'on la modifie.

J'ai eu récemment l'occasion de rencontrer le chef du Service de police régional de Peel. Ce monsieur a consacré une bonne partie de son temps à travailler avec des jeunes. Un jour, un journaliste lui a demandé pourquoi il pensait que la Loi sur les jeunes contrevenants ne fonctionnait pas. Il a regardé ce journaliste chevronné de Queen's Park et lui a dit qu'il devrait venir, n'importe quel jour de n'importe quelle semaine, au tribunal pour adolescents de Brampton, où il verrait des jeunes contrevenants défiler devant la cour, un sourire narquois au visage, sachant qu'ils n'ont rien à craindre et affichant visiblement leur mépris total du système de justice.

Honorables sénateurs, cela ne peut plus durer. C'est ce que nous disons toujours.

Vous avez l'occasion d'adopter une loi beaucoup plus efficace et nous vous implorons de profiter de l'occasion pour le faire.

Madame la présidente, je voudrais exprimer ma gratitude pour m'avoir donné l'occasion d'exprimer mes préoccupations et ceux du gouvernement de l'Ontario. J'espère que les honorables sénateurs saisiront cette occasion d'agir dans l'intérêt supérieur de la population de l'Ontario et du Canada. Le public a le droit d'exiger des lois qui serviront bien non seulement les jeunes contrevenants, mais aussi les victimes et qui obligeront les jeunes contrevenants violents à être comptables de leurs actes.

Nous sommes convaincus que la sécurité publique au Canada peut et doit être renforcée. C'est dans cet esprit que nous vous demandons de nous aider à remédier à ce qui est un très grave problème provincial et national. Je vais me faire un plaisir de répondre à toutes vos questions.

La présidente: Je vois que vous avez proposé des amendements à presque tous les articles du projet de loi.

M. Young: Madame la présidente, il y en a 100, et il y a beaucoup d'articles du projet de loi que nous n'avons nullement proposé de modifier le moindrement. Nous avons dit que la majorité des articles n'ont pas besoin de modification. Il y a toutefois des lacunes qui doivent à notre avis être corrigées.

Le sénateur Fraser: Je vous remercie d'avoir été aussi patient avec nous. C'est bien de pouvoir compter sur un témoin qui comprend les aléas de la vie parlementaire.

J'ai trouvé intéressantes vos observations sur le coût. Ai-je raison de dire que l'Ontario n'a pas signé l'entente fédérale- provinciale de financement des mesures destinées aux jeunes?

M. Young: Je pense que le ministre des Services correctionnels l'a fait. Je peux assurément vérifier et vous obtenir ce renseignement.

Le sénateur Fraser: D'après mes derniers renseignements, l'Ontario n'a pas signé et cela veut dire que l'Ontario renonce à des dizaines de millions de dollars par année.

M. Young: Vous avez peut-être raison. Si c'est le cas, c'est parce que l'entente qu'on nous a demandé de signer nous aurait forcés à faire encore plus que ce que nous jugions nécessaire.

Nous avions la conviction que l'argent que nous obtenions d'Ottawa n'était pas suffisant pour nous permettre de faire tout ce qu'il faudrait faire à notre avis aux termes de cette entente. Je peux obtenir des précisions et vous dire si nous l'avons signée ou pas.

Le sénateur Fraser: Une grande partie de cet argent servirait à ce que nous appelons des mesures de rechange ou extrajudiciaires.

Nous avons entendu de nombreux témoins nous dire que les mesures de rechange ne sont pas infaillibles, mais qu'elles sont toutefois les plus efficaces. Nous avons entendu des témoignages en ce sens. Une chose me frappe: cela ne peut pas coûter plus cher que de payer pour incarcérer à répétition les récidivistes.

Je suis perplexe quand j'entends dire qu'une province riche comme l'Ontario prétend que ces systèmes sont trop coûteux, alors que ma propre province du Québec, qui est moins riche, a décidé il y a des années que c'était un bon investissement et s'en est tenue à cette décision en dépit de contraintes budgétaires très difficiles. C'est un choix politique que vous faites, et non pas un choix budgétaire. Vous avez décidé de ne pas mettre à l'essai une vaste panoplie de mesures de rechange. Ai-je raison de dire cela?

M. Young: Je vais répondre à cette question en deux parties. Premièrement, je tiens à être clair: je ne suis pas venu ici aujourd'hui pour vous dire que je ne m'intéresse pas aux mesures de rechange ou que je ne leur fais pas confiance, tout au contraire. J'occupe mes fonctions depuis peu de temps, mais j'ai déjà augmenté considérablement le nombre de comités sur la justice et les jeunes partout dans la province. J'ai pris la parole longuement et fréquemment pour décrire le succès que ces comités peuvent avoir et ont effectivement un peu partout en Ontario et au Canada. J'estime qu'il y a place pour la déjudiciarisation et je ne fais pas qu'en parler, j'agis également. Je renforce les programmes. Toutefois, quand on a affaire à un contrevenant non violent qui commet une première infraction, quand il s'agit d'un enfant de 12 ans qui se fait prendre pour vol à l'étalage, je ne veux pas que cet enfant soit amené devant un juge ni qu'il soit mis en prison, pas du tout. Sauf votre respect, je sais que j'ai exprimé avec force un point de vue qui peut être différent de celui d'autres témoins, mais n'allez pas croire que c'est là ce que je veux.

Je vous demande de reconnaître qu'il y a une différence entre un enfant de 12 ans qui commet un vol à l'étalage et un adolescent de 17 ans qui est accusé pour la troisième fois d'agression sexuelle. Aux termes de la Loi concernant le système de justice pénale pour les adolescents, si elle est adoptée telle qu'elle nous est présentée par la Chambre des communes, il serait très difficile pour le procureur d'obtenir que cet adolescent de 17 ans subisse son procès devant un tribunal pour adultes et reçoive une peine d'adulte. Il faudrait être prophétique à bien des égards. C'est une loi lourde et coûteuse qui ne sert pas l'intérêt du public.

Nous croyons en la déjudiciarisation et aux mesures de rechange quand les circonstances s'y prêtent. Nous le faisons et nous y croyons à bien des égards. Nous ne croyons pas que ce soit applicable dans d'autres cas.

Le sénateur Fraser: De combien avez-vous augmenté votre budget pour les mesures de rechange?

M. Young: Nous avons triplé le nombre d'endroits dans la province et il y a eu une augmentation équivalente du budget.

Le sénateur Pearson: Mes questions portent sur la situation des mesures de rechange en Ontario. Il y a eu un effort considérable pour transférer dans des centres de détention les adolescents qui sont incarcérés dans des unités annexées aux établissements pour adultes. Pouvez-vous nous dire à quelle date vous prévoyez que tous les adolescents seront détenus dans des centres de détention pour adolescents, séparément des adultes?

M. Young: Je ne suis pas en mesure de fournir ce renseignement. Je peux m'engager à vous l'obtenir. En Ontario, nous avons un ministre des Services correctionnels qui s'occupe de cela. Je ne peux pas vous donner ce renseignement.

Le sénateur Pearson: L'Ontario se trouve dans une situation particulière parce que deux ministères s'occupent des jeunes contrevenants; les jeunes contrevenants âgés de 12 à 15 ans relèvent du ministère des Services sociaux et communautaires et les jeunes de 16 et 17 ans relèvent du ministère des Services correctionnels.

Croyez-vous que les jeunes de 12 à 18 ans reçoivent des services équitables en dépit de cette répartition des responsabilités? Jugez-vous que les degrés de diligence et les programmes sont équivalents pour les deux groupes?

M. Young: Il existe certains chevauchements au niveau du degré de diligence. Certains groupes d'âge sont traités de façon différente. Je ne propose pas que tous les jeunes soient traités de la même façon, ou traités comme des adultes et incarcérés dans les mêmes institutions dans tous les cas. Lorsqu'un jeune reçoit une peine applicable aux adultes, peu importe la nature de cette peine, il ne sera pas incarcéré avec des adultes.

Ils reçoivent de bons services de notre système qui est conçu pour répondre à leurs besoins particuliers.

Je ne voudrais pas que vous pensiez que je propose que tous les jeunes et tous les jeunes contrevenants soient traités de la même façon. Je crois que le système doit tenir compte des différences en ce qui a trait à l'âge, du récidivisme et de la gravité des infractions. Je crois que notre système tient compte de ces facteurs.

Le sénateur Pearson: Puisque nous n'avons pas beaucoup de temps, je laisserai la parole à mon collègue.

Le sénateur Beaudoin: Croyez-vous que l'on devrait avoir recours à la déjudiciarisation dans les cas d'infractions avec violence?

M. Young: Je ne crois pas qu'il soit approprié d'avoir recours à la déjudiciarisation dans les cas d'infractions avec violence. Je crois que ces contrevenants devraient être traduits en justice. Je ne crois pas qu'on devrait avoir recours aux procédures de déjudiciarisation dans ces circonstances.

Le sénateur Beaudoin: Permettez-moi de poser la question d'une autre façon. Vous dites que vous êtes pour la déjudiciarisation, mais j'ai l'impression que dès qu'il s'agit d'un type d'infraction différent, vous n'appuyez plus ce genre de mesures.

M. Young: Oui c'est ce que je pense.

Le sénateur Andreychuk: Vous avez dit que vous aviez une attitude tout à fait différente quant à la façon de traiter ceux qui sont accusés d'infractions avec violence. Vous semblez également faire une distinction selon l'âge du contrevenant. Qu'est-ce qui vous amène à croire que les contrevenants de cet âge qui ont commis des infractions avec violence ou qui sont récidivistes, devraient être traduits en justice avant même d'être adultes? Pourquoi êtes-vous de cet avis?

M. Young: Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte quand vient le temps de déterminer la meilleure façon de composer avec des criminels, y compris les jeunes contrevenants. Il faut songer à certaines choses comme le fait qu'il faut tenir le jeune contrevenant responsable de ses actes et communiquer des messages aux autres contrevenants. En d'autres termes, la dissuasion. C'est mon opinion, celle de ma province, et celle de pratiquement tous ceux, des centaines de gens, qui sont venus s'adresser à la commission de lutte contre le crime. Nous sommes d'avis qu'il s'agit là de facteurs légitimes qui devraient entrer en ligne de compte lorsque l'on décide de la peine à imposer à des contrevenants.

Le sénateur Andreychuk: Je sais que certains pensent que pour qu'un jeune acquiert la maturité voulue et qu'il soit capable de se tirer d'affaire, nous devrions lui montrer, quand il est en contact avec le tribunal pour la jeunesse, ce que serait le système pour adultes et quelle serait la responsabilité des adultes; de cette façon il serait à quoi s'attendre. Est-ce que vous êtes du même avis?

M. Young: Vous avez bien interprété ma façon de voir les choses. Permettez-moi de l'exprimer dans mes propres mots.

Il importe de communiquer un message aux personnes touchées. Il faut communiquer un message de dissuasion à la société et à ceux qui envisagent peut-être de se comporter d'une façon inacceptable.

Il ne faut pas oublier les victimes, et il faut que ces dernières voient que les contrevenants ont dû répondre de leurs gestes, qu'il existe une certaine justice. Cela ne devrait pas être le seul facteur qui entre en ligne de compte; ce n'est pas ce que je dis, mais je ne veux pas que l'on oublie les victimes.

Pendant longtemps, les gouvernements de toutes les allégeances politiques ont oublié la victime. C'est le retour du pendule et c'est pourquoi je suis venu ici plein d'espoir et d'optimisme.

Il faut absolument se rappeler qu'il y a d'autres personnes, certaines étaient ici hier soir, dont la vie a changé à tout jamais. Leur opinion ne peut pas être la seule qui entre en ligne de compte, mais on ne saurait l'ignorer.

Si vous me demandez comment l'on devrait traiter ceux qui commettent des infractions avec violence, ceux qui récidivent constamment, je réponds que les facteurs que je viens de décrire sont ceux qui devraient s'appliquer.

Le sénateur Andreychuk: Croyez-vous que votre système de services sociaux dispose des ressources suffisantes? Ce système peut-il se pencher sur les problèmes que vivent les jeunes et qui les poussent à une vie de crime? Vous êtes-vous penché sur la prévention et la réadaptation? Êtes-vous satisfait des efforts de votre province dans ce dossier?

M. Young: Nos dépenses dans ce secteur augmentent chaque année. Je sais que mon collègue, le ministre Baird, a des programmes que nous avons tous deux proposés récemment.

Ma réponse est donc affirmative, nous avons suffisamment de ressources. Cela ne devra pas changer.

J'aimerais en revenir à ce que j'ai dit un peu plus tôt. Les sénateurs sont étonnés d'apprendre qu'en Ontario nous avons augmenté de façon spectaculaire récemment le nombre de comités de justice pour la jeunesse. C'est une zone grise. Nous devons continuer à nous pencher sur le dossier et y affecter les ressources nécessaires.

Le sénateur Andreychuk: Un des obstacles à la mise en oeuvre de la Loi sur les jeunes contrevenants était que certaines provinces jugeaient que 16 ans était l'âge de la majorité alors que dans d'autres on avait fixé cet âge à 18 ans. C'était la différence traditionnelle dans la Loi sur les jeunes délinquants. Je sais que l'Ontario tout comme la Saskatchewan avait établi l'âge de la majorité à 16 ans.

À l'époque en Saskatchewan on s'est dit que l'on traiterait tous ceux qui n'avaient pas atteint l'âge de la majorité comme des jeunes contrevenants et qu'on ne ferait aucune distinction. On s'est alors empressé de désigner des centres de placement sous garde car à l'époque on ne faisait pas la différence entre ces centres et les centres de services sociaux. Il a fallu affecter des ressources supplémentaires simplement pour constituer ces centres de garde pour le système juvénile. Nous n'avons jamais suffisamment pu le faire pour assurer la pleine mise en oeuvre de la loi. Ça c'était un problème.

En Ontario vous avez décidé de continuer à établir l'âge de la majorité à 16 ans et vous avez jugé, si je me souviens bien, qu'il était plus simple de transformer des locaux des centres de détention pour adultes en locaux de placement sous garde pour les jeunes de 16 à 18 ans.

Pensez-vous que cela explique, en partie, pourquoi vous voyez les jeunes de 16 et 17 ans sous un angle légèrement différent des jeunes de moins de 16 ans?

M. Young: Je ne crois pas. C'est peut-être simplement parce que nous abordons le problème d'une façon différente. Je ne pense pas que l'établissement des deux catégories explique cela, mais votre commentaire est intéressant.

Le sénateur Andreychuk: La ministre a dit que des ententes avaient été signées et que neuf provinces appuyaient cette mesure législative. Vous proposez 100 modifications. Si le projet de loi était adopté, pourriez-vous le mettre en application en Ontario

M. Young: Je vous remercie de cette question. C'est moi qui dois assurer que l'on applique et que l'on respecte la loi. Je ferai ce que je peux, mais je sais que la majorité des procureurs généraux du Canada, sinon tous les procureurs généraux, ont exprimé des réserves et se demandent s'ils disposeront des ressources, et pour être honnête, de l'argent nécessaire pour appliquer ces mesures.

Nous ferons de notre mieux mais nous avons des doutes. Je sais que des membres du comité ont dit que l'Ontario était une province nantie, mais nous avons quand même des contraintes financières.

Accroître la pression sur nos ressources financières pour l'application de mesures malvenues est particulièrement difficile. C'est la meilleure réponse que je puisse vous donner.

Le sénateur Grafstein: J'aimerais que vous m'en disiez un peu plus long sur l'attitude du public en Ontario. Nous venons d'entendre un témoignage fort convaincant de représentants de la Société John Howard et de la Société Elizabeth Fry qui ne sont pas du même avis que vous. Ils ont en fait une opinion diamétralement opposée à la vôtre quant à l'approche philosophique et juridique.

M. Young: Je respecte leur opinion. Je vous ai fait part des résultats du sondage Angus Reid. Quand on parle de la justice pour les jeunes dans ma circonscription, je constate que tout le monde est mécontent.

Le sénateur Grafstein: On nous a dit qu'il y a peu de liens entre la perception et la réalité, et nous devons ici composer avec la réalité. Permettez-moi de vous parler de cette réalité. On retrouve chez les médias et le public ce que j'appellerais des attitudes «de pic» ou «de réaction» en ce qui a trait à la criminalité des jeunes. Cependant, lorsque j'étudie les statistiques, et encore une fois nous ne serons peut-être pas du même avis, fournies par divers statisticiens y compris ceux qui travaillent au Centre sur les affaires criminelles, je constate qu'au cours des 10 dernières années la criminalité a baissé chez les jeunes.

Il y a eu quelques légères augmentations par exemple dans la catégorie des infractions avec violence, mais dans l'ensemble, même ces augmentations sont plus faibles. Ainsi tout semble indiquer que la criminalité chez les jeunes, jusqu'à l'an 2000, est à la baisse. Le danger réel semble plutôt être celui qui est posé par la perception du public et des médias, encouragée par les médias et d'autres intervenants, une perception qui est bien différente de la réalité.

M. Young: Je crois qu'on peut d'abord convenir que l'on pourrait discuter vous et moi pendant bien longtemps de statistiques sans être d'accord. Permettez-moi de vous faire part de certaines des statistiques qui m'inquiètent le plus en ce qui a trait à l'augmentation de la criminalité chez les jeunes. Voilà pourquoi je ne suis pas tout à fait d'accord avec vous. M. Wamback a comparu devant vous hier soir et il est un exemple de ce qu'est la réalité. Mme deVilliers était également des vôtres hier soir, elle aussi est un exemple de cette réalité. Il ne s'agit pas là de perception. Leurs enfants ont été enlevés ou blessés d'une façon qui touche leurs vies à tout jamais, tous les jours, et ils ne sont pas satisfaits du système.

Le sénateur Grafstein: Nous reconnaissons qu'il y a eu des actes horribles, pourtant, il est également effarant de constater que le Canada a un des taux d'incarcération les plus élevés au monde. Vous iriez encore plus loin et vous augmentiez l'incarcération obligatoire, alors que vous le savez tout le monde convient que l'incarcération ne réduit aucunement le récidivisme mais l'augmente plutôt. Nous sommes confrontés à un dilemme.

M. Young: Je comprends votre position.

Le sénateur Grafstein: Ce n'est pas ma position, mais bien les faits.

Permettez-moi de passer à deux autres choses. Je ne sais pas si vous avez proposé des modifications à l'article 61. Je ne vois pas d'amendement à ce sujet. D'aucuns nous ont dit de façon fort convaincante que l'article 61 est anticonstitutionnel. Cette disposition autorise le lieutenant-gouverneur en conseil d'une province à fixer, par décret, l'âge à 14 ans plutôt qu'à 16 ans pour les infractions désignées. D'après ce qu'on nous a dit, et c'est fort convaincant, cette disposition serait inconstitutionnelle parce qu'il pourrait s'agir là d'une délégation ultra vires; cela est donc contraire à la Charte et, compte tenu de ce que nous ont dit nos collègues, cela irait également à l'encontre des dispositions de la Convention relative aux droits de l'enfant des Nations Unies. Qu'en pensez-vous?

M. Young: À titre de procureur général, j'hésite à faire des commentaires sur une question dont les tribunaux ont été saisis. Je sais que la province de Québec a contesté cette disposition.

Le sénateur Grafstein: Leur procureur général a contesté la délégation de pouvoir.

M. Young: Je peux vous dire que nous nous penchons sur cette mesure législative afin de déterminer si nous pouvons en contester la constitutionnalité. En proposant des modifications nous communiquons un message bien clair: si vous décidez de poursuivre dans la même voie, voici une meilleure façon pratique de procéder. Je ne veux pas me prononcer aujourd'hui, monsieur, quant à la constitutionnalité de cette mesure.

Le sénateur Grafstein: Le procureur général de la Saskatchewan nous a dit que tout au contraire en faisant passer l'âge de 16 à 14 ans, le gouvernement pourrait empiéter sur la responsabilité des provinces à l'égard des jeunes. Le même problème se reflète à l'échelle des provinces.

M. Young: Je connais la position de M. Axworthy. Elle mérite d'être étudiée, mais je ne suis pas vraiment prêt à vous donner une opinion maintenant.

Le sénateur Joyal: J'ai été surpris d'apprendre que vous êtes également responsable des affaires touchant les Autochtones.

M. Young: C'est exact.

Le sénateur Joyal: Vous avez fait parvenir les amendements à notre présidente, mais malheureusement je n'ai pas eu l'occasion de les lire. Est-ce que certains de ces amendements touchent les Autochtones?

M. Young: Comme je l'ai dit à la présidente au début de la réunion, il y a de nombreuses dispositions dans cette mesure législative que nous ne voulons pas modifier. Nombre d'entre elles touchent les communautés autochtones. Dans l'ensemble, j'aime la façon de procéder proposée dans cette mesure législative. Il y a des petites choses qu'on voudrait modifier légèrement, mais dans l'ensemble nous appuyons cette approche communautaire.

Le sénateur Joyal: Cependant, aucun amendement précis ne touche la réalité des communautés autochtones en Ontario. Je n'ai pas le texte des amendements et je ne peux donc pas en parler. Des groupes autochtones de toutes les régions du pays, et tout particulièrement des avocats qui ont participé à l'affaire Gladju en Ontario, nous ont dit qu'ils veulent absolument que l'article 17 du Code criminel, se sur quoi repose en fait l'arrêt Gladju de la Cour suprême du Canada, fasse partie du projet de loi parce qu'il reflète vraiment la réalité autochtone au Canada.

M. Young: Aucun des amendements que nous avons proposés ne changerait cela. Nous proposons simplement que l'on fasse appel au groupe de consultation un peu moins souvent. D'aucuns pourraient dire que c'est lié à cette affaire. Mais dans l'ensemble, nous appuyons la façon de faire les choses proposée dans cette mesure législative.

Le sénateur Joyal: Ma deuxième question porte sur le caractère constitutionnel du projet de loi. Nous avons entendu un certain nombre de procureurs généraux et nous savons que la Cour d'appel du Québec a été saisie de cette affaire. Si j'ai bien compris, votre décision n'a rien à voir avec la participation du procureur général quant à la constitutionnalité de ce projet de loi.

M. Young: C'est exact.

Le sénateur Joyal: Que pensez-vous du fait que l'on a mentionné devant la Cour d'appel du Québec que ce projet de loi pourrait en fait enfreindre les dispositions de conventions internationales que votre province a entérinées?

M. Young: Nous nous penchons sur cet argument et nous passons en revue la mesure législative dans cette optique. Je peux simplement vous dire que sous peu nous ferons connaître notre opinion à vous comme à d'autres.

La présidente: Sénateur Joyal, j'ai ici les amendements. L'amendement proposé vise l'alinéa 3(1)c) et ferait disparaître toute mention des adolescents autochtones.

Le sénateur Moore: Monsieur le ministre, quel pourcentage des jeunes contrevenants en Ontario sont des jeunes Autochtones?

M. Young: Je n'ai pas ces données. Je pourrais cependant les obtenir.

Le sénateur Moore: Nous avons entendu des chiffres fort alarmants sur les jeunes Autochtones en Saskatchewan et au Manitoba. Ces provinces essaient de faire appel à un système de justice autochtone plus traditionnel pour essayer de composer avec ces jeunes. L'Ontario a-t-il mis sur pied un système de justice autochtone traditionnel semblable pour traiter des jeunes contrevenants autochtones?

M. Young: Nous reconnaissons qu'une approche communautaire est appropriée dans bien des cas, monsieur le sénateur, quoique comme l'indique nos amendements nous croyons que dans certaines circonstances la déjudiciarisation ou les approches communautaires devraient être abandonnées, tout particulièrement lorsqu'il s'agit de récidivistes ou de contrevenants qui ont commis des infractions avec violence.

Le sénateur Moore: Dites-vous que vous traitez tous les jeunes de la même façon?

M. Young: Qu'ils soient Autochtones ou pas?

Le sénateur Moore: Oui.

M. Young: Par le passé nous avons connu certains succès lorsque nous avons trouvé des solutions communautaires dans des collectivités autochtones. Certains des comités de justice pour la jeunesse fonctionnent de façon quelque peu différente, mais sont pareils à d'autres égards.

Le sénateur Cools: J'aimerais poser quelques questions. Je connais très bien les problèmes que présentent les contrevenants coupables d'infractions avec violence. Je sais à quel point les choses peuvent être difficiles.

Il est évident qu'il y a eu une augmentation marquée de la criminalité chez les jeunes au cours des dernières années. J'ai suffisamment discuté de la question au fil des ans avec les chefs de police qui me disent qu'un nombre d'infractions ne font plus maintenant l'objet de poursuites.

Lorsque vous parlez de l'augmentation du taux de criminalité chez les femmes, très souvent vous indiquez là l'augmentation du nombre de poursuites. Je travaillais auprès des enfants il y a plusieurs années, et lorsque des enfants, des garçons et des filles, avaient des démêlés avec la justice, on arrêtait les garçons et on intentait des poursuites contre eux alors qu'on renvoyait des filles à la maison. Cela n'est plus la situation maintenant et les filles sont arrêtées et sont également poursuivies.

Je suis convaincue que vous savez ce que je pense de l'égalité entre les sexes. Je ne suis pas de ceux qui pensent que les femmes sont pleines de vertus. Je crois que le péché et le mal touchent les deux sexes de la même façon.

Le sénateur Grafstein: Je suis ici pour protéger les intérêts de ma mère. Elle a 101 ans.

Le sénateur Cools: C'est ce que la majorité des hommes ont fait toutes leurs vies. N'oublions qu'ils sont allés dans les mines de charbon.

Je connais assez bien le projet de loi. Je crois qu'il comporte certaines lacunes, on ne peut le nier. Il ne répond pas vraiment aux problèmes qui existent. Je connais votre position, vous êtes après tout mon procureur général provincial.

J'ai rencontré M. Flaherty, votre prédécesseur, pour discuter d'une question connexe, soit les orphelins de père. Ceux d'entre nous qui travaillent dans le domaine depuis plusieurs années savent que l'un des meilleurs indicateurs de criminalité, de comportement social inacceptable et de comportement antisocial est la structure familiale. Les études faites aux États-Unis démontrent que le lien entre la structure familiale, et la configuration familiale et le crime - par exemple les familles pauvres dont le chef est la mère - est si fort qu'il est même plus important que le lien entre la race et la criminalité et entre le faible revenu et la criminalité. C'est la conclusion à laquelle en viennent les auteurs de rapports de nos jours. Je suis ingénieure sociale et je pourrais en parler toute la journée.

Nombre de problèmes ont été créés par le gouvernement qui a adopté des lois sur le divorce et des lois sur le bien-être social criblées de lacunes. Ces mesures législatives écartent les hommes de la vie des enfants. Ces mesures écartent de bons pères légitimes de la vie de leurs enfants, et ces enfants ont besoin quand ils grandissent de soins et d'orientation.

Toutes vos initiatives qui visent à réduire le taux de criminalité chez les jeunes n'ont pas été très efficaces. Que faites-vous pour favoriser les liens entre les enfants et leurs pères?

M. Young: Nous avons suivi avec intérêt l'étude effectuée sur ce sujet par le gouvernement fédéral. Cette question a été soulevée lors de la conférence fédérale-provinciale-territoriale que nous avons entamée en septembre avant les événements tragiques de New York. Nous avons évidemment dû ajourner nos travaux. J'ai parlé à la ministre Mme McLellan de la question. Vous ne pourriez le deviner d'après les commentaires que j'ai faits aujourd'hui, mais je reconnais qu'il s'agit là d'une question qui relève du gouvernement fédéral. Nous participons à un processus difficile, mais j'ai formulé certaines suggestions à la ministre quant à la façon dont elle pourrait procéder. Nous suivrons avec intérêt ce dossier pour voir ce que fera le gouvernement fédéral.

Le sénateur Cools: Vous attendez que le gouvernement fédéral prenne l'initiative? Si je pouvais convaincre la ministre de la Justice d'appuyer sans équivoque les familles, lui emboîteriez-vous le pas?

M. Young: Quand vous dites les choses de cette façon, qui pourrait s'apposer à ce qu'on accorde un appui particulier aux familles?

Le sénateur Cools: Je regrette que le ministre doive partir. Nous n'accueillons pas très souvent des ministres de l'Ontario.

M. Young: Je peux rester plus longtemps s'il y a d'autres questions. C'est une question fort importante. L'entrevue et le vol peuvent attendre.

Le sénateur Cools: J'ai écouté très attentivement ce qu'on disait, et je suis absolument renversée de noter qu'on n'a pas mentionné le problème extraordinaire que présente l'éclatement de la famille. Les documents démontrent sans cesse que c'est l'éclatement de la structure familiale qui explique la délinquance juvénile et les actes des jeunes contrevenants. Nous devons commencer à appuyer à nouveau la famille. Je voulais seulement voir s'il était possible d'intégrer cette question dans le dialogue. Partout aux États-Unis on lance des initiatives visant à reprocher les pères et les enfants.

M. Young: Je déposerai un projet de loi à l'Assemblée législative de l'Ontario qui simplifiera nombre de choses, y compris l'exécution réciproque des ordonnances familiales. Le Manitoba l'a déjà fait et les autres provinces se sont engagées à le faire; nous essayons donc de régler ce problème de cette façon-là. Je sais que vous parlez d'une question plus générale et je sais ce sur quoi le gouvernement fédéral se penche. J'ai hâte de savoir quels seront les résultats de cette étude.

En passant, j'aimerais signaler que je ne suis pas toujours d'accord avec le gouvernement fédéral. J'ai félicité publiquement mon homologue fédérale à plusieurs reprises depuis que j'occupe ce poste.

Le sénateur Cools: J'aimerais que vous exerciez plus de pression sur le gouvernement fédéral pour qu'il pense plus aux pères.

Le sénateur Grafstein: Puisque vous êtes l'avocat de la Couronne principal de l'Ontario, et êtes responsable des poursuites, vous connaissez évidemment très bien le Code criminel et la notion historique de mens rea telle qu'étoffée par la Cour suprême. J'ai une préoccupation et j'aimerais savoir si vous la partagez. En réduisant l'âge de la criminalité de 16 ans à 14 ans, ne croyez-vous pas que conformément à la notion actuelle de mens rea telle qu'étoffée ou restreinte par la Charte, cette notion est bien différente selon que le contrevenant a 16 ou 14 ans?

Permettez-moi d'être plus précis. S'il s'agit d'une infraction grave avec violence, le prévenu doit comprendre la nature du crime et de l'acte interdit. Il faut demander au procureur si le prévenu est apte à subir un procès. Afin de déterminer si le prévenu est apte à subir un procès, il faut déterminer si le prévenu - nous parlons d'un jeune de 14 ans - peut contrôler sa propre défense. À mon avis, il est très difficile d'appliquer ces notions à un jeune de 14 ans. Partagez-vous certaines de mes préoccupations?

M. Young: Non, monsieur le sénateur, je comprends le problème et c'est un problème légitime, mais je dois vous répondre que j'ai parfaitement confiance dans le pouvoir judiciaire et je suis convaincu qu'il déterminera si le mens rea existe dans ces circonstances. Il se pourrait que vous ayez raison et que dans certains cas certains jeunes de 14 ans n'auraient pas cette intention criminelle. Cependant, je suis d'avis qu'il y a d'autres cas où ces jeunes ont cette intention et qu'ils sont parfaitement conscients de la nature de leurs crimes et du fait qu'il s'agit là d'un acte défendu. Je suis parfaitement disposé à laisser le pouvoir judiciaire de ce pays se prononcer sur la question et je ne crois pas que les législateurs devraient priver le pouvoir judiciaire de cette autorité.

La présidente: Je vous remercie infiniment d'avoir été si patient ce soir; je vous suis reconnaissante d'avoir passé ce temps avec nous.

Nous nous rencontrerons à nouveau demain à 10 h 45. La ministre et ses fonctionnaires seront alors des nôtres.

La séance est levée.


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