Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 20 - Témoignages
OTTAWA, le mercredi 5 décembre 2001
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-15A, visant à modifier le Code criminel et d'autres lois, se réunit aujourd'hui à 15 h 37 pour l'étude du projet de loi susmentionné.
Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Honorables sénateurs, je constate le quorum. La séance est ouverte. Aujourd'hui, nous amorçons notre étude du projet de loi C-15A.
Le ministre McLellan est avec nous aujourd'hui, une fois de plus. Elle est accompagnée par des fonctionnaires du ministère de la Justice.
Nous vous souhaitons à nouveau la bienvenue, madame le ministre. Je vous prie de commencer.
L'honorable Anne McLellan, ministre de la Justice et procureure générale du Canada: Comme vous le savez, honorables sénateurs, le projet de loi C-15A est un projet de loi omnibus qui contient un certain nombre d'améliorations importantes du système de justice pénale. Je vais tout d'abord vous donner un survol de ses divers éléments.
En premier lieu, le projet de loi contient des mesures qui accordent une protection supplémentaire aux enfants en matière d'exploitation sexuelle, y compris l'exploitation sexuelle par le biais d'Internet. Il contient également des amendements proposés qui visent à renforcer la loi dans les domaines du harcèlement criminel, de l'invasion de domicile et du désarmement d'un agent de police. Également, il contient des amendements au processus d'examen en cas de présomption d'erreur judiciaire, des amendements visant la réforme de la procédure pénale et, enfin, des amendements à la Loi sur la capitale nationale et à la Loi sur la défense nationale.
Je vais maintenant passer tout d'abord à la partie du projet de loi qui vise à assurer à nos enfants une protection additionnelle.
[Français]
Ces articles concrétisent l'engagement pris par le gouvernement dans le discours du Trône au sujet de la protection des enfants contre les criminels sur Internet.
[Traduction]
Les nouvelles technologies ont créé un nouvel environnement. Nous sommes tous conscients de la possibilité d'utiliser la technologie à mauvais escient. Nous savons que des cas d'exploitation d'enfants et de pornographie par le biais d'Internet ont été relevés. Ainsi, même si Internet sert surtout à faire le bien, il peut aussi servir à faire le mal.
Le projet de loi crée l'infraction consistant à leurrer. Il criminalise le fait de communiquer avec un enfant par le truchement d'un système informatique aux fins de faciliter la commission d'une infraction sexuelle à l'égard d'un enfant âgé de moins de 18 ans ou de faciliter l'enlèvement d'un enfant. Les premiers ministres ont manifesté leur soutien à une telle initiative à l'occasion de leur 42e conférence annuelle, tenue en août dernier.
Comme nous le savons tous, le fait de leurrer quelqu'un peut avoir rapport à d'autres contextes et comporter d'autres modalités. Il nous semble important de préciser qu'il s'agit ici du fait de leurrer par le truchement d'Internet, auquel un nombre grandissant de nos enfants ont accès, et ce dès le jeune âge. Les jeunes sont à l'aise sur Internet. Même les parents les plus responsables ne peuvent savoir à tout moment à quoi leurs enfants ont accès sur Internet, avec qui ils communiquent, et quel type de proposition peut leur être faite. Il nous semble donc extrêmement important de faire en sorte que le leurre par Internet soit très nettement criminalisé, afin que la protection de nos enfants soit assurée.
Le projet de loi C15-A protège également l'enfant en élargissant la portée des infractions en matière de pornographie juvénile, de manière à ce que ceux qui font partie du cycle de la pornographie juvénile, de sa création jusqu'à sa consommation, ne puissent se soustraire à leur responsabilité pénale, quel que soit le degré de raffinement de la technologie à laquelle ils ont recours. Ainsi, quatre nouvelles infractions en matière de pornographie juvénile seront créées et l'infraction consistant à posséder du matériel aux fins de vente ou de distribution sera élargie pour englober les nouvelles infractions. Le projet de loi créera deux infractions qui vont englober les situations qui ne seraient pas nécessairement visées par la distribution au sens légal du terme - l'infraction de transmettre de la pornographie juvénile, soit le fait par exemple de transmettre du matériel pornographique par courriel d'une personne à une autre, et celle de le rendre disponible pour ainsi viser ceux qui affichent de la pornographie juvénile sur un site Web sans aller jusqu'à la distribuer à d'autres.
[Français]
Dans le projet de loi, nous proposons aussi de créer le délit d'exploitation de la pornographie juvénile. Cette disposition nous permettra de remplir nos obligations aux termes d'instruments internationaux. L'Internet ne connaît pas de frontières et la collaboration internationale est la seule façon de mettre fin à la pédopornographie sur Internet.
[Traduction]
Le projet de loi crée une infraction consistant à accéder à de la pornographie juvénile, de manière à viser les personnes qui visionnent intentionnellement - et ici le mot «intentionnellement» est d'une extrême importance - de la pornographie juvénile sur Internet sans qu'elle ne soit en leur possession légale étant donné qu'ils n'exercent aucun contrôle sur le matériel. Selon ce qui est prévu au projet de loi, serait réputée avoir accédé à de la pornographie juvénile toute personne qui, sciemment, fait en sorte que de la pornographie juvénile soit visionnée par elle ou lui soit transmise. La définition garantit que le visionnement par inadvertance ne sera pas visé par l'infraction.
On s'est inquiété de cet aspect à la Chambre des communes et il se peut qu'il en soit de même ici. Il n'est pas question ici du fait de visionner par inadvertance un contenu qui pourrait être assimilé à de la pornographie juvénile. Nous parlons de personnes qui, sciemment, accèdent à du matériel de cette nature et font en sorte de le visionner ou de se le faire transmettre.
Au cours du débat en deuxième lecture, une erreur de rédaction a été constatée, par le sénateur Nolin, je crois. Les moyens de défense ayant rapport au mérite artistique, aux fins éducatives, scientifiques ou médicales et à la défense du bien public, qui s'appliquent à toutes les autres infractions en matière de pornographie juvénile, ne s'appliquent pas à l'infraction consistant à accéder. C'est le résultat d'un oubli au moment de la rédaction. Les paragraphes 163.1(6) et (7), qui visent les moyens de défense, auraient dû être modifiés pour englober le renvoi à une infraction aux termes de l'article 4.1 proposé, à savoir l'infraction consistant à accéder à de la pornographie juvénile. Nous allons donc proposer un amendement de manière à ce que les moyens de défense auxquels on peut avoir recours à l'heure actuelle pour ce qui est de toutes les autres infractions en matière de pornographie juvénile s'appliquent également à l'infraction consistant à accéder à de la pornographie juvénile selon l'article 4.1 proposé.
J'aimerais apporter des précisions concernant la situation juridique des fournisseurs de services Internet, ou FSI, comme on les appelle souvent. Comme c'était le cas concernant les infractions existantes en matière de pornographie juvénile, les FSI qui n'ont aucune connaissance ou n'exercent aucun contrôle sur de la pornographie juvénile transmise ou entreposée par leurs serveurs ne pourront être tenus responsables de la transmettre ou de la rendre disponible. Le projet de loi n'exige pas des FSI qu'ils surveillent le matériel transmis par le truchement de leurs serveurs. Une telle exigence soulèverait des questions de fond en matière de protection de la vie privée des usagers d'Internet et imposerait un fardeau excessif aux FSI. Je crois savoir que ces derniers collaborent déjà avec les responsables de l'application des lois. Je m'attends à ce qu'ils continuent d'agir de la sorte.
Je tiens à préciser également que les nouvelles infractions n'autoriseront pas les services policiers à contrôler ce que les gens regardent sur leur ordinateur. Les agents de police ne peuvent effectuer de perquisition de l'ordinateur d'une personne ou intercepter certaines communications qu'après avoir obtenu d'un juge un mandat, dans les cas où ils ont des motifs raisonnables de croire qu'ils trouveront de la pornographie juvénile sur l'ordinateur en question. Il s'agit ici de la norme habituelle en droit pénal lorsque l'on sollicite la délivrance d'un mandat de perquisition.
Du fait des nouvelles technologies, la pornographie juvénile est un problème d'envergure planétaire. Un pays donné peut difficilement agir seul lorsque les images se déplacent librement d'un pays à l'autre et lorsque les résidents d'un pays peuvent facilement stocker leur matériel sur un serveur situé dans un autre pays. Ainsi, nos efforts de lutte contre la pornographie juvénile doivent aller de pair avec ceux de la collectivité internationale. Nous participons à plusieurs initiatives internationales. Je pense notamment à l'élaboration de la Convention sur la cybercriminalité du Conseil de l'Europe. Selon l'une des dispositions de cette convention, il est exigé des parties qu'elles légifèrent en matière d'infractions concernant la pornographie juvénile commise par le truchement d'un système informatique. Le Canada a signé la convention le 23 novembre 2001, soit le premier jour de signature, de même que 30 autres pays, y compris l'ensemble de nos partenaires du G-7.
En février dernier, à la conférence des ministres de la justice du G-8, tenue à Milan, ces derniers ont invité les experts à explorer la possibilité de créer une base de données du G-8 visant à contrer l'exploitation sexuelle des enfants. Depuis lors, les experts canadiens ont collaboré avec ceux des pays du G-8 pour étudier les répercussions d'ordre technique, juridique et pratique d'une telle base de données. Une étude de faisabilité sera bientôt lancée et la première d'une série de réunions d'experts à venir sera tenue à Ottawa en février 2002.
Quelques mots maintenant concernant le tourisme sexuel visant les enfants, un problème soulevé par certaines personnes qui travaillent auprès des enfants. Le sénateur Pearson est tout à fait sensibilisée aux défis que pose le phénomène, ainsi qu'à la question plus générale de l'exploitation sexuelle des enfants.
Permettez-moi de rappeler à mes collègues, étant donné que cela a rapport à nos obligations internationales, que le 10 novembre 2001, comme le sait fort bien le sénateur Pearson, le Canada a signé le protocole facultatif relevant de la Convention relative aux droits de l'enfant et concernant la vente d'enfants, la prostitution juvénile et la pornographie juvénile. Le protocole facultatif étoffe les articles 34 et 35 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant. Ce protocole facultatif définit une norme plus rigoureuse visant la protection de l'enfant contre l'exploitation: ainsi pourrons-nous ajouter à notre arsenal un instrument nouveau et important pour combattre l'exploitation sexuelle de l'enfant, y compris la pornographie juvénile. Je tiens à ce que les honorables sénateurs sachent qu'en plus d'exercer des efforts ici au Canada, nous collaborons très activement avec nos collègues un peu partout dans le monde à faire en sorte qu'il existe des accords et des systèmes multilatéraux qui nous permettront d'assurer la protection de nos enfants.
Permettez-moi tout d'abord de vous préciser que le tourisme sexuel visant les enfants n'a rien à voir avec Internet. Cependant, il s'agit d'un phénomène important. En effet, mon prédécesseur, Allan Rock, a apporté des modifications au Code criminel à ce sujet il y a déjà un certain nombre d'années. Nous proposons maintenant de modifier ces dispositions. Les tribunaux canadiens seraient ainsi en mesure d'exercer leur juridiction sur les Canadiens ayant commis durant un séjour à l'étranger des infractions à caractère sexuel visant des enfants. À l'heure actuelle, sauf pour les infractions en matière de prostitution juvénile, les Canadiens ne peuvent être poursuivis qu'au Canada à partir d'une demande en ce sens de la part d'un pays étranger où l'infraction a été commise et ce avec le consentement du procureur général.
Dans le projet de loi C-15A, il est proposé de simplifier le processus en éliminant l'exigence d'une demande officielle de la part d'un pays étranger, ce qui permettrait de lancer plus rapidement les poursuites au Canada.
Le gouvernement convient de la nécessité de nouvelles mesures visant à mieux protéger nos enfants de l'exploitation sexuelle. Le gouvernement est soucieux également de profiter des possibilités qu'offrent la mondialisation et l'évolution technologique. Le projet de loi C-15A nous permet concrètement de lutter contre l'exploitation sexuelle sans pour autant faire obstacle à l'évolution technologique.
J'aimerais maintenant aborder la question du harcèlement criminel, question que vous avez étudiée ici au Sénat de façon fort détaillée du fait que le sénateur Oliver a déposé un projet de loi d'initiative parlementaire sur la question. Le harcèlement criminel est un acte grave. Nous en avons encore vu la confirmation la semaine dernière.
L'effet du harcèlement criminel sur les victimes peut être aussi dévastateur que durable. Nous savons également que personne n'est à l'abri du harcèlement criminel. Les gens s'imaginent souvent que cela arrive aux vedettes ou aux personnalités connues. Cependant, d'après les statistiques du Canada, ce sont très nettement les femmes qui sont les victimes de ce type de crime, soit dans huit cas sur 10, et les hommes qui en sont les perpétrateurs, soit dans huit cas sur 10 également. Bien souvent, la victime et le harceleur ont eu des rapports antérieurement.
Il est proposé dans le projet de loi C-15A de faire passer la peine maximum pour l'infraction de harcèlement criminel de cinq ans à 10 ans, de manière à ce que le droit criminel reflète avec plus d'exactitude la gravité de l'infraction. Je constate avec satisfaction que la proposition bénéficie de l'appui très ferme de mes homologues des provinces et des territoires. Il s'agit du premier volet de notre engagement visant à faire en sorte que le système de justice pénale considère comme une infraction grave le harcèlement criminel.
L'autre volet de notre engagement prend la forme d'un manuel destiné aux agents de police et aux procureurs de la Couronne. Ce manuel qui porte sur le harcèlement criminel fournit aux policiers, au ministère public et aux autres responsables de la justice pénale des lignes directrices complètes et pratiques concernant tous les aspects du harcèlement criminel, y compris celui de la sécurité de la victime.
Les lignes directrices, communiquées en décembre 1999, ont été élaborées de concert avec nos partenaires des provinces et des territoires et elles ont été largement diffusées partout au pays. La décision de créer le manuel a été prise à la suite d'un examen par le ministère de la Justice de la mise en application des dispositions de 1993 concernant le harcèlement criminel. Les résultats de l'examen ont été publiés en 1997.
J'ai en main des exemplaires du manuel en anglais et en français et je vais en déposer un auprès du comité. Il s'agit d'un manuel qui s'est avéré fort utile aux procureurs de la Couronne, aussi bien qu'aux agents de police. Je sais par ailleurs que l'Association canadienne des policiers va comparaître devant vous. Ses représentants pourront vous informer de l'utilité du manuel. Il a été conçu en partenariat avec les policiers et les procureurs.
Dans son discours à l'étape de la deuxième lecture du projet de loi, le sénateur Nolin a souligné l'aspect critique non seulement de la définition, mais aussi de la mise en application du Code criminel concernant cette disposition. Voilà pourquoi un manuel a été conçu. Il vise à faciliter la mise en application de la disposition pertinente, à faire en sorte que les gens comprennent la nature et la gravité de l'infraction et que les agents de police aussi bien que les procureurs, où qu'ils soient au Canada, fondent leur travail sur les mêmes concepts et les mêmes normes. Il s'agit d'un domaine que nous continuons à surveiller de très près. Nous sommes tous sensibilisés à la nécessité d'y affecter les ressources voulues. Il importe pour nous de surveiller tout l'aspect de la mise en application, même compte tenu des changements que je propose par le truchement du manuel. Autrement dit, il importe de savoir dans quelle mesure et comment les dispositions sont appliquées. Si elles ne le sont pas, nous devons comprendre pourquoi. Il va donc falloir à cet égard une surveillance continue de la mise en application étant donné que le harcèlement criminel continue d'être un problème très grave aux conséquences tragiques. La question est importante et nous savons qu'il n'y a pas de solutions faciles. Nous devrons donc tous continuer à travailler de concert à cet égard.
Je tiens à remercier le sénateur Oliver du travail qu'il a effectué concernant son projet de loi d'initiative parlementaire. Il a permis d'attirer davantage l'attention sur le harcèlement et de faire en sorte que ce phénomène soit généralement mieux connu.
C'est d'ailleurs ce que nous nous proposons de faire en matière de harcèlement criminel.
[Français]
Les honorables sénateurs savent certainement que ce projet de loi traite de l'invasion de domicile. L'amendement proposé veut faire en sorte que l'invasion de domicile soit considérée comme étant un facteur aggravant duquel le juge devrait tenir compte au moment de la détermination de la peine.
De plus, cet amendement démontre clairement que le gouvernement considère que l'invasion de domicile est un crime grave pour lequel il faut prévoir de sérieuses sanctions.
[Traduction]
À notre avis, le fait d'appliquer la notion de circonstances aggravantes en matière de détermination de la peine correspond à une approche à la fois équilibrée et raisonnable, pour ce qui est de la question de l'invasion de domicile. L'amendement proposé reflète le fait que l'invasion de domicile est un acte grave qui doit faire l'objet de peines importantes. Selon nous, il n'est pas nécessaire de créer une infraction distincte. En réalité, ce type de comportement est déjà visé par des infractions existantes prévues au Code criminel, comme l'introduction par effraction, le vol et les voies de fait. Les tribunaux traitent déjà ce type de conduite comme il se doit.
À cet égard, les Cours d'appel ont certainement transmis aux instances inférieures du Canada certaines instructions concernant les situations que nous décrivons comme étant des invasions de domicile. Nous constatons que les Cours d'appel font augmenter les peines. La Cour d'appel du Québec en a porté une de 10 à 14 ans. Au Manitoba, une peine a été portée de 5 à 8 ans. En Nouvelle-Écosse, une peine de 15 ans a été maintenue à l'étape de l'appel. Il en a été de même en Alberta pour une sentence de 10 ans à l'étape de l'appel. Ainsi, les Cours d'appel font-elles savoir très clairement que l'invasion de domicile constitue une circonstance aggravante. Il ne convient pas à cet égard de créer une nouvelle infraction. La démarche qui s'impose consiste à faire savoir aux instances inférieures par le truchement de notre amendement proposé que nous considérons qu'il s'agit là de circonstances aggravantes.
Permettez-moi maintenant de vous parler brièvement du fait de désarmer un agent de police. Le projet de loi C-15 a créé pour la première fois dans notre Code criminel une infraction nouvelle et distincte, celle de désarmer ou de tenter de désarmer un agent de police dans l'exercice de ses fonctions. Je tiens à remercier l'Association canadienne des policiers d'avoir appuyé fermement cet amendement. La nouvelle infraction viserait toute personne qui tente d'enlever son arme à un agent de police alors que ce dernier est dans l'exercice de ses fonctions. L'infraction pourrait valoir à son auteur une peine maximum de cinq ans. Nous estimons qu'il s'agit là d'une peine qui reflète la gravité de l'infraction et qui fait savoir très clairement qu'il n'est pas du tout acceptable d'enlever son arme à un agent de police. Je n'ai pas à expliquer aux sénateurs que les agents de police risquent tout particulièrement de se faire enlever leur arme au moment où ils sont en train d'arrêter une personne. La personne peut tenter d'enlever son arme au policier, ce qui risque d'avoir des conséquences tragiques.
Sont également prévus au projet de loi C-15A des amendements très importants qui concernent le processus de révision des condamnations après appel au Canada. Nous avons l'habitude de parler dans ce cas du «processus relatif à l'article 690». Le processus de révision des condamnations vise les personnes qui ont déjà épuisé toutes les autres possibilités d'appel judiciaire et qui prétendent qu'elles ont été condamnées injustement.
À l'heure actuelle, les demandes de révision de condamnation après appel sont adressées au ministre de la Justice fédéral qui détermine, en se fondant sur de nouveaux renseignements qui n'étaient pas disponibles au moment du procès ou de l'appel, s'il convient que l'affaire soit soumise à nouveau au système judiciaire. Le processus de révision est le dernier filet de sécurité dont disposent les personnes qui sont victimes de condamnations injustifiées. Il permet, le cas échéant, que certaines affaires soient soumises à nouveau au système judiciaire.
Après avoir évalué attentivement les mémoires reçus et étudié soigneusement la commission d'examen des affaires criminelles, créée au Royaume-Uni en 1997, j'en suis arrivée à la conclusion que le processus qui convenait le mieux au système canadien était celui qui vous a été soumis dans le cadre du projet de loi C-15A. J'en suis ainsi arrivée à la conclusion que la responsabilité ultime en matière de prise de décisions relatives à la révision des condamnations pénales doit être celle du ministre fédéral de la Justice, qui doit rendre des comptes au Parlement et à la population canadienne. Cette solution assure la reconnaissance et le maintien de la juridiction traditionnelle des tribunaux, tout en assurant un recours équitable dans les cas exceptionnels où la justice n'aurait pas été bien rendue.
Pour un bon nombre de raisons, j'en suis arrivée à la conclusion qu'il ne convenait pas, dans le contexte canadien, d'établir un organisme officiel distinct pour la révision des condamnations. Notre expérience en matière de condamnations injustifiées a peu rapport à celle du Royaume-Uni, où par exemple, on a créé la Commission d'examen des affaires criminelles à cause d'une apparence de conflit d'intérêt chez le secrétaire de l'Intérieur, responsable aussi bien des services policiers et du régime carcéral que de l'examen des allégations de condamnation injustifiée. Dans bon nombre de cas également, il y avait des allégations de mauvaise conduite de la part de la police. On peut donc comprendre ce qui a suscité des allégations de conflit d'intérêts.
En ma qualité de ministre de la Justice, je ne suis pas dans une situation d'apparence de conflit d'intérêt comme l'était le secrétaire de l'Intérieur du Royaume-Uni. Au Canada, la police et le système carcéral ne relèvent pas du ministère de la Justice. De plus, au Canada, les procureurs généraux des provinces assument une bonne partie de la responsabilité en matière de poursuites.
Depuis son lancement en 1997, la Commission d'examen des affaires criminelles du Royaume-Uni a reçu environ 1 000 demandes par année. D'ailleurs, dès le début de ses activités, la commission a été inondée de demandes, dont la plupart ont été jugées futiles ou vexatoires. Ici au Canada, en ma qualité de ministre responsable de la révision des cas de condamnation présumément injustifiée, je reçois environ 70 demandes de révision par année.
Cependant, ayant décidé qu'il n'était pas nécessaire de créer un organisme distinct pour l'examen des condamnations au Canada, je dois dire que je me suis laissée convaincre par le processus de consultation qu'il ne fallait pas maintenir le système actuel de révision des condamnations et que des modifications à la loi actuelle s'imposaient. Ainsi, dans le projet de loi C-15A, on vise à améliorer le processus actuel de révision des condamnations présumément injustifiées au Canada en le rendant plus efficace, plus ouvert et mieux assujetti au principe de la responsabilité.
La commission du Royaume-Uni reçoit à l'heure actuelle des crédits équivalents à environ 12,4 millions de dollars canadiens par année. Malgré un effectif de 80 personnes, elle accuse un arriéré d'environ 460 affaires, comparativement aux 69 cas environ sur lesquels notre groupe de révision des condamnations doit se pencher.
Dans son libellé actuel, l'article 690 du Code criminel ne précise pas le moment où une personne peut faire une demande de révision de condamnation. Les modifications proposées dans le projet de loi C-15A précisent le moment de l'admissibilité à présenter une demande de révision. La personne doit avoir épuisé toutes les possibilités d'appel. Il devient désormais clair que la révision des condamnations n'est pas une solution de rechange au système judiciaire. Il y a lieu de dissiper tout malentendu au sujet du processus relatif à l'article 690.
Il importe d'énoncer les exigences de procédures en matière de révision de condamnation, étant donné que, à l'heure actuelle, ni le processus de demande, ni les exigences documentaires ne sont suffisamment précisées. Les modifications proposées permettent d'édicter la réglementation qui déterminera la nature et la forme de l'information et des documents nécessaires dans le cadre d'une demande de révision de condamnation. Ainsi le processus sera-t-il plus accessible.
Certains se sont plaints du caractère secret du processus de révision actuel, du fait que les demandeurs ne sont pas au courant du processus de révision. Selon les modifications proposées, il est prévu que les étapes de la révision seront énoncées dans la réglementation. Les demandeurs seront ainsi mieux en mesure de comprendre le processus de révision des condamnations dans son ensemble. Également, les modifications proposées énoncent clairement les facteurs qui seront considérés pour déterminer dans quelle mesure un demandeur peut avoir droit à un recours. Par conséquent, le ministre de la Justice aura une responsabilité plus claire dans le cadre du processus des révisions des condamnations.
Dans son libellé actuel, l'article 690 ne prévoit aucun pouvoir d'enquête. Les modifications apportées au processus de révision des condamnations auront pour effet d'attribuer des pouvoirs d'enquête aux personnes qui agiront en mon nom. Ainsi, pour la première fois, les enquêteurs pourront obliger des témoins à comparaître et pourront imposer le dépôt de documents. Le processus de révision sera ainsi rendu plus complet, plus efficace et plus rapide.
Dans le but d'accroître la transparence du processus de révision des condamnations, les ministres de la Justice devront fournir un rapport annuel au Parlement concernant les demandes de révision.
À l'heure actuelle, le Code criminel limite les révisions de condamnation aux personnes qui ont été condamnées pour les actes criminels les plus graves. Étant donné que toute condamnation injustifiée est non seulement inacceptable mais menace également la confiance du public dans notre système de justice, le projet de loi C-15A propose que le processus de révision des condamnations soit élargi de manière à englober toute condamnation au fédéral. Cela veut dire que le pouvoir de revoir les condamnations prétendument injustifiées sera élargi pour englober la révision des condamnations par procédure sommaire.
J'ai également l'intention d'apporter certains changements d'ordre administratif pour améliorer le service de révision des condamnations, de manière à rendre le processus plus ouvert, plus accessible et plus conforme aux exigences de responsabilité. Le service de révision des condamnations sera élargi pour englober des enquêteurs, et les demandeurs auront accès à des renseignements sur le processus par le truchement d'un site Web. On nommera un conseiller spécial provenant de l'extérieur du ministère de la Justice qui sera chargé de surveiller la révision des condamnations présumément injustifiées et qui dirigera au sein de mon ministère le service d'enquête chargé des enquêtes relatives à la révision des condamnations. Cette personne recrutée à l'extérieur du ministère relèvera de moi directement, ce qui assurera une plus grande indépendance par rapport au ministère.
Je suis convaincue que les modifications proposées améliorent de la façon la plus efficace possible le processus de révision extrajudiciaire des condamnations après appel au Canada.
Madame la présidente, d'autres changements sont également proposés. Ils ne sont pas sans importance mais, compte tenu des contraintes de temps, permettez-moi de vous dire rapidement que, grâce au projet de loi C-15A, nous assurons la mise en oeuvre de la troisième phase de notre réforme de la procédure pénale. Il s'agit d'un processus entrepris en consultation avec les provinces et les territoires. Nous avons tenu de vastes consultations, notamment auprès des avocats criminalistes. Certains d'entre eux voudront peut-être communiquer avec vous au sujet des propositions à l'étude.
Nous simplifions le processus des enquêtes préliminaires. Nous modernisons le Code criminel de manière à permettre le recours à des technologies qui permettront, par exemple, le témoignage par vidéoconférence en cas de besoin. Ainsi, certaines personnes pourront témoigner à partir d'endroits éloignés sans être présentes dans la salle d'audience. Il s'agit là de modifications importantes de notre procédure pénale.
Il s'agit, je le répète, d'une troisième phase, et le processus se poursuit. D'autres phases de modernisation de notre procédure pénale sont prévues, et le processus se poursuivra dans le respect des droits des accusés.
Je vous signale également, madame la présidente, certaines propositions de modifications mineures à la Loi sur la capitale nationale et à la Loi sur la défense nationale. Je n'en dirai pas davantage à ce sujet. Je dirai tout simplement qu'il ne s'agit pas de modifications corrélatives. Cependant, elles ont certainement de l'importance pour les deux ministres qui m'ont demandé de les intégrer à cette mesure omnibus.
[Français]
Je vous invite à poser des questions à propos de ce projet de loi.
[Traduction]
Le sénateur Nolin: Merci, madame la ministre, d'avoir accepté notre invitation de comparaître à nouveau devant notre comité. Je vous remercie d'avoir écouté et lu mes commentaires de deuxième lecture.
Mme McLellan: Je les ai lus hier soir.
Le sénateur Nolin: Bon. Je crois qu'il y a eu une légère erreur de rédaction.
Mme McLellan: Nous convenons de la nécessité d'un amendement.
Le sénateur Nolin: Madame la présidente, ce projet de loi comporte divers sujets. Voulez-vous que nous les abordions l'un après l'autre, ou bien tous ensemble?
La présidente: Posez vos questions et nous allons ensuite demander à la ministre de répondre à chacune d'entre elles.
Le sénateur Nolin: Je vais donc passer d'un sujet à l'autre.
Comme vous l'avez constaté en prenant connaissance de mes commentaires, j'avais également soulevé la question du fournisseur de service. Je suis convaincu que vous ne voulez pas laisser entendre que sans intention coupable, il...
Mme McLellan: Pas du tout.
Le sénateur Nolin: Voici donc l'aspect qui m'inquiète et qui inquiète aussi, j'en suis convaincu, les FSI. Comment pouvons-nous donc les protéger et nous assurer que l'infraction que nous créons ne les frappe pas fortuitement? Évidemment, ils sont responsables de la distribution. De toute évidence, ils seront visés par une infraction si nous ne veillons pas de façon méticuleuse à protéger les intérêts de ces personnes qui, de bonne foi, participent à l'évolution technologique de notre pays. Et j'ajoute du même souffle qu'il y a évidemment certaines personnes au Canada et à l'étranger qui commettent de graves infractions en rendant disponible la pornographie juvénile.
Comment pouvons-nous donc assurer la protection des fournisseurs de service?
Mme McLellan: Vous n'ignorez pas que le comité de la Chambre a longuement discuté de cette question. Les fournisseurs de service Internet ont proposé trois mesures qui permettraient peut-être de préciser leur situation.
Je cède la parole à Mme Lafontaine parce qu'elle travaille avec les fournisseurs de service Internet, entre autres. Nous croyons que le projet de loi, dans sa forme actuelle, ne sera pas interprété de façon à inclure sans le vouloir les fournisseurs de service Internet dans les infractions relatives à la pornographie juvénile. Toutefois, je suis certainement consciente des préoccupations des fournisseurs de service Internet. Nous voulons collaborer avec eux. Je dois dire que, jusqu'à maintenant, ils se sont montrés très coopératifs. Nous ne voudrions pas les mettre en difficulté sans le vouloir.
Sur ce, je cède la parole à Mme Lafontaine qui vous en dira plus long sur ce sujet.
Mme Lisette Lafontaine, avocate-conseil, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice: Les fournisseurs de service Internet ont exprimé deux inquiétudes. La première concerne leur responsabilité criminelle. La seconde est de nature technique.
[Français]
En ce qui concerne leur responsabilité, le problème que voyaient les compagnies était le fait que dans l'infraction d'accéder à la pornographie juvénile, on définissait le terme «accéder» comme étant «regarder sciemment», causer volontairement la possibilité de voir la pornographie juvénile. Et parce qu'on utilisait l'expression «sciemment» dans la définition de l'infraction d'accéder, les fournisseurs de services avaient peur que l'on puisse dire qu'ils transmettaient la pornographie juvénile sans le savoir. Évidemment, toutes ces infractions sont des infractions de mens rea et la loi ne dit pas que l'infraction d'accéder doit être commise sciemment. Elle dit que l'infraction est tout simplement d'accéder, comme l'infraction de transmettre est tout simplement de transmettre, non pas de transmettre sciemment. Le problème réside uniquement dans la présence du terme «sciemment» dans la définition du terme «accéder». Je crois que les compagnies sont rassurées par la déclaration de la ministre de la Justice au Comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles et au comité de la Chambre des communes, indiquant clairement que l'intention du Parlement n'est pas de les rendre responsables dans le cas où ils ne sont pas au courant.
Le sénateur Nolin: Est-ce que techniquement cela peut se faire?
Mme Lafontaine: Parmi les problèmes soulevés par les compagnies, il y avait celui des copies multiples dans les cas des mises à jour automatiques, au moment où, tous les soirs, le système copie son propre contenu. Les fournisseurs de services disaient qu'ils ne savaient pas nécessairement combien de copies ils avaient et où elles étaient situées. On admet qu'ils devront travailler un peu pour chercher cette information.
Ce problème n'est pas causé par ce projet de loi: il existe déjà lorsque la police avise les fournisseurs de services que leur site contient de la pornographie juvénile. S'ils ne font rien pour remédier au problème, ils sont en possession de pornographie juvénile qui, en soi, est une infraction. C'est un problème que les compagnies connaissent déjà et qui n'est pas résolu par le projet de loi C-15A. Par contre, le projet de loi C-15A leur fournit un processus par lequel les fournisseurs de services peuvent remédier au problème dans les circonstances les plus difficiles, c'est-à-dire dans les cas où on ne sait pas qui a placé la pornographie sur Internet.
L'autre problème que les fournisseurs de services ont soulevé c'est qu'ils ne peuvent pas garantir que le matériel qu'ils enlèvent ne sera pas réinséré par quelqu'un d'autre. En fait, ils ont l'obligation de retirer le matériel pornographique au moment où la cour l'exige. Comme on ne les oblige pas à surveiller ce qui se passe sur leur système, ils ne peuvent être tenus responsables de ce qui s'est produit suite à l'ordonnance de la cour.
[Traduction]
Le sénateur Nolin: Vous vous souviendrez que, il y a quelques années, le CRTC avait affirmé que le système était trop compliqué et qu'il ne voulait pas intervenir. Qu'est-ce qui a changé au sein du ministère de la Justice depuis cette affirmation du CRTC? Aujourd'hui, vous dites que vous pouvez intervenir dans ce nouveau domaine de la technologie pour essayer d'atteindre les véritables contrevenants, non seulement au Canada mais aussi à l'étranger. Avez-vous discuté avec vos collègues étrangers pour améliorer le système, non seulement au Canada mais aussi ailleurs?
Mme McLellan: Dans les faits - Mme Lafontaine me corrigera si je me trompe puisque c'est elle l'experte dans ce domaine -, nous ne réglementons pas vraiment les FSI. Nous ciblons les usagers de la technologie, du médium mis à disposition par les FSI. Nous visons ceux qui veulent avoir accès à de la pornographie juvénile, en transmettre ou en posséder, notamment.
Nous avons parlé d'autoriser les tribunaux à ordonner la suppression de matériel jugé pédopornographique d'un site Web. Au-delà de cela, il n'y a aucune tentative de réglementer l'Internet au sens où l'entendait le CRTC. Les FSI continueront de faire ce qu'ils font. Ils s'imposent volontairement l'autosurveillance et l'autoréglementation. À ce chapitre, ils travaillent en collaboration avec Industrie Canada. Je crois que nous sommes tous d'accord pour dire que la réglementation volontaire, du moins pour l'instant, semble être la meilleure approche. Tout le monde s'entend là-dessus. Je ne crois pas que les FSI aient des objections graves contre les buts que nous visons. Ils ne veulent pas afficher de pornographie juvénile dans leur site. Ils veulent faire en sorte qu'ils ne seront pas accusés d'infractions criminelles commises à leur insu et inintentionnellement. Ils souhaitent autant que quiconque nettoyer leurs sites. Après avoir examiné le matériel qui lui est soumis, et suivant l'enquête, si le tribunal juge qu'il s'agit de pornographie juvénile, alors le FSI devra supprimer ce matériel. Si le tribunal détermine qu'il ne s'agit pas de pédopornographie, le matériel sera affiché de nouveau dans le site.
Nous ne réglementons pas ce domaine. Les obligations faites aux FSI sont minimales. Je crois comprendre qu'il s'agit d'obligations que les fournisseurs de service acceptent d'assumer, et qu'ils considèrent importantes.
Quant au volet international, vous avez raison. Il nous faut adopter une approche multilatérale pour collaborer le plus possible avec les organismes d'exécution de la loi à l'étranger afin de faciliter les enquêtes visant à trouver ceux qui affichent ce type de matériel sur leur site. Les données peuvent être affichées par un Canadien sur un site californien. Encore une fois, nous devons veiller à ce que nos organismes d'exécution de la loi collaborent étroitement. Il s'agit parfois d'enquêtes complexes. Quelquefois, il est possible de faire disparaître la preuve en appuyant sur une touche.
En collaboration avec le G-8 et avec les Américains, nous essayons de trouver des solutions à ces problèmes, qui ne se limitent d'ailleurs pas à la pornographie juvénile. Cela relève de la grande rubrique de cybercriminalité, telle que définie par l'Union européenne. Nous avons collaboré très étroitement avec l'Union européenne dans ce dossier.
Vous avez tout à fait raison, il nous faut mettre de l'ordre dans nos lois nationales, et pas seulement pour régler le problème chez nous. Si nos lois nationales sont en ordre, cela facilitera également la tâche aux autres pays dans leurs enquêtes. Comme nous l'avons vu récemment, le Royaume-Uni entreprend une vaste enquête sur les réseaux planétaires de pornographie juvénile. Je ne peux en discuter; c'est une enquête de la GRC. Certes, les journaux ont affirmé que des Canadiens y étaient impliqués. C'est à la GRC de vérifier ces informations. Toutefois, je crois que cela illustre la nature mondiale et multilatérale des enquêtes qui se déroulent aujourd'hui. Il nous faut mettre de l'ordre chez nous. Les autres pays doivent en faire autant pour que nous puissions mieux faire le travail de la répression. La reconnaissance mutuelle ou réciproque des mandats, entre autres, soulève des difficultés et des problèmes de souveraineté dans certains cas. Nous venons d'aborder certains de ces problèmes dans le but de faciliter le travail des services policiers et les poursuites.
Le sénateur Pearson: Comme vous le savez, à la fin de la semaine prochaine je vais assister au Congrès mondial contre l'exploitation sexuelle des enfants à fins commerciales à Yokohama. Globalement, je suis fière de ce que j'aurai à y dire sur le chemin parcouru par le Canada au cours des cinq dernières années, depuis la réunion de Stockholm.
Dans des rapports évaluant le Canada à ce chapitre, trois questions ont été publiées. En ce qui me concerne, je crois que ces questions se fondent sur des malentendus. Pourriez-vous faire une mise au point à leur sujet? Cela serait utile à ceux d'entre nous qui seront appelés à défendre nos intérêts là-bas.
Ma première question se rapporte à l'affaire Sharpe. Je crois comprendre que ce projet de loi se veut, jusqu'à un certain point, une réponse à cet arrêt. Ceux qui croient que l'arrêt de la Cour suprême dans l'affaire Sharpe a eu pour effet de casser notre loi antipornographie font erreur. Il y a là une réelle méprise. J'aimerais entendre votre point de vue à ce sujet.
Mme McLellan: En fait, la Cour suprême du Canada a confirmé notre loi antipornographie. À notre avis, il s'est agi d'une victoire importante, si vous voulez, pour les enfants et les services policiers qui font enquête sur les allégations de pornographie juvénile.
À la lumière de l'arrêt Sharpe, il nous faut surveiller cette situation de très près. Nous en avons parlé à nos homologues provinciaux et territoriaux. Il nous faut suivre cela de près afin de voir s'il y a des failles importantes dans le système juridique actuel, y compris le Code criminel, que viennent compléter les dispositions que vous avez devant vous.
Jusqu'ici, rien ne porte à croire que l'arrêt Sharpe a ouvert des brèches qui occasionnent des problèmes aux services policiers et aux procureurs. Si ces problèmes se concrétisaient, il faudrait de toute évidence étudier la question et colmater les brèches éventuelles.
Jusqu'à maintenant, toutefois, la loi actuelle n'a pas été remise en question par la Cour suprême de façon générale. Le projet de loi que nous étudions aujourd'hui vient compléter le système de façon significative. Nous continuerons à suivre la situation de près.
C'est une grave erreur de croire que la Cour suprême du Canada a invalidé notre loi antipornographie. En fait, la Cour suprême du Canada l'a confirmée.
Mme Lafontaine: Les exceptions prévues par la Cour suprême sont très circonscrites. Nous croyons qu'elles ne s'appliqueront que dans de rares cas. À notre connaissance, personne n'a encore invoqué ces exceptions.
Mme McLellan: L'une de ces exceptions, par exemple, vise le matériel expressif créé par l'intéressé seul et conservé par ce dernier exclusivement pour son usage personnel. En effet, si ce matériel était partagé ne serait-ce qu'avec un seul membre de la famille, l'auteur serait coupable d'une infraction criminelle.
Mme Lafontaine: L'autre exception vise les enregistrements privés d'une activité sexuelle légale. La Cour suprême voulait s'assurer d'inclure le cas d'un jeune de 16 ou 17 ans qui a des relations sexuelles et devrait avoir le droit d'en faire un enregistrement s'il le souhaite. Ces exceptions sont très circonscrites.
Mme McLellan: Par exemple, nos lois permettent à une personne de 16 ans de se marier dans la plupart des provinces. La Cour suprême veut éviter que deux jeunes de 17 ans, qui auraient le droit licite de se marier dans la plupart des provinces, ne soient accusés d'infraction de pornographie juvénile parce qu'ils se sont photographiés l'un l'autre.
Les exceptions mises de l'avant par la Cour suprême sont très circonscrites. Jusqu'ici, elles n'ont pas occasionné de problèmes aux autorités chargées de l'application de la loi. Nous avons entrepris de suivre la situation, en collaboration avec les autorités provinciales et territoriales et les services policiers.
Si l'une ou l'autre de ces deux exceptions restreintes crée un problème, nous aviserons. Toutefois, l'exception visant le matériel expressif créé par l'intéressé seul et conservé par ce dernier exclusivement pour son usage personnel peut entraîner des difficultés. Personne ne souhaite empêcher les gens de penser. Je crois que la Cour a exprimé cette idée raisonnablement.
Le sénateur Pearson: C'est une remarque utile.
Mme McLellan: Madame le sénateur, je ne sais pas si nous vous avons transmis par écrit une mise au point sur ce sujet. Si cela n'a pas encore été fait, nous le ferons.
Le sénateur Pearson: Votre témoignage nous a éclairés.
La deuxième question se rapporte au fait que certaines infractions créées par le projet de loi sont liées à l'âge requis pour le consentement. Vous avez dit que toutes les infractions liées à l'exploitation sexuelle sont identiques, à condition qu'il n'y ait pas utilisation d'un médium électronique. Ai-je bien compris?
Mme McLellan: Oui.
Le sénateur Pearson: Pour moi, ça ne pose pas de problème, mais il y en a qui se demandent comment l'âge requis pour le consentement est envisagé dans le contexte de ce projet de loi.
Mme McLellan: L'âge requis pour le consentement est une question importante mais distincte parce qu'elle se pose dans de nombreux articles du Code criminel. Il est vrai qu'il y a des âges de consentement différents selon les infractions - 14 ans, 16 ans et 18 ans. En fait, le ministère de la Justice a entrepris une vaste consultation. Le document de consultation s'intitule: «Les enfants victimes et le système de justice pénale». La consultation est maintenant terminée. Le processus s'est déroulé dans toutes les provinces et tous les territoires, je crois. Mes collègues provinciaux et territoriaux et moi obtiendrons une copie du rapport le 31 décembre, du moins nous l'espérons. Les délais ont été plus longs que prévu parce que les événements du 11 septembre nous ont obligés à réaffecter des collègues de la section de la politique en matière de droit pénal à l'étude du projet de loi C-36 notamment. Nous espérons néanmoins recevoir le rapport de ces consultations d'ici la fin de l'année, ou au tout début de la nouvelle année. Nous réexaminerons la question de l'âge du consentement à la lumière de ces conclusions.
D'aucuns soutiennent que l'âge requis pour l'activité sexuelle légale devrait être fixé à 16 ans, avec une exception pour les faibles différences d'âge, déjà prévue dans le Code. Un très petit nombre proposent le seuil des 18 ans, d'autres, préfèrent qu'on en reste à 14 ans. Même d'une province à l'autre, les points de vue diffèrent sensiblement sur cette question complexe. Il ne suffit pas de dire: «Portons l'âge à 16 ans; ça réglera tous nos problèmes». Cela pourrait régler certains problèmes, mais si nous n'agissons pas avec circonspection, nous en créerons beaucoup d'autres.
Nous ne voulons pas criminaliser les relations consensuelles entre jeunes. Que cela nous plaise ou non, c'est la réalité. Je ne crois pas que les agents de police soient intéressés à traquer des jeunes de 16 ans qui pratiquent des relations consensuelles. Il nous faut éviter de créer une autre série de problèmes. Toutefois, nous examinons l'âge du consentement dans le contexte d'une consultation élargie sur les enfants victimes.
Le sénateur Pearson: Il y a d'autres enjeux entourant l'âge du consentement, comme l'adoption, par exemple. Certaines questions d'âge sont de compétence provinciale, bien sûr. Il y a aussi les questions de garde et d'accès.
Mme McLellan: La plupart des limites d'âge sont imposées par le droit pénal. Vous avez raison, pour le reste, dans la plupart des cas, cela relève de la compétence des provinces, comme par exemple la protection de l'enfance.
Le sénateur Pearson: Excepté peut-être la limite d'âge prévue dans la Loi sur le divorce.
Mme McLellan: En effet.
Le sénateur Pearson: Il est très utile qu'on sache cela.
Vous avez fait allusion à une affaire récente, mais il y en a une plus ancienne. L'enquête se poursuit dans le cas de l'affaire récente, c'est-à-dire celle qui remonte à quelques semaines, après qu'on eut découvert un réseau de pornographie. L'affaire la plus ancienne, celle qu'on a appelée l'affaire Wonderland, a soulevé des interrogations chez certains qui critiquent vertement le Canada. Vous ne pourrez peut-être pas vous prononcer sur cette affaire-là. Y a-t-il des dispositions dans le projet de loi qui vont être utiles dans ce cas-là?
Mme McLellan: Oui. M. Mosley n'est pas ici aujourd'hui mais je me suis entretenue avec lui concernant les articles parus dans les journaux. Il est évident que je ne peux pas me prononcer sur ces enquêtes. Toutefois, en parlant avec lui, je voulais m'assurer que les dispositions que nous proposons maintenant faciliteront le travail de la police pour qu'elle obtienne certains des éléments que l'enquête d'Interpol et l'enquête du secrétaire à l'Intérieur en Grande-Bretagne ont révélés à l'étranger. Nous souhaitons préciser et moderniser notre loi sur la pédopornographie afin de garantir que les auteurs ne profitent pas d'échappatoires. Nous sommes en train d'en supprimer un grand nombre en ce qui a trait à la pédopornographie, par exemple, le recours à Internet et à d'autres moyens technologiques pour diffuser cette pornographie.
Il est possible que les associations représentant la police ou d'autres organismes d'exécution de la loi veuillent se prononcer plus directement sur la question des défis que pose le repérage des pourvoyeurs et des consommateurs de pédopornographie.
À la dernière réunion du G-8, à Milan, j'ai assisté à un dîner avant la réunion officielle, qui portait en grande partie sur le crime organisé. Un grand nombre de ministres européens ont signalé la croissance de la pédopornographie dans leur pays, sur le plan de la production et de l'accessibilité. D'après leur expérience, ils ont pu constater que la pègre trouvait désormais que la production et la distribution de ce type de pornographie étaient rentables. Au Canada, ce n'est pas le cas. D'après ce que nous pouvons constater, la pègre n'est pas impliquée directement et à grande échelle dans la pédopornographie. C'est d'ordinaire des particuliers qui produisent cette pornographie ou qui la consomment. Encore une fois, les associations de police sauront vous dire si la situation a changé.
J'ai été frappée par le fait que tout le monde s'accorde à dire que la croissance de la pédopornographie à l'échelle mondiale est un problème qui se pose à nous tous. Par conséquent, il faut veiller à ce que nos lois puissent combattre ce problème.
On me rappelle que la banque internationale de données qu'on est en train de créer et dont j'ai parlé dans mon exposé liminaire tiendra sa première réunion ici à Ottawa au mois de février. Quand cette banque sera fonctionnelle, elle sera utile aux organismes internationaux d'exécution de la loi. On procède actuellement à l'étude de faisabilité, mais ce qui est prévu, c'est notamment qu'on ait accès à une liste des personnes déclarées coupables. Je ne sais pas si on y trouvera les empreintes digitales.
Mme Lafontaine: Je n'ai pas de détails. Un de nos fonctionnaires travaille avec les autres experts du G-8 à la constitution de cette banque de données. Je ne m'en occupe pas moi-même. On est en train d'essayer d'aplanir les difficultés juridiques et techniques, mais à l'échelon international, on souhaite vivement que cette banque de données soit créée.
[Français]
Le sénateur Rivest: Quant à la pornographie infantile, j'ai une question technique à vous poser sur les définitions. Vous parlez de «chat», de «e-mail».Est-ce que le système des vidéoconférences où l'on peut transmettre des documents est couvert techniquement dans votre définition de ce terme?
Mme Lafontaine: Lorsqu'on l'utilise, Internet peut le faire si vous parlez de «live show», oui, c'est couvert. On était conscient que c'était un des problèmes qu'il fallait régler.
[Traduction]
Mme McLellan: Il est intéressant que vous souleviez cette question car je n'avais pas pris conscience du fait que le produit pourrait être à ce point sophistiqué et qu'il y avait des pourvoyeurs de ce genre de produit. Vous avez parlé d'une chose dont je n'ai jamais entendu parler. En fait, c'est presque comme une émission en direct. Quelqu'un, au Canada, peut regarder quelqu'un d'autre dans un autre pays infliger des sévices sexuels à un enfant.
Mme Lafontaine: Dans certains cas, les spectateurs peuvent intervenir. Ils peuvent donner des instructions. C'est ignoble.
Le sénateur Rivest: Est-ce que ces dispositions-ci vont couvrir le cas des vidéos montrant des enfants?
Mme McLellan: Oui.
[Français]
Le sénateur Rivest: Quant à l'article 84 sur les documents électroniques, nous avons un problème dans les tribunaux du Québec où des dizaines sinon des centaines de motards demandent la production de la preuve. Est-ce que cet article va répondre à cette situation?
Tous les citoyens canadiens peuvent avoir en français ou en anglais l'ensemble de la documentation et de la preuve. Dans certains cas, on nous disait qu'il y avait des caisses de documents et des centaines d'enregistrements. Tout traduire cela constitue un problème. Votre ministère a-t-il commencé à penser, tout en satisfaisant au droit constitutionnel de chaque Canadien d'avoir tout ces documents dans les deux langues, à un moyen où la preuve pourrait être transmise sans que cela ne constitue un fardeau trop lourd pour l'administration de le faire dans les deux langues ou de façon écrite au lieu de le faire sur disquette?
Les dispositions de l'article 84 ne sont pas aussi larges. Est-ce que dans les projections du ministère, vous avez l'intention d'apporter une solution à ce problème?
[Traduction]
Mme McLellan: Ce que vous avez dit est en général valable pour les procès des membres de la pègre. Ce sera vrai également pour les procès complexes de terroristes et même pour certains procès complexes de pédopornographie où on a affaire à de multiples inculpés de divers pays.
Il est indéniable que nous devons tous travailler davantage pour que notre appareil judiciaire utilise la technologie du XXIe siècle et c'est une question de ressources.
Au lieu d'avoir des boîtes et des boîtes de copies papier des documents qu'exige la défense, il serait bon de pouvoir disposer d'un disque qui contiendrait tous les renseignements. Bien entendu, il faut que les renseignements soient transférés sur un disque mais nul doute que l'un des véritables défis qui se posent à notre appareil judiciaire est celui de trouver le moyen d'utiliser plus efficacement la technologie tout en respectant bien entendu le droit à l'application régulière de la loi. Même s'il est vrai que cela relève essentiellement des provinces qui ont la responsabilité d'administrer la justice, l'établissement des coûts, la détermination des moyens à prendre pour faciliter cela et la coopération pour le réaliser seront importants. Nos tribunaux, les avocats et la police vont être noyés dans une masse de papiers lors de certains de ces procès complexes à moins que nous n'utilisions la technologie beaucoup plus intelligemment et beaucoup plus efficacement que nous ne l'avons fait jusqu'à présent.
M. Howard Bebbington, avocat, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice: Je n'ai pas grand-chose à ajouter à ce que la ministre a déjà dit sauf que j'aimerais souligner qu'un grand nombre des points que vous avez soulevés relèvent de l'administration de la justice dans les provinces. Cela relève de la police, des procureurs de la Couronne et des administrateurs locaux des tribunaux. Dans les dispositions du projet de loi C-15A, nous avons essayé de faciliter le recours à des documents électroniques. Nous avons supprimé les interdictions contenues dans le Code criminel, ce qui permet aux provinces, grâce aux règlements des tribunaux et à d'autres mécanismes, de mettre au point leurs propres systèmes afin d'entrer dans le XXIe siècle grâce à la technologie.
Je reviens sur une chose que la ministre a dite: un des problèmes particuliers a trait à la divulgation. C'est un problème épineux quand les poursuites sont complexes, comme celles que vous avez évoquées. Le ministère de la Justice travaille en étroite collaboration avec la GRC et les procureurs provinciaux de la Couronne afin que cette divulgation puisse se faire grâce à des moyens électroniques de sorte qu'un seul disque compact puisse remplacer des boîtes et des boîtes de documents. Selon nous, c'est un aspect qui vaut vraiment la peine d'être encouragé et développé. Encore une fois, il incombe à l'administration de la justice de s'occuper de l'essentiel. Puisque nous avons la responsabilité du Code criminel au niveau fédéral, nous pensons que notre rôle est de faciliter cette évolution et de donner aux juges, aux administrateurs de tribunaux, aux procureurs de la Couronne et à la police les outils appropriés pour que ces autorités mettent au point et utilisent ces moyens technologiques qui ne peuvent être qu'utiles et qui, en même temps, rendent le système judiciaire plus efficace et moins coûteux.
La présidente: Le test d'ADN est désormais légal. Nous nous sommes bien amusés quand nous avons étudié cet aspect-là en comité.
Mme McLellan: Il se peut que vous en reparliez bientôt.
La présidente: Y a-t-il eu une augmentation des allégations de condamnation injustifiée?
Mme McLellan: Je ne sais pas et je vais demander à Mme McFadyen de vous répondre. Assurément l'ADN devrait être un outil permettant de déterminer non seulement les coupables mais également les innocents. Par exemple, l'affaire la plus célèbre où l'ADN a été l'élément absolument déterminant est l'affaire David Milgaard. L'ADN nous permettra, à nous et au système de justice pénale, d'éviter que des innocents ne soient inculpés et déclarés coupables de crimes qu'ils n'ont pas commis. Il est vrai qu'on ne pourra pas, dans tous les cas, compter sur une preuve d'ADN pour inculper ou innocenter. Nous constatons que l'ADN est un outil de plus en plus important non seulement pour découvrir les auteurs de crimes mais également pour protéger les innocents.
Mme Mary McFadyen, avocate-conseil, Groupe responsable de la révision des demandes de clémence de la Couronne, ministère de la Justice: C'est exact. Il n'y a pas eu forte augmentation du nombre de demandes, mais nous en avons reçu quelques-unes de condamnés disant qu'un examen d'ADN les aurait disculpés. Depuis que je travaille pour le groupe responsable de la révision des demandes de clémence de la Couronne, je pense en avoir vu trois ou quatre en cinq ans.
La présidente: Ce n'est pas un déluge?
Mme McFadyen: Non. L'affaire Milgaard est celle dont on entend le plus parler.
Mme McLellan: Les analyses d'ADN revêtiront une importance croissante puisque c'est un outil de plus en plus souvent utilisé pendant les enquêtes policières.
La présidente: Sans aucun doute. Mon autre question concerne le commerce sexuel. Cette proposition de loi permettra-t-elle de poursuivre les Canadiens qui font du tourisme sexuel dans des pays où ce genre de commerce est parfois légal? Prenons l'exemple de la prostitution enfantine. L'acte est commis à l'étranger dans un pays où c'est légal. Cependant, au Canada, c'est illégal.
Mme McLellan: Oui. Prenez l'exemple du Canadien qui se rend, disons, en Thaïlande ou au Costa Rica. Dans ce domaine, nous appliquons notre droit criminel de manière extraterritoriale. C'est un crime dans notre pays et cette personne a quitté notre pays pour commettre un délit. N'est-ce pas?
Le sénateur Nolin: Oui.
Mme McLellan: Il n'est pas besoin qu'il y ait double criminalité. Il suffit que cela soit considéré comme un acte criminel dans l'un ou l'autre pays.
La présidente: C'est intéressant.
Le sénateur Nolin: J'aimerais revenir à la pornographie juvénile. Est-ce que c'est la seule affaire Sharpe qui est à l'origine de l'amendement du Code, ou envisagez-vous de considérer l'Internet comme un outil servant à commettre un crime? Je pense à la propagande haineuse sur l'Internet. Envisagez-vous d'amender le Code sur ce point?
Mme McLellan: Nous avons déjà apporté certains amendements par l'intermédiaire du projet de loi C-36 relatif à la propagande haineuse sur Internet. Je m'assurerai qu'on vous les communique. Vous avez raison. Il faut nous assurer que le moyen utilisé pour commettre un crime ne permet pas d'éviter d'être poursuivi. Nous voulons que personne n'ait de doute, surtout les tribunaux - quel que soit le moyen utilisé, l'Internet, le téléphone - un crime est un crime.
Le sénateur Nolin: Un crime est un crime quel que soit l'outil utilisé.
Mme McLellan: Exactement. Je suis tellement nulle sur le plan technologique que je ne connais même pas les termes. C'est quoi, ces appareils que beaucoup de gens utilisent aujourd'hui, les ordinateurs de poche et les appareils de télécommunication Blackberry? Il faut actualiser nos lois afin que ces nouveaux appareils au fur et à mesure qu'ils sont inventés ne soient pas omis et permettent à ceux qui s'en servent à des fins illicites de glisser entre les mailles de la loi. Ces appareils pourraient être utilisés dans certaines circonstances pour commettre toutes sortes de crimes. Nous voulons nous assurer qu'ils tombent sous le coup du Code criminel. Peu importe le moyen ou l'appareil.
Le sénateur Nolin: Oui, ce n'est qu'un outil.
Mme McLellan: C'est ce que nous croyons et c'est la position que nous avons toujours défendue devant les tribunaux et ailleurs dans le contexte de la législation actuelle. Nous voulons dissiper tout doute pour les policiers, quand ils enquêtent, afin qu'ils sachent que l'utilisation de ce genre de moyen tombe sous le coup de loi, et que les tribunaux n'en doutent pas non plus.
Le sénateur Nolin: J'aimerais changer de sujet et passer au harcèlement criminel et au harcèlement avec menace. J'attendais avec impatience de lire le document que vous nous avez communiqué. Cela fait combien de temps que ce document existe?
Mme McLellan: Je crois qu'il remonte à 1999.
Le sénateur Nolin: Nous pouvons tripler la durée d'incarcération, mais si nous ne sommes pas capables de poursuivre correctement et de donner au procureur de la Couronne les outils dont il a besoin pour le faire, cela ne sert à rien. C'est de la fausse protection ou de la fausse sécurité. C'est ce qu'on nous a dit lorsque nous avons étudié le projet de loi du sénateur Oliver.
Est-ce que ce livre sert à quelque chose? Y a-t-il eu diminution des plaintes non poursuivies?
Mme McLellan: Je laisserai Mme Morency vous répondre. Les représentants de l'ACP sont derrière moi. Ils ont peut-être un point de vue à exprimer. Ils sont en première ligne; ce sont eux qui sont appelés quand, par exemple, une femme croit qu'elle est victime de harcèlement. Ce sont eux qui font la navette entre le poste de police et le domicile de la plaignante. Ils peuvent peut-être vous dire si au niveau de l'application les choses vont mieux. Il reste qu'il y a quelques problèmes de ressources.
Le sénateur Nolin: Pendant l'examen du projet de loi du sénateur Oliver, nous avons entendu le témoignage d'une agente de police de Calgary qui a décidé de consacrer tous ses efforts à cette question. Elle nous suppliait d'apporter des changements. Elle nous a demandé d'aider les policiers à faire leur travail.
Mme McLellan: Quel genre de changement réclamait-elle?
Le sénateur Nolin: La définition. Le crime est trop complexe. Le principal problème c'est la nécessité de prouver la double intention criminelle ou le double état d'esprit. J'espère que cet amendement sera utile.
Mme Carole Morency, coordonnatrice, Unité de politiques en matière de droits des enfants, Section de la famille, des enfants et des adolescents, ministère de la Justice: Je me souviens de ce témoignage. Statistique Canada a publié un «juristat» l'année dernière sur les incidents de harcèlement criminel. D'après ce rapport, les chiffres ont augmenté depuis 1993. Il est difficile de dire si les chiffres ont augmenté par suite d'une augmentation du nombre d'incidents de harcèlement avec menace ou de harcèlement criminel ou si c'est parce que plus de gens savent que c'est un crime et appellent plus souvent la police qui intervient plus souvent. Depuis l'élaboration des directives sur le harcèlement criminel, elles ont été communiquées à tous les intéressés aux quatre coins du pays, aux tribunaux, aux forces policières et aux procureurs de la Couronne. Elles ont été reçues de manière très positive. Elles sont utilisées dans les cours de formation de la police. Cela nous incite à croire à un impact positif au niveau de l'application des dispositions telles qu'elles existent actuellement: elles expliquent la loi et le type de comportement couvert, fournissent les ressources nécessaires, indiquent à la police des experts qui peuvent être consultés pour établir un profil de harceleurs, elles facilitent les poursuites, et cetera. Un des facteurs prioritaires est la protection des victimes.
Nous avons reçu quelques réactions. La réception de ces directives a provoqué quelques réactions positives. Au cours des 12 ou 18 prochains mois, lorsque le projet de loi aura été promulgué, s'il est promulgué, nous espérons pouvoir faire une évaluation complémentaire des directives pour en mesurer l'utilité comme outil et les actualiser pour appliquer la loi.
Pour le moment, selon nos informations, ces directives sont largement utilisées par tous les intervenants du système de justice criminelle et ont été largement distribuées auprès des organisations de victimes. Lorsque les dispositions sont entrées en vigueur en 1993, elles étaient nouvelles. Elles traitent d'un type de comportement différent de ceux auxquels la police est plus souvent habituée, puisqu'il occasionne rarement des blessures corporelles. L'application de ces directives nécessite une certaine formation et nous avons offert quelques cours d'éducation juridique publique. Je crois que nous sommes sur la bonne voie.
Le sénateur Nolin: Nous entendrons ces groupes. Nous devrions peut-être voir si l'agente de police de Calgary a quelque chose à ajouter et si son témoignage aujourd'hui est plus positif.
Mme McLellan: C'est une question d'évolution comme bien souvent en matière de violence conjugale. Il y a 20 ans il était rare de rapporter ce genre d'incidents; on considérait que c'était privé. Aujourd'hui la majorité des forces policières travaillent sur une base de tolérance zéro. Les policiers inculpent, que la victime le veuille ou non.
Dans un sens, il y a eu progrès. Il faudrait qu'il y ait le même genre d'évolution à propos du harcèlement. Le harcèlement n'est pas un simple méfait; il n'a rien d'anodin. Vous connaissez tous certains exemples horribles. Un article dans le Vancouver Sun a rapporté l'incident d'un homme et d'une femme qui ont été battus à mort tôt dans la matinée de dimanche à Langley, en Colombie-Britannique. Le suspect, qui est accusé de meurtre au deuxième degré dans cette affaire, avait plaidé coupable pour harcèlement avec menaces envers la femme il y a un an. C'est grave. Cet homme avait plaidé coupable pour harcèlement il y a un an.
J'espère que l'augmentation des peines fait comprendre aux tribunaux le sérieux avec lequel il faut considérer le harcèlement. Si le harcèlement n'est pas considéré de manière appropriée, il peut mener à des conséquences terribles, comme nous avons pu le constater dimanche soir à Vancouver.
Si des victimes venaient témoigner devant votre comité, elles seraient probablement assez critiques du fonctionnement et de l'application de la loi ainsi que des peines prononcées par les tribunaux. Elles critiqueraient la manière dont nous appliquons ces dispositions sur le harcèlement criminel. C'est la raison pour laquelle nous faisons ce que nous faisons ici, avec les directives et d'autres initiatives: nous nous efforçons de faire comprendre à tout le monde que le harcèlement est un crime sérieux et qu'il doit être traité avec sérieux par la justice.
Le sénateur Nolin: Sur le sujet des erreurs judiciaires, je sais que cela implique le recours à une prérogative. Je sais que vous avez cette prérogative, contrairement à votre collègue au Royaume-Uni qui a des responsabilités différentes. Je comprends l'absence de conflit d'intérêt dans notre cas.
Néanmoins, c'est l'article 7 de la Charte qui est à la base de ma préoccupation. Chaque fois que nous entendons parler d'erreur judiciaire, nous nous demandons comment cela peut arriver, avec toutes les protections visant à garantir que nous ne condamnons que ceux qui méritent vraiment d'être condamnés. Nous entendrons toute une série de groupes de témoins sur cette question.
Madame la ministre, quelle est la place de l'article 7 de la Charte, du droit à la liberté et des principes de justice fondamentale dans les changements que vous proposez par le biais du projet de loi C-15A?
Mme McLellan: Ce que nous proposons dans le projet de loi C-15A... si l'article 7 s'appliquait vous verriez un net progrès au niveau de la justice fondamentale pour ceux qui croient avoir été injustement condamnés.
N'oubliez pas que ces gens ont été condamnés par un tribunal conformément à la procédure. Par définition, ils ont eu droit à tous les recours en appel, y compris devant la Cour d'appel et la Cour suprême du Canada. Ils ont été jugés par le système à différents niveaux, au niveau de première instance, au niveau d'appel et ils ont été déclarés coupables et condamnés. Ce n'est qu'après tout cela qu'ils peuvent se prévaloir des modalités de révision après appel.
Ces propositions de changement nous permettent de créer un système politiquement responsable, plus transparent et plus clair visant à aider ceux qui croient qu'ils ont été injustement accusés à comprendre le fonctionnement de la procédure, les précédents concernant l'accès à cette procédure, le travail du ministre et de l'unité d'enquête, ce qu'ils peuvent attendre de l'enquête et du rôle du ministre. Tout cela nécessite un degré de transparence et de responsabilité beaucoup plus élevé.
Si l'article 7 s'applique, nous élevons de manière importante le degré de justice fondamentale pour ceux et celles qui estiment avoir été injustement condamnés.
Le sénateur Nolin: Mon problème c'est que c'est le même groupe de fonctionnaires qui est responsable des demandes de clémence. Pour quelqu'un qui n'a pas été correctement condamné, et qui était là pour de bonnes raisons, et qui fait une demande de clémence, c'est le même groupe de fonctionnaires qui va s'occuper de l'erreur judiciaire.
Prenez le cas David Milgaard, et examinez-le à la lumière de la situation d'aujourd'hui, cet homme n'aurait jamais dû être emprisonné, mais il l'a été. Pour lui, c'est une question de liberté. Voilà pourquoi les systèmes doivent protéger un droit qu'il a perdu. Comment y arriver? Il faut un système d'examen prima facie.
Mme McLellan: Pour ce qui est de la plupart des révisions en vertu de l'article 690, c'est la première fois que mon service d'enquête intervient dans ce genre d'affaires. Rappelez-vous que dans la plupart des cas, c'est la police locale et le procureur provincial qui interviennent. Ce ne sont pas mes procureurs qui intentent des poursuites en vertu du Code criminel.
Dans les territoires, c'est nous qui sommes chargés des poursuites au criminel. Nous avons eu au moins un cas de condamnation injustifiée, dont je suis au courant. J'ai retiré des mains du ministère l'enquête sur cette erreur judiciaire qu'on alléguait et où le plaignant a eu gain de cause. L'affaire avait commencé avant mon arrivée au ministère, mais ce n'est pas le ministère qui a fait enquête. Nous ne voulions pas que nos fonctionnaires fassent enquête. Nous nous sommes adressés à un avocat du secteur privé, qui n'avait aucun lien avec le ministère de la Justice, parce que c'était un procureur fédéral du territoire qui avait mené la poursuite. Dans un tel contexte, on aurait peut-être pu dire que nous faisions enquête sur nous-mêmes, voilà pourquoi nous nous sommes donc adressés à un avocat du privé, qui était indépendant du ministère, et qui a procédé à cette révision.
Cependant, dans la vaste majorité des cas, ce sont les procureurs provinciaux et les services de police locaux qui interviennent. De manière générale, nous n'intervenons nullement, tant que la personne qui croit avoir été victime d'une erreur judiciaire n'a pas fait une demande en vertu de l'article 690. C'est à ce moment-là que mon service d'enquête intervient. Il est tout à fait neutre puisqu'il n'a pris aucune part à la poursuite et à la condamnation.
Ce n'est pas un système accusatoire. Le service d'enquête procède à une analyse et à une enquête pour voir si l'allégation est fondée. Il me transmet ses constatations, en fonction desquelles je prends une décision. Si la personne veut s'adresser à moi directement, elle peut le faire. Ce n'est pas un système accusatoire. Il s'agit pour nous de découvrir la vérité. C'est l'objectif de l'enquête.
Vous avez raison de dire que c'est un domaine difficile, et où nous voulons que les choses soient équilibrées en nous assurant que ceux qui croient avoir été victimes d'une erreur judiciaire aient la possibilité de se faire entendre après avoir épuisé tous les autres recours. Personne ne doit croire que c'est un quatrième niveau d'appel. Ce n'est pas le cas. Nous ne pouvons pas faire ça.
Le sénateur Nolin: Voilà pourquoi il n'est pas facile de répondre à cette question.
Mme McLellan: C'est fondé sur la prérogative royale de clémence, qui est un pouvoir exceptionnel.
Le sénateur Nolin: La prérogative royale de clémence remonte à l'époque où l'on pendait les gens. Le groupe de fonctionnaires qui relèvent de vous traitent des cas de clémence et d'erreur judiciaire.
Mme McLellan: Ils relèvent de moi, et je suis la seule à exercer un pouvoir discrétionnaire. J'exerce la prérogative au nom de la Couronne. Mes enquêteurs ne peuvent exercer cette prérogative. Ils font enquête. J'étudie leurs rapports, et à partir de toutes les informations qu'ils m'ont communiquées, je décide si je recommanderai ou non l'exercice de la prérogative royale de clémence. Mes enquêteurs n'exercent pas cette prérogative.
Le sénateur Nolin: Nous allons entendre des gens qui oeuvrent dans ce domaine.
Mme McLellan: C'est vrai.
Le sénateur Nolin: Enfin, sur la question militaire et le fait que l'armée veut prélever des empreintes digitales, avons-nous étudié toutes les nouvelles lois relatives à la défense, il y a quelques années, en oubliant de lui donner ce pouvoir? Qu'est-ce qui motive cette modification?
M. Bebbington: Honorables sénateurs, nous serons heureux de faire comparaître quelqu'un de la Défense nationale si cela peut vous aider. La modification que l'on propose dans le projet de loi C-15A vise simplement à mettre les militaires sur le même pied que les civils. Il y a eu une certaine controverse entourant le fait que les autorités militaires peuvent prélever des empreintes digitales et utiliser la force pour ce faire, et l'on se demandait quel usage on ferait des informations recueillies ainsi par les autorités militaires. Comme vous le savez, dans la Loi sur la protection des renseignements personnels, il y a certaines cloisons qui balisent la collecte de renseignements personnels et empêchent leur usage à des fins autres que celles qui sont prévues. Cette modification clarifie le droit qu'ont les autorités militaires de prendre les empreintes digitales et d'autres mesures, tout comme cela se fait dans le système civil. Curieusement, cette question concerne davantage les affaires civiles que militaires.
Pour ce qui est du genre de cas qui est à l'origine de cette modification, prenez par exemple le cas d'une personne qui a été reconnue coupable d'incendie criminel par une Cour martiale. Cette personne quitte ensuite l'armée et sollicite un emploi de concierge dans une école. La police n'a pas accès à son casier judiciaire militaire puisqu'il ne figure pas au CIPC. Cette modification dit clairement que les autorités militaires peuvent prélever des empreintes digitales, et celles-ci peuvent être inscrites dans le CIPC et devenir ainsi accessibles à tous les agents de la paix.
Cet article a été rédigé avec le plus grand soin de telle sorte que les pouvoirs concernant les infractions au droit militaire qui autorisent le prélèvement d'empreintes et d'autres mesures sont très semblables aux pouvoirs qui sont déjà prévus dans la Loi sur l'identification des criminels.
La présidente: J'imagine que l'échange se fera en sens inverse aussi?
M. Bebbington: Vous voulez savoir si les autorités militaires ont accès au CIPC?
La présidente: Oui.
M. Bebbington: Je l'ignore. Je peux vérifier et vous répondre plus tard. Pour les fins d'une enquête militaire, il y aurait enquête sur la conduite d'une personne qui est membre des Forces armées par opposition à une enquête sur la conduite d'un civil.
La présidente: Cependant, on peut leur communiquer un casier qui existe déjà.
Merci, madame la ministre, d'avoir été des nôtres.
Nos prochains témoins sont Melvyn Green et Mme Martin. Nous vous écoutons.
M. Melvyn Green, membre du conseil d'administration, Association in Defence of the Wrongly Convicted: Je remercie le comité d'avoir accepté d'entendre aujourd'hui l'Association in Defence of the Wrongly Convicted, qui veut se prononcer sur certains aspects du projet de loi C-15A qu'elle juge préoccupants. Je remercie le sénateur Nolin d'avoir posé des questions qui portent sur des sujets dont nous allons traiter. Je remercie la ministre de la Justice qui a défendu très énergiquement le projet de loi qu'elle a soumis au comité.
Vous avez devant vous des mémoires de l'Association in Defence of the Wrongly Convicted. Il y a aussi les mémoires du professeur Martin, qui est avec moi et qui représente le projet Innocence. Vous allez trouver, j'espère, que nos mémoires sont complémentaires et qu'ils ne se chevauchent pas trop.
L'Association in Defence of the Wrongly Convicted est un organisme d'intérêt public qui se fixe deux buts: premièrement, prévenir les condamnations injustifiées; deuxièmement, annuler les condamnations injustifiées déjà prononcées.
Faire annuler une condamnation injustifiée fait inévitablement intervenir l'article 690 du Code criminel et le processus de révision prévu dans cette disposition. En vertu de l'article 690, et je crois que tous les membres du comité le voient bien, le pouvoir de révision en matière d'erreurs judiciaires est la prérogative du pouvoir exécutif du gouvernement. L'article 690 est le dernier espoir, la dernière chance, comme on l'appelle parfois, le filet de sécurité ultime pour ceux qui sont victimes d'erreur judiciaire.
L'Association in Defence of the Wrongly Convicted estime que ce pouvoir de révision, qui autorise un dernier recours aux tribunaux devant lesquels on peut clamer son innocence à partir des faits, ne doit pas être confié au ministre de la Justice mais plutôt à un tribunal indépendant, ou à une commission.
On propose ici d'abroger l'article 690 et de le remplacer par un nouveau processus de révision, qui est énoncé aux articles 696.1à 696.6. Le pouvoir de révision - et c'est ce dont parlait le sénateur Nolin - même avec ces nouvelles dispositions, doit demeurer entre les mains du ministre de la Justice. C'est ce qu'on propose en dépit du fait que d'éminents juges canadiens ont mainte et maintes fois recommandé autre chose. C'est ce qu'on propose en dépit du fait que des juristes du Canada ont maintes fois recommandé autre chose. C'est ce qu'on propose en dépit du fait qu'il existe un excellent exemple de révision efficiente des condamnations injustifiées à la CCRC, soit la Criminal Cases Review Commission du Royaume-Uni. Je vous donnerai un peu plus de détails au sujet de cette commission plus tard.
En dépit de toutes ces recommandations et de tous ces exemples, la ministre de la Justice propose de maintenir le processus ultime de révision à l'intérieur de son ministère et refuse d'envisager une révision indépendante. C'est pour ça que je suis ici. C'est pour ça que notre association est ici et, j'en suis sûr, c'est dans une large mesure pourquoi le projet Innocence est ici aussi.
L'Association in Defence of the Wrongly Convicted n'a aucun intérêt à aider ceux qui ont été condamnés avec raison et n'a pour objet que de venir en aide à ceux qui sont condamnés injustement. Depuis sa fondation en 1993, l'association réclame le remplacement de l'article 690. Nous nous sommes penchés sur plusieurs affaires au cours des huit dernières années, et nous avons appris ainsi que l'article 690 est un mécanisme largement insuffisant pour l'annulation des condamnations injustifiées. Ce qu'il faut, c'est un processus de révision indépendant, comme celui qui existe au Royaume-Uni, et c'est justement ce que nous ne trouvons pas dans le projet de loi C-15A.
Si vous le permettez, j'aimerais vous faire part de trois réalités cruelles. Elles concernent toutes trois la question qui est à l'ordre du jour. Premièrement, et c'est une observation qui vous paraîtra des plus affligeantes, la condamnation de personnes innocentes dans notre pays est non seulement une réalité, mais une réalité dont la fréquence est gênante, et cela arrive dans le cas des infractions les plus graves de notre Code criminel, surtout le meurtre. Je vous dirai franchement, mon association consacre tout son temps à des affaires de meurtre. Nous n'avons pas le temps de nous occuper de quoi que ce soit d'autre, et nous n'avons pas le temps de nous occuper de toutes les affaires de meurtre.
Pour la plupart des Canadiens, la notion de condamnation injustifiée se limite bien sûr à trois personnes dont les noms sont désormais associés publiquement à ce phénomène terrible. Il s'agit de Donald Marshall, David Milgaard et Guy Paul Morin. Dans la profession juridique, on les appelle «les trois M». Je crois d'ailleurs qu'il y a au moins un juge de la Cour d'appel qui les a appelés ainsi. La triste réalité, c'est que ces trois personnes ne constituent que la partie visible de l'iceberg.
Au cours du dernier mois, jusqu'à ce jour, trois cas bien connus de condamnation injustifiée ont fait la manchette des journaux de notre pays, mais rien de plus. Il y a exactement un mois de cela aujourd'hui, le rapport de l'enquête Sophonow de Winnipeg, au Manitoba, a reçu de l'imprimatur de l'un des juristes les plus éminents de notre pays, le juge Cory. J'espère que ce rapport constituera enfin l'exonération totale de Thomas Sophonow, qui avait été accusé d'un meurtre qu'il n'avait pas commis mais pour lequel il avait été reconnu coupable non pas une mais deux fois.
Je crois qu'on a mentionné plus tôt aujourd'hui le cas de Roméo Phillion. Dianne Martin vous en parlera parce que je sais que son projet Innocence de la faculté de droit d'Osgoode Hall a déployé de grands efforts pour le compte de M. Phillion. Dans le mémoire que je vous ai soumis respectueusement, je fais état de preuves nouvelles qui soulèvent de sérieux doutes au sujet du bien-fondé de sa condamnation. Il a passé 28 ou 29 ans au pénitencier pour une condamnation qu'il n'avait jamais méritée.
Il y a six jours, l'Association in Defence of the Wrongly Convicted a remis un factum de 600 pages à la ministre de la Justice, dans le cadre d'une demande en vertu de l'article 690, pour le compte de Steven Truscott. Steven Truscott, dont la peine de mort avait été commuée par le Cabinet lorsqu'il n'avait que 15 ans, aurait été reconnu coupable d'un meurtre dont il n'était pas l'auteur, ce qui est devenu manifestement certain, j'ose le dire.
Le travail que nous avons accompli pour le compte de Steven Truscott a exigé plus de six mois et le temps de deux avocats et demi. Nous n'étions pas obligés de faire cela. Nous n'aurions pas dû être obligés de faire cela. Une commission indépendante aurait dû s'occuper de cette affaire.
J'avance ceci, et la ministre l'admettra comme toute autre personne douée de raison, et je crois qu'elle l'a admis, que la justice est un processus humain qui résulte d'un processus faillible. Nous devons reconnaître que le système de justice pénale commet des erreurs. La vraie question est celle-ci: quelle est la meilleure façon de corriger ces erreurs? Quelle est la meilleure manière de procéder?
Il y a une deuxième réalité tout aussi cruelle. Le processus d'appel lui-même ne suffit pas à capter toutes les condamnations injustifiées. Les Cours d'appel s'en tiennent presque exclusivement en droit, aux doutes entourant la procédure en première instance, aux doutes entourant le caractère équitable du procès. Le problème, c'est que vous pouvez avoir un procès parfaitement équitable et quand même reconnaître une personne coupable de meurtre. La garantie d'un procès équitable ne protège personne contre une condamnation injustifiée. La Cour suprême du Canada l'a affirmé cette année dans l'affaire Burns et Rafay. Burns et Rafay, vous vous en souvenez, est cette affaire où la Cour suprême du Canada a refusé d'autoriser l'extradition aux États-Unis de deux jeunes hommes accusés de meurtre, tant que la ministre de la Justice n'aurait pas obtenu au préalable la promesse qu'on n'appliquerait pas la peine de mort, qui se serait appliquée dans ce cas-ci dans l'État de Washington, je crois, si les deux jeunes gens étaient reconnus coupables. Cela devait être la condition préalable à leur extradition.
Le jugement unanime de la Cour suprême reposait sur deux éléments. Le premier était le risque d'une condamnation injustifiée. Le deuxième, bien sûr, tenait au fait que la peine de mort n'est pas tout à fait réversible.
La Cour suprême a procédé à un examen très utile de toute une liste de condamnations injustifiées pour homicide au Canada. Chose des plus importantes, elle a cité le cas de David Milgaard, qu'on a mentionné aujourd'hui, où il était évident que même un procès juste ne garantissait pas un résultat juste. Bien sûr, l'affaire David Milgaard a été portée jusqu'à la Cour suprême du Canada en 1971. La Cour suprême, en 1971, avait statué que David Milgaard avait eu droit à un procès équitable. En effet, il avait eu droit à un procès équitable, mais c'était aussi un innocent. Il n'avait rien à voir avec le meurtre qui lui a valu 24 ans de prison à la suite de ce procès équitable.
La troisième réalité cruelle est celle-ci: le processus de révision en vertu de l'article 690, qui relève du Cabinet du ministre de la Justice, ne fonctionne tout simplement pas. Ça n'a pas fonctionné pour David Milgaard. L'étude de sa demande en vertu de l'article 690 a été différée à maintes reprises et rejetée. Il a même fallu l'intervention personnelle de sa mère, Joyce Milgaard, auprès du premier ministre du Canada d'alors pour lancer le processus. N'eut été cette intervention, Milgaard serait encore en prison aujourd'hui.
Permettez-moi de vous faire part d'une anecdote éclairante à propos de ce processus. Joyce Milgaard a dit que quelqu'un était entré en contact avec l'enquêteur nommé par le ministre de la Justice de l'époque, en vertu du processus de l'article 690, pour lui dire qu'il était convaincu de l'innocence de David Milgaard. L'enquêteur nommé par le ministre de la Justice lui a répondu qu'il y avait encore des gens convaincus qu'Elvis Presley est encore en vie. Eh bien, Elvis est encore mort, mais David Milgaard était innocent, et il l'est encore aujourd'hui.
Cette anecdote illustre à mon avis la lacune fondamentale du processus de l'article 690 et des mesures de remplacement que propose le projet de loi dont vous êtes saisis.
Dans la pratique, peu importe ce qu'a dit la ministre de la Justice il y a un quart d'heure de cela, et je le dis avec le plus grand respect, une révision effectuée par le Cabinet du ministre de la Justice est accusatoire par sa nature même. C'est un processus qui part de la certitude que la condamnation était justifiée, et que celle-ci a été maintenue par les Cours d'appel. Le parti pris initial vise à confirmer la validité de cette condamnation. C'est ainsi que les ministères de la Justice - qui est une autre manière de désigner les ministères du Procureur général au niveau provincial et fédéral - réagissent. C'est le parti qu'ils prennent dans le système accusatoire qui définit la manière dont nous abordons et traitons les affaires relatives à la justice criminelle.
Je tiens à le dire sans détour, je ne prête aucune mauvaise foi à ceux qui procèdent à cette révision pour le compte du ministre. Ces personnes ne sont nullement animées de mauvais desseins. Le problème tient au parti pris institutionnel qui est inévitable et qui résulte du fait que la révision des condamnations au criminel est effectuée par le même ministère qui est responsable de l'élaboration et de l'application du droit criminel. Le fait de laisser au ministère de la Justice le soin de procéder à cette révision, et je le dis respectueusement, n'est pas de nature à donner confiance au public dans l'administration de la justice.
Contrairement aux vues qu'a exprimées la ministre de la Justice dans certains textes que j'ai lus et qui provenaient de son Cabinet, le fait de mettre au jour une condamnation injustifiée n'est nullement gênant pour l'administration de la justice. Ce qui est gênant pour l'administration de la justice, ce sont les retards excessifs et le fait de ne pas annuler les condamnations injustifiées. C'est cela qui est gênant. Bref, le ministre de la Justice ne devrait pas être la dernière personne au monde à autoriser le recours au tribunal d'une personne innocente qui a été condamnée injustement.
Sénateur Nolin, c'est ce que vous dites, et vous avez parfaitement raison.
Si quelqu'un doit contrôler l'accès aux tribunaux pour que soit innocentée une personne injustement condamnée, il faut que ce soit un tribunal indépendant. Il faut que ce soit un tribunal dont l'approche est investigative et non accusatoire, et il faut que ce soit un tribunal parce que son indépendance est un garant de confiance tant pour l'innocent authentique que pour le grand public.
Le Royaume-Uni offre un modèle qui répond à tous ces critères, le CCRC. Avant 1997, l'Angleterre était dans la même situation. La seule différence tenait au fait que c'était le secrétaire de l'Intérieur et non le ministre de la Justice qui exerçait la prérogative de clémence ou la discrétion.
Disons-le franchement, le secrétaire de l'Intérieur prenait souvent son temps. On parlait depuis longtemps de créer une commission indépendante. En conséquence, des centaines de demandes s'étaient accumulées. Voilà pourquoi il y avait un tel arriéré. La CCRC a finalement obtenu le mandat d'agir et s'est mise à étudier ces demandes.
Chose encore plus importante, il y a moins de cinq ans qu'existe la CCRC - et les chiffres que je m'apprête à vous donner datent d'octobre de cette année - et elle a renvoyé 141 condamnations à la Cour d'appel au Royaume-Uni. Dans 56 cas, il s'agissait d'homicides. La Cour d'appel s'est déjà prononcée sur 26 de ces cas. Sur ce nombre, elle a annulé 21 condamnations pour meurtre en moins de cinq ans. Dans deux cas, malheureusement, le jugement a été rendu à titre posthume, ces personnes condamnées injustement avaient déjà été pendues. Ce sont là des états de service remarquables. En moins de cinq ans, 21 condamnations injustifiées pour homicide ont été annulées au Royaume-Uni en conséquence du processus de révision indépendant.
Le fait est que la CCRC est efficace et efficiente. La ministre a raison. Il en coûte moins de 5 millions de livres par année pour gérer ce système, dans un pays qui a deux fois et demie notre population et où le nombre de causes en attente est énorme.
Voici en substance le message de l'AIDWYC: Attendez. Trois commissions royales se sont prononcées sur cette question. Trois juges étaient présents à l'enquête Marshall en 1989, dont l'ancien juge en chef de la Cour suprême de l'Ontario, le juge Evans, qui est le président honoraire de l'AIDWYC en Ontario. L'enquête Marshall a recommandé la création d'une commission de révision indépendante. L'enquête Morin, qui a été présidée par le juge Kaufman en 1998, a dit qu'il serait bon de créer une commission de révision indépendante. Le juge Cory a rendu public son rapport sur l'affaire Sophonow il y a à peine un mois de cela. Il a recommandé lui aussi la création d'une entité indépendante qui serait chargée d'étudier rapidement et avec efficience les cas où l'on allègue qu'il y a eu condamnation injustifiée. Le juge Cory a dit de la CCRC qu'elle constituait un excellent modèle.
Ces juges comptent parmi les magistrats les plus éminents que nous avons eu l'honneur d'avoir au Canada, et tous, dans leur sagesse, ont jugé qu'il y aurait lieu de créer un processus de révision indépendant. L'AIDWYC partage cet avis.
J'aimerais faire une dernière observation à cet égard. L'enquête Milgaard aura lieu en Saskatchewan. Cette enquête a été promise. Elle portera sur le processus de l'article 690. Nous aurons ainsi un examen tout à fait complet de cette question, examen qui sera présidé par un juge et qui produira les meilleures preuves possibles. Je dis qu'il faut attendre parce que le comité du Sénat sait mieux que quiconque qu'il nous a fallu un siècle pour nous rendre où nous sommes aujourd'hui, et je ne veux pas attendre un autre siècle pour obtenir la réforme qui rendra justice à ceux qui sont condamnés à tort.
La présidente: Vous serez heureux d'apprendre que le comité a bel et bien invité l'ancien juge Cory à témoigner, mais il n'a pu se rendre à notre invitation.
Mme Dianne Martin, professeure, Osgoode Hall Law School, projet Innocence, Université York: Comme vous le savez, honorables sénateurs, je suis la directrice du projet Innocence de la Faculté de droit d'Osgoode Hall et j'ai été administratrice fondatrice de l'AIDWYC. Le projet Innocence est quelque peu différent de l'AIDWYC, même s'il jouit de bons rapports avec elle, dans la mesure où je dirige des étudiants en droit. Le projet existe depuis cinq ans. Ce qui veut dire que près de 40 étudiants en droit ont appris à comprendre les causes des condamnations injustifiées et des recours qui existent. Ces étudiants ont étudié quelques centaines de dossiers au moins depuis lors. Notre arriéré est désespérant. Huit étudiants par année, à qui on crédite neuf heures de cours dans l'année universitaire, ne peuvent pas maîtriser un volume de travail pareil.
Il faut faire des choix déchirants entre des causes qui ont toutes les apparences d'une condamnation injustifiée. Nous avons dû choisir des causes entendues en Ontario. Nous sommes en train d'organiser une conférence qui aura lieu au printemps et qui réunira d'autres facultés de droit du pays qui font le même travail, travail malheureusement nécessaire.
En ma qualité d'éducatrice, je suis heureuse d'enseigner à mes étudiants comment fonctionne le système de justice. En ma qualité de Canadienne, je suis très mal à l'aise de voir que ce sont mes étudiants qui se chargent d'annuler les condamnations injustifiées de personnes innocentes, et qui n'ont pour alliés que ces merveilleux avocats de l'AIDWYC qui servent fréquemment de mentors à ces étudiants. Ce sont là des épaules bien fragiles pour un fardeau aussi lourd. Très peu de gens ont une mère comme Joyce Milgaard. Très peu de gens ont bénéficié des efforts de leurs concitoyens prêts à harceler la GRC jusqu'à ce qu'ils tombent enfin sur un agent en Nouvelle-Écosse prêt à faire l'enquête voulue - il s'agissait de l'affaire Donald Marshall. Il a fallu que des gens s'adressent à la GRC à maintes et maintes reprises, jusqu'au jour où un agent honnête a pris l'affaire en main. Sans ce policier, Donald Marshall serait encore en prison. Bien des années plus tard, dans l'affaire Sophonow, un agent de police s'est hasardé à dire: «Il y a quelque chose qui ne va pas.»
L'idée que les condamnations pour meurtre sont toujours fondées et que des recours sont accordés en appel lorsque des erreurs se produisent, est tout simplement fausse.
Une hypothèse encore plus troublante a été exprimée aujourd'hui par la ministre avec la plus grande sincérité, à savoir l'idée que son ministère s'occupe des autres cas, et rien n'est plus fallacieux. Cette question a été étudiée plus d'une fois au Canada. J'ai participé à la révision de plus de 100 cas de condamnations injustifiées et les ai analysées pour le compte de l'enquête Kaufman. Nous avons dégagé des causes communes ainsi que des erreurs communes que commettent les policiers. Le Canada ressemble à l'Angleterre en tous points. Des motifs nobles, la corruption, l'idée que la fin justifie les moyens lorsque nous nous empressons de porter un jugement pour élucider un crime terrible, ce qui est la recette idéale pour une condamnation injustifiée, on a vu tout cela ici, tout comme en Grande Bretagne.
Nous avons également étudié le système que nous avons en vertu de l'article 690. Un étudiant de deuxième cycle avec qui je travaille à l'Université Simon Fraser a analysé les effets produits par l'article 690 au cours des 90 dernières années. Le dossier est accablant parce qu'il ne révèle pas tous les cas de vraie justice. D'après les preuves réunies, on a surtout cherché à écarter ces cas.
Mes étudiants ont fait des recherches et examiné un certain nombre de cas écartés par le ministre de la Justice ces dernières années. Quand on lit ces documents, on voit bien que ce sont des arguments accusatoires que l'on invoque: «On n'a pas soulevé quelque chose d'assez significatif» ou «On n'a rien soulevé de nouveau». On est loin ici d'une évaluation mesurée, juste et objective visant à déterminer si l'on a appréhendé le véritable auteur du crime.
Mes étudiants partent d'un point de vue de neutralité. Nous ne sommes pas là - et ce n'est pas le cas non plus de l'AIDWYC - pour jouer à l'avocat de la défense. Nous ne sommes pas là pour exonérer les coupables. Mes étudiants sont à la recherche de la vérité. Cependant, ils comprennent que, pour trouver la vérité, il faut partir sans préjugé. Ce qui veut dire que vous n'êtes pas convaincu d'emblée qu'il s'agit d'une personne coupable qui a eu droit à un procès équitable et qui a eu une ou deux bonnes chances en appel, et de là on voit si on a oublié quelque chose; cela signifie qu'on part d'un point de vue de neutralité et qu'on se demande: «Qu'est-ce qui s'est produit ici? Qui est mort? Qui a été reconnu coupable, et sur la foi de quelle preuve? Dans quelle mesure cette preuve est-elle solide? Résiste-t-elle à cet examen initial?»
Cette perspective étant établie, vous ne serez pas du tout surpris d'apprendre que les commissions royales au Canada ont conclu, que les commissions d'enquête au Royaume-Uni ont conclu, que diverses institutions aux États-Unis ont conclu, et des instances semblables en Australie en ont conclu qu'il arrive parfois qu'on se trompe. Il ne s'agit pas d'erreurs en droit; c'est parce qu'on s'est trompé.
On ne peut pas partir d'un point de vue accusatoire. C'est l'un des trois points où je suis tout à fait en désaccord avec cette proposition qui modifie l'apparence de l'article 690 en offrant ce recours aux auteurs d'infractions condamnés à une peine d'emprisonnement maximale de six mois, et en disant à ces pauvres diables qui croupissent en prison mais qui n'ont pas Joyce Milgaard pour mère ou qui ne peuvent compter sur le dévouement de mes étudiants, qu'ils n'ont qu'à consulter le site Web pour prendre connaissance des règles et du formulaire. On ne réglera pas ce problème avec des ajustements superficiels et des détails de procédure comme «Désormais, le formulaire sera accessible au public».
On règle ce problème en soustrayant ce processus à la personne qui a pour fonction justement de faire respecter la loi. Je veux un ministre de la Justice qui défendra notre système de justice; c'est un système merveilleux - qui n'est pas meilleur que les autres pays où l'on se trompe, mais qui est de loin supérieur à plusieurs autres dans le monde. Je veux qu'elle défende notre système de justice, mais je ne veux pas la voir prétendre qu'elle peut faire l'impossible et rendre justice tout en faisant preuve de miséricorde.
Vous avez entendu la ministre. Dans son esprit, le fait d'annuler la condamnation d'un innocent est un acte de miséricorde. Ce n'est pas du tout un acte de miséricorde; c'est un acte de justice fondamentale et un besoin. La justice doit être équitable, objective et neutre. Il faut partir d'un point de vue de neutralité.
Par conséquent, son point de vue est mauvais. Et il y a deux autres déficiences mineures qui en découlent. Je les ai signalées, et j'ai toutes sortes d'exemples qui démontrent pourquoi ce point de vue est si dangereux.
Pour faire annuler une condamnation injustifiée, la ministre insiste pour que l'on présente des preuves nouvelles. L'intéressé doit trouver des preuves substantielles dont il n'a pas été fait état au procès, sans quoi il n'y a pas de révision possible. On va continuer d'avoir des innocents qui ne disposent pas d'information nouvelle. Comment l'intéressé peut-il trouver des informations nouvelles et substantielles qui vont retenir l'attention du ministre?
Je peux vous dire comment on ne trouve pas ces informations. On ne les trouve pas en invoquant la Loi sur la protection des renseignements personnels pour avoir accès aux preuves qui ont établi votre culpabilité. Je vous ai remis le texte de l'article 19.1 de la Loi sur la protection des renseignements personnels qui oblige le responsable d'une institution fédérale à refuser la communication des renseignements personnels qui ont été obtenus à titre confidentiel des administrations municipales ou régionales constituées en vertu de lois provinciales. L'alinéa 19.1d) englobe par conséquent les services de police municipaux.
Quand un client du projet Innocence, qui affirme être innocent depuis 29 ans, a demandé en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels à voir le dossier de police qui a établi sa culpabilité, savez-vous ce qu'il a reçu? Il a reçu ceci: un rapport d'enquête de police. On voit ici en grosses lettres, 19.1d). Ce document a été lu intégralement. Quelqu'un - probablement un agent de police - a conclu que ce dossier était visé par l'exemption de l'alinéa 19.1d). Un bout de papier blanc a été placé sur ces informations, et c'est ce que mon client, M. Phillion, a reçu. De l'autre côté, même chose. C'est un autre document essentiel, dont une partie des éléments a été effacée. Les informations pertinentes, et je vous assure qu'elles sont particulièrement pertinentes, ont été effacées et on a mis un bout de papier dessus. Il a reçu des centaines de pages comme celle-là, avec la mention 19.1d).
Caché sous ce bout de papier, sous la photocopie, il y avait le paragraphe suivant: «Il a également été vérifié par le responsable de la station-service de Trenton que le 9 août 1967 Romeo Phillion était à la station-service entre midi et 13 heures et avait laissé la radio de sa voiture en gage parce qu'il ne pouvait payer le garage, si bien qu'il était impossible qu'il soit de retour à Ottawa à 14 h 45, heure où fut commis le meurtre. On va écrire à plusieurs services de police pour les aviser que Romeo Phillion n'est pas responsable de ce meurtre». Et cela continue.
De l'autre côté de la page, il y a une autre analyse de la confirmation de cet alibi, notamment que l'agent en question avait saisi la radio. Ce n'est pas une confirmation mystique. Cela a été confirmé il y a 30 ans par des éléments de preuve matériels. La station-service n'existe plus. Mes étudiants ont un dossier qu'ils intitulent «Témoins décédés et disparus». Après 30 ans, la station-service a disparu. On ne retrouve pas pas mal des choses nécessaires pour offrir des renseignements nouveaux importants qui justifieraient une révision. Les amendements à l'article 690 ne règlent pas ce problème affreux.
Mes étudiants ont des lettres des services de police et des procureurs de la Couronne de toutes les provinces du pays indiquant qu'ils n'ont pas le droit d'accéder au dossier d'enquête - absolument pas. Il se trouve que lorsque nous nous reposons sur nos amis de l'AIDWYC - et certains ont une grande renommée - le pouvoir discrétionnaire est exercé aux plus hauts niveaux. C'est ahurissant. Si vous n'avez pas la possibilité de trouver quelqu'un d'influent pour intervenir auprès du ministère voulu dans la province, c'est ce que l'on vous répond.
Dernière chose, l'assistance financière. La faculté de droit d'Osgoode Hall est une bonne faculté. Elle paie mon salaire. Nous avons un budget minuscule. Les étudiants vendent des T-shirts et font des tas de choses pour réunir suffisamment d'argent pour faire ce travail. L'Association in Defence of the Wrongly Convicted a organisé hier soir un concert merveilleux pour récolter de l'argent pour ce travail. C'est absolument choquant. La justice dans ce pays dépend de mes étudiants, de nos ventes de pâtisserie, de ce concert et de la bonne volonté de gens qui font ce travail bénévolement parce qu'ils ne veulent pas que nous détruisions un bon système de justice en maintenant des condamnations qui ne devraient pas et ne peuvent résister à l'examen et en permettant à des gens coupables de rester libres parce que nous préférons garder quelqu'un derrière les barreaux plutôt que de reconnaître que l'on a commis une erreur. Ce n'est pas normal; nous valons mieux que cela.
Je suis tout à fait d'accord avec M. Green et avec l'AIDWYC qui disent que la seule chose merveilleuse que peut faire le Sénat est de ralentir les choses. Peut-être que les juges qui examineront l'article 690 dans le contexte de la situation de David Milgaard sauront persuader la ministre mieux que d'autres. Peut-être que quelqu'un d'autre saura le faire. Ce projet de loi ne va pas remédier aux erreurs judiciaires au Canada. Personne ne devrait se faire d'illusions. Le projet de loi devrait être abandonné ici, où vous procédez à un second examen objectif.
Le sénateur Nolin: Je me rappelle avoir vu quelque chose récemment à la télévision. Dans ce cas, le fait que l'accusé ait finalement reçu la version complète du rapport de police lui avait probablement sauvé la vie ou du moins sa liberté.
Évidemment, il y a un examen préliminaire. Pourriez-vous expliquer brièvement le processus? La ministre procède également à un examen préliminaire. Quelle est la différence?
Mme Martin: Les processus sont similaires. Le premier examen nous permet de nous assurer que toutes les possibilités d'appel ont été épuisées. Nous n'intervenons pas tant qu'il est possible de faire appel. Le deuxième examen consiste à s'assurer qu'il s'agit d'un cas sérieux. Cela signifie pratiquement toujours un meurtre et c'est assez troublant parce qu'il y a des peines très longues imposées pour des crimes autres que le meurtre. Le troisième examen est le plus difficile et amorphe, mais il est important, il consiste à voir s'il existe quelque chose qui peut faire penser qu'il s'agit d'une condamnation injustifiée? Nous avons des critères permettant de déterminer les éléments de preuve qui ont mené à la condamnation. Que déclare l'intéressé quant à son innocence? Que peut-il offrir pour soutenir sa déclaration d'innocence?
Heureusement, on fait beaucoup de recherche sur les causes de condamnation injustifiée et j'en fais moi-même si bien que cela me satisfait, mais il ne s'agit pas simplement de mes recherches.
Il y a des cas qui retiennent notre attention: Les causes entourées de beaucoup de publicité, les marginaux, les catégories de témoignages suspects, les témoins oculaires, les aveux, certaines preuves médico-légales. Ces catégories reviennent souvent dans les cas de condamnation injustifiée. Elles sont maintenant considérées comme des indices de risque. Quand on les constate, on conclut que c'est un cas qui mérite non pas d'être adopté mais de faire l'objet d'une enquête.
Il y a des gens qui de toute évidence présentent des demandes futiles. Nous ne pouvons et nous ne voudrions jamais gaspiller les ressources du projet pour celles-ci.
Ce serait la même chose si l'on avait plus de ressources. On éliminerait les demandes de toute évidence futiles. Je ferais mon enquête sur les cas qui présentent les indices dont j'ai parlé. Je vérifierais la qualité des témoignages, puis je verrais ce qui existe d'autre. On découvre des choses remarquables quand on examine les cas avec l'esprit ouvert. C'est comme ça que nous procédons.
Centurian Ministries est probablement l'organisation bénévole la plus ancienne qui s'occupe des condamnations injustifiées dans le monde. Elle est située au New Jersey. Elle a aidé David Milgaard.
M. Green: Nous procédons de façon similaire. Nous avons une commission d'examen ou un sous-comité de l'association. Au fur et à mesure que les cas nous sont présentés, nous les transmettons au sous-comité. Cet examen préliminaire permet probablement d'éliminer rapidement environ 80 p. 100 des cas futiles où il peut y avoir erreur, mais qui ne présentent pas un grave problème d'innocence de fait.
Notre association n'adopte que les cas de déclaration d'innocence de fait qui satisfont à notre norme. Une fois adoptés, nous essayons, dans la mesure du possible et si nous avons les ressources financières voulues, de recourir à des enquêteurs privés, de voir les témoins qui ont témoigné au procès et, le cas échéant, de poursuivre les nouveaux éléments de preuve.
Dans un cas comme celui de Clayton Johnson, par exemple, de nouveaux éléments de preuve, de preuve pathologique, quant à la cause du décès ont finalement mené à une demande qui a enfin été accordée par le ministre. L'affaire est maintenant devant la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse.
Par contre, dans un cas comme celui de Thomas Sophonow, que nous soutenions depuis des années, il n'existait pas malheureusement de nouveaux éléments de preuve. Le courage de la police locale et du ministère du procureur général de la Nouvelle-Écosse, qui s'explique peut-être par le changement de gouvernement, nous a amenés à des éléments de preuve qui indiquaient clairement qu'il y avait un autre suspect, ce qui a finalement permis à Sophonow d'être totalement exonéré.
Nous insistons sur la franchise. Nous insistons également pour que le demandeur renonce au privilège procureur-client aux fins de l'affaire de sorte que nous puissions parler librement à son avocat au procès et en appel et que tous les documents, notamment toutes les transcriptions du procès et de l'appel existantes, nous soient envoyés pour que nous puissions procéder à une enquête exhaustive.
Enfin, nous faisons ce qu'une commission ou un tribunal d'examen indépendant devrait faire. Nous serions ravis de perdre ce rôle si l'on créait un tel système d'examen indépendant.
Mme Martin: La ministre a dit que rares étaient ceux qui faisaient une demande. Les prisonniers sont très cyniques lorsqu'il s'agit de faire une demande au ministre. Ils ne le font que lorsqu'il y a de la publicité sur le projet de l'AIDWYC ou le Projet Innocence parce qu'ils ne croient pas qu'il leur soit possible de réussir tout seuls et ils ont raison de ne pas le croire. Je crains que le nouveau régime ne change pas cette situation.
Le sénateur Nolin: La plupart des cas dont vous vous occupez ont d'abord suivi la procédure officielle, n'est-ce pas?
Mme Martin: Oui, c'est exact.
Le sénateur Nolin: Vient-on vous voir alors que l'affaire est entendue?
Mme Martin: Non, nous voyons les gens après.
M. Green: Nous insistons pour attendre que cela soit terminé.
Le sénateur Nolin: Vous insistez là-dessus?
M. Green: Nous demandons que les recours d'appel ordinaires aient été épuisés.
Le sénateur Nolin: Quel est votre taux de succès?
M. Green: Ma foi, nous finissons par être très sélectifs. Nous n'avons jamais présenté une demande en vertu de l'article 690 qui ait été refusée, mais je crois que seulement trois sont arrivées à ce stade. Le cas de Steven Truscott est maintenant entre les mains de la ministre.
Entendons-nous bien. Il y a certains cas pour lesquels nous avions des inquiétudes et où nous sommes allés jusqu'à - je pense à un cas en particulier - accepter un test d'ADN. En fait, le test d'ADN s'est finalement révélé inculpatoire plutôt que disculpatoire si bien que nous avons alors abandonné ce cas.
Madame la présidente, vous avez parlé tout à l'heure d'ADN. Il est important de signaler, et la ministre y a peut-être fait allusion, que c'est un outil utile tant pour l'inculpation que pour la disculpation. Ce n'est possible que dans certains cas, lorsqu'il y a un fluide corporel ou quelque substance qui peut contenir du matériel génétique et qui peut servir à l'analyse d'ADN. Il faut pour cela que le matériel ait été préservé et ait conservé son intégrité malgré les années. Je vois que vous êtes tous au courant.
Le sénateur Nolin: Oui, nous sommes experts en la matière.
M. Green: Malheureusement, la majorité des cas dont nous sommes saisis ne disposent pas de cet outil en or. Il n'y a pas d'ADN. Cela prend du temps, du travail et de la persévérance. Nous faisons cela maintenant depuis huit ans. Nous nous occupons activement d'environ 30 cas pour le moment. Il y en a deux ou trois autres, chacun dans une province différente, où nous arrivons très près de préparer un dossier de demande en vertu de l'article 690. Nous aimerions le présenter à une commission indépendante.
Mme Martin: Il y a quelque chose qu'il ne faut pas oublier. Environ 90 p. 100 des cas sont réglés par plaidoyer de culpabilité; la grande majorité comporte des faits qui ne seront pas contestés. On trouve l'accusé à la pharmacie avec les médicaments dans la main, mais il s'est évanoui. C'est peut-être injuste, je ne sais pas, mais ce n'est pas ce qui me préoccupe pour le moment. Ce ne sont pas ces cas qui mènent à des problèmes de condamnations injustes comme celles dont nous nous préoccupons actuellement.
Il n'y a que très peu de cas où l'on peut s'interroger sérieusement sur le coupable; nous ne réussissons pas très bien dans ces cas-là. Si vous considérez les 20 dernières années, nous commençons à trouver des erreurs dans un pourcentage important de cas. Parmi les plus sérieux, ceux qui dérangent le plus la population, il y a un risque d'erreur peut-être plus important que nous reconnaissons maintenant. Les statistiques qui viennent du Royaume-Uni le confirment aussi.
Le sénateur Nolin: C'était ma dernière question. Répondez-moi honnêtement; vous êtes protégés lorsque vous témoignez ici. Si vous considérez la raison d'une condamnation injuste ou d'une erreur judiciaire, quelle est la proportion d'actes de mauvaise foi de la part de quelqu'un dans le système par rapport aux véritables erreurs? J'aimerais que vous me répondiez franchement.
Mme Martin: Votre «mauvaise foi» me laisse songeuse. Il s'agit pratiquement dans tous les cas de fautes policières mais je ne suis pas sûre que l'on puisse dire que ce soit délibéré, délibéré dans le sens de: «Je sais que j'enfreins la loi».
Le sénateur Nolin: Sciemment. Nous sommes tous avocats.
Mme Martin: «J'enfreins un règlement et je sais que j'enfreins un règlement mais le fais pour une bonne raison. Des détails techniques empêchent de parvenir à la vérité et de condamner un coupable si bien que ce que je fais est justifié». Je dirais qu'un pourcentage très faible relève d'une mauvaise foi délibérée. Cela existe, mais il est rare que quelqu'un déclare: «Je vais faire condamner un innocent. Peu importe qui nous condamnons. Donnez-moi n'importe qui, je vais le faire condamner». Par contre, il arrive très souvent que l'on néglige quelque chose qu'on ne devrait pas négliger, que l'on enterre certaines choses dans des dossiers ou que l'on perde des pièces, que l'on exerce des pressions sur un médecin légiste qui se laisse faire afin d'améliorer l'avis qui sera donné, ou que l'on dise à un témoin oculaire: «Vous êtes certain, n'est-ce pas? Vous ne voudriez pas avoir l'air idiot lorsque vous témoignerez, n'est-ce pas? La défense va vous poser des questions difficiles, alors soyez ferme».
M. Green: Je suis d'accord. Mme Martin parle de ce que l'on appelle dans notre jargon «la corruption pour noble cause» et c'est fréquent. C'est un autre genre de mauvaise foi. C'est de la bonne mauvaise foi, ou de la mauvaise foi bien intentionnée, plutôt que d'essayer de coincer quelqu'un comme on le voit tous les soirs à la télévision américaine. La plupart des causes de condamnation injuste ont été couvertes par l'identification erronée d'un témoin oculaire, la non-divulgation des documents, la rétractation de témoins, des informateurs de prison, de la science de pacotille, ce genre de choses.
Quand on y ajoute les préjugés, la nature particulièrement suspecte de l'accusé, dans un cas comme Romeo Phillion, par exemple, qui n'était certainement pas un pilier de la collectivité à l'époque, quand on y ajoute, très souvent, la nature absolument horrible du crime et le désir de la population de tourner la page et le fait que c'est le seul type que l'on a devant soi, la guillotine tombe mais elle ne tombe pas sur la tête du coupable.
Le sénateur Andreychuk: Tout cela est très intéressant. Il y a longtemps que je n'avais pas réfléchi à certaines de ces choses depuis que je n'exerce plus. Vous avez parlé de la corruption pour noble cause et comment on peut en arriver à ces cas qui vont en appel et qui aboutissent tout de même à la condamnation de l'innocent au fait que justice n'est pas rendue alors que l'on a épuisé tous les recours du système.
Je ne sais pas si vous voulez pousser plus loin votre réflexion; j'y ai beaucoup réfléchi récemment, tout comme le comité. Aujourd'hui, nous avons adopté le projet de loi C-24 qui donne à la police le pouvoir d'enfreindre la loi s'ils sont désignés, sachant qu'ils bénéficieront d'une certaine immunité. Je suis désolée d'être arrivée en retard, mais j'ai été aux audiences sur le projet de loi C-36. Dans ce projet de loi, nous donnons maintenant des pouvoirs d'enquête inhabituels à la police et au procureur sans y avoir à mon avis très bien réfléchi. Cela se fera, avons-nous découvert, probablement à huis clos. Ainsi, pour une très noble cause, la lutte contre le terrorisme, la lutte contre les bandes criminelles et leurs activités, nous élargissons ces pouvoirs. Pensez-vous que le genre de travail que vous faites est encore plus important aujourd'hui? Avez-vous discuté avec le ministère et expliqué qu'il était encore plus important de faire ce que vous faites alors que nous nous lançons dans ce nouveau régime?
M. Green: J'y ai en effet pensé. Certes, du moins à ma connaissance, la ministre de la Justice n'a pas demandé l'avis de mon association à ce sujet. Très franchement, j'avais complètement négligé de réfléchir au projet de loi C-24. J'ai par contre réfléchi, comme probablement tout avocat, aux problèmes que pose le projet de loi C-36.
J'ai examiné certaines des dispositions du projet de loi, mais ne l'ai pas lu en entier et j'ai immédiatement conclu qu'il y aurait un risque énorme de nouvelles condamnations injustifiées du fait des licences que l'on accorde d'une part à la police et d'autre part du fait que l'on demande moins de comptes avant la mise en accusation, au moment de l'enquête et, surtout, à l'étape judiciaire. À ce stade, les normes seront moins strictes en ce qui concerne l'admissibilité et la qualité des éléments de preuve. Même chose pour ce qui est de la portée des privilèges dans ces domaines et des limites à l'examen des décisions prises par les juges. Comme l'a dit Mme Martin, tout cela est une recette d'erreurs judiciaires. En particulier, étant donné les circonstances, si je puis m'exprimer ainsi, il va falloir des gens courageux dans notre système de justice pénale, ou notre système de justice terroriste qu'il deviendra, pour résister à la tentation de se laisser emporter par le courant et protéger les valeurs sur lesquelles ce pays est fondé, valeurs qui nous ont donné le sentiment d'être un peuple démocratique qui vit dans une société qui chérit ces valeurs. Je ne voudrais pas faire trop de grandes envolées.
Très simplement, je n'y ai pas réfléchi à fond mais, oui, je me suis fait la réflexion que cela allait augmenter la charge de travail de l'AIDWYC.
Mme Martin: Je suis tout à fait d'accord. Vous vous rappellerez que le grand scandale des condamnations injustifiées au Royaume-Uni a éclaté quand on a découvert que l'on avait condamné par erreur des membres de l'Armée républicaine irlandaise suite à une explosion dans un pub. C'est un climat d'antiterrorisme qui avait mené à ces enquêtes bâclées auxquelles les juges étaient passés outre. Une vingtaine de personnes avaient été condamnées à tort tout simplement parce que la terreur engendre la crainte. C'est une leçon que nous semblons avoir oubliée alors que nous nous précipitons dans la même voie. Ce n'est pas comme si l'histoire ne nous avait pas donné de bons exemples, mais c'est comme si nous ne voulions pas pour le moment tirer de leçon.
Le sénateur Andreychuk: Merci de nous avoir indiqué pourquoi vous pensiez qu'il devrait exister une commission indépendante quelconque plutôt que le processus défini par la ministre. Très franchement, je n'avais pas songé à toutes les nuances que vous avez énoncées.
Il y a des années, quand on déclarait que quelqu'un n'était pas coupable pour cause d'aliénation mentale le cas de cette personne était laissé à la discrétion du lieutenant-gouverneur en conseil. J'ai travaillé à cela. J'en suis arrivée à la conclusion que si la décision finale, qu'elle soit donnée par une commission indépendante ou quelqu'un d'autre, était laissée à un politique - les politiques sont totalement allergiques au risque.
Je me rappelle une conversation avec un premier ministre provincial qui m'a dit: «Garantissez-moi que si je le relâche, il n'arrivera rien». Ma réponse fut: «Vous venez de vous faire élire. Vous avez cinq ans pour vous tirer de cela.» Il m'a répondu: «Sur certaines choses, les gens ont la mémoire courte mais sur d'autres, ils l'ont beaucoup plus longue.»
Si l'on parle de prérogatives, n'est-il pas inévitable que nous fassions face à cette situation si une décision est laissée à un politique? Ils n'ont pas l'habitude de prendre de risques. Ce n'est pas que le ministère ne peut pas fournir ce genre de preuve, mais un politique n'est pas forcé de le faire. Il est plus facile de dire non que oui.
M. Green: Vous êtes très perspicace et je vous remercie beaucoup de nous avoir donné ce point de vue. En fait, comme vous le savez peut-être, c'est ce genre de préoccupations qui a amené la Cour suprême à une réforme totale du système de révision pour ceux qui étaient jugés non coupables pour raison d'aliénation mentale. On dit maintenant criminellement non responsable pour raison de trouble mental. Il y a maintenant un processus de révision plus indépendant qui évite ce risque de contamination politique.
La présidente: J'admire votre travail et votre intervention a été très intéressante. Vous voulez que nous avancions lentement. Essentiellement, vous voudriez que nous éliminions cette partie du projet de loi. Ma question est très simple: est-ce mieux que le système actuel? Ce n'est pas ce que vous souhaitiez, mais est-ce mieux que le système actuel?
M. Green: Il y a une amélioration, et celle-ci est importante. Cela donne au ministre le pouvoir d'obliger à produire des documents et d'obliger à témoigner par assignation.
Ce que je veux dire, c'est que ce n'est pas le pouvoir qui pose problème, mais qui va en user et à quelle fin. Je serai très franc. Si le comité fait ce qu'il devrait en éliminant cette partie du projet de loi et si la ministre n'attend pas les résultats de l'enquête Milgaard, elle proposera à nouveau des réformes appropriées, comprenant cette disposition en particulier, sachant qu'il y aura un tribunal indépendant plutôt que de laisser ce rôle à son ministère. Sinon, au nom de tous ceux qui sont condamnés injustement, nous sommes prêts à prendre le temps voulu pour que cela soit fait correctement.
Le sénateur Nolin: Avez-vous un avis juridique à nous donner sur la raison pour laquelle il y a deux voies différentes et qu'il ne faut pas les confondre?
Mme Martin: Je pourrais mettre un étudiant là-dessus rapidement. C'est en effet très intéressant.
La présidente: Il faudra que ce soit rapide parce que nous avons l'intention de passer à l'étude article par article du projet de loi jeudi prochain.
Mme Martin: Vous seriez surprise.
La présidente: Merci beaucoup.
Honorables sénateurs, le sénateur Kinsella a découvert une erreur typographique dans le projet de loi C-40. C'est à la page 12. Tout le monde l'a reçu. L'article 45 stipule que:
45. La même loi est modifiée par adjonction, après l'intertitre «DISPOSITIONS GÉNÉRALES» SUIVANT L'ARTICLE 15, DE CE QUI SUIT:
«After section 15» dans la version anglaise est écrit en majuscules alors que ce devrait être en minuscules. Dans la version française, seulement les deux mots «dispositions générales» devraient être en majuscules. Le reste devrait être en minuscules.
Nous avions espéré que M. Audcent serait là pour nous dire qu'il s'agit effectivement d'une erreur typographique. Malheureusement, il est à l'étranger. Je me suis assurée que vous ayez chacun sous les yeux le document qu'il a préparé sur ce type d'erreurs.
Si vous passez à la page 6 du rapport, le paragraphe 7 indique que toutes les parties d'un projet de loi ne deviennent pas des textes. Il nous renvoie au paragraphe 1 de l'article 2 de la Loi d'interprétation qui stipule que:
[...] «texte» tout ou partie d'une loi ou d'un règlement;Malgré cette définition, M. Audcent dit qu'un texte n'inclut pas les éléments «richesses fonctionnelles» d'une loi. Un texte, par exemple, n'inclut pas des choses comme le formatage, l'espace laissé en blanc, le choix du caractère et la dimension du caractère.
De par cette définition, cet incident serait considéré comme une erreur typographique. Je crois que nous sommes autorisés à corriger cela sans trop de problèmes.
Si le comité est d'accord, nous prendrons les mesures nécessaires pour demander au légiste et au conseiller parlementaire de corriger l'erreur d'impression. Quelqu'un peut-il en faire la proposition?
Le sénateur Moore: J'en fais la proposition.
La présidente: Tous ceux qui sont en faveur?
Des voix: D'accord.
La présidente: Adoptée.
Est-il convenu que le comité passe maintenant à l'étude article par article du projet de loi C-40?
Des voix: D'accord.
La présidente: Le titre est-il réservé?
Des voix: D'accord.
La présidente: L'article 1 est-il réservé?
Des voix: D'accord.
La présidente: Les articles 2 à 84 sont-ils adoptés?
Des voix: D'accord.
La présidente: Adoptés. L'article 1 est-il adopté?
Des voix: D'accord.
La présidente: D'accord. Le titre est-il adopté?
Des voix: Adopté.
La présidente: Le projet de loi est-il adopté?
Des voix: D'accord.
La présidente: Dois-je faire rapport du projet de loi sans amendement en notant l'erreur typographique à la prochaine séance du Sénat?
Des voix: D'accord.
La présidente: Nous avons terminé le dernier point à notre ordre du jour.
Sénateurs, nos prochains témoins sont là.
Allez-y.
[Français]
M. Vince Westwick, conseiller juridique, Comité de modification des lois, Association canadienne des chefs de police: Madame la présidente, je suis le coprésident du Comité de modification des lois de l'Association canadienne des chefs de police. Je suis accompagné de M. Michel Shard, de la Police provinciale de l'Ontario, également membre de l'Association canadienne des chefs de police et de Mme Corinne Bourgon, du Service de police d'Ottawa, qui travaille sur le dossier de l'association.
L'Association canadienne des chefs de police représente 950 chefs, chefs adjoints et membres exécutifs policiers, et plus de 130 services policiers à travers le Canada. L'Association s'engage à modifier progressivement les lois associées aux crimes et aux questions qui touchent la sécurité de la communauté.
[Traduction]
C'est un honneur et un plaisir d'être ici aujourd'hui pour vous parler du projet de loi C-15A. Je vous transmets les meilleurs souvenirs du président de l'Association canadienne des chefs de police, le commissaire Boniface qui n'a pu venir avec nous.
Ce projet de loi, même dans sa version raccourcie, contient énormément de choses importantes pour la police. Comme nous n'avons pas beaucoup de temps, nous n'insisterons que sur les points qui sont à notre avis les plus importants et qui méritent d'être expliqués ou précisés.
M. Mike Shard, membre, Association canadienne des chefs de police: Le 3 octobre, nous avons comparu devant le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles de la Chambre des communes pour lui dire que le projet de loi C-15A représente un certain nombre de mesures importantes pour les services de police au Canada. Nous vous remercions de nous avoir invités à vous présenter notre point de vue sur ce projet de loi. Nous en profiterons pour insister sur certains des points saillants et vous expliquer l'incidence qu'auront ces dispositions sur le maintien de l'ordre.
Je voudrais d'abord vous parler des dispositions concernant l'exploitation sexuelle des enfants. L'objet de ces amendements, c'est de suivre l'évolution de cette problématique de notre société, notamment en ce qui concerne les possibilités offertes par Internet. Ces dispositions donnent à la police certains moyens concrets d'intervention. La société a une responsabilité toute particulière quand il s'agit de crimes dont les victimes sont des enfants. Beaucoup d'entre vous savent sans doute que le chef Fantino de Toronto s'intéresse à ces questions depuis longtemps. D'après lui, toute amélioration dans ce domaine est souhaitable, mais il encourage le comité à suivre de très près l'incidence de ces dispositions. Étant donné l'évolution de la technologie, il est essentiel que la société dispose des outils nécessaires pour protéger ses enfants contre l'exploitation.
Un excellent exemple de ce genre d'outil, c'est la disposition qui permet au tribunal d'ordonner la suppression de pornographie infantile sur des sites Internet. À notre avis, ce pouvoir se trouve à l'article 13 et constitue un outil important d'enquête et de prévention. Il existe ainsi dans la loi un mécanisme qui permet la suppression de la pornographie en question, empêchant de cette façon la possibilité de continuer d'exploiter ces victimes.
La disposition qui interdit la communication au moyen d'un ordinateur afin de leurrer un enfant est également une mesure importante et utile qui va nous aider à protéger nos enfants dans un domaine où leur vulnérabilité a déjà été avérée. Nous avons quand même quelques suggestions à faire concernant cette disposition.
D'abord, nous sommes un peu préoccupés par la hiérarchie des âges indiqués aux sous-alinéas. Cela risque de créer certains problèmes d'ordre pratique dans l'enquête et la poursuite. Deuxièmement, nous nous demandons si les définitions sont suffisamment larges afin de s'appliquer aux courriels intranet ou internes et aux genres de systèmes informatisés qui sont maintenant assez répandus dans les secteurs public et privé. Dernièrement, la disposition ne vise pas les adultes qui facilitent la commission des infractions mentionnées dans l'article. Cela se produit quand un adulte demande l'aide d'un autre adulte afin de leurrer un enfant à des fins sexuelles, par exemple, et une disposition qui s'applique à ce genre de cas aiderait nos agents clandestins dans leurs enquêtes.
Je vais maintenant passer à la disposition qui concerne le désarmement d'un agent de police. Cette disposition importante a été introduite grâce au travail acharné de nos collègues de l'Association canadienne des policiers et policières. La mesure est fortement appuyée par l'Association canadienne des chefs de police et nous estimons que cet article est essentiellement de nature préventive et cherche à réduire le nombre de tentatives de désarmement d'agents de police. Nous croyons que cette disposition importante permettra ainsi de réduire le nombre de policiers et de passants innocents blessés ou tués lors de ce genre d'infraction.
Pour ce qui est de certaines questions concernant la procédure criminelle, depuis des années l'Association canadienne des chefs de police demande qu'on apporte des modifications à la procédure criminelle et estime qu'il ne s'agit pas là simplement d'amendements de forme. On entend de la part des citoyens beaucoup de frustration concernant notre système de justice pénale. Parfois les critiques sont basées sur de mauvais renseignements et parfois elles sont fondées. À notre avis, certaines dispositions du Code criminel sont tout simplement désuètes et ont été rendues caduques par de nouvelles technologies et méthodes. S'accrocher aux vieilles procédures nous coûte de l'argent et du temps et ne favorise en rien les intérêts de la justice.
Nous avons présenté notre point de vue sur des questions techniques mais notre souci fondamental, c'est le respect et l'intégrité du système de justice pénale. Nous vous demandons donc d'étudier soigneusement nos observations à ce sujet. On peut résumer nos propos en disant que de façon générale, les mesures envisagées sont importantes mais malheureusement ne vont pas assez loin.
En ce qui concerne les comparutions à distance, il arrive tous les jours dans nos tribunaux que des personnes placées sous garde comparaissent pour demander un renvoi et restent sous garde, et cetera. Généralement, ces formalités prennent moins d'une minute et dans certains cas, seulement quelques secondes. Il ne s'agit pas de procès ni d'audiences mais simplement d'ajournements. Plusieurs provinces essaient de mettre en place un système par vidéo afin d'éviter les dépenses exorbitantes reliées au transport et à la garde des prisonniers qui comparaissent pour un renvoi. Le problème, c'est que d'après la loi actuelle et le projet de loi, cela reste facultatif. Il faut comprendre que les prisonniers sont contents de cette possibilité de sortir de leurs cellules pour la journée pour comparaître devant le tribunal. Il nous faut quelque chose qui permet à ce système de fonctionner.
En ce qui concerne les poursuites personnelles, c'est un sujet très important pour la police et pour les agents de la Couronne. Tout le monde a le droit de lancer une procédure pénale contre une autre personne, en vertu du droit criminel. Malheureusement, on fait souvent un mauvais usage de ces dispositions. Par exemple, il y a eu plusieurs causes très publicisées à Ottawa où des policiers et des hauts fonctionnaires ont été soumis à des mois de stress et de dépenses à cause de ce genre d'action. Encore là malheureusement, une fois la procédure lancée, d'autres agents hésitent à l'interrompre, et il est inquiétant de voir jusqu'où ces poursuites peuvent aller.
Un membre exécutif de la GRC dit avoir fait une crise cardiaque à l'idée d'affronter ce genre de procédure sans fondement mais stressante. En ce moment, nous savons qu'il y a des causes en cours à Toronto, Oshawa et Peel.
Je suis le commandant du Bureau des normes professionnelles de la Police provinciale de l'Ontario et je connais très bien la procédure pour ce qui est des plaintes contre la police, ce qui inclut la surveillance civile et les droits d'appel du plaignant. Mais les poursuites privées sont de plus en plus utilisées comme solution de rechange au processus approprié de plaintes et d'appel.
Des dizaines de milliers de dollars de fonds publics et de vastes ressources sont gaspillées par ces actions peu réfléchies. Par suite de notre comparution devant le Comité de la Chambre des communes et de lettres envoyées aux ministres de la Couronne de la province de l'Ontario, nous pouvons vous dire que la province examine de près ces dispositions, surtout par rapport aux agents de police.
En conséquence, nous éprouvons la même préoccupation visée par cette disposition, mais nous croyons que les articles proposés ne vont pas assez loin. Nous convenons que les demandes de poursuites privées devraient être soumises à un juge, mais nous allons plus loin et nous recommandons ce qui suit: Si un juge décide qu'il y a matière à poursuite, la Couronne devrait s'en occuper afin que la communauté soit assurée que la poursuite est une démarche convenable et professionnelle qui respecte les lois et les normes établies par le Parlement et les assemblées législatives provinciales. Nous croyons que cette question exige une démarche cohérente, et qu'elle ne devrait pas être réglée par le biais des politiques provinciales.
Enfin, en ce qui concerne les enquêtes préliminaires, ces enquêtes ont traditionnellement été utilisées dans la plupart des cas graves afin de déterminer s'il y avait suffisamment d'éléments de preuve pour justifier un procès et s'assurer que la preuve ait été communiquée à l'accusé. La Couronne doit présenter tous ses témoins et plaider sa cause devant le juge à l'audience préliminaire. La défense produit rarement des preuves. L'Association canadienne des chefs de police a des opinions bien arrêtées à ce sujet et soumet ses observations au gouvernement depuis plusieurs années au sujet des enquêtes préliminaires. Nous saluons les mesures importantes prises dans le projet de loi C-15A pour limiter la portée des enquêtes préliminaires, mais nous nous demandons pourquoi ces enquêtes ne sont pas tout simplement supprimées. Elles coûtent très cher, prennent beaucoup de temps et nous croyons qu'à la lumière de la Charte ou des lois sur la divulgation, elles ne sont tout simplement plus nécessaires.
En conclusion, notre association et ses membres vous savent gré de l'occasion de comparaître devant ce comité pour vous faire part de nos observations sur l'avenir du droit criminel canadien.
M. David Griffin, agent exécutif, Association canadienne des policiers et policières: Honorables sénateurs, nous sommes vraiment très reconnaissants d'avoir la possibilité de comparaître devant le comité aujourd'hui pour appuyer le projet de loi C-15A. M. Sandy Brohman, président de l'Association des policiers de la région de Peel, m'accompagne aujourd'hui. M. Brohman prendra la parole au sujet de la disposition proposée dans le projet de loi concernant le désarmement d'un agent de la paix. Par la suite, je prendrai la parole pour vous parler d'autres éléments du projet de loi C-15A.
M. Sandy Brohman, président de l'Association des policiers de la région de Peel, Association canadienne des policiers et policières: L'agent de police Scott Rossiter a commencé sa carrière dans la police à la 21e division de la Police de la région de Peel. Après avoir épousé Penny, qui est également une employée, et après avoir décidé de fonder une famille, Scott et Penny ont décidé de déménager dans une plus petite collectivité dans le sud-ouest de l'Ontario afin d'améliorer leur vie. Scott a donc quitté Peel pour travailler pour le service de police d'Ingersoll.
Le 19 septembre 1991, Scott faisait le quart de soir et s'est arrêté pour interroger un cycliste dans le stationnement municipal à côté du poste de police. Une querelle a eu lieu et le cycliste a réussi à s'emparer du revolver de Scott. Atteint d'une balle à la tête, l'agent Rossiter a été mortellement blessé. Il avait 30 ans, et était père de deux jeunes enfants.
Nous ne savons pas combien d'agents de police ont été tués avec leurs propres armes à feu au Canada. Même si nous n'avons pas de statistiques portant sur le nombre d'incidents impliquant le désarmement ou les tentatives de désarmement d'agents de police, nous savons que ce genre d'agression se produit de plus en plus.
Je voudrais vous parler des raisons pour lesquelles nous avons besoin de cette nouvelle disposition et évoquer quelques cas récents impliquant des policiers de Peel. Comme vous le savez peut-être, la police de la région de Peel dessert environ un million de citoyens des villes de Brampton et Mississauga, à l'ouest de Toronto, ainsi que l'aéroport international Pearson.
Le 7 décembre 1998, l'agent de police Michael Seymour travaillait en uniforme quand il est intervenu dans une querelle entre plusieurs hommes. Quand il a essayé d'arrêter un des agresseurs, le constable Seymour a été frappé au visage, on lui a rabattu sur la tête et on l'a assommé. Un homme a commencé à lui donner des coups de poing, pendant qu'un autre lui donnait des coups de pied. On lui a frappé la tête contre le sol pendant qu'on essayait de le délester de son arme à feu de service. Si un témoin n'était pas intervenu, une simple passant, les agresseurs auraient peut-être réussi, vu que deux crans de sûreté de l'étui de sûreté de l'agent avaient été dégagés.
Le 11 juin 1999, la patrouilleuse en uniforme Susan Dyet tentait d'arrêter un homme qui avait agressé un autre policier. Pendant ce temps, le suspect a mis la main sur son arme à feu et a essayé de le retirer de l'étui. Encore une fois, des témoins ont aidé la policière à empêcher l'homme de s'emparer de son revolver de service.
Le 15 août 1999, l'agent de police Kirk MacDonald travaillait en tenue civile et essayait d'arrêter un homme pour bris d'engagement. Il s'est identifié comme agent de police, et il a essayé de l'arrêter. À ce moment-là, l'homme est devenu violent, jetant l'agent contre une clôture, et le rouant de coups de pied et de genou. L'homme a tenté de prendre l'arme à feu du policier tout en criant à sa copine de faire feu sur l'agent. Heureusement, l'agent de police MacDonald a pu protéger son arme et l'individu a pris la fuite.
Le 14 mai 2000, l'agent de police Peter McLaughlin était au téléphone à l'hôpital général de Mississauga quand un patient s'est jeté sur son arme, l'a sortie de son étui et s'en est emparé. Heureusement, l'agent McLaughlin, avec l'aide du personnel de l'hôpital, a pu récupérer l'arme à feu avant que l'homme ne fasse feu.
Le 26 mai 2000, deux agents de police de Peel ont répondu à un appel concernant un individu louche. Quand le policier Chris Lachappelle est arrivé, il a été attaqué par des hommes qui ont tenté de s'emparer de son arme à feu. L'agent a pu réussir à protéger son arme à feu pendant l'attaque. Quand un deuxième agent, le sergent Bond est arrivé, un des hommes s'est lancé sur lui et a réussi à sortir le fusil de son étui. Toutefois, le fusil est tombé par terre pendant l'escarmouche. Le sergent Bond a pu empêcher l'agresseur d'atteindre l'arme et le maîtriser.
Le 18 mars 2001, la police a tenté d'arrêter quelqu'un pour conduite avec facultés affaiblies au moment où le conducteur entrait dans l'allée de sa résidence. Pendant l'arrestation, l'homme a crié à sa famille pour demander leur aide. Le père de l'homme et deux femmes sont sortis de la maison en courant et ont entouré l'agent de police en uniforme, l'inspecteur Bob Strain. Le père a essayé d'éloigner l'agent de son fils. À ce moment-là, un deuxième policier, l'agent de police Dave Manson, est arrivé et a tenté d'intervenir. Le père a ensuite essayé de prendre l'arme à feu de l'agent Manson, après lui avoir donné des coups de poing dans la figure à plusieurs reprises. L'agent de police Manson a réussi à protéger son arme à feu jusqu'à ce que d'autres policiers arrivent sur la scène.
Le 2 avril 2001, l'agent de police Dana Nicholas travaillait à l'école secondaire Clarkson comme agent de liaison quand on l'a appelée devant l'école pour régler une bagarre. Un homme âgé de 19 ans, qui avait étudié à cette école, s'est jeté sur elle, l'a frappée à la tête et au visage et l'a renversée par terre. Il lui a ensuite donné des coups de pied à la tête, au visage, aux jambes et au dos. L'agresseur a essayé à trois reprises sans succès de retirer son arme à feu de son étui. Avec l'aide du personnel de l'école venu prêter main-forte à l'agent, il a été maîtrisé.
À 8 h 30 le 13 juillet 2001, la police s'est approchée d'un homme qui marchait en pleine circulation d'heures de pointe au milieu de Steeles Avenue, une artère de la ville de Brampton. L'homme s'est précipité sur l'agent Smith lorsqu'il s'est approché de lui en criant: «Maintenant tu vas mourir», et il s'est emparé de l'arme de l'agent. Les hommes se sont battus dans la rue et l'agent Smith a réussi à protéger son arme et à maîtriser l'accusé.
Ce ne sont là que huit incidents qui ont été portés à notre attention dans mon seul service. Dix des agents de police concernés ne seraient peut-être pas revenus vivants de leur quart cette nuit-là n'étaient leur présence d'esprit, la sécurité de leur équipement, l'efficacité de leur formation et sans doute l'intervention rapide de témoins et d'autres agents de police qui n'étaient pas loin.
Quelques-uns des agents ont été blessés lors de ces incidents, mais les résultats auraient pu être beaucoup plus tragiques. Le risque encouru par un agent s'accroît d'une manière radicale lorsqu'on cherche au cours d'une arrestation à s'emparer d'un élément quelconque de son équipement de protection. Les agents de police, dans ces moments-là, ne peuvent plus se défendre adéquatement puisque leur attention est distraite par leurs efforts d'empêcher l'agresseur de s'en emparer. Dans tous les incidents que j'ai décrits, par équipement, on veut dire leur arme à feu.
Nous sommes certainement reconnaissants à la ministre McLellan d'avoir écouté nos préoccupations et d'avoir proposé cette disposition du projet de loi C-15A. Il va sans dire que nous sommes fortement en faveur de la proposition sous sa forme actuelle.
M. Griffin: Je vais maintenant parler brièvement des autres parties du projet de loi C-15A.
Les enfants sont le groupe le plus vulnérable de la société et ils ont besoin d'être protégés contre les prédateurs. La croissance de d'Internet a entraîné une forte augmentation de la disponibilité de la pornographie juvénile, ce qui aide les pédophiles à trouver de nouvelles victimes. Nous appuyons les dispositions que vous proposez à l'égard de la pornographie juvénile et de la séduction par Internet. Toutefois, nous souhaitons que le gouvernement établisse un registre national des délinquants sexuels, comme nous l'avons noté sous l'onglet A de notre mémoire.
Nous avons également proposé plusieurs autres stratégies dans nos recommandations, y compris l'établissement d'une base de données nationale de portraits photographiques, la création d'une ligne téléphonique nationale pour les dénonciations et l'augmentation à l'âge de 16 ans de l'âge où un enfant peut consentir aux relations sexuelles avec une personne plus âgée.
Nous appuyons la proposition qui ferait augmenter la peine maximale pour le harcèlement criminel. Cet après-midi, nous avons eu la chance d'entendre la discussion avec la ministre McLellan à ce sujet. De fait, un témoin de l'Association canadienne des policiers, le sergent Lynn Cunningham de Calgary, était présente lors du débat sur le projet de loi du sénateur Oliver.
Le harcèlement criminel est un crime grave contre les personnes. Nous avons recommandé et nous recommandons toujours que la loi soit renforcée en y incorporant une peine minimale importante pour le deuxième délit et les délits suivants. L'un des problèmes soulevés alors par le sergent Cunningham était le fait que dans plusieurs cas les récidivistes recevaient des peines sans incarcération, ce qui augmentait le risque et l'inquiétude de la victime. Nous avons aussi proposé des changements pour inclure le délit du harcèlement criminel, dans les dispositions du Code criminel du Canada visant les délinquants à contrôler et les contrevenants dangereux.
Nous appuyons les modifications proposées au sujet de l'exploitation sexuelle des personnes handicapées. Nous avons quelques doutes au sujet de la proposition qui traite des invasions de domiciles et nous voudrions souligner que les délits de vol avec effraction et de vol qualifié sont déjà passibles d'une peine maximale d'emprisonnement à perpétuité. Malheureusement, les peines maximales ne semblent pas avoir beaucoup d'effet sur les pratiques des juges en matière de sentence.
Les propositions visant à rationaliser la procédure criminelle semblent amener notre système judiciaire archaïque un pas plus près de l'efficacité du XXe siècle, deux ans après le passage au XXIe siècle. Nous voulons que la procédure soit modifiée afin d'obliger la divulgation électronique de la preuve documentaire; nous estimons qu'une évaluation sérieuse et contemporaine de l'efficacité de notre système judiciaire se fait attendre depuis trop longtemps.
Quant aux propositions sur les erreurs judiciaires, nous ne croyons pas que ce processus doit être appliqué aux infractions punissables sur déclaration sommaire de culpabilité, étant donné qu'il y a déjà la possibilité de faire appel des décisions, des appels qui coûtent cher. Deuxièmement, nous avons fait la mise en garde que la ministre laisse peut-être une trop grande marge de man9uvre pour la révision judiciaire de ces décisions. Enfin, nous estimons qu'il faut notifier les victimes au moment de la demande et qu'elles doivent être consultées pendant la révision. D'ailleurs, les victimes devraient recevoir une copie du résumé final de l'enquête et avoir l'occasion de présenter des demandes avant que la décision soit prise.
Nous sommes également en faveur de la proposition de l'Association canadienne des chefs de police qui porte sur les poursuites personnelles. Cette question va certainement toucher les policiers de première ligne également.
Pour conclure, nous appuyons le projet de loi C-15A, et nous avons suggéré un certain nombre d'améliorations dans notre mémoire, des modifications qui pourraient être apportées à la loi actuelle à l'avenir. Merci de nous avoir entendus; nous serons heureux de répondre à vos questions.
Le sénateur Pearson: Il nous est toujours utile d'entendre les témoignages de ceux qui ont une expérience pratique dans ces domaines, car bon nombre d'entre nous en sont assez loin.
La question de la pornographie juvénile m'intéresse. Je voudrais savoir combien de gens qui ont été accusés même en vertu des dispositions actuelles ont moins de 18 ans.
M. Griffin: Malheureusement, notre président, M. Grant Obst, n'a pas pu venir aujourd'hui. Il est policier à Saskatoon, et il travaille dans une unité qui s'occupe des crimes sexuels. Il a établi un programme à l'intention des enfants de la rue, surtout ceux qui se livrent à la prostitution. Ce programme vise les enfants qui font le commerce du sexe dans sa communauté et ailleurs au Canada, qui sont de plus en plus jeunes.
D'après ce qu'il m'a dit, et d'après ses analyses des programmes qui sont en place, on essaie de ne pas criminaliser ces jeunes, mais plutôt de les traiter comme des victimes. Je dirais qu'une grande proportion de ces jeunes ont été entraînés dans le monde de la prostitution à un âge très jeune.
Le sénateur Pearson: À mon avis, quand on réclame l'établissement d'un registre des délinquants sexuels, on se heurte au problème des enfants qui commettent des infractions sexuelles contre d'autres enfants. C'est très souvent le cas, si vous définissez un enfant comme quelqu'un âgé de moins de 18 ans. Un très grand nombre de ces infractions se font entre enfants. Bien sûr, dans cette définition on ne parle pas des enfants. Le mot «juvénile» est un meilleur terme. C'est une préoccupation quand nous sommes à la recherche d'une démarche moins répressive envers les jeunes qui font le commerce du sexe. Je ne parle pas du présent, mais de l'avenir. Quand nous examinons des questions comme celles des registres et ainsi de suite, est-ce que nous faisons des exceptions adéquates, est-ce que nous tenons compte du fait qu'il s'agit de jeunes et d'adultes?
M. Griffin: Je voudrais apporter une précision: quand on parle d'un registre des délinquants sexuels, on parle spécifiquement d'adultes qui exploitent les autres, soit des adultes, soit des enfants. Nous n'avons pas l'intention d'inscrire au registre des enfants qui font le commerce du sexe, mais plutôt des adultes qui exploitent des enfants ou les pédophiles, les délinquants sexuels invétérés et ceux qui se livrent à la violence lors d'actes sexuels. Nous ne voulons aucunement inscrire les enfants qui ont été attirés dans le commerce du sexe dans la rue.
Le sénateur Pearson: J'ai appris quelque chose d'intéressant au sujet de l'Afrique du Sud. Quand on a augmenté l'âge requis pour consentir à des relations sexuelles dans ce pays, beaucoup de gens se sont trouvés inscrits au registre des délinquants sexuels. Vous devez en tenir compte au moment de rédiger vos résolutions et ainsi de suite. J'essaie de m'assurer que nous inscrivions seulement les gens qui devraient vraiment être inscrits dans ce registre.
M. Griffin: Nous avons fait très attention de préciser qu'il s'agit d'adultes qui ont des relations sexuelles avec des enfants: disons, un adulte de 40 ans qui ramasse une adolescente de 15 ans dans les rues de Vancouver. Cette fille de 15 ans donne son consentement - mais cette adolescente de 15 ans est-elle vraiment en mesure de consentir dans cette situation? Certainement, la situation est tout à fait différente s'il s'agit de jeunes de la même catégorie d'âge qui ont des relations sexuelles. Nous ne voulons pas inscrire dans le registre un jeune de 17 ans qui a des relations sexuelles avec une fille de 15 ou 16 ans.
Le sénateur Pearson: Voilà pourquoi j'estime qu'il faut trouver le bon outil. Nous ne devrions pas croire avoir réglé le problème avec un seul outil. Ce n'est pas vraiment une question, mais plutôt une observation. Votre expérience est précieuse.
M. Westwick: Vous avez soulevé une question fort intéressante. Nous allons essayer d'y répondre en détail. Je voudrais tout simplement savoir si nous devrions vous envoyer la réponse directement ou si nous devrions l'envoyer à la présidente. C'est comme vous voulez.
La présidente: Si vous répondez par écrit, vous pouvez m'envoyer la réponse ou à la greffière, et je vais m'assurer que tout le monde en reçoive un exemplaire.
Le sénateur Pearson: Cela nous serait utile à tous.
La présidente: Je suis persuadée que nous serons confrontés à cette question une autre fois.
M. Westwick: Nous serons heureux de le faire. Ça risque de prendre un certain temps pour solliciter les avis de nos membres, mais nous allons essayer d'élaborer une réponse à cette question. Elle est très importante.
Le sénateur Joyal: Vers la fin de votre mémoire, à la page 10, au paragraphe 7, vous proposez des modifications au projet de loi C-15 afin d'exiger la divulgation électronique de la preuve documentaire, restreindre aux actes criminels les dispositions visant les demandes d'examen auprès du ministre, et éliminer la possibilité d'une révision judiciaire par le ministre, et de s'assurer que les victimes reçoivent un avis d'une demande d'un examen auprès du ministre, un exemplaire du résumé final de l'enquête, et finalement l'occasion de faire des soumissions écrites avant que le ministre prenne sa décision.
Je me rends compte que l'après-midi a été long, mais nous venons d'entendre deux témoins qui ont parlé de cette question de façon très exhaustive. Pourriez-vous nous faire part de vos opinions sur le système et la façon dont il fonctionne actuellement, et nous parler de votre recommandation visant à maintenir le statu quo plutôt que de changer la loi comme il est proposé dans ce projet de loi.
M. Griffin: Je m'efforcerai d'être bref, mais cette question couvre une foule de sujets. Le premier point évoqué au paragraphe 7 est tout à fait distinct de la question de la condamnation injustifiée. Nous nous inquiétons du fait que les corps policiers et les avocats de la Couronne essaient d'utiliser des moyens techniques, comme la ministre McLellan l'a mentionné cet après-midi, afin d'emmagasiner de la preuve documentaire sur un CD-ROM plutôt que dans des boîtes, et le problème, c'est qu'il est difficile de persuader les gens d'y consentir.
Quant aux dispositions sur la condamnation injustifiée, nous comprenons parfaitement qu'il faut des mécanismes pour régler ces cas. En particulier, nous sommes aux prises avec des cas qui datent d'il y a très longtemps, à une époque où les normes de preuve, les règles de divulgation et les tests médico-légaux n'étaient ce qu'ils sont aujourd'hui. Nous comprenons pourquoi un processus est nécessaire pour examiner ces cas.
Nous nous demandons s'il est prudent ou nécessaire d'élargir ce processus aux infractions punissables sur déclaration sommaire de culpabilité. Les témoins de cet après-midi vous ont dit qu'à l'heure actuelle, ils se limitent aux cas les plus sérieux, des cas où des gens ont été incarcérés pendant très longtemps ou sont encore derrière les barreaux.
Notre deuxième préoccupation découle de notre lecture du document de la Bibliothèque du Parlement. Je fais référence à cette question des décisions du ministre qui pourraient engendrer de façon involontaire la création d'un autre palier de révision judiciaire de ces décisions. Il faut déterminer si cette conséquence est voulue ou non. Il existe déjà des possibilités d'appel dans le système judiciaire, ainsi que le processus en vertu de l'article 690. Nous craignons que si on ajoute un autre palier, peut-être par inadvertance, si le demandeur n'est pas satisfait de la décision prise par le ministre, il demande une révision judiciaire de la décision du ministre.
Notre dernière préoccupation porte sur les victimes dans ces situations. Nous avons adopté une position relativement aux victimes dans tous les autres aspects du système judiciaire, et nous sommes restés fidèles à cette prise de position. Selon nous, il faut avertir les victimes à toutes les étapes du processus et elles doivent avoir l'occasion de faire des soumissions. Certainement, si on présente des preuves afin de mettre en doute ou contester les preuves de la victime des crimes en question, il faut en tenir compte également pendant le processus.
Si on décide d'accepter la demande, la victime ne devrait pas l'apprendre en écoutant les nouvelles à 6 heures le soir. Il faut avertir la victime au cours du processus.
Le sénateur Joyal: Du point de vue d'un juge, d'une part vous avez le coupable qui essaie de prouver son innocence. D'autre part, vous donnez à la victime la possibilité de faire des soumissions par écrit, et je ne m'y oppose pas. Ensuite, le ministre doit se prononcer, après avoir entendu deux points de vue qui risquent d'être contradictoires. J'ai déjà été ministre de la Couronne. Je ne voudrais absolument pas être obligé de prendre des décisions sur les droits et libertés des gens. C'est une responsabilité très lourde pour un ministre. Ce comité a déjà examiné le projet de loi C-40, qui portait sur l'extradition. La présidente s'en souviendra. En vertu de ce projet de loi, le ministre devra décider s'il va renvoyer un citoyen canadien, ou une autre personne, dans un pays où la peine capitale est imposée. Je n'aurais pas aimé être obligé de décider de signer les documents d'extradition ou non. À mon avis, si vous réservez la décision d'une façon arbitraire, il serait préférable de la confier à une personne indépendante.
Cette question est très difficile. Comme nous le savons tous, heureusement la peine capitale n'existe plus au Canada. Si elle existait, il serait très difficile de confier à une seule personne le soin de prendre une décision concernant la liberté d'une personne incarcérée depuis de nombreuses années. Nous savons tous que ce genre de choses arrivent. Donc, il faut nous assurer que s'il y a un système pour ces décisions, ce système doit être aussi équitable que possible. Si je le dis, c'est parce qu'il est important de protéger la personne qui doit prendre la décision. Nous ne voudrions pas qu'un ministre refuse l'autorisation, que l'enquête continue et qu'un autre ministre soit nommé pour remplacer le premier. Si le deuxième ministre accorde un examen et que la personne est trouvée non coupable, je ne voudrais pas être le ministre qui a refusé en premier.
C'est un problème réel. Ce n'est pas un film d'Hollywood. Nous serions aux prises avec une telle réalité.
Je constate votre position sur cette question. Toutefois, comme je l'ai dit, il nous faut maintenir un système des plus crédibles aux yeux des citoyens parce qu'une telle crédibilité vous aide à faire votre travail. Cette crédibilité est nécessaire pour que le système fonctionne d'une manière qui maintienne la confiance du peuple dans notre démocratie. Le système judiciaire est un élément très important de notre système démocratique.
La présidente: Si vous envoyez aux victimes un avis de demande d'examen ministériel, et je présume que le nombre de demandes reçues dépassera largement le nombre que notre ministre déciderait d'examiner, ne causez-vous pas plus de problème, plus de mal aux victimes?
M. Griffin: Je crois que d'autres seraient mieux en mesure de répondre que nous. En effet, notre association parraine le Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes. Ce centre travaille auprès des victimes, leur fournissant des conseils au sujet de notre service correctionnel et de notre système de libération conditionnelle. Les plaintes que nous entendons le plus souvent, c'est le manque d'information. Elles respectent notre processus. Elles respectent le fait que ces personnes ont le droit de soumettre diverses demandes, ont droit à des audiences et ainsi de suite. Par contre, elles ne reçoivent pas d'avis officiels la plupart du temps; elles les reçoivent de façon informelle ou par les médias.
Nous voulons surtout nous assurer qu'elles soient avisées par les canaux officiels. Il se peut que nous n'avons pas bien compris les observations des sénateurs. Cependant, il est clair que nous ne suggérons pas qu'on crée une situation où chacun sera tenu de comparaître encore une fois devant le tribunal. Souvent, dans les cas de meurtres, ce serait non pas la victime mais un membre de la famille. Nous voulons surtout que ces gens-là aient l'impression de pouvoir se faire entendre au cours du processus.
Je ne sais si nous avons vraiment réfléchi à ces conséquences involontaires. On voulait s'assurer que ces gens-là n'aient pas l'impression d'être un simple spectateur ou d'être complètement hors du processus.
La présidente: Ou complètement exclus?
M. Griffin: C'est cela.
La présidente: Je vous remercie d'avoir attendu si patiemment.
M. Brohman: J'aurais aimé que le sénateur Pearson soit toujours ici. J'aimerais réagir à son observation quant au registre des délinquants sexuels. J'ai un autre exemple de la région de Peel. Il y a environ 12 ans, un jeune garçon du nom de Christopher a été kidnappé dans un centre commercial à Brampton. J'étais de service ce soir-là. Une de mes tâches était de vérifier chaque voiture stationnée à huit pâtés de maison de ce centre. Nous avons appris par la suite que le jeune Christopher était toujours en vie plusieurs jours après son enlèvement. Il a été tué par la suite. Si nous avions su que ce délinquant sexuel habitait notre quartier et si nous avions connu ses coordonnées, nous aurions pu sauver la vie de ce jeune garçon.
La présidente: Ce n'était pas très loin du centre où ils l'ont enlevé.
M. Brohman: À peu près trois pâtés de maison.
La présidente: Merci beaucoup.
La séance est levée.