Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 27 - Témoignages
OTTAWA, le mercredi 6 mars 2002
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi S- 32, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles (promotion du français et de l'anglais) se réunit aujourd'hui à 15 h 55 pour examiner le projet de loi.
Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: À l'occasion de cette séance du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, nous poursuivons notre examen du projet de loi S-32, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles (promotion du français et de l'anglais).
Nous accueillons aujourd'hui M. Newman, qui est avocat général à la Section du droit administratif et constitutionnel du ministère de la Justice, et M. Tremblay, lui aussi du ministère de la Justice.
Monsieur Tremblay, allez-y.
[Français]
M. Marc Tremblay, avocat-conseil, Groupe du droit des langues officielles, ministère de la Justice: Honorables sénateurs, j'aimerais d'abord remercier le Comité d'accorder au ministère de la Justice l'occasion de venir témoigner sur cette importante question.
Depuis 1998, j'occupe le poste d'avocat-conseil du Groupe du droit des langues officielles au ministère de la Justice. Cette petite équipe de juristes spécialisés, dont la plupart des membres m'accompagnent aujourd'hui, est chargée de fournir des conseils juridiques au gouvernement du Canada sur toutes les questions de droits linguistiques qui découlent de la Loi constitutionnelle de 1867, de la Charte sur les droits et libertés, de la Loi sur les langues officielles, du Code criminel et de toute autre loi de nature linguistique, qu'elle soit fédérale, provinciale ou territoriale.
Le Groupe est également chargé de l'élaboration et de la coordination de la position du procureur général et du gouvernement du Canada dans les affaires linguistiques qui sont portées devant les tribunaux. Le Groupe participe à la mise en oeuvre de l'engagement du gouvernement fédéral envers la promotion du français et de l'anglais, tel que prévu à la Partie VII de la Loi sur les langues officielles.
Au niveau hiérarchique, le Groupe relève directement du sous-ministre délégué à la Justice, M. Mario Dion, qui siège au comité des sous-ministres responsables sur les langues officielles et qui est le champion des langues officielles du ministère de la Justice.
Je suis accompagné de Me Warren Newman, avocat général au sein de la section de droit administratif et constitutionnel. Il abordera aujourd'hui l'origine législative des droits linguistiques et situera ainsi la Partie VII de la Loi sur les langues officielles dans son contexte. Il apportera à la discussion de la nature de l'engagement du gouvernement fédéral envers la promotion du français et de l'anglais, la perspective d'un constitutionaliste qui oeuvre depuis plusieurs années dans le domaine des droits linguistiques.
Je présenterai ensuite les prises de position du procureur général du Canada à l'égard de la Partie VII de la Loi sur les langues officielles. Il nous fera plaisir de répondre à vos questions.
Avant de céder la parole à Me Newman, je tiens à indiquer d'emblée que notre rôle à titre de conseiller juridique au gouvernement du Canada nous impose certaines contraintes. Comme les membres du comité le comprendront sûrement, les avis juridiques que le ministère de la Justice a émis à l'intention des institutions fédérales bénéficient du secret professionnel qui lie l'avocat à son client.
Il ne nous revient pas, à titre de conseillers juridiques, d'évaluer si l'adoption du projet de loi présenté aujourd'hui est souhaitable ou nécessaire. Alors que le ministre de la Justice assume la responsabilité générale de la Loi sur les langues officielles devant le Parlement, la responsabilité à l'égard de la coordination de la mise en oeuvre par les institutions fédérales de l'engagement prévu à l'article 41 de la Loi sur les langues officielles incombe à la ministre du Patrimoine canadien. Ce ministère assume la responsabilité de l'élaboration de la position du gouvernement à l'égard du projet de loi devant vous aujourd'hui, en collaboration avec notre ministère et avec le ministre coordonnateur des langues officielles, l'honorable Stéphane Dion.
M. Warren J. Newman, avocat-général, Section du droit administratif, ministère de la Justice: Il me fait le plaisir de témoigner devant ce comité. J'ai déjà assisté aux travaux de ce comité à quelques reprises et j'ai toujours été impressionné par la qualité des débats.
J'ai eu la chance de travailler avec le sénateur Gauthier quand il était le coprésident du Comité mixte parlementaire sur les langues officielles. Ce fut une expérience inoubliable.
Je me dois de signaler que j'ai été le chargé du projet de la loi de 1988. J'ai préparé les propositions législatives. J'ai assisté aux débats devant les deux Chambres et devant les deux comités qui se sont penchés sur l'adoption de la nouvelle loi sur les langues officielles.
Cela ne me rend en aucune façon le fiduciaire de la loi ou le gardien de l'esprit du législateur, mais je serai en mesure d'apporter un éclairage utile à l'interprétation des dispositions la loi.
Je n'aurai pas le temps d'aborder tous les articles soulevés dans mon mémoire. J'ai essayé de préparer, à l'intention des sénateurs, une espèce de cheminement à partir de la Loi sur les langues officielles de 1969, en passant par la résolution parlementaire de 1973, l'adoption des modifications au Code criminel touchant la langue de l'accusé, présentées par le ministère de la Justice en 1978, et l'avènement de la Charte des droits et libertés ainsi que l'effet de celle-ci sur le principe d'égalité d'utilisation du français et de l'anglais au sein des institutions fédérales.
La Loi sur les langues de 1988 avait comme intention principale de fournir un meilleur cadre législatif pour la mise en oeuvre des droits linguistiques, et surtout des droits et obligations constitutionnalisés par les paragraphes 16 (1) à 20 (1) de la Charte, c'est-à-dire les dispositions qui relèvent du Parlement et de ses institutions.
Dans cette optique, la modernisation de la loi ou l'actualisation de la Loi de 1988 a été abordée par le comité spécial des sous-ministres qui s'est penché sur la question, et ensuite par les trois ministres convoqués par le premier ministre pour mettre en oeuvre leurs recommandations.
Dans mon texte, je présente un survol de l'ensemble de la Loi sur les langues de 1988. Je le fais parce que je crois qu'il est nécessaire de situer l'article 41, la réforme proposée par l'honorable sénateur Gauthier et les modifications de la commissaire aux langues officielles, dans le contexte de la loi. Il est très important de bien saisir la portée des différentes Parties de la loi. J'ai pris la peine de signaler les liens entre les Parties I à V de la loi aux articles 16 à 20 de la Charte, aux pages 6 et suivantes, et le fait que ces parties sont assorties d'un recours judiciaire, sauf la Partie III, pour des raisons que nous pourrons aborder plus tard. Elles bénéficient aussi d'une clause de primauté.
Quant aux Parties VI et VII de la loi, ces Parties renferment des engagements de la part du gouvernement. Le libellé de ces dispositions est tout à fait différent de celui qu'on emploie lorsqu'on veut créer des droits et obligations en vertu des cinq premières Parties de la loi.
Je vais aborder la nature de l'engagement de la Partie VII de la loi. Je mentionne d'ailleurs dans une rubrique la nature de cet engagement. L'article 41 de la Loi renferme un énoncé d'orientation formel de la part du gouvernement. Il s'agit de promouvoir la dualité linguistique du pays, de favoriser l'épanouissement et d'appuyer le développement des communautés minoritaires francophones et anglophones. Cette orientation est solennelle, permanente et visible.
Seule une loi adoptée par le Parlement pourrait modifier cet engagement. Comme vous le savez déjà, la mise en oeuvre de l'engagement est assurée par un mécanisme de coordination qui relève d'abord du ministre du Patrimoine canadien. Ce ministre a une mission particulière contenue à l'article 43. Le ministre doit prendre les mesures qu'il estime indiquées pour favoriser la progression de l'égalité du statut de l'usage du français et de l'anglais dans la société canadienne.
Cette partie s'inspire du principe de progression des langues officielles renfermé à l'article 16 (3) de la Charte. La mise en oeuvre de cet engagement et la mission particulière du ministre du Patrimoine canadien sont assez vastes. Leur réalisation dépend non seulement de l'établissement et de la gestion des priorités, et de la répartition des fonds et autres ressources disponibles, mais également de la collaboration de plusieurs autres intervenants, qui ne relèvent pas toujours du contrôle législatif et réglementaire fédéral.
Au moment de la présentation de la Loi sur les langues officielles de 1988, certaines provinces se sont interrogées sur la validité constitutionnelle de la Partie VII, parce que les objectifs dépassent largement les champs de compétence législative fédérale. Ces province ont été rassurées par le fait que cette Partie de la loi est fondée sur le pouvoir fédéral de dépenser, et parce que la Partie VII n'est pas de nature réglementaire mais plutôt de nature « programmatoire ». Par analogie, je soulève — lorsque j'avais écrit mon document pour le 21 février, c'était une question tout à fait anodine et il a coulé beaucoup d'encre depuis lors — que l'article 46 de la Loi constitutionnelle de 1982 touche l'engagement du Parlement et du gouvernement fédéral ainsi que des provinces quant à la péréquation.
Je souligne tout simplement que, de l'avis de plusieurs juristes, cet engagement n'est probablement pas justiciable. D'ailleurs, l'honorable sénateur Beaudoin, dans son excellent ouvrage sur le fédéralisme au Canada, a mentionné que la cour pourrait dire que le fédéral doit s'engager mais elle ne peut se prononcer sur les sommes dépensées. Ce serait intervenir dans la sphère parlementaire et ce, par rapport à l'engagement constitutionnalisé.
Je n'exprime aucun avis sur la portée éventuelle de cet engagement, mais je le mentionne pour démontrer que l'engagement n'est pas nécessairement du même ordre qu'une obligation, un droit justiciable.
Les cinq premières parties de la Loi sur les langues spéciales sont rédigées en fonction de droits et obligations concrets et précis, davantage susceptibles de vérification et de contrôle par un tribunal. La Partie VII, par contre, vise une orientation gouvernementale vaste et permanente, dont la mise en oeuvre doit mettre en contribution plusieurs intervenants.
Les tribunaux sont plus enclins à exercer un contrôle judiciaire minutieux sur les décisions politiques de répartition de ressources, en autant que les décideurs agissent de façon raisonnable, conformément aux valeurs qui sous-tendent notre constitution.
En droit administratif, cela soulève moins les questions de la «justiciabilité» que du degré approprié de retenue judiciaire face aux décisions prises par les acteurs gouvernementaux. La Cour suprême a adopté une démarche pragmatique et fonctionnelle en ce qui concerne la détermination du nombre du contrôle judiciaire approprié.
Dans l'arrêt Pushpanatan, le juge Bastarache a fait certaines observations qui semblent très pertinentes lorsqu'on examine le genre de décisions visées par la Partie VII de la Loi sur les langues officielles. Le passage suivant apparaît à la page 11 de mon texte:
Lorsque les objectifs de la loi et du décideur sont définis non pas comme consistant à établir les droits des parties ou ce qui leur revient de droit, mais bien à réaliser un équilibre délicat entre divers intérêts, alors l'opportunité d'une supervision judiciaire diminue.
On mentionne certaines questions politiques dites polycentriques qui font intervenir un grand nombre de considérations et d'intérêts entremêlés et interdépendants.
Selon le juge Bastarache, la procédure des tribunaux judiciaires repose fondamentalement sur l'opposition bipolaire des parties et des intérêts, tandis que certains problèmes de nature politique exigent la prise en compte de nombreux intérêts, simultanément, de nature à assurer un équilibre entre les coûts et les bénéfices pour de nombreuses parties distinctes.
Je sais que cette jurisprudence touche d'abord et avant tout des décisions administratives et des décisions des tribunaux administratifs appelés à contrôler les premières. Je suis conscient que la commissaire aux langues officielles n'est pas un tribunal administratif mais plutôt un ombudsman, et que ses fonctions sont celles de faire enquête, de faire rapport et de faire des recommandations.
Je cite d'ailleurs un passage tiré d'un des rapports annuels de la commissaire, qui fait la distinction entre le rôle de la commissaire comme ombudsman et le rôle du tribunal qui est beaucoup plus formel. J'estime que le rôle unique et les fonctions plutôt souples de la commissaire aux langues officielles semblent être très adaptés à l'enquête et à la résolution des questions relatives à la mise en œuvre par des ministres fédéraux, des engagements gouvernementaux vastes ayant trait à la politique de progression des langues officielles visées par la Partie VII de la loi.
Pour terminer, j'aborderai certaines questions qui me sont venues à l'esprit au moment où on essayait de décortiquer l'intention du législateur. Si on avait voulu créer une obligation ou un droit, pourquoi n'aurait-on pas formulé la loi ainsi? Dans les Parties IV et V, par exemple, on a au moins à 14 reprises utilisé la terminologie suivante: «il incombe aux institutions fédérales» ou «il incombe au gouvernement fédéral».
Pourquoi s'est-on obstiné à utiliser le terme «engagement»?
Et de plus, pourquoi n'aurait-on pas tout simplement ajouté la Partie VII à la liste des autres parties visées par le recours judiciaire? Pourquoi le Très honorable Ramon John Hnatyshyn, lorsqu'il était ministre de la Justice et lors de son témoignage, dans toutes les comparutions qu'il a faites — et il en a faites plusieurs, y compris devant le Comité spécial du Sénat —, n'avait-il jamais traité de la Partie VII de cette manière? Ce sont des questions qu'on peut se poser, et je me dois d'ajouter que de prétendre que le Parlement a par mégarde oublié de clarifier la portée exécutoire de l'article 41 me semble dénaturer la véritable intention du Parlement au moment de l'adoption de la loi. Cette intention se dégage autant de l'économie de la loi elle-même que de son historique législatif. De même, soutenir que la prise de position du ministère de la Justice et du procureur général du Canada quant à la portée de l'article 41 constitue une position dite «minimaliste», me semble déformer la justesse de cette position.
Cela ne veut pas dire que la Partie VII n'est qu'un voeu pieux, une coquille vide. Les commentaires de ce genre tendent à déconsidérer l'importance réelle de la Partie VII.
La Partie VII est éminemment «politique», au sens le plus noble du terme. Elle renferme l'orientation politique, solennelle et permanente du gouvernement: une orientation empreinte d'une vision de notre pays qui léguera l'héritage vivant de nos deux grandes collectivités linguistiques à nos enfants et aux enfants de nos enfants. Comme le sénateur Gauthier l'a dit de façon éloquente: «Lorsqu'on s'engage, on tient parole». Il est du devoir des représentants des deux Chambres du Parlement de veiller au respect de cet engagement par l'entremise des mécanismes de rapport et de surveillance qui font partie de la loi elle-même.
La Partie VII constitue une partie intégrante de la loi. Elle lie le gouvernement. En vertu de l'article 44 de la loi, le ministre du Patrimoine canadien doit déposer un rapport annuel au Parlement. En vertu de l'article 88, le Parlement doit désigner un comité pour recevoir ces rapports et pour suivre l'application de la loi.
En vertu de l'article 56, il incombe à la commissaire aux langues officielles de prendre toutes les mesures visant à faire respecter l'esprit de la loi et l'intention du législateur en ce qui touche l'administration des affaires des institutions fédérales, dont la promotion du français et de l'anglais dans la société canadienne. La commissaire est autorisée à mener des enquêtes par rapport à la mise en œuvre de la Partie VII, soit de sa propre initiative, soit à la suite des plaintes, et à présenter ses rapports et recommandations.
Les pouvoirs dont disposent le Parlement et son haut fonctionnaire et mandataire, la commissionnaire aux langues officielles ainsi que son comité parlementaire, pour veiller au respect de la Partie VII et de l'engagement du gouvernement fédéral envers la dualité linguistique canadienne, sont donc loin d'être négligeables. Voici ce que le juge en chef Dickson de la Cour suprême du Canada a dit dans l'affaire du Vérificateur général en 1989 à propos de certains pouvoirs de recommandations et de rapports semblables:
[...] dans les circonstances, un recours politique de cette nature constitue un recours approprié. Le vérificateur général agit au nom du Parlement dans l'exercice d'une fonction essentiellement parlementaire, à savoir la surveillance des dépenses de l'exécutif [...]
[...] Étant donné que le Parlement a indiqué dans la Loi sur le vérificateur général qu'il souhaitait que son propre préposé lui fasse rapport [...], il ne serait pas opportun que cette Cour envisage d'accorder réparation [...]
Le caractère approprié du recours fondé sur l'al.7(1)b) ne doit pas être sous-estimé.
Dans son rapport à la Chambre, le vérificateur général porte l'affaire à l'intention du public. L'Opposition est libre d'en faire un objet de débat et l'évaluation de l'opinion publique pèse dans la balance également. Le recours joue donc, selon le juge en chef Dickson, un rôle important, renforçant le rôle du Parlement sur l'exécutif.
En conclusion, la Partie VII vise à souligner l'engagement du gouvernement fédéral envers la promotion de la dualité linguistique, une caractéristique fondamentale de notre pays. Elle vise également à fournir un meilleur cadre législatif pour les programmes du ministère du Patrimoine canadien. La mise en oeuvre efficace de la loi repose sur un équilibre délicat entre l'action gouvernementale et les recours administratif, parlementaire et judiciaire.
M. Tremblay: Il a été largement question de l'interprétation de l'article 16 de la Charte durant les travaux de ce comité. Par conséquent, je considère qu'il est approprié d'offrir quelques précisions quant à la position du procureur général du Canada à l'égard des paragraphes (1) et (3) de l'article 16 de la Charte.
D'emblée, on peut dire que la Partie VII de la Loi sur les langues officielles est une manifestation du principe de progression vers l'égalité du statut des deux langues officielles par voie législative, un principe confirmé au paragraphe 16(3) de la Charte. Que signifie exactement, aux niveaux juridique et pratique, cet engagement? Dans son mémoire d'intervention dans le dossier de l'Hôpital Montfort, un dossier bien connu, le procureur général du Canada a plaidé que ce principe de la progression énonce une règle d'interprétation très importante. Le paragraphe 16(3) prévoit que la présente Charte ne limite pas le pouvoir du Parlement et des législatures de favoriser la progression vers l'égalité de statut de l'usage du français et de l'anglais.
Plusieurs intervenants semblent confondre le paragraphe 16(1) confirmant le principe de l'égalité réelle des droits linguistiques existants et le paragraphe 16(3) de la Charte. Mettons les chose au clair! Dans l'arrêt Beaulac, la Cour suprême a confirmé que les paragraphes 16(1) et 16(3) de la Charte ont une portée distincte:
L'idée que le par. 16(3) de la Charte, qui a officialisé la notion de progression vers l'égalité des langues officielles du Canada exprimée dans l'arrêt Jones, limite la portée du par. 16(1) doit également être rejetée.
Ce sont deux dispositions à teneur distincte.
Dans la même affaire, le juge Bastarache a indiqué que l'application du principe de la progression est illustré par l'adoption de la Loi sur les langues officielles de 1988 qui, elle, va au-delà des exigences constitutionnelles. Quel est donc le contenu de ce principe? L'arrêt Beaulac nous indique le principe de la progression du français et de l'anglais, qui a été énoncé pour la première fois par la Cour suprême du Canada en 1975, dans l'affaire Jones, et qui reconnaît que les garanties qui sont expressément prévues par la Constitution créent des seuils et des minimums aux droits linguistiques, mais non pas des plafonds.
[Traduction]
Certains ont soutenu, à ce comité et ailleurs, que ce principe entraînait pour le gouvernement le devoir constitutionnel d'en faire toujours et progressivement plus pour étoffer l'ensemble des droits déjà octroyés en vertu de la Constitution et de la Loi sur les langues officielles. Récemment, dans l'affaire Hôpital Montfort, la Cour d'appel de l'Ontario a examiné ce genre d'argumentation. Cette cour a confirmé que le paragraphe 16(3) de la Charte repose sur le principe établi dans l'arrêt Jones selon lequel la Constitution garantit un seuil et non un plafond. Le juge ajoutait:
Il nous semble cependant indéniable que l'effet de cette disposition est de protéger, et non pas de constitutionnaliser, les mesures prises pour faire avancer l'égalité linguistique. La portée juridique effective du paragraphe 16(3) en est déterminée et limitée par les premiers mots [...] Le paragraphe 16(3) n'est pas attributif de droit. Il s'agit plutôt d'une disposition destinée à prévenir toute contestation d'une action gouvernementale qui sinon contreviendrait à l'article 15 ou outrepasserait les pouvoirs législatifs d'un palier de gouvernement.
Pour résumer l'état du droit concernant la portée et l'effet du paragraphe 16(3) de la Charte, on peut dire qu'il prévoit une règle d'interprétation constitutionnelle, qu'il permet au législateur de prendre des mesures qui viennent compléter celles qui figurent déjà dans la Constitution. Toutefois, il ne crée pas le devoir de prendre ces mesures additionnelles pas plus qu'il ne constitutionnalise les mesures prises à cette fin. Néanmoins, la Partie VII de la Loi sur les langues officielles est une mesure législative adoptée dans l'esprit du paragraphe 16(3).
Pour en venir maintenant à la question qui intéresse plus particulièrement ce comité — c'est-à-dire la portée et l'interprétation de la Partie VII de la Loi sur les langues officielles — le procureur général du Canada a exposé sa position concernant l'interprétation de la Partie VII dans l'affaire de la Loi sur les contraventions. Ceci est donc du domaine public.
D'après le procureur général du Canada, lorsqu'il a plaidé cette affaire, la Partie VII est une déclaration solennelle du gouvernement fédéral de son engagement général à favoriser l'épanouissement et le développement des minorités francophones et anglophones et à promouvoir la pleine reconnaissance et l'usage des deux langues officielles dans la société canadienne.
La Partie VII de la Loi sur les langues officielles vise à donner un cadre législatif au Programme des langues officielles du gouvernement fédéral pour ainsi permettre de réaliser pleinement l'un des objets de la Loi de 1998 sur les langues officielles, tel qu'énoncé à l'alinéa 2b) de la Loi sur les langues officielles, soit: «b) d'appuyer le développement des minorités francophones et anglophones et, d'une façon générale, de favoriser, au sein de la société canadienne, la progression vers l'égalité de statut et d'usage du français et de l'anglais».
Il s'agit essentiellement, comme l'a dit M. Newman, d'un engagement de nature politique. Les organes du gouvernement jouissent d'ailleurs d'une très grande discrétion dans le choix des mesures à prendre pour répondre à cet engagement du gouvernement fédéral.
[Français]
L'aspect déclaratoire plutôt qu'exécutoire de cette partie apparaît du fait que cette partie de la loi ne donne pas droit à un recours en vertu de la Partie X de la Loi sur les langues officielles, et qu'elle ne bénéficie pas de la primauté sur les lois et règlements fédéraux comme d'autres dispositions de la Loi sur les langues officielles, qui sont clairement rédigées en des termes exécutoires.
Par conséquent, le procureur général du Canada a indiqué qu'on devrait donner à cette partie de la loi une valeur morale ou politique plutôt que juridique, par opposition aux autres parties de la loi, en ce que cette partie de la loi enchâsse un engagement général du gouvernement fédéral, par opposition aux autres parties de la loi qui créent des droits et des obligations au sens strict de ces termes.
À titre d'exemples, l'article 6 de la Loi sur les langues officielles stipule que «les lois du Parlement sont adoptées, imprimées et publiées dans les deux langues officielles». En anglais: «... shall be enacted, printed and published.»
L'article 21 prévoit que «le public a, au Canada, le droit de communiquer avec les institutions fédérales et d'en recevoir les services [...]» En anglais: «... has the right to communicate ...»
Le paragraphe 35(1) indique qu'il «incombe aux institutions fédérales [...]» En anglais: «... has the duty to ensure ...»
Ce sont là les trois modèles de langage législatif qui ont été utilisés pour créer des obligations dans le texte de la Loi sur les langues officielles.
S'agissant de l'exercice de pouvoirs discrétionnaires, le procureur général du Canada a plaidé que la Cour devrait s'abstenir d'en contrôler l'exercice. Le juge Blais de la division de première instance de la Cour fédérale a rendu son jugementle 23 mars dernier. À l'égard de la Partie VII de la Loi sur les langues officielles, il a indiqué que le paragraphe 77(1) de la Loi sur les langues officielles, qui établit le recours judiciaire pour une violation de cette loi, ne fait aucune référence à la Partie VII:
Cette omission délibérée de la part du législateur mène à conclure que le paragraphe 77(1) ne permet pas un recours devant les tribunaux pour une violation de la Partie VII de la Loi sur les langues officielles.
Deuxièmement, malgré les vastes pouvoirs d'enquête de la commissaire aux langues officielles:
Il apparaît clair que le législateur a prévu des recours judiciaires beaucoup plus étroits qu'au paragraphe 77(1) de la Loi sur les langues officielles.
Troisièmement, la Cour fédérale ne peut sanctionner un manquement à la Partie VII, s'il existe, à partir d'un recours intenté par la Commissaire en vertu de l'alinéa 78(1)a) de la Loi. Le juge Blais a noté, comme l'a souligné le sénateur Joyal:
Il importe de mentionner, par contre, que la Cour fédérale a statué dans Devinat que les recours en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale sont toujours disponibles pour des manquements aux parties de la Loi sur les langues officielles non prévues au paragraphe 77(1) de la Loi sur les langues officielles.
[Traduction]
La présidente: Auriez-vous l'obligeance de ralentir? Les interprètes ont du mal à vous suivre.
[Français]
M. Tremblay: Le juge Blais indique:
Je n'ai pas à y revenir en l'espèce, sauf pour préciser que la partie demanderesse a choisi de n'utiliser que les recours en vertu de l'alinéa 78(1)a) de la Loi sur les langues officielles, et c'est donc à ce sujet que je dois rendre ma décision.
Pour compléter les informations dont vous disposez, il faut souligner que l'article 20 de la Loi sur les langues officielles prévoit que les décisions définitives des tribunaux fédéraux sont simultanément mises à la disposition du public dans certaines circonstances et, autrement, sont d'abord rendues dans une langue puis traduites dans l'autre dans les meilleurs délais — en anglais: «shall be made available.»
Il faut souligner, toutefois, que par contraste avec la Partie VII, l'article 20 de la Loi sur les langues officielles crée des droits et des obligations, et ce sont des droits et des obligations que la Cour fédérale d'appel a sanctionnés dans l'affaire Devinat.
Cela ne signifie pas que la Partie VII n'a aucun contenu ou ne lie pas le gouvernement. De fait, il revient à chaque institution fédérale de considérer comment et par quels moyens contribuer à l'atteinte de ces objectifs. Ces mêmes institutions peuvent devoir justifier leurs décisions. La loi prévoit d'ailleurs les mécanismes pour s'assurer que le Parlement détient l'information nécessaire à l'exercice de son pouvoir de contrôle.
[Traduction]
Avant de clore cette présentation, je crois qu'il est important de souligner que le ministère de la Justice, comme toutes les institutions fédérales, a le devoir et l'obligation de respecter les droits linguistiques prévus dans la Charte canadienne des droits et libertés ainsi que la Loi sur les langues officielles. Le ministère prend toutes les mesures nécessaires à cet égard et s'assure de respecter, notamment, les exigences de bilinguisme législatif, le droit des Canadiens et Canadiennes d'employer l'une ou l'autre langue officielle devant les tribunaux fédéraux et dans les poursuites criminelles intentées par le procureur général du Canada, le droit du public à recevoir les services du ministère dans l'une ou l'autre des langues officielles, de même que celui de ses employés de travailler en anglais ou en français dans les régions désignées.
Quant aux positions qu'adopte le procureur général du Canada devant les tribunaux, notre devoir éthique professionnel, de même que la Loi sur le ministère de la Justice, nous imposent le devoir de mettre de l'avant la position que nous croyons refléter l'état du droit, à la lumière des textes constitutionnels et législatifs et de la jurisprudence.
Lorsque cela s'y prête, nos interventions à l'appui des prétentions des minorités linguistiques sont nombreuses et j'ai apporté avec moi, à titre d'exemples, des copies de nos mémoires d'intervention devant la Cour suprême du Canada dans les récents dossiers Arsenault-Cameron et Hôpital Montfort. Il s'agit de nombreux exemples de ce qui a été considéré comme des interventions positives de la part du procureur général du Canada.
Il y aura toujours des divergences d'opinions quant à l'interprétation à donner aux textes constitutionnels et aux lois; l'existence de ces divergences n'est nullement signe de mauvaise foi de la part des gouvernements, ni des groupes revendicateurs. C'est d'ailleurs pour cela que les tribunaux ont la lourde charge de régler ces divergences d'opinions dans une société libre et démocratique.
Au-delà des obligations que lui imposent la Charte et la Loi sur les langues officielles, le ministère de la Justice du Canada, en consultation et en collaboration avec la ministre du Patrimoine canadien, participe pleinement à la mise en oeuvre de l'engagement du gouvernement fédéral en vertu de la Partie VII.
[Français]
Cet engagement se manifeste de plusieurs façons, comme en font foi les plans d'action élaborés par le ministère. J'ai inclus un document qui n'était pas dans votre documentation antérieurement, qui fait état des mesures sérieuses et rigoureuses adoptées par le ministère de la Justice à l'égard de la mise en oeuvre de cet engagement.
Il faut bien comprendre que l'administration de la justice est un champ de compétence largement provincial. Par conséquent, le ministère de la Justice du Canada doit miser sur la collaboration des provinces dans ses efforts de promotion du français et de l'anglais dans son champ d'activités, et il ne peut agir unilatéralement.
Il a été question, devant ce comité, de diverses recommandations faites pour améliorer et parfaire l'accès à la justice dans les deux langues officielles. Je peux assurer le comité que le ministère a étudié ces diverses propositions et recommandations. Nous allons présenter nos recommandations d'action dans le cadre du plan d'action du ministre Dion que vous attendez avec impatience.
Le sénateur Beaudoin: J'ai lu vos documents avec beaucoup d'intérêt. Ils sont très bien faits, je vous félicite. Mais il y a tout de même quelque chose qui me tracasse. Le législateur ne parle jamais pour ne rien dire. Parfois, il parle très bien, parfois, il est plus vague, mais il est là pour légiférer.
On a l'article 36, qui dit que l'on a enchâssé dans la Constitution la péréquation. C'est bien évident que la cour de justice ne dira jamais au gouvernement canadien quelle somme il doit dépenser. C'est la même chose à l'article 41. Le fédéral doit s'engager. La cour peut dire que c'est impératif, en ce sens que le gouvernement canadien et les provinces doivent s'entendre sur un mécanisme de péréquation. L'article 41 prévoit, à mon avis, et assez clairement — je sais que c'est controversé — que le Parlement, le gouvernement, doit s'engager.
Peut-être ne peuvent-ils pas aller plus loin que cela. Peut-être ne pourront-ils jamais dire quelle somme d'argent il faut dépenser. Mais ils peuvent au moins déclarer que l'article 36 de la Loi de 1982 et l'article 41 de la Loi sur les langues officielles ont un caractère impératif.
J'appuie la proposition de mon collègue, le sénateur Gauthier, parce qu'elle améliore l'article 41. À mon avis, elle l'améliore et le rend davantage exécutoire et impératif. Il y a tout de même quelque chose dans cet article 41 qui oblige le gouvernement et le Parlement à agir. Jamais une cour de justice va aller plus loin que cela. Je suis d'accord avec cela.
Jamais ils n'iront plus loin que cela, mais au moins ils diront: selon la Constitution, vous devez procéder à un mécanisme de péréquation, et selon la Loi sur les langues officielles, vous devez mettre en oeuvre l'égalité des deux langues officielles du Canada. Il ne faut pas oublier que les langues officielles au Canada sont égales. Ce n'est pas une question de nombre, c'est l'égalité des deux langues. Comme on ne l'a pas parfaitement, on a l'article 16(3) qui admet la progression, les étapes. Je suis d'accord avec cela. On ne change pas un pays en une journée.
À mon avis, il y a une obligation, mais on a peut-être bien raison d'amender l'article 41. Mme la commissaire Dyane Adam a suggéré des amendements à l'article 41. Vous étiez là lorsqu'elle les a proposés. Je ne sais pas si cela entre dans votre mandat de dire ce que vous pensez de ces amendements. J'imagine que non.
Tout cela pour vous dire que je suis favorable à un amendement de l'article 41, parce que même s'il était exécutoire, il ne serait pas encore assez précis. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
M. Newman: Si cet engagement n'est pas assez précis, est-ce qu'il pourrait être exécutoire? Je ne veux pas — et vous allez comprendre pourquoi — je ne peux pas réellement entrer dans un débat sur le bien-fondé ou non d'une prise de position quelconque, surtout par rapport à l'article 36. Comme vous le savez fort bien, le professeur Hogue, par exemple, croit que l'engagement en question est:
[Traduction]
[...] probablement trop vague et trop politique pour être justiciable [...]
[Français]
Je ne me prononce pas là-dessus. C'est son avis, exprimé dans son ouvrage sur le droit constitutionnel. Il se peut qu'il se trompe. Quant à l'article 41, nous ne mettons pas en cause le fait que cet article est contraignant, dans le sens que cela lie le gouvernement et que cela devrait produire des effets. C'est complété par les articles 42 et 43, qui démontrent que c'est plus qu'un énoncé d'un préambule ou d'un voeu pieux. C'est un engagement, et il faut y donner suite.
D'après ma compréhension des choses à l'époque, on avait choisi ce libellé, non seulement à la Partie VII mais à la Partie VI de la loi, pour renfermer des engagements de politique qui ne seraient pas changés au gré du gouvernement du jour, mais qui seraient permanents, consacrés par la loi. Et le mécanisme du rapport d'enquête, surtout de rapport au Parlement, serait le mécanisme à point nommé, c'est-à-dire la vérification par la commissaire aux langues officielles de la mise en oeuvre de cet engagement ou de cette obligation.
Comme j'ai tenté de démontere, la nature même de l'engagement est tellement vaste: promouvoir l'égalité du français et de l'anglais, non pas au sein des institutions fédérales mais dans toute la société canadienne en ce qui a trait aux provinces, aux territoires, à tous les niveaux, dans les instances gouvernementales et non gouvernementales. La finalité d'une telle obligation, si obligation il y a, serait difficilement encadrée par une décision judiciaire.
Ce serait ma compréhension de l'intention du gouvernement et du Parlement au moment de l'adoption de la loi. Nous ne sommes que des fonctionnaires et des juristes, au ministère de la Justice. Nous ne sommes pas des acteurs politiques. Il ne nous appartient pas de nous prononcer sur le bien-fondé de la proposition du sénateur Gauthier ou des modifications mises de l'avant par la commissaire aux langues officielles. Nous tentons de vous donner un son de cloche différent de ce que vous avez déjà entendu à cet égard, afin de bien équilibrer le débat.
Le sénateur Beaudoin: Prenez l'article 27 qui mentionne que le Canada est un pays multiculturel et qu'on doit interpréter la Constitution en tenant compte de ce fait. On s'engage. La Constitution invite les parlements à promouvoir.
Le juge Dickson a très clairement dit, dans un ou deux arrêts, que la Loi sur le dimanche était invalide parce qu'elle impose un caractère chrétien au Canada. Cela vaut pour l'observance du dimanche. Il s'en est servi comme point d'appui. Je me dis que je ne sais pas ce que la Cour Suprême ferait si elle avait à se prononcer sur le caractère de l'article 41. Elle dirait peut-être que c'est exécutoire ou non. Une chose m'apparaît certaine. On essaierait de lui faire dire quelque chose. Lorsqu'on met dans un article de loi numéroté une déclaration, c'est qu'on veut faire quelque chose de positif, quelque chose qui est tout de même assez précis.
Pendant 90 ans, la Loi du Manitoba qui abolissait le français a été jugée comme indicative, non exécutoire, jusqu'au moment où la Cour Suprême a dit que c'était exécutoire. C'est le jugement de la cour qui compte à la fin. Je me dis que si on peut amender l'article 41, faisons-le. Si on ne peut pas l'amender, tôt ou tard, la cour aura à se prononcer.
M. Newman: Je comprends très bien votre point de vue. Vous êtes toujours très clair et net. Dans l'arrêt Big M Drugmart que vous avez cité, le juge Dickson s'est fondé sur l'article 2 de la Charte. L'article 27, une règle d'interprétation, vient appuyer cette interprétation. L'article 16 (3) de la Charte, quant à lui, est une règle d'interprétation constitutionnelle.
On avait adopté la Loi sur le multiculturalisme canadien. J'ai pris soin d'en apporter quelques exemplaires. Cette loi a été adoptée au même moment que la Loi sur les langues officielles, en 1988. Là encore, il y a une série d'engagements. On en parle dans le préambule. On a la politique canadienne sur le multiculturalisme. On utilise même le mot «obligation». Cette politique impose aux institutions fédérales l'obligation de faire en sorte que les Canadiens de toute origine aient des chances égales, et cetera.
La mise en oeuvre de la politique est confiée encore une fois au ministre du Patrimoine canadien. Ce ministre doit faire rapport au Parlement, et la loi ne prévoit aucun recours judiciaire.
Il se peut, un moment donné, qu'un tribunal fasse une déclaration quelconque sur la portée d'une de ces dispositions. On ne prétend pas qu'une disposition de droit ne peut pas être examinée ou qu'un tribunal ne peut faire aucun commentaire sur une disposition législative. Il me semble que cela saute aux yeux.
Ceci dit, c'est une autre paire de manches que de prétendre qu'il faut donner suite à une telle disposition de la même manière qu'on le ferait si c'était une obligation. Le même juge Dickson, dans l'affaire du vérificateur général, dit oui à une obligation, oui à un recours. Mais le Parlement a voulu que ce soit un recours politique, de par la nature de l'engagement ou de la question en jeu, qui était en soi une question politique du contrôle de l'exécutif et des dépenses de l'exécutif par le Parlement. On parle du pouvoir de dépenser selon la Partie VII. À l'heure actuelle, c'est ce qui est préconisé par la loi. Il se peut que vous décidiez de changer la loi; c'est une autre question.
Le sénateur Beaudoin: D'après moi, c'est l'un ou c'est l'autre. On l'amende ou on va en cours. Je peux me tromper. Si ce n'est pas assez solide, assez fort, amendons-le. Si c'est assez fort, faisons-le reconnaître par la cour!
[Traduction]
La présidente: Pour enchaîner sur la question du sénateur Beaudoin, le ministère, à votre connaissance, a-t-il été partie à une affaire où une personne a revendiqué l'exercice de ses droits en vertu de l'article 41? Dans l'affirmative, quelle position le ministère a-t-il adoptée à propos du caractère exécutoire de cet article?
M. Tremblay: Le ministère a participé à des affaires où ces arguments ont été invoqués. Dans l'affaire dont j'ai parlé plus tôt portant sur la Loi sur les contraventions, l'Association des juristes d'expression française de l'Ontario, avec l'appui du commissaire aux langues officielles, a présenté l'argument selon lequel la Partie VII était exécutoire et que nous l'avions enfreinte en mettant en oeuvre la Loi sur les contraventions.
Dans son examen de la plaidoirie, le tribunal ne s'est pas prononcé sur la question même du caractère exécutoire de la Partie VII. Le tribunal a décidé qu'il n'avait pas compétence pour le faire en raison du libellé utilisé à la Partie VII, compte tenu de l'absence d'une disposition réparatrice à la Partie X de la Loi sur les langues officielles. Le tribunal a indiqué qu'il existe d'autres recours prévus ailleurs que dans la Loi sur les langues officielles. Il est toutefois important de faire la distinction à nouveau, à savoir que ces recours traitent de droits qui sont prévus en vertu d'autres parties de la loi.
Le sénateur Beaudoin: Quel tribunal?
[Français]
M. Tremblay: La première instance de la cour fédérale.
Le sénateur Joyal: Monsieur Newman, si le gouvernement canadien, dans ses estimés budgétaires, eu égard aux différents programmes que le ministère du Patrimoine canadien doit normalement prendre pour satisfaire l'énumération des initiatives proposées à l'article 43, inscrivait 1 $ dans ses colonnes d'estimés budgétaires, quels seraient les recours dans une telle situation?
M. Newman: Il me semble qu'il est clair que la jurisprudence de la Cour suprême en matière de droit administratif est telle qu'une décision tout à fait déraisonnable, irrationnelle, pourrait éventuellement être examinée par les tribunaux. C'est ce la Cour suprême a indiqué comme norme quand on examine les décisions des acteurs politiques et administratifs.
[Traduction]
Le juge Binnie a déclaré que l'entière discrétion n'existe pas.
[Français]
Ceci étant dit, ce qu'on veut peut-être démontrer, c'est qu'un tel recours est tout de même de nature exceptionnelle. Normalement, les ministres sont sensés agir de bonne foi. L'hypothèse que vous avez mise de l'avant est extrême. Donc, la véritable question pour moi est de savoir ce qui arriverait en cas de contraintes budgétaires où on serait obligé de couper un peu partout. Et là, des groupes pourraient se sentir lésés, soit dans leurs droits ou dans leurs intérêts.
À ce moment-là, si le gouvernement a agi de bonne foi, qu'est-ce qu'un tribunal peut ajouter? C'est ma question. Quelle est la finalité d'une modification à la loi? Est-ce que c'est pour dire aux intéressés ou aux groupes que, dorénavant, ils seront à chaque fois en mesure d'aller devant les tribunaux? La question, comme l'a dit le sénateur Beaudoin, c'est: vous aurez quoi? Une déclaration à ce que le gouvernement doit s'engager? C'est au niveau des modalités où cela devient plus difficile. Ce n'est pas la question d'un dollar. C'est la question de quelques dollars de moins à cause de priorités autres, toutes les choses que vous, les hommes et les femmes politiques, devez toujours équilibrer. Est-ce que vous voulez que cela soit du ressort des tribunaux plutôt que du ressort du Parlement?
Le sénateur Joyal: Si je me souviens bien, dans la cause de Penetanguishene, le gouvernement de l'Ontario de M. Harris, qui venait d'être élu avec un mandat relativement clair de diminuer le déficit, avait reporté sine die la construction de l'école de Penetanguishene. Les parents sont allés devant les tribunaux. La cour a dit très clairement que, même si le gouvernement avait été élu avec le mandat de gérer les finances de manière à réduire le déficit, il n'en demeure pas moins qu'un mandat populaire démocratique est une obligation constitutionnelle et le gouvernement ne peut pas y échapper. Ils ont fait un commentaire relativement semblable dans la cause Arsenault-Cameron, une cause que vous connaissez bien, où le ministre de l'Île-du-Prince-Édouard alléguait de la même façon que l'institution qui était requise par les parents de l'Île-du-Prince-Édouard allait à l'encontre des priorités budgétaires du gouvernement et, malgré cela, la cour a maintenu la décision du droit des parents.
M. Newman: Mais dans ces deux cas que vous avez évoqués, à moins que je ne me trompe, ce qui était en jeu était l'application d'un droit constitutionnel, l'article 23. Ici, on parle d'un engagement qui ne crée pas forcément des droits de même façon que l'article 23. Enfin, j'ose le croire.
Le sénateur Joyal: C'est là où nous différons d'opinion. Je tiens à vous le dire avec tout le respect que je vous dois. J'ai une longue pratique au ministère de la Justice du Canada en ce qui a trait à l'interprétation de la Loi sur les langues officielles. Vous vous souvenez de la première loi de 1969, et vous y faites allusion à la page 3 de votre mémoire:
[...] De plus, les décisions des tribunaux semblaient être partagées sur la question de la portée réelle et la force exécutoire de la déclaration du statut d'égalité renfermée à l'article 2 de la Loi sur les langues officielles de 1969, comme en témoignent les arrêts Joyal et Gens de l'Air. Encore une fois on se doit de souligner la contribution capitale [...]
On parle de la contribution que j'ai faite à l'époque. Essentiellement, on revient toujours à la même question: est-ce exécutoire ou déclaratoire? Sauf le respect que je vous dois, en 1976, lorsque nous nous sommes retrouvés à la Cour supérieure, le ministère de la Justice soutenait fermement que l'article 2 était simplement déclaratoire et non pas exécutoire. Il a fallu un jugement de la cour sur la première Loi sur les langues officielles pour que, finalement, on se retrouve avec l'article 16 de la Charte. Là où nous différons d'opinion, vous et moi, c'est que vous interprétez la Loi sur les langues officielles comme un statut ordinaire.
Je me demande si vous ne pourriez pas nous donner l'interprétation jurisprudentielle, dans votre esprit, que la Cour suprême a faite au sujet de la nature de la Loi sur les langues officielles. Je vais vous mettre sur une piste, comme disait mon ancien professeur. Prenez le jugement de la cause Blais, un jugement que vous avez contesté, une décision que vous contestiez parce que vous étiez sur le côté...
M. Newman: Maintenant, c'est le «vous» collectif, je présume.
Le sénateur Joyal: Oui, c'est le «vous» collectif, pas vous personnellement. Mais dans le cas de la cause Blais, vous étiez, encore une fois, du côté du moins disant de l'obligation du gouvernement à l'égard des droits des juristes d'expression française dans cette cause. Qu'est-ce que le juge Blais a dit au sujet de la Loi sur les langues officielles? Je cite, en haut de la page 15 et au bas, les paragraphes 85 et 86 du jugement:
La Cour suprême est allée aussi loin que de qualifier la Loi sur les langues officielles comme étant quasi constitutionnelle dans l'arrêt récent R. c. Beaulac.
Le juge cite la Cour suprême:
La Loi sur les langues officielles de 1988 n'est pas une Loi ordinaire. Elle reflète à la fois la Constitution du pays et le compromis social et politique dont il est issu. Dans la mesure où elle est l'expression exacte de la reconnaissance des langues officielles inscrites aux paragraphes 16(1) et 16(3) de la Charte canadienne des droits et des libertés, elle obéira aux règles d'interprétation de cette Charte telles qu'elles ont été définies par la Cour suprême du Canada. Dans la mesure où elles constituent un prolongement des droits et garanties reconnues dans la Charte..., elle fait partie de cette catégorie privilégiée de lois dites quasi constitutionnelles qui expriment «certains objectifs fondamentaux de notre société» et qui doivent être interprétées «de manière à promouvoir les considérations de politique générale qui (les) sous-tendent» [...]
Or, quels sont les principes d'interprétation de la Charte qui s'imposent à l'interprétation de la Loi sur les langues officielles?
La Cour a dit deux choses: la Charte a des objectifs, elle doit être interprétée libéralement, sans allégeance politique, et elle a un effet réparateur à l'égard des groupes discriminés. Ce sont les trois caractéristiques essentielles, entre autres, des éléments d'interprétation de la Charte.
Votre présentation aujourd'hui, je ne la questionne pas, elle est rigoureusement collée sur la loi. Mais elle ne tient pas compte de ce que la Cour suprême a donné comme nature particulière à ce qui est contenu dans la Charte. Pourriez-vous nous donner votre interprétation, votre opinion de ce qu'est exactement la nature de la Loi sur les langues officielles? On lit à l'article 43, et je le lirai en anglais:
[Traduction]
43.(1) Le ministre du Patrimoine canadien prend les mesures qu'il estime indiquées pour favoriser la progression vers l'égalité de statut [...]
«Prend».
[Français]
Il y a une obligation là qui est dans le prolongement de la Charte.
[Traduction]
M. Newman: Les mesures que le ministre estime indiquées.
[Français]
Le sénateur Joyal: Il y a une discrétion, mais la discrétion est limitée par les objectifs que la loi poursuit. Et lorsque vous interprétez la Partie VII de la loi, vous devez l'interpréter avec les caractéristiques que la Cour suprême reconnaît à la Charte, quand elle interprète la Charte.
Par conséquent, vous ne pouvez pas en faire une interprétation littérale, comme celle que vous nous proposez aujourd'hui dans votre mémoire. Cette interprétation est trop centrée sur la lettre des différentes dispositions et l'historique des lois. Je crois que votre mémoire devrait démontrer que la loi actuelle n'est pas une loi qui est séparée d'une dynamique d'évolution qui trouve son aboutissement dans les principes que la Cour suprême a reconnus dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec, et que la Cour divisionnaire d'appel a reconnu dans l'affaire Montfort. Et quel est le principe fondamental? Celui de la protection des droits des minorités linguistiques. C'est au paragraphe 81 du renvoi:
Il ne fait aucun doute que la protection des minorités a été un des facteurs clés qui ont motivé l'adoption de la Charte et le processus de contrôle judiciaire constitutionnel qui en découle. Il ne faut pas oublier pour autant que la protection des droits des minorités a connu une longue histoire avant l'adoption de la Charte. De fait, la protection des droits des minorités a clairement été un facteur essentiel dans l'élaboration de notre structure constitutionnelle, même à l'époque de la Confédération: Renvoi relatif au Sénat, précité, à la p. 71. Même si le passé du Canada en matière de défense des droits des minorités n'est pas irréprochable, cela a toujours été, depuis la Confédération, un but auquel ont aspiré les Canadiens dans un cheminement qui n'a pas été dénué de succès. Le principe de la protection des droits des minorités continue d'influencer l'application et l'interprétation de notre Constitution.
Et je dirais même l'évolution, l'interprétation.
Contrairement à ce que vous pensez, je crois qu'il y a une obligation à l'article 40(6) et aux articles 41 à 46, et que cette obligation est justiciable. Elle n'est pas justiciable en raison de la façon dont la loi est rédigée par les articles 77 et 78, pour le moment. Elle est justiciable en fonction des principes constitutionnels que la Cour Suprême a reconnus et que le juge Blais a reconnu, en disant que si on avait évoqué l'article 18 de la Cour fédérale, il aurait été saisi de l'obligation de juger sur l'obligation que le gouvernement canadien a à l'égard de l'article 41.
[Traduction]
Le sénateur Bryden: Madame la présidente, s'il s'agit d'une question, pourrait-on permettre au témoin d'y répondre?
Le sénateur Joyal: Vous aurez aussi l'occasion de poser des questions.
Le sénateur Bryden: Nous devons entendre des témoins. Vous mettez une demi-heure à poser votre question. J'aimerais que le témoin y réponde.
La présidente: Sénateur Joyal, vous avez eu beaucoup de temps pour exposer votre position.
Le sénateur Joyal: Je vous remercie, madame la présidente, de votre indulgence. Sauf le respect que je dois à mon collègue, le sénateur Bryden, je vais simplement demander la réponse à cette question.
[Français]
Pourriez-vous revenir avec une présentation sur la nature de la Loi sur les langues officielles, eu égard à l'interprétation qui en a été donnée dans toutes les causes où le ministère canadien de la Justice a été impliqué?
M. Newman: Si je peux me permettre de répondre tout de suite, je n'aurai pas besoin de revenir avec une deuxième étude sur ce sujet. Notre position a été claire dès le début. La Loi sur les langues officielles est une loi quasi- constitutionnelle. On l'avait prétendu depuis que le ministère de la Justice avait déposé le projet de loi C-72. D'ailleurs, c'est la nature même de ces obligations constitutionnelles en vertu des articles 16 à 20 de la Charte qui ont appelé une réforme de la loi de 1969.
Nous partageons plusieurs points, malgré la façon dont vous avez présenté votre thèse. Je crois également que la Partie VII fait partie de cette loi quasi-constitutionnelle, mais il reste qu'il est assez évident que de l'économie de la loi et de l'historique législatif, l'interprétation d'une loi se fait d'abord à partir de ces éléments. Oui, elle peut se faire à la lumière des principes constitutionnels, c'est évident. J'ai été avocat dans le dossier de l'Hôpital Montfort, dans le dossier du renvoi sur la sécession et dans le dossier Arsenault-Cameron. Je suis très conscient de l'application des principes constitutionnels, dont le principe de protection des minorités. Il reste que, comme vous l'avez dit, cette partie de la loi ne suscite pas, ne crée pas en soi une obligation justiciable en vertu de la loi. Il se peut qu'`un moment donné, avec l'évolution de la jurisprudence et l'application des principes constitutionnels, un tribunal puisse interpréter cet engagement d'une façon autre que celle que nous avons présentée. Je ne crois pas, avec égard, que la présentation que je viens de faire est aride, juridique et technique. C'est plutôt mon appréciation de la nature constitutionnelle en ce qui concerne les cinq premières parties de la loi que j'ai élaborée dans mon texte, et quasi constitutionnelle quant aux dispositions qui vont au delà de ce qui est requis d'après nos meilleures connaissances par les paragraphes 16(1), 17(1), 18(1), 19(1) et 20(1) de la Charte.
Au-delà de cela, nous partageons les mêmes objectifs et les mêmes points de vue de la Loi sur les langues officielles. C'est une loi quasi constitutionnelle et elle devrait être interprétée de façon large et libérale en fonction de son objet et en tenant compte de son préambule, mais également dans l'intention du Parlement, tel que démontré, manifesté par les acteurs politiques par l'économie de la loi.
[Traduction]
La présidente: J'aimerais simplement vous rappeler que nous avons maintenant dépassé l'heure à laquelle je pensais que nous aurions terminé.
[Français]
Le sénateur Gauthier: Je vais vous soumettre humblement — je suis un gars du peuple, pas un avocat — que l'interprétation minimaliste du ministère de la Justice, donne, en fait, au gouvernement fédéral le droit de violer la Loi sur les langues officielles. Je vais vous expliquer pourquoi. Vous allez peut-être me dire que cela aura des répercussions politiques si le Parti de l'Alliance, par exemple, prenait le pouvoir demain matin. Oui. C'est vrai. Qu'arriverait-il? Je n'invente rien. Leur politique est de remettre aux provinces la question des langues officielles et que le gouvernement fédéral s'en détache. Vous avez déjà fait allusion à cela. Vous avez dit qu'il fallait avoir une coopération avec les provinces et qu'il fallait négocier avec eux. L'administration de la loi relève des provinces, j'en conviens. La politique, c'est mon jeu. Je vous soumets que si le Parti de l'Alliance, qui est l'opposition officielle, était au pouvoir, les langues officielles en prendraient pour leur rhume!
Madame la présidente, le ministre de la Justice comparaîtra-t-il devant notre comité afin que nous puissions discuter avec lui de questions politiques? C'est important. Je veux simplement mettre de l'avant qu'il y a des questions importantes d'ordre politique qu'il faut régler. On nous a dit que l'article 41 est un objectif, mais qu'il est de portée politique et non pas exutoire. Il est déclaratoire.
Lorsque M. Newman me dit avoir un exemple avec le vérificateur général du Canada et qu'il compare cela avec la commissaire aux langues officielles, je lui réponds que cela ne se compare pas. Le commissaire des langues officielles fait des constats dans un rapport annuel. En ce qui touche le vérificateur général du Canada, je connais le jeu, j'étais là à une certaine époque.
Lorsque le vérificateur général du Canada dépose ses commentaires, remarques ou avis, l'opposition, de par la tradition, est présidente du comité des comptes publics à la Chambre des communes. J'en ai été le président à une certaine époque. J'étais membre de l'opposition. C'est le travail de l'opposition de critiquer le gouvernement et d'utiliser le rapport du vérificateur général afin d'amener le gouvernement à modifier ses mesures comptables, ses moyens ou ses méthodes. Dans le cas de la commissaire aux langues officielles, ce n'est pas du tout la même chose. Elle est un genre d'ombudsman qui doit rapporter au Parlement, annuellement, un constat de l'application de la loi. Elle n'est pas chargée de vérifier si un ou l'autre utilise des bonnes mesures comptables ou si Air Canada est délinquante. Elle ne peut pas poursuivre sous la Partie VII de la loi. Vous nous dites qu'on peut aller devant les tribunaux. On ne peut pas y aller à moins d'avoir beaucoup d'argent et d'avoir des avocats fortement convaincants, et ces gens coûtent cher.
L'argument politique ne tient pas. La réalité est que des choses arriveraient que vous et moi et que les membres du comité n'accepteraient pas si le gouvernement futur ou à venir — disons l'Alliance — prenait le pouvoir. N'utilisez pas les conséquences politiques comme argument, ce n'est pas bon. Pouvez-vous répondre à ma question?
M. Tremblay: Je vais aborder avec prudence certains des sujets que vous avez touchés. Il y a une distinction à tirer entre la Partie VII et l'absence d'un recours judiciaire à son égard, et le parallèle qu'on tire avec la question du vérificateur général et d'autres parties de la loi comme les Parties I, II, III, IV et V, qui, elles, sont effectivement justiciables et peuvent être portées devant les tribunaux. La distinction est la suivante. Les Parties I, II, III, IV et V sont la répétition et le prolongement des articles 17, 18, 19 et 20 de la Charte.
Il s'agit du prolongement et de la répétition de droits constitutionnalisés qui, à moins d'une modification constitutionnelle, offrent une protection et sont ancrés dans notre ordre constitutionnel canadien.
C'est seulement à l'égard de cette partie de la loi, qui se veut le prolongement «programmatoire» de la Partie VII, que le parallèle prévaut.
M. Newman: J'espère que mon commentaire ne sera pas perçu comme étant technique. La commissaire aux langues officielles joue à la fois un rôle de protecteur du citoyen et de vérificateur linguistique. Elle procède, de son propre chef, à des enquêtes en vertu des plaintes. Ces enquêtes sont appelées des vérifications linguistiques.
Il n'y a pas d'analogie parfaite en matière de jurisprudence, et je ne voudrais d'aucune façon déconsidérer la question des langues officielles ou dire que c'est une question aussi technique que l'examen budgétaire dans une autre circonstance.
Ce que je dis, c'est que la Partie VII dépend beaucoup du pouvoir de dépenser, que c'est une question d'allocation de ressources, et que la commissaire aux langues officielles joue un rôle qui, à certains égards, pourrait s'apparenter à celui d'un vérificateur linguistique.
Le sénateur Gauthier: J'étais là lorsque la loi a été adoptée en 1988. M. Newman était là aussi. Je me souviens des commentaires de M. David Crombie suite à une question que je lui posais. Il me disait qu'il était important de comprendre que la langue dont on parle à la Partie VII est la langue d'encouragement et que ce n'est pas la langue de commande.
Vous souvenez-vous de cela, monsieur Newman?
M. Newman: Oui, c'est bien dit.
Le sénateur Gauthier: L'esprit des législateurs, en 1988, était de rendre la loi exécutoire, de changer les choses, de modifier la Loi sur les langues officielles de 1969 pour la renforcer, en excluant la Partie VII de la judiciarisation, comme le dit M. Stéphane Dion.
On nous a enlevé le droit au recours judiciaire. Comme le juge Blais le dit: «Ne venez pas me voir avec vos problèmes. La Loi sur les langues officielles ne s'applique pas dans la question des contraventions. Allez plutôt à l'article 18 de la Cour fédérale. Je n'ai pas juridiction...»
Le jugement Blais, je l'ai lu et annoté. Ce que je veux vous dire, c'est que lorsqu'il n'y a pas de recours, il n'y a pas de droits. Ce n'est peut-être pas un énoncé très intelligent, mais c'est la façon dont je comprends la chose: pas de recours, pas de droit.
M. Newman: Avec égard, on peut mentionner l'affaire du vérificateur général, où il est dit que lorsqu'il y a un droit, il y a un recours. Ce recours n'est pas toujours judiciaire. Tout ce qu'on prétend aujourd'hui, c'est qu'au moment de l'adoption de la loi de 1988, il s'agissait de créer une partie de la loi qui était non contraignante mais qui irait au-delà des aspects juridiques et techniques de la loi.
Il s'agissait d'en faire davantage. L'article 41 laisse entendre qu'il y a un sens de progression, de promotion et d'essor des langues officielles. Il faut donner suite à cet engagement et se prévaloir des recours. J'ai simplement dit qu'il ne s'agit pas d'un recours judiciaire.
Le sénateur Gauthier: Comprenez-moi bien, monsieur Newman. Ce n'est pas à vous que je m'en prends.
M. Newman: Je suis bien heureux de l'entendre.
Le sénateur Gauthier: M. Crombie disait, dans le fascicule du 24 mars 1988, que le gouvernement ne se contentera pas d'énoncés de principes objectifs et qu'il a bien l'intention de passer à l'action.
M. Newman: Oui.
Le sénateur Gauthier: Devant le Comité permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, un représentant de l'Association des juristes a dit qu'il était difficile, à London, par exemple, d'obtenir un jugement en français, parce que tout est en anglais et qu'il faut alors faire venir un juge de l'extérieur, car il n'y a pas suffisamment de juges qui parlent français.
Comprenez-vous le problème? On nous dit qu'on a des droits. Il ne s'agit pas de faire des vœux pieux. Suite aux coupures budgétaires, les trois dernières décisions de la Cour suprême, soit celles de Beaulac, du Renvoi relatif à la sécession du Québec et de Arsenault-Cameron, ont changé la situation. Ce que je veux faire, en fait, c'est modifier la loi pour l'adapter et la moderniser.
[Traduction]
Le sénateur Grafstein: Je remercie les témoins d'avoir abordé de façon très franche les difficultés auxquelles fait face le sénateur Gauthier lorsqu'il cherche à atteindre la perfection. La perfection, ce serait une société parfaitement bilingue. C'est l'objectif de la Loi sur les langues officielles et de la Constitution. L'objectif que nous visons est qu'un jour notre société soit parfaitement bilingue. L'atteinte de cet idéal permettrait de respecter les objectifs de la loi.
La perfection n'est cependant pas humaine. Bon nombre d'entre nous ne pourront jamais atteindre cet idéal. Nous devons examiner la loi soigneusement pour établir si le ministre s'est acquitté ou non de son devoir.
À mon avis, bon nombre de ministres qui ont comparu devant ce comité comprenaient mal quels étaient leurs devoirs. Le ministre de la Santé est chargé de l'administration de la santé publique dans ce pays. Or, lorsqu'on attire son attention sur des lacunes, il ne communique pas nécessairement cette information à la population. Jusqu'où va le devoir du ministre d'informer la population, qu'il s'agisse d'un devoir discrétionnaire ou obligatoire?
La même chose vaut pour le ministre de la Justice. Le ministre de la Justice est chargé de l'administration de la justice devant le Parlement et, par son intermédiaire, devant le public. Si le ministre ne respecte pas son devoir obligatoire à cet égard — et le sénateur Joyal a fait remarquer que ce devoir est obligatoire — à quelle mesure minimale s'expose-t-il? Nous savons quelles sont les conséquences politiques auxquelles un ministre s'expose s'il ne respecte pas son devoir. Il perd son poste de ministre. Comme ce serait une solution trop parfaite, nous devons examiner la question plus à fond.
L'affaire Montfort était simple. Le ministère a d'abord défendu une position minimaliste. Comme l'ont fait les tribunaux, le ministère a ensuite conclu qu'il fallait absolument maintenir un certain niveau de service en français. À mon avis, toute l'affaire tournait autour de cela. Ce n'était pas très compliqué. On a jugé qu'il fallait absolument assurer un certain niveau de service en français.
Vous avez ensuite parlé d'objectifs qui sont très complexes. Il serait très compliqué de faire intervenir des critères politiques, moraux ou éthiques. Vous y avez cependant fait allusion.
Rien ne s'y oppose, mais comment mesurer ces critères? Comment mesurer le devoir du ministre en termes juridiques?
Le ministre a des obligations très étendues. Comme le sénateur Joyal l'a fait remarquer, la loi énonce que le ministre prend les mesures qu'il estime indiquées pour favoriser la progression vers l'égalité de statut et d'usage du français et de l'anglais, pour favoriser l'épanouissement des minorités linguistiques, pour encourager et appuyer l'apprentissage du français et de l'anglais et pour encourager le public à mieux accepter et apprécier le français et l'anglais. Il s'agit d'un langage on ne peut plus expressif.
J'ai une question très précise à vous poser: Quel modèle statistique ou quel étalon juridique pouvez-vous nous proposer pour établir si le ministre a respecté son devoir envers le Parlement en ce qui touche l'application de cette loi? Quel serait ce modèle statistique?
Les critères politiques, moraux ou éthiques sont une chose et les critères statistiques en sont une autre. Nous savons que dans l'affaire Montfort, la suppression du service constituait un manquement au devoir prévu dans la loi.
Quel critère proposez-vous? Comment établir si un ministre s'est acquitté de bonne foi de ses responsabilités dans ce domaine? C'est l'argument que le sénateur Gauthier a tenté de faire valoir. Nous savons que le critère minimal est rien. Quel est le critère permettant d'établir si le ministre s'est acquitté de bonne foi de ses responsabilités?
En vertu de la common law, on a toujours conseillé aux ministres de s'acquitter de leurs responsabilités de bonne foi. C'est le critère qui s'applique.
Nous cherchons le critère qui convient dans ce cas. Dites-nous quand le ministre ne s'acquitte pas de ses responsabilités dans le cadre de cette loi.
M. Newman: Il est difficile à un avocat de répondre à cette question puisqu'il s'agit avant tout d'un jugement politique.
Le sénateur Grafstein: Ce n'était pas le cas dans l'affaire Montfort. Dans cette affaire, on a conclu qu'il y avait manquement au devoir.
M. Newman: Oui, mais on a tenu compte de divers facteurs dans l'affaire Montfort. On a d'abord examiné la façon dont la Loi sur les services en français était appliquée en Ontario ainsi que la façon dont les services avaient été supprimés par la Commission de restructuration des services de santé. On a estimé que la commission ne s'était pas conformée aux procédures ou aux mécanismes prévus dans la loi. Ainsi, les consultations voulues n'avaient pas eu lieu. La commission n'avait pas non plus respecté les garanties et les procédures mises en place. La commission n'avait pas pris en compte son mandat qui prévoit cependant qu'elle tienne compte de l'intérêt public.
Le sénateur Grafstein: Pour vous aider à répondre à la question, je vous rappelle que ces lois se fondent sur la Loi sur les langues officielles.
M. Newman: Oui et non. La Loi sur les services en français de l'Ontario se fonde, à certains égards, sur l'article 20 de la Charte. D'autres dispositions de la loi se fondent aussi sur d'autres articles de la Charte, y compris ceux qui prévoient l'adoption de lois bilingues.
On ne peut pas vraiment dire que cette loi se fonde sur la Loi sur les langues officielles. La première question portait sur l'application du droit administratif. En vertu de ce droit, on a conclu que la commission n'avait pas respecté son mandat en ne tenant pas compte du rôle unique que joue l'hôpital Montfort dans un milieu où les francophones sont minoritaires.
Vous avez demandé à connaître le critère qui s'applique au ministre — et vous parlez dans ce cas-ci du mandat précis du ministre du Patrimoine canadien aux termes de l'article 43 de la loi. Comme vous le voyez, l'article comporte une longue liste de mesures allant de a) à h) que le ministre peut prendre pour favoriser la progression vers l'égalité de statut d'usage du français et de l'anglais dans la société canadienne sans pour cela porter atteinte au caractère général de cet objectif.
Il est vrai que le ministre prend ces mesures. Il est vrai qu'on a opté pour le tour affirmatif, mais cet énoncé est tempéré par l'utilisation du terme «indiquées».
En 1988, le ministre de l'époque — M. Lucien Bouchard — a bien répondu à cette question lorsqu'il a comparu devant le comité sénatorial. Il a dit que les provinces n'en étaient pas toutes au même point pour ce qui est de l'égalité des langues officielles. La répartition des groupes linguistiques n'est pas la même dans chaque province.
Les ministres doivent user de prudence et de discernement dans l'application de ces mesures pour qu'on ne dise pas qu'ils feront à Montréal ou à Moncton la même chose exactement qu'ailleurs. De nombreux facteurs doivent entrer en ligne de compte. Ce ne sont pas nécessairement des facteurs justiciables, des facteurs juridiques, mais ils permettent de tenir compte des intérêts sociaux, de l'injustice historique, des données démographiques ainsi que des priorités et assurent une marge de manoeuvre lors de négociations avec des groupes afin de cerner ce qui correspond le mieux à leurs intérêts supérieurs et à l'intérêt collectif. La politique entre pour beaucoup en ligne de compte. Peut-être que mon collègue aurait quelque chose à ajouter.
Le sénateur Grafstein: L'Ontario a fait face à la même question relativement à l'égalité des sexes. En effet, on avait alors établi un modèle statistique — au cas par cas et bureau par bureau, — en s'appuyant sur certains principes.
Les avocats ont présenté le principe en faisant preuve de créativité, mais nous devons appliquer quant à nous un modèle statistique. Ils l'ont appliqué au cas par cas, bureau par bureau.
Vous dites que depuis 1969, nulle part au ministère de la Justice, il n'y a de modèle qui nous permette de mesurer si des progrès ont été réalisés ou non.
M. Newman: Je vais laisser à mon collègue le soin de répondre. Toutefois, n'oubliez pas, sénateur, que comme je l'ai indiqué, ce même ministre a en outre une très longue liste de responsabilités liées à la politique du multiculturalisme au Canada. Je suis persuadé que des aspects de la politique de radiodiffusion intéressent ce ministre.
Il existe de nombreuses lois qui créent ces vastes mandats de politiques. Elles sont importantes. Je dirais que la Loi sur le multiculturalisme importe tout autant que la Loi sur les langues officielles. Le sénateur Beaudoin a mentionné l'article 27 de la Charte tout à l'heure.
L'approche ne sera pas nécessairement toute établie d'avance. On a laissé au ministre et au ministère assez de pouvoirs discrétionnaires pour concevoir les moyens voulus pour assumer leurs responsabilités. Il y a sur le terrain des gens qui s'y connaissent mieux que les avocats pour ce qui est des rapports avec les communautés, des besoins et des désirs de celles-ci. Cela tient beaucoup moins de l'analyse statistique et juridique.
Peut-être que de nos jours la mise en oeuvre revêt un caractère statistique. J'ai parlé de données démographiques, mais il ne s'agit certainement pas de s'arrêter et de planifier un cadre juridique qui prenne peut-être la forme d'une réglementation. Je ne crois pas qu'on l'ait fait. Il existe ce qu'on appelle en français «un cadre d'imputabilité», dont M. Tremblay peut vous parler. Cependant, c'est une responsabilité au sujet de laquelle vous pourriez faire comparaître les hauts fonctionnaires du ministère du Patrimoine.
M. Tremblay: C'est juste. J'aimerais simplement attirer l'attention des sénateurs sur quelque chose d'assez perturbant et ne comprends pas qu'on en arrive à la conclusion que rien n'est fait pour mettre en oeuvre la Partie VII de la Loi sur les langues officielles. Ce n'est pas du tout le cas.
Je reviens, en partie tout au moins, à certaines des préoccupations exprimées par le sénateur Gauthier et je ne parlerai que de mon institution à titre d'exemple. Nous respectons certainement les exigences minimales — qui sont déjà assez étendues — et qui ont trait à l'adoption des lois et à leur rédaction dans les deux langues officielles, au service du public dans tous nos bureaux au Canada dans les deux langues officielles et à la possibilité pour nos employés de travailler dans l'une ou l'autre des langues officielles ici dans la région de la capitale nationale et à Montréal. Ce ne sont pas là des obligations négligeables.
En outre, nous faisons bien d'autres choses. Par exemple, dans mon groupe, mon prédécesseur a travaillé pendant un an et demi à ce texte que je vous ai recommandé à tous. Je me ferai un plaisir de vous en faire parvenir des exemplaires. C'est une étude de toutes les lois linguistiques au Canada. Il y a 398 textes de lois et des références à tous les cas de jurisprudence jusqu'en 1998.
Nous l'avons mis à jour. Il se trouve sur notre site Web et peut aider ceux dont parlait le sénateur Gauthier et qui voudraient connaître leurs droits et le cas échéant tenter d'exercer un recours.
Le gouvernement fédéral finance aussi le programme de contestation judiciaire. Je n'ai pas à l'expliquer en long et en large. Le sénateur Joyal connaît très bien ce programme. Nous le finançons. Certaines des associations qui ont comparu devant vous ces dernières semaines comme la Fédération des associations de juristes d'expression française sont financées presque entièrement par le ministère de la Justice et par Patrimoine Canada.
Nous faisons pas mal de choses. On vous a remis un sommaire de nos principales réalisations. Cependant, naturellement, je n'ai pas fait mention de la totalité de ces réalisations dans mon exposé d'aujourd'hui.
Qu'il soit bien entendu que nous ne partons pas de zéro. En fait, à mon avis, c'est la principale différence entre l'exercice du pouvoir discrétionnaire statutaire et les devoirs statutaires énoncés dans la Loi sur les services en français dans l'affaire de Hôpital Montfort, et dans le cas présent. Nous ne faisons pas face à une situation de non-respect total.
Il va sans dire que le comité aurait tout intérêt à entendre nos collègues de Patrimoine Canada qui pourraient vous parler beaucoup plus amplement des mesures prises pour mettre en oeuvre la Partie VII.
La présidente: Merci beaucoup. Je vais maintenant mettre fin à la discussion.
Je demanderais aux témoins de fournir des exemplaires des documents qu'ils ont mentionnés. Les sénateurs pourraient en prendre connaissance.
Vous avez commencé votre exposé ce soir, monsieur Newman, en disant que les avis juridiques du ministère de la Justice à un ministère étaient confidentiels. La règle de confidentialité envers le client doit être respectée. Toutefois, l'argumentation, monsieur Tremblay, dans le cas que vous avez mentionné au tout début, est un document public. Peut-être pourriez-vous nous faire part des arguments qu'a fait valoir le ministère de la Justice dans cette affaire.
M. Tremblay: Je le ferai certainement.
Le sénateur Gauthier: J'aimerais apporter une correction à ce qui a été dit. La Loi sur les contestations judiciaires ne s'applique pas à une affaire relevant de la Partie VII de la Loi sur les langues officielles. Il est interdit d'utiliser des fonds publics à cette fin.
La présidente: Les fonds publics peuvent servir à certaines choses mais non à d'autres.
M. Tremblay: C'est bien ce que je disais.
La présidente: Je vous remercie beaucoup d'être venus ce soir.
M. Newman: Ce fut un plaisir et un honneur.
La séance est levée.