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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule No. 30, Témoignages du 20 mars 2002


OTTAWA, le mercredi 20 mars 2002

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C- 30, Loi portant sur la création d'un service administratif pour la Cour d'appel fédérale, la Cour fédérale, la Cour d'appel de la Cour martiale et la Cour canadienne de l'impôt et modifiant la Loi sur la Cour fédérale, la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt, la Loi sur les juges et d'autres lois en conséquence, se réunit aujourd'hui, à 16 h 05, pour en faire l'examen.

Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Avant de passer la parole à nos témoins, chers collègues, il faudrait que vous sachiez que le groupe de jeunes gens avec nous aujourd'hui fait partie du Forum pour jeunes Canadiens. Soyez les bienvenus.

Je signale à nos visiteurs que la salle dans laquelle nous nous trouvons a un caractère historique. Elle a été réaménagée spécialement pour le premier sommet des pays du G-7. Parmi les premiers pays membres du G-7, il y avait bien sûr le Canada, alors pays hôte, de même que la Grande-Bretagne, dont Margaret Thatcher était première ministre à l'époque. La salle a exactement la même apparence que lors de ce premier sommet.

Nous recevons aujourd'hui des témoins du ministère de la Justice qui nous expliqueront pourquoi nous devrions adopter ce projet de loi immédiatement.

[Français]

Mme Judith Bellis, avocate générale et directeure, Affaires judiciaires et politiques des tribunaux judiciaires et administratifs, ministère de la Justice: Madame la présidente, je me propose de présenter un bref aperçu des principaux éléments du projet de loi C-30. Mes collègues et moi essaierons ensuite de répondre à vos questions. Il s'agit d'un projet de loi passablement technique.

[Traduction]

À la deuxième lecture, le sénateur Bryden a parlé du principal objectif du projet de loi C-30, à savoir améliorer l'efficacité de l'administration de la Cour fédérale du Canada et de la Cour canadienne de l'impôt par des modifications à leurs structures.

Pour vous mettre en contexte, je précise que le projet de loi C-30 n'a pas pour objet de modifier les pouvoirs actuels de la Cour fédérale et de la Cour canadienne de l'impôt, mais plutôt d'en améliorer l'administration par diverses mesures, dont bon nombre ont été proposées par le vérificateur général du Canada dans son rapport de 1997.

De plus, j'ajouterais que les améliorations administratives proposées dans le projet de loi C-30 ont été conçues en consultation continue avec toutes les cours concernées. Celles-ci ont été invitées à prendre une part active au processus non seulement par respect pour leur indépendance essentielle, mais aussi pour veiller à ce que le public continue de bénéficier de l'excellent service et de la qualité de justice auxquels il est en droit de s'attendre de ces tribunaux.

Le projet de loi à l'étude comporte trois grands volets: premièrement, la création d'un nouvel organe, soit d'un service administratif des tribunaux judiciaires, qui regrouperait les services administratifs actuels de la Cour fédérale et de la Cour canadienne de l'impôt; deuxièmement, la transformation de la Section de première instance et de la Cour d'appel de la Cour fédérale en deux cours distinctes ayant chacune son propre juge en chef; troisièmement, l'attribution d'un statut de cour supérieure à la Cour canadienne de l'impôt.

Je vais vous décrire les principaux aspects de ces trois volets. Le service administratif des tribunaux judiciaires proposé fournirait un soutien administratif à la Cour fédérale, à la Cour d'appel fédérale, à la Cour canadienne de l'impôt et à la Cour d'appel de la Cour martiale. Ainsi, ces tribunaux jouiraient d'une gestion commune de leurs établissements, de leurs greffes et de leurs biens immobiliers connexes, dont les bibliothèques et les systèmes d'information sur les dossiers, et de divers services de gestion communs comme les finances, les ressources humaines, le matériel, les services d'information et le soutien technique.

Le nouveau service serait dirigé par un administrateur en chef expérimenté nommé par le gouverneur en conseil. L'administrateur en chef en serait le premier responsable. Il s'occuperait de la gestion générale du service et exercerait le pouvoir administratif qui s'y rattache. Il rendrait compte au Parlement par voie d'un rapport annuel et comparaîtrait devant les comités parlementaires pour répondre aux questions sur l'administration de ces tribunaux.

Comme vous le savez sans doute, la Constitution dicte que l'administration de tribunaux relève à la fois du gouvernement et de la magistrature. Selon le principe d'indépendance judiciaire, la magistrature demeure la principale autorité quant aux questions touchant les fonctions judiciaires.

Le projet de loi C-30 reconnaît cet impératif constitutionnel de nombreuses façons. D'abord, comme vous le constaterez, honorables sénateurs, l'article 8 énumère les pouvoirs et les responsabilités précises des juges en chef. De plus, le projet de loi dicte expressément que l'administrateur en chef doit consulter les juges en chef avant de décider d'établir des greffes pour les tribunaux ou de préparer des budgets.

Ces propositions favorisent un fort partenariat entre l'administrateur en chef et les juges en chef pour l'administration des tribunaux. Elles tiennent compte aussi du fait qu'un juge en chef et l'administrateur en chef peuvent parfois ne pas s'entendre sur certains aspects de l'administration des tribunaux et qu'une décision définitive doit alors être prise.

Ainsi, le projet de loi autorise le juge en chef à donner par écrit des instructions à l'administrateur en chef, qui est alors tenu de s'y conformer. Pour sa part, l'administrateur en chef peut faire état de ces instructions écrites pour répondre de l'un ou l'autre des aspects de l'administration des tribunaux devant les comités parlementaires. Il peut également publier toutes ces instructions dans le rapport annuel qu'il est tenu, comme je l'ai dit tout à l'heure, de présenter au Parlement.

Honorables sénateurs, l'une des raisons pour lesquelles ce projet de loi est si long est que l'établissement du service d'administration des tribunaux judiciaires proposé pour la Cour fédérale et la Cour canadienne de l'impôt nécessite beaucoup de modifications corrélatives de forme.

[Français]

Le deuxième élément du projet de loi sépare officiellement l'actuelle Section de première instance de la Cour d'appel fédérale. L'objet de ce changement est de clarifier les rôles respectifs de juge en chef de première instance et de juge de la Cour d'appel, dans le but d'assurer une gestion judiciaire aussi efficace que possible pour chacun des tribunaux.

[Traduction]

À l'heure actuelle, le juge en chef de la Cour fédérale du Canada est chargé de la gestion générale de la Section de première instance et de la Section d'appel. Ce projet de loi créerait deux tribunaux distincts. Le juge en chef actuel continuerait d'assurer la gestion de la Cour d'appel, mais il ne s'occuperait plus de la gestion de la Section de première instance. C'est l'actuel juge en chef adjoint qui remplirait cette fonction pour la Section de première instance et deviendrait juge en chef. Je souligne que cette structure, comme vous le savez probablement, est la norme de la plupart des cours supérieures provinciales.

La séparation de la Section de première instance et de la Cour d'appel nécessitera beaucoup de modifications de forme, dont la plupart concernent les titres des tribunaux et des juges et la redistribution des juges du Barreau du Québec entre les deux nouveaux tribunaux.

Il faudrait également changer la composition du Comité des règles de la Cour fédérale. L'administrateur en chef serait membre du comité, dont le nombre de membres augmenterait pour assurer la majorité de juges requise. Le juge en chef de la Cour d'appel continuerait de nommer le président du comité, et le ministre de la Justice, de désigner les membres ne faisant pas partie de la magistrature.

Le dernier grand volet du projet de loi conférerait le statut de cour supérieure à la Cour canadienne de l'impôt. Ce changement a pour but d'établir une base solide à une collaboration efficace entre les quatre tribunaux bénéficiant du service administratif des tribunaux judiciaires. En gros, cela permettrait aux quatre tribunaux d'être sur un pied d'égalité dans leurs rapports mutuels et avec l'administrateur en chef dans ce nouveau modèle administratif. Le changement de statut n'entraînerait pas de coûts supplémentaires, puisque les juges de la Cour canadienne de l'impôt reçoivent déjà le même traitement et les mêmes avantages que les juges des cours supérieures et de la Cour fédérale du Canada.

Tout comme pour les changements structurels proposés à la Cour fédérale du Canada, cette proposition est de nature essentiellement administrative et n'a pas pour but d'apporter des modifications de fond aux procédures ou aux pouvoirs d'ordonnance actuels de la Cour canadienne de l'impôt.

[Français]

La plupart des autres modifications proposées à la Loi sur la Cour fédérale de l'impôt sont essentiellement techniques et introduisent les nouveaux titres de juge en chef et de juge en chef adjoint.

[Traduction]

Le projet de loi à l'étude codifie également certains pouvoirs que la Cour canadienne de l'impôt exerce déjà en vertu de la common law en ce qui concerne les outrages ex facie, les instances vexatoires et les questions constitutionnelles.

Voilà, madame la présidente, un bref aperçu du projet de loi C-30. Mes collègues et moi serons heureux de répondre aux questions.

Le sénateur Beaudoin: Je suis d'accord avec l'idée de ce projet de loi. Il est vrai que c'est un projet de loi technique. Cependant, il concerne un des trois pouvoirs de l'État, soit la magistrature. Je suis d'accord avec l'idée de doter une personne de pouvoirs administratifs importants, mais avez-vous dit qu'il ou elle devrait en faire rapport au Parlement?

Mme Bellis: Cela ressemblerait à la situation des sous-ministres, qui doivent répondre du budget ou de l'administration de leur ministère devant un comité.

Le sénateur Beaudoin: Habituellement, une personne devant répondre au Parlement est nommée pour plus de cinq ans. Pensons aux commissaires. Y a-t-il une raison de limiter cette nomination à une période de cinq ans?

Mme Bellis: Il est vrai, sénateur Beaudoin, que le mandat du commissaire se limite à cinq ans dans ce cas-ci. Je crois savoir toutefois qu'il s'agit d'un mandat renouvelable, que rien n'empêche de le renouveler. Ce n'est pas un mandat externe. L'administrateur en chef n'est pas commissaire parlementaire au même titre que le commissaire à la protection de la vie privée et que la commissaire aux langues officielles. Une durée de cinq ans pour ce mandat semblait appropriée.

Le sénateur Beaudoin: Prenons l'exemple du ministère de la Justice. Le sous-ministre est à la tête du ministère. Il ou elle n'est pas nommé pour cinq ans, mais pour de nombreuses années. Cela ne me pose pas problème. Il ou elle est nommé par le gouverneur en conseil.

Mme Bellis: L'administrateur en chef est aussi nommé par le gouverneur en conseil.

Le sénateur Beaudoin: Il ne s'agit pas d'un mandat, mais d'une nomination externe.

Mme Bellis: Ce n'est pas une nomination externe, mais bel et bien une nomination par le gouverneur en conseil au même titre que la nomination à un tribunal ou à un autre poste. Les sous-ministres sont les seuls membres de l'appareil gouvernemental à être nommés à titre amovible. Ils ne sont pas soumis à la Loi sur l'emploi dans la fonction publique et n'ont donc pas de sécurité d'emploi.

Le sénateur Beaudoin: Sur ce point, je suis tout à fait d'accord avec vous.

Cette personne sera nommée à un poste très important. Beaucoup de juges, cinquante peut-être, sont touchés par cette mesure. Bien sûr, la personne nommée n'aura que des fonctions administratives, rien d'autre.

Je veux être sûr que cela ne créera pas de problème dans le système judiciaire, le troisième pouvoir de l'État. Comme on se plaît souvent à le dire au sein de notre comité, il faut que justice soit rendue et qu'il soit évident qu'elle est rendue. Si les responsabilités n'étaient qu'administratives, je serais d'accord pour limiter la durée de nomination. Cependant, de prime abord, cinq ans ne me semblent pas une période adéquate. C'est insuffisant. Changerons-nous d'administrateur à chaque élection ou à une période fixe quelconque?

Mme Bellis: L'administrateur en chef est nommé à titre amovible, ce qui signifie que n'importe quand, le gouvernement peut...

Le sénateur Beaudoin: C'est pour plus de cinq ans alors.

Le sénateur Grafstein: C'est pour cinq ans.

Mme Bellis: C'est une nomination à titre amovible et non à titre inamovible.

Le sénateur Beaudoin: Quelle sorte de nomination est-ce: est-ce une nomination à titre amovible ou à durée fixe?

Mme Bellis: C'est une nomination à titre amovible pour une durée maximale de cinq ans. La première nomination du gouverneur en conseil pourrait être plus longue puisqu'elle peut être renouvelée.

Le sénateur Moore: Pour une durée maximale de cinq ans.

Le sénateur Beaudoin: De prime abord, je trouve cette durée un peu courte. Cela signifie qu'on pourrait changer d'administrateur tous les cinq ans, peut-être même encore plus souvent. Je suis d'accord pour que la nomination soità titre amovible. Cela ne me pose pas problème.

Mais pourquoi la nomination est-elle limitée à cinq ans?

Mme Bellis: La durée en a été fixée à cinq ans en s'inspirant d'autres postes, d'autres décrets et d'autres nominations. L'élément le plus important est que si l'administrateur en chef est nommé pour une durée maximale de cinq ans, le gouvernement peut en tout temps mettre fin à sa nomination. Ces cinq ans...

Le sénateur Pearson: Ou son mandat peut être renouvelé.

Mme Bellis: Exactement.

Le sénateur Beaudoin: Ce n'est pas l'expressionà titre amoviblequi est problématique, mais plutôt l'expression pour une durée maximale de cinq ans.

Mme Bellis: Je suppose, et cela n'est qu'une explication, que la nomination d'un administrateur en chef qui a fait preuve d'efficacité serait reconduite après cette période de cinq ans. Il n'y a aucune restriction d'ordre juridique à ce sujet.

Étant donné que ce projet de loi vise à améliorer la responsabilité en ce qui concerne l'administration des tribunaux tout en respectant le niveau d'indépendance requis par la magistrature, ce sera un défi — et j'affirme cela poliment mais aussi avec une certaine conviction — pour l'administrateur en chef d'exécuter son travail tout en relevant de quatre juges en chef. Afin que la responsabilité et l'efficacité de l'administration soient maintenues, le gouvernement et la magistrature devront faire en sorte que l'administrateur nommé possède les capacités requises.

Si l'administrateur en chef est incapable d'obtenir la coopération et la collaboration nécessaires, il serait alors possible de demander à quelqu'un d'autre d'assumer ce rôle. L'expression à titre amovible permet d'obtenir cet équilibre. En ce qui concerne la durée de cinq ans, je crois qu'on a pensé qu'il serait utile d'effectuer une révision du rendement tous les cinq ans, puisque l'administrateur en chef aurait alors acquis l'expérience et les capacités requises en matière de relations et de collaboration et que le gouvernement hésiterait à changer d'administrateur en chef à la date de renouvellement de son mandat.

Le sénateur Beaudoin: C'est ma seule préoccupation. Je suis d'accord avec tout le reste.

Le sénateur Andreychuk: Dans les tribunaux provinciaux que je connais, on a beaucoup discuté de l'indépendance des tribunaux, et la conduite de l'administration du tribunal était une des questions relatives à l'indépendance. Dans ces tribunaux, les administrateurs demeurent en poste à la discrétion du gouvernement. Les décisions prises en ce qui concerne les tribunaux provinciaux devraient aussi orienter les tribunaux fédéraux et les guider en matière d'indépendance. En avez-vous tenu compte? Je ne peux pas me rappeler de tous les cas, mais il y en avait un au Nouveau-Brunswick ou en Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Grafstein: C'est la Cour suprême de l'Île-du-Prince-Édouard.

Le sénateur Andreychuk: C'est cela. En avez-vous tenu compte et l'administrateur est-il nommé pour une période à la discrétion du gouvernement?

Mme Bellis: Je peux répondre de manière très générale. Oui, nous en avons tenu compte. Comme vous pouvez l'imaginer, c'est une question qui préoccupe beaucoup les juges en chef et les juges de la cour. Le modèle que nous avons proposé en ce qui a trait au mandat de l'administrateur en chef est un modèle qu'ils ont accepté et qui crée un équilibre entre leur domaine de contrôle judiciaire et la nécessité d'avoir un administrateur pouvant offrir des services efficaces.

Comme nous l'avons souligné, en cas de mésentente entre l'administrateur et un juge en chef à propos d'une question administrative, un mécanisme a été mis en place. Il s'agit d'instructions écrites exécutoires. Pour des raisons évidentes, ces instructions ne devraient être utilisées que rarement. Les administrations qui veulent débattre d'une telle question en public sont plutôt rares et je crois que cela est encore plus vrai pour les juges en chef.

Mais si, pour une raison quelconque, un mauvais choix était fait ou l'administrateur en chef se retrouvait régulièrement en situation d'impasse avec les juges en chef, l'efficacité de cette administration pourrait clairement en souffrir. Toutefois, si l'administrateur en chef était nommé à titre inamovible, on pourrait se retrouver dans une situation qui pourrait vraiment nuire à l'efficacité globale du système. Je crois que cela serait assez rare, mais il pourrait alors être dans l'intérêt des tribunaux et du gouvernement de trouver quelqu'un d'autre pour exercer ces fonctions et assumer ces responsabilités.

Le sénateur Bryden: L'article portant sur la nomination de l'administrateur en chef prévoit une consultation avec le juge en chef des tribunaux au sujet de la nomination, du renouvellement du mandat et même de la cessation des services, s'il y a lieu. Je crois comprendre que c'est l'entente qui a été établie avec les juges, qui veulent pouvoir se défaire d'un administrateur lorsque cela est nécessaire, mais qui veulent aussi être consultés. Ce sont les paragraphes 5(1), (2) et (3).

Le sénateur Joyal: Madame Bellis, lorsque vous dites que les juges ont acceptécette entente, de quel organisme s'agit- il?

Mme Bellis: Les consultations ont été tenues directement avec le juge en chef et le juge en chef adjoint de la Cour fédérale, le juge en chef et le juge en chef adjoint de la Cour canadienne de l'impôt et le juge en chef de la Cour d'appel de la cour martiale. Ensuite, ces juges ont mené des consultations approfondies avec les membres de leur tribunal, et des réunions en cour ont été organisées sur l'évolution de cette initiative. Ces consultations ont été organisées par l'ancien sous-ministre de la Justice, M. George Thomson, tandis que les discussions subséquentes ont été organisées par M. Morris Rosenberg.

Honorables sénateurs, vous serez peut-être aussi intéressés de savoir que le juge en chef et le juge en chef adjoint de la Cour fédérale ont demandé à M. Roger Tassé d'agir en tant que conseiller constitutionnel à propos de cette initiative. Grâce aux conseils fournis par M. Tassé, nous avons pu obtenir des indications claires et écrites précisant que les tribunaux accepteraient d'appuyer ce projet de loi. Ces échanges ont eu lieu au cours de réunions, ainsi que par l'entremise de documents écrits transmis entre les tribunaux.

Finalement, les consultations tenues ont traité du sujet en profondeur. Elles ont été constructives et ont activement contribué à l'évolution du modèle proposé dans le projet de loi C-30.

Le sénateur Joyal: Pouvons-nous voir la lettre qui a été envoyée au ministère dans laquelle les juges acceptent ces propositions?

Mme Bellis: Je ne pourrais pas vous remettre les lettres qui nous ont été adressées par la magistrature, sauf si les juges en chef l'acceptaient. Puisque la communication entre la magistrature et le gouvernement doit demeurer franche, ouverte et confidentielle — au sujet de l'élaboration de ce genre de politique —, je crois que la magistrature hésiterait à l'accepter.

Le sénateur Joyal: Peut-être devrions-nous demander à M. Tassé de venir témoigner devant le comité pour nous donner des commentaires sur l'aspect constitutionnel de ce projet de loi.

C'est un élément définitoire très important de l'indépendance judiciaire, et comme vous l'avez mentionné, le paragraphe 130 de la décision de la Cour suprême du Canada de 1997 stipule ce qui suit:

[Français]

L'indépendance de magistrature implique non seulement que les juges doivent être à l'abri des ingérences de l'exécutif et du législatif ainsi que des pressions et imbroglios politiques, mais également des complications financières ou commerciales qui sont susceptibles de leur nuire dans l'exercice de leurs fonctions judiciaires ou, plutôt, de créer cette impression.

[Traduction]

Ils doivent donner l'impression d'être à l'abri de toute ingérence du législatif. Puisque l'administrateur en chef est nommé pour une période de cinq ans, ce qui à mon avis est une courte période, comme l'est la durée d'une législature dans notre Constitution, le fait que l'administrateur en chef puisse être amovible peut donner l'impression qu'il ne bénéficie pas de l'indépendance globale qu'il devrait avoir afin de maintenir l'administration des services distincte du processus politique.

Mme Bellis: L'étendue du contrôle de la magistrature en ce qui concerne l'administration des tribunaux est un facteur important qui doit être respecté. Toutefois, comme l'indique le jugement rendu dans l'affaire Valente, cela ne s'applique pas à l'administration de tous les tribunaux, mais seulement à ceux portant sur la fonction juridictionnelle. Nous en avons tenu compte et en avons d'ailleurs discuté avec les juges en chef, qui sont satisfaits de la législation, qui est globale, bien entendu.

Cela dit, nous pourrions étudier la possibilité de présenter une déclaration des tribunaux précisant qu'ils appuient ce projet de loi.

Le sénateur Joyal: Cela pourrait être utile. Toujours en ce qui concerne la décision de la Cour suprême de 1997, le paragraphe 251 stipule ce qui suit:

[Français]

[...] l'indépendance administrative la définissant, à la p. 712, comme étant «[l]es aspects essentiels de l'indépendance institutionnelle qui peuvent raisonnablement être perçus comme suffisants pour les fins de l'al. 11d)». Le minimum essentiel a été défini (à la p. 709) comme étant le pouvoir par les tribunaux de prendre les décisions relatives aux questions suivantes:

[...] l'assignation des juges aux causes, les séances de la cour, le rôle de la cour, ainsi que les domaines connexes de l'allocation des salles d'audience et la direction du personnel administratif qui exerce ces fonctions [...]

[Traduction]

La liste qui figure à l'article 8 ne fait pas mention de la direction du personnel administratif.

En d'autres mots, il y a un élément administratif qui fait partie de la définition de l'indépendance judiciaire conformément à ce paragraphe de la décision de la Cour suprême. On pourrait ainsi croire que le tribunal n'est pas entièrement indépendant du processus politique dans ses activités quotidiennes.

Mme Bellis: Les fonctions que vous citez sont énumérées en détail aux paragraphes (2) et (3). On y fait référence au personnel du Service relevant des juges en chef. Cela s'applique à toute question relative aux salles d'audience.

Puis, il y a la question du pouvoir plus général, qui est la pierre d'achoppement. L'administrateur en chef est responsable de la gestion globale et en même temps, il doit composer avec cette zone grise de l'ultime contrôle judiciaire qui est très difficile à cerner. Le mécanisme d'instructions écrites et exécutoires a été établi pour en quelque sorte limiter le pouvoir discrétionnaire de l'administrateur. Toutefois, cela ne devrait pas vous faire craindre que les juges en chef seraient d'une manière quelconque gênés dans l'exercice du contrôle constitutionnel qui leur revient dans des domaines où les définitions ne sont pas claires.

C'est le sens de l'article 9.

Le sénateur Joyal: Comme vous l'avez dit, il existe une zone grise en ce qui concerne le fonctionnement des deux entités, la magistrature et l'administrateur en chef.

Mme Bellis: D'après ce modèle, ce sont les juges en chef qui semblent l'emporter.

Le sénateur Joyal: Oui, je l'espère et je partage votre opinion à ce sujet. Je tiens seulement à m'assurer que les questions administratives demeurent le plus possible distinctes du processus politique afin d'éviter que la crédibilité du fonctionnement du système ne soit ternie, comme l'a mentionné la Cour suprême.

Mme Bellis: Comme l'a souligné le sénateur Bryden, d'un point de vue pratique, la cessation des fonctions de l'administrateur en chef nécessite une consultation avec les juges en chef. Si des pressions inappropriées s'exercaient, je crois que les juges en chef s'en remettraient à leur obligation légale de faire connaître leurs points de vue afin d'empêcher toute ingérence politique inopportune.

Le sénateur Joyal: Comme vous l'avez mentionné, le problème de l'ingérence politique concerne ceux qui relèvent du Parlement. Les déclarations de la Cour suprême à propos de la rémunération des juges ne résolvent pas la question de l'obligation de rendre compte au Parlement. La Cour suprême a déclaré que le Parlement ne pouvait pas directement fixer le salaire des juges et qu'il devrait y avoir une entité entre les juges et le Parlement. Nous avons tenu un débat sur cette question il y a quelques années et j'aperçois ici quelques-uns de mes collègues qui y ont pris part.

La Cour suprême a déclaré qu'une commission devrait être créée afin de présenter des recommandations fondées sur des éléments objectifs. Si le ministre n'accepte pas ces recommandations, des motifs raisonnables doivent être invoqués. Le système pyramidal est très bien structuré. En ce qui concerne l'administration des tribunaux, nous renvoyons immédiatement cette question, qui est délicate, au Parlement — en d'autres termes, elle fait l'objet d'un débat politique ou partial, une fois par année, comme vous l'avez si bien dit. L'article 12 prévoit le dépôt d'un rapport au Parlement. Comme vous l'avez expliqué dans votre exposé, tout rapport déposé devant le Parlement doit faire l'objet d'une motion et d'un débat.

Mme Bellis: Bien entendu, des rapports annuels sont transmis de manière non formelle, sans qu'ils soient prescrits par la Cour fédérale et la Cour canadienne de l'impôt.

Le sénateur Joyal: Ce projet de loi prévoit que l'administration des tribunaux doit faire l'objet d'un débat parlementaire au même titre que toute autre question.

Mme Bellis: Cela inclut tout budget des dépenses d'un ministère. Si nous revenons à l'objectif du projet de loi, il faut reconnaître qu'il répond aux préoccupations soulevées par le vérificateur général, qui recommande que l'administration actuelle des tribunaux fasse l'objet d'une réforme afin que son efficience, son efficacité et sa responsabilité puissent s'améliorer.

Le sénateur Joyal: Vous m'ôtez les mots de la bouche. Si une entité indépendante examinait le rapport de l'administrateur en chef, comme le vérificateur général par exemple, qui est probablement le haut fonctionnaire du Parlement le mieux placé à cet égard, et s'il apportait des commentaires dans le cadre du rapport déposé devant le Parlement, cela permettrait de contrôler le trésor public, vu que les parlementaires demeurent les juges ultimes des dépenses publiques.

D'autre part, le rapport serait ainsi protégé du battage politique qui peut parfois découler de tout ce qui est présenté au Parlement.

Laissez-moi faire une analogie. Les salaires ne relèvent plus du Parlement; ils sont confiés à une commission, qui doit suivre des lignes directrices. On propose maintenant que le rapport sur l'administration des tribunaux soit déposé devant le Parlement, sans qu'un haut fonctionnaire, comme le vérificateur général, puisse l'examiner en profondeur et l'approuver. Si un haut fonctionnaire comme le vérificateur général participait à ce processus, il serait plus facile de confirmer que les sommes ont été bien dépensées et que la politique de gestion, la politique d'embauche et toutes les politiques de ce genre répondent aux exigences. Ainsi, on aurait l'impression que l'examen de l'administration des tribunaux s'effectue sans lien de dépendance.

Essentiellement, j'ai essayé de concilier ce que nous avons fait pour les salaires avec ce que nous faisons maintenant pour l'administration du tribunal.

Mme Bellis: Il est clair que je ne suis pas prête, compte tenu de mon rôle ici, à me lancer dans une discussion sur des modèles de rechange, si ce n'est pour dire que le modèle actuel permet l'établissement d'un service plus indépendant que celui que l'on retrouve dans n'importe quelle cour supérieure provinciale. Comme vous le savez, l'administration des tribunaux relève essentiellement du procureur général, mais ce modèle l'en éloigne quelque peu. Non seulement ne dépend-il pas du ministère de la Justice, comme c'était le cas il y a vingt ans, mais il fonctionne de façon plus autonome. Toutefois, il demeure un instrument du pouvoir exécutif et vise à assurer une administration efficace des tribunaux.

Il comporte une obligation de rendre compte et n'a pas été conçu comme un modèle d'auto-administration complète.

La seule chose que je voulais ajouter, c'est que ce modèle a été accepté par l'ensemble des juges en chef et des juges de la cour parce qu'il répond au besoin d'indépendance propre à leur fonction. Les juges en sont satisfaits parce qu'il leur permettra de conserver toute l'indépendance nécessaire et de garantir une collaboration efficace entre les tribunaux.

[Français]

Le sénateur Rivest: Sur la question de l'indépendance judiciaire, il y a des limites par rapport au service administratif. Quand le gouvernement avait décidé de faire payer le stationnement aux fonctionnaires, les honorables juges, pour qui, au Québec, j'ai le plus grand respect, ont prétendu que cette augmentation considérable constituait un accroc à l'indépendance judiciaire.

Il faut donc faire attention. Le jugement de la Cour suprême indique que sur la détermination de la rémunération, il faut une commission entre les deux, ce qui est très bien. Le gouvernement peut toujours suivre les recommandations, en autant qu'elles sont raisonnables. Je pense que la précaution prise par la cour stipulant qu'une recommandation doit être prise par un corps intermédiaire est très juste.

Sur les questions administratives, il ne faut pas trop étirer le principe de l'indépendance judiciaire. Dans le projet de loi, il m'apparaît très évident que l'administrateur gère les services administratifs, les fournitures. Mais le juge en chef, selon l'article 8, peut prendre des décisions reliées de plus près au principe de l'indépendance judiciaire. L'administrateur doit s'assurer qu'il y a une salle, de la lumière, de la ventilation, et cetera. La détermination de la salle et du juge qui y siégera est une prérogative du juge en chef. La préoccupation du sénateur Joyal est tout à fait légitime. Un équilibre est établi. Le rôle de l'administrateur est de fournir les services administratifs à l'ensemble des cours concernées, mais l'utilisation et l'affectation des juges sont la responsabilité du juge en chef. Je ne vois pas de problème quant à l'indépendance judiciaire des tribunaux avec l'existence d'un administrateur nommé par le gouverneur en conseil. C'est une question d'appréciation.

[Traduction]

La présidente: Voulez-vous une réponse, sénateur Rivest?

Le sénateur Rivest: Pas si les témoins sont d'accord avec moi.

Mme Bellis: J'approuve totalement ce que vous venez de dire.

Le sénateur Moore: L'article 14 du projet de loi prévoit ce qui suit:

Les juges en chef de la Cour d'appel fédérale [...] peuvent nommer, par leur tribunal respectif, un employé du Service administratif des tribunaux judiciaires à titre d'administrateur judiciaire [...]

C'est la même chose pour la Cour fédérale. Quelle relation y a-t-il entre l'administrateur judiciaire de l'un de ces tribunaux et l'administrateur en chef? Qui a le dernier mot?

Mme Bellis: Je laisse à ma collègue, Mme Crosby, le soin de répondre à cette question.

Mme Adair Crosby, conseillère juridique, Affaires judiciaires et politiques des tribunaux judiciaires et administratifs, ministère de la Justice: Le règlement de la Cour fédérale prévoit déjà que le juge en chef est l'administrateur judiciaire. Dans la loi, nous reconnaissons l'importance du rôle de l'administrateur judiciaire comme soutien de la fonction judiciaire. La responsabilité de cette personne n'est pas administrative, sauf dans la mesure où elle doit aider le juge en chef à s'acquitter de ses fonctions judiciaires. Parmi les tâches qu'elle doit accomplir, il y a l'attribution des affaires — c'est-à-dire, essentiellement, la gestion des dossiers de la cour —, en plus des travaux que lui confie le juge en chef.

Le sénateur Moore: Ce n'est pas ce que fait l'administrateur en chef?

Mme Crosby: Non, si vous vous souvenez de la discussion que nous venons d'avoir à propos de l'article 8 du projet de loi, vous vous rappellerez que la responsabilité de la gestion des affaires incombe aux différents juges en chef. Le rôle de l'administrateur judiciaire consiste donc plus particulièrement à appuyer le juge en chef dans ses fonctions.

Le sénateur Moore: Il me semble qu'il y a là quelque chose d'inutile. Cet administrateur en chef est-il le chef des administrateurs judiciaires nommés?

Mme Crosby: Les administrateurs judiciaires sont des fonctionnaires. Le juge en chef nomme les employés du greffe pour l'aider à s'acquitter de ses fonctions judiciaires. La législation ne stipule pas que les fonctions qui incombent directement au juge en chef — pour des raisons d'indépendance institutionnelle — puissent être assumées par l'administrateur en chef.

Le sénateur Moore: Je ne vois pas beaucoup de différences entre les tâches assignées à ces deux fonctionnaires.

Mme Bellis: Permettez-moi de vous donner un exemple, monsieur le sénateur Moore. L'administrateur judiciaire doit aider le juge en chef à tenir les registres et à attribuer les affaires aux juges — il aide le juge en chef à mener à bien les fonctions qui lui sont exclusivement réservées. Toutefois, lorsqu'il décide quel juge sera affecté à quelle affaire et dans quel tribunal (et dans le cas de la Cour fédérale, dans quelle ville), il y a nécessairement une interaction directe entre l'administrateur judiciaire et le reste du greffe, ainsi que le personnel administratif, c'est-à-dire les personnes chargées de l'organisation des voyages et les employés du greffe pour n'en citer que quelques-uns. Il n'est pas prévu que cette personne soit, d'une certaine manière, à part, et qu'elle accomplisse des tâches qui n'ont aucun lien avec le reste de l'administration.

Le sénateur Moore: Quel est le protocole? Les chefs occupent la plus haute fonction, mais qui vient après? L'administrateur qui sera nommé en vertu de la loi, puis les différents administrateurs judiciaires des tribunaux? Est-ce la hiérarchie?

Mme Bellis: Les administrateurs judiciaires seraient nommés au sein du Service. Ils seraient choisis par les juges en chef et travailleraient directement avec eux; c'est d'ailleurs ainsi que cela fonctionne actuellement.

Le sénateur Moore: Qui est le grand responsable?

Mme Bellis: C'est l'administrateur en chef pour toutes les questions d'administration. Si vous me demandez qui est responsable, en bout de ligne, de l'administration des dossiers et de l'attribution des affaires, je vous répondrai que c'est le juge en chef. Cela relève de sa compétence. L'administrateur en chef est là pour faciliter la tâche du juge en chef, dans la mesure où il doit veiller à ce que les rouages du système judiciaire fonctionnent correctement, selon les instructions du juge en chef.

La présidente: Le juge en chef est en quelque sorte chef du personnel...

Le sénateur Moore: À quel article faites-vous référence?

La présidente: À l'article 14 qui a été proposé, en page 12.

Le sénateur Moore: Il permet aux juges en chef de nommer l'administrateur judiciaire pour leur tribunal respectif.

La présidente: Est-ce que je me trompe?

Mme Bellis: Pas du tout. Comme l'a fait remarquer ma collègue, on s'est rendu compte de la nécessité de créer un tel poste, conformément aux Règles de la Cour fédérale. Cela se reflète purement et simplement dans la loi. À toutes fins pratiques, c'est l'un des cas où la personne se retrouve avec une direction et une responsabilité partagées.

Le sénateur Moore: Les fonctions se chevauchent.

Le sénateur Grafstein: En lisant ce projet de loi, nous comprenons toute la complexité de deux principes contradictoires: d'un côté, l'indépendance du système judiciaire et de l'autre, une certaine obligation de rendre compte à l'autorité responsable. Comment composez-vous avec des principes en apparence contradictoires? La question qui se pose pour ce comité est de déterminer si la solution proposée dans le projet de loi répond à l'objectif suprême d'indépendance du système judiciaire.

J'ai également lu le jugement de la Cour suprême, dans lequel, comme l'a souligné le sénateur Joyal, celle-ci a pris grand soin de préciser qu'elle voulait que les juges soient libérés des imbroglios ou des problèmes administratifs pour exercer leur pouvoir discrétionnaire complètement et librement, sans aucune ingérence. Ce sont en effet les paramètres que nous devons utiliser pour évaluer les propositions faites par le gouvernement en vue de résoudre un problème, propositions qui n'auraient d'ailleurs peut-être pas dû être faites par le vérificateur général, mais présentées de manière indépendante. Permettez-moi, pour commencer, d'analyser le principe. Comment la Cour suprême du Canada est-elle administrée? Qui en est l'administrateur en chef?

Mme Bellis: Il s'agit, en l'occurrence, du registraire de la Cour suprême. C'est lui qui occupe cette fonction.

Le sénateur Grafstein: Comment cette personne est-elle nommée?

Mme Bellis: Elle est nommée par décret, selon un modèle très semblable à celui-ci. Mme Anne Roland occupe ce poste depuis de nombreuses années maintenant.

Le sénateur Grafstein: Est-ce une personne nommée à titre amovible?

Mme Bellis: Oui, c'est le cas. Mme Roland répond au nom de la Cour à toutes les questions touchant l'administration de la Cour, que celles-ci portent sur le budget ou sur tout autre sujet.

Le sénateur Grafstein: Est-ce vrai — encore une fois, je n'ai pu le vérifier — qu'aux États-Unis le juge en chef d'un tribunal en est aussi l'administrateur en chef?

Mme Bellis: Le modèle américain est tout à fait différent du nôtre, compte tenu des pratiques et de l'évolution du système judiciaire aux États-Unis.

À l'autre extrémité, comme je l'ai mentionné, se retrouvent les modèles prévus pour toutes les cours supérieures de compétence plénière au Canada, qui ne relèvent pas de la compétence fédérale. Ce qui ne varie pas d'un modèle à l'autre, c'est que l'administration des tribunaux n'appartient pas à un ministère ou à un service distinct. C'est en fait une sous-direction du ministère de la Justice et Procureur général.

Comme je l'ai dit, cela a permis de rendre plus indépendante l'administration des tribunaux de l'ensemble...

Le sénateur Grafstein: Je le comprends. Permettez-moi seulement de vérifier une chose.

Voyons un peu l'objet des causes présentées devant les tribunaux. Nous parlons d'affaires dans lesquelles le gouvernement fédéral a un intérêt particulier, comme celles qui sont instruites par la Cour canadienne de l'impôt ou la Cour fédérale. Essentiellement, le gouvernement est partie dans la majorité de ces affaires. Dans le cas de la Cour canadienne de l'impôt, par exemple, le gouvernement est des deux côtés de la barrière. Pourtant, pas l'ombre d'un soupçon ne doit peser sur l'obligation d'indépendance judiciaire, particulièrement en pareils cas.

Je dis cela après avoir lu le jugement rendu dans l'affaire Valente et aussi dans celle du Manitoba.

Ceci dit, j'aimerais savoir, pour abonder dans le sens du sénateur Moore, pourquoi l'administrateur en chef ne serait-il pas, en fait, nommé par les quatre juges et traité exactement comme eux. Je comprends la différence entre la responsabilité de gouvernance globale et l'organisation propre à chaque tribunal. Il y a là un rôle double.

Pourquoi le modèle ne permettrait-il pas que les juges nomment, selon les mêmes principes, leurs administrateurs judiciaires? Là encore, la question de l'indépendance judiciaire ne se poserait pas. Les juges administreraient, conformément au mandat de la Cour suprême, à la fois les questions administratives et judiciaires. Il y aurait une distinction claire et nette.

En outre, l'administrateur en chef ne serait pas un fonctionnaire, au sens où on l'entend ici. La rémunération est fixée par le gouverneur en conseil et l'administrateur en chef devient un employé de l'État. Cela laisse craindre une apparence de conflit d'intérêts dans certaines affaires.

Je pense en particulier à l'affaire dont avait été saisie la Cour suprême et qui concernait les employés de Bell. Cette affaire a eu un grand écho dans la fonction publique. Je suis certain que vous en avez entendu parler.

Mme Bellis: Oui, je la connais.

Le sénateur Grafstein: Je comprends votre problème. Le ministre propose et vous êtes là pour disposer de ses idées. Pourquoi cela n'en ferait-il pas un meilleur modèle?

Mme Bellis: Je crois que je peux répondre à cette question directement, monsieur le sénateur Grafstein. Je peux certainement garantir jusqu'au bout la protection de l'indépendance judiciaire pour ce qui est des questions administratives. Toutefois, cela ne répond pas aux objectifs du gouvernement, qui cherche à établir une façon de rendre compte de manière appropriée des dépenses importantes payées à même les deniers publics.

Dans une structure gouvernementale responsable, comme le sénateur Rivest l'a souligné, nous cherchons à atteindre un équilibre. Le jugement rendu dans l'affaire Valente entre autres, ainsi que le rapport Deschenes sur l'administration des tribunaux admettent qu'il n'y aura jamais d'équilibre parfait. Toutefois, nous avons atteint un équilibre dans la mesure où l'administration continue de relever du pouvoir exécutif, au sein de notre système gouvernemental.

Le sénateur Grafstein: Le modèle ne serait-il pas parfait ou presque si l'administrateur en chef était nommé par les quatre juges? Ceux-ci seraient obligés de se réunir et de désigner quelqu'un qui réponde à leurs exigences. De cette façon, la responsabilité serait directe. Ensuite, pour satisfaire à l'obligation de rendre compte au public — ce qui constitue un principe important — cette personne serait tenue de faire rapport au vérificateur général ou au Parlement sur la façon dont l'argent est dépensé.

Au bout du compte, c'est ce que doit faire l'administrateur, quoi qu'il arrive. Actuellement, au lieu que cette tâche incombe à une personne nommée par les juges, elle incombe à un fonctionnaire. Cela ne répondrait-il pas à votre deuxième objectif qui vise à garantir l'obligation de rendre compte au public?

Mme Bellis: C'est un modèle qui pourrait s'imposer de lui-même. Il est complètement inédit dans le contexte canadien.

Le sénateur Grafstein: Vous ne l'approuvez pas.

Mme Bellis: Je ne peux me prononcer pour ou contre. Je suis ici pour examiner avec vous ce modèle.

Le sénateur Grafstein: Bien dit. Permettez-moi d'aller au bout de ma pensée à propos de cette question de la durée du mandat.

Je suis bien d'accord qu'un fonctionnaire relevant essentiellement du Parlement doit être nommé pour une période donnée. Toutefois, si la durée de son mandat est inférieure à une session, on s'expose à coup sûr à bien des questions politiques. Il faut éviter un mandat qui coïnciderait avec les élections. Si au début on a préconisé un mandat de sept ans, c'était justement pour empêcher qu'un haut fonctionnaire du Parlement soit manipulé par le gouvernement de l'heure.

Je le répète, je trouve cette solution curieuse — c'est-à-dire que nous acceptions en fin de compte une nomination à titre amovible pour une durée de cinq ans qui coïnciderait avec la session, tout en prétendant défendre le principe d'un mandat sans influence politique. Pourquoi, sous ce rapport...

Le sénateur Bryden: Soyons clairs, sénateur Grafstein: lorsque vous dites qu'une nomination pour une durée de cinq ans coïncide avec le mandat d'un gouvernement, c'est exact dans la mesure où la personne est nommée au début de ce mandat et où le gouvernement restera au pouvoir pendant exactement cinq ans, la nomination suivante se faisant elle aussi exactement après cette période. Ce serait là une situation fort intéressante. Qu'elles soient d'une durée de cinq ans, de deux ans ou de trois ans, les nominations ne sont pas ordinairement effectuées le jour même où un gouvernement arrive au pouvoir et ne prennent pas fin non plus dès que le gouvernement change. La nomination pourrait être d'une durée de sept ans ou de cinq ans.

Le sénateur Grafstein: Nous avons déjà eu au Parlement un débat sur ces hauts fonctionnaires il y a quelque temps. On a convenu d'une nomination pour une durée de sept ans pour éliminer toute possibilité de doute. Au moins deux gouvernements se succéderaient pendant la durée du mandat.

Souhaitez-vous réagir à la question d'un mandat de sept ans?

Mme Bellis: Je dois me contenter d'expliciter les dispositions qui sont envisagées ici: un fonctionnaire nommé à titre amovible pour une durée maximale de cinq ans et dont le mandat peut être renouvelé à chaque fois après consultation des juges. À cause de telles consultations, on a moins à craindre des décisions bancales qui seraient peut-être d'origine politique. Les quatre juges en chef seraient en cause et seraient sans doute portés à dénoncer publiquement toute ingérence de la part du gouvernement.

Le sénateur Grafstein: La formulation du paragraphe 5(3) est bizarre. On peut y lire: «la décision [...] ne peut être prise qu'après consultation, par le ministre de la Justice [...].» Pourquoi ne dit-on pas, pour établir clairement l'indépendance, «la décision [...] ne peut être prise par le ministre de la Justice qu'avec l'assentiment des juges en chef [...]»?

Si vous voulez parler d'indépendance — indépendance veut dire consentement; indépendance ne veut pas dire consultation.

Mme Bellis: On parle de consultation dans le sens de l'assentiment du juge en chef en sa qualité de président du Conseil canadien de la magistrature et de commissaire de la magistrature fédérale, qui, je tiens à le rappeler aux honorables sénateurs, administre tous les aspects de la rémunération et du traitement des juges. L'administration de ces ressources revêt pour la magistrature une importance au moins aussi grande. Ce fonctionnaire est nommé dans des conditions semblables et doit lui aussi rendre des comptes. C'est le modèle dont on s'est inspiré aussi pour le titulaire de cette charge.

[Français]

Le sénateur Rivest: Je voudrais signaler un point à mes collègues qui, sans doute avec raison, s'inquiètent au sujet de la place de l'administrateur public par rapport aux pouvoirs politiques et à l'indépendance du pouvoir judiciaire. Vous n'avez qu'à lire l'article 9 du projet de loi C-30.

9.(1) Un juge en chef peut, par des instructions écrites, ordonner à l'administrateur en chef du service de faire toute chose relevant de la compétence de celui-ci.

Si vraiment il y avait de l'interférence, que le juge en chef en soit conscient. En fin de compte, il s'agit de quelqu'un qui relève du pouvoir judiciaire total. Il est vraiment sous la tutelle des juges en chef.

[Traduction]

Le sénateur Beaudoin: Réflexion faite, je dirais que nous ne pouvons pas comparer l'administrateur en chef à un haut fonctionnaire du Parlement tel que le vérificateur général ou le commissaire aux langues officielles et ainsi de suite.

Si l'administrateur en chef relève de quelqu'un, c'est bien des juges. La portée du paragraphe 9(1) est considérable.

Voici ce qu'il contient:

9.(1) Un juge en chef peut, par des instructions écrites, ordonner à l'administrateur en chef du Service de faire toute chose relevant de la compétence de celui-ci.

Sur certains plans, il peut superviser l'administrateur en chef, même lorsque ce dernier s'occupe des tâches administratives qui sont les siennes. Cela étant dit, il faut reconnaître que l'administrateur en chef n'est pas au même niveau qu'un haut fonctionnaire du Parlement.

À l'article 12, on peut lire:

12.(1) Dans les six mois suivant la fin de chaque exercice [...]

C'est un délai très court.

l'administrateur en chef présente au ministre de la Justice [...]

Le ministre de la Justice n'est pas un parlementaire; il ou elle est un ministre.

[...] un rapport des activités du Service au cours de l'exercice.

Les juges disposent certainement à cet égard de tous les pouvoirs qu'il leur faut.

Je veux aborder enfin le même point que le sénateur Grafstein, celui du mandat de cinq ans. Une législature peut durer cinq ans; il peut y avoir une exception si une situation d'urgence se présente. Ordinairement, le mandat est de quatre ans. Ce ne sont pas des choses qui se calculent mathématiquement. Il ne reste plus qu'une question: La nomination pourrait-elle être d'une durée de quatre ans?

Mme Bellis: La disposition indique une durée maximale de cinq ans.

Le sénateur Beaudoin: Peut-on en conclure que le gouverneur en conseil peut choisir de nommer une personne pour une durée de deux ans ou de trois ans? À mon avis, ce ne serait pas une bonne chose, mais c'est possible.

À cause des articles 9 et 12, les pouvoirs de l'administrateur sont limités. Je pensais au début qu'il s'agissait d'un poste aux pouvoirs considérables, mais ce ne semble pas être le cas. L'article 9 dit qu'il relève des juges en chef.

Si le dernier mot appartient à un administrateur de la troisième branche de l'État et que cette personne est soumise à la supervision de l'organe judiciaire, je n'ai pas à m'en faire.

Le sénateur Joyal: Dans la même veine, je dirais qu'il y a un élément de continuité qui est inhérent à la nomination des juges. Dans les lois fédérales, il y a un cas d'une nomination pour une durée comparable à celle des juges et c'est celui du directeur général des élections. Voici ce que disent les articles 13 et 14 de la Loi électorale du Canada portant sur le directeur général des élections:

[Français]

13.(1) Est institué le poste de directeur général des élections, dont le titulaire est nommé à titre inamovible par résolution de la Chambre des communes. Il peut être révoqué pour motif valable par le gouverneur général sur adresse du Sénat et de la Chambre des Communes.

(2) La limite d'âge pour l'exercice de la charge de directeur général des élections est de soixante-cinq ans.

[Traduction]

Ce qui veut dire que le directeur général des élections peut être révoqué par décret du conseil. Il peut occuper son poste jusqu'à l'âge de 65 ans, soit à peu près la même limite d'âge qu'un juge. Le directeur général des élections doit être autonome en théorie et en pratique; il serait exposé à des critiques si ce n'était pas le cas. Le fait que cette personne peut être nommée et occuper son poste jusqu'à l'âge de 65 ans aide à assurer l'autonomie de cette charge publique.

Je comprends votre raisonnement du début à la fin — comme vous l'avez dit, ce projet de loi est un modèle. Cependant, il y aurait moyen aussi de définir un modèle qui respecterait certains des objectifs que cette mesure cherche à atteindre. Il en résulterait également des sauvegardes plus fortes que celles que l'on trouve dans le projet de loi, vu surtout ce que disait le sénateur Beaudoin à propos de la possibilité de nommer une personne pour deux ou trois ans. Un gouvernement pourrait décider de procéder ainsi pour surveiller de plus près l'administration de la cour.

Notre système devrait empêcher une telle ingérence, parce que notre appareil judiciaire crédible est pour nous une source de fierté. Les juges canadiens possèdent le plus haut niveau de crédibilité de toutes les professions, comme vous le savez. On ne peut en conclure que le système est bon et que les juges sont au moins perçus comme étant indépendants.

Lorsque nous entreprenons de mettre en place un tel système pour assurer le soutien administratif nécessaire — les ressources humaines et matérielles — pour permettre aux tribunaux de fonctionner efficacement, ces détails ne sont pas inclus dans le projet de loi. Ce sont des choses qui doivent être perçues comme étant indépendantes.

L'article 5 pourrait permettre à quelqu'un de fausser le système. Lorsque l'on nous demande à nous les législateurs de corriger cette situation et de faire respecter les principes du système, nous devons presque nous faire les avocats du diable et dire: Quelqu'un cherche à s'ingérer dans le système. Comment mettre en oeuvre ces dispositions ou les articles proposés?

C'est essentiellement là un moyen de voir dans quelle mesure le projet de loi peut permettre d'atteindre les objectifs que nous poursuivons tous. Je suis sûr que nous recherchons tous la même chose et le gouvernement aussi. Il y a certainement convergence des buts. Ce que nous voulons, c'est que les moyens mis à votre disposition, les choses dont nous convenons et ce que tous les honorables sénateurs recherchent — l'objectif et l'indépendance de la magistrature — seront respectés et trouveront leur aboutissement dans le projet de loi C-30. Nous essayons d'améliorer la situation et non pas de compromettre le système.

Mme Bellis: Ce que vous venez de dire m'incite à affirmer assez catégoriquement que le modèle que nous avons pour le nouveau Service administratif fédéral pour les cours attire l'envie des juges en chef des cours supérieures des provinces dans tout le Canada. C'est un modèle qui accorde à l'indépendance de la magistrature un poids que l'on ne saurait retrouver dans les modèles qu'ils ont. J'aimerais que les honorables sénateurs comprennent que sur le plan des possibilités d'action, le débat, les points que vous avez soulevés et les modèles définis n'ont cessé d'alimenter le dialogue entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire et aussi au sein du pouvoir judiciaire lui-même, pendant de nombreuses années, d'où par exemple le rapport Deschenes qui remonte maintenant à 30 ans.

Tout ce débat a eu lieu parce que l'on cherchait le juste milieu. Le gouvernement a opté pour ce modèle, que les juges en chef appuient sans réserve, à l'issue d'une vaste consultation.

Le sénateur Bryden: Je tiens à remercier les témoins de m'avoir facilité la tâche dans mon rôle de parrain du projet de loi C-30, car je pensais qu'il aurait été beaucoup plus difficile, mais cela ne s'est pas avéré vu les excellentes questions de mes honorables collègues, les sénateurs Grafstein et Joyal.

La présidente: Je vous remercie, madame Bellis, d'être venue témoigner devant notre comité.

Le sénateur Joyal: Si j'ai bien compris, les témoins ont dit qu'ils étaient prêts à obtenir une confirmation de la position des juges.

Mme Bellis: Je ne peux m'engager qu'à leur en parler. Vous comprendrez que la magistrature, très sensible aux liens qu'elle entretient avec les deux autres branches de gouvernement, est bien réticente à se prononcer publiquement. Je vais certainement voir, cependant, ce qu'il y a moyen de faire. Je ne peux dire avec certitude que je pourrai vous en reparler dès demain, car je ne suis pas certaine de pouvoir avoir les entretiens qu'il faut demain matin. Toutefois, je vais faire tout ce que je peux.

La présidente: Je vous remercie, madame Bellis. Je vous prie de faire tout ce que vous pouvez parce que nous avons l'intention de procéder à l'étude article par article dès 10 h 47 demain matin, ici dans cette salle.

La séance est levée.


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