Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 32, Témoignages du 24 avril 2002
OTTAWA, le mercredi 24 avril 2002
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi S- 41, Loi visant la réédiction de textes législatifs n'ayant été édictés que dans une langue officielle, se réunit aujourd'hui, à 16 h 36, pour en faire l'étude.
Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Nous allons commencer aujourd'hui l'étude du projet de loi S-41.
Avant de vous céder la parole, monsieur le ministre, j'aimerais vous souhaiter la bienvenue dans cette salle historique de l'édifice de l'Est. Nous sommes très heureux de vous accueillir, vous et vos collaborateurs, ici aujourd'hui. J'aimerais vous féliciter de votre nomination, qui vous amènera sans doute à comparaître devant nous assez souvent.
L'honorable Martin Cauchon, ministre de la Justice et procureur général du Canada: Merci, madame la présidente. La première fois que j'ai rencontré John Ashcroft aux États-Unis, il m'a dit: «Monsieur Cauchon, je suis heureux de vous rencontrer. Comme je ne sais pas tout, des spécialistes du ministère de la Justice m'accompagnent». J'ai fait exactement la même chose aujourd'hui puisque des fonctionnaires de mon ministère m'accompagnent, et ils répondront à toutes les questions d'ordre technique que vous voudrez poser.
[Français]
M'accompagnent également M. Paul Salembier et M. Michel Aucoin, ainsi que d'autres personnes du ministère de la Justice.
Il s'agit de ma première comparution devant un comité depuis ma nomination par le premier ministre comme ministre de la Justice et procureur général du Canada. Il va sans dire qu'il me fait plaisir d'être ici.
D'entrée de jeu, on parle aujourd'hui du projet de loi S-41. J'aimerais remercier le sénateur Joyal qui est le parrain du projet de loi, un projet de loi que nous avons décidé d'introduire de premier chef du côté du Sénat.
Ceci dit, je suis ici pour discuter du projet de loi S-41, la Loi sur la réédiction de textes législatifs. Ce projet de loi s'inscrit dans le contexte plus vaste des obligations constitutionnelles du Parlement d'adopter, d'imprimer et de publier ses lois et autres textes de nature législative dans les deux langues officielles du Canada. Son objectif est en soi important puisque l'égalité de statuts et de l'usage du français et de l'anglais au sein des institutions fédérales est une valeur fondamentale de notre pays.
Avant de présenter les objectifs de ce projet de loi, permettez-moi d'abord d'indiquer clairement au comité que le gouvernement s'estime justifié d'affirmer que la vaste majorité de ses textes est conforme à la Constitution. Sans aucunement diminuer l'importance des valeurs fondamentales sous-jacentes à ce projet de loi, je tiens également à vous rassurer que le gouvernement est d'avis que la portée du problème potentiel que ce projet de loi vise à régler est essentiellement limitée.
Ce projet de loi vise essentiellement à dissiper tout doute qui subsisterait quant à la validité constitutionnelle de certains règlements et décrets fédéraux dont la prise aurait pu échapper à l'application des exigences de bilinguisme et dont le statut n'aurait pas été corrigé subséquemment.
Le projet de loi S-41 prévoit ou autorise la réédiction de certains textes de nature législative qui n'ont été édictés à l'origine que dans une langue officielle. Le projet de loi propose une approche distincte pour chacune de deux catégories de textes législatifs. D'abord, les textes législatifs qui n'ont été édictés que dans une langue officielle, mais qui ont néanmoins été publiés dans les deux langues officielles, sont automatiquement, au moyen de ce projet de loi, réédictés rétroactivement dans les deux langues officielles.
En outre, le projet de loi confère au gouverneur en conseil le pouvoir réglementaire de réédicter rétroactivement dans les deux langues officielles les textes législatifs qui n'ont été édictés que dans une langue officielle et qui n'ont été publiés que dans une langue ou qui n'ont pas été publiés.
Pour bien comprendre la genèse du projet de loi S-41, il nous faut faire un rapide survol des droits linguistiques prévus par la Loi constitutionnelle de 1867.
[Traduction]
L'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 exige expressément que les lois du Parlement du Canada et de l'Assemblée législative du Québec soient imprimées et publiées en anglais et en français. Le Parlement du Canada a de tout temps respecté cette obligation constitutionnelle à l'égard de ses lois.
Toutefois, de 1867 à 1969, la véritable étendue de l'exigence constitutionnelle était méconnue et, avant l'adoption de la Loi sur les langues officielles de 1969, nous pouvons raisonnablement présumer que la plupart des règlements et des décrets ont été établis dans une seule langue officielle, c'est-à-dire qu'une seule version de ces textes a été signée par le gouverneur en conseil. Ces textes étaient généralement ensuite imprimés et publiés dans la Gazette du Canada dans les deux langues officielles. Évidemment, nous avons appris depuis, par l'entremise des jugements des tribunaux, qu'une telle pratique n'est pas conforme aux exigences constitutionnelles qui s'appliquent à de tels instruments de nature législative.
D'abord, en 1979, la Cour suprême du Canada a indiqué que l'exigence expresse d'impression et de publication des «lois» de l'assemblée législative requiert nécessairement qu'elles soient également adoptées dans les deux langues officielles. Puis, en 1981, la Cour suprême du Canada a explicité la portée de sa décision antérieure en statuant que les exigences de l'article 133 s'appliquent aux textes de nature législative qui sont adoptés par le gouvernement ou soumis à l'approbation du gouvernement, d'un ministre ou d'un groupe de ministres.
[Français]
Ainsi, la Constitution du Canada telle qu'interprétée par la Cour suprême du Canada depuis 1979, exige qu'une vaste gamme de textes législatifs, tels les règlements et les décrets de nature législative, soient établis, imprimés et publiés dans les deux langues officielles. La Constitution exige que ces textes soient établis, imprimés et publiés simultanément dans les deux langues officielles et que les deux versions de ces textes aient également force de loi et même valeur.
Nous pouvons donc facilement comprendre qu'il puisse avoir existé un écart entre la pratique du gouvernement et le respect des exigences linguistiques constitutionnelles. Toutefois, bien avant les décisions des tribunaux en 1979 et 1981, le gouvernement avait adopté des mesures qui allaient alors au-delà de ce qui était requis par la Constitution.
En 1969, la Loi sur les langues officielles a exigé expressément que les règlements fédéraux, dont la publication est requise en vertu d'une loi du Parlement du Canada, soit établis et publiés, sujets à certaines exceptions, dans les deux langues officielles. En 1988, la Loi sur les langues officielles a été modifiée afin de refléter fidèlement les exigences énoncées par la Cour suprême. De plus, les règlements qui ont fait l'objet de la codification des règlements du Canada de 1978 sont, de l'avis du gouvernement du Canada, conformes aux exigences linguistiques de la Constitution. Or, dans son troisième rapport déposé le 30 octobre 1996, le Comité mixte permanent d'examen de la réglementation s'est dit préoccupé quant à la validité constitutionnelle de certains règlements fédéraux qui avaient été établis à l'origine dans une seule langue officielle.
Dans sa réponse au rapport du comité, le gouvernement a clairement établi que la consolidation des règlements du Canada de 1978 avait corrigé la difficulté technique à l'égard de cinq règlements fédéraux identifiés par le comité. De plus, la Loi sur les langues officielles de 1969 et de 1988 a grandement réduit la portée du problème potentiel. Bien que le gouvernement du Canada demeure confiant de la validité de ses textes législatifs, le Comité mixte permanent d'examen de la réglementation a mis de l'avant certains arguments contraires.
Tout en maintenant la position du gouvernement, mon prédécesseur, l'honorable Anne McLellan, a indiqué au Comité mixte permanent d'examen de la réglementation qu'elle demanderait à ses fonctionnaires d'étudier la question plus à fond pour établir si des moyens efficaces et rentables pouvaient être identifiés, afin de dissiper tout doute.
Le projet de loi S-41 offre effectivement un moyen efficace et rentable de dissiper tout doute qui pourrait autrement persister quant à la validité constitutionnelle des textes législatifs fédéraux, tout en démontrant l'engagement constant du gouvernement envers la primauté du droit, le respect de la Constitution et la dualité linguistique.
Je crois que ce projet de loi est nécessaire et j'espère compter sur l'appui de l'ensemble des membres de ce comité.
Le sénateur Beaudoin: Monsieur le ministre, le ministre de la Justice, à cause de ses fonctions, a toujours un caractère très particulier dans ce comité.
C'est un projet de loi très intéressant. Ma seule préoccupation est de m'assurer que tout soit vraiment en accord avec la Constitution. D'autant plus qu'un règlement est toujours présumé valide. Aussi longtemps que le règlement n'est pas attaqué devant les tribunaux, il jouit de la présomption totale de validité. C'est un premier point.
Deuxièmement, on a quand même le jugement d'un tribunal, l'affaire Blaikie, où on dit que les règlements doivent suivre la même procédure que les lois, et cela fait partie de la Constitution. Vous admettez que l'article 3 est rétroactif. On devrait peut-être le dire plus clairement, mais c'est évident que c'est rétroactif. Sinon, le projet de loi n'a aucun sens.
M. Cauchon: Les articles 3 et 4 sont forcément rétroactifs.
Le sénateur Beaudoin: J'aimerais qu'on le dise plus fortement. La consolidation n'ajoute pas quoi que ce soit au plan juridique et constitutionnel. Une consolidation de lois ou de règlements, c'est tout simplement administratif. Cela ne rencontre pas une obligation juridique ou constitutionnelle. Une consolidation fait état de ce qui existe.
On questionne la validité de ce règlement. Il va falloir que l'autre partie prouve que cela va à l'encontre du processus constitutionnel. Suffirait-il de dire nous avons une loi omnibus? La loi est rétroactive. Il ne s'agit pas d'un statut mais d'un règlement. Mais le règlement a la même force que si c'était une loi. Je ne connais pas de meilleurs moyens. Je ne suis pas assuré que ce moyen soit au-delà de tout doute. On me dit que vous n'avez même pas une liste complète des règlements qui n'ont pas été adoptés dans les deux langues. Ce projet de loi omnibus n'est pas une porte fermée.
D'autre part, si on examine l'arrêt de 1985, la Cour suprême a dit très clairement que ces lois, qui n'ont pas été votées dans les deux langues, sont présumées valides au cours de la période nécessaire pour les traduire. Peut-on dire la même chose dans un acte législatif? On n'a pas de précédent. On n'a aucun précédent. À moins qu'on me prouve qu'il y a un meilleur moyen, je suis prêt à l'accepter. Ce n'est pas au-delà de tout doute. Si on est attaqué, il va falloir se défendre en cour où le règlement est présumé valide. Il est très facile pour celui qui attaque de prouver qu'il n'y a pas eu un acte réglementaire qui a été posé. On ne pourra pas corriger cela, on n'efface pas des faits.
Je ne sais pas ce que vos experts ont à dire sur ce sujet. Il reste quand même quelque chose d'inconnu, même avec le projet de loi actuel. Si j'avais une suggestion à faire, ce serait de dire que les articles 3 et 4 sont rétroactifs. On peut le dire dans une loi. Cela renforcerait considérablement le processus employé. C'est ma question. Il reste que le mécanisme m'apparaît intéressant. Si c'est le seul qu'on peut nous présenter, je vais l'accepter. Il me reste encore des doutes.
[Traduction]
M. Cauchon: Dois-je répondre à la question tout de suite, ou attendre la fin de la période des questions?
La présidente: Normalement, au sein de notre comité, on répond aux questions tout de suite. Le sénateur Beaudoin aura peut-être une question complémentaire à poser. Les témoins peuvent s'adresser directement aux sénateurs, sans passer par la présidence.
[Français]
M. Cauchon: Je fais mien jusqu'à un certain point une partie des propos de mon ancien professeur. Pour les propos que je n'épouse pas, je les trouve quand même intéressants.
Concernant le nombre de règlements législatifs qu'on toucherait par ce projet de loi, il est exact que l'on ne le connaît pas. C'est pour cela qu'il faut avoir un projet de loi qui le plus possible fera en sorte de colmater tous les problèmes qui peuvent survenir par la suite pour ne pas revenir constamment devant le Parlement pour s'occuper de cette question.
La question du langage législatif et juridique utilisé, en matière d'interprétation, quand on fait référence à l'élément rétroactivité, est essentiellement celui que vous retrouvez aux articles 3 et 4.
Dans les articles 3 et 4, on fait référence à la notion de rétroactivité. Vous allez dire qu'en vertu de la Loi de l'interprétation, les titres et les annotations à côté des articles de loi ne font pas partie de l'interprétation de la loi. Je suis d'accord. Généralement, dans la rédaction, c'est le style utilisé pour faire référence aux éléments de rétroactivité. Si vous nous demandez d'être plus précis dans la version française — dans le texte anglais, on fait nettement référence à la notion de rétroactivité — le ministère peut bien étudier ce point, s'il y a une insistance de ce côté. Du côté de la rédaction législative au ministère, c'est un standard. C'est ce qui avait été utilisé dans le projet de loi au Québec.
Pour ce qui est du moyen utilisé, vous avez touché à la question. Nous ne connaissons pas d'autres moyens existants pour couvrir pareil phénomène. Cette méthode a été utilisée après l'arrêt Blaikie de la Cour Suprême par le gouvernement du Québec qui était aux prises avec une situation plutôt difficile. La méthode utilisée a été confirmée par la Cour d'appel du Québec et elle n'a pas été portée devant la Cour suprême. Dans la cause à laquelle vous avez fait référence, la cause du Manitoba de 1985, on a effleuré la question. Reste que la Cour suprême a effleuré la question sans se prononcer. Il y a quand même quelque chose à retirer du fait que la question a été effleurée dans la cause du Manitoba en 1985.
Je suis d'accord avec le sénateur Beaudoin. Mais il n'existe pas de meilleure façon de faire au moment où on se parle.
Le sénateur Beaudoin: Dans le renvoi de 1985, c'était relativement facile, quoique cette décision est un petit chef- d'oeuvre. C'est le plus bel arrêt que j'ai jamais vu sur le contrôle de la constitutionalité des lois. Imaginez-vous, déclarer l'invalidité d'une loi 90 ans après son adoption! C'est tout un contrôle de la constitutionnalité.
On était en présence d'une loi. Ici on est en présence d'un règlement. Mais le règlement, d'après l'affaire Blaikie, est dans la même situation que la loi elle-même. Il y a donc un aspect constitutionnel.
Probablement que cela n'a pas de bon sens de faire un amendement constitutionnel pour régler ce problème. Est-ce qu'un texte de loi clair, précis et rétroactif, qui habilite et corrige une situation qui n'aurait pas dû exister, ne suffit pas? Je pense que cela se plaide très bien en cour. Mais quand même, j'aimerais bien qu'on me dise qu'il n'y a pas d'autres possibilités. Je ne sais pas si cela a été étudié au ministère de la Justice. Cela a dû l'être. Cela fait quand même 20 ans.
M. Cauchon: Si on utile ce moyen, c'est parce qu'il n'y a pas d'autres façons de faire. C'est le moyen qui a été utilisé, entre autres, au Québec, et déclaré valide par la Cour d'appel et effleuré par la Cour suprême.
Le sénateur Beaudoin: Je me rappelle du cas du Québec, c'était le 13 décembre 1979 et je ne l'oublierai jamais. La Cour suprême avait déclaré qu'il fallait adopter les lois dans les deux langues officielles.
Or, le Québec avait adopté pendant un an les lois dans une seule langue, mais on avait la traduction. Si mon souvenir est bon, ils ont adopté la législation dans la nuit qui a suivi l'arrêt de la Cour suprême. Moi, je n'ai aucun problème avec cela, parce que les textes de loi du Québec qui n'avaient pas été adoptés en anglais étaient là, et ces lois ont été instantanément adoptées de nouveau, immédiatement, par l'assemblée législative, parce qu'ils avaient les textes. C'est du granit. Mais présentement, nous ne sommes pas dans une telle situation.
M. Cauchon: Avec l'article 3, vous êtes dans une telle situation.
Le sénateur Beaudoin: Oui... Avec une rétroactivité, oui.
M. Tremblay: Si vous consultez la loi québécoise dont il est question, vous remarquerez que, de toute évidence, les lois auxquelles on réfère n'y sont pas jointes en annexe. On utilise la technique d'incorporation par renvoi. On y réfère sans les reproduire et on leur donne un effet rétroactif, c'est-à-dire qu'on a donné effet à la version publiée de ces textes de loi, alors même que l'original n'avait été adopté qu'en français. Le parallèle est donc parfait avec la situation que vise l'article 3.
Le sénateur Beaudoin: Oui, mais on les identifiait.
M. Tremblay: On ne les identifiait pas dans le projet de loi québécois et je peux vous donner la copie maintenant.
Le sénateur Beaudoin: Qu'est-ce qu'on disait?
M. Newman: Je l'ai ici. Prenons par exemple l'article 2 de ce projet de loi:
Le gouvernement peut, par un ou plusieurs règlements, adopter par référence générale, en comparaison par renvoi, sans modification, tous les règlements dont le texte français et la version anglaise ont été publiés à la Gazette officielle du Québec.
Ici, on a la Gazette officielle du Canada et tout ce qu'on fait, c'est établir la règle de droit qui dit que tout texte qui paraît déjà, qui a été publié et promulgué en français et en anglais dans la Gazette officielle du Canada est maintenant adopté, réédicté de nouveau dans les deux langues. On comble donc la lacune sur le plan de l'adoption.
Le sénateur Beaudoin: Quelle est l'expression? Vous avez dit: «est par les présentes réédicté et réimprimé»?
M. Newman: Vous parlez de la loi québécoise ou de la nôtre?
Le sénateur Beaudoin: De celle dont vous parlez.
M. Newman: C'est le mot «adopté». C'est le même mot qu'on utilise dans la définition.
Le sénateur Beaudoin: Le terme juridique, c'est «adopté».
M. Newman: Oui, mais c'est dans le projet de loi. C'est, avec égard, dans la définition du mot:
«édicter» y est assimilé le fait de prendre ou d'établir.
On couvre donc quasiment toute la terminologie.
M. Tremblay: La raison d'être de ce vocabulaire c'est qu'alors qu'on adopte une loi, «enact», un règlement ou un décret n'est pas «enacted», n'est pas adopté. Il est dans le jargon...
Le sénateur Beaudoin: C'est le mot «édicter»...
M. Tremblay: Le mot «édicter» est un mot que nous avons inventé.
Le sénateur Beaudoin: D'accord.
M. Tremblay: On a inventé le mot «édicter» pour traiter de la situation, du fait que dans la législation fédérale, de temps à autre, on a utilisé en anglais «issued» et «made» ou, en français, «établi» ou «pris». On vise à capter le vocabulaire utilisé dans les lois habilitantes pour décrire le pouvoir équivalent à l'adoption d'une loi.
Le sénateur Beaudoin: Le seul mot nouveau, c'est «édicter»?
M. Tremblay: Tout à fait.
Le sénateur Beaudoin: Ce mot me satisfait, c'est très clair.
M. Tremblay: Pour reprendre la situation au Québec, avec la loi de 1979, elle est en parfait parallèle. De fait, nous nous sommes largement inspirés de ce modèle de rédaction législative. Elle est en parfait parallèle parce qu'elle réfère d'une part à des textes qui avaient été publiés ou auxquels on donne effet automatiquement par référence générale, sans les reproduire, et de façon rétroactive. Et d'autre part, elle prévoit un pouvoir habilitant pour les autres textes auxquels on ne pourrait référer à une version publiée puisqu'il n'en existait pas. Dans ce cas-là, le projet de loi québécois prévoit l'adoption d'un règlement futur, et c'est essentiellement le même modèle qu'on vous propose.
Dans la décision à laquelle le ministre a fait référence tantôt, il s'agissait de Société Asbestos c. Société nationale de l'amiante. La Cour supérieure du Québec, dont le jugement a été confirmé pour d'autres motifs en Cour d'appel, a dit ceci:
La cour ne partage pas l'opinion de ceux qui contestaient la loi québécoise de 1979. Ceux qui contestaient disaient que l'Assemblée nationale a adopté une procédure défectueuse. Chacune des lois impliquées aurait dû suivre à nouveau et individuellement tout le processus des trois lectures réglementaires. La cour ne partage pas cette opinion dont le seul mérite consiste à honorer la technique aux dépens de l'intérêt public.
En effet, la loi de 1982 a elle-même franchi légalement les étapes voulues par le règlement; toutes les lois défectueuses étaient juridiquement attachées à la loi, dans le sens où elles y étaient incorporées par renvoi, et l'ont accompagné dans chacune de ces étapes. Il fallait combler le vacuum que le jugement de la Cour suprême du Canada risque de créer, et l'intérêt public commande que la législation ne soit pas constamment remise en question. Après les remous de l'affaire Blaikie, elles connaissent la stabilité que l'ordre social exige.
Le sénateur Beaudoin: C'est de la Cour d'appel, cela?
M. Tremblay: C'est de la Cour supérieure, confirmé en cour d'appel pour d'autres motifs.
Le sénateur Beaudoin: Cela ne s'est pas rendu à la Cour suprême?
M. Tremblay: Non, et il n'y a pas eu d'appel.
Le sénateur Beaudoin: Ou de demande d'appel?
M. Tremblay: C'est-à-dire qu'il y a eu une demande d'appel à la Cour d'appel, qui a confirmé le jugement de première instance pour d'autres motifs.
Le sénateur Rivest: Je dois dire que j'ai toujours aimé l'article 133 de la Constitution parce qu'il consacrait un statut particulier au Québec. Quand il s'agit des obligations, on accorde facilement le statut particulier; c'est lorsqu'il s'agit des droits que, historiquement, on a toujours eu de la difficulté à obtenir un statut constitutionnel qui est conforme à la réalité québécoise au sein du Canada.
Ceci étant dit, j'en arrive à ma question. D'abord, quand le ministère a-t-il été sensibilisé à l'existence de ce doute juridique? Cela fait quand même assez longtemps. Et pourquoi avoir attendu si longtemps avant d'agir?
M. Newman: Je suis au ministère depuis près de 20 ans. Il y a d'abord eu l'arrêt Blaikie en 1979. En 1981, il y avait déjà une codification, où il y avait la refonte des règlements.
Il y avait le rapport du comité sur les cinq règlements pris en 1969 juste avant l'adoption même de la Loi sur les langues officielles. Mais ces cinq règlements étaient déjà repris par la codification et on a eu beaucoup d'échanges de correspondance avec le comité à ce sujet.
Je vous donne un exemple. Cette affaire date de 1992, si ma mémoire est bonne. À Québec, on avait invoqué d'abord une proclamation qui a été publiée dans la Gazette officielle du Canada en français et en anglais, mais dont le décret autorisant la prise de proclamation — un décret jamais publié mais qui a été déniché aux archives nationales — n'a été adopté qu'en anglais. C'était en 1921. Cela visait un port dans la région de Chicoutimi.
On avait donc attaqué la validité de la proclamation parce que le décret était unilingue. C'est le dossier Alcan. Je ne veux pas aller trop dans les menus détails. À l'époque on avait essayé d'assimiler ce dossier à l'arrêt Sinclair de la Cour suprême, dont vous vous souvenez très bien. Il s'agissait de la fusion des villes de Rouyn et de Noranda. Il y avait une série de textes qui n'étaient pas forcément des textes législatifs. Il y avait des décrets, mais probablement de nature administrative. Il y avait des lettres patentes et des avis. Ces documents ont été publiés uniquement en français. La Cour avait dit que, lorsqu'on regarde le régime en question et la loi en question, l'effet net de tous ces instruments pris dans leur ensemble, et non pas isolément, était un effet législatif.
La Cour suprême a donné un an à la législature du Québec pour corriger la situation. Dans toutes les causes, le renvoi sur les droits linguistique au Manitoba, l'affaire Saint-Clair, l'affaire Bournier-Collier-Albert sur l'incorporation des documents unilingues dans la Loi sur le retour au travail, toutes ces affaires touchaient des situations où, selon la Cour suprême, il y avait une tentative de contrevenir à l'article 133. La cour a dit, par souci de faire respecter le principe d'égalité d'accès aux deux langues, qu'elle ne permettrait pas ce genre de contravention, que ce serait un abus et qu'elle allait déclarer ces textes de nature législative et faire appliquer l'article 133 au texte. Pour le gouvernement fédéral, il y avait la Loi sur les langues officielles de 1969. L'article 4 de la loi prévoit que tous les textes, les décrets, les proclamations, qui doivent être publiés dans la Gazette officielle du Canada doivent être adoptés dans les deux langues, et ce, dès 1969, bien avant la décision de la Cour suprême. Déjà la pratique était entamée à partir de 1969.
Est-ce qu'il y avait des failles? On ne le sait pas. On n'a pas d'exemple, mais c'est possible. Mais la règle de droits, à partir de 1969, était qu'il fallait faire adopter tous les décrets publiés dans les deux langues.
En 1982, la Charte des droits a renforcé ce qu'on savait déjà à partir de l'article 133, qui avait une mouvance — le sénateur Beaudoin est au courant de cela — pour faire peau neuve avec la Loi sur les langues officielles, avec tous les aspects de la Loi sur les langues officielles. Cette réforme a été entamée. Cela a pris plusieurs années. C'était pendant l'époque du gouvernement Mulroney. Une nouvelle Loi sur les langues officielles a été adoptée en 1988.
L'article 7 de cette loi répond en tout point aux décisions de la Cour suprême dans l'affaire Blaikie. On ne vise pas uniquement des documents publiés dans la gazette officielle, mais les textes à caractère législatif adoptés par le gouverneur en conseil, et dont l'approbation du gouvernement est nécessaire, sont aussi visés. On a de bonnes raisons de croire que, depuis 1988, il ne devrait pas y avoir de problèmes. Les seuls exemples qui étaient mis de l'avant par le comité datent, de mémoire, de 1969, avant même la première Loi sur les langues officielles. On avait aussi mis de l'avant beaucoup de bons arguments pour dire que la codification de 1978 avait bonifié la vaste majorité des règlements, parce qu'on avait adopté de nouveau les règlements qui dataient d'avant 1978.
On savait qu'il y avait un problème potentiel dans l'affaire Alcan. On avait porté l'affaire en appel, sauf que le régime législatif a changé et on a abrogé le décret en question de toute manière. On est conscient qu'il faut faire respecter l'affaire Blaikie et sa décision. On n'a pas d'exemples où le gouvernement n'a pas voulu faire respecter l'égalité des langues à cet égard.
[Traduction]
La présidente: Avant de passer à d'autres questions, j'aimerais signaler que le ministre ne peut rester avec nous longtemps. Il y a d'autres sénateurs qui veulent poser des questions, et je demanderais peut-être aux fonctionnaires d'écourter un peu leurs réponses.
[Français]
Le sénateur Rivest: Y a-t-il des causes où un avocat aurait plaidé le doute et que ce projet de loi réglerait les prétentions de certains avocats? Êtes-vous au courant s'il y a des causes pendantes devant les tribunaux?
M. Cauchon: Le seul dossier répertorié qu'on connaisse est le dossier de l'Alcan qui vient d'être soulevé.
Le sénateur Rivest: Il n'y a pas d'avocats qui ont exploité ce doute. Le ministre dans son allocution nous a dit: «le ministère de la Justice était d'avis que...», et l'avis du ministère de la Justice est une opinion très respectable, mais ce n'est pas une opinion définitive. Il y a plusieurs avis du ministère de la Justice qui n'ont pas été retenus par les tribunaux dans l'histoire juridique de ce pays.
M. Cauchon: Avez-vous des exemples. J'en connais peu.
Le sénateur Rivest: C'est parce que vous arrivez au ministère. Un renvoi ou un référé à la Cour suprême sur la manière de procéder ne peut-il pas être envisagé au lieu de faire un projet de loi comme celui-là?
M. Newman: Normalement, on procède avec un renvoi — et c'est assez rare — lorsqu'il y a une question juridique, que le gouvernement l'estime assez importante pour faire écarter le rôle d'appel que la Cour suprême joue normalement pour dire que nous voulons soumettre certaines questions.
Le ministre de la Justice est interpellé toutes les semaines pour un renvoi sur tel ou tel projet de loi ou telle ou telle question. Un renvoi est de demander un avis juridique de la Cour suprême plutôt que des Officiers de la Couronne. C'est toujours une possibilité. Ce n'est pas quelque chose que nous avons envisagé avec ce projet de loi. Nous croyons que notre avis juridique ou nos conseils par rapport à ce projet de loi sont justes et que ce n'est pas nécessaire à ce stade-ci.
M. Cauchon: La question est intéressante et pertinente, mais je ne pense pas que cela cadre vraiment avec la notion de renvoi telle qu'on l'a connaît et qu'on l'a utilisé dans le passé. La question des langues officielles est une question drôlement importante pour le Canada. Le projet de loi est un cran de sûreté. On pense qu'il n'y a pas lieu de croire qu'il y aurait certaines réglementations qui auraient été laissées pour compte. Cependant, on reçoit bien les avis du comité mixte; on les comprend, et comme cran de sûreté, on a décidé d'aller de l'avant avec ce projet de loi.
[Traduction]
Le sénateur Fraser: Le paragraphe 4(2) du projet de loi prévoit l'effet rétroactif des dispositions du texte réédicté, ce qui est raisonnable. Par ailleurs, le paragraphe 4(3) indique que, malgré cet effet rétroactif, une personne ne peut être déclarée coupable d'une infraction commise en vertu du texte réédicté si l'infraction a lieu avant la publication du texte réédicté dans les deux langues officielles ou sans qu'on ait pris des mesures raisonnables pour porter le texte à la connaissance de cette personne.
Pourquoi a-t-ton prévu cela? Je ne crois pas que le Manitoba et le Québec aient agi de cette façon quand ces provinces ont dû réédicter leurs lois. On a alors simplement dit que les lois étaient valides, qu'elles l'avaient toujours été. Si on était coupable avant, on l'est maintenant.
M. Marc Tremblay, avocat-conseil, Groupe du droit des langues officielles, ministère de la Justice: Il faut comprendre la portée de l'article 4 du projet de loi. Il y a des textes qui n'ont pas été publiés parce qu'ils étaient exemptés pour diverses raisons. Nous proposons d'accorder un effet rétroactif à ce qu'on appelle la «législation déléguée». Il y a un principe qui s'oppose à l'établissement rétroactif d'infractions. En fait, ce principe est désormais inscrit dans la Charte, à l'alinéa g) de l'article 11.
Pour protéger le projet de loi, pour qu'il ne puisse être contesté en vertu de la Charte, nous pensons qu'il est nécessaire d'exclure d'une accusation éventuelle les infractions aux règlements fédéraux ainsi réédictés. Autrement dit, nous estimons qu'il est légitime pour nous de tenir compte seulement des cas où la personne est au courant de l'existence du texte législatif ou où l'infraction a eu lieu après la publication du texte réédicté.
Le sénateur Fraser: La publication dans une langue aurait-elle constitué une mesure raisonnable pour porter le texte à la connaissance des gens?
M. Tremblay: Ce serait une question de droit. Cela soulève différentes considérations sur les droits linguistiques, à notre avis. Dans les jugements qu'elle a rendus sur l'administration de la justice, la Cour suprême a établi une distinction entre les principes de justice fondamentale et les droits linguistiques. Les droits linguistiques, quand ils existent, confèrent le droit de comprendre directement dans sa langue. Par ailleurs, les principes de justice fondamentale garantissent seulement le droit de comprendre dans n'importe quelle langue. Il faudrait que la question soit tranchée par un tribunal, mais nous pensons que ce serait un moyen suffisant de le porter à la connaissance des gens.
La présidente: Honorables sénateurs, le ministre doit nous quitter dans dix minutes. Étant donné que ses collaborateurs sont prêts à rester, nous pourrions peut-être adresser nos questions au ministre d'ici à qu'il parte.
Le sénateur Fraser: J'ai une autre question à poser, et je laisserai aux témoins le soin de décider d'y répondre tout de suite ou plus tard. Je comprends ce que vous venez de nous dire. J'imagine que la Charte n'existait pas quand le tribunal s'est prononcé sur les causes du Manitoba et du Québec. De même, le paragraphe 4(5) du projet de loi dit:
Lorsque le gouverneur en conseil réédicte un texte législatif en application du paragraphe (1), il n'est pas lié par les conditions qui, le cas échéant, étaient applicables à l'édiction du texte législatif qu'il remplace.
J'imagine que ce sont les fonctionnaires qui vont me répondre.
M. Tremblay: Nous en prenons note et nous y reviendrons après le départ du ministre.
La présidente: Comme le temps est compté, je vais commencer par les membres du comité.
[Français]
Le sénateur Nolin: Je reviens à cette question d'une infraction qui, techniquement, n'existe pas parce qu'elle n'a pas été publiée dans les deux langues officielles, comme l'exige encore l'article 133 en vertu duquel le prévenant établit qu'il est à la connaissance de l'accusé qu'une version — anglaise ou française — était connue de l'accusé et, pour cette raison, l'infraction devrait exister à cause de la rétroactivité du projet de loi S-41.
Selon moi, le paragraphe g) de l'article 11 empêche la rétroactivité d'une infraction, même si elle est établie par un règlement plutôt que par une loi. Sur cette question, monsieur le ministre, je peux attendre d'avoir une discussion avec votre adjoint.
J'aimerais revenir sur la question de la rétroactivité des règlements en vertu de l'article 4. Pour ce qui est de l'article 3, on comprend que vous l'utilisez pour les lois ou les règlements qui ont été publiés dans les deux langues officielles mais qui n'ont pas suivi tout le processus d'adoption faisant en sorte que les deux textes auraient le même caractère légal. Je parle des règlements qui ont été publiés dans une seule langue et c'est là que l'article 4 devient pour vous un outil important.
M. Cauchon: Vous voulez aussi parler des règlements qui n'ont pas été publiés?
Le sénateur Nolin: Oui. C'est la raison pour laquelle on parle depuis tantôt de la codification de 1969. Il y a eu celle de 1949 aussi où, dans le décret qui a donné naissance à cette codification, il était clairement mentionné que le greffier du Conseil privé devait tenir un registre des versions bilingues de tous les actes et documents réglementaires qui devaient être pris par les différents ministres.
Que s'est-il passé entre 1949 et 1978? Vous devez certainement avoir des copies dans l'autre langue officielle si le texte réglementaire a été uniquement adopté dans une langue. Je crois que c'est une question de volonté politique.
M. Cauchon: Vous voulez savoir s'il existe un registre qui nous a permis de faire un suivi de la réglementation?
Le sénateur Nolin: Oui.
M. Cauchon: Le ministère me dit que non. Tout à l'heure, le sénateur Beaudoin posait la question à savoir si oui ou non on connaissait le nombre de réglementations qui pouvaient être affectées par le projet de loi devant nous aujourd'hui. On ignore ce nombre.
Le sénateur Nolin: Vous utilisez le précédent du Québec. Le précédent du Québec est bon d'un côté mais pas de l'autre, en ce sens qu'il explique une méthode. Mais le problème du temps, il était circonscrit, c'est-à-dire qu'on savait quand le problème a commencé et quand il a pris fin.
Les lois qui ont été adoptées du début à la fin, on les connaissait. Il était presque secondaire de ne pas annexer à la loi la liste des projets de loi. Aujourd'hui, on veut vous aider mais on est dans le néant. Évidemment, on ne voudrait pas se retrouver demain matin avec le règlement de l'impôt déclaré invalide.
Comprenez notre problème. L'outil que vous donnez est rétroactif. On le questionne parce qu'il est très large. Je me demande s'il y aurait moyen de le circonscrire adéquatement.
M. Cauchon: Je comprends votre question. Il y a moyen de formuler une modification qui apporterait un maximum d'assurance et qui imposerait une limite dans le temps.
Le sénateur Nolin: J'allais vous suggérer une limite parce qu'il ne faut pas que cela soit une sorte de chèque en blanc qui réparerait éternellement ce qui a été fait par erreur dans le passé.
M. Cauchon: On pourrait, par exemple, parler des textes édictés avant l'entrée en vigueur de l'article 7 de la Loi sur les langues officielles le 15 septembre 1988. Il y a deux possibilités d'amendement qu'on ne peut pas déposer aujourd'hui, mais que je vais quand même porter à votre connaissance. Je pense qu'il serait bon de reculer à l'entrée en vigueur de l'article 7 de la Loi sur les langues officielles.
Le sénateur Nolin: Vous avez dans vos archives des registres, mais la question est de savoir si ces registres sont complets.
M. Cauchon: La question est valable.
Le sénateur Joyal: J'aimerais porter à votre attention une précision additionnelle. Comme l'a mentionné le sénateur Nolin, la Loi du Québec est une loi extrêmement précise parce que l'article 1 de cette loi mentionne les lois numéros 420 à 431 qui ont été déposées chez le secrétaire de l'Assemblée nationale. Il est facile de retracer ces lois.
L'article 2, quant à lui, fait référence aux règlements qui ont été publiés dans la Gazette officielle du Québec. On voit très bien l'étendue du bagage législatif en question. Quant au problème pour lequel on tente de trouver une solution, il existe quand même une nuance importante par rapport à la loi du Québec. Vous-même, monsieur le ministre, l'avez mentionné dans votre discours à la page 4.
Je vais le lire à partir du texte anglais.
[Traduction]
Le projet de loi confère en outre au gouverneur en conseil le pouvoir réglementaire de réédicter rétroactivement dans les deux langues officielles les textes législatifs qui n'ont été édictés que dans une langue officielle et qui soit n'ont été publiés que dans cette langue, soit n'ont pas été publiés.
[Français]
Là, c'est très différent. On fait entrer l'élément de publicité de la loi. La publication de la loi est un élément essentiel du principe que nul n'est censé ignorer la loi. Nul n'est censé ignorer la loi parce qu'elle est publique. Si elle est publiée seulement dans une langue, quelqu'un peut la lire, mais si elle n'est pas publiée du tout, personne ne peut en avoir connaissance.
La loi du Québec ne traitait pas du tout de cet aspect. La loi du Québec comme je la lis, voit très bien qu'il s'agit des lois publiées dans une seule langue.
M. Cauchon: On ne touche pas aux lois ou aux législations ici. L'article 1 de la loi du Québec porte sur les législations, ce qui n'est pas notre cas. Pour ce qui est du parallèle que vous faites avec notre législation, essentiellement, ce à quoi vous faites référence existait également au niveau du Québec, puisque c'est prévu à l'article 3.
Le sénateur Joyal: Oui, mais ils n'avaient pas été publiés dans la gazette officielle. Ils avaient été adoptés mais pas publiés. C'est là l'élément le plus difficile d'une loi rétroactive où la disposition qui est censée être accessible normalement aux citoyens par la publication — parce que la publication est l'élément essentiel — ne fait pas partie de la légalité du processus. Vous comprenez très bien la différence, j'en suis convaincu. Il faut essayer de trouver une façon de régler ce problème juridiquement. Je suis prêt à accepter la proposition que le ministère met de l'avant. On essaie de la comprendre d'une façon légale et cohérente dans le système juridique du Canada en vertu de l'interprétation que les tribunaux en ont donné.
M. Cauchon: Vous soulevez une question d'interprétation de textes réglementaires plus qu'une question de langues officielles.
Le sénateur Joyal: Il faut vraiment se demander si ce qu'on fait déborde de la question des langues. On touche au fait de la publication.
Le sénateur Nolin: Existe-t-elle ou non?
Le sénateur Joyal: Exactement.
Le sénateur Beaudoin: La publication, c'est à l'article 133?
Le sénateur Joyal: Absolument. Je n'essaie pas de compliquer la sauce. On veut s'assurer que quelqu'un ne soulèvera pas cela. Vous le dites vous-même dans vos propos.
M. Cauchon: On va le vérifier.
Le sénateur Joyal: Il serait important de le vérifier avant la prochaine réunion.
[Traduction]
La présidente: À ce sujet — je veux m'assurer de bien comprendre — il y a des textes exemptés de publication?
M. Tremblay: Oui.
[Français]
La loi sur les textes réglementaires exempte les textes de publications.
[Traduction]
La Loi sur les textes réglementaires soustrait à l'obligation de publication les textes qui ont trait à la défense nationale, à la sécurité, aux affaires intergouvernementales et le reste. Encore une fois, ce n'est pas une question de langues officielles, mais d'information des droits. Le projet de loi que le comité examine aujourd'hui réglerait le problème exactement comme l'a fait la loi du Québec dans le cas des règlements non publiés.
Le sénateur Joyal se trompe quand il dit que la loi du Québec ne traitait pas des règlements non publiés. Le Québec a fait exactement ce que nous proposons de faire à ce sujet.
[Français]
Le sénateur Prud'homme: Monsieur le ministre, je vous souhaite bonne chance dans les élections complémentaires puisqu'elles seront vos premières en tant que leader du Québec.
Dans votre texte, il est écrit que l'article 133 de la Loi constitutionnelle exige que la législation fédérale soit imprimée et publiée dans les deux langues. Vous avez clairement dit que la loi Constitutionnelle de 1867 exige expressément que les lois du Parlement du Canada et de la législature de Québec soient publiées en anglais et en français.
Je suis très heureux que les sénateurs Fraser, Angus et Lynch-Staunton aient plus de droits que les sénateurs Gauthier, LaPierre et Poulin en Ontario. Seul le Québec est tenu obligatoirement à l'article 133. Ma question n'est peut-être pas directement liée au texte, mais le Québec peut-il faire un amendement constitutionnel directement, avec le gouvernement du Canada, comme on l'a fait, ou si cela doit se faire par un amendement constitutionnel général? Cela fait 35 ans que je demande que chaque province soit traitée sur un pied d'égalité, mais on sait que le Québec est toujours à part et qu'il a toujours des obligations supplémentaires, ce qui fait bien sourire certains collègues.
M. Newman: Si votre question est à savoir si on peut modifier l'article 133 par le biais d'une modification en vertu de l'article 43 de la Loi constitutionnelle, la réponse est oui. C'est l'avis commun des juristes qu'une telle modification puisse se faire, mais il n'y a pas de modification en vue à l'heure actuelle.
Le sénateur Prud'homme: Il y en aura.
Le sénateur Beaudoin: Je ne suis pas certain de cela du tout. L'arrêt Blaikie a dit le contraire. On ne peut pas changer les obligations de l'article 133 quand elles sont enchâssées dans la Constitution.
M. Newman: Vous avez absolument raison par rapport à l'article 45 parce que cela ne fait pas partie de la Constitution interne de la province. C'est ce qui est dit dans l'arrêt Blaikie. La façon dont j'ai compris la question c'est en vertu de l'article 43, la procédure bilatérale avec l'approbation du Sénat, la Chambre des communes et l'Assemblée nationale du Québec. Est-ce qu'on peut modifier l'article 133 par le biais de l'article 43 comme on avait modifier l'article 93 pour le Québec? Je n'ai pas vu de juristes sauf un, qui s'est ravisé depuis, qui n'a jamais dit qu'on ne pouvait pas procéder de façon bilatérale.
Le sénateur Rivest: On l'a fait pour le Nouveau-Brunswick.
M. Newman: Oui, pour ajouter des droits linguistiques pour le Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Beaudoin: C'est ce que le Québec et le Manitoba ont essayé de faire et la Cour suprême a dit: «vous ne pouvez pas.»
Le sénateur Rivest: Cela prend le consentement du Sénat et de la Chambre des communes.
Le sénateur Beaudoin: Oui, mais cela ne tombe pas sous l'article 43.
[Traduction]
La présidente: Merci beaucoup, monsieur le ministre. Vous êtes resté plus longtemps que prévu. Je demanderais aux fonctionnaires de bien vouloir rester encore quelques minutes.
J'ai une information qui peut intéresser les sénateurs. Dans le Règlement sur les textes réglementaires, il y a une liste impressionnante de documents qui sont soustraits à l'obligation d'examen ou de publication. Il n'y a pas seulement les questions concernant le SCRS. On énumère aussi les avis envoyés par le ministre du Travail en vertu de telle et telle disposition du Code canadien du travail; il y est question de la Commission canadienne du blé, des décrets pris par l'Office de réparation des approvisionnements d'énergie, et l'énumération continue. Nous allons remettre copie de cette liste aux membres du comité.
Y a-t-il d'autres questions?
Le sénateur Fraser: Je voulais parler du paragraphe 4(5) du projet de loi. Premièrement, je ne le comprends pas et, deuxièmement, je ne comprends pas pourquoi il figure dans le projet de loi.
M. Tremblay: Il faut comprendre que nous avons affaire à des questions hypothétiques. Les textes peuvent remonter aux années 1860. Il est probable que les pouvoirs de réglementation n'existent plus.
Le sénateur Fraser: Vous parlez du paragraphe (4).
M. Tremblay: Le paragraphe (4) du projet de loi traite des pouvoirs et le paragraphe (5) des conditions qui peuvent avoir changé et qui peuvent ne plus s'appliquer.
Le sénateur Fraser: Pouvez-vous nous donner un exemple hypothétique?
M. Tremblay: Il serait impossible de respecter les exigences. Ce serait impossible parce que l'autorité qui a édicté le texte n'existe plus. Pour montrer que c'est impossible, imaginons qu'on exige que des consultations aient lieu. Pourquoi tenir des consultations si les textes, d'après ce que prévoit le projet de loi actuellement, ne subiront absolument aucun changement? Il serait inutile de consulter.
Si un texte rédigé dans une seule langue officielle n'a pas été publié, il n'y a absolument aucun pouvoir de décision possible, aucune possibilité de changer le texte original. Le texte doit rester identique. Il peut être nécessaire de le traduire, et la traduction pourrait être discutée par votre comité, mais le texte original devra rester exactement le même.
Par conséquent, nous disons qu'il est impossible de reproduire les conditions qui s'appliquaient à l'origine au texte réglementaire. Cela peut être impossible parce que l'autorité réglementante n'existe peut-être plus ou parce qu'il ne servirait à rien de se plier aux conditions.
Le sénateur Fraser: Je m'excuse d'insister. Pourquoi ne pas l'avoir dit dans le projet de loi? Comme vous le savez, je ne suis pas avocate mais, d'après mon interprétation, il pourrait s'agir de toutes sortes de conditions raisonnables en plus des conditions impossibles dont vous parlez.
M. Tremblay: J'aimerais dire que toutes les conditions vont donner lieu aux mêmes considérations. Ces textes ont respecté les conditions applicables à leur adoption à l'époque. Il n'y a pas lieu de refaire tout le même processus parce que ce serait inutile.
Les objectifs visés par les conditions énoncées dans la Loi sur les textes réglementaires, par exemple, étaient peut-être différents ou inexistants à l'époque. Nous ne proposons pas de soumettre tous ces textes à de nouvelles séries d'exigences parce que certains d'entre eux ne sont plus en vigueur. Nous rétablissons un contexte juridique qui existait à l'époque. Nous présumons que, pour certaines raisons, il sera utile qu'ils continuent de s'appliquer. Il y aura aussi des cas où un règlement soi-disant invalide adopté, par exemple, dans les années 20 et abrogé dans les années 40 sera aussi rétabli pour être annulé de nouveau.
Nous validons les textes. Nous assurons la validité de tout ce qui a été adopté conformément aux règlements. Cependant, il serait inutile — et cela pourrait même créer de la confusion dans certains cas — d'assujettir un règlement de 1920 aux exigences ou aux conditions de 2002 pour régler une situation qui n'a aucun rapport avec le texte en question.
Le paragraphe 4(5) du projet de loi veut assurer, pour plus de certitude, que personne ne pourra nous dire que nous avons créé un problème d'ordre technique. Le Québec a certes fait quelque chose du genre avec sa loi, mais pas avec autant de rigueur et de souci du détail que nos rédacteurs législatifs. On veut s'assurer qu'aucun argument d'ordre technique ne peut venir nuire aux mesures de précaution que nous prendrions autrement.
[Français]
Le sénateur Nolin: Je voudrais revenir à l'alinéa b) du paragraphe (3) de l'article 4 en ce qui a trait à une infraction qui a un effet rétroactif, une infraction qui n'existait pas parce qu'elle n'avait pas été validement publiée dans les deux langues officielles. On fait «rétroagir» en prouvant que l'infraction dans l'autre langue officielle avait été portée à la connaissance de l'accusé.
M. Tremblay: Ce que la rétroactivité des infractions mettrait en cause serait l'article g) de la Charte. Il est important de noter que ce ne sont pas tous les textes de nature législative qui créent des infractions. Il y a une vaste gamme de textes qui ne créent pas d'infraction et pour lesquels le correctif qu'on propose est tout aussi important, c'est-à-dire qu'il vise à s'assurer que le régime de fait et de droit qui existait dans le temps soit préservé. La Cour suprême a d'ailleurs dit, dans le renvoi sur les droits linguistiques, que la primauté du droit exige la création et le maintien d'un ordre réel de droit positif, qui préserve et incorpore le principe plus général de l'ordre normatif, que la primauté du droit est contraire au chaos et à l'anarchie qui résulterait des contestations devant les tribunaux des droits, des obligations et des autres effets juridiques découlant des textes législatifs en cause.
Le sénateur Nolin: C'est d'ailleurs pour cela que le sénateur Beaudoin trouvait cette décision très belle.
M. Tremblay: Tout à fait. Il y a toutes sortes de choses à l'article 4 qui sont tout à fait d'un ordre autre que ce que vous visez par votre question. Votre question, de façon plus pointue, est: est-ce que le fait d'engager des poursuites pour une infraction qui serait créée rétroactivement pourrait causer un problème? On a d'abord beaucoup restreint la possibilité que cette situation soit soulevée en proposant de légiférer comme on l'a fait. Il y a donc des conditions sine qua non au-delà desquelles il n'y aurait pas de poursuites engagées. Je porte à votre attention le fait que ces conditions sont les mêmes que celles prévues par la Loi sur les textes réglementaires et qui étaient prévues par la Loi sur les règlements depuis 1950, à tout le moins dans des versions semblables. C'est une règle de droit qui est de longue tradition et dont la validité n'a jamais été mise en cause dans ces autres textes. On ne fait qu'utiliser la même limite que celle utilisée depuis maintes années dans d'autres textes législatifs.
Si jamais cette question était soulevée devant les tribunaux, c'est-à-dire qu'on engageait une poursuite où on avait rencontré les conditions des alinéas a) et b), que la question de la validité constitutionnelle de cette poursuite était soulevée par le poursuivi, que nous argumenterions que cette disposition est tout à fait conforme à la Charte et que si elle n'était pas conforme, il s'agirait d'une limite raisonnable en vertu de l'article premier.
Le sénateur Nolin: Suite au témoignage du ministre, on va éventuellement entendre parler d'amendements possibles pour circonscrire l'article 4.
L'année 1969 a été évoquée à cause de l'anniversaire de naissance de la Loi sur les langues officielles. J'ai une question précise. Les codifications de 1949 et de 1978 ont-elles une valeur quant à la bonification de ce qui aurait pu être mal fait avant?
M. Tremblay: Si nos légistes peuvent compléter ma réponse, je les inviterais à le faire. À ma connaissance, les codifications de 1949 et celles de 1947 ont été faites sur instruction du gouverneur en conseil. Elles ne sont pas, comme la codification de 1978, l'effet de l'application de la Loi sur la révision des lois. Il y a eu une refonte des ordres en conseil du Canada en 1890. On commence en 1867 avec une publication dans la Gazette du Canada, mais pas toujours. En 1890, il y a une refonte. On reprend des textes de nature législative — tels qu'on les connaît aujourd'hui — dans les deux langues. À ma connaissance, il n'y avait pas de fondement législatif pour cela. C'est une refonte qui a une quelconque valeur.
En 1947 et en 1949, dans les décrets, ordonnances et règlements statutaires, on nous dit dans l'avant-propos que la publication systématique des décrets et ordonnances statutaires dont l'effet ou la portée est d'ordre général, constitue une initiative d'origine plutôt récente, qu'elle remonte au début de 1940 avec la publication des décrets se rapportant à la poursuite de la guerre, publication qui s'est continuée pendant les années de guerre jusqu'à la fin de l'année 1946. Le décret de 1947 — donc cela s'est fait en vertu d'un décret — concernant les décrets, ordonnances et règlements, prévoyait la publication dans la Gazette du Canada. On a fait la même chose en 1947 et en 1949. Il est question de publication. Donc, pour les fins qui nous occupent aujourd'hui, ces divers moyens ne remplacent pas l'édiction.
Le sénateur Nolin: Si un texte était entaché au moment de la codification, cette dernière ne touche pas l'erreur?
M. Tremblay: Il n'y avait pas d'autorité législative qui pouvait le corriger. C'est différent en ce qui a trait à la codification de 1978, à notre avis.
Le sénateur Nolin: Quelqu'un de votre ministère, en 1993, a écrit au Comité mixte d'examen de la réglementation pour dire — je pourrais vous donner une copie de cette lettre — au sujet du fameux règlement sur les minéraux des terres publiques qu'ils n'ont jamais laissé entendre, pendant cette réunion — on fait allusion à une réunion avec les représentants du ministère de la Justice et du comité mixte —, qu'un règlement jugé invalide avant les codifications pourrait être mis en vigueur par une codification.
Est-ce que cette lettre faisait allusion à la codification de 1978 ou celle de 1978 correspondant à une série de règles et aux codifications antérieures à d'autres règles?
M. Tremblay: Je ne peux pas parler de l'intention des autres rédacteurs. À ma connaissance, cet argument était en réponse à certaines questions du Comité mixte d'examen de la réglementation et traitait de la codification de 1978. À cet égard, le ministère de la Justice continue de dire que la codification de 1978 a eu l'effet de corriger, mais pas de corriger jusqu'au point de départ, ab initio. On a adopté des actes à ce moment-là. En 1978, on a adopté, comme on adopte une loi, des actes, on leur a donné vigueur en respectant les conditions qui s'y rattachaient et on a donné effet à des actes antérieurs dont la validité n'avait jamais été entachée par une décision des tribunaux. On revient donc à la notion de présomption de validité des lois à laquelle le sénateur Beaudoin a fait allusion. Elles sont présumées valides. La loi de 1978 prévoit, à son article 13(2), que les règlements entrent en vigueur et en force de loi à tous égards en tant qu'éléments de la codification de règlements, et que chacun de ces règlements est censé avoir été pris par l'autorité compétente — encore une fois, cela ressemble à ce qu'on dit au paragraphe qui préoccupait le sénateur Fraser — et toutes les prescriptions en régissant la prise sont censées avoir été observées. Donc, nous maintenons notre position, mais, avec égard, il faut dire que toute cette question perd de sa pertinence du moment où nous présentons le projet de loi devant vous aujourd'hui.
Le sénateur Nolin: Vous m'enlevez les mots de la bouche. Pourquoi l'article 4 aujourd'hui? Justement, il faut le circonscrire. On a un élément de réponse sur l'encadrement temporel de l'action de l'article 4.
M. Newman: Oui, justement. On ne veut pas se trouver dans l'impasse pendant encore dix ans avec ce comité. Il a coulé beaucoup d'encre à ce sujet.
Toute cette problématique, comme mon collègue et le sénateur Beaudoin viennent de le souligner, vous a été présentée — sauf l'affaire Alcan — dans un contexte qui était quand même assez hypothétique, dans la mesure où les règlements en cause dataient d'avant la Loi sur les langues officielles de 1969. Deux des règlements sont maintenant abrogés et les règlements ont été repris par la codification.
Souvent, la question pour un avocat est de savoir, s'il y avait une cause, si la cour aurait ordonné plus que ce que la Loi sur les révisions des lois faisait déjà? Comme il y avait déjà dans cette loi une série d'articles, est-ce qu'on aurait lu cette loi de façon étroite pour dire que ce n'est pas suffisant, qu'il faut faire encore plus par rapport à ces règlements? Les règlements étaient déjà publiés dans les deux langues, qui étaient repris dans la codification dans les deux langues, et donc, il n'y a jamais eu d'intention de faire autre chose que de traiter les deux langues sur un pied d'égalité. Il n'y a aucune espèce de tentative de contourner l'égalité des langues.
Dans cette optique, le ministère de la Justice a toujours prétendu que la codification était adéquate du point de vue des risques à gérer. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas d'autres solutions. C'est pourquoi le ministre, avec l'approbation du gouvernement, est allé de l'avant avec un projet de loi. C'est pour cette raison que le ministre compte sur l'appui du comité pour faire avancer les choses, parce que c'est pour corriger une situation antérieure à la Loi sur les langues officielles. Ce n'est pas pour prendre des actions vers l'avenir. Cela a ses limites dans le temps.
Le sénateur Beaudoin: Évidemment, je suis d'accord que l'article 43 bilatéral règle le problème. Pour l'article 133, je suis d'accord avec vous. Le gouvernement du Québec pourrait, si le gouvernement fédéral et le gouvernement du Québec sont tous deux d'accord, ne pas être soumis. Cependant, le gouvernement fédéral — parce que ce n'est pas une disposition provinciale — ne pourrait pas se retirer complètement du bilinguisme législatif parce qu'il faudrait l'unanimité. Sommes-nous d'accord là-dessus?
M. Newman: Absolument.
Le sénateur Beaudoin: Le deuxième point: le droit criminel. On est tous d'accord que si un crime est commis avant l'édiction de la loi actuelle, il ne sera soumis à rien. C'est un principe de droit criminel international. Je ne suis pas trop en faveur de la rétroactivité en droit criminel. D'ailleurs, je n'aime pas qu'un règlement crée un crime. Pour moi, cela doit être la loi, mais il y a une petite tendance, parfois, à laisser cela au pouvoir de réglementation.
Le sénateur Nolin: Pour être certain que tout le monde comprend bien ce que l'article 11g) de la Charte canadienne des droits et libertés dit, je cite:
Tout inculpé a le droit
g) de ne pas être déclaré coupable en raison d'une action ou d'une omission qui, au moment où elle est survenue, ne constituait pas une infraction d'après le droit interne du Canada ou le droit international [...]
C'est très large. Il ne s'agit pas uniquement de crime, c'est une infraction à une loi ou à un règlement.
Le sénateur Fraser: On est mal pris.
M. Tremblay: C'est la même réponse que tout à l'heure. D'abord, on a restreint les conditions d'application et, pour clarifier, il s'agit effectivement de poursuites qui ont lieu après l'adoption de cette loi, mais pour une infraction qui a eu lieu avant l'adoption de cette loi. Donc, cela met en jeu cette autre notion de rétroactivité qui est celle de la création d'offenses rétroactives.
Comme je l'ai dit tout à l'heure, nous sommes d'avis que la limite qui est là est prévue dans d'autres lois. Donc, si le comité a une difficulté quelconque avec les critères établis ici, le comité aurait également ces mêmes problèmes avec la Loi sur les textes réglementaires, et nous soumettons que c'est une question pour une autre journée. D'autre part, nous serions prêts à défendre le projet de loi comme nous serions prêts à défendre, dans l'éventualité, la Loi sur les textes réglementaires comme étant des limites raisonnables.
Le sénateur Beaudoin: Ce n'est pas là ma question. Disons qu'on adopte ce projet de loi d'ici un mois, une semaine ou une journée, les crimes qui auraient été commis avant cette loi ne sont pas visés.
M. Tremblay: Ils sont visés.
Le sénateur Beaudoin: Rétroactivement?
Le sénateur Nolin: C'est à l'article 4 (3)b).
Le sénateur Beaudoin: Cela va à l'encontre de tous les principes du droit international.
M. Tremblay: C'est présentement, en fait, l'état du droit, comme vous l'avez soulevé vous-même, à moins qu'un tribunal statue sur l'invalidité d'un règlement. Donc, si nous publions pour l'instant ou pour les fins de l'argument le projet de loi devant nous aujourd'hui, nous avons une situation de droits, un texte qui prétend régir la situation et crée une offense, une infraction. Une poursuite serait engagée et s'il y a condamnation, il y a chose jugée, et la Cour suprême l'a dit dans le renvoi manitobain, ces choses ne seraient pas attaquables subséquemment si on découvrait un vice constitutionnel quelconque applicable aux textes qui ont fondé la poursuite.
C'est déjà la situation de fait. Les textes qui sont là présentement sont présumés valides. Il n'y a pas de déclaration d'invalidité à leur égard, mais il y a une situation d'incertitude quant à leur validité. Étant donné ce que la Cour suprême nous a enseigné dans les deux renvois manitobains, et aussi ce que la Cour suprême nous a dit dans les passages que j'ai cités tout à l'heure sur l'importance de la primauté du droit — et la Cour suprême a bien signalé que la primauté du droit, c'est aussi éviter le chaos quand une personne, qui croyait et qui avait toutes les raisons de croire qu'elle était assujettie à cette règle de droits, l'a quand même enfreinte — je vous soumets qu'il serait contraire à la primauté du droit que de permettre à cette personne d'éluder ses responsabilités. C'est ce que le projet de loi évitera.
Évidemment, ce sera toujours au poursuivant d'exercer son pouvoir discrétionnaire. On fait ce type d'évaluation quotidiennement en tant que procureur général du Canada où on doit choisir nos batailles, et s'il y a un doute quelconque quant à savoir si une personne visée par un acte d'infraction aurait de fait été avisée, nous conseillerons de ne pas entamer de poursuite. Il est clair que nous allons conseiller d'une façon stratégique nos clients, les ministères visés qui adoptent des règlements.
Le sénateur Beaudoin: Pourquoi faites-vous intervenir l'article 1 de la Charte?
M. Tremblay: Ultimement, nous croyons qu'il n'y a pas de violation aux droits. Nous croyons que la loi est défendable comme ne créant pas d'offenses rétroactives qui soient injustifiées. Pour arriver à cette question de justification, il faut faire intervenir l'article 1, puisque l'article 11g) ne comporte pas de limites internes comme d'autres parties de la Charte qui en ont.
[Traduction]
La présidente: Comme vous vous en doutez peut-être, nous avons eu certains problèmes techniques avec l'interprétation. Certaines de vos réponses m'ont échappé.
Vous en avez peut-être parlé dans votre réponse à la question du sénateur Fraser. Est-il arrivé souvent qu'un texte a été adopté seulement dans une langue et publié seulement dans une langue, ou l'article 4 du projet de loi s'applique-t-il avant tout à la longue liste de textes qui n'ont pas été publiés du tout?
M. Tremblay: Je répondrais qu'il s'applique avant tout à la longue liste dont vous parlez. Cependant, nous pouvons découvrir, en fouillant dans les bibliothèques, que des règlements adoptés dans une seule langue officielle ont été publiés durant des périodes de grand bouleversement national, comme les situations d'urgence. Il y a des recueils de publications qui existent seulement en anglais, et qui datent des périodes de guerre. Un de ces textes pourrait toujours être en vigueur — ce qui ne devrait pas être le cas parce que les règlements ont été codifiés tout de suite après. On les a codifiés après les guerres pour faire traduire et réunir les textes encore en vigueur. Mais il peut y en avoir d'autres; nous ne pouvons pas savoir avec certitude qu'il n'y en a pas d'autres.
M. Newman: J'aimerais ajouter quelque chose à ce sujet. Pour chacun de ces textes, nous devons déterminer s'il s'agit vraiment de règlements de nature législative. Par exemple, durant la Seconde Guerre mondiale, 40 000 ou 50 000 décrets du conseil ont été adoptés, mais la vaste majorité d'entre eux étaient de nature administrative. Nous nous demandons s'il est utile de consacrer des ressources pour déterminer si chacun de ces anciens décrets du conseil était de nature législative ou non. C'est un moyen qui nous permet de prévoir les situations où un règlement à caractère législatif devrait être réédicté dans les deux langues, pour l'une des raisons expliquées par mon collègue. C'est simplement une disposition habilitante, et nous n'envisageons pas nécessairement d'y recourir très souvent. C'est une disposition de prudence raisonnable pour un conseiller juridique.
La présidente: Je veux remercier les fonctionnaires d'être venus nous rencontrer et d'être restés après le départ du ministre.
La séance est levée.