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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 32, Témoignages du 25 avril 2002


OTTAWA, le jeudi 25 avril 2002

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, saisi du projet de loi S-41, Loi visant la réédiction de textes législatifs n'ayant été édictés que dans une langue officielle, se réunit ce jour à 10 h 52 pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, nous avons le quorum.

Ceci est notre deuxième réunion concernant le projet de loi S-41 Loi visant la réédiction de textes législatifs n'ayant été édictés que dans une langue officielle. Je souhaite la bienvenue à nos témoins du Bureau du Conseil privé, M. Gerard McDonald, Mme Michèle Currie et M. Anthony Chapman.

[Français]

M. Gerard McDonald, directeur des opérations, Secrétariat de la réglementation et des décrets du Conseil privé: Merci, madame la présidente, de cette possibilité d'être reçu aujourd'hui par le comité. Si j'ai bien compris, vous voulez des informations sur la politique et le processus de réglementation au Canada et le rôle du Secrétariat de la réglementation et des décrets du Conseil privé dans le contexte du projet de loi S-41.

[Traduction]

Dès le départ, j'aimerais mentionner que nous sommes d'opinion que les articles 4, 5 et le paragraphe 6(1) du projet de loi S-41 permettent de soustraire les règlements pris dans le cadre du projet de loi aux exigences de la politique et du processus de réglementation.

Néanmoins, je me fais un plaisir de vous décrire brièvement la politique de réglementation avant de vous donner un aperçu du processus de réglementation qui l'appuie. Je me servirai ensuite de ce dernier pour illustrer le rôle du secrétariat dans la mise en oeuvre et la surveillance de la politique.

La première politique de réglementation du Canada a été adoptée en 1986 dans le cadre d'une initiative à l'échelle du gouvernement, visant à accroître la compétitivité internationale du Canada et à assurer l'équilibre entre les objectifs sociaux et économiques. Cette politique était sans précédent parmi les pays de l'OCDE et énonçait des principes qui ont depuis été intégrés dans les directives de l'OCDE sur la gouvernance en matière de réglementation.

[Français]

La plus récente mise à jour de la Politique de réglementation remonte à 1999. La Politique avait alors été modifiée afin d'exiger explicitement que les ministères et organismes respectent toutes les politiques du gouvernement et les directives du Cabinet pertinentes.

De plus, le texte a été révisé pour tenir compte de la création du Secrétariat de la réglementation et des décrets du Conseil privé, chargé d'appuyer le Comité spécial du Conseil dans la mise en œuvre et la surveillance de la Politique de réglementation.

[Traduction]

La politique a pour objectif de faire en sorte que le recours aux pouvoirs de réglementation du gouvernement procure à la société canadienne les plus grands avantages nets possibles. À cette fin, elle constitue le principal cadre de politique et d'analyse pour l'établissement de règlements, et elle énonce les principes directeurs, ainsi que les exigences particulières, concernant l'utilisation des pouvoirs délégués par le Parlement.

Ces exigences comprennent la démonstration par les organismes de réglementation qu'il existe un problème ou un risque réel et que l'intervention du gouvernement fédéral est justifiée; la prise en considération de tous les moyens possibles, réglementaires ou autres, pour résoudre le problème ou éliminer le risque; la consultation à toutes les étapes de la définition des problèmes et de l'élaboration de la solution réglementaire des parties intéressées, y compris l'industrie, les syndicats, les consommateurs, les autres paliers de gouvernement et les personnes intéressées; le respect des accords intergouvernementaux et la maximisation des possibilités de coordination intergouvernementale; l'évaluation des avantages et des coûts de l'intervention réglementaire envisagée, la démonstration que les avantages justifient les coûts et que les ressources limitées dont le gouvernement dispose vont aux secteurs dans lesquels elles procureront les plus grands avantages; la réduction au minimum des répercussions négatives sur l'économie; l'existence de systèmes pour gérer efficacement les ressources de la réglementation; la formulation de politiques régissant l'application et le respect des règlements; l'accès à des ressources suffisantes afin que les organismes de réglementation puissent s'acquitter de leurs responsabilités matière d'application et d'observation des règlements.

[Français]

Plusieurs organismes sont chargés de la mise en œuvre de la Politique de réglementation. D'ailleurs, la Politique définit les responsabilités des ministères et organismes, du Secrétariat du Conseil du Trésor, du ministère de la Justice, du Bureau du Conseil privé, et des Canadiens.

Si la politique énonce les principes et les exigences que le gouvernement s'impose à lui-même, c'est le processus de réglementation qui incarne ces idéaux et les applique dans les activités quotidiennes des responsables de la réglementation.

Le processus repose sur les principes de la consultation, de la transparence et de la communication, qui sont tous reflétés dans la Politique de réglementation.

[Traduction]

Le processus débute par la consultation des intéressés. Les premières consultations tentent de définir et de comprendre les risques ou les problèmes, de déterminer si une intervention fédérale est justifiée et de définir les meilleurs mécanismes d'intervention.

Si, après avoir discuté avec les intéressés, il est établi qu'un règlement est la meilleure façon de procéder, une proposition est élaborée de concert avec les intéressés. Il est important de reconnaître que la consultation devrait être un processus continu. De fait, de nombreux ministères font largement appel aux publications sectorielles, aux groupes consultatifs, aux sites Internet et aux documents de consultation pour tenir les intéressés informés et à jour.

Le processus d'analyse qui sous-tend l'élaboration de la proposition doit aussi être ouvert et transparent afin de veiller à ce que l'information utilisée soit exacte et à jour. Une fois que la solution optimale a été élaborée et a fait l'objet de consultations, le règlement est rédigé et approuvé par le ministère de la Justice, qui doit veiller à la conformité avec la loi habilitante et les autres éléments du cadre juridique du Canada.

Une fois approuvé par le ministère de la Justice, le règlement, ainsi qu'un résumé de l'étude d'impact de la réglementation, ou REIR, est présenté au ministre parrain, pour approbation. Le REIR décrit la proposition et sa justification et résume les consultations et les analyses sur lesquelles le règlement se fonde. Il fournit également le nom d'une personne-ressource au ministère à qui les parties intéressées peuvent communiquer leurs points de vue.

Dans le cas d'un règlement typique du gouverneur en conseil, le REIR et le projet de règlement sont transmis à notre secrétariat. Nous examinons la demande pour nous assurer qu'elle est conforme à la politique de réglementation, aux autres politiques applicables du gouvernement, et nous réglons les problèmes éventuels avec le ministère.

[Français]

La demande est ensuite inscrite à l'ordre du jour du Comité spécial du Conseil privé en vue de l'approbation de la publication préalable. Si elle est approuvée par le Comité, le RÉIR et le règlement sont publiés dans la partie I de la Gazette du Canada, ce qui marque le début de la période réservée aux commentaires du public. Pendant cette période, toutes les parties intéressées peuvent exprimer leurs points de vue au ministre et au ministère parrains.

Si des commentaires sont reçus, le ministère est tenu d'y répondre en modifiant la proposition ou en expliquant pourquoi une modification n'est pas justifiée.

Les commentaires reçus ainsi que les réponses du ministère doivent être résumés dans un RÉIR mis à jour, qui sera à nouveau signé par le ministre parrain et présenté en vue de l'approbation finale du règlement.

Notre secrétariat examine les résultats de la publication préalable et collabore à nouveau avec le ministère afin que toute l'information pertinente soit présentée aux ministres.

[Traduction]

Si le CSC l'approuve, le règlement est enregistré conformément à la Loi sur les textes réglementaires, après avoir été signé par le gouverneur général et publié dans la Partie II de la Gazette du Canada. Le règlement prend effet le jour de son enregistrement ou à la date indiquée dans le règlement et est transmis au Comité mixte permanent d'examen de la réglementation, un comité mixte du Sénat et de la Chambre des communes.

Au total, un règlement typique est soumis à un examen public au moins deux fois. Dans chaque cas, le public a la possibilité de présenter ses commentaires sur la proposition — c'est le volet consultation; peut examiner les bases sur lesquelles les ministres fondent leurs décisions, afin d'en établir l'exactitude et la pertinence — c'est le volet transparence; et est informé au préalable des changements réglementaires à venir — c'est le volet communication.

[Français]

Il y a évidemment des exceptions qui ne suivent pas toutes les étapes de ce processus. C'est le cas notamment des modifications techniques qui n'ont aucun effet majeur sur les parties visées par le règlement, des modifications qui allègent le fardeau réglementaire ou des règlements relatifs à des situations d'urgence. La majorité des propositions présentées au gouverneur en conseil suivent toutefois le processus établi et se conforment aux exigences de la Politique de la réglementation.

Comme vous vous en doutez peut-être après avoir entendu cette description du processus, l'appui au Comité spécial du Conseil Privé est un aspect crucial du rôle de notre Secrétariat.

[Traduction]

La Division des affaires réglementaires fournit aux ministres du CSC des renseignements et des conseils importants concernant les propositions de règlement faites au gouverneur en conseil et elle surveille et coordonne la mise en oeuvre et la surveillance de la politique de réglementation.

La Division des décrets du Conseil gère la présentation des dossiers soumis à l'approbation du gouverneur en conseil, gère l'ordre du jour du CSC et s'assure que tous les décrets du Conseil sont approuvés correctement et au moment opportun, avant d'être enregistrés conformément à la Loi sur les textes réglementaires. Le public reçoit également accès aux décrets du Conseil approuvés.

Je conclurai en remerciant le comité au nom de mes collègues de son invitation à comparaître aujourd'hui. Nous espérons que notre exposé vous aide à mieux comprendre la politique et le processus de réglementation et nous serons heureux de répondre aux questions que vous pourriez avoir.

La présidente: Merci, monsieur McDonald.

Le sénateur Beaudoin: Nous avons écouté hier très attentivement le ministre Cauchon, M. Tremblay et M. Warren. Nous avons deux options concernant le projet de loi S-41. Nous pouvons soit l'adopter tel quel — il est intéressant car il est très bien fait. Dans une large mesure, il reprend ce qui a été fait au Québec et à Ottawa en 1985, lorsque la Cour suprême a tranché que les lois adoptées en anglais seulement sont ultra vires — invalides. Cependant, elles sont réputées valides pour la durée nécessaire à leur réédiction et publication.

Il s'agit là d'un jugement très clair de la Cour suprême, s'agissant de lois. Or, ce ne sont pas les lois qui nous occupent en l'occurrence, mais plutôt la législation déléguée, les décrets et règlements.

Nous avons là trois ou quatre articles ayant un effet rétroactif qui sont très bien rédigés. Cependant, nous devons regarder le fond des choses. Si une loi a été promulguée en anglais seulement, elle est véritablement invalide. La disposition déterminative ne s'applique que pendant trois ou cinq ans. Cela a donc été fait et cela marche très bien. Cependant, il s'agissait là d'un jugement de la Cour suprême qui fait dorénavant partie de la Constitution du Canada. En effet, la Constitution se compose des lois constitutionnelles, des arrêts de la Cour suprême — des tribunaux en général — et des conventions de la Constitution. Nous n'avons pas à nous préoccuper ici de ces conventions.

Pourrions-nous transposer cela dans le domaine de la législation? Le projet de loi S-41 a une portée qui va jusqu'aux limites du pouvoir législatif. Nous ne pouvons faire plus que cela. La seule façon de conclure que cela est approprié consiste à dire qu'une loi du Parlement, contenant des clauses rétroactives, suffit à remédier aux lacunes passées. Cet argument m'impressionne, je dois le dire.

L'autre option est de dire que les règlements sont valides jusqu'à ce qu'ils soient déclarés invalides parce qu'unilingues. Cela est difficile car cette proposition est vague et que nous ne connaissons pas le nombre. Nous ne connaissons pas non plus la période de temps. Cependant, nous savons que ces règlements ont été adoptés illégalement — même de manière anticonstitutionnelle — et c'est la raison pour laquelle nous devons agir.

Si nous adoptons la deuxième théorie, il n'y aura jamais de fin, d'une certaine façon. Cela s'arrêtera un jour lorsque nous saurons exactement combien de règlements sont concernés, mais tout se fera au cas par cas. Je conclus donc, et j'aimerais avoir votre opinion, que ceci est une bien meilleure solution que de ne rien faire, l'option «attendons voir». Cependant, il se peut qu'un jour, s'il y a une contestation judiciaire, le tribunal parvienne à une conclusion différente de celle consacrée ici. Je ne connais pas toutes les possibilités, mais elles existent. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. McDonald: Sénateur, notre point de vue est que le projet de loi dont vous êtes saisi représente la meilleure solution possible au problème qui se pose au gouvernement. Nous ne savons pas s'il serait possible de retourner en arrière et de trouver chaque règlement jamais pris dans une seule langue, de façon à corriger la situation en masse.

Le sénateur Beaudoin: Vous ne pensez pas que c'est possible?

M. McDonald: Nous ne pensons pas que ce serait possible car le coût serait prohibitif.

Par conséquent, nous pensons que la façon la plus efficiente de procéder est d'apporter les correctifs au cas par cas, au fur et à mesure que nous décelons les problèmes.

Le sénateur Beaudoin: J'ai du mal à vous suivre. Dites-vous que l'on pourrait procéder au cas par cas? Que voulez- vous dire exactement?

M. McDonald: Lorsqu'un ministère s'aperçoit qu'un règlement donné n'a été promulgué que dans une seule langue, cette loi lui donne la possibilité de rectifier la situation.

Le sénateur Beaudoin: Chaque fois?

M. McDonald: Oui, chaque fois, au fur et à mesure que les cas viennent à son attention.

Je signale que nous n'avons pas rencontré ce problème ces dernières années.

Le sénateur Beaudoin: J'ai entendu parler de l'affaire Alcan où il y a eu une contestation judiciaire d'un règlement édicté dans une seule langue officielle. Je ne sais pas ce qu'il en est advenu.

M. McDonald: Je ne connais pas ce cas particulier, sénateur. Désolé.

Le sénateur Beaudoin: Si l'on procède au cas par cas, c'est relativement facile. Cependant, vous voulez une solution globale.

En d'autres termes, ce que la Cour suprême a déclaré dans le renvoi du Manitoba de 1985 était simple et limpide et nul n'a soulevé d'objection car l'alternative était évidente: c'était le chaos. Elle a appliqué la règle de droit et la doctrine de facto. Elle a déclaré que toutes ces lois seraient réputées valides le temps nécessaire de les réédicter dans les deux langues. C'était la solution parfaite, rien ne pouvait être meilleur.

Nous ne parlons pas ici de lois, mais de règlements. Mais des règlements doivent être autorisés par une loi. Cette loi- cadre valide tous les règlements pris en vertu d'une loi, et ce rétroactivement. C'est l'objet du projet de loi.

Cependant, nous ne sommes pas la Cour suprême. Nous sommes le législateur. Le pouvoir législatif est vaste et nous allons jusqu'à la limite de ce pouvoir, ce avec quoi je suis d'accord. C'est ce que vous préférez vous-même, n'est-ce pas?

M. McDonald: Oui, nous préférons la méthode prévue dans ce projet de loi. Nous pensons que c'est la meilleure façon de procéder.

Le sénateur Beaudoin: Cependant, on peut craindre que ce soit contesté un jour.

M. McDonald: Je ne puis émettre un avis juridique à ce sujet, sénateur. C'est là le rôle du ministère de la Justice.

Le sénateur Beaudoin: Je voterai pour ce projet de loi tel quel. Nous avons deux théories, à moins que quelqu'un en trouve une meilleure. C'est pour celle-ci que je vais voter.

Vous êtes manifestement d'accord avec cette méthode de résoudre le problème. Cela ne signifie pas que l'on ne pourrait pas agir autrement.

M. McDonald: Non, bien entendu.

Le sénateur Beaudoin: Cela ne signifie pas que l'on ne pourrait pas procéder au cas par cas. Je garde l'esprit ouvert. Si j'ai un expert de mon côté, je choisirai la deuxième théorie, mais s'il n'y en a pas, je retiens celle-ci.

La présidente: Je signale aux membres du comité que les témoins d'aujourd'hui ne sont pas juristes. Il n'y a donc pas lieu de leur demander des avis juridiques catégoriques sur certaines de ces questions.

Le sénateur Fraser: Vous considérez que ce projet de loi ne s'applique pas à vous. Je suppose que c'est parce qu'il réédicte d'anciens règlements qui ont été pris avant que votre division soit créée?

M. McDonald: Permettez-moi de clarifier. Je ne voulais pas donner à entendre que le projet de loi ne s'applique pas à nous. Nous aurons toujours un rôle à jouer à l'égard de tout règlement qui devra être réédicté suite à ce projet de loi. Tous passeront par notre bureau. Nous ferons notre travail et nous assurerons qu'ils soient publiés dans les règles.

J'ai indiqué que nous considérions que la politique réglementaire dont nous sommes responsables ne s'appliquerait pas en vertu de ce projet de loi. La politique réglementaire nous impose de procéder à des consultations, à une prépublication, à une analyse des avantages et inconvénients. Nous ne pensons pas que cette procédure s'appliquera aux règlements réédictés en vertu de ce projet de loi.

Le sénateur Fraser: Votre rôle se limitera en gros à vérifier que les traductions sont exactes?

M. McDonald: Non. Cela est la responsabilité du ministère de la Justice et de ses rédacteurs législatifs. C'est à eux de vérifier que les versions anglaise et française concordent.

Notre responsabilité est de vérifier que rien de ce qui est proposé n'est contraire à une politique gouvernementale existante, avant la prise et la publication officielle.

Le sénateur Fraser: Je trouve votre description de la politique extrêmement intéressante. Elle semble mettre en jeu tout le monde dans ce pays, hormis le Parlement.

Le sénateur Cools: Ce n'est pas inhabituel.

Le sénateur Fraser: À quel stade le Comité mixte permanent d'examen de la réglementation intervient-il?

M. McDonald: Premièrement, sénateur, tous les règlements sont pris, comme vous le savez, sous l'autorité d'une loi habilitante. Lorsqu'il adopte cette loi, le Parlement délibère au sujet des pouvoirs ainsi conférés à l'exécutif.

Deuxièmement, chaque fois qu'un règlement est proposé, le ministère procède à des consultations, qui peuvent englober des parlementaires. Par ailleurs, le règlement est officiellement prépublié dans la Gazette du Canada, si bien que chacun, parlementaires compris, peut réagir.

Le sénateur Fraser: À quel stade le règlement va-t-il au comité mixte?

M. McDonald: Tout règlement est considéré comme renvoyé de façon permanente au Comité mixte permanent de l'examen de la réglementation. Ce comité a pouvoir d'examiner tout règlement pris par le gouvernement.

Le sénateur Fraser: Après coup?

M. McDonald: Une fois qu'il est pris, c'est juste.

Le sénateur Fraser: Ainsi, tout le monde dans le pays est consulté par avance, sauf les parlementaires. C'est une question légèrement facétieuse.

M. McDonald: Je ferai valoir une autre chose, sénateur. Un certain nombre de lois prévoient que les règlements doivent être soit déposés à la Chambre soit renvoyés au comité permanent approprié avant la publication.

Le sénateur Fraser: Dans votre liste d'obligations, qui est intéressante et admirable, l'élément qui me frappe est la ligne en haut de la page 3 de la version française de votre texte: «la réduction au minimum des répercussions négatives sur l'économie». Bien entendu, un règlement peut également avoir des répercussions négatives sur des aspects non économiques de la société. Pourquoi se préoccupe-t-on ici uniquement de l'économie?

M. McDonald: C'était la décision du gouvernement lorsqu'il a rédigé la politique. Je précise que si l'économie est mentionnée, cela n'empêche pas d'analyser d'autres aspects lorsqu'on prépare un règlement.

J'ai mentionné également que la politique exige que les avantages pour la société l'emportent sur le coût du règlement. Nous considérons que ces avantages comprennent non seulement les avantages économiques mais aussi tous les avantages sociaux qui peuvent résulter de l'adoption d'un règlement.

Le sénateur Fraser: Même chose pour les coûts, ou bien les coûts sont-ils uniquement calculés en dollars?

M. McDonald: Non, on tient compte des considérations sociales aussi bien qu'économiques.

[Français]

Le sénateur Joyal: Depuis quand la politique que vous nous avez expliquée ce matin dans votre présentation est-elle en vigueur?

[Traduction]

M. McDonald: La politique actuelle est en place depuis 1999, mais il en existait des versions antérieures depuis 1986.

[Français]

Le sénateur Joyal: Avant 1986, est-ce qu'il y avait une autorité de coordination du processus réglementaire au Conseil privé?

[Traduction]

M. McDonald: Non. Le Conseil privé était responsable de la coordination du processus d'agrément des règlements. Je crois qu'avant 1986, le Conseil du Trésor avait un certain rôle d'examen des règlements, mais il n'y avait pas de politique gouvernementale explicite.

[Français]

Le sénateur Joyal: Donc, il n'y avait aucune autorité gouvernementale responsable de s'assurer qu'un règlement soit publié avant d'être mis en vigueur?

[Traduction]

M. McDonald:Je ne suis pas certain qu'il y avait obligation de publier tous les règlements avant 1986. La Loi sur les textes réglementaires, dont il a existé diverses versions à partir des années 40, exigeait la publication des règlements une fois pris. La prépublication n'était pas obligatoire.

[Français]

Le sénateur Joyal: Le problème que je vois concernant la question de publication tient au fait que, comme le ministre nous l'a mentionné hier dans sa présentation, le projet de loi touche deux types de règlements: il touche des règlements qui n'auraient été édictés que dans une seule langue ou qui n'auraient été publiés que dans une seule langue. Il règle ce problème et, aussi, il valide les règlements qui n'ont pas été publiés.

Il me semble qu'à moins qu'il y ait des exceptions — telles que soulevées hier par madame la présidente — à moins que la loi constitutive prévoie que le règlement ne sera pas publié, auquel cas ce peut être des règlements qui ne portent des infractions, le principe que l'on a toujours suivi dans notre droit commun — j'emploie le mot «commun» dans le sens de «à tout le monde, dans tous les systèmes» — est que l'on ne peut pas imposer à une personne une infraction basée sur un règlement qui n'a pas été publié.

J'essaie de comprendre, dans le système, antérieurement à la mise en application de la politique que vous nous avez expliquée ce matin, comment le projet de loi actuel va valider des règlements qui pourraient ne pas avoir été publiés.

Je peux comprendre que lorsqu'ils ont été édictés ou publiés dans les deux langues, voire seulement dans une langue, on corrige un vice de forme. Mais lorsqu'ils n'ont pas été publiés, c'est un vice de fond extrêmement important. Ils n'existent pas pour la personne à qui ils s'appliquent.

J'essaie de réconcilier les principes du droit avec un projet de loi qui normalement devrait amnistier tous ces règlements — une sorte d'amnistie générale, de validation générale, pour des règlements qui n'auraient pas été publiés du tout. S'ils n'ont pas été publiés, comment peut-on les connaître? Comment celui à qui ils s'appliquent peut-il les connaître?

Nous faisons une chose extrêmement importante sur le plan du droit. J'essaie de comprendre comment il se peut qu'antérieurement à votre politique, que je comprends relativement bien, un règlement ait pu être adopté et signé par le gouverneur en conseil ou par le ministre habilité a le faire, que ce règlement n'ait pas été publié, et qu'au-delà des langues on purge ce règlement d'un vice fondamental de publication? J'essaie de voir qui, au Conseil Privé, avait cette responsabilité — ou au ministère de la Justice ou au Conseil du Trésor, comme vous le dites — de s'assurer qu'un règlement qui impose une infraction soit publié.

[Traduction]

M. McDonald: Permettez-moi de clarifier ce que j'ai dit. L'exigence de publication ne provient pas de la politique, qui a été adoptée vers 1986. L'exigence de publication dérive de la Loi sur les textes réglementaires. Je crois savoir que les premières versions ont fait leur apparition dès les années 40. Je n'ai pas les dates exactes, mais je pourrais obtenir ce renseignement du ministère de la Justice.

Ces règlements ont été publiés. Je crois savoir que même auparavant la plupart des règlements étaient publiés déjà dans la Gazette du Canada. Cependant, il faudrait que je vérifie. À ma connaissance, cette publication était assurée par le Bureau du Conseil privé, par le biais de son service des décrets du Conseil.

[Français]

Le sénateur Joyal: C'est ce que je comprends également. L'organisme gouvernemental responsable de la Gazette du Canada a toujours été rattaché au bureau du Conseil Privé. À moins que je ne sois mal informé, depuis le début du processus législatif du Canada, de l'existence canadienne actuelle — et je ne parle pas des gouvernements antérieurs à l'Acte de Confédération — la publication des règlements et des textes et de la loi a toujours été une responsabilité du Conseil Privé.

J'essaie alors de comprendre, dans le processus que nous sommes en train de mettre en place dans ce projet de loi, comment antérieurement à ce projet de loi un règlement qui devait être publié dans la Gazette du Canada et qui ne l'a pas été, se retrouve malgré tout dans le patrimoine réglementaire du Canada, sans en pratique être en vigueur, étant donné qu'il n'a pas été publié. Car comme vous le dites, la publication est requise dans la loi constitutive de l'autorité réglementaire.

[Traduction]

La présidente: Sénateur Joyal, j'hésite à vous interrompre mais j'ai sous les yeux la Loi sur les textes réglementaires. Son paragraphe 11(2) stipule:

Un règlement n'est pas invalide au seul motif qu'il n'a pas été publié dans la Gazette du Canada. Toutefois, personne ne peut être condamné pour violation d'un règlement qui, au moment du fait reproché, n'était pas publié [...]

Il existe d'autres façons de faire connaître un règlement. Je songe à certaines des exonérations prévues dans la Loi sur la Commission canadienne du blé.

Le sénateur Beaudoin: Pourriez-vous relire cette première phrase, s'il vous plaît?

La présidente: «Un règlement n'est pas invalide au seul motif qu'il n'a pas été publié dans la Gazette du Canada. Toutefois personne ne peut être condamné pour violation...»

Le sénateur Beaudoin: Si vous arrêtez-là, j'ai une question sur ce même sujet. On dit clairement qu'aucun règlement n'est invalide uniquement parce qu'il n'a pas été publié dans la Gazette du Canada. Est-ce que cela ne revient pas à modifier la Constitution? N'oubliez pas qu'il s'agit là d'une législation déléguée. Elle doit être publiée quelque part. Nous sommes le législateur, mais en disant cela nous allons à l'encontre de la Constitution.

La présidente: Il y a d'autres façons de publier des règlements.

Le sénateur Beaudoin: Nous reviendrons là-dessus.

La présidente: Il y a des dérogations dans la Loi sur la Commission du blé, certaines dans le Code canadien du travail, certaines dans la Loi à l'aéronautique, d'autres dans la Loi sur les mesures spéciales d'importation et encore la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

[Français]

Le sénateur Joyal: Mais il ne créé pas d'infraction. Voilà la différence fondamentale entre ce que nous essayons de faire et ce qui existait antérieurement. La disposition que vous avez citée comprend le remède, mais elle ne comprend pas la détermination de l'autorité qui avait la responsabilité de publier. La disposition dit que si quelqu'un a omis de publier, on ne peut être accusé. C'est le principe de publication des lois, que l'on connaît très bien, qui l'emporte sur la responsabilité de respecter la loi. Il faut publier. J'essaie de comprendre antérieurement qui avait la responsabilité de s'assurer de gérer la publication. Car la publication est très importante. Si le règlement n'est pas publié, on ne peut pas, en pratique, poursuivre une personne qui aurait enfreint le règlement qui n'est pas public.

Alors qui antérieurement avait la responsabilité de la publication si la Gazette du Canada reste une responsabilité du Conseil Privé?

[Traduction]

M. McDonald: En dernier ressort, c'est au greffier du Conseil privé qu'il incombe de veiller à la publication des règlements.

Le sénateur Beaudoin: Il n'a pas le choix. Il est obligé de tout publier.

[Français]

Le sénateur Joyal: Il doit être publié, parce qu'il s'agit, par définition, d'un règlement qui porte infraction. Donc, par définition, il y a une obligation de publier le règlement — et là on ne parle pas d'une langue ou de l'autre — on parle de la publication.

[Traduction]

M. McDonald: Je ne conteste pas. À ma connaissance — mais comme je l'ai dit, je n'ai pas fait de recherches — tous les règlement ont été publiés, sauf ceux faisant l'objet d'une dérogation expresse dans la Loi sur les textes réglementaires.

Le sénateur Beaudoin: Qui décide qu'un règlement ne sera pas publié et qu'un autre le sera?

M. McDonald: La Loi sur les textes réglementaires détermine ce qui est publié et ce qui ne l'est pas.

Le sénateur Beaudoin: Cela est contraire à l'article 133 de la Constitution.

Le sénateur Fraser: Pourrions-nous avoir une définition de «publication», s'il vous plaît? Est-ce que la publication doit nécessairement avoir lieu dans la Gazette du Canada ou bien d'autres formes de publication répondent-elles aux exigences de la Constitution et aux principes de la justice fondamentale?

M. McDonald: Selon le texte actuel de la Loi sur les textes réglementaires, la «publication» est la publication dans la Gazette du Canada.

Le sénateur Fraser: Cependant, il y a une longue liste d'organisations exemptées, dont la Commission du blé. Il ne sert à rien de prendre un règlement concernant la Commission du blé si nul n'est au courant. Comment les personnes visées par le règlement en connaissent-elles la teneur?

La présidente: Comment les textes exemptés de publication sont-ils diffusés?

M. McDonald: Le ministre responsable de ce règlement assure l'information. Par exemple, le ministre responsable de la Commission du blé veillera à ce que les personnes concernées à la Commission du blé soient informées des changements apportés. De même, si une mesure est prise dans le domaine de la sécurité aérienne, le ministre des Transports devra faire savoir aux responsables quels changements ou mesures d'exécution sont nécessaires.

Le sénateur Fraser: La sécurité aérienne est un exemple très intéressant. Dites-vous que, pour qu'il y ait infraction, le règlement doit avoir été publié dans la Gazette du Canada? En matière de sécurité, je présume que quelqu'un qui contrevient aux règlements commet une infraction.

Mme Michèle Currie, coordonnatrice, Comité spécial du conseil, Bureau du Conseil privé: Je ne suis pas avocate et je ne connais pas cette disposition de la Loi sur les textes réglementaires, mais je sais qu'avant la publication d'un règlement dans la Gazette du Canada, nous pouvons présenter le décret à la personne au moment de l'arrêter, et c'est alors valide. Lorsqu'on arrête des gens sur un navire, par exemple, on leur remet une copie du décret comme preuve que le règlement a été promulgué.

La présidente: Même s'il n'a pas été publié.

Mme Currie: Oui, on peut les arrêter sur présentation du décret.

[Français]

Le sénateur Nolin: Pouvez-vous nous confirmer que le Règlement de l'impôt sur le revenu a été édicté uniquement dans la langue anglaise? La recherche a été effectuée par le Comité mixte, et le Règlement de l'impôt a été édicté uniquement dans la langue anglaise.

[Traduction]

M. McDonald: Je crains de ne pouvoir confirmer cela, sénateur.

[Français]

Le sénateur Nolin: Lors de la codification de 1949, le greffier du Conseil privé a été investi des pouvoirs de colliger, d'obtenir, de rechercher, de forcer les différents ministres et ministères à fournir des versions anglaises et françaises de tous les instruments réglementaires passés et futurs. Est-ce bien vrai?

[Traduction]

M. McDonald: Oui, c'est ce qu'il me semble.

[Français]

Le sénateur Nolin: Alors comment pouvez-vous me dire que vous ne savez pas si le Règlement de l'impôt sur le revenu a été édicté? Vous ne pouvez pas me confirmer qu'il a été édicté uniquement dans la langue anglaise, contrairement à ce qui devrait être fait, c'est-à-dire édicté dans les deux langues officielles.

[Traduction]

M. McDonald: Désolé, sénateur, je n'ai pas ce renseignement en ma possession.

[Français]

Le sénateur Nolin: Serait-il possible de l'avoir?

[Traduction]

M. McDonald: Nous pouvons certainement nous renseigner, oui.

[Français]

Le sénateur Nolin: Ma dernière question concerne l'article 133 de la Constitution. Depuis l'arrêt Blaikie 2 de 1981, comment pouvez-vous nous expliquer et nous convaincre qu'une loi du Parlement peut permettre de soustraire à la publication d'une loi et/ou d'un instrument réglementaire? Comment pouvez-vous faire cela? Comme le disait le sénateur Beaudoin, c'est presqu'un amendement constitutionnel que vous avez fait avec la Loi sur les textes réglementaires. La Constitution est très limpide, comme le dirait le sénateur Beaudoin. Depuis l'arrêt Blaikie 2, on sait que cela inclut les règlements. Les lois doivent donc être imprimées et publiées dans les deux langues, c'est l'article 133 qui le dit. Il ne s'agit même pas de la Loi sur les textes réglementaires. C'est un principe fondamental. Je dirais même que c'est l'une des raisons pour laquelle le Québec a adhéré au Pacte.

Comment une loi du Parlement peut-elle vous permettre de ne pas publier?

[Traduction]

M. McDonald: Je ne suis pas avocat et je laisse à ceux du ministère de la Justice le soin d'expliquer comment la Loi sur les textes réglementaires a été rédigée et l'argumentation constitutionnelle.

Le sénateur Beaudoin: Madame la présidente, je pense que nous devrons demander aux experts du ministère de la Justice de revenir. Il y en a un ici ce matin. L'arrêt Blaikie est clair. L'article 133 de la Constitution, tout comme les articles 91 et 92, ont été demandés par Cartier et Macdonald.

Lorsqu'il s'agit d'une loi, le jugement dans l'affaire du renvoi du Manitoba a tout réglé. C'est une décision limpide. Cependant, plus j'y réfléchis, plus je constate que l'arrêt Blaikie a placé les lois déléguées dans le même groupe que les lois. L'arrêt Blaikie est une décision de la Cour suprême. Nous savons que toutes les décisions de la Cour suprême en matière constitutionnelle ont elles-mêmes valeur constitutionnelle.

Le premier point d'appui est le texte. Le deuxième est l'arrêt. Le troisième est la convention. Cela ressort très clairement de notre jurisprudence.

Si l'on respecte Blaikie — et nous y sommes obligés car cela fait partie de la Constitution — cela signifie que la législation déléguée doit suivre exactement le même cheminement que celui qu'impose l'article 133 de la Loi constitutionnelle.

Je ne comprends pas comment on peut dire qu'une loi en matière d'impôt sur le revenu ou une loi qui n'intéresse pas de trop près le public ne sera pas publiée. Où puisons-nous le pouvoir de faire cela? Je ne le vois pas.

Nous avons maintenant mis le doigt sur quelque chose qui nous avait échappé hier. J'admets que cela m'a échappé hier. À mes yeux, du fait de l'arrêt Blaikie, une législation déléguée est dans la même catégorie qu'une loi.

La présidente: Avant de donner la parole au sénateur Joyal, j'ai une proposition à faire. Nous avons ici un fonctionnaire du ministère de la Justice qui est prêt à venir à la table. Il pourra peut-être nous éclairer là-dessus. Cependant, il nous faudra faire revenir les fonctionnaires du ministère de la Justice avant de passer à l'étude article par article du projet de loi.

Si le comité est d'accord, peut-être ce fonctionnaire du ministère de la Justice, M. Marc Tremblay, pourra-t-il jeter un peu de lumière sur ces recoins de plus en plus sombres.

Le sénateur Andreychuk: Madame la présidente, je n'ai pas pu venir à la réunion d'hier car j'étais retenue à la Chambre pour un autre projet de loi. Je suis heureuse que vous demandiez aux fonctionnaires de revenir. Je ne sais pas si les fonctionnaires du ministère de la Justice ont parlé du fait qu'une si grande partie du droit substantif est maintenant transférée dans la réglementation. S'ils vont revenir, je tiens à leur donner préavis que j'aurai des questions à ce sujet. Nous avons fait observer à plusieurs reprises, tant individuellement que collectivement, que des éléments de plus en plus importants sont relégués dans des règlements, des lois déléguées. Non seulement devront-ils nous parler de la publication des lois déléguées, mais également de cette tendance à reléguer de plus en plus d'éléments de fond dans les règlements. Je songe en particulier au projet de loi C-11, la Loi sur l'immigration.

J'espère qu'ils pourront traiter de ces questions.

La présidente: Vous êtes averti, monsieur.

Sénateur Joyal, avez-vous d'autres questions pour les fonctionnaires du Conseil privé?

Le sénateur Joyal: Je voudrais dire rapidement un mot en réponse à la remarque du sénateur Beaudoin que quelque chose nous a échappé hier. Je ne pense pas que quelque chose nous a échappé. Le but de ce travail est que les témoins nous aident et que nous ayons les échanges que nous avons eus pour assurer que nous comprenions bien toutes les implications — constitutionnelles et juridiques — d'un projet de loi aussi technique que celui-ci. Je pense que nous faisons notre travail lorsque nous posons des questions à nos témoins qui nous aident à comprendre la teneur du projet de loi et ses implications.

La présidente: Des questions ont été soulevées aujourd'hui qui me chiffonnaient déjà hier car, très franchement, j'avais quelques problèmes avec la traduction. Je passais d'un canal à l'autre. Une fois que l'on perd le fil d'un raisonnement important, on est perdu.

Monsieur Tremblay, pouvez-vous nous éclairer?

M. Marc Tremblay, avocat-conseil, Groupe du droit des langues officielles, ministère de la Justice: Avant d'essayer d'apporter un peu de lumière, madame la présidente, peut-être pourrait-on me répéter la question. J'étais en pleine discussion lorsqu'elle a été posée et je ne l'ai peut-être pas tout à fait saisie.

[Français]

Le sénateur Nolin: Ma question est la suivante. En vertu de quel pouvoir le Parlement du Canada peut-il aller à l'encontre du deuxième alinéa de l'article 133, surtout depuis l'arrêt Blaikie 2 de 1981? De façon plus précise, comment le Parlement du Canada peut-il permettre qu'un texte, qu'un instrument de législation délégué, ne soit pas publié?

M. Tremblay: Je comprends la nature de la question. Je soulignerai d'abord que la question précise d'une exigence de publication, malgré ce qu'on peut lire à l'article 133, n'a jamais, à ma connaissance, été considérée par quelque tribunal que ce soit.

L'article 133, on le sait, est une disposition qui vise la langue et non la publication ou l'impression. Il y a d'autres lois du Parlement qui, de temps à autres, ont traité des exigences de publication et d'impression — je n'ai évidemment pas apporté toute ma documentation avec moi aujourd'hui.

[Traduction]

La présidente: Avant que vous alliez plus loin, monsieur Tremblay, permettez-moi de vous rappeler le libellé exact de l'article 133: «Les lois du Parlement du Canada et de la Législature du Québec devront être imprimées et publiées dans ces deux langues».

M. Tremblay: Merci, madame la présidente. Certes, le texte dit précisément «imprimées et publiées», mais je ferai valoir, et c'est la position du gouvernement du Canada, qu'il faut les lire en conjonction avec les mots «dans les deux langues officielles» ou «en langue anglaise et française» à l'article 133.

Pour revenir un peu en arrière, l'esprit de l'article 133 n'est pas d'assurer que des documents soient publiés, mais d'assurer que lorsqu'on publie ou imprime des documents, ils le soient dans les deux langues officielles.

À partir de là, on peut passer au postulat que nous avons posé.

[Français]

Les lois du Canada ont évidemment toujours été adoptées, ont toujours été imprimées et ont toujours été publiées, et ce, dans les deux langues officielles. Pourrait-on, à une autre époque, cesser de publier les lois? C'est une question qui ne relève pas des droits linguistiques comme tels mais qui concerne d'autres droits, d'autres considérations.

Il est de notre avis que l'article 133 est une disposition de nature linguistique qui vise à assurer l'égalité du statut de l'anglais et du français lorsque le Parlement adopte une loi, lorsque le Parlement édicte un règlement et lorsque le gouvernement édicte un décret. Je soulignerais également que cette position du gouvernement est également énoncée à l'article 7 de la Loi sur les langues officielles du Canada. Je n'ai pas le texte devant moi, mais, de mémoire, je peux vous affirmer qu'on y dit que, lorsque publiés ou imprimés, ces textes seront publiés et imprimés dans les deux langues officielles.

On vient de me donner une copie de la Loi. L'anglais est toujours plus facile à suivre, étant donné la nature de la rédaction législative en anglais.

[Traduction]

If printed and published, shall be printed and published in both official languages.

[Français]

C'est la disposition de la Loi sur les langues officielles qui s'applique aux textes de nature législative dont il est question ici, et qui reprend fidèlement, à notre avis, les exigences de l'arrêt Blaikie.

Donc, en anglais:

[Traduction]

«Any instrument made in the execution of a legislative power conferred by or under an act of Parliament, et cetera, shall be made in both official languages».

[Français]

C'est l'exigence constitutionnelle qui, à notre avis, découle de l'article 133.

[Traduction]

«That it be made, and if printed and published, shall be printed and published [...]»

[Français]

En français, « ...sont établies dans les deux langues officielles, les actes pris dans l'exercice d'un pouvoir législatif (...) et leur impression et leur publication éventuelle se font dans les deux langues officielles... »

Depuis fort longtemps il y a des règlements que l'on a exemptés de l'exigence de publication. Aujourd'hui, c'est dans la Loi sur les textes réglementaires — nous en avons discuté brièvement hier — pour des raisons, entre autres, de sécurité nationale, et selon nous cela est conforme à l'exigence constitutionnelle, pourvu que ces textes soient édictés dans les deux langues officielles. S'ils ne sont pas publiés, c'est une autre question. Dans le cas de la personne qui serait accusée d'une infraction à ces règlements, il se pose une question qui est non linguistique: cette personne avait-elle connaissance de l'existence d'une règle de droit qui devait la lier? Voilà pourquoi la Loi sur les textes réglementaires dit: «ne sera pas sujet à une poursuite une personne qui n'avait pas connaissance effective de l'existence de l'infraction qu'on lui reproche.» Nous reprenons la même norme à l'article 4(4) du projet de loi que vous avez devant vous aujourd'hui.

Le sénateur Nolin: J'aimerais que l'on examine la situation le plus précisément possible. On accepte l'article 133, nul ne conteste cela. Depuis 1981, la cour a élargi l'interprétation du deuxième paragraphe de l'article 133, elle l'a étendu aux textes réglementaires. On s'entend sur ce point?

M. Tremblay: Tout à fait.

Le sénateur Nolin: Vous dites que les mot «imprimés» et «publiés» au deuxième paragraphe de l'article 133 ne touchent que des droits linguistiques, et que l'interprétation soutenue par le ministère apparaît à l'article 7. En d'autres mots, vous allez les édicter dans les deux langues, donc les faire dans les deux langues, leur donner naissance dans les deux langues; mais de là à les publier dans les deux langues, c'est une autre affaire.

M. Tremblay: La publication dans les deux langues, effectivement, ne découle pas de droits linguistiques. Sur cette question, la Loi sur les langues officielles et, à notre avis, la Constitution également, prend son air d'aller, pour ainsi dire, prend son esprit de d'autres considérations. On prend le droit constitutionnel, le droit à connaître du droit, comme la trame de fond sur laquelle vient s'appliquer les droits linguistiques. La Loi sur les langues officielles n'est pas en contradiction avec les autres textes de loi fédéraux qui permettent l'exemption de publication.

Ceci dit, comme mes confrères du Bureau du Conseil Privé l'ont souligné, la vaste majorité des textes sont, de fait, publiés. Ce sont des catégories bien précises et qui ont été prévues par le Parlement, je le rappelle, dans la Loi sur les textes réglementaires, qui sont exemptées de cette obligation de publication.

J'aimerais revenir à la question des infractions, parce qu'on a dit qu'il est impossible d'avoir une infraction si le texte n'est pas publié. Je dirais qu'il est impossible d'avoir une infraction ou d'être poursuivi pour une infraction lorsque nous n'avons pas connaissance de l'existence de cette infraction — il y a une distinction entre «connaissance d'une infraction» et «publication d'un règlement». Je ne prétends pas avoir une expertise au niveau de tout le processus réglementaire aussi étendue que les collègues du Bureau du Conseil Privé et d'autres collègues du ministère de la Justice, une expertise en matière réglementaire, mais je dirais ceci. Lorsqu'on prend un règlement exempté de publication et que ce règlement exempté de publication peut créer des infractions, il faut effectivement que des moyens soient pris pour porter ces infractions à l'attention de ceux qui devront s'y conformer.

Il y a toutes sortes d'industries bien spécialisées. Pensons à l'industrie nucléaire, par exemple. Je ne dis pas que ces industries sont exemptées de publication, mais je donne à titre d'exemple l'industrie nucléaire. À ce titre, le fait de publier les exigences réglementaires techniques, complexes, scientifiques, ne serait pas d'une très grande utilité. Ce qu'il faut véritablement s'assurer, c'est que les personnes qui gèrent les centrales nucléaires soient au courant des exigences réglementaires qui s'appliquent à eux.

Il y a donc plusieurs industries et secteurs d'activités dans lesquels on procède ainsi, où il n'y a pas nécessairement d'exigence de publication. Des infractions peuvent être créées. Plusieurs autres textes existent pour lesquels il n'y a pas de publication et aucune infraction n'est créée — je l'ai souligné hier. Mais lorsque des infractions sont créées, de façon plus générale, alors qu'il n'y a pas de publication, il faut prendre d'autres moyens pour porter à l'attention de ceux qui sont régis par ces textes le contenu de la règle.

[Traduction]

La présidente: Avant d'aller plus loin, je lis l'article 133 de la Loi constitutionnelle: «Les Lois du Parlement du Canada et de la Législature du Québec devront être imprimées et publiées dans ces deux langues».

Lorsque nous lisons ensuite la partie de la Loi sur les langues officielles traitant des actes législatifs et autres, on lit, au paragraphe 7(1):

(2) Les actes qui procèdent de la prérogative ou de tout autre pouvoir exécutif et sont de nature publique et générale sont établis dans les deux langues officielles. Leur impression et leur publication éventuelles se font dans ces deux langues.

Autrement dit, la définition des instruments concernés figure dans la loi: il s'agit des instruments de nature publique et générale.

M. Tremblay: Pour que les choses soient claires, l'adjectif «éventuel» s'applique à tout le paragraphe 7(1), ainsi qu'une lecture croisée des versions anglaise et française le prouve.

Ce qu'il faut retenir, c'est que nous avons repris à l'article 6 un libellé qui correspond à ce que la Cour a dit. L'article 33 spécifiait expressément, comme on l'a fait ressortir: «... imprimées et publiées dans ces deux langues». Nous avons maintenant ajouté «édictées», soit le terme que la Cour suprême a ajouté par ses arrêts Blaikie no 1 and Blaikie no 2.

Encore une fois, notre position est qu'au coeur de l'article 133 figure l'égalité des deux langues officielles; si un acte est édicté, il doit l'être simultanément dans les deux langues officielles. S'il est imprimé ou publié — ce qui a toujours été le cas — il est imprimé ou publié dans les deux langues officielles.

L'obligation d'imprimer et de publier les lois, à notre avis, est une exigence qui a sa source ailleurs que dans l'article 133 de la Constitution, tout comme l'obligation de publier les textes réglementaires existe à cause de la Loi sur les textes réglementaires et, dans les cas où cette loi n'exige pas la publication, la Loi sur les langues officielles n'ajoute pas d'exigence de publication.

Le sénateur Fraser: Merci de votre aide, monsieur Tremblay. Pour bien comprendre, qu'entend-on par «publication»? Je trouve inconcevable que dans un régime démocratique un règlement puisse ne pas être «publié», au sens ordinaire de ce mot, c'est-à-dire communiqué à toutes les personnes concernées.

Si par publication on entend la parution dans la Gazette du Canada afin que chaque citoyen y ait accès, c'est une chose. Cependant, si par publication on entend — comme il me le semblerait — la communication à tous les intéressés, alors je ne peux comprendre comment un règlement peut ne pas être publié. Qu'en est-il?

M. Tremblay: Nous parlons de publication aux fins de la Loi sur les textes réglementaires et, par conséquent, aussi aux fins de l'article 7 de la Loi sur les langues officielles. Lorsque la loi dit qu'un règlement doit être «imprimé et publié», cela signifie la publication dans la Gazette du Canada. Par conséquent, nous avons deux catégories de textes.

Je commencerai par dire que le projet de loi rectifie le problème linguistique. Le gouvernement ne pense pas qu'il se pose un autre problème, mais il y a deux questions. Il y a d'une part la question linguistique, et d'autre part ce que j'appellerais, de façon plus générale, la question de la connaissance du droit, cette connaissance pouvant être assurée soit par la publication dans la Gazette soit par «d'autres moyens». Tant la publication officielle dans la Gazette que les «autres moyens» de porter les règlements à la connaissance des intéressés peuvent être utilisés.

Nous avons parlé aujourd'hui des règlements et décrets en Conseil de nature formelle, mais non des règlements internes qui peuvent être pris, par exemple, pour la conduite des affaires militaires. Ceux-là peuvent être couverts ou non par l'article 133 parce que, par exemple, ils ne sont pas forcément de nature générale. Il ne s'agit pas dans leur cas de savoir si l'article 133 s'applique ou non à eux. Il s'agit de savoir à quel public ils s'adressent. Ce serait rendre un mauvais service au Canada que de publier, dans la Gazette, des règles internes régissant les opérations des forces armées, mais cela n'empêchera pas que les officiers soient tenus de respecter ces normes et d'être traduits en cour martiale s'ils ne le font pas. Ils auront été informés. Ils auront reçu les copies.

Le sénateur Fraser: Dans les deux langues?

M. Tremblay: Oui, conformément aux modes de communications de la Défense nationale avec ses officiers. S'ils ont un caractère législatif — et nous revenons là dans la sphère linguistique — ces normes doivent être édictées dans les deux langues officielles et seront communiquées au personnel dans les deux langues officielles, oui.

Le sénateur Fraser: À plusieurs reprises — hier et aujourd'hui — vous avez fait état de règlements qui ne créent pas d'infraction. Pouvez-vous m'en donner un exemple? Il me semble que tout règlement qui énonce une règle — tu dois faire telle chose — signifie que la personne qui ne s'y plie pas commet une infraction quelconque. Pouvez-vous m'expliquer la distinction que vous établissez ici?

M. Tremblay: N'étant pas expert, il va falloir que je fasse des recherches.

Le sénateur Fraser: Auriez-vous un exemple hypothétique?

M. Tremblay: Il y a des normes régissant l'épaisseur et la présentation de documents dont le non-respect n'est pas sanctionné, surtout lorsque les normes sont internes à l'administration, le postulat étant qu'une fois qu'une règle est fixée, l'État se conforme à ses propres règles et possède des mécanismes internes pour en assurer le respect.

La présidente: Cela clarifie les choses pour moi. On vient de me dire que l'article 2 du projet de loi, l'article sur les définitions, définit «publication gouvernementale»,«texte législatif», «textes publiés dans les deux langues» et «édicté», mais ne définit pas «publié», lorsque ce terme est employé seul, ni «publication». Puisque «publié» apparaît seul, la Cour devra l'interpréter dans un sens différent de «publication gouvernementale» et utiliser son sens ordinaire. C'est à cela que vous vouliez en venir, sénateur Fraser. Ai-je raison?

Le sénateur Fraser: Cela nous ramène au concept.

M. Tremblay: Non. La définition ici traduit le fait que, comme on l'a vu hier, dans les années 40, pendant la guerre, il existait d'autres formes officielles de publication. Puisque nous parlons ici de règlements qui existaient avant l'obligation de publication de la Loi sur les textes réglementaires, nous avons affaire à deux concepts différents de la publication. La définition de publication de la Loi sur les textes réglementaires est celle qui prévaut actuellement, mais il n'en a pas toujours été ainsi.

Si l'on remonte à 1867, il n'y avait pas de Loi sur les textes réglementaires, mais il y a toujours eu des publications officielles sous le régime de différentes lois. Il faut donc remonter jusqu'à la Loi sur les imprimeurs officiels de 1869, et à sa version de 1950 et à sa version de 1970, cette dernière ayant été rendue redondante par l'adoption de la Loi sur les textes réglementaires au début des années 70. On trouve là différents concepts de publication, mais tous font référence à l'Imprimeur officiel de la Reine.

Le sénateur Cools: Oui, il y a différentes expressions, mais en fin de compte, il s'agit toujours de publications officielles du gouvernement, de type Imprimeur de la Reine. Il ne s'agit nullement de publications privées.

M. Tremblay: C'est juste. Les documents auxquels nous faisons référence à l'article 3 sont uniquement ceux publiés dans la Gazette du Canada. Ensuite, il y a un principe d'interprétation qui explique comment un tribunal interprétera les mots suivants «ou toute autre publication officielle». Le tribunal se saisira de l'indice donné par le premier terme, Gazette du Canada, et puis «autre publication officielle» devra forcément être quelque chose qui ressemble à la Gazette du Canada. Je n'ai pas la liste ici avec moi, mais il y a des textes qui sont intitulés «Ordonnances et règlements de guerre», remontant à 1944 et 1945, et cetera, et vous les trouverez sur les rayons de la bibliothèque. Les sénateurs peuvent aller à la Bibliothèque du Parlement et voir les volumes publiés pendant les années de guerre, qui portent des noms officiels différents mais qui étaient tous des publications officielles du gouvernement.

Le sénateur Beaudoin: Je vais commencer par citer l'article 52 de la Partie VII de la Loi constitutionnelle de 1982. Nul n'en a encore parlé, mais le voici:

La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.

Toute autre règle de droit englobe manifestement la Loi sur les langues officielles.

L'article 133 figure dans la Constitution du Canada. Il représente donc la loi suprême du Canada. Le deuxième paragraphe de l'article 133 dispose clairement que «les Lois du Parlement du Canada et de la Législature du Québec devront être imprimées et publiées dans ces deux langues». Il n'est pas question là de la Loi sur les langues officielles, qui est de nombreuses années postérieures.

S'agissant des lois du Canada, du Québec et du Manitoba — il y a plus loin une référence au Manitoba — il est très clair que ces lois doivent être «imprimées et publiées». C'est limpide. Les Lois du Parlement du Canada et du Québec doivent être imprimées et publiées en français et en anglais. Si vous voulez changer cela, il faut modifier la Constitution. Vous ne pouvez modifier cela en changement la Loi sur les langues officielles.

On ne peut assujettir l'article 133 de la Constitution à la Loi sur les langues officielles. C'est l'inverse. La Loi sur les langues officielles n'est qu'une loi. Elle est peut-être quasi constitutionnelle, mais ce n'est qu'une loi. Chaque loi est assujettie à la Constitution du Canada. Vous ne pouvez changer cela.

Vous ne pouvez interpréter la Constitution dans une loi ordinaire. D'où prendriez-vous cette autorité? Le Code civil existait en 1866 et il est en français et en anglais. Nul n'a jamais soulevé de problème à ce sujet.

La présidente: Nous ne parlons pas de lois ici, mais de règlements et d'instruments.

Le sénateur Beaudoin: Cela m'amène au deuxième argument. Nous avons une décision de la Cour suprême qui dit que les instruments délégués doivent être dans les deux langues officielles. C'est un jugement de la Cour suprême et donc un élément de la Constitution.

Je ne puis accepter que l'on modifie la Constitution au moyen d'une simple loi. La seule possibilité pour cela est que la Cour suprême, en interprétant la Constitution, constitutionnalise dans la pratique une loi.

La Loi sur les langues officielles n'a rien à voir avec cela. Les textes doivent être en anglais et en français parce que la Constitution l'impose. Vous ne pouvez modifier cela par une simple loi. Il n'y a pas d'exception. Si la Cour dit qu'un instrument délégué est de même nature qu'une loi, il faut appliquer la Constitution.

M. Tremblay: J'admets qu'il puisse y avoir un débat juridique sur ces questions.

[Français]

M. Tremblay: Ce que je peux dire au comité aujourd'hui, c'est que les avis du ministère de la Justice à cet égard sont à l'effet contraire aux vôtres.

Le sénateur Beaudoin: En deux mots, que disent-ils?

M. Tremblay: J'aimerais clarifier. Je comprends ce que vous dites lorsque vous dites que l'article 133 renvoie à la Constitution. L'article 18 de la Charte renvoie aussi à la Constitution, et l'article 52 donne primauté à la Constitution. Je n'ai nullement voulu suggérer que l'article 7 de la Loi sur les langues officielles venait en quelque façon modifier la Constitution. Je voulais simplement illustrer le fait que, depuis longtemps, le gouvernement est d'avis que l'article 133 doit s'interpréter de sorte à ne pas exiger la publication mais bien à exiger le traitement égal de l'anglais et du français, quel que soit le traitement qu'il reçoit. Par exemple, sous l'article 20 de la Charte, si un service est offert en anglais, il doit également être offert en français. Quand à savoir si un service doit être offert, ni la Loi sur les langues officielles ni la Charte ne le dicte.

Le sénateur Beaudoin: C'est la Constitution qui le dit.

M. Tremblay: Selon nous, l'article 18 et l'article 133 disent tout simplement que lorsqu'on édicte une loi, on l'édicte dans les deux langues officielles; lorsque l'on publie une loi, on la publie dans les deux langues officielles; lorsque l'on imprime une loi, on l'imprime dans les deux langues officielles. Je comprends que cette question peut être débattue. Toutefois, il est de mon devoir de vous indiquer que la Loi sur les langues officielles dit ce qu'elle dit, qu'elle est présumée valide, et que vous avez aujourd'hui devant vous un projet de loi qui prend comme point de départ chacun de ces éléments, la Loi sur les langues officielles telle qu'elle existe.

Le sénateur Beaudoin: Ce que signifie selon vous l'article 133 —

[Traduction]

«[...] devront être imprimées dans ces deux langues». Vous dites que c'est lorsqu'on a décidé ailleurs d'imprimer et de publier?

[Français]

M. Tremblay: Tout à fait.

Le sénateur Beaudoin: Mais c'est l'inverse que l'on dit. On dit que la loi doit être imprimée et publiée. Vous dites qu'elle doit être publiée et imprimée en français et en anglais lorsque l'on dit dans une autre loi qu'elle doit être publiée. Mais vous changez complètement la Constitution.

M. Tremblay: Il n'est pas nécessaire que ce soit dit dans une autre loi. Je ne suis pas en mesure d'exposer toutes les facettes et avis juridiques du ministère de la Justice. Je vous ai déjà dit que la position du ministère de la Justice à l'égard de l'interprétation de l'article 133 est à l'effet que l'article 133 a trait aux textes, aux actions telles qu'elles existent. Le pouvoir du Parlement d'adopter une loi ne vient pas de l'article 133 non plus. Le pouvoir du Parlement d'adopter une loi vient d'ailleurs. Ainsi, quand l'article 133 dit que le Parlement adopte les lois, il ne dit pas seulement que le Parlement adopte les lois, il dit que le Parlement adopte les lois dans les deux langues officielles. De la même façon, l'article dit que le Parlement publie les lois dans les deux langues officielles, le Parlement imprime les lois dans les deux langues officielles. Je vous rappelle que le projet de loi qui est devant vous ne dépend pas de la résolution de cette question, qui est beaucoup plus vaste et fort complexe.

Le sénateur Beaudoin: Avec le plus grand respect pour les juristes, lorsqu'on dit ici qu'en 1867 les lois à Ottawa et à Québec devaient être publiées dans les deux langues, ils n'ont jamais pensé qu'un jour un ministère déciderait que ce sera quand il y aura des droits linguistiques et quand il y aura des lois qui vont permettre la publication. Ils ont simplement dit, c'est un pays où il y a deux langues sur le plan législatif. C'est tout ce qu'ils ont dit. Je me demande comment on peut ajouter au deuxième paragraphe sans aller contre la Constitution. Seul un amendement constitutionnel pourra faire cela.

[Traduction]

La présidente: J'espère sincèrement que lorsque les fonctionnaires du ministère de la Justice reviendront ils pourront répondre à cette question et clarifier la chose.

[Français]

Le sénateur Joyal: C'est sur le même sujet, madame la présidente. J'apprécie les efforts faits par M. Tremblay pour tenter de déterminer les différents niveaux d'obligation d'adopter ou d'édicter et de publier. Je comprends que lorsqu'on adopte ou qu'on édicte, on imprime et il y a un texte. L'activité réglementaire se fait strictement par un texte. Alors pour que ce texte soit valide, il faut que le texte existe dans les deux langues. Je crois qu'on s'entend facilement sur ce point.

Il y a dans la Constitution un élément qui indique très clairement que ce texte sera publié dans la Gazette Officielle du Canada ou par d'autres moyens, une circulaire, par exemple, et que ce doit être fait dans les deux langues officielles.

L'article 4(3)b) dit que nul ne peut être condamné pour une infraction si:

b) il est prouvé que des mesures raisonnables ont été prises pour que la substance du texte législatif qu'il remplace soit portée à la connaissance de cette personne avant la violation.

La substance du texte législatif ou réglementaire doit nécessairement être dans les deux langues. Je reprends votre exemple de tantôt en ce qui a trait aux activités relatives à l'industrie nucléaire. Supposons qu'on adopte un règlement qui n'est d'intérêt que très limité pour un groupe de personnes déterminé et qu'il est déterminé dans le statut que le texte sera publié, sans toutefois préciser de quelle façon. On ne dit pas qu'il sera publié dans la Gazette du Canada. Si le texte dit qu'il est publié dans la Gazette du Canada, on sait qu'il doit paraître dans la Gazette du Canada. Si le texte dit simplement, «doit être publié», il est certain que le mot «publication» signifie une impression du texte et une distribution du texte — c'est ce que ma collègue le sénateur Fraser tentait d'exprimer un peu plus tôt.

On ne peut pas accuser une personne au Canada d'avoir enfreint à un règlement si le texte que l'on a porté à sa connaissance ou qui est présumé avoir été porté à sa connaissance, n'existe pas dans les deux langues.

M. Tremblay: Je crois être d'accord avec vous, mais pour m'assurer de bien comprendre, je vais reprendre en mes propres mots ce que je crois avoir été la teneur de vos propos.

Je précise d'abord qu'un texte de loi fédérale, un texte législatif ou réglementaire publié, à mon avis, implique nécessairement la publication au moyen de la Gazette du Canada. La Loi sur les textes réglementaires est la seule qui contrôle cette publication dite officielle. Elle comporte également à présent, si je ne m'abuse — car je sais que les modifications sont relativement récentes — un élément de publication sur Internet, car nous oeuvrons aujourd'hui dans ce monde nouveau.

Je crois qu'essentiellement, ce que vous dites, c'est que le texte doit avoir été édicté dans les deux langues officielles pour respecter l'exigence constitutionnelle. C'est ce que vise les articles 3 et 4 du projet de loi: assurer une fois pour toute que ce soit le cas de tous les textes.

Acceptons, pour les fins de la discussion, que la technique est valide et efficace, c'est-à-dire que l'on peut incorporer par renvoi, de façon générale, et donner un effet rétroactif. Les textes, malgré leurs défauts potentiels, seraient consédérés, pour les fins du droit, comme ayant été établis dans les deux langues officielles. Ils sont donc valides, selon nous, au titre de l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 telle qu'on l'interprète. Ils sont valides et suivent les prescriptions de la Loi sur les langues officielles de 1988, telles qu'elles sont spécifiquement énoncées — c'est-à-dire que le texte a été pris. S'il n'a pas été publié, encore une fois, on s'en remet au texte de la Loi sur les langues officielles. S'il a été publié et imprimé, il doit être publié et imprimé dans les deux langues. S'il n'est pas publié ou imprimé, forcément, il n'a pas à être publié ou imprimé dans les deux langues officielles, mais le texte existe dans les deux langues officielles. Donc, lorsque l'article dit que:

[...] des mesures raisonnables ont été prises pour que la substance du texte législatif qu'il remplace soit portée à la connaissance de cette personne [...]

...on passe à une autre notion. On ne parle plus de cette notion de publication ou d'impression. On fait allusion à un autre concept de droit qui est la connaissance. Ce concept a son pendant en droit criminel, par exemple, le mens rea et l'actus reus — la connaissance du fait de ce qu'on faisait. Mais la connaissance est un concept en droit et ne soulève pas de droits linguistiques.

Je peux vous dire que si vous faites telle ou telle chose, vous serez en contravention à un règlement fédéral; vous hochez de la tête et comprenez que ce que vous allez faire vient d'être porté à votre attention, et vous avez connaissance de la substance de l'infraction que l'on pourra éventuellement vous reprocher. Vous n'avez pas vu un texte publié, mais vous en avez connaissance. Vous auriez également connaissance de la substance de cette infraction — à tout le moins, on pourrait dire que vous en auriez connaissance — étant donné votre connaissance de l'anglais. Ainsi, sénateur, vous en auriez connaissance si je vous exposais la substance de cette infraction, mais en langue anglaise.

Ce sont donc des points qui n'ont pas trait au droit linguistique. Ils ont trait aux critères de justice fondamentale qui se retrouve ailleurs, dans d'autres contextes — dans le droit criminel, par exemple. Ces critères sont des répétitions de ce qu'il y avait dans la Loi sur les textes réglementaires.

[Traduction]

La présidente: Monsieur Tremblay, pour un court résumé de ce que disait le sénateur Joyal — cela commence à être long — vous pourriez peut-être nous communiquer quelque chose par écrit.

[Français]

Le sénateur Rivest: Je ne suis pas tout à fait d'accord avec mon collègue. Je crois qu'effectivement l'article 133 est une disposition linguistique qui ne fonde pas une obligation pour le Parlement du Canada ni pour la législature du Québec d'adopter des lois, de publier des règlements et de les imprimer. La meilleure preuve est que l'on a adopté des positions analogues au Nouveau-Brunswick lorsqu'on a donné un statut bilingue à cette province. On retrouve dans le texte de loi la même formulation qu'à l'article 133 sur l'exercice du pouvoir réglementaire. Avant que l'on rende bilingues les procédures parlementaires au Nouveau-Brunswick, l'Assemblée législative du Nouveau-Brunswick avait le pouvoir d'adopter des lois, d'adopter des règlements de les imprimer et de les publier selon leur désir.

En ce sens, à mon avis, l'article 133 n'est qu'une simple disposition. Elle est importante, fondamentale et constitutionnelle, mais elle garantit l'égalité linguistique entre le français et l'anglais. On aurait pu ajouter le chinois, par exemple, si on avait une autre loi. Cela aurait été tout à fait dans le cadre de l'article 133, c'est-à-dire de nature purement linguistique et qui, à mon avis, ne fonde pas le droit pour le Parlement du Canada ou pour la législature du Québec d'adopter des lois, d'adopter des règlements et de les imprimer. Je crois qu'il s'agit là de d'autres fondements juridiques. C'est un peu l'interprétation du ministère de la Justice, si j'ai bien compris. Je crois que c'est la règle et c'est ce qu'on a fait au Nouveau-Brunswick récemment.

Malgré toute la vigueur de l'argumentation du sénateur Beaudoin, je crois qu'il s'agit donc d'une disposition linguistique. Et nous aurons de l'information additionnelle à ce sujet de la part du ministère.

[Traduction]

Le sénateur Beaudoin: Puis-je poser encore une question? Si le sénateur Rivest a raison, cela signifierait que nous pourrions avoir au Québec des lois en anglais seulement.

La présidente: Excusez-moi, sénateurs, vous pourrez débattre entre vous tant que vous voudrez en dehors du comité. Le temps passe et je suis sûre que nous mettons à rude épreuve la patience de nos témoins du Bureau du Conseil privé.

Le sénateur Cools: Je suis un peu troublée. En substance, on nous dit que le dernier paragraphe de l'article 133 de la Loi constitutionnelle devrait se lire comme si les mots «devront être imprimées et publiées» signifiaient «devront être édictées, imprimées et publiées», ce que la Cour suprême du Canada n'avait pas le pouvoir de faire, à mon avis. Je sais que ce sont là des relations de pouvoir plus que tout autre chose, et si la Cour fait une chose et que le gouvernement l'accepte, très bien.

Je crois savoir que la Loi constitutionnelle n'a jamais été édictée en français. Elle n'a jamais été édictée en deux langues. Je commence à m'interroger sérieusement sur les limitations de ce processus. Quel serait l'impact de cette doctrine, voulant que tout soit édicté dans les deux langues, sur la Loi de l'Amérique du Nord britannique, puisque, monsieur Tremblay, vous en faites une application rétroactive?

M. Tremblay: Le projet de loi qui vous est soumis aujourd'hui n'a absolument aucun effet sur la Loi constitutionnelle de 1867, puisque le projet de loi ne porte que sur les textes législatifs tels que définis et que la Loi constitutionnelle de 1867 estde nature différente, bien évidemment.

Le sénateur Cools: Je le savais. Vous n'aviez pas à user du peu de temps qui nous reste pour me le dire. Je connais très bien la nature de la Constitution.

Je parlais de votre concept constitutionnel de la signification de l'article 133, à long terme. Quel effet a-t-il, légalement et politiquement, sur toutes les lois antérieures qui, pendant un siècle ou deux, n'ont été édictées qu'en anglais? Je sais parfaitement bien ce que dit le projet de loi. Je parle plutôt de l'impact d'un tel point de vue sur tout le système de gouvernance. Nous qui sommes ici, nous voyons comment le droit a évolué ces dernières années.

M. Tremblay: Je me trompe peut-être et arrêtez-moi si c'est le cas. La législation canadienne a toujours été adoptée, édictée, imprimée et publiée dans les deux langues officielles. C'est clair depuis 1867.

Le sénateur Cools: Je qualifierais cela plutôt d'initiative politique. C'est une simple affaire de bonne gouvernance. Cependant, vous allez plus loin que cela. Vous constitutionnalisez et vous dites que la Constitution dit autre chose.

M. Tremblay: Sauf votre respect, je pense que l'esprit de ce projet de loi n'est pas de constitutionnaliser, mais simplement de respecter la Constitution, de remplir les exigences formulées par la Cour suprême.

Le sénateur Cools: L'esprit de ce projet de loi est d'édicter rétroactivement des règlements, et c'est une affaire très sérieuse que l'on ne peut prendre à la légère.

Que se passe-t-il si les parlementaires commencent à modifier les dispositions? Comment peut-on faire ce genre de choses rétroactivement? C'est dangereux, honorables sénateurs. Il faut y réfléchir de très près. J'ai de nombreuses réserves lorsqu'on parle d'édicter rétroactivement des mesures remontant à 100 ans. Cela me rend nerveuse. Pendant que l'on y est, pourquoi ne pas réédicter la Loi sur l'Amérique du Nord britannique et quelques autres lois?

La présidente: Merci, sénateur Cools.

Le sénateur Cools: J'attire l'attention du comité car ce sont des affaires graves.

La présidente: Les questions ont été posées, monsieur Tremblay, et j'espère que lorsque vous reviendrez, vous aurez des réponses claires et solides.

La séance est levée.


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