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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 2 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 21 mars 2001

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 15 h 45 pour examiner la situation du système de santé au Canada.

Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Nous avons quelques minutes de retard et comme plusieurs témoins sont déjà là et que nous avons le quorum, je pense que nous devrions commencer. Avant cela, je veux souhaiter la bienvenue aux élèves du Forum pour les jeunes Canadiens, qui sont venus observer le travail de notre comité. Ils vont passer une semaine à étudier le Parlement et le gouvernement. Je ne sais pas pourquoi, mais chaque fois que j'entends dire que quelqu'un étudie le Parlement et le gouvernement, je ne peux m'empêcher de me rappeler ce qu'avait l'habitude de dire Hugh Segal, qui représentait le Parti conservateur dans une émission de télévision que nous faisions ensemble. Il disait que la constitution canadienne promettait au peuple la paix, l'ordre et le bon gouvernement et qu'avec les libéraux au pouvoir, on en avait au moins un des trois. C'est par ces mots qu'il commençait tous nos débats.

Chers collègues, nous allons poursuivre l'étude du système de santé en nous consacrant plus particulièrement, au cours des deux prochains mois, aux facteurs responsables de l'augmentation du coût des soins de santé.

Nous recevrons deux groupes de témoins cet après-midi. Le premier est composé de représentants de Statistique Canada et de l'Institut canadien des actuaires. Le sigle de cette organisation en anglais est CIA, ce qui va être intéressant à lire dans nos procès-verbaux. Ces gens-là vont nous entretenir des changements démographiques constatés au Canada. On entend souvent dire que le vieillissement de la population fait grimper les coûts de la santé. Aujourd'hui, nous allons essayer de nous faire une idée de la gravité de ce phénomène et de ses répercussions sur le financement des soins de santé.

Notre deuxième groupe de témoins sera constitué du Conseil consultatif national sur le troisième âge et du Conference Board du Canada. Le Conference board est en train d'effectuer une vaste étude sur les aspects économiques du secteur des soins de santé et j'ai l'impression que nous allons trouver sa présentation très intéressante.

Commençons donc par les gens de Statistique Canada. Merci d'avoir pris le temps de venir nous rencontrer.

M. Réjean Lachapelle, directeur, Direction de la démographie, Statistique Canada: Honorables sénateurs, merci de votre invitation.

Nous n'aborderons ici qu'une partie des enjeux que vous serez amenés à considérer dans votre étude du système de soins de santé. Il nous est apparu important de nous concentrer sur les changements démographiques, en particulier sur le vieillissement de la population. De plus, nous examinerons sommairement deux autres sujets: la santé des personnes âgées et la capacité de la société canadienne de subvenir aux besoins d'une population vieillissante.

Le vieillissement de la population correspond à un rythme d'accroissement plus du nombre de personnes âgées ou, ce qui est équivalent, à une augmentation de la proportion que représente la population âgée. Le phénomène n'est pas nouveau dans les pays développés. Ainsi, au Canada, la proportion des personnes âgées de 65 ans ou plus est passée de 5 p. 100 en 1921 à 8 p. 100 en 1951.

À l'époque, on attribuait à tort cette augmentation à la baisse de la mortalité. En fait, le vieillissement de la population découlait plutôt de la réduction de la fécondité: le nombre de jeunes s'accroissait plus lentement que la population âgée. Quant à la baisse de la mortalité, elle contribuait à atténuer le vieillissement, puisque au cours de cette période elle touchait surtout les enfants.

La semaine dernière, nous avons diffusé nos projections démographiques, dont vous devriez avoir reçu copie. Elle propose une gamme de scénarios touchant l'évolution future de la population du pays. Tous les scénarios aboutissent à un vieillissement démographique important.

Selon le scénario moyen, la proportion que représente la population de 65 ans et plus devrait poursuivre sa hausse régulière jusque vers 2010 où elle atteindrait 14 p. 100. Par la suite, l'évolution devrait s'accélérer avec le franchissement du cap des 65 ans par les baby-boomers, de 2011 à 2031.

À la fin de la période, en 2031, la proportion des personnes âgées de 65 ans ou plus atteindrait 24 p. 100. Dans les vingt années suivantes, cette grandeur ne progresserait que de 2 points, pour atteindre 25 p. 100 en 2051, ce qui est très proche de la proportion limite, soit 25,6 p. 100. Cette proportion limite découle uniquement des hypothèses du scénario et ne dépend pas des conditions initiales.

[Français]

À l'horizon de 2025 ou de 2030, les résultats du scénario moyen relatifs à la composition par âge sont assez robustes à condition, bien entendu, de les considérer comme étant des ordres de grandeur. Cela s'explique par le rôle prépondérant qu'y joue la répartition par âge de la population au point de départ, en particulier le poids relatif de la génération du baby-boom. Les hypothèses touchant l'évolution future des phénomènes démographiques ne peuvent donc provoquer que de légères variations sur, par exemple, la proportion que représente la population de 65 ans et plus. En 2031, suivant les variations introduites dans nos hypothèses, cette proportion pourrait s'échelonner de 22,7 à 24,2 p. 100.

Le vieillissement démographique affecte non seulement l'ensemble de la population, mais aussi la population âgée. On relève en effet une hausse de la proportion des personnes âgées de 85 ans ou plus dans la population des 65 ans et plus. Elle passe de 8 p. 100 en 1971 à 11 p. 100 en l'an 2000 et à 14 p. 100 en 2011. Au cours des 15 années suivantes, le vieillissement de la population âgée diminue quelque peu cependant à cause de l'arrivée des baby-boomers dans le groupe des 65 à 84 ans: la proportion des personnes très âgées chute donc à 12 p. 100 en 2026. Elle augmente par la suite jusqu'à atteindre 21 p. 100 en 2051, les baby-boomers qui subsistent ayant alors tous 85 ans ou plus.

Notre analyse de l'évolution passée et future du vieillissement de la population repose sur une hypothèse implicite, celle de l'invariance de l'âge qui définit la borne inférieure de la population âgée. On a adopté 65 ans, âge à partir duquel les Canadiens et les Canadiennes ont droit, à certaines conditions, aux prestations de la sécurité de la vieillesse. C'était aussi il y a encore quelques décennies l'âge moyen de la retraite. Et depuis, cet âge a eu tendance à diminuer. Il s'ensuit que les chiffres présentés sous-estiment sans doute la proportion de la population qui a dépassé l'âge moyen à la retraite. À l'inverse, l'espérance de vie à 65 ans a progressé au cours du siècle, de 11 ans en 1901, à 16 ans en 1996 chez les hommes et chez les femmes de 12 ans à 20 ans au cours de la même période. Cela donne à penser que le seuil de la vieillesse, c'est-à-dire l'âge de l'affaiblissement des fonctions physiologiques conduisant à la dépendance, aurait progressé au fil du temps, tendance qui atténuerait, si on en tenait compte, la hausse du vieillissement de la population. Pour mieux cerner la situation, il convient d'examiner les conditions de santé de la population âgée.

M. Jean-Marie Berthelot, chef, groupe d'analyse et de modélisation de la santé, division des études sociales et économiques, Statistique Canada: Concernant la santé des personnes âgées, si les tendances des 20 dernières années se maintiennent, la santé des Canadiens et des Canadiennes âgés ne devrait pas se détériorer. Par contre, en raison du vieillissement démographique, on peut s'attendre à une augmentation des besoins. Toutefois, en raison de l'amélioration probable de l'état de santé, cette augmentation pourrait être moins grande que ce qui est estimé en utilisant uniquement des projections démographiques.

En 1996, environ 95 p. 100 des personnes âgées de 65 ans ou plus vivaient à domicile et 5 p. 100 en établissement de soins de longue durée. Les personnes âgées vivant à domicile étaient en moyenne 10 ans plus jeunes que celles vivant en établissement de soins de santé de longue durée.

En 1996-1997, près de 80 p. 100 des personnes âgées de 65 ans et plus ont indiqué avoir une santé excellente, très bonne ou bonne et près de 70 p. 100 ont déclaré n'avoir aucune limitation prolongée des activités.

Entre 1986 et 1996, l'espérance de vie sans dépendance à 65 ans a augmenté significativement, passant de 12 à 12,7 années et de 12,7 à 13,5 années pour les hommes et les femmes respectivement. Quant à l'espérance de vie avec dépendance, elle a peu varié. En conséquence, la proportion des années vécues sans dépendance a augmenté.

L'étude des facteurs associés au vieillissement étant très vaste, nous nous concentrons sur les déterminants de la perte d'autonomie chez les personnes âgées. Il a été déterminé que les principaux facteurs associés à la perte d'autonomie sont l'âge, le fait d'être une femme, un faible revenu, un faible niveau d'éducation, la consommation de tabac, l'inactivité physique et le fait d'être atteint de certaines maladies chroniques.

Nous avons observé que l'espérance de vie et l'espérance de vie sans incapacité pour les Canadiens et les Canadiennes présentement âgées de 45 ans varient considérablement en fonction de leurs habitudes de vie. Par exemple, pour les hommes fumeurs, l'espérance de vie et l'espérance de vie sans incapacité à 45 ans est de 28,1 et de 17,8 années respectivement, comparativement à 35,5 et 24,8 années pour les non-fumeurs.

En ce qui a trait aux déterminants de la santé, on note que la génération actuelle des 45 à 64 ans a un niveau d'éducation plus élevé, a moins fumé et compte une proportion plus élevée de personnes ayant des revenus d'emploi (principalement grâce à la plus grande participation au marché du travail des femmes) que les générations précédentes.

De plus, l'état de santé de la génération actuelle des 45 à 64 ans est meilleur que celui d'il y a 20 ans. La prévalence de l'arthrite et des rhumatismes, de l'hypertension, des maladies cardiaques, de la bronchite et de l'emphysème, ainsi que la limitation des activités a diminué d'une génération à l'autre. On note toutefois une augmentation de l'asthme et du diabète. Au cours des 20 dernières années, à quelques exceptions près, la direction des tendances observées a été la même pour les hommes et pour les femmes, tant pour les problèmes de santé chronique que pour la limitation des activités.

[Traduction]

La capacité future de la société canadienne à subvenir aux besoins d'une population vieillissante dépend à la fois des besoins des personnes âgées, du mode de prestation des services et de la capacité financière de l'ensemble de la société. Il est impossible de prédire l'évolution future de tous ces facteurs. Toutefois, il est possible, en utilisant différentes hypothèses, de faire des projections et des simulations. Il est aussi possible de comparer notre situation actuelle avec celles d'autres pays ayant une population plus âgée.

Lorsque l'on compare la proportion de personnes âgées de 65 ans ou plus et les dépenses de santé en pourcentage du produit intérieur brut (PIB) pour les pays industrialisés, on ne note aucune association entre les deux variables. Par exemple, les États-Unis dépensent près de 14 p. 100 de leur PIB en soins de santé, mais ont moins de 13 p. 100 de citoyens âgés, tandis que la Suède dépense moins de 9 p. 100 de son PIB en soins de santé, alors qu'elle a 17 p. 100 de citoyens âgés.

De plus, l'espérance de vie à 65 ans des Suédois est supérieure à celle des Américains, autant pour les hommes que pour les femmes. Selon certaines études, l'augmentation, au Canada, des coûts du système de soins de santé au cours des 30 dernières années est principalement due à l'accroissement du coût unitaire et non au vieillissement démographique.

La génération du baby-boom pourrait bénéficier à sa retraite d'une diversité de revenus et d'une capacité financière accrue. La participation des femmes au marché du travail, par génération, a été en augmentation constante depuis celles qui sont nées dans les années 20 et semble s'être stabilisée dans les générations nées au cours des années soixante.

Il y aura donc, dans l'avenir, une plus grande proportion de la population âgée qui pourra bénéficier du Régime de pensions du Canada ou du Régime des rentes du Québec. La participation à des régimes privés de pension agréés par les salariés a toutefois diminué depuis 1983 chez les hommes, chutant de 52 p. 100 à 42 p. 100, mais a augmenté chez les femmes, passant de 36 p. 100 à 39 p. 100.

Les retraités misent de plus en plus sur leur revenu de retraite et sur leur épargne personnelle. En 1971, le revenu provenant du Régime de pensions du Canada et du Régime des rentes du Québec ainsi que des régimes privés ne représentait que 14 p. 100 du revenu total des femmes de 65 à 69 ans et 19 p. 100 de celui des hommes du même groupe d'âge. En 1997, les chiffres correspondants atteignaient respectivement 36 p. 100 et 46 p. 100.

Le vieillissement démographique résultera, certes, en une augmentation de la proportion de personnes âgées, en une réduction de la proportion d'enfants dans la société, mais aussi en une variation des sources de revenus pour les gouvernements. Une étude réalisée par Wolfson et Murphy en 1997 traite du vieillissement de façon globale, en tenant compte simultanément de l'évolution des besoins, sous forme de services ou de transferts monétaires, et de l'évolution des revenus fiscaux, dans différents scénarios de projection. Cette étude conclut que le vieillissement démographique n'est qu'un des déterminants importants. Par exemple, une augmentation hypothétique des coûts unitaires pour les services de santé et d'éducation à un taux annuel de 1 p. 100 supérieur à l'augmentation des salaires aura un effet aussi important que le vieillissement démographique d'ici 2036. Une augmentation moyenne de la productivité de 1 p. 100 accroîtrait les revenus fiscaux de façon significative et permettrait de financer le vieillissement, l'augmentation des coûts unitaires et même de dégager un surplus fiscal. De plus, cette étude indique que la contribution fiscale des personnes âgées va, elle aussi, augmenter, et qu'une partie importante des dépenses publiques associées au vieillissement sera assumée par les personnes âgées elles-mêmes.

Nous vous remercions de votre attention, et nous serons heureux de répondre à vos questions.

Le président: Comme nous préférons poser des questions à tous les témoins, à la fin, nous allons entendre M. Oakden, président de l'Institut canadien des actuaires.

M. David Oakden, président, Institut canadien des actuaires: Je vais commencer et M. Brown vous présentera ensuite l'essentiel de notre exposé. Le professeur Brown, président sortant de l'Institut, a signé de nombreux articles sur l'importance du vieillissement de la population et de son effet sur les soins de santé et les fonds de retraite. Je suis accompagné de deux membres du Comité sur les pratiques en soins de santé: M. Leach, qui en est le président, et M. Ferguson qui en est un des membres.

Par ailleurs, nous allons nous appuyer sur des transparents dont nous vous avons fait remettre des versions imprimées sur lesquelles vous pourrez prendre des notes.

Comme l'indique cette citation, le financement de l'assurance-maladie est effectivement très complexe. J'espère qu'on n'en dira pas autant de notre exposé. Notre intention est de jeter un peu de lumière sur les aspects qui nécessitent davantage de recherches. Je vais maintenant brièvement vous commenter les principales constatations de notre rapport.

Nous avons d'abord constaté que le vieillissement contribue effectivement à l'augmentation des coûts des soins de santé, mais ce n'est pas le plus important facteur à ce chapitre, puisqu'on retrouve le développement de médicaments, de technologies et de procédures médicales, ainsi qu'un niveau d'attente plus élevé chez les Canadiennes et les Canadiens.

Il faut bien comprendre les liens existant entre ces divers facteurs de coûts pour être en mesure d'évaluer les différentes solutions susceptibles de nous permettre de sauver l'assurance-maladie.

Nous avons, par ailleurs, constaté qu'à cause de l'absence de données valables sur les coûts, il est très difficile de se livrer à des prévisions à long terme à propos des coûts de l'assurance-maladie. Il faudra donc produire des données plus utiles, parce qu'il est impossible de gérer ce qu'on ne peut pas mesurer.

Troisièmement, nous croyons que le problème de l'assurance-maladie réside davantage dans la façon dont le programme est conçu qu'à un manque de fonds. Nous n'arriverons pas à résoudre le problème des coûts tant que nous ne changerons pas, en profondeur, l'attitude et les comportements des Canadiens. Nous pourrions y parvenir en reprenant les mêmes mécanismes que ceux adoptés par la plupart des pays industrialisés, notamment en appliquant les tickets modérateurs, les quotes-parts et les franchises.

Quatrièmement, un tiers environs de tous les coûts associés aux soins de santé au Canada sont financés par le privé. À moins que le gouvernement augmente considérablement ses dépenses dans ce domaine, ce que nous pensons peu probable, il faut s'attendre à ce que le secteur privé continue de jouer un rôle très important. Je crois que ce comité est une excellente occasion de déterminer la répartition idéale de services et de financement entre le secteur public et le secteur privé.

En outre, le secteur public pourrait toujours s'inspirer des techniques de contrôle des coûts en vigueur dans le secteur privé. On songera, à cet égard, à un exemple récent, celui du «triage par téléphone», qui a été adopté par le secteur privé et qui est maintenant utilisé dans plusieurs provinces pour maîtriser les coûts.

Cinquièmement, à la façon dont le système est actuellement structuré, c'est la population active qui paie pour les frais de santé des personnes âgées. En général, ce sont les personnes de moins de 65 ans qui paient pour leurs aînés. Avant que les baby- boomers ne prennent leur retraite, ils devront peut-être financer d'avance une partie des prestations qu'ils utiliseront par la suite, à la fois pour maintenir l'équité entre les générations et pour stabiliser le fardeau que les coûts de soins de santé pourrait faire peser sur la population active.

Étant donné que les soins de santé financés par les deniers publics se comparent, en importance, à ceux assumés par le RPC et le RRQ, nous estimons important d'examiner annuellement ou périodiquement les coûts de l'assurance-maladie.

Je vais maintenant demander à M. Brown de vous parler un peu plus de ce que nous avons à dire du vieillissement de la population.

M. Rob Brown, professeur, Université de Waterloo, membre de l'Institut canadien des actuaires: Je me propose donc, aujourd'hui, de vous parler plus particulièrement du vieillissement de la population. Vous constaterez que la majorité de nos remarques va tout à fait dans le sens de celles de Statistique Canada, ce qui n'a rien d'étonnant. Je vais commencer par vous montrer que le Canada, malgré sa population vieillissante, demeure un des pays les plus jeunes du monde. Bien des pays européens industrialisés nous devancent de beaucoup quant au pourcentage de leur population âgée de 65 ans et plus. Si l'on retient cette définition de population vieillissante, ce n'est que dans 15 ou 20 ans que l'on ressentira vraiment l'incidence du basculement démographique sous l'effet d'une utilisation plus importante du réseau de santé par les baby-boomers. Nous pourrions donc apprendre en examinant la situation dans les autres pays industrialisés.

Ce faisant, comme le représentant de Statistique Canada l'a mentionné, il n'existe aucune corrélation entre l'âge d'une population et le pourcentage de PIB consacré aux soins de santé. Comme cela a également été dit, les États-Unis ont une population jeune, mais les dépenses des Américains en soins de santé sont disproportionnées par rapport à leur produit national brut. La Suède est un pays beaucoup plus vieux, mais il est parvenu à se doter d'un système beaucoup plus économique, quant au niveau de financement des soins de santé en regard du produit national brut.

Cette diapositive vous montre que le vieillissement de la population n'est ni la cause, ni la force motrice des dépenses en santé.

Ce transparent montre l'augmentation des dépenses de soins de santé par rapport au vieillissement de la population. Encore une fois, vous pouvez constater qu'il n'existe pas forcément de corrélation entre le vieillissement de la population et l'augmentation des dépenses en soins de santé. Les pays indiqués ici disposent d'autres mécanismes pour contrôler les coûts. La documentation nous apprend que le matériel de haute technologie, l'utilisation de médicaments et les niveaux de service offert à la population sont des facteurs de coût beaucoup plus importants. À cet égard, notre problème tient au fait que nous sommes voisins des États-Unis dont le système est le plus coûteux du monde. Certes, ceux qui en ont les moyens peuvent obtenir des soins de santé nouveaux, faisant appel à la haute technologie, même si rien ne prouve qu'ils sont efficaces.

Résultat: nos concitoyens s'attendent à bénéficier des mêmes services que ceux offerts aux États-Unis, sans pour autant dépenser 14 ou 15 p. 100 du PIB.

Il faut se demander pourquoi le vieillissement de la population est aussi souvent invoqué comme cause d'augmentation des coûts des soins de santé. Nous pensons que cette diapositive, qui établit une ventilation des dépenses dans les dernières années de vie, répond en grande partie à cette question. Ce n'est pas une diapositive très réjouissante, mais si l'on s'en tient à l'analyse statistique, on peut se demander si notre système de soins de santé est effectivement un système d'assurance dans l'antichambre de la mort.

Nous consacrons 50 à 70 p. 100 des coûts de soins de santé dans les dernières années de vie, juste avant le décès. On estime que jusqu'à 50 p. 100 des dépenses de toute une vie à ce chapitre interviennent juste avant la mort.

Est-ce ainsi que nous voulons continuer d'administrer notre système? Si l'on part du principe que ces chiffres sont des constantes, il est vrai que le vieillissement de la population est la principale cause d'augmentation des coûts de santé, mais ces coûts n'augmentent pas aussi rapidement que le pourcentage de la population âgée, comme le représentant de Statistique Canada l'a souligné, parce qu'on ne meurt qu'une seule fois. Dès lors, le pourcentage de population se situant dans ce groupe d'âge, qui utilise davantage les soins de santé, va augmenter plus rapidement que le pourcentage de personnes traitées juste avant leur décès.

Les coûts des soins de santé prodigués aux personnes âgées qui ne sont pas à l'article de la mort ne sont pas disproportionnés. C'est juste avant son décès qu'une personne coûte le plus au système. Voyez les ratios ici, qui indiquent qu'une personne décédant dans l'année coûte de 4,4 à 10 fois plus que celle qui demeure en vie.

Voici un exemple encore plus convaincant qui montre les effets du «testament euthanasique» ou de la «déclaration de volonté» par laquelle le patient indique au médecin qu'il ne veut pas que celui-ci déploie des efforts extraordinaires pour le maintenir inutilement en vie. Il est prouvé que dans les pays où ce genre de document est légalement admis, les coûts sont réduits de trois à quatre fois.

Ce n'est certes pas un débat facile, mais nous pensons qu'il est essentiel. Devrions-nous reconnaître légalement les testaments euthanasiques ou déclarations de volonté?

L'Institut canadien des actuaires juge qu'il est injuste et inapproprié de s'en remettre entièrement aux professionnels de la santé, aux médecins, pour qu'ils prennent des décisions au coup par coup, surtout s'il peut y avoir des répercussions juridiques. Ce genre de décision doit être prise par les parlementaires, après un débat ouvert, public, et il faut accorder une protection juridique aux médecins.

Pour résumer nos constatations et pour me limiter aux seuls aspects du vieillissement de la population, je dirai que le fait de vouloir à tout prix mettre le problème sur le compte du vieillissement de la population est une illusion nécessaire. Autrement dit, les gens pourront continuer de dire qu'ils n'ont pas la solution, que l'augmentation des coûts est due au vieillissement de la population, phénomène inévitable. Dès lors, il faudra trouver plus de fonds.

Eh bien, nous ne sommes pas d'accord. Nous croyons qu'il existe effectivement des méthodes pour contrôler les coûts des soins de santé. Nous croyons en la possibilité d'adopter des incitatifs visant à favoriser le contrôle des coûts par les patients, les médecins et les hôpitaux, par la volonté du gouvernement, puisque nous avons des exemples nous prouvant, ailleurs dans le monde, que cela fonctionne.

Le fait de ne retenir que le vieillissement de la population comme cause de l'augmentation des dépenses de soins de santé, risque de faire diversion et de nous détourner des autres choix nécessaires. Cependant, ces choix d'aller à l'encontre des intérêts des groupes de professionnels et de politiciens qui comparaissent devant vous.

Certains de ces groupes viendront vous dire que l'augmentation des coûts est inévitable et que vous devez leur fournir plus de fonds. L'Institut canadien des actuaires ne demande pas d'augmenter le financement du système de santé. Nous espérons vous aider en jetant un peu de lumière sur toutes ces questions.

Que pourrions-nous faire pour vous? Que souhaiterions-nous faire pour vous?

Nous aimerions vous aider à décider du genre de données à recueillir et de la forme sous laquelle les présenter. Nous aimerions vous aider dans cette analyse initiale.

Soit dit en passant, nous nous livrons déjà à ce genre d'exercice pour les 30 p. 100 de soins de santé payés par le secteur privé. Nous étudions et analysons les données, effectuons la tarification et créons des modèles de politique.

Deuxièmement, nous aimerions vous soumettre des principes d'assurance de base que vous pourriez appliquer au système public pour économiser et pour le rendre plus efficace et plus efficient.

Troisièmement, quand des données existent, nous pourrions vous aider à mettre en lumière les vieux mythes qui sont peut-être responsables de la perception du public -- comme celui dont nous avons parlé aujourd'hui, à savoir que le vieillissement de la population pousse inévitablement les coûts des soins de santé à la hausse.

Quatrièmement, nous aimerions établir des ratios actuariels coûts-bénéfices pour aider le Parlement à décider des procédures qui devraient être couvertes par l'État et de celles qui devraient être laissées au soin du secteur privé. Nous estimons que cette façon de faire serait beaucoup plus logique et efficace que de limiter le nombre de lits et le nombre de médecins.

Cinquièmement, nous aimerions parler de la répartition optimale entre la capitalisation anticipée et le financement par répartition pour les baby-boomers, afin de leur permettre de répondre à leurs besoins de génération vieillissante et d'instaurer une certaine équité entre les générations.

Sixièmement, nous aimerions effectuer et vous présenter la cinquième évaluation actuarielle annuelle du système de soins de santé public du Canada. Nous pourrions ainsi vous donner une idée de la future taille du système et des coûts associés au vieillissement de la population. Nous pourrions ensuite faire une analyse de sensibilité, autrement dit étudier les scénarios possibles pour vous montrer comment contrôler les coûts en fonction de différents scénarios législatifs éventuels.

Enfin, nous pourrions vous préciser ce que représente l'actuel système de soins de santé sur le plan du passif actuariel total et ce à quoi correspondent les promesses ayant été faites aux Canadiens de tous les âges. Quand nous avons effectué notre étude préliminaire en 1996, fondée sur des données brutes, nous avons estimé à 1 billion de dollars le passif actuariel du système canadien de soins de santé. C'est que ce système est énorme.

Voilà qui conclut mon exposé. Je vous remercie de votre attention. Nous sommes prêts à répondre aux questions que vous voudrez bien nous poser.

Le président: Merci pour cet exposé très intéressant. Si l'on se fie aux graphiques que vous nous avez montrés, on peut dire de votre exposé qu'il est particulièrement provocateur. Mais c'est ce que nous vous demandons de faire et je l'apprécie.

Le sénateur LeBreton: J'ai trouvé les exposés de Statistique Canada et des actuaires fort utiles, parce que je crois que les gens ont effectivement tendance à tout mettre sur le compte du vieillissement de la population. C'est une façon un peu facile de composer avec la situation.

M. Oakden a parlé de capitalisation anticipée pour certaines prestations. J'en ai pris note au passage, mais je me demande comment nous allions bien pouvoir faire accepter cette formule par les Canadiens. Cela sera d'ailleurs ma première question.

Quand vous parlez de capitalisation anticipée, envisagez-vous que certaines prestations de soins de santé soient, en quelque sorte, «investies en banque», financées par le secteur privé ou par le secteur public? Envisagez-vous un système où les soins de santé publique pourraient aussi participer à ce genre d'activité?

M. Brown: Il ne s'agit pas du tout de privatisation. Dans le débat qui a eu lieu en 1996-1997, la même chose avait été envisagée à propos de la sécurité sociale, du Régime de pensions du Canada et du Régime de rentes du Québec. Nous avions alors prouvé qu'il existe un niveau optimum de capitalisation anticipée, les particuliers comme vous payant environ un sixième de la note.

L'assurance-maladie fait partie du système de sécurité sociale. Le problème réside dans le gonflement démographique que représentent les baby-boomers, gonflement qui est suivi d'un effondrement de la natalité. Il est question de nous permettre, à nous les baby-boomers, de payer pour les coûts supplémentaires marginaux que nous devrons subir jusqu'à la fin de nos jours. Nous ne partons pas du principe que nous allons recevoir des prestations dont les coûts seront assumés par ces jeunes gens merveilleux qui sont ici aujourd'hui.

Je les ai dénombrés ces jeunes et il est évident que je dois aussi tenir compte de leurs besoins.

Nous nivellerions donc les coûts d'une génération à l'autre et les baby-boomers pourraient, tant qu'ils travaillent, payer d'avance les coûts associés aux soins de santé. C'est l'intention visée. Nous n'avons pas l'intention de passer à ce que vous appelez la privatisation. L'intention visée serait de faciliter la capitalisation anticipée pour les coûts marginaux supplémentaires associés à la génération des baby-boomers.

Le sénateur LeBreton: Mais, ce faisant, est-ce que vous n'êtes pas en train de créer un système à deux vitesses, une pour ceux qui peuvent contribuer à un régime de capitalisation anticipée et une autre pour les personnes à faible revenu ou qui ne font pas partie de la population active? Que faites-vous de ces gens-là?

M. Brown: Il s'agit d'un système macroéconomique contrôlé par le gouvernement et alimenté par le système fiscal. Il n'y aurait pas de compte «Robert Brown» ou «David Oakden».

Il serait question de transférer une partie des recettes fiscales supplémentaires dans un fonds affecté et, comme le recommandait le vice-président Gore, l'argent serait placé dans une «boîte scellée» pour payer les soins de santé des baby-boomers. Il n'y aurait pas de compte portant mon nom, par exemple.

M. Darryl Leach, actuaire-conseil, Towers Perrin, membre de l'Institut canadien des actuaires: En février dernier, l'Institut C.D. Howe a publié un «Commentaire» sur cette question. Il recommande ce qu'il appelle un «compte de santé pour personnes âgées». Il recommande que les Canadiens affectent une partie des actuels excédents budgétaires du gouvernement fédéral à un compte de santé des personnes âgées, qui permettrait de ne pas répercuter la totalité des coûts associés aux soins de santé des baby-boomers sur leurs enfants. Je vais vous lire un passage de ce document:

La création d'une subvention de santé pour personnes âgées et son financement partiel par le biais d'un compte spécifique permettrait aux Canadiens d'être en meilleure posture pour faire face aux futurs défis du système de santé publique.

Ce ne serait pas comme investir dans un REER, puisque l'argent proviendrait des excédents budgétaires.

Le président: Je dois préciser à mes collègues que nous entendrons demain matin les témoins de l'Institut C.D. Howe.

Permettez-moi de reformuler en des termes profanes ce que vous venez de dire. Vous recommandez essentiellement une police de groupe, groupe auquel appartiendrait chaque Canadien et où chacun verserait une cotisation, à condition qu'elle soit abordable. Certains critères permettraient de déterminer qui, au sein du groupe, devrait payer les cotisations, ceux qui ne pourraient pas se permettre cette dépense faisant tout de même partie du groupe assuré. C'est essentiellement votre proposition.

M. Brown: Nous pourrions reprendre le même critère que pour la fiscalité.

Le sénateur LeBreton: J'ai une question à poser au représentant de Statistique Canada. C'est la deuxième fois que cette question est soulevée. En règle générale, les gens sont en meilleure santé maintenant qu'avant, si l'on fait exception d'une augmentation des cas d'asthme et de diabète. J'aimerais savoir si Statistique Canada a essayé de déterminer à quoi est dû ce phénomène. C'est la deuxième fois qu'on en entend parler. Ces maladies ont-elles des causes environnementales?

M. Berthelot: Nous n'avons pas de réponse à propos de l'asthme. Du côté du diabète, on a constaté une augmentation de l'indice de la masse corporelle, qui est un facteur de risque, mais on ne peut pas affirmer que ce soit la cause de l'augmentation du nombre de cas. Il est vrai que de plus en plus de cas sont signalés. Par ailleurs, il est possible qu'on en diagnostique davantage. Ainsi, on sait que davantage de Canadiens sont atteints de diabète, mais on n'en connaît pas les causes.

Le sénateur LeBreton: Quand vous voyez des statistiques de ce genre, est-ce qu'il y a des mécanismes en place à Statistique Canada qui prévoient de fouiller davantage pour voir ce qui se passe? Ou est-ce que vous considérez simplement que c'est une statistique et que vous n'allez pas plus loin?

M. Berthelot: À ce que je sache, ce genre de mécanisme n'existe pas, mais en rendant ce genre d'information publique, nous pourrions inciter certains chercheurs à y regarder de plus près.

Le sénateur Cohen: Merci pour votre exposé d'aujourd'hui. Les faits et les données sont absolument renversants. Je ne savais pas à quel point les préludes de la mort pouvaient être coûteux ni que nous avions atteint de telles proportions. Cela ne peut que nous inciter à vivre pleinement et à nous soucier davantage de notre bien-être.

Est-ce que l'Institut canadien des actuaires a, jusqu'ici, travaillé en tandem avec le gouvernement et le ministère de la Santé?

M. Brown: Nous avons répondu à chaque appel qui nous a été lancé.

Le sénateur Cohen: Êtes-vous en train de nous dire que vous pourriez être un atout important?

M. Brown: Nous aimerions être un atout plus important que par le passé. Je ne pense pas que nous soyons bien connus. Nous ne comptons que 3 000 membres, mais nous représentons une ressource intéressante dont vous pourriez vous prévaloir.

Le sénateur Cohen: Je ne suis pas une professionnelle de la santé, mais je suis interpellée par tous des aspects que vous avez abordés. Je ne serais pas étonnée que le Canadien moyen, qui se préoccupe de la situation, trouve que votre raisonnement tient debout. Il faudrait faire en sorte que votre organisation travaille en plus étroite collaboration avec le ministère de la Santé.

Je vais vous poser une question sur l'aspect démographique. Vous avez dit que l'espérance de vie des Suédois est de 65 ans, soit plus que celle des Américains, mais que les coûts de santé sont inférieurs en Suède. Quel est leur secret? Comment se compare notre population vieillissante par rapport aux autres pays industrialisés?

M. Berthelot: Je ne connais pas le secret des Suédois. Nous ne pouvons réagir que sur les données que nous recueillons au Canada, quant aux autres pays, nous nous fions sur les données de l'OCDE.

Le sénateur Cohen: Avez-vous fait une étude comparative?

M. Berthelot: Statistique Canada n'a pas comparé le système suédois de soins de santé avec le système canadien. D'ailleurs, je ne crois pas que cela relèverait de notre mandat.

Le sénateur Cohen: Avez-vous des rapports d'autres pays industrialisés? Je pense que ce genre d'information serait très utile pour nous faire avancer dans nos travaux.

Avez-vous des comparaisons entre les pays industrialisés? Savez-vous ce qui a fonctionné ou ce qui a échoué ailleurs?

M. Berthelot: Statistique Canada n'a pas pour mandat d'examiner les programmes et les systèmes politiques, ni d'effectuer des études à leur propos. Nous mesurons la société canadienne. Quelqu'un d'autre devrait faire ce travail.

Le sénateur Cohen: Statistique Canada a-t-elle fait une étude pour chercher à expliquer la longévité supérieure des femmes par rapport aux hommes au Canada?

M. Berthelot: Personne ne sait pourquoi les femmes vivent plus longtemps. Sur le plan des facteurs de risque, par exemple, il est établi que moins de femmes fument. Quoi qu'il en soit, nous n'avons pas fait d'étude particulière à cet égard. Mais au fait, qu'entendez-vous par «étude»? Est-ce que vous voulez parler de trouver les causes de cet écart?

Le sénateur Cohen: Je parle de recherche sur toute cette question.

M. Berthelot: Nous avons quelques données de recherche, à Statistique Canada, qui établissent la comparaison entre hommes et femmes pour ce qui est du profil de santé et de l'espérance de vie, mais je ne pense pas que nous ayons étudié les raisons pour lesquelles les femmes vivent plus longtemps que les hommes.

M. Lachapelle: J'aurais une remarque à faire et une dernière question à poser. Le phénomène des femmes qui vivent plus longtemps que les hommes est observé dans de nombreuses sociétés. D'une certaine façon, avec le genre de recherches qu'ils effectuent, les chercheurs essaient de comprendre ce genre de chose. Jusqu'ici, la seule explication qu'ils aient trouvée est celle de la différence culturelle -- des habitudes en matière de tabagisme et autres. Les gens estiment qu'il est important de connaître l'origine de ce phénomène et ils voudraient mieux le comprendre. Il y a peut-être une indication, un facteur culturel important, le fait que l'écart entre les hommes et les femmes sur le plan de l'espérance de vie se soit rétréci au cours des 20 ou 25 dernières années. Cela est lié aux changements survenus dans les habitudes et le comportement des femmes, parce qu'elles ont adopté les mêmes habitudes que les hommes.

M. Brown: Nous avons produit un récent document que nous pourrions vous faire parvenir sur ce sujet. Il s'agit d'un examen documentaire approfondi.

Le sénateur Keon: Je crois vous avoir entendu dire que le vieillissement de la population n'est pas la principale raison de l'augmentation des coûts de soins de santé, qu'il existe plusieurs raisons. Avez-vous pu dégager les facteurs les plus importants?

M. Brown: Non. Notre comité est tout jeune. Vous savez, j'en suis sûr, qu'il est très difficile d'obtenir des données sur les soins de santé, surtout des données qui nous permettraient d'effectuer une analyse multifactorielle. Il existe de nombreuses données qui indiquent, par exemple, combien l'Ontario a dépensé l'année dernière, mais il est difficile d'obtenir une ventilation à partir de laquelle faire une telle analyse. Nous ne l'avons pas fait jusqu'ici mais c'est notre objectif.

Le sénateur Keon: Est-ce que vous avez une idée de ce qui se passe?

M. Brown: Je vais enlever ma casquette de l'Institut canadien des actuaires pour un instant, pour redevenir professeur d'université. J'ai été surpris et plutôt déçu du manque de corrélation entre les dépenses de soins de santé et les impacts mesurables. Il n'y a pas de corrélation entre la notion d'espérance de vie et les dépenses nationales en matière de soins de santé. En qualité d'enseignant, je vous dirais que vous devriez dépenser davantage dans l'éducation que dans les IRM, si la question de l'espérance de vie vous préoccupe. Il est intéressant de voir où peut vous amener une analyse multifactorielle. Elle débouche sur des pistes et des domaines inattendus.

[Français]

Le sénateur Morin: Je voudrais adresser mes premières questions à MM. Lachapelle et Berthelot. Je n'ai malheureusement pas entendu votre présentation mais j'ai eu ce document. Ce qui nous intéresse dans le domaine de la santé, ce n'est pas vraiment quelqu'un de 65 ans pusiqu'il est démontré que l'état de la santé jusqu'à 70 ou 75 ans est assez stable. C'est à partir de 85 ans que l'état de santé se modifie vraiment.

Si je comprends bien, la population âgée vieillit en meilleure santé. Ce n'est pas qu'il y a plus de personnes âgées qui est important, c'est que la population de plus de 85 ans augmente de façon importante. Les ministres de la santé ont dit à Québec, en l'an 2000, lorsqu'ils ont parlé des coûts de santé, qu'ils n'en avaient pas tenu compte. C'est une des raisons pour laquelle le coût des soins de santé augmente: la proportion de gens de plus de 85 ans augmente.

Vos statistiques sur les maladies commencent à l'âge de 45 ans. Cela ne s'applique vraiment pas à la population âgée. Par exemple, l'Alzheimer n'est pas une maladie qui touche les gens de 45 ans, mais elle présente un taux de soins très important et des coûts beaucoup plus élevés.

Dans les dix prochaines années, le nombre de décès au Canada va augmenter de façon appréciable. Vous dites que les gens de 65 ans sont en meilleure santé. On le sait. Ce qui est important au point de vue du système de santé, ce sont les gens en perte d'autonomie qui ont plus de 85 ans et le nombre de décès. C'est cela qui va faire augmenter les coûts de santé.

M. Lachapelle: Vous faites allusion au vieillissement de la population âgée. C'est exact, nous l'avons mis en évidence dans notre exposé. Cependant, il faut se rappeler -- et nous l'avons souligné -- qu'il y a eu un accroissement important de la population des 85 ans et plus depuis une trentaine d'années. L'état de la population très âgée parmi les 65 ans et plus va se stabiliser entre 2011 et 2031 où arriveront précisément les baby-boomers. Ils seront les plus jeunes de la population âgée. Plus tard, bien entendu, à partir des années 2030, il y aura un accroissement très important de la population très âgée au moment où les gens de cette génération, nés entre 1946 et 1966, atteindront l'âge de 85 ans.

Je demanderai à M. Berthelot de répondre aux autres questions concernant la santé de la population âgée et son évolution.

M. Berthelot: La raison pour laquelle on a présenté l'espérance de vie à 45 ans, c'est que nous y retrouvons le milieu du baby-boom. Que prévoit-on concernant leur espérance de vie? Quels sont les facteurs qui vont faire que certaines personnes de ce groupe vont vivre moins longtemps ou plus longtemps? Voilà pourquoi on prenait la cigarette par exemple. On ne considère pas seulement l'espérance de vie, mais aussi l'espérance de vie en perte d'autonomie.

L'objectif était de démontrer les facteurs déterminants importants comme la cigarette, l'indice de masse corporelle, l'inactivité physique, et de faire un lien dans le paragraphe suivant sur le fait que les générations de baby-boomers ont des facteurs de risque à moins grande prévalence que les gens âgés d'aujourd'hui. Lorsqu'on sait que les personnes âgées de 65 ans d'aujourd'hui sont en meilleure santé que celles d'il y a 25 ou 30 ans, on peut s'attendre, lorsqu'on regarde les profils, à une amélioration pour la génération des baby-boomers.

Le sénateur Morin: Les facteurs de risque classiques ne jouent malheureusement plus après 85 ans.

M. Berthelot: Ils jouent avant et le nombre d'années vécues en incapacité ou en institution de soins de santé dépend aussi des limitations d'activités et de services de soins à domicile. Tout cela dépend des limitations d'activités. On sait que maintenant, ces facteurs de risque ne jouent pas à 85 ans. On essayait d'avoir une idée de l'avenir. En mettant plusieurs facteurs ensemble, il semble que les personnes âgées de l'avenir seront plus en forme que celles d'aujourd'hui, qui sont elles plus en forme que celles du passé.

Le sénateur Morin: Vous avez tout à fait raison pour les personnes de moins de 85 ans.

[Traduction]

J'ai deux questions pour M. Brown. J'attire son attention sur les tableaux 2 et 3, sur les deux ou trois dernières années de vie. Ce problème est régulièrement soulevé. Il est plus coûteux d'être malade que d'être en bonne santé. Il existe bien des maladies, mais les principales sont généralement celles qui nous accompagnent jusque dans la tombe. Si vous comparez la personne qui décède, dans une colonne donnée, à celle qui survit dans une autre, il est évident que la première a été beaucoup plus malade que la deuxième, et il n'est pas étonnant qu'elle ait coûté plus cher au système.

Passons au tableau 4, qui m'a étonné. Ce tableau tend à démontrer que ce que nous avons fait, le Dr Keon et moi-même dans le domaine des soins de santé, était inutile.

On constate un écart de 70 000 $ entre les frais d'hospitalisation pour un patient ayant signé une déclaration de volonté relativement à son traitement et celui qui ne l'a pas fait. En général, nous les médecins préférons les patients de la première catégorie, parce que nous savons exactement ce qu'ils veulent.

Cette somme est considérable. Malheureusement, il n'y a pas de référence dans le document que j'ai devant moi. J'aimerais savoir quel nombre de patients ont été pris en compte dans l'étude, où cette étude a eu lieu, le genre de cas étudiés et j'aimerais aussi savoir si l'étude a porté sur la population totale ou sur certains cas seulement.

Je ne peux pas me contenter d'accepter ces résultats sans savoir sur quel nombre de patients et sur quel nombre de cas l'étude a porté. S'il s'agissait de cas de cancer en phase terminale, cela correspond à population sélectionnée.

M. Brown: Je peux vous renvoyer au document, mais pour l'instant je ne peux pas vous donner la ventilation, parce que nous avons reçu les données macroéconomiques que vous avez devant vous.

Il s'agit de données américaines, de données concernant l'assurance-maladie. Le document est intitulé «Development of the Last Year of Life Valuation Model». Il est extrait du North American Actuarial Journal.

Nous aussi, ces chiffres nous ont frappés.

Le sénateur Morin: Je dois dire que je ne suis pas d'accord avec ces chiffres. Le Dr Keon parlera en ce qui le concerne tout à l'heure, mais il est impossible qu'il existe une telle différence entre les personnes qui signent des déclarations de volonté et les autres.

Nous n'avons généralement pas tendance à dispenser des traitements inutiles. Mais la différence ici est trop grande. Ces 70 000 $ d'écart par patient, facturés par hôpital, est absolument incroyable. Je ne peux pas accepter ce chiffre.

M. Brown: Eh bien, nous vous ferons parvenir les données. Je ne peux que m'en remettre aux études que nous avons analysées jusqu'ici.

Le sénateur Morin: Je me rends bien compte que vous citez quelqu'un qui n'est pas ici. Il serait donc utile que nous ayons la référence en question.

M. Brown: Elle est dans notre document complet. Vous parliez des diapositives que nous avons présentées aujourd'hui.

Le sénateur Morin: C'est que je n'ai rien d'autre.

Je suis surpris que l'Allemagne n'apparaisse pas, parce que ce pays a fait beaucoup sur le plan des soins à long terme. Il offre une assurance. Vous recommandez en fait d'appliquer le modèle américain, qui offre une assurance sociale universelle à long terme, représentant 1 p. 100 du salaire.

Certains sont d'accord avec cette mesure, d'autres pas, mais l'Allemagne l'a adoptée il y a quelques années déjà. C'est en fait ce que vous recommandez. L'Allemagne offre un régime universel d'assurance sociale pour les soins à long terme. Ce régime existe depuis dix ans déjà. Les employeurs prélèvent 1,7 p. 100 du salaire des employés pour alimenter la caisse, et les fonds sont destinés à des soins à long terme, après une évaluation.

Ce régime généralement été bien accueilli. Une partie de l'assurance est consacrée aux coûts des soins à domicile, une autre aux coûts des soins hospitaliers, mais dans tous les cas, il s'agit de soins à long terme. Si nous devons suivre cette piste, il serait intéressant d'examiner le modèle allemand.

Les Allemands consacrent beaucoup d'argent aux personnes âgées, parce que ce pays a une population vieillissante qui est, de loin, la plus importante d'Europe de l'Ouest. J'ai été étonné de voir qu'il n'était pas question de l'Allemagne.

M. Brown: Un de ces triangles correspond à l'Allemagne. Nous ne pouvions pas identifier tous ces symboles, parce que le graphique aurait été illisible. Je me dois de vous préciser que nous n'avons pas décidé si le modèle allemand est le bon ou pas pour le Canada. Je ne peux pas dire que nous recommandons le modèle allemand.

Le sénateur Morin: Et pourtant, c'est bien de cela dont il s'agit.

Le président: J'ai deux remarques à faire. D'abord, d'après votre exposé et vos documents, je n'ai pas conclu que vous recommandiez telle ou telle solution. Vous dites simplement que c'est une façon d'aborder la chose.

Deuxièmement, nous travaillons sur une recherche qui sera terminée vers le milieu de mai 2001, et qui consiste à comparer les modèles d'assurance universels de plusieurs pays, notamment de l'Allemagne.

Le sénateur Roche: Pour enchaîner sur les questions du sénateur Morin, j'ai deux questions pour le professeur Brown relativement au rapport du Sous-comité sur les soins palliatifs. J'espère que, pendant ses délibérations, le comité ne perdra pas ce rapport de vue. Le professeur Brown a beaucoup travaillé sur la question des dernières années de la vie.

Moi aussi, je suis surpris par les coûts que représentent les dernières années de la vie. Il est possible que ma question vous amène sur un terrain étranger à votre discipline et qui ne relève pas de vos compétences, mais je me dois de la poser.

Qu'est-ce qui explique ces coûts élevés? Est-ce parce que le patient -- qui, de toute évidence, souffre d'une maladie grave et va décéder dans les années à venir -- est traité de façon intense, à coup de traitements très coûteux? Ou est-ce parce que le patient occupe un espace qui coûte cher, dans un hôpital où l'on offre des traitements actifs? Pourriez-vous nous éclairer un peu sur les raisons de ces coûts élevés?

M. Brown: Je ne peux pas vous répondre à cette question en me fondant sur les recherches effectuées jusqu'ici.

Le sénateur Roche: Je me doutais que vous ne pourriez pas répondre. Monsieur le président, j'aimerais que nous obtenions ces renseignements.

Le président: Je vais poser la question aux gens de Statistique Canada. Avez-vous des données là dessus?

M. Berthelot: Nous avons effectué quelques recherches dans le domaine du cancer. Nous avons constaté que, dans les six derniers mois de la vie, où interviennent les soins palliatifs et terminaux, la durée d'hospitalisation des patients est de 20 à 25 jours, selon le type d'hôpital. Je dirais qu'il en coûte au moins 20 000 $.

Le président: C'est là un aspect déterminant, mais moi, je vais l'aborder un petit peu différemment. Vos données vous indiquent-elles si c'est moins coûteux quand le patient quitte l'hôpital parce qu'il n'y a pas d'unité de soins palliatifs?

Le sénateur Roche: Mais oui.

Le président: Moi, je supposerais que ça reviendrait moins cher de mettre un patient qui est en phase terminale dans une unité de soins palliatifs que dans un service de soins aigus, et je crois que c'est là où le sénateur Roche voulait en venir.

Ce que je veux savoir, c'est s'il existe des données portant sur ce genre de compromis.

M. Berthelot: Je ne crois pas que nous ayons des données nous permettant de déterminer effectivement où les gens sont traités dans le système de soins de santé. Nous pourrions toujours savoir dans quels services ils décèdent et examiner la façon dont ils ont utilisé les services hospitaliers jusque là.

Le sénateur Roche: Ce faisant, je recommande que nous examinions le rapport et les témoignages qui ont conduit à la production du rapport sur les soins palliatifs. Si je me rappelle les témoignages, ils contiennent des données montrant très clairement que les soins palliatifs sont moins coûteux. Plusieurs raisons expliquent l'existence des soins palliatifs, notamment le fait qu'ils sont moins coûteux.

Professeur Brown, vous avez attiré notre attention sur les testaments euthanasiques de telle façon que j'en ai conclu que vous étiez favorable à ce genre de chose et que vous seriez prêt à les rendre obligatoires. Est-ce que vous seriez prêt à aller jusque là?

Estimez-vous que les testaments euthanasiques soient utiles pour les médecins et l'ensemble du personnel au point que vous seriez prêt à les rendre obligatoires, uniquement parce qu'ils permettraient de faire des économies? Le cas échéant, on ne prodiguerait pas de traitement actif à des gens ayant déclaré, dans un testament, que s'ils sont en phase terminale il faut les laisser mourir.

M. Brown: C'est une question politique. Nous voulons simplement alimenter le débat politique à coup d'analyses de données susceptibles de nous conduire vers la bonne réponse. La question elle-même est politique.

Le président: Voilà une merveilleuse réponse politique.

Le sénateur Rompkey: Je ne sais pas où vous êtes allé chercher ces témoins, mais ils sont un don de Dieu pour des politiciens... Ils viennent nous dire, aujourd'hui, que non seulement nous n'avons pas besoin de dépenser plus d'argent, mais qu'ils peuvent nous indiquer comment nous y prendre. J'ai l'impression que nous devrions instaurer une relation à long terme avec ces gens-là.

Vous avez déjà répondu à une partie des questions que j'avais l'intention de vous poser. Je crois que ce sont les représentants de Statistique Canada qui, tout à l'heure, ont parlé de la variation de pourcentage dans les revenus de retraite. Si je comprends bien ce que vous nous avez dit, on s'en remet de plus en plus à ces retraites. Pourquoi donc? À quoi doit-on attribuer cela?

M. Berthelot: Il est évident que les gens contribuent à des caisses de retraite. Il est clair que les femmes travaillent davantage et qu'elles contribuent donc au Régime de pensions du Canada et au Régime des rentes du Québec.

Le sénateur Rompkey: Cela n'a rien à voir avec d'autres facteurs? C'est la principale raison?

M. Berthelot: Il pourrait y avoir d'autres facteurs. Je n'ai pas étudié la question de près, mais il pourrait y avoir d'autres facteurs touchant à l'admissibilité à la Sécurité de la vieillesse ou au SRG. M. Murphy pourrait peut-être ajouter quelques remarques.

M. Brian Murphy, gestionnaire, Statistique Canada: Je m'appelle Brian Murphy et je travaille à Statistique Canada. Les rapports comprenaient des données remontant à 1971, quand le RPC était vieux de six ou sept ans. La principale raison de l'augmentation serait dès lors la maturation du RPC, les gens commençant à percevoir leurs prestations par répartition.

Nous constatons aujourd'hui que les proportions sont très élevées et qu'elles ne bougent pas. Soixante-quinze pour cent des revenus des personnes âgées proviennent des transferts. C'est énorme. C'est très élevé et c'est relativement stable.

Le sénateur Graham: Je tiens à remercier les témoins pour leurs exposés qui ont été très intéressants.

Il se trouve que j'étais le chef de Cabinet d'Allan McEachen quand l'assurance-maladie est entrée en vigueur. Je connais donc cette histoire et j'éprouve envers les statistiques que nous vous avez fournies plus qu'un simple intérêt, surtout à mon âge. Je suis toujours plus à l'aise quand je me retrouve dans la même pièce que les sénateurs Keon et Morin.

Vous m'avez rendu un peu nerveux tout à l'heure quand vous avez parlé de capitalisation anticipée plutôt que de financement par répartition, parce que je ne pouvais pas m'empêcher de penser à la publicité télévisée de Don Harron sur le paiement des funérailles d'avance. Je me suis détendu après avoir entendu les remarques du sénateur Morin. Je me demandais pourquoi vous avez précisé que celui qui meurt est plus malade que celui qui continue de vivre. Même moi, je comprends ça.

Quand M. Brown nous a dit que, selon lui, il existe des méthodes pour contrôler les coûts des soins de santé, il a retenu mon attention. J'emboîte ici le pas au sénateur Rompkey, qui a déclaré tout à l'heure se réjouir que les gens viennent nous annoncer que nous n'aurons plus à payer autant pour le système de soins de santé au Canada. Mais alors, quelles sont ces méthodes que vous recommandez et que vous avez proposées à Santé Canada?

M. Brown: Nous les avons énoncées dans notre rapport d'aujourd'hui. Les actuaires reprendraient une partie des méthodes de contrôle des coûts utilisées par les assurances dans le secteur privé. Je dois préciser, avant d'aller plus loin, qu'avec la majorité de ces systèmes, 99 p. 100 de la population obtient tous les services dont elle a besoin, à un prix abordable. Ces principes de l'assurance privée seraient donc appliqués au secteur public et nous permettraient d'économiser. En fait, ils sont déjà utilisés par la majorité des pays industrialisés, par exemple, sous la forme de franchises, de quotes-parts et de coassurances.

Le patient participe au système et il est incité à l'utiliser de façon appropriée et efficace. Ainsi, nous donnons de bonnes raisons au patient d'opter pour des soins palliatifs plutôt que pour d'autres solutions plus coûteuses, de choisir une clinique plutôt qu'une salle d'urgence ou d'appeler le service de triage téléphonique plutôt que de se présenter directement à la clinique. Voilà les principes que nous appliquerions.

Il nous faudra évidemment répondre à la question que tout le monde a soulevée et qui saute immédiatement aux yeux: un dixième de la population jugera que ce système n'est pas intéressant pour elle.

Le sénateur Graham: Quels sont les effets de l'inégalité des revenus sur l'espérance de vie?

M. Brown: Ils sont très importants. Par ailleurs, on constate une forte corrélation avec le niveau d'instruction. Il est donc parfois difficile d'isoler les deux, mais l'effet est toujours très important. Il est facile à démontrer dans un pays comme le Costa Rica, par exemple, où le revenu par habitant est relativement faible mais où la répartition est équitable. L'espérance de vie y est beaucoup plus élevée que ce à quoi on pourrait s'attendre. Ici, ce qui joue, c'est la répartition équitable des revenus, de même que l'insistance placée sur les projets d'enseignement public et de santé publique.

Le sénateur Graham: Est-ce que l'effet est le même sur les hommes et sur les femmes?

M. Brown: Je ne pense pas avoir vu de rapport établissant ce genre de répartition.

Le sénateur Morin: Mais oui, il en existe.

Le sénateur Graham: Quelles différences existe-t-il sur le plan des tendances démographiques pour les différents groupes ethniques au Canada? Est-ce qu'il y a des différences pour les gens qui vivent en région rurale et ceux qui vivent en région urbaine au Canada?

M. Brown: Ma première réponse sera semblable à la plupart de celles que j'ai donné cet après-midi: j'aimerais avoir des données à analyser pour vous fournir une réponse. Je ne les ai pas. C'est un des gros problèmes.

Outre le fait que nous n'avons pas de données sur la prestation des soins de service, je peux tout de même vous fournir quelques réponses. La majorité des immigrants au Canada adoptent relativement vite les caractéristiques démographiques des Canadiens. En revanche, la population autochtone est remarquablement différente du reste de la population canadienne sur le plan démographique. Dans certaines provinces, les Autochtones constituent un pourcentage suffisamment important de la population pour avoir une incidence mesurable sur les coûts des soins de santé.

Le sénateur Graham: Et la différence entre les régions urbaines et les régions rurales?

M. Brown: Je ne préfère ne pas faire de devinette.

Le président: Les représentants de Statistique Canada ont-ils une réponse à fournir au sénateur Graham?

M. Lachapelle: Nous disposons de beaucoup de données sur les aspects démographiques. Il existe une importante différence dans les pourcentages de personnes âgées d'une région à l'autre, et ce sera de plus en plus le cas.

On peut montrer que, dans les régions rurales où l'on observe une migration nette importante marquée par le départ de nombreux jeunes, nous allons nous retrouver avec une proportion plus élevée de personnes âgées et un taux de fertilité plus bas. Voilà pourquoi il commence à y avoir des signes indiquant que le vieillissement de la population est un phénomène davantage rural.

Il est facile de trouver ce genre de renseignements. Des données ont été recueillies et nous pouvons les étudier.

En revanche, la chose est beaucoup plus difficile dans le cas des groupes ethniques, à l'exception des populations autochtones dont la proportion de personnes âgées est bien plus faible parce que le taux de fertilité est plus élevé.

Pour les autres groupes, le phénomène est plus complexe. Nous savons qu'il y a 30 ans, Terre-Neuve présentait la plus faible proportion de personnes âgées. Dans 20 ou 25 ans d'ici, cette province comptera sans doute le pourcentage le plus élevé de personnes âgées, parce que le taux de fertilité y est le plus faible au pays et que la migration y est importante.

Si votre question avait porté davantage sur la différence constatée sur le plan de l'état de santé, j'aurais demandé à M. Berthelot de vous répondre.

M. Berthelot: Nous nous sommes penchés sur la distribution des revenus au Canada, au niveau provincial et dans les principales régions métropolitaines de 50 000 habitants ou plus. Nous avons ensuite comparé les données obtenues avec l'information concernant les États et les régions métropolitaines aux États-Unis.

Nous avons constaté une étroite association, aux États-Unis, entre le revenu et le taux de mortalité, chez les personnes en âge de travailler. Cette association n'existe pas au Canada, ni à l'échelon provincial, ni l'échelon municipal.

Pourquoi donc? Il existe une importante différence dans les systèmes d'enseignement et de soins de santé entre le Canada et les États-Unis. Nous avons collaboré avec l'Autriche et avons amorcé un certain travail avec la Suède pour savoir où elle en est. Pour ce qui est de l'Autriche, les résultats sont les mêmes qu'au Canada. Quelque chose, dans le système autrichien, permet d'atténuer l'inégalité des revenus, comme chez nous.

L'inégalité des revenus est plus importante dans le cas des hommes que des femmes et elle est supérieure pour la population en âge de travailler. Chez les personnes âgées, on croit qu'il existe des «effets de migrants sains». Les personnes âgées les plus saines vont dans des contrés où le climat est plus agréable, comme la Floride et le Texas aux États-Unis, soit dans des coins où l'inégalité mesurée est supérieure. Ainsi, quand on examine le cas des personnes âgées, cette association n'existe pas vraiment, pas plus au Canada qu'aux États-Unis. C'est une association superficielle.

Le sénateur Callbeck: Comme je sais que nous commençons à manquer de temps, je vais poser une brève question à M. Brown.

Au point trois de votre sommaire, à la dernière phrase, vous dites: «La population doit être mieux informée des coûts des soins médicaux.»

Comment pourrions-nous nous y prendre, selon vous? Avez-vous l'intention d'envoyer des relevés à la fin de l'année pour dire à chaque personne combien elle a coûté au système de santé? À quoi pensez-vous au juste? Vous semblez dire que si le public était mieux informé, nous pourrions réduire les coûts de santé. Est-ce que vous pouvez vous appuyer sur des faits pour affirmer cela?

M. Brown: Pour l'instant, la plupart des provinces au Canada ne seraient pas en mesure d'envoyer un tel relevé à la fin de l'année, pour montrer les montants facturés pour chaque personne, parce qu'on ne dispose pas des données d'une façon qui soit économiquement réalisable. Ainsi, il faudra peut-être éduquer les gens à un niveau beaucoup plus général. J'espère et je crois que la majorité du travail réalisé par ce comité permettra d'informer les Canadiens à propos des soins de santé.

J'ai l'impression que, pour les Canadiens, les soins de santé sont quelque chose de gratuit. Il faut leur rappeler, une fois de temps en temps, que tel n'est pas le cas. Il y a un coût qui se rajoute à la santé. Certaines activités et certains procédés coûtent plus cher que d'autres.

Je pense que les sénateurs que vous êtes ont la possibilité d'amorcer ce processus d'information du public. Cela nous permettra-t-il de faire des économies? Oui, je le pense. D'autres pays ont fait la même chose pour essayer de réduire leurs coûts de santé et je pense que l'information du public pourrait contribuer à un système plus efficace et plus efficient.

Le président: Je suis fasciné par ce que vous venez de dire à la suite de la question du sénateur Morin sur les coûts élevés associés à la dernière année ou aux deux dernières années de vie. Supposons que l'espérance de vie moyenne soit de 10 ans inférieure à ce qu'elle est actuellement. Supposons que nous ayons la même population qu'à l'heure actuelle. Si tel était le cas, nous n'économiserions pas énormément en soins de santé, parce que nous aurions le même nombre de personnes décédant dans une année donnée et que nous devrions tout de même absorber la facture. Je n'ai pas raison?

Autrement dit, le vrai problème, ce n'est pas que la population vieillit, c'est que davantage de gens meurent dans une année donnée. Nous disons qu'elles sont vieilles. Est-ce que, dans un certain sens, on ne se serait pas trompé dans l'énoncé du problème?

M. Brown: Je suis assez d'accord avec ce que vous venez de dire. J'ajouterais que les projections réalisées par beaucoup, qui supposent que ces coûts sont fonction d'un groupe d'âge, surévaluent le vieillissement de la population et son incidence sur les soins de santé. En fait, ce qui compte le plus, c'est la période qui précède le décès.

Le président: Je rappelle que vous nous avez montré un tableau signalant un écart d'à peu près 60 000 ou 70 000 $ entre les personnes ayant signé un testament euthanasique et les autres. Pour ceux qui connaissent les coûts de soins de santé aux États-Unis, cela ne représente sans doute que cinq ou six jours. Ce n'est pas beaucoup.

M. Brown: Mais ce sont les données américaines.

Le président: Malheureusement, ma famille a dû goûter au système de santé américain l'année dernière.

Le sénateur Morin: Les chiffres absolus sont surprenants.

Le président: Je vous remercie tous de votre visite. Je suis conscient que nous avons un peu débordé, mais c'est ce qui se produit quand nous avons des témoins intéressants.

Notre dernier groupe de témoins pour aujourd'hui est composé de MM. Frank et Brimacombe, du Conference Board du Canada, de même que du Dr Gordon, du Conseil consultatif national sur le troisième âge.

Je vais inviter M. Frank à commencer, parce que je sais qu'il a un exposé à faire. Nous passerons ensuite a M. Gordon, qui nous fera quelques remarques après l'exposé de M. Frank.

Merci beaucoup d'avoir répondu à notre invitation et d'avoir été aussi patients.

M. James G. Frank, chef économiste et vice-président, Conference Board du Canada: Honorables sénateurs, M. Brimacombe et moi-même sommes très heureux de l'occasion qui nous est donnée, cet après-midi, de vous entretenir des travaux que nous sommes en train de faire. Nous tenons à féliciter le comité d'avoir entrepris cette initiative.

Je vais vous parler brièvement du Conference Board, parce que nous sommes un organisme un peu différent des autres. Nous sommes une organisation de recherche sans but lucratif. Notre mission est d'aider nos membres à se préparer aux changements survenant dans l'économie mondiale et à s'y adapter. Il s'agit d'une mission plutôt vaste. Par-dessus tout, nous ne recommandons pas de politique en particulier, de sorte que nous ne défendons pas tel point de vue plutôt que tel autre mais que nous essayons de présenter le résultat des recherches pour informer notre auditoire, nos membres et le public en général sur les questions que nous étudions.

Il y a cinq ans, nous avons lancé un projet baptisé «Rendement et potentiel». À l'époque, nous nous étions dit qu'une société devait rechercher une qualité de vie supérieure et durable, et que nous allions nous pencher, de façon stricte, sur les moteurs d'une telle qualité de vie. Notre cinquième rapport a été publié à l'automne dernier et nous vous avons fait remettre des exemplaires du sommaire dans les deux langues officielles, au cas où vous voudriez en prendre connaissance. Soit dit en passant, il est question, dans ce rapport, de bien des enjeux qui n'ont rien à voir avec les soins de santé, mais ce domaine fait l'objet d'une section à part.

Nos rapports du genre sont axés sur ce que nous appelons les «fondements» d'une qualité de vie supérieure et durable -- autrement dit des choses comme la productivité et l'équilibre budgétaire, l'importance de la dette, la concurrence industrielle et la politique sociale.

En 1996, nous avons attiré l'attention sur les facteurs qui, selon nous, pouvaient nous aider à élaborer une politique sociale durable, abordable, efficace et responsable, qui bénéficierait de l'appui des contribuables.

Nous pensons que le système de soins de santé est un important déterminant de la qualité de vie des Canadiens. Il contribue aussi à notre compétitivité industrielle, qui est également très importante.

Depuis le début des années 90, les soins de santé et leur avenir constituent la question la plus importante en matière de politique publique. Le débat actuel semble se concentrer sur deux questions distinctes, mais liées entre elles: l'accès, au moment voulu, à des soins de santé de qualité et la viabilité financière du système. Autrement dit, tout cela est question d'argent et de structure.

Les publications sur les projections démographiques abondent, et vous en avez parlé aujourd'hui, mais il y a deux choses que je désire mentionner à cet égard. À l'heure actuelle, on compte environ 22 p. 100 de personnes âgées de 55 ans et plus. Nous travaillons beaucoup, pour nos analyses, sur les questions de démographie et nous avons conclu que cette proportion allait passer à 32 p. 100 d'ici 2020.

Face au phénomène du vieillissement de la population, nous examinons la relation entre une population qui vieillit et les dépenses de soins de santé. C'est précisément le sujet dont vous parlez aujourd'hui.

Dans le mémoire que je vous ai fait distribuer, vous trouverez un tableau montrant notamment les dépenses pour le groupe des 45 à 54 ans. Pour l'instant, il en coûte quelque 1 140 $ pour les hommes et 1 345 $ pour les femmes. Au bout de dix ans, ces dépenses doublent.

C'est là une information intéressante, parce qu'elle montre un des rares cas où l'on assiste à une augmentation exponentielle pour des données du genre.

On peut comprendre que, quand le pourcentage des 55 ans et plus va augmenter, nos dépenses en soins de santé vont augmenter considérablement dans les 20 prochaines années, sous l'effet du seul vieillissement.

Il est vrai que la croissance démographique et le vieillissement de la population n'auront pas un impact immédiat. Nous aurons le temps de trouver des solutions qui pourraient nous permettre de faire face au double objectif de l'accès opportun aux soins de santé et des structures financières abordables.

À bien des égards, le débat consiste à déterminer en quoi les options que nous allons dégager à moyen terme et à l'occasion de réunions comme celle-ci vont influencer les choix que nous aurons à faire dans l'avenir. De notre point de vue, il existe de nombreuses pistes de politique que le Canada pourrait suivre, les plus fondamentales touchant aux rôles respectifs du secteur public et du secteur privé, tant du point de vue du financement que de celui de la prestation des services. D'un autre côté, les Canadiens et les Canadiennes doivent maintenant prendre en compte une question de politique stratégique plus vaste, et nous entendons la porter à votre attention aujourd'hui. Chaque dollar public supplémentaire que nous consacrons aux soins de santé est un dollar de moins que nous pouvons dépenser dans l'enseignement, les services sociaux et peut-être même la réduction de la dette, si c'est votre priorité, ou d'autres enjeux importants du secteur public.

Bien que les soins de santé soient un service fondamental, nous ne devons pas oublier qu'il existe d'autres secteurs importants dans la société qui peuvent légitimement prétendre à des fonds publics. Constatant les défis auxquels le système de santé est confronté, le Conference Board a publié deux études concernant la situation des 12 derniers mois, l'une en Colombie-Britannique et l'autre en Ontario, à l'occasion de laquelle nous avons isolé les répercussions du vieillissement, les dépenses publiques totales consacrées aux soins de santé et les relations entre ces dépenses et les recettes des gouvernements provinciaux qui servent bien sûr à payer ce genre de dépenses.

Nous nous sommes demandés ce qui se passerait dans les 20 prochaines années, à partir de deux questions de recherche. D'abord, nous avons voulu savoir quelle serait l'incidence du vieillissement de la population sur les dépenses publiques totales ainsi que les changements de volume quant au taux d'utilisation par habitant pendant cette période. Deuxièmement, nous avons voulu déterminer le pourcentage de recettes publiques qui serait consacré à des dépenses de soins de santé ne faisant l'objet d'aucune limitation.

Le président: Pouvez-vous parler un peu plus lentement? C'était également le problème avec le témoin précédent. Les interprètes sont à bout de souffle.

M. Frank: Excusez-moi. Je surveillais l'horloge. Je vais ralentir.

Ainsi, quelle incidence le vieillissement de la population canadienne aura-t-il sur les dépenses publiques totales au cours des 20 prochaines années? Bien sûr, ce n'était qu'un élément de l'analyse. Quelle proportion de recettes publiques allons-nous consacrer aux soins de santé, si nous ne limitons pas les dépenses dans l'avenir?

Je me dois de bien préciser l'approche que nous avons adoptée, parce que d'autres ont effectué des analyses sur le même thème, mais nous, nous sommes allés un peu plus loin en nous livrant à des prévisions au niveau provincial et en recourant à nos capacités de modélisation pour estimer les recettes provinciales et la part de recettes qui devrait être consacrée aux soins de santé.

Pour ces deux études, je dois insister sur le fait que nos modèles de prévision et cette analyse prévisionnelle sont fondés sur un certain nombre d'hypothèses et de relations d'ordre économique. Je vous en parlerai dans un instant. Je voulais soulever cet aspect tout de suite, parce que quand on se livre ainsi à des prévisions touchant aux dépenses publiques en santé et au lien existant entre ces dépenses et les recettes gouvernementales, la question n'est pas tant de savoir si l'analyse est bonne au niveau du détail, mais si les informations vont permettre de mobiliser l'opinion publique pour changer les choses et examiner les questions gravitant autour du sujet étudié.

Nous sommes partis des données historiques concernant les changements survenus dans les services de soins de santé, en termes réels ou en termes de volume, pour chaque groupe hommes-femmes de 18 ans et plus. Nous avons ensuite effectué une projection à partir de l'année la plus récente, pour ce qui est des dépenses réelles par personne et de la répartition démographique. Dans notre analyse, nous n'avons supposé la mise en oeuvre d'aucun nouveau programme. Voilà quelle est la perspective de base que nous avons établie.

Nous supposons que tous les gouvernements auront atteint l'équilibre budgétaire et qu'ils s'en tiendront à cette situation au cours des 20 prochaines années. Nous avons, par ailleurs, imaginé des taux d'imposition constants. D'après nos projections de croissance économique pour chaque province ou pour le pays en général, nous avons calculé les recettes totales des gouvernements.

Et qu'avons-nous trouvé? Eh bien, les dépenses de la Colombie-Britannique, qui représentent une partie des recettes gouvernementales, augmenteraient de 38 à 53 p. 100 sur une période de 20 ans. En Ontario, elles passeraient d'environ 36 p. 100 à 47 p. 100 sur une période de 20 ans.

Dans chaque cas, nos prévisions montrent que les coûts associés au vieillissement de la population et aux actuelles pratiques en matière de soins de santé absorberont grosso modo la moitié des recettes gouvernementales dans 20 ans d'ici.

Nous sommes tout à fait conscients des limitations que comporte des analyses comme celle-ci. Nous sommes habitués à des prévisions à long terme. Nous comprenons que les systèmes de soins de santé sont dynamiques et qu'ils évoluent dans le temps. Ce faisant, certains soutiendront que nous avons surestimé les futures dépenses de soins de santé et d'autres, que nous les avons sous-estimées. Quoi qu'il en soit, permettez-moi de vous parler maintenant de ce que nous n'avons pas inclus dans notre analyse. C'est sans doute ce qu'il y a de plus intéressant, à certains égards.

Je veux en venir à ceci: il est fort possible que nous ayons sous-estimé ce que seront les coûts des soins de santé, et cela pour plusieurs raisons. D'abord, nous n'avons qu'un ajustement de 2,2 p. 100 par an au titre des coûts salariaux du personnel employé dans le domaine des soins de santé, c'est-à-dire les médecins, les infirmières, les physiothérapeutes et les autres, ce qui correspond à l'inflation de base projetée pour les 20 prochaines années.

Si nous nous sommes trompés, il est évident que nous aurons sous-estimé les coûts, mais certainement pas le volume de service.

Deuxièmement, nous n'avons émis aucune hypothèse quant à la progression du financement public pour les soins à domicile ou à l'assurance médicament. Autrement dit, nous avons considéré que les limites actuelles de l'assurance-maladie ne seraient pas modifiées.

Troisièmement, nous n'avons apporté aucun ajustement à la gamme des services qui pourraient ne plus être assurés ou, au contraire, qui pourraient être inclus dans l'assurance-maladie. Cela pourrait nous entraîner dans une discussion sur les services médicalement nécessaires et sur l'exhaustivité des services médicaux -- discussion qui est importante, parce que les percées technologiques auxquelles il faut s'attendre au cours de la prochaine décennie, notamment dans le domaine du génome humain ou l'application possible des technologies reproductives, vont exercer des pressions dans le sens d'une ouverture de la couverture offerte par l'assurance-maladie.

Quatrièmement, nous devons nous attendre à ce qu'il soit possible, dans le courant de la prochaine décennie, de concevoir des médicaments ciblés sur le patient. Nous ne savons pas encore combien cela va coûter. Nous devons toutefois nous attendre à ce que le public fasse pression pour que ce genre de modalité soit intégrée aux actuels programmes de soins de santé. Quand on songe au coût de tels médicaments, qui vont bien sûr augmenter très rapidement, on ne peut oublier les effets de la technologie, ni ce qu'il sera possible de faire aux frontières de la science. La prise en compte immédiate par le régime d'assurance-maladie de diagnostics et de traitements à la pointe du progrès fera l'objet de débats animés. Quant à nous, nous n'avons prévu aucun changement d'envergure sur ce plan.

Cinquièmement, il sera toujours possible de rendre le système plus efficace. Bien que plusieurs expériences soient en cours, par exemple en ce qui a trait aux nouveaux modèles de traitement de soins primaires, nous n'avons formulé aucune hypothèse dans notre étude quant aux effets financiers d'un tel changement structurel.

Enfin, dans notre modèle, nous avons supposé une migration internationale nette demeurant à 225 000 personnes en 2020. Cela équivaut à une migration internationale brute de 285 000 personnes au Canada.

Cela est important, parce que si l'on assistait à une réduction nette du niveau d'immigration au Canada, nous nous retrouverions avec une population active moins importante et une assiette fiscale réduite, sans pour autant que les dépenses en soins de santé soient terriblement modifiées. Dans un tel scénario, les coûts pour les gouvernements provinciaux seraient plus élevés que ceux que nous avons estimés.

Je vous ai signalé ces six éléments parce que je tenais à vous souligner que nous avons adopté une approche prudente vis-à-vis de la prévision des recettes gouvernementales. Vous constaterez, par ailleurs, que nous n'avons prévu aucune récession dans nos prévisions au cours des 20 prochaines années. Cependant, nous avons envisagé une augmentation très importante de la proportion des coûts par rapport aux recettes, uniquement parce que la structure demeurerait inchangée.

Ce faisant, près de la moitié -- 45 à 50 p. 100 -- des recettes provinciales seront consacrées aux soins de santé.

Inutile de vous préciser qu'il s'agit-là d'un domaine de recherche critique qui mérite une étude plus poussée. Comme les systèmes de soins de santé sont dynamiques, nous devrons faire davantage pour essayer de comprendre comment ils pourraient évoluer dans le temps afin de répondre aux pressions associées à la croissance démographique et au vieillissement de la population, sans tenir compte de l'incidence des nouvelles technologies ni des progrès de la science.

Afin de régler en partie ces questions, dans le cadre de sa table ronde des dirigeants sur les thèmes de la santé, des soins de santé et du bien-être, le Conference Board est en train d'élaborer plusieurs scénarios d'avenir axés sur l'incidence de changements structurels différents. Nous espérons terminer ce travail plus tard cette année.

On pourra toujours douter de notre capacité de prévoir l'avenir, mais nul ne niera que, ne disposant que de fonds publics limités pour alimenter un nombre important de programmes, les gouvernements continueront de devoir prendre des décisions graves du point de vue de la politique et des politiques. Cela revient à dire que certains programmes recevront plus de fonds, tandis que d'autres en auront moins. À l'analyse des budgets provinciaux des quatre dernières années, on constate une augmentation de 62 p. 100 des dépenses provinciales sur cette période, au titre des soins de santé seulement. Et cela ne comprend pas les résultats de l'accord signé par les ministres le 1er septembre 2000.

À court terme, les gouvernements auront toujours le choix. À moyen et à long terme, ils ne pourront faire fi des exigences associées aux autres programmes, comme l'enseignement, les services sociaux et même la réduction de la dette. Il est évident que dans le débat qui s'est tenu jusqu'ici, nous n'avons pas pu nous décoller de l'agitation entourant les soins de santé, pour nous intéresser à la situation d'ensemble et tenir compte de tout un éventail d'objectifs de politique publique qui sont en concurrence les uns avec les autres.

Pour résumer, bien que l'avenir de notre système de soins de santé mérite une attention soutenue, nous ne devons pas perdre de vue les autres investissements importants, ni ce qu'ils vont nous rapporter, investissements que les gouvernements vont réaliser au nom des Canadiennes et des Canadiens. Quand on songe à notre avenir, il ne faut pas oublier que les valeurs que nous chérissons en tant que Canadiens se retrouveront au centre du débat. Nous avons publié un important document sur les valeurs des Canadiens et sur les valeurs associées aux soins de santé, document auquel on peut accéder sur notre site Web.

Il faudra prendre des décisions délicates quant à l'avenir du système de soins de santé. Nous sommes face à certaines valeurs qui s'opposent sur ce plan, et je vais vous les résumer en conclusion.

D'abord, comment réconcilier les questions de qualité et d'abordabilité? Les Canadiens veulent pouvoir accéder aux meilleurs soins possible, quand ils en ont besoin, mais comment allons-nous pouvoir le leur offrir dans le cadre d'un système financé par les deniers publics? On peut, sans trop craindre de se tromper, affirmer que les Canadiens reconnaissent implicitement que cela exigera des compromis. Cependant, si l'écart s'agrandit entre ce que les Canadiens jugent raisonnable et nécessaire et ce que le système peut leur offrir, il faudra renoncer à quelque chose. C'est, très clairement, ce que nous indique la recherche.

Par ailleurs, comment allons-nous parvenir à offrir à tout le monde un accès relativement équitable à des niveaux de service identiques, et à ceux qui le souhaitent la possibilité de payer de leur poche pour bénéficier de services médicalement nécessaires, plus rapides ou de qualité supérieure. Allons-nous les empêcher d'accéder à ce genre de service et considérer qu'il s'agit-là d'un compromis inhérent à notre système ou allons-nous permettre aux gens qui le souhaitent de dépenser leur argent, même si de tels services ne sont pas médicalement nécessaires -- ce qui nous ramène à l'argument de la tranquillité d'esprit. Quelles répercussions pourrait avoir chaque approche?

La troisième et dernière tension sur le plan des valeurs consiste à déterminer où finit la responsabilité du gouvernement en matière de santé de la population et où commence la responsabilité de chacun à cet égard. Le gouvernement devrait-il disposer d'un système d'assurance portant sur tous les coûts associés à une maladie ou à des blessures de nature catastrophique et demander aux particuliers d'assumer tout le reste? Le système public devrait-il viser un équilibre entre la couverture des traitements offerts et les services de prévention? Ou alors devrait-on envisager des modalités de partage des coûts pour certains de ces services, ce qu'on appelle la coassurance?

Quelle que soit la politique que nous adopterons, nous ne pourrons pas échapper au problème des valeurs concurrentes dans le domaine des soins de santé. Elles sont présentes, même quand on envisage le statu quo.

Pour terminer, je tiens à féliciter le comité de nous avoir invités ici aujourd'hui et d'avoir pris les reines en main pour étudier le système de soins de santé et le rôle que le gouvernement fédéral sera appelé à jouer dans toute réforme nécessaire. Nous espérons que nos débats d'aujourd'hui contribueront à la phase deux des travaux du comité et M. Brimacombe et moi-même serons heureux d'essayer de répondre aux questions que vous voudrez bien nous poser.

M. Michael Gordon, membre, Conseil consultatif national sur le troisième âge: Honorables sénateurs, je me propose de faire quelques remarques liminaires. Tout d'abord, sachez que je suis honoré de me trouver ici pour y représenter le CCNTA. Vous aurez certainement détecté à mon accent que je suis américain, mais il y a 25 ans que je suis au Canada. J'ai choisi ce pays, notamment parce que le système de santé y est meilleur. Moi qui fait souvent l'aller-retour entre le Canada et les États-Unis et qui ai beaucoup de famille dans ce dernier pays, je peux vous dire que nos systèmes de soins de santé ne se comparent pas.

Je vais aborder la discussion sous un angle un peu différent de celui qui a été adopté jusqu'ici. Je considère que le vieillissement de la population est une des grandes réussites de nos systèmes de santé et de services sociaux. Je ne sais pas comment vous vivez, mais je serais prêt à parier que vous vous êtes dit que vous alliez vivre un peu plus longtemps que vos ancêtres. Vous espérez arriver à 80, 85 et même 90 ans, parce que vous aurez mangé les bonnes choses et que vous aurez fait de l'exercice. La grande réussite des services sociaux et des soins de santé au cours des dernières décennies est le vieillissement de la population. C'est une réalisation fantastique. Nous devons veiller à ne pas saper cela, parce que c'est une ressource non renouvelable. Je suis notamment préoccupé par la menace qui pèse sur l'intégrité de notre système de santé tout à fait exceptionnel.

Le Conseil consultatif national sur le troisième âge est donc heureux de pouvoir exposer son point de vue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie. Au nom du Conseil, je tiens à vous remercier pour l'intérêt que vous accordez à cette importante question qu'est le vieillissement de la population.

Comme vous le savez, notre mandat est de conseiller le ministre de la Santé sur toutes les questions touchant au vieillissement. Nous avons publié plusieurs documents au fil des années résumant, expliquant et étayant les documents de position. Récemment, nous avons notamment publié un rapport intitulé «1999 et après, les défis d'une société vieillissante» et un autre, après celui-là, sur la réforme des soins de santé.

Le vieillissement de la population n'a rien de monolithique. En gériatrie, qui est ma spécialité, on a coutume de dire qu'il y a plus de différences entre les personnes âgées qu'entre les jeunes. Cela va à l'encontre de la façon dont vous avez parlé de la population vieillissante. Cette tranche de population présente une diversité et des capacités énormes.

L'état de santé de la population au cours des 20 dernières années s'est considérablement amélioré dans la plupart des pays occidentaux, et très certainement au Canada. À l'analyse des statistiques sur la mortalité et la morbidité, on pourrait croire qu'on a réalisé la «quadrature du cercle» parce que, quand les gens font ce qu'il faut dans leurs jeunes années, la période de morbidité est comprimée et elle est de plus en plus proche de la fin. Certains ont remis cette théorie en question, mais nous ne manquons pas de preuve établissant que nous avons réalisé des progrès remarquables dans bien des facettes du vieillissement.

Une grande partie des personnes âgées est atteinte de maladies chroniques. Certaines de ces maladies se prêtent à des traitements préventifs, primaires ou secondaires dont il faut être conscient et qu'il convient de mettre en oeuvre le plus tôt possible. Nous estimons que nous n'avons pas assez investi dans la prévention et la promotion de la santé au Canada. Toutefois, il existe des domaines pour lesquels nous ne savons pas ce qu'il faudrait faire afin d'éviter la maladie et de promouvoir la santé, et bien sûr de telles décisions auront une incidence marquée sur la morbidité, la mortalité, la qualité de la vie et les coûts des soins. Je vous en citerai pour seul exemple l'Alzheimer. Nous ne savons pas, à l'heure actuelle, ce qu'il faut dire aux gens pour éviter cette maladie, mais si nous trouvons une solution demain, nous supprimerions un coût énorme pour le système de santé.

Nous ne manquons pas d'occasions de promouvoir et d'offrir des services. Au CCNTA, nous estimons qu'il est essentiel de disposer d'un système financé par les deniers publics pour offrir des soins de santé exhaustifs, humains et appropriés au Canada.

Je vous ai parlé de la dimension promotion de la santé. Nous avons bien des exemples à citer à cet égard. Par exemple, nous avons deux grandes priorités dans le domaine de la gériatrie: la prévention des chutes et la mobilité. Ces deux aspects ne nécessitent que des investissements minimes, essentiellement destinés à une population vieillissante fragile, mais les résultats peuvent être très intéressants sur le plan de la limitation des nombres de chutes et sur la répercussion que de tels incidents peuvent avoir sur les coûts associés à la morbidité et à la mortalité de même qu'à la diminution de la qualité de la vie. Les fractures à la suite d'une chute et leurs conséquences possibles sont les principales causes d'admission en foyer de soins.

Nous estimons que les soins primaires sont une dimension importante de tout système de soins de santé complets, et qu'il faudrait insister davantage sur ce genre de soins au Canada. Nous savons qu'il existe une énorme disparité entre les différentes régions du Canada, de même qu'entre les régions urbaines et rurales sur le plan de l'accès aux soins primaires.

Quant à nous, nous sommes intimement convaincus que les soins en foyer devraient faire partie du système de santé. Quand elle a été imaginée, la Loi canadienne sur la santé n'entretenait qu'une vision limitée des soins de santé, qui était peut-être appropriée à l'époque. Les choses ont changé depuis, puisqu'il est maintenant possible d'offrir la majorité des services de soins de santé à domicile. Une grande partie des problèmes associés au vieillissement et à la mobilité, n'exige pas de traitements de haute technologie, mais des traitements relativement peu coûteux qui constituent tout de même une assistance importante à domicile. Nous croyons que cela devrait être intégré au système de santé.

On pourrait dire la même chose de l'assurance-médicament. La majorité des traitements offerts et les améliorations apportées dans les soins sont associés aux remarquables médicaments maintenant disponibles. Il y a des problèmes -- mais il s'agit d'un autre débat -- qui consistent à s'assurer que les médicaments sont tarifiés et utilisés de façon appropriée. J'ai siégé au Comité provincial de l'Ontario sur les médicaments et je suis au courant des nombreuses options dont nous pourrions nous prévaloir pour offrir des pharmacothérapies.

Nous estimons que les personnes âgées au Canada n'ont pas un accès suffisant aux médicaments. Selon les systèmes de financement provinciaux, pour toute augmentation très modeste du revenu, les personnes âgées doivent payer une part considérable du coût des médicaments. Ce faisant, on constate une répercussion sur leurs revenus et sur leur qualité de vie.

Les soins à long terme doivent constituer un volet important du système de soins de santé. Nous prévoyons un besoin important à cet égard. Malgré tout ce qui se fait de bien dans le domaine des soins de santé nécessaires à long terme, un grand nombre de provinces réduisent leur financement et leur appui sur ce plan. Cela nous préoccupe.

Le dernier volet est celui des soins palliatifs qui ont été mentionnés dans l'exposé précédent. Nous sommes convaincus, et cela ne surprendra personne, qu'il est important de disposer d'un système de soins palliatifs complet, en institution ou à domicile -- selon ce qui convient le mieux à chacun -- et nous estimons que le moment est venu de veiller à ce que tous les Canadiens qui ont besoin de soins palliatifs puissent en bénéficier. Les soins palliatifs sont différents des soins terminaux, parce que dans le premier cas il est question de soins offerts sur une certaine durée, alors que dans l'autre, il est question de procédures de traitement.

Je vais maintenant réagir à l'autre intervention. De nombreuses études conduites aux États-Unis établissent que les testaments euthanasiques n'ont pas beaucoup permis de réduire les ressources mobilisées ni les coûts entrant en jeu. Sans estimer que ces testaments sont inutiles, je crois qu'ils permettent simplement aux familles de prendre des décisions difficiles, parce qu'ils ne s'adressent pas vraiment ni aux médecins ni aux infirmières, mais aux membres des familles.

Il faut considérer que ce genre de testament est un moyen de communication, mais pas une façon d'économiser de l'argent. À ma connaissance, aucun document n'étaye cette théorie dans le cas de la population âgée.

Si nous pouvions supprimer la dernière année de vie, nous réaliserions d'importantes économies. Le problème c'est qu'on ne sait qu'après coup qu'il s'agissait bien de la dernière année. Si vous avez déjà eu à accompagner un parent âgé ou un membre de la famille mourant, moi je l'ai fait deux fois, vous savez que ce n'est qu'après à la fin qu'on sait qu'il s'agissait effectivement d'une maladie terminale. On ne refuse pas une chirurgie, comme cela m'est arrivé dans le cas de mon père de 89 ans, la semaine dernière, parce que le patient peut en mourir. On intervient parce que le malade est encore bien en vie et qu'il faut l'opérer. Quand il décède trois semaines plus tard, on peut toujours se dire que c'était un gaspillage d'argent, mais ce n'est pas ainsi qu'on aborde les soins de santé. Heureusement, on n'agit pas en fonction de ce qui s'est passé mais en fonction de ce qui peut se passer.

Nous estimons qu'il y a place à l'amélioration pour intégrer ce genre de structure dans le système de soins de santé afin qu'il fonctionne mieux et qu'on améliore l'accès. Nous ne devons pas oublier que les personnes qui ont de la chance peuvent, dans les dernières années de leur vie, être robustes, actives et contribuer énormément à notre tissu social. Et puis, il y a ceux qui ont moins de chance, qui sont fragiles et qui ont des besoins, mais que nous ne devons pas pour autant abandonner.

Je ne pense pas que nous en soyons dans ce scénario catastrophe. Il est tentant de se livrer à des projections. Je comprends que vous utilisiez des données pour faire des prévisions, mais cela s'est déjà fait dans les années 70 et l'on se rend compte que les données à l'époque avaient surévalué les coûts réels de 50 à 60 p. 100.

Pour conclure, sachez que notre conseil estime qu'un système financé par les deniers publics, apte à offrir des soins de santé de qualité à tous les Canadiens, de façon efficace, efficiente et humaine, représente la direction vers laquelle nous devons continuer de tendre. Nous estimons que le vieillissement de la population représente l'occasion de moderniser le système de soins de santé. Nous croyons que la qualité des soins offerts aux personnes âgées est un des aspects importants du système de soins de santé. Nous sommes prêts à relever ces défis, de façon humaine et respectueuse de l'être humain.

Le président: Après avoir énoncé vos recommandations, estimez-vous que le programme actuel devrait être élargi, plutôt que maintenu tel quel? Deuxièmement, vous recommandez l'instauration d'un programme de soins à domicile financé par les deniers publics. Troisièmement, vous croyez que nous devrions financer, avec les deniers publics, un programme quelconque pour payer les médicaments.

M. Gordon: C'est ça, je veux parler de l'assurance- médicament.

Le président: Par rapport à la question des valeurs soulevée par M. Frank, on voit très bien de quel côté vous penchez. Cela ne revient pas à dire que je suis en accord ou en désaccord avec vous, mais j'essaie simplement de comprendre.

Quand vous parlez, par exemple, d'un «programme financé par les deniers publics», voulez-vous dire qu'il s'agirait d'un programme pour tous les Canadiens ou pour certains seulement? Ce serait un programme alimenté par les recettes fiscales générales ou est-ce que les gens devraient payer pour une partie des services utilisés?

M. Gordon: Je n'ai pas essayé de définir le système de paiement. Je veux parler d'un système financé par les deniers publics, ce qui veut dire que tout le monde est assuré. C'est un système universel. Je pense que les cinq principes de la loi s'appliquent aujourd'hui, tout comme à l'époque où ils ont été formulés.

Je crois que tous les Canadiens et toutes les Canadiennes devraient être assurés -- les jeunes, les personnes d'âge moyen et les personnes âgées. Je pense qu'il faut relever le défi que présente la mise en oeuvre d'un tel système, que ce soit par le truchement d'une imposition générale, par une combinaison imposition et quote-part ou par d'autres formules.

Il y a quelque temps, j'ai signé un article sur un système universel public, financé par les impôts, mais dont le financement serait fondé sur l'utilisation. Il existe bien des modèles dont on pourrait s'inspirer.

Le principe est celui de l'universalité. L'idée de favoriser l'accès à un système payant plutôt qu'à un système fondé sur les besoins me préoccupe, parce que j'en ai fait l'expérience dans d'autres pays. La principale limitation sur le plan des ressources est celle des professionnels de la santé. En Grande-Bretagne, j'ai constaté que les listes d'attente s'allongent parce qu'on permet à certains de passer devant.

Ce sont toujours les mêmes personnes qui offrent les services. Nous n'avons pas de capacité supplémentaire. Je ne connais pas de pays occidental, et ce n'est pas le cas des États-Unis, disposant d'une réserve de ressources clés que sont les médecins et les infirmières. Tous ces modèles m'inquiètent, parce que je ne pense pas qu'ils permettent de régler le fond du problème.

Je serais prêt à envisager toutes les structures de financement, à condition qu'on maintienne les principes d'universalité et d'équité. Attention aussi à la question des quotes-parts, parce que ce système pourrait revenir vous hanter. Au Québec, le système de remboursement des médicaments aux personnes âgées s'est avéré plus coûteux qu'il ne l'était avant.

Il faut être prudent quant à la façon dont on veut économiser et dépenser l'argent. Cependant, je ne suis pas économiste, je suis un simple médecin.

Le sénateur LeBreton: D'après votre graphique du tableau 1 à la page 3 de votre mémoire, monsieur Frank, on se rend compte que c'est vraiment la tranche supérieure de la population vieillissante qui coûte le plus cher au système de santé, n'est-ce pas?

Nous avons tous des parents qui vieillissent. Ma mère était en parfaite santé jusqu'à ce qu'elle tombe à l'âge de 90 ans. Elle n'était un fardeau pour personne puis, soudain, en deux ans, elle s'est retrouvée dans un centre de soins. Quand on parle de vieillissement de la population, de quoi est-il question au juste? Votre tableau est intéressant, mais que signifie-t-il pour ce qui est du budget du système de santé? Savons-nous combien de Canadiens sont maintenant âgés de plus de 85 ans et leur nombre croissant dans l'avenir va-t-il constituer un problème?

M. Frank: Oui! Monsieur Brimacombe, j'aimerais que vous répondiez, vous aussi. On a tendance à mal s'y prendre à propos du vieillissement. On a affaire à une tranche de population n'appartenant pas au même groupe d'âge. Toutes les études confirment qu'il s'agit de la génération des baby-boomers, qui sont maintenant dans la jeune cinquantaine.

Il est peut-être utile de bien préciser que ce n'est pas le vieillissement en tant que tel qui provoque une augmentation des coûts, mais je n'en suis pas convaincu. La mort est coûteuse, c'est évident. Il est essentiel de comprendre que nous n'avons jamais, au Canada, connu une telle répartition de la population. Si l'on s'en tient aux mêmes calculs mathématiques, que l'on conserve les mêmes systèmes et qu'on attribue les mêmes coûts par personne, on se trouvera inévitablement à assister à une augmentation globale des coûts dans le temps. C'est ce que nous avons souligné dans nos travaux.

Ce faisant, j'essaie de ne pas me limiter à l'aspect vieillissement de la population. J'estime que les choses vont bien au-delà. Il demeure que les statistiques entourant tout le phénomène de vieillissement de la population parlent d'elles- mêmes. La tendance, chez les personnes âgées, est à une utilisation plus fréquente du système. Il n'y a pas de doute à cet égard.

Je voulais également vous parler de nos projections. Mon voisin a fait une remarque à cet égard qui n'est pas exacte. Je vis avec cette réalité tous les jours dans ma profession. Quand quelqu'un fait un bon travail dans ce domaine, on se précipite pour essayer de modifier l'avenir. En effet, si nous réussissons à trouver une façon de gérer plus efficacement le système des soins de santé, nous réduirons dès lors le risque que les dépenses de santé grugent tous les autres domaines de responsabilité du gouvernement, du moins à un niveau qui ne serait politiquement pas acceptable pour la plupart des Canadiens.

Au rythme où vont les choses, la croissance débridée des soins de santé va absorber une proportion encore plus importante des budgets provinciaux. C'est essentiellement le constat auquel nous en sommes arrivés dans notre étude.

Notre débat va consister à déterminer si nous pouvons ou non changer les choses et si nous voulons ou non le faire.

M. Glenn Brimacombe, directeur du programme sur la santé, Conference Board du Canada: Cela nous ramène aux changements survenus sur le plan de la répartition de la population dans le temps, par rapport aux changements d'habitudes de consommation des Canadiens qui vieillissent. C'est exactement ce que vous voyez là. Le vieillissement est associé à l'idée de morbidité, au simple fait que les êtres humains ont des limites, que leur organisme se détraque et qu'ils ont besoin de soins. Si vous examinez les profils de consommation -- les questions de gravité de la maladie et d'intensité des services offerts aux Canadiens -- vous vous rendrez compte qu'ils évoluent selon la cohorte d'âges considérée. Les chiffres du tableau 1 nous viennent de l'Institut canadien d'information sur la santé. Ce n'est pas nous qui les avons établis. Ils sont publics et ils proviennent des différentes bases de données sur la santé au Canada. On retrouve le même genre de profils, c'est-à-dire une multiplication par deux, dans les autres pays.

L'OCDE a publié une étude sur le vieillissement en 1996, qui montre les différentes relations existant entre les facteurs ou multiples pour les personnes de plus de 65 ans et pour celles de moins de 65 ans. Le multiplicateur est d'environ trois et demi. Pour les personnes de plus de 75 ans, le multiplicateur peut être supérieur à quatre. Il existe donc un lien et d'autres facteurs qui entrent en ligne de compte.

Le sénateur Graham: J'ai été heureux d'entendre M. Gordon nous dire qu'il n'y a pas de comparaison possible entre le Canada et les États-Unis sur le plan des systèmes de soins de santé. Je suppose que vous préférez le Canada, puisque vous y avez passé 25 ans et que vous avez apporté une contribution valable à notre pays.

M. Gordon: C'est exact.

Le sénateur Graham: Pourriez-vous faire une comparaison entre le Canada et d'autres pays?

M. Gordon: J'ai été formé en Grande-Bretagne, il y a bien longtemps de cela, quand le système national de santé était davantage universel que sa version plus récente, axée sur le marché.

J'ai aussi vécu quatre ans en Israël dont le système de santé quasi public a beaucoup changé. J'ai visité d'autres pays dans le monde. J'estime que c'est au Canada, de tous les pays que j'ai visités, que le système est le meilleur. Les Australiens en ont un semblable au nôtre.

De nombreux autres systèmes ont envisagé d'ajouter ou ont carrément ajouté des paliers ou des composantes privées. Les conséquences de ce genre de chose, sur les plans structurel, éthique et politique, m'inquiètent. Cela a fini par saper le système public. Selon ce qu'on cherche dans la documentation, on peut ou non s'en convaincre. Il y a d'autres façons d'aborder la chose, éthiquement ou moralement, et l'on peut se demander «pourquoi quelqu'un devrait-il pouvoir se payer quelque chose d'aussi essentiel que des soins de santé, uniquement parce qu'il veut bénéficier de ces services plutôt que parce qu'il en a plus besoin que son voisin?»

Je suis favorable à notre système. Je me suis efforcé, dans mes écrits et dans mes démarches, de veiller à ce que nous ne le perdions pas. Aujourd'hui, je suis inquiet, parce que je crois qu'il est menacé pour différentes raisons.

Le sénateur Graham: Combien de paliers avons-nous aujourd'hui au Canada?

M. Gordon: Il existe plusieurs paliers, en périphérie. Autrement dit, il est possible d'acheter bien des choses. Pour faire une comparaison, disons que la plupart des collectivités sont dotées d'un service d'incendie, mais que vous pouvez vous procurer un détecteur à incendie, un extincteur et même un système de sprinkleurs. Si vous êtes très riche, vous pourrez faire installer 12 sprinkleurs dans votre maison, mais vous ne pourrez jamais vous acheter votre camion de pompier. Je ne connais pas de municipalité qui le permette. Nous avons décidé d'opter pour un système de protection incendie financé par les deniers publics, parce que c'est ce qui sert le mieux la collectivité, même si nous savons que certaines personnes passent au feu plus souvent que d'autres. Je considère qu'il s'agit d'un élément essentiel de notre tissu social.

Le sénateur Graham: Monsieur Frank, vous avez dit qu'il était possible d'agir sur d'autres plans pour améliorer l'efficacité du système. Avez-vous des recommandations à faire?

M. Frank: M. Brimacombe va vous répondre.

M. Brimacombe: C'est une des questions dont M. Frank vous a parlé au sujet de l'analyse de sensibilité, parce qu'elle concerne le scénario de base. Il est question de désinstitutionnalisation et de mise en place d'une structure de soins à domicile plus évoluée ou d'une structure de soins à long terme. Il est également question de l'utilisation appropriée des ressources entre les institutions de soins aigus et les institutions de soins à long terme. Les autres économies possibles tiennent à l'amélioration constante de l'état de santé de la population, qui dépend dès lors moins du système de soins de santé et qui peut s'en passer pendant plus longtemps.

Les technologies aussi, pourraient jouer un rôle et il faudrait savoir dans quelle mesure elles pourraient nous servir à économiser plutôt que de contribuer aux coûts. Voilà donc quelques exemples auxquels nous pensons et que nous pourrions intégrer dans nos modèles pour les 20 prochaines années.

Le sénateur Keon: Voilà une discussion très intéressante. Monsieur Gordon, je tiens à vous féliciter pour plusieurs de vos déclarations où vous avez mis dans le mile. Je ne les commenterai pas en détail, mais je vous donne raison pour bien des choses que vous avez déclarées dans votre exposé.

Monsieur Frank, on dirait que vos données contredisent celles du premier groupe de témoins. Reprenons le tableau 1. Juste en dessous, il est écrit que les coûts des soins de santé continueront d'augmenter dans les 20 prochaines années uniquement à cause du vieillissement de la population. Les témoins précédents nous ont dit que tel ne serait pas le cas, que le vieillissement n'aurait pas de véritable incidence sur les coûts de la santé et que ce qui était important, c'était la dernière année de vie et les coûts de traitement associés à cette dernière année.

Je suis heureux que vous nous ayez souligné que vos données proviennent de l'ICIS, parce que cet institut ne peut comptabiliser le nombre de fois où les patients utilisent le système. Il ne dispose que de données sur les séjours en milieu hospitalier, données provenant des hôpitaux. Il serait intéressant, si c'était possible, pour en revenir à votre tableau, de réanalyser la situation pour les différents groupes d'âge et de faire une ventilation des coûts associés à la dernière année de vie dans chacun de ces groupes d'âge -- autrement dit, en fonction des décès -- puis d'analyser le troisième groupe en fonction des décès. Je crois que vous parviendriez à des chiffres très différents et que vous seriez peut-être davantage d'accord avec les témoins précédents.

M. Frank: Nous serions effectivement davantage d'accord avec eux. Si l'on ventile les derniers moments précédant le décès dans les divers groupes d'âge, c'est évidemment le constat auquel nous parviendrons. Mais l'autre réalité, c'est que plus on vieillit, plus on a tendance à utiliser le système parce qu'on a davantage de problèmes de santé. Peut-être que ce n'est pas le cas, mais alors là ce serait une découverte pour moi. Il est certain que si vous extrayez les années précédant la mort, vous allez arriver à des coûts moindres. Mais honnêtement, je ne vois pas dans quelle mesure cet exercice pourrait être utile.

Le sénateur Keon: Moi, je crois qu'il serait très utile. Cela m'amène à vous parler d'une autre contradiction que M. Gordon a soulevée. Les témoins précédents nous ont déclaré que les testaments euthanasiques sont particulièrement rentables. D'un point de vue pragmatique, en qualité de pdg d'une institution, j'aurais tendance à les trouver très rentables, mais en vérité, ils ne le sont peut-être pas, parce que tout ce qu'ils font c'est éliminer des tests inutiles. Il suffit de tomber sur une équipe soignante avisée pour éliminer automatiquement ces tests inutiles.

Voilà ce qu'on pourrait certainement dénicher dans ces deux ensembles de données. Si vous retravailliez les données du tableau 1, vous parviendriez à trois ensembles à analyser -- parce que ces données sont trop brutes -- et vous pourriez alors voir ce qui se passe, dans chaque groupe d'âge, dans la période précédant la mort et dans les autres périodes. Encore une fois, l'ICIS n'a pas de données sur le nombre de fois où une personne utilise le système, mais sur l'utilisation du réseau hospitalier. Toutefois, ce serait utile.

Le sénateur Morin: Monsieur Frank, pour en revenir au pourcentage des dépenses, il aurait été intéressant que vous fassiez cela dans le cas d'autres provinces. Les données pour Terre-Neuve sont peut-être, comme vous le savez, supérieures à 100 p. 100, quant à celles de la Nouvelle-Écosse, elles frisent les 95 p. 100. La province la plus pauvre affiche les données les plus élevées. Dans le cas de Terre-Neuve, on dépasse 100 p. 100. C'est intéressant.

Je suis tout à fait d'accord avec vous. Peu importe la façon dont on aborde la chose, que ce soit en retenant uniquement la dernière année de la vie ou le nombre de personnes âgées ayant une santé fragile, il est évident que les jeunes de 20 ans utilisent moins le système. Personne ne le discute.

J'ai deux remarques à faire. Pour ce qui est de l'efficacité du système, vous connaissez sans doute l'étude réalisée par les ministres provinciaux de la Santé, il y a un an, sur les coûts des soins de santé. D'après leurs données, les possibilités d'améliorer la productivité des services de santé seraient moindre que ce que vous le soutenez. Ils estiment même que malgré toutes les réformes entreprises par toutes les provinces, on ne puisse pas vraiment faire grand chose. Je parle du rapport de juin 2000.

Malheureusement, je ne pense pas non plus que vous puissiez réaliser des économies grâce aux nouvelles technologies. De plus en plus de patients âgés se retrouvent sous dialyse. Votre père lui-même a dû subir un pontage à l'âge de 90 ans.

M. Gordon: J'espère qu'il va arriver à 90 ans, il n'en a que 89.

Le sénateur Morin: Je suis cardiologue et je n'aurais jamais imaginé cela avant. Sénateur Keon, je suis sûr que la majorité des pontages sont réalisés à cette étape. On effectue aussi beaucoup de chirurgie orthopédique sur les patients âgés.

Le deuxième aspect est celui de l'attente. Les personnes âgées au Canada, plus que dans tout autre groupe d'âge, entretiennent des attentes élevées vis-à-vis du système de santé. Elles sont mieux informées. Elles savent ce qu'elles veulent, et cela représente une autre augmentation de coût.

J'ai beaucoup apprécié ces exposés, monsieur le président.

M. Frank: Je veux revenir aux déclarations du Dr Keon au sujet de l'ICIS. Les données nous viennent de Santé Canada. Je crois savoir que celles-ci englobent tous les facteurs associés aux dépenses par âge et par sexe.

Le sénateur Keon: Vous avez tout à fait raison. Je pensais vous avoir entendu dire qu'elles provenaient de l'ICIS et j'avais tort.

M. Frank: Je travaille dans ce domaine depuis pas mal de temps. J'ai siégé au Conseil de l'Hôpital Civic, il y a dix ans. Le système de soins de santé, tel que nous le connaissons aujourd'hui, est un grand mobilisateur de ressources. Quand nous avons fait ce travail pour l'Ontario et la Colombie-Britannique, nous avons fait ressortir ce pouvoir, quand nous avons constaté que près de la moitié des recettes vont aux soins de santé.

Nous pourrions bien sûr mettre une limite à ces dépenses et affirmer «aucune société ne peut se permettre ce genre de chose». La part des dépenses ou des recettes provinciales -- parce que, n'oubliez pas que, les budgets étant équilibrés, les dépenses ne seront pas supérieures aux recettes dans l'avenir -- allant à l'enseignement, aux autres services gouvernementaux, au bien-être social et autres, progresse beaucoup moins rapidement, parce que nous avons permis au système de santé de continuer à prendre de l'expansion et d'en rester aux habitudes de dépenses du passé. Ce n'est pas soutenable, ça ne peut pas fonctionner. C'est du moins la position que nous avons adoptée.

Pour ce qui est des changements structurels et des économies pouvant être réalisées, il est difficile de s'y retrouver dans les termes que nous utilisions. On parle parfois de «changements structurels», qui revient à dire que l'on fait des choses différemment. On parle aussi d'«économies», parce qu'on vise des coûts moindres pour des résultats identiques. On utilise parfois indifféremment un terme pour l'autre.

Je vais vous donner un exemple. Je parle souvent des changements structurels qui se sont produits dans le début des années 90, quand nous avons fermé des lits à l'Hôpital Civic et que des patients qui étaient dans un hôpital de soins tertiaires ont été transférés dans des établissements de soins à long terme, qui coûtent moins cher. Si je vous montrais les données vous constateriez une très nette diminution des dépenses pour ces catégories de personnes plus âgées, au début des années 90. Cela était dû au changement structurel associé à la désinstitutionnalisation.

Je dirais que la qualité des soins offerts dans les établissements de soins à long terme est équivalente à celle des soins que nous dispensions à Civic.

Il faut y voir une possibilité. Cependant, si cela nous permettait de réduire les coûts des deux tiers ou de moitié, il faudrait alors que la société trouve des façons de réaliser ce genre de chose, mais ce n'est pas facile. Je viens de vous montrer là un exemple de changement structurel et de changement débouchant sur des économies. Nous avons assisté à l'explosion du nombre de chirurgies de jour. On a assisté aussi au phénomène de régionalisation et de fusion des hôpitaux. Toutes ces mesures sont destinées à maintenir la qualité des soins et à réduire les coûts. La façon dont nous allons discuter de tout cela dans ce débat sera très importante. Il faut faire attention, parce que les mots ne signifient pas toujours la même chose.

M. Gordon: Je pense que vous avez raison à propos de la technologie d'une certaine façon. Toutefois, je me rappelle très clairement la première fois où j'ai dit à un chirurgien qu'il ne devrait pas opérer quelqu'un qui n'avait pas pris de Tagamet; il était livide parce que je venais juste d'annuler l'opération. Bien sûr, ce n'est là qu'un exemple de technologie. Il est difficile de prévoir ce qui va se passer, surtout quand la population des personnes âgées sera importante.

Tout à l'heure, j'ai parlé de la maladie d'Alzheimer. Pour l'instant, le médicament utilisé n'est pas vraiment très efficace dans le traitement de cette maladie terrible, mais il est possible que, dans cinq ans d'ici, cette maladie ne cause plus de problème, pas plus que la poliomyélite, et que tout le système aura changé. Ce sont des choses qu'on ne peut pas prévoir. Vous pouvez toujours utiliser le terme de technologie pour décrire les progrès réalisés dans les soins de santé. Certaines de ces choses-là sont coûteuses mais d'autres, comme les pontages, se font quotidiennement. C'est un peu comme une procédure dans un cabinet médical.

Le sénateur Cordy: Monsieur Frank, plus tôt, vous avez dit que la politique la plus importante était celle des soins de santé. Je ne pense pas que quelqu'un ici soit en désaccord avec cela.

Ma question fait suite aux remarques du sénateur Morin. Je crois que les Canadiens s'attendent à bénéficier d'un meilleur accès au système de soins de santé et sont beaucoup mieux renseignés qu'il y a plusieurs années, grâce à Internet, à de meilleures informations et ainsi de suite. Au début de la séance, on nous a dit qu'il n'y avait pas de lien entre l'argent dépensé et la longévité. D'ailleurs, les Suédois dépensent proportionnellement moins que les Canadiens à cet égard et ils vivent pourtant plus longtemps que nous.

Quand vous nous avez montré vos prévisions pour la Colombie-Britannique et l'Ontario, je n'ai pas été surpris, mais je suis encore un peu sous le choc de voir à quel point tout cela est si nettement tranché. Je suis d'accord avec ce qu'a dit le sénateur Morin, à savoir que ces pourcentages seront certainement beaucoup plus élevés dans les petites provinces en 2020.

Quoi qu'il en soit, le public entretient certaines attentes vis-à-vis du système de santé. Je ne suis pas sûr que ce soit le cas pour la majorité de la population, mais une partie qui s'exprime le plus énergiquement s'attend à ce que nous continuions à injecter des sommes considérables dans les soins de santé.

Pour ralentir la progression des dépenses dans les soins de santé, vous avez recommandé d'opter, par exemple, pour les soins à domicile, pour la désintitutionnalisation et pour l'application des technologies. Est-ce que vous avez pensé à des choses comme le coping?

M. Frank: Mon organisation ne prend pas de position sur ce qui devrait être fait. Nous avons déjà eu assez de difficultés à vous présenter ce genre de travail sans que tout le monde le rejette instantanément. Si je vous présentais maintenant nos neuf recommandations en fonction du système de valeurs de Jim Frank, vous nous accuseriez sans doute d'avoir biaisé la recherche pour en arriver à une telle conclusion.

Ce que je peux vous dire, c'est que notre perspective pour les provinces au cours des 20 prochaines années correspond au scénario de base du Conference Board du Canada. Nous n'avons rien modifié à ce travail. Nous avons retenu un afflux d'immigrants supérieur à celui adopté par Statistique Canada dans ses différents scénarios, parce qu'à long terme, nous avons constaté dans notre analyse économique que le taux de chômage devient négatif quand on pousse les modèles à leurs limites. C'est insensé. Ça n'arrivera jamais. Pourquoi passerions-nous à un taux de chômage négatif? Le problème tient au fait que le taux de reproduction actuel ne nous permet pas de maintenir une croissance positive de la main-d'oeuvre active à terme de 20 ans. Cela étant, dans notre modèle, nous avons augmenté le taux d'immigration.

Mais je vous le demande, est-ce que nous allons avoir ces 285 000 personnes? Deuxièmement, s'agira-t-il d'immigrants ayant des compétences méritant un salaire moyen supérieur au salaire moyen des Canadiens? Si nous continuons d'accueillir des immigrants dont le revenu moyen est inférieur, notre revenu moyen général va reculer et il en sera de même de l'assiette fiscale. Cela n'aura aucune incidence sur les soins de santé, parce que les immigrants appartiennent principalement au groupe des plus jeunes.

Quand nous avons fait ce travail, nous avons essayé de regrouper tout cela. C'est très compliqué. Comme je le disais, nous ne formulons pas de recommandation. Nous estimons qu'il est déjà assez difficile de faire ce travail d'analyse de base.

M. Brimacombe: À propos des dépenses de santé, permettez-moi de préciser que les données les plus récentes de l'OCDE concernant les dépenses font ressortir que les dépenses par habitant en Suède sont inférieures d'environ 50 $ à celles du Canada. L'écart est effectivement très faible. Pour ce qui est des quotes-parts ou des tickets modérateurs, outre ce que nous savons à ce sujet, il est évident que les tickets modérateurs fonctionnent jusqu'à un certain point mais qu'ils pénalisent les pauvres et les personnes âgées. Ils sont synonymes de causes et d'effets auxquels nous devons faire attention.

Nous sommes en train de nous pencher sur différents scénarios que nous voulons prendre en compte et modéliser. C'est un aspect dont nous pourrions vouloir tenir compte. Je ne peux pas tout de suite m'engager à cet égard, parce que nous allons consulter les participants à la table ronde que nous allons convoquer. À la fin, nous présenterons des données plutôt que des recommandations.

Le sénateur Morin: Les tickets modérateurs permettent-ils de réduire les coûts ou plutôt d'augmenter les recettes des gouvernements? Ce sont deux choses différentes.

Le sénateur Cordy: Soit dit en passant, je ne recommande pas que nous adoptions le système des tickets modérateurs.

Le sénateur Morin: Monsieur le président, s'il est établi que les tickets modérateurs permettent de réduire les coûts d'ensemble, j'aimerais en avoir la preuve. Je ne pensais pas que c'était le cas. S'ils augmentent les recettes des gouvernements, alors c'est une autre affaire.

M. Gordon a parlé de la situation du Québec, qui est un fort bel exemple d'augmentation des recettes du gouvernement, sans variation des coûts, si ce n'est pour les personnes les plus pauvres.

M. Gordon: Il existe des données de Medicaid, vieilles de plusieurs années, sur la couverture d'un nombre limité de médicaments pour une certaine maladie. Ces données font ressortir une diminution des coûts, mais le taux d'hospitalisation pour la maladie en question, la schizophrénie, a explosé. Tout dépend de là où vous voulez faire des économies.

Je voudrais dire quelque chose à propos de l'idée voulant qu'une augmentation du financement ne se traduise pas forcément par une amélioration de l'espérance de vie. C'est une façon un peu grossière d'aborder la chose, parce que nous avons déjà atteint le maximum ou presque. J'ai lu un excellent article paru récemment dans Science, sous la plume d'Olshansky, qui dit que nous sommes sur le point de maximiser l'espérance de vie dès la naissance. Nous n'en verrons cependant pas les effets sur le plan de la qualité de la vie ni de la mobilité, qui sont sans doute les principaux avantages recherchés. Il ne fait aucun doute que les personnes atteintes d'une angine de poitrine débilitante, ayant subi un pontage coronarien et qui sont encore mobiles, ne verront pas leur espérance de vie augmenter de beaucoup, selon le type de chirurgie, mais c'est leur qualité de vie qui s'en trouvera améliorée.

Il faut être très prudent dans le type de mesure que nous utilisons avant de décider de dépenser notre argent. On utilise souvent cela comme une excuse pour ne pas faire d'investissement. Si vous estimez que la qualité de la vie n'est pas importante, il est normal de penser que de telles dépenses ne sont pas justifiées.

M. Brimacombe: L'autre partie de la question concernait la documentation. Il existe une documentation abondante sur l'utilisation des tickets modérateurs au Canada. Elle remonte à une étude majeure par Beck et Horne, datant du début des années 70, sur l'incidence des tickets modérateurs.

La question fondamentale est de savoir quel est l'objectif politique: s'agit-il d'augmenter les recettes ou de favoriser la répartition sur l'ensemble de la population?

Si l'incidence sur les personnes âgées ou les pauvres, par exemple, est disproportionnée, la question revient alors à savoir si l'on ne retarde pas les soins et que, ce faisant, on ne va pas augmenter les coûts à plus long terme, parce que la maladie aurait pu être traitée plus tôt.

Le président: Ce qu'il y a de merveilleux avec les sciences économiques, c'est qu'elles ne savent pas jouer avec les effets distributifs, ce qui est une des choses qui intéresse pourtant beaucoup les politiciens.

Le sénateur Keon: Monsieur le président, les témoins de l'Institut C.D. Howe seront ici demain matin et je dois vous dire qu'ils ont beaucoup travaillé sur ce sujet.

Le sénateur Callbeck: Merci beaucoup pour vos exposés, qui étaient fort bien préparés.

Monsieur Gordon, je voudrais vous poser une question sur la partie de votre mémoire portant sur les soins à domicile. Je suis d'accord sur la nécessité d'améliorer et d'étendre les soins à domicile, mais il y a une phrase ici qui m'a surprise: «Le Conseil est consterné de voir que l'on déploie des efforts pour essayer de limiter l'accès aux soins à domicile plutôt que pour investir davantage de ressources dans ce secteur.» Moi, je pensais que c'était l'inverse, que nous insistions maintenant davantage sur les soins à domicile.

M. Gordon: Dans quelle province résidez-vous?

Le sénateur Callbeck: À l'Île-du-Prince-Édouard.

M. Gordon: Les soins à domicile sont relativement plus coûteux en Ontario, mais il est plus difficile d'en obtenir. J'y vois la conséquence de la privatisation passée. Il m'est arrivé de pratiquer en gériatrie et de constater que la majorité de mes patients ne recevaient pas vraiment d'aide en vertu du système de soins à domicile. Ce faisant, ce sont les familles et les assurances privées qui paient les soins. Le système de soins à domicile structuré, financé par les deniers publics, est loin de ce qu'il pourrait être. On ne cesse de réduire les budgets des CCAC, qui sont les structures autour desquelles ces soins ont été organisés. Je ne peux parler de ce qui se passe dans les autres provinces, mais je crois savoir qu'en règle générale les soins de santé n'ont pas fait l'objet de l'essor qu'on attendait et, dans certaines provinces, on les a même réduits.

Le sénateur Callbeck: Est-on en train d'essayer de limiter l'accès aux soins à domicile en Ontario?

M. Gordon: Le financement des soins à domicile est très limité et les besoins sont élevés. On pourrait donc dire que le fait de ne pas augmenter le financement, même si les besoins sont très élevés, revient à limiter ce type de soins, selon la façon dont vous abordez la chose. Le nombre de personnes qui devraient bénéficier de soins à domicile et qui reçoivent de tels soins grâce au système financé par les deniers publics, est relativement faible. Le système public les sert mal.

Le sénateur Rompkey: Et bien sûr, on va dire que la même chose est vraie pour l'enseignement.

M. Brimacombe: Pour corroborer ce que vient de déclarer le Dr Gordon, il est vrai qu'à l'analyse des dépenses des autres catégories d'institution, notamment des installations autres que celles offrant des soins aigus, 75 p. 100 des dépenses au Canada sont privées et 25 p. 100 sont publiques. Quand on établit la ventilation entre la part du secteur public et la part du secteur privé, on constate une diminution dans cette catégorie, dans les trois secteurs. On aurait pu s'attendre au contraire, compte tenu de l'insistance que nous devrions placer sur ce secteur. Quoi qu'il en soit, c'est ce qu'on constate à l'analyse des données les plus récentes.

Le président: Merci.

La séance est levée.


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