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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 8 - Annexe A


Exposé présenté par Desmond Morton, directeur de l'Institut d'études canadiennes de McGill, devant un comité parlementaire chargé d'examiner une Loi instituant la Journée Sir John A. Macdonald et la Journée Sir Wilfrid Laurier, Édifices du Parlement,
25 avril 2001, 15 h 30.

CE QUE NOUS POUVONS APPRENDRE DE MACDONALD ET LAURIER

Je vous invite cet après-midi à vous souvenir des deux premiers ministres qui ont modelé notre pays. Sir John A. Macdonald et sir Wilfrid Laurier n'étaient pas partenaires comme Lafontaine et Baldwin ou comme W. L. Mckenzie King et Ernest Lapointe. C'étaient des adversaires politiques, avec toutes les divergences qu'engendrent nos systèmes adversatifs. Mais ils étaient extraordinairement semblables face aux responsabilités du pouvoir parce que les dures réalités du Canada ne changent pas avec un changement de gouvernement. En fait, cette leçon vitale et ses conséquences font qu'il est beaucoup plus intéressant d'étudier ces deux dirigeants car, parallèlement à leur foi inébranlable dans le Canada et dans son potentiel, ils ont manifesté cet art du compromis dont l'histoire a prouvé le caractère indispensable pour tout avenir commun.

Cet après-midi, je voudrais reprendre quelques-unes de leurs paroles et examiner certaines des valeurs qu'elles reflétaient parce qu'elles pourraient bien former la base de la commémoration et de la célébration envisagées dans le projet de loi à l'étude. Considérons d'abord Laurier, notre septième premier ministre à la langue fleurie, premier Canadien de langue française à accéder aux fonctions politiques les plus élevées du Canada. C'était un homme de vision et de courage, mais aussi un homme tellement aimable qu'il a laissé le souvenir d'un héros et d'un ami, même chez ceux qui s'opposaient à ses vues. Début 1904, au Canadian Club d'Ottawa, il a prononcé pour la première fois une phrase qu'il répétera tout le long de cette année électorale: «Le XIXe siècle a été le siècle des États-Unis, a-t-il déclaré. Je crois que nous pouvons affirmer que c'est le Canada qui occupera le XXe siècle.» À la mi-octobre, au Massey Hall, sir Wilfrid Laurier avait poli le texte qui est resté dans nos livres d'histoire:

Je ne vous dirai rien d'autre que ce que vous savez déjà en affirmant que le XIXe siècle a été celui du développement des États-Unis. Les cent dernières années sont remplies des pages de leur histoire. Laissez-moi vous dire, chers concitoyens, que le XXe siècle sera le siècle du Canada et du développement canadien. Pendant les soixante-quinze prochaines années, voire les cent prochaines années, le Canada sera l'étoile qui guidera tous les hommes épris de progrès et de liberté.

À ceux, monsieur, qui ont la vie devant eux, je veux dire ceci: Rappelez-vous dorénavant de ne jamais arrêter votre regard à l'horizon, qui peut être restreint par les limites de la Province, étendez votre regard à tout le continent... et que votre devise soit la suivante: «Le Canada en premier, le Canada en dernier, le Canada toujours.»

Laurier pouvait se vanter d'une économie prospère, qui avait beaucoup profité de l'or du Klondike, dernière frontière de l'Amérique du Nord, et de la politique nationale de son prédécesseur conservateur, John A. Macdonald. D'ascendance écossaise, cet avocat de Kingston qui avait fait ses premières armes en politique parmi les féroces rivalités religieuses et raciales des années 1840 et 1850 avait appris que toute relation avec les Français devait se fonder sur le respect: «Traitez-les en nation, ils agiront comme un peuple libre le fait en général, avec générosité. Traitez-les en faction, ils seront factieux.» Dans son vieil âge, Macdonald a déclaré:

Je ne peux consentir au désir exprimé dans certains milieux pour qu'on tente par tous les moyens d'opprimer une langue ou de la rendre inférieure à l'autre. Je crois que ce serait impossible si nous nous y aventurions, et que ce serait insensé et cruel même si c'était réalisable.

Comme premier ministre, sir John A. Macdonald avait une stratégie visant à édifier une nation grâce à un grand chemin de fer transcontinental destiné à relier les diverses régions, à favoriser l'immigration pour peupler le territoire et à instituer une politique nationale pour créer des perspectives:

Nous devons, par tous les moyens raisonnables, donner de l'emploi à nos gens, non dans une seule branche de l'industrie et pas comme simples fermiers ou laboureurs. Nous devons encourager toutes les formes d'industrie, nous devons développer l'esprit des gens et leurs énergies. Être fermier ou laboureur ne convient pas à tous les hommes. Certains ont le génie de la construction, d'autres sont artistes, d'autres encore ont des aptitudes pour le commerce ou pour la mécanique. On peut trouver de tous ces hommes dans une nation et si le Canada n'avait qu'une seule branche d'industrie à leur offrir, si ces hommes ne peuvent pas trouver dans leur propre pays l'occasion de développer les talents et le génie que Dieu leur a donnés, ils iront dans un pays pouvant utiliser leurs aptitudes, comme ils ont quitté le Canada pour aller aux États-Unis.

Macdonald rêvait que son petit Canada de quelques millions d'habitants deviendrait un jour un grand pays. Il a dû faire face à toutes les difficultés de croissance d'une nation dont les éléments avaient été gauchement assemblés. Il a affronté une longue lutte destinée à relier le continent au moyen d'un chemin de fer, une récession mondiale qui perdurait et le conflit tragique du Nord-Ouest en 1885. En 1887, comme le sénateur Kirby le sait bien, même les Libéraux de la Nouvelle-Écosse ont voté pour la sécession.

Les Canadiens n'ont pas accordé une vie plus facile au jeune homme malingre de Saint-Lin que les libéraux avaient choisi comme chef provisoire. En décembre 1886, Wilfrid Laurier était venu à Toronto affronter une épreuve cruciale dans sa carrière. Une foule de curieux comprenant quelques éléments hostiles s'était assemblée. Ces gens rentrèrent chez eux ravis d'avoir écouté un futur premier ministre:

Je dirai ceci: nous sommes tous Canadiens. En aval de l'île de Montréal, l'eau vient du Nord, de l'Outaouais, puis se joint aux eaux venant des lacs de l'Ouest. Malgré cette jonction, les eaux ne se mélangent pas. Elles s'écoulent en flots parallèles, séparés, distincts, mais ne formant qu'un seul cours, entre les mêmes berges, le puissant Saint-Laurent s'écoulant vers la mer et portant le commerce d'une nation dans son sein: c'est l'image parfaite de notre nation. Nous ne nous assimilons pas, nous ne nous mélangeons peut-être pas, mais, à tout prendre, nous sommes les éléments d'un même pays.

Laurier devait également se battre pour gagner le c9ur et l'esprit des siens, aussi méfiants alors qu'ils le sont aujourd'hui des chefs qui vont à Ottawa et les oublient. Voici ce que Laurier a dit au Club National à Montréal:

Nous, d'origine française, avons le sentiment de notre propre individualité. Nous voulons transmettre à nos enfants la langue reçue de nos ancêtres. Mais, en chérissant ce sentiment dans nos coeurs, nous n'admettons pas qu'il est compatible avec notre nom de Canadiens. Nous sommes des citoyens du Canada, et nous avons l'intention de remplir tous les devoirs que ce titre implique.

Cela dit, dès que nous invitons des hommes d'une autre race à notre table, nous affirmons qu'ils sont nos concitoyens, tout comme eux affirment que nous sommes leurs concitoyens. Notre pays, c'est leur pays: leurs opinions politiques sont nos opinions politiques; nos aspirations sont leurs aspirations. Ce qu'ils veulent, et ce que nous voulons, c'est que les droits des minorités soient respectés; que nos garanties constitutionnelles soient sauvegardées; que les provinces demeurent souveraines et que le Canada soit uni dans sa diversité.

Au Parlement, dans un Ottawa de langue anglaise, il était tout aussi intransigeant:

Je suis fils d'une Canadienne-française, et je déclare que je suis aussi attaché à la langue que j'ai apprise sur ses genoux que je chéris la vie qu'elle m'a donnée. Sur ce point, si j'en appelais à chaque citoyen d'origine anglaise, à chaque membre de cette race pour qui l'amour de la patrie et de la famille est tellement fort, je sais bien que chacun d'entre eux répondra que, dans notre position, il ferait exactement la même chose pour protéger sa langue maternelle.

Le Canada fut-il le maître du XXe siècle? Pas si les auditeurs de Laurier avaient cru à l'avènement d'une superpuissance impériale dominatrice, réglementant les affaires d'un monde plein de ressentiment. Mais ce n'est pas non plus de cette façon que le XIXe siècle avait appartenu à nos voisins du Sud. Entre 1800 et 1900, les Américains avaient édifié une société d'un dynamisme exceptionnel, cruelle et oppressive pour beaucoup de ses citoyens, d'une opulence indécente pour d'autres, mais riche en perspectives et en espoir pour presque tous.

En abordant le XXIe siècle au Canada, il serait absurde de faire abstraction de nos échecs et de nos craintes, mais serait-il contraire à l'esprit canadien de se souvenir des réalisations collectives rendues possibles par nos deux grands fondateurs? Ou d'oublier le conseil du premier:

Le Canada est un grand pays, qui deviendra l'un des plus grands de l'univers si nous savons le préserver, mais qui sombrera dans l'oubli si nous le laissons se disloquer.


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