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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 24 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 19 septembre 2001

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, qui est saisi du projet de loi S-12, Loi modifiant la Loi sur la statistique et la Loi sur les archives nationales du Canada (documents de recensement), se réunit aujourd'hui à 17 h 30 pour examiner ce projet de loi.

Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Sénateurs, nous nous réunissons aujourd'hui pour traiter d'un projet de loi d'initiative parlementaire du sénateur Milne, le projet de loi S-12 modifiant la Loi sur la statistique et la Loi sur les archives nationales du Canada (documents de recensement). Nous accueillons aujourd'hui le sénateur Milne qui nous présentera brièvement le projet de loi. Nous entendrons ensuite deux groupes de témoins, le premier comprenant des représentants des Archives nationales du Canada, de Statistique Canada et du Bureau du commissaire à la vie privée et le deuxième, des représentants de la Société historique du Canada ainsi que le professeur Watts, de Vancouver, qui s'occupe du Comité du recensement du Canada.

Merci, madame le sénateur Milne, d'être venue aussi vite que vous le pouviez après l'ajournement du Sénat. Aimeriez-vous faire des remarques liminaires? Il y aura ensuite une période de questions. J'espère que vous pourrez rester pour le reste de la discussion afin que nous puissions vous adresser des questions, au besoin.

L'honorable Lorna Milne: Chers collègues, c'est avec beaucoup de plaisir et une certaine nervosité que je témoigne devant vous cet après-midi au sujet de mon projet de loi, le projet de loi S-12, Loi modifiant la Loi sur la statistique et la Loi sur les archives nationales du Canada.

Comme vous le savez pour m'avoir vue d'innombrables fois présenter des pétitions au Sénat, ce projet de loi vise à permettre l'accès aux relevés individuels de recensement à des fins de recherche. Il ne fait nul doute que cette question intéresse beaucoup les Canadiens, puisque plus de 17 000 personnes ont signé des pétitions demandant directement au Sénat de modifier la loi pour permettre l'accès à ces renseignements. Pendant la présente session, 11 695 signatures ont été recueillies et je vous préviens que j'ai une autre pile de pétitions dans mon bureau; de plus, 11 735 personnes ont signé des pétitions adressées à la Chambre des communes cette session-ci.

Le problème s'énonce simplement, mais il est complexe. En 1906, tout comme en 1901, selon le même libellé, un décret réglementant le recensement de 1906 a interdit aux recenseurs de révéler quelques informations qu'ils avaient recueillies. Les données du recensement de 1901 avaient été divulguées sans que personne ne s'en offusque. Le libellé était exactement le même pour le recensement de 1906. Ce règlement a été intégré à la Loi sur la statistique en 1918. Les fonctionnaires de Statistique Canada ont jugé que ces dispositions empêchent Statistique Canada de rendre publics les relevés individuels de recensement de 1906 et des recensements subséquents. Je ne suis pas de cet avis. J'estime que, avec ces règles et règlements, on n'avait pas l'intention d'empêcher la recherche historique, médicale et généalogique et qu'on ne le fait pas non plus dans les faits.

Depuis l'adoption de la loi de 1918, le Parlement dit deux choses: d'une part, à l'article 17 de la Loi sur la statistique, il interdit l'accès aux données de recensement; d'autre part, le Parlement permet le transfert des documents assujettis à la Loi sur la protection des renseignements personnels aux Archives nationales où l'accès est permis après 92 ans. Si la loi est respectée et que, après 92 ans, les données de recensement sont transmises aux archives conformément à la loi, l'article 17 de la Loi sur la statistique n'a plus aucune pertinence car les données ne relèvent plus du statisticien en chef. Je suis convaincue, et j'ai des preuves qui confirment ma position, que le gouvernement du Canada viole actuellement la loi en refusant de rendre publiques les données des recensements passés dans les meilleurs délais.

Le projet de loi S-12 rectifie un problème qui a été créé par l'adoption de dispositions régissant les recenseurs dans la loi de 1918 et créant des modalités de communication des données de recensement. Premièrement, le projet de loi modifie la Loi sur la statistique de façon à permettre le transfert de données individuel les de recensement aux Archives nationales du Canada. Deuxiè mement, le projet de loi modifie la Loi sur les archives nationales du Canada en précisant les règles qui régiront la communication des relevés individuels de recensement. Dans les faits, le projet de loi S-12 permet aux Archives nationales de rendre publics les relevés individuels de recensement 92 ans après la date du recensement. Celui qui souhaite que les informations qui le concernent ne soient pas rendues publiques peut empêcher leur communication en déposant une objection dans l'année précédant le 92e anniversaire du recensement.

Sénateurs, ce projet de loi a une grande portée. Vos délibérations sur ce projet de loi détermineront en grande partie la façon dont le Canada consignera son histoire. Je vous pose donc la question suivante: Souhaitez-vous que l'histoire du Canada soit celle des gouvernements, des sociétés, des institutions, des églises et des personnes riches et importantes, ou l'histoire ne devrait-elle pas être celle des gens ordinaires, de la population du pays?

Nous sommes tous témoins de la révolution électronique dans nos bureaux, quotidiennement. En appuyant sur une touche, grâce à quelques watts, nous pouvons communiquer instantanément avec des gens se trouvant à l'autre bout du monde. Mais les messages se détruisent aussi facilement qu'ils se créent. Il suffit d'appuyer sur une touche du clavier pour voir l'histoire disparaître à jamais. Les données du recensement constituent le seul dossier que nous avons sur les personnes et les familles qui ont vécu au Canada. De fait, c'est seulement de cette façon que le gouvernement peut véritablement connaître chaque citoyen et chaque famille. Même les déclarations de revenu aux fins d'impôt sont moins révélatrices puisque les enfants et de nombreuses personnes âgées n'en font pas.

Les données individuelles de recensement nous lient à notre passé et aident des milliers de Canadiens à régler toute une gamme de questions allant de problèmes juridiques à des questions concernant la naissance et la santé. Ainsi, en février de cette année, M. le juge Sharp, de la Cour d'appel de l'Ontario, a déclaré qu'un groupe de Métis habitant aujourd'hui à Sault Ste. Marie jouissait de droits issus de traités lui permettant de chasser l'orignal autour de la ville. Le lien unissant la communauté métisse contemporaine et ses ancêtres de la région résidait dans les données des recensements d'avant 1906. Toutefois, au Manitoba et en Saskatchewan, où habitent la majorité des Métis canadiens, le voile du secret pèse encore sur ce lien qui réside dans les données du recensement de 1906, données n'ayant pas encore été rendues publiques.

Les données du recensement sont aussi importantes pour les immigrants canadiens. Cet été, j'ai reçu des lettres de nombreuses personnes que le gouvernement britannique avait envoyées vivre dans des familles d'accueil au Canada lorsqu'elles étaient enfants pendant la Première et la Seconde Guerre mondiales, ainsi que des descendants de ces personnes. Beaucoup de ces enfants ont été séparés de leurs frères et soeurs à leur arrivée au Canada et ne peuvent retrouver leurs familles qu'à l'aide des données de recensement. Si l'on modifie l'interprétation de la loi actuelle, ces personnes, qui sont maintenant âgées, et leurs familles, n'auront plus la chance de retrouver leurs parents et de mettre un baume sur les blessures de la séparation et, dans certains cas, des sévices.

Par ailleurs, le milieu médical plus particulièrement réclame l'accès aux renseignements provenant des recensements.

Comme je l'ai indiqué aux sénateurs pendant mon discours lors de la deuxième lecture de ce projet de loi, David Hawgood, de l'Institut Galton, a déclaré à une conférence récemment que les données de recensement constituent l'outil dont on se sert le plus en génétique médicale. Souvent, ces données retraçant l'histoire des familles permettent de solutionner un problème ou une tendance héréditaire. Encore une fois, il est à noter que seuls les relevés individuels de recensement peuvent nous fournir ce lien crucial entre le présent et le passé.

Je ne prétendrai pas que personne ne s'oppose à cette initiative. Certains des opposants vous feront part de leurs inquiétudes, dont l'un très bientôt. On vous parlera longuement de la «promesse» qui a été faite aux Canadiens selon laquelle leur vie privée serait protégée; on vous dira que ce genre de promesse est sacrée et que le Parlement ne peut aujourd'hui revenir sur cette promesse.

Vous entendrez aussi des arguments plaidant pour la protection de la vie privée et des renseignements personnels. À ceux qui s'opposent au projet de loi, je réponds que l'on ne peut nier le fait que les renvois aux archives nationales et la nécessité de conserver des dossiers permanents se trouvent dans les règles régissant les recensements depuis le début de l'histoire du Canada.

Dans le mémoire vous trouverez ces renvois en 1901, 1906, 1926, 1931 et 1941. Il est surprenant d'entendre certaines personnes dire que les données personnelles du recensement ne devraient jamais être transmises aux archives nationales car cela enfreindrait une promesse faite aux Canadiens. En réalité, c'est tout le contraire. Voici ce que stipulaient aux recenseurs les directives lors du recensement de 1906.

Le recensement est censé être un document permanent et ses annexes seront déposées dans les archives du Dominion.

Je conviens que certains problèmes relatifs à la protection de la vie privée se posent et que le gouvernement ne devrait pas, en règle générale, être autorisé à communiquer des renseignements personnels. En fait, le gouvernement fédéral a adopté une bonne loi qui protège la vie privée des particuliers: la Loi sur la protection des renseignements personnels. À la suite du débat entourant cette loi, on a réalisé un juste équilibre entre deux objectifs nécessaires: la protection de la vie privée et la tenue de dossiers historiques.

La Loi sur la protection des renseignements personnels stipule que les données personnelles peuvent être communiquées 92 ans après qu'elles ont été fournies au gouvernement fédéral, à moins d'opposition formelle. Mon projet de loi vise à honorer cet engagement historique pris en 1983, bien après la rédaction des règlements relatifs au recensement de 1906 et bien après l'adoption par le Parlement de la loi de 1918. On a sans doute pris cet engagement tout en étant pleinement conscient des restrictions relatives à la vie privée visant les recenseurs passés et actuels.

M. Donald Nisbet est l'un des milliers de Canadiens qui avaient fait campagne pour la communication des données du recensement. M. Nisbet était un homme instruit et cultivé qui est décédé au début du printemps sans avoir eu la possibilité de terminer ses recherches car on a refusé de lui fournir les dossiers de 1906. Je tiens à vous lire un extrait de l'exposé exceptionnel qu'il a fait devant le groupe d'experts sur la divulgation des données de recensement historiques. Ce mémoire a été extrême ment bien reçu par ces lecteurs. Au sujet des dispositions relatives à la vie privée qui se trouvent dans la Loi sur la statistique, voici ce qu'a déclaré M. Nisbet:

Cette protection s'applique, il va sans dire, tant que Statistique Canada est le gardien légal des formulaires du recensement, mais cette garde n'est pas censée durer indéfiniment et les annexes du recensement, à l'instar des dossiers gouvernementaux, font l'objet d'une évaluation de la part de l'archiviste national, selon les pouvoirs que lui confère la Loi sur les archives nationales, quant à leur valeur en tant que documents historiques méritant d'être conservés à tout jamais et pour consultation future par le grand public, à des fins légitimes de recherche, selon le bon vouloir de l'archiviste et, depuis 1983, selon les modalités du règlement relatif à la protection des renseignements personnels. Pourquoi? Je vous demande pourquoi? Si les données du recensement étaient à tout jamais tenues confidentielles dès 1905, le règlement découlant de la Loi sur la protection des renseignements personnels rédigé en 1983 permettrait-il précisément au grand public d'avoir accès à certains dossiers nominatifs du recensement après une période de 92 ans, sans exclure tous les recensements qui ont été effectués après 1901?

Les directives à l'intention des recenseurs émises par le gouverneur en conseil en 1906, et qui avaient force de loi, contredisent l'affirmation selon laquelle les données personnelles du recensement devaient rester à tout jamais confidentielles à partir de 1905. Voici ce qu'on peut lire, entre autres, dans la directive numéro 33:

Le recensement est censé être un document permanent et ses annexes seront déposées aux archives du Dominion.

La Loi sur la protection des renseignements personnels stipule également que les renseignements personnels ne seront gardés confidentiels au bout de 92 ans que si une mesure législative précise en interdit la publication. Les adversaires de ce projet de loi vous diront que les données du recensement devraient jouir de la protection supplémentaire prévue dans la Loi sur la protection des renseignements personnels. Selon eux, il ne faut pas tenir compte des renvois précis aux archives du Canada et il faut invoquer les dispositions relatives à la vie privée qui se trouvent dans les anciennes lois sur la statistique pour passer outre à la Loi sur la protection des renseignements personnels.

En outre, ils vous diront que, si l'on veut garantir la pleine participation du public au recensement, il faut absolument accorder cette protection supplémentaire à ces documents. Certains vont même jusqu'à dire que tous les renseignements devraient en fait être détruits. Au Canada, il n'y a jamais eu une seule plainte au sujet de la publication des données historiques du recensement. En fait, il n'y a jamais eu une seule plainte ni aux États-Unis ni en Grande-Bretagne. Lorsque Terre-Neuve et Labrador s'est joint à la Confédération en 1949, le gouvernement de cette province a rendu publiques toutes les données des recensements, y compris celui de 1945, tenu quatre ans plus tôt à peine. Là encore, il n'y eut pas une seule plainte.

Au fil des ans, au Canada, aux États-Unis et en Grande-Breta gne, plus de 620 millions de personnes ont eu l'occasion de protester contre la publication de leurs dossiers ou des dossiers de leurs familles. Personne ne l'a jamais fait.

Le projet de loi à l'étude tente tout simplement de faire en sorte que Statistique Canada maintienne la pratique que cet organisme a toujours poursuivie par le passé - la pratique de tous les pays occidentaux démocratiques - qui consiste à rendre publiques les données de recensement historiques en temps utile. Je demande à chacun d'entre vous, honorables sénateurs, et peut-être que vous devriez demander la même chose à certains des témoins qui me suivront, si vous êtes prêts à priver notre communauté métisse autochtone des moyens de prouver son patrimoine? Êtes-vous prêts à dire aux Canadiens malades qu'ils n'auront pas accès aux réponses concernant leurs antécédents médicaux? Êtes-vous prêts à dire aux enfants qui ont été adoptés au Canada qu'ils ne pourront jamais retrouver leurs frères et soeurs, leurs oncles et tantes, et à ajouter une autre injustice à celles qu'ils ont déjà souffert? Êtes-vous prêts à faire en sorte que l'histoire du Canada soit celle des sociétés, des institutions et des chiffres importants, non pas celle des gens ordinaires?

Pour moi, la réponse à toutes ces questions est non, et c'est pourquoi j'ai présenté ce projet de loi, et j'espère qu'il aura votre appui.

Le sénateur LeBreton: La question que je voudrais vous poser au sujet de votre projet de loi concerne la Loi sur la protection des renseignements personnels, plus particulièrement l'alinéa 7(3)(5) qui dit: «à l'expiration des 92 années civiles suivant l'année d'un recensement, tout individu qui a produit un relevé dans le cadre du recensement et qui ne fait pas l'objet d'un avis d'opposition valide [...]», et ainsi de suite. D'un point de vue pratique, après 92 ans, la personne ne sera plus avec nous. Quel mécanisme existe-t-il pour permettre aux gens de s'assurer que lorsqu'ils produisent un relevé dans le cadre du recensement, et qu'ils sont sains d'esprit, ces relevés qui contiennent des renseignements personnels ne seront pas rendus publics? Quel mécanisme existe-t-il, s'ils ne sont pas au courant de la disposition ou s'ils ne sont pas en mesure d'y donner suite, pour qu'un membre de la famille puisse le faire? Lorsque vous dites qu'il n'y a pas eu de plaintes, j'ai pensé en riant qu'il ne pouvait y en avoir beaucoup puisque la plupart des gens étaient morts.

Le sénateur Milne: Précisément.

Le sénateur LeBreton: Préconisez-vous que les gens remplis sent leur formulaire de recensement comme nous le faisons pour les formulaires de déclaration du revenu, c'est-à-dire que si nous voulons que notre nom soit ajouté à la liste permanente des électeurs, nous devons donner notre consentement à ce moment- là, de sorte que ces renseignements puissent être rendus publics à un moment donné à l'avenir?

Le sénateur Milne: Je suis d'accord avec vous pour dire qu'après 92 ans, il ne restera pas beaucoup de gens qui ont en fait rempli le formulaire de recensement, car 91 plus 21 donne un âge assez avancé. Il pourrait y avoir des cas où des familles individuelles ne voudraient pas que certains renseignements concernant leur passé soient rendus publics, et grâce à mon projet de loi, ces familles auraient la possibilité de faire interdire la communication.

Le sénateur LeBreton: La marche à suivre pour le faire n'est pas très claire. Lorsqu'une personne remplit le formulaire de recensement, est-ce qu'elle ou sa famille dispose d'un mécanisme lui permettant d'être avisée à l'avance? Que se passe-t-il? Si quelqu'un veut l'information, les membres de la famille en sont-ils avisés?

Le sénateur Milne: Je pense qu'il appartiendrait à Statistique Canada ou aux Archives de trouver une méthode. Cela serait prévu dans le règlement plutôt que dans la loi proprement dite. Cependant, j'imagine qu'il pourrait y avoir des annonces dans les journaux, il pourrait y avoir des formulaires disponibles sur demande. Je ne crois pas que cela serait très difficile. Je ne prétends pas être en mesure de prendre les règlements pour Statistique Canada sur la marche à suivre.

Le sénateur LeBreton: Toujours à propos de ce mécanisme, si le projet de loi devait être adopté, dorénavant, lorsqu'un recenseur se présente chez les gens, il devrait pouvoir leur dire que les renseignements qu'ils donnent seront peut-être rendus publics ultérieurement. Je pense que cela pourrait poser de graves problèmes aux recenseurs.

Le sénateur Milne: Si Statistique Canada, 92 ans plus tard ou l'année avant, fait paraître des annonces dans les journaux et demande aux gens s'ils s'opposent à ce que leurs propres dossiers ou le dossier de leurs familles soit rendus publics, cela laisserait certainement savoir aux gens que 92 ans plus tard, l'information sera rendue publique. Je pense que le but des annonces serait d'informer le public pour l'avenir comme pour le passé.

Le sénateur LeBreton: Voulez-vous dire que lorsqu'on s'apprête à faire un recensement, ces annonces pourraient paraître dans les journaux?

Le sénateur Milne: Elles paraîtraient au cours de l'année précédant le recensement. Le projet de loi stipule un an avant.

Le sénateur LeBreton: Un an avant?

Le sénateur Milne: Avant que les 92 ans ne se soient écoulés.

Le sénateur LeBreton: Je parle d'un recensement qui est fait maintenant.

Le sénateur Milne: Je ne vois absolument aucun problème à ce que Statistique Canada ajoute dorénavant une case à la première page du formulaire. Naturellement, on ne peut le faire de façon rétroactive, mais je ne vois absolument aucun problème à ce que Statistique Canada ajoute une case à la première page du formulaire disant: «Avez-vous des objections à ce que, dans 92 ans, ces renseignements soient rendus publics à des fins de recherche?»

Le sénateur Cordy: Vous avez beaucoup parlé au cours de votre exposé d'un juste équilibre entre le respect de la vie privée et la publication des documents de recensement. Je crois comprendre que lorsqu'il était commissaire à la protection de la vie privée, Bruce Phillips, lors de sa dernière comparution devant le Sénat, a fait allusion à une solution de compromis. Cette solution conviendrait au commissaire à la protection de la vie privée tout en permettant la publication des documents de recensement après 92 ans. Savez-vous en quoi consistait ce compromis dont il parlait? Dans l'affirmative, pouvez-vous nous l'expliquer?

Le sénateur Milne: Oui, j'ai pris la parole au Sénat à peu près à l'époque où M. Radwanski a comparu devant nous avec cette solution de compromis.

Le sénateur Cordy: C'était avant mon temps.

Le sénateur Graham: M. Radwanski n'était pas avant votre temps.

Le sénateur Milne: Je devrais peut-être vous expliquer alors ce qui s'est passé à l'époque. J'ai présenté ce projet de loi lors d'une session parlementaire précédente. Je l'ai présenté sans jamais m'attendre à ce qu'il soit adopté. Je l'ai présenté en espérant qu'il obtiendrait suffisamment d'appui du public pour forcer le gouvernement à présenter son propre projet de loi.

Le ministre Manley, qui était à l'époque le ministre responsable de Statistique Canada et des Archives, a organisé à l'été 2000 une rencontre avec moi-même, le commissaire de l'époque, Bruce Phillips, l'archiviste national, dont vous entendrez le témoignage plus tard - et il pourra sans doute vous donner une réponse plus complète que la mienne à votre question -, et avec M. Fellegi, de Statistique Canada. Après une bonne discussion autour de la table, nous avons fini par trouver une solution de compromis.

Je suis certaine que M. Wilson me corrigera si je me trompe. Cependant, si j'ai bonne mémoire, Statistique Canada resterait propriétaire des données de recensement tandis que les Archives s'occuperaient de garder les données de recensement.

Tous les particuliers qui voudraient utiliser ces données devraient d'abord signer un formulaire d'autorisation acceptant de ne pas publier des renseignements personnels délicats qu'ils auraient appris dans ces documents de recensement. À mon avis, ça ne pose absolument aucun problème car la plupart des généalogistes amateurs ne veulent pas publier des faits gênants au sujet de leurs familles. Ils veulent tout simplement connaître la date de naissance, le nom, la date de décès, le nombre d'enfants dans la famille, ce genre de choses, et l'endroit où ils vivaient.

Tous les scientifiques qui ont l'intention d'utiliser les données de recensement à des fins de recherche feraient approuver leurs projets de recherche par un comité de pairs. Je ne connais aucun projet de recherche qui n'est pas approuvé par un comité de pairs. Encore une fois, ça ne posait aucun problème.

Je crois que cette solution de compromis a été proposée au nouveau ministre. Brian Tobin est maintenant le ministre respon sable. Cela n'a pas eu pour résultat le projet de loi que j'avais espéré. Plutôt, on a incorporé l'étude de la publication des données de recensement historiques à une étude plus générale des questions relatives à la protection de la vie privée. Le seul problème, comme M. Watts vous le dira plus tard, j'en suis certaine, c'est que lorsqu'il a comparu devant ce groupe qui examinait la question plus générale de la protection de la vie privée, pour parler des données de recensement, on lui a dit que le recensement ne faisait pas partie de son mandat.

J'ai un peu l'impression d'être entre deux chaises. J'ignore où en sont les choses avec le nouveau ministre. La publication semble se retrouver en quelque sorte en suspens. Par conséquent, j'ai présenté à nouveau mon projet de loi.

Le sénateur Graham: Je voudrais tout d'abord féliciter le sénateur Milne pour son initiative. Il y a de toute évidence de nombreux avantages, il y a également certains désavantages. Cependant, c'est un genre d'initiative de la part d'un sénateur - la présentation d'un projet de loi d'initiative parlementaire - qui montre bien l'excellence du Sénat et la compétence des sénateurs comme le sénateur Milne dans des questions de ce genre.

Tout ce que je souhaiterais, c'est davantage de clarté, et peut-être que nous aurons cette clarté au fur et à mesure que d'autres témoins comparaîtront devant notre comité. Naturelle ment, sénateur Milne, vous êtes extrêmement optimiste lorsque vous laissez entendre que le vieux Al Graham sera capable de rédiger une lettre lorsqu'il aura 92 ans, pour exprimer son opposition à la publication de tout renseignement tiré des documents de recensement, ou en fait que mes enfants, ou peut-être devrais-je dire mes petits-enfants, n'auraient aucune raison de s'y opposer - au contraire, je suis certain qu'ils en auront beaucoup. Je me demande de quelle façon vous proposez de démêler tout cela.

Le projet de loi propose d'ajouter un paragraphe 7.3(3) à la Loi sur les Archives nationales disant que l'opposition visée au paragraphe (2) de l'article 7 doit être présentée sous forme d'avis écrit. Écrit par qui?

Le sénateur Milne: Je suppose que ce serait écrit par une personne qui peut prouver être le descendant ou la descendante de cet individu.

Le sénateur Graham: Qui peut prouver cela?

Le sénateur Milne: La personne ou la famille peut prouver le lien sanguin.

Le sénateur Graham: Je vous dirais alors que le projet de loi manque de clarté, qu'il devrait être plus clair à cet égard.

Le sénateur Milne: Sénateur, je n'ai pas voulu trop lier les mains du gouvernement. J'ai voulu laisser cela ouvert à l'interprétation. Initialement, j'espérais que cela obligerait le gouvernement à agir. De toute évidence, cela n'a pas été le cas jusqu'à présent. J'espère que si nous allons peut-être une étape plus loin, cela obligera le gouvernement à agir. La solution parfaite serait un projet de loi émanant du gouvernement. Donc, à défaut d'un projet de loi émanant du gouvernement, c'est ce qu'il y a de mieux.

Le sénateur Graham: Je crois également, monsieur le président, que la préoccupation exprimée par le sénateur LeBreton concernant la façon dont le public est informé, et le moment où il est informé, est très pertinente.

J'aimerais revenir à votre excellente allocution du 20 février dernier à l'étape de la deuxième lecture.

Le sénateur Milne: Je vais vous laisser la citer car je ne l'ai pas ici.

Le sénateur Graham: J'en ai l'intention. Il est plutôt question de l'aspect médical des avantages de ce projet de loi. À un moment donné au cours de votre allocution, vous dites:

La divulgation des données tirées des recensements devient de plus en plus urgente avec le temps. L'accès à ces données constitue toujours une partie importante de la recherche historique au Canada. David Hawgood, de l'Institut Galton, a dit au cours d'une conférence qui s'est tenue récemment à Londres que l'établissement de la généalogie familiale, que connaissent si bien tous les généalogistes comme le sénateur Lynch-Staunton...

C'est quelque chose de nouveau pour moi. Le sénateur Lynch-Staunton est effectivement un généalogiste.

... est «l'outil le plus fréquemment utilisé en médecine génétique.»

Plus loin, vous dites:

Je crois que ce projet de loi établit un compromis acceptable entre les buts et les préoccupations qui m'ont été présentés par divers groupes d'intérêts dont Statistique Canada, les Archives nationales du Canada, le commissaire à la protection de la vie privée du Canada, les généalogistes, les historiens, les chercheurs dans le domaine de la médecine et les Canadiens en général.

Puis vous ajoutez:

Ces documents sont d'une importante capitale pour les Canadiens non seulement pour des raisons familiales, mais pour des raisons médicales, démographiques et historiques.

Si vous pouviez éclaircir, clarifier - encore une fois, j'utilise le mot «clarifier» - ou nous parler davantage de la valeur de ces renseignements pour la recherche médicale, alors je crois que cela ajouterait beaucoup de valeur au projet de loi.

Le sénateur Milne: Il y a de nombreuses maladies dites congénitales, c'est-à-dire dont on hérite directement de ses parents, ou auxquelles on est génétiquement susceptible. J'aurais dû me munir d'une liste, car j'en ai une dans mon bureau. Sauf erreur, M. Gaffield a une liste des usages faits à des fins médicales des données généalogiques. Il doit témoigner plus tard cet après-midi devant le comité.

[Français]

Le sénateur Pépin: Vous nous parlez de la communauté médicale, des chercheurs médicaux et de l'importance de la recherche sur des maladies, mais les personnes dont les dossiers sont étudiés ont-elles la possibilité d'avoir des renseignements sur leur propre dossier? Savent-elles que des recherches sont effectuées à partir de leur dossier ou les chercheurs prennent-ils des dossiers en disant qu'ils recherchent les sources de telle ou telle maladie sans que les personnes impliquées n'en sachent rien?

[Traduction]

Le sénateur Milne: La personne qui a la maladie le sait. En général, les gens essaient de trouver ces renseignements eux-mê mes, et c'est ainsi que sont établis de nombreux arbres généalogiques. La question suivante consiste à savoir s'il faut avertir les autres personnes qui figurent sur cet arbre généalogique et qui risquent d'être également susceptibles à cette maladie, ou ne pas le faire. C'est une question d'éthique médicale à laquelle je n'ai pas de réponse. Je connais une personne qui a des antécédents familiaux de cancer du sein. Elle refuse de faire des analyses, car elle ne veut pas le savoir. En revanche, elle a une fille.

Le sénateur LeBreton: Quelle question dans un formulaire de recensement permettrait d'obtenir ce genre de renseignement?

Le sénateur Milne: Celle que l'on trouve dans les formulaires de recensement, justement. L'autre est un arbre généalogique, qui est plus récent que le recensement historique. Toutefois, on entend souvent parler de nos jours de la question qui se trouve dans le formulaire de recensement et qui porte sur la démence précoce. On entend parler de la maladie d'Alzheimer. C'est facile à trouver dans les formulaires de recensement. Une personne de 46 ans peut être sénile et est inscrite comme telle.

Le sénateur Pépin: Inscrite où?

Le sénateur Milne: Dans la catégorie «faible d'esprit».

Le sénateur LeBreton: C'est aller un peu loin.

Le sénateur Milne: Très souvent, les recenseurs dans le temps ne se contentaient pas de cocher une colonne. Ils écrivaient des renseignements complémentaires.

Le sénateur LeBreton: Ce n'est plus le cas dans le formulaire actuel de recensement.

Le sénateur Milne: À l'heure actuelle, on le remplit soi-même.

Dans le recensement de 1911, il y a une colonne intitulée «infirmité», et on demande au déclarant de préciser à quel âge l'infirmité s'est manifestée. La première est «aveugle», la deuxième, «sourd-muet», la troisième «fou ou aliéné» et la quatrième, «idiot ou stupide».

Le sénateur LeBreton: C'était à l'époque.

Le sénateur Milne: En effet.

Le sénateur LeBreton: Ces questions ne se trouvent plus sur le formulaire de recensement, en tout cas pas sur ceux que j'ai reçus.

Le sénateur Milne: Heureusement.

Le sénateur LeBreton: On demande combien de toilettes il y a dans ma maison ou combien de chambres, mais on ne demande pas si je suis idiote.

Le président: Certains d'entre nous auraient du mal à trouver dans quelle catégorie s'inscrire, parmi les deux dernières.

Je demande maintenant au groupe suivant de témoins de se présenter. Il s'agit de MM. Wilson, Sheridan et Radwanski. Soyez les bienvenus. Je remarque que vous avez des exposés. Vous pourriez nous aider en ne les lisant pas de bout en bout, car en général, nous lisons plus vite que vous ne parlez. Toutefois, veuillez nous en présenter les points essentiels. Je commencerai par M. Wilson. Encore une fois, merci de votre présence. Vous avez déjà témoigné devant notre comité pour discuter par le passé de questions en rapport avec la vie privée.

M. Ian E. Wilson, archiviste national, Archives nationales du Canada: Monsieur le président, sur vos conseils, je crois qu'un document a été distribué à tous les membres du comité. J'y ai inclus des photocopies de pages types tirées du recensement de 1901, une en français dans la province de Québec et l'autre en anglais pour une région de la province de l'Ontario.

Je suis ici pour vous renseigner de façon à vous expliquer la situation relative aux données historiques du recensement, et j'ai également quelques observations à faire au sujet du projet de loi S-12.

Pour votre gouverne, à la première page du document présente l'état des divers documents de recensement conservés aux Archives nationales du Canada, où les données de recensement allant jusqu'à l'année 1901 peuvent être consultées, et sont utilisées tous les jours, tant sur place que dans d'autres archives d'un bout à l'autre du pays. Depuis 1901, on conserve ces données sur microfilm à partir du recensement de 1906. Ces microfilms appartiennent à Statistique Canada et sont conservés à notre dépôt des documents fédéraux, qui n'est qu'un service que nous offrons à tous les ministères. Les données des recensements de 1991 et de 1996 n'ont pas encore été mises sur microfilm, mais elles sont conservées dans un autre de nos dépôts de préarchivage.

Quand j'ai été nommé archiviste national, il y a un peu plus de deux ans, j'avais beaucoup entendu parler de l'aspect légal de cette question dans le milieu. J'ai demandé à mes archivistes de me montrer la promesse que le gouvernement de sir Wilfrid Laurier avait apparemment faite en prévision du recensement de 1906. Les Archives nationales appliquent les lois du Canada aux nombreux et divers documents dont nous avons la garde et le contrôle. Je voulais simplement savoir quelle était cette promesse dont j'avais tant entendu parler.

Nous avons examiné tous les documents que nous possédons de Sir Wilfrid Laurier. J'ai examiné les documents des ministères pour la même période, de même que ceux des ministres de sir Wilfrid Laurier. La seule sorte de promesse que nous avons pu trouver avait été faite sous forme de règlement en vertu de la Loi du recensement et des statistiques de 1905. Je vous ai fourni tout le texte de l'article 26. Le sénateur Milne y a déjà fait mention en partie, mais voici tout le texte sur le caractère confidentiel des renseignements, tel qu'il a été publié dans la Gazette du Canada en 1906 au sujet de l'énumération et du recensement. Il faut évidemment situer cette disposition dans le contexte del'article 34, que l'on trouve à la page suivante, et dans lequel on dit que le recensement est un document permanent. Il doit être lisible. Il doit être conservé dans les archives du Canada. À cette époque, tous les dossiers des Archives nationales, ou des Archives publiques du Canada, comme on les appelait alors, étaient à la disposition du public. C'était la norme de l'époque. À partir de là, on a dit dans les instructions de 1911, que le recensement était utile au point de vue historique.

La Loi sur les archives publiques de 1912 a ensuite été adoptée. Cette loi portait sur le traitement et la réglementation de tous les dossiers du gouvernement fédéral. Elle ne contenait aucune disposition particulière sur les documents de recensement. À l'époque, ces documents étaient assujettis à la Loi sur les archives, comme c'est encore le cas. Le règlement sur la protection des renseignements personnels qui a été adopté de nombreuses années plus tard, après le débat qui s'imposait, prévoyait un délai de 92 ans.

Ensemble, les dispositions du règlement de 1906 fournissaient le régime de confidentialité équilibré à court terme qui était nécessaire au traitement des données de recensement qui deviendraient plus tard des documents permanents. Selon le règlement, il n'était pas nécessaire que le document soit lisible, à moins qu'on veuille qu'il soit utilisé ou lu par quelqu'un. À l'heure actuelle, ces documents n'ont à peu près jamais été consultés depuis 1906.

D'autres ont également examiné cette question. Dans son rapport de 1999-2000, le commissaire à l'information a traité de cette question de façon approfondie et il a fait remarquer qu'à son avis, aucune promesse ne s'appliquait à perpétuité à tout nouveau recensement ultérieur ni n'empêchait le transfert des documents de recensement aux Archives nationales du Canada. De même, le Comité d'experts sur l'accès aux dossiers historiques du recense ment, mis sur pied par le ministre responsable de Statistique Canada en 1999, recommandait que les dossiers du recensement de 1906 et de 1911 soient rendus publics.

J'ai demandé à mon personnel d'examiner les enjeux de l'époque pour voir s'il y avait un problème de confidentialité perpétuelle. Il n'y en avait pas. Les journaux de l'époque avaient publié de nombreux articles sur le recensement. Ils étaient très fiers qu'un portrait du Canada soit ainsi dressé. Le recensement de 1906 avait un caractère très particulier pour l'ouest du Canada puisqu'il brossait le portrait d'une nouvelle société. Au cours des cinq années précédentes, le nombre des exploitations agricoles en Saskatchewan avait augmenté de 310 p. 100. En Alberta, leur nombre avait augmenté de 210 p. 100. C'était un progrès extraordinaire sur une période de cinq ans. Les gens en étaient fiers. Ils voulaient que ce soit enregistré. Ils voulaient que ça fasse partie d'un document historique.

La seule inquiétude en matière de protection des renseignements personnels était de savoir s'il s'agissait d'un complot du gouvernement pour imposer des impôts ou pour élaborer la conscription. Comme vous pourrez le voir dans le Winnipeg Free Press, c'est ce qui inquiétait les gens à cette époque. Allions-nous utiliser le recensement à des fins de conscription ou d'impôt? Je ne crois pas que nous allons utiliser aujourd'hui le recensement de 1906 à ces fins-là.

Pour ce qui est du projet de loi S-12, les Archives nationales appuient l'objectif du projet de loi, soit d'harmoniser les dispositions de la Loi sur la statistique et de la Loi sur les Archives nationales du Canada pour assurer la disposition et la préservation à long terme appropriées des documents de recensement, ce qui viendra clarifier la situation. Nous reconnais sons que la loi limite l'actuel pouvoir d'appréciation de l'archiviste national. En vertu de la Loi sur les Archives nationales du Canada, je dispose des pleins pouvoirs pour désigner les documents qui revêtent une importance historique ou archivistique. Cela montre, si le texte est adopté, qu'il s'agit pour le Sénat et le Parlement du Canada de documents précieux, importants et permanents, de sorte que mon pouvoir d'apprécia tion sera limité.

Parallèlement, le projet de loi fait quelque chose que les textes actuels n'exigent pas. Même si je peux désigner les documents d'importance historique, il ne semble pas que j'aie le pouvoir d'exiger le transfert de ces documents aux archives pour les intégrer à l'histoire nationale. C'est l'une des lacunes de la loi actuelle. Le projet de loi S-12 corrige la situation.

Les Archives nationales et les historiens reconnaissent les inquiétudes concernant la divulgation des données de recense ment. Chaque jour nous débattons de confidentialité pour un vaste éventail de documents provenant des pouvoirs publics, de divers services, du conseil des ministres jusqu'au gouverneur général en passant par la fonction publique. C'est quelque chose que nous pouvons gérer, nous le faisons et appliquons différentes formules.

Nous savons également que le caractère sensible des docu ments et le besoin de confidentialité s'atténuent avec le temps. Un des principes de la Loi sur la protection des renseignements personnels précise justement qu'avec le temps le besoin de confidentialité s'estompe et que le droit d'une personne à sa vie privée prend fin 20 ans après sa mort. Telle est actuellement la loi au pays. Certains réclament des changements à cela, mais c'est la règle actuelle et c'est celle que nous appliquons chaque jour.

Je souscris aux propos du sénateur Milne: même si divers documents de recensement ont été rendus publics à plusieurs reprises au cours des 50 dernières années, les intéressés n'ont jamais formulé de plaintes sur la manière dont nous avons traité ces documents.

J'ai ici le cas de certains autres gouvernements. Les documents de recensement de Terre-Neuve pour 1921, 1935 et 1945 sont accessibles. Certains disent que si nous rendons publiques les données de recensement, les citoyens voudront moins participer aux enquêtes dans l'avenir. L'occasion nous est donnée aujourd'hui de le vérifier empiriquement. Les chiffres révèlent-ils que les Canadiens de Terre-Neuve sont moins portés à répondre aux recensements du fait que les renseignements recueillis jusqu'en 1945 sont du domaine public? Cela a-t-il créé des problèmes à Terre-Neuve? Nos concitoyens des Prairies réclament à cor et à cri de pouvoir consulter les renseignements de 1906 pour ne pas être en reste avec leurs collègues et concitoyens de Terre-Neuve.

Les États-Unis rendent publics les documents de recensement après 72 ans, et s'apprêtent à rendre accessibles les données de 1930. Au Royaume-Uni, ces renseignements sont divulgués 100 ans plus tard et les données de 1901 seront rendues publiques début 2002.

Le sénateur Milne a dit combien ce fond est précieux pour les Canadiens. Je n'en dirai pas plus. Il n'y a pas lieu de répéter que le recensement est un élément clé et fondamental de l'histoire nationale. Comme la Saskatchewan et l'Alberta se préparent à marquer le centenaire de leur adhésion à la Confédération, le 1er septembre 2005, je sais que les historiens de l'Ouest souhaitent vivement étudier en détail les événements extraordinai res survenus de 1901 à 1906, puis de 1906 à 1911, jusqu'au rôle important joué par elles pendant la Première Guerre mondiale.

Il me semble à propos que le projet de loi S-12 s'engage dans cette voie et garantisse aux Canadiens qu'ils auront accès à ce fond documentaire très important en sachant faire la part, comme nous le faisons nous et les divers gouvernements depuis 1906, entre la confidentialité à court terme, la protection de la vie privée et, au fur et à mesure que s'allège cette exigence, l'accès par les familles, la collectivité et les historiens.

M. Michael Sheridan, statisticien en chef adjoint, Statisti que Canada: Honorables sénateurs, le statisticien en chef vous a déjà adressé des observations détaillées. Je vais simplement tenter de souligner quelques faits saillants.

Le statisticien en chef est préoccupé, d'abord et avant tout, par le maintien de l'intégrité du système statistique canadien et les répercussions qu'aura sur lui le dénouement de cette importante question.

Comme vous le savez, le Canada possède un système statistique exceptionnellement solide, qui profite de façon importante à la population. La capacité de Statistique Canada à produire des renseignements dans l'intérêt du public dépend essentiellement de la collaboration volontaire des répondants lorsque vient le temps de fournir des renseignements personnels complets et fiables, des renseignements qui sont à la fois de nature délicate et privée.

La Loi sur la statistique confère à Statistique Canada de grands pouvoirs et de grandes responsabilités: elle autorise légalement l'organisme à recueillir des renseignements sur à peu près tous les aspects de la société canadienne. Même si la Loi sur la statistique énonce l'obligation de répondre, au bout du compte, le système statistique repose en majeure partie sur la collaboration du public. Un organisme statistique possède un statut unique qui le distingue des autres groupes recueillant des données à grande échelle: il ne peut utiliser d'incitatifs directs auprès des personnes afin d'obtenir la collaboration souhaitée, ni avoir recours à des sanctions efficaces si cette collaboration fait défaut.

Par conséquent, comment pouvons-nous fonctionner sans ces mesures? La réponse est la suivante: nous dépendons de notre intégrité. Et cette intégrité repose essentiellement sur notre capacité et notre efficacité à respecter notre promesse incondition nelle de confidentialité, de même que sur la qualité, la pertinence et l'objectivité des renseignements statistiques que nous fournis sons en retour au public.

C'est pour ces raisons que la confiance du public en l'intégrité de Statistique Canada ne peut être mise en péril. À l'heure actuelle, deux éléments fondamentaux de cette confiance sont remis en question. Continuons-nous à respecter cette promesse inconditionnelle de confidentialité faite par nos prédécesseurs? Et sinon, comment maintenir la qualité des renseignements statisti ques essentiels si nous perdons la confiance du public canadien en matière de protection des renseignements personnels?

Selon un récent sondage mené par la firme Environics, les Canadiens et les Canadiennes sont suffisamment préoccupés pour déclarer que si une mesure législative telle que le projet de loi S-12 était adoptée, leur collaboration lors des recensements futurs en serait affectée, de même que leur collaboration aux enquêtes de Statistique Canada en général. Si cela arrivait, la qualité des recensements futurs et du système statistique tout entier, sur lequel se fondent les secteurs public et privé pour prendre d'importantes décisions, en serait affectée de façon irréparable.

Comment Statistique Canada pourrait-il soutenir que la population doit continuer à lui faire confiance en matière de confidentialité, alors qu'une promesse légale de confidentialité, faite antérieurement, aurait dans les faits été modifiée - et en plus, de façon rétroactive? Nous possédons des preuves empiri ques, obtenues récemment auprès de groupes de discussion et au moyen de recherches qualitatives, qui démontrent clairement que plusieurs Canadiens et Canadiennes sont très préoccupés à l'idée de modifier les conditions en vertu desquelles ils ont fourni des renseignements personnels à Statistique Canada. En fait, un sondage d'envergure nationale mené par la firme Environics pour le compte de Statistique Canada a révélé que 49 p. 100 des Canadiens et Canadiennes s'entendaient pour dire que le gouvernement leur avait fait la promesse de ne jamais diffuser leurs renseignements personnels fournis lors des recensements; ils s'entendaient aussi pour dire que le gouvernement devrait respecter cette promesse.

À la lumière de ces préoccupations, le ministre responsable de Statistique Canada a demandé que des consultations de grande envergure soient menées auprès des Canadiens et Canadiennes à ce sujet. En conséquence, nous voyons actuellement à ce qu'un consultant indépendant organise des assemblées publiques partout au pays, dès cet automne, afin de découvrir ce que la population canadienne pense et souhaite à cet égard. À ces assemblées publiques s'ajouteront des groupes de discussion mis sur pied afin de mettre à l'essai diverses avenues.

Permettez-moi maintenant de faire quelques commentaires au sujet du projet de loi S-12. Ce projet de loi recommande qu'au cours de l'année précédant l'accès du public aux documents de recensement, les personnes qui souhaitent que leurs renseigne ments demeurent confidentiels pourraient écrire à l'archiviste national en mentionnant que la divulgation de leurs renseigne ments constituerait une atteinte injustifiée à leur vie privée. Toutefois, comme une personne décédée aurait manifestement abandonné ses droits en matière de vie privée, ses renseignements seraient automatiquement mis à la disposition du public. Cette façon de faire ne concorde certainement pas avec la Loi sur la statistique. Aucune échéance ne s'applique quant à l'accès aux renseignements recueillis lors du recensement. Les dispositions de la loi demeurent valides même après le décès des personnes.

En outre, si le projet de loi S-12 était adopté, les Canadiens et Canadiennes âgés qui s'opposent à la diffusion de leurs renseignements personnels devraient aussi se souvenir de l'endroit où ils vivaient alors qu'ils étaient de très jeunes enfants. En effet, Statistique Canada - ou n'importe qui d'autre - ne pourrait d'aucune façon empêcher l'accès à d'anciens documents de recensement, sauf en retraçant un dossier particulier grâce à l'adresse de la personne au moment de la tenue du recensement en question. Il en est ainsi puisque les documents de recensement sont classés selon l'adresse géographique.

Tout cela créerait un véritable cauchemar administratif, sans compter qu'on ne pourrait garantir que les demandes d'exclusion faites par des particuliers seraient efficacement traitées.

Pour conclure, je crois qu'il y a quatre choses importantes à souligner au sujet des données de recensement antérieures à 1906. Avant le recensement de 1906, la loi ne garantissait pas la confidentialité des renseignements fournis. Ce n'était pas inscrit dans la loi. Les recenseurs avaient reçu des instructions qui comprenaient des lignes directrices sur la confidentialité, mais ces instructions n'avaient pas force de loi.

Les données du recensement de 1901 et des recensements précédents ont été publiées conformément aux dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels qui permet taient de communiquer des renseignements personnels s'ils n'étaient pas protégés de façon explicite dans une autre loi. Depuis 1906, la législation qui autorise à recueillir des données de recensement protège le caractère confidentiel de ces données. La Loi sur la protection des renseignements personnels ne permet pas de déroger à ces dispositions.

M. George Radwanski, commissaire à la protection de la vie privée du Canada: Honorables sénateurs, je dois avouer que toute cette question me préoccupe dans une certaine mesure en ce sens que la protection des données historiques de recensement n'a jamais suscité chez moi la même passion que chez mon prédécesseur. J'estimais que le compromis auquel on était parvenu était une solution satisfaisante. À part cela, en tant qu'ombudsman chargé de protéger la vie privée de ses conci toyens, j'estime qu'il faut réagir face au risque de façon raisonnable, car un chien de garde qui aboie avec la même intensité chaque fois que quelqu'un passe, finit par ne plus être entendu. Ce n'est pas une question que j'aurais inscrite en tête de liste de mes priorités. Même s'il était imparfait, ce compromis me semblait être une bonne solution.

Toutefois, ce projet de loi entre dans une catégorie entièrement différente. Il m'inquiète énormément du point de vue de la protection de la vie privée, non seulement parce que le gouvernement canadien devrait toujours respecter ses promesses de confidentialité et ne pas les trahir rétroactivement, mais aussi parce que ce projet de loi porte gravement atteinte au principe du consentement et que cela risque de revenir nous hanter dans bien d'autres domaines.

Bien entendu, ce projet de loi va beaucoup plus loin que ce que proposaient même les plus ardents défenseurs de l'accès aux données de recensement et beaucoup plus loin que le compromis que le statisticien en chef et moi-même avions appuyé publique ment. Il a également de quoi inquiéter énormément en proposant de limiter ou d'éliminer rétroactivement des droits existants et en violant une promesse que les gouvernements successifs ont faite aux Canadiens. Comme vous le savez, ce projet de loi porte que toute personne qui a rempli un questionnaire de recensement et n'a pas envoyé un avis d'opposition valide est réputée, 92 ans plus tard, avoir donné son consentement irrévocable à l'accès du public aux renseignements fournis.

Je mentionne, entre parenthèses, que contrairement à ce que le sénateur Milne a déclaré tout à l'heure, le projet de loi précise clairement que seule la personne qui a fourni les renseignements peut faire opposition. Les autres parties qui peuvent être concernées n'ont pas cette possibilité. C'est clairement indiqué au paragraphe 7.3(2).

Autrement dit, si le projet de loi est adopté, le fait de remplir un questionnaire de recensement reviendrait à donner son consente ment à l'accès du public aux renseignements fournis, et cela de façon rétroactive.

Cela s'appliquerait à tous les recensements qui ont eu lieu jusqu'ici, même si le gouvernement a dit expressément aux répondants que le public n'aurait pas accès aux renseignements qu'ils fourniraient. Parler de consentement en pareil cas, c'est déformer le sens de ce terme et il y a de quoi inquiéter sérieusement tous ceux qui, comme moi, attachent de l'importan ce au principe du consentement éclairé en ce qui concerne la protection de la vie privée.

Le sénateur Milne a déclaré que le gouvernement n'avait jamais promis la confidentialité perpétuelle aux répondants du recensement. Elle a dit que cette promesse aurait été contraire aux intentions avouées du gouvernement de conserver les données dans les archives nationales.

Il est vrai que les instructions données aux recenseurs pour les recensements antérieurs à 1918 révèlent que le gouvernement de l'époque comptait conserver les documents de recensement aux Archives nationales pour un usage ultérieur. Ce fait n'a jamais été contesté étant donné que le libellé du règlement est assez explicite à cet égard. Il est toutefois tout aussi explicite en ce qui concerne la confidentialité. Il se peut que les instructions visant à préserver le caractère confidentiel des données du recensement aillent à l'encontre du désir de conserver ces renseignements sous une forme se prêtant à l'archivage. Cela ne veut toutefois pas dire que ce règlement ne soit pas valide ou qu'on puisse y passer outre. Comme chacun sait, les législateurs sont humains et peuvent parfois énoncer des principes contradictoires.

Même s'il peut y avoir certains doutes quant aux intentions qui étaient celles du Parlement lors des premiers recensements, il n'y en a aucun quant à la teneur de ses règlements et de la législation mise en place à partir de 1918. Depuis 1971, l'année où Statistique Canada a commencé à envoyer directement les questionnaires aux répondants au lieu d'envoyer des recenseurs, les répondants ont reçu par écrit l'assurance que les renseigne ments qu'ils fourniraient seraient confidentiels.

Je crois utile de souligner que même le Comité d'experts sur l'accès aux dossiers historiques de recensement reconnaît qu'à compter de 1918, le gouvernement a fourni des garanties législatives explicites en ce qui concerne la confidentialité. Le sénateur Milne semble également d'accord avec le comité d'experts pour dire que cette promesse peut être mise de côté parce que selon le comité, les mots «perpétuel» et «éternel» ou «pour toujours» ne figurent ni dans la loi, ni dans les instructions données aux recenseurs ou dans les procès-verbaux des débats du Parlement.

Cela revient à dire qu'il faut présumer qu'une promesse est temporaire à moins qu'il ne soit précisé qu'elle est permanente. Cette notion me paraît inacceptable tant du point de vue juridique que pour une simple question de bon sens. Une promesse est perpétuelle à moins d'indication contraire. Aucun régime de contrats - et il s'agit là d'un contrat entre le gouvernement et ses administrés - ne pourrait survivre sans ce principe fonda mental.

Voilà pourquoi les gens qui rédigent des contrats prennent grand soin de préciser quand et dans quelles conditions les conditions ne s'appliquent plus. Quiconque veut conclure un contrat pour une période fixe, n'ira jamais signer un contrat ne précisant pas quand le contrat prend fin. Le problème se pose lorsqu'une loi permet de publier des renseignements même au bout de 92 ans. Qu'est-ce qui garantit aux citoyens que si ces promesses ne sont pas perpétuelles, un successeur du sénateur Milne ne voudra pas ramener cette période à 30 ans, 40 ans ou 20 ans. C'est un terrain très glissant. Cette violation d'une promesse que le gouvernement a faite à ses citoyens pose un problème fondamental en ce qui concerne ce projet de loi.

Le projet de loi S-12 soulève également d'autres problèmes importants en ce qui concerne la protection de la vie privée. Le projet de loi ne confère pas à l'archiviste national le pouvoir de refuser l'accès aux documents du recensement s'ils sont deman dés à des fins statistiques ou pour des recherches historiques, généalogiques ou scientifiques qui ne sont pas définies. Le projet de loi prétend donner aux intéressés le droit de s'opposer à la divulgation de leurs données de recensement. Il limite toutefois ce droit d'opposition d'une façon qui frise l'absurdité. Seule une personne qui est encore vivante 92 ans après avoir fourni des données de recensement a le droit de faire opposition. De plus, seule cette personne a droit à sa vie privée. Aucune des autres personnes touchées n'a le droit de faire opposition. Cela peut inclure des parents et des descendants des répondants. Non seulement les personnes décédées ou très âgées perdent le droit à leur vie privée, mais leurs survivants également. Cela pourrait inclure des gens qui ne sont pas des répondants, mais qui sont inclus dans les données du recensement parce qu'ils font partie de la même famille.

Je remarque que le sénateur Milne a parlé de la commodité ou de l'importance de pouvoir obtenir des renseignements d'ordre médical grâce à un recensement. Je sais que le sénateur Graham a signalé que c'était peut-être l'un des principaux avantages de ce projet de loi. En toute déférence, je tiens à dire que c'est au contraire l'un de ses aspects les plus dangereux. La confidentialité des renseignements génétiques et le droit d'obtenir de tels renseignements au sujet d'une personne constituent l'un des principaux problèmes qui se posent dans le domaine de la protection des renseignements personnels.

Par exemple, mis à part le répondant lui-même qui pourrait être décédé depuis longtemps, ses parents ou ses descendants seront également exposés à la découverte de ces renseignements les concernant si les données sont rendues publiques. Ce sera peut-être utile pour certains, mais pour d'autres cela pourrait avoir des conséquences catastrophiques et notamment, par exemple, si une compagnie d'assurance se servait de ces renseignements pour établir des hypothèses quant aux perspectives de ses clients.

Le projet de loi confère également au chef de famille le contrôle sur les droits à la protection des renseignements personnels. Cela sort de mon mandat de commissaire à la protection de la vie privée, mais ce modèle patriarcal n'a plus sa place, selon moi, au XXIe siècle. Même ce droit minime d'opposition est ramené à un privilège révocable à la discrétion de l'archiviste.

Une opposition n'est «valide» que si l'archiviste est convaincu que la communication des renseignements constituera une intrusion injustifiée dans la vie privée de la personne qui s'oppose à leur communication. Le projet de loi ne prévoit aucun critère relatif à ce qui est justifié ou ne l'est pas. L'archiviste national n'est pas tenu, ni dans ce projet de loi ni ailleurs, de connaître en détail les questions liées à la protection de la vie privée et il n'est prévu aucune procédure d'appel de la décision de l'archiviste.

Ce qui est plus important, et je dois y revenir, c'est que ce projet de loi tourne en ridicule le principe du consentement, en présumant de façon rétroactive que le consentement a été donné alors qu'il est impossible qu'il l'ait été, de manière implicite ou explicite. J'ajoute que, à cet égard, l'une des principales préoccupations liées à la protection de la vie privée - et c'est ce qui ressort clairement du projet de loi C-6, le nouveau projet de loi concernant le secteur privé - est l'importance fondamentale d'un consentement clair et explicite. Je consacre beaucoup de temps et d'efforts à expliquer à diverses entreprises que le consentement présumé ou consentement par défaut est inaccepta ble, pour toutes sortes de raisons, du point de vue de la protection de la vie privée. Cela va bien au-delà du consentement présumé. Je considère le consentement par défaut comme une distorsion très inquiétante du consentement. Le consentement est un aspect fondamental de la vie privée et de la démocratie, selon moi.

Je conclurai en ajoutant ceci. En toute franchise, si ce projet de loi ou une mesure semblable devait être adopté et que les gens venaient me faire part de leurs inquiétudes au sujet de leur droit à la vie privée lors d'un recensement futur, ou même s'ils remplissent d'autres questionnaires de Statistique Canada qui soient de nature aussi confidentielle, voire plus, il me serait impossible de leur dire que, à mon avis, ils n'ont pas lieu de s'inquiéter et qu'ils doivent remplir le formulaire sans hésiter. Je me sentirais obligé de leur dire qu'ils doivent faire la part des choses entre leur droit à la vie privée et l'exigence légale de participer au recensement, ou la volonté de participer de plein gré à une autre étude. Ce serait, à mon avis, tout à fait regrettable.

Le président: Monsieur Sheridan, vous allez faire tenir des assemblées publiques par un expert-conseil indépendant. J'ai deux questions. Tout d'abord, quand pensez-vous finir ces réunions et, en second lieu, le rapport de l'expert-conseil sera-t-il communiqué au public?

M. Sheridan: La demande de propositions dans le cadre de ce processus doit être publiée la semaine prochaine. Ce sera un document public car le processus d'appel d'offres sera organisé par Travaux publics. Ce document sera donc du domaine public.

Le président: Autrement dit, il sera assujetti à l'accès à l'information. Je ne crois pas que cela en fasse automatiquement un document public. Je vais poser ma question différemment. Lorsque vous aurez reçu le rapport, si nous vous demandons de nous le remettre sur-le-champ, y verrez-vous des objections?

M. Sheridan: Je n'y vois aucune objection. Le rapport est de toute évidence préparé à la demande du ministre et il lui sera remis. Ce sera au ministre de décider de la diffusion éventuelle de ce rapport.

Le président: Vous parlez du ministre de l'Industrie, n'est-ce pas?

M. Sheridan: C'est exact.

Le président: Si l'on fait une étude sur ce que pensent les gens d'une question précise en rapport avec la protection de la vie privée, dire que le résultat doive être tenu confidentiel est un oxymore, si vous me pardonnez cette remarque.

M. Sheridan: Je ne veux pas anticiper sur ce que mon ministre...

Le président: Je le fais volontiers. C'est bien.

Le sénateur Roche: À mon avis, monsieur le président, les conclusions de l'étude nous seraient utiles dans le cadre de notre étude de ce projet de loi. Ainsi, il serait souhaitable que nous recevions ces renseignements avant de prendre une décision définitive à l'égard du projet de loi.

Le président: C'est bien pour cela que j'ai posé la question.

Le sénateur Roche: C'est ce que je pensais. Je voulais le préciser. Si j'ai bien compris, vous êtes d'avis qu'il serait utile que le comité ait en main ces renseignements avant de prendre une décision à l'égard de ce projet de loi.

Le président: Pour finir votre phrase, bien entendu, ce sera au comité de décider. Je voulais avoir une idée des délais dans lesquels nous pourrions obtenir ces renseignements qui me paraissent utiles, et je parle ici en mon nom personnel et non à titre de président du comité. C'est pourquoi j'ai posé cette question.

Le sénateur LeBreton: Je remercie tous les témoins de leurs exposés. Je me préoccupe de la question de la vie privée, monsieur Radwanski, et de la question médicale. Cela nous ramène à une autre étude que notre comité a effectuée au sujet du projet de loi C-6. On semble croire que la protection de la vie privée des gens sera compromise et que cela pourra se répercuter sur d'autres membres de la famille. On a parlé des compagnies d'assurance mais cela pourrait aller jusqu'à l'obtention d'un emploi par une personne. Cette question me préoccupe au plus haut point.

Je comprends également très bien ce que cherche à faire le sénateur Milne. De nombreuses personnes lui ont écrit, et à moi aussi. J'ai toujours eu quelques réserves à l'égard de ce projet de loi. J'ai sous les yeux des lettres reçues d'une personne qui a cherché à retrouver ses ancêtres. Existe-t-il un mécanisme, aux Archives ou à Statistique Canada, qui permette aux personnes de retrouver leurs ancêtres? Ces personnes ont peut-être des parents. Que doivent-elles faire pour les retrouver? En présentant ce projet de loi, le sénateur Milne tient compte des personnes qui ont ce genre de préoccupation. Existe-t-il aujourd'hui un mécanisme auquel nous ne pensons pas et qui permettrait aux gens d'obtenir des renseignements sans s'ingérer le moindrement dans la vie privée de nombreuses autres personnes qui pourraient être en rapport avec cette famille?

M. Radwanski: Personne ne semble vouloir répondre à cette question. Permettez-moi de pousser la question un peu plus loin. Ils pourront peut-être répondre à ce que l'on peut faire à l'heure actuelle. À mon avis, sénateurs, il faudrait rédiger, proposer et adopter un projet de loi qui représente un juste milieu, en permettant précisément à des particuliers de rechercher leurs origines, sous réserve de ne pas utiliser ces renseignements à d'autres fins, tout en permettant des recherches légitimes, à condition encore une fois de ne pas les utiliser de façon à empiéter sur les droits des particuliers dans les domaines qui nous préoccupent.

Il existe une solution, nous l'avons sous les yeux, mais ce n'est pas le projet de loi dont le Sénat est saisi aujourd'hui.

M. Wilson: Vous posez une question de portée très générale, sénateur, relative à l'établissement d'arbres généalogiques. C'est un processus très complexe qui dépend de la famille, du pays où elle a vécu, ou des activités auxquelles elle s'est livrée.

Le sénateur LeBreton: Il faut aussi que les gens veuillent bien qu'on les retrouve.

M. Wilson: Il existe de nombreux dossiers fédéraux, il y en a beaucoup également au niveau provincial, sans oublier ceux qui sont tenus à l'étranger. L'Église des Saints du Dernier Jour a un site Web extraordinaire. Nous avons une publication excellente, intitulée «Retrouver vos ancêtres au Canada», où l'on indique les dossiers disponibles, du domaine public et pleinement accessibles conformément à la Loi sur la protection des renseignements personnels et d'autres lois. Dans certains cas, on n'a pas besoin des données de recensement car on peut trouver certains renseignements ailleurs, par exemple dans les casiers ou les archives judiciaires qui sont ouverts au public, ou dans des dossiers militaires, ou dans toutes sortes d'endroits. Retrouver ses ancêtres tient énormément du travail de détective. On suit les indices et on donne suite à tous les petits éléments de preuve hérités du passé. Le recensement est un document exhaustif qui englobe tous les Canadiens à une époque donnée et c'est pourquoi il est si précieux et important.

Quant à la solution de compromis dont a parlé M. Radwanski, à mon avis, j'aimerais en savoir plus à ce sujet. J'en ai vu diverses versions. Je ne sais pas de laquelle il parle. Toutefois, l'été dernier, nous avons donné notre avis à Statistique Canada sur deux de ces versions, et depuis, je n'en ai pas entendu parler et je ne sais donc pas laquelle représente ce compromis.

Le sénateur LeBreton: Il nous faudrait en tout cas examiner ce compromis. Monsieur Sheridan, j'ai sans doute tiré ce renseignement de la question que j'ai posée au sénateur Milne. Toutefois, une mesure comme celle-ci risquerait selon moi d'empêcher Statistique Canada, à l'avenir, de recueillir des données de recensement. Déjà, lorsque les formulaires de recensement arrivent, il y a une certaine réticence de la part des gens. S'ils pensaient un seul instant que la protection de leur vie privée risque d'être encore compromise, il vous serait sans doute impossible d'établir un profil exact de la situation réelle dans le pays. Lorsque vous aurez terminé cette étude, il serait essentiel de nous la transmettre pour nous aider à décider de la façon de procéder.

Le président: C'était plus une observation qu'une question, mais avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Sheridan: Je suis tout à fait d'accord avec le sénateur.

[Français]

Le sénateur Pépin: Un sondage Environics a indiqué que plusieurs personnes sont inquiètes. Nous savons que le genre de questions posées, ainsi que la façon dont elles sont posées, peuvent rassurer ou au contraire alerter les gens.

Vous dites qu'il y aura des séances publiques d'information dans le but de renseigner les gens sur le projet de loi. Les gens voudront probablement savoir s'ils peuvent s'opposer à la divulgation des renseignements inscrits à leur dossier. Les dispositions sur les exceptions nous indiquent que l'archiviste reçoit l'avis d'opposition par écrit pendant les 92 années après la collecte des renseignements. Après avoir répondu au recensement, les gens pourront-ils vous faire part de leur opposition à la divulgation des données? Je suis convaincue que les gens se demanderont ce qu'ils peuvent faire pour se protéger.

[Traduction]

M. Radwanski: Le projet de loi ne prévoit pas la possibilité de faire opposition avant que le délai de 92 ans se soit écoulé, ce qui est un aspect très étrange de cette mesure. Même si l'on pouvait écrire une lettre après avoir rempli le formulaire en disant: «Je ne veux pas que mes renseignements personnels soient utilisés», cela pose deux problèmes. Tout d'abord, c'est une forme de consentement négatif, par défaut, et tous les spécialistes de la protection de la vie privée vous diront que ce n'est pas une forme de consentement acceptable car elle exige de la part du répondant un niveau de compréhension, d'instruction, de compétence et d'attention très élevé. Bien sûr, on ne prévoit rien à l'égard des tiers qui pourraient être mis en cause ultérieurement. Le particulier omet d'envoyer cette lettre. C'est pourquoi la facturation par défaut est si vivement critiquée et que de nombreuses personnes ont exprimé des inquiétudes à ce sujet. Je ne pense pas que le gouvernement du Canada doive contribuer à officialiser le consentement par défaut à l'égard de renseigne ments personnels confidentiels, quel que soit le moment où l'on peut se prévaloir de cette option.

[Français]

Le sénateur Pépin: Lors des séances publiques d'information, il sera important de faire valoir certains avantages, comme le projet de loi nous le démontre, pour obtenir plus d'informations et pour pouvoir effectuer des recherches. Je comprends votre approche. Il faut trouver un équilibre à travers toutes ces informations pour ne pas effrayer les gens et plutôt les renseigner sur leurs droits.

M. Sheridan: En ce qui concerne les réunions proposées, jusqu'à maintenant nous n'avons entendu qu'un aspect de l'argument, c'est-à-dire celui de la vie privée des citoyens canadiens. Ce n'est pas une préoccupation quotidienne. Il faut donner l'occasion à plus de Canadiens d'exprimer leur point de vue. Nous avons entendu le point de vue des archivistes. Il est précis, clair et organisé.

Les réunions proposées offrent aux Canadiens l'occasion de discuter en profondeur de leur position; ils peuvent accepter la proposition ou encore suggérer des modifications auxquelles nous n'avions pas pensé. C'est très important. Le débat ne s'est pas encore tenu à ce jour.

[Traduction]

Le sénateur Graham: Monsieur Sheridan, puisque vous avez été le dernier à répondre, j'aimerais vous poser une question au sujet des assemblées publiques que vous comptez organiser à l'automne.

Quand a-t-on décidé de tenir des assemblées publiques?

M. Sheridan: La décision a été prise il y a un mois environ.

Le sénateur Graham: Est-ce à la suite du projet de loi S-12?

M. Sheridan: Non, la décision a été prise après que le ministre eut répondu au groupe d'experts en disant qu'il fallait tenir de vastes consultations avec les Canadiens. Une des solutions possibles, à cette fin, consisterait à tenir des consultations en vue d'examiner les questions liées à l'accès et à la vie privée.

Le sénateur Graham: Y a-t-il un rapport entre vos assemblées publiques et le projet de loi S-12?

M. Sheridan: Non. Le ministre a pris cette décision au moment de la publication du rapport du comité d'experts, c'est-à-dire en décembre 2000, je crois.

Le sénateur Graham: Monsieur Wilson, dans votre exposé, vous dites que les Archives nationales approuvent l'objectif du projet de loi. On peut l'approuver sans être absolument d'accord sur le contenu ou sur la formule retenue dans certaines dispositions. Est-ce que vous souhaitez que l'on modifie certaines choses? Y a-t-il des amendements que vous aimeriez qu'on y apporte?

M. Wilson: Comme je l'ai indiqué, le projet de loi fait la lumière sur une situation qui suscite le désaccord, comme on l'a vu au sein du comité d'experts. Y a-t-il eu promesse ou non? De toute évidence, c'est ce qui a influencé les sondages et les groupes de consultation. Si on part de l'hypothèse qu'il y a eu promesse, la plupart des Canadiens considèrent que les gouvernements doivent respecter leurs promesses. Si l'on part du principe qu'il n'y a pas eu de promesse, qu'il y avait au départ une situation d'équilibre, faut-il maintenir cet équilibre? La réponse sera différente.

Je pense que le projet de loi est viable. S'il est adopté, les Archives nationales devraient le mettre en oeuvre. Oui, nous l'approuvons.

Cependant, l'essentiel est de vérifier l'état actuel de la législation canadienne et les conditions d'accès aux dossiers historiques des recensements.

Le sénateur Graham: Monsieur Radwanski, vous n'avez jamais hésité, le moment venu, à utiliser le vocabulaire le plus énergique. Vous avez dit craindre au plus haut point que le projet de loi n'enfreigne certaines promesses. Vous avez utilisé le mot «parodie».

Lorsque j'ai cité trois déclarations du sénateur Milne au Sénat lors du débat en deuxième lecture du projet de loi où il était question des avantages médicaux, vous avez dit, sans doute en vous appuyant sur d'autres témoignages, que vous étiez d'un avis contraire au mien et qu'à votre avis, le projet de loi contenait des éléments dangereux concernant les références médicales.

Je vais vous parler de ma vie privée. Dans notre famille, nous avons un enfant adopté. Elle a exprimé quelques inquiétudes pour la première fois après son mariage, lorsqu'elle a eu des enfants. Elle se demandait si elle devait chercher ses parents biologiques. Voilà ce à quoi je pensais lorsque j'ai parlé des avantages médicaux auxquels le sénateur Milne faisait référence.

Vous parlez de l'option négative. C'est presque comme la facturation négative qu'on voulait nous imposer lors du dépôt du projet de loi concernant la câblodistribution, il y a quelques années.

Vous avez aussi parlé d'un compromis. Dans votre document, vous évoquez le commissaire à la protection de la vie privée et le statisticien en chef. Je ne suis pas sûr que vous ayez dit, dans votre exposé, que le statisticien en chef avait donné publiquement son appui à une solution de compromis, mais je tiens à tirer publiquement les choses au clair. Vous reconnaissez sans doute, monsieur Sheridan, que comme je viens de le dire, vous êtes favorable, avec le statisticien en chef, à une solution de compromis.

Monsieur le président, je rappelle, aux fins du compte rendu, que d'après le document de M. Radwanski, le compromis donnerait accès aux documents de recensement aux personnes qui veulent faire des recherches généalogiques sur leur famille et aux chercheurs dont le projet et la méthodologie de recherche ont reçu l'approbation de leurs pairs, sous réserve qu'ils signent un engagement concernant leurs conditions d'accès et indiquant les renseignements précis qu'ils pourraient publier. Quant aux recensements futurs, ils devraient être totalement transparents en ce qui concerne la confidentialité et les conditions auxquelles les rapports pourraient être mis à la disposition des chercheurs à l'avenir.

Dans ce contexte, vous considérez peut-être qu'il vaudrait mieux déposer un nouveau projet de loi.

M. Radwanski: Je vais tout d'abord répondre à votre deuxième observation.

Je pense qu'un projet de loi conforme à cette position de compromis répondrait aux préoccupations, aux besoins et aux souhaits légitimes des personnes qui veulent se renseigner sur leur propre généalogie. Il répondrait également aux souhaits ou aux préoccupations légitimes des historiens et des chercheurs qui veulent consulter cette information, sous réserve qu'ils s'engagent à ne pas en faire une utilisation qui risquerait de porter préjudice à certaines personnes.

Je ne suis pas expert en rédaction législative, mais je pense qu'il serait sans doute plus facile de rédiger un nouveau projet de loi en fonction de ces principes que d'amender le projet de loi actuel, dont l'orientation est quelque peu différente.

Je remarque que le sénateur Milne est sur la bonne voie avec ce projet de loi. Elle a dit elle-même qu'elle ne l'avait présenté que parce que le gouvernement n'avait pas donné suite à la position de compromis.

Il faut en conclure que si la position de compromis est acceptable, il faut poursuivre vos propres initiatives plutôt que de proposer un projet de loi différent qui risque de poser de graves problèmes.

En ce qui concerne votre première observation, je ne doute pas que pour certaines personnes, la possibilité de trouver l'informa tion généalogique les concernant peut présenter des avantages considérables, notamment d'ordre médical. Et c'est ce que permet la position de compromis.

Même s'il permet ces avantages, le projet de loi risque d'avoir toute une série d'effets négatifs, car toute l'information généalogique sera accessible à n'importe qui et pourra donc être utilisée à des fins préjudiciables. Il s'agit de trouver une formule qui permettra d'obtenir les avantages tout en évitant les inconvénients.

Je tiens à dire publiquement que mon intention n'était nullement de qualifier de parodie le projet de loi du sénateur. Je n'ai utilisé ce terme que dans un contexte très précis, pour dire qu'il imposerait une parodie de la notion de consentement en intégrant un élément qui est à mille lieues du consentement tel que nous l'entendons. Je n'ai utilisé le terme que dans cette acception très limitée.

Le sénateur Graham: Comme je l'ai dit au début, monsieur le président, je considère qu'il faut féliciter le sénateur Milne...

M. Radwanski: Je suis d'accord.

Le sénateur Graham: ... d'avoir consacré beaucoup de temps - et non pas uniquement cette fois-ci, mais également à plusieurs autres reprises - pour présenter de sa propre initiative un projet de loi qui a suscité énormément d'intérêt et d'échange, et pour nous avoir mis en contact avec un groupe d'experts aussi éminents, même si certains d'entre eux contestent publiquement la valeur de sa démarche.

Le sénateur Keon: Monsieur Wilson et monsieur Sheridan, qui serait responsable de la protection des renseignements personnels dans une situation où des renseignements sont transférés de Statistique Canada aux Archives nationales? Pouvez-vous me répondre tous les deux?

M. Wilson: Concrètement, lorsque des dossiers sont transférés d'un ministère aux Archives nationales, l'archiviste en chef devient responsable de la protection des renseignements person nels. Il arrive que le commissaire à la protection de la vie privée prenne contact avec moi pour me rappeler certains éléments qui ont pu échapper à mes collaborateurs. C'est essentiellement les Archives nationales qui assument cette responsabilité. En tant que haut fonctionnaire, l'archiviste en chef est responsable de la protection des renseignements personnels de tout dossier sous le contrôle des Archives nationales.

M. Sheridan: Actuellement, sénateur Keon, j'assume la responsabilité des documents de recensement et de leur confiden tialité et je dois veiller à ce qu'aucun renseignement personnel ne soit communiqué sans le consentement de l'intéressé. Vous pouvez toujours obtenir communication de votre propre dossier de recensement. La demande n'est pas bien forte, mais certaines personnes veulent obtenir les renseignements les concernant. Pour tous les recensements qui datent d'après 1906, Statistique Canada est toujours responsable de la confidentialité des dossiers et de la protection des renseignements personnels qui y figurent.

Le sénateur Milne: Par curiosité, j'aimerais savoir si ma mère, qui a 91 ans, pourrait obtenir son dossier du recensement de 1906.

M. Sheridan: Oui, si nous parvenons à le trouver.

Le sénateur Milne: Elle pourrait vous dire où elle habitait à l'époque.

M. Sheridan a parlé d'un expert-conseil indépendant qui organisait des assemblées publiques. Ces réunions sont-elles annoncées à l'avance? Où et quand ont-elles lieu? Font-elles l'objet d'une publicité générale, ou est-ce que les participants sont choisis?

M. Sheridan: Nous avons l'intention de consulter très largement, et donc, de donner une grande publicité à ces assemblées publiques. Nous avons prévu un budget de communications non négligeable à cette fin. Notre objectif est de débattre de ces questions importantes et de voir ce qu'en pensent les Canadiens.

M. Radwanski: J'aimerais dire un mot de cette formule des assemblées publiques ou de ces sondages, si l'on veut. Ces réunions présentent certains avantages. Cependant, si un problème se pose en ce qui concerne les droits des Canadiens, un sondage ou une série d'assemblées publiques n'y pourront rien changer. En réalité, si on organise des assemblées publiques comme vient de le dire M. Sheridan, je crains qu'elles ne soient envahies par une bonne partie de ces 11 000 personnes qui nous ont signifié par écrit qu'elles veulent que l'on ouvre les dossiers parce qu'elles s'y intéressent en tant qu'historiens ou en tant que généalogistes. Néanmoins, cela ne change rien aux avantages, aux inconvénients ou à la pertinence de la formule.

Je préférerais que les sénateurs examinent ces questions en toute objectivité dans le cadre du processus législatif, plutôt que d'accorder trop d'importance aux consultations. Vraiment, pour avoir été consultant, je peux vous dire qu'il n'est pas difficile d'obtenir le type de résultats qu'on souhaite en utilisant ces processus. Je vous invite à y réfléchir.

Le président: Nous serions heureux d'en discuter avec vous. J'ai moi-même dans une modeste mesure fait l'expérience de ce problème.

Sénateurs, les deux témoins suivants sont M. Gaffield, président sortant de la Société historique du Canada, et M. Watts, coprésident du Comité du recensement du Canada.

J'ai dit tout à l'heure que M. Watts était de Vancouver, quand en fait il est de Port Coquitlam, qui en beauté dépasse de loin Vancouver. Nous sommes ravis de l'accueillir.

Comme il est déjà tard, je vous demande d'être aussi succincts que possible.

M. Chad Gaffield, président sortant, Société historique du Canada: Honorables sénateurs, je suis professeur d'histoire à l'Université d'Ottawa et directeur de l'Institut des études canadiennes. Toutefois, je représente ici la communauté des chercheurs. Je dois dire qu'il est heureux, dans un certain sens, que par hasard, même si je suppose qu'en tant que président de la Société historique du Canada, je comparaîtrai de toute façon, je manipule dans mon travail des documents de recensement depuis 30 ans. Je me sens donc tout à fait à l'aise d'en parler avec vous.

Je dois aussi dire que, peut-être pour cette raison, je suis l'un des cinq auteurs du rapport du comité d'experts. Comme vous le savez, le ministre, M. Manley, compte tenu du débat entamé depuis plusieurs années, avait créé un comité d'experts composés du juge Gerard V. La Forest, ancien juge à la Cour suprême; de John McCamus, professeur et spécialiste de la protection de la vie privée; l'ancien sénateur Lorna Marsden, aujourd'hui présidente de l'Université York; Rick Van Loon, président de l'Université Carleton, et moi-même. Tous les cinq nous avons étudié cette question plus que quiconque, dois-je dire modestement, du simple fait que nous y avons consacré tant de temps. J'aimerais vous faire part des résultats de nos réflexions et peut-être donner au débat de cet après-midi un éclairage différent.

Je commencerai par l'essentiel de notre rapport. On y dit en gros que la tradition et l'usage canadiens en matière de recensement sont excellents et doivent être maintenus. Nous ne voyons aucune raison de les modifier. L'usage nous sert très bien depuis des décennies déjà et devrait être maintenu. À quoi tient cette réussite? À deux choses: d'abord, nous avons la meilleure agence statistique au monde. Grâce à Statistique Canada et à ses prédécesseurs au ministère de l'Agriculture au XIXe siècle, le Canada a mis au point un extraordinaire système de recensement statistique. Deuxièmement, nous avons de remarquables archives nationales ainsi qu'une grande tradition archivistique nationale.

Il n'y a tout simplement aucune raison de changer.

Pourquoi le comité d'experts constitué par le ministre Manley pour étudier cette question sous tous ses angles - et nous avons examiné chacun des aspects qui ont été soulevés aujourd'hui - en est-il arrivé à cette conclusion? Nous nous sommes concentrés sur les deux demandes de changement. Elles venaient, d'une part, de M. Bruce Phillips a l'époque où il était commissaire à la protection de la vie privée. Il s'était dit inquiet au sujet de la protection de la vie privée. Par après, le statisticien en chef avait fait part de préoccupations concernant le contexte juridique. Nous nous sommes dit: «Examinons cela.»

Pour ce qui est de la protection de la vie privée, nous avons constaté, si l'on peut dire, le contraire de ce qu'on aurait pu présumer. Quand nous avons étudié l'histoire du recensement au Canada, nous avons constaté qu'au cours des deux derniers siècles, il y a eu un fort recul en matière de protection de la vie privée. Comment cela se fait-il? C'est bien logique quand on y réfléchit. Au milieu du XIXe siècle, par exemple, quand le recensement moderne a vu le jour, il était tout à fait inouï qu'un mandataire du gouvernement frappe à votre porte pour vous poser des questions. À cette époque, on était très méfiant quand il fallait fournir de tels renseignements. Les gens se disaient: «On me pose des questions pour procéder à un recensement, mais ce qu'on veut vraiment faire c'est de me taxer davantage.» Plus tard au XIXe siècle, dans un contexte militaire, les gens craignaient d'être conscrits. «Vous dites que c'est pour le recensement, mais ce n'est pas vrai, vous allez plutôt vous en servir pour la conscription.» À la fin du XIXe siècle, les immigrants au Canada avaient peur que le gouvernement utilise ces renseignements à d'autres fins que le recensement. À l'origine du recensement au Canada, on avait en matière de protection de la vie privée des craintes beaucoup plus grandes que ce que l'on peut imaginer maintenant.

Comment les a-t-on dissipées? La politique de confidentialité a été adoptée, à l'initiative de nos représentants gouvernementaux. Dès le début, au milieu du XIXe siècle, il a été clairement établi dans tous les règlements, dans toutes les directives, qu'un recenseur viendrait frapper à votre porte pour recueillir des renseignements, mais que ceux-ci seraient gardés confidentiels et qu'on ne s'en servirait jamais contre vous. Qu'ils ne seraient jamais utilisés pour vous taxer davantage, pour vous conscrire ou pour toute autre raison. Qu'ils devaient servir à mieux connaître la société d'aujourd'hui et de demain.

Au fil des décennies, on a eu de plus en plus confiance en la capacité du gouvernement de recueillir de l'information sans chercher à l'utiliser contre les citoyens. Au fil des décennies, il n'y a jamais eu le moindre incident, malgré toutes les préoccupations qu'on a pu avoir à la fin du XIXe siècle et au début du XXe. On a eu de plus en plus confiance dans le système et le taux de réponses a crû en conséquence. Comme on peut bien l'imaginer, le taux de réponses était très faible en 1851, mais il s'est amélioré au XIXe siècle, si bien qu'au XXe siècle, il est devenu tout à fait excellent. Les citoyens ne s'inquiètent pas. Il n'y a eu aucun incident ni aucune plainte où l'on aurait déploré que «Statistique Canada a obtenu de moi de l'information et s'en est servi contre moi.» La politique de confidentialité a joué un rôle déterminant. Elle explique la réussite du système.

On a réuni des groupes de consultation. Les citoyens ne craignent tout simplement pas le recensement. C'est pourquoi on entend dire aujourd'hui qu'il n'y a pas de plaintes. Ils sont préoccupés par beaucoup d'autres questions concernant la protection de la vie privée, comme nous le sommes tous. Nous nous interrogeons sur ce qu'il advient de nos numéros de carte de crédit et de nos relevés de téléphone.

Le président: Je sais que vous êtes en verve, mais puis-je vous demander d'être plus succinct?

M. Gaffield: Deuxièmement...

Le président: Vous n'en étiez qu'au premier point?

M. Gaffield: Pour ce qui est du commissaire à la vie privée et de la question de savoir pourquoi il avait fait état d'inquiétudes, il n'y a tout simplement pas lieu de s'en inquiéter maintenant.

Deuxièmement, il y a la question juridique. Quelque chose s'est-il produit au début du XXe siècle? En 1906, en 1918 et plus tard, s'est-il produit quelque chose qui a changé la situation sur le plan du droit? Nous avons voulu savoir, en examinant encore là systématiquement les documents, si les règles au XIXe siècle différaient peut-être de celles de 1918, par exemple. Or, le contexte juridique était exactement le même. Il y avait des sanctions. Le contexte juridique était identique. Bien sûr, dans notre société, nous avons codifié beaucoup plus de choses. Il y a beaucoup plus de lois maintenant, et avec le temps nous en multiplions le nombre, mais pour ce qui est de la pratique, de la politique, du contexte juridique, ces derniers sont demeurés identiques pendant tout le XIXe siècle jusqu'au XXe. Le libellé de la loi en 1918, par exemple, est exactement le même qu'en 1871. Le contexte juridique n'avait pas changé.

Quand notre rapport du comité d'experts a été terminé, il a été envoyé au ministère de la Justice, à ce que je sache. Je vous inviterais, puisque vous cherchez de l'information, à vérifier si le ministère de la Justice a examiné les aspects juridiques, à établir si nous avions raison de dire que le contexte juridique n'avait pas changé et que cette règle vieille de 92 ans était toujours aussi bonne. Je ne suis pas sûr que vous ayez tous les renseignements dont vous avez besoin à ce propos. Je vous suggère de les obtenir s'il subsiste des préoccupations à ce sujet.

Une fois le rapport terminé, nous en étions très satisfaits. Pourquoi? Parce que Statistique Canada, les Archives nationales et la population canadienne nous inspiraient confiance. L'histoire et l'usage et la tradition entourant la règle de 92 ans en matière de recensement sont essentiellement les mêmes qu'au Royaume-Uni, aux États-Unis et ailleurs. Les usages là-bas se sont perpétués, tout comme leurs traditions et leurs coutumes. En fait, les régimes ont évolué dans le même sens au cours du XIXe siècle.

Il faut absolument comprendre qu'il s'agit ici d'une réussite. C'est une magnifique réussite canadienne. Il ne faudrait surtout pas que l'on croie que le commissaire à la protection de la vie privée est en opposition par rapport à Statistique Canada et aux Archives nationales. En fait, le comité d'experts a entendu tous ces groupes, a tout examiné et a conclu que la question a donné lieu à un débat qui n'a rien à voir avec la règle de 92 ans ni avec le recensement. On peut prendre un groupe de consultations, lui dire certaines choses et l'amener à s'inquiéter à propos des cartes Visa, ou que sais-je encore, mais c'est là une toute autre question. Nous ne pouvons que nous féliciter de la tradition et de l'usage canadiens et ceux-ci devraient être maintenus.

La question est devenue: pourquoi cela préoccupe-t-il les historiens? Je n'aurais eu ni la place ni la force de transporter tous les documents que j'aurais pu vous apporter à ce sujet. Les études de documents comme ceux-ci - en fait, c'est ce dont nous parlons - ont mené à d'autres études que simplement les études portant sur nos peuples autochtones, les groupes minoritaires, et cetera. Afin d'accéder à notre mémoire historique et de nous comprendre, un document comme le recensement est nécessaire. Cela a coûté plus cher au gouvernement que tout autre document de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle. Le recensement était la plus grosse activité du Canada en temps de paix. On ne peut sous-estimer ce que cela a coûté. Le négliger desservirait considérablement notre histoire et notre mémoire et nous empêcherait de connaître ce qui fait réellement la société canadienne.

Je m'arrêterai là car je sais que mon collègue, qui représente les spécialistes de la généalogie, aimerait également dire quelques mots. Je conclurai simplement en disant que le rapport du comité d'experts représente un consensus. Nous y avons travaillé très fort et ce groupe a été constitué avec l'accord de Statistique Canada, des Archives nationales, et cetera. C'est un rapport unanime. Un avis juridique a déjà été rendu là-dessus. Je vous invite à célébrer notre histoire dans cette politique et cet usage, comme le font d'autres pays. Continuons à nous étudier et concentrons nos efforts sur les véritables problèmes de protection de la vie privée que nous reconnaissons tous. Je suis heureux que le commissaire ait dit cela. Il ne s'agit pas d'une question de protection de la vie privée. Il s'agit de nous connaître et de célébrer une politique et un usage qui nous ont très bien servis.

M. Gordon Watts, vice-président, Comité du recensement du Canada: Honorables sénateurs, je fais partie des non-experts et je suis sûr que vous me pardonnerez d'être un peu mal à l'aise. Je suis toutefois heureux d'être ici pour appuyer le projet de loi S-12 modifiant la Loi sur la statistique et la Loi sur les Archives nationales du Canada.

Au cours de la première décennie du XXe siècle, on a assisté au plus grand afflux d'immigrants de l'histoire du Canada. De 1900 à 1910, 1 819 930 immigrants de 49 origines ethniques différentes sont arrivés au pays. De 1911 à 1920, il en est venu 1 573 432 autres, puis, de 1921 et 1925, encore 498 752. S'ils n'ont pas accès aux documents de recensement historiques, les descendants de bon nombre de ces immigrants ne pourront jamais connaître l'origine de leurs ancêtres. On a estimé que 7,5 millions de personnes au Canada s'intéressent d'une manière ou d'une autre à la généalogie et à l'histoire des familles. Je m'exprime au nom de ces gens.

Permettez-moi de préciser tout de suite que les généalogistes et les historiens ne cherchent pas à obtenir quelque chose de nouveau. Ce que nous voulons, c'est que quelque chose d'«ancien». C'est «ancien» tant du point de vue des renseigne ments en cause que du fait que nous y avons déjà eu accès par le passé. Nous voulons quelque chose qui nous a été enlevé à cause d'une mauvaise interprétation de la loi et parce que quelques bureaucrates paranoïaques craignent que quelqu'un, à un moment donné, puisse décider d'examiner des dossiers qui pourraient contenir des renseignements au sujet de ses ancêtres. Malheureu sement, ces bureaucrates ont la haute main sur les dossiers que nous voulons consulter.

Il y a 235 années de documents de recensement qui sont conservés depuis le premier recensement de la Nouvelle-France effectué en mai 1666 par Jean Talon et jusqu'au recensement de 1901 du Canada, et qui sont entre les mains et sous le contrôle des Archives nationales. Tout particulier ou tout organisme peut les consulter à des fins de recherche. Les bibliothèques, les sociétés généalogiques et historiques et les particuliers peuvent acheter des copies de ces documents. Selon nous, l'accès à 235 années de dossiers constitue un précédent substantiel. Nous ne voyons pas du tout pourquoi l'accès aux recensements ultérieurs devrait maintenant être refusé. De toute évidence, Statistique Canada a un point de vue différent. D'après cet organisme, on a promis et garanti aux Canadiens dès 1905 que les données des recensements demeureraient à tout jamais confidentielles. Ceux qui prétendent cela n'ont pas pu corroborer ces affirmations. Par ailleurs, on a présenté des demandes d'accès à l'information pour obtenir des preuves tangibles de l'existence de ces promesses et garanties. Statistique Canada a été incapable de produire de telles preuves.

Dans notre système démocratique, on modifie les lois par suite d'observations présentées au gouvernement par les citoyens, ce qui s'effectue par l'intermédiaire des représentants élus du peuple. C'est pourquoi nous sommes ici aujourd'hui. Au cours de la 36e législature, les interventions des citoyens ont donné lieu à la création du Comité d'experts sur l'accès aux dossiers historiques de recensement. On pourrait avancer sans trop de risque de se tromper que plus de 16 000 personnes ont signé des lettres, des courriers électroniques, des mémoires au comité d'experts ainsi que des pétitions réclamant qu'on redonne au public l'accès aux documents de recensement historiques. Au cours de la législature actuelle, plus de 22 000 signatures ont été apposées sur des pétitions destinées à la Chambre des communes et au Sénat. Chaque jour, de nouvelles signatures s'y ajoutent. Il n'y a pas eu de démarche correspondante auprès du gouvernement de la part de gens qui s'opposent à l'accès. Sur les 95 mémoires qui auraient été envoyés au comité d'experts, seulement deux exprimaient une opposition à l'accès. Dans un cas, une personne s'opposait simplement à l'idée d'enfreindre une promesse qu'elle croyait avoir été faite auparavant. Le deuxième provenait du Conseil national de la statistique et comprenait une liste des membres du Conseil. Immédiatement sous le nom du président du Conseil, on trouvait le nom du membre d'office Ivan P. Fellegi, statisticien en chef du Canada. Il ne peut faire de doute que tout organisme associé à M. Fellegi s'opposera à l'accès. M. Fellegi et Statisti que Canada voudraient nous faire croire que les répondants seront réticents à répondre aux questions ou à dire la vérité s'ils savent que les renseignements fournis dans un recensement cesseront d'être confidentiels dans 92 ans.

Des sondages de l'Environics Research Group effectués par Statistique Canada au nom du comité d'experts ne soutiennent pas ce point de vue. Les réponses aux questions de ces sondages sont demeurées positives, même après qu'on a insisté outre mesure sur le fait que la confidentialité avait été promise à tout jamais. À la lecture des sondages, il est évident que Statistique Canada a manipulé les questions et les renseignements fournis dans une tentative flagrante d'obtenir des réponses négatives. Cela n'a pas fonctionné.

Le projet de loi S-12 est très bien conçu. Il donnera satisfaction à ceux qui veulent que les données historiques de recensement soient mises à la disposition du public, et il devrait également satisfaire les gens qui ont des préoccupations concernant la confidentialité des renseignements personnels communiqués lors de recensements. Le délai de 92 ans avant l'ouverture des dossiers au public établit un équilibre raisonnable entre la protection de la vie privée et le besoin pour les généalogistes et les historiens d'accéder à des renseignements que seul un recensement peut fournir.

Ce délai est compatible avec les dispositions de l'article 6 d) du règlement d'application de la Loi sur la protection des renseigne ments personnels. La position de Statistique Canada et du commissaire à la protection de la vie privée, c'est-à-dire la fermeture complète de ces dossiers, n'est pas du tout équilibrée.

Les citoyens du Canada se sont exprimés. Ils veulent que le public ait accès aux dossiers de recensement postérieurs à 1901, tout comme ils ont eu et continuent d'avoir accès aux documents produits jusqu'en 1901 inclusivement. Ces deux séries de documents devraient être traités de la même façon.

Nous prions le comité d'appuyer le projet de loi S-12 sans amendement. Nous demandons également au gouvernement de considérer le projet de loi S-12 comme émanant du gouverne ment. Voilà qui met fin à l'essentiel de mon témoignage. J'aimerais cependant faire en plus quelques remarques. La proposition faite par M. Sheridan de tenir des assemblées publiques locales m'a paru très intéressante et sans précédent. Je me rappelle que le 15 décembre 2000, le ministre de l'Industrie Tobin a annoncé qu'on tiendrait de vastes consultations auprès de tous les Canadiens à l'occasion des réexamens de la Loi sur la protection des renseignements personnels et de la Loi sur l'accès à l'information. Puis le 26 mars, le Groupe de travail chargé de réexaminer la Loi sur l'accès à l'information nous a dit à M. Gaffield et à moi-même de ne pas nous attendre à ce qu'on traite beaucoup cette question dans le rapport définitif parce qu'elle ne faisait pas partie de son mandat. On n'a donc jamais dit aux membres du Groupe de travail de réexaminer le recensement ou de faire des recommandations à son sujet.

J'ai essayé à maintes reprises d'obtenir des éclaircissements à la fois du ministre Tobin et de la ministre de la Justice McLellan au sujet de la date et du lieu de telles discussions et de l'identité de ceux qui y participeraient. Ni l'un ni l'autre des ministres n'a daigné nous répondre ni même nous envoyer un accusé de réception. Nous avons même envoyé des demandes officielles d'accès à l'information aux deux ministres pour obtenir une réponse. Statistique Canada nous a simplement dit avoir besoin de 30 à 60 jours de plus pour nous fournir une réponse.

La veille de mon arrivée à Ottawa, j'ai reçu une lettre d'un agent d'accès à l'information de la ministre de la Justice, dans laquelle on disait avoir besoin d'un délai prolongé de 130 jours. À mon avis, cela illustre encore la grande réticence des autorités à tenir compte de nos préoccupations au sujet du recensement.

Le sénateur Graham: Tout cela est plutôt intéressant. L'un des grands avantages que j'ai tiré de faire partie de ce comité a été notre mandat très important de nous pencher sur le système de services de santé au Canada. Dans le cadre de cette initiative, nous avons entendu des témoins nous parler avec énormément d'ardeur, de conviction et de force. Eh bien, vous non plus ne nous avez pas déçus au sujet d'un domaine tout à fait différent.

Monsieur Gaffield, êtes-vous disposé à participer aux assem blées publiques locales que propose Statistique Canada? Estimez- vous qu'il s'agit là d'une bonne initiative?

M. Gaffield: J'adore discuter du recensement, de notre histoire et d'autres sujets. J'aimerais beaucoup participer aux assemblées publiques. Je partage cependant la préoccupation du commissaire à la protection de la vie privée, à savoir que les assemblées publiques peuvent toujours êtres manipulées et détournées de leur but. En ce cas, on s'éloigne des faits à étudier et on dérive vers des partis pris.

Vous ne vous étonnerez pas si je vous dis qu'étant historien, j'aime bien qu'on s'en tienne aux faits. S'ils n'étaient ni si clairs ni si constants, alors je dirais peut-être qu'effectivement il faut discuter de la question. Lorsque le comité d'experts a été mis sur pied, on se disait qu'on allait assister à un grand débat. Or nous avons découvert que les avocats du commissaire à la protection de la vie privée et de Statistique Canada avaient effectué très peu de recherche. On a donc vite glissé dans l'opinion plutôt que dans l'étude rigoureuse des faits. Nous-mêmes avons étudié ces faits, ces preuves. À cet égard, le ministère de la Justice est sûr d'avoir raison lorsqu'on tient compte du fondement probatoire. Nous savons ce que nous devrions savoir. Je demeure toujours curieux d'entendre ce que les autres peuvent nous dire mais en fin de compte, les faits ont plus d'importance que des discussions quelconques, quelle que soit leur forme ou leur source. Je m'en tiens aux faits, aux preuves, comme point de départ.

Le sénateur Graham: Monsieur Watts, dans vos propos fort éloquents, vous avez affirmé que le projet de loi S-12 était rigoureux, et le mérite en revient bien sûr au sénateur Milne.

Le commissaire à la protection de la vie privée a mentionné que Statistique Canada et lui avaient présenté une solution de compromis. Cette solution est-elle valable?

M. Watts: Il m'est bien difficile de vous fournir une réponse éclairée. Tout ce que je sais au sujet de cette solution de compromis, c'est ce que j'ai lu dans le hansard, lorsque M. Radwanski a comparu devant le comité plénier du Sénat. Cela me préoccupe. J'ai dit au sénateur Milne que cette solution ne permettrait l'accès aux documents qu'aux personnes accréditées, comme M. Gaffield, ou quelqu'un qui est associé à un établissement d'enseignement ou de recherche. Pour ma part, si je recherche des renseignements sur ma famille, qui de mes pairs affirmera que ma recherche est légitime? Ce n'est pas facile de faire des recherches dans les documents de recensement. Il ne suffit pas d'ouvrir un livre et de trouver le nom d'un membre de sa famille pour savoir quoi faire ensuite. Les gens doivent s'asseoir dans des bibliothèques et dépouiller des microfiches ou des livres. Cela peut prendre des heures, des semaines ou des mois. Cela peut prendre des années avant de trouver la personne que l'on cherche. Dans la plupart des cas, les chercheurs cherchent quelqu'un qui n'est pas lié à eux. Souvent, il s'agit de chercheurs professionnels qui font des recherches pour d'autres personnes. Toutefois, ce qui m'intéresse, ce sont mes ancêtres à moi, pas ceux de M. Radwanski ni ceux de M. Fellegi. Ce que je cherche, ce sont mes ancêtres.

Ces deux derniers se sont dits préoccupés des renseignements que l'on peut trouver au sujet d'une personne. Les familles ne souhaitent peut-être pas que les renseignements soient divulgués. Mais ce sont les familles qui cherchent ces renseignements. C'est ma famille qui cherche ses ancêtres. C'est la famille du sénateur Milne qui cherche ses ancêtres. Nous ne sommes pas guidés par de sombres desseins. Nous voulons connaître l'histoire de nos familles.

M. Gaffield: Nous en avons beaucoup discuté. J'ai deux arguments à ce sujet. Premièrement, il est à peu près impossible de définir ce qu'est «un membre de la famille». Nous le savons. Vous avez proposé l'exemple d'une personne adoptée. Dans un tel cas, c'est tout simplement impossible. Nous savons que la définition de la famille a beaucoup changé au fil des ans et je m'attends à ce qu'elle continue d'évoluer. Cette définition change encore. Nous devons faire bien attention au compromis que nous acceptons.

Deuxièmement, comme le dit M. Watts, nous avons examiné l'idée d'autoriser les projets de recherche. Nous en avons conclu que ce serait impossible du point de vue administratif et que cela donnerait lieu, comme vous l'avez laissé entendre, à un élitisme. Nous essayons d'amener tous les Canadiens à étudier notre histoire, à mieux se connaître, et cetera. Même si j'ai consacré ma vie à cette tâche, je ne veux certes pas affirmer que j'ai le droit d'étudier le passé parce que je suis un expert mais que mes enfants d'âge scolaire et les autres n'ont pas ce droit.

Le délai de 92 ans est simple et clair. Il a toujours donné de bons résultats par le passé, au Canada et dans d'autres pays. Nous ne voyons pas pourquoi il devrait être modifié.

Le sénateur LeBreton: Vous avez parlé d'élitisme. Du point de vue du Canadien moyen, ne reconnaissez-vous pas qu'à notre époque de technologie, les gens craignent que leur vie privée soit attaquée, que les personnes qui remplissent les formulaires du recensement sentent que leur vie privée est compromise? La plupart des gens estiment qu'un délai de 92 ans, c'est très long. Des Canadiens pourraient se dire qu'on parle de 92 ans maintenant mais que quelqu'un pourrait bien plus tard abréger ce délai à 20 ans. Croyez-vous que les gens pourraient être inquiets parce qu'ils remplissent des formulaires de recensement? Comme je l'ai dit tout à l'heure, j'hésiterais beaucoup à remplir un formulaire que quelqu'un glisse sous ma porte si j'estime n'avoir aucun contrôle sur les renseignements. On parle aujourd'hui d'un délai de 92 ans, mais je n'ai aucun contrôle sur ces renseigne ments. Sont-ils vraiment confidentiels?

M. Gaffield: Vous avez tout à fait raison. Nous nous demandons tous si les gens vont nous dire une chose puis faire autre chose. Dans le cas de Statistique Canada et des Archives nationales, nous n'avons pas vraiment à nous inquiéter en raison des excellents antécédents des deux organismes. Nous nous inquiétons cependant de ce que pourraient faire les compagnies d'assurances, les banques et les établissements de crédit. Nous redoutons que bon nombre de gens fassent précisément ce que vous avez dénoncé, c'est-à-dire qu'ils nous mentent ou nous trompent.

Si je me rends sur un site Web, je pense faire telle et telle chose, puis je m'aperçois après qu'on est en train de scruter mon ordinateur pour voir s'il peut faire l'objet de marketing. Les gens s'inquiètent de cela. Je ne pense pas cependant qu'ils sont préoccupés par les traditions qui entourent le recensement, et je m'en réjouis. Au XIXe siècle, les gens étaient beaucoup plus méfiants à l'endroit du recensement parce qu'à l'époque, il n'existait ni confidentialité ni encore de tradition. En revanche, aujourd'hui rien n'indique qu'une telle méfiance a encore cours.

Si j'estimais que ce document historique était menacé d'une manière quelconque, je serais le dernier à recommander qu'on aille de l'avant. En tant que chercheur, il me paraîtrait beaucoup plus important de disposer du meilleur document possible. Cela étant dit, je suis tout à fait convaincu que la règle de 92 ans garantira que la plupart des Canadiens auront une place dans notre histoire. Je pense d'ailleurs que les Canadiens veulent faire partie de notre histoire. Rien n'indique le contraire. Seulement, ils ne veulent pas que les renseignements soient utilisés contre eux, et heureusement, il n'existe aucun exemple de cela, ni de la part de Statistique Canada ni des Archives nationales. On ne trouve aucun cas de gens qui ont l'impression que les Archives nationales ne feront pas ce qu'elles disent vouloir faire. Rendons donc hommage à ces deux institutions. Il y a beaucoup d'autres problèmes à régler dans le dossier de la vie privée. Concentrons nos efforts sur ces derniers et ne mettons pas notre histoire en péril en confondant ce dossier avec d'autres questions qui n'ont rien à voir avec lui.

Le sénateur LeBreton: Si la population fait tellement confiance à ces deux institutions que vous venez de mentionner, c'est parce qu'elles affichent d'excellents antécédents. Si toutefois un incident se produisait qui pourrait affaiblir cette confiance, ne pensez-vous pas que le public remettrait ces antécédents en question?

M. Gaffield: Tout à fait. C'est pour cela que le comité d'experts a étudié la question aussi longtemps. On a voulu savoir qu'elle était la situation juridique. On a voulu savoir si quelqu'un pouvait affirmer qu'une promesse a été faite. Dans les faits cependant, les lois sont différentes. Nous avons donc dû les étudier. Je pense toutefois que les preuves à notre disposition sont claires comme de l'eau de roche et cohérentes.

Il n'y a pas eu de promesse ni de nouveau cadre juridique. On a simplement codifié un système qui existait depuis longtemps et qui avait son importance en 1871 tout comme en 1911 ou 1921. Il était essentiel que nous sachions cela.

Cela dit, vous avez tout à fait raison. Personne ne peut affirmer cela preuve à l'appui. Des milliers de personnes ont fait des recherches là-dessus, y compris l'archiviste national du Canada, mais personne n'a trouvé la moindre preuve d'une telle promesse. Pour moi, historien, c'est là un facteur crucial.

M. Watts: Cela fait l'objet d'interrogations depuis au moins 30 ans. Pour ma part, j'ai travaillé sur le dossier au cours des quatre dernières années. Pendant cette période, nous nous sommes vraiment efforcés de diffuser des renseignements sur la situation et de faire connaître nos propositions.

Où sont ces gens qui d'après vous se préoccupent tellement de la protection de la vie privée? Où sont leurs observations? Il n'y a pas de levée de boucliers contre ce que nous voulons faire. Une poignée de fonctionnaires s'y opposent, c'est tout.

M. Gaffield: Ils veulent davantage de livres.

Le président: Je remercie nos deux témoins de leur présence ici ce soir.

Mesdames et messieurs les sénateurs, étant donné l'heure avancée et le fait que nous avons entendu beaucoup de témoignages conflictuels, je propose que nous nous abstenions de nous prononcer sur la question ce soir. Bien entendu, si quelqu'un nous propose une solution très simple, je suis tout à fait prêt à l'entendre. Autrement, je pense que nous devrions remettre cela à plus tard. Est-ce que quelqu'un veut prendre la parole?

Le sénateur Cordy: Avant de prendre une décision, je me demandais si on ne pourrait pas obtenir les données mentionnées par M. Gaffield.

Le président: La greffière ou l'attachée de recherche feront de leur mieux pour nous obtenir cette information, ainsi que le texte intégral de la proposition du compromis.

Sénateur Milne, lorsque nous recevrons ces documents, je vous donnerai amplement de préavis. Je vais m'assurer qu'il n'y aura aucune discussion sans votre présence.

Cela dit, sénateurs, nous ajournons la séance jusqu'à 11 heures demain matin.

La séance est levée.


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