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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 25 - Témoignages


OTTAWA, le jeudi 20 septembre 2001

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, qui a été saisi du projet de loi S-21, Loi visant à garantir le droit des individus au respect de leur vie privée, se réunit aujourd'hui à 11 h 05 pour en examiner la teneur.

Le sénateur Marjory LeBreton (vice-présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La vice-présidente: Chers collègues, le jeudi 26 avril 2001, le comité a reçu un ordre de renvoi du Sénat le chargeant d'étudier le projet de loi S-21, Loi visant à garantir le droit des individus au respect de leur vie privée. Ce projet de loi est parrainé par l'honorable sénateur Finestone.

Le débat en deuxième lecture au Sénat a soulevé un certain nombre de questions non résolues que le comité a été chargé d'examiner dans le cadre de son étude du projet de loi. Dans un premier temps, il s'agit de définir de façon plus précise ce que l'on entend par la vie privée, et de déterminer si la vie privée est un droit fondamental de la personne. Dans un deuxième temps, il s'agit d'évaluer les dispositions législatives fédérales en vigueur concernant la protection de la vie privée, telles que les articles 7et 8 de la Charte canadienne des droits et libertés, la Loi surla protection de la vie privée, la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, anciennement le projet de loi C-6. Troisièmement, il s'agit de déterminer l'interaction entre le droit à la vie privée, le Code criminel et le fardeau de la preuve; et, enfin, il s'agit de se pencher sur le rôle du commissaire fédéral à la protection de la vie privée.

Aujourd'hui, nous allons commencer par le sénateur Finestone, qui sera suivie de M. George Radwanski, le commissaire à la protection de la vie privée, après quoi nous entendrons un groupe de hauts fonctionnaires du ministère de la Justice et Mme Valerie Steeves, qui enseigne le droit à l'Université Carleton.

L'honorable Sheila Finestone: J'aimerais tout d'abord vous présenter M. Eugene Oscapella, qui m'a servi de conseiller sur ce sujet particulier dont je m'occupe depuis 1997.

Madame la présidente, les événements tragiques de la semaine dernière continuent à nous hanter. Ils nous hanteront encore pendant bien des années. Leur impact sur l'humanité a déjà commencé à influencer notre avenir. La façon dont nous réagirons à ces événements déterminera si nous demeurons une société guidée par des principes démocratiques ou si, poussés par la peur, nous déciderons d'abandonner un grand nombre des valeurs, y compris la protection de la vie privée, qui sont indispensables à notre mode de vie. Si nous choisissons la deuxième option, j'estime, et je suis sûre que vous serez d'accord avec moi, chers collègues, que le terrorisme aura triomphé.

Notre propre gouvernement, nos amis et collègues américains, nos alliés, se demandent maintenant s'il faut entrer en guerre. La question que tout le monde se pose est bien entendu la suivante: «La guerre contre qui»? Le risque, c'est que cette guerre se retourne contre nous.

Il y a quelques jours, j'ai lu l'opinion réfléchie d'un professeur de droit de l'Université de Southern California, Susan Estrich, qui décrivait la ligne extrêmement mince qui sépare la sécurité de la liberté. L'envie est forte, et compréhensible, d'accroître les pouvoirs des gouvernements pour qu'ils se renseignent sur nous. Selon elle, le risque c'est qu'en fin de compte cela ne nous procurera ni sécurité ni liberté.

Madame la présidente, nous savons tous que l'étendue de nos droits varie selon les circonstances qui existent dans notre société. En temps de guerre, il est possible qu'il faille limiter nos droits et libertés. Aucun droit n'est absolu. Tous les droits doivent être évalués dans leur contexte social actuel, mais évitons de trop nous précipiter pour abandonner ou limiter les droits et libertés qui sont les emblèmes par excellence d'une société démocratique.

Ces limites doivent être d'une haute précision, et ne pas viser à l'aveuglette tout ce qui bouge. L'histoire nous apprend que le retrait des droits n'est pas temporaire. Une fois les droits disparus, il est souvent impossible de les rétablir.

Les mécanismes de protection prévus par la Constitution sont extrêmement importants lorsqu'une menace pèse sur un pays. Vous le constaterez dans tous les médias d'information dernière ment. Lorsqu'une nation est prise de panique sévit dans un pays, s'en remettre à la volonté du gouvernement peut en soi constituer une menace. Il suffit de penser aux civils japonais qui ont été internés au cours de la dernière guerre et aux purges acharnées pratiquées par McCarthy aux États-Unis moins de dix ans plus tard.

En 1989, le juge de la Cour suprême des États-Unis, Thurgood Marshall, nous a rappelé que l'histoire nous apprend que la liberté est souvent sérieusement menacée en temps de crise, lorsque les droits constitutionnels semblent trop onéreux pour être tolérés.

Un éditorial publié dans le New York Times le lendemain des attaques de mardi dernier a prévenu les Américains qu'ils doivent repenser la façon de protéger le pays. Cependant, ils doivent le faire sans vendre en échange les droits et privilèges de la société libre qu'ils défendent. L'éditorial ajoute:

La tentation sera grande au cours des prochains jours de rédiger de nouvelles lois draconiennes qui donnent aux services de maintien de l'ordre - ou même aux forces militaires - le droit de saper les libertés civiles qui font la réputation des États-Unis. Le président Bush et le Congrès doivent soigneusement veiller à concilier le besoin de sécurité accru et le besoin de protéger les droits constitution nels des Américains.

Madame la présidente, en présentant la Charte des droits à la vie privée à ce moment-ci, ma tâche a été rendue doublement difficile. Elle n'en devient toutefois que doublement importante. Il ne vous étonnera pas d'entendre maintenant bien des gens proposer que le gouvernement ait des pouvoirs illimités ou du moins nettement accrus d'intervention au nom de la sécurité.

Il pourrait leur sembler complètement illogique que nous voulions promouvoir le droit fondamental à la vie privée à un moment comme celui-ci, mais ce ne l'est pas. Il existe de nombreux autres mécanismes de protection qui font tous partie du système en vigueur à l'heure actuelle au gouvernement, et cela ne pose pas de problème. Il s'agit de trouver un juste équilibre. Cela est déjà prévu par la loi et par les méthodes d'évaluation et d'interprétation de la loi.

Il est extrêmement important qu'après notre adhésion aux instruments internationaux qui garantissent le droit à la vie privée, nous inscrivions ce droit dans nos lois, comme je cherche à le faire grâce au projet de loi S-21. Le Canada est signataire entre autres du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ce document traite du droit à la protection contre l'invasion de la vie privée. Cependant, comme nous le savons tous, il ne s'agit pas d'un droit illimité. Le pacte assure une protection contre les excès. Il assure une protection contre l'invasion arbitraire et illicite de la vie privée.

La Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 a été la première réaction moderne du monde à la violence de la première moitié du XXe siècle, y compris deux guerres mondiales. Les auteurs de la Déclaration universelle, après avoir été témoins de la destruction écrasante causée par les régimes totalitaires partout dans le monde, a reconnu l'importance pour la démocratie de plusieurs droits.

Parmi ces droits, le droit à la vie privée figure en bonne place - le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne, à la protection contre les arrestations ou les détentions arbitraires, et la protection contre les invasions arbitraires de la vie privée. Il s'agit de droits issus de la guerre, issus d'abus de régimes autoritaires. Il ne faut pas maintenant que l'on cède ces droits. Il est d'une importance capitale, en tant que sénateurs que nous accordions à la vie privée une place sûre dans nos lois.

Ces droits à la vie privée ne sont pas inflexibles, ils ne sont pas absolus. Je l'ai répété à plusieurs reprises. Ils ne sont pas absolus. La Déclaration universelle des droits de l'homme prévoit par exemple des limitations:

[...] établies par la loi exclusivement en vue d'assurer la reconnaissance et le respect des droits et libertés d'autrui et afin de satisfaire aux justes exigences de la morale, del'ordre public et du bien-être général dans une société démocratique.»

Les droits étroits à la vie privée tels qu'ils ont été interprétés dans la Charte canadienne des droits et libertés par nos tribunaux sont également soumis à des limites. Ces droits sont soumis aux limites raisonnables prescrites par la loi dont la justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique. Je fais allusion ici aux articles 7 et 8 de la Charte.

Madame la présidente, le projet de loi dont vous êtes saisie ne vise pas à entraver l'exercice légitime du pouvoir de l'État pas plus que nos instruments internationaux de droits de l'homme ou nos lois constitutionnelles ne sont des entraves au pouvoir légitime de l'État. Ce projet de loi vise à limiter les excès. Il reflète nos engagements internationaux, des engagements qui deviennent d'autant plus importants en temps de crise. Il témoigne de la vigueur de notre démocratie actuelle et de notre engagement à demeurer une démocratie.

Je vous rappelle que le respect de la vie privée est effectivement un droit de la personne. Le fait qu'il soit inclus dans la Déclaration universelle des droits de l'homme le montre clairement. En septembre 1996, l'honorable Allan Rock, ministre de la Justice à l'époque, l'a souligné dans une allocution qu'il a prononcée lors d'une rencontre internationale des commissaires à la protection des données à Ottawa. Il a parlé du respect de la vie privée comme étant un droit de la personne et il semblerait qu'on l'ait approuvé lorsqu'il l'a qualifié de droit fondamental de la personne.

Votre tâche aujourd'hui ne consiste pas à faire un examen du projet de loi ligne par ligne. Il est cependant important de comprendre le contexte général du projet de loi.

Le projet de loi a pour objet de donner effet à plusieurs principes, notamment que le respect de la vie privée est indispensable à la dignité, à l'intégrité, à l'autonomie et à la liberté des individus ainsi qu'au plein exercice de leurs droits et libertés. Par ailleurs, le projet de loi fait du respect de la vie privée un droit reconnu par la loi, ce qui n'est pas le cas à l'heure actuelle.

Le projet de loi s'appliquera aux personnes et matières qui relèvent de l'autorité législative du Parlement. Ce droit comporte notamment, sans s'y limiter, le droit au respect de son intimité physique, le droit d'être libre de toute surveillance, le droit d'être à l'abri du contrôle et de l'interception de ses communications privées et le droit d'être à l'abri de la collecte, de l'utilisation et de la communication de ses renseignements personnels. Il s'agit en fait de ce qu'on appelle souvent le «droit d'être laissé tranquille».

La Charte du droit à la vie privée va donc bien au-delà de la simple réglementation de la collecte, de l'utilisation et de la communication des renseignements personnels - qui constitue essentiellement une activité commerciale - telle que visée dans les lois fédérales et provinciales de protection des données, le projet de loi C-6, la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques qui a été adoptée récemment.

Certaines préoccupations ont été exprimées quant à la façon dont le projet de loi cadrerait avec les mesures législatives actuelles. Le projet de loi primerait toute autre mesure législative ordinaire. En termes simples, la Charte du droit à la vie privée nécessitera un examen de la législation fédérale actuelle ainsi qu'une nouvelle mesure législative visant à assurer la conformité avec le projet de loi.

Si le droit au respect de la vie privée avait été reconnu dans la Constitution, comme bon nombre d'entre nous voulions le faire en 1982, nous aurions accompli cette tâche à ce moment-là. C'est précisément le processus que nous avons entrepris avecl'article 15 de la Charte, la disposition sur les droits à l'égalité, à laquelle j'ai personnellement travaillé. Ce fut un travail tout à fait fascinant qui nous a amenés à examiner toutes les lois canadiennes.

Il n'y a rien d'extraordinaire à ce qu'on fasse cet examen à l'heure actuelle pour en vérifier la conformité avec le droit à la vie privée qui est quasi-constitutionnel. Si nous tenons vraiment au respect de la vie privée, nous ne devrions pas non plus avoir peur des lacunes que nous pourrions découvrir dans les lois en vigueur.

Il ne semble pas être très logique de ne pas toucher aux dispositions législatives existantes. Cela reviendrait à accorder aux mesures législatives antérieures à la Charte une immunité spéciale, même si elles allaient à l'encontre des principes du respect de la vie privée contenus dans le projet de loi S-21, qui sert essentiellement de modèle. Une telle immunité spéciale ne se fonderait que sur la date d'adoption de la loi, ce qui est loin d'être un fondement logique pour assurer un tel droit fondamental.

Madame la présidente, certaines préoccupations ont été exprimées également selon lesquelles le projet de loi pourrait vouloir dire qu'une personne est libre d'agir à moins que son agissement ne soit interdit par la loi. Certains craignent que la Charte empêche des individus d'agir d'une façon susceptible de porter atteinte au droit au respect de la vie privée d'un individu à moins que cet agissement ait été jugé légal.

Madame la présidente, je ne crois pas que cela soit une interprétation juste du projet de loi. Cependant, si cela continue à susciter des craintes ou d'autres questions, à cet égard, nous pourrions, au cours des audiences, apporter des modifications. Le projet de loi pourrait être modifié pour dire entre autres qu'une atteinte est justifiable si elle est jugée licite.

D'aucuns ont également prétendu que le projet de loi pourrait nuire au fonctionnement des organismes d'exécution de la loi. Honorables sénateurs, cet argument n'est ni chair ni poisson; c'est un bobard. L'argument se présente ainsi: les activités des organismes d'exécution de la loi ont été approuvées par le Parlement ou ont été établies par la common law. Ces normes peuvent être différentes que celles prévues dans le projet de loi. En accordant au projet de loi un statut quasi-constitutionnel, il primerait ces lois, ce qui romprait l'équilibre que le Parlement a déjà établi entre les pouvoirs d'exécution et le droit à la vie privée. J'ai l'impression que les tribunaux seront meilleurs juges.

Madame la présidente, c'est là exactement le genre de réexamen qui a suscité la Charte canadienne des droits et libertés relativement à d'autres droits. Pourquoi le même processus ne pourrait-il s'appliquer au droit à la vie privée?

D'aucuns n'ont laissé entendre que l'établissement d'un droit à la vie privée dans ce projet de loi donnera lieu à de nombreux litiges et que seuls les riches auront les moyens d'entreprendre des instances. En réponse, je dirais qu'une déclaration de droits doit comporter des recours. La seule raison pour laquelle le projet de loi S-21 prévoit le litige comme recours, tient aux limites découlant de la présentation d'un projet de loi au Sénat.

J'aimerais beaucoup que le commissaire à la protection de la vie privée du Canada supervise l'application du projet de loi, mais cela nécessiterait des considérations monétaires. Comme vous le savez, un projet de loi de finance ne peut être introduit au Sénat. Nous avons demandé conseil à l'ancien commissaire à la protection de la vie privée à cet égard. Cependant, si le gouvernement adoptait le projet de loi S-21 au Sénat, la ministre de la Justice pourrait faire adopter le projet de loi à la Chambre des communes et prévoir un rôle pour le commissaire à la vie privée dans la résolution des litiges.

Je suis absolument convaincu que la Charte du droit à la vie privée est à la fois nécessaire et faisable. Nous avons besoin de plus qu'une simple déclaration de principe. Nous avons besoin d'un droit exécutoire, et c'est ce que prévoit mon projet de loi. Certains changements aux dispositions du projet de loi pourraient être nécessaires. Cela relève clairement de la compétence de notre système de comités parlementaires. Plusieurs personnes dévouées se sont déjà employées à formuler ce projet de loi. Certains d'entre nous qui avons autant insisté - en fait depuis 1997 - pour que ce droit soit inscrit de façon plus efficace dans la loi canadienne, se réjouiront des critiques constructives. Il est dans l'intérêt de tous les Canadiens que nous travaillions ensemble dans un esprit constructif pour faire avancer ce projet de loi. Je vous demande d'accorder au projet de loi S-21 le droit de passer à l'étape de la deuxième lecture et d'être examiné par le comité.

La vice-présidente: En 1982, on a tenté d'inclure ce droit dans la Charte. Pour plus de clarté, pouvez-vous nous donner les raisons pour lesquelles vous n'avez pas réussi à le faire à l'époque? Y a-t-il une raison pour laquelle ce droit n'a pas été inclus?

Le sénateur Finestone: J'en ai discuté avec un conseiller juridique et avec un certain nombre de personnes. Tout ce que je sais, c'est qu'il y était en 1981 et qu'il a disparu en 1982. Je vois certains membres de votre comité qui étaient là à l'époque, moi je n'y étais pas. Ils seraient peut-être mieux en mesure que moi de répondre à votre question. Vous pouvez peut-être leur poser la question.

Le sénateur Kirby: Pour ce que cela vaut, je ne me rappelle pas qu'on ait parlé du droit à la vie privée à l'époque. Je me rappelle du droit à la propriété qu'on a finalement laissé tomber. Franchement, je ne me rappelle pas de la question du droit à la vie privée, car cela s'est tellement rapidement. La question du droit à la propriété est restée sur la table jusqu'à la toute fin des discussions.

Le sénateur LeBreton: Il serait utile de vérifier les comptes rendus.

Le sénateur Kirby: Je ne crois pas que cela se trouve dans comptes rendus publics, mais ce serait dans les comptes rendus qui sont archivés aux termes de la règle de 30 ans.

Le sénateur Graham: J'ai une question simple. Je voudrais tout d'abord faire remarquer que pour la deuxième journée de suite, nous avons une sénateur qui prend une initiative digne de mention. Hier, c'est le sénateur Milne qui a présenté son projet de loi S-12 concernant le recensement. Aucun sénateur n'a fait preuve d'autant de diligence pour promouvoir le droit à la vie privée que le sénateur Finestone. Effectivement, dans sa vie antérieure, elle était députée et présidente du Comité permanent de la Chambre des communes des droits de la personne et de la condition des personnes handicapées. Elle a par ailleurs occupé un poste international dont, si je ne m'abuse, sénateur Finestone, vous venez tout juste de vous retirer. Vous pouvez peut-être nous parler de ce poste.

Le sénateur Finestone: J'ai été élue par l'organisation internationale de 142 membres qui s'appelle l'Unioninterparlementaire du comité exécutif mondial, qui représente tous ces pays. C'est un comité multinational. J'ai été élue au comité directeur des nations occidentales aux vues similaires, connu sous le nom des 12-plus au sein de cette structure. J'ai été fondatrice du Mouvement des droits des femmes au sein de cette organisation, qui est la plus ancienne organisation internationale fondée par la France, la Grande-Bretagne et l'Allemagne il y a 112 ans.

Je rentre d'Afrique, et tout le monde ne parlait que des attentats de New York. Encore une fois, il a beaucoup été question de l'érosion des droits fondamentaux de la personne, notamment du droit au respect de la vie privée sans une justification suffisante d'intrusion, ce qui est une préoccupation très sérieuse.

Au cours des discussions, j'ai dit clairement qu'au Canada, il fallait avoir un mandat, mais que lorsque nous étions sérieusement sous la menace de guerre, nous avions tiré des leçons assez rudes au Canada. Au cours de ces réunions, il m'est apparu de plus en plus évident que nous devions examiner la question du droit à la vie privée. Bon nombre des arguments invoqués ne sont pas bien fondés en droit et peuvent certainement être contestés. Cependant, je vous remercie de m'avoir permis de vous en parler.

Nous étions dix là-bas et nous avons travaillé très fort sur de nombreux dossiers internationaux. Ce n'étaient pas des vacances, mais plutôt une séance de travail exigeant.

Le sénateur Graham: Comme vous l'avez dit aujourd'hui, nous n'examinons pas le projet de loi ligne par ligne. Il s'agit plutôt d'une séance d'information. Je suis certainement d'accord avec le principe du projet de loi.

En juin 2000, vous avez introduit le projet de loi S-27. Le 13 mars 2001, vous avez introduit le projet de loi S-21. Dans le projet de loi S-21, avez-vous apporté des changements, si ce n'est que d'un mot, un point virgule ou un signe de ponctuation par rapport au projet de loi S-27?

Le sénateur Finestone: C'est une question importante. Aucun changement n'a été apporté. Après avoir consulté les greffiers et les membres du personnel, il a été décidé qu'il vaudrait mieux apporter les changements nécessaires en comité. Le commissaire à la protection de la vie privée m'a signalé certaines questions, certains changements qu'il jugeait nécessaires. On m'a avisée que cela pourrait changer toute la nature du projet de loi et que nous devrions recommencer entièrement le processus.

Le ministère de la Justice a soulevé certaines préoccupations que je ne considère pas fondées du tout. Quoi qu'il en soit, j'étais prête à les entendre, et je leur ai dit que cela se ferait au cours de l'examen de ce modèle selon certains critères. En fin de compte, aucun changement n'a été apporté au projet de loi. Étant donné que nous avons ici d'honorables sénateurs qui ont étudié les questions dont ils sont saisis, s'ils estiment après avoir entendu les faits qu'il y a des choses à changer, je suis certaine que nous serons prêts à apporter de tels changements. Le simple fait qu'on se demande si nous avons le droit de déclarer le droit à la vie privée pour les Canadiens me semble tout à fait ridicule. C'est là le problème.

Le sénateur Graham: Aux fins du compte rendu, je me rappelle que le projet de loi S-27 a expiré au Feuilleton lors des élections de novembre 2000. Vous avez introduit le même projet de loi au cours de la présente session, soit le projet de loi S-21.

Le sénateur Fairbairn: Cette question, comme d'autres questions sociales complexes auxquelles nous nous attaquons, est un problème déguisé, ce qui signifie qu'il faut travailler 10 fois plus fort pour faire entendre son point de vue, et vous avez fait un travail remarquable.

Je suppose que l'on peut dire que votre souhait le plus cher serait de ne pas être obligée de nous présenter ce projet de loi, qui aurait été présenté par le gouvernement, si cela avait été possible. C'est une question dont on parle depuis longtemps.

Cela étant dit, je remarque à la page 7 de votre mémoire que vous dites qu'Allan Rock, lorsqu'il était ministre de la Justice en 1996, a dit que le droit à la vie privée était un droit de la personne et, comme vous le dites, il l'a décrit comme étant un droit fondamental de la personne, ce qui a eu, semble-t-il l'approbation de son auditoire.

Dans tout le travail que vous avez fait jusqu'à présent, quelle a été la réaction du gouvernement, à la lumière de cette déclaration publique de l'ancien ministre de la Justice?

Le sénateur Finestone: Je ne serais pas diplomate si je disais d'attendre, d'attendre d'avoir trouvé une raison pour ne pas procéder de façon franche. Par expérience, j'ai découvert que c'était extrêmement frustrant.

En 1997, l'étude étant terminée, chacun des ministres de la Justice qui se sont succédé m'ont annoncé qu'on procédait à une étude sur le droit à la vie privée, que notre étude était pertinente et importante, et que ces questions seraient examinées au moment du dépôt de la nouvelle Loi sur la protection des renseignements personnels.

Or, je n'ai pas vu de nouvelle Loi sur la protection des renseignements personnels, pas plus d'ailleurs que mes collègues. On estime que les droits accrus conférés au commissaire à la protection de la vie privée, par les dispositions du projet deloi C-6, font l'affaire en partie. Mais il s'agit de projets de loi de finances. Ils régissent la façon dont on traite les affaires. Il y a bien des aspects qui n'ont rien à voir avec les affaires mais qui touchent la vie quotidienne des membres notre société. Cette attitude à mon avis, révèle une étroitesse d'esprit et une perspective limitée.

On reconnaît assurément que le droit au respect de la vie privée est un droit de la personne. Certains, malheureusement, prétendent que ce n'est pas un droit fondamental. Je pense qu'ils se trompent. Sénateur Fairbairn, cela a été une expérience frustrante. Le fait que le ministère de la Justice tergiverse et s'exprime par personne interposée, n'a pas aidé la cause qui est de protéger les Canadiens.

Nous avons essayé de présenter un modèle au regard duquel tout ce qui pourrait être néfaste pour les Canadiens pourrait être mesuré. C'est un cadre de référence exhaustif pour l'analyse qui englobe le secteur privé réglementé par le gouvernement fédéral et le gouvernement fédéral lui-même.

Mes propos ne peuvent pas être plus fermes. Nous sommes liés obligatoirement par notre déclaration sur les principes et les valeurs canadiennes. C'est ce dont il s'agit. Toutes les valeurs consacrées par la Constitution, notamment dans les articles 7 et 8, peuvent être interprétées par les tribunaux car il y a des recours à ces droits. Elles sont interprétées par les tribunaux, leur définition en est élargie, et pour finir, elles sont intégrées au processus législatif.

Toutefois, il est renversant de constater qu'un pays occidental, et nous sommes le seul, ne déclare pas que ses citoyens jouissent du droit à la protection de la vie privée. C'est là que nous en sommes.

L'interprétation du «droit à la protection de la vie privée» évolue en même temps que la société. Personne n'aurait pu imaginer le monde technologique où nous vivons aujourd'hui, car il a beaucoup évolué.

M. Eugène Léon Oscapella, Oscapella & Associates Consulting Ltd.: L'enjeu est fondamental. Le sénateur Finestone tente de formuler une déclaration fondamentale des valeurs concernant la vie privée au Canada. Plus que jamais, cela est important car nous sommes sollicités par nos voisins du Sud, et l'on fait des déclarations au Canada. Prenez le numéro du Globe and Mail d'hier, dans lequel Kirk Makin, un journaliste respecté, déclare: «Les notions reconnues concernant la vie privée seront sans doute oubliées à tout jamais, enfouies dans la poussière de l'attaque terroriste à New York...»

En temps de crise, les droits protégés par la Constitution sont de la plus haute importance. Nous ne pouvons pas constitutionna liser ce droit. Cela poserait trop de difficultés actuellement. À court terme, définir un droit quasi constitutionnel est le mieux que nous puissions faire. Il est impératif actuellement de tenter d'adopter un document de base contenant une déclaration exhaustive des principes fondamentaux.

Le sénateur Fairbairn: Avez-vous pu constater que votre démarche a été entravée étant donné que l'on faisait le rapport avec la notion de droit constitutionnel - ce qui signifierait ultimement une modification constitutionnelle pour qu'il soit totalement reconnu? Cela peut expliquer pourquoi on hésiteà plonger dans le sujet, car une éventuelle modification constitutionnelle prend du temps, est difficile et parfois tortueuse. Sénateur Finestone, je me demande si ce n'est pas là une des raisons pour lesquelles votre projet n'a pas reçu l'adhésion enthousiaste que vous souhaiteriez.

Le sénateur Finestone: Concernant la constitutionnalisation du droit à la vie privée, je dois vous dire que je procédais aux mêmes études au Comité des communications et de la culture quand on a procédé à une révision constitutionnelle. À ce moment-là, le sénateur Beaudoin a demandé l'inclusion du droit à la vie privée dans la Constitution. On en a rejeté l'idée parce que tout ce qui entourait la Constitution et les modifications de Meech posait des difficultés et il a semblé que ce n'était pas le moment opportun. Je ne pense pas qu'on ait envisagé cela sérieusement.

On m'a recommandé de ne pas intituler mon projet Charte des droits à la vie privée mais plutôt Déclaration de principes sur la vie privée. Si cela était accepté, et si par la suite les droits du commissaire à la protection de la vie privée s'en trouvaient élargis, si le recours juridique en matière de vie privée était instauré, en conséquence, il faudrait que mes collègues sénateurs au comité étudient la question avec moi pour voir ce que nous pourrions faire. En l'absence d'une modification constitutionnelle, obtenir une charte quasi constitutionnelle semble être une bonne idée. C'est ce que je pense et c'est ce que pensent ceux qui travaillent avec moi. D'autres ne sont pas du même avis. Mais ce n'est pas à moi de trancher la question.

Le sénateur Roche: Avant de procéder à mes remarques et à ma question, je tiens à dire que nous sommes tous sensibles aux événements et aux attaques tragiques qui se sont produits à New York et à Washington et dont on a parlé.

Le collaborateur du sénateur Finestone a cité un article paru récemment dans un grand journal, article où l'on déclare qu'à la suite de cette tragédie, les droits à la vie privée ont disparu à tout jamais. Assurément, voici un exemple des réactions à outrance auxquelles on peut s'attendre - et c'est compréhensible peut- être - mais il s'agit là d'un excès qu'il faut nuancer en tenant compte des valeurs à long terme dont nous nous préoccupons ici.

Cela dit, je demanderais au sénateur Finestone de développer sa pensée en ce qui concerne l'impact de la tragédie de New York et Washington sur l'élaboration de normes supérieures en matière de vie privée.

Dans les semaines et les mois à venir, quand l'atmosphère sera plus calme dans les médias, quelle influence ces événements auront-ils, selon vous? Pensez-vous que la société acceptera mieux des empiétements sur sa vie privée au nom de la protection de tous? Il faudra probablement se poser la question. Si nous acceptons qu'il y ait plus atteintes à notre vie privée, quelles sont les limites minimales qui devraient selon vous protéger notre droit à la vie privée?

Le sénateur Finestone: Sénateur Roche, je peux compter sur vous pour me poser une question difficile. En vertu de nos lois, nous devrions avoir plein droit pour protéger nos citoyens. Je pense que nous avons des lois actuellement à cette fin. J'ai le plus grand respect pour la GRC et les forces de l'ordre au Canada. Je pense que nos policiers se soucient du bien-être des Canadiens. Si cela signifie qu'ils doivent poursuivre ceux qui cherchent à nuire au mode de vie et aux valeurs des Canadiens, alors soit, ils doivent avoir la possibilité de le faire.

Au Canada, nous avons recours à des mandats et c'est essentiel au déroulement du processus démocratique. Quand toutes les autres possibilités se sont révélées impuissantes pour prouver la culpabilité ou l'innocence de quelqu'un en particulier, et qu'il faut recourir à des moyens d'intervention, alors dans une société démocratique, on s'adresse aux autorités appropriées. Il faut procéder dans le respect de l'ordre public.

Nous avons étudié en comité de nouvelles technologies qui font peur, par exemple, des manchons que l'on peut utiliser pour entendre une conversation à 500 mètres de distance et des rayons rouges qui peuvent traverser des murs épais et révéler qui est assis autour d'une table, et la position exacte de chacun à la table. Il existe aujourd'hui un grand nombre de technologies dont on peut user pour nous faciliter les choses ou à mauvais escient. La question qui se pose est la suivante: quand le sont-elles à bon escient et quand faut-il intervenir pour qu'il n'y ait pas intrusion? C'est là le dilemme.

Il ne m'appartient pas de trancher. Je propose un modèle qui servirait d'étalon. La décision appartient au juge qui délivrera le mandat, qui entendra les arguments de la GRC ou du SCRS, ou des policiers soucieux de veiller aux intérêts du pays. Je place beaucoup de confiance là-dedans. Je crois à la primauté du droit. Je pense que cela peut être appliqué. Monsieur Oscapella, avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Oscapella: Si j'ai cité un passage de l'article de Kirk Makin paru dans le Globe and Mail d'hier, c'est parce qu'il y aura au cours des mois à venir, d'énormes pressions en vue de sacrifier ou de restreindre les droits à la vie privée. Quand on regarde les antécédents concernant la restriction des droits dans la société, on constate qu'il est rare, une fois qu'un droit a été supprimé ou restreint, qu'il soit rétabli. C'est le véritable danger qui nous guette actuellement.

La réaction à court terme aux événements de la semaine dernière, si abominables soient-ils, sera d'aller trop loin à l'autre extrême. Il se peut qu'il soit difficile de normaliser les choses, de retrouver un juste milieu. Le danger qui guette, si l'on limite les droits, c'est de ne pas avoir de recours en cas d'une restriction excessive de ces droits. Nous reconnaissons que des limites s'imposent. Nous reconnaissons que des mesures extraordinaires sont nécessaires dans certaines circonstances face à des menaces extraordinaires. Néanmoins, nous voulons disposer d'un modèle qui nous permette de mesurer ces restrictions.

Le sénateur Roche: Sénateur Finestone, ai-je bien compris votre argument: face à ce qui s'est passé à New York et Washington, vous estimez que ces événements, au lieu de ralentir les progrès de votre projet de loi, lui donnent une impulsion nouvelle?

Le sénateur Finestone: À ceux qui prétendent que le dossier de la vie privée est lettre morte, je répondrai qu'il leur faut s'habituer, qu'il leur faut commencer à penser que la vie privée est indispensable. Agir, c'est ce qu'il faut faire. C'est plus qu'urgent. Sénateur Roche, j'étais très inquiète de présenter mon projet de loi en ce moment. Toutefois, en rentrant chez moi, j'ai lu beaucoup de journaux. J'ai lu la presse française, la presse britannique et l'américaine. Il est évident qu'il faut protéger la vie privée, plus que jamais.

Nous vivons dans une démocratie remarquable. Peu de pays du monde peuvent se comparer à nous. J'espère que nous ne perdrons jamais notre attachement à cette valeur. J'espère que nous maintiendrons toujours notre place dans la société et, d'une certaine façon, que nous servirons de modèle.

Le sénateur Callbeck: Sénateur Finestone, pouvez-vous nous donner des exemples précis d'abus ou d'atteinte au droit à la vie privée que les dispositions actuelles de la loi ne couvrent pas et qui seraient couverts par votre projet de loi.

Le sénateur Finestone: Tout d'abord, actuellement,l'application de la loi est limitée. Les droits à la vie privée que les articles 7 et 8 protègent sont très précis et très limités. Pour l'essentiel, cela s'applique à ceux qui ont eu des démêlés avec la justice, et ne protège pas le reste de la société, ce qui est important.

Deuxièmement, lors de nos déplacements au Canada pour entendre ce que les gens avaient à dire concernant la protection de la vie privée, on les a entendus exprimer de graves inquiétudes du point de vue de la santé. Par exemple, on s'inquiète de savoir qui peut être au courant de votre état de santé, et qui peut être au courant d'une maladie grave chez un membre de votre famille, maladie qui ne vous atteindra pas nécessairement. Cela fait partie de votre ADN - les détails de votre histoire familiale. Combien de gens sont au courant? Quelle protection offre la compagnie d'assurances qui possède ces renseignements, qui les transmet à la banque, avec des conséquences possibles pour l'obtention d'un prêt hypothécaire? Cela peut avoir une incidence sur l'avance ment dans votre carrière et des conséquences sur la place que vous occuperez dans votre propre société, et votre aptitude à avoir des enfants.

Il y avait donc toute une gamme de questions concernant la santé. J'aurais aimé pouvoir me rafraîchir la mémoire sur cet aspect. Toutefois, les questions concernant la santé étaient graves. Les conséquences financières et l'incidence ultérieure sur les prêts, l'assurance et les pensions pourraient être négatives. Je vous ai donné quelques exemples.

On s'inquiétait également de la possibilité d'écoutes téléphoni ques clandestines. Quelqu'un aux États-Unis a révélé un certain travail qu'il accomplissait. Si c'est légal, très bien. Si c'est illégal, ça ne va plus. Certains d'entre nous se souviennent douloureuse ment des tables d'écoute et de leurs conséquences au moment des discussions constitutionnelles avec M. Bourassa. C'est tout ce que je peux vous dire pour l'instant.

Valerie Steeves, que vous entendrez bientôt, pourra vous en donner des exemples précis. J'aimerais bien que vous gardiez cette question pour Valerie Steeves qui fera aussi partie de votre brochette de témoins.

Le sénateur Callbeck: L'information sur la santé que vous avez mentionnée et les problèmes que cela peut créer, n'est-ce pas déjà couvert en vertu des lois actuelles?

Le sénateur Finestone: Non, pas adéquatement. J'ai siégé à ce comité sous votre présidence. Il y a eu des débats fort sérieux à ce sujet. Il s'agissait de savoir comment les renseignements étaient colligés et les renvois établis une fois la collecte de données achevée.

Il n'y a pas de protection lorsque vous achetez vosmédicaments à la pharmacie et la pharmacie communique ces renseignements qui sont compilés. Ils en savent plus sur votre compte que vous en savez vous-même. Ils en savent plus sur moi que je ne le souhaiterais y compris mes habitudes de magasinage, où je fais mes achats, quel genre de pilules j'achète et à quoi elles servent.

Est-ce que ce sont là des renseignements que nous voulons partager avec le grand public? Pouvons-nous contrôler cela ou pas?

Je crois que votre comité va étudier ces questions incessam ment. Cela tombe-t-il sous le coup du projet de loi C-6 ou d'un droit général à la protection de la vie privée?

Pourriez-vous ajouter à cela, s'il vous plaît?

M. Oscapella: Sénateur Callbeck, j'ajouterais aussi que cette charte sur la protection de la vie privée pourrait être opposée à des activités de surveillance, d'activités démocratiques légitimes qui, à notre époque, pourraient constituer une menace selon certains. Nous nous en servirions comme modèle de contrôle.

Prenons la question des cartes d'identité. Il est possible que la Charte - la charte constitutionnelle - puisse s'interpréter de deux façons: soit qu'on ne puisse imposer aux gens le port d'une carte d'identité obligatoire, soit qu'on puisse le faire. Le projet de loi fournit une sorte de modèle qui peut servir à mesurer ce genre d'intervention.

N'oublions pas le courriel ou l'accès à l'Internet pour les organismes gouvernementaux. N'oublions pas le droit au cryptage ou les restrictions qu'on pourrait imposer. Il est peut-être approprié d'imposer des limites à l'usage du cryptage dans certaines circonstances, mais il nous faut un modèle qui puisse servir de point de comparaison pour limiter les atteintes à la vie privée. Voilà ce à quoi pourrait servir le projet de loi au niveau de la relation entre le gouvernement fédéral et les citoyens de notre pays.

Il y a un autre volet au projet de loi, et il s'agit du secteur privé réglementé par le gouvernement fédéral. Il ne s'agit peut-être pas de la question brûlante d'actualité en matière de protection de la vie privée dans l'esprit de la plupart des gens pour le moment. En l'occurrence, il s'agit de définir le pouvoir que devrait détenir le gouvernement afin de pouvoir contrecarrer la perception de menace terroriste. Certaines des choses dont j'ai parlé - cartes d'identité, accès au courriel, communications via l'Internet, le droit de limiter le recours au cryptage ou d'exiger que les gens communiquent aux autorités leur clé de chiffrement - voilà toutes sortes de questions qu'il faudra évaluer.

Cela ne se produit pas nécessairement dans le contexte d'une enquête criminelle. Cela pourrait se produire dans le contexte d'une société soumise à une surveillance ou à des contrôles plus serrés. Je ne sais pas si la protection limitée qu'offre la Charte en vertu des articles 7 et 8, serait assez vaste pour englober toutes ces questions. C'est cependant ce que nous essayons de faire.

Nous ne disons pas que dans certaines circonstances la surveillance n'est pas appropriée. Nous ne disons pas qu'il n'est pas approprié de donner accès aux messages chiffrés. Nous disons que nous avons ici un critère que nous pourrions utiliser pour décider si un tel accès est justifié au lieu d'avoir recours à des mesures intrusives lors d'événements comme ce que nous avons connu la semaine dernière. On peut lutter contre le terrorismesans nécessairement piétiner les libertés civiques ni les droits fondamentaux des citoyens de toute une société.

Le sénateur Morin: J'aimerais aussi féliciter le sénateur Finestone pour tout son travail de promotion d'un principe aussi important.

Les Canadiens, surtout en l'époque que nous vivons, voudront être sûrs qu'une telle déclaration ne compromettra pas leur propre sécurité à la lumière des récents attentats terroristes. Je comprends qu'il y a d'autres façons de faire les choses, mais s'ils ont l'impression que ce que nous faisons va compromettre leur sécurité, ce sera nuisible.

L'information sur la santé est une question très importante. J'espère que nous aurons l'occasion d'y revenir.

L'efficacité de notre système de prestation de soins de santé repose de plus en plus sur l'accès et l'intégration des informations personnelles sur la santé. Si nous restreignions excessivement cette information, c'est tout le système qui va en souffrir, sans aucun doute.

Le sénateur Finestone: Je suis d'accord avec vous, sénateur. C'est pourquoi on a besoin de quelque chose pour bien définir la procédure à suivre. Cela prouve que c'est dans le meilleur intérêt du citoyen. Cela prouve qu'on a clairement agi dans l'intérêt de la personne qui a donné son autorisation. La vérification permettrait de montrer que c'est raisonnable et justifiable dans une société démocratique.

Certaines restrictions, orientations ou directives et valeurs et principes sont inhérents à la structure même de ce projet de loi. Elles sont raisonnables dans une société démocratique. Pas plus que vous je ne souhaite compromettre ma propre sécurité, la vôtre, celle de mes enfants et celle de mes petits-enfants. Je pense que c'est parfaitement justifié.

Je me suis occupée de la GRC dans le cadre de mes fonctions ministérielles. J'apprécie hautement son rôle, son aide, ses orientations et ses entreprises. Il est essentiel dans une démocratie d'avoir de tels dispositifs de protection.

Les personnes mal intentionnées ne détestent rien plus qu'une société ouverte et démocratique dont les citoyens respectent la règle du droit. Si vous travaillez à l'échelle internationale, vous pouvez voir se dérouler diverses guerres et voir comment on traite les gens à travers le monde. C'est décourageant. On se rend compte alors que c'est notre mode de vie fondamental qui est menacé, et c'est évidemment ce que je veux protéger.

Je veux cependant le protéger à la manière des Canadiens et des Nord-Américains, c'est-à-dire de façon décente. Il faut bien comprendre le caractère ouvert de cette surveillance. Si elle doit être fermée et privée, cela ne devra se faire que par le biais des tribunaux, au moyen d'un mandat et dans le cadre d'une bonne compréhension de ce qui est acceptable.

Je pense qu'il s'agira de s'informer sur la santé d'une personne et sur le système de soins de santé pour cette personne. Je sais que vous examinez déjà cela. Je suis sûre quand votre comité se penchera sur les aspects commerciaux de la santé, que vous examinerez quel type d'information on accueille. Vous regarderez si ces informations sont recueillies au Canada d'une certaine manière, mais si les activités commerciales se déroulent aux États-Unis, où la question se pose aussi. Ce sont des questions fondamentales qui concernent l'existence même des Canadiens. J'espère que vous examinerez cela au comité.

Je n'ai aucune envie que quelqu'un soit au courant de l'historique de ma famille. Si je veux que quelqu'un le sache, je le lui dirai. Je n'ai demandé à personne de venir dévoiler qui je suis. Personne n'a ce droit dans un pays comme le nôtre.

Le sénateur Morin: Encore une fois, j'espère que nous aurons l'occasion d'en discuter de façon plus approfondie. Je suis d'accord avec le principe. C'est quand on discute des détails que les choses se compliquent.

Le sénateur Finestone: J'ai bien hâte d'en arriver à la discussion sur les détails. J'espère que la ministre de la Justice et le commissaire à la protection de la vie privée jugeront bon d'approfondir la question et de mener une étude.

Le sénateur Cordy: Je tiens moi aussi à vous remercier d'être venue nous rencontrer aujourd'hui. Vous avez su brillamment défendre la thèse du droit des Canadiens à la protection de leur vie privée.

Ma question fait suite aux remarques du sénateur Roche tout à l'heure. Vers la fin février ou au début mars cette année, les Canadiens ont appris avec stupéfaction que des fonctionnaires des douanes ouvraient et photocopiaient du courrier adressé à des avocats de l'immigration.

Les Canadiens ont été effarés d'apprendre cela. Je ne suis pas sûr qu'ils le seraient encore aujourd'hui. Vous avez dit que nous ne pouvions pas être amenés par la peur à abandonner nos valeurs, en particulier le respect de la vie privée. Je crois que nous sommes tous d'accord avec vous.

Mais où se trouve l'équilibre entre la nécessité de protéger les Canadiens et le droit des citoyens à leur vie privée?

Le sénateur Finestone: Eh bien, j'imagine que nos ministres sont là pour protéger les Canadiens. Les épreuves et les défis les plus importants se présentent au moment les moins favorables. Quand il faut faire quelque chose, il faut le faire. C'est important.

Comme je l'ai dit au début, j'ai beaucoup hésité à aborder ce sujet maintenant. Mais plus j'ai lu, plus j'ai eu la conviction que nous ne devions pas nous laisser paralyser par une vision étroite et par des intérêts personnels. Si nous n'allons pas de l'avant, ce sera parce que nous, sénateurs, aurons jugé avoir de bonnes raisons de ne pas aller de l'avant. Voilà comment nous devons procéder.

Les tribunaux se réfèrent souvent à l'intention d'une loi lorsqu'ils l'interprètent pour déterminer la part respective des droits de l'individu et celle du droit d'intervention de l'État. Le projet de loi S-21 a pour objectif tout entier d'être un guide. Nous ne définissons pas la vie privée dans notre droit constitutionnel, mais nous avons signé les instruments internationaux et nous n'en tenons pas compte dans ce que nous disons.

Le projet de loi va donc nous fournir une ligne directrice sur les normes, les valeurs et les procédures que nous voulons respecter. Il appartiendra aux tribunaux de déterminer au cas par cas si une situation est bonne ou mauvaise.

Pour l'instant, les tribunaux n'ont pas de règlements auxquels se référer pour définir la notion de vie privée. Il est vrai cependant qu'ils rendent aujourd'hui des décisions qui sont sans doute différentes de celles qu'ils auraient rendues il y a 15 ans. La technologie était différente à l'époque, il n'y avait pas de caméra pour surveiller les allées et venues des citoyens. On n'avait pas de photo permettant d'identifier une personne dans une foule. C'est peut-être une bonne chose, ou une mauvaise.

Tout dépend de l'utilisation de cette information. Est-ce que ce sont les terroristes qui s'en servent, ou est-ce que c'est la GRC ou d'autres forces de police qui utilisent ces technologies? Qui détient l'information et qui a le droit de s'en servir? Ce sont des questions importantes. Je n'ai pas toutes les réponses, mais je connais en tout cas certaines des questions. Je crois qu'il nous appartient de protéger nos droits à la vie privée et de déterminer jusqu'où ils vont. Et cela n'a jamais été aussi crucial que maintenant.

Le sénateur Cordy: Je suis d'accord, merci.

Le sénateur Finestone: Merci de m'avoir accordé plus de temps que je ne l'avais prévu. Vous m'avez posé des questions auxquelles il n'était pas facile de répondre, et j'espère que cela vous aidera pour vos délibérations. Je vous exhorte à adopter le projet de loi S-21 au Sénat et à le renvoyer au comité pour que nous puissions l'étudier article par article et y apporter les modifications nécessaires.

La vice-présidente: Notre témoin suivant est M. George Radwanski, commissaire à la protection de la vie privée du Canada.

Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.

Le président: Je vous remercie d'être là aujourd'hui, mon sieur Radwanski. J'ai vu que vous écoutiez les remarques du sénateur Finestone. Je vous invite maintenant à faire votre déclaration liminaire, après quoi nous vous poserons quelques questions.

M. George Radwanski, commissaire à la protection de la vie privée du Canada: J'ai l'impression que je commence à devenir un peu encombrant pour votre comité, puisque j'étais déjà là hier soir et que j'y suis encore aujourd'hui.

Le président: Ne soyez pas trop optimiste et n'allez pas croire que c'est votre dernière comparution, car je ne serais pas étonné de voir le projet de loi C-6 revenir, auquel cas nous vous reverrons encore.

M. Radwanski: Honorables sénateurs, je suis toujours à votre disposition, et nous devrions nous rencontrer plus souvent.

Il est particulièrement important qu'un projet de loi soit actuellement soumis au Parlement pour recentrer notre attention sur l'importance de la protection de la vie privée. Je suis certain que nous sommes tous d'accord ici pour reconnaître que le droit à la vie privée est un droit humain fondamental dont il est particulièrement important de se souvenir dans des moments aussi exceptionnels.

Il est bien certain que le genre de menaces à la sécurité auxquelles nous sommes actuellement confrontés soulèvent de nouvelles questions sur l'équilibre entre la nécessité de la protection de la vie privée et la nécessité de l'information. En fait, c'est exclusivement à cela que servent les lois sur la protection de la vie privée que nous avons au Canada, la Loi sur la protection des renseignements personnels et maintenant la nouvelle loi sur le secteur privé.

C'est un bon équilibre. Je pense que la Loi sur la protection des renseignements personnels est particulièrement pertinente lorsqu'il s'agit pour le gouvernement de préserver la sécurité. C'est un instrument souple et pratique qui permet de maintenir cet équilibre en préservant toute la marge de manoeuvre nécessaire pour assurer la sécurité publique.

Je crois que le défi est de savoir prendre toutes les mesures dont on peut prouver la nécessité pour protéger la sécurité publique face aux nouvelles menaces, ou tout au moins aux nouvelles menaces qui se profilent.

Il faut toutefois que cela se fasse dans le respect des droits et principes de la vie privée, autrement dit il doit être possible de prouver la nécessité de toute atteinte à la vie privée et de toute nouvelle restriction. Il faut que l'on soit en mesure de prouver que c'est le seul moyen approprié de parvenir à la fin recherchée, et qu'il n'existe pas d'autres moyens également efficaces et aussi satisfaisants d'atteindre le même but en empiétant moins sur la vie privée, et cetera.

Ces principes sont déjà bien ancrés dans nos lois et, à titre de commissaire à la protection de la vie privée et d'agent du Parlement, je n'ai nullement l'intention d'entraver la protection du public. Mais je n'ai nullement l'intention non plus de cautionner à la légère des mesures visant à empiéter sur la vie privée dont la nécessité ne serait pas démontrée.

À cet égard, l'intention du projet de loi S-21 parrainé par le sénateur Finestone est importante. Si je comprends bien, ce projet de loi vise en effet à combler une lacune existante car il n'y a pas actuellement de cadre permettant d'évaluer les lois actuelles ou futures du Canada à la lumière des droits à la vie privée. C'est une lacune importante dans la loi sur la protection des renseignements personnels. Elle ne prime pas, ce qui veut dire qu'en cas d'empiétement sur la vie privée des citoyens en vertu d'une loi quelconque du Canada, le commissaire à la protection des renseignements personnels n'a aucun recours officiel puisqu'il ne peut s'agir d'une infraction à la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Cela ne signifie pas que le commissaire soit totalement démuni en pareil cas. Lors de mes vérifications initiales sur l'affaire de l'ouverture du courrier dont vous parliez il y a quelques instants, sénateur, j'ai constaté que cette procédure était techniquement en tous points conforme à toute la législation pertinente. Je suis néanmoins parvenu à convaincre le ministre du Revenu national que cette procédure, quand bien même elle respectait technique ment la Loi sur la protection des renseignements personnels, constituait néanmoins une violation des droits à la protection de la confidentialité. On a trouvé une solution beaucoup plus respec tueuse de ces droits. Tout n'est donc pas totalement sombre.

Je suis cependant d'accord avec l'orientation du projet de loi du sénateur Finestone, car il vise à intégrer à nos lois une règle fondamentale qui stipule que toute loi en vigueur ou future devra respecter les critères de la protection des renseignements personnels.

Ce serait un important pas en avant. C'est une initiative raisonnable puisque le Canada a signé les instruments - y compris la Déclaration universelle des droits de l'homme des Nations Unies - qui affirme le caractère sacré du droit humain fondamental que constitue la confidentialité.

J'ajouterais que le sénateur Finestone a un grand souci de la confidentialité au Canada et qu'elle a été pour moi, lorsque j'ai débuté dans mes fonctions, une source précieuse et respectée de conseils et d'appui.

Cela dit, je regrette profondément de devoir vous dire qu'en tant que commissaire à la protection de la vie privée et agent du Parlement, je dois m'opposer avec la plus grande énergie à ce projet de loi tel qu'on nous l'a présenté.

Le problème pour moi, c'est que le projet de loi va au-delà du critère quasi constitutionnel qui vise à s'assurer que les lois respectent la protection de la vie privée. Au contraire ce projet de loi comme s'il n'y avait aucune loi de protection desrenseignements personnels, comme si cette loi n'existait pas - une bonne loi - et comme si nous n'avions pas le nouveau projet de loi C-6 - la Loi sur le secteur privé qui est également une excellente loi.

Je m'inquiète tout particulièrement des articles 4, 5 et 6 qui ensemble ont pour résultat, si une personne estime que ses droits à la protection de sa vie privée sont lésés, que ce soit par le gouvernement ou par une agence du secteur privé assujetti à la loi fédérale, de lui permettre d'intenter des poursuites devant les tribunaux. Le problème, à mon avis, c'est qu'il existe déjà une procédure pour traiter les plaintes de violation des droits de protection des renseignements privés d'une personne, il faut présenter une plainte au commissaire à la protection de la vie privée.

Deux lois me confèrent des pouvoirs considérables et efficaces. Je dispose d'un excellent groupe d'enquêteurs. J'ai les meilleurs spécialistes en protection de la vie privée au pays dans mon équipe de formulation de politique et de recherche et j'ai incontestablement comme conseiller juridique, les meilleurs avocats en protection de la vie privée. Pour porter plainte à mon bureau, il n'en coûte rien et chaque plainte est examinée à fond et attentivement.

Ce projet de loi, tel que proposé, crée un système parallèle. Une personne ou une société ou un organisme qui le souhaite peut s'adresser aux tribunaux au lieu de porter plainte au commissaire à la protection de la vie privée. Il ne s'agit pas d'augmenter les possibilités de défendre la vie privée. Il s'agit de créerla confusion totale puisque la Loi sur la protection des renseignements personnels et le projet de loi C-6 sont détaillés et précis, fondés sur une analyse, une consultation, un débat exhaustif, et cetera. La charte ou le projet de loi du sénateur Finestone, par définition, par sa nature, est très large, rempli d'affirmations générales et de grande portée.

C'est parfait. Toutefois, il peut arriver dans les cas où des personnes ou des organisations choisiraient de s'adresser aux tribunaux, parallèlement à une loi claire et précise, dûment adoptée et débattue par le Parlement, qu'on se retrouve avec un jeu parallèle de décisions, de jugements de magistrats de tribunaux différents portant sur différentes plaintes. La nature de la décision dans chaque cas peut déprendre en grande partie des prédilections, jugements ou attitudes d'un juge donné, sans parler de la compétence des avocats qui défendent l'affaire ou qui la poursuivent.

On se retrouverait avec une situation parallèle qui pourrait constituer un méli-mélo très dangereux. Tout d'abord, cela exposerait le gouvernement et les organismes du secteur privé à un ensemble tout à fait nouveau de coûts et de complications, car en plus des plaintes soumises à mon bureau, les gens pourraient s'adresser directement aux tribunaux. Cela enrichira peut-être les avocats, mais cela n'allégera en rien le fardeau du gouvernement ou des organismes du secteur privé.

Deuxièmement, on pourrait éventuellement se retrouver avec des décisions contradictoires. Je fais enquête dans un dossier en me fondant sur les lois que j'ai le pouvoir d'appliquer. J'en arrive à une certaine décision. Qu'arriverait-il si un tribunal, saisi de la même affaire, en arrivait à une conclusion opposée? Quelle décision primerait? Que faire ensuite?

Outre la confusion que cette situation pourrait créer - et il est important de le noter - le fait de présenter un projet de loi en ce moment, sous cette forme, créerait des problèmes terribles du point de vue de la crédibilité de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, le projet de loi C-6. Déjà, les organismes privés qui sont assujettis au projet de loi C-6 m'ont fait part de leurs grandes inquiétudes. Ils me disent s'efforcer de se conformer à la nouvelle loi qui entre justement en vigueur. Des explications ont été données, et cetera. Maintenant, il est possible que ces organismes soientsimultanément obligés de s'assujettir à un régime tout à fait différent, risquant peut-être des poursuites. Que doit-on faire? Très franchement, si on crée ce problème, je crains que l'efficacité des mesures que nous avons en place soit remise en question.

Je sais que le sénateur Finestone a déclaré que le projet de loi pourrait toujours faire l'objet de modifications en comité. Si nous donnons notre aval à ce genre de régime à deux volets, même temporairement, nous créerons de graves problèmes au niveau de la crédibilité du régime de protection de la vie privée au Canada.

Le sénateur Finestone: Je vous remercie de votre exposé et je suis heureuse de déceler l'appui de quelques-uns. Je trouve vos remarques sur la confusion et un régime parallèle intéressantes et vous avez peut-être raison. Toutefois, je n'en serai pas convaincue tant que je n'aurai pas entendu tous les arguments. La vôtre n'est qu'une seule voix, pas toutes les voix qui existent. J'aimerais en savoir un peu plus sur les conflits de compétences et sur la confusion.

Vous m'avez demandé de repenser les articles 4, 5 et 6. Je l'ai fait sans déterminer s'il était possible de les éliminer, mais j'ai bien signaler dans mon exposé qu'on m'avait conseillé de ne pas le faire.

Deuxièmement, l'examen des droits et le droit d'obtenir réparation si les droits ont été bafoués est une question importante. À votre avis, les deux projets de loi dont vous êtes responsable suffisent-ils à protéger tous les Canadiens, de toutes les couches de la société, dans toutes les circonstances?

M. Radwanski: Je pense qu'ils suffisent, à ma connaissance, jusqu'à présent, à protéger les Canadiens dans les circonstances qui relèvent de la compétence fédérale ce qui serait également le cas de votre projet de loi.

Je pense qu'avec les outils à ma disposition et avec les nouveaux outils que j'obtiens maintenant, vos préoccupations par exemple sur la protection des renseignements sur la santé disparaîtront le 1er janvier aux termes de la PRPDE. À mon avis, nous disposons de lois efficaces et j'estime que nous devons veiller à ne pas les mettre en péril en prenant une décision irréfléchie quoique bien intentionnée.

Cela ne signifie pas que je m'oppose à l'intention de votre projet de loi, mais ce qui serait plutôt approprié, c'est une mesure que vous auriez pu présenter - ce que d'ailleurs j'espérais après notre conversation - exigeant que les lois du Canada, en vigueur ou nouvelles soient conformes à la protection de la vie privée. Cela aurait bien complété le travail que je fais aux termes des deux lois dont je dispose déjà.

Je suis quelque peu inquiet. Vous ne l'avez pas fait directement, mais vous le laissez entendre dans ce que vous dites. Certains qui ont pris sur eux de défendre la protection de la vie privée - dont notamment quelqu'un que le comité entendra - ont adopté le point de vue que de ne pas appuyer pleinement ce projet de loi c'est en quelque sorte de ne pas appuyer la protection de la vie privée. Il est important bien sûr de protéger la vie privée, mais il est également essentiel de le faire d'une façon efficace qui n'entraîne pas la conséquence non intentionnelle d'affaiblir le droit à la vie privée alors que ce que l'on veut c'est renforcer ce droit.

Le sénateur Finestone: Suite à votre évaluation et à votre analyse, vous êtes d'avis que s'il s'était agi d'une déclaration ou d'un projet de loi différent - c'est-à-dire, si les articles 4, 5 et 6 n'étaient pas là - ce projet de loi aurait pu compléter le travail que vous jugez toujours à faire. Vous ai-je bien compris?

M. Radwanski: En effet. Voilà la teneur de la conversation que nous avons eue en février. À l'époque, vous partagiez mon avis. J'estime en effet que si ce projet de loi portait sur la question de s'assurer que les lois du Canada sont conformes aux principes énoncés dans votre projet de loi - et évidemment, il reviendrait aux tribunaux d'en décider - ce serait formidable.

C'est lorsque vous vous lancez dans le domaine des plaintes d'individus à propos de violations alléguées aux droits à la protection de la vie privée de la personne, dont on peut saisir un tribunal, que vous risquez de mettre en péril - avec les meilleures intentions du monde - l'édifice bien pensé, édifié avec soin, du droit de la protection de la vie privée qui existe déjà.

Le sénateur Finestone: Si j'ai bien compris notre conversation - et je pense avoir parfaitement bien compris et je vous ai d'ailleurs écrit à ce sujet - vous m'avez demandé d'envisager de retirer les articles 4, 5 et 6. C'est précisément ce que je suis disposée à faire si tel est l'avis du comité du Sénat.

Ce projet de loi ne m'appartient plus, il appartient au Sénat du Canada. Il n'est pas la propriété de Sheila Finestone. Il faut que ce soit absolument clair. C'est au Sénat de prendre une décision et d'envisager peut-être, après vous avoir écouté et si l'on juge sage de le faire, de supprimer ces trois articles.

Il me semblait important que vous compreniez bien que ce serait là un projet de loi complémentaire. Vous avez présenté vos arguments selon lesquels l'approche que nous avons adoptée comporte des problèmes intrinsèques. Très bien. Venez présenter ces mêmes arguments devant le Sénat quand il étudiera ce projet de loi et mettez en place ce qui, à votre avis, aidera à rétablir et à réaffirmer le droit des Canadiens au respect de la vie privée, lequel est à mon avis menacé plus que jamais dans les circonstances actuelles.

M. Radwanski: Je ne suis certainement pas venu ici pour vous critiquer et j'espère que ce n'est pas ainsi que vous interprétez mes propos. Le problème qui se pose à moi est que, à l'heure actuelle et dans les circonstances présentes, je peux seulement commenter le projet de loi que j'ai sous les yeux. Pour les raisons que j'ai énoncées, je n'ai pas d'autre choix que de m'y opposer énergiquement sous sa forme actuelle.

Ce qui m'inquiète, c'est que si la mesure continue de progresser telle quelle dans le processus législatif, cela envoie un message très embrouillé quant à l'orientation que le gouvernement envisage de prendre. Il est certain que cela causera de très graves problèmes pour ce qui est de la crédibilité du projet de loi C-6 et de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques. Je n'ai pas d'autres choix que d'exprimer ces inquiétudes.

J'insiste également sur le fait que nous devons faire bien attention de ne pas provoquer l'effet qu'on veut éviter en clamant sur tous les toits que la vie privée est menacée. Il est certain qu'il y a des journalistes qui veulent à juste titre soulever la question de la menace à la vie privée. Je suis toutefois réconforté parce que j'ai entendu les ministres, et assurément du premier ministre, dire qu'il ne fallait pas jeter par la fenêtre les valeurs canadiennes ou les droits des Canadiens. Je suis déterminé à être vigilant pour m'assurer que cela n'arrivera pas.

À titre de dirigeants de l'opinion, nous devons faire attention à ne pas alimenter une perception selon laquelle le ciel est en train de nous tomber sur la tête en ce qui concerne le droit à la vie privée, parce que la prophétie pourrait bien se réaliser.

Le sénateur Finestone: Je voudrais ajouter un mot, car je trouve important de le dire publiquement pour que les sénateurs le sachent. Dès le moment où j'ai commencé à rédiger ce projet de loi, je me suis adressée au ministère de la Justice et au commissaire à la protection de la vie privée - ce n'était pas vous qui étiez commissaire à l'époque.

J'ai demandé leur appui. Le commissaire à la protection de la vie privée m'a donné un appui extraordinaire et il m'a fait enlever certaines dispositions qui auraient rendu la mesure inopérante. Il a tenu compte des contraintes dans lesquelles nous travaillons. Le personnel du ministère de la Justice était totalement incompétent et refusait de collaborer. S'ils avaient eu une idée de ce que vous me dites maintenant, nous aurions pu éviter ce problème, à supposer qu'un tel problème existe.

J'ai tendance à être d'accord, puisque vous dites que c'est ce que vous avez vu et entendu. Il faut s'attaquer à ces problèmes, mais il faut le faire dans un comité. Je ne vois pas en quoi cela pourrait causer les problèmes auxquels vous faites allusion quand vous parlez du projet de loi C-6, lequel a déjà sa part de problèmes, ou à l'application des droits dans le domaine de la santé.

Je vous remercie pour votre exposé. Je ne pense pas que la confusion soit suffisante pour nous empêcher de nous demander pourquoi les Canadiens ne pourraient pas avoir l'assurance que leurs droits à la vie privée sont protégés par la loi.

Le président: Nous passons maintenant à une table ronde composée de deux témoins, toutes deux avocates. Mme Steeves est la directrice du Technology Project for law and social change à l'université Carleton et Elizabeth Sanderson est l'avocate générale principale de la section des politiques en matière du droit public du ministère de la Justice. Je sais que les mémoires que vous avez préparés sont assez longs. Je vous demanderais de faire un résumé de vos arguments afin que nous puissions passer le plus rapidement possible aux questions. J'aimerais commencer par Mme Sanderson.

Mme Elizabeth Sanderson, avocate générale principale, Section des politiques en matière de droit public, Justice Canada: Je vais essayer d'être plus spécifique dans mes commentaires que dans le document original que nous avions préparé. Nous avions préparé nos commentaires en fonction des quatre questions que vous aviez soulevées un peu plus tôt ce matin. J'essayerai d'être plus spécifique à leur sujet dans mes commentaires.

Mes collègues du ministère de la Justice considèrent que ce projet de loi est l'apogée du labeur infatigable et du dévouement du sénateur Finestone. Son travail sur cette question importante mérite toutes nos éloges.

L'approche qu'elle a adoptée dans ce projet de loi est nouvelle et tente de faire évoluer le paradigme de notre réflexion sur la protection de la vie privée.

Qu'est-ce que la protection de la vie privée? Dans de nombreux pays elle est liée à la protection des données, notion majeure que l'on retrouve dans notre propre Loi sur la protection des renseignements personnels dont il a été question cematin. Ailleurs, c'est la frontière de la vie privée que la société s'interdit de franchir. C'est une notion prééminente dans les dispositions protectives du Code pénal en matière, par exemple, de perquisitions, de saisies, d'autorisations d'écoute électronique, et cetera. Il y a à la fois vie privée physique, vie privée territoriale et vie privée informationnelle. Comme le dit le sénateur Finestone, la vie privée peut être considérée comme un droit humain fondamental.

Permettez-moi de limiter mes commentaires à la notion de régime de protection des renseignements personnels existant au niveau fédéral tout en faisant partiellement allusion au niveau provincial pour donner aux sénateurs une idée de notre appréciation de la protection existante de la vie privée au Canada.

[Français]

Comment les lois et les tribunaux canadiens protègent-ils la vie privée au Canada? Déjà, la Cour suprême du Canada a interprété la Charte canadienne des droits et libertés, qui fait partie de la Constitution canadienne, comme prévoyant un droit à la protection de la vie privée. De plus, plusieurs autres textes législatifs complètent le régime actuel régissant la protection de la vie privée au Canada, tels le Code criminel, la Loi sur la protection des renseignements personnels et la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques.

Bien que cela ne soit pas mentionné explicitement dans la Charte canadienne des droits et libertés, les tribunaux ont reconnu que les intérêts liés à la vie privée sont prévus par les articles 7 et 8 en particulier. Par exemple, l'article 8 dit que «chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives», et a été interprété comme protégeant le droit d'une personne à un respect raisonnable de sa vie privée.

[Traduction]

Je me réfère à l'affaire Hunter c. Southam au sujet de laquelle les tribunaux ont reconnu que le droit à la vie privée était couvert par l'article 8 de la Charte. Il y a d'autres paragraphes dans mon document qui se réfèrent à cet article 8.

Il ne s'agit pas d'une théorie de pure forme des avocats du ministère de la Justice. L'article 4.1 de la Loi du ministère de la Justice exige que le ministre examine toute loi pour s'assurer de sa conformité avec la Charte. Nous avons une unité au ministère de la Justice - la Section du droit en matière de droits de la personne - qui a pour principale mission de conseiller les ministères du gouvernement sur les questions relatives à la Charte, et son travail découle de cette responsabilité énoncée dans la Loi sur le ministère de la Justice. Cela comprend les articles 7 et 8 et le régime prévu aux articles 7 et 8, y compris la vie privée.

Maintenant j'aimerais vous dire quelques mots sur les dispositions protectives du Code criminel. Le gouvernement a tenu compte d'un certain nombre de ces arrêts de la Cour suprême concernant la vie privée, les procédures spéciales et les pouvoirs - Hunter, Duarte et Dyment - lorsqu'il a modifié le Code criminel en 1993 pour mieux protéger la vie privée des personnes quand leurs communications privées ou leurs activités privées représentent un intérêt pour l'État lors d'enquêtes et de poursuites en cas de délits.

Avant 1993, une personne, y compris un agent des forces de l'ordre, pouvait être considérée comme consentant à ce que sa conversation avec une autre personne soit enregistrée aux fins d'une enquête. Cependant, à la suite de la modification apportée au Code criminel en 1993, le consentement de l'agent des forces de l'ordre n'est plus suffisant. Les agents doivent désormais demander et obtenir l'approbation des tribunaux avant de mener des opérations d'enregistrement électronique, entre autres.

[Français]

Pour ce qui est des lois fédérales traitant de la protection de la vie privée, la Loi sur la protection des renseignements personnels protège les particuliers en régissant la collecte, l'utilisation, la communication et la conservation des renseignements personnels par des institutions gouvernementales. Son but est de limiter la collecte des renseignements personnels à ceux qui sont nécessai res à l'exécution d'un programme ou d'un service et de ne permettre la communication de ces renseignements à d'autres ministères et gouvernements qu'à des fins d'uniformité.

Sa loi complémentaire, la Loi sur la protection des renseigne ments personnels et les documents électroniques, crée un droit semblable à la protection des renseignements personnels, mais dans le secteur privé. Plus précisément, cette loi exige des organismes du secteur privé qu'ils obtiennent un consentement de réunir, d'utiliser et de communiquer des renseignements person nels.

[Traduction]

Je ne traiterai pas en détail de la Loi sur la protection des renseignements personnels et des documents électroniquespuisque le commissaire à la protection de la vie privée s'y est penché ce matin. Il suffit de dire ici que cette loi assure l'harmonisation des lois fédérales et provinciales et étend le champ de compétences fédérales en matière de commerce le plus loin possible. Plusieurs ministères collaborent avec les provinces afin d'améliorer cette harmonisation, notamment au niveau des renseignements dans le secteur de la santé.

J'aimerais maintenant aborder les problèmes et les conséquen ces associés au projet de loi S-21.

Le projet de loi S-21 produirait une grande incertitude et pourrait bien créer des obstacles à un bon nombre de programmes et de politiques du gouvernement. Ce projet de loi soulève des doutes quant à la légitimité des régimes d'application de la loi prévus par certaines lois et qui se conforment à la Charte canadienne des droits et libertés et à d'autres lois pertinentes.

On peut accepter cet énoncé de principes ou cet exposé d'intentions, et nous approuvons les sentiments exprimés dans le préambule de ce projet de loi. Je peux vous dire que tous ceux qui travaillent dans ce domaine au ministère de la Justice partagent les sentiments exprimés dans ce préambule.

La protection de la vie privée est extrêmement importante, et cette importance se trouve reflétée dans la Charte canadienne, dans la jurisprudence et dans les autres lois fédérales dont j'ai parlé plus tôt. Cependant, il incomberait aux ministères du gouvernement d'appliquer cette mesure et aux tribunaux de l'interpréter. Or, le droit est une discipline rigoureuse. L'utilisation d'un langage imprécis peut créer des problèmes et des complica tions redoutables et inattendus au niveau de la mise en oeuvre et de l'interprétation. Je vous en donne quelques exemples.

[Français]

Ce qui semble être une application de large portée soulève un problème fondamental. Selon son libellé actuel, le projet de loi semble englober non seulement les institutions gouvernementales et les entreprises fédérales, mais les particuliers de façon générale. Si les particuliers enfreignent le texte figurant au projet de loi S-21, par exemple en se livrant à des activités de surveillance relatives à leurs biens, alors, selon son paragraphe 4(3), ils s'exposent à des poursuites en vertu de l'article 126 du Code criminel. Même si le projet de loi S-21 était amendé pour réduire sa portée d'application aux organismes fédéraux et aux institu tions gouvernementales, ou aux seules institutions gouvernementales, les ministères fédéraux auraient encore des difficultés à remplir leur mandat eu égard au projet de loi S-21, notamment en ce qui concerne les activités de surveillance des propriétés et, éventuellement, aux activités de sécurité.

Étant donné sa portée apparemment large, nous sommes incertain sous quelle rubrique de compétence constitutionnelle le Parlement a l'intention de rattacher le projet de loi S-21. Cette question a fait l'objet d'un débat lorsque le projet de loi C-6 a été présenté en Chambre en vertu du pouvoir fédéral en matière d'échanges et de commerce, qui est conféré au Parlement du Canada par le paragraphe 91(2) de la Loi constitutionnelle de 1867. Par conséquent, la question suivante se pose: le caractère véritable du projet de loi S-21 relève-t-il de la compétence fédérale, provinciale ou des deux? Si le projet de loi S-21 n'est pas destiné à être une loi pénale, alors quelle est la bonne rubrique de compétence constitutionnelle?

[Traduction]

Le projet de loi stipule qu'il est interdit de porter atteinte sans justification au droit d'un individu au respect de sa vie privée, et qu'une telle atteinte est justifiable si elle est licite. Cela ne s'accorde pas avec les lois existantes qui prévoient qu'une personne, dont la Couronne dans certaines circonstances, est libre d'agir sauf dispositions contraires licites. Le droit de faire ce qu'on veut sauf décision contraire par une instance élue démocratiquement constitue une pierre angulaire de notre concept de la liberté.

Cependant, une analyse de ce projet de loi semble indiquer que la situation contraire peut prévaloir. C'est-à-dire qu'une personne ne pourrait agir dans certaines circonstances que si le Parlement ou les tribunaux ont préalablement jugé que le geste envisagé est licite.

Cette question a été soulevée par les médias cet été dans le cadre de la sécurité publique sur des terrains fédéraux, notamment des terrains de stationnement. Si un ministère du gouvernement recevait des plaintes concernant un terrain de stationnement dont il était responsable, et décidait que la surveillance vidéo pourrait réduire la menace à la sécurité, et si ce projet de loi était en vigueur, le ministère aurait à respecter les critères énoncés à l'article 5, notamment le caractère licite de cette surveillance.

[Français]

Dans nos lois, ce n'est que rarement et avec une grande circonspection qu'on a recours à ce genre de technique, où on renverse la charge de la preuve selon laquelle il incombe à la personne concernée de prouver qu'un agissement est licite; elle ne peut se contenter d'affirmer qu'il peut le commettre, à moins qu'il soit illicite.

[Traduction]

Ce même article prévoit d'autres critères. Par exemple, l'alinéa 5(3)c) stipule qu'il faut montrer que l'objectif ne peut pas être réalisé par un autre moyen moins indiscret, ce qui semble faire écho aux interprétations juridiques données à l'article 1 de la Charte canadienne. Quelles seraient les conséquences pour les activités légitimes de l'application de la loi? Par exemple, est-ce que les critères prévus à l'article 5 s'appliqueraient aux mandats de perquisition, en plus des contraintes qui s'appliquent déjà en vertu du Code criminel? Cela pourrait renverser toutes nos procédures d'application de la loi.

Une analyse sommaire de notre Code criminel permet de constater que, au fil des ans, on est arrivé à un équilibre délicat entre les intérêts de l'individu et les intérêts de la société. Nous constatons que les ministères qui participent aux activités d'application de la loi craignent que le projet de loi pourrait avoir des conséquences négatives pour leurs activités, qui ont été approuvées par le Parlement ou qui se conforment à la common law, et qui respectent des normes autres que celles énoncées dans le projet de loi S-21. J'ajouterais que ces normes auraient été examinées aussi à la lumière des dispositions de la Charte.

[Français]

Ceci nous amène à la disposition contenant la règle de prépondérance. Celle-ci donnerait au texte du projet de loi S-21 un statut quasi constitutionnel et le placerait au-dessus du Code criminel ou d'autres lois fédérales spéciales, ce qui bouleversait l'harmonie déjà établie par le Parlement entre les besoins précis des ministères, qui doivent accomplir leurs obligations relatives à l'application des lois ou des règlements qui visent la protection du public et les droits de l'individu quant à sa vie privée.

Le projet de loi S-21 pourrait se révéler être une source de confusion et d'incertitude dans de nombreux autres domaines du droit. Par exemple, la jurisprudence relative à la Charte des droits et libertés, qui est en pleine évolution, a consacré des concepts bien motivés, par exemple les attentes raisonnables en matière de droit à la vie privée et elle a protégé ce droit en se fondant sur les articles 7 et 8.

Cependant, à maintes reprises, dans sa jurisprudence relative à la Charte, les tribunaux ont insisté sur le fait qu'il faut suivre une approche contextuelle et téléologique pour déterminer la portée des droits protégés par la Charte.

Il faut concilier les droits de chacun avec les droits et intérêts des autres. Il y a de nombreuses circonstances où une valeur sociale peut entrer en confit avec d'autres valeurs. Les intérêts conflictuels sur lesquels les tribunaux peuvent être appelés à se prononcer ne se rapportent pas toujours au droit à la vie privée des individus et à la sécurité publique.

Il peut s'agir, d'une part, du droit d'un accusé à une défense pleine et entière et, d'autre part, du droit du plaignant à sa vie privée. Comme autre exemple de conflit, on peut citer le droit des individus à la vie privée corporelle qui peut s'opposer au risque de dommage auquel les plus vulnérables de notre société sont exposés, comme l'a constaté la Cour suprême du Canada, qui a vécu un cruel dilemme lorsqu'elle a dû décider, dans l'affaire Rodriguez, s'il fallait confirmer la validité de l'infraction visant le suicide assisté figurant au Code criminel.

On court un risque sérieux que le texte du projet de loi gêne et rende confuse l'approche téléologique adoptée par les tribunaux lorsqu'ils appliquent la Charte. À notre avis, il ne permettrait pas à l'interprète de prendre en compte le contexte pertinent et de peser les différentes valeurs en conflictuelles dans un bon nombre de situations.

[Traduction]

Il est raisonnable de présumer que les critères prévus dans le projet de loi du sénateur et servant à concilier le droit au respect de la vie privée et l'intérêt public sont ouverts à une interprétation différente que celle prévue dans la Charte. En conséquence, il faudrait reporter en justice des affaires dans un bon nombre de domaines de droit qui sont actuellement très clairement définis. Le coût d'un tel exercice, en temps et en argent, pour les secteurs public et privé, pourrait s'avérer exorbitant.

Permettez-moi de vous donner un exemple concret de l'effet de ce projet de loi sur les responsabilités légales du ministère et sur son fonctionnement. Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) recueille une grande quantité de renseignements de nature personnelle concernant les demandes d'immigration, l'application des ordonnances d'expulsion et les infractions d'immigration. En vertu du projet de loi S-21, CIC pourrait avoir l'obligation de défendre ses activités de cueillette et d'échange des informations devant un tribunal selon les critères prévus dans le projet deloi S-21. S'il voulait être absolument certain de ne pas être poursuivi, CIC serait vraisemblablement obligé de faire en sorte que toutes ses activités existantes de collectes d'informations soient régies par un règlement pris en vertu de l'alinéa 7(1)b) du projet de loi qui répertorie des pratiques qui constituent des atteintes justifiables.

On me dit que la rédaction d'un tel règlement nécessiterait de longues et complexes consultations avec CIC et avec les autres ministères qui collectent des informations. Or, il faudrait rédiger ce règlement avant l'entrée en vigueur du projet de loi, c'est-à-dire dans l'espace d'un an.

Honorables sénateurs, ce projet de loi soulève d'autres préoccupations, par exemple, des questions entourant les recours et le rôle du commissaire fédéral à la protection de la vie privée.

Pour conclure, même si on reconnaît l'objectif louable du projet de loi S-21 qui est de promouvoir le respect de la vie privée au Canada, les difficultés surgissent des menus détails. Les modifications pourraient avoir l'effet de saper la certitude, la sécurité publique, l'efficacité opérationnelle et la responsabilité financière. La protection de la vie privée ne devrait miner ni les autres valeurs sociales ni l'équilibre réalisé par le Parlement par le moyen d'autres textes législatifs.

Cet effort de l'honorable sénateur d'élargir et de renforcer la protection de la vie privée mérite un examen sérieux, mais il existe d'autres solutions. Nous avons déjà la Charte canadienne et la jurisprudence, ainsi que d'autres lois fédérales. On ne peut pas dire que nous n'avons pas de moyens pour protéger la vie privée.

[Français]

Nous ne croyons pas que le texte du projet de loi S-21 précise les lois relatives à la protection de la vie privée, et aujourd'hui, plus que jamais, nous avons besoin de certitude après les événements de la semaine dernière.

[Traduction]

Nous sommes tout à fait conscients que le projet de loi S-21 peut nous apporter des balises, peut orienter les travaux futurs du gouvernement. Le travail déjà accompli par le sénateur Finestone concernant le projet de loi S-21 a déjà contribué aux activités du gouvernement au chapitre de la réforme de la protection de la vie privée. Nous pourrions sans doute continuer à tirer profit du débat et des délibérations entourant ce projet de loi.

[Français]

Les événements survenus le 11 septembre dernier ont rendu ce débat encore plus important. La protection de la vie privée et la sécurité ont été propulsés à la une de nos journaux et ont pris la première place dans notre conscience collective. Dans leur quête de leadership, de sagesse et de réconfort, les Canadiens et Canadiennes se sont tournés vers leur gouvernement fédéral.

[Traduction]

En conclusion, j'aimerais citer la ministre de la Justice qui, lors de son intervention dans le débat qui a eu lieu mardi à la Chambre des communes, a dit:

Dans notre recherche de mesures de sécurité efficaces, les questions liées à la protection de la vie privée seront importantes. Des collaborateurs de mon ministère examinent les dispositions relatives à la protection de la vie privée qui sont en place au Canada et, dans le cadre de cet exercice, l'équilibre entre la protection de la vie privée et la sécurité des Canadiens sera une considération de premier plan.

Le président: Nous passons maintenant à Mme Steeves. Madame Steeves, vous avez rédigé un document intéressant qui, à mon avis, résume bien un bon nombre des questions que nous étudions. Veuillez nous présenter les faits saillants de votre étude et ensuite il nous restera assez de temps pour quelques questions.

Mme Valerie Steeves, professeure, directrice, Technology Project, Centre for Law and Social Change, Université Carleton: Honorables sénateurs, je suis contente d'être ici aujourd'hui. Si vous permettez, j'aimerais en premier lieu reprendre certaines observations de mon amie pour entrer dans ce débat. Mme Sanderson a visé juste. Dans son résumé, elle a dit qu'elle craignait qu'une loi qui renforce la position que la protection de la vie privée constitue un droit de la personne fondamental dans notre pays pourrait compromettre la certitude, l'efficacité opérationnelle et la responsabilité financière.

Le sénateur Callbeck a demandé plus tôt quel tort ce projet de loi cherche à corriger qui n'est pas visé par les droits existants. La question est bonne, car elle nous fait examiner les dispositions actuelles des lois canadiennes qui portent sur la protection des renseignements personnels. Il s'agit dans l'ensemble de mesures disparates. Il existe des éléments qui traitent de certaines questions. Le projet de loi C-6 traite de l'utilisation des renseignements dans le contexte du commerce électronique. La Loi sur la protection des renseignements personnels porte sur la collecte de renseignements par le secteur public. Le Code criminel traite d'une notion fondamentale de la vie privée et des rapports qui existent entre l'État et les particuliers. Nos lois prévoient déjà une certaine surveillance de l'équilibre qui doit exister entre le pouvoir de l'État de s'ingérer dans notre domaine personnel et les protections dont nous avons besoin.

Autrement dit, nous avons un ensemble de mesures disparates. Ce qu'il manque c'est une déclaration générale de principes. Je dirais que c'est le rôle du projet de loi S-21, d'être justement une déclaration générale de principes.

Le document que j'ai remis au comité représente les résultats d'environ 10 ans de recherche juridique sur ces questions. Dans le document, on commence par demander ce que c'est que la vie privée. Il est peut-être plus efficace de demander pourquoi protéger la vie privée. Si on examine la jurisprudence de la Cour suprême du Canada et les recherches universitaires qui ont été faites sur cette question, la protection de la vie privée est envisagée sous quatre angles différents. Nous qualifions la vie privée de droit de la personne fondamental, parce qu'elle constitue un élément essentiel de notre indépendance dans une société libre et démocratique. Nous disons que la vie privée est une valeur sociale, parce que nous savons que sans contrôle sur ce que les gens savent de nous, il est impossible d'avoir des rapports de confiance. Voilà une des assises du projet de loi C-6: si la confiance n'existe pas dans le marché électronique, nous ne pouvons pas aller de l'avant et bénéficier des avantages de cette nouvelle forme de commerce.

On trouve dans la jurisprudence beaucoup d'affirmations selon lesquelles la vie privée constitue une valeur démocratique essentielle, car s'il est impossible de protéger le domaine personnel, il sera beaucoup moins probable que nous puissions exercer nos autres droits fondamentaux. Si le gouvernement met des caméras numériques dans la rue qui permettent de nous identifier et de retracer tous nos dossiers dans quelques secondes, il sera beaucoup moins probable que nous puissions exercer notre liberté de réunion ou de parole et de participer à une activité politique, par exemple.

Le dernier élément qui figure dans la documentation et les lois, plutôt que dans la jurisprudence, c'est que la vie privée concerne la protection de données. L'essentiel dans ce cas c'est que certaines de ces mesures disparates stipulent qu'il faut avoir des règles pour nous permettre d'avoir un équilibre entre la diffusion des renseignements et notre droit à la vie privée.

Autrement dit, nous avons mis au point un certain nombre de moyens d'intervention, dont le Code criminel, la Charte et des limites précises sur la capacité de l'Agence des douanes et du revenu d'obtenir des renseignements. Il s'agit de savoir quels mots utiliser pour comprendre ces différentes mesures disparates. Quels principes de base s'appliquent? Est-ce qu'il faut s'intéresser surtout au souci de la certitude, de l'efficacité opérationnelle ou de la responsabilité financière? Ou faut-il s'intéresser davantage à l'importance de la vie privée comme un droit fondamental, à son rôle par rapport à la valeur démocratique de l'indépendance personnelle, ou à son rôle dans la protection de la nature démocratique de notre société libre, qui nous tient tous à coeur?

Je vous soumets qu'il existe une certaine tension à cet égard. Ma collègue a dit que cela va entraîner beaucoup d'incertitude. Elle a dit que le gouvernement serait obligé d'examiner toutes ses activités.

Cela dépend encore une fois de la priorité que nous accordons à telle ou telle valeur. Si nous voulons contrôler les citoyens de la manière la plus efficace possible, exercer des méthodes de contrôle social et offrir des services gouvernementaux aux consommateurs de tels services, la libre circulation de l'informa tion et la capacité de facilement empiéter sur la vie privée représentent l'approche la plus logique. Cela rend les choses plus faciles.

Cette approche est-elle moins démocratique? Ce projet de loi est très pertinent car il nous ramène aux principes de base. Comment allons-nous percevoir le projet de loi C-6 et lui trouver une place dans le monde de demain? De quel oeil allons-nous percevoir les programmes que le gouvernement met en oeuvre à l'heure actuelle?

Ce projet de loi nous ramène au principe fondamental voulant que ces choses jouent un rôle essentiel dans notre démocratie. Il s'agit d'un droit de la personne. En ce sens, le projet de loi vient combler une lacune, idée qui a été très bien décrite dans le rapport de 1997 intitulé: «La vie privée: Où se situe la frontière». Dans ce rapport, le Comité permanent de la Chambre des communes des droits de la personne et de la condition des personnes handicapées affirme qu'il nous faut un énoncé de principes global afin de trouver les pièces manquantes du casse-tête, et il y en a beaucoup. Au cours des prochaines années, nous devrons traiter du droit à la protection des données génétiques. Le droit à la protection des données médicales est aussi une question importante et le projet de loi C-6 n'abordera pas complètement cette question, car il ne régit que les renseignements traités dans le cadre d'activités commerciales. Nous devons traiter de questions liées au terroris me et trouver des façons de combattre les actes haineux de violence. Nous devons faire toutes ces choses; toutes ces pièces du casse-tête doivent encore être rédigées.

Il nous sera plus facile d'atteindre cet objectif si nous nous inspirons du langage des droits de la personne. La façon dont nous poserons la question déterminera les réponses. Si nous nous basons sur le langage de l'efficience et sur le langage de la responsabilité financière, je vous soumets que nous serons prêts à empiéter sur la vie privée car cela représente la solution la plus commode. Mais si nous nous inspirons du langage des droits de la personne, je vous soumets que le débat sera ancré sur les principes de la liberté démocratique.

Je répondrai volontiers à vos questions. Je serai heureuse également de débattre de la question avec ma collègue, car je suis certaine qu'elle aura des choses à dire.

Le président: Je demanderai d'abord à Mme Sanderson si elle souhaite répliquer. Nous passerons ensuite aux questions.

Mme Sanderson: J'ai deux brefs commentaires. D'abord, les représentants du ministère de la Justice auraient dit quelque chose de très différent si nous discutions d'un énoncé de principes général. Mais nous discutons d'un projet de loi, dont le deuxième article donnerait force de loi à certains principes, et les dispositions qui suivent dans ce projet de loi ont pour but de donner force de loi à ces énoncés de principes. Voilà ma première remarque.

J'aimerais rappeler les paroles prononcées par la ministre de la Justice mardi. Il existe beaucoup de groupes différents dans notre société. Nous ne voulons pas privilégier un groupe par rapport à un autre, mais plutôt trouver un équilibre entre les divers groupes. La sécurité entre en ligne de compte par rapport au droit à la protection de la vie privée. À mon avis, il faut insister sur l'équilibre plutôt que de dire qu'on privilégie un groupe par rapport à un autre ou que les intérêts d'un groupe l'emporteront sur ceux d'un autre.

Le président: L'article 1 de la Charte a été conçu précisément selon ce principe dans le cas où un compromis serait nécessaire.

J'aimerais revenir sur une chose qui a été dite et, parce que c'était sous forme de question, j'aimerais connaître votre avis à vous deux. Un projet de loi et un énoncé de principes ne sont évidemment pas la même chose. Existe-t-il des mécanismes permettant l'adoption d'un énoncé de principes par le Parlement qui, par exemple, n'aurait pas nécessairement force de loi et donc ne donnerait pas nécessairement lieu aux problèmes soulignés par le commissaire à la protection de la vie privée et les représentants du ministère de la Justice? Autrement dit, est-il possible d'atteindre l'objectif voulu et d'avoir un énoncé clair par le Parlement au sujet de l'empiétement sur la vie privée et tout ce que cela représente, mais tout en évitant les problèmes soulevés par la présence de plusieurs lois.

Mme Sanderson: Est-ce à moi que vous posez la question?

Le président: Je vous pose la question à vous deux. Nous voulons vous entendre toutes les deux.

Mme Sanderson: Je ne suis pas une experte en matière de procédures parlementaires. Une des idées dont nous avons débattu un peu plus tôt, et dont nous avons également discuté avec les membres du personnel de Mme Finestone, est l'idée d'une motion du Sénat ou une motion conjointe de la Chambre des communes et du Sénat. Cette idée a eu une influence marquée sur nos travaux. Cela s'est déjà produit ailleurs. J'oublie les détails, mais j'ai vu d'autres situations où on a tenu compte de motions du Parlement, car celles-ci peuvent influencer le travail des fonctionnaires ou être utilisées par les diverses parties dans un procès, par exemple. Il existe des mécanismes, mais cet exemple m'est venu à l'esprit.

Mme Steeves: Une bonne solution serait peut-être de garder la chose sous la forme d'un projet de loi, puis d'en faire une analyse article par article. Par la suite, on pourrait peut-être retirer les articles 4 à 6 et les remplacer avec quelque chose basé sur la Déclaration canadienne des droits. Cela donnerait en principe aux tribunaux le pouvoir d'examiner d'autres lois fédérales afin de déterminer si elles respectent le principe contenu dans le projet de loi. Cela serait très efficace, car nous pourrons nous assurer que, au fur et à mesure que les tribunaux interprètent le projet de loi C-6 et les autres mesures qui entreront en vigueur dans les prochaines années, ces mêmes tribunaux pourront les interpréter de façon à respecter ces principes fondamentaux.

Un énoncé conjoint des deux Chambres du Parlement aura probablement moins d'impact devant les tribunaux. Je comprends que les intervenants voudront réévaluer leur approche, compte tenu de leur ressort particulier, à la lumière d'un énoncé conjoint, mais à titre de chercheur juridique, je crois qu'il serait important que les tribunaux reçoivent un signe, que ce soit sous la forme d'un texte, d'une orientation ou d'un pouvoir, leur indiquant d'appliquer le bon raisonnement dont ils ont fait preuve en interprétant les articles 7 et 8 de la Charte, par exemple, à d'autres projets de loi, tel le projet de loi C-6, ou à d'autres lois, telle la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Le sénateur LeBreton: Pour ce qui est des articles 4, 5 et 6, le commissaire à la protection de la vie privée, M. Radwanski, a parlé de l'individu. Autrement dit, au lieu de porter plainte auprès du commissaire à la protection de la vie privée, on se tournerait directement vers les tribunaux. Cela pourrait donner lieu à des résultats contradictoires. Ma question est pour vous deux. Pour ceux qui appuient le projet de loi, le ministère de la Justice a des doutes. Si nous éliminions les articles 4, 5 et 6, éliminerions-nous également les préoccupations du commissaire à la protection de la vie privée en ce qui concerne les résultats différents? S'ils étaient retirés, aurons-nous ainsi éliminé la possibilité de résultats contradictoires? Que se passera-t-il si le commissaire à la protection de la vie privée tranche d'un côté et les tribunaux de l'autre? Qui décide par la suite?

Mme Steeves: J'ai eu des discussions détaillées à ce sujet avec le commissaire. Ce qu'il m'a dit rejoint ce qu'il a dit devant le comité, à savoir que si ces articles étaient retirés, il se sentirait beaucoup plus à l'aise avec le projet de loi et donnerait ainsi au projet de loi modifié son appui.

Mais, à vrai dire, je crois qu'il est important de prendre du recul devant cette question. Le droit à la protection de la vie privée est une valeur et un droit tellement fondamentaux qu'il fait partie intégrante de nombreux aspects du système juridique. Si la police entre par la force dans mon domicile et m'amène en prison, et ce, à tort, je ne porterais pas plainte auprès du commissaire à la protection de la vie privée. En fait, je ne vais probablement même pas m'appuyer sur les articles 7 et 8 de la Charte. Je vais intenter contre la police une action pour intrusion sur la propriété, ou autre atteinte semblable.

Autrement dit, lorsqu'il s'agit de questions entourant le droit à la protection de la vie privée, cela touche plusieurs lois dont le but est de préserver ces principes. L'affaire peut aboutir devant les tribunaux par plusieurs chemins. Nous ne vivons tout simplement pas dans un monde où toutes les questions se rapportant au droit à la protection de la vie privée sont portées à l'attention du bureau du commissaire à la protection de la vie privée. C'est parce qu'il y a plusieurs mécanismes réglementaires à notre disposition. C'est un principe tellement fondamental qu'on le retrouve dans plusieurs textes réglementaires. Certes, la protection des rensei gnements est du ressort du commissaire de la protection de la vie privée, mais un citoyen peut porter plainte à d'autres instances également.

Je me sentirais également à l'aise avec un énoncé de principes général qui nous soulignerait l'importance de la vie privée comme droit fondamental de la personne. La documentation théorique nous apprend, par exemple, que la réglementation comprend ses propres problèmes. Souvent les autorités de réglementation entament des négociations à long terme avec ceux qui font l'objet de ces règlements. Cela crée une dynamique politique différente - une qui n'est pas forcément bonne ou mauvaise mais qui est moins indépendante, selon la déclaration figurant dans ce projet de loi.

Les mesures habilitantes du commissaire de la protection de la vie privée, la Loi sur la protection des renseignements personnels et du projet de loi C-6 sont des pièces de ce casse-tête, mais ils ne le représentent pas en totalité. Ces mesures ne nous permettront pas de traiter de la discrimination qui découle de l'accès aux codes génétiques, par exemple. Ce n'est pas une question avec laquelle on peut facilement composer en vertu des pratiques équitables de traitement de l'information. Cela ne nous aidera pas en ce qui concerne les questions d'emploi. Voilà un autre volet du problème. Nous voulons essayer de mettre en oeuvre des pratiques équitables de traitement de l'information, mais cela présume l'égalité des pouvoirs de négociation. Si je postule un emploi et le patron me dit «je veux voir votre dossier médical», je peux bien dire non et ne pas avoir l'emploi. Il n'y a pas égalité des pouvoirs de négociation. Si nous voulons vraiment protéger notre droit à la vie privée, il faudra évaluer chacune de ces situations différentes et trouver une réponse législative appropriée.

C'est impossible que cela passe toujours par le bureau du commissaire à la protection de la vie privée, ce qui est bien. Ce n'est pas pour enlever quoique ce soit au rôle absolument essentiel que joue le commissaire au Canada en mettant de l'avant la vie privée comme droit de la personne. C'est probablement parce que nous avons eu des commissaires à la protection de la vie privée qui ont pris au sérieux leur tâche de défenseurs de la vie privée, et qui continuent de soulever ces questions auprès des législateurs.

Mme Sanderson: Je suis d'accord avec Mme Steeves. L'autre question qu'il faut aborder concerne les restrictions sur la compétence fédérale de traiter de toutes ces questions de la vie privée. Les données médicales sont un bon exemple d'un domaine où il faudra travailler de concert avec les provinces. Nous ne pouvons pas le faire seuls. Un autre exemple serait les contrats d'emploi, ou la relation employeur-employé. Le gouvernement fédéral est limité dans sa capacité de traiter de ces genres d'atteintes à la vie privée sauf en tant qu'employeur ou par le biais des sociétés d'État et des entreprises sous réglementation fédérale.

Votre première question était la suivante: si certaines disposi tions sont retirées, aurait-on un énoncé de principes acceptable? J'ai des doutes à ce sujet parce que, même dans certains de ces articles, le langage semble donner effet à l'énoncé de principes. Je vous donne quelques exemples qui me rendent nerveuse.

À l'article 2, on lit que la présente loi a pour objet «de donner effet aux principes suivants...» Ça deviendrait une loi du Parlement si c'est adopté, le but étant de donner effet. Il y a d'autres exemples. Je vais vous les expliquer.

L'article 6, qui exige que le ministre de la Justice examine chaque projet de loi dans la perspective de cette mesure, ne concorde pas bien avec les dispositions que j'ai mentionné tout à l'heure en parlant de la Loi sur le ministère de la Justice, en vertu de laquelle nous sommes déjà tenus de les examiner dans la perspective de la Charte canadienne. Il y a des enjeux constitutionnels également. L'article 8 traite des contrats. Il n'y a là qu'une application limitée au niveau fédéral puisque les contrats sont de compétence provinciale en général.

Les articles 9, 10 et 11 m'inquiètent également. L'article 9 énonce que la présente loi s'applique aux personnes et matières qui relèvent de l'autorité législative du Parlement. On pourrait peut-être discuter de ce que «s'applique» veut dire. L'article 10 nous dit que la loi «lie» Sa Majesté. Une plus grande préoccupation est la déclaration de primauté à l'article 11. Si cela devient un énoncé de principes général, ce projet de loi aurait préséance sur les autres lois fédérales.

Nous avons déjà vécu des difficultés dans ce domaine. Un exemple serait la Loi canadienne sur les droits de la personne qui, par interprétation judiciaire à la faveur de la Charte, a préséance sur les autres lois. Il faut une déclaration contraire très claire afin d'y déroger. Il reste à savoir comment ce projet de loi concorderait avec la Loi canadienne sur les droits de la personne et la Loi sur langues officielles, qui sont toutes les deux d'une haute importance au sein de la société canadienne.

Je ne suis pas certaine qu'on réglerait la question en se débarrassant des articles 4, 5 et 6.

Je le dis à tout hasard. Il faudrait se pencher sur la question.

Mme Steeves: Je suis encouragée parce qu'il semblerait que Mme Sanderson tient à commencer l'examen article par article de ce projet de loi. J'espère sincèrement qu'elle aura la possibilité de le faire avec vous.

Son analyse est une bonne indication qu'on pourrait se pencher sur le libellé de ce projet de loi, traiter des préoccupations et l'améliorer.

Je trouve intéressant que nous sommes ici en train de dire que ce projet de loi pourrait déroger à la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il me semble qu'il s'agit de deux énoncés de principes qui se complètent. Là encore, c'est une question de libellé.

Le fait qu'il s'agit d'un projet de loi fédéral qui n'a qu'une certaine portée ne me dérange pas du tout, parce que vous avez une responsabilité unique et l'occasion d'aller de l'avant en matière de leadership politique, de monter la barre dans ce pays. Nous avons vu pendant la dernière décennie que quand une administration resserre les critères, les autres emboîtent le pas.

Nous avons vu que c'est vrai au Québec dans le contexte canadien. Quand une autorité agit, les autres suivent. Le moment de faire preuve de leadership politique est venu, surtout en vue des défis incroyables que nous vivons actuellement dans notre régime démocratique.

Je ne serais pas trop découragée par le fait qu'il s'agit d'une loi fédérale. Je crois que c'est une occasion de faire preuve de leadership de façon positive.

Le sénateur Finestone: Je n'avais pas l'intention de poser de question mais je trouverais encourageant si le ministère de la Justice, plus renfermé que je ne l'aurais souhaité, se joignait à nous pour l'examen article par article au lieu de le faire à notre insu. Ça serait très bien.

Le président: Mesdames et messieurs les sénateurs, il faudrait lever la séance bientôt. Je demande au personnel, pour la séance d'hier soir et pour celle d'aujourd'hui, de préparer deux choses. Premièrement, un résumé des arguments des deux côtés. Deuxièmement, concernant hier soir précisément, nous avons demandé quelques renseignements additionnels. Nous voulions une opinion de la part du ministère de la Justice.

Je demande au personnel de réfléchir à l'option esquissée par Mme Steeves où elle parlait de prendre la Déclaration canadienne des droits comme modèle, afin de pouvoir comprendre ce que cela voudrait dire en réalité. Quand ces deux résumés seront prêts, nous allons nous réunir. Nous aurons une réunion la semaine prochaine.

Le sénateur LeBreton: Nous avons déjà toute une liste de témoins. À cause des événements aux États-Unis et ailleurs, il y aura beaucoup de témoins qui voudront comparaître. De plus, les médias vont porter beaucoup d'attention à ce projet de loi. Les journaux en parlent déjà. Je vous préviens que la réunion pourrait être longue.

Le président: C'est une question importante et on devrait avoir un bon effectif pour nos réunions. La séance est levée jusqu'à 15 h 30, le mercredi 26 septembre 2001.

La séance est levée.


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