Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule 26 - Témoignages
OTTAWA, le lundi 1er octobre 2001
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, qui a été saisi du projet de loi C-11, Loi concernant l'immigration au Canada et l'asile conférée aux personnes déplacées, persécutées ou en danger, se réunit aujourd'hui à 14 heures pour examiner le projet de loi.
Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Sénateurs, nous sommes réunis aujourd'hui pour examiner le projet de loi C-11. En ce qui concerne le processus, le comité directeur a dressé la semaine dernière une liste de témoins qui, je crois, a été distribuée. Sur cette liste figurent quelque 50 groupes de témoins qui devraient être entendus pendant environ 25 heures d'audiences. Le nombre réel de témoins sera peut-être supérieur à 50 puisqu'il s'agira de groupes de plus d'un témoin.
Le comité de direction s'est demandé si nous souhaitions que la ministre vienne témoigner au début ou à la fin de nos audiences; nous avons convenu de commencer avec les fonctionnaires. La ministre comparaîtra jeudi à 9 heures.
Le comité de direction s'est aussi entendu en principe pour que je n'accepte aucune motion d'amendement ou autre motion de procédure jusqu'à ce que nous ayons entendu tous nos témoins, jeudi. La greffière m'indique que les personnes que nous avons invitées à témoigner n'ont pas toutes répondu. Si elles acceptent notre invitation, nous ajouterons leur nom à la liste des témoins qui seront entendus mardi ou mercredi. Nous attendons leur réponse aujourd'hui.
Le sénateur Di Nino: Chers collègues, les événements du 11 septembre seront évoqués à maintes reprises. J'aimerais que nous entendions des représentants du SCRS. Ils ne figurent pas sur la liste que j'ai.
Le président: Nous les avons invités à comparaître. La greffière a reçu du SCRS une réponse indiquant qu'ils ne souhaitent pas témoigner. Toutefois, j'ai envoyé au SCRS un message lui indiquant clairement qu'il devra nous envoyer des représentants. Si le gouvernement tient à faire adopter ce projet de loi, il fera en sorte que des représentants du SCRS viennent témoigner.
[Français]
Le sénateur Morin: Monsieur le président, si je comprends bien, nous nous entendons sur le fait que le président n'acceptera aucune motion tant et aussi longtemps que le comité n'aura pas entendu tous les témoins, y inclus le ministre, le jeudi 4 octobre.
[Traduction]
Le président: Ce sont là nos règles de fonctionnement.
Je remercie les témoins d'être venus. Commençons par Joan Atkinson, du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration.
Madame Atkinson, vous ne serez pas étonnée d'apprendre que bon nombre d'entre nous ont des questions à vous poser. Cependant, aux fins du compte rendu et pour faciliter la tâche aux sténographes du hansard, je vous prierais de commencer par présenter ceux qui vous accompagnent afin que nous sachions qui ils sont quand ils répondront à nos questions.
[Français]
Mme Joan Atkinson, sous-ministre adjointe, Développement des politiques et programmes: Je suis très heureuse d'être ici pour discuter du projet de loi C-11.
[Traduction]
Je suis accompagnée aujourd'hui de M. David Dunbar, conseiller juridique, de M. Dick Graham, de la Direction générale de l'exécution de la loi, de M. Mark Davidson, de la Direction générale de la sélection et de Mme Jennifer Lutfallah, de la direction générale des réfugiés.
Je dirai d'abord que la nouvelle Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés vise à présenter un ensemble de réformes équilibrées - des dispositions législatives sévères mais ciblées ainsi que des mesures d'exécution pour assurer la sécurité des Canadiens, assorties de mesures concrètes pour accueillir les travailleurs qualifiés et les gens d'affaires immigrants dont notre économie a grand besoin, pour maintenir notre tradition de réunification des familles et offrir toute la protection à ceux qui en ont besoin.
Je commencerai par traiter de ce qui nous préoccupe le plus, soit notre capacité à réagir au lendemain de la tragédie qui a secoué les États-Unis. Le projet de loi C-11 prévoit des mesures qui devraient apaiser ces inquiétudes.
Notre législation en matière d'immigration est déjà l'une des plus sévères au monde en ce qui a trait à l'inadmissibilité des terroristes, des criminels de guerre et des membres du crime organisé. Le projet de loi C-11 prévoit des mesures exhaustives qui nous permettront de mieux assurer la sécurité nationale et la sûreté du public.
Le projet de loi nous donne des pouvoirs plus solides pour arrêter et détenir les criminels et les personnes qui menacent la sécurité. Il prévoit des motifs plus larges pour refuser l'entrée des personnes engagées dans le crime organisé ou les expulser. Il élimine le droit d'appel à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour les cas impliquant la sécurité, le crime organisé, la violation des droits de la personne et la grande criminalité afin d'accélérer les renvois. Il simplifie le processus pour interdire les demandes de statut de réfugié de la part des personnes qui sont interdites de territoire pour des raisons de sécurité, de crime organisé, de violation des droits de la personne ou de grande criminalité, et prévoit des pouvoirs accrus pour mettre fin aux demandes de statut de réfugié dans ces cas.
Le projet de loi C-11 simplifie le processus de renvoi des personnes qui présentent une menace pour la sécurité nationale SUR la foi de preuves protégées qui ne peuvent être rendues publiques et nous donne une capacité accrue d'évoquer, devant les tribunaux administratifs de la CISR, des éléments de preuve protégés pour les cas impliquant la sécurité, le crime organisé et d'autres motifs semblables afin d'interdire plus efficacement l'entrée au Canada de ces personnes ou de les renvoyer du Canada.
Nous savons tous ce qui a motivé le dépôt de ce projet de loi. À l'heure actuelle, l'immigration contribue à la croissance de la population active dans une proportion de 75 p. 100 et, d'ici l'an 2011, cette proportion passera à 100 p. 100. Les immigrants arrivent avec leurs compétences et leur esprit d'entreprise, mais aussi avec leur famille; parfois, ils font venir leur famille plus tard. Le regroupement familial est donc un facteur important de notre politique qui est crucial à l'établissement réussi des nouveaux venus et à l'édification de communautés solides.
[Français]
Environ 103 millions de personnes sont déplacées dans le monde. Le besoin de protection des personnes fuyant les conflits armés, les guerres civiles et les persécutions continue de croître.
[Traduction]
Les pressions causées par les migrations mondiales ont incité les organisations criminelles transnationales très puissantes, attirées par la perspective de profits considérables, à étendre leurs activités à l'introduction clandestine de migrants et au trafic de personnes. Il nous faut une loi et des dispositions réglementaires qui tiennent compte de la nouvelle réalité mondiale - qui permettent au Canada d'optimiser les avantages de l'immigration, de maintenir sa tradition humanitaire tout en gérant l'accès au pays et en assurant la sécurité du pays et du public.
Le projet de loi C-11 est un projet de loi cadre; à bien des égards, la loi actuelle est une loi cadre. De nombreux détails sur la sélection des réfugiés, la définition de la catégorie de la famille, l'établissement des réfugiés outre-mer voulant se réétablir figurent déjà dans le Règlement sur l'immigration. Cela ne changera pas après l'adoption du projet de loi C-11. Toutefois, le projet de loi établit le cadre législatif et fait en sorte que les droits, les avantages et les privilèges soient clairement décrits dans la loi; les détails de nature procédurale et administrative se trouveront dans le Règlement.
[Français]
L'objectif du projet de loi visant la protection de réfugiés ne semble pas le même que celui qui s'applique à l'immigration parce que les deux programmes n'ont pas été établis aux même fins.
L'objectif énoncé dans le projet de loi met davantage l'action sur les valeurs principales qui définissent la société canadienne.
[Traduction]
Vous savez sans doute que le comité de la Chambre des communes a ajouté d'importants nouveaux objectifs à ceux qui étaient déjà dans le projet de loi, y compris l'égalité du français et de l'anglais comme langues officielles du Canada, la nécessité d'appuyer le développement des communautés de langueofficielle minoritaire au Canada, l'engagement à collaborer avec les provinces en ce qui a trait à la reconnaissance des titres de compétence des étrangers et des résidents permanents et le respect des conventions internationales en matière de droits de la personne auxquelles le Canada a adhéré.
Le pouvoir d'établir des règlements prévu au projet de loi C-11 est limité. Plus précisément, le projet de loi autorise la prise de dispositions réglementaires stipulées dans la loi. En outre, par suite de modifications, le projet de loi exige que le ministre a déposé devant chacune des Chambres du Parlement toutes les dispositions réglementaires proposées concernant les modalités de contrôle, les droits et obligations des résidents permanents et temporaires, la perte de statut et le renvoi, la détention et la mise en liberté, la recevabilité des demandes d'asile, l'examen des risques avant le renvoi et les exigences concernant les compagnies de transport en vue d'un examen par le comité parlementaire approprié. Il s'agit donc d'une innovation par rapport à la loi actuelle.
En ce qui a trait au regroupement des familles, le projet de loi n'établit pas en détail la définition, qui relèvera plutôt du règlement. Toutefois, le projet de loi C-11 reconnaît formellement pour la première fois l'existence de la catégorie du regroupement familial, renforçant ainsi le caractère permanent de cette catégorie. Le projet de loi renferme des dispositions qui concrétisent l'engagement du Canada à protéger les intérêts supérieurs de l'enfant.
[Français]
Les catégories de la famille seront élargies par des mesures réglementaires comprenant une hausse de l'âge de l'enfant à charge qui passe de moins de 19 ans à moins de 22 ans et la reconnaissance de conjoints de fait dont ceux de même sexe. Le projet de loi élimine les droits d'admission au motif qu'une personne risque d'être un fardeau excessif pour le régime de soins de santé, dans le cas de parrainage de conjoints, de conjoints de fait et d'enfants à charges.
[Traduction]
Par ailleurs, le règlement renforcera l'intégrité du système d'immigration, plus précisément le régime de parrainage, dont il resserre les exigences. Il accroît la capacité du gouvernement fédéral de recouvrer les coûts de l'aide sociale en cas de rupture de l'engagement de parrainage, éliminant ainsi l'obligation de les recouvrer par la voie des tribunaux. Il comporte aussi le pouvoir d'émettre des certificats permettant de saisir les salaires.
En ce qui concerne les travailleurs qualifiés et les gens d'affaires immigrants, il est essentiel, pour la prospérité future de notre pays, de nous assurer de disposer d'une main-d'oeuvre hautement qualifiée. L'immigration joue un rôle clé à ce chapitre, compte tenu de l'incidence de l'immigration sur la croissance de la main-d'oeuvre au Canada. Les dispositions réglementaires accompagnant la nouvelle législation moderniseront le mode de sélection des travailleurs qualifiés; ainsi, on s'éloignera du modèle actuel axé sur la profession pour insister davantage sur un ensemble de compétences polyvalentes et transférables, nécessaires pour réussir au sein d'une économie du savoir qui évolue rapidement.
Pour améliorer la programme d'immigration des gens d'affaires, on a prévu une évaluation plus objective de l'expérience des affaires. En ce qui a trait aux travailleurs étrangers temporaires, les employeurs canadiens auront plus facilement accès à une main-d'oeuvre temporaire qualifiée grâce à un processus d'approbation plus rapide qui sera mis en place en échange de leur engagement d'embaucher et de former des travailleurs canadiens. Un nouveau mécanisme permettra à certains travailleurs temporaires de présenter au Canada une demande d'établissement, ce qui leur facilitera la transition vers le statut de résident permanent.
Eu égard aux droits des résidents permanents, le projet de loi C-11 établit de nouveaux critères à la fois objectifs, transparents et souples pour déterminer si une personne peut conserver son statut de résident permanent lorsqu'elle désire revenir au pays après une absence. Il oblige les résidents permanents à être physiquement présents au Canada pendant au moins 730 jours tous les cinq ans une fois qu'ils ont acquis ce statut, contrairement au critère actuel qui stipule qu'un résident permanent peut perdre son statut s'il se trouve à l'extérieur du Canada pendant plus de six mois, à moins qu'il ne convainque l'agent d'immigration qu'il n'avait pas l'intention d'abandonner le Canada comme lieu de résidence. Le nouveau critère de présence physique est plus clair et plus transparent.
Le projet de loi prévoit la délivrance d'une attestation de statut aux résidents permanents. La loi actuelle nous donne les pouvoirs de délivrer des documents. Toutefois, le projet de loi C-11 consacre officiellement dans la loi la nouvelle carte de résident permanent qui remplacera le document actuel, un document sur papier qui se prête à la fraude et aux fausses déclarations. Cette carte de résident permanent sera exigée de tout résident permanent qui souhaite quitter le Canada et y revenir ensuite. La carte constituera un document plus sûr et à l'épreuve de la fraude pour ces personnes.
Le projet de loi C-11 permet la délivrance d'un titre de voyage à un résident permanent qui se trouve à l'extérieur du Canada et qui n'est pas muni d'une attestation de statut valide, si cette personne satisfait aux critères de résidence ou si elle interjette appel d'une décision concernant la perte du statut de résident permanent et a séjourné au Canada au moins une fois au cours de l'année précédente.
Le projet de loi nous permet aussi de reconnaître les résidents permanents qui sont à l'extérieur du pays pour des raisons d'emploi au sein d'une entreprise, d'une organisation ou d'un gouvernement du Canada ou pour des motifs impérieux de nature humanitaire.
Le projet de loi prévoit aussi de nouvelles définitions pour les étrangers et les résidents permanents, définitions qui font clairement la distinction entre les résidents permanents et les étrangers et met en relief le statut particulier dont jouissent les résidents permanents au Canada. Il prévoit le droit à une audience complète - plutôt qu'à un appel sur dossier - pour les résidents permanents qui appellent devant le CISR de la décision entraînant la perte du statut de résident permanent. Les personnes qui se trouvent à l'extérieur du Canada pourront participer par téléphone ou se voir délivrer un document leur permettant de venir au Canada pour assister à l'audience.
Certains craignaient que le projet de loi C-11 oblige un résident permanent faisant l'objet d'une enquête sur admissibilité à se soumettre à un contrôle. Le projet de loi a été amendé et, maintenant, précise clairement qu'un résident permanent ne peut être obligé de se soumettre à un contrôle dans le cadre d'une enquête effectuée au Canada, à moins qu'il n'ait fait une demande de visa, d'entrée au Canada ou de parrainage. Le projet de loi, bien sûr, décrit le cadre de nos systèmes de protection des réfugiés au Canada et à l'extérieur du Canada.
Pour l'extérieur du Canada, la plupart des détails se trouveront dans le règlement, mais le projet de loi prévoit le pouvoir d'adopter ces règlements. Le programme de rétablissement des réfugiés, dans le cadre duquel on sélectionne les réfugiés dans des camps de réfugiés à l'étranger, sera mieux adapté et plus efficace car l'accent sera davantage mis sur le besoin de protection et moins sur la capacité de s'établir au Canada. De nouvelles dispositions réglementaires accéléreront et faciliteront la réunion des familles de réfugiés en permettant que les demandes des personnes qui sont à la charge d'un demandeur principal ayant obtenu la résidence permanente depuis moins d'un an soient incluses dans la demande de ce dernier. Les réfugiés sélectionnés à l'étranger et les personnes à leur charge seront dispensés de l'application du critère du fardeau excessif pour les services médicaux, tout comme les conjoints parrainés, les partenaires et les enfants issus d'une union de fait.
Le système de détermination au Canada est manifestement un élément clé de ce projet de loi, qui prévoit des modifications cruciales du processus de détermination du statut de réfugié, modifications qui amélioreront son efficacité et son intégrité tout en accordant une plus grande importance aux engagements du Canada à l'échelle internationale.
Il importe de souligner que le projet de loi maintient le rôle de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié dans la détermination du statut de réfugié. Il maintient le droit à une audience orale devant la section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Il maintient aussi, par le biais de la CISR, le droit à une évaluation impartiale, par un décisionnaire unique, des demandes d'asile et de protection. Ces concepts et ce cadre sont semblables à ceux qui existent dans d'autres pays, même si les mesures qui les concrétisent diffèrent.
Le projet de loi apporte quelques modifications d'importance au système de détermination du statut de réfugié. Grâce à la consolidation du processus décisionnel, toutes les décisions relatives aux risques qui sont actuellement prises par divers intervenants dans diverses sections de l'organisation seront unifiées au sein de la CISR.
On fera appel à des tribunaux formés d'un seul commissaire afin de permettre à la CISR d'entendre plus de cas plus rapidement. Ces tribunaux constitueront la norme pour l'étude des revendications du statut de réfugié. Cette norme sera toutefois compensée par un droit d'appel devant la nouvelle section d'appel des réfugiés de la CISR, ce qui nous permettra d'assurer une plus grande cohérence et de corriger les écarts entre les décisions des commissaires.
Le projet de loi prévoit un renvoi plus rapide des demandes devant la CISR. On devra déterminer plus rapidement si le revendicateur peut présenter sa demande, et renvoyer cette demande, le cas échéant, à la CISR en moins de trois jours ouvrables.
Les personnes interdites de territoire pour sécurité, atteinte aux droits de la personne ou criminalité organisée ne pourront pas présenter de demande à la CISR. La loi actuelle prévoit divers motifs d'irrecevabilité des revendications. Le projet de loi C-11 crée plutôt un processus rationalisé de détermination de ,l'admissibilité en éliminant l'étape de l'avis de danger, avis qui est exigé à l'heure actuelle.
Si de nouvelles informations concernant l'admissibilité d'un revendicateur apparaissent après le renvoi de sa revendication à la CISR, le projet de loi C-11 prévoit la possibilité de surseoir à l'étude de l'admissibilité si un rapport a été déféré à la section de l'immigration de la CISR pour constat d'interdiction de territoire. Pendant que l'arbitre étudie le dossier avant de rendre sa décision finale sur l'admissibilité du revendicateur, la revendication du statut de réfugié reste en suspens à la section de la protection des réfugiés de la Commission.
Le projet de loi confère au ministre le droit d'intervenir dans les audiences de la CISR. Il permet aussi la participation du Haut commissaire des Nations Unies pour les réfugiés. Il élimine la nécessité pour le ministre d'obtenir une autorisation pour annuler une revendication du statut de réfugié s'il est indiqué que la demande résulte de présentations erronées sur un fait important ou de réticences sur ce fait.
Le projet de loi crée un examen des risques avant le renvoi ou ERAR. Cet examen se veut un mécanisme juste et transparent pour évaluer le risque avant le renvoi des revendicateurs du statut de réfugié déboutés, des demandeurs qui abandonnent leurs réclamations et de tous ceux qui sont exclus du processus de la CISR.
Dans le cas où il existe un risque si le demandeur est retourné dans son pays, le renvoi est reporté, mais le demandeur ne détient pas la protection accordée aux réfugiés. Le ministre peut réexaminer le sursis si les circonstances changent.
L'ERAR est un outil important. Il permet au gouvernement d'assurer l'équilibre entre la protection d'une personne et la protection de tous les Canadiens avant que son renvoi ne soit entrepris. Les demandes répétées ne seront pas recevables à la CISR en vertu du projet de loi C-11. Le projet de loi permet à une personne de présenter une demande d'examen des risques avant le renvoi afin que le risque qu'elle constitue soit déterminé avant que l'ordonnance de renvoi ne soit exécutée, six mois plus tard.
En ce qui concerne le processus d'appel prévu par le projet de loi C-11, le projet de loi supprime les droits d'appel pour les étrangers qui ont été déclarés non admissibles pour des motifs de grande criminalité, pour des raisons de sécurité, pour violation des droits de la personne ou participation au crime organisé. Grâce à ces nouveaux critères, il sera plus facile d'assurer la sécurité des Canadiens en renvoyant rapidement du Canada les personnes qui constituent une menace à la sécurité; c'est là un enjeu très important.
L'élimination des droits d'appel pour les grands criminels n'est pas une nouveauté. La loi actuelle ne confère pas ces droits aux grands criminels, qu'ils soient étrangers ou résidents permanents. Toutefois, elle prévoit un processus permettant au ministre de déclarer qu'une personne constitue un danger pour le public. Ce processus a fait l'objet de critiques; on l'a jugé trop lourd et trop long.
Le projet de loi C-11 supprime le processus de délivrance de l'avis de danger et prévoit des critères objectifs, clairs et transparents pour le retrait des droits d'appel aux grands criminels. La grande criminalité ne concerne que les personnes déclarées coupables, au Canada, d'une infraction punissable d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à 10 ans et pour laquelle un emprisonnement de deux ans a effectivement été infligé.
Les répondants ne seront pas autorisés à interjeter appel en cas de refus d'un visa au motif que le demandeur parrainé a été reconnu comme un grand criminel, qu'il constitue un danger pour la sécurité, qu'il a porté atteinte aux droits de la personne, qu'il est membre d'une organisation criminelle ou qu'il a fait de fausses déclarations sur un fait important.
Il y a de nouvelles dispositions touchant l'interdiction de territoire. Le projet de loi énonce clairement les motifs qui rendent une personne non admissible au Canada. Il indique les motifs généraux se rapportant à l'interdiction de territoire: sécurité, atteinte aux droits de la personne, criminalité, activité de criminalité organisée, motifs sanitaires, motifs financiers, fausse déclaration ou manquement à la loi. C'est un changementpar rapport à la loi actuelle qui comporte de nombreux chevauchements et répétitions dans les différents motifs de non-admissibilité prévus pour les personnes qui veulent être admises au Canada et pour celles qui sont déjà au Canada. Tout cela est beaucoup plus clair dans le projet de loi C-11.
De nouveaux motifs d'interdiction de territoire s'ajoutent aux motifs actuels. Grâce à ces nouveaux motifs, les agents d'immigration disposeront des outils nécessaires pour interdire de territoire les personnes qui s'adonnent à des activités criminelles transnationales telles que le trafic de personnes et le blanchiment d'argent, de même que les ressortissants étrangers qui enfreignent certaines lois canadiennes lorsqu'ils entrent au Canada et les ressortissants visés par les sanctions en matière de voyage imposées de concert avec un organisme international dont le Canada est un État membre, par exemple, les Nations Unies. En outre, les personnes coupables de fraude ou ayant fait de fausses déclarations sur un fait important dans une demande présentée aux termes de la loi seront interdites de territoire pendant une période de deux ans.
Le projet de loi prévoit des peines sévères pour les trafiquants et les passeurs. De nouvelles peines sévères sont prévues pour les passeurs de clandestins et les trafiquants de personnes qui sont passibles d'emprisonnement à perpétuité ou d'une amende d'un million de dollars, ou les deux. Les tribunaux peuvent ordonner la confiscation de sommes d'argent et d'autres biens saisis aux trafiquants et aux passeurs.
Le projet de loi C-11 prévoit une nouvelle infraction générale relative à la possession, à l'utilisation, à l'importation et à l'exportation de passeports, visas et autres documents qui établissent l'identité utilisée dans le but de contrevenir à la loi. Il prévoit également une nouvelle infraction générale visant ceux qui conseillent aux personnes de faire de fausses déclarations.
Le processus d'attestation de sécurité est modifié par le projet de loi C-11. Ce processus est un élément important de la stratégie permettant d'expulser du Canada les personnes qui constituent un risque pour la sécurité, notamment les terroristes. Le processus actuel appliqué aux résidents permanents exige beaucoup de temps et de ressources et peut faire l'objet de nombreux contrôles judiciaires. Le projet de loi C-11 simplifie le processus de délivrance des attestations de sécurité dans le cas des résidents permanents, qui comportera dorénavant deux étapes au lieu de quatre mais pourra faire l'objet d'un contrôle par la Cour fédérale.
Le projet de loi assurera également un traitement plus efficace des cas des personnes qui pose un danger pour la sécurité ou qui sont liées au crime organisé en permettant l'utilisation, lors des auditions sur l'admissibilité, des examens des motifs de détention et des appels de l'immigration, de renseignements confidentiels qui ne peuvent être divulgués en raison d'un préjudice potentiel pour la sécurité nationale ou la sécurité des personnes.
Le projet de loi C-11 énonce clairement les motifs de détention. Il ne les modifie pas, mais les énonce de façon plus concise. Les facteurs particuliers dont il faudra tenir compte avant d'ordonner la détention ou la mise en liberté seront précisés dans le règlement.
En ce qui concerne l'arrestation, compte tenu des droits accrus qui sont conférés aux résidents permanents et aux personnes qui bénéficient du statut de réfugié, le projet de loi C-11 prévoit maintenant qu'il faudra obtenir un mandat pour arrêter un réfugié ou un résident permanent. Parallèlement, les pouvoirs d'arrestation et de détention sans mandat des étrangers qui sont interdits de territoire pour des motifs de sécurité, de criminalité, de crimes de guerre, et cetera, sont élargis.
Les résidents permanents et les étrangers peuvent être détenus aux points d'entrée sans mandat lorsqu'existent des motifs raisonnables de croire qu'ils sont interdits de territoire pour des motifs de sécurité ou en raison d'atteintes aux droits de la personne ou aux droits internationaux.
[Français]
Le projet de loi C-11 assume les principes que la détention des mineurs ne doit être qu'une mesure de dernier recours et que l'intérêt supérieur de l'enfant doit être pris en considération dans toutes les décisions touchant des mineurs. Le règlement précisera les facteurs qui doivent être pris en considération avant de détenir le mineur.
[Traduction]
Le projet de loi C-11 étend le pouvoir d'arrêter et de détenir des personnes qui ne peuvent établir leur identité, pouvoir actuellement exercé uniquement à l'égard de ceux qui cherchent à entrer au Canada. Il importe toutefois de noter que les revendicateurs du statut de réfugié sans pièces d'identité ne seraient détenus que dans les cas où ils refuseraient de collaborer en vue d'établir leur identité.
Enfin, le projet de loi C-11 restreint l'accès à la libération conditionnelle de jour et aux sorties temporaires sans escorte dans les cas de criminels qui purgent une peine de prison et font l'objet d'une mesure de renvoi.
En conclusion, le projet de loi C-11 répond aux inquiétudes soulevées relativement à la préparation du Canada en vue de faire face aux menaces à la sécurité sur le plan international, car il nous dote des mesures et des outils nécessaires pour traiter les cas des criminels, des membres du crime organisé, des criminels de guerre et des terroristes.
[Français]
Le projet de loi C-11 assure également un équilibre.
[Traduction]
Cet équilibre est très important. En nous donnant le moyen de dire non plus rapidement aux personnes qui voudraient abuser de notre générosité, outrepasser nos règles d'immigration et menacer nos valeurs, le projet de loi nous permet de dire oui plus souvent aux immigrants et aux réfugiés dont le Canada aura besoin dans les années à venir.
Le sénateur Di Nino: Le projet de loi C-11 a été adopté par la Chambre des communes en juin, je crois, avant que ne se produisent les tristes événements du 11 septembre à New York et Washington. Depuis lors, a-t-on attiré votre attention sur des questions qui ne figurent pas au projet de loi et qui permettraient d'accroître la sécurité aux frontières, par exemple, la rationalisation de nos procédures et la collaboration avec les États-Unis afin que l'impossible soit fait pour interdire l'accès aux indésirables?
Mme Atkinson: Déjà, avant le 11 septembre, nous collaborions étroitement avec les Américains. Chaque jour, aux points d'entrée et ailleurs au Canada, nos agents travaillaient de concert avec leurs homologues états-uniens. Au lendemain du 11 septembre, cette collaboration s'est maintenue et se poursuit encore aujourd'hui.
Nous avons avec les États-Unis une entente de partage d'information en vertu de laquelle nous échangeons del'information provenant de nos bases de données respectives, surtout en ce qui concerne les terroristes et les menaces à la sécurité. Cette information faisait déjà l'objet d'un partage avec les États-Unis avant le 11 septembre et il continue d'en être ainsi. La coopération se poursuivra, et l'on mettra l'accent sur le partage de l'information et des renseignements.
Dans la foulée des événements tragiques du 11 septembre, nous avons tous vu qu'il était nécessaire de partager toute information et tout renseignement que nous pouvons avoir concernant ceux qui peuvent constituer une menace. Nous partageons ces renseignements entre nous et avec d'autres organismes chargés de l'application de la loi au Canada, et bien sûr aussi avec les États-Unis.
Immédiatement après le 11 septembre, nous avons mis tout notre réseau d'immigration - à l'étranger, aux points d'entrée et au Canada - en état d'alerte renforcé. À la suite de quoi, tous nos agents à tous ces endroits ont pris plus de temps pour procéder attentivement à l'examen initial des personnes cherchant à entrer au Canada ou qui présentent des demandes. Il continue d'en être ainsi.
Comme vous le savez peut-être, la ministre a aussi annoncé que, pour renforcer la sécurité, nous commencerions immédiatement à procéder à un examen initial plus strict, surtout en ce qui concerne les revendicateurs du statut de réfugié qui arrivent au Canada. La loi nous permet de faire l'examen initial des revendicateurs en fonction des critères d'admissibilité qui y sont énoncés. Nous avons agi rapidement pour mettre en place, dans tout le Canada, un système qui nous permette d'examiner plus attentivement chacun des revendicateurs qui arrive et de les évaluer en fonction des critères d'inadmissibilité énoncés dans la loi.
Cela ne veut pas dire que nous ne faisions l'examen initial des demandeurs avant le 11 septembre, mais dès le lendemain nous avons renforcé le processus d'examen en veillant à tenir compte de toute information pertinente.
Le sénateur Di Nino: Vous êtes certainement au courant des nombreux observateurs et fonctionnaires qui ont dénoncé ce qu'on appelle parfois notre «frontière perméable». Deux questions me préoccupent. D'abord, le vérificateur général a dit très clairement que le ministère n'avait pas les ressources voulues pour faire son travail. Deuxièmement, le projet de loi C-11 traite d'un examen initial complet et approprié en 72 heures, soit trois jours. Franchement, j'ai du mal à croire que nous pourrions effectuer en 72 heures une analyse complète du risque que peuvent poser des gens provenant de pays qui ne reconnaissent pas la primauté du droit ou dans lesquels celle-ci n'existe plus.
Mme Atkinson: Pour ce qui est de cette frontière perméable, il est important de souligner que la circulation des revendicateurs du statut de réfugié entre le Canada et les États-Unis se fait dans les deux sens. Près de 40 p. 100 des gens qui revendiquent le statut de réfugié au Canada nous arrivent des États-Unis - c'est-à-dire qu'ils sont entrés en Amérique du Nord par les États-Unis, y ont passé un certain temps et sont venus au Canada pour revendiquer le statut de réfugié. La circulation des migrants irréguliers et des revendicateurs du statut de réfugié, se faisant bien sûr dans les deux sens, montre à nouveau la nécessité pour nos deux pays de collaborer et d'échanger de l'information.
Pour ce qui est des trois jours ouvrables pendant lesquels, selon le projet de loi, s'effectue l'examen de l'admissibilité des requérants, nous devons prendre bien soin de ne pas assimiler les réfugiés à des terroristes, à de grands criminels, à des gens qui ne respectent pas les droits de la personne et ainsi de suite. Ce n'est, après tout, qu'un faible pourcentage des revendicateurs du statut de réfugié qui risquent de poser une menace à la sécurité ou de nous causer des difficultés.
Il est important, bien sûr, que nous mettions en place les procédures appropriées pour être en mesure de repérer ceux dont nous avons effectivement lieu de nous inquiéter. Quand des revendicateurs du statut de réfugié arrivent au Canada, on prend leurs empreintes digitales de même que leur photographie. Ces empreintes digitales sont confrontées à des bases de données pour vérification. Par conséquent, si des informations contenues dans ces bases de données correspondent à celles d'un revendicateur, l'identification peut se faire assez rapidement. Le problème, naturellement, surtout quand on a affaire à des terroristes ou autres, c'est que souvent ils utilisent des noms ou des documents d'emprunt. Ils ne se présentent pas, comme quelqu'un l'a dit, avec le mot «terroriste» tatoué sur le front.
Nous devons pouvoir recueillir de l'information sur les endroits où ils ont vécu, les organisations auxquelles ils ont pu appartenir ainsi que la nature de leur participation à celles-ci. Nous soumettons alors ces renseignements à nos partenaires - notamment au SCRS -, pour savoir si nous avons affaire à quelqu'un qui pourrait ne pas être admissible au statut de réfugié pour des raisons de sécurité, parce qu'il est lié au monde du crime organisé, a commis des crimes de guerre ou d'autres délits graves.
Si nous ne pouvons pas prendre de décisions parce que nous n'avons pas tous les renseignements voulus dans ce délai de trois jours ouvrables, le projet de loi nous permet de suspendre l'examen d'une demande d'immigration à la Commission de l'immigration. Si nous jugeons plus tard qu'une personne est inadmissible, que nous avons recueilli suffisamment d'information et décidé de soumettre l'affaire à un arbitre de la division de l'immigration pour qu'il se prononce sur son inadmissibilité, nous pouvons demander la suspension immédiate de l'examen de la revendication du statut de réfugié. Si l'arbitre juge qu'une personne n'est pas admissible, il peut alors arrêter la procédure d'examen de cette revendication.
De la même manière, si la personne s'est soumise au processus de détermination du statut de réfugié et que pour une certaine raison on a décidé de lui accorder une protection à titre de réfugié, le ministre peut demander l'annulation de la décision rendue par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié parce qu'il y a eu représentation erronée ou qu'on a caché des faits importants.
Par conséquent, la loi nous accorde des moyens avant même qu'une décision finale soit rendue, et même après cela nous disposons encore d'outils nous permettant de la faire annuler.
Le sénateur Di Nino: Vous n'avez pas encore répondu à ma question sur les ressources.
Mme Atkinson: Je dirais que dans le budget 2000, Citoyenneté et Immigration a effectivement reçu d'importantes ressources, qui ont été utilisées à bon escient pour renforcer nos efforts de contrôle et qui serviront à constituer un système complet de gestion des cas grâce auquel nous pourrons intégrer toutes les bases de données disparates qui composent actuellement notre système, de façon à disposer d'une base de données unifiée que nous pourrons aussi mettre au service des autres.
Le sénateur Di Nino: Il y a aussi des risques d'abus du document d'identité. Je crois savoir que vous travaillez à unprojet de remplacement de celui qui existe aujourd'hui. Le gouvernement précédent s'était penché sur cette question il y a huit ans environ. Où en est-on aujourd'hui?
Mme Atkinson: Vous avez tout à fait raison de dire que le gouvernement vise à remplacer l'actuel visa d'immigrant et la fiche relative au droit d'établissement - qui peuvent être facilement falsifiés - par un document plus sûr. La carte de résident permanent est la grande priorité sur laquelle nous tâchons d'agir le plus rapidement possible. Le gouvernement a reconnu que le document actuel doit être remplacé pour renforcer l'intégrité de notre système. Nous avons l'intention d'agir aussi rapidement que possible.
Le sénateur Di Nino: Je ne suis pas nécessairement rassuré, et je vais poser deux autres questions.
Dans le projet de loi C-11 on impose une pénalité accrue aux passeurs. Je crois qu'on impose actuellement une amende de 500 000 $. Jusqu'à maintenant, combien de fois a-t-on imposé cette amende maximale?
Mme Atkinson: Nous ne pensons pas que cette amende maximale ait jamais été imposée.
Je pourrais peut-être ajouter, monsieur le président, que si l'on accroît ces sanctions dans la loi, c'est en partie pour signaler au judiciaire, il me semble, que nous estimons maintenant que le fait de faire passer des êtres humains en contrebande, le trafic d'êtres humains, se situe sur le même pied que le trafic de stupéfiants, car les nouvelles amendes correspondent à celles qu'on impose maintenant aux trafiquants de stupéfiants. Naturellement, si une personne est traduite en justice, c'est le juge qui décide de l'amende ou de la peine d'emprisonnement à imposer. Ce sera au système judiciaire d'en décider. L'inclusion de cette disposition dans la loi montre clairement que le Parlement prend ces délits très au sérieux.
Le sénateur Di Nino: Je n'ai plus qu'une question à poser, si vous le permettez. On travaille depuis peut-être 10 ans sur l'idée du tiers pays sûr. Où en sommes-nous à ce propos?
Mme Atkinson: Comme vous le savez certainement, le projet de loi C-11 contient des dispositions sur le tiers pays sûr. Une entente doit avoir été négociée avec le pays en question. Bien sûr, pour nous, les États-Unis sont le premier pays visé. S'il faut conclure une entente de tiers pays sûr, c'est le pays avec lequel nous voudrions la conclure, étant donné qu'un grand nombre de nos revendicateurs du statut de réfugié nous arrivent des États-Unis.
Ce dossier nous a donné du fil à retordre pour diverses raisons. Dans les 10 dernières années, le milieu politique aux États-Unis a évolué de telle sorte qu'il nous a été difficile de conclure avec eux une entente de tiers pays sûr. Peu de jours se sont écoulés depuis le 11 septembre en ce qui concerne cette question, mais c'est clairement énoncé dans la loi. Nous croyons effectivement que c'est un outil que nous souhaiterions avoir à notre disposition quand les circonstances le permettront et au moment opportun.
Le sénateur Fairbairn: En examinant au cours de la fin de semaine la pile de documents qu'on nous a remis, il m'est apparu, comme l'a dit le sénateur Di Nino dans ses questions, que nous voulions nous assurer d'avoir devant nous la mesure législative équilibrée que vous avez évoquée dans vos observations. Il convient de souligner que le projet de loi contient diverses dispositions qui - indépendamment de ce qui allait se produire le 11 septembre - nous confèrent des moyens supérieurs à ceux dont nous disposons aujourd'hui pour traiter de questions de sécurité, de renseignement et de terrorisme.
À propos de cette assurance, je sais que le gouvernement va y veiller, non seulement au cours de notre examen de ce projet de loi mais aussi en renforçant notre collaboration avec les États-Unis dans l'examen de cette question qui nous est soumise.
L'autre aspect de la question, pour nous qui examinons ce projet de loi, c'est de mieux nous assurer que les réfugiés et les immigrants légitimes, à qui nous ouvrons et avons toujours ouvert notre porte, se sente confiants à l'idée de se présenter à nos frontières. Je me demande si vous pourriez me rassurer en me disant que cette question n'a pas en quelque sorte été mise de côté en raison de l'urgence de la terrible tragédie qui s'est produite et que nous conservons dans cette mesure législative une attitude équitable et ouverte à l'endroit de ceux qui répondent aux critères d'admissibilité dans notre pays.
En subiront-ils un contrecoup ou continueront-ils de bénéficier de la même protection en vertu des dispositions et de la réglementation de mise en oeuvre du projet de loi C-11? Pouvez-vous nous en parler?
Mme Atkinson: Au cours des délibérations et des consultations concernant ce projet de loi, nous avons pris certaines mesures pour essayer de protéger les droits des résidents permanents. On a beaucoup craint, au début - quoique cela n'ait certainement pas été notre intention ni notre objectif - que le projet de loi ne protège pas assez clairement les droits des résidents permanents - des personnes qui sont venues au Canada, qui ont obtenu le statut des résidents permanent, mais qui n'ont pas encore acquis la citoyenneté canadienne.
Le projet de loi contient, par exemple, une définition claire de résident permanent qui les distingue des ressortissants étrangers du fait du statut spécial dont ils jouissent ici.
Deuxièmement, il contient des dispositions protégeant les droits des résidents permanents en matière d'arrestation et de détention parce que l'une des grandes différences entre un résident permanent et un citoyen, c'est que le résident permanent peut perdre son statut de résident permanent s'il ne réside pas effectivement au Canada, s'il n'est pas visé par l'une des exemptions ou s'il est jugé inadmissible pour des raisons liées à des délits graves, au terrorisme, à des crimes de guerre et ainsi de suite. En cas d'arrestation, une protection est accordée du fait qu'il faut obtenir un mandat avant de procéder à l'arrestation d'un résident permanent. Le résident permanent est protégé du fait qu'il n'est pas tenu de se soumettre à un examen si nous ne faisons qu'enquêter sur son inadmissibilité. Si un résident permanent présente une demande en vue de parrainer un membre de sa famille qui se trouve à l'étranger, il est tenu de répondre honnêtement à toutes les questions qui lui sont posées et de fournir toute la documentation demandée. Nous avons veillé à ce que tous ces droits sont clairement énoncés et protégés dans les changements qui sont apportés par le projet de loi C-11.
Les règlements fournissent beaucoup d'informations sur les critères d'admissibilité au Canada, et nous avons fourni un document intitulé «Explication des dispositions réglementaires proposées», qui contient de l'information détaillée sur notre projet de règlement. Vous y trouverez des informations détaillées sur les nouveaux critères de sélection des travailleurs qualifiés. On y trouve aussi de l'information sur la catégorie «regroupement familial», dont nous élargissons le sens dans le règlement. Le projet de loi reconnaît explicitement les composantes clés de la catégorie regroupement familial conjoint de fait, enfants et ainsi de suite pour témoigner clairement de la volonté du Parlement de faire en sorte que le programme d'immigration comporte non seulement une catégorie «immigration économique», une catégorie de personnes pouvant être admises pour des raisons humanitaires, une catégorie de réfugiés, mais aussi une catégorie «regroupement familial», qui demeurera un élément important du programme.
Les règles détaillées concernant les définitions de la catégorie «regroupement familial», notamment la définition de l'enfant à charge - qui auparavant devait avoir moins de 19 ans et doit maintenant en avoir moins de 22 - la reconnaissance des conjoints de fait, la catégorie de demandeur au Canada, la procédure à suivre dans le cas des époux et des conjoints de fait, les critères de parrainage, tout cela est exposé dans ce document et constituera la réglementation qui accompagnera le projet de loi C-11.
Pour ce qui est du système de détermination du statut de réfugié, le projet de loi contient des dispositions aux termes desquelles ceux qui constituent une menace sont traités rapidement et exclus du processus de détermination du statut de réfugié, et les trois jours ouvrables fait en sorte que les réfugiés authentiques ne soient pas retenus et soient renvoyés rapidement à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour qu'elle décide de leur revendication aussi efficacement que possible et accorde une protection aux personnes qui en ont besoin.
Le projet de loi dispose qu'une fois qu'une personne est considérée comme un réfugié ou comme une personne qui a besoin de protection, le gouvernement lui remettra une attestation de statut. C'est une nouvelle disposition qui vise à donner à ceux qui peuvent ne pas avoir les titres de voyage dont ils ont besoin pour se déplacer les attestations de statut qui leur permettront de présenter une demande pour obtenir des titres de voyage.
Au tout début du processus, des dispositions concernent ceux qui fuient des pays où ils ont pu faire l'objet de poursuites pénales et qui ont besoin de protection parce qu'ils ont été faussement accusés ou ont eu affaire à un système judiciaire aux ordres du gouvernement.
Le projet de loi contient une mesure préventive au tout début du processus pour établir l'admissibilité des demandeurs et elle nous oblige à suspendre notre décision et à demander au ministre s'il est d'avis que le requérant constitue un danger pour le public au Canada, dans le cas de ce très petit groupe de revendicateurs du statut de réfugié qui ont été reconnus coupables de délits criminels à l'étranger, avant que nous les déclarions inadmissibles. Ces individus ont droit à une audience relative à leur revendication du statut de réfugié à moins que le ministre juge qu'ils constituent un danger pour le public, compte tenu du fait que certains revendicateurs du statut de réfugiés qui se présentent à nos frontières peuvent avoir été condamnés au criminel à l'étranger. Toutefois, les circonstances de ces condamnations au criminel peuvent faire partie de leur demande de protection.
Nous pensons que le projet de loi C-11 et la réglementation qui l'accompagne respectent notre tradition d'accueil des immigrants et des réfugiés au Canada tout en nous fournissant les outils dont nous avons besoin pour garder à l'écart ceux qui ne devraient pas entrer ici.
Le sénateur Fairbairn: Pourriez-vous nous parler du pouvoir additionnel que ce projet de loi confère au Canada eu égard à la conclusion d'ententes avec des organismes internationaux, ce qui n'était pas le cas dans le passé? Ce projet de loi contient aussiun changement en ce qui concerne les relations entre le gouvernement fédéral et les provinces afin de rationaliser le processus avec l'aval des provinces, de maintenir la fonction de supervision du fédéral et de ne pas renoncer à nos responsabilités en tant qu'institution fédérale.
Mme Atkinson: Ce projet de loi nous permet de conclure des ententes avec des organismes comme le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, l'Organisation internationale pour les migrations, la Croix-Rouge internationale et d'autresorganisations humanitaires pour faciliter l'examen initial des réfugiés qui cherchent à se réétablir. Il nous donne aussi une certaine marge de manoeuvre dans les cas où nous souhaitons utiliser nos ressources pour nous concentrer sur les cas plus compliqués et pour permettre à ces organismes internationaux réputés de nous aider à procéder à l'examen initial des réfugiés qui cherchent à se réétablir. Il constitue pour nous un fondement législatif clair pour faire appel à ces organismes de façon à traiter plus efficacement les demandes à l'étranger.
Pour ce qui est de l'aspect fédéral-provincial, le projet de loi confirme la reconnaissance gouvernementale de la compétence partagée. En vertu de la loi constitutionnelle, l'immigration est un domaine de compétence partagée avec les provinces. Nous avons divers arrangements avec les provinces, selon les différentes sortes d'ententes que nous avons conclues individuellement avec celles-ci, à commencer par la province de Québec, qui a une entente très large avec le gouvernement fédéral, jusqu'aux provinces avec lesquelles nous avons des ententes de compréhension et de coopération mutuelles.
Nous avons conclu avec un nombre croissant de provinces des ententes qui permettent aux provinces de participer davantage à la sélection des demandeurs de la catégorie «immigration économique». C'est ce que nous appelons les ententes relatives aux candidats des provinces, elles leur permettent de proposer la candidature d'individus qu'elles souhaitent voir venir chez elles pour répondre à des besoins économiques particuliers.
Dans toutes ces ententes, le rôle que joue le gouvernement fédéral dans l'évaluation de ce que nous appelons les exigences réglementaires - c'est-à-dire la sécurité, la criminalité, le dossier médical et ainsi de suite - est toujours primordial. Le gouvernement fédéral conserve toujours le droit d'évaluer, de refuser ou de renvoyer au besoin des personnes qui ne sont pas admissibles au Canada pour l'un ou l'autre de ces motifs.
Les provinces souhaitent de plus en plus intervenir plus directement pour attirer des immigrants chez elles. Nous l'avons reconnu par la conclusion d'une série d'ententes. Le projet de loi C-11 reconnaît de façon plus explicite encore la consultation avec les provinces dans des domaines qui les intéressent directement et il contient une disposition selon laquelle le ministre doit consulter les provinces au moment d'établir les niveaux d'immigration et de décider de la répartition des immigrants qui viendront au Canada.
Le président: Avant de donner la parole au sénateur Andreychuk, j'aimerais vous demander ceci: connaissant la lenteur avec laquelle les textes juridiques sont rédigés à Ottawa, et plus particulièrement au ministère de la Justice, je suppose qu'on est déjà en train de rédiger les règlements.
Mme Atkinson: Il y a beaucoup de travail en cours. En ce moment même, le travail se poursuit, mais certains des principaux intervenants sont ici aujourd'hui.
Le président: J'aimerais avoir une idée de l'échéancier. Le projet de loi ne peut pas entrer en vigueur tant que les règlements ne sont pas terminés, naturellement. Quel échéancier prévoit-on pour terminer la rédaction des règlements? En supposant, par exemple, que le projet de loi soit adopté dans les six semaines qui viennent, combien de temps faudra-t-il pour mettre la dernière main aux règlements?
Je vous pose la question pour la raison suivante: le Parlement a terminé l'étude de la Loi canadienne sur les sociétés par action autour du 15 juin, mais tout le monde disait alors combien il importait que ce projet de loi soit adopté. Or, il n'est toujours pas en vigueur parce que la réglementation n'est pas prête. Je crois d'ailleurs savoir que son entrée en vigueur n'est pas pour demain. C'est pourquoi j'aimerais avoir une idée de l'échéancier nécessaire pour mettre la dernière main à ces règlements.
Mme Atkinson: Monsieur le président, il y a le processus législatif, le processus réglementaire puis la mise en 9uvre. La présente mesure législative a une incidence sur tous les aspects du système d'immigration au Canada aux points d'entrée et à l'étranger. Nous travaillons sur les trois fronts en même temps. Nous ne le faisons pas successivement, nous le faisons en parallèle.
On s'affaire à rédiger les règlements. En même temps, nous travaillons aussi à la planification de la mise en 9uvre. Nous espérons pouvoir terminer la réglementation pour prépublication avant la fin de l'année civile. Nous disposerons ainsi d'une période pour la prépublication et la consultation, le dépôt de la réglementation aux deux Chambres et l'examen de ceux-ci au début de la nouvelle année. La planification de la mise en 9uvre se poursuit pour que nous soyons prêts à présenter la mesure législative, la réglementation et tous les plans de mise en 9uvre.
Le président: Je vais résumer succinctement ce que vous avez dit. Vous avez dit que compte tenu du temps nécessaire à la rédaction des règlements, compte tenu de la période de prépublication, et comme il faut finalement que les règlements soient déposés devant les deux Chambres, vous envisagez - dans le meilleur des cas - qu'il faudra attendre au début de mars avant que le projet de loi puisse entrer en vigueur.
Mme Atkinson: Nous pensons à 2002. Pas avant le printemps.
Le président: Le 1er mars, c'est optimiste.
Mme Atkinson: Ce serait un défi.
Le sénateur Andreychuk: J'aimerais aborder la question qui a retenu l'attention de la presse et du public, à savoir comment ce projet de loi s'inscrit dans l'examen de cette question du terrorisme. Je pense que vous reconnaîtrez que ce n'est qu'un petit élément du tableau, et j'emploie le mot «petit» exprès. Il nous faut avoir une stratégie pour contrer le terrorisme.
Compte tenu de cela et de certaines des observations que vous faites au sujet de la circulation des personnes qui se rendent aux États-Unis et qui en viennent, est-ce que depuis le 11 septembre vous ou vos hauts fonctionnaires avez eu des discussions avec les responsables américains sur cette question?
Il ne s'agit pas, à mon avis, d'harmoniser les deux régimes, mais de reconnaître que les deux pays doivent envisager de nouvelles approches. Par exemple, une des choses mises en lumière récemment par ceux qui travaillent dans le domaine, c'est que quand cette circulation s'effectue dans les deux sens, nous continuons de suivre la piste de ce que nous perdons. De la même manière, aux États-Unis les amnisties font que de beaucoup de gens se retrouvent à l'intérieur des frontières nord-américaines.
Ce projet de loi a été conçu avant le 11 septembre et à la suite de certaines discussions avec les États=Unis, et il s'agissait de discussions continues. Il faut envisager non seulement l'harmonisation des deux systèmes existants ou la modification d'un des deux, mais nous devons aussi voir comment nous pouvons compléter et changer nos systèmes.
D'abord, j'aimerais savoir si en fait, ces discussions se sont poursuivies dans un contexte qui fait que nous travaillons encore à partir de ce que j'estime être une définition dépassée du terrorisme tant pour le SCRS, la GRC, que votre ministère.
Mme Atkinson: Pour ce qui est de la définition du «terrorisme», je ne peux probablement pas en dire grand-chose pour l'instant. Le premier ministre et la ministre de la Justice ont clairement dit que le gouvernement étudie actuellement tous les éléments de son programme de sécurité et de renseignement pour voir quelles mesures peuvent et doivent être prises à court, à moyen et à long terme. Ce travail se poursuit, mais je ne suis bien sûr pas en mesure de vous en parler.
Peut-être pourrais-je répondre à votre question en vous parlant un peu de nos rapports avec les États-Unis. Après la tragédie, nous sommes restés en contact constant avec nos homologues d'abord pour traiter des questions immédiates - les avions détournés vers le Canada, les individus qui constituaient ou non une menace - et nous traitions de ces questions avec nos homologues américains.
Dans les jours et les semaines qui ont suivi, nous nous sommes concentrés sur la sécurité aux frontières et avons veillé à maintenir un niveau d'alerte élevé, et nous sommes en contact très étroit avec les États-Unis et nous partageons de l'information et des renseignements. Toutefois, il faut dire que nos discussions ont porté et continueront de porter sur ce que nous pouvons faire collectivement pour éviter que n'entrent dans nos territoires respectifs des gens qui pourraient constituer un danger soit pour les États-Unis ou le Canada.
Nous avons un réseau considérable d'agents des visas à l'étranger. Dans ce réseau, nous avons des agents spécialisés appelés contrôleurs de l'immigration. Leur rôle est de travailler avec les sociétés aériennes et autres sociétés de transport pour essayer d'éviter que ces individus montent à bord des avions ou autres moyens de transport pour venir au Canada, s'ils n'ont pas les titres de voyage appropriés ou s'ils peuvent être jugés inadmissibles. Ils observent aussi les tendances et en font rapport, et ils recueillent des renseignements et les analysent. Ce réseau est un élément critique de notre stratégie qui vise à éviter que des gens arrivent au Canada, plutôt que d'avoir à s'en occuper à la frontière. Ce modèle a inspiré d'autres gouvernements - la Grande Bretagne, les Pays-Bas, l'Australie et les États-Unis. Nous avons participé à l'étranger avec les États-Unis à des activités d'interception pour essayer de cibler ces régions où l'on a des problèmes avec des gens qui n'ont pas les documents voulus qui essaient de monter à bord des avions à destination de l'Amérique du Nord.
À la suite des événements tragiques des États-Unis, ces efforts vont non seulement se poursuivre, mais ils se poursuivront avec une vigueur accrue. Nous reconnaissons que nous devons tâcher de partager les renseignements dont nous disposons lorsque nous traitons avec nos personnes-ressources à l'étranger pour empêcher certaines personnes de venir sur nos territoires respectifs.
Le sénateur Andreychuk: Une autre question sur les ressources. Comme j'ai travaillé dans une ambassade, j'ai été frappée, il y a 10 ou 15 ans, par l'insuffisance des ressources et de la formation, non seulement dans le cas des agents du SCRS, des agents de la GRC, des agents des visas et de tous ceux qui travaillaient dans le domaine de l'immigration. Depuis, la situation a nettement empiré.
En revenant sur un certain nombre de cas, on peut constater que ce dont on avait besoin, ce n'est pas d'une refonte de la loi, mais plutôt simplement de personnel bien formé et en nombre suffisant pour faire le travail qu'on exige déjà de lui.
Les ressources sont-elles suffisantes, et cela ne devrait-il pas être la grande priorité de ce gouvernement de veiller à ce que nous ayons suffisamment de personnel outre-mer et que les postes soient dotés de façon appropriée? Il s'agirait peut-être de recycler le personnel actuel ou de former un plus grand nombre de superviseurs chargés d'encadrer le personnel engagé sur place, étant donné que cela a été un problème constant en ce qui concerne les questions d'immigration dans nos ambassades, comme l'a constaté le Vérificateur général et ceux qui travaillent sur le terrain. On parle de problèmes alors qu'il semble toujours ne s'agir que de difficultés et c'est pourquoi il faut accroître les ressources plutôt que modifier la loi. Pourtant, voici que l'on veut changer la loi. Nous sommes loin de constater une augmentation importante des ressources pour permettre au système de fonctionner.
Mme Atkinson: Je ne vous dirai pas que nous n'aimerions pas avoir des ressources supplémentaires - cela va sans dire.
Comme je l'ai déjà indiqué, le gouvernement est en train d'examiner tout ce qu'il peut faire face à la situation actuelle dans le contexte de l'immigration ainsi que dans le cadre d'autres organismes. Je ne peux pas vous indiquer s'il y aura des ressources supplémentaires, mais de toute évidence c'est l'une des questions que le gouvernement examine.
Cependant, il est important de prévoir les outils, l'infrastructure et les systèmes appropriés dont se serviront ces ressources.
Nous avons en fait reçu des ressources importantes pour la mise sur pied de notre nouveau système mondial de gestion des cas. Il s'agit d'un projet de 200 millions de dollars sur cinq ans, et en dehors du projet «gouvernement en direct»; c'est le plus vaste projet gouvernemental de technologie de l'information. Il vise à nous doter d'une base de données intégrées ou d'un continuum au niveau de la clientèle de façon à ce que lorsque quelqu'un fait des démarches auprès de nous - qu'il s'agisse d'une personne qui présente une demande outre-mer, qui demande le statut de réfugié à un poste frontière ou qui présente une demande au Canada - nous ayons un dossier sur cette personne et que ce dossier soit disponible dans le système en tout temps. Nous devrions par conséquent avoir une base de données plus robuste que celle dont nous disposons à l'heure actuelle. S'il faut vérifier le nom ou les empreintes digitales d'une personne en se référant à notre base de données, on aura tous les renseignements disponibles sur cette personne en un seul endroit et au même moment. C'est un outil indispensable pour améliorer l'intégrité de notre système. Nous avons reçu des fonds importants pour bâtir ce système.
De plus, les changements proposés à la loi - le système de détermination du statut de réfugié, les critères de sélection des travailleurs qualifiés et la conception d'un système qui nous permettre de prendre des décisions plus rapidement en fonction de critères plus objectifs - nous aident à utiliser de façon plus rationnelle et efficace les ressources dont nous disposons à l'heure actuelle. Si nous recevons de nouvelles ressources, ce sera encore mieux.
Le sénateur Andreychuk: Ce qui me préoccupe, c'est notre responsabilité internationale envers les réfugiés. Je ne veux pas que nous nous trouvions à pervertir un système de sorte qu'un plus grand nombre de personnes soient en danger - des personnes que d'autres pays ont déjà mises en danger. J'ai été heureuse de vous entendre parler de certaines mesures prises pour tâcher d'éliminer le trafic des migrants, et je suis d'ailleurs au courant de certaines de ces mesures, qui visent à éviter de victimiser un plus grand nombre de ceux qui se trouvent pris dans de tels systèmes.
Quelle est la situation actuelle en ce qui concerne les apatrides? Si nous constatons que certaines personnes sont apatrides, et qu'il est impossible qu'elles retournent dans quelque pays que ce soit, quelles sont nos responsabilités? Quelle est la solution dont dispose le Canada envers ceux pour qui il est impossible de retourner dans leur pays d'origine ou dans un pays tiers par lequel ils sont passés? Quelle est la position et la responsabilité du Canada envers ces personnes si elles ne se conforment pas à certaines de nos règles? Je ne parle pas des terroristes en l'occurrence.
Mme Jennifer Lutfallah, conseillère principale, Droit d'asile, Direction générale du droit d'exil et des réfugiés, ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration: Si nous établissons qu'une personne est apatride, nous disposons d'un mécanisme en vertu de la loi actuelle sur l'immigration, et en vertu du projet de loi C-11, qui nous permet de conférer à cette personne le statut de résident permanent pour des raisons d'ordre humanitaire. Ce mécanisme continuera d'exister en vertu du projet de loi C-11.
Le président: En passant, comme nous l'avions espéré, M. Elcock fera partie du prochain groupe de témoins que nous entendrons, soit le groupe qui représente la GRC.
Le sénateur Beaudoin: J'ai deux brèves questions. Au début de vos remarques, vous avez dit que la protection que nous accordons aux réfugiés est la même que celle qui a été adoptée par certains autres pays - je crois que vous avez mentionné les gouvernements britannique, hollandais et australien. S'agit-il là des pays que vous aviez en tête lorsque vous avez dit que le principe de ce projet de loi est le même que celui qui a été adopté par d'autres pays?
Mme Atkinson: Je parlais du régime actuel qui est consacré dans le projet de loi C-11 et qui prévoit qu'un tribunal indépendant prenne les décisions concernant la détermination du statut de réfugié. La situation n'est pas tout à fait la même que dans les autres pays car chaque pays a sa propre façon de traiter ces revendications. Les pays que vous avez mentionnés sont tous signataires de la Convention et prévoient, dans leur système de détermination du statut de réfugié, des systèmes semblables de freins et de contre-poids. Il peut s'agir de droits d'appel auprès de décideurs indépendants chargés d'examiner le bien-fondé de chaque cas ou d'une procédure par laquelle les revendicateurs du statut de réfugié peuvent avoir accès aux tribunaux pour faire réviser leur dossier. La notion d'application régulière de la loi à l'intention des réfugiés est une notion appuyée par beaucoup d'autres pays.
Le sénateur Beaudoin: En particulier, la Grande-Bretagne?
Mme Atkinson: Oui. C'est une notion que partagent également la France, les États-Unis et l'Australie. Ces pays veillent à ce que les revendicateurs du statut de réfugié ou les demandeurs d'asile bénéficient de l'application régulière de la loi.
Le sénateur Beaudoin: L'application régulière de la loi est une question extrêmement importante.
Vous avez dit que l'immigration est un domaine de compétence commune à prédominance fédérale selon notre Constitution, mais que vous consulterez les provinces. Vous avez également indiqué que vous avez une convention avec le Québec. À ma connaissance, cela fonctionne bien; cette convention existe depuis une vingtaine d'années. Elle est renouvelée tous les trois ans, d'après ce que je crois savoir. Est-ce ce à quoi vous faisiez allusion?
Mme Atkinson: Il s'agit à l'heure actuelle de l'Accord Canada-Québec. Je ne suis pas sûre de la date à laquelle cet accord a été signé, mais il existe depuis un certain nombre d'années, sénateur Beaudoin.
Le sénateur Stollery: Il a été signé aux environs de 1977.
Mme Atkinson: Il s'agit d'une entente permanente qui ne fait pas l'objet d'un renouvellement.
Le sénateur Beaudoin: Je vois. Dans quelle mesure cette convention traite-t-elle de l'application régulière de la loi? S'agit-il d'une nouvelle convention ou de la conventionprécédente qui existe depuis une vingtaine d'années?
Mme Atkinson: Cet accord est fondé sur les ententes que nous avions conclues les années précédentes. Il décrit clairement la responsabilité du gouvernement du Québec pour ce qui est de choisir les immigrants économiques et les immigrants de la catégorie familiale qui viendront s'installer dans la province. Il indique que le système de détermination du statut de réfugié et que les questions d'application de la loi relèvent clairement de la compétence du gouvernement fédéral.
L'accord énonce les rôles, responsabilités et pouvoirs respectifs des deux paliers de gouvernement. Il repose sur des accords précédents mais précise plus clairement en quoi consistent ces responsabilités.
Le sénateur Beaudoin: A-t-on pris en compte la catastrophe du 11 septembre dans les conventions conclues avec les provinces?
Mme Atkinson: Les ententes avec les provinces portent surtout sur la sélection des immigrants de la composante économique provenant d'outre-mer. Les éléments ayant trait à leur admissibilité pour des raisons de sécurité, de criminalité et autres continuent de relever de la responsabilité du gouvernement fédéral. Toutes les ententes sont claires à cet égard, mais elles mettent surtout l'accent sur la sélection des travailleurs qualifiés et des gens d'affaires immigrants plutôt que sur les aspects de sécurité étant donné que cela relève clairement de la responsabilité du gouvernement fédéral.
Le sénateur Beaudoin: Je n'ai aucun doute à ce sujet.
Mme Atkinson: La loi définit aussi clairement la responsabilité du gouvernement fédéral. Les dispositions législatives précisent clairement la responsabilité du gouvernement fédéral sur ces questions.
Le sénateur LeBreton: J'ai une question concernant les ressources, surtout les ressources au point d'entrée où ces personnes présentent leur demande la première fois. Je songe davantage aux personnes présentes dans nos missions à l'étranger. Vous avez dit qu'il s'agissait d'agents de contrôle de l'immigration.
En réponse à une question du sénateur Fairbairn, vous avez parlé de contrôle sécuritaire au point d'entrée et du traitement des véritables réfugiés. Vous avez parlé des agents des Nations Unies et de la Croix rouge. J'aimerais savoir si ces agents d'immigration aux points d'entrée ont accès aux données d'Interpol, du SCRS et de la CIA. Je suppose que ces personnes ne sont pas présentes dans chaque mission à l'étranger. Mais le personnel des missions à l'étranger a-t-il accès à ce genre d'information pour évaluer les personnes qui se présentent?
Comme vous l'avez indiqué, souvent ceux qui cherchent à entrer au Canada à des fins illégales n'annoncent pas qu'ils sont des terroristes en puissance ni qu'ils utilisent des pièces d'identité qui ne sont pas les leurs. Avons-nous un système suffisamment perfectionné et un questionnaire établi d'une façon telle, qu'avec l'aide d'autres ministères, nous soyons en mesure de détecter presque immédiatement ces gens-là avant qu'ils ne remplissent le dernier formulaire?
Mme Atkinson: À l'étranger, nous collaborons très étroitement avec le SCRS, qui est notre principal partenaire pour les questions qui traitent de la sécurité. Les bureaux des visas outre-mer procèdent à une vérification de tous ceux qui présentent une demande d'immigration. Chaque demande d'immigration et chaque demande de visa fait l'objet d'une vérification à l'aide de notre base de données, qui renferme les renseignements que nous recueillons outre-mer et les renseignements qui se trouvent dans notre base de données intérieure, notre «liste de signalements». À l'étranger, on vérifie chaque demande en se référant à notre liste des signalements.
Certaines catégories de visiteurs qui présentent certaines caractéristiques font l'objet d'une vérification supplémentaire en collaboration avec le SCRS. Une évaluation plus approfondie des antécédents est effectué, au besoin, avec l'aide du SCRS.
Dans le cadre d'une demande d'immigration, nous avons habituellement plus de temps parce que les gens présentent leur demande et suivent un processus qui nous permet de vérifier leurs documents, d'évaluer s'ils sont authentiques, d'évaluer leurs antécédents, où ils ont vécu et les organisations dont ils ont fait partie, et ainsi de suite. Nous sommes en mesure de recueillir cette information et de déterminer, en collaboration avec nos partenaires, si ces personnes représentent une menace pour nous.
Les visiteurs, comme tout autre demandeur, font l'objet d'une vérification à l'aide de notre liste de signalements. Pour certaines catégories de visiteurs, des démarches supplémentaires sont prévues avec le SCRS.
Le sénateur Stollery: J'ai participé à l'élaboration du livre vert portant sur la Loi sur l'immigration en 1976 et j'ai aussi présidé le Comité sur la main-d'oeuvre et l'immigration. Cette conversation est un peu comme un rêve car c'est un sujet dont nous avons débattu à maintes reprises au cours des années 70.
Nous comprenions très clairement la différence entre immigrants et réfugiés lorsque nous avons préparé la Loi sur l'immigration. L'opinion était unanime à ce sujet. Nous avions une politique pour les immigrants fondée sur les possibilités d'emploi au Canada. La question des réfugiés est souvent d'ordre politique. L'opinion publique oblige le gouvernement à accepter un millier de réfugiés, par exemple, de l'Ouganda, du Vietnam, de la Somalie ou de l'Albanie.
Je ne constate pas cette distinction claire entre immigrants et réfugiés dans ce projet de loi. Je l'ai bien examiné. C'est ma première observation.
Deuxièmement, nous savons tous que les États-Unis comptent six millions d'immigrants clandestins. La politique d'immigration des États-Unis a fait l'objet de malversations pendant de nombreuses années en raison des intérêts agricoles de la Californie par exemple. Il est également possible d'entrer à pied aux États-Unis, ce qui est impossible au Canada.
Lorsque l'on discute d'une politique unifiée avec les Américains, est-ce que l'on songe à protéger les Canadiens du nombre énorme d'immigrants clandestins qui se trouvent aux États-Unis?
Mme Atkinson: J'aborderai d'abord la question des immigrants et des réfugiés. Le projet de loi reconnaît dès le départ qu'il existe des différences entre les immigrants et les réfugiés. Il énonce deux séries distinctes d'objectifs. Une série d'objectifs traite des immigrants et une autre des réfugiés, ce qui tient compte du fait que la situation est souvent très différente lorsqu'il s'agit de s'occuper des réfugiés. Le principal objectif, lorsque nous nous occupons de véritables réfugiés, est de leur offrir une protection et dans bien des cas de leur sauver la vie. Il s'agit d'une série distincte d'objectifs qui indiquent clairement que nous considérons de façon différente les immigrants et les réfugiés.
Le sénateur Stollery: Ce ne sont pas des immigrants; ce sont des réfugiés.
Mme Atkinson: Ils n'en deviennent pas moins des résidents permanents.
Le sénateur Stollery: Je comprends. Cependant, ce ne sont pas des immigrants. Ce sont des réfugiés.
Mme Atkinson: Ils arrivent en tant que réfugiés; c'est exact.
Vous avez également posé une question à propos des programmes de réinstallation des réfugiés outre-mer, et vous avez donné certains exemples comme le gouvernement qui décide d'accepter un millier de réfugiés d'une région particulière du monde. Comme vous l'avez indiqué, nous avons une longue tradition d'accueil des réfugiés, qu'ils soient du Vietnam ou Kosovo.
Nous traiterons ce genre de situation principalement à l'aide des règlements, comme à l'heure actuelle.
Le sénateur Stollery: Il s'agit d'une décision du Cabinet, et non d'une question réglementaire. Le Cabinet décide qu'en raison des pressions de l'opinion publique, nous accepterons un certain nombre de personnes d'un pays donné, puis le règlement s'applique.
Mme Atkinson: C'est exact.
Le sénateur Stollery: Il s'agirait d'une décision politique.
Mme Atkinson: C'est exact, comme dans le cas du Kosovo, l'un de nos exemples le plus récent: le gouvernement a décidé qu'il accepterait un nombre important de ressortissants du Kosovo, compte tenu de la crise humanitaire qui sévit dans cette région du monde. Cela se poursuivra à l'avenir.
Le projet de loi et le règlement prévoient des dispositions législatives et réglementaires qui nous permettent de le faire.
Votre troisième question concernait les États-Unis.
Le sénateur Stollery: Et les six millions d'immigrants clandestins qui s'y trouvent.
Mme Atkinson: Lorsque nous parlons de notre relation avec les États-Unis et que nous parlons de travailler ensemble, nous ne parlons pas d'avoir les mêmes lois. Il y aura toujours des différences entre les lois canadiennes et américaines en matière d'immigration.
Nous parlons de partager nos renseignements, de travailler plus intelligemment ensemble et de collaborer pour être en mesure de détecter les menaces et les risques avant qu'ils ne se produisent dans nos régions respectives, et de pouvoir nous occuper de certaines personnes lorsqu'elles arrivent dans nos régions respectives. Nous ne parlons pas d'une harmonisation complète de nos lois. Ce n'est clairement pas l'orientation de notre relation avec les États-Unis.
Le sénateur Stollery: Les 18 ou 19 résidents autorisés des États-Unis qui ont fait sauter le World Trade Center n'auraient pas réussi à entrer au Canada en vertu du genre de règlement que vous envisagez?
Mme Atkinson: Je ne veux pas faire de promesse. De toute évidence, nos mécanismes de sélection à l'étranger visent à détecter les personnes susceptibles de commettre des actes d'une telle atrocité. Nous veillerons à nous doter des mécanismes de contrôle et de sélection appropriés à l'étranger pour déceler ce type de personne.
Le président: Madame Atkinson, nous tenons à vous remercier, ainsi que vos collaborateurs, de votre participation. Nous vous en sommes reconnaissants. Je crois que certains de vos collaborateurs resteront dans la salle au cas où l'on aurait besoin d'explications de pratiques.
Mme Atkinson: Oui.
Le président: Chers collègues, notre prochain groupe se compose de deux représentants de la Gendarmerie royale du Canada, M. William Lenton et M. Ray Lang. Ils sont accompagnés, suite à la demande générale du comité, de M. Ward Elcock, directeur du Service canadien du renseignement de sécurité.
Messieurs, je vous remercie d'être des nôtres.
M. William Lenton, sous-commissaire, Gendarmerie royale du Canada: Honorables sénateurs, je tiens à vous remercier de nous offrir l'occasion de traiter de cette question cet après-midi. Je voudrais vous présenter le surintendant Ray Lang, qui est l'agent responsable du programme de l'immigration à la GRC. Il sera en mesure de répondre à vos questions d'ordre technique.
Je tiens à préciser dès le départ que la GRC est responsable de la répression criminelle en ce qui concerne des questions émanant de Citoyenneté et Immigration Canada. Nous entretenons de très bonnes relations de travail avec le ministère.
Selon les Nations Unies, il existe à l'heure actuelle dans le monde entre 20 et 40 millions d'immigrants sans papiers. Il est également clair que l'Amérique du Nord est la destination de choix pour ces personnes. En raison de l'évolution de la technologie, il est très difficile pour des organismes d'exécution de la loi comme le nôtre d'établir l'authenticité des personnes qui arrivent au Canada. Ce problème se trouve exacerbé par le fait qu'un grand nombre de pays d'où proviennent ces personnes sont déchirés par la guerre ou ne possèdent pas le genre de système de classement documentaire auquel nous sommes habitués maintenant ici au Canada.
Il ne faut pas négliger les répercussions importantes de ce genre de situation sur la société canadienne. Il est très coûteux de traiter les demandes des personnes qui arrivent au Canada, d'intégrer ces personnes, de les renvoyer dans leur pays lorsqu'elles ne sont pas autorisées à rester au Canada, et de faire des enquêtes et d'intenter des poursuites au besoin.
Nous avons constaté récemment que la participation de l'élément criminel au trafic d'êtres humains s'est nettement intensifiée. Nous sommes de plus en plus préoccupés par le risque de blessures ou de mort que courent les migrants eux-mêmes, dont certains diraient qu'ils sont victimisés par le processus. Nous sommes également préoccupés par le nombre d'agressions physiques et sexuelles, le travail forcé à long terme, l'extorsion et le genre d'activités auxquelles se livrent les groupes qui font entrer ces personnes.
La traite des femmes et des enfants est particulièrement inquiétants. D'après le bureau des Nations Unies pour le contrôle des drogues et du crime organisé, les trafiquants d'êtres humains réalisent des bénéfices annuels d'environ 7 milliards de dollars par année grâce à la prostitution seulement. Cela fait partie d'une industrie plus vaste qui réalise un chiffre d'affaires d'environ 30 milliards de dollars en commettant des infractions aux lois sur l'immigration.
Notre mandat au sein de la GRC en ce qui concerne les questions d'immigration comporte trois volets. Nous travaillons en collaboration avec les organismes nationaux et étrangers à tous les paliers, ainsi qu'avec la collectivité en général, afin de protéger et d'améliorer la qualité de vie grâce à l'éducation, à la prévention et l'application de la loi.
Nous avons trois priorités nationales. Il s'agit tout d'abord de combattre et de démanteler les organisations criminelles qui facilitent l'entrée illégale de migrants au Canada; deuxièmement, d'enquêter sur les facilitateurs d'immigration professionnels sans scrupule qui aident et encouragent l'entrée illégale de migrants au Canada et troisièmement, d'obtenir et de partager en temps opportun les renseignements destinés à améliorer la stratégie nationale que je viens d'énoncer.
Nous estimons que le projet de loi nous permettra de mieux lutter contre le problème de migration attribuable au crime organisé et ses liens avec le terrorisme, comme viennent de le souligner les événements récents.
Les aspects qui nous intéressent en particulier comprennent l'introduction de peines plus sévères pour les organisations criminelles reconnues coupables de faciliter l'entrée de migrants au Canada. Le projet de loi comprend une définition d'organisation criminelle semblable à celle prévue par le Code criminel mais qui est relativement plus générale, ce qui nous aide dans le contexte particulier des dossiers d'immigration. Le projet de loi établit de nouvelles infractions concernant l'usage abusif de documents de voyage. Nous considérons extrêmement important que les dispositions relatives au produit de la criminalité s'appliquent désormais aux infractions en matière d'immigration.
Nous sommes toujours heureux de recevoir de nouveaux outils pour combattre plus efficacement le crime organisé. Nous attendons avec impatience l'adoption de ce projet de loi car nous estimons qu'il nous permettra de mieux travailler en collaboration avec Citoyenneté et Immigration Canada et nos autres partenaires fédéraux en matière d'application de la loi dans la lutte contre les problèmes d'immigration.
Nous reconnaissons qu'il est essentiel d'assurer le niveau de coopération voulu pour combattre ce crime à l'échelle mondiale et nationale.
En conclusion, nous appuyons l'intention de la nouvelle loi. Nous espérons disposer de nouveaux outils qui nous permettrons de mieux assurer la sécurité des Canadiens et l'intégrité de notre système d'immigration.
Le sénateur Andreychuk: Vous pourriez peut-être commenter l'attribution des ressources, compte tenu du fait que le public et le gouvernement s'attendent à des efforts accrus en matière de répression criminelle, étant donné que ce type de crime est en train de devenir de plus en plus transnational. Estimez-vous avoir les ressources voulues outre-mer et au Canada pour faire ce repérage? Je sais que vous avez des agents outre-mer, mais ils doivent s'occuper de nombreux pays. Quelle est l'efficacité des outils dont nous disposons? Quelle est votre rapidité d'intervention lorsque vous devez déplacer vos ressources d'un pays à l'autre et que vous devez recueillir de l'information? Autrefois, on pouvait trouver une personne, un pays puis faire une analyse. Les gens aujourd'hui se déplacent très rapidement, surtout l'élément criminel. Par conséquent, il faut donc accroître considérablement la collecte de renseignements.
Avez-vous constaté une coopération accrue parmi vos membres, et avec le SCRS et d'autres organismes dans le monde?
M. Lenton: En ce qui concerne l'attribution des ressources, à l'heure actuelle nous avons 32 agents de liaison postés à une vingtaine d'endroits dans le monde. Comme vous l'avez indiqué, nous n'avons pas beaucoup de marge dans l'emploi de nos ressources. Dans bien des pays, il n'y aucune représentation. Nous ne pouvons visiter certains pays que périodiquement.
Nous compensons en établissant des relations de travail avec les corps policiers de ces pays, là où cela est possible et lorsqu'ils ont des mécanismes qui leur permettent de faire des enquêtes. Bien entendu, cela prend du temps. Cela prend plus de temps, que si nous pouvions déployer plus d'agents. Il faut entretenir ces relations. Nous devons travailler en collaboration avec eux, ce qui est difficile lorsque l'agent de liaison n'a l'occasion d'aller sur place qu'une ou deux fois par année.
Si nous voulons étendre notre niveau de protection à un périmètre externe du Canada, c'est-à-dire assurer une surveillance interne à partir de l'extérieur, alors il faudra déployer plus de ressources dans les pays étrangers. Cependant, un tel déploiement ne peut pas être effectué rapidement. Il faut, pour ce faire, que de nombreux mécanismes soient en place.
En ce qui concerne la coopération, vous avez mentionné en particulier le SCRS. Il ne faut pas non plus oublier que le SCRS a des agents à l'étranger. Lorsque cela est possible, de toute évidence nous coopérons et nous travaillons ensemble. Cependant, ce n'est pas toujours tout à fait possible parce que certains aspects de notre mandat diffèrent. Dans la mesure où nous pouvons travailler en collaboration tout en respectant nos mandats respectifs, nous le faisons dans toute la mesure du possible.
Le sénateur Di Nino: Est-il juste de dire que les Canadiens sont inquiets pour ne pas dire carrément terrifiés, après les événements du 11 septembre 2001? Je vais donc tacher de mettre l'accent dans mes questions sur la capacité du SCRS, de la GRC et d'autres corps policiers de rassurer jusqu'à un certain point les Canadiens - sinon de leur donner des garanties - à propos du travail que nous faisons pour protéger nos frontières contre de futurs Ben Laden ou ses disciples.
À votre avis, les dispositions du projet de loi C-11 accordent-elles suffisamment de pouvoir au SCRS et à la GRC pour leur permettre de faire leur travail?
M. Lenton: Si vous parlez à ceux qui sont chargés d'exercer certains pouvoirs, vous constaterez qu'ils en veulent toujours plus, pour rendre leur travail plus facile, direct, rapide et efficace. Je crois que ce serait utile. Ce n'est pas l'unique texte de loi qui modifiera la façon dont nous travaillons. Il y a d'autres projets de loi qui sont à l'étude à l'heure actuelle. Il y a des initiatives qui étaient en cours avant les événements du 11 septembre. J'imagine que l'ordre de présentation changera quelque peu.
Notre capacité à cet égard dépend de notre capacité à recueillir et partager des renseignements pour tâcher de prévoir certains événements puis de déployer les ressources disponibles pour éviter ou contrer l'événement.
Y a-t-il d'autres dispositions? À première vue et à la lumière des conséquences du 11 septembre, je ne suis pas sûr qu'il y ait des dispositions particulières qu'il aurait fallu inclure dans le projet de loi pour répondre à nos besoins. Comme je l'ai dit dans mon exposé, plus nous avons d'outils plus il nous est facile de faire notre travail. Il est très difficile de prévoir tous les outils nécessaires dans une mesure législative.
M. Ward Elcock, directeur, Service canadien du renseignement de sécurité: Il ne fait aucun doute, monsieur le président, que le projet de loi constitue certainement une amélioration. Comme l'a indiqué M. Lenton, il est toujours possible de penser à d'autres améliorations qui pourraient être utiles. Au bout du compte, cependant, toute mesure législative est le fruit des efforts pour équilibrer des intérêts divergents. En l'occurrence, le gouvernement a mis dans la balance un certain nombre d'intérêts et en est arrivé à une solution. Les dispositions contenues dans le projet de loi seront certainement utiles.
Le sénateur Di Nino: En 1998, le SCRS a, je crois, mis le gouvernement du Canada en garde contre d'éventuelles menaces terroristes dirigées contre notre pays. Si cette affirmation est exacte, pensez-vous que ces menaces existent toujours? Se trouvent-elles atténuées d'une manière ou d'une autre par le projet de loi C-11?
M. Elcock: Je ne sais pas exactement à quoi vous faites allusion, sénateur, quand vous parlez de mises en garde. Nous avons signalé dans des rapports publics que le Canada est un pays d'immigrants et que certains de ces immigrants viennent de pays où il y a des conflits. Il y a parmi eux un petit nombre de personnes qui tentent d'amener ces conflits ici. Cela pose inévitablement un risque pour notre pays. Il arrive que des représentants de ces pays cherchent à poursuivre ou à faire avancer leur combat dans cette partie-là du monde ou à amener leur combat ici. Il y a toujours des risques.
Je crois que vous vous êtes fondé sur des documents publics, sur des rapports annuels du SCRS et d'autres documents semblables. Nous avons fait allusion à ces risques. Le monde dans lequel nous vivons n'est pas parfait. Est-il toujours possible qu'il y ait des risques? Oui.
Le sénateur Di Nino: Le sénateur Andreychuk a évoqué la question des ressources, qui sont sans doute le principal outil dont vous avez besoin. Y a-t-il autre chose qui devrait se retrouver dans le projet de loi pour vous aider à vous acquitter de votre mandat? Ainsi, je suppose qu'il serait très difficile d'effectuer une enquête de sécurité sur certaines personnes qui arrivent ici à partir de pays où l'état de droit n'existe pas ou présente de graves lacunes.
Que pouvez-vous nous dire à ce sujet? Pensez-vous notamment qu'il y aurait d'autres outils ou d'autres ressources, à part de l'argent, que nous pourrions vous fournir pour vous aider à faire votre travail?
M. Elcock: L'argent, c'est toujours utile, sénateur. Quant à de ce qu'il nous faudrait pour accomplir cette tâche en particulier, il n'y a pas grand-chose de plus qu'on pourrait nous fournir dans le contexte actuel. Notre capacité à identifier les nouveaux arrivants - qui parfois n'ont pas de papiers d'identité ou arrivent avec de faux papiers - dépend de notre capacité à recueillir des informations, à faire des échanges d'information avec d'autres et, dans certains cas, à en venir après un certain temps à se faire une idée exacte de la personne au sujet de laquelle nous avions très peu d'éléments d'information au départ. Après un certain nombre de mois, ou peut-être après une période plus longue dans des cas plus inhabituels, nous arrivons toutefois à déterminer l'identité de la personne et ses relations. Il arrive parfois qu'il nous faille simplement un peu de temps pour réaliser notre enquête.
Le sénateur Di Nino: On avait aussi signalé l'incompatibilité du matériel, notamment des ordinateurs, qui vous empêche d'échanger des informations avec d'autres organismes nationaux ou internationaux. Cela aussi, c'est tiré d'un de vos rapports. Est-ce simplement une question de ressources ou y a-t-il, comme d'aucuns le laissent entendre, à tort ou à raison, un élément de concurrence entre les divers organismes?
M. Elcock: Je ne peux penser à aucun cas qui s'explique par la concurrence qui existe entre les organismes. Nous avons des réserves sur le plan de la sécurité. Nous n'avons pas de liens avec d'autres systèmes à cause tout simplement de considérations liées à la sécurité. Nous avons toutefois des liaisons de données étanches avec d'autres structures, notamment avec le gouvernement du Canada et d'autres organismes à l'étranger, qui permettent la transmission d'information.
L'incompatibilité s'explique en grande partie par les différences de matériel. Le matériel varie d'un pays à l'autre parce que les fabricants ne sont pas les mêmes ou parce que le gouvernement souhaite acheter tel type de matériel plutôt qu'un autre. Le manque d'uniformité rend parfois les liaisons difficiles.
Le sénateur Di Nino: En est-il ainsi au Canada aussi?
M. Elcock: Je ne crois pas. Ces dernières années, on s'est employé à renforcer les communications entre ministères pour que les informations puissent passer d'un organisme à l'autre même en l'absence de liens directs avec tel ou tel organisme.
Le sénateur LeBreton: Quelles sont les considérations liées à la sécurité qui excluraient les échanges d'information?
M. Elcock: Je n'ai pas invoqué les considérations liées à la sécurité pour expliquer l'absence d'échange d'information, mais bien l'absence de liaisons de données permettant d'accéder directement à notre base de données. Nous avons une base de données énorme qui contient des renseignements sur bien des gens, y compris sur beaucoup de Canadiens. S'il existait des liaisons donnant accès à ce système, nous ne pourrions pas en garantir la sécurité ni, par conséquent, en contrôler l'accès de manière à nous assurer que seules les personnes autorisées puissent accéder à l'information et ne s'en servi qu'à des fins autorisées par la loi.
Le sénateur LeBreton: Y a-t-il un recours pour les circonstances exceptionnelles? Vous ne détenez pas beaucoup de renseignements personnels sur les gens qui empiètent sur leur vie privée, mais y a-t-il une façon d'assurer la transmission de l'information quand vous êtes manifestement sur la trace de quelqu'un qui a une intention criminelle?
M. Elcock: Nous n'avons pas de liaison donnant un accès direct à notre système, mais nous avons des liaisons avec d'autres systèmes au Canada et d'autres ministères du gouvernement qui nous permettent de faire une recherche dans notre base de données en réponse à une demande qui nous serait adressée directement. Au lieu d'offrir une liaison directe avec notre système, nous prévoyons un entrefer entre les deux systèmes, si bien que nous devons faire le transfert physique à notre système pour trouver les liens et les informations que recherche l'autre organisme. Cette façon de faire ne crée pas de problème, mais elle est nécessaire pour assurer la sécurité. Malgré les progrès de l'informatique, les ordinateurs ne permettent toujours pas d'assurer le degré de sécurité souhaitable pour certaines bases de données.
Le président: Votre système informatique est-il relié, par exemple, à celui du FBI ou de la CIA?
Des voix: Non. Nous avons une connexion qui nous permet de transmettre des données au FBI et d'en recevoir, mais nos systèmes de données internes ne sont pas reliés, et il en va de même pour la CIA.
Le président: On peut donc dire en quelque sorte qu'il y a un entrefer entre vos systèmes tout comme il y en a entre votre base de données et les systèmes de divers organismes canadiens.
M. Elcock: Oui, c'est ainsi que notre base de données est conçue.
Le sénateur Di Nino: En 1994, le ministre Marchi avait indiqué que le gouvernement accordait la priorité au renvoi d'éléments criminels. Je crois savoir qu'il y a environ 27 000 personnes dont on a ordonné le renvoi et qui traînent toujours chez nous. Je me demande si la GRC ou le SCRS auraient quelque chose à dire à ce sujet. Pourquoi ces 27 000 personnes dont on a ordonné le renvoi sont-elles toujours chez nous?
M. Lenton: Le système est ainsi fait que la personne qui fait l'objet d'un ordre de renvoi dispose de 30 jours pour quitter le pays. Si elle ne quitte pas le pays ou ne signale pas son départ dans les 30 jours, un mandat est déposé contre elle qui figure ensuite sur le système.
Il n'est pas sûr que ces personnes soient toujours au Canada. Il se peut qu'elles soient parties et qu'elles aient tout simplement négligé de signaler leur départ. Il se peut qu'elles soient parties dans les 30 jours. Il se peut qu'elles soient restées 45 jours et qu'elles n'aient pas voulu ensuite signaler leur départ de peur de s'exposer à un risque quelconque. On ne peut pas conclure que, parce qu'il y a 27 000 noms qui figurent sur le système, ces 27 000 personnes sont toujours en territoire canadien.
Nous travaillons en collaboration avec CIC pour tenter de repérer celles qui présentent un risque élevé, après quoi nous déployons des efforts soutenus pour les retrouver et les renvoyer. Pour ce qui est des autres, tout dépend de notre charge de travail et des ressources dont nous disposons.
Le président: Examinons la situation du point de vue d'un profane. Supposons qu'une personne ait fait l'objet d'un ordre de renvoi. Si l'on a pu lui signifier son expulsion, c'est vraisemblablement parce qu'elle était sous détention ou qu'elle se trouvait en tous cas dans un endroit connu puisqu'il fallait lui remettre l'ordre en mains propres. Je suppose que l'ordre vient d'un tribunal administratif ou judiciaire, n'est-ce pas?
M. Lenton: Oui, c'est la Commission de l'immigration et du statut de réfugié qui prend la décision.
Le président: La personne reçoit-elle alors l'ordre de quitter le pays parce qu'elle est considérée comme un risque pour la sécurité?
M. Lenton: Elle n'est pas nécessairement considérée comme un risque pour la sécurité. Une décision doit être prise en ce sens. Cette décision est prise par la commission d'examen.
Le président: Je ne dis pas que les 27 000 personnes présentent toutes un risque pour la sécurité, mais bien que c'est le cas de certaines d'entre elles.
M. Lenton: C'est exact, monsieur.
Le président: Peu importe les motifs de la décision ordonnant son renvoi, la personne n'est toutefois pas mise sous détention. Ce qui me laisse perplexe, en tant que profane, c'est que, si l'on décide d'émettre un ordre de renvoi contre une personne parce qu'elle est considérée comme un risque pour la sécurité, on lui permette de se déplacer comme elle veut si bien qu'on n'arrive plus à la retrouver. Je ne comprends pas que ces personnes dont on considère qu'elles présentent un risque pour la sécurité ne soient pas tout simplement détenues jusqu'au moment où elles doivent quitter le pays.
Monsieur Elcock, avez-vous quelque chose à dire à ce sujet?
M. Elcock: La Loi sur l'immigration prévoit déjà une disposition, l'article 40.1, qui permet de renvoyer toute personne considérée comme un risque pour la sécurité. Elle s'applique aussi à d'autres, mais elle est le plus souvent invoquée dans le cas de ceux dont on considère qu'ils présentent un risque pour la sécurité. La disposition en question prévoit la possibilité d'arrêter la personne et de la détenir; il y a un certain nombre de personnes qui sont sous détention dans des prisons canadiennes à l'heure où nous nous parlons. Avant d'être arrêtée, la personne peut être détenue le temps qu'il faut pour que son cas soit entendu et qu'on en arrive au bout du compte à ordonner son renvoi du Canada.
Il est arrivé qu'on ne renvoie pas la personne parce qu'on ne pouvait l'envoyer nulle part. C'est peut-être parce qu'on a jugé qu'on ne pouvait pas la renvoyer dans son pays d'origine parce qu'elle était susceptible d'y être torturée ou exécutée. C'est notamment le cas d'une personne dont la cause est devant la Cour suprême. Dans d'autres cas, c'est que le pays d'origine refuse tout simplement de réadmettre la personne.
Le président: La personne resterait-elle alors en prison?
M. Elcock: Il n'est pas encore arrivé en fait que nous n'ayons nulle part où envoyer la personne, mais c'est tout de même une possibilité.
Dans d'autres cas, il s'agit d'une personne qui demande le statut de réfugié et dont la demande est rejetée. Prenons le cas d'Ahmed Ressam. On avait ordonné son renvoi du Canada, mais parce que le pays où il devait être renvoyé était l'Algérie et qu'on a décidé qu'on ne pouvait pas le renvoyer en Algérie, on l'a remis en liberté. C'est une décision qui a été prise par le gouvernement à ce moment-là.
Le président: La décision aurait-elle été prise par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié ou par le gouvernement?
M. Elcock: Par le gouvernement.
Le président: Quand vous dites «le gouvernement», c'est assez vague étant donné la taille de l'appareil gouvernemental. Je ne vous demande pas de nous dire par qui, mais bien dans quel secteur elle a été prise?
M. Elcock: Vous me posez la question à brûle-pourpoint, monsieur le président, et je ne saurais vous dire exactement où la décision a été prise, mais ce doit être au ministère de l'Immigration ou au MAECI. Elle a dû être prise en fonction de l'idée qu'on se faisait à ce moment-là du régime en place.
Le sénateur Di Nino: La question que je pose ne trouve finalement pas de réponse. Il n'existe pas vraiment de contrôle. Nous n'avons pas de mécanisme qui permette de contrôler ceux dont nous ordonnons le renvoi. S'ils décident d'aller se cacher ou d'entrer dans la clandestinité, ils ont certainement cette possibilité. Il nous serait difficile de les retrouver. Mon analyse est-elle correcte?
M. Ray Lang, surintendant, Gendarmerie royale du Canada: J'aimerais apporter un éclaircissement. Les 27 000 personnes qui se trouvent illégalement au Canada n'ont pas toutes fait l'objet d'un ordre de renvoi de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Il faut inclure dans ce nombre tous ceux qui sont arrivés sur nos côtes ou à un point d'entrée, qui ont demandé le statut de réfugiée et à qui le ministère de l'Immigration a dit de revenir dans 30 jours ou dans 45 jours, mais qui ne sont pas revenus. Il ne faut pas conclure que ces 27 000 personnes présentent un risque pour la sécurité du Canada et qu'elles ont toutes fait l'objet d'un ordre de renvoi. C'est tout simplement qu'elles ne sont pas revenues se présenter devant un agent d'immigration pour que l'on donne suite à leur demande.
Le sénateur Di Nino: Nous savons bien sûr que les 27 000 personnes ne présentent pas toutes un risque pour la sécurité. Il y a peut-être très peu d'indésirables parmi elles, mais le fait est que nous n'avons pas de contrôle à la sortie. Nous n'avons pas de liste que nous pouvons cocher pour nous assurer qu'elles sont parties. Voilà ce qu'on me dit. Je ne sais pas si c'est exact. Y a-t-il quelqu'un parmi nos trois témoins qui pourrait m'éclairer?
M. Elcock: Je ne m'occupe pas de renvois, monsieur le président.
Le sénateur Di Nino: Vous devriez peut-être vous en occuper.
M. Lenton: S'il y a 27 000 personnes dont on ne retrouve pas la trace, on peut raisonnablement s'interroger sur notre capacité à vérifier qu'elles sont effectivement parties pour qu'on puisse clore le dossier. Il s'agit encore là d'une question de ressources. Quand on a des mandats qui figurent toujours au système, il s'agit en partie en tout cas d'une question d'affectation des ressources.
Comme l'a indiqué M. Lang, ces personnes arrivent ici par divers moyens. Le moment où le risque est le plus grand est sans doute le moment où elles arrivent au pays et demandent le statut de réfugié. Avant même que nous puissions confirmer leur identité de manière certaine, ces personnes sont autorisées à entrer au pays. Elles sont autorisées à passer par les différentes étapes du système. Elles sont autorisées à entrer chez nous à condition de se présenter de nouveau dans 30 jours ou 45 jours, peu importe, pour qu'on puisse donner suite à leur demande. Si ce qu'elles cherchent au fond, c'est d'être admises au Canada pour pouvoir ensuite aller ailleurs, il y a fort à parier qu'elles ne seront plus là dans 30 jours ou dans 45 jours et qu'on ne retrouvera plus jamais leur trace.
Certaines d'entre elles passent par toutes les étapes du processus. Ce sont celles sur lesquelles nous avons le plus de renseignements, celles dont nous pouvons évaluer le risque qu'elles présentent pour décider de l'attention qu'elles méritent et de l'opportunité d'invoquer les dispositions dont M. Elcock a parlé qui nous permettent de les renvoyer ou de les détenir pour éviter qu'elles continuent à présenter un risque.
Le sénateur Di Nino: Comme l'a dit M. Elcock tout à l'heure, les Ahmed Ressam de ce monde passent malheureusement entre les mailles du filet. C'est là une tragédie qui nous touche tous et qui soulève des interrogations comme les miennes.
Je voudrais poser une autre question pour qu'elle soit consignée au compte rendu, monsieur le président.
J'ai lu récemment dans divers articles que les critères d'évaluation sont peut-être moins rigoureux pour les immigrants appartenant à la catégorie des gens d'affaires que pour d'autres. Je ne connais pas la réponse à cette question. Un des témoins pourrait-il nous dire ce qu'il en est pour que la réponse soit consignée au compte rendu?
M. Elcock: Je dirais pour ma part que cette affirmation n'est pas exacte, monsieur le président. Nous appliquons à ces personnes les mêmes critères qu'aux autres. Au bout du compte, la décision est prise dans tous les cas, non pas par le SCRS, mais par le ministère de l'Immigration.
M. Lenton: Je n'ai rien à ajouter si ce n'est de dire que l'admissibilité est déterminée par CIC. M. Lang a peut-être autre chose à dire.
Le sénateur Fairbairn: Dans cet ordre d'idée, s'agissant de retrouver des gens, le sénateur Andreychuk a fait allusion à la lourde tâche qui incombe à la GRC et aux autres forces policières des divers pays du monde. Vous avez un rôle très difficile. S'agissant des liens que vous avez avec d'autres systèmes et institutions en vue de l'échange d'information sur les immigrants et les réfugiés, est-il raisonnable de supposer qu'Interpol constituerait pour vous un lien important?
M. Lenton: Interpol est un lien parmi d'autres. C'est un organisme qui relie les diverses forces policières pour qu'elles puissent exécuter des mandats en sol étranger. Oui, nous avons des liens avec Interpol.
Le sénateur Fairbairn: Un de nos anciens commissaires y a déjà travaillé, n'est-ce pas?
M. Lenton: C'est juste. Interpol, du moins de par son mandat initial, est plutôt un centre d'échange d'information qu'un organisme d'enquête. On y recueille l'information qui est ensuite normalisée pour que le pays où le mandat a été émis puisse s'assurer que sa documentation permet d'exécuter le mandat dans le pays en question.
Le bureau d'Interpol au Canada est en fait logé au siège social de la GRC. Quand une demande nous arrive ici, nous la confions soit à la GRC soit à une autre force policière selon la nature de la requête. Nous cherchons effectivement à optimiser l'échange d'information et de renseignements de sécurité.
Le sénateur LeBreton: J'écoute votre témoignage et je pense aux Canadiens moyens qui regardent nos audiences. Je pense tout particulièrement au cas d'un monsieur - le terme n'est peut-être pas celui qui convient - qui avait vécu au Canada pendant de nombreuses années et qui était, semble-t-il, surveillé par la police. Nous avons un système qui lui a permis de rester au Canada et, d'après un excellent documentaire diffusé par une de nos chaînes de télévision l'autre soir, il s'est déplacé d'un bout à l'autre du pays. Il s'est rendu dans l'île de Vancouver avec une quantité d'explosifs suffisante pour faire sauter le traversier et tous les voyageurs et les véhicules qui s'y trouvaient et il a poursuivi son chemin sans problème jusqu'à ce qu'une douanière américaine l'intercepte. Il aurait pu faire sauter l'aéroport de Los Angeles.
Nous voilà en train d'entendre des témoignages selon lesquels notre système ne nous permettrait pas d'arrêter cet homme parce que le ministère de l'Immigration ou celui des Affaires étrangères aurait décidé que l'Algérie lui était hostile. Pouvez-vous comprendre que les Canadiens soient très inquiets d'entendre cela?
Ma question est simple: y a-t-il quelque chose dans ce projet de loi qui vous permettrait, au SCRS ou à la GRC, de mettre cet homme sous les verrous avant qu'il ne puisse parvenir à ses fins? Vous pouvez comprendre que la perméabilité de nos frontières inquiète les Canadiens qui regardent une émission comme celle qui a été diffusée l'autre soir ou qui lisent des reportages sur cette personne.
Nous entendons ici le témoignage des premiers responsables de l'application de la loi au Canada, la GRC et le SCRS, qui nous disent que la décision a été prise par le ministère de l'Immigration et le ministère des Affaires étrangères et qu'ils n'ont pu rien faire pour arrêter cet homme.
Doit-on se surprendre que les Canadiens réclament qu'on fasse quelque chose pour assurer la sécurité de nos frontières? Je suis franchement choquée par cette réponse.
M. Lenton: Quand les gens arrivent chez nous, ils passent par un certain processus. Il y a une marche à suivre. Ils passent par les différentes étapes du système.
Je n'aime pas parler des détails d'un cas en particulier, même si nous savons à qui vous pensez. La personne passe par un certain processus. Il y a des décisions qui sont prises à divers stades du processus. Ce sont les personnes habilitées à le faire qui prennent ces décisions. En ma qualité de policier, je dois, tout comme mes confrères sur la ligne de front, respecter les droits de tous ceux avec qui je traite.
Une décision est prise relativement au statut de la personne au Canada. Si la police vérifie et qu'il y a un mandat non exécuté contre la personne, c'est la raison pour laquelle le nom de la personne figure dans le système. Si la police fait enquête, nous suivons la filière connaissance de la situation irrégulière d'une personne, elle l'arrête et la traite comme toute autre personne arrêtée.
Nous ne pouvons pas décider au hasard que telle personne que nous voyons dans la rue doit être une des 27 000 et ensuite l'arrêter, l'identifier et vérifier si son nom figure dans le système. Il faut là aussi respecter les limites que nous impose la loi. Nous pouvons ne pas approuver le statut qui a été accordé à la personne. Nous pouvons mettre en doute le jugement qui a été porté par ceux qui sont habilités à prendre les décisions. Au bout du compte, nous devons traiter chacun en fonction de ses droits, de son statut et de sa situation au Canada au moment où nous avons affaire à lui.
Dans le cas dont vous avez parlé, comme dans n'importe quel autre cas, si la police détermine après vérification qu'il y a des raisons d'arrêter la personne, elle va l'arrêter. Si la police constate que la personne a en sa possession un instrument avec lequel elle pourrait faire du mal ou un produit de contrebande, elle agit en conséquence. Nous ne pouvons pas simplement choisir des gens au hasard et les interpeller sans raison. Nous devons avoir une raison pour les interpeller et prendre ensuite les mesures qui s'imposent.
Pour ce qui est du cas dont vous avez parlé, je ne suis pas en mesure de savoir ce que les activités de surveillance avaient révélé sur la personne ni ce qu'elle faisait.
Le sénateur LeBreton: Le réseau CBC-TV l'était. Ses activités de surveillance lui avaient même permis de nous dire ce qu'il fallait faire pour fabriquer une bombe.
M. Elcock: Si vous me permettez de compléter ce qu'a dit M. Lenton, la GRC exerce son activité dans les limites de la loi, et nous n'arrêtons pas les gens finalement. Nous ne sommes pas habilités à le faire.
Dans le cas de M. Ressam, nous savions qu'il avait quitté le pays à un moment donné - je crois qu'on l'a dit dans l'émission - et nous savions où il était allé. Nous ne savions pas qu'il était revenu au pays et nous ne savions pas non plus qu'il avait un passeport canadien légitime délivré à une personne du nom de Benni Norris. Il était revenu au pays en passant par Los Angeles. Plus tard, nous avions entendu dire qu'il était de retour au Canada, en Colombie-Britannique. Nous n'avions pas réussi à le retrouver, en partie, je suppose, parce que la personne que nous recherchions, c'était non pas Benni Norris, mais bien Ahmed Ressam. Il n'avait d'ailleurs pris contact avec aucune des personnes que nous recherchions également. En fin de compte, notre monde n'est pas sans risque.
Dans tout état démocratique, il y a malheureusement des limites à ce que peuvent faire la police et les services de sécurité. Certains passent inévitablement à travers les mailles du filet. J'aurais bien aimé avoir retrouvé M. Ressam avant qu'il ne traverse la frontière. En l'occurrence, nous avons profité d'un élément clé de toute relation ou de toute opération visant à contrer le risque du terrorisme, soit une défense par couches. Il ne suffit pas d'avoir de bons services de police et de renseignements, il faut aussi pouvoir compter sur des douaniers et des gardes-frontières vigilants. Ce sont là autant d'éléments qui ont permis d'intervenir pour régler le problème.
Le sénateur LeBreton: Grâce à une femme, une douanière américaine, faut-il préciser.
Le président: Les choses auraient-elles été différentes si le projet de loi C-11 avait été en place à ce moment-là? Je vous pose la question à vous, monsieur Elcock, parce que, dans le témoignage que vous avez donné devant la Chambre des communes - je n'ai pas l'intention d'en lire la transcription...
M. Elcock: Je l'ai ici.
Le président: Il y a une longue question au bas de la page 2, de votre témoignage sur le projet de loi C-11 devant le comité de la Chambre, où vous dites:
Dans un monde parfait, je pense que nous en aurions su suffisamment pour pouvoir signaler au CIC que M. Ressam appartenait à la catégorie des personnes interdites de séjour. Encore une fois, si le projet de loi C-11 avait été en vigueur, le CIC aurait eu à sa disposition les renseignements classifiés nécessaires au moment d'une audience en détermination de l'admissibilité, au moment de l'arrivée, pendant l'examen des motifs de la détention ou encore pendant un appel devant la Section d'appel de l'immigration.
Pouvez-vous nous expliquer ce que vous auriez pu faire de mieux si le projet de loi C-11 avait été en vigueur?
M. Elcock: Laissez-moi vous lire les lignes qui précèdent, et cela vous éclairera peut-être:
Avec la nouvelle loi, le Service serait intervenu au moment du contrôle préliminaire et, puisqu'il est arrivé muni d'un passeport français contrefait portant un autre nom, nous aurions, j'imagine, consulté les autorités françaises qui à l'époque, du moins c'est ce que je pense, avaient déjà les empreintes digitales et la photographie de Ressam et savaient qu'en 1993, il s'était rendu clandestinement en Corse.
Nous parlons tous ici d'hypothèses. Les hypothèses sont toujours difficiles à manier, même dans le meilleur des cas. Par contre, si le contrôle préliminaire - ce que prévoit le projet de loi - avait existé, nous aurions eu de meilleures chances de l'intercepter à ce moment-là plutôt que de le faire plus tard.
Le sénateur LeBreton: Je voudrais en revenir à la question des ressources: le projet de loi aurait-il pu empêcher M. Ressam, ou Benni Norris comme il s'est fait appeler plus tard, de se livrer à ces activités? Si nous voulons procéder à tous ces contrôles préliminaires, il va assurément nous falloir davantage de ressources.
M. Elcock: Les ressources nécessaires au SCRS ont déjà été prévues, et nous attendons simplement que le projet de loi C-11 soit adopté pour demander au Conseil du Trésor les approbations nécessaires pour obtenir cet argent, mais le système a déjà été prévu en conséquence.
Le sénateur LeBreton: Des ressources suffisantes?
M. Elcock: Pour le contrôle préliminaire, oui.
Le sénateur Di Nino: Voilà qui est très bien et cela nous donne une bonne raison d'adopter le projet de loi C-11.
Le président: Si vous me permettez de revenir à ce que vous avez dit au sujet de la différence que cela aurait fait si le projet de loi C-11 avait été en vigueur, monsieur Elcock, depuis le 11 septembre, plusieurs de nos alliés ont annoncé qu'ils allaient modifier leur politique et leur loi. Comme on a pu le lire dans les journaux, l'Allemagne, la France, les États-Unis et d'autres pays encore ont effectivement apporté ces changements. J'imagine que la GRC et le SCRS ont suivi cela avec un certain intérêt. Je comprends fort bien que vous ne pouvez pas vous prononcer sur une question de politique ou vous féliciter du fait que ce soient là des changements d'ordre administratif, mais je présume que vous en savez davantage à ce sujet que ce qu'en ont dit les journaux. Vos homologues dans les autres pays occidentaux - en particulier chez nos alliés - ont-ils des moyens dont vous ne disposeriez pas même si le projet de loi C-11 était adopté? En d'autres termes, êtes-vous quelque peu envieux de vos collègues dans ces autres pays, les pays alliés, en fait de moyens d'action?
M. Elcock: La plupart des changements dont j'ai eu connaissance concernent les points d'accès à la frontière, mais moins les services de renseignements, mes homologues en d'autres termes, que les corps policiers et les services d'immigration.
Avant les événements, nous avions des pouvoirs un peu plus étendus que le FBI, du moins au niveau des enquêtes, et nous pouvions aussi dans certains domaines aller plus loin que lui. À certains égards, nous ne sommes pas plus en retard sur eux qu'auparavant. Nous sommes probablement à leur hauteur sur bien des plans. Pour l'instant, je ne vois rien de particulier à envier chez mes confères du monde du renseignement.
Le président: Vous parlez du FBI - je connais la réponse à la question, mais peut-être pas les téléspectateurs qui regardent CPAC - et non pas de la CIA, étant donné que vos activités se déroulent sur le territoire canadien, comme les activités du FBI se déroulent sur le territoire des États-Unis, alors que la CIA travaille exclusivement à l'étranger.
M. Elcock: Ce n'est pas tout a fait exact car nous travaillons à la fois sur le territoire canadien et à l'étranger.
Le président: Y a-t-il des choses que la CIA puisse faire à l'étranger et que vous ne puissiez pas faire à l'extérieur du territoire canadien?
M. Elcock: La CIA a un mandat plus étendu que le nôtre pour ce qui est des opérations à l'étranger. Mais lorsqu'il s'agit de menaces pour la sécurité du Canada, nous avons essentiellement le même mandat qu'elle.
Le président: Est-ce qu'un des témoins représentant la GRC pourrait répondre aux mêmes questions? Certains de vos collègues étrangers ont-ils désormais des moyens que vous aimeriez vous-même avoir?
M. Lang: En Australie, la politique est telle que lorsqu'un réfugié débarque sans avoir les papiers nécessaires ou sans avoir de papier du tout, il est mis en détention jusqu'au moment où son identité est prouvée. En fin de compte, ce réfugié va être renvoyé chez lui.
Cela n'existe pas dans le cas du projet de loi C-11. Ce serait pourtant utile d'avoir une disposition comme celle-là afin qu'un réfugié qui arrive au Canada sans avoir les papiers nécessaires et avec une identité douteuse puisse être mis en détention et éventuellement être déporté au lieu de pouvoir en toute légitimité disparaître dans la nature.
M. Lenton: À mesure que le monde va réagir aux événements du 11 septembre, il va y avoir de nouveaux développements - des choses auxquelles on n'avait pas pensé avant cette polarisation de l'attention sur les activités terroristes. Il ne faut pas oublier que pour l'essentiel, ce projet de loi vise d'une façon générale le crime organisé.
Il serait regrettable que l'adoption de cette mesure soit retardée. Ce projet de loi nous donnera des nouveaux moyens d'action que nous pourrions utiliser assez rapidement. Il y a un autre train de mesures législatives à l'étude qui nous permettra plus facilement de contrer la menace que le terrorisme et le crime organisé en général représentent pour le Canada.
Nous pourrions en demander davantage, prolonger le débat et finir au bout du compte par obtenir un peu mieux dans plus longtemps, ou alors nous pouvons avoir ce qui est d'ores et déjà prévu, commencer par là, analyser ce qui se fait ailleurs dans le monde, voir comment le Canada et ses politiques peuvent s'imbriquer dans tout cela tout en respectant les valeurs fondamentales de la société canadienne telles que nous les connaissons et que nous voudrions préserver. Ultérieurement, nous pourrons envisager la possibilité d'améliorer encore les moyens qui sont mis à la disposition des corps policiers et des organismes de réglementation afin de faire face à la situation.
Le sénateur Di Nino: Le processus d'élaboration des politiques publiques est un processus de longue haleine. L'une des choses que ce genre d'initiative peut nous apprendre, du moins c'est à espérer, c'est précisément la façon d'améliorer les textes de loi à l'avenir, et pas uniquement celui qui nous occupe ici. Il serait utile que vous nous fassiez part de certaines choses que vous savez afin de nous aider à faire en sorte que les politiques publiques issues du Parlement canadien servent mieux la population.
Malgré l'horrible tragédie du 11 septembre - que quelqu'un a appelé devant moi un mal brillamment exécuté, expression qui m'insupporte - il n'empêche que nous avons d'autres chats à fouetter, par exemple les criminels et tous ceux qui viennent au Canada pour les mauvaises raisons. Parmi ces 27 000 personnes, il y en a quelques-unes, j'imagine, qui ont déjà été identifiées par le SCRS, la GRC et les autres corps policiers comme étant des éléments nuisibles. Le projet de loi C-11 vous aidera-t-il à les intercepter?
M. Lenton: À cet égard, ce qui nous intéresse au premier chef, c'est la lutte contre le crime organisé, et ce projet de loi sera précieux dans ce sens. En effet, il crée des peines plus lourdes et il est à espérer que ces peines plus lourdes encourageront la magistrature à prendre plus au sérieux les délits en matière d'immigration qu'elle est appelée à juger. Nous espérons que, grâce au processus d'information et au recours à des témoins experts, nous pourrons faire valoir devant les tribunaux l'impact de l'immigration, et en particulier le problème des trafiquants d'hommes par opposition aux immigrants à la recherche d'une vie meilleure mais qui sont interceptés par le système.
Si nous parvenions à faire comprendre à la magistrature la gravité et les conséquences de certaines des choses dont je vous ai déjà parlé et la persuader de prononcer des sentences plus lourdes - les juges ont toujours le choix des sanctions et sont toujours libres de prononcer les peines les plus lourdes - cela nous aiderait à mieux arrêter les manipulations du système d'immigration. Aujourd'hui, toute notre attention est mobilisée par le problème du terrorisme, et c'est assurément un problème grave. Par contre, le crime organisé en est également un, et les souffrances humaines dont les immigrants sont victimes à cause du crime organisé sont un autre élément à prendre en compte.
Il y a là, certes, de meilleurs moyens, mais tout finit par être une question de ressources. Lorsque la loi sera en vigueur, lorsque les règlements seront promulgués, quelles sont les ressources sur lesquelles nous pourrons compter? M. Elcock a signalé que des ressources supplémentaires avaient déjà été prévues pour le SCRS, mais ces ressources, nous n'en avons pas et d'ailleurs, je ne pense pas qu'on en ait prévu d'entrée de jeu pour nous.
Par contre, si vous faites la distinction entre ce qui s'est passé avant et ce qui s'est passé après le 11 septembre, l'idée était que la loi entrerait en vigueur et qu'ensuite, pendant l'élaboration et le processus de promulgation des règlements d'application, nous tenterions d'obtenir les ressources dont nous aurions besoin par d'autres moyens. Différentes initiatives de financement sont à l'étude, et nous ignorons ce que le gouvernement va choisir de faire et quels moyens financiers il va dégager en fonction de ce qui s'est passé le 11 septembre. Tous ces facteurs entreront en ligne de compte et détermineront ce que nous pourrons faire pour que cette loi devienne un bon moyen d'action.
Le sénateur Di Nino: Je ne sais pas si vous étiez là lorsque les gens du ministère sont venus témoigner. Je leur avais demandé si l'amende de 500 000 $, qui est actuellement l'amende maximum, avait déjà été imposée. Ils m'avaient répondu non, cela ne s'était jamais vu. J'en conviens, il faut admettre que les sanctions doivent avoir un caractère dissuasif, mais comment cela pourrait-il être le cas si elles ne sont pas imposées?
La dernière question que je vous poserais à tous deux concerne un terme que nous galvaudons depuis une semaine ou deux, en l'occurrence l'harmonisation avec les États-Unis en matière de contrôle et de sécurité à la frontière. C'est toujours au niveau du détail que les choses pèchent, mais je me demande si vous ne pourriez pas en quelques mots nous dire si, à votre avis, il serait utile d'envisager avec les États-Unis un genre de coopération plus étendue que ce n'est le cas actuellement pour ce qui est des contrôles à la frontière.
M. Elcock: Monsieur le président, ce n'est pas vraiment un sujet sur lequel je pourrais vraiment vous éclairer. L'harmonisation a relativement peu d'impacts à notre niveau, si ce n'est en bout de ligne, c'est-à-dire dans la mesure où cette harmonisation pourrait influer sur certaines de nos enquêtes.
Notre organisme est en rapport très étroit avec les services américains, et nous échangeons couramment de l'information. À certains égards, c'est déjà là un genre d'harmonisation, parce qu'en fait, nous échangeons simplement de l'information au sujet de problèmes et d'objectifs potentiels. L'harmonisation existe déjà.
M. Lenton: Je peux me faire un peu l'écho de cela. Cette notion d'harmonisation, le milieu policier l'intègre déjà dans sa réalité. Ce que nous allons faire, ce que nous faisons déjà, peu importe l'orientation que prend le débat sur l'harmonisation, revient simplement pour nous à mieux travailler ensemble et à mettre en oeuvre, dans le milieu international du maintien de l'ordre, les moyens voulus pour mener à bien des enquêtes qui dépassent les frontières.
Mais ce n'est pas le seul domaine dans lequel ce problème se pose. Prenez par exemple les crimes informatiques, tout ce qui gravite autour de l'Internet. À titre d'exemple, nous avons déjà fait des progrès considérables dans le cadre de ce que nous appelons le Projet Colt. C'est quelque chose qui est déjà très connu et qui est en cours à Montréal. L'équipe qui fait enquête sur le terrain à Montréal, et que nous dirigeons, est composée d'enquêteurs de la GRC, de membres de la Sûreté du Québec et de représentants de la police de Montréal. Ce qui est intéressant de constater ici, c'est qu'il y a là-bas des gens du FBI, ainsi que des représentants des Services postaux américains, qui sont en poste sur place. Alors que les victimes sont surtout des États-uniens, les magouilleurs sont établis au Canada.
Le fait d'avoir sur place une équipe internationale d'enquêteurs qui travaillent en collaboration nous permet d'intervenir plus rapidement dès qu'il y a problème. Il en va de même à Toronto et à Vancouver, c'est la même chose pour ce genre d'enquête.
Nous coopérons donc quotidiennement avec toutes nos agences et toutes les agences homologues aux États-Unis, et d'ailleurs aussi dans le monde entier. C'est de plus en plus la norme, mais ce n'est pas nécessairement facile étant donné que chaque pays a ses propres procédures et ses propres règles en matière de preuve.
Le sénateur LeBreton: Dans quelle mesure la GRC collabore-t-elle actuellement avec les douaniers aux postes frontières canado-américains? Y a-t-il beaucoup de coopération? Escomptez-vous être amenés à travailler davantage ensemble? Quel est au juste le rôle de la GRC auprès de nos services douaniers à la frontière?
M. Lenton: Notre rôle en matière douanière n'est pas sans ressembler à celui que nous avons dans le cadre du programme d'immigration. Nous intervenons lors des enquêtes sur notre territoire, mais en particulier lorsque le crime organisé est présent.
Pour ce qui est plus particulièrement de la frontière, les postes frontières, ils sont principalement du ressort des douanes. Nous travaillons avec les douanes en application d'un protocole d'entente qui donne à la GRC un rôle particulier en ce qui concerne les parties de la frontière situées entre les postes frontières reconnus. Nous effectuons des patrouilles aléatoires et nous avons des moyens techniques de surveillance. C'est de cette façon que nous coopérons dans les activités quotidiennes.
Bien sûr, nous avons également des équipes spéciales dont font partie des gens de l'ADRC. Nous avons les moyens d'échanger de l'information et de travailler avec l'Agence à ce niveau-là. Il y a toujours une relation fonctionnelle entre eux et nous. Jusqu'à présent, il n'y avait toutefois pas, dans les bureaux de douane, un agent de la GRC en uniforme au côté des douaniers. Irons-nous jusque-là? Je ne pense pas que ce soit nécessairement le meilleur endroit où déployer nos maigres effectifs.
Je crois par contre qu'il faudrait créer des moyens d'enquête qui nous permettraient d'intervenir différemment. Nous verrons bien où les choses nous conduirons d'ici les prochaines semaines et les prochains mois.
Le président: Je voudrais maintenant remercier nos trois témoins pour leur comparution cet après-midi.
Le témoin suivant représente la Commission de l'immigration et du statut de réfugié; il s'agit de M. Showler, président, de Mme Ouimet, directrice exécutive, et de Mme Daley, avocate générale principale. Bienvenue.
Il faut que je vous dise à tous, honorables sénateurs, étant donné que plusieurs d'entre vous sont originaires de la région de l'Atlantique, que leur véritable titre de gloire et que deux d'entre eux sont des diplômés de l'université Dalhousie. Il est toujours agréable de constater que la mafia des Maritimes, comme on dit, continue à prendre de l'ampleur.
Je vous remercie donc d'être venus. Monsieur Showler, vous avez un exposé liminaire dont le texte nous a été distribué. Nous allons vous écouter, après quoi nous passerons aux questions.
M. Peter Showler, président, Commission de l'immigration et du statut de réfugié: Monsieur le président, on vous a déjà présenté à mes collègues.
Ce que je vais vous dire en guise d'introduction est le sommaire du texte qui vous a été remis.
[Français]
J'aimerais d'abord vous expliquer le rôle de la Commission dans le contexte de la législation actuelle. Rassurez-vous, je serai bref pour vous permettre de poser le plus de questions possible.
[Traduction]
Je vais commencer par vous parler de l'organisation de la Commission. La Commission est un tribunal quasi judiciaire indépendant - je pourrais ajouter de loin le plus grand du Canada - qui rend compte au Parlement par l'entremise du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration.
Nous rendons plus de 50 000 décisions par année. L'an dernier, les trois tribunaux de la Commission ont rendu environ 54 000 décisions. La Commission se compose de trois sections, chacune étant un tribunal distinct à qui la loi confère un mandat particulier. Nous avons pour mission générale de rendre, avec efficacité et équité, des décisions éclairées sur des questions touchant les immigrants et les réfugiés, conformément à la loi.
[Français]
La Commission compte un peu plus de 1 000 employés, dont des personnes nommées par décret et des fonctionnaires. Bien que notre siège social soit situé dans la région de la capitale nationale, nous avons aussi des bureaux régionaux à Toronto, Montréal, Vancouver, Ottawa et Calgary.De plus, la Commission tient des audiences dans la plupart des grandes villes canadiennes et dans de nombreuses institutions de détention.
La section du statut de réfugié, la plus grande de la Commission, tranche les revendications du statut de réfugié présentées au Canada. Les 180 commissaires de la SSR devraient régler environ 30 000 revendications cette année.
La section d'arbitrage mène des enquêtes sur des personnes qui ne seraient pas admissibles au Canada ou qui pourraient en être renvoyées. La section procède aussi à l'examen des motifs de détention des personnes détenues pour des raisons d'immigration. Les 28 décideurs nommés en vertu de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique s'attendent cette année à tenir 3 600 enquêtes et 11 000 examens des motifs de détention.
La troisième section de la Commission, soit la section d'appel de l'immigration entend les appels relatifs au rejet de demandes parrainées de résidence permanente présentées par des parents et les appels d'une mesure de renvoi par des résidents permanents et d'autres personnes. On s'attend à ce que les 27 décideurs de la SAI finalisent 4 400 appels cette année.
[Traduction]
Deux idées fausses doivent être corrigées. La Commission ne sélectionne pas les réfugiés à l'étranger et elle ne renvoie pas d'individus du Canada. Ces responsabilités relèvent de Citoyenneté et Immigration Canada.
Je voudrais maintenant dire quelques mots concernant l'indépendance judiciaire du tribunal qui risque d'être évoquée pendant notre discussion au sujet du projet de loi.
L'indépendance judiciaire repose sur deux principes d'importance égale. Le premier principe est l'autonomie institutionnelle, qui nous oblige à exécuter nos fonctions séparément de l'exécutif du gouvernement et des ministères fédéraux.
Le second principe est l'indépendance des décideurs de la Commission. Ces derniers rendent leurs décisions en se fondant uniquement sur la preuve qui leur est présentée et en se conformant à la Loi sur l'immigration, aux Règles de la Commission, à la Charte canadienne des droits et libertés et aux règles de la justice naturelle.
À l'instar de la Commission, qui jouit de l'autonomie institutionnelle, les décideurs sont libres de rendre leurs décisions sans ingérence de la part du président ou d'une autre personne non partie à la procédure.
La Commission a joué un rôle consultatif important aux différentes étapes de l'élaboration du projet de loi. En fait, elle a assumé son rôle depuis les tout débuts, lorsque le projet de loi portait le numéro C-31, et même au moment de l'élaboration du Livre blanc qui l'a précédé.
La Commission ne propose ni ne met en branle aucune nouvelle loi ou politique de réglementation - ce n'est pas là le rôle d'un tribunal indépendant. Nous avons néanmoins conseillé la ministre sur les répercussions éventuelles des politiques envisagées qui touchent directement ou indirectement les activités de la Commission.
Nous avons de plus fourni des conseils sur la rédaction de dispositions particulières du projet de loi qui sont directement liées aux activités de la Commission. Les observations formulées par celle-ci se bornent habituellement aux questions de droit, de clarté du libellé ou de faisabilité de la mise en oeuvre.
La ministre a pris connaissance des suggestions de la Commission et elle leur a donné suite dans la mesure où elles allaient dans le sens de la politique gouvernementale.
S'agissant de son impact sur le fonctionnement de la Commission, le projet de loi confirme et modifie à la fois le rôle de la Commission. Il aura une incidence importante sur pratiquement tous les aspects des activités de la Commission, et il nécessitera beaucoup de préparation afin d'en assurer la mise en oeuvre efficace.
Le projet de loi fera de la Section du statut de réfugié la Section de la protection des réfugiés. Sa compétence sera étendue afin de regrouper tous les motifs de protection dans un seul processus décisionnel. Ce sera en l'occurrence l'un des principaux changements.
Il y aura dorénavant trois motifs pour lesquels la protection pourra être accordée. Le premier vise le statut de réfugié au sens de la Convention, qui est le seul motif actuellement prévu par la loi. Le deuxième est la protection selon les motifs de la Convention contre la torture. Le troisième motif est la protection accordée à ceux qui sont exposés à une menace contre leur vie ou au risque de peines ou de traitements cruels et inusités. Jusqu'à présent, ce troisième motif relevait du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration et faisait partie de l'exécution préalable au renvoi. Dorénavant, toutes les questions concernant les risques pour la sécurité de la personne relèvent de la Commission.
La grande majorité des décisions en matière de protection seront rendues par un seul commissaire, contrairement au modèle actuel en vertu duquel les revendications sont normalement entendues par un tribunal composé de deux commissaires. Si vous voulez nous poser des questions à ce sujet ultérieurement, je pourrais vous en expliquer certains des éléments techniques. Actuellement, certains cas sont entendus par un seul commissaire.
Les audiences devant un commissaire unique sont un moyen beaucoup plus efficace de statuer sur les revendications. Tous les inconvénients apparents sont plus que compensés par la création de la Section d'appel des réfugiés devant laquelle tous les demandeurs d'asile déboutés et le ministre pourront interjeter appel des décisions rendues par la SPR. Seule la Cour fédérale pourra entendre les demandes de révision judiciaire, mais uniquement si elle y a au préalable consenti. La majorité des demandes de révision judiciaire sont déboutées à cette étape, et 10 p. 100 environ des demandes sont effectivement entendues par la Cour fédérale.
Les appels interjetés à la SAR devront être faits par écrit et seront examinés par des décideurs chevronnés qui auront le pouvoir de confirmer la décision de la SPR, de l'infirmer, de lui substituer leur propre décision, ce qui est impossible dans le cas d'une révision judiciaire. Dans certains cas exceptionnels où il sera nécessaire d'entendre des témoignages supplémentaires de vive voix, elle pourra renvoyer le cas à la SPR pour une nouvelle audience.
Nous escomptons que la SAR aura deux effets différents, mais complémentaires. La SAR pourra corriger les erreurs commises par la SPR. D'autre part, elle assurera la cohérence dans le processus décisionnel en établissant une jurisprudence uniforme à l'échelle du pays sur les questions relatives au droit des réfugiés, jurisprudence qui n'existe pas actuellement.
La section d'arbitrage deviendra la nouvelle section de l'immigration. Cette section joue un rôle essentiel dans le système d'immigration du Canada. Plus précisément, les décisions liées à la détention ont pris une importance accrue en raison des pressions à la hausse exercées par la migration mondiale. Le mandat fondamental de cette section ne changera pas; certaines modifications utiles y seront cependant apportées dans le but de préciser les pouvoirs de détention et d'améliorer l'intégrité du système.
Sous le régime du projet de loi C-11, la Section d'appel de l'Immigration continuera d'entendre les appels de mesures de renvoi et de rejets de demandes de parrainage, sauf que le droit d'interjeter appel d'une mesure de renvoi sera supprimé pour certains individus, notamment les grands criminels, les membres du crime organisé et les personnes qui constituent un danger pour la sécurité. Ces gens ne pourront plus s'adresser à la Section d'appel, surtout lorsqu'il s'agit de résidents permanents qui cherchent à rester au Canada alors qu'ils font l'objet d'une mesure de renvoi. Par ailleurs, la Section entendra dorénavant les appels interjetés par les personnes qui ont perdu leur statut de résident permanent en raison d'un manquement aux obligations de résidence au Canada. C'est donc une disposition nouvelle.
En conclusion, la Commission est toujours résolue à soutenir pleinement la mise en oeuvre de la nouvelle loi. Nous sommes convaincus qu'elle continuera à rendre des décisions éclairées, avec efficacité et équité, conformément à la loi - maintenant, pendant la période de transition et après l'adoption de la nouvelle loi par le Parlement.
Je tiens à insister sur ce point, en particulier dans le contexte des événements tragiques survenus aux États-Unis le 11 septembre. Le monde a changé, nous le savons tous. Toutefois, la Commission doit continuer à mener à bien sa mission, et elle le fera.
Le sénateur LeBreton: Monsieur Showler, combien y a-t-il actuellement à la Commission de dossiers en instance? Lorsque vous devrez respecter les dispositions du projet de loi C-11, cela vous posera-t-il des problèmes administratifs et si oui, lesquels?
M. Showler: Monsieur le président, comme vous le savez, l'accumulation de dossiers en retard est toujours quelque chose qui est mal considéré. Nous préférons quant à nous parler de «cas à traiter». Mais, même en utilisant cette expression, nous pouvons être très précis. À l'heure actuelle, nous avons environ 34 000 cas à traiter. Vous constaterez, dans la documentation qui vous a été remise, que depuis trois ans, le nombre de demandes de statut de réfugié a augmenté très considérablement. Dans les années 90, nous recevions en moyenne 25 000 demandes environ par an. Depuis trois ans, ce chiffre a progressivement augmenté, passant d'abord à 31 000 pour culminer l'an dernier à 35 000. Suite aux renseignements que nous a communiqués le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration, nous calculons que, pendant cet exercice financier-ci, qui n'est d'ailleurs pas encore terminé, nous aurons reçu environ 45 000 demandes. C'est un chiffre très élevé. Le nombre de cas à traiter par la Commission a augmenté de façon insidieuse. Jadis, nous en avions 23 000, ce qui est un nombre relativement raisonnable même si nous aurions préféré en avoir moins. Mais ce chiffre est passé à 39 000 et, cette année-ci, nous en sommes à 34 000.
Vous avez parfaitement raison de dire que nous devons avoir les ressources nécessaires pour traiter tous ces cas. Si, au moment de l'entrée en vigueur du projet de loi, le système doit accueillir un nombre plus élevé encore de cas, ce sera en raison des demandes d'audience qui nous parviendront.
Le président: Vous avez utilisé l'expression «cas à traiter». J'imagine qu'il s'agit de cas que vous n'avez pas encore traités et qui n'ont pas encore fait l'objet d'une décision.
M. Showler: C'est bien cela. Nous faisons le lien entre les cas à traiter et le temps qu'il nous faut pour les traiter, étant donné qu'il y a un rapport entre les deux. Nous avons en fait réussi à garder nos délais relativement courts. Vous savez, je n'en doute pas, qu'il y a trois ans, le Vérificateur général avait recommandé dans son rapport que le délai de traitement d'un dossier ne dépasse pas 12 mois. Nous sommes parvenus à ramener ce délai à 8,7 mois, mais avec le nombre de cas actuellement en instance, le délai a recommencé à augmenter, de sorte qu'il est actuellement légèrement supérieur à 10 mois. Nous ne sommes toutefois pas revenus à 12 mois. Par contre, si le nombre de cas à traiter doit augmenter, cela va manifestement influer sur nos délais de traitement. Cela n'est pas du tout dû au projet de loi, c'est simplement un manque de ressources. Il est évident que nous en avons déjà touché un mot au Conseil du Trésor, et nous espérons recevoir les ressources nécessaires pour régler le problème.
Le président: Pourriez-vous définir certains des termes utilisés? Lorsque vous parlez de délai de traitement, entendez-vous par là le temps qu'il faut pour traiter la demande entre l'arrivée du réfugié et la décision à la première étape ou à la seconde?
M. Showler: Non, par délai de traitement, nous entendons le temps qu'il faut entre le renvoi à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié et la décision définitive communiquée ensuite au revendicateur. Il y a d'abord une phase d'admissibilité. Aux termes de la loi actuelle, vous savez sans doute que c'est le ministère de l'Immigration qui décide qu'une personne est admissible et que la Commission peut être saisie de son cas. La durée de ce délai nous échappe. Nous ne savons pas quand il se produit; par conséquent, nous mesurons notre délai de traitement à partir de la date à laquelle la demande est envoyée à la Commission.
Le président: Une bonne partie de ce délai de traitement est attribuable à l'attente à cause de l'arriéré, n'est-ce pas?
M. Showler: Oui. Vous voulez parler de ceux dont le cas a été renvoyé?
Le président: En effet. J'essaie de comprendre les termes que vous utilisez. Lorsque vous parlez des «demandes à traiter», s'agit-il de celles dont le cas vous a déjà été renvoyé mais dont le cas n'a pas encore été traité?
M. Showler: C'est exact; leur sort n'a pas encore été décidé.
Le président: Revenons à la phase de vérification judiciaire, c'est-à-dire avant que les cas ne vous soient renvoyés à vous mais après l'arrivée de ces gens au Canada: combien de temps cela dure-t-il en moyenne?
M. Showler: Je ne sais pas, il faudra demander au ministère.
Le président: J'essaie de comprendre combien de temps cela dure entre l'arrivée de ces gens au Canada et le règlement de leur cas. Il y a deux éléments en jeu et vous nous avez dit que le deuxième représentait en moyenne 10,5 mois. J'essaie de comprendre combien de temps dure le premier.
M. Showler: Il faudrait poser la question au ministère, car cela peut varier d'une région à l'autre.
Le sénateur LeBreton: Comment savez-vous où se trouvent ces gens entre temps et s'ils comparaîtront? S'ils ne se présentent pas à leur comparution, pouvez-vous recommander qu'ils soient suivis ou que leurs allées et venues soient contrôlées?
M. Showler: Lorsque leur cas est envoyé à la Commission, on leur présente un formulaire de renseignements personnels à remplir. Dans ce formulaire, on exige que les intéressés nomment leur conseiller et fasse parvenir l'information à la Commission dans les 28 jours. La règle est en réalité de 35 jours, à cause du délai postal. Faute d'avoir reçu le formulaire, la Commission commence immédiatement les procédures d'abandon du dossier. Les intéressés sont alors informés qu'ils doivent envoyer les documents à la Commission, faute de quoi leur demande sera abandonnée.
Il y a environ 18 mois, la Commission a institué à Montréal un projet pilote qui consiste en un processus d'entrevue précoce et qui s'est révélé assez fructueux: dans le cadre de cette démarche, les intéressés doivent se présenter à la Commission dans les cinq jours du renvoi de leur cas à celle-ci. C'est à cette étape-là que nous menons une entrevue préliminaire et informons les intéressés des droits que leur reconnaît la loi. Pour pouvoir participer à l'entrevue, ils doivent avoir passé un examen médical.
Il ne nous est pas encore possible de généraliser cette façon de faire, car cela implique que nous devons travailler avec nos partenaires des provinces. Il est évident que nous suivons de près les demandeurs. Une fois qu'ils ont livré leur formulaire de renseignements personnels dûment rempli, ils peuvent d'habitude consulter un conseiller qui sert alors en quelque sorte de boîte postale. Il arrive aussi souvent que la communication soit maintenue entre le demandeur et la Commission. Il arrive que nous leur demandions des documents d'informations supplémentaires. Nous leur livrons, avant l'audience, les trousses d'informations sur les pays, et la communication est maintenue pendant tout ce temps.
Le sénateur LeBreton: Que leur arrive-t-il si leur demande a été abandonnée?
M. Showler: Malheureusement, je ne peux répondre. Je peux vous dire ce qui leur arrive lorsque c'est nous qui abandonnons la demande. Nous décidons officiellement que la demande est abandonnée, puis nous en avisons le ministère de l'Immigration. À partir de ce moment-là, ces gens ne font plus partie du volet des réfugiés.
Beaucoup de ces gens sont déjà arrivés au Canada illégalement et ils font d'ordinaire l'objet d'une mesure de renvoi conditionnelle, mesure qui vous a été expliquée par Mme Atkinson, sauf erreur. Certaines conditions doivent s'appliquer pour qu'une mesure de renvoi conditionnelle entre en vigueur, notamment que leur demande soit abandonnée ou qu'elle ait été refusée, à la fin de la démarche de demande du statut de réfugié. Par conséquent, nous renvoyons simplement le cas au ministère de l'Immigration et c'est à ce moment-là que commencent les procédures de renvoi.
Le sénateur LeBreton: Est-ce la dernière fois que vous entendez parler d'eux, en ce qui vous concerne?
M. Showler: En effet, à moins qu'ils ne reviennent pour une raison ou pour une autre, et il arrive parfois que les raisons qu'ils ont de revenir sont très légitimes. Beaucoup de ces gens ne parlent ni français ni anglais et ils sont parfois embrouillés. Ils changent souvent d'adresse, car ils viennent tout juste de s'établir au Canada, et le courrier ne suit pas toujours. À cause de cette confusion, il est parfois possible pour ces gens de présenter une demande de réouverture de leur dossier, mais dans des circonstances précises.
Le sénateur LeBreton: Quel est le pourcentage de ceux qui font l'objet d'un désistement, et de ceux-là, quel pourcentage demande la réouverture du dossier?
M. Showler: Environ 15 p. 100 des dossiers font l'objet d'un désistement, et une petite partie de ces dossiers sont réouverts ultérieurement. Malheureusement, je n'en connais pas le chiffre exact.
Le sénateur LeBreton: Ce chiffre de 15 p. 100 représente-t-il assez bien le nombre de gens qui se sont désistés dans leur demande?
M. Showler: C'est exact. C'est un chiffre rond, qui représente assez bien la réalité, et ce depuis déjà plusieurs années.
Le sénateur LeBreton: Prenons le petit pourcentage de ceux qui demandent à faire rouvrir leur dossier: doivent-ils recommencer à zéro, et font-ils l'objet d'une réprimande pour s'être désistés une première fois?
M. Showler: D'abord, il faut qu'une décision judiciaire fasse réouvrir le dossier, c'est-à-dire que les intéressés doivent fournir une explication raisonnable. Il ne s'agit pas pour eux de dire bêtement qu'ils ont changé d'avis ou qu'ils ont passé une semaine en Floride. L'explication que nous accepterons doit être raisonnable; or, plusieurs d'entre elles sont rejetées. Si nous estimons que les intéressés cherchent à abuser des procédures ou qu'ils traitent la question de façon légère, nous ne rouvrirons pas leur dossier et le désistement est définitif.
Le sénateur Fairbairn: Il est évident que ce projet de loi-ci nous arrive à un moment particulier dans un contexte qui n'avait certainement pas été prévu il y a de cela quelques semaines à peine. La conjoncture actuelle explique à quel point il est important pour nous de comprendre le projet de loi, son contenu et la mesure dans laquelle il peut vous aider et d'autres aussi à bien faire votre travail.
Vous avez dit plus tôt cet après-midi qu'il y avait un grand changement dans la façon dont fonctionne la Section de la protection des réfugiés: en effet, désormais, la grande majorité des décisions en matière de protection des réfugiés seront prises par un seul membre de la Commission, alors que jusqu'à maintenant il fallait qu'ils soient deux. Vous semblez être d'accord avec cette modification et semblez dire que la démarche menant à l'approbation des demandes sera rendue beaucoup plus efficace. Pouvez-vous nous dire pourquoi? La situation est assez délicate, puisqu'il s'agit de gens avec qui il est difficile de communiquer et qui nous parviennent à cause de situations de crise dans des pays éloignés. Ce dont il est question est un aspect important de notre système. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi une tête vaut mieux que deux pour évaluer la situation de ces gens?
M. Showler: Avec plaisir, mais j'aimerais d'abord apporter une précision. Quand je dis que cela sera mieux, c'est que cela sera véritablement mieux, et pas seulement plus efficace. Une plus grande efficacité et une meilleure qualité sont un gage d'amélioration, car il ne s'agit pas uniquement d'un seul commissaire. Le nouveau projet de loi prévoit à la première étape une décision prise par un seul commissaire, mais à la deuxième étape, une décision prise par la section d'appel des réfugiés. Quand je dis qu'à mon avis, c'est un système de décision bien supérieur, et de meilleure qualité, c'est que je vous parle de l'ensemble, et pas uniquement du seul commissaire.
Toutefois, la situation du commissaire unique est intéressante et je voudrais signaler un ou deux éléments.
En premier lieu, la loi prévoit présentement que la demande peut être entendue par deux commissaires. S'il y a désaccord entre les deux, que l'un l'approuve et l'autre la rejette, le principe du bénéfice du doute s'applique et c'est l'approbation qui l'emporte. Or, moins de 1 p. 100 des décisions de la Commission sont partagées. Autrement dit, il y a quasi-unanimité dans presque tous les cas. Il est important de le comprendre, tout comme il faut comprendre, que la Commission a fait d'énormes progrès depuis trois ans en permettant à un seul commissaire de prendre la décision. La loi actuelle prévoit donc qu'avec le consentement des demandeurs et de leurs conseillers, la demande peut être présentée à un seul commissaire. Nous avons fort bien réussi à promouvoir les décisions prises par un seul commissaire auprès des conseillers, car ceux-ci sont convaincus que leurs clients seront traités de façon impartiale au cours de l'audience. Nous avons constaté qu'un commissaire qui à lui seul a la confiance de toutes les parties rend une décision plus rapidement, simplement parce que moins de gens posent des questions. C'est important non seulement du point de vue de l'efficacité, mais également du point de vue de la qualité du jugement. Même s'ils sont seuls, les commissaires sont tout à fait en mesure de mettre en évidence les véritables problèmes, de reconnaître les bonnes preuves et de rendre une décision bien motivée et d'aussi bonne qualité.
Vous pouvez vous imaginer à quel point il est complexe de retenir les services de deux commissaires. Ceux-ci ne siègent pas toujours ensemble, ce qui augmente la difficulté. Si un cas fait l'objet d'un ajournement et est repris plus tard, l'établissement du calendrier devient particulièrement difficile. Voilà pourquoi le nouveau système est bien plus efficace.
Ma conscience m'empêcherait d'affirmer que s'il n'y avait pas le recours à la section d'appel des réfugiés, la prise de décision par un commissaire unique serait plus efficace. Certainement pas. La section d'appel des réfugiés compte des commissaires d'expérience qui entendent les appels non seulement des réfugiés dont la demande a été rejetée mais aussi ceux de la ministre lorsqu'elle est insatisfaite des demandes acceptées. Il s'agit dans ce cas d'un appel complet plutôt que d'un contrôle judiciaire comme le prévoit le modèle actuel. Voilà pourquoi j'affirme que cette façon de faire est supérieure. Mon collègue voudra peut-être ajouter quelque chose.
Le sénateur Fairbairn: Merci, ces détails sont très utiles.
L'autre question qui a été soulevée à ce sujet et qui continue à l'être, est le nombre des cas à traiter car il peut y avoir jusqu'à 45 000 personnes, avez-vous dit qui présentent une demande d'entrée au Canada. Avant votre arrivée, nous nous sommes entretenus avec des représentants de la GRC et du SCRS. M. Elcock, du SCRS, a fait savoir qu'il avait entendu dire que le gouvernement accorderait à son service des ressources financières supplémentaires pour faire face à une situation plus intense aujourd'hui qu'elle ne l'était il y a trois semaines. Le SCRS semble donc confiant d'avoir de l'aide supplémentaire, de même que la GRC.
Vous avez vous-même beaucoup de pain sur la planche. Étant donné que le projet de loi changera la façon dont vous aurez à traiter le nombre toujours croissant de demandes, vous a-t-on fait savoir que l'on augmenterait vos ressources afin que vous puissiez assumer vos responsabilités?
M. Showler: Nous aussi sommes très encouragés, comme la GRC. Néanmoins, rien n'a encore été confirmé. Pour le moment, le chiffre de 45 000 n'est qu'une projection fondée sur des estimations. Les événements du 11 septembre pourraient modifier du tout au tout la nature des mouvements de réfugiés vers le Canada au cours des prochains mois. Toutefois, depuis deux ans les augmentations ont été considérables. Nous avons porté ce phénomène à l'intention du Conseil du Trésor et nous espérons qu'on nous donnera des ressources supplémentaires. De plus, même si la Commission n'a pas pouvoir d'enquête, il est possible qu'on lui demande parfois de fournir certaines informations. Si nous devons répondre aux demandes de sécurité en provenance du ministère de l'Immigration ou d'ailleurs, nous aurons sans doute besoin de ressources supplémentaires et nous nous attendons à les recevoir.
Le sénateur Fairbairn: Nous étudions le projet de loi tel qu'il nous a été envoyé et non pas à la lumière d'éventuelles circonstances qui pourraient apporter ultérieurement d'autres changements encore. Dans son libellé actuel, et étant donné les modifications qu'il prévoit dans la façon dont vous ferez le traitement des cas, le projet de loi vous aide à mener à bien vos tâches. Pouvez-vous nous dire s'il y a d'autres aspects du projet de loi qui rendent votre tâche plus facile ou qui, à votre avis, facilite les démarches de ceux qui veulent venir s'établir légitimement au Canada?
M. Showler: Il y a notamment le renvoi réputé dans les 72 heures car il y a déjà eu des retards à cette étape-là. Je m'attendais à ce que vous ayez des questions là-dessus.
Le sénateur Fairbairn: Qu'entendez-vous par «renvoi réputé»?
M. Showler: Dans le système actuel, le ministère de l'Immigration doit déterminer si les demandes sont recevables et ces déterminations peuvent prendre du temps et être retardées. Cela dépend des ressources du ministère et du nombre de personnes présentant la demande. Voilà pourquoi cette étape-là peut occasionner de longs retards. Or, il s'agit de gens qui sont déjà au Canada et dont le statut est anormal. Ces gens peuvent ne même pas être considérés comme des revendicateurs officiels du statut de réfugié, puisque leur cas n'a pas encore été renvoyé à la Commission. Par renvoi réputé, nous entendons que dès lors qu'ils revendiquent le statut de réfugié, leurs cas sont renvoyés à la commission dans les 72 heures, ce qui nous permet d'entamer notre traitement du dossier. L'étude des demandes en sera donc grandement accélérée. De plus, cela permet de porter plus rapidement à notre attention cette personne, car elle remonte plus rapidement les filières; autrement dit, nous présentons à ces gens plus rapidement les formulaires de renseignements personnels et pouvons obtenir plus d'information sur leur compte.
Toutefois, il y a un équilibre à trouver en ce qui concerne la sécurité. Le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration continuera à faire des enquêtes de sécurité. Je comprends, d'après les certifications qu'a données la ministre qu'on entreprendra un examen approfondi de sécurité aux premières étapes du traitement du dossier. Dès lors qu'il aura été établi qu'un demandeur pose un risque pour la sécurité qui préoccupe le ministère, celui-ci pourra déclencher une disposition de récupération aux termes du projet de loi. Autrement dit, le ministère peut informer la Commission que l'intéressé constitue une préoccupation et qu'il pourrait faire l'objet d'une audience donnant lieu à une interdiction de séjour. C'est à ce moment-là que la procédure d'audience est suspendue et que le revendicateur est renvoyé au ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration qui, s'il a de sérieuses craintes sur le plan de la sécurité, pourra renvoyer le dossier à un arbitre qui décidera si l'intéressé a le droit d'entrer au Canada. Le projet de loi comporte une nouvelle disposition prévoyant que ceux qui sont interdits de territoire pour des raisons de sécurité - activités criminelles graves ou crime organisé - c'est-à-dire ceux qui suscitent de graves inquiétudes du point de vue de la sécurité au titre de l'alinéa 19h) - ne pourront plus faire partie de la catégorie des réfugiés et feront directement l'objet d'une audience préalable de renvoi. Ils feront l'objet d'une décision, mais cette décision sera prise dans le cadre d'un renvoi, sans qu'ils aient accès au système des réfugiés. C'est un changement significatif.
Le sénateur Fairbairn: Merci de votre explication sans laquelle je n'aurais certainement pas compris.
M. Showler: Nous voulons le meilleur des deux mondes: nous voulons pouvoir traiter les demandes plus rapidement tout en retirant rapidement de la catégorie des réfugiés les revendicateurs qui ne devraient pas s'y trouver.
Le président: Dans le même ordre d'idées, monsieur Showler, vous avez répondu au sénateur Fairbairn qu'il y aurait un «traitement rapide». Mais vous aviez dit plus tôt que le délai moyen du traitement de la demande était d'environ 10 mois et demi.
M. Showler: Le délai moyen est de 10,3 mois. Nous sommes obligés de l'admettre.
Le président: J'aimerais savoir si 10,3 mois est considéré comme rapide. Sinon, qu'est-ce qui est rapide ou qu'est-ce qui est raisonnable? À vous entendre, on croirait qu'une évaluation rapide prend presqu'un an. Mais je ne cherche pas à vous critiquer, car je comprends votre charge de travail. Toutefois, nous ne pouvons comprendre si le système fonctionne bien que si nous comprenons ce que vous entendez par un délai raisonnable.
M. Showler: Il y a quelques années, le Parlement a posé cette question à la Commission, et lui a demandé d'établir une norme. On s'est fixé un objectif de traitement des cas de six mois. Depuis, on considère cela comme un délai moyen, qui serait réalisable dans des circonstances idéales. En toute justice, il faut dire que les profanes ne comprennent pas qu'il faut pas mal de temps pour rendre une décision concernant une revendication du statut de réfugié pour différentes raisons - dont certaines que vous avez déjà mentionnées.
Lorsque les personnes arrivent dans un pays et présentent une revendication, elles doivent retenir les services d'un conseil. Parfois elles ont accès à l'aide juridique et parfois pas; cela varie selon les provinces. Elles doivent trouver un conseil et raconter leur histoire et souvent elles sont désorientées et ont du mal à l'expliquer avec précision. Un délai de 30 jours est assez serré pour obtenir le formulaire de renseignements personnels, compte tenu des procédures pour obtenir de l'aide juridique des provinces. La règle pour le retour des documents par la poste est de sept jours, donc c'est normalement le 35e jour qu'on veut avoir ces documents.
La prochaine étape, c'est l'analyse de la revendication par la Commission. Il ne s'agit pas d'une analyse simple. Nous essayons de traiter ces cas aussi rapidement que possible, donc il faut procéder à un triage. Nous essayons de faire entrer les cas dans une de nos catégories. Le personnel de la Commission est très spécialisé, et nous affectons des équipes à certains pays et à certaines régions du monde, car notre travail est beaucoup plus efficace si les agents chargés de la revendication et les décideurs connaissent bien les pays en question. Donc on confie les cas aux équipes spécialisées et cela prend un peu de temps. Nous décidons si nous pouvons accélérer un cas, si par exemple le revendicateur est originaire d'un pays où les violations des droits de la personne sont nombreuses et où il y a un taux élevé d'acceptation des revendications. Cependant, il faut examiner le cas avant de procéder de cette façon.
Nous avons déjà dit, et vous le savez grâce aux reportages dans les médias, que beaucoup de revendicateurs viennent au Canada sans les papiers d'identité voulus, ou sans document du tout. Dans ces cas, nous leur donnons du temps pour les obtenir de leur pays d'origine. Souvent, ils ne peuvent pas avoir les documents de voyage, surtout s'ils sont des réfugiés qui craignent la persécution par l'État. Il existe d'autres raisons pour lesquelles les réfugiés authentiques n'ont pas de documents et il leur faut du temps pour obtenir des certificats de naissance, des dossiers scolaires et parfois des certificats des hôpitaux. Si les personnes ont été tabassées ou maltraitées, ce genre de document médical ne sera peut-être pas disponible. Donc il faut du temps pour préparer le dossier.
Nous essayons de terminer les audiences dans une demi-journée. Je dois vous dire qu'il s'agit d'un exploit. Les Canadiens doivent être fiers du fait que nous réussissons dans la plupart des cas. Au cours des audiences, nous entendons des témoignages concernant des pays éloignés, où les événements sont peu connus. Souvent nous les entendons au moyen d'interprètes; les témoins ont du mal à raconter leur histoire et il existe beaucoup de confusion. Pour des questions de vie et de mort, nous réussissons quand même à entendre la preuve pertinente en une demi-journée.
Pour ce faire, nous avons besoin du temps voulu pour bien préparer le cas. Nous examinons le cas pour nous assurer d'avoir la bonne preuve documentaire, et nous la donnons à l'avance aux revendicateurs pour qu'ils puissent y répondre. De cette façon, nous avons tous les documents sous les yeux. La réponse a été très longue, et j'espère que notre procédure est plus rapide.
Le président: En effet, je commençais à me poser des questions au sujet du délai de six mois.
M. Showler: Voilà pourquoi ça prend six mois.
Le sénateur LeBreton: Dans votre réponse, vous avez parlé de l'authenticité des documents, monsieur Showler. Vous avez parlé des dossiers scolaires, des dossiers des hôpitaux et il est évident que ceux qui arrivent ici ont du mal à obtenir des documents. Quel genre de régime avez-vous mis en place pour garantir que les documents sont vraiment authentiques?
M. Showler: Il faut ajouter aussi, pour éviter toute confusion, qu'environ 50 p. 100 des revendications du statut de réfugié sont refusées au Canada pour toutes sortes de raisons.
Nous garantissons l'authenticité des documents de plusieurs façons. La Commission a des employés très compétents. Les agents chargés des revendications et les commissaires sont affectés à des équipes spécialisées et entendent des centaines de cas, surtout des principaux pays, donc ils connaissent bien ces pays. Ils reconnaissent les documents valables et non valables.
Souvent, les documents contiennent divers détails qui en prouvent l'authenticité parce qu'ils ont été remplis d'une certaine façon à une certaine époque. Les agents commencent à les reconnaître. De plus, certains documents peuvent être envoyés au laboratoire judiciaire de la GRC pour vérification. Il serait utile d'avoir des ressources supplémentaires dans ce domaine, parce que nous aimerions faire appel à ce service plus souvent. Nous essayons de faire vérifier ces documents, mais souvent c'est impossible.
Dans cette ère de la mondialisation, il faut également comprendre que certains documents ne sont peut-être pas faux parce qu'ils ont été fabriqués, mais qu'ils ont été obtenus dans le pays source moyennant un pot-de-vin. Le document a peut-être été rempli par un fonctionnaire et serait valable à toutes fins pratiques, sauf qu'il a été obtenu par la corruption.
On pose des questions très pointues aux revendicateurs lors des audiences pour déterminer la cohérence et la crédibilité des faits qu'ils nous relatent. C'est la seule façon de procéder lorsque des documents douteux ont été obtenus contre le paiement d'un pot-de-vin.
Dans certains cas exceptionnels, nous sommes allés dans le pays d'origine, et le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration et les missions canadiennes ont réussi à dépister les documents frauduleux obtenus dans une certaine région. Comme vous pouvez imaginer, avec les 30 000 ou 40 000 revendications que nous recevons chaque année, nous ne procédons pas de cette façon que dans des cas très spéciaux, car cette stratégie exige beaucoup de ressources.
Le sénateur LeBreton: Votre réponse m'amène à poser une autre question. Vous avez dit que 50 p. 100 des revendications sont rejetées. Que font ces gens? Qu'est-ce qui se passe quand une revendication est rejetée?
M. Showler: J'ai décrit en partie le processus, lorsque j'ai dit que la plupart de ces revendications feraient l'objet d'une ordonnance de renvoi conditionnel. La condition peut être le rejet par la Commission. Le régime actuel prévoit un contrôle judiciaire, pas un appel. Les revendicateurs ont un délai assez court pour demander le contrôle judiciaire - c'est-à-dire 15 jours plus 30 jours supplémentaires pour demander un contrôle judiciaire d'une décision de la Commission auprès de la Cour fédérale. La Cour fédérale commence par décider si elle va accorder l'autorisation. Si elle l'accorde, il y aura une instruction approfondie devant la Cour fédérale.
Dans le régime actuel, si la décision de la Commission est annulée par la Cour fédérale, l'affaire doit être renvoyée à la Commission pour une nouvelle instruction approfondie. La Cour fédérale n'est pas en mesure de remplacer la décision de la Commission par la sienne.
Le sénateur LeBreton: Qu'est-ce qui se passerait en vertu du projet de loi C-11?
M. Showler: J'ai déjà décrit la Section d'appel. C'est elle qui sera autorisée à annuler la décision. Elle ne renverra l'affaire à la première instance que si elle ne peut pas arriver à une décision par manque de preuves qui ne peuvent être fournies que lors d'un témoignage oral. La Section d'appel ne va pas entendre des témoignages oraux, car le processus serait trop lourd.
Le président: Je sais que le délai de six mois est une moyenne. Vous avez dit que parfois c'est plus long et parfois plus court. Compte tenu du fait que le délai actuel est de 10,3 mois, pas 10,5 mois, et que votre objectif c'est de le ramener à six mois, quel est le problème? Est-ce le fait que vous n'avez que 28 employés? Est-ce qu'il y a des éléments du processus qui échappent à votre contrôle?
Le délai de six mois me semble raisonnable. Nous acceptons la définition de «raisonnable». Je cherche à comprendre quelles modifications s'imposent. Faut-il modifier le processus ou augmenter l'effectif pour nous permettre de respecter le délai que vous vous êtes fixé?
M. Showler: Il y a deux choses qui nous aideraient. L'un c'est le processus avec un seul commissaire, que j'ai décrit, car à l'heure actuelle il y a deux commissaires.
Deuxièmement, il est difficile de parler d'«inventaire», car il s'agit de gens, d'êtres humains. Chaque revendication est importante. Les retards supplémentaires sont attribuables à l'attente pour avoir une audience. La vitesse à laquelle nous pouvons traiter les revendications est quand même limitée.
L'année dernière, nous avons traité 30 000 revendications, soit une augmentation de 8 p. 100 par rapport à l'année précédente. J'ai déjà dit au Parlement que je pense que nous avons trouvé toutes les efficiences possibles. Le problème c'est la pénurie de ressources. Si on avait plus de décideurs et plus de soutien pour eux, nous pourrions réduire le délai à six mois.
Le président: Vous avez 28 décideurs à l'heure actuelle. Vous aimeriez en avoir 40, n'est-ce-pas?
M. Showler: Je pense que vous parlez de la Section d'appel.
Le président: Vous avez raison.
M. Showler: Nous avons 186 décideurs.
Le président: Je suppose que vous avez besoin d'environ 250 décideurs.
M. Showler: C'est exact. Vous devez avoir votre doctorat en mathématiques.
Le président: Vous avez dit que les avocats sont payés par l'aide juridique. Est-ce que les coupures de l'aide juridique dans presque toutes les provinces ralentissent le processus? Dans certains cas, vous êtes peut-être prêts et le revendicateur aussi, mais l'aide juridique est très limitée dans toutes les provinces à l'heure actuelle. Est-ce un problème?
M. Showler: Oui, en effet. Il faut savoir que certaines provinces, notamment la Nouvelle-Écosse, ne paient pas l'aide juridique pour les revendicateurs du statut de réfugié. Certains revendicateurs comparaissent sans avocat - environ 15 p. 100.
Environ 15 p. 100 des revendicateurs qui comparaissent devant la Commission n'ont pas d'avocat. Comme vous pouvez l'imaginer, ces cas prennent plus de temps. Il faut être très sûr de bien comprendre le récit avant de prendre une décision.
Le président: Je crois savoir que le taux d'acceptation/rejet est de 50-50 en général. Savez-vous de mémoire quel est le taux d'acceptation ou de rejet des cas où le revendicateur n'a pas d'avocat?
M. Showler: Je ne connais pas les chiffres. Nous ne suivons pas cela car on n'a pas assez de zones de données. Je m'engage à vous trouver ce chiffre.
Le président: Je pourrais dire, à la blague, qu'il serait bon de savoir si l'avocat est utile. Si les chances pour les revendicateurs sans avocat étaient aussi 50-50, on pourrait conclure que les avocats sont parfaitement inutiles.
Ma question est quand même sérieuse, car il serait bon de savoir si le taux d'acceptation des revendicateurs sans avocat est plus bas. Ensuite, puisqu'il s'agit de revendicateurs qui demandent le statut de réfugié au Canada, plutôt que dans une province donnée, est-ce vraiment un problème? Le gouvernement fédéral doit-il envisager la possibilité de fournir un conseil dans les provinces qui n'accordent pas d'aide juridique aux revendicateurs?
M. Showler: En tant que président d'un tribunal indépendant, je n'aime pas employer le mot «doit» par rapport augouvernement. Cependant, je pourrais vous dire qu'un bon avocat peut-être très utile. Il nous transmet des renseignements plus vite. Il comprend quels renseignements sont pertinents et il nous les envoie. Par conséquent, il facilite le processus.
Il est certain que toute mesure qui garantirait que tous les revendicateurs ont un avocat, et surtout rapidement, serait utile. Les régimes en place dans certaines provinces sont plus lents à décider si oui ou non ils vont fournir un avocat. Il y a des retards.
Ce serait très utile s'il y avait des accords concernant un système d'aide juridique semblable aux systèmes d'avocats commis d'office, comme il en existe dans certains tribunaux criminels et provinciaux. Ce serait extrêmement utile et cela accélérerait les choses.
Le sénateur Di Nino: Tout d'abord, un commentaire à propos de votre suggestion. Je soupçonne que si on devait l'adopter, toutes les provinces rechigneraient.
Vous avez dit que le retard existe tout simplement à cause d'une pénurie de ressources?
M. Showler: C'est exact.
Le sénateur Di Nino: Si vous aviez les ressources, ce retard disparaîtrait?
M. Showler: C'est exact, oui.
Mme Christiane Ouimet, directrice exécutive, Commission de l'immigration et du statut de réfugié: La question de nombre est importante aussi. Tout est proportionnel au nombre de cas et aux gains de rendement.
Le sénateur Di Nino: Encore une fois, les ressources. Si le nombre augmente, vous augmentez les ressources et vous vous débarrassez de l'arriéré.
Un éclaircissement. Si j'ai bien compris, le processus d'appel est un processus papier seulement.
M. Showler: C'est exact.
Le sénateur Di Nino: Il n'y a pas d'audience face à face, orale ou autre.
M. Showler: C'est exact.
Le sénateur Di Nino: Notre discussion a porté sur le système des réfugiés. Vous, vous représentez la Commission de l'immigration et du statut de réfugié.
M. Showler: C'est exact.
Le sénateur Di Nino: Vous traitez de cas autres que ceux des réfugiés. C'est exact?
M. Showler: C'est exact, oui.
Le sénateur Di Nino: Ce qui veut dire que pour les trois quarts de vos cas il s'agit d'immigrants plutôt que de réfugiés. Vous pourriez peut-être me donner le pourcentage exact?
M. Showler: Non. Nos deux autres mandats sont relativement circonscrits. Je vous ai décrit la Section d'arbitrage.
Cette section, qui deviendrait la section de l'immigration en vertu du nouveau projet de loi, s'occupe essentiellement de deux choses. D'abord l'interdiction de territoire: il y a certaines personnes que l'on doit renvoyer du Canada. La décision n'est pas prise par un agent d'immigration, mais par un arbitre.
Il y a une procédure quasi judiciaire. C'est un système accusatoire. Il y a l'exemple classique du résident permanent. Il s'agit de gens qui arrivent au Canada avec un visa. Il s'agit de gens dont on a déjà décidé qu'il s'agissait de réfugiés, mais le ministère de l'Immigration désire les renvoyer.
Ces gens se présentent devant l'arbitre qui donne l'ordre de les renvoyer du Canada. Si les gens viennent tout juste d'arriver à la frontière, on pourrait les refouler. C'est un de leur domaine de responsabilité.
Il y a ensuite l'examen des motifs de la garde. L'agent d'immigration décide si on devrait détenir quelqu'un aux fins de l'immigration. La personne doit comparaître devant un arbitre dans un délai de 48 heures pour avoir confirmation de la garde. L'arbitre doit ensuite revoir le cas dans un délai de sept jours pour décider si les motifs de la garde existent toujours. Il doit ensuite y avoir des audiences au moins tous les 30 jours. Une des protections offertes par le système canadien veut qu'on ne peut détenir quelqu'un pendant une longue période sans qu'il y ait examen quasi judiciaire des motifs de la garde.
La Section d'appel de l'immigration existe surtout pour entendre des appels. Si l'arbitre décide que certaines personnes peuvent être renvoyées, certaines d'entre elles, comme les réfugiés et les résidents permanents, peuvent en appeler à la Section d'appel. Il y a aussi certains cas où des citoyens canadiens et des résidents permanents qui commanditent des membres de la famille immédiate - mari, épouse, fils, parents et ainsi de suite - pourraient en appeler si la demande de parrainage était refusée. Le parrain, le citoyen canadien ou le résident permanent, a le droit d'en appeler à la Section d'appel de l'immigration.
Le nombre d'immigrants au Canada frise les 230 000 personnes. Le nombre de personnes qui comparaissent devant une ou plusieurs des trois sections de ce tribunal n'est pas très élevé.
Le sénateur Di Nino: La plupart des cas suivent la filière normale. Ce sont d'autres organismes que ce tribunal qui s'en occupent.
M. Showler: C'est exact. Tout cela se fait par l'entremise du ministère de l'Immigration. Nous n'en sommes jamais saisis.
Au total, nous rendons plus de 50 000 décisions par année. Le Canada reçoit environ 230 000 immigrants.
Il y a plus de 11 000 examens des motifs de la garde. Il y en a beaucoup qui subissent des examens multiples parce que les cas nous reviennent tous les mois.
En tout, annuellement, nous sommes saisis du cas d'environ 15 p. 100 des gens qui cherchent à immigrer au Canada. Ce chiffre n'inclut pas les visiteurs.
Le sénateur Di Nino: Est-il vrai que le HCR a le droit de présenter des observations à votre tribunal.
M. Showler: À l'heure actuelle, cet organisme n'a qu'un statut d'observateur. En vertu de la loi proposée, il aurait qualité d'intervenant auprès de la Section d'appel de l'Immigration. C'est un outil très précieux.
Un peu plus tôt, je vous ai parlé des deux fonctions de la Section d'appel des réfugiés. Tout d'abord, il s'agit de rattraper les erreurs qui se produisent inévitablement au premier niveau. Deuxièmement, il s'agit de formuler une jurisprudence uniforme qu'on ne peut pas trouver auprès de la Cour fédérale en vertu du présent système d'examen judiciaire.
Cela signifie que la Section d'appel des réfugiés a le pouvoir d'entendre certains cas en constituant un tribunal composé de trois commissaires. On s'attend à ce que ces décisions aient force exécutoire pour la Section de protection des réfugiés, la section de premier niveau, et auprès des décisions rendues par un seul commissaire de la SAR. Pour nous, ce sont des cas importants. Nous savons où se trouvent les domaines de confusion, si vous voulez. Ayant décidé qu'il y a des motifs d'appel dans de tels cas, c'est là que nous inviterions le HCR à présenter des observations. Cela veut dire que nous entendrions tous les faits, dans un cas précis, avant d'en venir à une conclusion.
Le sénateur Di Nino: Y a-t-il d'autres signataires de la Convention de l'ONU qui permettent ce genre de choses ou s'agit-il de quelque chose de nouveau?
M. Showler: Il s'agit de quelque chose de nouveau et c'est tout à fait merveilleux et nous devrions être très fiers de cette innovation. Chose intéressante, le HCR joue un rôle au niveau des décisions de première instance lorsque la décision est rendue par un tribunal. Un des commissaires siégeant au tribunal vient parfois du HCR, mais parfois du Conseil danois pour les réfugiés.
Le sénateur Di Nino: Vous avez dit être un organisme indépendant, quasi judiciaire. De qui relevez-vous, du ministre du au Parlement?
M. Showler: Nous relevons directement du Parlement par l'entremise du ministre. C'est le Parlement qui surveille nos opérations.
Le sénateur Di Nino: Est-ce que le comité idoine de la Chambre des communes vous fait comparaître de temps à autre pour avoir un compte rendu?
M. Showler: Nous faisons rapport annuellement au Parlement. Je m'attends toujours à ce que le comité permanent nous fasse comparaître à la fin de l'année financière. C'est alors que je dresse un rapport à cette fin et que je me présente devant le comité pour répondre aux questions et préoccupations.
Le sénateur Di Nino: Les paragraphes 153(1) et (2) du projet de loi C-11 définissent l'organigramme hiérarchique de la CISR. On ne trouve pas habituellement ce genre de choses dans les projets de loi. Pourquoi a-t-on fait ainsi? Y a-t-il un problème quelconque que nous devons essayer de régler?
M. Showler: Non, je ne crois pas qu'il y avait de problème particulier. Je crois tout simplement qu'on essayait d'être clair. Ce qu'il y a d'inhabituel, c'est que nous constituons un tribunal à triple volet et en vertu du nouveau projet de loi, nous constituerons un tribunal à quatre volets. La Section d'appel de l'Immigration et la Section du statut de réfugié sont toutes deux dotées par nomination du gouverneur en conseil mais les arbitres sont des fonctionnaires et il y a donc là des différences.
Le processus concernant les réfugiés est un processus d'enquête tandis que les deux autres sections fonctionnent selon le système accusatoire. Chaque section est tout à fait unique. La relation, même au niveau de la dotation, est différente. Les rédacteurs se devaient d'être très clairs.
Le sénateur Di Nino: Monsieur le président, il serait peut-être utile pour nous que M. Showler prenne quelques instants pour décrire le processus ainsi que le SCRS, la GRC et les autres organismes impliqués. Nous passons au réseau CPAC et ceux d'entre nous qui veillons jusqu'à quatre et cinq heures du matin auront peut-être le bonheur de visionner la séance et d'apprendre quelque chose.
Est-ce que M. Showler pourrait, en quelques minutes, nous expliquer comment fonctionne tout ce système, surtout à la lumière des événements du 11 septembre à New York et à Washington? Comment pouvons-nous rassurer l'opinion canadienne que nous faisons de notre mieux pour que cela ne nous arrivera pas et pour aider à prévenir ce genre de chose à l'avenir?
M. Showler: Avec plaisir.
Prenons d'abord les gens qui arrivent au Canada en revendiquant le statut de réfugié. J'ai déjà dit que la première étape s'effectue en vertu de la responsabilité légale de Citoyenneté et Immigration Canada. C'est là qu'on décide si la personne est admissible au renvoi devant la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Cela implique certaines considérations de sécurité. Si on a l'impression que la personne peut avoir commis des crimes graves ou pourrait être mêlée au crime organisé, il faut d'abord trancher ces questions.
Ces examens sont plutôt rapides. On y pose les questions de base et on prend les empreintes digitales et une photo. Il y a ensuite la détermination de la recevabilité et le processus de renvoi. Il y a quelques jours, la ministre a décrété que tous, dorénavant, auraient à subir une vérification approfondie pour fins de sécurité.
Je vous décris le système tel qu'il existe. Ces gens sont renvoyés à la Commission. Ensuite, vient l'étape de la reconnaissance du statut de réfugié. Voilà le processus en bref.
La Commission peut se poser des questions à tout moment dans ce système. Si l'information qui nous est donnée pendant la préparation d'un cas nous apprend que la personne a commis des crimes contre l'humanité, des crimes non politiques et graves, ou tout crime très sérieux qui nous permettrait de l'expulser du Canada, nous envoyons alors le formulaire de renseignements personnels au ministère de l'Immigration pour savoir s'il veut intervenir dans ce cas ou pas.
En vertu de la loi actuelle, ce ministère a le pouvoir d'intervenir s'il a des inquiétudes. Si ce n'est pas le cas, et ce l'est fréquemment, alors il y a un échange de paperasse, mais rien qui saute aux yeux et qui pose un problème pressant. C'est ce qui arrive dans la grande majorité des cas. Le cas est ensuite porté à l'attention d'un tribunal composé habituellement de deux commissaires, quoi qu'il pourrait n'y en avoir qu'un. Il y a habituellement un agent de revendication du statut de réfugié présent à l'audience pour aider le tribunal.
Dans la plupart des cas, il s'agit de décider si la personne a une crainte fondée de persécution. Il est toujours important de connaître les faits concernant l'identité de la personne et son histoire doit quand même se tenir.
Les commissaires qui composent le tribunal, qui sont des experts, tout comme l'agent de revendication du statut de réfugié, étudieront attentivement tous faits relatés par le revendicateur. Il arrive souvent qu'ils demandent à la personne de confirmer son identité en présentant des documents autres que ceux qui ont été fournis.
Si nous avons des inquiétudes, nous pouvons différer l'audience, en attendant d'obtenir de plus amples informations. Parfois, s'il y a quelque élément d'un récit qui ne semble pas logique, nous chercherons à obtenir de plus amples renseignements auprès de notre centre de documentation qui pourra alors contacter des experts un peu partout dans le monde. On nous fera parfois tenir des renseignements spéciaux concernant la personne, et il existe une procédure formelle pour ce faire parce que, comme vous pouvez fort bien l'imaginer, il est difficile de retourner au pays où a lieu la persécution. On ne peut pas tout simplement téléphoner aux agents de police de l'endroit et leur demander «Qu'est-ce que vous pensez de cette personne?» C'est suffisant, en soi, pour déclencher la crainte d'une persécution.
Il y a des mesures de protection en place, mais lorsque nous croyons que c'est approprié, nous étudions de très près les faits relatés pour essayer d'observer les contradictions.
Il s'agit là du rôle principal du tribunal qui examine les faits relatés par la personne. Nous sommes toujours conscients des questions d'exclusion. Lorsque nous croyons en avoir décelé, nous levons la séance. Même si le ministre n'y participe pas, nous chercherions à en savoir davantage si une question nous préoccupait.
Au bout du compte, nous prenons une décision. Si la demande est refusée, on donne des raisons. S'il y a des raisons concernant l'exclusion ou l'identité, on les énoncera très clairement.
Cette procédure a lieu à huis clos, mais la décision est renvoyée au ministère de l'Immigration accompagnée des raisons consignées par écrit. Le ministère de l'Immigration pourrait alors prendre les mesures qui s'imposent s'il avait des inquiétudes. Si la décision est positive, elle est renvoyée au droit d'établissement et, dans le système actuel, voilà où l'examen de sécurité plus approfondi s'effectue. Ce que j'en sais, c'est que la plupart des éléments de l'examen de sécurité s'effectuent au tout début, et c'est aussi ce que propose le nouveau projet de loi.
Le sénateur Di Nino: Avez-vous un programme en place qui permet à vos 180 commissaires et à vos 28 décideurs d'enrichir leurs connaissances et leurs compétences?
M. Showler: Oui. La formation initiale est de trois semaines. Après quoi nous avons une formation personnalisée à l'intention des nouveaux commissaires, et cela est particulièrement pertinent pour ceux qui prennent des décisions relatives aux réfugiés. Ils siègent d'abord en compagnie d'autres commissaires. À leur début, ils ne siègent jamais seuls. On leur assigne des mentors, qui sont recrutés parmi les meilleurs commissaires et les plus chevronnés, avec lesquels ils travaillent en étroite collaboration. Il existe une équipe de formation dirigée par un responsable du perfectionnement professionnel, qui approfondit certaines questions. On leur assigne un conseiller juridique qui les aide à rédiger leurs motifs, et nous avons en place un processus de six mois où nous les suivons et les formons lentement jusqu'au moment où nous décidons qu'ils sont en mesure de siéger seuls. Nous les suivons très étroitement, et il existe des séminaires d'éducation permanente pour tous les commissaires. Nous avons aussi des réseaux géographiques. Les équipes de Montréal, Vancouver et Toronto sont en liaison constante. Si de nouvelles informations apparaissent à Vancouver, nous avons un mécanisme pour les communiquer à l'ensemble des membres de la commission très rapidement. L'uniformité des décisions nous préoccupe. Voilà pourquoi nous prenons tout le temps voulu pour nous assurer de bien faire les choses.
Le président: Vous concluez votre allocution en disant:
La mise en oeuvre du projet de loi C-11 aura des effets sur tout le personnel et tous les systèmes de la Commission. Il nous faudra revoir nos règles, modifier les procédures et les formulaires, remanier nos outils de référence et de formation et rédiger de nouveaux manuels et de nouveaux guides. Tous ces changements devront être apportés pendant que nous continuons à entendre les cas.
Comment allez-vous réaliser la transition une fois que le projet de loi aura été adopté et que les règlements seront entrés en vigueur? Comment faites-vous? Est-ce que d'un coup sec, du jour au lendemain, vous entrez dans un nouveau régime? Comment allez-vous gérer la transition sachant tout ce qu'il y a à faire?
M. Showler: Tout d'abord, nous ne connaissons pas la date d'entrée en vigueur de la loi. Pour les besoins de la planification, nous comptons que cela se fera vers le printemps, mais il ne nous appartient pas bien sûr d'en décider. Nous y avons déjà consacré beaucoup d'efforts.
Le président: Une date au printemps est déjà prévue.
M. Showler: Il y a tant à faire que nous y travaillons déjà depuis six mois. Nous avons mis au point des plans de mise en oeuvre avec le plus grand soin, qui sont assortis d'organigrammes. Nous serons prêts quand il le faudra. Nous partons du principe que nous serons appelés à agir immédiatement, mais il se peut qu'il y ait aussi une mise en oeuvre graduelle. La ministre prendra la décision voulue, et nous serons prêts à agir d'une manière ou d'une autre parce que nous avons déjà fait le travail préparatoire.
Le président: Vous dites qu'il n'appartient pas à des gens comme vous de décider du temps qui s'écoulera entre l'adoption du projet de loi et sa mise en oeuvre, pourtant c'est vous qui êtes chargé de la mise en oeuvre. Vous dites que ce délai sera en fonction du temps qu'il faudra pour rédiger les règlements. Si je vous comprends bien, si les règlements étaient rédigés et adoptés, vous seriez prêt.
M. Showler: Pour le moment, non. Nous savons qu'il faudra du temps. Par exemple, il ne s'agit pas seulement des règlements. Il y a aussi les règles. Il y a quatre séries de règles qui doivent être rédigées pour nos quatre sections. Nous sommes en train de les rédiger, mais elles doivent être prépubliées. Il faut permettre au public de se prononcer. Le processus réglementaire qui suit l'adoption de la loi doit être observé, et sans vouloir me prononcer sur un calendrier exact, je sais qu'il faudra des mois pour faire tout ce travail. Nous calculons que nous serons prêts lorsqu'il sera terminé.
Le président: Je comprends ce que vous dites. Bon nombre d'entre nous qui avons suivi l'évolution de ce projet de loi ont été surpris aujourd'hui parce que nous avons l'impression qu'une fois adoptée, la loi serait mise en oeuvre immédiatement. Le fait qu'il faut attendre six, sept ou huit mois pour mettre en oeuvre un projet de loi m'étonne, mais ce n'est là qu'une opinion gratuite.
Le sénateur Cook: Un certain temps va s'écouler, mais allez-vous travailler comme avant sous le régime de l'ancienne loi, même si la nouvelle loi sera entrée en vigueur par proclamation, et sera par conséquent la nouvelle loi en vigueur, jusqu'au moment où vous aurez mis en place les règles et politiques voulues?
M. Showler: Exact. La loi ne peut pas être mise en oeuvre tant que tout cela n'est pas en place, et il y aura ces délais à respecter. Comme je l'ai dit, bon nombre d'entre eux sont prescrits par la loi. Il faudra se donner beaucoup de mal pour bien faire les choses, et nous tenons à ce qu'elles soient bien faites.
Le président: Je vous remercie beaucoup tous les trois. Nous vous sommes reconnaissants d'avoir pris le temps de témoigner devant le comité.
Chers collègues, nos témoins suivants proviennent de deux groupes. Du Syndicat de l'emploi et de l'immigration du Canada, nous avons Janina Lebon, vice-présidente nationale, et Robin Kers, qui est également vice-président national. David Griffin est l'agent exécutif de l'Association canadienne des policiers et des policières.
Mme Janina Lebon, vice-présidente nationale, Syndicat de l'emploi et de l'immigration du Canada: Monsieur le président, membres du comité, nous vous remercions d'avoir permis au Syndicat de l'emploi et de l'immigration du Canada de faire valoir certaines préoccupations qu'ont nos membres relativement au projet de loi C-11. J'exposerai le point de vue de l'immigration, et Robin Kers parlera de la CISR, étant donné que nous travaillons pour des services différents.
L'article 100 du projet de loi C-11, qui concerne la recevabilité des demandes d'asile qui sont déférées, stipule que les demandes doivent être traitées dans un délai de 72 heures. Ce processus fait intervenir des entrevues personnelles, ce qui nous ramène donc essentiellement à cette pratique que nous avions il y a 10 ans, où nous menions des entrevues face à face, nous parlions à nos clients et nous obtenions ainsi nos informations. Nous nous servons en ce moment de la poste.
On s'attend aussi maintenant à ce que toutes les vérifications nécessaires relatives aux antécédents et à l'état de santé auront été amorcées. Il est impossible à la GRC d'effectuer une vérification complète des antécédents judiciaires, au SCRS de procéder à une vérification de sécurité, ou aux services médicaux de réaliser tous leurs examens dans ce délai de 72 heures. Par conséquent, nous ne serons pas en mesure de confirmer l'identité des demandeurs sans papiers, et nous ne connaîtrons pas l'état de santé de certains d'entre eux. L'an dernier, si vous vous souvenez, on se préoccupait à Fort Erie de certains cas de tuberculose multirésistante, il y a donc des problèmes au niveau des maladies infectieuses.
Aurons-nous les ressources voulues pour respecter les exigences de l'article 100? À l'intérieur de ce délai de 72 heures, qui s'occupera de ce que nous appelons le travail normal d'immigration, les formalités d'établissement, des autorisations relatives aux étudiants et à l'emploi et des rapports concernant les criminels et autres clients inadmissibles? Qui va décider des priorités? Ce sont de graves problèmes. En outre, qui s'occupera des milliers de dossiers de notre arriéré?
Passons maintenant à l'article 44. Tout d'abord, ce projet de loi constitue une amélioration par rapport au projet de loi C-31, où tout agent était considéré comme un «agent désigné». Ici, à tout le moins, on nous désigne comme agent, mais il n'est fait mention nulle part dans le projet de loi de l'«agent d'immigration». L'agent peut établir un constat.
Il est loisible à l'agent de ne pas établir de constat d'interdiction de territoire et, d'ailleurs, le ministre peut décider de tenir ce qu'on appelle une «audience d'admissibilité», ce qu'on appelait autrefois une enquête. On ouvre la porte trop grand, alors que la loi dit maintenant que cela doit être fait. Mais comment allez-vous savoir que nous faisons tous les constats d'interdiction de territoire voulus?
Le plus gros problème, surtout pour mon service, sera l'examen des risques avant renvoi, ce qu'on appelle le PERR. C'est une étape entièrement nouvelle dans le processus, et il y aura aussi une quatrième étape au niveau de la CISR. Cela veut dire que toutes les personnes qui font l'objet d'un ordre de renvoi sont admissibles à l'examen des risques avant renvoi. Personne ne peut être renvoyé du Canada tant que cet examen n'a pas été fait. Cet examen ne se limite pas seulement aux demandeurs d'asile. Il s'applique à tout le monde. Le projet de loi dit que l'on peut demander la tenue de cet examen. Ce qui veut dire que.personne n'est vraiment exclu. Si je ne m'abuse, il y aurait 27 000 dossiers - c'est ce qu'on dit - de cas de renvoi en ce moment. Ils devront tous être soumis à cet examen.
Je vais vous donner un exemple. Un étudiant prolonge son séjour indûment. On émet alors une mesure d'interdiction de séjour. Mais cet étudiant a droit à un examen. Le problème, c'est qu'il doit être fait rapidement, et j'ai entendu dire que cela doit être fait dans les 30 jours. Donc on procède à l'examen, l'avis est négatif, mais on ne peut pas renvoyer cette personne parce qu'elle a disparu et qu'on ne peut pas la retrouver. Puis cette personne réapparaît six mois plus tard. Il faut alors procéder à un nouveau PERR.
Nous éprouvons des difficultés au niveau des ressources dans ce domaine, mais le vrai problème, c'est de savoir combien de renvois nous allons réussir à effectuer. Je crois que ces renvois vont se faire au compte-gouttes. Cela nous préoccupe beaucoup parce que nous voulons renvoyer le plus vite possible ces gens qu'il faut refouler. Avec ce nouveau processus, cela ne se fera pas.
Le dernier grand problème dont je veux parler est celui qui concerne les ressources, même si mon mémoire fait état d'autres problèmes. Le ministère doit trouver les ressources voulues pour que nous puissions nous acquitter de nos obligations en vertu de ce projet de loi. Contrairement à la plupart des ministères, l'Immigration a subi deux séries de compressions. La première a eu lieu en 1993, et la seconde en 1995-1996. On a réduit nos effectifs d'à peu près la moitié. Nous sommes en ce moment environ 4 000. À mes débuts, nous étions plus de 7 000. Et j'étais l'une des personnes qui a été retranchée en 1993, et je suis maintenant à ce qu'on appelle le Centre d'exécution de la loi du Toronto métropolitain. Les départs à la retraite réduisent d'autant le nombre d'agents chevronnés, compétents. Le recrutement de nouveaux agents est lent. La rétention de certains nouveaux éléments fait également problème parce qu'ils s'estiment mal payés. Un certain nombre sont partis, dont de toutes nouvelles recrues détenant un diplôme universitaire qui étaient avec nous depuis six mois et qui ont ensuite démissionné pour accepter de meilleurs emplois.
La question de la formation des débutants et de la formation professionnelle nous préoccupe beaucoup, surtout étant donné que nous serons régis par une nouvelle loi. On se demande quelles dispositions le ministère a prises pour assurer cette nouvelle formation.
Outre l'exécution de la loi, ce qui préoccupe entre autres les agents de l'intérieur, c'est qu'ils doivent rédiger des rapports presque parfaits étant donné que l'on peut contester ces rapports devant les tribunaux, et bon nombre d'entre eux aboutissent là. Il faut ici avoir les documents juridiques voulus. Les questions relatives à l'accueil, par exemple l'aménagement des lieux où nous gardons nos réfugiés pendant ces 72 heures, doivent toutes être réglées avant la mise en oeuvre de la loi.
M. Robin Kers, vice-président national, Syndicat de l'emploi et de l'immigration du Canada: Honorables sénateurs, je vais commencer par vous dire qui sont nos membres. Notre syndicat représente environ 625 employés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Cela comprend le personnel administratif, qui s'occupe de la rémunération, des avantages sociaux et des opérations financières de la CISR; les commis et les agents responsables des cas, qui montent les dossiers, assurent les contacts, prodiguent des conseils et fixent les rendez-vous. Ils rencontrent et aident les demandeurs d'asile dès qu'ils entrent en contact avec la CISR. Ils enregistrent des données dans le système de gestion des cas. Nous représentons aussi les secrétaires, qui transcrivent les textes des motifs et décisions et établissent des statistiques pour les commissaires. Le syndicat regroupe aussi les agents chargés des revendications, qui font les recherches et préparent les demandes et interrogent les demandeurs à l'audience. Cette liste n'est pas exhaustive.
En plus d'être vice-président national du syndicat, je suis responsable de la CISR et je suis également agent chargé de la revendication. Je suis à la commission depuis sa création en 1988.
Le projet de loi C-11 est le résultat des consultations qui ont débuté en 1994, et le législateur avait l'intention ici de remédier à certaines faiblesses que posait la Loi sur l'immigration relativement à l'immigration, la protection des réfugiés et la sécurité du Canada et des Canadiens. Depuis les événements qui se sont produits aux États-Unis, la plupart des Canadiens se préoccupent aujourd'hui de la sécurité et non des questions d'immigration ou de protection des réfugiés. Les Canadiens veulent savoir si la nouvelle Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés assurera la sécurité de notre pays.
Nous sommes d'avis que le projet de loi nous mène dans la bonne direction à plusieurs égards, mais qu'il subsiste un certain nombre de faiblesses dans le système de détermination du statut de réfugié auxquelles il faut porter remède, dans certains cas en amendant le projet de loi, dans d'autres en effectuant des modifications administratives au sein de la CISR, et dans d'autres encore en obtenant davantage de fonds du Conseil du Trésor.
Même si la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a essentiellement pour fonction de déterminer s'il faut reconnaître à un demandeur le statut de réfugié, la CISR a un rôle important à jouer dans la sécurité du Canada et des Canadiens. Il est vrai que c'est le ministère de l'Immigration et non la CISR qui s'occupe des expulsions du Canada, mais c'est la CISR qui est chargée d'une partie du processus qui conduit au renvoi des terroristes criminels. Ne vous y trompez pas. Tout comme c'était le cas des modifications législatives qu'on a proposées par le passé, le projet de loi C-11 et le ministère de l'Immigration ne pourront pas empêcher les criminels de tout acabit - violeurs, auteur de crimes contre l'humanité, auteurs de crimes de guerre et auteurs d'actes terroristes - de se présenter devant la commission pour demander le statut de réfugié ou la protection de la loi.
Notre principale préoccupation relativement au projet de loi C-11 tient au fait que la CISR manque déjà cruellement de ressources, avec l'augmentation inexorable du nombre de dossiers, et que nous ne pouvons pas assumer des responsabilités accrues sans une augmentation substantielle de nos ressources. Je ne suis pas contraint comme mon patron, Peter Showler, de vous dire tout cela dans le langage politique qui convient. Je suis heureux de pouvoir parler de cette question des ressources.
Nous nous préoccupons également de la dilution du rôle de l'agent responsable de l'audience, de la suppression de notre autorité en vertu de ce projet de loi, et de la disparition des outils d'enquête, dont le résultat sera un examen insuffisant de la crédibilité ou une attention insuffisante portée aux aspects douteux des demandes d'asile.
Nous nous préoccupons aussi du fait que le projet de loi C-11 ne cherche pas de remède à ce que nous croyons être le talon d'Achille de la CISR, à savoir l'absence d'une révision efficace ou de contrôle des décisions favorables au demandeur.
M. David Griffin, agent exécutif, Association canadienne des policiers et policières: En tant que porte-parole national des 30 000 membres du personnel policier de première ligne au Canada, l'Association canadienne des policiers et policières est heureuse de comparaître devant votre comité ce soir. Nous avons contribué aux délibérations sur des dossiers tels que la justice pénale pour les jeunes, la pornographie juvénile, la conduite avec facultés affaiblies, l'imposition de peines, les services correctionnels et les libérations conditionnelles, les poursuites à haute vitesse, le crime organisé, ainsi que les innovations technologiques ayant une incidence sur l'intervention policière, dont les prélèvements d'ADN et le projet de modernisation du Centre d'information de la police canadienne.
C'est donc dans cet esprit que nous nous réjouissons d'avoir l'occasion de vous faire part de nos observations au sujet du projet de loi C-11, la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Nous reconnaissons que le Canada est le meilleur pays du monde où l'on puisse vivre et pour cette raison, de nombreuses personnes venues des quatre coins de la planète voudront s'établir au Canada pour y fonder un foyer. Nous savons que seulement 20 p. 100 des 4 millions de personnes chaque année font une demande de résidence légale au Canada sont acceptées.
Nous savons également que la vaste majorité des immigrants qui s'établissent au Canada s'avèrent des membres productifs et respectueux de la loi qui contribue à notre société. Ce taux de réussite témoigne du bon travail effectué quotidiennement par les responsables du ministère au pays et à l'étranger qui veillent à ce que tous les efforts soient déployés, à l'aide des outils etdes ressources dont ils disposent, pour traiter les demandes d'immigration et les revendications du statut de réfugié. La principale préoccupation de l=association n'est pas centrée sur la problématique de l'immigration en soi mais plutôt sur la méthode d'application des lois utilisée lorsqu'une personne assujettie à la Loi sur l'immigration a commis un acte criminel au Canada ou dans un autre pays.
Il nous est difficile de nous pencher sur les problèmes concernant les points d'entrée au Canada sans songer aux incroyables tragédies survenues aux États-Unis d'Amérique le 11 septembre 2001.
Nous tenons à préciser dès le départ que nos observations ne représentent aucunement une réaction irréfléchie à ces tristes événements. Nous ne savons pas si ceux qui sont responsables du massacre du 11 septembre se sont servis du Canada comme point d'entrée en Amérique du Nord. Toutefois, de nombreuses preuves tirées d'incidents hautement médiatisés et de la contrebande d'immigrants clandestins passés par notre pays avant le 11 septembre, indiquent que le Canada est considéré internationalement comme un point d'entrée aux États-Unis pour des criminels et des terroristes.
Aujourd'hui, plus que jamais, les Canadiens et Canadiennes s'inquiètent vivement de la sécurité offerte par nos lignes aériennes, nos réseaux de transport, les ports, les voies maritimes, les canaux, les couloirs de pipelines, les installations nucléaires, les institutions publiques et les centres économiques. Les policiers et policières du Canada comprennent cette inquiétude et sont d'avis eux aussi que nous pouvons et nous devons en faire davantage pour préserver notre mode de vie. Notre position n'est pas dictée par une réaction irréfléchie à la tragédie du 11 septembre mais constitue un plaidoyer passionné, implorant le gouvernement de se pencher sur les préoccupations soulevées par les policiers et d'autres responsables de l'application des lois depuis une dizaine d'années. Il est grand temps que le gouvernement du Canada démontre clairement aux Canadiens et Canadiennes que le Canada entend sérieusement défendre ses frontières.
Les policiers et policières se lassent de plus en plus des déclarations politiques au sujet de l'engagement du Canada envers l'application des lois, déclarations qui ne sont pas étayées par les ressources et le soutien nécessaires. Depuis plusieurs années, à chaque assemblée générale annuelle, l'Association canadienne des policiers et policières adopte des résolutions ayant trait à l'application des lois sur l'immigration et l'expulsion, la protection de nos frontières et le crime organisé. Le texte des résolutions adoptées à l'assemblée du mois d'août constitue l'annexe A de notre mémoire, et le texte de notre témoignage devant le Comité de l'immigration de la Chambre des communes constitue l'annexe B.
Étant donné notre proximité aux États-Unis, le Canada serait particulièrement vulnérable, en tant que tremplin pour le crime international. Les criminels internationaux reconnaissent le Canada comme point d'accès aux États-Unis pour y transporter leur contrebande illicite, comprenant le trafic de personnes, de drogues, de pornographie juvénile et d'armes à feu, sans compter l'exécution d'actes terroristes. Cependant, le pire, c'est que le Canada s'est acquis une réputation internationale de refuge sûr pour les criminels et de terrain fertile pour le crime organisé.
L'élimination de la police portuaire ne constitue qu'un exemple des compressions budgétaires qui ont affaibli la sécurité nationale dans nos ports d'entrée et fait ressortir le besoin d'un service de protection coordonné aux frontières canadiennes. D'autres exemples viennent à l'esprit, entre autres la privatisation de la sécurité dans les aéroports, les compressions draconiennes du personnel de l'immigration et des douanes et le changement de priorité aux frontières canadiennes, où la sécurité et l'application des lois ont cédé la place à la production de revenus et à la perception d'argent.
Les implications d'une frontière ouverte entre le Canada et les États-Unis suscitent de graves préoccupations en matière d'application des lois, dont la prolifération possible de la criminalité dans des domaines comme le trafic d'armes à feu et de drogues, le transport d'immigrants illégaux, ainsi que l'entrée au Canada de criminels violents en quête d'un refuge sûr ou d'un abri contre les poursuites judiciaires aux États-Unis. Notre association s'oppose au concept d'une frontière ouverte et réclame le renforcement des frontières canadiennes à tous les points d'entrée.
Nous préconisons la création d'un service national de protection des frontières pour assurer la protection et la surveillance stratégiques et coordonnées des frontières canadiennes et des points d'entrée au Canada. Ce service serait distinct du ministère du Revenu national.
Nous faisons d'autres recommandations qui concernent par exemple la détermination du statut d'immigrant des personnes reconnues coupables d'un acte criminel et passibles d'une peine d'emprisonnement de 10 ans ou davantage imposée par le tribunal de première instance, et le processus d'appel au criminel par après. Dans de tels cas, c'est le juge de première instance qui a prononcé la condamnation pour certaines infractions désignées qui devrait ordonner l'expulsion, et cette mesure ne devrait pas faire l'objet d'un processus distinct et coûteux. Il faut accorder davantage d'importance au filtrage des demandeurs avant leur arrivée au Canada. Il faut améliorer la qualité de la sélection des personnes méritant le statut de réfugié, et s'assurer entres autres qu'il ne s'agit pas d'éléments criminels. La rationalisation du nombre de niveaux d'admissibilité et d'appel s'impose aussi. Les économies qu'on réaliserait avec ces changements devraient être réinvesties dans l'amélioration du processus de filtrage.
Nous sommes heureux de voir que le projet de loi contient diverses mesures concernant le trafic d'êtres humains, les criminels organisés et les criminels qui cherchent à entrer au Canada. Nous croyons cependant que les dispositions du paragraphe 37(2), qui permettent au ministre d'annuler de telles exclusions, sont totalement contre-indiquées. Nous trouvons également incompréhensible que le ministre soit obligé de décider qu'une personne pose un danger pour le public pour refuser l'entrée aux personnes reconnues coupables d'actes criminels hors du Canada. Chose certaine, si l'on pense que seulement 20 p. 100 des plus de quatre millions de personnes qui demandent à entrer chez nous sont reçues, un casier judiciaire devrait être un motif de refus suffisant.
Notre association demeure contre le recours à la discrétion ministérielle pour émettre des permis spéciaux à des personnes inadmissibles au Canada en raison de toute forme d'activité criminelle quelconque. À notre avis, il est incompréhensible qu'on permette à des personnes reconnues coupables de crimes graves, des criminels organisés ou des terroristes d'entrer au Canada grâce à la discrétion politique.
Lorsqu'il s'agit de sécurité aux frontières, d'application des lois sur l'immigration ou de sécurité aux aéroports et autres points d'entrée au Canada, le gouvernement fédéral doit agir rapidement pour réparer les failles béantes dans les capacités actuelles du Canada, en matière de sécurité et d'application des lois. Les récentes réaffectations du personnel de la GRC en réponse à la problématique du terrorisme en sont un exemple de choix. On a retiré ces policiers d'autres fonctions policières également prioritaires auparavant, telles que la lutte contre le crime organisé et la surveillance policière sur le terrain dans leur communauté. Bon nombre de ces fonctions ont été négligées étant donné que la GRC a dû parer à la dernière crise avec les limites budgétaires qui lui sont imposées.
Même si l'Association canadienne des policiers et policières a adopté des résolutions à la chaîne, implorant le gouvernement du Canada d'assurer le financement adéquat du budget de la GRC pour maximaliser l'efficacité des responsabilités policières fédérales et nationales, nos demandes d'aide sont demeurées sans réponse. Les frontières canadiennes se retrouvent dans le même piteux état. Les agents de l'immigration et des douanes manquent de ressources et de technologies leur permettant d'inspecter l'énorme quantité de biens et d'examiner le grand nombre de personnes qui entrent au Canada et qui en sortent quotidiennement. Les Canadiens et Canadiennes ne devraient pas se bercer d'illusions sur leur sécurité simplement parce qu'ils voient davantage d'agents de police aux ports d'entrée et dans les aéroports du Canada.
Quand on improvise de la sorte, les ressources consacrées au respect des lois sont allouées selon l'évolution des priorités politiques. On déshabille Pierre pour habiller Paul, et ce jeu de passe-passe doit cesser.
Le Canada a besoin d'une approche stratégique multidisciplinaire à la sécurité nationale qui combine des lois et des politiques efficaces, des ressources humaines et technologiques assorties à la formation voulue, et une stratégie globale intégrée d'application des lois. La sécurité de notre nation nécessite autre chose que des voeux pieux; elle nécessite une vision à long terme et des décisions régissant l'allocation de ressources stratégiques qui assureront la prospérité et la sécurité durables dans notre pays pour les générations futures.
En tant que pays, à quel point entendons-nous sérieusement protéger nos frontières? Nous le démontrerons véritablement, non pas par des déclarations politiques ou de nouvelles lois, mais en déterminant si nous avons enfin suffisamment de volonté politique pour accorder la priorité voulue ainsi que les ressources, la formation et le soutien qui s'imposent pour refermer les failles béantes dans les capacités du Canada en matière de sécurité et d'application des lois.
Le sénateur Di Nino: Tous nos témoins aujourd'hui ont fait mention du fait qu'ils n'ont pas les ressources voulues pour faire leur travail. J'ai été surpris par ce qu'a dit Mme Lebon, qui mentionnait qu'on avait réduit le personnel de son ministère de 7 000 employés à 4 000. Aviez-vous un excédent de personnel avant ces compressions?
Mme Lebon: Non. En 1993, notre sous-ministre, Peter Harder, qui est passé plus tard au Conseil du Trésor, a effectué une étude. C'est lui qui a déterminé le niveau des effectifs qu'il nous fallait dans cette restructuration. Nous avons ainsi perdu beaucoup d'employés. Moi-même j'ai dû quitter mon poste de Hamilton pour en prendre un à Mississauga. Les offres d'emploi qu'on nous faisait étaient raisonnables, mais nous avons subi aussi des réductions massives. Il y a des gens qui ont pris leur retraite.
La seconde compression a eu lieu dans la foulée de la réduction globale des effectifs gouvernementaux qui s'est étalée sur environ trois ans, de 1995 à 1998. Nous avons été touchés deux fois, pour ainsi dire.
Le sénateur Di Nino: Pour mémoire et pour ma propre édification, pouvez-vous décrire ce que vous et vos collègues faites exactement?
Mme Lebon: Nous sommes responsables des points d'entrée aux frontières et aux aéroports, grands et petits. Nous avons trois bureaux chargés de l'exécution des lois au Canada qui s'occupent des enquêtes spécialisées, des arrestations, des renvois, de la détention, des audiences et des enquêtes. Les trois centres d'appels sont les premiers lieux où tout le monde téléphone pour se renseigner sur l'immigration ou amorcer le parrainage d'un immigrant. Nous avons trois centres de traitement des cas. L'un est chargé du parrainage outre-mer, l'un s'occupe de toutes les demandes de visiteurs au Canada, et nous avons ensuite le centre de la citoyenneté qui ne fait pas partie de notre syndicat, mais qui est considéré comme faisant partie du ministère. Nous avons de nombreux bureaux intérieurs qui traitent les cas litigieux que nous envoie le Centre de traitement des demandes de Vegreville. Nous avons un bureau en Ontario qui traite exclusivement les demandes des réfugiés dont les demandes ont été étudiées et acceptées. Nous avons nos services administratifs, notre personnel de bureau et le personnel de surveillance. Nous avons des agents qui sont en poste à l'étranger. Nous nous occupons des formalités d'immigration du début jusqu'à la fin.
Le sénateur Di Nino: Vous travaillez avec la CISR, avant et après, ou travaillez-vous indépendamment les uns des autres?
Mme Lebon: C'est interrelié. Par exemple, si l'on a au point d'entrée des gens qui prétendent être des réfugiés, on remplit les formalités d'immigration et on les transmet à la CISR. Une fois les formalités de la CISR complétées et le renvoi ordonné, le dossier abouti à mon bureau. Ou si les agents sont sur le terrain et effectuent une arrestation, la personne peut dire «je suis un réfugié», et le dossier est déféré à la CISR. Il y a des liens étroits entre nos activités, même si physiquement parlant, nous sommes séparés.
Le sénateur Di Nino: Combien de dossiers vous et vos collègues gériez-vous en 1996 par rapport à aujourd'hui? Avez-vous une idée?
Mme Lebon: Je n'en ai pas la moindre idée, désolée.
Le sénateur Di Nino: Diriez-vous que c'est plus aujourd'hui, à tout le moins?
Mme Lebon: J'imagine que oui. Je sais que le ministère a des statistiques sur le nombre d'arrestations, de rapports rédigés, d'audiences et d'enquêtes. Le ministère publie des statistiques sur les mesures d'application de la loi, trimestriellement et annuellement.
Le sénateur Di Nino: Si je vous ai bien compris, ce qui vous préoccupe le plus, ce sont les ressources, humaines ou autres, qu'il vous faut pour faire votre travail. Votre première observation concernait le délai de 72 heures. Nous avons interrogé d'autres personnes à ce sujet. Je suis heureux que vous l'ayez abordé. Même si vous aviez les ressources voulues, vous demeureriez incapables de vous acquitter de cette responsabilité, n'est-ce pas?
Mme Lebon: C'est un problème en deux volets: premièrement, les ressources qu'il faut pour respecter le délai de 72 heures, et deuxièmement, comment faire ce que nous faisons déjà régulièrement.
À titre d'exemple, il y a deux semaines, les régions de Niagara Falls et de Fort Erie ont réalisé un projet pilote portant sur le délai de 72 heures. J'ai reçu des appels de gens qui me disaient: «Mais qu'est-ce qu'on fait là? Nous avons des réfugiés qui attendent dans notre salle d'attente, et nous avons à nous acquitter de nos obligations normales relatives à l'immigration. Nous disons aux gens d'attendre. Ils s'en iraient que nous ne le saurions pas.» Il n'y a pas de locaux pour les garder. Certaines personnes ont dû dormir dehors avec des couvertures parce qu'il n'y avait pas moyen de traiter leur demande.
Heureusement, le directeur venait de rentrer d'une affectation. Sa première initiative a été d'appliquer ce qu'il appelait la politique du retour direct. Il a renvoyé ces gens à Buffalo et leur dit de revenir, en prenant rendez-vous, dans les 72 heures requises pour le traitement.
Il est vrai que la nouvelle loi n'est pas en vigueur, mais la ministre a bel et bien essayé d'imposer le processus de 72 heures. C'était prévu pour l'aéroport Pearson. Le personnel a répondu: «Où allons-nous garder les demandeurs d'asile dont nous devons traiter les demandes, et il y en a peut-être 20 de plus à tous les jours? Nous n'avons qu'une salle d'attente.»
Le ministère ne planifie rien. Cela nous préoccupe beaucoup. Il y a des questions de santé et de sécurité aussi. Si un client doit attendre pendant 24 heures, c'est sûr qu'il ne sera pas de bonne humeur. Il y a là un risque de violence, et l'agent ne sera pas de bonne humeur non plus à cause du stress.
Le sénateur Di Nino: Craignez-vous que des éléments indésirables ne passent à travers les mailles du filet?
Mme Lebon: C'est tout à fait possible. À Fort Erie, on leur a dit: «Faites-les attendre dehors.» Qu'est-ce qui empêche une personne assise à une table de pique-nique de prendre la clé des champs? Rien. Nous ne les détenons pas. Nous n'avons pas la possibilité de procéder à un examen complet. Nous faisons confiance aux gens et nous disons: «Allez vous asseoir là-bas et attendez qu'on vous appelle.»
Le sénateur Di Nino: Monsieur Kers, vous avez parlé des faiblesses relatives à la sécurité, du fait que la CISR manque cruellement de ressources, qu'on a supprimé les postes d'agents chargés des entrevues, et cetera. Ce qui vous préoccupe principalement, ce n'est pas tant le contenu du projet de loi que le fait que vous n'avez pas les ressources qu'il vous faut pour faire le travail qui doit être fait, empêcher certains éléments indésirables d'entrer, et servir ceux que nous voulons admettre et qui deviendront, espérons-le, de bons citoyens canadiens. Est-ce exact?
M. Kers: C'est cela. Comme je l'ai dit plus tôt, lorsque je m'exprime, je ne suis pas obligé d'y mettre autant de tact que mon patron, M. Showler. La situation à la CISR est grave. J'admets que votre comité n'a pas normalement pour mandat ouresponsabilité de discuter de finances, mais je dois attirer votre attention sur certaines situations.
Comme l'a dit M. Showler, notre charge de travail depuis 1997-1998 a augmenté entre 90 et 100 p. 100. Depuis ce temps, notre organisme n'a reçu aucune augmentation substantielle au niveau du financement de base. On en ressent les effets à tous les échelons de l'organisme, et cela nous empêche de réaliser notre mandat ainsi que diverses autres initiatives gouvernementales.
En dépit de cette charge de travail qui ne cesse d'augmenter, situation qui justifierait à mon avis plus de stabilité dans nos effectifs, 18 p. 100 des membres que je représente n'ont aucune sécurité d'emploi. Ils vivent dans un cycle constant de nominations pour une période déterminée, ou alors ils s'en vont, emportant avec eux l'expérience et la formation qu'ils ont acquises.
La CISR voudrait corriger cette situation, mais elle ne peut le faire étant donné l'insuffisance de son financement de base. Les arbitres de la CISR, qui sont chargés de déterminer si les personnes que l'on croit inadmissibles doivent être détenues - et ce sont des employés dont le pouvoir décisionnel est aussi essentiel que celui des commissaires - ont demandé à faire reclassifier leur poste mais ils se sont butés à un refus. Pourquoi? La raison en est qu'on manque de fonds.
Les agents chargés de la revendication de la CISR, dont les responsabilités vont théoriquement augmenter avec l'obligation d'étudier tous les motifs de protection, ont également demandé à faire reclassifier leur poste et ils attendent. Là aussi, la CISR semble incapable d'en engager de nouveaux ou de les garder. Pourquoi? Parce qu'on manque de fonds.
Il y a 180 commissaires, en principe, si chaque tribunal est composé d'un seul commissaire. Nous n'avons que 103 agents chargés de la revendication, ou ACR. La Direction des ressources humaines de la CISR n'arrive pas à garder son personnel chevronné. Ces personnes vont travailler dans d'autres services de l'administration fédérale où on leur donne les ressources voulues pour faire leur travail.
Le sénateur Di Nino: Vous devez être heureux du fait que le vérificateur général s'est dit tout à fait en accord avec vous.
Monsieur Griffin, quel est le rôle de la police dans l'administration de la future loi? Encore une fois, pour mémoire et ma propre édification, veuillez nous décrire la place qu'occupent ici le SCRS, la GRC, la CISR et les agents d'immigration, et cetera?
M. Griffin: Mme Lebon, qui est sur le terrain quotidiennement, est peut-être plus en mesure que moi de répondre à une telle question. Cependant, nous avons nous aussi des agents outre-mer qui prêtent leur concours aux enquêtes sur les demandeurs, vérifient les informations et fournissent des renseignements relatifs aux casiers judiciaires et autres.
L'une de nos préoccupations tient depuis toujours au fait que les agents de l'immigration ou des douanes qui sont aux frontières ne peuvent pas effectuer directement de vérification du casier judiciaire à leur poste de travail. C'est tout simplement ridicule. Il ne devrait pas y avoir de cloisonnement entre nos services. On peut obtenir ces informations aisément. Quand quelqu'un entre dans notre pays, que ce soit à titre de résident permanent ou de visiteur, les Canadiens s'attendent à ce que nous soyons en mesure d'effectuer les vérifications voulues. Nous avons la technologie pour ça.
À notre point de vue, lorsque nous parlons de ressources, il ne s'agit pas seulement du nombre de personnes, même si cela est évidemment fort important du point de vue de la charge de travail, mais il s'agit aussi d'avoir les outils, la technologie, le matériel ainsi que l'accès à l'information.
Parfois, nos restrictions relatives à la liberté de l'information ou au respect de la vie privée nous empêchent d'effectuer ces vérifications. Encore là, la protection de l'intérêt public supérieur doit passer avant les droits de l'individu ou le respect de la vie privée, lorsque les gens arrivent aux frontières et que l'agent veut simplement faire une vérification au dossier.
Le sénateur Di Nino: Au sujet de la confidentialité, avez-vous des statistiques qui indiquent que certains individus vous ont posé des problèmes? Ahmed Ressam est celui dont on parle tout le temps. Y a-t-il d'autres personnes, et pas nécessairement des terroristes, qui, dans des circonstances normales, ne seraient pas admissibles comme citoyens de ce pays?
M. Griffin: Je ne peux pas mentionner de cas précis, mais je peux vous parler du genre de plaintes que j'ai reçues d'agents de l'immigration sur le terrain. À titre d'exemple, dans certaines circonstances, l'agent est obligé de passer par deux chaînes de commandement pour obtenir une vérification des antécédents judiciaires. Autre exemple, on lui répond qu'il ne peut pas avoir accès à certaines informations à son poste de travail à cause du respect de la vie privée, et parce qu'il n'est pas en mesure de filtrer d'autres informations au dossier. Nous devons repenser la manière dont tous nos systèmes doivent s'harmoniser pour faire ce que les Canadiens attendent.
Le sénateur LeBreton: Exactement. À l'aire de la technologie, les Canadiens supposent que les ordinateurs communiquent entre eux et qu'il y a partage d'information entre les autorités. Le SCRC et la GRC semblent être sur des planètes différentes, d'après ce qu'ils sont venus vous dire.
Madame Lebon, j'aimerais savoir si tout cela a affecté vos travailleurs? Y a-t-il beaucoup de gens qui souffrent d'épuisement professionnel, causant ainsi un roulement élevé chez vos employés?
Dans votre témoignage, vous nous avez dit que des cas étaient portés devant les tribunaux. Quelles sont alors les responsabilités de vos employés lorsque cela se produit?
Mme Lebon: Pour répondre tout d'abord à votre deuxième question, j'utiliserai l'exemple de l'arrêt Baker. Il s'agit du cas d'une mère qui a des enfants nés au Canada. Un agent de l'Ontario a préparé le dossier. Il a été contesté et l'affaire a été portée devant les tribunaux qui ont examiné tous les éléments d'information. L'agent a témoigné devant le tribunal. Le tribunal a dit que le dossier devait être examiné à nouveau en tenant compte du rôle des enfants.
À l'heure actuelle, par exemple, l'affaire Suresh, qui est un terroriste Tamoul, est devant la Cour suprême. Nous attendons une réponse car nous voulons l'expulser. Il prétend être en danger à Sri Lanka. La Cour suprême doit maintenant décider, selon les preuves présentées, s'il sera expulsé ou s'il restera au Canada.
Cela diffère considérablement du système américain. Au Canada, les arrêts de la Cour suprême ont un impact majeur sur l'immigration. Les immigrants sont considérés comme ayant les mêmes droits que les Canadiens aux termes de la Charte canadienne des droits et libertés, ce qui n'est pas le cas aux États-Unis. Les immigrants ont accès aux députés, accès que certains Canadiens n'ont jamais eu.
Pour ce qui est de l'épuisement professionnel, au cours de la dernière année, je me suis occupée d'environ une douzaine de cas où des employés ayant 20 ou 25 ans de service envisageaient une retraite pour des raisons de santé ou avaient pris un congé de maladie prolongé. J'ai eu une personne qui n'a pas travaillé pendant quatre ans. Elle a maintenant réglé ses problèmes avec le ministère et elle est partie. Nous continuons de nous occuper de ces cas.
Le 11 septembre nous étions en grève. Nous avons levé les piquets de grève et la plupart d'entre nous sont rentrés chez eux. On a demandé à ceux qui travaillaient à l'aéroport Pearson s'ils voulaient rentrer travailler. Le syndicat l'a approuvé et ils sont rentrés travailler. La plupart d'entre eux sont encore en train de se remettre du traumatisme. Leur plus gros problème était de s'occuper des américains qui ne savaient pas ce qui se passait.
Il y a eu un article intéressant qui est paru dans le Hamilton Spectator à ce sujet et je vous en enverrai un exemplaire.
En ce qui concerne la rémunération, il y a 25 ans, un agent d'immigration à Toronto gagnait environ 9 000 $ par an tandis qu'un policier de Toronto gagnait 8 000 $. Aujourd'hui, nous gagnons de 10 000 $ à 15 000 $ de moins qu'un policier. Ceux d'entre nous qui travaillent dans le domaine de l'exécution de la loi, cela a un impact majeur. Nous avons des employés qui sont amers et maussades, ce qui ne nous aide pas dans notre travail.
Le sénateur LeBreton: Cela ne doit certainement pas aider à recruter des employés.
Mme Lebon: Non. Récemment, notre bureau a embauché 12 diplômés d'université. Ils ne sont pas très heureux du côté de l'exécution de la loi. Leurs premières affectations auraient peut-être dû être à ce que nous appelons l'intérieur, les services de l'orientation, des demandes de résidence permanente et d'établissement, où le travail est positif. L'exécution de la loi est en grande partie un travail négatif. Si on ne sait pas s'y prendre, il peut malheureusement y avoir démotivation.
Le sénateur LeBreton: Pour revenir aux cas qui sont devant les tribunaux, vos employés subissent-ils beaucoup de pression pour qu'ils s'occupent des dossiers qui sont devant les tribunaux? Font-ils presque partie du dossier, même s'ils tentent de le régler rapidement? S'enlisent-ils dans les responsabilités juridiques?
Mme Lebon: C'est le ministère de la Justice qui nous représente, mais on fait appel à l'agent. Il y a une entrevue complète, un examen du dossier et on prépare l'agent à témoigner. Dans certains cas, ça peut être très stressant pour l'agent. Déjà la plupart d'entre nous n'aiment pas aller devant les tribunaux, et le fait de devoir y aller dans le cadre de l'examen minutieux d'un dossier crée des pressions supplémentaires.
Le sénateur LeBreton: Naturellement, vous devez toujours garder le dossier actif dans votre esprit alors que vous continuez de vous occuper de vos autres tâches.
Monsieur Griffin, j'ai demandé à un témoin précédent quelle était la situation à nos frontières, plus particulièrement la frontière entre le Canada et les États-Unis. De quelle façon aimeriez-vous que vos employés interagissent avec les employés de douanes et accise à la frontière en ce qui a trait à l'échange d'information et au port d'armes? Si vous deviez rédiger les règles, de quelle façon le feriez-vous?
M. Griffin: Nous aimerions certainement que les règles soient plus strictes. Comme nous l'avons dit dans notre mémoire, nous préconisons un service de police à la frontière nationale qui s'occupe uniquement du maintien de l'ordre, un service distinct qui a un rôle différent à jouer par rapport aux agents des douanes qui, eux, s'occupent d'abord et avant tout de perception de recettes depuis qu'ils relèvent de l'ADRC. Nous aimerions que l'aspect sécurité soit renforcé.
Deuxièmement, nous aimerions voir un effort concerté pour éliminer toutes les barrières entre les organismes. Je suis sûr que la police a une responsabilité à cet égard également. Nous ne disons pas que tous les autres ne font pas la bonne chose.
Nous croyons que le projet de loi qui est proposé est important et, de façon générale, nous appuyons ce projet de loi. Nous ne voulons pas attendre encore 18 mois avant qu'il soit adopté, bien que je me pose des questions étant donné certains des problèmes qui ont été soulevés aujourd'hui. Cependant, cette loi ne peut être efficace que si le gouvernement et les gens sur place qui feront le travail lui accordent la priorité.
Un autre problème est celui de la charge de travail. Les contingents d'immigration ont considérablement augmenté au cours des dix dernières années. Nous avons interviewé certains agents qui s'occupaient surtout des enquêtes sur le crime organisé au ministère et qui travaillent avec la GRC et le SCRS. Ils estiment qu'ils ont de très bons rapports de travail, mais ils ne croient pas avoir la capacité de gérer la charge de travail qu'on leur confie.
Tout d'abord, le gouvernement du Canada doit dire clairement que nos façons de faire vont changer et qu'il nous accordera les appuis nécessaires pour y arriver.
Le sénateur LeBreton: Il semble que ce soit un problème d'affectation des ressources - humaines, technologiques et financières.
Le sénateur Fairbairn: À vous regarder et à vous écouter, je pense que vous êtes sans doute vous-mêmes un peu stressés.
Cela a été très intéressant. Tout le monde partage sans doute le même objectif. Il s'agit de savoir comment nous atteindrons ensemble cet objectif.
M. Griffin a dit que fondamentalement, le projet de loi ne posait pas de problèmes majeurs. Il s'agit de savoir ce que vous êtes en mesure de faire pour aller de l'avant. Il ne fait aucun doute que les Canadiens sont très inquiets. Même avant le 11 septembre, les préoccupations concernant nos frontières ont fait les manchettes et ont causé beaucoup de nervosité chez les Canadiens. Aucun projet de loi ne peut régler tous les problèmes, mais l'objectif consiste à tenter de régler certains de ces problèmes. Il est clair que les 625 employés dont M. Kers a parlé seront loin de pouvoir faire le travail nécessaire. Je crois que c'est ce que vous avez dit tous les trois.
«Ressource» est un mot magnifique. Cela peut vouloir dire tout et n'importe quoi pour les gens, selon leur point de vue. Dans votre cas, combien vous faudrait-il d'employés supplémentaires pour vous aider à traiter le volume de cas actuels et prévus?
M. Kers: J'ai mentionné qu'à la Commission du statut de réfugié, il y a 180 commissaires mais seulement 103 agents de revendication du statut de réfugié. À mon avis, il nous en faudrait au moins 50 à 60 de plus. Il est assez facile de déterminer la charge de travail des commissaires et des agents de revendication du statut de réfugié. L'autre problème, c'est qu'il faut également augmenter le nombre de membres du personnel de soutien et qu'il est plus difficile d'évaluer les besoins à ce niveau. Cependant, je dirais que nous aurions besoin d'une augmentation cumulative d'au moins 10 à 15 p. 100 à divers niveaux du soutien à la commission.
Augmenter tout simplement nécessaire le nombre de têtes ne suffit pas. Je ne sais pas jusqu'à quel point vous voulez que nous vous en parlions, mais par exemple, M. Showler a parlé de la formation à la commission en réponse à une question. La formation est bonne, mais le fait est qu'en 1998, le budget de formation s'élevait à 594 000 $ tandis qu'à l'heure actuelle il n'est plus que de 356 000 $ par an. Nous l'avons réduit d'un quart de million de dollars, tandis que la charge de travail a augmenté de près de 100 p. 100. Nous avons un nouveau système de gestion des cas, une nouvelle loi et de nouvelles responsabilités, mais nous n'avons pas d'argent pour la formation. Il y a un besoin évident de formation.
Par ailleurs, nous n'avons pas suffisamment de salles d'audience. Nous n'avons pas l'espace physique ni les ressources. Nous n'avons pas l'infrastructure. Toutes ces choses s'ajoutent au problème. Essentiellement, si nous n'avons pas les ressources, nous ne pouvons ni embaucher ni garder les employés dont nous avons besoin, nous ne pouvons pas maintenir un environnement de travail qui permette de retenir et de perfectionner sa main-d'oeuvre et nous ne pouvons pas reconnaître comme il se doit les réalisations des employés. Nous ne pouvons pas maintenir un lieu de travail sécuritaire et nous ne pouvons pas régler le problème d'une charge de travail excessive ou du stress qui accompagne une telle charge de travail, tant pour les commissaires que pour les employés en première ligne. Nous ne pouvons maintenir le haut calibre de notre travail à la Commission du statut de réfugié, ni la réputation que nous avons acquise, sans une augmentation correspondante des ressources pour faire face à la fois à la charge de travail accrue et à notre nouveau mandat aux termes du projet de loi C-11.
Le sénateur Fairbairn: Si vous obteniez une aide substantielle dans ces divers domaines, est-ce qu'à votre avis le projet de loi vous permettrait de faire des progrès?
M. Kers: Je ne comprends pas votre question.
Le sénateur Fairbairn: Je veux parler des objectifs du projet de loi. Je ne vous ai pas entendu contester les objectifs du projet de loi, mais plutôt la façon dont vous pouvez les atteindre. Si vous aviez l'infrastructure, la formation et le personnel supplémentaire, y a-t-il des éléments du projet de loi à l'étude, ou un objectif majeur dans le projet de loi à l'étude, qui vous aideront et qui amélioreront le processus?
M. Kers: Comme je l'ai déjà dit, de façon générale, nous croyons que le projet de loi nous permet d'aller dans la bonne direction. Un bon nombre des problèmes que nous avons à la commission qui ne peuvent être réglés en modifiant la loi peuvent se régler à l'interne, mais ils ne pourront être réglés tant que nous subirons les pressions de ressources insuffisantes qui nous empêchent de mener à bien notre mandat.
Le sénateur Fairbairn: Cela revient en grande partie au problème d'accessibilité des ressources.
M. Kers: Non seulement cela, mais nous ne pouvons nous acquitter de bon nombre de nos autres responsabilités gouvernementales, notamment les initiatives relatives au programme Gouvernement en direct et nos obligations en vertu de l'équité en matière d'emploi. Chaque ministère a toute une série d'obligations aux termes de divers programmes gouvernementaux dont on ne parle pas dans le contexte actuel. Avec le temps, on a tendance à laisser tomber ces obligations car les fonds sont réaffectés aux principales activités. Il y a en fin de compte un prix à payer, soit des employés démoralisés, épuisés sur le plan professionnel, stressés, malades, et le problème à embaucher et à garder des employés au sein de la fonction publique.
Le sénateur Fairbairn: Ce que vous avez dit ici ce soir nous a été utile. Tout cela sera versé au compte rendu dans les deux langues officielles. J'espère que cela sera utile à d'autres également, alors que le gouvernement va de l'avant dans ce dossier et, en fait, dans d'autres directions.
M. Griffin: Nous avons essayer de faire la part des choses entre s'occuper des criminels et tenir compte des graves préoccupations au niveau de la sécurité. Le projet de loi est un pas dans la bonne direction. Certains éléments devraient être plus stricts en ce qui a trait aux gens qui sont trouvés coupables d'infractions criminelles, notamment la détermination des seuils et l'accès au processus d'appel.
Comme nous l'avons dit, si la personne est trouvée coupable et qu'on lui impose une peine d'incarcération, pourquoi devra-t-elle suivre un autre processus. D'un autre côté, on pourrait permettre au juge qui impose la peine de déterminer, en se fondant sur les mêmes principes, si cette personne devrait ou non être expulsée du pays. Nous sommes certainement d'avis que le projet de loi pourrait être amélioré, mais nous croyons qu'il constitue néanmoins une amélioration, encore une fois, sans aborder bon nombre des questions pratiques de mise en oeuvre dont d'autres témoins vous parleront.
Encore une fois, ça ne peut fonctionner que si l'on s'engage à augmenter le nombre d'employés en priorité. J'ai entendu dire que l'effectif du ministère avait été réduit de 25 p. 100 au cours de la dernière décennie. Bon nombre de ces employés n'ont pas été remplacés. Nous avons un volume de cas plus élevés et pourtant nous avons moins de gens pour s'en occuper, particulièrement à l'étranger où il faudrait faire la vérification des antécédents de ceux qui présentent une demande dans les camps de réfugiés.
Pour ce qui est du personnel qu'il faut pour s'occuper de ces problèmes, il ne s'agit pas nécessairement de policiers, mais pour ce qui est de participer au processus ou de protéger nos frontières, manifestement, depuis le 11 septembre, les gens considèrent qu'il est nécessaire d'accroître notre présence aux points d'entrée et dans les aéroports canadiens. Nous n'avons pas entendu de déclaration à l'effet que cela sera maintenu ni que le travail que ces gens faisaient il y a un mois continuera d'être fait.
Le président: Monsieur Griffin, vous avez dit que c'était le système de justice pénale qui émettait les ordonnancesd'expulsion après une condamnation dans une affaire criminelle et que ce n'était pas le processus de détermination du statut de réfugié qui s'occupait du dossier d'expulsion. Avez-vous une idée du nombre de cas où cela se produit au cours d'une année?
M. Griffin: Non, je suis désolé, je ne peux répondre à la question.
Le président: Je vous pose la question car, si j'ai bien compris, ceux qui sont trouvés coupables d'un acte criminel purgent leur peine et sont ensuite expulsés, n'est-ce pas?
Mme Lebon fait signe que oui.
Je ne sais pas pourquoi cela fait une différence si on suit un processus à deux étapes. Ce n'est pas comme si on risquait de perdre la personne.
M. Griffin: Nous avons constaté des problèmes, plus particulièrement, lorsque des gens sont libérés dans la collectivité. Encore une fois, nous sommes heureux de constater que le projet de loi règle cette question. Les gens qui pourraient être expulsés ne seront pas nécessairement admissibles à une libération conditionnelle dans la collectivité. Nous avons vu des exemples où ces gens étaient libérés et ne se présentaient pas à leur audience devant la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Je dirais que ces gens qui sont trouvés coupables d'actes criminels et qui pourraient être visés par une ordonnance d'expulsion font partie de l'arriéré de 27 000 cas dont Mme Lebon a parlé, mais je ne sais pas dans quelle proportion.
Le président: Encore une fois, vous êtes d'avis que le projet de loi est un pas dans la bonne direction, mais qu'il ne va pas assez loin.
M. Griffin: Nous aimerions que certains de ces seuils soient encore plus élevés.
Le président: Que pensez-vous du pouvoir discrétionnaire du ministre? Je pose la question parce que ce pouvoir existe depuis que je suis ici, c'est-à-dire une trentaine d'années. Ce n'est pas une nouvelle disposition du projet de loi. Le principe du permis ministériel existe depuis toujours. Y a-t-il quelque chose de nouveau et unique dans la façon dont on propose de l'utiliser dans ce cas-ci qui inquiète l'Association canadienne des policiers, ou est-ce que votre point de vue sur la question a essentiellement toujours été le même?
M. Griffin: Il n'a jamais changé. Encore une fois, au cours d'entretiens avec les hauts fonctionnaires du ministère de l'Immigration qui s'occupent d'enquêtes parallèles avec nos membres, nous avons vu des ministres qui avaient un contrôle beaucoup plus serré de l'utilisation du pouvoir discrétionnaire du ministre. D'autres ministres ne semblent pas utiliser le même niveau d'examen détaillé ni avoir la même hésitation à signer ces ordonnances. À notre avis, et selon les raisons pour lesquelles les gens devraient se voir refuser l'entrée au Canada, qu'il s'agisse d'activités criminelles organisées, de préoccupations concernant la sécurité nationale, d'activités criminelles antérieures ou d'activités criminelles ici au Canada, nous ne croyons pas que le ministre du jour devrait avoir la possibilité de renverser cette décision dans le cadre du processus politique.
Le président: Ce que vous voulez dire en fait, c'est que certains ministres ont exercé ce pouvoir discrétionnaire plus fréquemment que d'autres - beaucoup plus fréquemment, selon vous -, n'est-ce pas?
M. Griffin: Oui. Les fonctionnaires ont même félicité une ministre du fait qu'elle a appliqué une norme très élevée et que très peu d'ordonnances avaient été signées.
Le président: D'après vous, donc, certaines personnes utilisent mieux leur discrétion que d'autres.
M. Griffin: C'est cela.
Le président: Avez-vous et vos collègues déjà été témoins de cas où l'application de cette discrétion a mal tourné parce que l'individu concerné a commis un autre acte criminel?
M. Griffin: Je ne pourrais pas vous citer de cas précis. Je suis désolé. Nous avons dû préparer à la hâte certains éléments de notre exposé au cours de la fin de semaine. Notre association a entamé des procédures contre le gouvernement fédéral et le ministère de l'Immigration concernant un individu qui a tué un policier de Toronto et qui avait fait l'objet de certains processus.
Le président: Je vous remercie tous les trois d'avoir pris le temps de venir nous parler.
Nos derniers témoins ce soir sont de la Chambre de commerce du Canada: M. Ben Trister, président du Groupe de travail sur la loi et la politique de l'immigration; et M. Michael Murphy, vice-président principal, Politique.
M. Michael N. Murphy, vice-président principal, Politiques, Chambre de commerce du Canada: Merci de nous avoir donné cette occasion de comparaître. Ce projet de loi est très important et la Chambre du commerce suit depuis quelque temps son cheminement avec beaucoup d'intérêt.
J'aimerais en effet soulever quelques points. Étant donné la liste de témoins qui ont comparu devant le comité aujourd'hui et les nouvelles circonstances qui font ressortir l'aspect de la sécurité dans le domaine de l'immigration, je crois comprendre que vous abordez certaines questions nouvelles. J'espère bien être tenu au courant. À la Chambre de commerce du Canada, on aborde ce projet de loi du point de vue de nos membres, comme nous le faisons dans tous les domaines, et nous mettons donc l'accent sur l'impact potentiel sur le milieu des affaires. Nous avions certainement des inquiétudes à ce sujet. Nous allons profiter de cette occasion pour vous faire part de certaines de ces inquiétudes dans le but d'être constructifs et d'attirer votre attention sur certaines questions qu'il faudrait étudier, soit dans le projet de loi lui-même, soit dans le règlement qui suivra.
D'habitude, avant de comparaître devant un comité, nous rédigeons un petit mémoire et nous vous l'envoyons à l'avance. Cette fois-ci, nous allons faire l'inverse, car nous comparaissons ce soir et nous enverrons après un mémoire très court qui résumera notre point de vue.
Ben Trister, qui nous accompagne aujourd'hui, est du cabinet de Borden Ladner Gervais à Toronto et aussi président du Groupe de travail sur l'immigration à la Chambre de commerce du Canada. Je lui demanderai de présenter nos commentaires, nos préoccupations et nos inquiétudes concernant le projet de loi, et je vous prierais de garder à l'esprit le fait qu'il s'agit de la perspective du milieu des affaires.
M. Benjamin J. Trister, président, Groupe de travail sur la loi et la politique de l'immigration, Chambre de commerce du Canada: J'aimerais ajouter une chose. Vous allez avoir demain matin l'impression de déjà-vu. Je vais venir témoigner à nouveau en représentant un autre groupe. On n'a pu faire autrement.
Le président: Vous devez être avocat.
M. Trister: Je suis un avocat très occupé. Il s'adonne que je suis aussi président de la section nationale de l'immigration de l'Association canadienne du Barreau. Afin que je puisse bien servir les organismes que je représente, il ne faut pas oublier que je ne suis là que pour présenter les politiques adoptées par les membres de ces organismes et il faudra faire semblant demain que je ne suis pas la même personne. Je n'aurais pas dû me raser la barbe la semaine dernière. Je représente aujourd'hui seulement le point de vue de la Chambre de commerce du Canada.
Nous aimerions aborder quatre points: d'abord, la question des cartes de résident permanent et la possibilité de revoir les cas tous les cinq ans pour déterminer si une personne a résidé au Canada pendant deux des cinq dernières années. Le deuxième point concerne le traitement des étudiants et leur droit de poursuivre leurs études sans risquer leur statut de résident permanent.
Troisièmement, il y a la question de l'autorisation d'interjeter appel des décisions prises à l'étranger, et quatrièmement, l'application rétroactive des nouvelles règles concernant les demandes faites à l'étranger pour la résidence permanente.
Le premier aspect, la résidence, est le plus compliqué, en partie parce que le point de vue du ministère a évolué au cours des ans et parce que la loi, y compris le projet de loi C-11, n'a pas évolué au même rythme que les intentions.
Si je comprends bien, le gouvernement voudrait pouvoir interroger tous les cinq ans le demandeur de carte de résident permanent pour savoir si la personne a résidé physiquement au Canada ou si la personne a respecté d'une autre façon l'exigence de résider au Canada pendant deux ans sur cinq. Le problème est que le projet de loi C-11, tel qu'il est rédigé, prévoit que le résident permanent doit recevoir un document confirmant son statut. Si on y est admissible en tant qu'immigrant, et si on est encore un immigrant jusqu'à ce que sa demande soit rejetée à tous les paliers, le fait que la personne n'a pas respecté l'exigence de résidence ne signifie pas nécessairement qu'elle n'est plus un immigrant. Il faut être déclaré non-immigrant.
Si la personne est un immigrant, elle a le droit de recevoir une carte. Comment le gouvernement va-t-il pouvoir poser la question: «Où avez-vous résidé?» Il n'est pas pertinent de mettre cette question sur une demande de carte de résident permanent, puisque ce n'est pas l'objet de la demande. De même, il ne serait pas pertinent de poser la question à quelqu'un qui essaie de traverser la frontière pour venir au Canada.
Nous discutons de cette question avec le gouvernement depuis quelque temps et nous savons donc qu'on pense avoir le droit de poser cette question. On aurait pu le faire si les députés n'avaient pas modifié le projet de loi à la Chambre des communes. On aurait pu poser la question tel que prévu parce que les examens contrôlés auraient permis de demander aux immigrants n'importe quoi, n'importe quand. Cette possibilité est maintenant éliminée. Pour cette raison, je doute qu'on ait le droit de poser ces questions à quelque point que ce soit dans le processus.
Pour aider le gouvernement à atteindre ses objectifs, vous pourriez envisager un amendement au projet de loi C-11, quelque chose que vous n'êtes peut-être pas enclins à faire. Le moyen le plus sûr, ce serait de modifier le projet de loi C-11 pour indiquer qu'une demande de carte de résident permanent peut être faite seulement pendant que la personne est encore résident permanent et si le demandeur indique sur la demande son lieu de résidence depuis cinq ans.
Si le projet de loi énonçait ces conditions pour recevoir une carte, le demandeur serait obligé de donner cette information, et dans ce cas-là, on pourrait poser la question. Si la disposition se trouve plutôt dans le règlement, elle est susceptible d'être contestée, puisque la loi indique que les résidents permanents recevront une carte. Je ne suis pas sûr si le fait de mettre cela dans le règlement suffira pour permettre au gouvernement de faire ce qu'il veut faire.
Le dilemme est le suivant: que fait le projet de loi C-11, ou que peut faire le règlement légitimement, pour permettre au gouvernement de mettre en application son intention initiale, chose qu'il a perdu le droit de faire par accident, potentiellement, en raison des changements au projet de loi C-11?
Pour venir maintenant au deuxième point, certaines circonstances prévues par le projet de loi C-11 peuvent compter dans le calcul du temps de résidence, même si le demandeur se trouve à l'extérieur du Canada. En vertu de la loi actuelle, il existe trois conditions obligatoires pour pouvoir obtenir un permis de retour pour résident permanent: d'abord, séjour à l'étranger pour un employeur canadien; deuxièmement, études ou amélioration des compétences à l'étranger; et troisièmement, séjour à l'étranger en compagnie d'un citoyen canadien ou d'un résident permanent qui possède déjà un permis de retour.
En vertu de la loi actuelle, un demandeur peut étudier à l'étranger sans risquer son statut de résident permanent. Dans le projet de loi C-11, cependant, le ministère refuse cette possibilité aux étudiants, en croyant qu'ils peuvent planifier leurs études pour ne pas violer la règle de deux ans de résidence sur cinq. Le problème est le suivant: au moment où on a envisagé ce changement, la période de l'application de la règle prenait fin après que l'immigrant obtenait le droit d'établissement, et une autre période de cinq ans commençait après. Le demandeur devait respecter la règle de deux ans de résidence pour chaque période de cinq ans. Selon les nouvelles dispositions, le début et la fin de la période ne sont pas fixés. C'est une période progressive. Par conséquent, un demandeur ne pourrait pas faire des études de quatre ans à MIT sans perdre son statut de résident permanent.
Le gouvernement a indiqué qu'il maintiendrait le statut pour des motifs humanitaires, mais si c'est le cas, je ne vois pas pourquoi on ne le met pas dans le règlement ou dans le projet de loi.
C'est dans l'intérêt du Canada de permettre à de jeunes résidents permanents d'aller à l'étranger pour étudier et de rapporter au Canada leurs nouvelles compétences. Nous vous encouragerions soit de modifier le projet de loi C-11, soit d'insister à ce que le règlement permette aux étudiants d'étudier à l'étranger sans perdre leur statut.
Il est important de comprendre la justification derrière la politique, et j'aimerais bien l'entendre. J'accepte que quand on choisit certains immigrants en raison de leurs compétences, on s'attend à ce qu'ils fassent une contribution économique au Canada, et on ne peut pas choisir quelqu'un d'autre parce que ce visa a déjà été attribué. Cependant, si quelqu'un arrive au Canada comme une personne à charge - certains immigrants en ont et d'autres n'en ont pas -, pourquoi voudrait-on le pénaliser s'il décidait d'étudier à l'étranger? Je ne vois pas pourquoi on découragerait cela.
J'arrive maintenant à la question de la rétroactivité. Depuis le début de ma carrière en droit, quand le gouvernement changeait les règles de la résidence permanente et qu'une demande avait déjà été soumise, elle était assujettie aux nouvelles règles comme aux anciennes règles, et on appliquait le régime qui était le plus avantageux pour le demandeur.
Le sous-ministre adjoint des politiques, au moment de l'étude article par article, a indiqué qu'on voulait appliquer seulement les nouvelles règles. Un demandeur engage parfois beaucoup de frais. Le processus peut durer trois ans si le demandeur ne réussit pas à passer par un bureau plus rapide. Entre temps, sans que le demandeur ait fait quoi que ce soit et comme les changements se font lentement, les règles finissent par changer, le demandeur perd de l'argent et ses droits, et ses projets ne se réalisent pas.
Il est intéressant de noter que ce n'est pas le cas au Québec. Le Québec a conservé l'approche traditionnelle, c'est-à-dire que le demandeur peut choisir entre les deux régimes. Si vous lisez attentivement la transcription de l'étude article par article, vous allez voir que certains députés souscrivent à l'idée que la rétroactivité est injuste. Cependant, le SMA a affirmé que l'application des deux régimes en même temps créerait des cauchemars - sans mentionner que c'est ce que nous avons toujours fait. Il serait peut-être bon que vous étudiiez cela. Si je comprends bien, le bureau de la ministre y réfléchit toujours. Pour être juste envers eux, je dois dire que la ministre finira peut-être par accepter cela.
Quant à l'autorisation d'interjeter appel dans le cas des demandes de résidence permanente, les demandeurs ont actuellement accès à un contrôle judiciaire. En vertu du nouveau régime, il faudrait demander l'autorisation. Nous craignons que cette mesure soit imposée avant que des méthodes alternatives de règlement des différends soient élaborées. Nous savons que le gouvernement a des problèmes de contrôle de la qualité. Le vérificateur général a déjà indiqué que les agents ne rendent pas nécessairement la même décision à partir des mêmes faits. À notre avis, le droit à un contrôle judiciaire est important pour assurer un contrôle de la qualité dans la prise de décision.
Nous ne nous opposons pas à l'implantation éventuelle d'un contrôle judiciaire, mais nous nous y opposons tant que d'autres régimes ne seront pas mis en place. Nous vous exhortons de retarder la mise en oeuvre de cette disposition jusqu'à ce que le mode alternatif de règlement des conflits soit mis en place.
Le président: En plus de 30 ans, je n'ai jamais vu le gouvernement appliquer les politiques de façon rétroactive. Je comprends votre point de vue. La pratique a toujours été de garantir les droits acquis si un changement de règles intervient avant que certains cas ne soient réglés. Si on modifie l'emballage des paquets de cigarettes, par exemple, tous les anciens paquets en circulation peuvent toujours être vendus. Tous les précédents dans l'histoire du Canada appuient votre argument concernant la rétroactivité. Nous allons voir ce que la ministre aura à dire à ce sujet.
Pour ce qui est des étudiants, il me semble que vous parlez uniquement de ceux qui sont venus comme personnes à charge d'un immigrant.
M. Trister: Oui.
Le président: Il semble que votre position est d'une logique inattaquable. Je ne suis pas certain d'avoir compris les détails du premier point au sujet des cartes de résident permanent, les délais quinquennaux variables, et cetera. Il se peut que ce problème soit insoluble à cause du mot «peut» dans le projet de loi. Je crois comprendre que le problème des étudiants peut être résolu par le règlement.
M. Trister: Je crois que oui. Il faut que je vérifie si cet article prévoit un pouvoir de réglementation, mais je pense que oui.
Le président: Puisque vous allez revenir demain matin, vous pourrez nous le dire à ce moment-là.
Pour ce qui est de la résidence permanente, vous ne voulez pas que le processus de demande d'autorisation soit mis en place avant que le nouveau régime soit prêt. Est-ce exact?
M. Trister: C'est exact. La ministre elle-même a reconnu qu'il faut mettre au point un mode alternatif de règlement de conflits peu coûteux et efficace. À notre avis, le mode alternatif doit être en place de permettre la demande d'un contrôle judiciaire.
Le président: Peut-on y arriver si on proclame différents articles à différents moments? Je suppose qu'il s'agit d'une question juridique. La question de la demande d'autorisation ne s'applique qu'à une certaine partie de la loi. Serait-il possible de mettre en vigueur les différents articles du projet de loi à différents moments?
M. Trister: Cela a déjà été fait par le passé. Le ministère a dit publiquement que puisque les dispositions sont tellement interdépendantes, il faut que le tout entre en vigueur en même temps. Je sais que le libellé de cet article est général, donc je dirais que ce serait impossible.
Cependant, nous savons que le gouvernement espère que le projet de loi sera en vigueur avant le 1er juillet. Il ne serait pas déraisonnable de s'attendre à la mise en place d'un régime préliminaire de règlement des différents avant cette date. Il n'est peut-être pas nécessaire de modifier le projet de loi si la ministre s'engage à prévoir des mesures temporaires de règlement des différents, sinon le régime complet, avant l'entrée en vigueur du projet de loi.
Le président: On a perdu quelques mois en cours de route. Les fonctionnaires ont dit plus tôt que le projet de loi serait peut-être prêt le printemps. Au départ, j'ai tenu pour acquis qu'il serait prêt au 1er mars au plus tard. On m'avait parlé du printemps, et maintenant on parle du 1er juillet.
Le sénateur Di Nino: Je suis d'accord pour dire que vous avez soulevé d'excellents points, monsieur Trister, et je vais étudier votre exposé.
Je pensais que la Chambre de commerce aborderait peut-être trois questions. La première est l'objectif de 300 000. Depuis deux générations, sinon plus, les immigrants ont beaucoup contribué au développement économique et social du Canada. On vise cet objectif magique de 1 p. 100 depuis assez longtemps.
Est-ce un objectif approprié, d'après vous? Est-ce que cela nous permettra d'avoir la population voulue?
M. Murphy: Depuis que je suis à la Chambre de commerce, je ne me souviens pas d'avoir eu une discussion au sujet de l'objectif à viser. Nous avons eu beaucoup de discussions avec nos membres, qui représentent toute une gamme de secteurs de l'économie. Nous avons eu d'excellentes discussions qui nous ont appris que nous avons besoin d'immigrants qui sont gens d'affaires. Je ne sais pas quel chiffre convient, mais il est évident que nous avons besoin de cette catégorie d'immigrants. Certains secteurs en ont plus besoin que d'autres, mais ce besoin existe dans toute l'économie. Le besoin est évident, mais je ne peux pas vous donner de chiffre, car nous n'avons jamais discuté de cette question.
Le sénateur Di Nino: Selon un article du Globe and Mail il y a quelques semaines, la pénurie de travailleurs pourrait faire en sorte que l'âge de la retraite passe à 67 ans. Don Drummond, économiste en chef de la Banque Toronto Dominion, a écrit un article au sujet de la pénurie de travailleurs qualifiés que connaît le Canada depuis quelques années, et l'incidence qu'elle a eue, surtout sur les métiers. Le mouvement syndical soulève cette question depuis deux ou trois ans.
À votre avis, le projet de loi C-11 répond-il à ces besoins dont parlent le milieu des affaires et celui des métiers?
M. Trister: Les règles concernant la sélection des immigrants seront dans le règlement, que nous n'avons pas encore vu. Nous avons eu des consultations et nous avons écrit à la ministre pour lui exposer certaines des réserves que nous avons déjà. Nous avons proposé l'augmentation de l'âge auquel on peut atteindre le maximum de points pour tenir compte du fait que les gens restent dans la population active plus longtemps. Nous avons certaines réserves, mais nous n'avons pas encore vu le texte définitif.
Le sénateur Di Nino: Cela ne figure pas dans le projet de loi lui-même. Il s'agit d'une loi cadre. Tout dépend de la prochaine étape, le règlement.
M. Trister: Même dans le cas de la loi actuelle, ces règles figurent dans le règlement.
Le sénateur Di Nino: Voulez-vous faire des remarques au sujet de cette catégorie de «gens d'affaires immigrants» qui existe depuis plusieurs années? Est-ce que la Chambre de commerce estime que cela a été bénéfique pour le Canada?
M. Trister: Je sais que le gouvernement a des inquiétudes au sujet de certains aspects du programme, ce qui est légitime. Je pense que le règlement proposé va régler ces problèmes. Je répète que je n'ai pas vu la version définitive du règlement, mais chaque ébauche est meilleure que la précédente. Nous espérons que le nouveau règlement va résoudre ces problèmes, mais sans l'avoir vu, il est trop tôt pour se prononcer.
Par le passé, il y a eu un déséquilibre énorme dans l'affectation des fonds des investisseurs pour des raisons attribuables au marché qui étaient prévisibles mais dont on ne s'était pas occupé. En vertu du programme des entrepreneurs, il est difficile de se débarrasser des gens qui ne respectent pas leurs engagements. Il est certain qu'il y a eu des faiblesses dans ce programme, mais nous espérons que le gouvernement va s'en occuper.
Le sénateur Di Nino: Est-ce que la Chambre de commerce a présenté un document au ministère?
M. Trister: Non, mais nous allons le faire dès que nous aurons vu l'ébauche du règlement.
Le sénateur Di Nino: Vous n'avez pas déjà exprimé votre point de vue de façon officielle?
M. Trister: À part ce que je viens de vous dire, non.
Le sénateur Di Nino: Si vous présentez un mémoire au ministère, voulez-vous nous en envoyer une copie?
M. Trister: Certainement.
Le sénateur Fairbairn: Monsieur Trister, je m'adresse à vous selon les fonctions que vous exercez ce soir, et j'ignore quelles fonctions vous exercerez demain.
Dois-je conclure qu'en attendant la résolution de ces questions par voie de règlement, vous considérez que ce projet de loi a une certaine valeur?
M. Trister: Je dirais que sur les quatre questions que nous avons soulevées, trois pourraient être résolues de façon efficace par le règlement, si le pouvoir de réglementation existe toujours.
Le problème principal, c'est que je ne suis pas convaincu, d'après l'interprétation actuelle du projet de loi, que les intérêts du gouvernement seront protégés s'il essaie de résoudre les problèmes dans le règlement. Il s'agit d'une décision qui incombe au comité. Quant à la Chambre de commerce, si on peut régler convenablement ces problèmes, les autres aspects du projet de loi ne nous inquiètent pas, compte tenu de la mission de notre organisme.
Le président: Je vous remercie tous les deux d'être venus ce soir, surtout avec si peu de préavis.
Le comité suspend ses travaux jusqu'à demain matin.
La séance est levée.