Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule 27 - Témoignages pour la séance de l'après-midi
OTTAWA, le lundi 2 octobre 2001
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, auquel a été renvoyé le projet de loi C-11, Loi concernant l'immigration au Canada et l'asile conféré aux personnes déplacées, persécutées ou en danger, se réunit ce jour à 14 h 15 pour examiner le projet de loi.
Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Honorables sénateurs, nos témoins pour cet après-midi sont Mme Sharryn Aiken, de l'Université York, et Mme Marnie Hayes, de la Coalition pour les réfugiés.
Fait également partie du panel Mme Nancy Elliott, du Canadian Centre for Social Faith and Justice.
Nous demandons à chaque témoin de faire une brève déclaration mettant en relief les points saillants de son mémoire, après quoi nous passerons aux questions.
Allez-y, je vous prie, madame Aiken, après quoi nous entendrons Mme Elliott.
Mme Sharryn Aiken, membre du corps enseignant, Centre d'études sur les réfugiés, Université York: Honorables sénateurs, je ne vais pas passer en revue dans le détail les nombreuses recommandations que renferme mon mémoire. J'entends plutôt, aux fins de la réunion de cet après-midi, traiter des recommandations six et quatre, dans cet ordre-là.
Je vais remonter à l'année 1987, à l'époque où le Parlement avait été rappelé, une urgence nationale ayant été déclarée par le gouvernement conservateur d'alors suite à l'arrivée en canot de sauvetage de quelque 150 Sikhs le long de la côte de la Nouvelle-Écosse. Toute une hystérie publique avait été soulevée à l'époque.
J'aimerais citer les sages mots qu'avait à l'époque prononcés le sénateur libéral Jerry Grafstein, résumant la crainte de nombreux députés et autres que l'opinion publique était en train d'être manipulée dans la foulée d'une crise qui n'en était véritablement pas une. En octobre 1987, le sénateur Grafstein a déclaré ceci relativement au projet de loi C-55:
Un sage a un jour dit que la politique en matière de réfu giés d'un pays est un baromètre de la définition de la justice de ce pays. Il importe donc que nous examinions soigneuse ment le projet de loi afin de veiller, comme le Sénat l'a fait par le passé, à ne pas être poussés par l'hystérie publique, à ne pas être poussés par l'émotion; à examiner le projet de loi dans le cadre d'un processus d'étude serein et délibéré en comité, ce afin de déterminer si les paroles du ministre se trouvent reflétées dans le texte de loi afin d'aboutir à un système de détermination du statut de réfugié plus juste et plus sain qui envoie au Canada et au monde le message que nous sommes prêts à accepter nos responsabilités publiques chez nous, de la même façon que nous exprimons nos préoccupations à l'étranger.
J'exhorte le comité à aujourd'hui mettre en application les conseils du sénateur Grafstein. J'aimerais également souligner les pressions auxquelles le comité est assujetti par suite des horribles attentats commis le 11 septembre. Il prévaut aujourd'hui un climat qui n'est pas très différent de celui que l'on aura vu à différents carrefours dans notre histoire. L'on pourrait parler de la frénésie soulevée après la grève générale de Winnipeg, lorsqu'on réclamait la détention, l'internement et la déportation subséquente de 100 «agitateurs étrangers». En 1987, on a vu l'adoption d'un certain nombre de mesures très draconiennes qui visaient injustement les réfugiés. En fait, les éléments les plus draconiens du projet de loi n'ont en bout de ligne jamais été adoptés.
Je tiens à souligner le fait que le comité ici réuni est aujourd'hui assujetti à des pressions semblables. Certains témoins comparaissant devant vous réclament sans doute à corps et à cri l'adoption le plus rapidement possible du projet de loi C-11, exhortant le gouvernement à leur fournir les outils nécessaires pour faire leur travail. D'autres témoins que vous entendrez peut-être recommanderont que le comité apporte des changements radicaux, demande au Parlement de rouvrir le projet de loi et impose encore plus de restrictions.
Ma position est que, dans la mesure où il y a des failles dans le système de sécurité du Canada, ce sont des failles côté exécution et administration mais non pas des failles dues à l'absence d'outils juridiques. L'actuelle Loi sur l'immigration va déjà trop loin dans le domaine de la sécurité nationale. Je maintiens cette opinion même aujourd'hui, même presque un mois après les événements tragiques du 11 septembre.
Le comité devrait réfléchir à la nécessité d'un examen approfondi de la façon dont le SCRS fait son travail et prendre des mesures pour réagir aux inquiétudes soulevées année après année dans les rapports annuels du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité.
Le Sénat est la Chambre de second examen objectif. J'exhorte tous les honorables sénateurs à faire cette réflexion objective. Souvenons-nous qu'en 1979, lorsque la GRC était responsable du triage sécuritaire des immigrants en attente, quelque 800 000 citoyens canadiens ont vu leur nom versé aux dossiers de la GRC. Ce nombre ne comprend pas les immigrants ciblés par la GRC.
Suite à la Commission MacDonald et aux abus exposés, on a créé le SCRS. Il devait s'agir d'un organisme civil indépendant doté d'un très important outil d'exigence de reddition de comptes et de surveillance des fonctions de sécurité au sein de l'État, notamment le chien de garde appelé Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité.
Je suis particulièrement préoccupée par le fait - et j'en arrive à ma recommandation 6 - qu'il soit proposé dans l'actuel projet de loi C-11 d'affaiblir le comité en refusant aux résidents permanents l'accès au CSARS lorsqu'ils sont assujettis à la procédure d'attestation de sécurité. Je tiens à rappeler au comité que groupe après groupe et étude après étude demandent en fait que le mandat du CSARS soit élargi et non pas restreint.
Ces études recommandent qu'aient accès au CSARS non seulement les résidents permanents assujettis à des attestations de sécurité, mais en fait quiconque le désire. Pourquoi? Le CSARS a été créé en tant qu'organe expert spécialisé chargé d'examiner les mérites des opinions en matière de sécurité. C'est sa spécialité. Au contraire des juges de la Cour fédérale, qui sont pour la plupart des généralistes, les membres du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité sont chargés d'effectuer un travail difficile et extrêmement complexe et ce dans un environnement international de plus en plus complexe. Pourquoi ligoter cet organe au moment même où l'on a précisément besoin des compétences qu'il possède?
Par ailleurs, l'accès au Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité est un garde-fou essentiel pour les résidents permanents. Dans de nombreux cas, il s'agit de personnes qui ont des liens et des rapports de longue date avec le Canada, de personnes qui sont peut-être ici depuis 15 ou 20 ans. Quiconque fait l'objet d'une attestation de sécurité - en d'autres termes quiconque a été considéré par le solliciteur général et par le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration comme constituant une menace à la sécurité du Canada - est exposé à la détention automatique et au lancement de la procédure de renvoi.
L'on parle ici de très graves empiétements sur les droits de la personne et de la possibilité d'exposer des personnes déjà vulnérables à de nouveaux abus de leurs droits. Cela me préoccupe énormément.
Ceci m'amène très directement au deuxième thème que je tenais à faire ressortir dans mes remarques liminaires. Je veux parler de la question de la situation de personnes qui risquent très sérieusement la torture.
Je trouve intéressant que par suite des audiences du Comité permanent de la Chambre on ait inséré un nouvel article dans le projet de loi C-11. L'article 3 a en effet été modifié pour inclure un objectif important, celui de se conformer aux instruments internationaux portant sur les droits de l'homme dont le Canada est signataire. Il s'agit là d'un ajout important.
J'estime cependant que, malheureusement, l'actuel libellé du projet de loi C-11 ne remplit pas l'objectif explicite qui a été ajouté au projet de loi à cet égard. Les conséquences sont très graves.
Si le projet de loi est adopté dans sa forme actuelle, le Canada continuera d'expulser des personnes en dépit de l'existence de preuves que celles-ci risqueront la torture si elles sont renvoyées dans leur pays d'origine. Les Nations Unies ont régulièrement et rondement condamné la pratique canadienne du renvoi de personnes qui risquent la torture. En agissant ainsi, nous sommes tout aussi coupables, tout aussi complices que les tortionnaires eux-mêmes.
Que devrions-nous faire de ces personnes qui représentent peut-être un risque de sécurité fondé? Nous avons dans le cadre de notre système de droit pénal existant les moyens de poursuivre les personnes coupables de crimes internationaux. Celles-ci devraient être assujetties aux voies de droit régulières et à la règle de droit.
Le soutien accordé par le Canada au Tribunal pénal international ainsi que la modification de notre propre Code criminel l'an dernier avec les lois sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre, sont des preuves éloquentes de l'engagement du Canada à l'endroit des objectifs de la justice internationale. Nous ne devrions pas utiliser notre système d'immigration comme porte arrière lorsque des droits de la personne aussi élémentaires et fondamentaux que le droit d'être à l'abri de la torture sont en jeu.
Voilà les deux points que je tenais à souligner dans mes remarques liminaires. Je préfère m'en tenir là pour l'instant. J'envisage avec plaisir un échange avec vous et j'espère avoir l'occasion d'étoffer des questions qui vous intéressent.
Mme Nancy Elliott, membre du Comité juridique, Centre canadien pour les victimes de torture: Honorables sénateurs, le Centre canadien pour les victimes de torture est heureux de l'occasion qui lui est ici donnée de soumettre ses vues au sujet du projet de loi C-11.
Le Centre canadien pour les victimes de torture est une organisation unique dotée d'un mandat bien précis. Depuis sa création en 1977, le CCVT a offert des services à plus de 11 000 survivants d'actes de torture, de guerre, de violence organisée et ainsi de suite, originaires de plus de 110 pays. Le Centre est la première organisation du genre à voir le jour en Amérique du Nord et seulement la deuxième dans le monde entier.
Travaillant de concert avec la communauté, le Centre aide les survivants de torture à réussir leur intégration dans la société canadienne, plaide pour leur protection et fait du travail de sensibilisation sur les effets permanents de la torture et de la guerre sur les survivants et leurs familles. Le CCVT, comptant sur un large réseau de médecins, psychiatres, psychologues, thérapeutes, travailleurs sociaux, avocats et enseignants, offre aux survivants soutien et services de conseils d'experts. Notre mandat n'est donc pas identique à celui des organisations d'aide aux réfugiés. Ce ne sont pas tous les réfugiés qui ont été victimes de torture.
D'autre part, le CCVT surveille les instruments nationaux et internationaux relativement à la torture, aux survivants d'actes de torture, de guerres et de violence organisée. Nous avons collaboré avec le gouvernement du Canada à la surveillance de la mise en oeuvre de la Convention contre la torture. Nous communiquons régulièrement avec le ministre des Affaires étrangères et participons à ses consultations annuelles. Nous avons assisté aux conférences des Nations unies sur la prévention de la torture. Nous espérons obtenir plus tard cette année un statut de consultation auprès du Conseil économique et social des Nations unies.
Nombre des clients du CCVT ont fui des régimes qui se sont livrés à la terreur, à la torture et à l'oppression de peuples. Nombre des clients du CCVT sont des rescapés de l'horreur et de la dévastation de la guerre. Tous ont vu dans le Canada un lieu sûr et un endroit où chercher la protection et où leurs droits seraient reconnus et appuyés.
Les observations soumises par le CCVT s'appuient sur notre connaissance intime de la violence, du terrorisme et de la guerre. Le CCVT exhorte le comité sénatorial à examiner attentivement les priorités de la loi canadienne en matière d'immigration et de protection des réfugiés.
Nous tenons à nous assurer que les mesures prises eu égard au projet de loi C-11 produisent les résultats que nous désirons tous, soit un pays sûr, protégé et prospère, fier de ses valeurs démocratiques, respectueux des droits de la personne et de son rôle de leader dans la cause humanitaire.
Le CCVT appuie et applaudit à plusieurs aspects du projet de loi dont le renvoi à l'article 1 de la Convention contre la torture qui figure à l'article 97. Cet article donne le droit de demander de se faire conférer la qualité de personne à protéger en vertu de la Convention. Le CCVT est heureux de cela.
Nous sommes également favorables au principe, évoqué par la professeure Aiken, voulant que la loi soit interprétée et appliquée conformément aux obligations qui reviennent au Canada en vertu d'instruments internationaux de protection des droits de la personne. Nous sommes également en faveur du processus d'appel pour les demandeurs du statut de réfugié, du renforcement de la réunification des familles et de la limitation de la détention de mineurs.
Cependant, parallèlement à ces mesures positives, il y a de nombreux éléments dont le CCVT pense qu'il s'agira de violations potentielles des responsabilités qui nous reviennent en vertu de la Convention contre la torture et de la Charte des droits et libertés.
Je citerai tout d'abord le droit de refouler une personne vers un pays où l'on pratique la torture. Il s'agit là d'une très grave violation de l'objet visé par l'article 3 de la Convention contre la torture. En effet, en vertu de l'article 3 de la Convention contre la torture, le droit au non-refoulement dans pareille situation est absolu. Aucune personne ne doit être renvoyée dans un pays où elle risque d'être torturée. Nous avons une responsabilité mondiale de protéger les gens contre la torture - de protéger ceux qui ont été torturés et de veiller à ce que des mesures soient prises contre les tortionnaires.
Comme l'a indiqué Mme Aiken, le Canada a déjà été critiqué par le Comité des droits de l'homme des Nations Unies et par le Comité sur la torture des Nations Unies: la position de notre gouvernement est telle qu'en présence de certaines circonstances, le Canada renverrait des individus même si ceux-ci risquent la torture.
Le CCVT est sensible aux tensions et aux difficultés entourant les questions de criminalité et, dans les temps que nous vivons, de sécurité. Nous sommes d'avis que la meilleure chose à faire avec les criminels et les terroristes est de les poursuivre.
Il est essentiel que les différents États prennent des mesures pour poursuivre ces contrevenants, au lieu de les expulser vers d'autres pays où ils pourraient très bien vivre dans l'impunité.
Le CCVT souhaiterait que l'on s'attaque aux causes de la torture au niveau mondial et nous appuierions toute initiative prise par le gouvernement pour en traiter - de cette question d'impunité. Cependant, nous jugeons mal à propos les dispositions en matière d'inadmissibilité et d'irrecevabilité de demandes d'asile qui figurent dans le projet de loi et craignons qu'elles nuisent à ceux qui ont le plus besoin de protection.
Les problèmes des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité sont complexes. L'expulsion ne devrait pas être un substitut pour la punition. Dans certains cas, l'expulsion de grands criminels vers d'autres pays pourrait leur assurer l'impunité. En tant que membre de la communauté mondiale, il nous faut veiller à ce que cela n'arrive pas.
Le CCVT est favorable à la procédure d'appel pour les demandes de statut de réfugié. Cependant, nous préconiserions le recours à des auditions d'appel orales dans les cas où la crédibilité est en jeu. Cela est particulièrement important pour les victimes de torture, car les survivants de torture éprouvent beaucoup de difficultés lors des audiences qui peuvent sérieusement les retraumatiser. L'on constate souvent des problèmes de perte de mémoire, de confusion et de crainte qui donnent lieu à des problèmes de crédibilité.
Le CCVT est par ailleurs préoccupé par la définition du terrorisme. Le CCVT est naturellement opposé à la violence organisée dirigée contre des civils. Cependant, il est nécessaire de résister à la tentation de sacrifier des droits fondamentaux pour lutter contre cet ennemi inconnu. Ce n'est pas le terrorisme qui est une menace à la démocratie dans des pays forts comme le Canada; c'est plutôt la réaction de notre gouvernement face à ces actes qui en est une.
Nous ne devons pas créer de vastes pouvoirs arbitraires qui violent les droits fondamentaux des être humains. À cet égard, le CCVT propose que le terrorisme soit défini, que l'on fasse une distinction entre les luttes légitimes pour l'autodétermination et le terrorisme et, enfin, que l'on définisse organisation terroriste et appartenance à une organisation terroriste. Il est beaucoup trop arbitraire de tendre un si vaste filet.
Pour ce qui est de son mandat précis, le CCVT renouvelle son engagement à l'égard du non-refoulement de survivants de torture ou de personnes qui, si elles étaient renvoyées, risqueraient la torture. Le CCVT aimerait que soit intégré dans le projet de loi l'article 10 de la Convention contre la torture, qui exige à l'heure actuelle qu'une formation en matière de torture et de besoins de victimes de torture en vue de leur intégration soit donnée aux agents du CIC, aux membres de la CISR ainsi qu'au personnel des centres d'application de la loi et services de détention.
Il en est de même pour l'article 11 de la Convention contre la torture, qui fait état de normes minimales en matière d'interrogation, d'arrestation et de détention. Nous sommes particulièrement préoccupés par les aspects application de la loi et détention car, selon notre expérience, les centres de détention dans d'autres pays ont été des foyers de torture. Au Canada, la formation des agents et du personnel des centres de détention est essentielle.
Nous proposons par ailleurs qu'une attention toute particulière soit prêtée à l'article 12 de la Convention sur la torture pour ce qui est de la réalisation d'enquêtes rapides et impartiales sur les cas de torture par les autorités canadiennes. D'autre part, il n'existe aucun régime en vertu duquel les survivants de torture peuvent demander un dédommagement auprès de leurs tortionnaires dans leur pays d'origine.
Nous savons que le gouvernement du Canada est aujourd'hui aux prises avec les questions très sérieuses que sont le terrorisme, le contre-terrorisme et la sécurité. Nous savons que le gouvernement est préoccupé par ces questions et qu'il tente de prendre des mesures. Nous sommes sensibles aux pressions qui existent. Encore une fois, comme l'a dit Mme Aiken, nous savons les pressions intenses présentement exercées sur le Sénat, compte tenu des événements survenus aux États-Unis.
Mme Caplan, ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, a annoncé que des mesures de sécurité plus sévères ont déjà été mises en place le long de notre frontière, ce sans qu'on ait attendu l'adoption du projet de loi C-11. Sauf tout le respect qu'on lui doit, ces mesures sont déjà autorisées en vertu de l'actuelle loi, comme l'indique leur application.
Nous n'avons pas besoin de lois plus strictes. En fait, nos lois sont plus strictes et sont d'application plus large que de nombreuses lois américaines.
Le CCVT espère que le Canada conservera son indépendance et répartira ses ressources de façon appropriée. Une chape d'interdictions fondées sur la méfiance et la simple appartenance à une organisation donnée, plutôt que sur des preuves d'intentions ou d'actes terroristes véritables, refusera la protection à certaines des victimes les plus vulnérables de guerres et de violence organisée.
Les demandeurs du statut de réfugié ne devraient pas être mis à part. Il importe de souligner que beaucoup, voire la plupart, des demandeurs de statut de réfugié au Canada passent par les États-Unis. Il y aurait également lieu de souligner qu'en ce qui concerne les 24 000 personnes visées par des ordonnances de renvoi non exécutées au Canada, un nombre important sont passées par les États-Unis, bon nombre munies d'un visa américain de visiteur valide ou d'une autorisation de transit sans visa.
Le CCVT convient qu'il est manifestement nécessaire de consulter les États-Unis et d'autres pays, mais une adoption généralisée des pratiques américaines ne débouchera pas forcément sur le résultat souhaité.
Nous partageons une vision pour une société sûre et juste qui respecte sans réserve aucune les droits de la personne. Il est essentiel que nos lois facilitent l'identification et la punition des tortionnaires et des auteurs de violence organisée et de terreur. Que ces coupables soient exposés au grand jour et qu'on les punisse conformément à la règle du droit. Qu'on ne les renvoie pas tout simplement dans un autre pays d'où ils pourront de nouveau semer la peur.
Il nous faut en même temps manifester notre désir de protéger les survivants afin de veiller à ce qu'ils ne soient pas revictimisés à tort par le Canada et à ce qu'on ne leur refuse pas les avantages de la démocratie, que nous voulons protéger. Il est important de protéger nos institutions démocratiques, nos droits et nos libertés.
Le président: Madame Aiken, j'ai une question au sujet de votre recommandation 6. Avez-vous la page 13 de la version française de votre mémoire?
Dans le paragraphe qui précède cette recommandation, vous parlez d'un réfugié kurde qui a déposé une plainte mais dont la demande a en bout de ligne été rejetée par le ministère sans qu'aucune référence ne soit faite au rapport du CSARS. Cette affaire s'est-elle arrêtée là ou bien est-elle toujours en cours?
Mme Aiken: Il y a en vérité trois affaires qui sont toujours en cours. Dans les trois cas, le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité a recommandé que les trois personnes visées se voient accorder le droit d'établissement en vue de devenir résident permanent. En d'autres termes, il n'a trouvé aucun motif appuyant les décisions rendues dans ces affaires par le SCRS.
Le président: C'était la conclusion du CSARS.
Mme Aiken: C'est ce qu'a conclu le CSARS. Dans un cas, le ministre a convenu de recommander que la personne soit autorisée à demeurer au Canada et a établi que cela n'était pas contraire à l'intérêt national. Cependant, l'intéressé attend toujours de se voir accorder le statut de résident permanent.
Dans les deux autres affaires, les demandeurs n'ont pas été acceptés et, d'après ce que j'ai compris, on leur a dit qu'ils ne se verront pas accorder le droit d'établissement. Ces affaires sont en train d'être contestées à différentes étapes.
À mon sens, cela fait clairement ressortir le travail très important qu'effectue le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité.
Ces trois affaires sont exceptionnelles parce que ce sont les plaignants qui ont entamé la procédure. Le projet de loi C-11 ne supprime pas ce droit. N'importe qui pourrait toujours, comme ces trois personnes l'ont fait, se plaindre auprès du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité. Le problème est que très peu de gens en auraient les moyens. Dans les cas qui nous intéressent ici, les avocats étaient prêts à donner plus de 50 heures de leur temps pour lancer un processus volontaire.
Il s'agit pour un réfugié d'un processus très long et difficile. C'était donc exceptionnel. Combien de cas passeront à travers les mailles du filet, si le mandat du CSARS en matière de résidence permanente est supprimé?
Le président: S'il n'était pas supprimé, qui paierait les avocats dans ces appels?
Mme Aiken: La situation varie d'une région à l'autre. Dans certaines provinces, les personnes dont le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité est chargé du dossier ont accès, sur une base exceptionnelle, à l'aide juridique.
Le président: Certaines provinces y donnent accès, d'autres pas.
Mme Aiken: C'est exact. Dans certaines provinces, ces gens n'auront rien du tout.
Le président: Vous avez soulevé une question de financement qui m'a interloqué. Vous avez parlé de la difficulté pour les gens d'aller plus loin sans argent. J'essaie de comprendre pourquoi l'aspect financier diffère selon qu'il s'agisse d'un examen obligatoire ou d'un examen facultatif.
Mme Aiken: Il s'agit en vérité là d'un faux problème.
Le président: C'est vous qui l'avez soulevé. C'est pourquoi je suis tombé dans le piège.
Mme Aiken: J'ai mentionné cela accessoirement. Il ne revient pas au Sénat de se préoccuper de l'aide juridique provinciale. Je soulignerai cependant que dans le cas d'une plainte, il n'y a aucune obligation de la part du gouvernement fédéral de mettre à exécution les recommandations du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité. C'est là un sujet de préoccupation. Une personne pourrait subir toutes ces journées d'audience et toute cette sérieuse enquête, et en bout de ligne, dans le cas d'une plainte déposée par un plaignant, le gouvernement n'a aucune obligation ni responsabilité d'exécuter les conclusions du CSARS.
Le président: Je suis en train de regarder le libellé de votre recommandation 6. Ma question est la suivante: ce que vous demandez pourrait-il être réalisé si le CSARS avait la compétence au regard des résidents permanents? Cela pourrait-il être fait par voie de règlement?
Mme Aiken: Il s'agit là d'une question qu'il faudrait poser au ministre.
Le président: C'est vous qui êtes avocat. Pas lui.
Mme Aiken: La ministre a dit qu'elle n'est pas prête à adopter une telle mesure.
Le président: Là n'était pas ma question. Je vous demandais: «Cela pourrait-il être fait?», et non pas «Le gouvernement ferait-il cela?»
Mme Aiken: Ma réaction initiale est que cela devrait être explicité dans la loi comme c'est le cas à l'heure actuelle. Il faudrait que cela figure dans la loi étant donné qu'il s'agit d'un recours juridique.
Le président: Vous seriez très forte en conférence de presse, car vous n'avez pas répondu à ma question. Elle est simple.
Mme Aiken: Je pense qu'il faut que cela soit inscrit dans la loi. Je ne suis pas certaine à 100 p. 100 que ces nouveaux règlements que propose la ministre en complément du projet de loi autorisent la prise en charge de mandats supplémentaires. Cependant, m'appuyant sur mon expérience limitée en la matière, je dirais que c'est dans le projet de loi lui-même que cela pourrait et devrait être inscrit.
Le sénateur Di Nino: J'ai été quelque peu surpris de vous entendre dire que le comité fait l'objet de beaucoup de pressions en vue de l'adoption du projet de loi, vu les événements du 11 septembre dernier. D'où tenez-vous cela?
Mme Aiken: Je répète des commentaires qui ont été très largement cités par les médias nationaux - tant la presse écrite que la télévision - quant au désir de voir adopter le projet de loi, ce afin de s'assurer que le gouvernement dispose des outils nécessaires, d'un côté, et, de l'autre, les propos de ceux qui demandent un examen plus approfondi et une réouverture de la discussion pour que les mesures soient plus restrictives. Ce ne sont bien sûr pas là mes propres opinions. Je voulais tout simplement souligner les pressions qui s'exercent publiquement, et qui définissent un contexte auquel le comité doit être sensible.
Le sénateur Di Nino: Merci pour cette précision.
Nous avons au cours des derniers jours entendu des témoins nous dire qu'il est très peu probable que ce projet de loi aboutisse avant le printemps prochain à cause des règlements et d'autres questions. Il me semble d'ailleurs que l'Association du Barreau a dit qu'on leur avait annoncé le 1er juillet de l'an 2002 comme étant la date prévue de promulgation ou de mise en oeuvre des dispositions du projet de loi.
J'ai été surpris par cette déclaration.
La question que je vous pose est directement liée à cela. À votre avis le gouvernement a-t-il besoin de ce projet de loi pour faire ce qu'il dit être nécessaire, en tout cas si l'on s'en tient aux déclarations publiques faites par le ministre au cours de la dernière semaine ou des dix derniers jours?
Mme Aiken: Soyons clairs: le projet de loi contient plusieurs éléments positifs dont Mme Elliott a abondamment parlé.
En ce qui concerne la question particulière de la sécurité nationale, ce sur quoi je me suis concentrée dans mes remarques aujourd'hui, cela n'est absolument pas nécessaire. Chaque mesure devant être prise par le gouvernement canadien peut déjà l'être dans le cadre de l'actuel régime, avec les lois, politiques et règlements en place. Nous en avons la preuve avec les vérifications de sécurité plus approfondies aux différents points d'entrée qui ont été mises en place dans le courant de la semaine.
Nous n'avons pas besoin de plus d'outils juridiques. Il nous faudrait peut-être examiner les questions de mise en oeuvre et de distribution de ressources.
Le sénateur Di Nino: Dans votre recommandation 6, la note en bas de page dit de l'emploi de l'expression «ressortissants étrangers» qu'il est malheureux. C'est un petit peu comme un démenti. Auriez-vous quelque chose à dire là-dessus? Cela vous pose-t-il un problème?
Mme Aiken: Le comité permanent a apporté un changement, de telle sorte qu'aujourd'hui ce n'est plus tout le monde qui est appelé «ressortissant étranger». Lors du dépôt initial du projet de loi, quiconque n'était pas citoyen était dans le projet de loi appelé «ressortissant étranger». Cela nous préoccupait car cela ne reconnaissait pas le statut spécial obtenu par les résidents permanents ayant depuis longue date des liens avec le pays. Cela a depuis été changé.
Maintenant, les résidents permanents sont appelés résidents permanents. C'est en fait une amélioration qui a été apportée depuis la rédaction de ce mémoire. Le terme continue d'être employé pour désigner les résidents non permanents.
Le sénateur Di Nino: J'aimerais que vous éclaircissiez votre déclaration selon laquelle l'actuelle Loi sur l'immigration va trop loin en matière de questions de sécurité. Pourriez-vous m'expliquer ce que vous entendez par «trop loin»?
Mme Aiken: Il m'est difficile de répondre brièvement à cette question, vu la période de cinq minutes qui nous a été accordée pour faire nos remarques liminaires. Permettez que j'essaye.
J'ai consacré une grosse partie du mémoire à essayer d'expliquer mes préoccupations quant aux lacunes dans les définitions des termes «sécurité du Canada», «appartenance à des organisations terroristes» et «terrorisme». Je me suis efforcée de montrer jusqu'à quel point ces catégories ont été manipulées aux dépens de victimes innocentes. C'est là le problème.
J'arguerais qu'il n'y a absolument aucune raison d'employer le mot «terrorisme» dans une quelconque loi canadienne. Nous devrions, comme le font les Nations Unies, parler de «crimes internationaux». Ces crimes sont explicités dans les 12 traités des Nations Unies et vont du bombardement de civils innocents au financement de crimes internationaux en passant par le détournement d'avion, et cetera.
Ce sont là des crimes qui sont aujourd'hui définis dans notre Code criminel. Ce sont des crimes pour lesquels une personne peut être poursuivie au Canada. Je soulignerai que les complices dans de tels actes s'exposent eux aussi à des poursuites criminelles. Toute personne qui lève des fonds pour un malfaiteur ou qui lui prête assistance de quelque façon est coupable d'un acte criminel en vertu du Code criminel du Canada.
À mon avis, nous n'avons pas besoin d'un terme omnibus comme le mot «terrorisme», dont la plupart des avocats et des savants s'entendent pour dire qu'il n'est pas du tout approprié pour désigner la menace très réelle que posent les crimes internationaux. Il s'agit d'un terme trop facile à manipuler, trop facile à employer pour cibler les mauvaises personnes. Les réfugiés kurdes dont j'ai parlé dans mon mémoire en sont un parfait exemple.
Le sénateur Prud'homme: Madame Elliott, j'ai été impressionné par votre témoignage. À votre avis, nous n'avons pas besoin du projet de loi.
Je siège au Parlement depuis 38 ans. J'ai fait le tour du monde, me rendant dans les endroits les plus difficiles et participant à de nombreuses rencontres internationales. Je souffre et souffrirai jusqu'à la fin de mes jours le martyre dans ma recherche d'une définition de terrorisme telle que les combattants de la liberté et autres défenseurs de nobles causes n'y soient pas englobés. Pourriez-vous m'aider dans ma réflexion?
Mme Elliott: De fait, la définition du terrorisme a toujours échappé aux grands esprits de ce monde. C'est précisément pourquoi l'on n'a pas été en mesure, dans la communauté internationale, d'élaborer un instrument international exhaustif. Comme l'a mentionné Mme Aiken, le mot «terrorisme» est très chargé, car tout dépend de la personne qui l'emploie et du contexte. Peut-être qu'il est préférable de se concentrer sur les faits plutôt que sur l'étiquette lorsqu'on tente de cerner la ou les menaces et d'y faire face.
Je regrette de ne pas pouvoir vous venir en aide avec une définition courte et rapide de terrorisme, car il n'en existe pas. J'ai évoqué tout particulièrement la question de l'autodétermination, les luttes pour la liberté, et ainsi de suite, comme l'a fait la communauté internationale. On en arrive toujours au point auquel nous nous trouvons aujourd'hui, soit que les États membres ne parviennent pas à s'entendre.
Le sénateur Prud'homme: À votre avis, les lois que nous avons à l'heure actuelle seraient-elles suffisantes si on les appliquait?
Mme Elliott: Pour ce qui est de la question de la sécurité, oui. Il y a cependant dans le projet de loi, comme je l'ai mentionné, un certain nombre d'autres choses que j'appuie et que j'aimerais voir adopter à l'avenir.
Le président: Vous avez toutes les deux en définitive dit que les lois actuelles sont suffisantes en ce qui concerne les questions de sécurité. Vous avez toutes les deux dit cela en gros. Pour être juste, cela me paraît être une opinion plutôt qu'un avis juridique définitif. C'est une opinion fondée sur ce qui est selon vous nécessaire pour régler les problèmes de sécurité par opposition à une analyse détaillée de ce que sont ces problèmes de sécurité. En fait, ce qu'il faut pour régler ces problèmes de sécurité c'est une de ces choses qui pourrait évoluer au fil du temps. Les gens voient les choses différemment aujourd'hui par rapport à début septembre, n'est-ce pas?
Mme Aiken: Nous conviendrions toutes les deux que la nature changeante des menaces à la sécurité à l'échelle internationale exige recherches, études et efforts concertés - tant à l'échelle nationale qu'à l'échelle internationale. Je souhaite porter à votre attention le fait qu'il n'y a absolument aucune preuve qu'il y ait eu échec de la loi. Il serait dangereux de foncer tête baissée dans l'adoption de nouveaux instruments juridiques à cause des très graves conséquences qui pourraient résulter de ce genre de réforme.
Le mieux que nous puissions faire en tant que pays est de réfléchir posément une deuxième fois à ces questions. Nous devrions être bien certains, avant de sauter du pont, que notre réponse en tant que gouvernement est raisonnable et qu'elle a été conçue en vue d'être efficace.
Je ne fais pas de la spéculation lorsque je dis que nous n'avons pas besoin de nouveaux outils juridiques. Je dis tout simplement que la protection d'une sécurité véritable est une question de mise en oeuvre. C'est une chose qui peut être assurée dans le contexte du cadre juridique existant.
Nous ne disons pas qu'il n'y a pas lieu de réexaminer les choses. J'ai en fait souligné qu'à mon avis il faudrait commencer par examiner la façon dont le SCRS effectue à l'heure actuelle son travail. En ma qualité d'avocate spécialisée depuis longtemps dans les dossiers d'immigration et de réfugiés, ma crainte est que le SCRS vise tout simplement les mauvaises personnes. Cela étant dit, je tiens à souligner que le SCRS ne prend pas de décisions relativement aux attestations de sécurité pour l'immigration; il se limite à donner des conseils. Cependant, ces conseils jouent un rôle critique et lourd de conséquences dans l'aboutissement des procédures d'immigration. Cela étant, il est très important que nous entreprenions un examen critique de la situation.
Le sénateur Grafstein: Je ne suis moi non plus pas membre du comité. Par conséquent, si vous voulez à n'importe quel moment m'interrompre, je me plierai à la volonté des autres membres du comité. Comme vous le savez, je suis intervenu là-dessus à la deuxième lecture. J'ai quelques questions. Je tâcherai d'être bref.
L'on craint au Canada que l'attitude publique envers les réfugiés ait été salie du fait d'un processus administratif qui ne renvoie pas les réfugiés dont les demandes d'asile ont été rejetées. On nous dit que le chiffre précis est difficile à établir mais qu'il y aurait au pays environ 27 000 personnes dont les demandes ont été rejetées et qui s'y promènent librement. Les voies de droit régulières ont été appliquées et il n'y a eu aucun moyen statutaire de veiller à ce que ces demandeurs soient repérés et expulsés du pays, ce qui est venu entacher tout le processus. J'aimerais savoir ce qu'en pensent les témoins.
Deuxièmement, à cause des délais en ce qui concerne les données, il faut un seul agent pour accepter une demande de statut de réfugié puis il en faut trois pour la rejeter. Y aurait-il un problème si l'on augmentait l'efficience du système tout en maintenant une procédure équitable, en ayant un agent pour accepter et un agent pour refuser?
Troisièmement, j'ai prononcé un discours à ce sujet la semaine dernière. Vous pourriez en trouver le texte dans le compte rendu des délibérations du Sénat. Un ancien agent m'a dit qu'il faut en vertu de l'actuelle façon de faire - qui n'a pas été changée par le projet de loi - 72 heures pour décider si une personne pose une menace pour la sécurité ou une menace criminelle. Il est presque impossible de faire cela en l'espace de 72 heures.
L'une des raisons à cela est qu'il n'y a pas d'interface entre les ordinateurs des services de sécurité et de la GRC et ceux de l'immigration. De fait, nombre des décisions sont imparfaites faute de renseignements. Voilà mes trois questions. S'il y avait des changements à ces trois rubriques, y verriez-vous un inconvénient?
Mme Elliott: J'aurais quelques brefs commentaires à faire, et je pense que Mme Aiken aurait des remarques plus étoffées à faire.
En ce qui concerne le renvoi de requérants dont la demande de statut de réfugié a été refusée et le fait qu'il y ait peut-être au Canada un grand nombre de demandeurs dont les demandes ont été jugées non fondées ou qui ne correspondent pas à la définition de réfugié au sens de la Convention, condition qui est imposée par les membres du panel, il existe certainement des moyens juridiques de les renvoyer du Canada. En vertu de l'actuelle loi, un demandeur de statut de réfugié débouté a le droit de demander un contrôle judiciaire ainsi qu'une révision postérieure de sa revendication refusée en vertu du mécanisme établi à cette fin.
Si ces deux mécanismes débouchent sur la conclusion que la personne n'est pas à risque, ou si un mécanisme résulte dans le constat qu'il n'y a pas de motif de renverser la décision du panel et de donner une autre conclusion et que l'autre mécanisme aboutit à la décision qu'il n'y a pas de motif justifiant l'existence d'un risque considérable, alors la personne peut être renvoyée. Cela veut dire que l'intéressé fait l'objet d'une ordonnance d'expulsion. Le problème est alors un problème de logistique et de moyens dont dispose le ministère pour renvoyer les gens.
Si vous parlez aux agents au centre de Toronto, par exemple, ils feront état d'une impression de manque d'organisation et de fonds. Je ne sais pas s'il s'agit là de choses qui doivent forcément être traitées dans le cadre de la loi, mais il faut régler ces problèmes au niveau politique ainsi qu'au niveau financier.
Mme Aiken: J'ajouterai simplement qu'il est important de ne pas mettre à part le processus applicable aux réfugiés. Le Canada a un programme d'immigration à facettes multiples. Quelque 570 000 personnes sont arrivées au Canada l'an dernier en tant que visiteurs. Il n'existe absolument aucune preuve selon laquelle le risque posé serait différent selon qu'il s'agisse d'immigrants, de réfugiés, de gens d'affaires ou d'entrepreneurs. Dans la mesure où nous sommes préoccupés par la sécurité, il nous faut nous en préoccuper dans un contexte mondial ou holistique et uniforme. Si je me suis dans mes remarques attardée sur le régime visant les réfugiés, c'est précisément parce que le discours public actuel les a mis à part, et ce, je pense, sans preuve ni raison. Même si je conviendrai, certes, qu'il y a des problèmes d'application qu'il faudrait revoir, je ne pense pas que nous devrions mettre à part le produit final du système des réfugiés.
S'il y a 27 000 personnes qui attendent d'être expulsées, c'est parce que l'actuel gouvernement n'a pas mis en application les recommandations du rapport de 1996 de Roger Tassé, recommandations qui étaient très diverses et dont bon nombre, très bonnes, visaient les problèmes en matière d'exécution dans le domaine de l'immigration.
Encore une fois, c'est davantage une question de comment faire, par opposition au cadre juridique.
En ce qui concerne la question de la tentative unique, pourquoi avons-nous un processus à étapes si multiples? Je dirais que même aujourd'hui, les citoyens canadiens ont plus le droit d'en appeler d'une simple contravention de stationnement qu'un demandeur de statut de réfugié ou qu'un non-citoyen de ce pays. Nous vivons dans un contexte de règle de droit dans lequel les voies de droit régulières sont respectées. Or, au fond, dans ce pays, les gens ont beaucoup moins de droits que dans un quelconque autre régime offert par le gouvernement - je ne veux pas seulement parler des contraventions de stationnement, mais également des décisions en matière de fiscalité, en matière d'assurance-emploi, et ainsi de suite.
Beaucoup de gens ont le droit de faire appel jusqu'à la Cour suprême du Canada. Lorsqu'on regarde ce qui est en cause dans le cas de réfugiés - de personnes dont la vie même peut être mise en danger si nous nous trompons - le danger des procédures accélérées, qui ne prévoient pas suffisamment de contrôles et de réflexion et d'examen sobre, est qu'il n'y a pas de possibilité de corriger nos erreurs. Une personne ne peut pas récupérer sa vie.
Pour ce qui est de la question de l'interface, vous vous interrogiez au sujet des entrevues de détermination de l'admissibilité, qui demandent à l'heure actuelle 72 heures, et du fait que nous ne pouvons tout simplement pas boucler une vérification de sécurité dans un tel intervalle. La solution au problème est peut-être bien d'ordre administratif. Il se pourrait qu'il faille une meilleure collaboration entre les différents ministères du gouvernement ainsi qu'avec les ministères de gouvernements d'autres pays. Encore une fois, c'est une question d'application.
Je soulignerai que ce n'est pas parce qu'une vérification de sécurité ne peut pas être faite en l'espace de 72 heures qu'elle devrait être abandonnée. Lorsqu'il y a des raisons valables de la poursuivre, les décisions en matière d'admissibilité sont laissées en suspens et les gens attendent, parfois jusqu'à un an, avant de se faire dire que la décision finale a été rendue et qu'ils peuvent aller de l'avant avec leur demande. Il n'y a aucune raison pour laquelle les vérifications de sécurité ne pourraient pas être poursuivies simultanément.
Le sénateur Roche: Professeure Aiken, cela m'inquiète lorsque vous dites que le Canada serait complice dans la torture de personnes déportées. Je vous demanderai de me réexpliquer cela brièvement. Vous ai-je bien entendue? Avez-vous bien dit que vous pensez que le Canada devrait avoir un système en vertu duquel nous ferions subir un procès ou demanderions la poursuite en justice de personnes déportées contre lesquelles des accusations auraient été portées par d'autres pays? Vous avez mentionné que la cour pénale internationale n'existe pas encore et n'existera peut-être pas pendant quelque temps encore, et que la responsabilité reviendrait donc au Canada.
Comment voyez-vous - l'unité des crimes de guerre et le ministère de la Justice? De quelle façon mènerions-nous de tels procès et serait-il véritablement dans l'intérêt du Canada de procéder ainsi?
Mme Aiken: Permettez-moi de tirer les choses au clair. Je ne dis pas que tous les expulsés devraient être autorisés à rester au Canada. Ce que je dis c'est que dans les cas où il existe des preuves qu'une personne risque la torture dans son pays d'origine si elle y est renvoyée, l'obligation du Canada de ne pas l'y renvoyer est absolue. C'est une obligation qui a été réaffirmée et répétée, non seulement par les Nations Unies, mais également par la Cour européenne des droits de l'homme. Plus récemment, le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, dont le bureau mène des consultations mondiales depuis un an, a fermement réitéré le principe voulant que le droit de ne pas être renvoyé à la torture est un droit absolu.
Partant, nous ne parlons pas de la totalité des 27 000 personnes qui ont vu leur demande rejetée par suite des différents recours qui leur étaient juridiquement reconnus ici au Canada. Nous parlons des cas dans lesquels il y a un risque de torture documenté. Ces cas sont bien plus rares. En fait, l'importance de ce groupe ne devrait pas justifier un manque d'intérêt de notre part.
Que devrions-nous faire pour ces personnes? Que devrions-nous faire, par exemple, relativement à M. Suresh, dont la Cour suprême du Canada est saisie du cas?
Supposons qu'il existait certaines preuves selon lesquelles il était complice dans de la violence politique - et nos propres tribunaux ont reconnu qu'il n'en existe pas - en vertu de notre Code criminel, nous aurions pour obligation de le poursuivre. Les actes en question ont eu lieu ici au Canada. Nous parlons tout simplement de l'application routinière de notre système de droit pénal.
En bout de ligne, une fois le tribunal pénal international installé, nous aurons le choix de poursuivre ou d'extrader.
Le sénateur Roche: Je ne songeais pas aux crimes commis sur notre territoire. Bien évidemment, les autorités compétentes canadiennes l'emporteraient. Je parlais du renvoi d'un expulsé dans son pays d'origine où il est accusé d'un crime. Quelle est la responsabilité du Canada d'entreprendre un procès dans ces circonstances?
Mme Aiken: Lorsqu'une personne fait l'objet d'accusations dans son pays d'origine et qu'il y a dans son pays un risque de torture par suite de la procédure criminelle, nous aussi sommes habilités à poursuivre. Les modifications apportées l'an dernier aux lois sur les crimes de guerre et sur les crimes contre l'humanité nous ont donné non seulement le droit mais l'obligation de poursuivre.
Le sénateur Roche: Le faisons-nous?
Mme Aiken: Nous ne l'avons pas fait systématiquement. Je souligne cela comme étant une faille dans l'actuel système. Si nous sommes sérieux quant à la promotion des objectifs de la justice internationale, il nous faut être sérieux dans l'exécution de notre rôle dans la lutte contre l'impunité. Cela veut dire qu'il ne faut pas renvoyer les gens ailleurs, mais bien prendre des mesures ici au Canada.
Le président: Merci à toutes les deux d'être venues.
Honorables sénateurs, nos témoins suivants sont le révérend Jack Costello, directeur du Jesuit Centre for Social Faith and Justice, William Janzen et Nathaniel Bimba, du Comité central mennonite du Canada, et Tom Clark, ancien coordonnateur du Comité inter-églises pour les réfugiés.
Merci aux membres de ce panel d'être venus. J'inviterai le révérend Costello à commencer. On demande aux témoins de prendre cinq minutes pour résumer leur présentation, au lieu de nous faire la lecture de leur mémoire détaillé, ce que nous pouvons faire par nous-mêmes. Nous aimerions consacrer un maximum de temps aux questions.
Le révérend Jack Costello, directeur, Jesuit Centre for Social Faith and Justice: Monsieur le président, j'aimerais formuler une petite demande: c'est qu'à partir d'un certain moment dans mon exposé, M. Clark soit autorisé à intervenir. Nous ferons de notre mieux pour nous limiter au temps qui nous a été réservé.
Le président: C'est très bien.
Le révérend Costello: Nous tenons à remercier les membres du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie de nous entendre ici aujourd'hui. Notre exposé englobe des parties de la récente déclaration du réseau mondial oecuménique sur les personnes déracinées du Conseil oecuménique des Églises, élaborée et présentée il y a de cela dix jours seulement.
Notre présentation englobe également notre travail conjoint au Comité inter-églises pour les réfugiés, lequel a comparu devant le comité parlementaire qui examinait ce même projet de loi il y a de cela quelques mois.
Le mémoire que nous vous avons fourni comporte trois parties. Il y aura une perspective chrétienne de notre situation actuelle et du projet de loi C-11, dont je vais vous parler, et je demanderai seulement que vous entendiez l'adjectif «chrétien» comme s'appliquant au simple fait que je peux représenter la communauté chrétienne d'une façon qu'il ne m'est permis de représenter aucune autre communauté.
Deuxièmement, il y aura une réflexion sur le travail du comité relativement aux droits de la personne. Enfin, nous vous soumettrons des observations précises visant cinq aspects que nous aimerions voir améliorés dans le projet de loi C-11.
[Français]
Nous regrettons de ne pouvoir vous fournir la traduction française de cette présentation. Ayant travaillé sur ce texte jusqu'à hier, nous n'avions pas assez de temps pour obtenir une traduction professionnelle.
[Traduction]
Je vais vous soumettre nos réflexions sur l'actuelle situation dans une perspective chrétienne, à partir des trois sources que j'ai mentionnées. Suite à de nombreuses années d'intervention avec et pour le compte de réfugiés, nous pouvons déclarer que le travail aux côtés de personnes déracinées est au cours des dernières années devenu de plus en plus difficile. Les pressions en faveur de la fuite et de la migration augmentent au fur et à mesure que les guerres s'étirent et que les inégalités résultant de la mondialisation poussent les gens à quitter leur pays. Les gouvernements dans toutes les régions font qu'il est plus, et pas moins ,difficile pour les gens désespérés de trouver la sécurité.
À une époque marquée par l'incertitude et la peur, nous tenons à exprimer nos préoccupations quant aux ramifications d'une nouvelle campagne déclarée de lutte contre le terrorisme pour les réfugiés et les demandeurs d'asile. Même si nous condamnons le terrorisme et comprenons que les gouvernements ont pour responsabilité de protéger la population, ces efforts ne devraient pas pénaliser ceux et celles qui, du fait de circonstances qui échappent à leur contrôle, sont obligés de chercher la protection et la sécurité dans des pays autres que le leur.
Nous sommes alarmés à l'idée que les réactions internationales aux événements du 11 septembre et aux stratégies adoptées par les États-Unis d'Amérique puissent créer une nouvelle urgence humanitaire, déplacer un nombre important de personnes, intensifier des conflits régionaux, particulièrement entre groupes religieux, exposer à un danger accru les églises minoritaires, déstabiliser des gouvernements et créer des bouleversements économiques sur une échelle mondiale. Nous sommes également alarmés par la possibilité que de nouvelles lois adoptées par des gouvernements dans le but de contenir l'entrée sur leur territoire de terroristes puissent ériger de nouvelles barrières pour les personnes qui fuient la guerre et la persécution, les empêchant ainsi de chercher l'asile.
Le ciblage de certaines nationalités ou de certains groupes religieux ethniques par les autorités de l'immigration pourrait augmenter les procédures et attitudes discriminatoires à l'égard de beaucoup de gens qui vivent des situations désespérées.
Je vais maintenant m'attarder sur un seul des points restants. Le racisme, la xénophobie et la criminalisation des migrants, qui ont déjà atteint des niveaux alarmants dans de nombreuses régions, pourraient s'étendre.
Dans ce contexte de peur et d'incertitude, nous aimerions réaffirmer l'importance du maintien et du renforcement des instruments existants de défense des droits d'homme, dont la Convention sur les réfugiés de 1951, la Convention internationale sur les droits des travailleurs migrants et leurs familles et les Principes directeurs pour les personnes déplacées à l'intérieur de leur pays. Les droits de la personne de tous ceux et celles qui traversent des frontières doivent être maintenus.
Nous affirmons également le besoin urgent de s'attaquer aux causes des conflits et du déracinement. Nous espérons que les événements récents pousseront la communauté internationale à s'attaquer sérieusement aux raisons pour lesquelles des millions de personnes ont été déracinées et qui ont poussé tant de gens à recourir à la violence.
Nous affirmons par ailleurs la nécessité de s'attaquer aux inégalités mondiales que vient intensifier la mondialisation, ce afin de permettre aux gens de vivre dans la sécurité et la dignité à l'intérieur de leurs propres communautés.
Nous tenons à assurer le comité sénatorial que les Églises continueront d'être solidaires des personnes déracinées, de les accompagner dans leur exil, de lutter contre les causes de leur déracinement, de militer à leurs côtés pour leurs droits et de leur offrir aide et soins.
Enfin, nous affirmons que réfugiés, migrants et personnes déplacées à l'intérieur de leur pays ont beaucoup à contribuer au Canada et aux autres sociétés qui les accueillent. Comme nous le dit le Nouveau Testament, dans une lettre aux Hébreux: que l'amour mutuel perdure; n'oubliez pas de faire preuve d'hospitalité envers les étrangers, car ce faisant certains ont reçu des anges sans le savoir.
M. Tom Clark, ancien coordonnateur, Comité inter-églises pour les réfugiés: Honorables sénateurs, étant donné le contexte général et le fait que le travail en matière d'immigration aille au-delà d'une loi pour englober toute une série d'activités, comme l'a fait ressortir le révérend Costello dans ses remarques liminaires, je vous demanderai de revenir à la Loi sur l'immigration. Deux choses ont changé depuis le printemps, lorsque nous avons comparu devant le comité de la Chambre.
La première se passe d'explication. Il y a une fureur publique dirigée contre le terrorisme.
Vous êtes cependant peut-être moins au courant de la deuxième, soit l'élaboration intensive permanente de normes internationales à l'égard de réfugiés, ce sous l'égide du Haut-Commissaire aux droits de l'homme. Je vais vous entretenir de ces deux choses, car elles sont pertinentes. En dehors de cela, notre objet ici est de comparer ce que nous considérons comme étant les points saillants des témoignages d'intervenants non gouvernementaux au printemps dernier et le projet de loi tel qu'il se présente à vous aujourd'hui.
Le terrorisme n'est pas nouveau pour le Sénat. Nous avons examiné votre rapport relativement récent et avons noté que vous n'avez pas fait de recommandations énormes visant la Loi sur l'immigration. Nous pensons que cela devrait demeurer ainsi.
L'inquiétude des gens ne devrait cependant pas être telle qu'elle estompe les droits et libertés. Après tout, que protégeons-nous? Je me reporterai ici à la version française de notre hymne national: ce ne sont pas tout simplement «nos foyers», mais également «nos droits». C'est ce qui est défendu dans le texte anglais. Nous voulons parler particulièrement de nos droits. Il s'agit là d'un élément important de ce que nous protégeons d'après notre hymne national.
Dans ce contexte, donc, nous tenons à ce que le projet de loi C-11 protège la règle de droit pour ce qui est des droits et libertés des étrangers, sous réserve, bien sûr, de certaines limites légitimes, nécessaires et proportionnelles, et un traitement égal pour ces personnes, dans la mesure du possible, quel que soit leur statut au sein de notre société.
Notre pays a la responsabilité première en matière de droits de la personne à l'égard de toutes les personnes se trouvant sur son territoire et sous sa compétence. La promotion de ces droits de la personne demeure un élément important de la poussée vers la paix et la sécurité dans le monde, comme cela a été reconnu par le Canada.
Pour ce qui est des droits des réfugiés et autres non-citoyens, il y a au Canada et chez ses alliés du monde développé une résistance troublante. Au Canada, nous avons vu des situations dans lesquelles des réfugiés sont passés de héros automatiques à complices dans la quasi-totalité des événements horribles survenus.
Lorsque j'ai comparu devant vous en 1987 ou en 1988, le contexte d'alors c'était les hordes que nous rapportaient les États-Unis. Les «abus» étaient monnaie courante et c'était le mot d'ordre. C'est sur la base de ce lien avec les réfugiés qu'il y a eu cette poussée pour des changements à la Loi sur l'immigration - on parlait du danger posé par de grands criminels. Vous vous souviendrez du meurtre chez Just Desserts à Toronto, et d'autres vous en parleront davantage.
Plus récemment, il y a eu la colère publique prolongée devant le spectacle des médias lors de l'arrivée des bateaux au large de la côte de la Colombie-Britannique. Aujourd'hui, des efforts sont en train d'être déployés pour établir un lien entre les réfugiés et le terrorisme. Fort heureusement, Mme Aiken a fait ressortir que la relation est plus un voeu qu'un fait établi.
Ce qui me préoccupe dans tout cela c'est qu'il y a eu une érosion continue des garanties pour les non-citoyens en général et pour les réfugiés en particulier.
La loi dans son libellé actuel offre la souplesse voulue, sans ces changements. - et en ce qui me concerne les changements n'entraveraient pas cela - pour des interventions gouvernementales. Si les autorités veulent poursuivre quelqu'un, elles peuvent le faire. Mes opinions ont été façonnées par les gens que j'ai vus. Ce sont des personnes qui ont été victimes d'erreurs. Ou l'on s'est trompé en leur reconnaissant le statut de réfugié ou on les a perçues comme un genre de menace. Mme Aiken a également traité de cela.
Le projet de loi doit - à une époque où le public est de nouveau monté et veut que l'on démasque les terroristes - offrir des assurances que les garanties sont en place, de telle sorte que lorsque les fonctionnaires font ce que demande le public, les personnes qui ne devraient pas être visées ne le soient pas. C'est là-dessus que je tiens à insister.
Pour ce qui est du revers de la médaille, nous avons répertorié dans notre documentation le travail qui se fait sous l'égide du Haut-Commissaire, avec des gouvernements et des experts qui oeuvrent aux principes qui écartent certains demandeurs de l'obtention du statut de réfugié ou qui y mettent fin. Ces principes sont en ce moment même en train d'être tirés au clair à l'échelle internationale dans le cadre d'un travail intensif.
Il y a un an, avec le projet de loi C-31, cela n'a pas été le cas. Tout juste ce printemps, ce livre, tout un volume du Journal of Refugee Law, se penche sur l'exclusion d'une personne du statut de réfugié. Et il n'y a pas que cela; il y a également des articles portant sur ces questions, commandés par le Haut-Commissaire pour les réfugiés, et dont discute le gouvernement. On a vraiment le sentiment que les normes internationales sont aujourd'hui en train d'évoluer.
Selon nous, le statut de réfugié au sens de la Convention est un statut international, et ce sont donc les normes internationales qui devraient s'appliquer. Notre loi vient s'appliquer après. Lorsqu'un tel réfugié se trouve au Canada et qu'il a ce statut international, ce qui lui arrive est régi par nos lois. Mme Aiken en a éloquemment parlé. L'obtention de ce statut correspond à des normes internationales, et c'est là-dessus que nous insistons.
Le Rapport sur la situation quant aux droits de la personne des demandeurs d'asile dans le cadre du système canadien de détermination du statut de réfugié - un très glorieux titre international - de la Commission interaméricaine des droits de l'homme, est sorti au début de l'année 2000. On n'en a presque pas parlé. Ce rapport renferme certaines recommandations précises relativement aux obligations et aux lois canadiennes en matière de droits de la personne. Nous avons soulevé certaines des préoccupations évoquées par la Commission, notamment la non-expulsion, sauf circonstances exceptionnelles, de non-citoyens résidents à long terme ayant des liens familiaux.
Le révérend Costello: Nous avons quelques brèves recommandations que je pourrais vous lire. Je vous lirai un point qui rejoint les propos qui vous ont été tenus par Mmes Aiken et Elliott. La première recommandation que nous faisons à l'égard du projet de loi C-11 est que les critères d'inadmissibilité relativement au terrorisme et aux crimes internationaux soient remplacés par les critères figurant dans la Loi sur le SCRS. Prenez dans la Loi sur le SCRS la partie à quatre éléments sous la définition «menaces à la sécurité du Canada» et insérez cela dans le projet de loi. Nous aurions alors là quelque chose que pourraient invoquer dans une tribune publique la poursuite, la défense et l'accusé.
Notre deuxième point serait une répétition d'une recommandation qui vous a été non seulement soumise par la professeur Aiken, mais sur laquelle elle a insisté: Donnez au Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, le CSARS, la responsabilité de déterminer qui constitue un risque de sécurité et qui n'en constitue pas, comme c'est le cas pour toutes les autres catégories.
Enfin, nous aimerions que l'examen de l'admissibilité de demandeurs de statut de réfugié par les agents frontaliers fasse l'objet d'un rapport plutôt que d'une détermination, comme c'est le cas pour l'examen de l'admissibilité d'autres non-citoyens.
Je vais maintenant céder la parole à M. Clark pour qu'il vous lise les deux derniers points.
M. Clark: Il conviendrait d'améliorer la procédure d'appel pour les réfugiés. Nous sommes heureux qu'il puisse y avoir un appel, mais il importe que l'appel soit reçu et que de nouveaux éléments de preuve puissent être présentés.
Deuxièmement, les personnes qui ne sont pas reconnues comme étant des réfugiés, peu importe la filière suivie - que ce soit la Commission du statut de réfugié ou le ministre qui prenne la décision - devraient avoir accès à l'organe considéré comme étant l'expert et chargé de faire l'examen.
Troisièmement, les personnes qui ne sont pas des résidents à long terme ne devraient pas être expulsées pour commission d'un crime, sauf circonstances exceptionnelles. Cela devrait se faire par le biais de la Section d'appel de l'immigration.
Le quatrième point nous vient de la Commission interaméricaine des droits de l'homme, qui aimerait que l'on trouve un mécanisme - et nous suggérons une possibilité - qui permette à nos tribunaux d'intervenir plus facilement pour protéger les droits internationaux lorsque ceux-ci sont mis en péril dans le processus d'examen.
M. William Janzen, Comité central mennonite du Canada: Honorables sénateurs, nous remercions le comité de nous entendre. Notre organisation compte parmi son personnel un spécialiste de la loi en matière de réfugiés, mais il a été convoqué aux réunions du HCR à Genève il y a de cela quelques jours. M. Bimba et moi-même ferons de notre mieux pour vous exposer nos préoccupations.
Il y a de nombreuses personnes qui fréquentent les 600 églises mennonites du Canada et qui voudraient nous voir commencer par exprimer notre gratitude au Canada et aux générations d'hommes et de femmes qui ont fait ses lois. Après la Première Guerre mondiale, plus de 20 000 mennonites originaires des pays d'Europe déchirés par la guerre ont été admis au Canada. Après la Deuxième Guerre mondiale, encore 7 000 mennonites européens ont été accueillis en terre canadienne. La reconnaissance de toutes ces personnes demeure très vive.
Il y a eu un solide appui dans nos églises en vue de la poursuite du travail visant les réfugiés. En 1979, au plus fort du battage médiatique entourant la crise des réfugiés de la mer, nous avons été la première organisation nationale à signer une entente-cadre de parrainage de réfugiés. Nous nous en occupons toujours.
Mon collègue, M. Bimba, qui est venu d'Afrique en 1997, travaille aujourd'hui au Centre mennonite pour les nouveaux arrivants à Edmonton, un centre parmi plusieurs que nous parrainons. Il s'agit d'un important centre doté d'un effectif d'environ 80 employés. Il vous entretiendra un petit plus de sa propre histoire et de ce qui doit être fait sur le plan législatif.
M. Nathaniel Bimba, Comité central mennonite du Canada: Je tiens à remercier les honorables sénateurs de l'occasion qui nous est ici donnée de vous soumettre nos opinions.
Nous aimerions voir inscrit dans le projet de loi quelque chose quant au traitement à l'étranger des demandes de réfugié. Cela devrait être fait de façon plus efficace et plus dynamique.
Je suis moi-même passé par ce processus. Je me souviens très bien des horreurs que j'ai vécues. J'aimerais mentionner quelques petites choses qui à mon sens amélioreraient le processus afin que les réfugiés et que les personnes qui ont besoin de la protection que peut conférer le gouvernement du Canada puissent bénéficier du processus.
En tant qu'organisme, le Comité central mennonite a fait du lobbying et a porté à l'attention du gouvernement du Canada la crise humanitaire au Sierra Leone. Suite à ce processus, le gouvernement a lancé un projet pilote spécial qui a aidé environ 600 réfugiés victimes des pires atrocités commises pendant tout le siècle.
Ces personnes vont bientôt commencer à arriver au Canada. Je tiens à remercier le gouvernement du Canada pour le travail qu'il a fait en matière de traitement des demandes à l'étranger.
Nous aurions cependant encore quelques recommandations à faire afin que le processus soit amélioré encore.
J'aimerais illustrer mes propos en vous esquissant deux scénarios. L'un correspond à l'expérience que j'ai vécue lorsque j'ai fait ma demande de statut de réfugié au Zimbabwe.
Parce que je n'étais pas très bien renseigné sur le processus, ma demande a été rejetée la première fois. Sachant ce que j'avais vécu et étant réfugié depuis plusieurs années, je me suis dit qu'il devait y avoir un problème avec le processus. J'ai décidé de me renseigner pour savoir ce que je n'avais pas dit ou comment j'aurais dû dire les choses afin qu'on me reconnaisse comme étant réfugié. J'ai fait de la recherche et c'est ainsi que j'ai compris ce que l'on attendait de moi.
Nous aimerions que soient disponibles à l'étranger les renseignements qui seraient utiles aux réfugiés désireux de venir dans ce pays. Cela aiderait ceux qui ont besoin de protection à prendre les mesures requises. Il y a à l'ambassade du Canada très peu de renseignements et très peu de main-d'oeuvre pour aider les réfugiés. Les réfugiés ne savent pas quoi faire ni à qui s'adresser pour obtenir des renseignements. Nous souhaiterions que le processus soit amélioré et adapté aux besoins des réfugiés.
J'ai fait ma demande en 1991 et elle a été rejetée. Après avoir étudié le processus et fourni de nouveaux renseignements, ma demande a été acceptée. En 1993, j'ai fait une nouvelle demande d'établissement de réfugié. Ma demande a été acceptée et j'ai été interviewé en 1995. Je suis arrivé au Canada en 1997. Voilà un petit résumé de ce qui s'est passé.
On ne m'avait pas fourni beaucoup de renseignements. Je faisais mon apprentissage par essai et erreur. Il y avait une personne qui couvrait tous les pays d'Afrique du Sud et qui venait à un endroit donné une fois par an. J'étais resté assis avec ma famille en attendant que cette personne arrive pour qu'on se renseigne sur l'étape suivante. Les renseignements ne nous parvenaient pas très bien. À cause de cela, nous ne savions pas quoi faire et nos vies étaient en quelque sorte en suspens. Le processus a néanmoins débouché pour moi.
Mon autre exemple est le cas d'un homme au Soudan qui avait fait une demande auprès de l'une de nos églises là-bas. Cet homme était actif au sein de l'église du Comité central mennonite au Soudan. C'est quelqu'un de très bien. Cependant, à cause de son association avec l'Armée populaire de libération du Soudan, sa demande a été rejetée. Il est aujourd'hui séparé de son fils et de son épouse de fait. Son rejet a été motivé par son association avec l'Armée populaire de libération du Soudan, ou APLS, qui était considérée comme une organisation terroriste. Nous savons que le ministère des Affaires étrangères a eu quelques communications avec l'APLS. Ils essaient d'instaurer la paix.
Nous sommes préoccupés par ces genres de situations. Nous aimerions que les déterminations se fassent plus rapidement et que le système de traitement à l'étranger soit plus juste.
M. Janzen: J'aimerais tout simplement renforcer ce qu'a dit mon collègue. Nous partageons l'opinion de nos amis ici relativement à de nombreux autres points. Cependant, nous tenons à souligner que le système de traitement à l'étranger est à bien des égards sensiblement plus faible que le système de traitement applicable à ceux qui viennent au Canada. Si le système de traitement à l'étranger était renforcé, cela viendrait en aide à de nombreuses personnes et certaines des pressions du côté du processus d'examen des demandes au Canada seraient allégées.
Le sénateur Beaudoin: L'Association du Barreau canadien nous a dit qu'à son avis le droit d'appel auprès de la Section d'appel de l'immigration - et je pense que cela s'applique également au droit d'appel auprès de la Section d'appel des réfugiés - est trop restreint. Elle s'est notamment reportée à l'article 64 ainsi qu'aux articles 15, 7 et 12 de la Charte des droits et libertés.
Vous parlez de la Section d'appel des réfugiés et de la Section d'appel de l'immigration. Partagez-vous cette opinion, ou êtes-vous dans l'ensemble d'accord avec cela?
M. Janzen: C'est à nous que vous posez la question?
Le sénateur Beaudoin: À tous ceux qui ont pris la parole.
M. Bimba: Nous avons parlé de ce que nous aimerions voir. Par exemple, si une personne fait une demande d'établissement au Canada depuis l'étranger, elle n'a pas accès à un mécanisme d'appel. La décision de l'agent des visas est à toutes fins pratiques finale, sauf que le réfugié peut faire appel au bout de trois mois.
Cependant, une fois les renseignements reçus au Canada, les trois mois ont expiré. Le réfugié reste donc en marge pour ce qui est de la loi.
Nous aimerions que les réfugiés soient protégés par un mécanisme qui les aiderait à interjeter appel s'ils ont de nouveaux renseignements à fournir. Comme je l'ai dit tout à l'heure, il arrive qu'un réfugié ait de la difficulté à bien faire comprendre qu'il est un réfugié au sens de la Convention de Genève. Les réfugiés ne disposent pas des moyens dont ils auraient besoin.
Les réfugiés n'ont pas d'avocat ou d'autres sources de conseils à l'étranger pour les aider à exprimer la nécessité pour eux de bénéficier d'une protection. Il faudrait qu'il y ait dans le projet de loi C-11 un mécanisme qui permette aux réfugiés d'accéder à la protection qui est offerte ici au Canada.
M. Clark: Je ne vois pas très bien de quoi vous parlez, mais j'ai ici l'article 64. Il y est dit que l'appel ne peut pas être interjeté par la personne qui est interdite de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée.
Nous avons abordé cette question de deux façons. Nous avons en gros suggéré que s'il a été décidé que la personne est coupable d'atteinte aux droits humains, alors la décision pourra être rendue par le CSARS.
Quant à la grande criminalité, la jurisprudence internationale dit aujourd'hui qu'il faut tenir compte des droits de la famille, des droits des enfants, et cetera. Ainsi que de la durée de la résidence et cetera, comme c'était autrefois le cas.
Nous dirions qu'il devrait y avoir possibilité d'appel dans les cas de grande criminalité parce que selon la Commission interaméricaine sur les droits de l'homme, ce n'est que dans des circonstances exceptionnelles qu'une personne devrait être renvoyée s'il y a des liens familiaux, et ainsi de suite. C'est dans cette partie de la loi que cela devrait être précisé.
Ce que nous disions c'est que vous devriez être entendu, et ce devrait être la Section d'appel qui tranche, en s'appuyant sur les faits présentés.
Le sénateur Grafstein: M. Lang, de la GRC, a dit lors de sa comparution que les Australiens ont en place une politique en vertu de laquelle si un réfugié arrive chez eux sans documentation aucune ou sans les documents requis, il sera détenu jusqu'à ce qu'on l'ait identifié comme il se doit. Il sera éventuellement renvoyé chez lui. Nous n'avons pas cela dans le projet de loi C-11. Ce serait un bon outil qui nous permettrait de détenir et d'expulser les réfugiés qui viennent au Canada en situation douteuse ou sans la documentation requise. Si on leur donne le feu vert pour aller dans la rue, Dieu sait ce qui leur arrivera.
C'est ce que M. Lang nous a dit hier, parlant au nom de la GRC. Comment réagissez-vous à cela?
M. Costello: Il est clair en droit international que la détention n'est ni autorisée ni justifiée du simple fait d'une documentation insuffisante. Les gens qui n'ont pas beaucoup de sympathie pour les réfugiés comprennent néanmoins que les gens sont nombreux à arriver sur nos rives ou sur celles d'autres pays non munis d'une documentation adéquate tout simplement à cause des circonstances dans lesquelles ils ont dû quitter leur pays. Ils partent de chez eux sous la contrainte, en courant beaucoup de risques, sans pouvoir s'identifier publiquement ni même trouver un bureau en mesure de leur fournir de tels documents.
Des demandeurs du statut de réfugié tout à fait légitimes peuvent très bien se présenter sans documentation adéquate. La loi internationale n'appuie pas dans de telles situations la détention comme action automatique.
Il se pourrait qu'une telle réaction donne l'impression que notre sécurité est plus intensément préservée. Cependant, en agissant de la sorte, nous violerions la loi internationale. Nous contesterions notre droit de le faire.
Le sénateur Grafstein: Mon autre question est brève. Je l'ai posée aux autres témoins. Lorsqu'une demande est faite, une décision d'arbitrage suffit. Lorsqu'une demande est rejetée, trois voix sont nécessaires. Encore une fois, des agents qui s'occupent de ce processus m'ont écrit et m'ont dit que cela est injuste à l'égard des réfugiés en bonne et due forme et que cela entache donc le système tout entier. Comment réagissez-vous à cette critique?
M. Costello: Je ne comprends pas la question des trois. En règle générale, le demandeur comparaît devant deux membres de la CISR. Ce que vous avez dit au sujet du premier volet de la décision est, je pense, exact. Peut-on nous expliquer ce qui est entendu par la nécessité d'avoir «trois»? Je ne peux pas répondre, car je ne comprends pas tout à fait la question.
M. Clark: Permettez que je jette un peu de lumière là-dessus. Si la conséquence de la décision est le retrait ou la diminution des droits d'une personne, alors il faudrait manifestement une procédure en règle. Cela pourrait ou ne pourrait pas exiger davantage de personnes. C'est une chose avec laquelle il nous faut composer.
Bien sûr, s'il y avait moyen de minimiser ou de simplifier les choses, c'est ce qu'il faudrait faire. Cependant, intervient ici le principe sous-jacent de la protection des droits des gens. Si vous accordez un simple avantage et que cela n'entraînera pas de lourdes conséquences, alors une seule personne pourrait suffire pour veiller à ce que la décision soit rendue de façon équitable. C'est cela qui est, je pense, en cause ici.
Le sénateur Roche: Bienvenue aux témoins. Et M. Costello et M. Clark disent dans leur mémoire être alarmés par le fait que le projet de loi vise à limiter l'entrée au pays de terroristes. Ils disent craindre que cela crée de nouvelles barrières pour les personnes prises entre la guerre et la persécution et les empêche de demander l'asile.
Quelle partie du projet de loi vous amène à conclure que parce que des mesures seront prises pour veiller à ce que des terroristes n'arrivent pas subrepticement au pays sous la rubrique immigration ou réfugiés, de nouvelles barrières pour les personnes qui fuient la persécution sont en train d'être érigées dans le projet de loi? Le fait qu'il y ait en place des critères qui seront plus explicitement respectés crée-t-il une barrière? Dans l'affirmative, cela n'est-il pas justifiable, ce pour assurer la population canadienne que les mailles du filet destiné à la mettre à l'abri des terroristes sont bien serrées? Allons-nous vraiment punir les innocents avec le projet de loi? Cela me préoccupe.
M. Clark: Ce que je disais c'est que si vous avez une situation dans laquelle il y a souplesse et marge d'intervention du point de vue des agents et que le public est très inquiet, alors ce côté-là va avancer. Si parallèlement à cela les mesures de protection prévues dans la loi sont faibles, si, par exemple, comme l'a dit Mme Aiken, l'on va s'attaquer aux mauvaises personnes ou décider que telle personne n'est pas réfugiée pour être bien certain de ne pas laisser pénétrer de mauvais éléments, alors il nous faut être très prudents et veiller à ce que soient ajoutées à la loi, en prévision de périodes de méfiance comme celle que nous vivons, les mesures de protection nécessaires. C'est tout ce que j'ai voulu dire.
M. Costello: Sénateur Roche, ce texte est tiré de la déclaration du Comité pour les personnes déracinées du Conseil oecuménique des Églises. Lorsqu'ils ont parlé de nouvelles lois envisagées par des gouvernements, ils ne parlaient pas du Canada; ils parlaient de l'Australie.
Beaucoup de ce que j'ai dit renvoie à un contexte mondial - un contexte de sensibilité parmi ceux qui travaillent dans 21 pays différents. Ce sont ces gens-là qui ont signé la déclaration avec les réfugiés. Je tiens à préciser que je n'ai pas voulu y englober notre nouvelle loi, le projet de loi C-11 au Canada. Cela est tiré d'une déclaration beaucoup plus mondiale et renvoyait à un autre pays que le Canada.
Le sénateur Roche: Mais nous sommes ici pour discuter du projet de loi C-11. Je dois appliquer ma propre conscience au projet de loi C-11. J'ai de la difficulté à déterminer précisément en quoi le projet de loi C-11 créera une barrière pour les réfugiés légitimes - ceux dont nous avons pour responsabilité d'en accueillir un certain nombre et qu'il est dans notre intérêt économique d'accepter.
Je demande votre aide. Montrez-moi où dans le projet de loi C-11 il est dit que les immigrants et les réfugiés seront pénalisés du fait de ne pas pouvoir venir au pays.
M. Costello: Ma courte réponse à votre question serait que je ne pense pas que vous trouviez cela dans le projet de loi C-11, en tout cas pas d'après ce que j'ai vu.
Vous constaterez qu'il est un point que je n'ai pas lu, ce parce que je m'efforçais d'être bref: «Une collaboration intergouvernementale accrue en vue de combattre le terrorisme et le partage de renseignements d'immigration sensibles pourrait exposer les demandeurs d'asile à plus plutôt qu'à moins de risques.» Je vous soumets que les efforts visant à harmoniser les politiques et les pratiques à l'échelle internationale pourraient avoir pour effet d'abaisser le seuil de protection accordé, dans l'intérêt de l'augmentation du seuil de sécurité. C'est à ce niveau-là que le Canada, dans ses pratiques, pourrait être amené à participer à ce genre d'harmonisation et à ce genre d'affaiblissement de la protection, si cela est chose possible. C'est une simple mise en garde; cela ne concerne pas, que je sache, le projet de loi C-11 en particulier.
Le sénateur Roche: Monsieur le président, le comité pourrait-il trouver le moyen d'exprimer cette préoccupation lors de son rapport?
Le président: Je pense que oui.
Le sénateur Grafstein: Je tente de lire la transcription du témoignage d'hier soir de M. Alcock. Nous nous efforçons de régler la préoccupation du sénateur Roche, qui est, je pense, partagée par tous les sénateurs, quant à la façon d'établir un système qui empêche véritablement - sur la base des preuves que nous avons - les terroristes d'entrer librement dans ce pays, sans entraver de quelque façon le flux d'immigrants, qui sont si nécessaires pour la croissance du pays. C'est là le problème délicat que nous tentons de régler. Lors de sa comparution hier, M. Alcock a dit qu'ils auraient pu arrêter l'auteur des bombes du millénaire s'il y avait eu un tri initial, ce que prévoit le projet de loi.
Le triage initial non seulement permettrait-il d'écarter quelqu'un comme le plastiqueur du millénaire, mais entraverait-il également le flux de réfugiés et d'immigrants en règle?
Le sénateur Roche: Nous avons déjà, sans le projet de loi, un triage initial.
Le sénateur Grafstein: Il recommande que le projet de loi assure un meilleur triage initial. Je n'arrive pas à mettre le doigt sur la déclaration précise, mais cela a fait partie du témoignage que nous avons entendu hier soir.
Le président: Les deux déclarations sont justes. Il est vrai qu'il y a un triage initial. Il est vrai que le ministre a dit - et je pense que les fonctionnaires l'ont confirmé - que le triage initial a été amélioré assez récemment, pas seulement depuis le 11 septembre, mais en tout cas depuis le 11 septembre.
Il est également clair que pour mettre en oeuvre le projet de loi dans son libellé actuel il vous faudrait consacrer davantage de ressources au triage initial et au triage à l'étranger dont M. Bimba a parlé.
Le sénateur LeBreton: Le sens du témoignage était clairement qu'il n'était pas nécessaire d'avoir le projet de loi pour ce faire.
Le président: C'est exact. Le témoignage était clair et M. Bimba a parcouru cela avec nous. En passant, monsieur Bimba, je suis ravi que vous soyez venu car vous êtes le premier témoin à comparaître devant nous qui ait directement vécu le processus, par opposition aux avocats et autres qui se sont prononcés sur le processus. Vu votre expérience directe de la chose, je suis vraiment très heureux que vous soyez venu nous rencontrer.
M. Bimba: J'aimerais faire encore un autre commentaire, qui ne concerne peut-être pas le projet de loi C-11, mais je tiens à ce que cela soit dans la conscience des honorables sénateurs. Nous sommes tous préoccupés par les événements du 11 septembre. Cependant, j'aimerais que les sénateurs sachent que le réfugié qui a fui la terreur et qui vit maintenant ici en sécurité a encore plus peur de la terreur qui a été semée dans le monde le 11 septembre. Notre crainte à tous, nous qui avons fui la terreur, est que la terreur nous ait suivis. Gardez cela à l'esprit, je vous en prie, dans votre examen du projet de loi C-11.
Le président: Voilà une pensée profonde. Je vous remercie tous d'être venus. Puis-je répéter, encore une fois, monsieur Bimba, combien nous sommes ravis de vous avoir reçu ici.
Sénateurs, notre prochain panel se compose de M. John Fisher, directeur général d'Égalité pour les gais et les lesbiennes; de Mme Anuradha Bose, directrice générale, Organisation nationale des femmes immigrantes et des femmes appartenant à une minorité visible du Canada; enfin, de Mme Erin Lee-Todd, vice-présidente, Lutte contre le racisme et l'oppression. Soyez les bienvenus à notre comité.
Puis-je vous demander de limiter vos déclarations liminaires à cinq ou six minutes et de ne pas nous faire lecture de mémoires longs et détaillés, afin de laisser le maximum de temps pour les questions? Monsieur Fisher, vous avez la parole.
M. John Fisher, directeur général, Égalité pour les gais et les lesbiennes: EGALE milite pour la justice pour les personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles et transsexuelles partout au Canada. Nous sommes heureux de comparaître au sujet de ce projet de loi.
Nous voulons aborder aujourd'hui trois aspects. Le premier est l'inclusion des couples homosexuels dans la catégorie de la famille; le deuxième est la protection des personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles et transsexuelles; et le troisième est l'inadmissibilité pour raison médicale, notamment des séropositifs.
Nous reconnaissons, bien entendu, que certaines contraintes président à vos délibérations. Premièrement, il y a le souci compréhensible de la sécurité à nos frontières et les pressions exercées pour que ce projet de loi soit adopté sans délai.
Deuxièmement, il s'agit là d'une loi-cadre et de ce fait, une bonne partie des modalités qui nous préoccupent feront partie du règlement d'application et sont encore en cours d'élaboration. Il est difficile de discuter de certains des principes fondamentaux sans savoir comment ils seront appliqués dans la pratique et sans pouvoir passer en revue avec vous le texte du règlement.
Dans ces conditions, que pouvons-nous compter accomplir par notre comparution aujourd'hui? Que pouvons-nous réellement attendre de vous? Nous recherchons deux choses, sans aller jusqu'à amender le projet de loi. Nous indiquons dans notre mémoire un certain nombre d'amendements potentiels qui, à notre sens, renforceraient le projet de loi. Je ne les répéterai pas ici.
En outre, nous pensons que votre comité peut exprimer son opinion sur la façon dont certaines tournures et certains termes du projet de loi peuvent et devraient être interprétés.
Les comptes rendus de vos délibérations seront utiles à ceux qui auront à appliquer la loi à l'avenir et nous pensons que certaines interprétations et précisions faciliteront la tâche des décideurs et de ceux chargés de mettre en oeuvre la loi.
Deuxièmement, bien que le texte du règlement ne soit pas encore connu, chaque fois qu'il y a intersection entre les principes du projet de loi et les modalités d'application en cours d'élaboration, votre comité est en mesure d'exprimer son point de vue. On peut espérer que ses avis seront pris en compte au moment de la rédaction du règlement.
Nous saluons le fait que les conjoints de fait soient maintenant englobés dans la catégorie du regroupement familial au paragraphe 12(2). Cela était déjà le cas dans la pratique pour motif d'ordre humanitaire depuis plusieurs années. Nous croyons savoir que les agents ne voient guère de difficulté à reconnaître les couples homosexuels et à les admettre au Canada. Cela se fait déjà pour des motifs d'ordre humanitaire, qui représentent une méthode arbitraire et invisible contraire aux principes de la transparence et de la responsabilité.
Lorsque nous avons comparu devant le comité de la Chambre des communes, nous avons recommandé d'englober explicitement dans la notion de «conjoint de fait» les couples homosexuels, en sus des couples hétérosexuels.
Il semble cependant que Mme Atkinson, qui a comparu devant vous hier, a donné l'assurance que, selon sa lecture, l'expression «conjoint de fait» couvre les partenaires de même sexe. Nous aimerions que cela soit confirmé avant l'adoption du projet de loi, afin qu'il n'y ait aucun doute à l'avenir à ce sujet.
Deuxièmement, dans l'intérêt de la responsabilité et de la transparence lors de l'application de cette loi, il importe que les demandeurs à l'étranger sachent bien que «conjoint de fait» englobe les partenaires homosexuels. Beaucoup de gais et de lesbiennes à l'étranger ne savent pas nécessairement que c'est là l'interprétation donnée au Canada. L'expression «conjoint de fait» est souvent considérée à l'étranger comme s'appliquant exclusivement aux hétérosexuels.
Nous avons reçu de nombreux appels à notre bureau de personnes qui ne réalisent pas qu'elles ont le droit de présenter une demande pour motif d'ordre humanitaire. De nombreux agents de visa canadiens à l'étranger leur ont même dit qu'elles ne sont pas englobées dans la catégorie du regroupement familial et qu'elles ne sont donc pas admissibles.
On déboute ainsi des gens qui ont le droit de présenter une demande. Si nous-mêmes recevons un certain nombre de ces appels, on peut imaginer que cela ne représente que la pointe de l'iceberg et que beaucoup d'autres ne prennent jamais contact avec nous et ignorent ainsi leurs véritables droits.
Nous demandons par conséquent que le comité recommande - et que le ministère en prenne note - la publication de brochures d'information du public. Il faudrait veiller à ce que, même si «conjoint de fait» n'est pas défini dans le projet de loi, les formulaires de demande, les brochures d'information et le règlement d'application précisent bien le sens.
Nous croyons savoir que le règlement va prévoir l'exigence d'une cohabitation d'un an. Nous pensons que cela est irréaliste dans le contexte de l'immigration. En effet, si des couples sont séparés du fait de l'immigration, ils ne peuvent cohabiter pendant un an. Par conséquent, le règlement devra prévoir de larges dérogations à cette obligation.
Si les dérogations finissent par miner la règle elle-même, pourquoi la conserver? Même si la définition de «conjoint de fait» va être donnée dans le règlement, il est bon que le comité prenne note de cette importante barrière potentielle et donne quelques instructions aux rédacteurs du règlement. Ce dernier doit être adapté au contexte et tenir compte de la réalité qui fait que, dans le contexte de l'immigration, la cohabitation n'est pas un critère praticable.
Enfin, dans la catégorie du regroupement familial, comme je l'ai mentionné, les «motifs d'ordre humanitaire» constituent depuis déjà quelques temps un mécanisme précieux par lequel les partenaires de même sexe ont pu immigrer au Canada. Le règlement, quel que soit son texte, ne va pas couvrir toutes les situations. Nous pensons qu'il importe que les motifs d'ordre humanitaire subsistent comme catégorie «fourre-tout» permettant aux gens qui répondaient aux critères antérieurs mais plus aux nouveaux, quels qu'ils soient, de présenter une demande et d'immigrer au Canada.
Vu les contraintes de temps, je ne passerai pas en revue en détail tout ce que nous écrivons dans le mémoire sur les demandeurs d'asile. Disons simplement que nous rencontrons un certain nombre d'obstacles qui ne sont pas toujours reconnus même dans les pays que le Canada considère comme relativement ouverts aux réfugiés.
Le droit d'asile n'est pas toujours reconnu aux lesbiennes et aux gais. C'est le cas au Canada, mais pas nécessairement à l'étranger. Un certain nombre d'exigences de procédure, normales dans certaines circonstances, peuvent avoir, craignons-nous, un effet négatif sur les membres de nos communautés en raison de circonstances qui leur sont propres, telles que la difficulté d'établir leur vécu dans leur pays d'origine et le fait qu'ils sont souvent coupés de leur communauté, même au Canada.
Ces personnes ne vont souvent ne pas divulguer initialement qu'elles sont lesbiennes, gaies, bisexuelles ou transsexuelles. Cela engendre certaines difficultés que nous expliquons plus en détail dans le mémoire. Par exemple, si le tribunal prenant la décision ne compte plus qu'un commissaire au lieu de deux, il importe que cette personne ait une profonde connaissance et expérience du vécu des lesbiennes, des gais, des bisexuels et des transsexuels.
Ma dernière remarque portera sur les dispositions relatives à l'inadmissibilité pour raison médicale. La ministre a spéculé à diverses reprises sur des tests de dépistage obligatoires du VIH et l'exclusion des séropositifs. C'est une source de grave préoccupation.
Il va de soi que, selon les critères énoncés à l'article 38, les séropositifs ne représentent pas, en soi, une menace pour la santé ou la sécurité publique. Le critère du fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé tel qu'énoncé dans le projet de loi ne permet pas de prendre en compte la contribution que cette personne apporte au pays par ailleurs.
On semble décréter que ces personnes imposent un fardeau pour les services sociaux ou de santé. La ministre semble considérer que cela exclut automatiquement les personnes atteintes de VIH. Nous pensons que ce serait là une application inappropriée de ces critères. Il faudrait prendre en compte non seulement le coût, mais aussi la contribution au Canada de ces personnes. Cela s'impose particulièrement aujourd'hui où, grâce aux cocktails thérapeutiques modernes, les personnes atteintes vivent en meilleure santé, plus longtemps et de façon plus productive et contribuent ainsi largement à la société.
Voilà les éléments saillants que nous faisons valoir. Nous seront ravis de répondre à vos questions.
Mme Anuradha Bose, directrice générale, Organisation nationale des femmes immigrantes et des femmes appartenant à une minorité visible du Canada: Étant donné que ma langue maternelle est l'anglais, je vous demande votre indulgence et de me permettre de poursuivre en anglais.
L'Organisation nationale des femmes immigrantes et des femmes appartenant à une minorité visible du Canada est une organisation sans but lucratif, non partisane et laïque ayant pour mission d'oeuvrer pour l'égalité des immigrantes et des femmes appartenant à une minorité visible dans un Canada bilingue. Parmi les sujets qui nous occupent figurent la réforme du droit de l'immigration, la violence faite aux femmes, la pauvreté, la reconnaissance des diplômes étrangers et l'administration électronique.
Nous avons comparu, en avril dernier, devant le Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration en compagnie de plusieurs autres organisations féminines pour formuler des recommandations concernant le projet de loi C-11. Nous comparaissons devant vous, le Sénat, parce que nous craignons que le climat au Canada ait radicalement changé depuis les regrettables incidents du 11 septembre.
Nous espérons que le projet de loi C-11 ne sera pas transformé en massue dans la lutte indispensable contre le terrorisme. Nous vous exhortons de garder l'esprit et le coeur ouverts au sujet d'un projet de loi qui touche la vie d'un pan considérable de la population.
Je ne traiterai aujourd'hui que de quelques points cruciaux. Le premier en est un de sémantique.
Le projet de loi C-11 donne une définition de «résident permanent», mais introduit un nouveau terme «étranger», pour qualifier tous les non-citoyens. Cela est contraire à la politique de multiculturalisme et à la garantie des libertés civiles et pourrait bien alimenter une xénophobie latente suite aux attentats du 11 septembre.
Nous recommandons que le terme «étranger» soit expurgé du projet de loi C-11. Ce dernier donne une définition de la «catégorie regroupement familial» au paragraphe 12(2), ce que ne fait pas la loi actuelle. En revanche, le paragraphe 2(1) du règlement le fait en dressant une liste de ceux qui peuvent y prétendre, soit les conjoints, enfants, parents et grands-parents.
Le projet de loi C-11 supprime toute mention expresse du droit des grands parents au parrainage en les reléguant dans la catégorie des «membres de la famille prescrits». Leur droit à être admis au Canada comme immigrants parrainés est laissé à la latitude et au bon vouloir de l'autorité réglementaire. Il importe que le projet de loi ne restreigne pas le droit des citoyens et résidents permanents à parrainer leurs grands-parents. Il faut reconnaître la subvention versée à l'État par les grands-parents, lesquels assurent souvent, de plein gré et sans rémunération, la garde des enfants à une époque où le gouvernement ampute les dépenses sociales.
Nous recommandons que la «catégorie regroupement familial» soit explicitement définie et qu'aucune catégorie précédemment reconnue n'en soit exclue, particulièrement les grands-parents.
Les femmes que nous représentons sont concernées de près par le régime du parrainage. La grande majorité des femmes appartenant à des minorités visibles arrivent au Canada comme immigrantes parrainées et, à leur tour, parrainent parents et enfants. Les dispositions qui traitent de ce sujet sont disséminées à travers tout le projet de loi. Nous demandons que la codification du régime de parrainage soit rendue plus conviviale et que toutes les dispositions le concernant soient regroupées dans un même article de la loi. Ainsi, les immigrants et membres de minorités visibles pourraient plus aisément s'y retrouver.
Nous demandons également, de nouveau, un assouplissement de l'engagement de parrainage. L'engagement de parrainage est la pierre angulaire du régime de parrainage. Or, la loi actuelle le passe sous silence. Actuellement, l'engagement doit être pris pour dix années pleines et est irréversible. Ni la durée ni la teneur ne peuvent être modifiées, même si la situation du parrain ou de son conjoint change.
Le parrainage par conjoint engendre un lien de dépendance légale et exacerbe les inégalités dans le couple. Il place les femmes à la merci de leur mari, économiquement et socialement. Les femmes vivent dans la crainte d'un retrait du parrainage par leur mari et sont souvent contraintes de rester dans une relation abusive et violente. Une telle dépendance légalisée est contraire au droit à l'égalité garanti par la Charte.
Nous recommandons que la durée de l'engagement de parrainage soit ramenée à trois ans, afin de l'aligner sur l'exigence de résidence et que la citoyenneté à deux vitesses - ceux admissibles aux prestations sociales et ceux inadmissibles - soit supprimée.
Le président: Sachez que les fonctionnaires nous ont indiqué hier que la durée de l'engagement de parrainage serait ramenée à trois ans dans le règlement.
Mme Bose: Dans notre intervention conjointe au Comité de la Chambre des communes, nous avons exprimé notre opposition à l'introduction d'une carte d'immigrant que devraient posséder tous les résidents permanents, mais depuis les événements du 11 septembre, une partie de nos membres s'est exprimée en faveur de l'introduction rapide d'un document infalsifiable attestant le statut de résident permanent de tous les immigrants. Le visa d'immigrant et la fiche d'établissement, IMM-1000, sont faciles à falsifier et nuisent à ceux-là même qu'ils sont censés protéger.
Nous recommandons que le gouvernement du Canada introduise un document infalsifiable décerné à tous les immigrants admis, lequel serait échangé contre un certificat de citoyenneté une fois que les intéressés ont rempli l'obligation de résidence et satisfait la cour de citoyenneté.
Nous voulons également nous exprimer en faveur des gardiennes d'enfants et employées de maison. Nous déplorons que le projet de loi C-11 n'en fasse aucune mention explicite, puisqu'il s'agit là de professions féminines dans lesquelles les minorités visibles sont lourdement représentées. Rien n'indique non plus qu'elles seront couvertes par le règlement.
Le Programme concernant les aides familiaux résidents place les employés de maison étrangers dans une catégorie spéciale et les astreint à des contraintes de résidence, d'entrée et de sortie et de regroupement familial de plus en plus restrictives et coercitives. Leur statut de migrantes temporaires et l'obligation de résidence au domicile de l'employeur les expose à des conditions déplorables et à l'exploitation. Nous recommandons que l'obligation de résidence chez l'employeur soit détachée du critère professionnel.
Nous recommandons que les autorisations d'emploi temporaire soient axées sur l'emploi - à titre d'aide familiale ou d'employée de maison - et non l'employeur. Nous recommandons qu'une fonction de contrôle indépendant soit inscrite dans la loi afin de sauvegarder le droit des aides familiales et employées de maison.
Nous recommandons que les fonctions monétaires et de familiarisation soient sous-traitées à une ONG de femmes.
Honorables sénateurs, nous sommes une organisation qui milite pour les droits des immigrantes et des femmes membres de minorités visibles. À ce titre, nous sommes atterrés de voir que le projet de loi C-11 passe pratiquement sous silence un grave problème. Les immigrantes ne cessent d'exprimer leur frustration face aux barrières élevées par la réglementation contre la reconnaissance de leurs qualifications et diplômes obtenus dans leur pays d'origine ou un pays tiers. Nous militons depuis 1992 avec les infirmières, les travailleurs sociaux et enseignants immigrants pour attirer l'attention sur ce problème.
Nous recommandons que la reconnaissance des diplômes professionnels et académiques étrangers occupe une plus grande place dans le projet de loi C-11 et que cette question soit sérieusement examinée dans le cadre d'un dialogue continu entre le gouvernement fédéral et les provinces.
Nous recommandons également que votre comité sénatorial mène une étude sur ce sujet afin que le Canada puisse sauvegarder son capital social. Je vous remercie.
Mme Erin Lee-Todd, vice-présidente, responsable de la lutte contre le racisme et l'oppression, Ontario Association of Interval and Transition Houses: J'utiliserai le sigle OAITH pour qualifier notre organisation, au lieu de donner son titre au long chaque fois.
OAITH est un regroupement provincial de foyers d'accueil qui oeuvrent pour améliorer le soutien offert aux femmes victimes de violence et à leurs enfants. Comptant 65 membres, notre association se veut un chef de file dans la province, attirant l'attention des décideurs provinciaux et fédéraux, ainsi que du grand public, sur les besoins des femmes victimes et de leurs enfants.
Nous faisons appel à l'expérience des travailleuses des foyers d'accueil qui se trouvent en première ligne pour répercuter le vécu des femmes victimes de violence et de leurs enfants et faire entendre leurs voix.
Je ne vais pas formuler de recommandations. Je veux avant tout vous faire part de l'expérience des femmes qui ont participé à une enquête d'opinion interne, à l'échelle de la province de l'Ontario, au sujet de la Loi sur l'immigration et de ses effets sur leur capacité à accéder aux services des foyers d'accueil et à continuer à séjourner au Canada avec leur famille.
Il y a un an environ, nous avons invité ces femmes à participer à ce sondage interne visant à déterminer les effets de la Loi sur l'immigration sur elles, s'agissant non seulement d'accéder à notre service mais également de pouvoir rester avec leurs enfants dans un milieu de vie favorable. Ces femmes ont mis en lumière la problématique des réfugiés, des parrainages et ruptures d'engagement, de la crainte - et souvent de la menace - de renvoi, des mères d'enfants nés au Canada, des ordonnances de renvoi et du manque de soutien communautaire.
Nous applaudissons l'initiative du gouvernement de réduire la durée du parrainage de dix ans à trois. Toutefois, nous pensons qu'une exception devrait être faite dans le cas du parrainage entre conjoints. Ce dernier ne devrait pas exister. Les femmes parrainées par un partenaire sont économiquement dépendantes de celui-ci et peuvent ne pas avoir accès au marché du travail, en raison des barrières raciales et linguistiques. La dépendance économique de ces femmes accentue également le déséquilibre des pouvoirs à l'intérieur du couple. Les femmes victimes de sévices qui se séparent de leurs conjoints ont la possibilité de dissoudre l'engagement de parrainage du partenaire. Celles qui se réfugient dans un foyer ont accès aux renseignements voulus pour cela. Mais celles avec qui nous travaillons à distance ou qui ne peuvent nous joindre ne possèdent pas ces renseignements et cela les empêche de s'extraire d'une situation de violence.
Les enfants nés au Canada sont des citoyens canadiens. C'est vrai. Mais les mères de ces enfants, qui n'ont pas de statut ou la citoyenneté, se voient expulsées du Canada, aux dépens de la relations entre mère et enfant.
Le Canada semble ignorer la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, qui stipule que les autorités étatiques doivent veiller à ce que les enfants ne soient pas séparés de leurs parents contre leur volonté, à moins que cette séparation soit nécessaire dans l'intérêt de l'enfant.
La prise d'ordonnances de renvoi dans ces cas est contraire à l'objectif du regroupement familial présent dans le projet de loi. En outre, la garde des enfants est souvent confiée au conjoint violent, dont la situation est plus régulière ou qui est citoyen. Est-il dans l'intérêt de l'enfant d'être élevé par un parent qui se livre à la violence sur l'autre? Nous ne pensons pas.
En outre, notre mouvement milite pour les droits des personnes gaies, lesbiennes, bisexuelles et transsexuelles. Nous pensons que l'expérience des lesbiennes démontre que ce projet de loi n'énonce pas clairement leurs droits.
Je ne vais pas abuser de votre temps en répétant ce que les éminents collègues à mes côtés ont déjà dit. Je suis sûr que tous les membres ont reçu le résumé des recommandations présentées par l'Association nationale de la femme et du droit, la West Coast Domestic Workers Association, l'Organisation nationale des femmes immigrantes et des femmes appartenant à une minorité visible du Canada et la Table féministe francophone de concertation provinciale de l'Ontario. Nous souscrivons sans réserve à ce document et à ce mémoire.
Le président: Monsieur Fisher, je partage votre souci de voir les relations entre partenaires de même sexe englobées dans la catégorie du regroupement familial. Il me semble que cela pourrait être accompli en indiquant dans le règlement que la relation de concubinage englobe une relation homosexuelle. Ai-je raison?
M. Fisher: Tout à fait. Nous préférerions que ce soit rendu visible et explicite dans la loi elle-même. Nous pensons qu'un amendement devrait être apporté, par le biais d'un vote à la Chambre et au Sénat, de façon à enlever ce que nous estimons être une contrainte fondamentale dans la définition du regroupement familial. Cependant, ce pourrait être fait par voie de règlement.
Le président: Est-il exact également que la protection des demandeurs d'asile persécutés en raison de leur orientation ou identité sexuelle pourrait être assurée dans la partie du règlement traitant de l'admissibilité?
M. Fisher: C'est également vrai. De fait, un jugement de la Cour suprême reconnaît que l'orientation sexuelle est couverte par la notion d'«appartenance à un groupe sexuel». C'est moins clair dans le cas de l'identité sexuelle et de la transsexualité et nous pensons qu'il importe de clarifier cela.
[Français]
Le sénateur Pépin: Si j'ai bien compris, vous semblez avoir de l'information à l'effet que les gais et les lesbiennes, lorsqu'ils font une demande d'immigration, font l'objet de discrimination. Craignez-vous que la nouvelle loi accentuera ce fait? Est-ce une pratique courante?
M. Fisher: Les couples de même sexe peuvent actuellement immigrer au Canada. À l'article ayant trait à «humanitarian and compassionate grounds», en ce moment, c'est un article discrétionnaire et arbitraire.
[Traduction]
M. Fisher: Oui, le partenaire gai ou la partenaire lesbienne d'un ou d'une Canadienne est admis à immigrer au Canada pour motif d'ordre humanitaire. Des directives précisent que ces partenaires doivent être admis s'il y a une relation véritable et s'il est établi, du point de vue humanitaire, que la séparation leur causerait des difficultés.
Depuis la loi-cadre adoptée l'an dernier étendant la relation de mariage au conjoint de fait dans tout le droit fédéral, les conjoints de fait sont maintenant englobés dans la catégorie regroupement familial aux fins d'immigration. C'est maintenant un droit automatique, et non plus un mécanisme discrétionnaire et quelque peu arbitraire et invisible.
Évidemment, cela requiert en corollaire l'établissement de toute une série de critères définissant une relation de fait admissible. Comme nous le disons dans notre mémoire, notre préoccupation est que le ministère semble considérer, pour assurer la conformité avec la loi-cadre de l'an dernier, que des définitions similaires sont requises dans notre cas, notamment l'exigence d'une cohabitation d'un an, ce qui n'est pas réaliste dans le contexte de l'immigration.
[Français]
Le sénateur Pépin: Ils ont fait des changements dans les règlements et il est bien clair que cela va faciliter les choses.
[Traduction]
M. Fisher: Oui, ce sera moins discrétionnaire. Cela deviendra un droit et clairement englobé dans la catégorie regroupement familial, comme il se doit. C'est une question de situation de famille.
[Français]
Le sénateur Pépin: Madame Bose, vous avez parlé de la possibilité que les grands-parents puissent parrainer leurs enfants. Est-ce qu'il y a un problème actuellement de ce côté?
Mme Bose: Actuellement non, mais si le projet de loi C-11 est adopté, il y a aura des problèmes.
Le sénateur Pépin: Vous avez des craintes face au projet de loi C-11?
Mme Bose: J'aimerais que le mot «grand-parent» soit précisé dans le nouveau projet de loi.
Le sénateur Pépin: Vous avez aussi parlé de «domestic violence» ou de «domestic work». Lorsqu'on parle de violence contre des personnes travaillant comme aide ménagère, demandez-vous que l'article ayant trait à la résidence ne soit pas obligatoirement lié à l'employeur?
Mme Bose: Oui.
Le sénateur Pépin: Je suis d'accord. J'ai eu connaissance de plusieurs cas où les aides ménagères sont agressées par leur employeur. Ce n'est pas suffisamment clair dans la loi actuelle.
Mme Bose: Ni pour nous.
[Traduction]
Le sénateur Fairbairn: Monsieur Fisher, vous recommandez de ne pas modifier la politique actuelle concernant les tests de dépistage du VIH chez les immigrants. J'imagine que cela figurerait dans le règlement d'application. Votre préoccupation est-elle motivée par un élément concret ou bien signalez-vous cette question uniquement à titre préventif?
M. Fisher: Notre inquiétude est motivée par des déclarations publiques faites par la ministre et son interprétation du projet de loi, par opposition au règlement. Les motifs d'inadmissibilité pour raison sanitaire sont énoncés à l'article 38 qui parle notamment de danger pour la santé et la sécurité publique. Nous croyons savoir que le VIH n'est pas considéré comme représentant un tel danger.
En revanche, plus loin on précise qu'une personne peut être interdite de territoire si elle va vraisemblablement constituer un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé. Nous avons fait valoir au Comité de la Chambre que cette formule ne considère que le côté négatif de l'équation et ne permet pas de prendre en compte la contribution au Canada de la personne. Les sidéens, qui mènent aujourd'hui une vie plus productive et plus longue que jamais auparavant, pourront être considérés exclusivement comme un fardeau pour le Canada, sans autre contexte, alors qu'une formule plus flexible permettrait de prendre également en compte les contributions de cette personne.
En l'absence de tout changement, l'article 38 n'impose pas de prendre en compte le terme positif de l'équation. Je pense que des instructions et avis donnés par des comités comme le vôtre inciteraient les rédacteurs du règlement à prendre en considération un éventail plus large de facteurs. Notre préférence irait à quelque chose de plus large que la formule étroite prévue à l'article 38.
M. Chaplin, qui a travaillé dans le domaine du VIH lui aussi, vient de se joindre à moi.
M. Ron Chaplin, président, Comité d'action politique, Égalité pour les gais et les lesbiennes: Notre souci ici repose sur une série d'annonces contradictoires de la ministre concernant les immigrants séropositifs. Une annonce préliminaire disait que tous les immigrants non parrainés subiraient un test de dépistage et que tous les séropositifs seraient automatiquement exclus. Un correctif a ensuite annoncé que le dépistage serait obligatoire mais l'exclusion non automatique. On nous a également assuré que cela ne s'appliquerait pas à la catégorie regroupement familial ni aux demandeurs d'asile. Nous savons qu'il n'en est pas ainsi.
Nous voulons simplement nous assurer que ce pays et ce gouvernement ne vont pas importer le genre de mesures en vigueur ailleurs dans le monde qui ferment la porte aux porteurs du VIH. Nous pensons que ce serait là une approche inappropriée pour le gouvernement canadien, du point de vue de la justice, des droits de la personne ou de la santé publique.
Le sénateur Fairbairn: Merci de cette précision. Je comprends. Il serait opportun que notre comité formule des recommandations à cet effet sachant que le règlement n'est pas clair actuellement.
J'ai une autre clarification à demander. Un groupe demande qu'il n'y ait pas de parrainage entre conjoints. Vous avez parlé des femmes parrainées par un conjoint ou économiquement dépendantes d'un conjoint et qui n'ont pas accès à l'emploi du fait de barrières raciales et linguistiques. Vous avez parlé de la dépendance économique des femmes.
Pouvez-vous nous expliquer ce que vous entendez en disant qu'il ne devrait pas y avoir de parrainage entre conjoints. Cela pourrait empêcher certaines femmes d'être admises au Canada. Pouvez-vous nous expliquer ce que cela veut dire?
Mme Lee-Todd: Nous parlons là de situations où un couple est établi au Canada et où l'engagement de parrainage est rompu. Lorsque cela se produit, les femmes n'ont pas accès aux services sociaux, par exemple. Le logement est un problème majeur, surtout à Ottawa en ce moment. Dans la province, l'accès au logement et à l'aide juridique ne sont pas toujours offerts aux femmes qui arrivent dans les foyers, à cause des obligations du parrainage. Selon notre analyse, il y a un déséquilibre des pouvoirs et nous estimons qu'il faudrait mettre en place d'autres dispositions pour les femmes qui fuient un foyer violent.
Nous ne parlons pas ici seulement du parrainage d'une personne à l'étranger par une autre personne au Canada. Une fois la femme arrivée ici, elle est liée - sans disposer de renseignement de sécurité et sans accès aux services - par ce parrainage, qui souvent limite sa liberté d'action. Nous le voyons dans les foyers d'accueil.
Le sénateur Fairbairn: Faudrait-il donc inscrire une nouvelle disposition dans le règlement?
Mme Lee-Todd: Oui, tout à fait. Nous préconisons des règles ou critères touchant spécifiquement les femmes victimes de violence familiale, actuellement résidentes au Canada.
Le sénateur Fairbairn: Il serait utile au comité que vous nous fassiez parvenir quelques suggestions de libellé qui puissent couvrir cette situation et apporter de la clarté. Je comprends certainement mieux maintenant. Peut-être pourriez-vous nous aider en proposant un texte.
Mme Lee-Todd: Je vous signale que nous avons eu une réunion à Toronto la fin de semaine dernière. Nous avons parlé spécifiquement de ce que nous pourrions recommander et vous présenter aujourd'hui. Malheureusement, ces recommandations n'ont pas été prêtes à temps mais je prévois les recevoir d'ici vendredi et je vous les transmettrai.
[Français]
Le sénateur Pépin: On sait que les femmes violentées hésitent à se présenter dans les refuges. Si le projet de loi est adopté, il y aura un délai de trois ans avant que l'immigrante reçoive le statut d'immigrante reçue.
Selon votre expérience, je ne contredirai pas votre recommandation toutefois, lorsqu'une immigrante vit au Canada, combien de semaines ou de mois prend-elle avant d'avoir le courage de se rendre dans un refuge pour demander de l'aide? Le délai doit être très important. Habituellement, même les immigrantes qui sont ici prennent beaucoup de temps avant de laisser la famille et les enfants.
Mme Lee-Todd: Je connais les statistiques pour la région d'Ottawa, mais je ne peux pas faire de commentaires pour le reste de l'Ontario.
À Ottawa, on fait beaucoup d'efforts et on met beaucoup d'énergie en vue d'un programme que l'on appelle «outreach». Au comité des immigrants de notre refuge d'Ottawa, on sait maintenant que les femmes se rendent aux refuges après deux ou trois ans. Les statistiques montrent que cela se produit durant la deuxième ou troisième année après leur arrivée. Cela a changé, parce qu'il y a des femmes dans chaque communauté - des leaders - qui donnent l'information aux personnes de leur communauté. En ce moment, nous n'avons pas assez d'argent pour aider tout le monde. On fait de petits projets dans notre région pour donner assez d'information.
Le sénateur Pépin: Cela va être important de pouvoir donner de l'information puisque la loi prévoit trois ans avant qu'une immigrante soit reçue. Je suis passablement au courant des problèmes des refuges pour les femmes violentées. J'ai ouvert les premiers refuges au début des années 80. Il semble que l'on fasse encore face à un problème bien pressant qu'est la période de temps que les femmes prennent pour quitter leur famille et leurs enfants pour se diriger vers un refuge. Il ne faudrait pas non plus que cela soit discriminatoire à cause du délai.
[Traduction]
Le sénateur LeBreton: Je m'intéresse particulièrement au cas des grands-parents, puisque j'en suis un moi-même. Vous avez parlé de sémantique et de l'apparition dans le texte du projet de loi du nouveau terme «étranger».
Vous formulez une recommandation expresse concernant le paragraphe 12(2), relatif au regroupement familial, prévoyant qu'un étranger peut être sélectionné à titre de membre de la famille, mais passant sous silence les grands-parents.
Lors de votre témoignage précédent, ou lorsque le projet de loi était étudié à la Chambre des communes ou à l'occasion de toute discussion que vous avez pu avoir avec le ministère de la Justice, ce dernier a-t-il jamais expliqué précisément ou tenté de défendre la suppression de la mention des grands-parents dans ce texte? Si oui, quelles raisons ont-ils données?
Mme Bose: Désolée, sénateur, je n'étais pas au Canada à l'époque. Je ne travaillais pas pour l'organisation. J'ai reçu instruction de mon conseil d'insister sur ce point car, comme vous le savez, les familles immigrantes tiennent beaucoup à la famille étendue. Aujourd'hui, les grands-parents sont considérés comme les dépositaires de notre culture, une culture que les parents sont parfois réticents à transmettre.
C'est également une fonction très importante à la lumière des coupures budgétaires. Les grands-parents assurent maintenant routinièrement la garde des enfants, une autre raison pour laquelle nous insistons là-dessus.
Désolée, je ne pense pas avoir répondu à votre question.
Le sénateur LeBreton: Je me demande s'il n'y a pas un motif caché, car les grands-parents sont habituellement âgés. Est-ce une façon subtile de les exclure en raison de leur âge et d'éviter le fardeau peut-être un peu plus lourd qu'ils peuvent représenter pour les services sociaux ou sanitaires?
D'autres qui se sont penchés sur le projet de loi et ont eu un peu plus de temps que vous ont effectivement tenté de mettre à jour les raisons. Je conviens avec vous que les grands-parents, y compris ceux qui choisissent de venir au Canada, jouent un rôle très important. Ils contribuent sans doute beaucoup à soulager le système s'ils s'occupent des enfants.
Je serais curieuse de savoir pourquoi les grands-parents ont été expressément écartés dans le projet de loi.
Mme Bose: Malheureusement, sénateur, l'idée règne dans l'opinion que les immigrants sont des profiteurs et des geignards et représentent un fardeau pour les services sociaux. Notre problème est que notre contribution à l'économie n'a jamais été quantifiée. J'ai l'impression qu'on espère décourager l'arrivée des grands-parents en n'en faisant pas mention.
Je trouve que les grands-parents sont aujourd'hui plus nécessaires que jamais, d'autant que les familles immigrantes commencent à éclater. On voit des femmes chefs de ménage dans les familles immigrantes, ce qui était inconnu lorsque je suis arrivée dans ce pays dans les années 70.
Le sénateur LeBreton: Ils relèvent maintenant de la catégorie «membres de la famille prescrits». Cela signifie-t-il que si on les fait venir pour une raison précise, on les admet? Pensez-vous qu'il y a là une discrimination selon l'âge?
En les englobant dans l'expression «membres de la famille prescrits», cela signifie-t-il qu'ils devront jouer un rôle spécifique pour être admis? Devront-ils s'engager à le remplir avant d'être admis?
Mme Bose: Peut-être, mais nous craignons également que cette expression laisse beaucoup de latitude à l'autorité de réglementation et les place à la merci du bon vouloir d'un agent d'immigration. Nous aimerions que ce soit précisé.
Le sénateur LeBreton: Tout comme M. Fisher aimerait une définition plus précise de «conjoint de fait» dans le projet de loi, plutôt que dans le règlement.
M. Fisher: Exactement. Je pense que la clarté et la visibilité sont des principes importants de notre régime d'immigration. Ils ne sont pas toujours évidents dans le projet de loi.
Le président: Je pense qu'il serait difficile de trouver un groupe de gens à Ottawa plus ouverts au problème des grands-parents que nous.
Nous en discuterons expressément avec la ministre. On m'informe qu'elle a apparemment annoncé il y a quelque temps que les grands-parents seraient couverts dans le règlement.
D'ailleurs, madame Bose, je suis enclin à accepter votre interprétation. Je pense qu'il existe la perception que les grands-parents immigrants, ou les immigrants de cet âge, représentent bien un fardeau. C'est faux, mais il existe cette perception qu'ils imposent un fardeau pour les services sociaux de ce pays, ce qui revient à négliger les énormes avantages qu'ils apportent aux familles, gratuitement, comme vous l'avez si bien dit.
Je connais personnellement des familles d'immigrants dont les deux parents travaillent et où les grands-parents ont effectivement pour rôle de garder gratuitement les enfants.
Notre prochain témoin est bien connu de nous tous, ayant comparu devant des comités que j'ai présidés sur différents sujets. Je souhaite la bienvenue à David Matas, de B'nai B'rith Canada.
M. David Matas, conseiller juridique principal, B'nai B'rith Canada: Je vais m'efforcer de faire un exposé bref, honorables sénateurs, en partie parce que j'ai tant à dire et que si je disais tout je prendrais tout votre temps.
J'ai comparu à plusieurs reprises devant des comités sénatoriaux. Si je reviens si souvent, c'est que j'y trouve plaisir. Je pense que le Sénat mérite sa réputation d'être une Chambre de réflexion sereine, une vertu qui s'impose particulièrement s'agissant de ce projet de loi.
Le projet de loi C-11 est complexe. C'est le premier remaniement de la Loi sur l'immigration depuis 1976. Il comporte quantité de problèmes - de nature technique aussi bien que générale. Il appelle un examen approfondi. La destruction du World Trade Center et les attaques terroristes ont ouvert une optique entièrement nouvelle pour ce projet de loi, ce qui signifie qu'il faut considérer ce système avec des yeux différents. Je pense que le Sénat peut le faire, à condition d'en avoir le temps. J'exhorte donc le Sénat à examiner ce projet de loi soigneusement, selon la nouvelle perspective consécutive au 11 septembre, et avec tout le soin et l'attention aux détails qu'il consacre normalement aux projets de loi.
Je représente ici B'nai B'rith, qui a une longue expérience du problème des crimes de guerre et, en particulier, des crimes contre l'humanité. Nous nous sommes efforcés de traduire en justice les criminels de guerre nazis pendant de nombreuses années, particulièrement au Canada. Nous avons vu les nombreuses défaillances du système au fil des ans. C'est toujours un problème. Le projet de loi ne le règle toujours pas vraiment.
Comme certains d'entre vous le savent, je suis avocat spécialisé en droit des réfugiés. Cela m'ouvre des aperçus sur le projet de loi qui, dans une certaine mesure, recoupent les préoccupations que j'exprime au nom de B'nai B'rith. Le projet de loi est complexe. Il est détaillé. Il instaure des étapes multiples. À certains égards, il manque à l'équité. À certains égards, il est contraire aux normes internationales et étire les procédures inutilement en longueur, les rendant trop longues, trop complexes, trop injustes.
Nous pouvons le constater dans la pratique tous les jours s'agissant des procédures engagées contre les criminels de guerre, les criminels contre l'humanité, les tortionnaires et les terroristes actuellement sur le sol canadien. Il semble carrément impossible de les expulser. Davantage de criminels de guerre nazis sont morts de vieillesse en instance de procédure que l'on en a renvoyé.
J'ai rédigé plusieurs mémoires et ils sont toujours disponibles. J'en ai rédigé pour la Chambre des communes et je les ai modifiés quelque peu pour le Sénat car, malheureusement, le projet de loi n'a guère changé depuis que je les ai présentés. Nombre des problèmes que je mettais en évidence subsistent.
Je ne vais pas faire lecture du mémoire que j'ai préparé pour B'nai B'rith, mais mettrai en lumière certaines des recommandations afin de laisser du temps pour les questions.
Le premier problème que je vois dans le projet de loi est qu'il n'énonce pas clairement qui est passible de renvoi. Il établit un système tel que des personnes à ranger dans la catégorie des terroristes, tortionnaires, criminels de guerre et auteurs de crimes contre l'humanité peuvent être autorisées à rester, à la discrétion du ministre. À mon sens, aucun ne devrait être autorisé à rester, sauf si le renvoi les exposerait à la torture, à l'exécution arbitraire, à la disparition forcée ou à la peine de mort. Dans ces cas, aucun d'eux ne devrait être autorisé à partir, mais ce n'est pas ce que dit le projet de loi. Il autorise le renvoi dans les situations où ils ne devraient pas être renvoyés et les autorise à rester dans des situations où ils ne devraient pas être autorisés à le faire.
Le deuxième problème que je vois est un manque de cohérence de tout le système. La Loi sur l'immigration est un élément d'un système plus large touchant les terroristes, criminels de guerre, auteurs de crimes contre l'humanité et tortionnaires, à côté de la Loi sur la citoyenneté, de la Loi sur l'extradition et du Code criminel et ces différents éléments ne sont pas intégrés. Le résultat est que l'on est obligé de repasser sans cesse par les mêmes procédures, de prouver à répétition les mêmes allégations, et c'est pourquoi il faut si longtemps pour se débarrasser de quelqu'un. Il faudrait regrouper les procédures en vertu de la Loi sur la citoyenneté et les procédures en vertu de la Loi sur l'immigration.
L'une de mes frustrations, et l'une des raisons pour lesquelles je ne cesse de comparaître ici, est que ces projets de loi arrivent devant le Parlement dans le désordre. Il y a eu les modifications récentes à la Loi sur l'extradition, une mesure récente concernant les crimes de guerre et crimes contre l'humanité. Nous avons eu différentes versions de la Loi sur la citoyenneté. Il faudrait intégrer toutes ces procédures. Chacune de ces procédures est compartimentée et répétitive. On devrait pouvoir révoquer la citoyenneté pour cause de torture, de crime de guerre, de crime contre l'humanité ou terrorisme.
Deuxièmement, la personne qui révoque la citoyenneté devrait également pouvoir émettre une ordonnance de renvoi. Il ne devrait pas être nécessaire d'ouvrir une procédure distincte pour la révocation de la citoyenneté, puis pour une procédure de renvoi, alors que la seconde découle automatiquement de la première, mais avec un long délai. Je préconise que la Section de première instance de la Cour fédérale soit le lieu de cette décision conjointe.
Il convient également d'intégrer les procédures de citoyenneté et d'immigration et les poursuites pénales, afin qu'il suffise d'une condamnation pour crime de guerre, crime contre l'humanité, torture ou terrorisme pour révoquer la citoyenneté et procéder au renvoi, ce qui n'est pas le cas actuellement.
Il y a également l'absence de poursuites. Manifestement, s'agissant de criminels fugitifs étrangers, la meilleure dissuasion est la poursuite, la condamnation et le châtiment. Ce n'est pas la révocation de la citoyenneté et le renvoi. Or, nous ne poursuivons pas les étrangers fugitifs, terroristes, tortionnaires ou auteurs de crimes contre l'humanité.
Cela a été pendant des années un problème à la Cour suprême du Canada, comme en témoigne la cause Finta, mais le nouveau projet de loi règle maintenant ce problème. Cependant, il n'y a toujours pas de poursuites. Cela a été un problème dans le cas des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité, mais pas de la torture. En effet, il n'y a jamais eu de poursuite pour torture ou terrorisme. Or, certaines conventions nous obligent à poursuivre les auteurs de certains types de terrorisme.
Nous devrions renvoyer au procureur concerné toutes les personnes faisant l'objet d'une mesure d'exclusion, de renvoi ou de révocation de citoyenneté pour cause de crime de guerre, de crime contre l'humanité, de torture et de terrorisme. Or, nous ne le faisons pas; nous ne faisons même pas enquête. Cela amène à s'interroger sur le système.
J'ai fait quelques recherches sur les cas, nombreux, de personnes auxquelles l'asile a été refusé et qui ont été expulsées pour cause d'actes de torture, de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité, et aucune n'a jamais été poursuivie. Or, la loi autorise les poursuites. En droit international, il y a une obligation soit de poursuivre soit d'extrader. Que se passe-t-il? Des gens honorables sont-ils en réalité des tortionnaires et criminels de guerre et, dans l'affirmative, pourquoi ignorons-nous notre devoir de soit poursuivre soit extrader?
Voilà certaines de mes préoccupations. J'en ai un certain nombre d'autres, des réserves détaillées sur des dispositions précises du projet de loi, mais vu le manque de temps, je vous laisse le soin de lire le mémoire.
Je demande au Sénat de se pencher sur toute cette question globalement, et de réfléchir à la manière de traiter les terroristes, les criminels de guerre et cetera, au lieu d'aborder cette problématique uniquement sous l'angle de la Loi sur l'immigration.
Le président: J'ai l'impression, et je veux m'assurer de ne pas me tromper, que vous n'êtes pas en faveur du pouvoir discrétionnaire ministériel dans plusieurs cas. Vous préféreriez que le ministre n'ait pas de latitude, de telle façon que l'on est soit dans la boîte soit en dehors, sans marge de manoeuvre. Est-ce exact?
M. Matas: Oui, de manière générale, sauf que vous allez un peu plus loin que moi. Je suis préoccupé par la faculté de permettre à des terroristes, des criminels de guerre, des tortionnaires et des auteurs de crimes contre l'humanité de rester au Canada. Cette latitude est dans le projet de loi et je ne l'aime pas.
Je n'aime pas non plus que le projet de loi permette de les renvoyer dans une situation où ils subiraient la torture. De manière générale, et à titre de principe législatif, il est sage d'énoncer les règles autant que possible. J'ai conscience qu'en matière d'immigration il peut y avoir des situations imprévisibles, par exemple les circonstances humanitaires. Je n'irais pas jusqu'à dire qu'il ne faut laisser aucune latitude au ministre, mais dans certains domaines, tel que le maintien au Canada de criminels de guerre, cela ne devrait pas exister.
Le président: Je reviendrai peut-être là-dessus.
Le sénateur Beaudoin: L'un des aspects qui me préoccupe est le droit d'appel, que certains témoins ont contesté aujourd'hui, prévu à la section 7, les articles 62 à 71. La même argumentation s'applique et à la Section d'appel des réfugiés et à la Section d'appel de l'immigration.
À mon avis, ces dispositions sont très restrictives. Je comprends et partage à 100 p. 100 notre objectif et l'impératif de la sécurité. Toutefois, le droit d'appel est l'un des grands principes de la primauté du droit. À mon sens, nous sommes allés un peu loin. Le Barreau canadien et notre témoin de ce matin, représentant les avocats d'immigration du Québec, pensent de même. Pensez-vous que nous sommes allés un peu trop loin?
M. Matas: Ce n'est pas un sujet que j'ai abordé dans les autres mémoires, mais c'est certes un sujet de préoccupation pour moi. Actuellement, le plus gros problème des appels auprès de la Section d'appel de l'immigration et de la Commission du statut de réfugié est en rapport avec la criminalité. Actuellement, on peut vous refuser le droit d'appel si le ministre émet une attestation de danger pour le public. Le mécanisme de l'avis de danger est emprunt de problèmes. Ces avis aboutissent tous devant les tribunaux, qui les cassent. Ceux visés par des attestations de danger finissent par rester plus longtemps que les autres, en raison de l'imbroglio juridique engendré.
La solution du gouvernement a été de supprimer l'avis de danger, bien qu'on le retrouve dans le projet de loi sous d'autres formes. Ils n'y ont pas renoncé complètement et c'est une partie du problème. Il existe et pourtant n'existe pas - il est contenu dans différentes parties du projet de loi et sous différentes formes. Il n'y a pas d'approche cohérente. Au moins ici, s'agissant du droit d'appel, il a disparu, mais il a été remplacé par le critère de deux ans minimum à dix ans maximum.
Ainsi, des personnes n'ont plus de recours, bien qu'elles ne soient pas nécessairement dangereuses, bien qu'elles aient pu commettre un seul délit sans probabilité de récidivisme, qu'elles sont arrivées ici enfants, qu'elles peuvent avoir toute leur famille ici et qu'il puisse exister de nombreuses circonstances atténuantes. Habituellement, tous ces facteurs sont pris en compte lors de ces appels.
Je fais beaucoup de travail d'appel dans ma pratique privée. Je pense que les juges de la Section d'appel, dans l'ensemble, font un bon travail. Ils sont justes, ils ont le sens des responsabilités, ils sont experts. La raison pour laquelle le mécanisme de l'attestation de danger public ne fonctionne pas est qu'il est injuste et que ceux qui émettent ces avis ne savent pas ce qu'ils font. Ce sont des gens qui ne connaissent pas grand-chose à la criminologie, au récidivisme ou à la pénologie.
C'est un problème qu'il convient de régler. La solution que j'ai proposée, car je connais bien le sujet, est que le mécanisme d'attestation de danger soit intégré à la procédure de sécurité nationale. Cette dernière, par comparaison, ou même dans l'absolu, est équitable. La procédure de sécurité va en Cour fédérale; il y a audience publique; on a affaire à des experts qui savent de quoi ils parlent et tout se fait dans les règles. L'avis de danger vise à peu près la même problématique. On peut peut-être conserver le concept, simplement on ne peut utiliser la procédure établie par la loi actuelle.
Le sénateur Beaudoin: J'ai une autre question. Il y a une tendance, depuis une trentaine d'années, à donner beaucoup de pouvoirs au gouverneur en conseil, sous forme de règlements. Je comprends cela. Les tribunaux l'admettent, dans les cas d'urgence.
Cependant, en l'occurrence, le règlement va être rédigé une fois que les deux Chambres auront adopté la loi. J'admets la procédure, mais elle prend du temps. J'ai l'impression que le pouvoir que nous déléguons au gouverneur en conseil est très vague. Cela se fait de plus en plus et n'est pas propre à ce projet de loi. On voit la même chose dans beaucoup d'autres. Nous donnons beaucoup de pouvoir au gouverneur en conseil. Nous avons un comité sénatorial qui se penche sur la question de savoir si ce pouvoir est conforme ou non au mandat.
Cependant, le fait est que cette tendance, à mon avis, n'est pas l'idéal. Vous avez eu souvent à connaître de ce problème en tant qu'avocat de pratique privée, surtout dans le domaine des droits de la personne.
Que pensez-vous de cette tendance à donner de plus en plus de latitude au gouverneur en conseil? Parfois c'est un outil fantastique, mais pas toujours.
M. Matas: De manière générale, vu sous cet angle, il s'agit d'énoncer dans une loi des principes fondamentaux. Le gouverneur en conseil ne devrait pas avoir le pouvoir d'établir des principes généraux car alors ils échapperaient au débat législatif.
Le sénateur Beaudoin: C'est exactement ce que je pense.
M. Matas: C'est un problème ici: on ne peut savoir comment fonctionnera le régime d'après la seule lecture du projet de loi, car il y a toutes sortes d'éléments qui ne figurent pas dans la loi, mais seulement dans le règlement.
Prenez, par exemple, la question de savoir si une personne peut être renvoyée avant le recours en Cour fédérale. Oui ou non? Le projet de loi ne le dit pas. On s'en remet au règlement.
Je parle parfois aux fonctionnaires. Ils m'ont dit: «Eh bien, nous allons peut-être introduire un sursis réglementaire pendant quelques années pour voir comment cela marche et nous le supprimerons éventuellement.» L'existence ou l'absence d'un sursis jusqu'au recours en Cour fédérale est une partie intégrante du régime mis en place par ce projet de loi. Le fait de dire: «Nous allons l'inscrire dans le règlement pendant quelques années et si nous n'aimons pas comment les choses tournent nous l'enlèverons» viole la notion voulant que la loi contiennent les principes fondamentaux.
On pourrait trouver d'autres exemples comme celui-là. Je pense que c'est un problème.
Le sénateur Beaudoin: Certains juristes disent que la délégation des pouvoirs est un peu vague. Je suis enclin à être d'accord. C'est votre réaction également.
M. Matas: Oui.
Le sénateur Fairbairn: En outre, monsieur Matas, il y a une restriction dans le projet de loi concernant l'accès à la Cour fédérale qui n'existait pas auparavant, ce qui rend les choses encore plus confuses peut-être.
M. Matas: S'agissant du recours en Cour fédérale contre les décisions des missions à l'étranger, le projet de loi dit qu'il faut une permission écrite de la Cour fédérale, alors que jusqu'à maintenant c'était un droit. Il n'y avait pas cette phase préliminaire de la demande d'interjeter appel. C'est un vrai problème. Ce n'est pas un problème en rapport avec les criminels de guerre, mais je le connais de par mon travail d'avocat d'immigration.
La qualité des décisions prises par les agents d'immigration à l'étranger est nettement inférieure, notamment parce qu'ils sont pressés par le temps et surchargés, et la Cour fédérale joue à cet égard un rôle de contrôle très important. Dans beaucoup de ces pays, les gens n'ont pas facilement accès à un avocat et ils ne sauront pas nécessairement qu'il leur faut une autorisation. Par ailleurs, ces demandeurs déboutés à l'étranger ne sont pas là au Canada à attendre la fin de la procédure. Le système actuel paraît beaucoup plus rationnel que celui proposé, qui ôte le recours.
Le sénateur LeBreton: Plus j'écoute le débat sur ce projet de loi et plus je souhaite que ceux qui demandaient qu'il soit renvoyé au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles aient obtenu satisfaction, car il est tellement complexe.
J'apprécie vos propos liminaires sur le rôle du Sénat, à savoir que nous devrions prendre le temps d'étudier cette mesure de très près. J'aimerais avoir votre avis et, puisque la séance est télédiffusée, votre aide, car nous sommes pris dans un dilemme.
Le public, pour quelque raison, pense que ce projet de loi est la solution à tout, qu'il va empêcher les terroristes de franchir nos frontières et que, d'une façon ou d'une autre, si nous n'adoptons pas rapidement ce projet de loi, le gouvernement n'aura pas les outils pour affronter le «danger clair et présent», comme beaucoup l'appellent. Or, dans son témoignage de ce matin, l'Association du Barreau canadien a bien dit que le projet de loi C-11 ne fera rien pour pallier les problèmes qui peuvent exister.
Étant donné vos grandes qualifications dans ce domaine, j'aimerais votre point de vue sur la façon d'expliquer au public ce que fait et ne fait pas ce projet de loi et en quoi il se rapporte ou non aux événements du 11 septembre.
M. Matas: Il devrait être évident pour presque tout le monde que ce projet de loi n'a pas été conçu en songeant au désastre du World Trade Center. Il a été mis en chantier bien avant les événements. Il est parfaitement normal de réagir à ces événements mais ce projet de loi ne contient rien à cet effet. Il est exactement le même qu'avant ces événements.
De toutes les institutions, le Sénat est celle qui ne devrait pas paniquer face à un événement comme le World Trade Center. Je pense que beaucoup de réactions trahissent une forme de panique. On attend du Sénat une réflexion et un examen sérieux de ce projet de loi.
Le message que j'essaie de faire passer est que certains des problèmes présents dans ce projet de loi sont rendus plus aigus, plus manifestes, par ce qui s'est passé au World Trade Center. Nous n'avons pas de mécanisme adéquat pour régler le cas des terroristes. Il est trop compartimenté, trop fragmenté, trop lent. C'était un problème auparavant, mais je pense qu'il est encore plus aigu aujourd'hui. Ce serait folie que d'ignorer le problème et d'adopter aveuglément une loi conçue au préalable, sans même examiner les répercussions sur elles de la crise actuelle.
Le sénateur LeBreton: Vous avez parlé dans vos remarques liminaires d'un manque d'intégration. Je sais que c'est un vaste problème. Le profane imagine qu'avec les techniques actuelles et les ordinateurs il doit exister une intégration sans faille entre les services d'immigration et les postes frontières. Vous avez également parlé de l'absence de poursuites et de châtiment.
Que peut-on faire maintenant pour répondre à l'exigence de sécurité à nos frontières qui émane du public, sans pénaliser pour autant les demandeurs d'asile légitimes et ceux qui veulent s'établir dans notre pays pour des raisons légitimes?
M. Matas: C'est évidemment une très vaste question qui dépasse le cadre de ce projet de loi. Puisque vous avez posé une question très générale, je vais peut-être donner une réponse très générale.
Il importe de créer un bon système d'immigration, mais c'est trop demander que d'attendre de lui qu'il résolve ce problème ou nous protège. Les Américains en ont fait l'expérience. Après le premier attentat contre le World Trade Center, les Américains ont resserré leur système d'immigration. Ils ont commencé à placer des gens en détention aux frontières, à effectuer un criblage selon la crédibilité à la frontière, et cela n'a pas empêché la seconde attaque. Aucun de ces terroristes n'a été pris dans ce filet. Le système a simplement créé une illusion, un faux sentiment de sécurité.
Nous devons évidemment prendre des précautions et faire en sorte que le système fonctionne. Nous ne pouvons donner libre passage aux terroristes et nous ne pouvons penser que la solution consiste à serrer les vis de l'immigration. Timothy McVeigh en est le meilleur exemple. Il n'y a pas que les étrangers qui posent problème. Malheureusement, depuis l'événement du World Trade Center, j'ai vu beaucoup de manifestations de xénophobie.
Souvenons-nous de ce qui s'est passé pendant la Seconde Guerre mondiale, après le bombardement de Pearl Harbour. Les Canadiens et les Américains ont réagi en privant les immigrants japonais de leur citoyenneté, en les dépossédant et en les parquant loin des frontières. Aujourd'hui, nous leur versons des indemnités pour cela. Nous admettons que c'était odieux et nous devrions ne pas répéter la même erreur.
Le sénateur LeBreton: L'Association du Barreau canadien, dans son témoignage ce matin, s'en est particulièrement pris à l'article 64, applicable aux résidents permanents. Elle a même qualifié cette disposition de «renvoi obligatoire». Elle a estimé que cette disposition coûtera au gouvernement des sommes incroyables en frais de procédure. Avez-vous un avis sur ce sujet dans l'immédiat? Sinon, pourriez-vous peut-être y réfléchir et nous le communiquer plus tard?
M. Matas: Certainement. En fait, les tribunaux sont prêts à intervenir lorsqu'il y a violation des droits de la personne. Si le gouvernement va trop loin et viole les droits fondamentaux par un système qui ne marche pas, il sera attaqué en justice, avec pour effet que les indésirables séjourneront ici plus longtemps que si le système n'existait pas.
C'est l'expérience que nous avons vécue avec le mécanisme de l'attestation de danger public. Le gouvernement était si impatient de se débarrasser de ces gens qu'il a mis en place un système inéquitable, les tribunaux sont intervenus et ces gens sont toujours là de ce fait.
L'article 64 pose des problèmes identiques. Il n'y a pas que les criminels, il y a les cas de déclaration trompeuse aussi. Une fausse déclaration peut être très grave si l'on cache un crime de guerre, mais pas si l'on cache un enfant, par exemple. Il est bon, évidemment, que les autorités sachent la vérité, mais cela ne devrait pas automatiquement entraîner une mesure de renvoi. Le gouvernement est allé trop loin avec l'article 64.
Le sénateur Roche: Monsieur Matas, votre réputation vous a précédé. C'est pourquoi nous nous tournons vers vous, monsieur, pour des conseils.
Regardons les choses en face. Le gouvernement veut garder ce projet de loi intact à cause de l'impératif auquel il est confronté: être perçu comme réagissant à la crise du World Trade Center et à des risques similaires. Bien que vous ayez tout à fait raison de dire que le système d'immigration seul ne peut nous protéger, ce projet de loi, en raison des circonstances, est pris dans la dimension politique de la réaction gouvernementale. Si le Parlement est perçu comme rejetant un projet de loi sur l'immigration contenant quelques mesures plus dures pour nous protéger contre les terroristes, il ne faut pas être un génie pour savoir que le gouvernement sera pétrifié à l'idée d'envoyer un mauvais signal aux États-Unis, à l'heure même où nous venons de nommer notre propre grand manitou de la sécurité - quel que soit le titre qu'aura M. Manley. Il veut faire savoir aux États-Unis, avec lesquels nous avons une relation extrêmement importante et délicate, que le Canada sera ferme.
Nous sommes soumis à une grande pression. Je ne sais pas ce que pensent mes collègues, mais je me demande sérieusement si je devrais donner mon accord à ce projet de loi. J'ai demandé à quelques témoins d'indiquer précisément quelles dispositions du projet de loi nuisent réellement aux réfugiés et immigrants légitimes. Mais je n'obtiens pas de réponse satisfaisante. Certains témoins n'aiment pas l'article 64. Le gouvernement répond qu'il l'appliquera avec mesure.
J'en viens à la question fondamentale: si vous étiez à notre place, adopteriez-vous ce projet de loi tel quel?
Le président: Vous avez le droit d'invoquer l'équivalent du cinquième amendement, même s'il s'agit là d'une tradition américaine. Mais connaissant vos antécédents ici, je prédis que vous n'allez pas éluder la question.
M. Matas: Non, je ne vais pas éluder. Il m'est certes difficile, sénateur de m'imaginer à votre place, mais je vais essayer. À mon avis, on ne peut ignorer la dimension politique de la situation. J'ai parlé à des responsables gouvernementaux qui reconnaissent que toute mesure législative peut être améliorée, mais que vient un moment où il faut simplement l'adopter.
En sommes-nous arrivés là? Je dirais que non. Politiquement, nous pouvons rendre ce projet de loi plus efficace contre le terrorisme. Il comporte d'autres problèmes, mais il n'est pas aussi efficace qu'il le pourrait contre le terrorisme. Politiquement, c'était là un message important. Je peux concevoir qu'un nouveau projet de loi sur l'immigration et le terrorisme, conçu en fonction de ce qui s'est passé au World Trade Center, soit adopté rapidement, mais je ne vois pas l'avantage politique d'adopter aveuglément une mesure préparée avant cet événement. Comment pouvons-nous dire que c'est là la solution? C'est une justification après le fait. Ceci n'est pas une tentative de régler le problème.
Si vous voulez confronter directement le problème, faites-le, et cherchez par quel moyen. Ce projet de loi n'a pas été conçu dans cet esprit.
À mon avis, le public comprendrait. Comme je l'ai dit, le public n'attend pas des décisions paniquées, surtout venant du Sénat. Face au terrorisme, à la barbarie dont nous avons été témoins, le public veut le respect de nos valeurs, de nos principes et institutions, Sénat compris. Le Sénat devrait fonctionner comme il l'a toujours fait et non pas agir d'une manière contraire à sa nature à cause de ce qui s'est passé au World Trade Center.
Le sénateur Roche: Merci de cette réponse. La définition de «terroriste» est-elle trop large? Regrettez-vous l'absence de définition précise du terrorisme? Le secrétaire général des Nations Unies est intervenu hier lors du débat sur le terrorisme à l'ONU. Il a déclaré que même les Nations Unies ont du mal à donner une définition précise du terrorisme. Le projet de loi est-il affaibli par l'absence de définition claire?
M. Matas: Oui. Franchement, il est peut-être difficile de définir le terrorisme, mais pas impossible. J'ai vu une définition parfaitement satisfaisante dans la Convention internationale sur la répression du financement du terrorisme. C'est une convention des Nations Unies que le Canada a signée.
C'est le problème qui surgit lorsqu'une loi est vague. Le problème a maintenant été porté devant la Cour suprême du Canada. J'ai défendu cette cause pour le compte de l'Association du Barreau canadien, bien que je ne comparaisse pas en son nom ici.
La position du Barreau canadien est qu'il ne devrait pas y avoir de renvoi vers une situation où l'intéressé risquerait la torture, mais d'autres ont dit que ce projet de loi est trop vague parce qu'il ne définit pas le terrorisme. Ce pourrait être n'importe quoi.
Je ne sais pas ce que la Cour va décider, bien entendu, mais elle pourrait décider que la loi est trop vague. C'est le genre de problèmes que l'on rencontre lorsqu'un texte de loi n'est pas soigneusement rédigé ou lorsque le gouvernement ambitionne trop.
Je vous encourage à examiner au moins les définitions qui existent. Vous pourrez discuter de leur validité, mais elles me paraissent sensées. Vous pourriez envisager d'en insérer une dans le projet de loi.
Le sénateur Keon: En écoutant votre survol absolument superbe de la situation, je me suis dis que vous définissiez clairement trois problèmes. Le premier est que le projet de loi n'indique pas clairement qui peut rester et qui doit être expulsé. Le deuxième est que le projet de loi ne dit rien sur la façon d'intégrer le Code criminel aux règles touchant l'immigration. Le troisième est que le projet de loi n'indique pas qui nous devons poursuivre et qui nous devons extrader.
Pensez-vous que ce serait une entreprise majeure que de remédier à ces trois problèmes du projet de loi?
M. Matas: Serait-ce une entreprise majeure pour vous? Non. Pour moi, oui.
Le sénateur Keon: Merci.
M. Matas: Ce projet de loi pourrait être amélioré de nombreuses façons, grandes et petites. Toutes sortes de suggestions très raisonnables circulent. Je ne prétends pas que la mienne le soit nécessairement. Le Barreau et le Conseil canadien des réfugiés ont fait de bonnes propositions qui n'exigeraient pas un profond remaniement.
Ce projet de loi a déjà eu deux vies. Il était précédemment le projet de loi C-31, et il est maintenant le projet de loi C-11.
N'oublions pas que c'est la première refonte du droit de l'immigration depuis 1976. Il vaut la peine de faire les choses comme il faut. Bien qu'elle soit prise dans le débat du moment, cette loi va probablement durer encore 25 ou 30 ans. Essayons de faire les choses comme il faut.
Le sénateur Grafstein: Tout d'abord, je vois que vous avez survécu aux guerres de Durban. Vous ne semblez pas avoir subi trop de dégâts collatéraux. J'aimerais rappeler une remarque faite récemment par la personne qui a organisé cette conférence, la commissaire Robinson, des Nations Unies. Cela pourrait aider le comité avec cette question de la définition.
Elle a déclaré que cette série d'actes odieux aux États-Unis relève de la définition du crime contre l'humanité.
Dans votre mémoire à la Chambre des communes, dont je viens de recevoir le texte, vous dites qu'une personne devrait être réputée rejetée d'office si elle a commis un crime de guerre ou un crime contre l'humanité.
Le problème en l'occurrence est qu'il semble, d'après les preuves préliminaires données par le président des États-Unis et confirmées aujourd'hui par le premier ministre Blair dans son discours en Angleterre, qu'il y a non seulement là un crime contre l'humanité, mais tout un réseau qui poursuit systématiquement le même but. Je ne fais que répéter les paroles de la Haut-Commissaire Robinson.
Est-ce que la définition de crime contre l'humanité, qui englobe non seulement le geste lui-même mais aussi le fait de comploter, appuyer ou faciliter de tels crimes, constitue une définition suffisante pour l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire du ministre, dans le respect de la légalité, comme le souhaite le sénateur Roche? Nous nous débattons tous avec la question de savoir comment donner une latitude au ministre à cet égard, mais dans le respect du droit. Le sénateur Beaudoin a dit la même chose.
Au lieu de chercher une nouvelle définition, est-ce que celle du crime contre l'humanité ne serait pas suffisamment large pour englober tout ce que nous voulons faire, soit prévenir les complots terroristes chez nous et les actions terroristes à l'étranger? Est-ce que cela suffit?
M. Matas: Nous avons déjà dans notre législation une définition très détaillée du crime contre l'humanité. Elle est tirée des statuts de la Cour pénale internationale et est intégrée à la Loi sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre, soit le projet de loi C-19.
Je conviens certainement avec Mary Robinson qu'il s'agit là de crimes contre l'humanité. On pourrait également dire que certains actes de torture sont des crimes contre l'humanité. Cependant, ce n'est pas le cas de tous, pas plus que de tous les actes de terrorisme.
Le sénateur Grafstein: Je comprends la question de la torture, et j'admets qu'elle est importante, mais je veux parler ici du danger immédiat et évident. Le danger évident et immédiat n'est pas tant le fait de tortionnaires mais, comme quelqu'un l'a fait valoir l'autre jour, d'épurateurs ethniques.
M. Matas: Des terroristes.
Le sénateur Grafstein: D'épurateurs ethniques.
M. Matas: Prenons pour le moment les terroristes. De nombreux terroristes peuvent être classés comme criminels contre l'humanité. Nous avons une définition du crime contre l'humanité et nous n'avons pas besoin d'une autre.
Cependant, tous les actes terroristes ne sont pas des crimes contre l'humanité. Nous voulons couvrir tous les actes terroristes, pas seulement ceux qui entrent dans la catégorie des crimes contre l'humanité.
Je peux vous donner un exemple d'un cas au Canada, en ce moment même, une personne qui a participé à un détournement d'avion à Athènes. Il a été emprisonné mais s'est échappé. Un autre détournement d'avion a eu lieu et il est arrivé au Canada. Il n'a pas purgé sa peine pour le premier détournement. Il est chez nous depuis longtemps.
Le système d'immigration ne peut se débarrasser de lui. On devrait pouvoir le poursuivre pour le détournement d'avion, mais notre système de poursuite ne marche pas.
Nous avons besoin d'un mécanisme qui permette de poursuivre les terroristes internationaux au Canada. Pour cela il faut une définition. On ne peut se contenter de celle du crime contre l'humanité.
Le sénateur Grafstein: Selon votre analyse, celle-ci ne serait pas assez large pour couvrir le problème actuel?
M. Matas: Pas tous les terroristes. Elle couvrirait les auteurs de l'attaque contre le World Trade Center, cela ne fait aucun doute, mais pas tous les terroristes.
Le sénateur Grafstein: Il y a le problème des demandeurs d'asile déboutés qui continuent à séjourner chez nous. Nous avons entendu le SCRS et la GRC et je crois que l'un des fonctionnaires hier a dit la même chose, à savoir que nous pourrions mettre en place un crible qui les empêcherait d'entrer mais que le réel problème est le coût et la surveillance de ceux que nous rejetons.
Dans la pratique, lorsqu'on a un mécanisme qui déboute les demandeurs d'asile, ces derniers restent en liberté et font ce qu'ils veulent.
Avez-vous réfléchi à la manière dont on pourrait verrouiller la porte une fois que le demandeur a été rejeté par le mécanisme actuel?
M. Matas: Tout ce que j'ai dit vise précisément cet aspect, entre autres.
Le sénateur Grafstein: Concentrons-nous sur ce problème là, car les deux côtés cherchent une façon de fermer la porte dans le respect du droit.
M. Matas: Nous avons un système très fragmenté. Il comporte de multiples paliers et la raison pour laquelle les demandeurs d'asile restent ici après avoir été déboutés est qu'ils sont pris dans d'autres procédures. Dans certains cas, le gouvernement est trop lent à procéder au renvoi, mais ce n'est pas le principal problème. Il est dû surtout au fait que nous avons un système fragmenté et, franchement, le projet de loi C-11 n'y change rien. J'ai calculé qu'un demandeur d'asile peut potentiellement disposer de 15 procédures judiciaires différentes. Le projet de loi ne fait que compliquer le problème, en réalité. Une proposition que j'ai faite consiste à comprimer tout cela et ne pas envoyer les gens suivre cinq procédures de détermination du risque différentes, dont certaines sont équitables et d'autres non; parfois encore, la personne n'a accès à aucune d'elles. Il y aurait une seule procédure de détermination du risque pour tout le monde, et c'est tout.
Je ne parviens pas à comprendre pourquoi le ministère de l'Immigration, année après année, loi après loi, conçoit toujours des systèmes aussi complexes, au lieu de simplifier les choses. Je peux admettre un système complexe et équitable, et je peux comprendre un système simple et inéquitable, mais je ne comprends pas pourquoi on continue à produire des systèmes à la fois complexes et inéquitables. C'est le pire cas de figure. Ils poursuivent des objectifs contradictoires ou cherchent à poursuivre des objectifs différents en même temps. J'ai rédigé une étude là-dessus. Je réponds donc que l'on pourrait modifier ce projet de loi pour accélérer le processus, faire partir les gens plus tôt et se montrer plus juste envers tout le monde.
Le sénateur Grafstein: Vous n'avez pas proposé d'amendements spécifiques. Vous avez parlé de questions de principe. Avez-vous des amendements spécifiques à nous soumettre?
M. Matas: J'ai rédigé deux mémoires. Je n'ai pas rédigé d'amendements.
Le sénateur Andreychuk: Je crois comprendre tout ce que vous dites au sujet de la complexité du projet de loi et des défaillances du système, mais ce «système» est un immigrant ou un réfugié. Vous avez aussi précisé que les crimes contre l'humanité et d'autres aspects ont été définis dans le projet de loi C-19 mais que ces dispositions n'ont jamais été invoquées.
Depuis le 11 septembre, l'urgence semble être la lutte contre les terroristes, une catégorie entièrement différente. Ne faut-il pas, pour calmer les craintes du public, s'attaquer au terrorisme au moyen d'une initiative totalement distincte, principalement par le biais du Code criminel, afin de donner force de loi à ces conventions internationales sur le terrorisme que nous avons signées et ratifiées? En outre, la définition actuelle du terrorisme dans la Loi sur le SCRS est restrictive. Pourrait-on inscrire cela sous la rubrique sécurité nationale? Je sais que vous préconisez de simplifier et de tout regrouper, mais avant de simplifier, il faut cerner le problème du terrorisme et les défaillances à cet égard. Faut-il tout regrouper ou bien faudrait-il une initiative distincte contre le terrorisme, voilà ce que je me demande.
M. Matas: Je suis d'accord. Il faut une initiative distincte. Cela ne signifie pas nécessairement une loi distincte, mais c'est possible. Il faut étudier maintenant le problème. Ma doléance à l'égard du projet de loi C-11 est qu'il ne fait rien de tel. On continue avec ce qui a été conçu auparavant et on dit: voilà notre réponse. Si on fait exactement la même chose que ce qui était prévu avant et dit que c'est là notre réaction à ce qui s'est passé au World Trade Center, ce n'est pas une réaction du tout. Par conséquent, il faut une nouvelle initiative.
Le sénateur Andreychuk: Lorsque je travaillais dans ce domaine, un des aspects troublant, du point de vue ministériel, était la directive disant de n'admettre personne ayant jamais été associé avec une organisation terroriste ou usant de moyens violents. Ces organisations ont toujours une aile militaire, ou exécutante, et une aile politique, il peut arriver que quelqu'un dans l'aile politique «voie la lumière», si je peux l'exprimer ainsi, désavoue l'organisation et demande le statut de réfugié ou d'immigrant au Canada.
Avons-nous jamais fait ou faisons-nous aujourd'hui la distinction, c'est-à-dire que dans la mesure où un demandeur n'a pas usé de violence et désavoue les objectifs de l'organisation il peut être admis, ou bien est-ce que tout lien avec cette organisation disqualifie le demandeur pour de bon?
M. Matas: La loi actuelle interdit l'entrée aux membres d'un groupe qui emploie le terrorisme, même si la personne elle-même n'a pas commis d'actes terroristes. Cette disposition particulière de la loi est un autre enjeu du procès Suresh. La question est de savoir si elle viole la liberté d'association garantie par la Charte canadienne des droits et libertés.
C'est une question que la cour doit trancher parce que le Parlement l'a plus ou moins éludée, ou bien le Parlement a causé le problème en enfreignant, au moins en apparence, le droit d'association. Il existe un certain nombre de principes fondamentaux que nous ne devons jamais perdre de vue, pas seulement pour éviter les procès, mais parce que nous y adhérons. Nous ne pouvons pénaliser les gens pour leurs opinions ou leurs associations. S'ils commettent un crime, ou appuient ou incitent à commettre un crime, alors nous pouvons les sanctionner, mais s'ils sont seulement membre d'un groupe et ont une opinion, c'est leur droit.
Le sénateur Robertson: Depuis le 11 septembre, on ne parle plus que de sécurité, chez nous et à l'étranger. La ministre a donné à entendre que si le Sénat faisait traîner ce projet de loi, cela l'empêcherait de renforcer la sécurité du pays. C'est ce que nous lisons dans la presse et c'est ce que nous disent les témoins.
Les membres du Barreau canadien nous ont dit ce matin que ce projet de loi ne contient rien de nouveau, par rapport à la loi actuelle, qui améliorerait notre sécurité. Ce qui manque, c'est des crédits suffisants pour administrer correctement la loi actuelle. Si ce projet de loi va améliorer la sécurité du pays, nous ne voulons pas être accusés de le bloquer, mais si ce n'est pas le cas, que devons-nous faire?
M. Matas: Le Barreau a raison. Je ne le dis pas seulement parce que j'en suis membre.
Les dispositions touchant le terrorisme de ce projet de loi ne sont guère différentes de celles de la loi actuelle. Les changements ne visent pas celles-ci, ils en visent d'autres. Ce projet de loi n'a pas été conçu en songeant au terrorisme parce que le terrorisme n'était pas un problème aigu aux yeux du public à l'époque où il a été rédigé. Je pense que vous pouvez légitimement retarder son adoption - non pas enrayer la lutte contre le terrorisme mais plutôt contribuer à la lutte contre le terrorisme. Il faut renforcer les dispositions antiterroristes de ce projet de loi, et c'est possible.
Le sénateur Prud'homme: J'étais là ce matin et je me pose toujours la même question. La plupart de mes collègues l'ont évoquée. Il s'agit du supplice que nous nous infligeons, à l'échelle internationale, depuis 38 ans pour tenter de définir la notion de «terrorisme». Nous n'en avons toujours pas de définition précise. Je pense comme le sénateur Robertson que le public attend quelque chose.
J'ai vécu l'invocation de la Loi sur les mesures de guerre en 1970. Cela ne m'a pas empêché de voter en faveur, après une longue hésitation. J'ai l'impression que nous subissons le même genre de pression aujourd'hui d'adopter ce projet de loi, faute de quoi nous, sénateurs, serions responsables du manque de sécurité. J'essaie de ne pas oublier que l'ordre exclut la hâte et la précipitation. Je pense que vous disiez la même chose tout à l'heure en parlant du rôle du Sénat. C'est un vieux principe romain que l'ordre exclut la hâte et la précipitation.
Il y a aussi de longue date un débat sur la définition de «combattant pour la liberté». Je sais que vous connaissez mes opinions et vous savez que je connais les vôtres. Nous nous sommes affrontés par le passé et sommes tombés d'accord à d'autres moments. Aujourd'hui, on voudrait englober dans la rubrique terrorisme quantité d'autres causes qui n'ont rien à voir avec ce que nous cherchons à faire ici, soit protéger les citoyens canadiens et leur donner l'assurer que leur gouvernement et le Parlement sont unis dans leur détermination. Cependant, il ne s'agit pas, pour satisfaire l'opinion publique, de faire n'importe quoi.
N'avons-nous pas déjà assez à faire avec ce qui nous occupe - ces horreurs survenues à New York? Quand faut-il donner un coup d'arrêt afin de ne pas mettre dans le même sac les «terroristes» et tous les combattants pour la liberté ailleurs dans le monde?
M. Matas: Évidemment, c'est le problème que l'on rencontre lorsqu'il n'y a pas de définition. Différentes personnes donnent un sens différent au mot. En fin de parcours, ceux qui vont appliquer les dispositions de la Loi sur l'immigration seront les fonctionnaires du ministère de l'Immigration. À moins de leur donner des instructions claires, ils feront ce qu'ils voudront et il n'y aura pas d'application uniforme de la loi.
Il faut être clair afin que ceux qui vont appliquer la loi sachent quoi faire. Certains laisseront passer les terroristes simplement parce qu'ils ne pensent pas qu'ils sont terroristes, d'autres vont arrêter à la frontière des gens qui ne sont pas terroristes parce qu'ils pensent qu'ils le sont. Il faut une définition pour éviter cette sorte d'abus.
Le sénateur Prud'homme: Comment faire la différence?
M. Matas: Une façon de différencier est d'avoir une définition. L'autre est d'appliquer la définition au cas par cas. Les États-Unis ont défini les «États terroristes» et le «soutien aux États terroristes», et certaines organisations sont identifiées comme terroristes. On peut dresser des listes d'États soutenant le terrorisme et des listes d'organisations terroristes, et c'est probablement utile. J'ai l'impression que l'on travaille là-dessus en ce moment même.
C'est vrai, nous sommes en désaccord sur certaines questions, mais nous convenons tous deux qu'il est important d'avoir une définition claire et précise.
Le président: Merci beaucoup d'être venu, monsieur Matas. Comme d'habitude, vous avez été un témoin passionnant et la qualité de vos interventions nous est utile.
Le dernier panel se compose d'Andrew Brouwer, ex-directeur de la recherche et de la politique, Fondation Maytree, de Mary Jo Leddy, membre de l'Ontario Sanctuary Coalition et de Marnie Hayes, responsable des services juridiques de la Coalition pour les réfugiés.
Je vais demander à M. Brouwer de commencer.
M. Andrew Brouwer, ancien directeur, Recherche et politique, Fondation Maytree: Honorables sénateurs, la Fondation Maytree est une organisation caritative poursuivant deux objectifs principaux en rapport avec le projet de loi: améliorer l'accès des immigrants aux professions et métiers réglementés et réduire ou supprimer les délais d'obtention du statut de résident permanent au Canada des réfugiés au sens de la convention.
Je vais me concentrer sur quelques éléments saillants du mémoire de Maytree, que vous avez tous reçu, je l'espère, et que vous aurez peut-être l'occasion de lire ultérieurement. Avant de commencer, j'aimerais situer le contexte.
Lorsque j'ai comparu devant le Comité de la Chambre des communes au mois de mai concernant ce projet de loi, j'ai fait valoir la position de Maytree, à savoir que ce projet de loi représente une occasion perdue de rendre justice: justice aux réfugiés en quête d'asile, aux immigrants voulant construire une vie nouvelle ici et à la société canadienne en général. Je n'ai pas changé d'avis depuis.
Le Comité de la Chambre des communes a apporté certains amendements répondant à nos préoccupations, et nous pensons donc que le projet de loi a été amélioré. Cependant, il n'est pas allé aussi loin qu'il aurait pu. Par conséquent, nous sommes très reconnaissants de cette occasion de vous faire part de nos préoccupations. Nous exhortons les honorables sénateurs de prendre le temps qu'il faut pour réellement mener une réflexion objective sur les effets à long terme de ce projet de loi.
Nous formulons trois reproches principaux au projet de loi C-11. Premièrement, il ne respecte pas pleinement les obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne. Nous sommes heureux que le comité permanent ait adopté l'alinéa 3f) après les dernières audiences, paragraphe qui exige que le projet de loi soit appliqué de manière conforme aux traités internationaux relatifs aux droits de l'homme que le Canada a signés. Cela sera probablement utile, mais principalement aux appelants. Ils devront interjeter appel pour faire respecter ces droits, principalement parce que la loi elle-même a beau mentionner ici où là l'un des traités, ces derniers ne sont habituellement que partiellement appliqués.
L'un des exemples les plus inquiétants en est le paragraphe 115(2) qui déroge au principe du non-refoulement. Le projet de loi permettrait au Canada de renvoyer des réfugiés au sens de la convention, dont le besoin de protection est avéré, dans des pays où ils subiront la torture et la persécution. En outre, le projet de loi confère aux agents le droit de le faire sans même accorder une audience à ces réfugiés. C'est une violation directe et grave de l'un des éléments les plus importants de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, soit le paragraphe 3(1), et peut-être de la Charte, ainsi que des principes fondamentaux du droit administratif qui exigent une audience équitable, surtout lorsque des droits fondamentaux sont en jeu.
Deuxièmement, le projet de loi n'élimine pas le problème des limbes juridiques. Comme vous le savez peut-être, les réfugiés au sens de la convention qui n'ont pas de documents d'identité de leur pays d'origine doivent attendre parfois très longtemps d'obtenir le statut de résident permanent. Ces délais peuvent aller jusqu'à trois ans, six ans, dix ans et parfois même plus.
Ce délai, si vous êtes simple réfugié, peut avoir des répercussions très sérieuses pour les familles. Sans le statut de résident permanent, les réfugiés ne peuvent faire venir les membres de leur famille, notamment enfants et conjoint. Ils ne peuvent voyager à l'étranger. Ils ne peuvent obtenir de prêts pour des études universitaires ou collégiales. De nombreux réfugiés au Canada ont terminé leurs études secondaires et se tournent les pouces. Il est souvent très difficile d'obtenir un bon emploi si vous êtes un réfugié. Sans le statut de résident permanent, vous n'avez pas voix dans le processus démocratique.
La principale cause de ces retards, l'exigence de pièces d'identité imposée par la loi actuelle, a été rondement critiquée par les églises, les organisations de droits de la personne, les députés, les sénateurs, de nombreux groupes différents; pourtant, le projet de loi C-11 ne fait réellement rien pour changer la situation. Le ministère travaille apparemment à un règlement à ce sujet, mais nous n'avons pu obtenir jusqu'à présent aucune assurance que le problème sera effectivement éliminé.
Dans ce domaine, le Canada est directement en contravention de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. Les articles 27 et 28 exigent tous deux que le Canada fournisse des documents d'identité et de voyage aux réfugiés sans papier au Canada. C'est une obligation manifeste. Le ministère le sait. Je ne sais pas pourquoi il ne l'applique pas.
Enfin, il faut insérer quelques mécanismes de reddition de comptes dans le système d'immigration dans son ensemble, surtout dans le contexte de ce dont vous avez parlé tout à l'heure avec M. Matas: la situation de ceux accusés de terrorisme. Il est absolument crucial que quiconque applique ou administre des lois ou règlements en matière d'immigration soit soumis à quelques mécanismes de reddition de comptes et de transparence forts.
Le SCRS est flanqué du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, le CSARS, qui aura dans le nouveau projet de loi un rôle d'examen des attestations de sécurité émises à l'égard des citoyens. Le droit à un examen du CSARS a été enlevé aux résidents permanents et n'existe pas du tout pour les réfugiés. À notre sens, il faudrait inverser cela car c'est tout à fait déplorable. Par ailleurs, et je pense que quelqu'un d'autre en parlera tout à l'heure, le CSARS peut entendre des plaintes déposées par des particuliers. Il tient de longues audiences. Dans une affaire à laquelle nous avons tous deux participé, il y a eu cinq mois d'audiences très poussées présidées par Bob Rae. Suite à cela, ce dernier a formulé quelques excellentes recommandations. Or, celles-ci ont été complètement ignorées et rien n'a été fait. Un chien de garde doit avoir des dents. Voilà notre principale préoccupation.
La reddition de comptes est également d'importance cruciale dans d'autres domaines de l'immigration. À notre sens, il devrait y avoir un organe de contrôle public auprès duquel des plaintes pourraient être déposées concernant le traitement infligé par tous les éléments du système d'immigration aux administrés. Un tel organe devrait avoir le pouvoir d'imposer des sanctions disciplinaires mais également jouer un rôle dans la conception et la supervision de la législation et de la réglementation, particulièrement s'agissant d'une mesure nouvelle comme celle-ci. Il importe de disposer d'un organe externe qui puisse examiner globalement le fonctionnement de la législation, déterminer les lacunes et recommander des modifications.
Mme Marnie Hayes, responsable des services juridiques, Coalition for a Just Immigration and Refugee Policy: Monsieur le président et sénateurs, nous, de la Coalition pour les réfugiés, vous remercions de nous avoir invités à comparaître cet après-midi. J'espère que vous avez le texte de notre court mémoire sur le projet de loi C-11. Je crois savoir que l'on vous en a remis le texte, assorti de 51 recommandations. Je ne vais pas passer en revue tout le mémoire, mais insister plutôt sur quatre recommandations en particulier.
J'espère que vous avez reçu également la liste des membres de la Coalition. Vous pouvez voir que nous sommes une organisation de la base. Nos membres viennent de tous les horizons, depuis les cliniques juridiques jusqu'aux centres sanitaires et aux organisations de réfugiés et d'immigrants, aux églises, aux groupes de femmes, et cetera.
J'ai été dans la salle tout l'après-midi et ai entendu des exposés de nombre des témoins. Notre groupe se fait l'écho de maintes préoccupations exprimées par les nombreuses organisations qui ont comparu aujourd'hui.
Notre premier souci tient aux événements du 11 septembre. Je sais que l'on vous en a beaucoup parlé, mais souvent le contexte est primordial. Nous avons également parlé au sein de la Coalition des événements qui ont suivi le bombardement de Pearl Harbour, un tournant de l'histoire où, au lieu d'une réaction calme et réfléchie, les gens au pouvoir se sont laissés emporter par les émotions, ce qui a conduit, comme vous le savez, à l'internement des Américains et Canadiens d'origine japonaise. Rétrospectivement, on voit que cela a été un geste que l'on ne doit plus jamais tolérer.
Nous vous mettons en garde. Nous ne soulignerons jamais assez l'importance pour vous de ne pas simplement prendre ce projet de loi et l'adopter, comme les pressions exercées sur vous le voudraient. Réfléchissez réellement à ce qui va se passer. L'une des choses qui pourrait se passer serait d'attendre. Il règne actuellement une hystérie, qui fait que les immigrants et réfugiés innocents sont transformés en victimes et criminels. Ce sont eux qui sont pris dans un tir croisé, en fin de compte. C'est très inquiétant, avec d'énormes ramifications. Nous vous mettons en garde.
Comme beaucoup l'ont déjà dit aujourd'hui, les projecteurs sont braqués sur le système de détermination du statut de réfugié, alors que c'est peut-être une fausse piste. Peut-être faut-il plutôt une nouvelle loi. S'agissant de savoir si la loi actuelle comporte des gardes-fous suffisants, la réalité est qu'il faudrait plutôt mettre davantage d'argent dans les mécanismes d'application et de contrôle qui existent déjà. Nous n'avons pas besoin de nouvelles lois draconiennes, il faudrait plutôt mieux faire fonctionner ce qui est déjà en place.
Cela dit, et vous ayant demandé de ne rien faire, à défaut, notre Coalition veut mettre en lumière quatre recommandations particulières de notre mémoire au cas où le projet de loi serait remis en question ou bien au cas où vous seriez en accord ou solidaire avec nous.
Les quatre recommandations sont les suivantes: premièrement, les enfants ne devraient jamais être placés en détention; deuxièmement, les assistés sociaux devraient pouvoir parrainer des membres proches de leur famille; troisièmement, des résidents permanents ne devraient jamais être renvoyés du pays, sous aucune circonstance, sans garanties de procédure; et quatrièmement, les personnes devraient être autorisées à présenter plus qu'une seule demande d'asile dans leur vie. À l'heure actuelle, le projet de loi C-11 les limite à une seule demande. Je m'explique.
Le Canada est signataire d'un certain nombre de conventions des Nations Unies, notamment la Convention relative aux droits de l'enfant. C'est une bonne convention, comme cela a été mentionné au comité permanent. La convention dit que les droits de l'enfant doivent avoir la primauté. Comme M. Brouwer l'a mentionné, le comité permanent a amendé le projet de loi de façon à spécifier comme objectif le respect de toutes les conventions des Nations Unies, les instruments internationaux en matière de droits de la personne dont le Canada est signataire. C'est écrit noir sur blanc dans les objectifs. Or, si vous lisez le projet de loi, il ne fait rien de tel. C'est un voeu pieu.
Le comité permanent s'est penché sur la détention des enfants, qui fait l'objet de beaucoup d'objections. Il a dit qu'il faut prendre en considération l'intérêt de l'enfant s'agissant de les placer en détention. Nous disons: «Non. Les enfants ne devraient jamais être détenus, en aucune circonstance». Nous avons des organisations d'aide à l'enfance qui peuvent prendre les enfants en charge.
Le président: Je crains de ne pas avoir assez de temps de poser des questions à M. Brouwer. Vous avez expliqué votre point de vue très clairement. Poursuivez.
Mme Hayes: La deuxième question est l'interdiction faite aux résidents permanents et citoyens canadiens de parrainer des membres proches de leur famille parce qu'ils sont assistés sociaux. C'est une question simple. Nous savons qu'aujourd'hui les assistés sociaux sont dans la mire et c'est ce que reflète le projet de loi. Malheureusement, des victimes innocentes sont pris dans le tir croisé. Encore une fois, c'est contraire aux conventions des Nations Unies que nous avons signées.
J'ai actuellement un client qui est atteint de la maladie de Parkinson. Il est dans la cinquantaine avancée, originaire de Colombie; il est ici en compagnie de son enfant de huit ans, citoyen canadien, et il parraine sa femme colombienne. Il vit de prestations d'invalidité. Sa demande de parrainage a été acceptée pour motif d'ordre humanitaire. C'est la décision prise par le directeur du bureau de Bogota. Sa femme, une coiffeuse, va probablement s'installer au Canada et fera vivre la famille qui ne dépendra plus des prestations sociales. La famille sera réunie. La fille de huit ans verra de nouveau sa mère. Nous signalons que le projet de loi interdit à tous les assistés sociaux d'être réunis avec les membres de leur famille. Réfléchissez à cela, c'est sérieux.
Troisièmement, j'attire votre attention sur la recommandation 24 de notre mémoire, concernant le renvoi de résidents permanents sans garanties de procédure. Encore une fois, s'il y a renvoi automatique, des enfants vont en subir les conséquences. Nous parlons ici du renvoi automatique d'une personne condamnée pour une infraction assortie de plus de deux ans de prison. Nous disons que c'est injuste. À l'heure actuelle, cette personne a un droit d'appel auprès de la Section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié qui peut déterminer si les circonstances justifient ou non la mesure draconienne du renvoi.
Enfin, tous les défenseurs des réfugiés sont très préoccupés de voir que le projet de loi limite les demandeurs d'asile à une seule demande au cours de leur vie. Cela signifie que même s'ils rentrent dans leur pays et que dix ans après la situation dans ce pays change, même s'ils n'ont pas mentionné le fait qu'ils ont été victimes d'agression sexuelle parce que leurs normes culturelles ne leur permettaient pas, ils n'auront jamais l'occasion de se reprendre à l'occasion d'une deuxième demande. Je suis surprise que d'autres n'aient pas soulevé ce problème ici. Les événements du 11 septembre ont eu la primeur, mais cela reste un gros souci.
Mme Mary Jo Leddy, membre, Ontario Sanctuary Coalition: Merci de votre invitation, honorables sénateurs, à comparaître aujourd'hui. L'Ontario Sanctuary Coalition a été formée il y a dix ans afin de protéger les réfugiés innocents dont la vie était mise en danger par des avis de renvoi vers des pays où ils risquent la torture, la détention ou la mort. Nous avons caché ces réfugiés dans des églises et avons milité et fait pression sur le gouvernement jusqu'à ce que le premier ministre et le ministre de la Sécurité reconnaissent leur juste cause.
En luttant pour les réfugiés nous avons appris beaucoup sur le système d'immigration - non seulement vu du haut, mais également vu du bas. Les membres de cette coalition appartiennent aux principales églises. Ce ne sont pas des radicaux de gauche. Ce sont des chrétiens ordinaires, des gens de paroisse qui ont simplement en face d'eux un autre être humain dont la vie est menacée. Ils sont comparables à ceux que, en d'autres temps et lieux, on a appelé les «non-juifs justes».
Le projet de loi C-11, prévoyons-nous, s'il est adopté tel quel, rendra notre tâche encore plus impérative. Pourquoi? Parce que le projet de loi C-11 est un sceau apposé sur le système judiciaire à deux vitesses que l'on voit apparaître dans ce pays. Les citoyens et non-citoyens sont régis par deux ensembles de lois et règlements, par deux systèmes judiciaires et policiers différents et peuvent être enfermés dans deux types de prison différents. Dans un autre pays, c'est ce que l'on appellerait l'apartheid.
Un réfugié peut être arrêté sans mandat, placé indéfiniment en détention, gardé par des gardes d'une société de sécurité privée dans un centre de détention odieux. Il ou elle peut être inculpé de terrorisme, sans jamais voir la preuve retenue contre lui avant d'être expulsé du pays. Dans de tels cas, le système d'immigration est à la fois procureur, juge, jury, exécutant et bourreau.
Dans notre pays, il existe des organes de surveillance auxquels les citoyens canadiens peuvent se plaindre, par exemple de brutalité policière, des conditions dans les prisons, de la violation des droits de la personne et du droit. Il n'y a aucun recours efficace pour les immigrants et réfugiés contre le système qui détermine tous les aspects de leur vie.
Le défaut le plus dangereux du projet de loi C-11, comme on l'a dit, est qu'il ne contient aucune définition du terrorisme ou de l'appartenance à un tel groupe. Le pouvoir de décision est laissé aux agents individuels - agents d'immigration ou du SCRS - lors des vérifications initiales. C'est un pouvoir terrible. Une fois cette décision prise, il est presque impossible pour les réfugiés de la contester ni à l'intérieur du système, devant un tribunal, ni devant le tribunal de l'opinion publique. Il est irréaliste de croire que le Sénat peut rectifier un projet de loi aussi fondamentalement défectueux. Les événements terribles du 11 septembre et l'ombre qu'ils projettent rendent encore plus difficile, mais encore plus nécessaire notre effort de clarté.
Ce serait un progrès si nous tous reconnaissions que nous avons dans notre pays notre propre forme d'apartheid. Laisser se perpétuer un tel système comporte d'énormes coûts sociaux, politiques et économiques. Il nuit à la faculté des gens de devenir citoyens, de devenir responsables de ce pays et d'y contribuer. Je vous dis cela en tant que membre de l'Ordre du Canada.
Les réfugiés arrivent dans ce pays avec tellement d'espoir. Cependant, si on les force à vivre dans la clandestinité pendant une période prolongée, cet espoir devient un oiseau à l'aile cassée qui ne peut plus voler. On apprend la justice en traitant les autres avec justice et en étant soi-même traité avec justice. Vous pouvez rappeler au gouvernement que ce projet de loi sur l'immigration ne porte pas seulement sur des réfugiés, mais aussi des citoyens futurs.
Nous devons réagir à la menace réelle que représentent les terroristes de ce monde et c'est ce que tente de faire le projet de loi C-11. Je suis d'accord avec la porte-parole des agents d'immigration lorsqu'elle a dit que cette loi ne donnera pas de résultat à moins d'engager beaucoup plus de personnel. Le problème ne réside pas dans la loi actuelle, il tient au nombre et à la sorte de personnes appelées à la mettre en oeuvre. Tous les réfugiés que je connais - et je vis et travaille avec les réfugiés depuis dix ans - seraient ravis qu'il y ait davantage d'agents d'immigration car le système est tellement surchargé.
Les agents deviennent méchants et indifférents, juste pour survivre. Les dossiers peuvent attendre pendant des années, sans être lus et réglés. Dans ces dossiers, il y a les enfants de quelqu'un, qui grandissent orphelins dans un camp de réfugiés. Le désir d'étudier de quelqu'un est dans ces dossiers, pendant que l'intéressé languit dans un café. L'espoir de démarrer une entreprise de quelqu'un est dans ces dossiers, pendant que quelqu'un désespère dans une file d'attente pour l'aide sociale.
Cependant, il serait désastreux que le gouvernement abreuve d'argent Immigration Canada ou le SCRS dans une tentative d'attraper davantage de terroristes. Ces deux systèmes doivent être entièrement revus - une refonte complète - si on veut qu'ils deviennent efficaces.
J'ai vécu une expérience pédagogique consistant à siéger six semaines d'affilée pendant une audience où deux réfugiés ont eu le courage de se plaindre d'avoir été terrorisés par le SCRS. J'ai écouté le témoignage de quantité d'agents d'immigration du SCRS. J'étais toute prête à être impressionnée, mais j'ai été atterrée par le manque de compétence de ces gens. Ils ne connaissaient pas la langue des pays dont ils étaient responsables. Ils n'en connaissaient pas l'histoire, ni la géographie. Ils mélangeaient les sigles des partis politiques. J'étais atterrée.
Une partie de cette incompétence est due à un manque de personnel mais la plus grande part tient à un manque de reddition de comptes. L'incompétence prolifère lorsqu'il n'y a pas de comptes à rendre. Ni les services d'immigration ni le SCRS n'ont de comptes à rendre à l'extérieur.
Si vous adoptez ce projet de loi tel quel, vous devez assumer la responsabilité de veiller à ce que ces systèmes deviennent compétents. Si l'on va donner davantage de pouvoir à ces agents, il faut une forme de responsabilisation. Sinon, les réfugiés seront soumis à un appareil de sécurité aussi inefficace qu'arbitraire, à la sorte d'état policier qu'ils ont fui.
Enfin, notre Coalition s'adresse à vous en tant que sénateurs de ce pays. Vous avez une responsabilité énorme à ce stade de l'histoire. Notre gouvernement subit des pressions énormes. Il subit des pressions pour construire un périmètre de sécurité autour du continent. Il subit des pressions économiques pour faciliter la libre circulation des marchandises entre le Canada et les États-Unis. Cette pression combinée - dont j'ai conscience - nous entraîne vers une forme d'union politique avec les États-Unis dans laquelle notre souveraineté sur notre politique d'immigration et notre politique étrangère sera gravement affaiblie.
Ailleurs, on appellerait cela une annexation. Nous pourrions devenir une nation virtuelle, une coquille creuse de nation, avec des cultures pittoresques. Si George Grant était en vie aujourd'hui, il rédigerait une autre Lamentation pour une nation.
Tant que les États-Unis ne ratifieront pas la Convention de Genève, la Convention relative à la torture et la Convention relative aux droits de l'enfant, ils n'ont aucun droit à nous dicter comment gérer notre politique d'asile et d'immigration. Je ne pense pas que les États-Unis aient gagné le droit de nous faire la leçon sur la façon de traiter les terroristes. Aussi longtemps que fonctionnera la School of the Americas à Fort Benning, en Georgie, aussi longtemps qu'ils formeront des paramilitaires et des militaires dans l'art de la terreur, de l'assassinat et de la torture, ils n'ont aucune légitimité à cet égard. Les États-Unis n'ont aucun droit de nous accuser d'être un havre pour les terroristes.
Nous avons été un havre. Nous avons été un havre d'espoir pour des réfugiés désespérés qui ont fui la terreur américaine en Amérique latine et ailleurs. Tout au long des années 80, pendant que les États-Unis niaient qu'il y ait des violations des droits humains en Amérique Centrale, nous recevions des réfugiés du Guatemala, du Salvador, tout comme nous avions reçu ceux du Chili et d'Argentine. Nous avons accepté les Américains qui fuyaient la guerre du Viêtnam. Ces réfugiés mettaient leur espoir dans le Canada, comme nous le faisons aujourd'hui.
Il ne faut pas permettre, sénateurs, que notre pays soit annexé lors de consultations discrètes. Notre pays est trop important pour qu'on laisse son sort entre les mains de comités. Une lourde tâche vous a été confiée. Vous avez la possibilité de porter le débat sur l'avenir de notre pays devant le Sénat, devant la Chambre des communes et devant le peuple canadien.
Trop de gens sont morts pour ce pays. Tellement ont vécu pour lui et pour tout ce qu'il représentait. Il représente une alternative bonne et décente en Amérique du Nord.
Le sénateur Wilson: Monsieur Brouwer, vous avez parlé des limbes juridiques dans lesquelles se trouvent les réfugiés. Le paragraphe 31(1) dispose: «Il est remis aux résidents permanents et à la personne protégée une attestation de statut», ce qui paraît être ce que vous recherchez.
Toutefois, à l'article 32 on lit: «Les règlements régissent l'application des articles 27 à 31...».
Que pensez-vous de cette contradiction apparente?
M. Brouwer: Oui. Il y a eu une succession de discussions entre un certain nombre d'organisations différentes et le ministère concernant les implications de l'attestation de statut prévue au paragraphe 31(1). Initialement, cette attestation n'allait être remise qu'aux immigrants reçus, certains réfugiés au sens de la convention étant admissibles.
Après les audiences du comité permanent et d'autres, le document a été accordé à tous. Cependant, le ministère a toujours insisté sur le fait que l'attestation de statut n'est pas une pièce d'identité. C'est distinct.
Le sénateur Wilson: De quoi s'agit-il alors?
M. Brouwer: Il remplace un document actuel qui indique le statut. De la façon dont ils le décrivent, c'est une description du statut de la personne au Canada, et non pas une description de son identité. Cela n'aide pas réellement les réfugiés qui n'ont pas de papiers de leur pays et veulent s'établir au Canada.
Du fait qu'il s'agit là d'une loi-cadre, beaucoup de détails sont relégués dans le règlement. Il sera peut-être possible d'obtenir un changement dans le règlement afin que ce dernier spécifie les choses plus clairement. Mais lorsqu'il s'agit de rédiger un règlement, du moins pour le moment, le ministère fait à peu près ce qu'il veut. À ce stade, nous savons qu'il n'a pas l'intention d'en faire une pièce d'identité.
Le sénateur Wilson: Si le projet de loi est adopté avec l'article 32 tel quel, le comité n'aura pas son mot à dire sur l'interprétation.
M. Brouwer: Non. Il y a eu une discussion sur ce que vous, les sénateurs, devrez faire de ce projet de loi, l'adopter tel quel ou le retenir. Le danger, si vous ne l'adoptez pas ou y apportez des amendements, est qu'il devra retourner à la Chambre et pourra à ce stade être remanié avec des mesures plus agressives.
Je ne sais pas comment fonctionnent ces choses. Je ne sais pas si vous pouvez négocier. Peut-être pouvez-vous dire: oui, nous adopterons le projet de loi en l'état, mais nous voulons un droit de regard sur le règlement pour assurer que certaines choses que vous n'avez pas faites correctement dans la loi seront faites dans le règlement.
Le sénateur Wilson: N'est-ce pas là une contradiction avec la disposition antérieure qui dit que la loi sera conforme aux instruments internationaux en matière de droits de la personne dont le Canada est signataire?
M. Brouwer: C'en est une parmi beaucoup d'autres.
Le sénateur Wilson: C'est une contradiction manifeste dans ce projet de loi.
M. Brouwer: Je ne sais pas trop comment les choses fonctionnent. Je crains que chaque fois qu'une loi dit clairement qu'elle ne violera pas le droit international, il se peut que cet énoncé objectif ne tienne pas la route. Je ne sais pas.
Le président: Le mémoire de Mme Hayes contient 51 recommandations et signale notamment un aspect que M. Brouwer vient de mentionner. Est-ce qu'il y en a, parmi vous, qui ont repéré le fil commun dans vos interventions? Les avis se répètent pas mal, ce qui n'est pas un reproche. Vous êtes-vous demandés dans quelle mesure les problèmes qui vous préoccupent pourraient être résolus dans le règlement d'application de la loi, plutôt que par des amendements à la loi? J'ai été frappé par la remarque de M. Brouwer lorsqu'il a dit que le climat est aujourd'hui très différent de ce qu'il était lorsque la Chambre des communes s'est penchée sur le projet de loi. Il y a effectivement parfois un risque à rouvrir le débat, car il peut évoluer dans un sens différent de celui que l'on souhaite. Cela introduit un élément de risque qui n'est peut-être pas souhaitable. C'est le genre de critère qui amène souvent les gens à trouver une entente sur les marches du palais de justice plutôt que de laisser un juge trancher.
Je me demande donc dans quelle mesure vos préoccupations pourraient être levées au moyen d'un règlement adéquat, ce qui supprime le risque. Est-ce possible? Avez-vous réfléchi à cela?
Mme Hayes: Brièvement, comme nous le savons tous, les règlements sont rédigés à huis clos, donc tout dépend. Vous parlez du climat politique aujourd'hui, mais il pourrait être sensiblement différent la semaine prochaine. Oui, il peut arriver que les règlements changent pour refléter ce que nous demandons, parce que le climat politique le permet. Mais ensuite, si le climat change de nouveau, on se retrouve à la case départ. C'est pourquoi nous demandons que ces éléments soient inscrits dans la loi elle-même.
Le président: Je comprends, mais je cherche une façon de minimiser le risque tout en réalisant l'objectif. Et s'il y avait un mécanisme tel que le brouillon de règlement soit soumis à une consultation publique avant d'être finalisé?
Mme Leddy: Cela se fait déjà. Il y a des consultations à tous les niveaux sur le règlement. Cependant, au coeur de cette soi-disant «loi-cadre» il y a le fait que beaucoup de choses sont reléguées dans le règlement et laissées à la discrétion d'agents individuels. C'est là le problème.
Si les agents connaissaient les gens, ils ne feraient jamais cela. Tout cela fait que le texte de la loi devient crucial, ou alors un changement dans le système d'immigration lui-même.
D'ailleurs, il y a une définition du «terrorisme» dans la loi régissant le SCRS et il y en aura une dans la loi régissant le financement des groupes. Il me semble qu'il serait rationnel d'avoir la même définition dans les trois lois. Il ne serait pas nécessaire de rouvrir la loi pour cela.
Le président: Bien.
Mme Leddy: Ce serait plus cohérent. Toute définition lèverait certaines de nos objections, car actuellement, chaque agent donne celle qu'il veut. Il fait un tri: «Vous à gauche, vous à droite, vous avez l'air d'en être un, vous non». Je n'exagère pas et je le dis à cause de ma grande inquiétude pour le pays. Ce n'est pas ainsi que l'on va coincer les vrais terroristes.
M. Brouwer: Pour répondre à votre question initiale, on peut faire beaucoup dans le règlement. Cependant, le comité pourrait peut-être insister pour qu'on mette en place un mécanisme d'examen public. L'article 5 du projet de loi parle d'un examen en comité mais n'exige pas de vote à la Chambre. Une séance de deux heures sur un nouveau règlement ne signifie pas grand-chose.
Le président: Vous parlez d'un examen véritable.
M. Brouwer: Oui.
Le président: Merci. Nous apprécions que vous ayez pris le temps de comparaître devant nous.
La séance est levée.