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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 28 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 3 octobre 2001

Le Comité sénatorial permanent des Affaires sociales, des sciences et de la technologie, qui est saisi du projet de loi C-11, Loi concernant l'immigration au Canada et l'asile conféré aux personnes déplacées, persécutées ou en danger, se réunit aujourd'hui à 13 h 40 pour examiner ce projet de loi.

Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Sénateurs, nous nous réunissons aujourd'hui pour poursuivre notre examen du projet de loi C-11, qui concerne l'immigration au Canada et l'asile conféré aux personnes déplacées, persécutées ou en danger.

Notre premier groupe de témoins comprend M. Bélanger et Mme Legars qui représentent la Fédération maritime du Canada, Mme Sparling de Organization of Professional Immigration Consultants et M. Kurland de LEXBASE. Merci d'être venus aujourd'hui.

Permettez-moi de rappeler aux témoins que nous allons leur poser de nombreuses questions et qu'ils devraient donc faire des exposés brefs. Merci encore.

Monsieur Bélanger, veuillez commencer.

[Français]

M. Gilles Bélanger, président et directeur général, Fédération maritime du Canada: Monsieur le président, je vous remercie de votre invitation à comparaître. Je suis accompagné par ma collègue, Mme Anne Legars, directrice, des politiques et des affaires gouvernementales.

[Traduction]

La fédération représente pratiquement tous les navires de haute mer qui relient la région atlantique du Canada, le fleuve Saint-Laurent et les Grands Lacs au reste du monde.

Vous avez déjà reçu notre mémoire et ses annexes mais nous aimerions aujourd'hui vous parler de deux aspects importants. Tout d'abord, il est absolument essentiel d'accélérer le processus d'immigration et d'en renforcer l'efficacité. Deuxièmement, il conviendrait de mieux définir les responsabilités qui incombent aux sociétés des transports.

Nous répétons depuis des années que l'on connaît très bien à l'étranger la lenteur du processus d'examen des demandes de statut de réfugié prévu par la Loi canadienne sur l'immigration, ainsi que le fait que le Canada expulse très rarement les demandeurs de statut et que tout cela revient à inviter les étrangers à profiter de notre système. En fait, le coroner Claude Paquin qui a fait l'enquête sur la mort des trois passagers clandestins roumains à Montréal conclut dans son rapport, après avoir parlé à des responsables à Livourne et à Gène, que l'on considère dans ce pays que ces retards constituent une invitation à profiter de notre système, parce que celui-ci est trop laxiste. Nous avons joint ce rapport à notre mémoire.

Nous répétons depuis des années que cette situation incite des dizaines de passagers clandestins à essayer de se rendre chaque année au Canada. Certaines années, des centaines d'entre eux risquent leur vie, mettent en péril la sécurité du navire et l'environnement pour se rendre dans notre pays. Nous répétons depuis des années que les milliers de passagers clandestins et de transfuges à qui on a refusé le statut de réfugié sont tout simplement passés dans la clandestinité à cause des lacunes de notre système.

Nous apprenons aujourd'hui, à cause des actes de terrorisme dramatiques commis récemment, qu'il y a aujourd'hui 27 000 étrangers qui ont fait l'objet de mesures d'expulsion et dont le ministère de l'immigration a perdu la trace. Ces personnes demeurent donc illégalement au Canada et ont peut-être même traversé la frontière. Lorsqu'un problème prend une telle ampleur, il faut reconnaître qu'il ne concerne pas uniquement les sociétés de transport, il compromet la sécurité de notre pays tout entier.

Ces 27 000 étrangers doivent gagner leur vie d'une façon ou d'une autre, tout en demeurant invisibles. Devant un tel dilemme, ils sont souvent obligés d'exercer des activités illicites.

Permettez-moi de préciser une chose: nous ne demandons pas que le Canada ferme ses portes aux réfugiés. Nous demandons que le Canada améliore et renforce le processus décrit à la partie 2 du projet de loi en accélérant le traitement des demandes, en renforçant les dispositions prévoyant l'expulsion des personnes se trouvant illégalement au Canada vers des tiers pays sûrs et en facilitant l'exécution des mesures d'expulsion. Pourquoi ne pas ramener les passagers clandestins à leur point de départ, lorsque celui-ci est situé dans un pays sûr?

Plus précisément, nous pensons que le projet de loi devrait prévoir ce qui suit: premièrement, un traitement rapide des demandes des réfugiés devrait être un des objectifs de la loi, ainsi qu'un objectif du processus d'immigration; deuxièmement, imposer une limite de 30 jours pour la présentation des demandes de statut de réfugié, ce qui interdirait aux personnes qui sont demeurées longtemps illégalement au Canada de revendiquer le statut de réfugié au moment où on découvre leur existence et troisièmement, que le revendicateur soit tenu de comparaître en personne pour entendre la décision à son sujet, faute de quoi il serait réputé s'être désisté de sa demande.

Nous pensons qu'il faudrait resserrer davantage les contrôles mis en place à la fin du processus d'examen des demandes de statut de réfugié parce que c'est à la fin de ce processus que les demandeurs à qui l'on refuse le statut deviennent souvent des immigrants illégaux parce qu'ils décident de se cacher. Comment peut-on penser qu'un tel système puisse donner de bons résultats lorsque nous envoyons les mesures d'expulsion par la poste?

Nous estimons que ces mesures auraient pour effet de dissuader les revendicateurs potentiels d'essayer de se rendre au Canada pour y demander le statut de réfugié dans l'espoir qu'ils pourront rester dans ce pays pendant de nombreuses années, quelle que puisse être l'issue de leur revendication. Nous pensons que cela améliorait la sécurité du Canada et celle de nos navires, parce que cela réduirait le nombre des passagers clandestins et des déserteurs.

[Français]

Il est nécessaire de clarifier les obligations des compagnies de transport. Selon notre lecture, le paragraphe 148(1) assujettit les compagnies de transport de bonne foi à une nouvelle responsabilité pénale, en plus de leurs responsabilités financières actuelles.

Le nouveau paragraphe 148(1)c) et son implication pénale serait inéquitable pour les navires ayant à bord des passagers clandestins, donc contre leur gré, par définition, ainsi que pour les navires de croisières internationales qui gardent à bord les passagers non autorisés à débarquer pour les excursions à terre.

Nous nous opposons fortement à ce qui semble être une nouvelle obligation visant à responsabiliser le transporteur pour tous les soins médicaux que pourraient nécessiter les personnes qu'ils amènent en visite au Canada. On ne s'inquiète pas des obligations pour les soins médicaux pour des passagers clandestins qu'on peut amener hors de notre connaissance. Cependant les navires de croisière, en vertu de la nouvelle loi, pourraient se voir - et c'est prévu dans la loi - obliger de fournir des soins médicaux à leurs passagers qui sont ici au Canada et qui ont un droit d'entrée et de visite. Il nous semble que c'est par inadvertance que la loi le prévoit, mais c'est bien dit dans la loi.

D'après les discussions informelles que nous avons eues avec le ministère, ces derniers n'ont pas l'intention d'introduire de nouvelles responsabilités pour les transporteurs.

Nous demandons au comité de réviser la rédaction de ces articles parce qu'ils nous semblent que, dans ces deux cas, des obligations additionnelles sont prévues dans la nouvelle loi.

Monsieur le président, il me fera plaisir d'élaborer davantage sur la position de la Fédération lors de la période des questions.

[Traduction]

Mme Jill Sparling, présidente d'Organization of Professional Immigration Consultants: Sénateurs, je vous remercie de nous avoir donné la possibilité de comparaître devant votre comité. L'Organization of Professional Immigration Consultants of Canada, connue sous son sigle OPIC, est la principale association professionnelle des consultants en immigration au Canada.

Comme moi-même, la plupart de nos membres sont d'anciens agents d'immigration supérieurs. Nous pensons avoir un point de vue unique parce que nous connaissons des deux côtés le fonctionnement de notre système d'immigration.

Je voudrais d'abord faire remarquer que la plupart des problèmes de notre système d'immigration, et ils sont nombreux, ne peuvent être résolus par voie législative. Votre comité spécial sur la sécurité et les services de renseignements, présidé par le sénateur Kelly, a fait rapport en janvier 1999. Ce comité semble avoir pressenti les événements survenus récemment.

On peut lire à la page XX:

[...] les lacunes constatées dans la politique et les procé dures d'immigration au Canada semblent découler davan tage d'un manque de ressources que d'insuffisances dans la loi. De l'avis du comité, Citoyenneté et Immigration Ca nada doit absolument disposer des ressources techniques, humaines et autres nécessaires pour protéger la sécurité du Canada et de sa population.

Nous sommes tout à fait d'accord avec cette déclaration.

Le problème du CIC est que cela fait 30 ans que le gouvernement traite ce ministère comme un ministère mineur dans la nébuleuse des organismes gouvernementaux d'Ottawa. Il n'a jamais reçu les ressources, le personnel ni l'attention qu'il méritait. Cela fait tellement longtemps que le CIC dispose de ressources insuffisantes qu'il n'est même pas en mesure d'administrer correctement la loi actuelle, et encore moins, de s'adapter à une nouvelle loi ou de la mettre en vigueur.

D'après nous, le moral des fonctionnaires de ce ministère est au plus bas à cause des contraintes imposées en matière de ressources. Par exemple, à ma connaissance, le Canada est le seul pays développé qui utilise des employés locaux pour émettre des visas à l'étranger. Une telle pratique a bien évidemment des répercussions sur le plan de la sécurité.

J'invite le comité à ne pas se laisser influencer par l'argument voulant que ce projet de loi permettra de résoudre tous les problèmes et à mentionner dans son rapport la nécessité d'accorder au CIC les ressources et l'attention dont il a grand besoin.

Ma deuxième remarque est que je pourrais citer des données fournies par Statistique Canada, par la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante, par le Conference Board, par l'Association canadienne des conseillers et administration et par d'autres organismes qui montreraient que le Canada fait face à l'heure actuelle à une grave pénurie d'ouvriers spécialisés, d'entrepreneurs et d'investisseurs. D'après la FCEI, il faudrait qu'il y ait au Canada 300 000 travailleurs spécialisés de plus. D'après le Conference Board, il manquera, en 2020, près d'un million de travailleurs pour que l'économie canadienne puisse se développer.

La demande d'ouvriers spécialisés devra être comblée, dans une grande mesure, par l'immigration, mais nous subissons la concurrence des États-Unis, de l'Australie, de la Nouvelle-Zélande et d'autres pays qui cherchent aussi à attirer ces immigrants compétents, ces entrepreneurs et ces investisseurs.

Nous savons parfaitement, en particulier compte tenu des événements du 11 septembre, que le premier objectif de notre loi sur l'immigration est d'assurer la sécurité du Canada. Nous craignons toutefois que le projet de loi C-11 empêche le Canada d'attirer les meilleurs candidats à l'immigration.

Dans l'ensemble, notre action est trop lente, le ministère manque cruellement de personnel et nous demandons bien souvent trop de documents, en particulier aux entrepreneurs.

Ma troisième remarque, et ce sera la dernière, porte sur un sujet qui est particulièrement cher aux membres de l'OPIC et à moi personnellement. Un des objectifs que notre association s'est fixés au moment où elle a été créée en 1991 était d'assurer la réglementation des consultants en immigration. Cela fait plus de dix ans que nous essayons d'atteindre cet objectif, sans résultat jusqu'ici.

Nous avons eu des conversations avec le ministre et avec le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration sur cette question. Nous leur avons présenté un projet assez détaillé de cadre réglementaire pour un regroupement autonome des praticiens en immigration qui respecterait les compétences provinciales. Cependant, ce dossier n'avance pas. En 1990, l'Association du Barreau canadien a recommandé la création d'un régime de réglementation autonome pour les consultants en immigration non juristes. Le neuvième rapport du Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration recommande vivement que les consultants en immigration soient réglementés au sein d'un régime professionnel autonome.

Nous trouvons assez ironique que le rapport ait été publié en septembre 1995 et qu'il s'intitule «Les conseillers en immigration: le temps est venu d'agir». Rien n'a bougé depuis.

Au début de l'année, les avocats qui représentaient les procureurs généraux de la Colombie-Britannique et du Manitoba, la Law Society of British Columbia et celle du Manitoba, l'OPIC et le procureur général du Canada ont demandé, dans les observations qu'ils ont présentées à la Cour suprême du Canada dans le pourvoi Mangat, que la profession de consultant en immigration soit réglementée. Le procureur général du Canada a déclaré à plusieurs reprises aux juges de la Cour suprême que les consultants jouaient un rôle important dans le fonctionnement des commissions et des tribunaux du CIC.

Nous avons signé, il y a trois ans, un protocole d'entente avec le ministère de l'Immigration au sujet d'un processus de réglementation indépendant, mais il n'y a pas eu de suite. De nos jours, n'importe qui peut prétendre être un consultant, même sans avoir aucune formation ou expérience en droit de l'immigration, et sans connaître les politiques et les procédures d'immigration. En réglementant la profession de consultant en immigration, on protégerait les immigrants de l'incompétence de certaines personnes et on préserverait l'intérêt public.

Nous savons qu'aujourd'hui il y a des gens qui se présentent comme des praticiens en immigration, facturent des honoraires exorbitants et font des promesses irréalistes à leurs clients. La réglementation de la profession aurait pour effet d'interdire des pratiques aussi malhonnêtes et protégerait donc la population.

Il est également bien connu qu'il y a des gens qui se présentent comme étant des consultants et qui s'occupent de trafic d'étrangers. Si cette profession était réglementée, les services de police auraient les moyens de contrer ces pratiques particulièrement choquantes.

Bien souvent, nous représentons la première ligne de défense du Canada contre les étrangers, les criminels et les personnes qui constituent un danger pour la sécurité nationale. Il nous paraît donc approprié qu'une profession qui joue un rôle aussi sensible soit réglementée, parce que nous ne voulons pas d'un régime de réglementation qui varie d'une province à l'autre.

Nous voulons un cadre réglementaire national, professionnel et autonome, et c'est la position que nous avons défendue devant la Cour suprême. Le gouvernement fédéral a le pouvoir de réglementer les consultants en immigration en vertu du paragraphe 14(1) de la Loi sur la citoyenneté actuelle, et ce depuis 1976. Dans le projet de loi qui vous est soumis, l'article 91 confirme également que le gouvernement fédéral a le pouvoir de réglementer les consultants en immigration.

Nous sommes donc venus aujourd'hui inviter, une fois de plus, le comité à saisir cette occasion pour demander au gouvernement d'exercer son pouvoir de réglementer les praticiens en immigration.

Voilà qui termine mes observations. Je serais heureuse de répondre à vos questions.

M. Richard Kurland, rédacteur en chef de LEXBASE: Sénateurs, je vous remercie de m'avoir invité encore une fois devant votre comité.

Je serai bref parce que je crois qu'il sera plus utile de consacrer notre temps à la période de questions.

LEXBASE est une publication juridique sans but lucratif qui résume, tous les mois, les décisions prononcées par la Cour fédérale du Canada dans le domaine de l'immigration et de la citoyenneté. Cette publication est reçue non seulement par les agents d'immigration supérieurs de nos ambassades canadiennes mais également par les grands médias écrits et électroniques. LEXBASE permet à ces personnes d'avoir accès chaque mois à trois ou quatre articles d'intérêt national. En outre, 70 p. 100 des avocats d'immigration canadiens reçoivent LEXBASE, comme tous les ministères provinciaux de l'immigration.

Nous nous proposons d'aborder dans notre exposé, et peut-être nous aurons l'occasion de vous en présenter deux, ce qui nous paraît être une erreur coûteuse dans la nouvelle loi. Ce projet de loi ajoute un niveau d'appel supplémentaire pour les décisions des agents des visas. Les statistiques montrent clairement que les agents des visas à l'étranger ont commis, d'après les tribunaux, une erreur dans la plupart des décisions qui sont contestées.

Les documents que nous vous avons remis aujourd'hui contiennent des documents internes du CIC que nous avons obtenus grâce à la Loi sur l'accès à l'information. Le CIC justifie la mise en place de ce niveau d'appel supplémentaire, qui a pour effet de prolonger le processus de la Cour fédérale aux dépens des contribuables canadiens, par le fait que le nombre des affaires soumises au tribunal entre 1993 et 1999 est passé de quelques centaines à près de mille.

Il convient de noter qu'au cours de la même période, le nombre des agents des visas canadiens est passé de 300 à 200. Celui du personnel non canadien, embauché sur place, et chargé de prendre des décisions en matière d'immigration est passé de quelques centaines à plus de mille. En outre, le système d'immigration canadien a été modifié pendant cette période, ce qui a rendu nécessaire la présentation de cas types aux tribunaux.

Enfin, il y a le fait, peu reluisant pour le ministère, que celui-ci a fait circuler un télex secret. Vous trouverez des copies de ce télex dans les documents. Il a été envoyé à tous les agents des visas pour qu'ils interprètent l'expression «certaines ou toutes» comme voulant dire «toutes». Cette question technique en dit long sur l'attitude du CIC. Les candidats à l'immigration doivent répondre à toutes ou à certaines conditions pour qu'ils soient acceptés.

La loi dit qu'il suffit de répondre à «certaines ou à toutes» les conditions. Le télex interne et secret demandait d'exiger le respect de «toutes» les conditions. Cette directive a été cachée aux praticiens en immigration et aux candidats à l'immigration.

Dans le contexte de la tragédie du 11 septembre, j'ai placé dans ces documents - et cela va peut-être surprendre quelques-uns d'entre vous, un document de deux ou trois pages, contenant une note de service du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration d'après laquelle, au 23 mars 1999, le CIC savait qu'il y avait au Canada au moins 50 groupes terroristes étrangers qui y étaient représentés. Ces groupes sont identifiés et la note de service de deux pages traite des répercussions que pourrait avoir sur la sécurité nationale le fait que des terroristes résident au Canada.

Je dirais entre parenthèses, et je conclurais là mon exposé, que j'ai eu une carrière très mouvementée. J'ai dans ma vie rencontré des membres de l'Hezbollah, de l'Organisation de libération de la Palestine (PLO), du MI5, du MI6, du KGB, du SCRS, des amis chinois ainsi que des gens des États-Unis. Je suis une des rares personnes du secteur privé qui n'est pas assujettie à la Loi sur les secrets officiels et qui est en mesure de répondre à vos questions concernant les groupes terroristes existants dans notre pays. Je vous remercie.

Le président: Madame Sparling, une précision s'il vous plaît. Lorsque vous avez parlé du pouvoir accordé au gouvernement fédéral par la loi actuelle et dans le projet de loi de réglementer les consultants en immigration, je crois que je vous ai mal compris. J'ai pensé que vous parliez de l'article 191.

Mme Sparling: C'est l'article 91.

Le président: J'ai une question qui touche cet aspect parce que je pense qu'il est bon que les professions soient réglementées. La plupart des professions comme les médecins, les pharmaciens, les avocats, les comptables et les autres, ont leur propre loi, qu'elle soit provinciale ou fédérale, qui prévoit que ces professions doivent être réglementées par leurs membres, en respectant certaines conditions et dispositions.

Votre organisation a-t-elle déjà pensé procéder de cette manière? Il faudrait présenter un projet de loi d'initiative parlementaire. Ces lois sont également modifiées en présentant des projets de loi d'initiative parlementaire. Avez-vous déjà envisagé de procéder de cette façon plutôt que d'attendre que le gouvernement exerce les pouvoirs qu'il possède selon vous?

Mme Sparling: Nous avons parlé, il y a des années de cela, à des représentants du gouvernement provincial qui ont refusé d'agir parce que nous nous occupions uniquement d'une loi fédérale - J'ai d'ailleurs été fort surprise que le procureur général de l'Ontario ait essayé de présenter l'année dernière un projet de loi visant à réglementer les consultants.

Le président: Voulez-vous dire les consultants en général ou les consultants en immigration?

Mme Sparling: Il s'agissait des consultants en immigration. Pour ce qui est du gouvernement fédéral, nous nous sommes d'abord adressés au ministère de l'immigration qui nous a fait savoir qu'il était tout à fait disposé à travailler avec nous pour élaborer un cadre réglementaire. Le ministère pensait définir en collaboration avec DRHC et un de ses propres consultants les tâches de cette catégorie professionnelle ainsi que le niveau d'instruction requis, après avoir obtenu dans les différentes régions tous les renseignements concernant ces questions.

Nous avons pensé que, si le ministère était prêt à élaborer avec nous le cadre juridique de cette profession et à nous aider ensuite à mettre en oeuvre cette réglementation sans être directement responsable de nous, cela serait la meilleure chose à faire. Nous ne savions pas alors que les choses n'allaient pas du tout se passer de cette façon.

Nous avons constitué le College of Immigration Practitioners of Canada, une société à but non lucratif, pour participer à ces négociations. Nous avons maintenant échoué à trois reprises dans nos tentatives d'embaucher un consultant du DRHC parce que ce ministère ne veut pas agir dans ce dossier. Nous pensons que nous avons pratiquement tout essayé.

Nous n'avons pas encore entamé de discussion au sujet d'un projet de loi d'initiative parlementaire mais nous en sommes rendus à un point où nous sommes prêts à envisager n'importe quoi pour obtenir ce que nous voulons. C'est une des raisons pour lesquelles nous avons obtenu le statut d'intervenant dans l'affaire Mangot devant la Cour suprême.

Le président: Je vous donne là un avis gratuit. Il serait beaucoup plus facile de le faire par le truchement d'un projet de loi d'initiative parlementaire, et ce, pour deux raisons. Permettez-moi de vous dire que je suis tout à fait disposé à parler avec vous d'un tel projet de loi.

Premièrement, cela vous permettrait d'exercer un contrôle sur le processus législatif et sur le moment choisi pour présenter le projet de loi, ce qui vous donnerait un gros avantage. Deuxièmement, vous seriez ainsi en mesure d'élaborer les conditions à mesure que vous en avez besoin. Si je me base sur ce que nous ont dit les autres représentants des professions qui ont souvent comparu devant notre comité ainsi que devant d'autres comités sénatoriaux, je peux vous dire qu'ils ont trouvé fort utile d'avoir présenté un tel projet de loi. Vous pouvez ensuite vous constituer en société selon votre propre loi.

[Français]

Le sénateur Pépin: Monsieur Bélanger, vous avez dit que dans le projet de loi vous croyez qu'il y aura une obligation de défrayer les frais médicaux pour des passagers arrivés au Canada. Connaissez-vous un précédent dans un autre pays où cela se fait ou sommes-nous le seul pays à imposer cette obligation aux compagnie maritimes? Existe-t-il des précédents ailleurs? Croyez-vous qu'il en soit ainsi à cause de la rédaction du projet de loi?

M. Bélanger: À notre connaissance, il n'existe pas de précédent. Évidemment, les navires où les propriétaires sont responsables des frais médicaux de l'équipage et des gens en font partie. On ne connaît pas de précédent pour ce qui a trait aux passagers. Le ministère nous dit que ce n'est pas l'intention, mais le texte du projet de loi le dit. Ce qui nous embête, c'est lorsque la loi dit que le passager a droit de se faire indemniser ses frais médicaux lorsqu'il est en visite ici, même si le règlement dit le contraire. Le ministère dit que cela sera réglé dans les Règlements. Toutefois, même si le Règlement dit le contraire, cela devient ultra vires du texte de loi. Si ce droit est clairement exprimé dans la loi, la personne qui a à payer des droit médicaux peut exiger du propriétaire du navire le remboursement de ses frais médicaux et il peut les réclamer en vertu de la loi.

Le sénateur Pépin: À quel article est-ce spécifié?

M. Bélanger: Oui, à l'article 148(1)c) du projet de loi. Je pense que c'est inscrit par inadvertance. Il faudrait que le texte soit changé. On en a parlé avec le ministère. J'ai consulté des avocats qui m'appuient. Les avocats du ministère disent qu'il n'y a pas de problème. Doit-on attendre de se retrouver devant les tribunaux et faire déclarer des règlements ultra vires plutôt que de corriger, au moment où on le peut, le problème perçu?

Le sénateur Pépin: Le passager d'un bateau de croisière est capable de payer une prime d'assurance. Si les passagers ont des assurances, les compagnies d'assurance vont défrayer ces frais.

M. Bélanger: La loi dit que la compagnie d'assurance pourrait, théoriquement, se retourner contre le propriétaire du navire et réclamer ces frais. Il est dit dans la loi que le propriétaire du navire doit assumer les frais. C'est la raison pour laquelle cela nous embête autant.

Le sénateur Pépin: À ce moment, on pourrait exiger la même chose de toutes les compagnies d'aviation. Je vais tenter d'approfondir la question parce qu'au départ je ne lisais pas cet article de cette façon.

[Traduction]

Le sénateur Di Nino: Madame Sparling, vous voulez que les autorités provinciales ou fédérales réglementent votre association parce que vous estimez qu'il y a des personnes qui pratiquent cette profession sans avoir les compétences et les connaissances requises. Est-ce bien à cela que vous voulez remédier?

Mme Sparling: Il y a une troisième catégorie de personnes qui choisissent d'exercer cette profession non réglementée parce qu'elles souhaitent tout simplement facturer de gros honoraires à leurs clients et leur fournir des services qui ne sont pas conformes à la loi.

Le sénateur Di Nino: Cela m'amène à une question qui a déjà été abordée, je crois, dans l'autre endroit ainsi que par certains critiques depuis quelques années: la nomination des membres de la CISR en fonction de critères partisans. Certains ont soutenu qu'il fallait changer ce système et créer un organisme indépendant qui serait à l'abri des pressions partisanes, le favoritisme politique étant de nos jours la façon dont sont nommés les membres de cet organisme. Avez-vous des commentaires à faire à ce sujet?

Mme Sparling: Je n'y ai jamais en fait beaucoup réfléchi. Je dépense tant d'énergie à essayer d'atteindre les objectifs de l'OPIC que je ne voudrais pas faire de commentaires sur un système de nomination qui existe depuis si longtemps. Je dirais simplement que j'espère que, lorsqu'on procède à des nominations politiques, on prend en considération le poste auquel est destiné le candidat envisagé et qu'on se demande s'il possède les compétences nécessaires.

Le sénateur Di Nino: Les rapports que vous avez eus avec des membres de la CISR vous ont-ils permis de déterminer s'ils étaient compétents, efficaces et capables?

Mme Sparling: Monsieur le sénateur, je ne suis pas en mesure de répondre à cette question. Je m'occupe uniquement des travailleurs spécialisés qui veulent émigrer au Canada. Je ne représente aucunement les revendicateurs qui sont entendus par la CISR.

Le sénateur Di Nino: Les événements du 11 septembre ont influencé l'examen du projet de loi C-11. Comme l'un de mes collègues l'a fait remarquer, il est étrange que l'on retrouve le chiffre 11 dans ces deux cas. Le projet de loi traite d'une question beaucoup plus vaste - celle de l'immigration au Canada - qui ne devrait pas être ramenée à une simple question de sécurité ou au seul cas des réfugiés.

Pensez-vous que le projet de loi C-11 réponde aux problèmes que vous et votre organisme avez décelés, en particulier compte tenu de votre propre expérience, et qu'il encourage les immigrants à venir au Canada s'ils correspondent à la définition de travailleur spécialisé ou d'entrepreneur?

Mme Sparling: Il est difficile de répondre à cette question parce que de nombreux aspects de ce processus vont être définis par des dispositions réglementaires, qui n'ont pas encore de forme définitive. Nous ne verrons pas ces textes avant que le projet de loi n'ait reçu la sanction royale.

Je voudrais toutefois faire un commentaire: à l'heure actuelle, et depuis quatre ou cinq ans, le principal obstacle auquel font face les gens qui veulent venir au Canada vient du fait qu'il faut entre trois et quatre ans pour traiter la plupart des demandes. C'est l'accumulation des demandes que le ministère n'arrive pas à traiter dans un délai raisonnable qui constitue la principale lacune du processus. Les gens ne sont pas prêts à attendre aussi longtemps.

Faute de ressources, tant financières qu'en personnel, le ministère a choisi de centraliser le traitement de ces demandes, ce qui n'a pas raccourci les délais. Il faudrait que je voie le règlement; il faudrait toutefois renforcer la capacité administrative du ministère de façon à ce qu'il puisse traiter les demandes dans un délai raisonnable, en tenant compte de la nécessité de procéder à des examens médicaux et à la vérification des antécédents des candidats.

Le sénateur Di Nino: On nous a dit et répété depuis que nous avons commencé ces audiences que le problème est en fait un problème de ressources, que la loi en vigueur permettrait fort bien au CIC de jouer son rôle et que le projet de loi C-11 n'ajoute pas grand-chose. C'est en fait une question de ressources. Est-ce bien ce que vous dites?

Mme Sparling: Il est vrai que le projet de loi C-11 donne de nouveaux outils au ministère, mais ce n'est pas avec des outils que l'on peut mettre en oeuvre un programme. Il faut des ressources pour livrer ce que promet le projet de loi.

Le sénateur Di Nino: M. Kurland approuve. Voulez-vous ajouter quelques chose, monsieur Kurland?

M. Kurland: J'approuve les commentaires qui viennent d'être formulés. Toutes les études comptables qui ont été faites dans les missions à l'étranger en arrivent à la même conclusion: nous avons les règles qu'il faut, nous avons les outils, mais sans les ressources, il est impossible d'exercer nos responsabilités, de protéger l'intégrité de notre programme d'immigration et de répondre aux besoins du Canada dans ce domaine.

Mme Sparling: Il a raison.

Le sénateur LeBreton: Je voulais poser des questions sur cet aspect.

Le projet de loi C-11 modifie en profondeur la Loi sur l'immigration. Avec l'article 19 actuel, toutes les dispositions sont là, il manque les ressources qui permettraient de régler les problèmes qui se posent aux points d'entrée, aspect qui a pris de l'importance avec les événements du 11 septembre.

Madame Sparling, vous avez parlé des gens qui vivent à l'étranger et qui s'occupent des visas. Monsieur Kurland, ces agents qui travaillent à l'étranger ne sont pas des citoyens canadiens, ils sont embauchés localement et de quelques centaines, leur nombre est passé aujourd'hui à environ 1 300. Est-ce bien exact?

M. Kurland: C'est un minimum; en outre, les rapports internes d'Immigration Canada, préparés sur une base mensuelle, font ressortir une tendance inquiétante dans nos missions à l'étranger, qui est directement attribuable aux personnes embauchées localement. Il y a eu des enquêtes de la GRC et des condamnations pénales qui concernent des pertes d'argent représentant des millions de dollars, des pots-de-vin, des visas manquants et toute une série d'événements cauchemardesques.

Le sénateur LeBreton: Nous avons déjà interrogé des témoins au sujet de l'authenticité des documents. Bien souvent, les réfugiés qui arrivent à la frontière n'ont pas de documents. Cela remet en cause l'ensemble du système de vérification des documents. En outre, s'il faut utiliser des documents scolaires ou hospitaliers pour déterminer le bien-fondé d'une revendication du statut de réfugié, on risque de compromettre l'intégrité du processus.

M. Kurland: C'est une question qui touche l'intégrité de notre programme.

Le sénateur LeBreton: Monsieur Bélanger, pour ce qui est des navires, je trouve assez surprenant que vous soyez responsable des personnes qui se trouvent sur vos navires à votre insu. Avez-vous abordé cet aspect au moment où la Chambre des communes a examiné le projet de loi?

M. Bélanger: Nous avons présenté ces arguments à plusieurs reprises. Nous avons comparu devant le comité de la Chambre au moment où le projet de loi a été présenté, il y a deux ans.

Le comité de la Chambre a préparé un rapport contenant de nombreuses recommandations, mais aucune de celles qui touchaient les aspects que nous avions soulevés ne se trouve dans le projet de loi.

Le sénateur LeBreton: Vous a-t-on donné des explications? Il me semble que le bon sens devrait l'emporter. Comment peut-on être responsable de ces personnes, lorsqu'on ignore qu'elles sont là?

Mme Anne Legars, directrice, Politiques et affaires gouvernementales, Fédération maritime du Canada: En fait, nous avons fait beaucoup de chemin parce que les gens ne connaissent pas beaucoup ce qu'est le commerce maritime. Il y a même des députés qui nous ont demandé pendant les audiences «Quelle est la différence entre vos navires commerciaux et les navires qui amènent au Canada les immigrants illégaux?» Nous avons été obligés de présenter un mémoire supplémentaire pour expliquer ce qu'était le commerce maritime. Nous avons donc déjà fait beaucoup de progrès.

Le sénateur LeBreton: Il n'est pas très encourageant de constater que nos députés ne connaissent pas cette différence.

Madame Sparling, dans les efforts que vous avez déployés pour régler la question des employés embauchés à l'étranger, je pense qu'il n'existe aucune disposition qui vous aurait permis de faire relever ces personnes de votre organisation.

Mme Sparling: Non, ce sont des contractuels embauchés à l'étranger par le ministère.

Le sénateur LeBreton: Par conséquent, vous n'avez donc pas accès à ces personnes et vous n'exercez aucun contrôle sur elles.

Mme Sparling: Non.

M. Kurland: C'est de là que vient le problème. Le système de détection avancée, le contrôle, qui n'était pas à la charge des contribuables, se situait au niveau de l'appel. Les avocats constituaient le système de détection avancée. Nous savions dans les 30 jours qu'il y avait un problème avec un dossier d'immigration dans lequel on avait commis une erreur et qui avait été soumis aux tribunaux, ce qui déclenchait une enquête interne du CIC et débouchait sur le renvoi ou le départ d'un employé embauché localement. Le projet de loi supprime ce système de détection.

Le sénateur Robertson: J'aimerais revenir sur quelque chose que vous avez dit, monsieur Kurland. Vous avez parlé d'un document privé qui avait été distribué aux membres du personnel. Pourriez-vous me répéter cela et me dire ce qu'il en est résulté?

M. Kurland: Ce document est mentionné dans les documents internes du CIC que je vous ai distribués. Cela veut dire que la personne qui souhaite s'établir au Canada à titre de résident permanent dans la catégorie des travailleurs spécialisés doit, si cette personne est comptable, être capable d'exercer un certain nombre de tâches qui figurent sur une liste. Ce sont les gens des ressources humaines qui établissent ces listes de tâches. D'après le manuel, si l'auteur de la demande est en mesure d'exercer un certain nombre de ces tâches ou toutes ces tâches, s'il est comptable, il a le droit d'entrer au Canada. Le document interne du CIC demandait aux employés d'interpréter cette condition en exigeant que l'auteur de la demande soit en mesure d'effectuer toutes les tâches figurant sur la liste. Si le ministère de l'immigration avait publié cette interprétation, les avocats n'auraient pas présenté de demandes à la Cour fédérale en soutenant que l'expression «certaines ou toutes» les conditions voulait dire «certaines» ou «toutes» les conditions.

Mme Sparling: Et non toutes les conditions.

M. Kurland: Pas toutes les conditions. Les documents qui vous ont été remis ont été préparés par des avocats du CIC. De façon magique, la Cour fédérale a signalé au CIC que l'expression «certaines ou toutes» les conditions voulait dire «certaines» conditions ou «toutes» les conditions. Cela correspond aux 300 ou 400 affaires supplémentaires qui ont été soumises à ce tribunal. Nous parlons de près de 60 000 demandes dans la catégorie des travailleurs professionnels, et les gens qui saisissent cette cour pour protéger leurs droits ne sont que quelques centaines. Avant que la Cour fédérale déclare que «certaines ou toutes» les conditions voulaient dire effectivement «certaines conditions» ou «toutes les conditions», il fallait présenter une demande à cette cour pour protéger nos clients. C'est ce qui est explique la brusque augmentation qui a été enregistrée, le nombre des affaires passant de 300 à 800 sur 60 000 demandes par an, ce qui représente sur cinq ans 300 000 dossiers. Le nombre des appels est passé à 500. C'est la raison pour laquelle on supprime un système de détection avancée des erreurs. Cela est incroyable.

Mme Sparling: Si vous me permettez d'intervenir, sénateur, cette brusque montée s'explique également par le fait qu'il était impossible de critiquer, de façon non officielle, une décision qui contenait manifestement une erreur de droit. Vos lettres demeuraient sans réponse. Personne ne voulait vous parler. La seule solution était de saisir la Cour fédérale pour que soit repris l'examen du dossier de votre client. Ce droit est maintenant gravement restreint.

Le sénateur Robertson: À la page 2, vous dites qu'on a constaté qu'il y avait au moins 50 groupes terroristes étrangers qui étaient représentés au Canada. Cela fait combien de temps que les autorités sont au courant?

M. Kurland: Monsieur le sénateur, ce n'est pas moi qui ai fait cette déclaration. Elle a été faite par le service de gestion des cas du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration, administration centrale, le 23 mars 1999 par Diane Desrosiers. C'est un document interne du CIC. Le CIC connaît au moins depuis le 23 mars 1999 qu'il existe une cinquantaine de groupes terroristes étrangers qui sont représentés au Canada.

Le président: Je crois également savoir que l'on retrouve ce chiffre de 50 groupes dans le rapport annuel du SCRS.

Le sénateur LeBreton: Lorsque je faisais partie du Comité de la sécurité et du renseignement que présidait le sénateur Kelly, je pense que ce chiffre figurait également dans les documents de ce comité.

M. Kurland: Sénateurs, c'est la raison pour laquelle il est si important de bien expliquer à nos amis du Sud que les Canadiens ne sont pas aveugles. Nous savons ce qui se passe. Je suis prêt à parier, et vous allez entendre tout à l'heure un témoin très compétent qui a travaillé au gouvernement pendant de nombreuses années, M. Collacott, que ces personnes vivent dans un aquarium, un aquarium électronique pourrait-on dire. Nous savons avec qui ils parlent, à quel moment ils le font et ce qu'ils disent. Nous le savons en moins d'une heure.

Le sénateur Cook: Monsieur Kurland, vous avez parlé de l'intégrité des agents des visas locaux. Avez-vous des éléments qui appuient votre affirmation ou y en a-t-il dans vos documents?

M. Kurland: Certainement, sénateur. Je n'ai pas prévu toutes les questions que l'on allait nous poser mais je vais vous envoyer cela par télécopie lorsque je serai revenu à Vancouver ce soir. Vous aurez demain matin sur votre bureau les rapports internes du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration qui décrivent en détail le nombre des enquêtes effectuées, le sujet de ces enquêtes, leurs conclusions, les accusations portées et les résultats. Tout cela a été obtenu en vertu de la Loi canadienne sur l'accès à l'information.

Le sénateur Cook: Monsieur le président, il serait peut-être bon que cela soit transmis à la greffière.

Le président: Je vous remercie tous les quatre d'être venus. Nous vous remercions d'avoir donné de votre temps.

Madame Sparling, je vous invite à réfléchir à cette façon d'aborder votre problème.

Notre prochain groupe de témoins est inhabituel pour deux raisons: en partie, parce qu'il est composé de cinq personnes et en partie, parce que ces cinq personnes ont toutes fait des carrières prestigieuses au sein de la fonction publique canadienne.

Je vais donc demander à MM. Fairweather, Manion, Bauer, Collacott et Bissett de prendre place.

Sénateurs, il y a là pour certains d'entre nous, comme moi, un élément de déjà vu puisque M. Manion est le premier ministre que j'ai rencontré à Ottawa en 1974; il occupait à l'époque le poste de Secrétaire du Conseil du Trésor. Il a été par la suite greffier du Conseil privé.

Nous connaissons tous M. Fairweather, au départ comme député et ensuite, comme premier président de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Les trois autres membres de ce groupe ont tous représenté notre pays dans des postes assez délicats. M. Collacott a été ambassadeur au Liban, en Syrie et au Cambodge et haut-commissaire au Sri Lanka. M. Bauer a été ambassadeur en Thaïlande, en Birmanie, au Laos et en Corée du Sud; il a également été membre de la CISR pendant quelque temps. M. Bissett a été en Yougoslavie, à Trinidad-et-Tobago, en Yougoslavie, en Bulgarie et en Albanie; il a également travaillé à Moscou pour aider les Russes à mettre sur pied un ministère de l'Immigration.

Permettez-moi de vous dire que vous représentez à vous tous une expérience d'une très grande richesse. Nous sommes tout à fait ravis que vous soyez ici.

Je sais que certains membres de votre groupe veulent faire un exposé préliminaire. Nous allons donc les écouter et nous adresserons ensuite nos questions à tous les membres du groupe.

Monsieur Fairweather, voulez-vous présenter votre exposé? Je vous remercie d'être venu du Nouveau-Brunswick pour passer la journée ici.

M. Gordon Fairweather: Sénateurs, je suis heureux de pouvoir prendre la parole aujourd'hui. Je pense que les autres témoins vont parler de choses plus importantes que celles que je vais aborder mais je vais néanmoins formuler quelques observations.

Tout d'abord, je dirais que la présidence de la CISR a été un des sommets de ma carrière à Ottawa. Je pourrais vous faire un discours assez éloquent sur la position qu'a adoptée notre pays. Je suis inquiet de voir qu'il y a des gens à l'étranger et ici qui s'appuient sur les événements du 11 septembre pour modifier l'application de notre Constitution, et même pour utiliser la clause nonobstant, dans le but d'annuler une des grandes décisions de notre Cour suprême, à savoir l'arrêt Singh.

Je rappellerai aux sénateurs que l'affaire Singh a été décidée par trois personnes, dont deux sont devenues ensuite juges en chef. Le premier était le juge en chef à l'époque où la cause a été entendue, c'était le juge en chef Dixon. La décision a été rédigée par Mme le juge Wilson. Le juge Lamer y a souscrit. Il est intéressant de noter que trois autres juges sont arrivés à la même conclusion mais en s'appuyant sur la Déclaration canadienne des droits.

Dans les deux cas, ils nous ont rappelé l'importance de la notion de justice fondamentale, un principe énoncé dans la Charte des droits et libertés, qui représente l'événement politique marquant des deux ou trois dernières générations. Je dirais en passant que je trouve quelque peu étrange que l'on puisse proposer à notre gouvernement d'utiliser la clause nonobstant. Si je me limitais à la déclaration que je viens de faire, je pourrais dire que l'indemnité que la Couronne m'a versée pour que je vienne ici et retourne au Nouveau-Brunswick aujourd'hui n'a pas été dépensée en vain.

J'ai l'arrêt Singh avec moi. Je ne garde pas tous les documents qui m'intéressent mais je dirais que la CISR repose en fait sur la décision qu'a rendue cette Canadienne remarquable qu'est la juge Bertha Wilson.

Je tiens à mentionner qu'il y a quelqu'un d'assez capable qui m'appuie sur ce point, à savoir, le premier ministre du Canada, qui était le ministre dont je relevais lorsque j'étais président de la Commission des droits de la personne. Jean Chrétien a déclaré que le gouvernement du Canada n'utiliserait pas la clause nonobstant. Vos recherchistes peuvent vérifier cela. Cette déclaration a grandement rassuré les défendeurs de la Charte. Je ne crois pas qu'il soit possible de le convaincre de changer d'idée. Si je pouvais faire quelque chose pour l'amener à respecter sa promesse, je le ferais.

La Cour suprême a déclaré dans l'arrêt Singh que la notion de justice fondamentale se trouvait dans la Charte et dans la Déclaration des droits. Nous avons maintenant adopté l'expression américaine «régularité procédurale», qui n'existait pas avant dans notre droit. La justice fondamentale est un principe que nous connaissons et c'est ce principe que les six juges ont réaffirmé. La justice fondamentale exige que l'on accorde une véritable audience, pas une audience sur papier, à toute personne concernée.

J'ai beaucoup de respect pour l'ancien ministre, M. Lloyd Axworthy. Il a commencé quelque chose mais le tribunal a déclaré, et ce n'était certainement pas la première fois que cela se produisait à Ottawa, que l'instruction sur dossier prévue par l'ancienne Loi sur l'immigration était suffisante. Notre cour a déclaré que non, que les gens avaient le droit d'être vus et entendus, d'où l'arrêt Singh.

Le gouvernement suivant a proposé la création de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Cela a été un grand honneur pour moi de diriger cette commission. C'est la commission administrative la plus importante du Canada. Ses membres, et je vais en dire du bien maintenant, reçoivent la meilleure formation que l'on donne à des membres de ce genre de commission. Je défie quiconque de soutenir le contraire. On les a souvent accusés à tort de toutes sortes de choses.

Le président: Je peux vous dire, monsieur Fairweather, que vous parlez à un groupe de personnes qui savent très bien ce que c'est que de se faire accuser à tort.

M. Fairweather: Je viens d'une province très sensible où l'on ne peut même pas dire ce genre de choses.

Une partie du dilemme dans lequel vous, les sénateurs, vous trouvez vient du fait qu'on publie tous les jours des histoires d'horreur. Si vous lisez l'article qui se trouve à la une du Ottawa Citizen d'aujourd'hui, vous pourrez lire que des membres très critiqués de la CISR ont encore rejeté une revendication. Mes collègues me demandaient toujours pourquoi l'on n'expulsait pas ces gens. Nous sommes obligés de tenir une audience mais cela ne donne aucun résultat.

Le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration a un personnel, en particulier du côté de l'immigration, qui m'a paru extrêmement compétent. Ces fonctionnaires accueillent au Canada tous les ans entre 200 et 250 000 personnes. Les statistiques vous diraient que la CISR s'occupe d'environ 12 000 dossiers par an, peut-être un peu moins maintenant.

Il y a aussi une chose extraordinaire, c'est que notre gouvernement se rend dans les camps de réfugiés. Il existe un programme qui prévoit la prise en charge de réfugiés par le gouvernement. Il y en a dans toutes les collectivités.

Il faudrait éviter de se laisser obnubiler par le drame actuel et réagir quand même aux changements fondamentaux que l'on est en train d'apporter au système qui a fait du Canada ce qu'il est aujourd'hui.

Il y a eu des erreurs judiciaires dont certaines étaient épouvantables. Nous n'avons cependant jamais pensé qu'il fallait dire «nonobstant la protection accordée par la Charte», n'est-ce pas? Nous nous en remettons au ministère de la Justice et au système judiciaire pour remédier à la situation.

Mes collègues de la CISR sont mortifiés lorsqu'ils rejettent une demande et que la personne visée n'est pas expulsée. Par contre, il est très difficile d'expulser les demandeurs d'asile, en particulier à un moment où, d'après ce que je sais, les fonds et le personnel sont gravement réduits.

Il y a des ministres et des ambassadeurs à côté de moi qui vont réagir très vivement dans un moment.

Je ne vois pas comment l'immigration peut jouer son rôle lorsque le SCRS et la GRC refusent de lui fournir les renseignements dont le ministère a besoin. J'espère que les honorables sénateurs seront en mesure de dire ceci: il est tout à fait inacceptable que le SCRS et la GRC se livrent à une guerre de territoire, et que les gens qui s'occupent d'immigration et conseillent à notre gouvernement de prendre en charge des réfugiés ne peuvent communiquer avec les responsables de la sécurité que nous employons pour faire ce travail.

J'ai déjà constaté, et je suis sûr que les sénateurs l'ont fait également, qu'il y avait des gens qui confondent la sécurité nationale et leur petit territoire. La sécurité nationale peut devenir une chose clandestine et secrète. On m'a déjà dit que l'on ne pouvait communiquer certains secrets à nos juges parce qu'ils n'étaient pas titulaires d'une habilitation de sécurité suffisante.

Comment l'agent d'immigration qui se trouve à Hong Kong peut-il faire son travail si les gens qui sont chargés de cet aspect refusent de lui communiquer les renseignements dont il a besoin?

Vous avez été très patients. Je ne m'en vais pas car il y aura peut-être des questions et des critiques. Ne vous gênez pas, vous pouvez me critiquer maintenant que je suis à la retraite.

M. Martin Collacott: Honorables sénateurs, les événements du 11 septembre vont avoir de graves répercussions sur les dispositions du projet de loi C-11 qui portent sur la protection des réfugiés et sur l'immigration. J'estime que ces dispositions sont tout à fait insuffisantes car elles ne servent pas les intérêts du Canada. Les événements du 11 septembre ont fait ressortir ces lacunes de diverses façons.

Il y a d'abord le fait que les terroristes internationaux peuvent entrer au Canada et y demeurer. C'est un aspect qui m'intéresse particulièrement parce qu'une de mes tâches à l'administration centrale était celle de directeur général du service de sécurité. J'étais chargé de la coordination de la lutte contre le terrorisme.

Il est évident que les États-Unis ont également connu de grosses difficultés sur ce point, puisque les pirates de l'air sont tous entrés aux États-Unis et y sont demeurés un certain temps. Le Canada connaît toutefois lui aussi de graves problèmes, comme on vous l'a sans doute déjà dit. Le directeur du SCRS a comparu devant un comité spécial du Sénat en juin 1998. Il a déclaré que son organisme faisait enquête sur 350 terroristes et sur 50 groupes terroristes. Le Canada se place probablement au second rang, juste derrière les États-Unis, pour ce qui est du nombre des groupes terroristes internationaux se trouvant sur son territoire. Il faut absolument éviter qu'à cause de notre inaction ou autrement, on puisse dire que le Canada appuie le terrorisme, ce qui est une accusation assez grave. Les politiques que nous avons adoptées à l'égard des réfugiés et des immigrants nous placent dans une situation particulièrement vulnérable pour ce qui est des activités terroristes et de l'influence que ces groupes peuvent exercer. L'affaire Ahmed Ressam et les autres procès qui ont lieu aux États-Unis indiquent clairement qu'il existait au Canada un réseau de terroristes islamiques très développé mais aussi que la plupart des membres de ces réseaux, sinon tous, sont entrés en qualité de revendicateur du statut de réfugié.

J'ajouterais que cela fait longtemps que nous sommes au courant de ce problème. Au cours des années 80, au moment où j'étais directeur général, j'ai proposé d'adopter des mesures législatives pour empêcher le financement du terrorisme. Joe Clark a signé ma lettre et l'a envoyée à son homologue. Barbara McDougall a signé la lettre de suivi. Cette question n'intéressait absolument personne à l'époque.

Le projet de loi apporte toutefois certaines améliorations limitées. Par exemple, les vérifications de sécurité vont être effectuées beaucoup plus tôt dans le traitement des demandes présentées par les réfugiés. Il demeure toutefois que ce projet de loi sera loin de régler toutes les lacunes.

En décembre 1997, le vérificateur général du Canada a vivement critiqué notre système d'examen des revendications de réfugié. Il nous a mis en garde contre l'idée d'adopter des mesures ponctuelles. Il a déclaré qu'il fallait complètement revoir le système. Malgré tout cela, ce projet de loi ne comble que quelques-unes des lacunes qui avait été signalées. Il ne va pas supprimer nos préoccupations en matière de sécurité, ni celles des États-Unis.

Je présente quelques suggestions précises dans mon mémoire, que je n'aurai pas le temps de passer en revue en détail. L'élément essentiel est qu'on ne devrait jamais libérer dans la société canadienne un demandeur de statut, tant qu'on n'est pas raisonnablement sûr que cette personne ne constitue pas une menace pour la sécurité et qu'elle est véritablement un réfugié au sens de la convention de l'ONU.

Il faudrait obliger beaucoup de gens à présenter leur demande dans des tiers pays sûrs où ils auraient pu demander l'asile politique ou nous présenter une demande. Nous avons accueilli l'année dernière plus de 10 000 personnes venant de l'étranger. Il y a toujours des gens qu'il faut détenir pendant un certain temps. Cela coûte de l'argent mais à long terme, cela coûte beaucoup moins cher que ce que cela nous coûte aujourd'hui.

Certains prétendent que nous sommes plus stricts que les États-Unis. Cela n'est pas le cas. Je peux vous mentionner quelques aspects qui le montrent.

Nous avons démontré que nous étions beaucoup plus généreux que les Américains. Nous acceptons 60 p. 100 des demandes alors que les États-Unis n'en acceptent qu'environ 20 p. 100. Nous acceptons beaucoup plus de réfugiés par habitant que ne le font les Américains. Les personnes qui attendent à la frontière parce qu'elles ne peuvent obtenir le statut de réfugié aux États-Unis et qu'elles peuvent l'obtenir au Canada montrent bien quel est le pays le plus généreux.

L'analyse la plus complète de ces problèmes que je connaisse est celle que l'on trouve dans un livre sur le droit des réfugiés et de l'immigration qui a été publié l'année dernière par John Munro et Charles Campbell.

Nous ferons face à l'opposition des avocats d'immigration et des défenseurs des droits des émigrés. Je note que vous allez entendre un grand nombre de ces personnes. Ils vont vous dire que nous avons déjà les lois dont nous avons besoin, ou que ces dispositions seront en place si l'on adopte le projet de loi. Ce n'est pas le cas. Un de leurs meilleurs arguments, et dans une certaine mesure cela ressort de l'exposé de M. Fairweather, est que les mesures que je propose auraient pour effet de refuser aux personnes qui viennent au Canada le droit à la justice fondamentale parce qu'elles suppriment le contrôle judiciaire des décisions défavorables.

Dans un monde idéal, et dans le paradis des avocats, toutes les décisions défavorables pourraient être portées en appel. Mais nous ne vivons pas dans un monde idéal. Il y a des centaines de milliers de personnes qui veulent venir au Canada chaque année. Il faut insister sur le fait que nous ne sommes pas le seul pays à recevoir des immigrants ou des demandeurs de statut, parce que la plupart d'entre eux passent par des pays où ils pourraient fort bien demander le statut de réfugié. Il faut tout simplement accepter le fait que la grande majorité des décisions, y compris les décisions définitives, doivent être prises au niveau administratif, sans possibilité d'être révisées. Nous n'avons tout simplement pas les moyens de nous payer tous ces jouets juridiques et tous les recours que les avocats voudraient avoir.

Là encore, il y a d'autres pays qui acceptent les immigrants et les réfugiés. L'idée d'accorder plusieurs recours judiciaires n'est pas réaliste.

On utilise également d'autres arguments pour clore le débat; on dit que ceux qui veulent modifier fondamentalement notre politique sont des racistes parce que la plupart des demandeurs de statut appartiennent à des minorités visibles ou que nous manquons de compassion et que nous ne sommes pas disposés à respecter nos obligations internationales. Tous ces arguments ont été utilisés pour étouffer ce débat, qui portent autant sur l'immigration que sur les réfugiés.

Pour ce qui est de l'immigration, nos politiques ont des effets à long terme qui sont encore plus pernicieuses que notre système de reconnaissance du statut de réfugié. Je fournis dans mon mémoire des éléments qui démontrent que les affirmations du gouvernement au sujet des avantages économiques et démographiques du programme d'immigration actuel et du projet de loi sont sans aucun fondement. Ces affirmations sont contraires aux résultats des recherches qu'il a lui-même effectuées. Il y a un aspect qui devrait particulièrement nous inquiéter, c'est le fait que les politiques actuelles risquent de nuire grandement à l'esprit de tolérance et à la capacité d'accueillir des réfugiés et de célébrer la diversité, qualités que possèdent la plupart des Canadiens.

Nous avons essayé depuis quelques dizaines d'années de renforcer cette attitude chez les Canadiens et nous avons donné l'exemple dans ce domaine, alors que les conflits ethniques sont devenus la norme plutôt que l'exception dans le monde. Je suis fier d'avoir contribué à cette évolution. Ma femme est d'origine asiatique et nos deux fils reflètent le nouveau Canada.

Nous constatons toutefois aujourd'hui que nos politiques en matière d'immigration n'ont pas été bien conçues et reflètent principalement le lobbying exercé par les groupes de défense d'intérêts spéciaux et les efforts déployés par les partis politiques pour obtenir des votes à la prochaine élection; tout cela risque de compromettre gravement ces réalisations.

Nos politiques actuelles ne tiennent pratiquement aucun compte de la capacité de la société canadienne d'absorber les nouveaux immigrants qui arrivent au Canada, ni d'évaluer si ces derniers sont bien outillés pour s'adapter à la société canadienne. Le gouvernement s'est montré peu disposé à vérifier l'existence de tensions et de difficultés graves dans ce domaine, même si ses propres études, dont la liste figure dans mon mémoire, démontrent que tel est bien le cas.

Cela fait plusieurs années que les politiques que nous nous sommes donnés m'inquiètent parce qu'elles risquent d'entraîner une réaction négative à l'égard des immigrants, en particulier à l'égard de ceux qui font partie des minorités visibles. Les agissements méprisables dont ont fait l'objet nos communautés musulmanes, sikhs et hindoues après le 11 septembre ne constituent que la première manifestation de cette attitude. Il y a eu au Royaume-Uni, pays où les minorités visibles sont, en proportion, deux fois moins nombreuses qu'au Canada, une série de confrontations raciales graves au cours des derniers mois. J'aimerais préciser une chose à ce sujet. La grande majorité des personnes qui émigrent au Canada vont continuer à venir de pays en développement et à appartenir à des minorités visibles. Nous devons toutefois déterminer avec beaucoup de soin le nombre des immigrants dont nous avons besoin, préciser la façon dont ils peuvent s'intégrer à notre société et mettre au point un processus de sélection efficace. Il n'y a pas encore eu de débat sérieux au sujet de nos politiques en matière d'immigration. Un tel débat est plus nécessaire que jamais.

Nos politiques actuelles nuisent en fait aux immigrants eux-mêmes. J'ai dit que nos programmes allaient déboucher sur un désastre national au ralenti. J'aurais tendance aujourd'hui à supprimer les deux derniers mots.

M. James Bissett: J'ai effectivement été ambassadeur dans les Balkans mais vous n'avez pas mentionné mon affectation la plus difficile. Pendant cinq ans, j'ai dirigé le service d'immigration et j'ai beaucoup travaillé pour faire adopter par le Parlement et le Sénat la loi sur les réfugiés actuelle. C'est le Sénat qui a retardé très longtemps son adoption. Certains d'entre vous se souviennent peut-être que le sénateur Hébert a décidé de faire une grève de la faim pour empêcher l'adoption de ce projet de loi. Quoi qu'il en soit, je suis parti dans les Balkans pour me reposer après ces cinq dures années.

Je vais principalement parler de ce qui me paraît être la plus grave lacune du projet de loi C-11; ce projet n'est d'aucun secours pour résoudre le principal problème du Canada dans ce domaine: le système de traitement des demandes de statut de réfugié. Chaque année, des milliers de gens arrivent au Canada en prétendant être des réfugiés. La plupart d'entre eux ne sont pas des réfugiés. Ce sont des immigrants économiques, dont 60 à 70 p. 100 sont introduits ici de façon clandestine par des trafiquants internationaux. Ces immigrants paient de fortes sommes pour arriver ici; les demandeurs chinois paient jusqu'à 50 000 $ US chacun pour se rendre au Canada.

Les gens confondent souvent les demandeurs d'asile et les réfugiés. Il faudrait que tout le monde comprenne bien que ce ne sont pas des réfugiés: ce sont des personnes qui prétendent être des réfugiés. Nous en avons reçu 37 000 l'année dernière. Ces gens arrivent ici, le plus souvent avec des faux documents parce qu'il n'est pas possible d'embarquer sur un avion sans posséder des documents. Ils obtiennent des documents, ils arrivent ici, ils présentent une demande de statut de réfugié et ensuite, ils sont tranquilles. Nous ne savons rien à leur sujet. Bien souvent, nous ne savons même pas d'où ils viennent, ni sur quel vol ils sont arrivés. Aucun d'eux ne fait l'objet d'une vérification de sécurité. Ils n'ont à passer aucun examen médical et l'on ne connaît rien de leur casier judiciaire. Ces gens disparaissent dans la brume. C'est une menace très grave si l'on pense à ce qui s'est produit le 11 septembre.

Le projet de loi ne fait rien pour remédier à ce problème et j'estime que c'est là sa principale lacune. Il ne contient aucune disposition qui pourrait empêcher ces gens de venir au Canada, en fait, il pourrait même faciliter leur arrivée. Certains articles du projet de loi vont faciliter grandement l'arrivée de ces personnes et rendre plus difficile leur expulsion. M. Fairweather a mentionné le fait que les personnes à qui l'on refuse le statut de réfugié sont très rarement expulsées. Cela s'explique par le nombre des niveaux de révision, par les tribunaux et les avocats qui représentent ces personnes. Il est pratiquement impossible de nous débarrasser des gens que nous ne voulons pas voir au Canada. Voilà la réalité.

En 1999, 58 p. 100 des affaires entendues par la section de première instance de la Cour fédérale étaient des affaires de réfugié. Cela indique quelque chose. On peut voir à la première page du Ottawa Citizen de ce matin un visage qui m'est familier, celui de Mahmoud Mohammad, un terroriste qui a lancé une grenade sur un avion d'El Al à l'aéroport d'Athènes et qui a ensuite tiré à la mitraillette sur les passagers. Il a été mis en prison en Grèce. L'OLP a obtenu sa libération. Il s'est rendu en Espagne, a pris une autre identité et est arrivé au Canada en 1987. Nous avons découvert qu'il était ici, nous avons tenu des audiences pour l'expulser du pays mais il est toujours au Canada. L'affaire est encore devant les tribunaux.

Le projet de loi C-11 ne fait rien pour ce genre de situation. En fait, il ajoute d'autres niveaux de révision. Il prévoit un autre niveau d'appel devant la CISR et un autre examen des risques avant le renvoi. Après avoir passé par toutes les étapes, la Cour suprême et les autres, l'avocat peut demander un examen des risques avant le renvoi, ce qui bloque le dossier et permet de repartir à zéro. Cela est, d'après moi, tout à fait insatisfaisant.

Le Canada n'est pas le seul pays à connaître des problèmes du fait des demandeurs d'asile. C'est un problème international. Les pays européens, les États-Unis et l'Australie ont adopté des mesures pour essayer de mieux gérer ce problème. Nous n'avons rien fait à ce sujet. À la différence de l'Europe, des États-Unis et de l'Australie, nous avons regardé la situation sans rien faire, et ce projet de loi ne fait aucunement avancer les choses.

J'ai joué un rôle dans la préparation de la loi actuelle, comme je vous l'ai mentionné. Nous avons conçu un système pour les réfugiés que M. Fairweather a qualifié d'un des plus généreux au monde. Nous avons toutefois choisi ce système parce que nous utilisions dans le projet de loi la notion de tiers pays sûr. L'idée était que, si les gens arrivant au Canada après être passé par des pays où ils auraient pu obtenir une protection, cela voulait dire qu'ils ne venaient pas au Canada pour des raisons de sécurité. Ils venaient ici pour d'autres raisons: pour travailler, pour faire instruire leurs enfants et parce que le Canada est un beau pays. Ils ne venaient pas ici pour demander une protection. Le processus applicable aux demandeurs d'asile est conçu pour empêcher que ces personnes soient persécutées. Nous avons utilisé dans ce projet de loi la notion de tiers pays sûr. Les personnes qui arrivaient au Canada en provenance des États-Unis ou d'un pays d'Europe n'auraient pas eu le droit de demander le statut de réfugié. Elles auraient été renvoyées chez elles. Elles bénéficiaient déjà d'une protection aux États-Unis et en Europe. Ces pays s'occupent des réfugiés aussi bien ou mieux que nous. Sachant que de cette façon la commission ne serait pas débordée par le nombre des demandes, nous avons conçu un système très généreux. Trois jours avant le vote sur le projet de loi, le ministre a annoncé que le projet de loi serait adopté mais pas les dispositions relatives aux tiers pays sûrs. Ceux qui avaient rédigé le projet de loi savaient que ce serait un échec et depuis cette date, plus de 400 000 demandeurs d'asile, soit près d'un demi-million, sont arrivés au Canada.

Il est possible que la plupart des Canadiens acceptent fort bien cette situation. Cependant, je crois que le 11 septembre a considérablement modifié la situation. Nous vivons dans un autre monde et nous devons être plus stricts. Ce projet de loi ne contient aucune disposition visant à restreindre l'entrée au Canada.

Je pourrais vous énumérer toutes les mesures que les pays d'Europe prennent à l'égard des demandeurs d'asile. Je vais me contenter de vous donner une idée de ce qui peut se faire. Tous les pays d'Europe ont adopté la notion de tiers pays sûrs. Lorsque quelqu'un vient en Europe d'un pays qui est considéré comme sûr, c'est-à-dire qui a signé la convention de l'ONU et a de bons antécédents en matière de droits de la personne, cette personne n'a pas le droit de présenter une demande de statut de réfugié et fait l'objet d'une mesure d'expulsion qui est exécutée rapidement. L'Europe a également adopté le critère du pays d'origine sûr. L'Allemagne a dressé une liste des pays qui sont considérés comme étant des pays sûrs. Tous les pays de l'Union européenne sont sûrs, tout comme ceux de l'Amérique du Nord, la Bulgarie et la Roumanie. Cette liste est longue et les personnes qui arrivent en Allemagne en provenance de ces pays n'ont pas le droit de présenter une demande d'asile et de bloquer le système, pour la raison que ces pays sont démocratiques, ont de bons antécédents en matière de respect des droits de la personne et qu'il s'agit d'États de droit. Ces personnes sont donc renvoyées chez elles.

Ces pays ont également adopté la notion de demande frivole. Lorsqu'on découvre que l'auteur d'une demande de statut a fait des déclarations contradictoires, que son histoire ne tient pas et que sa demande n'est pas fondée, il existe un mécanisme qui permet de l'expulser rapidement et facilement et sa demande n'est pas examinée.

Il y a aussi les demandes abusives. Les gens qui arrivent sans aucun document ou avec de faux documents et qui refusent de collaborer avec les autorités, c'est-à-dire qui refusent de dire aux autorités dans quel pays ils ont obtenu leurs documents et pourquoi ils ont été obligés de les utiliser, sont considérés comme ayant présenté une demande manifestement non fondée et peuvent être expulsés rapidement. Ces pays ont signé des ententes de réadmission avec d'autres pays qui obligent ces derniers à reprendre les demandeurs d'asile qui n'ont pas été acceptés. Dans le cas de l'Allemagne, si un pays ne reprend pas ces personnes, l'Allemagne coupe l'aide au développement. L'Allemagne a adopté des mesures très strictes dans ce domaine.

Il y a aussi la possibilité d'expulser la personne qui a logé un appel. Dans la plupart des pays d'Europe, en particulier en France, en Suède, en Suisse et en Allemagne, un demandeur d'asile peut faire appel mais il est expulsé en attendant l'audition de l'appel. Ces pays ne permettent pas à ces personnes de demeurer sur leur territoire. S'il est fait droit à son appel, cette personne peut alors revenir dans le pays concerné.

L'aide sociale est un autre sujet de préoccupation. La plupart des pays interdisent de travailler aux demandeurs d'asile. Aux États-Unis, les demandeurs d'asile n'ont pas droit à l'aide sociale et ils ne peuvent pas non plus travailler pendant six mois. Lorsque cette loi a été adoptée, le nombre des demandeurs d'asile aux États-Unis a chuté de 40 p. 100. Pourquoi? Parce que la plupart de ces personnes veulent demander asile aux États-Unis, elles ne veulent pas attendre des heures devant les bureaux de l'immigration. Il existe une forte corrélation entre les pays où l'immigration est forte et ceux où il y a beaucoup de demandeurs d'asile, comme, par exemple, l'Inde, le Pakistan, le Sri Lanka, la Hongrie et l'Iran. Cela veut dire que ces pays sont parmi les premiers pour ce qui est du nombre des immigrants mais également pour celui des demandeurs d'asile.

Ce projet de loi est tout à fait inefficace et devrait être complètement repensé. Toutes les mesures dont je viens de vous parler ont été approuvées sans réserve par le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés. Pourquoi est-ce que ce projet de loi ne s'attaque pas à ce problème? Pourquoi n'adoptons-nous pas des mesures semblables? Nous ne faisons rien et laissons 45 000 personnes demander l'asile dans notre pays. Il y en aura beaucoup plus que 45 000 dans un an ou deux puisque les Européens ferment leurs frontières; les trafiquants et les contrebandiers savent quels sont les pays faciles. Nous avons la réputation de ne pas être très sévères pour les criminels, pour les demandeurs d'asile ni sur les questions de sécurité.

Ce projet de loi ne tient aucun compte du fait qu'il y a eu le 11 septembre. Je ne dis pas que nous devrions écarter la notion de justice fondamentale. Je dis simplement que nous pouvons être généreux mais pas irresponsables. Il n'est pas surprenant que nos voisins du Sud s'inquiètent de ce que nous faisons ici parce que nous refusons de faire face à la réalité suivante: une bonne partie de ces gens pourraient être des terroristes. Je ne dis pas que les 400 000 demandeurs d'asile sont des terroristes mais il suffit qu'il y en ait cinq ou six voire 25, comme nous l'avons constaté le 11 septembre. Nous devons être plus sévères.

Le projet de loi va encore plus loin que cela. Il a élargi la définition de «réfugié» de la convention de l'ONU. Tous les pays européens et les États-Unis essaient de restreindre la définition mais nous l'avons élargie. Nous allons désormais accorder une protection à toute personne qui entre au Canada et affirme avoir besoin de protection. Voilà ce que dit ce projet de loi. C'est une erreur.

Nous faisons aussi beaucoup d'autres choses. Nous parlons d'accorder une audience équitable à toute personne qui arrive au Canada et prétend être persécutée. Ce droit va être reconnu par ce projet de loi mais cela va nous empêcher de faire quoi que ce soit pour écarter, dès la première étape, les gens qui viennent au Canada et qui ne sont manifestement pas des réfugiés. Ces dispositions accordent à tous ceux qui prétendent être persécutés le droit à une audience équitable. «Une audience équitable» veut dire «devant les tribunaux». Lorsque ces gens sont au Canada, il est extrêmement difficile de les expulser. Nous expulsons du Canada 7 000 personnes par an environ et 4 000 à 5 000 de ces personnes sont des demandeurs d'asile dont la demande a été rejetée. Où sont passés les autres? Nous ne savons pas où ils sont et nous ne les cherchons pas. Nous n'avons pas suffisamment de ressources pour le faire.

Vous vous demandez peut-être pourquoi l'on parle aux États-Unis d'harmoniser nos systèmes de traitement des réfugiés et nos frontières. Cela n'est guère surprenant; il est facile d'entrer dans notre pays et tout le monde le sait.

M. William Bauer: Comme l'a mentionné M. Bissett, en plus des 40 ans que j'ai passé dans la fonction publique et des quatre années à la CISR, cela fait six ans que je fais de la recherche sur le système de traitement des demandes de statut de réfugié et sur les migrations dans le monde au point où ma femme vient de me lancer un ultimatum cet été: je dois finir le livre d'ici la fin de l'année ou elle me quittera. C'est peut-être mon chant du cygne, soit comme conjoint soit comme chercheur.

Je suis heureux d'avoir la possibilité de parler à la Chambre de réflexion par le truchement de ce comité parce qu'il faut absolument réfléchir à ce projet de loi, non pas une fois, mais deux ou trois fois. C'est un mauvais projet de loi.

Je ne représente personne. Je témoigne à titre personnel. Je ne représente aucun organisme. Personne ne me paie. Je n'ai aucun revenu provenant de l'immigration ou du traitement des demandes de réfugié. Cela fait longtemps que je suis à la retraite et je vis avec ma petite pension.

Quelqu'un a déjà dit: «Les points d'entrée de notre pays sont congestionnés à cause des milliers de demandeurs de statut qui espèrent éviter ainsi le processus d'immigration normal. Ces immigrants pleins d'espoir savent qu'en revendiquant le statut de réfugié, ils vont gagner du temps et obtenir peut-être le droit de rester au Canada. Il demeure qu'ils profitent du système et que cela pourrait avoir des conséquences très graves pour eux-mêmes et pour les autres. Le Canada est considéré comme une proie facile. Je crains que la question des réfugiés dépasse la capacité de notre système et devienne une grave source d'instabilité internationale. Cette question est devenue aujourd'hui une source de friction pour les pays hôtes et elle a parfois créé des conflits entre certains pays. On consacre également à ce problème des sommes d'argent considérables qui devraient aller au développement international.»

On dirait que cela date d'hier mais c'est Lloyd Axworthy, le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration de l'époque, qui a fait cette déclaration en 1983. À l'époque, il s'inquiétait du fait que 3 500 demandeurs de statut étaient arrivés au Canada et que notre système n'arrivait pas à traiter toutes ces demandes. Il y avait un arriéré de 1 400 dossiers. L'année dernière, nous avons eu 34 253 demandeurs de statut, et nous avons traité 24 000 demandes; 4 685 demandeurs ont complètement disparu. Nous ne savons pas où ils sont. Il y a 18 ans, 78 p. 100 de ces demandeurs voyaient leur demande rejetée. Le chiffre pour l'année dernière était de 42 p. 100.

J'insiste sur le fait que Lloyd Axworthy, un des ministres les plus généreux et les plus libéraux qui ait jamais eu le portefeuille de la citoyenneté et de l'immigration ou des affaires étrangères, parlait en 1983, époque où nous recevions environ 600 à 800 réfugiés par mois. Nous en recevons à l'heure actuelle l'équivalent de 600 par semaine, toutes les semaines. Cela continue et ne pourra qu'augmenter.

Cela dit, je crains que ce projet de loi, qui va demeurer pratiquement inchangé pour les 20 prochaines années s'il est adopté aujourd'hui sans modification, ne donne aux Canadiens l'impression que l'on fait quelque chose pour résoudre le problème. Cela est dangereux parce que l'on sent que la population canadienne accepte de moins en moins bien la situation; les Canadiens sont pourtant des gens généreux, accueillants et compatissants qui ont toujours accepté, depuis 1956, les réfugiés qui se trouvaient vraiment dans une situation désespérée. Il y a des dizaines de milliers - des centaines de milliers si mon idée de la situation est juste, de personnes qui pensent que l'on profite du système. Je crains que ces personnes ne s'apprêtent à jeter le manche après la cognée et adoptent une attitude hostile aux réfugiés qui ont véritablement besoin de notre protection à cause des tricheurs qui utilisent le système pour court-circuiter le processus de l'immigration.

L'immigrant est une personne que nous autorisons à venir au Canada, ou à qui nous demandons de le faire, après avoir vérifié son état de santé, son dossier en matière de sécurité, sa capacité d'apporter quelque chose au Canada ou sa relation avec un Canadien ou un résident permanent.

Un demandeur de statut est une personne qui choisit de verser 30 ou 60 000 $ U.S. à quelqu'un pour se rendre au Canada et qui, la plupart du temps, y reste. Nous ne choisissons ces personnes. Ce sont elles qui nous choisissent. Un État souverain ne peut tolérer une telle pratique pendant des années sans compromettre sa souveraineté, sa sécurité et même sa façon de vivre.

Je ne parlerai pas du 11 septembre. Il y avait à New York un terroriste qui avait obtenu son statut de réfugié au Canada. Il a été arrêté quelques heures avant qu'il ne place des bombes tuyaux remplies de clous dans une station de métro à New York. Il a déclaré à son procès: «J'allais me tuer et emmener avec moi autant de Juifs que je pouvais.» Il avait obtenu un statut de réfugié au Canada. Il avait essayé à quatre reprises d'entrer aux États-Unis. La quatrième fois il a été arrêté mais un juge américain l'a libéré. Cela aurait pu créer une situation très regrettable.

L'écrasement d'un avion d'Air India a été la plus grande catastrophe aérienne à l'époque. Toutes les personnes qui sont mortes dans cette catastrophe étaient canadiennes. Les auteurs de cet attentat étaient, là encore, des personnes ayant obtenu le statut de réfugié et qui livraient leur petite guerre sur notre territoire, en tant que citoyens canadiens.

Il y a toutes sortes de choses qui se passent lorsqu'on permet à n'importe qui de venir au Canada. Les Big Circle Boys sont arrivés de Chine parce que nous n'avons renvoyé personne en Chine après la fusillade de la place Tiananmen. J'ai parlé à des policiers et à des agents de l'immigration de tout cela.

Les Tigres tamouls extorquent de l'argent aux Tamouls qui sont quittés le Sri Lanka parce qu'ils étaient agressés par les Tigres tamouls. Ici au Canada, dans les rues de Toronto, la même chose leur arrive. Lorsqu'un journal publie un article critiquant les gangs ou les Tigres tamouls, ses bureaux sont incendiés.

Si nous n'empêchons pas ces personnes de s'en prendre aux membres de leur propre groupe ethnique, nous n'offrons pas aux personnes que nous autorisons à entrer au pays la protection que nous leur avons promise. Elles sont encore persécutées ici comme elles l'étaient dans leur pays d'origine.

Ce projet de loi comporte de nombreuses lacunes. J'ai lu les bleus de vos audiences de lundi. On vous a rassurés sur de nombreux points. Je suis un bureaucrate endurci et un peu sceptique et je dois vous dire qu'il y a une grande différence entre les résultats que l'on espère et ceux qu'on obtient vraiment, en particulier lorsque les ressources sont très limitées.

On vous a dit que l'on procède à une vérification de sécurité dès qu'une personne arrive au Canada. Soixante pour cent des personnes qui arrivent à un point d'entrée et demandent le statut de réfugié n'ont soit aucun document soit possèdent de faux documents. Nous ne savons pas qui elles sont. Comment peut-on faire une vérification de sécurité sur une personne qui utilise probablement un faux nom? Cela est impossible.

Revenons un instant à New York; les membres des cellules terroristes sont habituellement des jeunes qui n'ont aucun casier judiciaire, et dont les empreintes digitales ne figurent pas dans les dossiers d'Interpol. Il n'existe aucune moyen de vérifier leurs antécédents, même si nous connaissions leur identité lorsqu'ils arrivent à l'aéroport Lester B. Pearson, à la frontière de Niagara ou lorsqu'ils traversent clandestinement la réserve d'Akwasasne. C'est une fausse sécurité. Il est impossible de vérifier leurs antécédents de cette façon.

Il y a longtemps de cela, la plupart des Chinois passaient par l'Europe pour venir au Canada. Les Américains ont décidé de renforcer leurs contrôles, ce qui a entraîné une augmentation considérable du nombre des personnes qui arrivent ici sans document en provenance de Chine. On leur demande de jeter leur titre de voyage dans les toilettes ou de les remettre à la personne qui les accompagne ou encore de se cacher dans les toilettes jusqu'à ce que tous les avions aient quitté l'aéroport pour que personne ne puisse savoir sur quel vol ils sont arrivés. Il est très difficile de renvoyer quelqu'un dont on ne connaît pas l'identité, ni même le pays d'où il vient. Un pays d'accueil ne peut accepter des gens dont il ne connaît pas l'identité.

C'est une question extrêmement délicate. Je n'essaie pas de vous alarmer inutilement. Cependant, tel que rédigé, ce projet de loi ne peut que donner un faux sentiment de sécurité à celui qui le lit. Le ministre a déclaré que l'on fermait la porte de derrière pour pouvoir ouvrir davantage la porte de devant. Je prétends que nous sommes en fait en train d'ouvrir davantage la porte de derrière.

Je sais très bien comment fonctionne la CISR. J'ai quitté mon poste volontairement parce que je ne pouvais pas continuer à travailler pour cette commission. J'étais de mauvaise humeur lorsque je rentrais chez moi le soir, à cause de certaines personnes avec qui je travaillais. Il y en avait qui ne connaissaient pas le pays d'origine du demandeur de statut. D'autres étaient si paresseuses qu'elles ne rendaient jamais de décision négative. Elles ne rendaient que des décisions positives parce qu'elles n'étaient pas obligées dans ce cas d'écrire des motifs capables d'être confirmés en appel par la Cour fédérale. Seul le ministre peut interjeter appel des décisions positives lorsqu'il sait que la personne en question est un terroriste ou constitue un danger pour le pays. Cela ne se produit toutefois que très rarement.

Les deux tiers des personnes qui travaillent à la CISR n'ont reçu aucune formation. M. Fairweather affirme que la CISR a mis sur pied un excellent programme de formation. J'ai suivi ce programme. Oui, ces personnes reçoivent une formation générale et en matière de sécurité mais il faut connaître le droit. Il y a dix ans de jurisprudence à connaître. Il faut connaître également la situation mondiale. Il faut connaître les subtilités de la politique.

Je pense que si l'on avait envoyé la moitié des personnes avec qui j'ai travaillé à la CISR à l'université pendant cinq ans, elles n'auraient probablement pas acquis les connaissances nécessaires. Ces gens reçoivent un salaire de 90 000 $ par an et bien souvent, ils sont nommés à ce poste parce qu'ils n'ont pas réussi en politique, parce qu'ils ont dans leur famille des politiques qui n'ont pas réussi ou quelque chose du genre. Je ne dis pas que les politiques ne sont pas des gens compétents ou n'ont aucune connaissance. Je dis simplement que la commission n'applique pas le principe du mérite.

Nous devrions adopter une loi qui crée un cadre d'emploi permanent avec des employés à temps plein et des possibilités de carrière au lieu de faire des nominations pour un mandat de deux ans qui sont uniquement fondées sur ce que certains pensent de votre travail. Si des avocats se plaignent que vous rendez trop de décisions négatives, votre nomination n'est pas renouvelée. Je connais des gens à qui cela est arrivé. Lorsque le gouvernement change, la moitié des membres de la commission disparaissent et il arrive des nouveaux. Il faut une continuité.

Le projet de loi ne fait rien à ce sujet. En fait, il empire la situation parce qu'il autorise les formations composées d'un seul membre, ce qui va avoir un effet désastreux. Le nombre des mauvaises décisions va encore augmenter.

Je vous demande de m'excuser d'avoir pris autant de temps. C'est parce que, comme vous pouvez le constater, c'est une question qui me tient à coeur et que je connais bien. Je suis canadien et cela m'attriste de voir qu'il y a des choses que nous pourrions corriger et que nous nous contentons simplement de répéter les mêmes erreurs et même de les aggraver, tout simplement par manque de volonté politique et à cause des pressions exercées par les groupes d'intérêt.

Le président: Monsieur Manion, vous avez mentionné que vous ne vouliez pas présenter d'exposé préliminaire. Vous avez tout de même été greffier du Conseil privé et sous-ministre de ce que l'on appelait à l'époque le ministère de l'Emploi et de l'Immigration.

M. Jack Manion: Monsieur le président, je m'intéresse à l'immigration depuis 50 ans. C'est ce qui m'a amené à entrer au service de l'immigration en 1953. J'ai passé dans ce ministère les 26 années suivantes de ma carrière de 37 ans, en tant que sous-ministre pendant les trois dernières années. J'ai directement participé à presque toutes les grandes décisions sur l'immigration au cours de ces 26 années, et de façon indirecte, pendant les 11 années suivantes à cause des postes que j'occupais au Conseil du Trésor et au Bureau du Conseil privé (BCP).

Je dois vous dire, avec l'expérience que j'ai acquise, que la situation actuelle de l'immigration au Canada est un véritable scandale, et que la situation est la pire que nous ayons connue depuis que nous avons une politique en matière d'immigration. Notre incapacité à exercer un contrôle sur nos frontières compromet gravement notre souveraineté. Toutes les observations que je vais vous faire aujourd'hui reflètent des opinions que j'avais avant le 11 septembre. Les événements de cette journée n'ont fait que conforter ces opinions.

Le projet de loi qui vous est soumis va légèrement aider à resserrer le processus, dans l'hypothèse où il résistera aux contestations constitutionnelles, ce qui me surprendrait beaucoup. Il ne s'attaque toutefois pas à la source de tous ces problèmes qui est le jugement qu'a prononcé la Cour suprême en 1985 dans l'arrêt Singh qui accorde des droits constitutionnels à toute personne qui souhaite entrer au Canada.

J'étais inquiet des répercussions que pourrait avoir la Charte sur l'immigration pendant que ce projet de loi était en préparation. Le sous-ministre de la Justice de l'époque m'a assuré que la Charte ne s'appliquait pas à ceux qui n'avaient pas le droit de résider au Canada. C'est alors que l'arrêt Singh a été prononcé. Je m'excuse auprès de mon ami M. Fairweather, mais ce jugement est, d'après moi, désastreux.

En 1987, on m'a demandé, en qualité de greffier adjoint du Conseil privé, de coordonner la préparation d'une loi d'urgence sur les réfugiés. Lorsque le projet de loi a été soumis aux ministres, on m'a demandé s'il pouvait régler le problème. Je leur ai dit qu'il n'était pas possible de faire mieux mais que, d'après moi, ce projet ne résisterait pas aux contestations constitutionnelles et que la seule solution était de recourir à la clause nonobstant ou de modifier la Constitution. Je ne dis pas qu'il faut refuser à tous les étrangers la protection qu'offre la Charte mais je pense que le Canada, étant un pays souverain, doit pouvoir rendre rapidement des décisions à l'égard des personnes qui n'ont aucun lien juridique avec notre pays, comme le font pratiquement tous les autres pays au monde.

Depuis cette époque, j'ai invité tous les ministres de l'Immigration et le premier ministre actuel à s'occuper de ce problème. En 1994, j'ai écrit à l'honorable Sergio Marchi, en lui décrivant les faits et les problèmes, tels que je les voyais. En particulier, j'ai d'abord signalé que les coûts directs de l'immigration étaient deux à quatre fois supérieurs au montant de 950 millions de dollars qui avait été annoncé publiquement et ensuite, que la situation ne pourrait qu'empirer parce que le Canada n'avait pas les moyens juridiques d'exercer un contrôle sur ses frontières ou de mettre en oeuvre une politique d'immigration. Les immigrants se choisissent eux-mêmes et le Canada est devenu un refuge pour les opportunistes du monde entier. M. Marchi ne m'a pas répondu.

En 1999, au moment de l'arrivée des bateaux chinois, j'ai écrit à l'honorable ministre Caplan pour lui dire à peu près les mêmes choses et là encore, le ministre ne m'a pas répondu. Deux mois plus tard, j'ai écrit au premier ministre pour lui dire que son ministre faisait comme s'il n'y avait pas de problème et n'examinait pas les solutions susceptibles de le régler.

J'aimerais prendre la liberté de citer quelques passages de cette lettre qui résument parfaitement mon opinion sur cette question: «Ce qui me préoccupe principalement au sujet de la situation actuelle de l'immigration, c'est que personne ne semble s'apercevoir que cela met en cause une question essentielle, celle de notre souveraineté. À ceux qui voudraient que l'on adopte une politique de porte ouverte, que l'on fasse preuve de compassion à l'égard de cette dernière vague de réfugiés de la mer, je dirais que je suis tout à fait d'accord pour que nous acceptions le plus grand nombre possible de réfugiés véritables mais qu'il faut que ce soit les Canadiens et non pas des membres de gangs, ou des consultants et des avocats en immigration qui devraient établir le nombre des réfugiés qu'il convient d'accueillir. Ce n'est pas seulement un droit souverain mais c'est une responsabilité que nous avons envers tous les Canadiens. Deuxièmement, nous avons la responsabilité et le droit de veiller à ce que les personnes que nous autorisons à entrer au Canada ne constituent pas, c'est un minimum, un danger pour la santé ou la sécurité du Canada. Enfin, nous ne pouvons continuer à dépenser des milliards de dollars comme nous le faisons actuellement pour régler un problème que nous sommes impuissants à circonscrire et refuser à notre service d'immigration les ressources dont il a besoin pour, tout d'abord, adopter des mesures visant à accueillir au Canada de véritables réfugiés et des immigrants capables d'apporter une contribution positive à notre pays et ensuite, pour mettre sur pied des services d'application de la loi chargés de rechercher les personnes qui n'ont pas le droit d'être au Canada ou qui constituent une menace pour notre sécurité et pour notre société.»

J'ai également écrit au premier ministre: «Je sais également qu'en critiquant implicitement la Charte et en suggérant de la mettre de côté ou de la modifier de façon à pouvoir s'attaquer à ce problème, j'adopte une attitude qui ne sera guère appréciée par les personnes qui, comme vous-mêmes, sont à juste titre fières du rôle qu'elles ont joué dans son adoption. Je sais toutefois que personne ne voulait que la Charte ait pour effet de supprimer notre souveraineté dans le domaine de l'immigration et s'il y a bien quelque chose que l'on attribue aux Canadiens, c'est bien leur pragmatisme et leur capacité de s'adapter aux circonstances.»

Je n'ai reçu aucune réponse à cette lettre.

Le sénateur Beaudoin: Si je peux résumer ces exposés, je dirais qu'il y a un problème de définition. Le projet de loi ne contient pas beaucoup de définitions. C'est un domaine où il faut avoir des définitions. Avec de bonnes définitions, nous pourrions savoir ce qu'il convient d'adopter et ce qu'il ne faut pas adopter.

J'aimerais revenir à la clause nonobstant. Je suis personnellement en faveur de la Charte des droits. Je pense que notre Charte des droits est excellente. Je ne pense pas que le recours à la clause nonobstant permettrait de résoudre ce problème. Ce n'est pas là qu'est le problème, d'après moi. Les tribunaux sont là pour interpréter la Charte des droits. C'est la Constitution du Canada. Ils ont acquis une grande expérience dans ce domaine, puisqu'ils ont rendu plus de 400 décisions au sujet de la Charte.

Ma question s'adresse à M. Fairweather et à tous les autres.

Je ne vois pas la nécessité d'utiliser un tel procédé. Dès le départ, je ne pensais pas que nous aurions besoin de l'article 33. Cette disposition pourrait peut-être être utilisée en cas d'urgence mais nous ne sommes pas encore dans cette situation-là à l'heure actuelle. Monsieur Fairweather, que pensez-vous du recours à la clause nonobstant?

M. Fairweather: Je pensais que je m'étais exprimé clairement. J'ai beaucoup d'affection et de respect pour les personnes qui sont ici. Cependant, la clause nonobstant a été insérée, d'après ce que je sais, pour que les provinces de l'Alberta et du Manitoba acceptent d'appuyer ce changement constitutionnel majeur.

Le président a déclaré que les sénateurs savaient ce qu'étaient des fausses accusations. Je vais utiliser une autre expression. C'était un simple écran de fumée, assez bien préparé, d'ailleurs. Le gouvernement du Canada a indiqué clairement qu'il n'avait aucune intention de recourir à la clause nonobstant. Il y a quelques provinces qui l'ont fait, ce qui est assez triste, d'après moi.

Je suis d'accord avec vous, sénateur Beaudoin. Le problème vient de la GRC, du SCRS, de l'Immigration et du fait qu'on n'expulse personne. On lance ici des chiffres comme s'il y avait des centaines de profiteurs. J'aimerais que l'on donne la source de ces chiffres.

La CISR a toujours été très embarrassée de constater que les demandeurs de statut déboutés n'étaient jamais expulsés du Canada. Le ministère de l'immigration n'a pas le personnel qu'il faudrait pour procéder à l'expulsion des gens qui ont profité du système. La plupart des immigrants et des demandeurs de statut se trouvent au Canada de façon tout à fait légitime. Il ne faudrait pas exagérer.

Le sénateur Beaudoin: De toute façon, ce projet de loi ne contient pas de clause nonobstant.

M. Fairweather: Non.

Le sénateur Beaudoin: Cependant, puisque cela a été proposé par un spécialiste, j'aimerais en parler. Je pense que le problème ne vient pas de là.

M. Bauer: Sénateur, je ne partage pas personnellement cette opinion au sujet de la clause nonobstant pour deux raisons. Tout d'abord, cette clause a été utilisée dans des circonstances spéciales, ce qui est regrettable. Il ne serait pas souhaitable de soulever une telle controverse politique à l'heure actuelle.

Le deuxième point est que cela ne servirait à rien. Il n'y a pas au Royaume-Uni de Charte des droits et libertés. Le droit repose sur la common law et maintenant, sur la Déclaration européenne des droits de l'homme. Tous les pays européens sont liés par leurs lois sur les droits de la personne. Ils peuvent prendre des mesures en s'appuyant sur ces lois, ce qui leur donne un pouvoir tout aussi efficace que celui que nous donne la Charte des droits et libertés.

Cependant, le Royaume-Uni n'a rien pu faire à ce sujet, avant les événements, parce que les tribunaux ont déclaré que ces personnes avaient droit à la justice fondamentale et à toutes les choses que l'on trouve dans la Charte des droits et libertés. Même en utilisant la clause nonobstant, on arriverait au même résultat devant les tribunaux avec la common law et les précédents. Je tiens à être certain que vous ne pensez pas que je proposais cette solution. Je pense qu'elle ne donnerait aucun résultat parce que cela fait bien longtemps qu'il est impossible de supprimer certains droits à quelqu'un qui est jugé par un tribunal canadien.

Le sénateur Beaudoin: La question des définitions est très délicate et très importante. Vous êtes nombreux à avoir dit que nous étions quelque peu généreux. Il est peut-être temps de définir plus clairement le terme «immigration» ainsi que certains autres que nous employons dans le projet de loi de façon à savoir exactement ce que nous entendons faire. Êtes-vous d'accord, monsieur Bauer?

Vous avez déclaré qu'il fallait apporter de nombreuses modifications au projet de loi. Toutefois, nous pourrions peut-être faire avancer énormément les choses en précisant un certain nombre de définitions.

M. Bauer: Je regrette, monsieur le sénateur, mais je ne le pense pas. Les définitions sont bien toutes là. C'est la volonté politique qui fait défaut, ainsi que les définitions devant permettre aux responsables d'assumer pleinement leurs obligations.

Il y a aussi un manque de ressources. On est passé de 7 000 à 4 000 agents d'immigration ces dernières années. Ils ne peuvent pas faire le travail. Imaginez un avion gros-porteur qui arrive à minuit, le responsable chargé du contrôle des passagers de ce vol ayant déjà toute une journée de travail derrière lui. Comment va-t-il pouvoir interroger tout le monde et prendre des notes permettant d'asseoir sa crédibilité lors d'une audience en bonne et due forme? C'est impossible.

J'ai parlé à des dizaines d'agents de police, et la coordination des services n'est pas bonne. La GRC ne collabore pas avec la police de Toronto ou de Montréal. Les problèmes se trouvent dans la loi et en dehors de la loi. Ce n'est toutefois pas un problème de définition, c'est une question de volonté d'agir. C'est ce que je pense, en tout cas.

Le sénateur Beaudoin: Ce n'est pas de définitions mais d'une meilleure collaboration dont nous avons besoin.

M. Bauer: C'est un bon slogan.

Le président: Meilleur que celui qui consiste à dire: «notre pays est fort.»

M. Bissett: Je tiens simplement à dire que je ne suis pas d'accord avec M. Bauer ni avec M. Manion. Il est indéniable que la Charte a gêné la mise en place de mesures plus strictes à l'encontre des demandeurs d'asile. J'ai évoqué les mesures mises en place par les Européens. Si nous les mettions en oeuvre au Canada, il est probable qu'elles se heurteraient à la Charte et qu'elles seraient déclarées nulles et inopérantes.

Je vais vous donner un exemple. En 1992, l'Allemagne a reçu 438 000 demandeurs d'asile. C'était un chiffre alarmant. Ce pays était la cible privilégiée des demandeurs d'asile du monde entier en raison de sa constitution très généreuse. À l'issue du régime nazi, la nouvelle Allemagne s'était dotée d'une constitution parmi les plus libérales du monde. Elle était à la hauteur des dispositions de notre Charte des droits et libertés. Il n'en reste pas moins qu'en présence de 438 000 demandeurs d'asile en 1992, l'Allemagne a rapidement modifié sa constitution en 1993 et a mis en application toutes les mesures que j'ai évoquées aujourd'hui. L'année dernière, l'Allemagne n'a enregistré qu'un peu plus de 90 000 demandes d'asile. Il lui a fallu pour cela changer sa constitution.

Nous pouvons éventuellement nous accommoder de 45 000 demandes cette année et peut-être même de 80 000 l'année prochaine, mais lorsque nous atteindrons 100 000 ou 200 000 demandes, j'ai bien peur qu'il nous faille faire quelque chose. Quoi que nous fassions, et même si nous détestons agir ainsi, il nous faudra bien invoquer la disposition d'exemption, c'est inévitable. Ce n'est qu'une question de temps.

Le sénateur Beaudoin: Il nous faut donc régler la question du processus d'octroi d'un asile.

M. Bissett: C'est indispensable.

M. Lorne Waldman: Monsieur le président, j'ai annoncé aux gens de la Colline que j'étais convoqué par le Sénat et plusieurs personnes ont failli s'évanouir. Si je ne rentre pas chez moi, la situation sera grave.

Le sénateur Wilson: Je félicite M. Fairweather d'avoir cité l'affaire Singh parce que je considère que ce fut un tournant positif. J'ai siégé à la commission du statut de réfugié pendant six ans et je suis au courant de la formation qui s'y est faite. Je vous appuie aussi sur ce point.

Vous nous avez dit que le SCRS et que la GRC ne devraient pas retenir l'information comme ils le font. Pouvez-vous approfondir la question? Dans quelle mesure une bonne répartition des responsabilités influe sur les décisions?

M. Waldman: Je ne vois pas pourquoi les renseignements transmis par ces organismes du gouvernement ne pourraient pas être utilisés pour informer ou avertir les agents d'immigration chargés de prendre les grandes décisions concernant les gens qui entrent chez nous. Que font ces responsables s'ils ne communiquent pas les renseignements?

Le sénateur Wilson: Il n'y a aucun moyen systématique de le faire à l'heure actuelle.

M. Waldman: On me dit que les querelles de clochers sont fréquentes. M. Manion m'affirme qu'il n'en est rien. Très bien, il vous dira qu'il n'en est rien.

M. Manion: Monsieur le président, ce n'est pas vraiment ce que j'ai dit à M. Fairweather.

Le président: Merci d'être venu.

M. Waldman: Ce fut un plaisir pour moi.

M. Manion: Il est indéniable qu'il y a des querelles de clochers et un manque de coordination, mais la police et le personnel chargés des renseignements ne manquent pas d'informer les agents d'immigration lorsqu'il y a un problème. Il est possible qu'ils ne transmettent pas aux agents d'immigration tous les détails du dossier qui leur fait dire qu'il y a un problème. Parfois, cette information provient des services de renseignement ou d'informateurs susceptibles d'être mis en danger au cas où cette information viendrait à être connue.

Il y a toutefois une notification - du moins c'était le cas à mon époque - qui est faite aux responsables pour signaler qu'il y a un problème sur le plan de la sécurité ou de la criminalité, selon le cas. En ma qualité de sous-ministre, j'ai toujours eu le droit, en dernier recours, de rencontrer les responsables de la GRC et de leur demander ce qu'ils savaient précisément, ce qui m'a toujours été communiqué.

M. Collacott: Je reviendrai sur ce que M. Manion a déclaré dans son exposé et sur ce que M. Bissett a repris, à savoir que la Charte a eu de profondes répercussions sur le processus de reconnaissance du statut de réfugié. Le vérificateur général l'a indiqué dans le rapport que j'ai évoqué tout à l'heure. Il va sans dire qu'il n'a pas recommandé le recours à la disposition d'exemption - ça n'a pas été indiqué.

Une disposition du projet de loi C-11 prévoit que toute personne qui veut entrer au Canada doit se voir appliquer des normes, des politiques et des procédures conformes à la Charte des droits et libertés. Dans la pratique, cela permet non seulement aux personnes parvenues illégalement sur notre territoire, mais aussi à n'importe quel habitant du monde, à tous ceux qui veulent entrer au Canada, d'invoquer automatiquement cette disposition. Du moins, c'est ainsi qu'on peut l'interpréter. Là encore, c'est une véritable aubaine pour les avocats étant donné que l'on peut intenter des poursuites partout dans le monde.

L'une de nos difficultés à l'heure actuelle, c'est que nos agents d'immigration sont tellement harcelés par les avocats et par les consultants qu'ils ne peuvent pratiquement plus faire leur travail. M. Kurland, de LEXBASE, que vous avez entendu précédemment, a pu consulter des rapports d'information de nos missions de Moscou et de Kiev, qui affirment que ces missions doivent faire face à un tel nombre de sollicitations qu'elles ne peuvent pas vraiment suivre tous les dossiers des criminels éventuels. Il leur faut absolument atteindre le quota annuel de visas, ce qui les empêche de contrôler à fond les dossiers.

Le sénateur Di Nino: Pour reprendre la question posée par le sénateur Robertson il y a quelques minutes, par où commencer? On nous a fait des observations judicieuses. Je voulais en citer quelques-unes mais, comme nous n'avons pas beaucoup de temps, je m'en abstiendrai.

La ministre et les sénateurs appartenant au parti du gouvernement nous ont adjurés d'adopter rapidement ce projet de loi parce que la ministre en avait besoin pour s'acquitter de sa tâche, notamment après ce qui s'est passé le 11 septembre. Mme Caplan a répété partout ces propos. Les fonctionnaires du ministère nous ont dit par ailleurs que ce projet de loi ne verrait pas le jour avant le printemps, au plus tôt. L'association du barreau nous a fait savoir que le gouvernement lui avait dit qu'il s'était donné l'échéance du 1er juillet 2002.

Voici la question que je vous pose à tous et à laquelle j'aimerais que vous me répondiez. Est-ce que le projet de loi C-11 règle quoi que ce soit dont ont besoin la ministre et le gouvernement du Canada pour s'acquitter aujourd'hui de leurs obligations.

M. Bissett: Je considère que c'est le contraire. Il y a dans le projet de loi des dispositions d'ordre administratif qui, à première vue, semblent renforcer par exemple la lutte contre le terrorisme. On peut citer les amendes imposées aux organisateurs du trafic, qui ont été fortement augmentées. Voilà qui paraît bel et bon, mais en réalité nous n'attrapons jamais les organisateurs du trafic. Ceux qui arment les bateaux chinois qui se rendent à Vancouver habitent en Chine. Ils ne viennent pas chez nous. Ils engagent des marins coréens qui conduisent les navires jusqu'à nous. C'est une mesure apparemment excellente, mais qui n'a aucune signification. Je suis bien content que l'on ait porté les amendes à 1 million de dollars, mais les organisateurs du trafic continueront à courir.

D'autres dispositions du projet de loi vont dans le même sens. Le gros problème, c'est celui de l'asile, jusqu'à 40 000 personnes se trouvant sur notre territoire sans que nous sachions exactement où elles se trouvent. Aucune disposition du projet de loi ne règle ce problème. Au contraire, le projet de loi rend la chose plus facile. Contrairement à d'autres pays qui, dans le monde, s'inquiètent du fait que la définition de l'ONU est trop large, ce projet de loi élargit encore la définition de l'ONU. On nous dit que n'importe quelle personne peut arriver chez nous, faire état d'une persécution et obtenir que sa cause soit entendue en bonne et due forme. Cela signifie qu'elle va pouvoir rester sur notre territoire pendant deux à trois ans. Dans cet intervalle, on peut toujours se marier, comme l'a dit Tom Kent dans son article.

Le but du jeu, ce n'est pas d'obtenir une protection, mais d'arriver à entrer. Une fois que vous êtes sur le territoire, vous n'avez plus de souci à vous faire. Les organisateurs du trafic le savent et c'est ce qu'ils garantissent aux demandeurs. Ils leur disent: «Ne vous inquiétez pas, nous allons vous faire entrer au Canada avec de faux papiers et, une fois sur le territoire, nous vous garantissons deux années de sursis après quoi ce sera à vous de jouer.»

Le problème est là. Le projet de loi n'en tient pas compte. Il rend la chose plus facile. Il élargit la définition d'un réfugié. Pour quelle raison? Tous les autres pays du monde sont conscients du problème. La définition de l'ONU est très large. Nous l'élargissons maintenant à toute personne ayant besoin de protection. Nous intégrons les dispositions de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Ceux qui arrivent aujourd'hui - et il y a deux affaires en instance devant la Cour suprême - sont des terroristes ou des meurtriers en mesure d'affirmer que si nous les renvoyons chez eux, ils risquent la torture. Nous ne pourrons pas les renvoyer chez eux. C'est une chose qui m'inquiète.

Le sénateur Di Nino: La ministre n'a pas besoin du projet de loi C-11 pour accomplir la tâche qu'elle allègue. C'est bien ça?

M. Bissett: Non, elle n'en a pas besoin.

Le sénateur Di Nino: Je ne veux pas parler à votre place, mais c'est la question à laquelle j'aimerais avoir une réponse.

M. Bissett: Ce projet de loi présente de sérieuses lacunes. Il facilitera l'entrée des gens et nous compliquera la tâche lorsque nous voudrons nous en débarrasser. La loi actuelle n'est pas parfaite, mais elle permet pratiquement d'obtenir tout ce qu'on obtient avec ce projet de loi. Si le gouvernement avait le courage de faire jouer la règle du tiers pays sûr, la CISR n'accepterait pas à Toronto 75 p. 100 des dossiers mexicains. Pouvez-vous imaginer la chose? Soixante-quinze pour cent des Mexicains qui entrent au Canada et qui réclament un statut de réfugié sont agréés par la CISR à Toronto.

M. Collacott: Je pense qu'il serait tout à fait déraisonnable d'adopter ce projet de loi à la hâte, notamment après ce qui s'est passé le 11 septembre. Les Américains penseraient que nous sommes devenus fous si nous l'adoptions sous sa forme actuelle. Je constate que la ministre de la Justice a déclaré qu'elle avait besoin de revoir à fond son projet de loi pour bloquer les levées de fonds effectués par les terroristes. Je ne vois pas pourquoi il n'en va pas de même avec le projet de loi C-11 étant donné que depuis le 11 septembre la situation a complètement changé.

Il y a des problèmes bien plus fondamentaux que l'on doit réexaminer. J'imagine que je suis le seul à avoir abordé l'immigration en plus de la protection des réfugiés. Je suis très inquiet des attaques portées à l'encontre des membres de nos minorités. Ma femme fait partie d'une minorité. Je pense que ce n'est que la pointe de l'iceberg si l'on veut examiner de manière bien plus approfondie tout ce qui se passe ici.

Ce serait une grosse erreur de ne pas revoir à fond les différentes parties de ce projet de loi. Disons-le bien franchement, ce serait catastrophique.

M. Manion: Je suis bien d'accord.

Le sénateur Di Nino: Monsieur Bauer, vous avez déclaré qu'à votre avis cet exercice «visait à donner l'impression aux Canadiens que l'on faisait quelque chose.» C'est ce que vous avez déclaré. Je pense que je vous cite correctement.

M. Manion: Oui, en effet.

Le sénateur Di Nino: Pouvez-vous nous donner davantage de précisions?

M. Bauer: Je vais vous parler franchement, si vous me le permettez, monsieur le président. Je vais vous parler d'un cas particulier, mais je pense qu'il illustre bien la situation. Lorsque le Comité de la citoyenneté et de l'immigration de ce que j'appelle l'autre Chambre est en déplacement, il va à Montréal, à Toronto, à Vancouver et à Winnipeg. En lisant le procès-verbal de ces séances, je peux voir que ce sont toujours les mêmes qui témoignent. Il y a entre autres le Conseil canadien pour les réfugiés. C'est un groupe qui représente 160 organisations et qui est allé à Durban accuser le Canada d'avoir des politiques d'immigration xénophobes et racistes, ce qui est une honte. Toutes sortes de groupes de pression viennent témoigner. Si l'on excepte M. Collacott à Vancouver, je ne me souviens pas qu'un seul citoyen canadien désintéressé soit venu témoigner lors des dernières consultations menées au sujet de ce projet de loi. Les citoyens travaillent tous. Ce ne sont pas des fonctionnaires à la solde des ONG et des groupes de pression. Ce ne sont pas des avocats payés pour faire ce travail - on en compte environ 600. Ce sont de simples citoyens qui sont très mécontents. Régulièrement ils font état de leur mécontentement et tout le monde leur répond: «Ne vous en faites pas.» La ministre Caplan est allée en Chine discuter avec les responsables corrompus du bureau de sécurité. Ces derniers lui ont dit: «Nous ne laisserons plus partir personne.» Elle nous affirme alors «Tout est réglé désormais. Nous ne verrons plus arriver de Chinois sur la côte Ouest.» J'ai rédigé pour le Reader's Digest un article qui a été publié le jour même où les navires ont débarqué sur l'île de Vancouver.

Le sénateur Di Nino: Je l'ai lu.

M. Bauer: Les responsables de la publication du Reader's Digest ont déclaré que depuis que la revue existait aucun article n'avait suscité autant de lettres envoyées par des Canadiens. Ils ont affiché au côté de l'article un grand nombre de lettres sur leur site Internet. Je les ai lues. Elles n'émanent pas d'extrémistes, de racistes, de membres de l'Heritage Front ou de nazis. Ce sont des Canadiens mécontents qui nous disent: «Qu'est-ce que c'est que ça?» Ils nous demandent «de renvoyer ces gens», ce que nous ne pouvons pas faire. Ce n'est pas quelque chose que je préconise. Ce qui préoccupe véritablement la population canadienne, c'est qu'elle a toujours estimé que le gouvernement et que la CISR s'occupait de la question des réfugiés. Elle a vu ce qui s'était passé pour les Hongrois et pour les réfugiés de la mer indochinois. Elle en a ressenti de la fierté. Elle a accueilli les Kosovars. Elle l'a fait de bon coeur et avec fierté. Pourtant, elle sait qu'il y a de mauvais éléments au sein du système et que personne ne fait rien pour corriger la situation. Ce projet de loi ne va faire qu'empirer les choses.

Le sénateur Di Nino: Monsieur Manion, l'une des choses qui nous inquiètent particulièrement au sujet de ce projet de loi, c'est le fait que c'est un projet de loi cadre, qui semble donner à la ministre d'énormes pouvoirs de réglementation. Il semble que nous allons légiférer sous forme de règlement. Qu'avez-vous à dire à ce sujet compte tenu de la formation qui est la vôtre? Est-ce justifié? Est-ce une bonne chose?

M. Manion: Monsieur le président, il me faut bien dire que c'est à mon avis justifié. L'immigration est un domaine qui évolue constamment. C'est se lier les mains que de chercher à tout prévoir dans la loi. Nous devons pouvoir disposer d'une certaine marge de manoeuvre, et ce sont les règlements qui nous donnent cette possibilité.

Je suis quelque peu horrifié lorsque j'entends dire qu'il faudra énormément de temps pour adopter les règlements d'application de ce projet de loi. Je ne peux pas croire qu'avec tout le temps dont il a disposé pour élaborer ce projet de loi, le gouvernement n'ait pas encore rédigé la réglementation.

Je me souviens de la façon dont nous avons fait adopter en 1976 la refonte de la Loi sur l'immigration. C'était un texte d'importance majeure. Nous avons déposé devant le comité le projet de réglementation que nous avions l'intention d'adopter en application de cette loi. Elle avait déjà été rédigée et elle était prête.

Le sénateur Di Nino: Ça été fait en même temps?

M. Manion: Je ne peux pas croire que quelqu'un n'ait pas fait ce genre de travail.

Ce qui me préoccupe, ce n'est pas tant la taille des vagues d'immigration, mais leur composition. J'aimerais que les décisions prises à ce sujet le soient par le gouvernement du Canada et non pas par des escrocs, des organisations terroristes, des avocats marrons ou des consultants en immigration dénués de scrupules. Je ne veux pas dire par là qu'ils le soient tous. Ceux qui se sentent insultés par cette remarque relèvent probablement de ces catégories.

L'immigration a joué un rôle très important pour le Canada. Toutefois, à son apogée, l'immigration était placée sous la responsabilité de ministres qui savaient ce qu'ils faisaient, avec l'appui du conseil des ministres. Les décisions clés étaient prises par les ministres et non pas par des fonctionnaires ou par des groupes de pression. Je m'arrêterai là.

Le sénateur Di Nino: Avez-vous le sentiment que nous pourrions améliorer le projet de loi C-11 et faire en sorte qu'il remédie aux préoccupations que vous venez d'exprimer?

M. Manion: Je considère personnellement qu'il convient de l'oublier complètement et de recommencer à zéro.

Le sénateur LeBreton: Étant donné cette réponse, ma question n'a peut-être pas lieu d'être. J'ai pris note d'une expression que l'on retrouve dans la bouche de presque tous les témoins lors de nos délibérations sur ce projet de loi. Il s'agit «d'absence d'intégration». Il semble qu'il y ait de nombreux prés carrés. C'est toutefois une simple observation.

Je veux savoir ce que vous pensez du programme d'immigration des investisseurs du point de vue du trafic et du recyclage illégal de l'argent. Avez-vous le sentiment que le programme d'immigration des investisseurs comporte suffisamment de garde-fous ou est-ce qu'il y a là aussi d'énormes abus?

M. Manion: Je considère que le mécanisme d'accueil des réfugiés a pris tellement de place qu'il pompe pratiquement toutes les ressources du portefeuille de l'immigration. Les différents paliers de gouvernement au Canada consacrent à l'heure actuelle quelque 4 milliards de dollars par an aux questions d'immigration et d'obtention du statut de réfugié. La majeure partie de ces crédits sont dépensés en pure perte. On ne consacre pas suffisamment d'argent au contrôle de l'application des programmes. Il n'y a pas suffisamment d'argent pour superviser la délivrance des visas à l'étranger. Il n'y a pas suffisamment d'argent pour bien coordonner les programmes. On manque d'argent pour superviser certains d'entre eux. On les met en route et ils sont appliqués automatiquement par téléphone et sur dossiers. Ce n'est pas ainsi que l'on administre un programme d'immigration. Je suis horrifié par ce que je vois et par ce que j'entends dire tous les jours par des amis qui ont leurs entrées dans le service d'immigration.

Le moral du personnel d'immigration est bien bas et la situation est lamentable. Les gens du service estiment qu'ils administrent un programme bien mal conçu et bien mal dirigé, que personne ne comprend les enjeux et que l'on n'a pas suffisamment de ressources pour régler les problèmes.

Le sénateur LeBreton: Y a-t-il d'autres commentaires au sujet du programme d'immigration des investisseurs? Étant donné les quantités d'argent ayant de toute évidence été consacrées à l'organisation des attentats du 11 septembre, estimez-vous que le programme d'immigration des investisseurs s'entoure de suffisamment de garanties? Nous faisons venir des gens dans notre pays sur le simple engagement de leur part d'investir certains montants d'argent, d'établir des entreprises au Canada et d'engager du personnel. Savez-vous si ce programme a donné lieu à des abus?

M. Collacott: J'aimerais dire quelques mots à ce sujet. Ce programme a donné lieu à de graves difficultés. On a pu lire il y a 10 ans dans d'importants rapports que nous n'avions peut-être même pas besoin de ce programme étant donné que les investissements sont censés prendre la forme de capital de risque et qu'il y a déjà suffisamment de capitaux de risque au Canada. Il est très prisé par les consultants en immigration. L'ouvrage de Charles Campbell, intitulé Citizenship Fire Sale a un chapitre consacré à ce sujet. Pour l'essentiel, ce programme permet d'immigrer au Canada sans remplir les conditions que doivent respecter les immigrants normaux. En moyenne, les immigrants acceptés dans le cadre de ce programme ont relativement peu d'instruction et ne parlent ni anglais ni français. Ce programme est très couru dans certains milieux. La question se complique dans une certaine mesure du fait des dispositions spéciales s'appliquant au Québec. Il y a toutefois bien longtemps que l'on laisse entendre que le Canada n'en a pas véritablement besoin.

M. Bissett: C'est un programme sujet à de nombreux abus. Nous savons que cela s'est produit par le passé. Je suis tenté de dire avec M. Collacott que nous n'en avons pas vraiment besoin. Si des immigrants très fortunés veulent venir au Canada pour y investir leur argent, ils sont libres de le faire. Ils n'ont pas besoin de venir dans le cadre de ce programme. Ce programme peut être mis à profit, et l'a été, par la mafia russe, les triades chinoises et d'autres organisations, qui s'en sont prévalues pour s'installer au Canada.

M. Bauer: Je suis d'accord avec ce qui vient d'être dit. C'est une zone d'ombre, vous le savez, et il est difficile de savoir ce qu'il en est exactement. Même lorsqu'on poursuit certains individus, ce qui se produit tous les trois ans environ, peu de faits sont révélés. Je suis d'accord avec les autres intervenants pour dire que c'est un programme inutile. Les individus à l'origine des attentats du 11 septembre avaient beaucoup d'argent à leur disposition. C'est un excellent moyen d'installer clandestinement des agents dans notre pays en attendant de les activer, ce qui peut très bien se produire dans cinq ans. On tourne ainsi les contrôles de sécurité et tous les autres obstacles de ce genre.

Le sénateur Keon: L'un de nos témoins d'hier nous a indiqué que la conception même du projet de loi était erronée quant au fond et que nous avions besoin d'une loi regroupant les ressources dont dispose actuellement le ministère de l'Immigration avec celles qui permettent d'extirper les activités criminelles, par exemple. La loi pourrait ainsi procurer au ministère de l'Immigration les ressources lui permettant de régler intelligemment tous les dossiers qui encombrent actuellement le système.

De toute évidence, vous possédez tous, messieurs, une très grande compétence. L'un d'entre vous propose que l'on écarte purement et simplement le projet de loi et qu'on reparte de zéro. Un autre considère qu'il est totalement défectueux et qu'il convient de le renvoyer devant l'autre Chambre.

J'aimerais que vous me disiez tous les quatre ce que vous pensez que l'on doit faire de cette loi et, si elle doit être remplacée, par quel type de législation?

M. Collacott: Est-ce que vous nous invitez à rédiger une toute nouvelle loi? Après tout, sénateur, nous sommes tous à la retraite.

Le sénateur Keon: J'aimerais que vous me disiez quel est le cadre conceptuel qui doit être adopté pour que la loi soit parfaite.

M. Bauer: Monsieur le président, je ne pense pas que ce soit nécessaire. Lorsque nous vous demandons d'écarter le projet de loi et de repartir de zéro, nous ne voulons pas dire par là qu'il faut tout rejeter. Certaines parties du projet de loi ne posent aucun problème. Elles reflètent la loi antérieure, qui donne d'excellents résultats. L'année dernière, le cirque des consultations menées sur ce projet de loi a fait le tour des villes et tous les groupements d'intérêt s'en sont plaints. Lorsqu'on voit à quel point elle a été édulcorée par la suite, il suffirait que l'on organise une autre tournée pour qu'il n'y ait finalement plus de projet de loi du tout, tout le monde pouvant entrer chez nous sans passer par aucun contrôle.

On ne peut pas tout changer, mais on peut renforcer les contrôles au départ de façon à ce que l'on ait plus nettement l'obligation de consulter les responsables de la sécurité, par exemple, que l'on ait davantage de temps pour le faire et que l'on prévoit des dispositions permettant aux gens de se mouvoir librement au sein de notre société tout en contrôlant les éléments les moins recommandables.

Je dois vous avouer que le principal changement que je recommanderais serait de mettre en place une organisation ou une certaine forme de commission de la fonction publique appelée à choisir les membres de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié au fur et à mesure que les membres actuels prennent leur retraite.

En outre, j'éviterais aussi les jurys d'un seul membre. Au coeur de la question des réfugiés, il y a le problème des effectifs, qui remet constamment en cause l'efficacité du système. M. Showler est venu l'autre jour nous dire: «Nous allons rationaliser le système et accélérer l'étude des dossiers. Pour y parvenir, nous allons instaurer des jurys d'un seul membre.» Cela signifie un plus grand nombre de décisions favorables. Il y aura davantage de décisions favorables étant donné que dans ce cas les tribunaux n'ont pas à les motiver.

Il faudrait aussi interdire purement et simplement à la commission la possibilité de tenir des audiences accélérées lorsqu'il n'y a pas d'audience en bonne et due forme. Elle le fait pour toutes sortes de groupes, notamment lorsqu'il s'agit d'un grand groupe. Il s'agit des personnes qui sont en danger. Ces personnes se présentent tout simplement avec leur avocat devant un agent du contrôle des réfugiés et ont un petit entretien - tout se retrouve sur un petit bout de papier. J'ai vu ces papiers, on relit la même histoire le matin et l'après-midi pour deux demandeurs différents. C'est courant. Les avocats recyclent ce genre de choses. Ils ont des commis qui s'en chargent. Ces gens ne passent jamais devant un membre de la commission. Ils n'ont jamais à répondre à des questions lors d'une audience en bonne et due forme. Je dirais que 25 à 30 p. 100 de ces personnes sont des Sri-Lankais, des Somaliens, des Mexicains et des Argentins. Il y en a des centaines dans ce cas.

Personne ne sait rien dans un tel cas. Il est important de poser des questions pour déterminer la crédibilité d'un demandeur. Il faut de l'intelligence, des compétences et du temps pour poser des questions. Les personnes en place ne veulent pas passer leur temps à poser des questions. Il vous faut faire la part des choses entre la quantité de travail et le manque de temps. Il vous faut donc davantage de ressources et davantage de membres moins payés. Ils n'ont pas besoin de gagner 90 000 $.

M. Collacott: Je ferai des réserves de nature bien plus fondamentale pour ce qui est de l'immigration et des réfugiés. Il se peut que certaines parties puissent être sauvées, mais il me faut dire ceci. En matière d'immigration, nous avons totalement oublié les intérêts du Canada. La situation des immigrants arrivés après 1980 s'est considérablement dégradée. Il fut un temps où les immigrants gagnaient davantage que les Canadiens. En 1995, les gains des nouveaux immigrants sont tombés à 60 p. 100 de celui des immigrants antérieurs. Cela s'explique par différentes raisons, que j'ai indiquées dans mon mémoire. La pauvreté augmente, de même que le recours à l'assistance sociale. Il y a tout un ensemble de problèmes qui expliquent quant au fond les objectifs du programme d'immigration et les réactions racistes qui se font jour. Je m'en inquiète depuis plusieurs années et je l'ai écrit. Une révision complète et de fond s'impose en matière d'immigration et de statut des réfugiés.

M. Manion: À la base, la difficulté vient du fait que l'on n'a pas défini les problèmes. Les problèmes que l'on rencontre en matière d'immigration et pour ce qui est des réfugiés n'ont pas été analysés et définis comme il se doit. Nous réagissons dans tous les sens pour remédier à la situation - parfois efficacement, parfois sans aucune efficacité. Une révision de fond s'impose. Il appartient éventuellement à un comité du Sénat d'examiner en profondeur la question de l'immigration. Voilà au moins 50 ans qu'on hésite au Canada à engager publiquement un véritable débat sur les questions d'immigration. Dès que quelqu'un élève la voix, on l'accuse d'être raciste. Toute personne qui remet en cause sous une forme ou sous une autre le statu quo actuel est taxé de raciste et de fasciste et on le soupçonne d'avoir sous une forme ou sous une autre des motivations cachées.

Nous avons effectivement besoin de définir les problèmes et je ne pense pas que ce projet de loi aborde les véritables enjeux. Dans un an il vous faudra vous pencher sur un autre projet de loi, sur une autre série d'emplâtres visant à remédier à tel ou tel symptôme sans que les problèmes de fond ne soient réglés.

M. Bissett: La loi est bien structurée. Je considère qu'elle s'appuie avant tout sur celle de la Loi de 1976 sur l'immigration, qui est considérée dans le monde entier comme un modèle de législation dans ce domaine.

Des modifications ont été apportées à la loi de 1976 qui ont entamé la structure d'ensemble, mais celle-ci reste essentiellement bonne. Le nouveau projet de loi ne règle pas les véritables problèmes qui se posent à l'heure actuelle; ce n'est qu'une façade et un exercice de style. Une révision en profondeur s'impose, non seulement en matière d'immigration mais aussi pour ce qui est de la politique des réfugiés, de façon à prendre en compte les événements du 11 septembre. Le monde a changé. Nous vivions dans notre petite tour d'ivoire en pensant que rien ne pouvait nous arriver, mais ce n'est pas le cas, et il faut en tenir compte. Si nous ne le faisons pas, nos voisins vont nous y inviter.

M. Collacott: À propos de ce qu'a déclaré M. Manion, nous devons nous doter d'un cadre de décision. Dans le rapport d'étude de la loi sur l'immigration: «Au-delà des chiffres: l'immigration de demain au Canada (1998)» publié à la fin 1999, on nous fait comprendre avec une belle franchise que le principal objectif de notre politique d'immigration est démographique: de combien de personnes a-t-on besoin et pour quelle raison? Toutefois, nous n'avons pas de politique démographique. La ministre a avancé certaines raisons démographiques pour expliquer que nous ayons besoin de gens pour remplacer, par exemple, les travailleurs des générations nées après la guerre, qui vont prendre leur retraite. Ces raisons ne sont pas valables d'après les études effectuées.

En 2026, nous aurons besoin de l'immigration si nous ne voulons pas que notre population diminue. Il faut que ces questions soient examinées. Je ne prétends pas connaître toutes les réponses. Nous n'avons pas de politique démographique alors que nous reconnaissons dans la loi que c'est notre premier objectif. Nous devons nous doter d'un cadre établissant ce que nous attendons de l'immigration et en expliquant les raisons. Il n'y en a pas. Ce devrait être notre point de départ.

M. Bissett: Malheureusement, je dois vous quitter, monsieur le président. Je tiens à remercier le comité de m'avoir entendu. Je suis à la retraite. J'ai cinq enfants et dix petits-enfants, et je n'ai pas normalement l'habitude de parler publiquement des questions d'immigration et de réfugiés. En raison toutefois de ce qui s'est passé le 11 septembre et étant donné que je sais que ce projet de loi est totalement inadapté, j'ai jugé de mon devoir de me présenter devant vous.

Le président: Nous sommes heureux que vous soyez venu.

Le sénateur Robertson: Merci, messieurs, d'être venus.

Nos témoins connaissent très bien le sujet et nous devons tous autour de cette table prendre leur témoignage au sérieux. Il sera intéressant de voir ce que nous allons faire de cette information.

J'ai dit hier en comité, et je tiens à le répéter ici aujourd'hui, qu'étant donné votre sagesse, les gens vous demandent conseil. Tout particulièrement depuis le 11 septembre, le public, avec lequel je suis tous les jours ou toutes les semaines en contact dans ma province, s'inquiète de l'information qu'il reçoit en matière de politique d'immigration, concernant l'absence de contrôles et toutes les lacunes que nous avons évoquées. La ministre, quant à elle, fait savoir au Sénat que s'il n'adopte pas le projet de loi, il lui sera reproché de ne pas lui avoir donné les outils devant contribuer à corriger le défaut de sécurité.

Il est très difficile de bien informer les citoyens. J'aimerais que nous puissions faire connaître votre témoignage dans toutes les localités du Canada pour les aider à comprendre ce qui se passe.

Je n'ai pas peur des reproches mais notre institution, le Sénat, est toujours blâmée pour une raison ou pour une autre. Ce n'est pas d'aujourd'hui que nous prenons connaissance de toute cette information étant donné que presque tous les témoins que nous avons entendus nous ont déclaré que ce projet de loi était lacunaire et qu'il ne faisait rien pour améliorer le problème de la sécurité.

Nous sommes coincés. Je ne sais pas comment nous pouvons informer la population. Si vous avez cependant une solution à nous conseiller, je vous en serais très reconnaissante étant donné qu'en notre qualité de sénateurs nous sommes censés prendre bien soin de toutes ces questions.

M. Collacott: L'opinion publique est très largement en faveur de dispositions plus restrictives. On souhaite une certaine harmonisation avec les États-Unis, même si ça ne ressort pas des sondages. Toutefois, l'opinion publique s'exprime désormais bien clairement. Les groupes de pression continueront à agir. Ils appuient la ministre et ils veulent que le projet de loi soit adopté rapidement pour éviter qu'il ne soit mis au rancart.

Je ne suis pas un spécialiste de la législation, mais j'imagine que toutes les mesures urgentes qui ont besoin d'être prises, telles que l'exigence de contrôles de sécurité à la frontière, peuvent l'être sans qu'il soit nécessaire d'adopter la loi actuelle, qui n'est pas nécessaire.

Un intervenant a laissé entendre que ce serait éventuellement faire preuve d'un manque de courtoisie envers le Sénat que d'imposer l'adoption de mesures d'urgence dans le projet de loi. La question n'est pas vraiment là. Le Parlement doit avoir les moyens de faire adopter les mesures d'urgence dont il a besoin.

Toutefois, s'il y a une raison de revoir ce projet de loi, c'est bien la tragédie du 11 septembre. J'émettais des réserves bien avant le 11 septembre, mais à la suite de ces événements, je vois mal comment on pourrait faire adopter à la hâte ce projet de loi. Je peux comprendre qu'on puisse vouloir faire adopter le projet de loi à la hâte pour éviter qu'il ne reste trop longuement en suspens.

Nous pouvons dire qu'en l'absence de ces dispositions, nous ne pouvons pas prendre des mesures, mais elles sont totalement insuffisantes. Si la population canadienne ne le comprend pas, il est possible que les Américains en viennent à se demander pourquoi nous nous empressons d'adopter une législation traitant d'une question aussi sensible sans tenir compte de la nouvelle situation.

M. Bauer: J'ai étudié avec soin ce projet de loi, article par article, et je l'ai comparé à la loi en vigueur et à celle qui a failli être adoptée l'année dernière. La seule disposition de ce projet de loi qui apparaît plus rigoureuse que les précédentes est celle qui nous permet d'expulser un criminel coupable de crimes contre l'humanité - les criminels de guerre - les participants au crime organisé, et cetera.

Pourtant, comme tant de dispositions de ce projet de loi, ce n'est là qu'une illusion parce que le premier client de Mendel Green qui va se heurter à cette disposition va immédiatement en appeler à la Cour suprême. S'il ne le fait pas, Barbara Jackman le fera, ou encore un autre avocat. Ce n'est là qu'un miroir aux alouettes introduit dans la loi. Cette disposition ne sera jamais entérinée par la Cour suprême.

On renvoie les gens aux chutes du Niagara pour qu'ils obtiennent des papiers. Nous entendons des histoires à faire pleurer au sujet de tous ces pauvres gens qui sont refoulés. Il leur suffit de demander le statut de réfugié aux États-Unis. Ils entrent aux États-Unis avec leurs passeports et leurs visas, qu'ils détruisent en s'approchant de la frontière de Niagara. C'est le cas des Somaliens et des Tamouls du Sri Lanka. J'en ai connu des centaines.

Aucune disposition n'a besoin d'être adoptée d'urgence pour les besoins de notre protection. Il y a bien des choses à faire pour nous protéger, non pas contre ce qui s'est passé à New York, mais contre les trafiquants de drogues, les voleurs de cartes de crédit, les gangsters qui extorquent les membres de leur propre communauté ethnique.

Il y a toutes sortes de choses que l'on peut faire, et cette loi n'en prévoit aucune. La loi actuelle nous donne tout à fait les moyens d'agir, à condition que le gouvernement ait la volonté de le faire. Il faut toutefois de la volonté et de la coordination.

M. Manley présidant un comité chargé de la sécurité, il est possible que l'on propose l'examen de toute cette question et de la façon de recourir à la loi actuelle pour lutter contre les personnes susceptibles de mettre en danger les Canadiens ou les Américains.

Ne faits pas l'erreur de vouloir harmoniser notre loi avec celle des États-Unis. Leur système est médiocre, presque aussi mauvais que le nôtre, si l'on excepte le fait qu'ils ont quelques armes à leur disposition. Il n'est pas nécessaire de nous aligner sur les Américains. Nous pouvons agir indépendamment. Je n'aime pas de toute façon que l'on harmonise avec les Américains.

Le sénateur Robertson: Étant donné toute la sagesse dont vous faites preuve aujourd'hui devant nous, est-ce que l'on vous a demandé de comparaître devant le comité de la Chambre des communes?

M. Manion: Non.

M. Collacott: On n'a pas fait de publicité et j'ai dû me démener pour pouvoir comparaître. On m'a autorisé à comparaître.

Je tiens à signaler qu'en rendant compte à la ministre de sa tournée au Canada, le président a déclaré qu'il était très satisfait des résultats étant donné que les 154 interventions étaient favorables au projet de loi. On a manqué d'esprit d'ouverture. Il a précisé que deux ou trois intervenants souhaitaient arrêter l'immigration. Je n'ai pas connaissance d'un intervenant ayant déclaré vouloir arrêter l'immigration, mais il y en a qui se sont posé des questions sur le nombre d'immigrants devant être acceptés. Quelqu'un a été accusé de ne pas se comporter en canadien parce qu'il avait soulevé cette question à Vancouver.

Les audiences de la Chambre ont été pratiquement phagocytées par les tenants de l'immigration. La ministre peut bien nous dire: «J'ai écouté la population canadienne et elle nous dit qu'il faut élargir le processus d'accueil des réfugiés.» Elle affirme s'être montrée sévère sur la question des réfugiés. Certains défenseurs des réfugiés lui répondent alors: «Vous êtes trop sévère et il faut assouplir le système.» Je ne pense absolument pas que nous soyons sévères. Sur certains points essentiels, c'est pire qu'avant, et nous courons à la catastrophe.

M. Manion: Quelle que soit la décision prise par le Sénat concernant le renvoi de ce projet de loi, j'espère que vous recommanderez que toute cette question soit examinée à fond en commençant par les principes de base et la définition des problèmes fondamentaux.

Je serais le dernier à préconiser l'instauration d'une commission royale d'enquête, étant donné que ce genre de commission ne publie habituellement son rapport qu'une fois que le problème a été résolu ou que la situation est devenue catastrophique. Je pense que le Sénat peut lui-même s'en charger. Je me souviens qu'il a publié d'excellents rapports ces dernières années. Il s'agissait d'études approfondies, bien meilleures que ce que l'on peut trouver dans les rapports des commissions royales d'enquête. Vous disposez de tous les outils et de l'expérience nécessaires.

J'espère que dans votre rapport, vous ne manquerez pas au moins de signaler que le gouvernement doit consulter ses propres études. Ainsi que l'a fait remarquer M. Collacott, on a publié d'innombrables études sur la question, sans que personne ne les lise. Il faudrait que le gouvernement lise sa propre correspondance. Il est scandaleux que des gens qui, comme moi, écrivent lettre sur lettre à différents ministres, ne reçoivent en réponse que des lettres circulaires expédiées par des commis à la correspondance. Il faudrait que le gouvernement écoute d'autres gens que les groupes de pression s'il veut savoir ce que pense la population canadienne et ce que l'on peut faire sur toutes ces questions.

Le sénateur Robertson: Je peux bien comprendre pourquoi vous n'avez pas été invité.

M. Bauer: J'ai comparu à trois reprises devant l'autre comité sur des questions liées aux réfugiés. On s'y est montré très respectueux. Je participais toutefois il y a une semaine à une discussion télévisée sur la question à London, en Ontario, avec un ressortissant de la région qui s'occupe des questions d'immigration. J'ai évoqué l'afflux de réfugiés, les difficultés qu'éprouvait la commission pour régler leurs dossiers et la nécessité de trouver une solution et davantage de ressources. Lorsque ce fut son tour de parler, il a déclaré: «Il y a certaines personnes qui n'aiment tout simplement pas les immigrants et les réfugiés.» Tous mes voisins m'ont complimenté parce que j'ai répondu: «C'est inadmissible. Je n'accepte pas d'être insulté par cette personne sans réagir.» Après cela, tout s'est calmé.

Le sénateur Fairbairn: À la suite des commentaires faits par M. Bauer et par d'autres, si l'on veut améliorer le mécanisme, êtes-vous d'accord pour dire qu'au départ - en plus d'agir sur les politiques, bien entendu - il nous faut augmenter fortement le nombre de responsables qualifiés de façon à ce que tout fonctionne plus ou moins normalement dans le cadre de ce projet de loi ou d'un autre?

Nous avons entendu le témoignage des responsables du service de la protection, qui ont comparu ici même l'autre soir et qui ont donné l'impression d'être terriblement stressés. Lorsqu'on parle de ressources, bien des gens pensent à l'argent mais, dans leur cas, il n'y avait tout simplement pas le personnel pour faire fonctionner le système.

M. Bauer: C'est fort juste. Le nombre des agents des visas à l'étranger a été réduit. Les effectifs des agents canadiens de l'immigration ont été comprimés. Le personnel recruté sur place remplit les fonctions d'agent de l'immigration. Il peut être soudoyé, car souvent, dans ces pays, l'argent peut acheter beaucoup de choses. Il y a eu de nombreux cas.

Nous devons reprendre les choses en main et cesser de tant vérifier les documents à l'étranger, car c'est inutile. La Commission de l'immigration et du statut de réfugié a besoin de plus de personnel, peut-être aux niveaux inférieurs. Elle compte environ 180 employés à l'heure actuelle, ce qui ne suffit pas à assurer son fonctionnement, et tout le système en souffre. Par contre, si la Commission opte pour donner à chaque commissaire le pouvoir de décider seul et qu'elle essaie d'accélérer le traitement des cas, nous n'en aurons que plus de problèmes. Il est essentiel d'accroître les ressources.

Nous avons tous des difficultés de budget et de financement. Nous n'entendons que cela. Notez bien, je ne reproche rien aux réfugiés. Il y a des réfugiés, et ils méritent ce qu'on leur donne. Cependant, au titre de l'aide sociale et des frais juridiques, les 20 000 demandes de statut de réfugié qui sont présentées chaque année nous coûtent environ 600 millions de dollars.

Nous finançons le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, le HCR, à hauteur d'environ 15 millions de dollars sur un budget annuel de un milliard. Le Haut-Commissariat consacre 50 cents par jour à peu près à chacun des 20 millions de réfugiés dont il est responsable. Nous octroyons plus que cela aux 25 000 réfugiés qui arrivent ici chaque année, au lieu d'aider le Haut-Commissariat - nous avons donné un million de dollars aux Afghans réfugiés dans les camps au Pakistan. C'est une honte. Nous devrions faire preuve de beaucoup plus de générosité.

Le sénateur Roche: J'aimerais poser une question à M. Manion, et j'espère que vous me permettrez de lui souhaiter tout particulièrement la bienvenue. Nous avons fréquenté le même le collège en même temps, il y a de cela bien des années.

M. Manion: J'espère qu'on ne va pas me le reprocher.

Le sénateur Roche: Vous êtes devenu une personnalité influente à Ottawa, alors que j'ai dû me contenter d'un fauteuil de sénateur.

Si nous amendons le projet de loi avant de le renvoyer, il faut que nos amendements soient valables. À votre avis, le comité devrait-il ajouter un amendement pour exiger que soit invoquée la disposition d'exemption prévue dans la Charte? S'agirait-il d'un amendement crédible?

M. Manion: Monsieur le président, lorsque je parle de recourir à la disposition d'exemption, je n'envisage pas de contourner sans discernement toutes les dispositions de la Charte. Un seul aspect de la Charte crée toutes les difficultés, et c'est la référence implicite à la procédure établie, qui fait que nous ne pouvons pas régler par procédure sommaire le cas des candidats au statut de réfugié qui n'ont pas de liens particuliers avec nous. D'autres pays le font - pratiquement tous les autres États modernes. Nous devons prévoir une disposition d'exemption indiquant que, quoi que stipule telle ou telle disposition de la Charte, le gouvernement du Canada est habilité à prendre ce type de décision relativement à des personnes qui n'ont pas de liens dans notre pays. Cela ne signifie pas que les intéressés n'ont pas le droit d'en appeler d'une décision. Ils peuvent retourner dans leur pays d'origine et interjeter appel ou ils peuvent se rendre dans un tiers pays sûr et interjeter appel.

Je ne crois pas non plus que nous devions assumer les frais juridiques dans tous ces cas, mais il s'agit là d'une autre question.

L'autre amendement connexe que vous pourriez proposer viserait le rétablissement de la disposition relative au tiers pays sûr, une disposition qui figurait dans le projet de loi sur les réfugiés en 1987, mort au Feuilleton - dans l'hypothèse où la disposition pourrait résister à une contestation basée sur la Charte, ce qui, personnellement, me paraît douteux. Une telle disposition contribuerait dans une large mesure à régler nos problèmes actuels.

Le sénateur Roche: D'après votre expérience politique, reconnaissez-vous que tout amendement ouvrira à la Chambre des communes un long débat dans lequel s'opposeront à nouveau de plein fouet les deux côtés - les tenants d'un projet de loi plus souple pour les réfugiés et ceux qui veulent contrer le terrorisme? Il faudra du temps pour que le projet de loi refasse surface ou soit promulgué. Dans ces circonstances, nous conseillez-vous d'adopter le projet de loi sans modification? Je crois que vous avez dit qu'il s'agissait quand même d'une amélioration. C'est bien ce que vous avez dit?

M. Manion: En effet.

Le sénateur Roche: Vous avez mentionné que le Sénat, peut-être en collaboration avec la Chambre des communes, pourrait réaliser une étude, vu l'ampleur extraordinaire du problème. Seriez-vous satisfait si le projet de loi était adopté sans modification, pour toutes les raisons que le gouvernement a fait valoir, si nous engageons à réaliser sous peu une étude approfondie et à demander au gouvernement d'en prendre les conclusions au sérieux?

M. Manion: Je serais satisfait, monsieur le président. Certains aspects du projet de loi sont tout simplement dangereux et il conviendrait de l'indiquer et de régler le problème. Si ces lacunes sont repérées et corrigées, je serais prêt à fermer les yeux et à appuyer ce que vient de proposer le sénateur Roche.

Le sénateur LeBreton: Puis-je faire un commentaire, sénateur Roche? Vous, qui avez été député, vous proposez de modifier le projet de loi et de le renvoyer à la Chambre des communes. Je pense que c'est un affront aux députés, qui sont dûment élus. Vous affirmez en effet que nous devrions modifier le projet de loi et le renvoyer à la Chambre des communes. C'est donc, en quelque sorte, qu'on ne peut pas compter sur les députés pour prendre la décision qui s'impose relativement à ce projet de loi.

Le président: Je ne l'ai pas compris de cette façon.

Le sénateur LeBreton: C'est ce qu'il a affirmé aussi à deux ou trois reprises hier. Qu'il fallait adopter le projet de loi et ne pas y toucher de crainte qu'il ne retourne...

Le président: Je crois qu'il s'inquiétait des retards.

Le sénateur Roche: Il s'agissait de retards, et non de qualité.

Le sénateur LeBreton: Je l'ai bien compris.

M. Collacott: Je crains que le projet de loi n'ait trop de faiblesses. Il a fallu 25 ans pour proposer une nouvelle loi. Certains des éléments touchant l'immigration viendront aggraver les conditions qui provoquent cette réaction. Je pense qu'il faut absolument procéder à un examen approfondi avant d'adopter le projet de loi. Il faudra peut-être encore 25 ans avant que soit proposée une nouvelle loi-cadre.

Le président: Au nom de tous mes collègues, je vous remercie d'être venus.

Notre prochain groupe compte deux avocats dont la grande compétence juridique nous a déjà été vantée par un témoin. Nous recevons cet après-midi MM. Green et Waldman. Je crois savoir, d'après ce qu'a dit M. Bauer, que vous êtes tous deux spécialistes de l'immigration. Nous accueillons aussi Mme Robin Seligman, représentante du groupe Canadian for a Fair and Just Immigration Policy.

M. Waldman doit nous quitter bientôt, je vais donc lui demander de prendre la parole en premier.

M. Lorne Waldman: Je suis membre de l'Association du Barreau canadien, qui a témoigné hier. J'appuie tout ce qui a été dit à ce moment, mais j'ai demandé à être entendu séparément parce que je m'inquiète des mythes que propagent les médias. Il importe de distinguer les mythes de la réalité. J'ai rédigé un article intitulé «Separating Myth from Reality: Immigration and National Security» et j'aimerais expliquer ce que j'y définis.

Le premier mythe veut que nos politiques de l'immigration manquent de rigueur et que leur resserrement aurait permis d'empêcher les attaques du 11 septembre aux États-Unis. Je parle en termes généraux ici. C'est un mythe qu'il faut examiner avec soin. Malgré l'information diffusée dans les jours qui ont suivi les attentats, rien ne prouve à l'heure actuelle que les auteurs de ces attaques soient passés par le Canada. Quelles que soient les lois américaines en matière d'immigration, tous les suspects semblent être entrés directement aux États-Unis. D'après l'information qui nous a été fournie, ils sont arrivés comme non-immigrants, en toute légalité, et leur demande a été traitée à l'extérieur du Canada. Il s'agissait de demandes d'étudiants ou de visiteurs. Ils ont été admis dans le pays parce qu'ils étaient inconnus des services de renseignement de sécurité à l'étranger.

Pour parler d'immigration et de sécurité nationale, il faut se fixer des buts réalistes. Nous devons aussi reconnaître que des millions de personnes traversent nos frontières chaque année et qu'il nous faut garder nos frontières ouvertes. C'est dans ce contexte que nous devons examiner nos lois en matière d'immigration pour déterminer ce que nous pouvons raisonnablement en espérer et ce que nous ne pouvons pas demander.

En réalité, les questions clés ne sont pas des questions relatives à la Loi sur l'immigration, mais des questions de renseignement. L'échec du 11 septembre n'est pas dû à la Loi sur l'immigration. C'est un échec catastrophique attribuable aux réseaux du renseignement au Canada, aux États-Unis et dans les pays d'Europe de l'Ouest, qui n'ont pas su détecter le danger - ou, s'ils l'ont détecté, qui n'ont pas su reconnaître le sérieux de l'information sur l'éventualité de telles attaques.

Le deuxième mythe est souvent invoqué, c'est celui qui veut que nos lois en matière d'immigration soient moins strictes que les lois américaines. En annexe à mon article, j'ai résumé une comparaison des deux systèmes. D'autres témoins ont fait valoir les mêmes aspects, et il est inutile que je les reprenne ici. Sous bien des angles, notre loi est plus stricte sur le plan juridique, et il nous faut distinguer entre les principes et l'application de la loi. Nous avons le pouvoir, en vertu de l'article 103, de détenir les personnes qui n'ont pas de papiers; les Américains détiennent des sans papiers. Les deux pays ont le pouvoir de déporter des membres de groupes terroristes. En vertu des lois actuelles en matière d'immigration, nous avons le pouvoir de tenir des audiences secrètes et de présenter des preuves secrètes; les Américains ont des pouvoirs identiques. Le témoin précédent a soutenu - et je crois que c'est une erreur qui a été reprise sans fin par les médias - que les Américains pouvaient déporter sur procédure sommaire des demandeurs du statut de réfugié. Cela est faux. Il existe une procédure dans le système américain qui permet d'accélérer la première audience, en cas de crainte raisonnable, mais si vous franchissez cette étape, ce que réussissent 85 p. 100 des demandeurs du statut de réfugié, vous accédez à tout le processus d'examen d'une demande d'asile aux États-Unis. Il faut signaler que les États-Unis ont déjà instauré des dispositions permettant aux intéressés de présenter leur demande en vertu de la convention contre la torture, qui les protège mieux. Ce n'est pas encore le cas au Canada. En outre, le système d'octroi d'asile aux États-Unis prévoit un appel administratif devant une commission d'appel qui s'inspire des décisions antérieures, ce que le système canadien n'offre pas. De bien des façons, le système américain est plus généreux que le système canadien à l'heure actuelle.

Les différences importantes viennent de la procédure. Le Canada a le pouvoir de détenir, mais il ne l'utilise pas et il ne l'a jamais utilisé. Nous n'avons pas besoin d'une nouvelle loi sur l'immigration pour agir à ce niveau. Le Canada a le pouvoir de contrôler les personnes au point d'entrée, nous n'avons pas besoin du projet de loi C-11.

Selon le troisième mythe, nous avons immédiatement besoin du projet de loi C-11. À cet égard, je suis d'accord avec les témoins qui m'ont précédé. Je ne suis ici que pour traiter de questions de sécurité nationale. Sur le plan de la sécurité nationale, nous avons les outils nécessaires pour appliquer notre loi actuelle sur l'immigration. La ministre a récemment annoncé des contrôles à l'entrée. Nous avons le pouvoir d'agir dès maintenant. Ce n'est pas un pouvoir exigé par la loi, c'est un pouvoir à caractère procédural.

Les problèmes de notre système ne sont pas liés à la loi elle-même ni aux ressources. Il y a trois ou quatre ans, la région de l'Ontario du ministère de l'Immigration, inquiète des ressources monopolisées par l'examen des demandes de statut de réfugié, a décidé de mettre sur pied un projet pilote qui a maintenant trois ans d'existence. Dans le cadre de ce projet, les demandeurs du statut de réfugié ne sont plus interrogés à fond au point d'entrée, ils passent plutôt une entrevue très superficielle avant d'être autorisés à entrer au pays. On leur remet une formule qu'ils doivent remplir et renvoyer par la poste. Toutes les formalités se font ensuite par correspondance. Permettez-moi de dire que plus de la moitié des demandeurs du statut de réfugié qui sont arrivés en Ontario ont été intégrés à ce projet pilote et ils ne sont même pas interrogés avant d'être autorisés à entrer au pays.

Cela se fait en vertu d'une loi qui autorise aussi le ministère de l'Immigration à incarcérer les personnes qui arrivent sans papiers. La décision a été prise pour des raisons de ressources et de coûts. La procédure a été annulée après le 11 septembre, en raison du climat politique et peut-être de la logique voulant que soient plus strictement vérifiés les dires des personnes que nous autorisons à entrer dans notre pays.

Ironiquement, le gouvernement a réagi en décidant de vérifier tout le monde, ce qui est déraisonnable. Certaines personnes ne justifient qu'un contrôle très superficiel. Une vieille dame de 80 ans ou un enfant de cinq ans ne présentent pas de menace terroriste et il ne convient pas de dépenser des ressources pour leur faire passer les entrevues de trois heures auxquelles, apparemment, tous les demandeurs du statut de réfugié au Canada doivent maintenant se soumettre.

Le fait de laisser de nombreuses personnes entrer au pays sans aucun contrôle, comme nous l'avons dit précédemment, était une erreur. Ce que nous faisons maintenant - vérifier tout le monde - est également erroné. Nous devons fixer des critères pour pouvoir contrôler les personnes qui doivent l'être. S'il semble que ces personnes constituent une menace pour la sécurité, nous avons le pouvoir de les détenir.

Finalement, mon article traitait aussi de ce qui me paraît devoir être fait relativement à la sécurité nationale. La plupart des mesures qu'il faut prendre ont très peu à voir, sinon pas du tout, avec le projet de loi sur l'immigration. La plupart des mesures que mes amis qui ont témoigné avant moi ont proposées ont très peu à voir avec le projet de loi lui-même.

Nous devons adopter des procédures plus appropriées pour la délivrance des passeports. Ahmed Ressam a pu obtenir un passeport avec un acte de baptême contrefait. J'aimerais savoir quel avocat ou quel ingénieur s'est porté garant de cette demande de passeport et si des vérifications ont été faites quant à d'éventuelles impropriétés.

La seule garantie que prévoit le processus actuel de délivrance de passeports est une signature, celle d'un médecin ou d'un avocat qui déclare connaître le demandeur.

Nous devons distribuer des cartes de résident permanent, mais cela n'est pas non plus lié au projet de loi. Nous sommes déjà en mesure de le faire. Les cartes devaient être émises il y a déjà longtemps, mais pour des raisons de coût, le projet a été reporté et il refait aujourd'hui surface. Nous avons besoin de mesures de sécurité concernant d'autres types de documents, notamment les cartes d'assurance sociale.

Les principales questions, pour ce qui est de la sécurité nationale, se rapportent au renseignement. J'ai personnellement été mêlé à des affaires où la GRC et le SCRS s'opposaient et refusaient de coopérer. Si le SCRS savait quelque chose au sujet de Ressam deux ans avant son départ du pays, pourquoi n'a-t-il pas transmis cette information à Immigration Canada, pour que le ministère puisse prendre des mesures? Immigration Canada a le pouvoir d'intervenir en vertu de l'article 40.1, mais apparemment rien n'a été fait.

Par contre, maintenant, on vérifie plus soigneusement les antécédents des personnes qui arrivent aux aéroports, mais il faut le faire de façon plus rationnelle qu'à l'heure actuelle. Pour cela non plus, nous n'avons pas besoin d'une nouvelle Loi sur l'immigration.

En conclusion, je veux répéter qu'il existe des mesures que nous pouvons prendre mais pour lesquelles nous n'avons pas besoin du projet de loi. Il nous faut la volonté et les ressources pour appliquer adéquatement la loi que nous avons déjà.

Vous devez distinguer ce que vous avez à faire. Votre tâche est d'étudier le projet de loi C-11 et de décider s'il convient de l'adopter. Nombre des aspects discutés par les témoins qui m'ont précédé n'ont rien à voir avec le projet de loi C-11. Ainsi, un témoin précédent a parlé de «pays tiers sûr». Tant la loi actuelle que le projet de loi C-11 consacrent cette notion de «pays tiers sûr». Le problème vient de ce que nous n'avons pas appliqué la disposition. Pour ce faire, il nous faut un règlement. Cela n'a donc rien à voir avec votre discussion.

Je conviens qu'il nous faut nous entendre sur la réadmission. Un des grands problèmes du système de l'immigration est celui de l'expulsion. Il faut des siècles pour y parvenir parce que les pays ne veulent pas reprendre leurs ressortissants. Si nous voulons aborder avec sérieux la question de l'immigration, nous devons conclure des ententes sur la réadmission. Toutefois, cela n'est pas non plus lié au projet de loi.

Nous avons commencé à resserrer les procédures à l'entrée, mais cela ne se rapporte pas au projet de loi.

Je conviens que nous devons mieux choisir les membres de la CISR, mais là encore cela n'est pas lié au projet de loi.

L'un des témoins a affirmé que nous élargissions la définition. En fait, les États-Unis ont déjà adopté une définition plus large parce qu'ils ont déjà mis en oeuvre la convention contre la torture. Nous ne faisons que remplir une des obligations internationales que nous avons prises quand nous avons ratifié la convention contre la torture. Nous nous sommes engagés à ne pas renvoyer les personnes menacées de torture. C'est à cela que sert le projet de loi.

Quelqu'un a dit que nous devrions écarter dès le départ les demandes sans fondement. Nous avions adopté une procédure dite procédure du fondement minimum, qui devait nous permettre de parvenir à cette fin. Nous nous en sommes débarrassés parce qu'elle écartait moins de 10 p. 100 des demandes sans fondement, qu'elle coûtait trop cher et qu'elle était trop lente. Nous avons décidé qu'il ne valait pas la peine de la maintenir.

Les États-Unis ont instauré un processus appelé processus de la crainte fondée, qui s'assimile à notre ancienne procédure du fondement minimum, pour éliminer les demandes sans fondement. Toutefois, 85 p. 100 des demandeurs passent avec succès l'audience portant sur la crainte fondée. Des ressources considérables sont consacrées à l'élimination d'un faible pourcentage de demandes. Le Parlement a décidé il y a plusieurs années qu'il s'agissait là d'un gaspillage de ressources.

Ce que je veux dire, c'est que nombre des commentaires soumis par les témoins précédents n'avaient guère à voir, sinon pas du tout, avec ce projet de loi.

Je veux aussi faire un commentaire sur la Charte et l'utilisation de la disposition d'exemption. J'espère que le Sénat n'envisage pas sérieusement cette possibilité.

Premièrement, la décision Singh a été citée tout à fait hors contexte. J'espérais, au départ, que cette décision serait interprétée de façon plus large, mais les tribunaux du Canada en ont fait une interprétation très étroite. Dans la décision Singh, le tribunal affirme, comme l'a maintenant confirmé la Cour fédérale dans des affaires subséquentes, que si le gouvernement du Canada accorde une audience à une personne, cette audience doit être équitable. Après la promulgation des dispositions refusant à certaines catégories de personnes le droit de demander le statut de réfugié, par exemple s'il est établi que vous représentez un danger, nous avons contesté cette clause qui nous paraissait aller à l'encontre de la décision Singh voulant que tous aient droit à une audience. La Cour d'appel fédérale a conclu qu'on ne violait pas les dispositions de la Charte si l'on refusait une audience à quelqu'un, dans la mesure où il s'agissait d'une décision éclairée.

Par conséquent, ce que les témoins antérieurs ont affirmé était exact. La décision Singh ne consacre pas le droit à une audience. Elle signifie simplement que si le gouvernement accorde une audience à une personne, il doit s'agir d'une audience équitable. Le gouvernement est libre d'appliquer une loi qui refuse à certains le droit à une audience dans la mesure où cela se fait de façon éclairée. C'est l'interprétation que donne la Cour d'appel fédérale de la décision Singh.

Il est vrai que nous avons réussi à convaincre les tribunaux qu'il était impossible de renvoyer quelqu'un sans une évaluation quelconque du danger que nous lui faisions courir, mais la procédure nécessaire à l'évaluation du risque n'exige pas d'audiences complexes, contrairement à ce que les témoins précédents ont laissé entendre.

Autrement dit, je ne crois pas qu'une disposition d'exemption soit nécessaire. Je crois que l'information que vous ont communiquée les témoins précédents était inexacte et faussait la décision Singh. Je crois que les témoins ont présenté ce que nous aurions souhaité que la décision Singh signifie, mais ce n'est pas ainsi que cette décision a été interprétée.

M. Mendel M. Green: Je connais bien le groupe qui nous a précédés. Je pratique le droit dans le domaine de l'immigration depuis 40 ans. Je suis un spécialiste du droit de l'immigration. À titre d'avocat, j'ai sans doute participé à un plus grand nombre d'affaires que la plupart des membres du Barreau travaillant dans ce domaine et je suis très fier du fait que mes trois enfants sont avocats spécialistes de l'immigration. Je suis un peu inquiet d'entendre un ancien sous-ministre, M. Manion, affirmer que les décisions doivent être prises par le gouvernement et non pas par des groupes de réfugiés ou des avocats sans scrupule. Je me dois de commenter cette remarque. Cela signifie «Laissez-nous, le gouvernement, les bureaucrates, prendre les décisions; écartez les avocats de ces dossiers» - des avocats comme M. Waldman, l'un des spécialistes les plus réputés du domaine de l'immigration au Canada, qui prononce des conférences devant les juges de la Cour d'appel fédérale et de la Section de première instance de la Cour fédérale et qui est respecté de tous, des avocats comme Barbara Jackman, qui a participé à l'affaire Singh, la célèbre décision dont tout le monde parle et qui a été très mal exposée par le groupe précédent.

Les avocats n'ont qu'une seule responsabilité dans notre pays et c'est de veiller à ce que la justice au Canada soit administrée conformément à la loi. Rien d'autre. Honnêtement, je suis scandalisé par les commentaires de l'ancien sous-ministre de l'Immigration, appuyé par les autres membres de son groupe. Il soutient que vous devriez laisser au gouvernement le soin de prendre les décisions et ne pas permettre aux avocats d'intervenir.

Regardez les statistiques de LEXBASE et de Richard Kurland, qui montrent que la Cour fédérale a cassé plus de 50 p. 100 des décisions des agents des visas. Qu'est-ce que cela signifie, selon vous? Cela signifie que ces personnes, au nom du gouvernement, ne font pas respecter la «loi du Canada».

Ce type de discours m'inquiète, ce type de - j'hésite à parler d'«extrême-droite», mais cela me trouble. Je suis tenu, comme tous les avocats qui exercent dans notre pays, de respecter la loi. Si le Canada n'a plus la protection de la loi, le Sénat aura des ennuis, tous les Canadiens auront des ennuis.

Je suis venu parler de deux dispositions du nouveau projet de loi. Ce ne sont pas les seuls aspects qui me préoccupent, loin de là, mais d'après ce que j'ai entendu aujourd'hui vous avez déjà traité de la sécurité, des réfugiés et de questions de ce genre. Je ne vais pas m'y arrêter maintenant. Je vais parler d'une situation bien connue de vous tous, parce que vous en avez pris connaissance par l'entremise des médias à maintes reprises ou peut-être dans le cadre de vos activités professionnelles ou à titre de député. Vos électeurs vous ont peut-être rencontré pour vous dire «Mon fils est arrivé dans notre pays avec moi il y a 30 ans. Il n'a jamais demandé la citoyenneté canadienne. Il est marié et il a cinq enfants. Il a commis un crime, et on menace de l'expulser. Pouvez-vous m'aider?» Nous avons tous lu des articles sur de tels cas.

Je pratique le droit depuis 40 ans, et la prochaine loi sur l'immigration sera la troisième que j'aurai vu naître. Autrefois, à l'époque de la première loi sur l'immigration, les gens présentaient au ministre de l'Immigration et aux bureaucrates des pétitions pour qu'on les autorise à rester au Canada. Puis la Division d'appel de l'Immigration a été créée comme organisme indépendant chargé de régler ces questions. J'ai plaidé devant Gordon Fairweather, et j'ai beaucoup de respect pour la Section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. On lui a donné la compétence en «equity». Si un résident permanent avait commis un crime dans notre pays et que la Loi sur l'immigration prévoyait la déportation dans un tel cas, la Section pouvait revoir la décision et trancher en fonction des particularités du cas.

Les criminels qui, de l'avis du ministre, présentent un danger pour le Canada ne peuvent pas s'adresser à la Section d'appel de l'immigration en vertu de la loi actuelle. La Section de première instance de la Cour fédérale et la Cour d'appel ont souvent appuyé la Section d'appel de l'immigration. Les décisions de cette instance ont rarement été renversées. Vous avez entendu toutes les discussions au sujet de commissions de deux membres, et cetera. Généralement, sauf très rares occurrences, les commissaires décident seuls. Ils jouissent du respect de l'Association du Barreau canadien. Ils ont le respect du Service canadien de l'immigration. Ils font un travail admirable, et leurs pouvoirs décisionnels ont été examinés par nos tribunaux d'appel et jugés, dans l'ensemble, appropriés.

La Commission d'appel de l'immigration s'inspire de la décision Ribic et tient compte de facteurs comme la gravité de l'infraction, les perspectives de réadaptation, le temps passé au Canada, la famille résidant au Canada et susceptible d'être affectée par la déportation de l'intéressé, le soutien disponible, et cetera. En vertu de ce que le ministre propose maintenant dans ce nouveau projet de loi, si un résident permanent au Canada commet un acte criminel «grave», c'est-à-dire un crime entraînant une peine d'emprisonnement de deux ans, il ne peut pas en appeler devant la Section d'appel de l'immigration. Cela créera d'énormes difficultés aux politiciens et aux ministres à l'avenir. La mesure n'a aucune raison d'être, elle n'a aucun sens.

Ces dernières années, la Section d'appel de l'immigration a examiné de 500 à 800 de ces cas, et seulement 40 ou 50 d'entre eux avaient trait à des affaires criminelles. Lorsque la Section d'appel de l'immigration examine indépendamment et avec soin une affaire, elle donne au moins à l'intéressé l'occasion de faire valoir les circonstances.

Prenez ce scénario. M. Smith commet un crime. C'est un Anglais qui est arrivé ici avec ses parents à l'âge d'un an. Il a maintenant 30 ans, il est marié et a plusieurs enfants. On le condamne à deux ans moins un jour dans un établissement correctionnel provincial. Il peut s'adresser à la Section d'appel de l'immigration, qui établira de façon équitable s'il peut être autorisé à rester dans notre pays. M. Brown, lui aussi un Anglais, est dans les mêmes circonstances. Il comparaît devant un autre juge et plutôt que d'être condamné à deux ans moins un jour dans un établissement correctionnel provincial, il se voit imposer deux ans - c'est-à-dire une journée de plus - il n'a pas droit d'en appeler. Une seule journée, 24 heures, cela fait toute la différence.

Honnêtement, mesdames et messieurs, j'ai vu de ces «cas traumatiques», comme je les appelle, pour les familles de personnes tombées dans la criminalité. Le ministre et le gouvernement, avec cette disposition particulière, condamnent malheureusement les familles de ces personnes à l'aide sociale et nous, Canadiens, nous paierons au bout du compte le prix de cette décision. La mesure est injustifiée. Elle est illogique sur le plan concret. Il n'y a pas un fort volume de ces cas. Le gouvernement veut indiquer qu'il a «de la poigne avec les criminels». Je peux vous dire que la loi actuelle, comme le projet de loi à l'étude aujourd'hui, est vraiment sévère pour les criminels et elle est appliquée de cette façon. Nous ne faisons tous que répéter la même chose. Le problème vient des ressources, un point c'est tout. Je vous affirme que l'actuelle Section d'appel de l'immigration obtient d'excellents résultats. Il ne faut pas la modifier, sous peine de créer de graves difficultés aux Canadiens à l'avenir.

C'est le ministre qui aura le dernier mot au sujet de l'expulsion de M. Brown ou de M. Smith du Canada. Nous retournons 40 ans en arrière en matière de droit de l'immigration et nous donnons au ministre le pouvoir de prendre une décision quant à la présence ou à l'absence de motifs humanitaires en vertu desquels M. Smith et M. Brown pourraient être autorisés à rester au Canada. Quelque chose ne va pas. Cela est inutile. La Commission d'appel de l'immigration, et je m'adresse à cette commission sans doute plus souvent qu'aucun autre avocat au Canada, fait un excellent travail. Je dois dire que bien souvent elle n'est pas d'accord avec moi et que nombre de mes clients sont retournés d'où ils étaient venus, mais cette disposition est totalement inutile.

Je vais maintenant me pencher sur une autre question, comme je l'indique à la page 7 de mon mémoire. Le Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration a étudié ce problème en 1998 et conclu que les enfants de ces personnes avaient besoin d'une certaine protection et que le Parlement devait intervenir. Vous pouvez lire ce que je dis à ce sujet dans mon mémoire, je ne vais donc pas le répéter. On peut croire qu'en rédigeant une nouvelle loi on tiendrait compte de la recommandation du comité parlementaire, qui était la suivante:

Nous ne recommandons pas de modifier complètement la loi canadienne, mais nous estimons qu'il est temps de re voir notre position actuelle, du moins en ce qui concerne les personnes qui arrivent ici en bas âge.

J'oeuvre dans ce domaine depuis longtemps, en fait depuis plus longtemps que nombre des bureaucrates qui sont venus témoigner devant vous. À l'époque, il y avait la règle de la résidence. Les personnes qui vivaient au Canada depuis cinq ou dix ans ne pouvaient pas être expulsées. Cette règle a été modifiée en 1976, quand la Commission d'appel de l'immigration a été créée et que ces personnes ont été autorisées à faire appel.

À titre de compromis, j'ai recommandé que tout résident permanent vivant ici depuis au moins cinq ans ait le droit d'en appeler devant la Commission d'appel de l'immigration, pour des motifs humanitaires ou selon les circonstances du cas, de façon équitable.

Il est illogique de refouler des criminels pour lesquels, nous, Canadiens, sommes responsables. Ces gens qui sont venus ici encore enfants, qui ont grandi ici et qui ont mal agi, nous voulons les renvoyer chez eux, où que cela se trouve. Le refoulement, mesdames et messieurs, a été éliminé du droit des nations civilisées il y a bien des années. Cette disposition particulière rétablit le refoulement en droit canadien, c'est du moins ce que j'estime.

Oui, nous devrions éliminer les mauvais sujets. Je ne défends pas la criminalité. Je ne veux pas excuser le crime, mais de toute évidence nous devons présenter toutes les circonstances d'une affaire à un tribunal indépendant relevant de la Section d'appel de l'immigration.

Ma seconde préoccupation, curieusement, découle des commentaires de Mme Sparling, de l'OPIC. Elle s'inquiète de l'absence de réglementation visant les experts-conseils. Honnêtement, si votre enfant de six ans se déclare consultant, le ministère de l'Immigration est tenu, en vertu de la loi, de traiter avec lui - si quelqu'un est assez naïf pour payer un enfant de six ans comme consultant. Immigration Canada doit traiter avec cette personne à ce titre.

Les consultants ont leur place dans le système, à mon avis. Ils peuvent aider les étrangers à obtenir des permis de travail, comme l'a mentionné Mme Sparling, même s'il semble en effet nécessaire de réglementer le secteur. Mme Sparling a parlé d'accréditation, et je suis d'accord avec elle. Dans le processus quasi judiciaire de la déportation - la procédure qui permet d'expulser un réfugié - il y a des centaines sinon des milliers de personnes qui n'ont aucune formation juridique et qui représentent des immigrants menacés d'une telle mesure.

Le Parlement a étudié la question et c'est déjà la sixième fois que je présente mes commentaires sur la réglementation des consultants de l'immigration à un comité parlementaire ou à un comité du Sénat. J'ai témoigné devant le Barreau du Haut-Canada quatre fois à ce sujet.

Tous reconnaissent qu'il n'est pas nécessaire de réfléchir longuement pour déterminer que ces professionnels doivent être réglementés, et eux même veulent qu'il en soit ainsi. Que fait le gouvernement dans le projet de loi C-11? Le paragraphe 167(1) stipule:

L'intéressé peut en tout cas se faire représenter devant la Commission, à ses frais, par un avocat ou un autre conseil.

Cela signifie que n'importe qui, y compris un enfant de six ans, peut représenter une personne dans les affaires de réfugié les plus sérieuses. Est-ce judicieux? J'affirme que non. À mon avis, quiconque intervient dans le cadre d'une procédure judiciaire ou quasi judiciaire devrait être avocat. Nous, Canadiens, pouvons contrôler ces professionnels, mais nous n'avons aucun pouvoir sur les autres.

En passant, Mme Seligman, qui était autrefois présidente du Barreau du Haut-Canada, m'a demandé si j'avais visité un certain site Web. Il s'agit du site des entreprises «Angel, Edward & Associates» et «McGuire, Lewis & Associates» apparemment installées à Hamilton, en Ontario. Angel, Edward & Associates offre des services juridiques dans le domaine de l'immigration. Il est particulièrement intéressant que son site Web présente des photos de son personnel et de ses agents étrangers. Des photographies sur le site portent une mention précisant qu'il ne s'agit pas d'agents du cabinet; renvoyés pour avoir touché des fonds en contravention des contrats approuvés. À la fin du site, il y a des mentions en anglais et en russe disant que le cabinet gère des programmes de parrainage familial pour 10 000 $ US. Il n'y a pas de contrôle.

J'aimerais bien, avec mes 40 ans d'expérience, pouvoir réclamer de tels honoraires. Honnêtement, dans le mémoire que je présente à votre comité du Sénat, je soutiens que le gouvernement s'est montré irresponsable en n'intervenant pas pour réglementer les consultants. Les consultants eux-mêmes veulent une réglementation.

Je n'essaie pas de trouver plus de travail pour les avocats, j'affirme simplement que tous les rapports ont toujours soutenu que la population n'était pas protégée, et pourtant le gouvernement n'intervient pas. Le gouvernement fédéral est d'avis que les permis d'exercer sont de compétence provinciale, même si la Loi sur l'immigration en prévoit depuis des années. Le gouvernement perpétue le problème. Plutôt que de déclarer que seule une personne qualifiée en matière juridique peut représenter un client dans une audience relative à la déportation d'un réfugié, procédure qui peut avoir d'énormes conséquences, on permet à n'importe qui de «donner des conseils».

La justification en est que vous devriez pouvoir demander à la personne de votre choix - un ministre du culte, un membre de votre famille - de vous aider. C'est bien joli, si ces personnes ne sont pas payées. Toutefois, comme vous pouvez le constater ici, les consultants perçoivent beaucoup plus que ce qu'un avocat pourrait faire. Si un avocat exigeait des honoraires de ce type, tous les barreaux du Canada l'obligeraient à rendre l'argent sous peine d'être radié.

Voilà les deux préoccupations que je voulais vous soumettre aujourd'hui. J'ai bien des inquiétudes au sujet de la sécurité, mais je n'ai pas le temps d'aborder la question aujourd'hui. Votre comité pourrait facilement régler mes deux préoccupations, car il ne s'agit pas de questions insurmontables et il convient de les aborder avec sérieux.

Le président: Il faut reconnaître que vous savez plaider!

Mme Robin Seligman, représentante, Canadians for a Fair and Just Immigration Policy: Je représente l'organisation Canadian for a Fair and Just Immigration Policy. Il s'agit d'une véritable coalition nationale qui réunit des groupes de l'Ontario et de tout le Canada, y compris la Société canadienne de l'ouïe, l'Italian National Congress, B'nai B'rith Canada et le Barreau canadien.

Je suis avocate et membre du Barreau du Haut-Canada, dont j'ai été présidente pendant trois ans. J'ai siégé au comité exécutif de cet organisme pendant 12 ans et au sein de l'Association du Barreau canadien pendant trois ans. Je pratique le droit depuis 16 ans dans le secteur de l'immigration.

Je veux parler aujourd'hui de l'exigence visant l'obtention d'une autorisation pour procéder à un contrôle judiciaire. Notre coalition appuie sans réserve la position exposée non seulement par MM. Green et Waldman, mais aussi par l'Association du Barreau canadien. Nous avons également présenté un document de travail à cet égard. M. Green, entre autres, a fait des commentaires sur un compromis relatif au droit d'appel des résidents permanents - une règle de cinq ans, à tout le moins, devrait être recommandée par le Sénat. Quiconque demeure au Canada depuis au moins cinq ans doit avoir automatiquement droit d'en appeler devant la CISR. Il convient de signaler que cela ne signifie pas que la Section d'appel autorisera ces personnes à rester ici. Cela signifie que les intéressés auront l'occasion d'exposer leur cas.

Toujours pour appuyer M. Green et au sujet des consultants, la coalition est entièrement en faveur d'une réglementation, et le Sénat pourrait immédiatement recommander cette mesure. Il y a une dizaine d'années, j'ai comparu au nom du Barreau du Haut-Canada devant un comité parlementaire qui étudiait la même question. Rien n'a été fait depuis que je pratique le droit dans ce domaine, et cela est scandaleux. Pratiquement tous les jours de la semaine, des gens viennent me raconter des histoires d'horreur au sujet de mauvais conseils qui leur ont été donnés par des personnes n'ayant aucune compétence pour dispenser des conseils juridiques.

Je sais que les événements du 11 septembre et les questions de sécurité sont au coeur du dossier. J'aimerais répéter que de l'avis de notre groupe, le projet de loi C-11 ne protégera pas mieux les Canadiens que la loi actuelle. Je soutiens bien respectueusement que le ministre a les pouvoirs nécessaires, en vertu de la loi actuelle, pour prendre toutes les mesures qui s'imposent afin que les Canadiens se sentent plus en sécurité. À titre d'exemple, en vertu de la loi actuelle, quiconque demande l'entrée au Canada peut devoir se soumettre à la prise d'empreintes digitales, être photographié et être retenu aux fins d'examen. Ces règles existent actuellement en vertu de l'article 45 de la Loi sur l'immigration. En outre, si un agent n'est pas convaincu de l'identité de la personne ou s'il soupçonne que cette personne soit un terroriste ou fasse partie d'une organisation qui favorise le terrorisme, il peut la mettre en détention en invoquant l'article 103.1 de la loi actuelle.

Le fait d'être suspecté de terrorisme ou d'être un terroriste avéré est amplement suffisant. Un terroriste ne peut pas présenter de demande de statut de réfugié et il ne peut pas éviter le refoulement vers un pays qui se livre à la persécution. Cette question est réglée à l'article 46.01 et à l'article 53 de la loi actuelle. Tous les arguments voulant qu'il faille adopter immédiatement le projet de loi pour protéger les Canadiens, avec tout le respect que je vous dois, n'ont pour but que de favoriser un faux sentiment de sécurité.

Le ministre, sans adopter de nouvelle loi, a affirmé aux Canadiens que si nous ne pouvions pas vérifier les documents à la frontière nous renverrions les intéressés. Le gouvernement possède déjà une grande partie des pouvoirs dont il a besoin pour faire le nécessaire pour redresser la situation. Il n'a pas besoin d'insister pour faire adopter le projet de loi par un réflexe presque automatique à la suite des événements du 11 septembre.

J'appuie pleinement les commentaires de M. Waldman. Les principaux problèmes semblent liés à la sécurité, au renseignement et aux communications entre ministères. Nous avons tous, j'en suis convaincue, vu le documentaire de M. Terrence McKenna au sujet de M. Ressam. Nous nous sommes tous étonnés que le SCRS, après l'avoir suivi pendant deux ans, n'ait jamais communiqué ces renseignements à Immigration Canada - et une ordonnance de déportation avait été prononcée contre M. Ressam.

Le ministère est sous-financé. De nombreuses personnes contre qui des ordonnances de refoulement ont été prononcées ne peuvent pas être retracées. C'est aussi un secteur où il faut plus de ressources et qu'il convient de prendre au sérieux. Cela ne signifie pas qu'il faille adopter rapidement le projet de loi C-11. J'espère que cela répond à certaines de vos préoccupations.

Je sais que les sénateurs font l'objet de nombreuses pressions et veulent être perçus comme désireux de protéger le Canada. Toutefois, il ne faut pas faire l'inverse. N'adoptez pas une loi qui donne aux Canadiens un faux sentiment de sécurité parce que ce n'est qu'un bout de papier. Si vous n'avez pas les effectifs ni les ressources pour appliquer ce qui est prévu dans la loi, cette loi ne servira à rien. Le gouvernement a déjà les pouvoirs nécessaires en vertu de la loi actuelle, pour faire ce qu'il doit faire. Il lui suffit d'avoir la volonté et le courage d'agir.

Quant aux autres questions qui nous préoccupent vraiment, le projet de loi prévoit la rétroactivité. Cela signifie que toux ceux qui ont déjà un dossier à l'étude dans le système seront visés par les dispositions du nouveau projet de loi, indépendamment du moment où ils auront présenté leur demande ou de leur situation. Je vais mettre l'accent sur les personnes dont les cas ont déjà été soumis à Immigration Canada plutôt que sur les demandeurs du statut de réfugié. N'oubliez pas que les réfugiés représentent de 10 à 15 p. 100 des personnes qui viennent dans notre pays. Le reste de la Loi sur l'immigration et les politiques connexes se rapportent à d'autres personnes, notamment des personnes qui ont subi une vérification de sécurité et celles dont les empreintes digitales ont été relevées. Je ne crois pas que ces personnes présentent ce que les Canadiens perçoivent comme une grave menace à notre sécurité. Les demandeurs de la résidence permanente doivent maintenant prévoir de deux à quatre ans avant que les bureaux des visas traitent leur demande. Ils paient de fortes sommes pour présenter ces demandes. Il en coûte en effet 500 $ pour un adulte et 1 000 $ pour une entreprise. Lorsque vous venez d'un pays du tiers monde, cela peut correspondre à un ou deux ans de revenus pour toute votre famille. Les personnes qui ont soumis de bonne foi une demande dans le cadre des lois existantes, sachant qu'elles ont les qualités voulues pour être acceptées ou croyant qu'elles satisfont à la définition d'entreprise ou d'entrepreneur, seront exclues si elles ne répondent pas aux nouveaux critères définis dans le projet de loi C-11. Par conséquent, ceux qui attendent depuis peut-être quatre ans que leur demande soit traitée se verront maintenant refusés, sans que les frais qu'ils ont engagés puissent leur être remboursés. Ces personnes se sont fiées à ce qui était affiché sur les sites Web du gouvernement et à ce que disaient nos lois. Elles ont fait leur demande en toute bonne foi. Leur candidature sera maintenant écartée malgré les années d'attente, simplement parce que la loi aura changé. Les critères de sélection seront modifiés; le niveau d'instruction exigé, notamment, sera plus élevé et d'autres aspects pouvant se répercuter de façon négative sur les candidatures seront également changés.

La recommandation à cet égard est d'assurer un traitement parallèle - et le gouvernement l'a déjà fait. Si vous étiez admissible en vertu de l'ancienne loi, vous devriez l'être en vertu de la nouvelle.

Les gens écarquillent les yeux quand on mentionne la notion d'autorisation d'appel, parce qu'ils ne savent pas de quoi il est question. Je voudrais ramener cette notion à un niveau pratique. Le gouvernement veut imposer l'autorisation d'en appeler des décisions prises à l'étranger. La ministre a dit que cela simplifierait les règles du jeu. Elle dit aussi que l'autorisation accordée à quelqu'un qui se trouve au Canada devrait s'appliquer aux personnes qui sont à l'étranger. Les processus sont totalement différents. Lorsque les personnes présentent une demande à l'étranger, elles n'ont pas droit à un conseiller juridique, à moins qu'elles ne soient engagées dans le processus suivant les règles du Québec. L'enregistrement de l'entrevue est interdit. Il n'y a qu'un agent des visas ou un agent d'immigration désigné, quelqu'un qui n'est même pas Canadien, qui refuse d'entendre les arguments et qui rejette la demande. Ces appels ne représentent que 850 cas, et parfois même moins, sur les 250 000 demandes qui sont traitées dans le système. Il est extrêmement important que ces personnes puissent avoir accès à un processus équitable et qu'elles ne soient pas obligées de subir le processus de présélection. La Commission interaméricaine des droits de l'homme a dit que nos dispositions concernant l'autorisation d'appel - dans le contexte du statut de réfugié - sont presque trop complexes. Il s'agit d'un contrôle, et ce processus est totalement inapproprié pour les décisions prises à l'étranger.

Dans son Rapport 2000, le Vérificateur général dit que la qualité du processus de prise de décision comporte des lacunes et qu'il manque d'uniformité. Les agents des visas doivent faire l'objet d'un examen et d'une surveillance attentive. Plus particulièrement, j'ai eu l'occasion de représenter une famille de gens d'affaires dont le fils de 17 ans souffrait d'une déficience auditive. Le ministère de l'Immigration a refusé le droit d'entrée à cette famille parce que l'enfant imposerait un fardeau trop lourd à nos services sociaux et de santé. Le gouvernement fédéral a défini le «fardeau excessif» comme quelque chose qui diffère des coûts. En d'autres mots, y aura-t-il déplacement de Canadiens? Cela fera-t-il en sorte que les Canadiens perdent leur accès aux services? J'ai eu l'occasion de contre-interroger des médecins du ministère de l'Immigration qui ont dit que le cas de cette personne représenterait un fardeau excessif. Deux médecins d'Ottawa m'ont dit n'avoir jamais eu à traiter avec quelqu'un souffrant d'une déficience auditive. Dans un cas, il s'agissait d'un chirurgien cardio-vasculaire à la retraite et dans l'autre, d'un omnipraticien du Québec. Aucune demande n'avait été faite auprès de l'Ontario, la province même où cette famille voulait s'établir, quant aux traitements ou aux services auxquels cette personne pourrait avoir droit. Un des médecins m'a dit que les gens souffrant d'une déficience auditive faisaient mieux d'afficher un quotient intellectuel supérieur s'ils voulaient immigrer au pays.

Le ministère de la Justice a autorisé cet appel et le processus est toujours en cours. Si l'appel avait été refusé, je n'aurais jamais eu l'occasion de connaître les motifs de la décision, et je n'aurais jamais eu l'occasion de contre-interroger les médecins. Je n'aurais jamais su ce qu'ils pensaient ni connu les motifs de leur décision. Dans leur affidavit, ils disent des choses différentes. Ils affirment avoir examiné toutes les possibilités et envisagé ce qui serait nécessaire, et conclu que cette personne imposerait un fardeau excessif pour le système.

La ministre veut vous faire croire que ses agents ont l'autorité et qu'ils sont les mieux placés pour prendre la décision. En toute déférence, ils devraient être soumis à un examen détaillé.

Le sénateur LeBreton: M. Green, ma question concerne l'article 64, qui est décrit dans le témoignage de l'Association du Barreau canadien comme un «renvoi obligatoire». Laissez-vous entendre que cet article devrait être éliminé ou modifié?

M. Green: Il devrait être modifié. Si nous avions une provision de résidence de cinq ans, les gens qui viennent au pays et qui commettent des crimes graves devraient aller en appel. Avant cette limite, je dois avouer que je n'ai guère de sympathie, particulièrement pour quelqu'un qui vient tout juste d'arriver au pays. Si une personne est ici depuis 25 ans et qu'elle commet une infraction, c'est comme l'exil. Aucun agent de l'immigration n'a de discrétion à cet égard. Il s'agit uniquement d'un document - quelle différence une seule journée peut faire. Voilà, c'est tout.

Le président: Votre argumentation m'intrigue. J'utiliserai votre exemple de 25 ans. Si une personne est ici depuis 25 ans, pourquoi n'est-elle pas devenue citoyen?

M. Green: Voilà une très bonne question.

Le président: Si cela pousse les gens à devenir citoyen, ce n'est sûrement pas une mauvaise chose, selon moi.

M. Green: C'est vrai. Bien que la loi en fasse état, certaines de nos sociétés multiculturelles ne comprennent malheureusement pas l'importance de devenir citoyen canadien. Les fonctionnaires du Bureau de la citoyenneté doivent faire comprendre aux gens les avantages qu'il y a à être citoyen canadien. Plusieurs personnes veulent aussi conserver leur passeport italien ou le passeport avec lequel elles sont arrivées au pays.

Actuellement, les personnes qui commettent un crime passible d'une peine d'emprisonnement d'un maximum de 10 ans, ce qui représente près de 75 p. 100 de toutes les infractions en vertu du Code criminel, s'exposent à un renvoi. Cela ne fait aucune différence. Il faut comprendre que nous sommes dans un pays multiculturel et que plusieurs personnes ne comprennent pas nécessairement les conséquences de tout cela.

Le président: Est-ce qu'elles ne disent pas «Pourquoi quelqu'un ne me l'a pas dit?»

M. Green: Bien sûr! Par la suite, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié annule la mesure de renvoi et la personne est réformée.

Le sénateur LeBreton: On entend parler de nombreux cas de personnes qui ont toujours vécu au Canada et qui, sur présentation d'une demande de prestations de Sécurité de la vieillesse, découvrent qu'elles n'ont pas la citoyenneté du pays. Si une de ces personnes commettait un crime, elle pourrait être renvoyée Dieu seul sait où.

M. Green: J'ai beaucoup pratiqué le droit criminel dans mes jeunes années. Plusieurs des pénitenciers fédéraux ont de meilleurs politiques et programmes de réadaptation que les établissements provinciaux. Quand vous savez que votre client sera condamné à une peine de deux ans, vous dites au juge, «Envoyez-le dans un établissement fédéral, où il pourra se réadapter». Je crains que les bureaucrates n'aient oublié que les pénitenciers n'existent pas uniquement pour punir les gens, mais aussi pour les aider à se réadapter. Nous oublions qu'il y a tout un processus de réadaptation. Heureusement, certaines personnes en poste dans le système pénitencier font de la réadaptation.

Cette seule journée se traduit par l'exil. On utilise cependant un terme différent.

Le sénateur Fairbairn: M. Green, pouvez-vous envisager de quelque manière que ce soit que l'esprit des changements que vous voulez apporter à l'article 64 puissent l'être par règlement?

M. Green: Non, c'est dans le projet de loi. J'en ai parlé avec les hauts fonctionnaires qui disent que la politique du gouvernement est d'être ferme face à la criminalité. Vous traitez ici des gens comme s'il s'agissait de papiers. C'est l'effet de cet article inhabituel.

Je n'essaie pas d'être facétieux, mais pouvez-vous me dire quelle différence une seule journée peut faire en ce qui a trait au renvoi d'une personne du Canada? Cela n'a aucun sens, surtout lorsque les familles qui sont affectées n'ont commis aucun crime. Les Canadiens en absorberont les coûts économiques et il y aura aussi des coûts sociologiques parce que les enfants n'auront qu'un seul parent au pays. Les rédacteurs du projet de loi n'ont apparemment tenu aucun compte de l'ensemble des problèmes sociaux.

Mme Seligman: Au niveau parlementaire, lorsque le gouvernement faisait son exposé après l'étude article par article, on a parlé d'un «arbitre indépendant». Un arbitre indépendant n'a aucune autorité en vertu du projet de loi de prendre quelque décision que ce soit concernant les circonstances entourant le dossier, autre que d'obtenir une réponse à la question suivante: «Vous appelez-vous Bob et avez-vous commis le crime et s'agissait-il d'une peine de deux ans?» Si la réponse est affirmative, l'arbitre doit renvoyer la personne et cette personne n'a aucun droit d'appel.

J'ai entendu à plusieurs reprises dans divers témoignages de fonctionnaires du gouvernement lors de l'étude parlementaire que l'arbitre indépendant fournirait, miraculeusement, une forme quelconque d'examen. Les parlementaires ont ajouté que la personne pourrait se présenter en Cour fédérale. J'espère qu'il est parfaitement clair que l'arbitre indépendant n'a aucune autorité d'examiner les circonstances entourant le dossier de la personne ni la période de séjour au Canada; la Cour fédérale non plus n'a aucun pouvoir en ce sens. Il s'agit exclusivement d'un processus administratif.

M. Green: La Cour fédérale peut rendre une décision uniquement après avoir demandé «Vous nommez-vous Bob et avez-vous commis le crime et avez-vous reçu une peine de deux ans?» Le tribunal ne peut rien demander sur les circonstances entourant le dossier ni sur les problèmes humains qui pourraient résulter du renvoi de Bob.

Mme Seligman: J'ai entendu parler abondamment du droit de regard de la Cour fédérale dans les médias. Il s'agit d'une illusion.

Le sénateur Fairbairn: Ce projet de loi prévoit également des limites pour la Cour fédérale.

Mme Seligman: Oui. Il y aura une autorisation applicable à ces décisions parce qu'elles sont prises au Canada, mais la Cour fédérale n'a pas cette autorité.

Le sénateur Fairbairn: Comme vous le savez, nous avons un document qui mentionne le type de règlement que l'on entend prendre, mais nous n'avons pas le texte même du règlement, pas plus que vous d'ailleurs.

La question des consultants peut-elle être abordée dans le cadre d'un règlement?

M. Green: Elle peut l'être, mais cela n'a jamais été fait. Je crains qu'un comité responsable ne soit obligé d'examiner sérieusement le problème. En 40 ans, j'ai témoigné devant des comités sous six ou sept gouvernements pour demander qu'il y ait des contrôles, mais rien n'a été fait en ce sens. J'ai présenté des mémoires au Barreau à trois reprises, et chaque fois on était d'accord pour qu'il y ait des contrôles, mais rien n'a été fait. Selon moi, la population du Canada n'est pas bien servie.

Mme Seligman: Dans le système américain, la plupart des processus exigent que le demandeur soit représenté par un avocat ou par l'un des groupes auxquels M. Green a fait référence, le type d'organisme sans but lucratif ou des ministres - des gens qui le font en guise de contribution de bienfaisance à leur collectivité.

Le sénateur Di Nino: M. Green, sur la base de vos observations préliminaires, je crois qu'il est approprié de vous informer que votre réputation vous précède, ou plutôt que votre bonne réputation vous précède?

Permettez-moi d'aborder rapidement la question soulevée par le sénateur Fairbairn. Vous avez dit plus tôt que l'attribution de permis est une question provinciale. Vous avez dit également - et je crois être en accord avec vous - qu'il serait possible de régler ce problème en recommandant à la ministre d'inclure cette question dans le règlement ou en obtenant d'elle une garantie quelconque à cet effet. Il n'en demeure pas moins qu'il faut toujours une autre mesure pour qu'un organisme provincial accorde un permis, est-ce exact?

M. Green: L'accréditation de consultants devrait être du ressort des autorités provinciales. Le président de votre comité a demandé au président de l'OPIC: «Pourquoi n'avez-vous pas cherché à faire adopter une législation?» Toutefois, l'article 167 de la loi permet à quiconque de se présenter devant un tribunal. Si vous avez dit que seuls des avocats ou des solliciteurs ou des conseils agissant sans but lucratif pourraient s'y présenter, c'est très bien. À ce moment, il ne serait pas nécessaire de les accréditer. Il faut simplement préciser le sens des mots «autre conseil».

Le sénateur Di Nino: Ces personnes laisseraient alors sous-entendre que nous cherchons à les mettre en faillite.

M. Green: Non, nous ne laissons nullement entendre que nous cherchons à les exclure en ce qui a trait aux autorisations d'emploi ou au processus d'immigration, pour lequel le site Web mentionne des frais de 10 000 $US. Ils peuvent faire ce travail. Mme Sparling est une ex-agente de l'immigration et elle est extrêmement compétente. Elle sait que cela fonctionnerait. Franchement, et en toute déférence, parce que j'ai eu à traiter de l'aspect légal de dossiers de réfugiés ou de mesures de renvoi ou de dossiers légaux très techniques et lourds qui ont été présentés devant un tribunal fédéral de l'immigration, je suis d'avis que M. Waldman ou Mme Seligman serait beaucoup mieux qualifié que Mme Sparling, malgré toutes ses connaissances en matière d'immigration ou même que le sous-ministre.

Vous traitez ici d'un ensemble de droit très complexe. La Commission de l'immigration et du statut de réfugié rend près de 75 décisions par jour au Canada. Les conseils doivent être au courant et doivent maintenir leurs connaissances à jour.

J'enseigne le droit afin de m'obliger à rester au courant de ces questions. Il s'agit d'une question très complexe. Au bureau, je vois ce que j'appelle des cas de «massage cardiaque», des personnes qui ont été représentées par quelqu'un qui prétendait offrir des services juridiques en matière d'immigration, mais qui n'avait aucune formation ni aucune expérience dans la présentation ou l'argumentation des dossiers. Bref, des personnes dont les intérêts ont été mal servis. La meilleure chose qui puisse arriver au ministère de l'Immigration sont ces consultants qui aident à renvoyer du Canada des gens qui autrement seraient peut-être ici.

Pour ce qui est du régime de détermination du statut de réfugié, plusieurs consultants présentent des cas insoutenables devant la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. On ne peut rien faire à ce sujet parce que, comme je vous l'ai dit, un enfant de six ans peut être un consultant. Il n'y a aucune mesure de contrôle. Les consultants étrangers présentent à la Cour fédérale des demandes d'examen judiciaire sous forme imparfaite. Il n'y a aucun contrôle. Ces personnes ne sont pas des avocats.

Le sénateur Di Nino: Vous avez soutenu votre cas avec éloquence. Estimez-vous que l'article 64 pourrait résister à une contestation en vertu de la Charte des droits et libertés?

M. Green: Les conséquences pratiques des événements du 11 septembre forceront presque n'importe quel juge à adopter une attitude favorable, mais pas nécessairement. On pourrait en débattre, mais comme disait Singh, si on donne le droit à une audience, il faut que cette audience soit équitable.

La notion de «grande criminalité» est définie dans le projet de loi. Si le Parlement canadien détermine que la «grande criminalité» correspond à une peine de deux ans, tel sera le cas. Cet aspect a été envisagé par le Parlement et je dois vous dire que si j'avais à discuter avec le ministère de la Justice, je parviendrais à maintenir cet article proposé. Les conséquences sociales en sont effrayantes et je pèse mes mots.

Le sénateur Di Nino: Vous croyez qu'elle serait contestée?

Mme Seligman: Absolument.

Le sénateur Di Nino: On a dit de la question de renvoi que c'est une «farce» et toutes sortes d'autres choses. Certains des témoins ont véritablement noirci notre dossier. Le projet de loi C-11 contient-il quelque chose ou devrait-il contenir quelque chose qui permettrait de corriger ce problème?

M. Green: J'ai lu dans le journal l'autre jour qu'il y a 27 000 mesures de déportation auxquelles on n'a pas donné suite. Mettons la question de notre frontière en perspective. Quand vous vous présentez à la frontière, quelle est la première personne que vous voyez? Vous voyez un agent de douane, qui veut savoir si vous avez fait du magasinage pendant que vous étiez à l'extérieur du pays. Cette personne s'intéresse à la bouteille d'alcool ou aux cigarettes que vous pouvez avoir en votre possession. Telle est la culture et la nature de notre frontière. Les agents de douane ont, sur leurs bureaux, des machines de balayage de passeports - une technologie canadienne, soit dit en passant. Vos coordonnées sont versées dans l'ordinateur. Premièrement, on ne contrôle pas du tout les personnes qui quittent le Canada en balayant leur passeport. Deuxièmement, nos organisations de lutte contre la criminalité comme le SCRS, la GRC ou divers organismes de police ne fournissent pas tous ces renseignements aux douanes. La culture des douanes est de s'occuper de drogues, d'importation et de choses comme celles-là. Au Canada, les questions d'immigration devraient être à l'avant-plan. C'est le cas aux États-Unis. Je parcours environ 200 000 miles par année. Dans tous les pays où je suis allé, j'ai été accueilli par un agent de l'immigration. Quand je quitte le pays, cette personne appose un timbre dans mon passeport.

Un visiteur pourrait venir au Canada, y demeurer pendant deux ans, quitter le pays et y revenir la semaine suivante, et nous n'aurions aucune idée de ses déplacements. C'est une question de ressources et de sens pratique.

Le sénateur Di Nino: Il n'est pas nécessaire de modifier le projet de loi, est-ce cela que vous essayez de nous dire?

M. Green: Il n'a pas à être modifié.

Le sénateur Di Nino: M. Waldman a dit que nous n'avions pas à modifier le projet de loi C-11 parce que tous les outils nécessaires existent pour traiter des questions de sécurité nationale. Êtes-vous d'accord avec cette affirmation?

M. Green: Je suis d'accord.

Mme Seligman: Dans mes observations préliminaires, j'ai cité des articles de la loi actuelle qui traitent spécifiquement de la détention de personnes qui, de l'avis des agents, constituent un risque.

Le sénateur Di Nino: Nous n'avons pas besoin de cette loi pour appliquer cette disposition. Est-ce exact?

Mme Seligman: C'est exact.

Le sénateur Cordy: Je conviens avec M. Green de l'importance qu'un comité comme le nôtre écoute toutes les parties intéressées en matière d'immigration et de statut de réfugié. Notre comité du Sénat a certainement cherché à le faire.

Vous avez fait des observations au sujet des grands criminels, des terroristes et ainsi de suite qui, en vertu de l'article 64, n'ont pas droit d'appel. Nous avons examiné la définition d'un grand criminel. Si je comprends bien, en vertu de la loi actuelle, des mesures peuvent être prises contre des résidents permanents reconnus coupables au Canada d'une infraction passible d'une peine d'emprisonnement de cinq ans ou plus et pour laquelle une sentence de six mois a été imposée. Le projet de loi C-11 hausse le minimum de sorte qu'une peine de dix ans puisse être imposée et pour laquelle un minimum de deux ans doit être purgé.

Vous avez dit que les grands criminels et les terroristes doivent être renvoyés rapidement parce que ce sont les cas qui font les manchettes des journaux et de la télévision et qu'ils constituent une injustice pour les immigrants de bonne foi qui viennent au pays et pour les réfugiés légitimes qui cherchent un havre sûr.

M. Green: Je suis d'accord avec vous. Il existe une disposition dans la Loi sur l'immigration actuelle permettant de déclarer qu'un criminel constitue un danger. En l'occurrence, il n'a aucun droit d'appel. Seule la ministre a cette autorité. En ce qui a trait aux terroristes, il existe un processus brutal appelé audition ex parte entre le ministère de la Justice et le juge de la Cour fédérale qui exclut cela. Les terroristes ne peuvent prétendre au statut de réfugié ni demeurer au Canada.

Certaines des personnes qui ont témoigné devant votre comité ont dit que ces gens ne sont pas renvoyés assez rapidement, mais bien franchement il s'agit d'une question de ressources. Ces personnes ont droit à être entendues par un tribunal. Quelqu'un a parlé de Mahmoud Mohammad, qui est ici depuis fort longtemps. Si Mahmoud Mohammad ne peut obtenir un avocat et présenter sa cause devant un tribunal au Canada, personne d'entre nous le peut. Je n'ai aucune sympathie pour lui ni pour ce qu'il a fait, si toutefois il a fait ces choses. Le cliché selon lequel la justice agit lentement est bien réel.

Honorables sénateurs, je peux vous assurer que le gouvernement fait tout en son possible pour renvoyer le plus rapidement possible les personnes qui sont associées au terrorisme et à la grande criminalité. Sur les 225 000 immigrants que le Canada reçoit chaque année, je ne puis imaginer qu'il y ait 20 ou 30 de ces personnes. Toutefois, ces cas font la une des médias et entachent la totalité du processus. En tant que Canadien, cela me préoccupe.

Le sénateur Cordy: Les Canadiens qui entendent parler de cas comme celui de Mohammad, qui multiplient les appels depuis des années, veulent être rassurés que ce genre de choses ne se produisent plus, particulièrement après les événements du 11 septembre. Les gens ne devraient pas être au pays pendant 15 ans à cause de dispositions légales. Cela ne fait rien pour rendre justice aux personnes qui légitimement réclament le statut de réfugié dans notre pays.

M. Green: Le projet de loi prévoit une audience dans les quelques jours qui suivent. Le ministère a dit qu'il n'a pas les ressources pour le faire, et cela est vrai.

Lorsque j'ai produit un rapport sur le programme d'immigration pour les gens d'affaires à l'intention de l'honorable Sergio Marchi, j'ai eu une idée brillante: j'ai imaginé que l'immigration des gens d'affaires devrait être abordée à la manière des activités d'une entreprise. Le traitement des demandes relatives aux réfugiés et aux immigrants ne comporte aucun aspect d'entreprise. S'il était possible d'amorcer et de régler une demande de statut de réfugié en six mois et de renvoyer les personnes à qui ce statut a été refusé, nous n'aurions plus ces problèmes. Toutefois, le gouvernement n'a pas les ressources. C'est la réponse au problème. Elle est aussi simple que cela.

Le sénateur Cordy: Nous avons entendu à maintes reprises qu'il faut davantage de ressources au sein du ministère.

Mme Seligman: L'article 103 de la Loi actuelle aborde ces questions. Je crois que M. Mohammad est détenu depuis plus de deux ans. La loi permet de traiter de tels cas.

Le sénateur Cordy: Si une personne qui réclame le statut de réfugié est renvoyée et qu'elle se trouve dans une province où elle ne peut avoir accès à l'aide juridique, que peut-elle faire? De quelle manière peut-elle obtenir une aide juridique?

M. Green: En Ontario, cette personne aurait droit à l'aide juridique. M. Drukarsh, qui sera parmi nous plus tard, fait partie du Comité de l'aide juridique en Ontario et il pourra vous renseigner sur le processus.

Le président: Je vous remercie d'être venu.

Les prochains témoins nous viennent du Bureau du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et du Conseil canadien pour les réfugiés.

Mme Judith Kumin, représentante au Canada, Bureau du Haut-Commissaire des Nations Unis pour les réfugiés: Honorables sénateurs, merci de nous accueillir ici ce soir. J'apprécie grandement l'invitation qui m'a été faite de témoigner devant votre comité et de participer à l'examen que vous faites du projet de loi C-11.

Comme l'a indiqué le président, je représente le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés au Canada. Je dois vous prévenir que contrairement aux témoins précédents, je ne suis pas une avocate canadienne. De fait, je ne suis ni avocate, ni Canadienne, de sorte que mon intervention sera différente.

Le HCRNU est l'agence mandatée par l'Assemblée générale des Nations Unies pour offrir une protection internationale aux réfugiés et pour aider les gouvernements à régler les problèmes relatifs aux réfugiés.

Plus particulièrement, le HCRNU est chargé de superviser l'application de la Convention de 1951 relativement au statut de réfugié, ratifiée par le Canada et par quelque 140 autres pays.

À l'heure actuelle, le Haut-Commissariat oeuvre dans 120 pays du monde. Nous avons un bureau ici à Ottawa depuis 1976.

Plus tôt cette année, nous avons présenté par écrit au Comité permanent de la Chambre des communes chargé d'examiner ce projet de loi des observations assez détaillées sur le projet de loi C-11. Ces commentaires ont été mis à la disposition des membres de votre comité. Je ne les reprendrai pas ici. Je me propose d'être plutôt brève afin que nous puissions passer aux questions. J'aurai quelques observations au sujet du contexte dans lequel se fait l'examen du projet de loi C-11.

L'intérêt que porte le HCRNU au projet de loi vise les dispositions qui se rapportent à la protection des réfugiés en général et, de manière plus particulière, à l'obligation du Canada en tant qu'État partie à la Convention sur les réfugiés de 1951. À la suite des attentats terroristes du 11 septembre, il est inutile de dire que notre tâche, qui est de défendre les droits des réfugiés, est devenue plus difficile encore. L'énigme que pose le contrôle de l'immigration et la protection des réfugiés est complexe dans le meilleur des cas et elle a pris une dimension toute nouvelle.

L'enjeu du projet de loi C-11 est précisément de répondre aux pressions migratoires et aux préoccupations de sécurité d'aujourd'hui sans pour autant fermer la porte aux personnes à protéger. Leur nombre dans le monde est plus élevé que jamais.

Comme l'a souligné votre premier ministre dans son allocution au Parlement la semaine dernière, le droit d'asile pour les personnes persécutées est une valeur fondamentale de la société canadienne et il faudrait éviter de sacrifier ces valeurs à cause des pressions exercées par les circonstances.

De plus, le besoin d'un engagement en vue de trouver une solution humanitaire, y compris la forme d'asile, est plus grande que jamais. La semaine dernière, le Secrétaire général des Nations Unies et les chefs des six organismes humanitaires des Nations Unies ont lancé un appel en vue d'appuyer les millions d'Afghans qui sont déjà des réfugiés et pour les nombreux autres qui sont à la recherche de sécurité.

Une des façons pour les États de répondre au besoin de protection des réfugiés et une des façons dont le Canada a répondu traditionnellement est grâce aux programmes de réinstallation des réfugiés - c'est-à-dire des programmes organisés qui permettent de choisir à l'étranger des réfugiés pour les installer dans des pays d'asile. Le HCRNU apprécie grandement l'engagement de longue date du Canada pour la réinstallation des réfugiés. Nous apprécions le fait que cette notion se reflète de manière particulière dans les objectifs du projet de loi C-11.

Toutefois, les programmes de réinstallation organisés ne suffisent plus et, comme c'est le cas pour la plupart des autres pays, le Canada doit faire face au phénomène des migrations irrégulières. Nous vivons dans un monde où les frontières de l'information, des biens et des capitaux tendent à s'estomper de sorte qu'il ne faut guère se surprendre du nombre croissant de personnes qui cherchent la protection et des opportunités à l'extérieur de leurs propres pays.

Les contrôles frontaliers prennent une nouvelle importance depuis le 11 septembre mais il serait naïf de ne pas reconnaître que les barrières érigées pour réagir aux migrations irrégulières en général et pour des considérations de sécurité en particulier, constituent aussi des obstacles pour les personnes qui cherchent une protection.

L'accès à une terre d'asile pour les personnes qui en ont besoin et une protection pour éviter qu'elles ne soient renvoyées dans un pays où leur vie et leur liberté seraient en danger, constituent des pierres d'assise du régime de protection internationale des réfugiés. Les deux sont enchâssés dans l'article 14 de la Déclaration universelle des droits de la personne, qui affirme que toute personne a le droit de chercher et de profiter d'une terre d'asile qui la mette à l'abri de la persécution.

La mise en oeuvre de ce droit humain fondamental exige des systèmes nationaux efficaces permettant de distinguer entre les personnes à protéger - c'est-à-dire les réfugiés - et les personnes qui n'ont pas besoin d'être protégées ou qui ne le méritent pas. Malgré que les pressions associées à la récente catastrophe aient précipité le débat et obligé à un remaniement des priorités, il faut s'assurer que cela ne se fasse point aux dépens des personnes à protéger.

Nous croyons que cela sera plus important dans le contexte de la réglementation, dans la façon dont elle sera formulée plutôt que dans le contexte du projet de loi C-11 lui-même et dans sa mise en application.

Nous devons nous rappeler constamment que les réfugiés sont, par définition, non pas une menace, mais bien les personnes menacées. En conséquence, toute réponse aux préoccupations renouvelées en matière de sécurité doit être fondée sur des principes de droit international, de justice et d'équité.

M. Francisco Rico-Martinez, président, Conseil canadien pour les réfugiés: Notre présentation comporte deux volets. Je ferai quelques observations préliminaires puis Mme Dench vous fera une présentation plus détaillée sur le projet de loi C-11. Je vous remercie de l'opportunité que vous nous offrez de formuler ces brèves observations.

Le Conseil canadien pour les réfugiés est un organisme national de coordination comptant environ 170 membres, tous des ONG. Notre mission est de faire la promotion de la protection des réfugiés au Canada et partout dans le monde et de veiller à l'installation des réfugiés et des immigrants au Canada. Bien sûr, nous nous intéressons surtout aux réfugiés qui, d'une certaine façon, sont reliés au Canada. Ils sont soit en route pour le Canada, soit ils quittent le Canada, soit ils entendent venir au pays d'une manière quelconque.

Avant d'aborder de manière plus particulière le projet de loi C-11, nous aimerions faire quelques observations sur les circonstances dans lesquelles le projet de loi est examiné, c'est-à-dire les événements du 11 septembre.

Nous vivons une période particulièrement difficile. Permettez-moi de vous dire clairement pour quelle raison cette période est difficile pour moi personnellement. Je suis un réfugié du Salvador. J'ai fui des conditions de violation massive des droits de la personne et j'ai été victime de torture. Je sais ce que cela signifie. D'une certaine façon, je suis torturé par tout ce qui arrive aux États-Unis. Je suis aussi torturé par ce qui se produira en réaction à ces événements, et par le fait que plusieurs personnes souffriront ce que j'ai souffert au Salvador. C'est là notre principale préoccupation.

Nous vivons une période particulièrement difficile en tant que pays. Je dis «en tant que pays» bien que je ne sois Canadien que depuis quatre ans. C'est mon pays et pour moi c'est très important. Il s'agit d'une épreuve pour notre pays. Comment réagirons-nous à cette situation? Serons-nous en mesure de respecter ce qu'il y a de mieux dans nos traditions, nos valeurs et nos idéaux, des idéaux que j'ai appris à connaître depuis que je suis au Canada? Parviendrons-nous à éviter de répondre aux violations des droits de la personne en commettant d'autres violations des droits de la personne? Ce qui me préoccupe le plus est la façon dont nous réagirons à cette situation.

Plusieurs voies s'élèvent actuellement pour réclamer de vastes réformes des politiques et des pratiques dans les domaines de l'immigration et de la protection des réfugiés. Une partie des propos publics sont irrationnels, opportunistes et alimentent la xénophobie existante. Une bonne partie de ces propos concernent le système de demande de statut de réfugié, bien que ces demandeurs constituent un faible pourcentage des visiteurs et des immigrants qui viennent au Canada chaque année. La proportion est de un dixième de un pour cent.

La proportion des visiteurs qui viennent au Canada pour d'autres raisons et qui y restent est d'au plus 10 p. 100. Le problème n'est pas notre système d'immigration ou de réfugié. La question en est une de sécurité à d'autres niveaux. Je ne sais pas comment nous parviendrons à sceller nos frontières dans le contexte de la mondialisation.

Le Canada s'est doté de lois qui interdisent l'admission au Canada de toute personne qui pourrait s'engager dans des activités terroristes. Il n'est pas nécessaire de nous doter de lois plus rigoureuses, comme le clame le Conseil canadien pour les réfugiés. Au contraire, la loi actuelle et le projet de loi C-11 vont trop loin pour attraper des personnes qui ne représentent aucune menace pour la sécurité du Canada.

Pour ce qui est des changements dans l'application de la loi, nous appuyons toute amélioration qui permettra aux autorités de repérer ceux qui présentent un risque pour la sécurité. Tous doivent être traités de manière équitable et il faut éviter de victimiser des immigrants et des réfugiés innocents, qui appartiennent à des collectivités vulnérables. Cela me saute aux yeux dans tous les aéroports parce que je parle anglais avec un accent et que j'ai l'air d'une personne originaire du Moyen-Orient. Voilà les faits.

Nous espérons que le Canada saura respecter ces valeurs, et nous nous y attendons. Même avant les événements du 11 septembre, notre organisation était très préoccupée par la teneur du projet de loi à l'étude et aussi par les pressions de l'opinion publique qui peuvent donner lieu à de mauvaises lois. En venant au Canada, j'ai appris qu'il ne faut pas prendre de décisions sous pression. Il ne faut pas décider quand les émotions sont trop fortes. Il ne faut pas prendre de décisions en plein hiver, au moment où vous voulez rentrer chez vous. Il faut d'abord se calmer, prendre son temps, puis prendre une décision. Nous sommes maintenant dans une situation où nous devons prendre une décision. Puisque nous sommes en démocratie, nous avons besoin de temps pour agir avec sérieux. Est-ce que cela changera quelque chose? C'est la question que nous vous posons.

Nous avons remis à votre comité un résumé de notre mémoire au Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration de la Chambre. Nous vous avons fourni également un résumé du mémoire d'aujourd'hui. Nous l'avons revu afin de refléter les changements adoptés par la Chambre des communes. Malheureusement, cela n'a pas beaucoup changé le résumé parce que le Parlement a ignoré la vaste majorité de nos préoccupations.

Je cède maintenant la parole à Mme Dench, afin qu'elle puisse aborder certains principes concernant le projet de loi C-11.

Mme Janet Dench, directrice générale, Conseil canadien pour les réfugiés: Premièrement, les lois canadiennes devraient être entièrement conformes aux obligations internationales. Le projet de loi C-11 échoue à cet égard, de plusieurs façons. Certains demandeurs n'ont pas accès au système de reconnaissance du statut de réfugié, y compris quiconque a déjà présenté une demande. Cette situation fait que le Canada pourrait être en situation de violation de ses obligations en vertu de la Convention sur les réfugiés, qui vise à ne pas renvoyer les réfugiés dans le milieu de persécution. La Convention contre la torture, en vertu de laquelle personne, sans exception, ne doit être renvoyé dans un milieu où on pratique la torture, n'est pas entièrement respectée, puisque ce principe de base est ignoré dans le projet de loi C-11.

En ce qui a trait à la Convention relative aux droits de l'enfant, le projet de loi C-11 mentionne à divers endroits qu'il faudrait tenir compte des meilleurs intérêts de l'enfant, mais la norme exacte de la Convention n'est pas respectée. De plus, le projet de loi C-11 n'exige pas que toutes les décisions concernant les enfants soient prises en tenant compte de cet élément.

Deuxièmement, tous devraient être traités selon la même équité de base. À plusieurs égards, le projet de loi C-11 mine les droits des réfugiés et des immigrants à un processus équitable, par exemple la façon dont les personnes peuvent être considérées comme un risque pour la sécurité. Il y a aussi la facilité avec laquelle un non-Canadien peut être détenu, c'est-à-dire privé de son droit fondamental à la liberté.

Troisièmement, les traditions canadiennes d'humanisme doivent être reflétées et renforcées. Par exemple, une mesure qui trahit ces traditions est le pouvoir accordé au gouvernement d'établir une limite annuelle fixe du nombre de réfugiés qui peuvent être réinstallés au Canada. Pour la première fois depuis la Deuxième Guerre mondiale, le gouvernement pourrait limiter la générosité des Canadiens qui tentent de répondre aux besoins d'une partie des millions de réfugiés partout dans le monde qui cherchent un domicile permanent.

Quatrièmement, les lois canadiennes devraient êtres égalitaires. Malgré l'engagement du gouvernement en ce sens, les actions n'appuient pas les idées exprimées. Certaines dispositions du projet de loi C-11 ont des incidences négatives disproportionnées sur les femmes, par exemple le refus de recevoir une deuxième demande de statut de réfugié puisque les femmes sont souvent absentes lors de la première audience, au cours de laquelle seul le témoignage du mari est entendu.

Cinquièmement, la loi canadienne devrait être analysée afin de s'assurer qu'elle ne favorise pas le racisme. Nous avons certaines réserves importantes à cet égard. Par exemple, les larges pouvoirs discrétionnaires accordés aux agents de l'immigration dans plusieurs domaines ouvrent la porte à des abus qui visent les minorités raciales. Il y a fréquemment des plaintes au sujet de préjugés ou de cas de racisme perçus de la part d'agents de l'immigration, mais il n'existe pas de mécanisme indépendant d'enquête sur ces plaintes.

Le sénateur Roche: J'ai une question pour Mme Kumin. Normalement, je ne demanderais pas à un organisme des Nations Unies ni à un organisme non canadien de donner une opinion sur la législation canadienne, mais puisque vous êtes ici, vous avez soit été convoquée, soit invitée à donner un témoignage et vous nous avez remis un mémoire. J'ai entendu vos observations préliminaires et je n'arrive tout simplement pas à savoir si le HCRNU appuie le projet de loi ou non. Vous avez attiré notre attention sur certaines lacunes et aussi sur certaines améliorations. Je ne vous demande pas un appui inconditionnel, mais j'aimerais savoir où se situe le HCRNU face à ce projet de loi. Vous sentez-vous à l'aise avec la teneur du projet de loi concernant le statut de réfugié?

Mme Kumin: Vous avez raison. Il n'appartient pas à un organisme des Nations Unies de porter un tel jugement sur un projet de loi, mais comme nous avons été associés au projet de loi, que nous avons été consultés par le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration et que nous avons participé aux discussions sur le règlement, nous avons donc beaucoup échangé à ce sujet.

D'entrée de jeu, je dois dire que le processus canadien de reconnaissance du statut de réfugié est tenu en très haute estime à l'échelle internationale, et nous estimons que le projet de loi C-11 comporte certains aspects plutôt positifs qui viendront consolider tout le régime. Je peux en mentionner trois de façon précise.

L'article 3 du projet de loi pose très clairement les obligations du Canada en matière de statut de réfugié. C'est un aspect positif. Le projet de loi prévoit un appel fondé sur les mérites à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Voilà un élément que nous réclamons depuis longtemps parce que nous estimons qu'un appel basé sur les mérites est essentiel dans un processus équitable, et nous y faisons bon accueil. Nous sommes heureux qu'il y ait une évaluation des risques avant le renvoi en guise de dernier recours, particulièrement pour des personnes à qui on a refusé une audience sur le statut de réfugié lors du processus normal. Comme l'a dit Mme Dench, nous sommes heureux que le projet de loi incorpore certaines obligations internationales du Canada, qui ne font pas partie de la loi actuelle, particulièrement la consolidation du processus de prise de décisions basée sur la Convention sur les réfugiés et sur la Convention contre la torture. L'incorporation de la Convention contre la torture est incomplète du point de vue du droit international.

La première préoccupation abordée dans nos observations et dans la lettre que nous vous avons fait parvenir concerne les empêchements automatiques ou prévus par la loi à une audience sur le statut de réfugié. Tout comme le CCR, nous craignons que les empêchements prévus par la loi ne soient trop étendus. Bien sûr, quand on envisage cela du point de vue du débat entourant l'accès que les terroristes pourraient avoir aux procédures de statut de réfugié, il n'est pas facile de savoir de quoi nous parlons. Toutefois, quand on examine le cas des demandeurs qui peuvent être pris dans le filet des empêchements prévus par la loi, il pourrait s'agir d'une femme qui présente une deuxième demande à la suite d'une demande faite il y a 15 ans, alors qu'elle était accompagnée par un mari aujourd'hui décédé. Il pourrait aussi s'agir de quelqu'un qui a été exclu du processus à cause de son «appartenance» à une organisation jugée inadmissible alors que la personne n'avait aucun rôle actif au sein de cette organisation, mais qu'elle y était associée pour des raisons ethniques ou à cause de son origine.

Par exemple, des organisations comme le Front de Libération de l'Oromo - la plupart des Éthiopiens oromos d'origine en sont membres, mais ils ne devraient pas être nécessairement exclus pour autant. Les empêchements prévus par la loi nous préoccupent. Toute exclusion du processus d'une personne qui réclame le statut de réfugié devrait être basée sur un examen individuel et non sur une association ou une appartenance.

Nous nous préoccupons également de la portée des garanties offertes aux personnes à qui on refuse une audience. Si le projet de loi va de l'avant tel que prévu et que des catégories assez générales de personnes sont privées d'une audience, l'évaluation des risques avant le renvoi effectuée par Citoyenneté et Immigration prend davantage d'importance. Quiconque n'a pu être entendu par la Commission devrait pouvoir être entendu en personne lors de l'évaluation des risques avant le renvoi. Nous avons aussi exprimé des réserves au sujet du risque de développement de procédures parallèles, c'est-à-dire une évaluation des risques avant le renvoi effectuée par Citoyenneté et Immigration et une autre par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié.

Nous avons aussi des réserves concernant les droits des personnes qui se réclament du statut de réfugié en vertu de la Convention sur les réfugiés de 1951, droits qui ne sont pas entièrement reconnus dans le projet de loi C-11. Ce sont les droits prévus aux articles 36, 27 et 28. Ces articles stipulent que les réfugiés ont droit à une aide administrative de leur nouvelle terre d'asile, en l'occurrence le Canada, afin d'obtenir des pièces d'identité et des documents de voyage. Au Canada, ces droits sont liés aux droits d'établissement et non à la reconnaissance du statut de réfugié. Cette situation a été source de problèmes pour certaines personnes que l'on appelle communément les «réfugiés en suspens». La Commission a reconnu que ces personnes avaient droit au statut de réfugié en vertu de la Convention sur les réfugiés, mais elles n'ont pas obtenu l'autorisation de s'établir; pendant cette période d'attente, elles ne peuvent se prévaloir de leurs droits en vertu de la Convention.

Le projet de loi ne propose aucune approche particulière au problème des apatrides au Canada. Les apatrides qui ne sont pas des réfugiés sont bien souvent «en suspens» ici même, sans statut particulier et sans aucun moyen de régler leurs problèmes. Nous espérions que le projet de loi C-11 contienne des propositions concrètes pour traiter de cette catégorie de personnes.

Ce sont là certaines de nos préoccupations et aussi certains des avantages que nous semble présenter le projet de loi, ce qui est une façon indirecte de répondre à vos questions.

Le sénateur Roche: Concrètement, votre liste de préoccupations est plus longue que votre liste d'éléments positifs associés au projet de loi, mais je suis incapable, d'un point de vue qualitatif, de savoir où vous vous situez exactement. Je ne suis pas assez connaissant pour bien saisir ce que vous nous proposez. J'aimerais vous poser quelques questions plus précises: Selon vous et selon le HCRNU, au nom duquel vous nous parlez, vos préoccupations l'emportent-elles sur les éléments positifs ou au contraire les éléments positifs prédominent-ils? Je ne veux pas vous souffler de réponse. Je veux simplement savoir où vous vous situez par rapport à ce projet de loi.

Mme Kumin: Les préoccupations ne l'emportent pas sur les éléments positifs. Assurément, le HCRNU peut s'accommoder de ce projet de loi, mais je dois vous rappeler que nous n'examinons que les dispositions particulières du projet qui traitent du statut de réfugié tandis que plusieurs autres aspects qui ont retenu votre attention concernent les immigrants en général.

Le sénateur Roche: Je voulais simplement savoir en quoi cela affecte les réfugiés, et vous avez répondu à ma question.

Le sénateur Di Nino: J'aimerais d'abord poser une question à Mme Kumin. Pouvez-vous nous dire ce que vous pensez de la notion de «tiers pays sûr»?

Mme Kumin: Oui, j'y répondrai avec plaisir. De fait, j'ai été représentante du HCRNU en Allemagne durant quatre ans, à l'époque où cette notion est apparue sur la scène européenne. Je la connais donc assez bien. Le HCRNU a une position claire sur cette question. Dans le contexte européen, où cette question se pose le plus souvent, nous avons dit que les états avaient le droit de conclure des ententes bilatérales ou multilatérales concernant le partage de la responsabilité pour le traitement des demandes d'asile. Selon nous, toute personne qui recherche une forme de protection devrait pouvoir être entendue clairement et de manière équitable, pas nécessairement dans le pays A, B ou C, mais quelque part. Les pays peuvent conclure des accords sur le partage de responsabilités en vertu de certaines conditions. L'une d'elles est que la décision concernant le renvoi d'un demandeur de statut de réfugié - ce que nous appelons un demandeur d'asile - vers un tiers pays devrait être une décision individuelle, prise au cas par cas et non de manière générale. Deuxièmement, il devrait y avoir une assurance que la personne aura droit au processus de reconnaissance du statut de réfugié dans le pays où elle est renvoyée afin qu'elle puisse bénéficier d'une audience pleine et juste. De plus, cette audience doit se tenir conformément aux normes juridiques internationales. La personne doit être traitée selon des normales fondamentales en matière de droit de la personne tout au long du processus - pendant qu'elle attend une décision - et elle doit bénéficier du droit d'asile au plein sens du mot, c'est-à-dire selon les droits prévus à la Convention sur les réfugiés de 1951, s'il s'agit d'une personne à protéger. Les accords concernant le tiers pays sûr, comme on les appelle - et je préfère plutôt l'appellation d'«accord de partage de responsabilités» - sont admissibles. Plusieurs sont conclus entre états, mais certaines conditions doivent être respectées.

Le sénateur Di Nino: Cette notion suppose que le tiers pays sûr est signataire de la Convention de 1951, est-ce exact?

Mme Kumin: Oui, mais cela ne suffit pas. Plusieurs des pays qui ont signé la Convention de 1951 ne respectent pas les conditions que j'ai énoncées. Il faut prendre garde de supposer que tous les pays sont des «tiers pays sûrs». Plusieurs pays signataires n'ont pas de procédure nationale concernant le droit d'asile applicable à un demandeur.

Le sénateur Di Nino: Pour que ce système donne des résultats, vous dites que la personne devrait être renvoyée vers un tiers pays sûr qui signé la Convention mais qui met aussi ses politiques en pratique.

Mme Kumin: C'est exact. C'est la position que nous avons prise dans le contexte européen. Le pays doit accepter de reprendre le demandeur de statut de réfugié et lui permettre d'accéder à une procédure qui répond à des normes minimales. Nous cherchons à éviter la réaction en chaîne qui fait en sorte que vous êtes renvoyés, par exemple, de l'Allemagne vers la Pologne, puis de la Pologne vers l'Ukraine, puis de l'Ukraine vers le Belarus, du Belarus vers la Russie, et ainsi de suite pour tout à coup vous retrouver au point de départ, c'est-à-dire en Afghanistan. Il est essentiel que le pays auquel la personne est renvoyée accepte d'accorder au demandeur une procédure d'audience pleine et juste. L'objectif du système est de protéger le besoin d'être entendu.

Le sénateur Di Nino: Le HCRNU procède-t-il à une forme quelconque de vérification judiciaire, soit de lui-même, soit en collaboration avec d'autres organismes, lorsque se posent des cas comme celui de l'Afghanistan, et celui d'autres pays par le passé, où des hordes de personnes sont déplacées et sont traitées comme des réfugiés pour des raisons évidentes? Pour reprendre l'exemple actuel, il semble que des mesures seront prises dans le cas de l'Afghanistan. Certains des partisans de ben Laden vont certainement chercher de se glisser parmi les réfugiés. Est-il possible de faire une forme de vérification judiciaire à ce moment, soit à l'initiative de votre organisation, soit par des organisations qui vous aident?

Mme Kumin: Voilà une question fort pertinente et qui a été soulevée à plusieurs reprises ces dernières années. Elle a surtout attiré l'attention lors de l'exode du Rwanda, après le génocide, après qu'une population de civils ait été prise en otage dans la partie est du Zaïre.

La crainte que des combattants ou d'autres personnes indésirables ne se mêlent aux populations de réfugiés civils est réelle. Manifestement, nous ne sommes pas une force policière, nous ne sommes pas armés et nous n'avons pas la capacité de faire le genre de vérification dont vous parlez. Nous cherchons à le faire en collaboration avec le gouvernement hôte.

Chose intéressante, il y a trois ou quatre semaines, nous avons amorcé un tel programme de vérification au Pakistan, en collaboration avec les autorités du pays. Des équipes mixtes de vérification des antécédents étaient en place dans les camps vers lesquels les nouveaux arrivants étaient dirigés. Cette mesure a été suspendue, en raison de préoccupations pour la sécurité de notre propre personnel. La situation dans les zones frontalières est dangereuse et il est difficile pour nous de soumettre notre personnel à ces conditions. Nous comptons sur les gouvernements hôtes pour éliminer au moins les éléments armés ou les combattants et pour éviter de les mêler à la population de réfugiés. Cela est très difficile quand vous parlez d'une population qui correspond au nombre de réfugiés afghans au Pakistan, c'est-à-dire près de deux millions de personnes. Il est impossible qu'une poignée de civils affectés aux secours humanitaires puissent vérifier une population de deux millions de personnes.

[Français]

Le sénateur Pépin: Madame Dench, vous nous avez dit que la loi devrait être sensible à la spécificité des sexes. Quel est l'impact de la loi actuelle qui ne l'est pas? Et si on effectue des changements en ce sens, comment devrait-on procéder?

Mme Dench: Le gouvernement a un engagement en faveur de l'analyse comparative entre les sexes. Il n'est pas censé adopter des lois qui auraient un impact négatif sur les femmes ou même sur les hommes, le cas échéant. Malheureusement, ce sont les femmes qui sont le plus souvent victimes de discrimination.

Toutefois, on peut critiquer la loi actuelle à plusieurs égards relativement au traitement inégal qui existe entre les sexes. Cependant, on voulait plutôt se prononcer au sujet du projet de loi. On a fait une analyse du projet de loi et essayé de voir quels seraient les impacts différentiels pour les femmes. On en a souligné plusieurs. On aimerait connaître l'interprétation qu'en fait le gouvernement afin d'éviter les impacts négatifs pour les femmes.

Le sénateur Pépin: Pourriez-vous nous donner un exemple?

Mme Dench: La question de la traite des femmes est un exemple qui est de plus en plus d'actualité. On en parle beaucoup sur le plan international. De plus en plus, au Canada, on se préoccupe des femmes, des enfants ou même des hommes qui sont exploités par des trafiquants ou par ceux qui utilisent ces personnes comme des esclaves. Dans le cas des femmes, cela peut souvent être de la prostitution. Dans le projet de loi, des mesures punitives existent contre les gens qui exploitent ces personnes. Pour les femmes, il n'y a strictement rien.

Prenons un exemple hypothétique. Des policiers trouvent une maison où des femmes sont utilisées comme esclaves. Ce sont des prostituées, elles viennent de l'étranger et elles n'ont aucun statut légal au Canada. Les policiers vont arrêter les gens responsables de cette maison, mais qu'arrive-t-il à ces femmes? N'ayant pas de statut légal au Canada, elles risquent fortement de se retrouver dans un centre de détention pour immigrants et elles risquent d'être déportées en vertu de la Loi sur l'immigration. Rien ne permet aux agents d'immigration de dire que ces femmes ne devrait pas être traitées comme des illégaux, ce sont des victimes. Elles se retrouveront au centre de détention et elles seront exilées sans qu'on ne porte attention à leur situation particulière.

Le sénateur Pépin: Je comprends très bien. Cette réalité existe. Elle a surtout existé il y a quelques années dans plusieurs de nos grandes villes. Je vous remercie d'avoir attiré notre attention sur ce point.

[Traduction]

Le sénateur Fairbairn: Votre mémoire présente votre point de vue sur divers articles du projet de loi. Vous notez, comme l'ont fait autres témoins, que le mot «terrorisme» n'est toujours pas défini dans le projet de loi. Il faut se rappeler que l'on élabore actuellement le règlement et qu'il faudra probablement plus longtemps pour le préparer que nous le souhaitons. Je me demande si vous avez des formulations qui pourraient nous aider à en arriver à une définition.

Mme Kumin: Je n'ai pas de formulation que je puisse partager avec vous pour le moment. Diverses tentatives ont été faites dans nos domaines de compétence pour en arriver à une définition utile du mot «terrorisme» et vous voudrez peut-être consulter les définitions utilisées dans d'autres juridictions et dans certaines résolutions des Nations Unies relativement à la lutte contre le terrorisme. Bien que ces textes n'offrent pas de définition unique, ils proposent des idées ou des éléments qui pourraient être utiles.

Le sénateur Fairbairn: Il serait utile que vous nous en fassiez part, au cas où le ministère aurait oublié quelque chose.

Mme Dench: Cette absence de définition nous préoccupe. De plus, bien que vous ayez fait référence aux règlements, nous sommes sous l'impression que le gouvernement n'entend pas proposer de définition. Il semble qu'il ait été impossible jusqu'à maintenant de s'entendre sur une définition internationale. Il s'agit d'une notion très politisée. Malgré certains incidents comme les événements récents à New York et à Washington, pour lesquels tous conviennent que les mots «attentats terroristes» viennent à l'esprit, il existe plusieurs autres situations dont nous ont parlé nos membres et pour lesquelles il n'est pas si facile d'établir une distinction claire.

Selon la loi actuelle et le projet de loi C-11, tous les membres actuels et passés du Congrès national d'Afrique ne sont pas admissibles au Canada pour des motifs de sécurité. Heureusement, M. Nelson Mandela est maintenant citoyen canadien honoraire sinon, nous serions obligés de lui dire, s'il se présentait à la frontière, «Vous n'êtes pas admissible pour des motifs de sécurité». Dans plusieurs autres parties du monde, des organisations comme celles du CNA sont assujetties à cette définition de terrorisme.

Le sénateur Fairbairn: C'est une des raisons pour lesquelles j'ai posé la question. Cet aspect a été porté à l'attention de notre comité dès le début de nos travaux, il y a à peine deux jours, bien que cela semble avoir été il y a deux semaines.

M. Rico-Martinez: La façon dont une personne peut être désignée comme terroriste dans la législation canadienne nous pose des problèmes. Premièrement, vous êtes exclus si vous êtes un terroriste et vous n'avez aucune possibilité de présenter votre cas. La personne n'a aucune possibilité d'invoquer des motifs humanitaires ni quelqu'autre motif que ce soit.

Quand une personne se présente devant un arbitre, le fait que la personne puisse être un terroriste est abordé, mais il s'agit d'un processus limité. Cette personne est-elle victime de torture? Cette personne présente-t-elle tous les éléments de persécution? Cette personne est-elle admissible à la protection sous d'autres formes? Ces questions ne sont pas abordées. Elles sont exclues avant que d'autres questions puissent être abordées.

Je recommande de discuter de la façon d'approcher cette personne afin de déterminer si elle a besoin de protection, dans un premier temps. Puis, lors de la discussion générale, on pourrait ajouter toute autre question, par exemple on pourrait chercher à obtenir des informations sur des activités terroristes possibles. Lors de cette discussion générale sur la nécessité de la protection, il est possible d'équilibrer les renseignements disponibles et d'élaborer les caractéristiques de la personne.

Je vous donne un exemple. Hypothétiquement, vous avez devant vous un enfant de 14 ou 16 ans que l'on a obligé à commettre divers actes à l'âge de 11 ans. Comment aborderiez-vous une telle situation? L'enfant n'avait que 11 ans lorsque les activités ont eu lieu, mais il est maintenant au Canada et âgé de 14 ou 16 ans. Cette personne a-t-elle besoin de protection? Exclurez-vous automatiquement cette personne de toute protection parce qu'elle a été nommée dans une affaire précédente?

Le sénateur Fairbairn: Le problème a été posé plus tôt. On nous demande constamment une définition, mais nous avons pris bonne note de votre point de vue. À une époque, le Canada cherchait à honorer M. Mandela. La lutte d'une personne pour la justice peut être perçue comme des actes de terrorisme chez une autre, et la question a été soulevée à l'époque. Heureusement, cette question a été abordée et elle souligne bien la difficulté et la sensibilité du problème. Nous vous serions gré de nous fournir tout renseignement ou tout document qui pourrait aider les membres de notre comité qui s'intéressent à cet aspect particulier.

Mme Dench: Nous avons déjà suggéré de faire référence à la Loi sur le Service canadien du renseignement de la sécurité qui n'emploie pas le mot «terrorisme», mais qui porte surtout sur les risques pour la sécurité. Vous pourriez y trouver des formulations intéressantes.

M. Rico-Martinez: De même, il pourrait être utile de définir le niveau de preuve requis avant de prendre des mesures à l'endroit d'une personne accusée de terrorisme. En vertu de la Loi actuelle, si un document précise que l'organisation a participé à des actes de kidnapping, cela est suffisant pour que l'arbitre rende une décision défavorable au demandeur. Cette personne est alors exclue de toute forme de protection, malgré le fait que certains documents et lettres du gouvernement canadien puissent déclarer que l'organisation est reliée à une révolution et que la personne est un combattant de la liberté. Une seule ligne d'un tel document serait suffisante pour jeter le discrédit sur une personne.

L'autre façon de procéder serait de modifier les normes relatives aux éléments probants nécessaires pour accuser quelqu'un de quelque chose.

Le vice-président: Je remercie tous les témoins au nom de notre comité.

Le président: Honorables sénateurs, nous poursuivons la discussion sur le projet de loi C-11 en compagnie de trois avocats: M. David Davis, qui témoigne à titre personnel; M. Paul Copeland, membre du Conseil canadien des avocats de la défense; et M. Marshall Drukarsh, dont l'associé, M. Green, était parmi nous un peu plus tôt, et qui est membre de la Criminal Trial Lawyers' Association.

Pouvez-vous me dire quelle différence il y a entre le Conseil canadien des avocats de la défense et la Criminal Lawyers' Association? Je suis porté à croire que les membres de la Criminal Lawyers' Association peuvent travailler dans les deux camps, c'est-à-dire la poursuite et la défense, tandis que les autres ne travaillent que du côté de la défense. Si ce n'est pas le cas, vous pouvez m'expliquer la différence.

Nous accueillons également Mme Hamdi Mohamed et Mme Louise Slobodian, du projet Getting Landed.

Je me permets de dire aux avocats que nous avons beaucoup entendu parler de deux questions abordées par les avocats et par les organisations d'avocats, notamment l'article 64 et, de manière moins fréquente, le problème de transition. Nous sommes très au courant du problème relatif à l'article 64. Je vous parlerai des questions abordées par le comité et, si vous le voulez, des observations ex cathedra faites par divers sénateurs concernant la disposition relative à la transition. Nous sommes tous conscients qu'il y a, au Canada, il y a un droit acquis pour toute chose. Si le processus dans lequel une personne s'engage est modifié à mi-parcours, le comité considérerait qu'il est injuste de forcer cette personne à modifier sa démarche, bien que l'on puisse lui offrir la possibilité de le faire. Le comité a prêté une oreille très sympathique à cette question, à tout le moins en ce qui a trait à la compréhension du problème soulevé par l'article 64.

Permettez-moi de poser une question. Je ne cherche pas à m'approprier de vos observations préliminaires, mais je ne veux pas qu'il y ait de répétition. Puis-je demander à la personne qui doit aborder l'article 64 de s'arrêter à une seule question: est-il possible de régler le problème de l'article 64 par voie de règlement, ou faut-il le faire en modifiant le projet de loi?

Je comprends bien que pour corriger le problème, il serait préférable de modifier la loi. Telle n'est pas ma question. Ma question de savoir s'il est possible, légalement, de corriger le problème de l'article 64 par voie de règlement.

Après ce préambule, qui a possiblement empiété sur vos témoignages, nous pouvons donc commencer la discussion.

M. David H. Davis: Ma présentation s'en trouvera raccourcie d'autant. Je crois bien que c'était là votre but.

C'est pour moi un plaisir que de témoigner devant votre comité.

La disposition concernant l'autorisation d'en appeler est importante. Je ne sais pas ce que vous avez entendu à ce sujet. J'allais parler des problèmes de transition, mais je puis tout aussi bien vous parler de l'autorisation.

Prenons l'exemple de Manille, où se trouve l'un des bureaux de visa les plus occupés au monde. Un agent des visas en poste à cet endroit prend assez souvent des décisions alors qu'il est soumis à des contraintes de temps incroyables. Cette personne traite des centaines sinon des milliers de dossiers par année. Les décisions doivent être prises rapidement et parfois, malheureusement, sans que le responsable ait eu le temps d'y réfléchir très longuement. Si ses décisions ne peuvent faire l'objet d'un appel en Cour fédérale, nous craignons que plusieurs cas légitimes qui auraient dû être entendus ne le seront pas, parce que la personne doit prouver à un juge que selon toute probabilité la question est suffisamment grave pour être entendue. Cela est très difficile à établir sans parler des délais pour le dépôt des documents. Vous n'aurez pas nécessairement accès à toutes les notes informatiques que l'agent des visas a entrées dans le système à cause des délais. Il faut parfois de trois à six mois pour obtenir des renseignements d'un bureau des visas à l'étranger, uniquement parce qu'il faut respecter le processus bureaucratique.

Vous formulez des arguments en faveur d'une demande d'autorisation et vous vous basez essentiellement sur les maigres souvenirs que votre client peut avoir du processus d'interview. Nous craignons que dans les circonstances, les décisions prises par les agents des visas seront presque sans restrictions. La ministre peut soutenir que malgré l'imposition d'exigences concernant l'autorisation, le processus judiciaire demeure accessible aux demandeurs et que cela permettra de surmonter les contraintes financières, parce qu'il faut des ressources pour préparer un dossier à transmettre à la Cour fédérale.

Nous répondons que les demandes d'autorisation continueront d'être présentées. Les agents des visas devront rendre compte à leurs patrons. En conséquence, la procédure n'éliminera pas nécessairement les contraintes financières que la ministre elle-même a décelées.

Je vous prie de prendre note de cette question lorsque vous débattrez du rapport à remettre au Sénat.

La capacité des résidents permanents de voyager librement est une autre question très importante. Je ne sais pas ce que vous avez entendu dire au sujet de la carte de résident permanent. Je crois que mon collègue, M. Trister, y a fait allusion lorsqu'il a témoigné au nom de la Chambre de commerce du Canada.

Le président: Comme tous les avocats, il a fait preuve d'une très grande souplesse.

M. Davis: La carte de résident permanent peut être un outil très utile. Le problème est que si une personne obtient le statut d'immigrant reçu et qu'on lui délivre une carte de résident permanent, il faut un processus judiciaire avant que ce statut ne soit révoqué. Nous demandons au comité de s'interroger sérieusement sur les raisons qui font que l'on doive s'engager dans un processus pour déterminer si vous êtes toujours un résident permanent avant que vous ne puissiez demander une prolongation de cette carte.

À moins qu'il n'y ait une obligation réelle, je ne vois pas la nécessité d'un tel processus. Si vous devez le conserver, il faudra au moins permettre à la personne de présenter une demande pendant qu'elle est à l'extérieur du pays. Actuellement, la formulation du projet de loi obligerait cette personne à revenir au Canada pour présenter la demande.

M. Paul D. Copeland, membre du Conseil canadien des avocats de la défense: Permettez-moi de répondre à votre première question. Le mémoire que nous avons présenté à votre comité donne un peu de contexte sur le Conseil canadien des avocats de la défense, à la page 42, et contient un affidavit qui explique ce qu'est la Criminal Lawyers' Association, à la page 43.

La Criminal Lawyers' Association a été formée en 1971, en Ontario. Il s'agit d'une organisation limitée à l'Ontario. J'en ai été le vice-président pendant huit ans à une certaine époque. Actuellement, l'organisation compte environ 800 membres.

Dans l'autre cas, il s'agit d'une organisation nationale fondée en 1992 qui compte environ 2 000 membres. La Criminal Lawyers' Association fait partie de cette organisation. Tout membre de la CLA est membre du Conseil canadien.

En ce qui a trait à votre deuxième question, j'estime qu'il n'est pas possible de corriger le problème de l'article 64 par voie de règlement. Je ne sais pas ce que vous envisagez, mais vous ne pouvez adopter de règlement qui soit contraire aux dispositions de la loi. Si vous souhaitez un processus ordonné et réfléchi pour traiter des immigrants reçus qui ont commis une infraction et qui ont été condamnés à une peine d'emprisonnement de deux ans, j'estime que la seule voie possible est de passer par la Section d'appel de l'Immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Je ne sais pas ce que vous envisagez faire par voie de règlement pour contourner ce problème.

Je ferai peut-être quelques observations sur ce sujet à la fin de mon intervention. J'essaierai d'être bref. J'étais présent lors de l'intervention de M. Green et je suis heureux de dire que je ne suis pas membre du Barreau depuis aussi longtemps que lui. Il vous a donné une bonne partie du contexte à ce sujet.

Dans notre document, nous avons cherché à vous donner une toile de fond pour expliquer comment le paragraphe 64(2) a été ajouté au projet de loi. Je vous ai aussi fourni certains renseignements sur les opinions qui ont été formulées concernant l'avis de danger. Avant 1995, toute personne visée par une mesure de renvoi pouvait s'adresser à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié en disant «S'il vous plaît, permettez-moi de rester». Si vous aviez écopé d'une peine de deux ans d'emprisonnement, vos chances de succès n'étaient pas très bonnes. Je vous mentionnerai certaines données statistiques que j'ai obtenues récemment de la Commission à ce sujet et aussi d'autres renseignements que j'ai reçus du Cabinet de la ministre.

En 1995, à Toronto, une jeune femme a été abattue dans le restaurant «Just Desserts». Cet événement a suscité l'indignation. Peu après, un policier nommé Todd Baylis a été abattu, lui aussi à Toronto. Je vous ai fourni des renseignements sur cet événement aux pages 23 à 32 du mémoire.

Sur les quatre personnes qui avaient été accusées à la suite de l'incident du Just Desserts, trois ont été citées à procès. Deux de ces personnes étaient d'origine jamaïcaine. M. O'Neil Grant était l'une de ces personnes. On a pris à son endroit une mesure de renvoi du Canada. Il en a appelé avec succès de la décision auprès de la Commission. À l'époque où il a été accusé dans l'affaire du Just Desserts, il bénéficiait d'un sursis relativement à cette mesure d'expulsion. À l'époque où on avait ordonné son expulsion, son infraction la plus grave en avait été une d'introduction par infraction.

En bout de ligne, O'Neil Grant a été acquitté lors du procès dans l'affaire Just Desserts, mais ce fut l'une des raisons pour l'avis de danger émis.

L'autre accusé, Clinton Gayle, avait été frappé d'une mesure d'expulsion du Canada. Il a porté la décision en appel, il a contesté les motifs et il a perdu. Pendant une brève période, il a été gardé en détention parce que les autorités ne pouvaient obtenir de document de voyage de la Jamaïque. Un arbitre lui a permis de retrouver sa liberté. Essentiellement, l'entente avec Clinton Gayle était la suivante: vous vous procurez vos propres documents de voyage et nous vous expulserons quand vous les aurez.

Aucun des échecs dans ce dossier, en supposant que le cas de O'Neil Grant soit un échec, ne sont attribuables au processus de la Section d'appel de l'Immigration. Dans le cas de Clinton Gayle, la défaillance vient de la Direction générale de l'exécution de la Loi. La Commission a bien fait son travail. Gayle avait perdu son appel. Si la mesure d'expulsion avait été bien exécutée, Clinton Gayle n'aurait pas été au Canada.

En lisant les transcriptions du procès que j'ai apportées - un de mes associés a représenté Clinton Gayle - vous prendrez connaissance des arguments présentés au tribunal. Une des raisons pour lesquelles Clinton Gayle a décidé de tirer est qu'il savait que si Todd Baylis l'arrêtait, il serait renvoyé en Jamaïque. À la suite du tollé qui a suivi, l'avis de danger a été émis, ce qui s'est avéré un fiasco. Les tribunaux ont décrété que le gouvernement était injuste dans sa façon de traiter des avis de danger émis. D'ailleurs, les tribunaux annulent régulièrement ces avis, qui sont source de confusion et qui sont une perte de temps.

Vous trouverez, à la page 38 du document, la lettre que j'ai envoyée à la ministre le 20 juin après avoir témoigné devant le comité parlementaire. Dans un commentaire fait au Toronto Star, la ministre a expliqué que le ministère voulait inclure le paragraphe 64(2) parce qu'actuellement, l'exécution d'une mesure d'expulsion peut prendre plusieurs années. J'ai cru que la ministre faisait erreur. Je lui ai demandé certaines données statistiques à l'appui de cette prise de position. Lundi dernier, elle n'avait toujours pas répondu à ma lettre du 20 juin. Lundi, j'ai obtenu une réponse dans laquelle elle déclare qu'elle n'a pas de données statistiques. Ma lettre est présentée à la page 38, et la réponse de la ministre fait partie des documents en vrac que nous vous avons remis parce que nous l'avons reçue après la préparation du mémoire.

La ministre m'a conseillé d'écrire à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Heureusement, je l'avais fait bien avant. Lundi dernier, j'ai obtenu deux réponses distinctes de la Commission, et j'ai annexé certains renseignements statistiques au document. Je voulais notamment savoir combien de personnes sont frappées d'une mesure d'expulsion du Canada après avoir été condamnées à une peine d'emprisonnement de deux ans. Personne ne le sait. Personne ne peut me fournir de détails sur une base annuelle. La Commission m'a remis des données statistiques sur les mesures d'expulsion pour les personnes qui ont été détenues au pénitencier de Kingston. Cela signifie que ces personnes purgeaient une peine fédérale. Sur les 186 cas, 150 ont été rejetés. Cela se trouve dans les documents reçus de la Commission.

L'autre élément d'information qui revêt une certaine importance pour moi est la référence au temps de traitement. Cela est indiqué dans la deuxième lettre. On y indique le temps de traitement à compter de la date de dépôt de l'appel et jusqu'à la date de mise à la poste de la mesure. Les renseignements fournissent aussi le délai entre la date de réception du dossier, que le ministère de l'Immigration doit fournir à la Commission, et la date à laquelle l'ordre de la mesure est mis à la poste. Les données statistiques ne sont pas tellement utiles, mais si vous regardez les cas qui n'ont jamais été suspendus, vous verrez qu'en 2001, ils ont été réglés 10,6 mois après la date de dépôt de l'appel, et neuf mois après la date de réception du dossier.

Dans la plupart des cas, et plus particulièrement dans le cas des appels présentés par les détenus qui purgent des peines plus longues, les dossiers sont traités pendant que la personne est toujours en détention. Ce n'est pas un problème pour les personnes qui sont en liberté, ce n'est pas un problème pour les personnes qui disparaissent d'une manière ou d'une autre, je suis sûr que la Commission pourrait traiter ces appels de manière opportune. En conséquence, je ne crois pas que la ministre ait raison de dire qu'il faut beaucoup de temps pour régler ces dossiers.

La première page du National Post d'aujourd'hui fait état d'un avis de danger émis. Il est intéressant de constater que le National Post aborde la question en première page et que le Globe and Mail en traite dans la section de Toronto, ce qui peut vous donner une idée des intérêts à l'oeuvre dans les divers dossiers.

Le seul autre point à propos duquel je voulais faire une remarque a trait à une question que vous avez probablement entendu évoquer par les fonctionnaires de l'Immigration qui ont comparu devant le comité. Au lieu d'autoriser un individu à faire appel devant la Commission de l'immigration, s'il a été condamné à deux ans d'emprisonnement, un bureaucrate examinera l'équité de l'affaire avant de recommander la tenue d'une enquête. À mon avis, c'est tout le contraire de ce qu'il faudrait faire. Vous allez vous retrouver dans le genre de situation comparable à celle qui exige un avis de danger, et alors tout le monde invoquera l'injustice du processus. À mon avis, vous devriez laisser les gens s'adresser à la Section d'appel de l'immigration et vous pourriez traiter ces appels assez rapidement. Dans la plupart des cas, les appels seront sans doute rejetés, mais je suis partisan de ce processus car il est équitable. Il permet aux demandeurs de faire valoir leurs arguments devant un tribunal indépendant et de participer à un processus; ils auront donc le sentiment d'avoir été traités équitablement.

M. Marshall Drukarsh, membre, Criminal Lawyers' Association: Je vous remercie de m'avoir offert cette occasion de comparaître devant vous au nom de la Criminal Lawyers' Association, qui se démarque maintenant par rapport à l'association avec laquelle nous avons préparé un mémoire conjoint. La Criminal Lawyers' Association aura 30 ans le mois prochain et regroupe plus de 800 criminalistes pratiquants. Je pratique moi-même ma profession depuis 27 ans; je consacre de 70 à 75 p. 100 de mon temps aux questions d'immigration et 25 p. 100 aux affaires criminelles. Depuis plusieurs années, je suis le rédacteur attitré de la colonne consacrée au droit de l'immigration dans le bulletin de la Criminal Lawyers' Association, et c'est la raison pour laquelle je me trouve ici.

Je suis à la fois fier et reconnaissant au Canada qu'il y ait une Chambre de second examen modéré et réfléchi. Nous représentons ici notre groupe car nous sommes absolument convaincus que le paragraphe 64(2) du projet de loi C-11 élimine l'obligation, et la possibilité, ne serait-ce que d'un premier examen objectif avant le renvoi d'un résident permanent lorsque celui-ci a été condamné à un emprisonnement de 730 jours ou plus.

Vous avez entendu de nombreux autres témoins vous dire pourquoi le paragraphe 64(2) est mauvais, et vous vous êtes même déclarés sensibles à leurs arguments. Nous reconnaissons volontiers que la décision de la Cour suprême dans Chiarelli a confirmé la constitutionnalité du texte de loi alors en vigueur, selon lequel les résidents permanents peuvent être déportés pour activités criminelles. Cependant, pour répondre à une question qu'un des sénateurs a posée plus tôt aujourd'hui à mon collègue, Mendel Green, je ne crois pas que l'article 64 du projet de loi actuel résisterait à une contestation de sa constitutionnalité.

Je dis cela parce que la clé de l'affaire Chiarelli est qu'il y avait ordre de fournir ce qu'exige la Constitution - la justice fondamentale et les procédures prévues, ou en tout cas une procédure. Non seulement le projet de loi ne prévoit pas de procédure, mais il ne peut pas être modifié par adoption d'un règlement. Je dis cela parce qu'il est manifeste que de nombreux articles du projet de loi se terminent par une formule fourre-tout. Cette section en comporte une qui dit que tout peut se faire par règlement.

Les honorables sénateurs constateront que les dispositions particulières de l'article 7 ne comportent pas cette formule fourre-tout. Je vous ferai observer très respectueusement que le projet de loi se fera littéralement massacrer devant les tribunaux. La seule parade, et encore est-elle bien fragile, serait le paragraphe 15(4), selon lequel l'agent est tenu de se conformer aux instructions du ministre sur l'exécution du contrôle. S'il y avait un règlement obligeant le ministre à donner pour instruction aux agents de tenir compte des facteurs qui sont maintenant pris en considération par la Section d'appel de l'immigration, et qui devraient effectivement l'être lorsque des avis de danger sont donnés, les facteurs les plus fréquemment mentionnés sont ceux qui sont invoqués dans l'affaire Ribic, à savoir, la durée du séjour au Canada, le soutien dont bénéficie l'individu, le préjudice causé aux personnes qu'il laisserait derrière et plusieurs autres facteurs importants. Si les agents ont pour instruction d'effectuer leurs examens conformément à ces facteurs lorsqu'ils prennent leurs décisions, nous aurions au moins une sorte de mesure bouche-trou, mais ce ne serait pas suffisant.

J'ai une réponse précise à donner au sénateur qui a demandé à mon associé principal si cet article pourrait résister à un examen. J'ai apporté une récente décision de la Cour fédérale du Canada. Si vous vous reportez à l'article 10, vous verrez que la raison pour laquelle on a reconnu jusqu'à présent que les avis de danger et autres mesures du même genre ne sont pas nécessairement contraires à la justice fondamentale tient au fait qu'il existait une procédure pour la présentation d'arguments et une forme quelconque d'examen. Maintenant, il n'y en a plus.

En tant que criminaliste, j'irai un peu plus loin. D'après les notes que j'ai vues concernant les témoignages entendus ici, je ne sais pas jusqu'à quel point on vous a parlé de l'effet négatif qu'aurait le maintien du paragraphe 64(2) sur le système de justice pénal. Tout ce que je peux dire, c'est que les lecteurs de ma colonne dans le bulletin de la Criminal Lawyers' Association, qui connaissent bien les questions d'immigration, l'appellent déjà devant les tribunaux, «la clause de temps mort».

C'est le nom qu'on lui a donné parce que dans les situations inextricables où des immigrants reçus sont passibles d'un emprisonnement de deux ans, l'affaire s'arrête là. Ces individus resteront en prison, y passeront suffisamment de «temps mort» pour faire traîner les choses et lorsque ce temps mort sera compté double, ils essaieront d'éviter une peine fédérale. Ils essaieront d'éviter d'être condamnés à une peine de prison. Tout se trouve donc retardé.

Le second point à considérer est qu'en contrepartie, le nombre des procès augmentera. Il n'y a rien à perdre. Cela demandera plus de temps, mais il n'y a rien à perdre lorsqu'on risque une condamnation. Peut-être, à cause de votre situation familiale, de vos liens avec la collectivité ou du fait que vous étiez enfant lorsque vous êtes arrivé au Canada, essayerez-vous de vous corriger, et si tout le monde vous traite gentiment, vous comparaîtrez devant une commission d'appel, ou du moins vous essayerez de convaincre le ministre que vous n'êtes pas dangereux et qu'on devrait vous autoriser à rester au Canada. Très bien, dans ce cas, choisissez la solution pratique: laissez le processus pénal se dérouler. Si tout ce que vous risquez est une peine de 730 jours, après la période d'incarcération obligatoire vous serez conduit à l'aéroport. Nous serons obligés de prévoir le budget nécessaire pour couvrir ces cas plus nombreux.

En revanche, nous aurons plus d'exceptions irrecevables. Il y aura des individus qui plaideront coupables pour éviter le pire. En certaines circonstances, des cas qui méritent d'être défendus, parce qu'il est dans l'intérêt de tous que les gens ne soient punis que lorsqu'il y a une raison de le faire, ne le seront pas. Il est contraire à l'intérêt de la société que les gens trouvent commode de plaider leur cause et d'éviter peut-être une peine fédérale.

Nous aurons des plaidoyers de commodité. Les gens subissent des pressions de tous les côtés. Cela n'arrivera pas souvent, mais ce sera suffisamment fréquent pour nuire à notre système.

Il y aura des juges qui, parce qu'ils ne veulent pas détruire des familles, imposeront des peines légères. Mais il y en aura qui imposeront au contraire des peines sévères parce qu'ils veulent une double sanction. Il y aura des problèmes de contrôle dans les pénitenciers. Ces individus n'auront rien à perdre. Ils seront simplement conduits à l'aéroport à moins de passer au tribunal pour avoir poignardé leur voisin avant l'expiration de leur peine. Des familles éclateront.

Merci de m'avoir permis de comparaître à l'occasion de la présentation du mémoire conjoint par notre association et d'avoir bien voulu m'écouter avec tant de patience.

Mme Louise Slobodian, représentante, Le Projet Getting Landed: Honorables sénateurs, nous appartenons à un groupe appelé Citizens for Public Justice; il représente une coalition qui s'appelle le Projet Getting Landed. Cette coalition a été formée il y a quelques années par plus de 85 groupes qui se préoccupent de la situation des réfugiés en période d'attente indéterminée. Nous nous occupons des problèmes des réfugiés.

J'espère sincèrement qu'au moment des questions, vous me demanderez de vous raconter l'histoire dont je voulais précisément vous parler. Je répondrai cependant tout d'abord à une question que le sénateur Fairbairn a posée à un groupe précédent au sujet de la définition du terrorisme. Mme Mohamed vous parlera ensuite des pièces d'identité.

L'histoire que j'allais raconter a, je le sais, déjà été évoquée ici. C'est celle de deux Kurdes venus de Turquie. Ils sont pro-Kurdes, comme le seraient, je crois, presque tous les Kurdes dans un pays où une minorité est opprimée. On les a accusés d'être membres du Parti des travailleurs kurdes, le PKK, dont les actes lui valent à juste titre le nom d'organisation terroriste. Ils ont tous deux vigoureusement nié avoir jamais été membres de cette organisation, ce que le gouvernement a maintenant reconnu dans le cas de l'un d'entre eux. En 1977, les deux hommes ont présenté une plainte au SCRS. En 1988 et 1989, le Comité de surveillance des activités du renseignement de sécurité, Comité civil de surveillance du SCRS, a tenu des audiences sur la plainte. Le président du tribunal qui a entendu cette plainte était Bob Rae, ancien premier ministre de l'Ontario. Il a présenté son rapport le 7 avril 2000. Je n'ai pas tous les documents devant moi, mais j'en ai des extraits. Je pourrai vous fournir le texte complet, si cela peut vous être utile.

M. Rae a parlé d'établir des lignes directrices. Les plaignants ont reçu des rapports expurgés. Nous n'avons pas le texte complet du rapport de M. Rae, mais celui-ci a exonéré les deux hommes de toutes les accusations portées contre eux. Il a dit qu'actuellement, le SCRS utilise, semble-t-il, une définition très lâche, si l'on peut appeler cela une définition. C'est la raison pour laquelle nous sommes si nombreux à réclamer qu'une vraie définition soit adoptée. C'est une question qui est constamment revenue sur le tapis. On s'est notamment demandé s'il fallait que la définition apparaisse dans ce projet de loi. Il n'est pas nécessaire qu'elle y figure, mais nous vous demandons de veiller à ce qu'elle apparaisse quelque part et que la formule trop générale actuelle ne soit pas conservée.

Lorsqu'il a évoqué le cas de Nelson Mandela, M. Rae dit que le SCRS n'a pas présenté une définition unique, unifiée et précise du terrorisme et a préféré s'en tenir au bon vieux «Quand on le rencontre, on ne risque pas de ne pas le reconnaître», et aux relations de travail déjà décrites.

M. Rae a également déclaré qu'on devrait pouvoir s'attendre à ce que les représentants du service sachent faire la différence entre l'appui plus ou moins fort que les demandeurs du statut de réfugié apportent au PKK, et que l'on ne devrait plus procéder de manière ponctuelle. Il a ajouté que les agents chargés des évaluations ne peuvent pas s'appuyer sur des analyses approfondies et que s'ils ne disposent pas d'un ensemble de lignes directrices, des innocents seront victimes de décisions arbitraires et d'erreurs, comme nous croyons que cela s'est produit dans ce cas particulier.

M. Rae dit qu'il ne serait pas facile de devenir membre d'une organisation aussi suspecte et que pour y parvenir, il faudrait avoir suivi un entraînement et une formation disciplinaire poussés. Il a également dit que le groupe des membres serait limité à un petit cadre d'idéologues convaincus, organisé selon les méthodes léninistes traditionnelles renforcées par une véritable discipline militaire.

M. Rae a bien précisé que nous n'essayons pas de nous débarrasser d'idées saugrenues, et que les gens ont le droit d'avoir des opinions différentes sur des causes diverses et d'être plus ou moins sympathisants à leur égard. Il en parle abondamment dans son rapport, un document qui pourrait vous être très utile.

Mme Hamdi Mohamed, représentante, le Projet Getting Landed: Honorables sénateurs, nous ne traiterons que de certains aspects du projet de loi. Mme Slobodian a parlé de la sécurité. Je vous parlerai maintenant des exigences relatives aux pièces d'identité.

Lorsque des réfugiés arrivent ici, la CISR leur demande de fournir la preuve de leur identité. Il y a une procédure à suivre pour cela. Pour être acceptés comme immigrants reçus, ils doivent soumettre ce que l'on appelle des «pièces d'identité acceptables». Cela peut être extrêmement difficile pour de nombreuses raisons, par exemple le fait qu'il n'existe aucune infrastructure dans le pays d'où ils viennent. Ils ont parfois été persécutés par leur gouvernement ou ils ne veulent pas qu'on les associe avec ce gouvernement, si bien qu'il leur a été impossible d'obtenir des pièces d'identité.

De ce fait, des milliers de réfugiés se retrouvent dans une période d'attente indéterminée sur le plan juridique et il leur est impossible d'obtenir les documents nécessaires. Les groupes du CCR et du HCR des Nations Unies ont tous deux mentionné le fait que 80 p. 100 des personnes ayant des problèmes de pièces d'identité sont des femmes et des enfants. Cela nous préoccupe beaucoup.

La création de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention se trouvant au Canada sans pièces d'identité, la CRCCSPI, était censée remédier à la situation. Nous en faisons état dans le document que nous vous avons remis.

Je ne veux pas entrer dans le détail, mais pour l'essentiel, les gens sont censés attendre entre trois et cinq ans. Cette attente a été ramenée à trois ans. Après cela, ils sont censés présenter des pièces d'identité. Des rapports de la CIC nous ont appris, et nous l'avons nous-mêmes constaté, qu'au bout de trois ou même cinq ans, certaines personnes n'ont toujours pas accès à des titres d'identité. Leurs pays ont été démembrés, ou il leur est tout simplement impossible d'avoir accès à leur pays d'origine. Cela nous a posé de sérieux problèmes.

L'article 27 de la Convention de Genève sur le statut de réfugié énonce clairement que les parties signataires devraient délivrer des titres d'identité aux réfugiés. Le Canada est signataire de cette convention.

Le Canada est donc tenu de délivrer ces documents. Nous recommandons que l'on s'efforce de régler cette question. Aux termes de l'article 31 du projet de loi, les résidents permanents recevront des titres d'identité, mais les mêmes droits ne sont pas accordés aux réfugiés. Ce que nous demandons, c'est qu'ils le soient.

Pour illustrer la situation dans laquelle se trouve une personne en période d'attente indéterminée, nous avons imaginé l'histoire d'une famille qui a vécu une guerre. Elle vient au Canada, s'y établit sous les auspices de la CISR, et au bout d'un an environ, elle réclame le statut d'immigrant reçu. Elle ne peut pas l'obtenir parce qu'elle n'est pas en mesure de produire les pièces d'identité acceptables. Cette famille se retrouve donc en période d'attente indéterminée. Les enfants ne peuvent pas faire d'études postsecondaires; les membres de la famille ne peuvent pas bénéficier de prêts. Essentiellement, la vie de ces membres, sous tous ses aspects, en souffre, et c'est là un sérieux sujet de préoccupation. Je travaille dans le secteur de l'établissement depuis de nombreuses années et j'ai rencontré des milliers de personnes dont la vie se trouve paralysée par cette période d'attente indéterminée. Notre système exige que nous nous occupions d'elles, ce qui est une charge pour les contribuables. La santé mentale de ces personnes a été affectée. Nous ne nous occupons pas spécifiquement de réunir des familles, mais d'autres groupes l'ont fait. Les personnes qui n'ont pas de pièces d'identité ne peuvent pas parrainer des membres de leur famille, et la liste des problèmes s'allonge. Je dirai simplement que ces gens-là vivent dans un état de suspens, et c'est là une question que le projet de loi ne règle pas. Nous encourageons les sénateurs à examiner attentivement le problème.

Le président: Merci.

Le sénateur LeBreton: Monsieur Copeland, pendant le témoignage de M. Green, je pensais à l'effet potentiel de cette situation sur nos tribunaux en ce qui concerne la détermination de la peine - deux ans moins un jour; deux ans, au plan provincial et fédéral. Quelqu'un a-t-il vraiment réfléchi à la question? Les tribunaux sont surchargés. Il semble déjà que les peines imposées varient considérablement d'un ressort à l'autre. Cela obligera-t-il les avocats à négocier avec les procureurs, les juges et l'ordre judiciaire, si bien que le procès sera détourné de ce qui devrait être son objectif, établir les détails de l'affaire et décider si une personne est innocente ou coupable?

M. Copeland: Absolument. Le meilleur exemple que je peux vous donner est le suivant: en vertu de l'ancienne Loi sur les stupéfiants, la peine minimum obligatoire pour importation de drogues au Canada était de sept ans. La Couronne portait souvent une accusation de possession de stupéfiants aux fins de trafic, qui n'était pas assujettie à une peine minimum. La Couronne menaçait donc d'intenter des poursuites pour importation de stupéfiants à moins que le client ne plaide coupable pour possession aux fins de trafic et habituellement n'accepte une peine nettement supérieure à ce que justifiait la quantité de produits illicites importés. Il s'agissait donc de faire un choix entre aller en justice et être condamné à sept années d'emprisonnement au minimum, ou plaider coupable et passer trois ans en prison, alors que la peine appropriée aurait été de 18 mois. Vous constaterez que les nouvelles dispositions auront le même effet. La Couronne dira «Si vous voulez aller en justice, nous réclamerons une peine d'emprisonnement de trois ans. Si vous voulez plaider coupable, nous ne demanderons que 12 mois». Cela aura donc une énorme influence sur le processus de négociation et donnera aux procureurs de la Couronne un pouvoir qui, à mon avis, relève de l'extorsion.

M. Drukarsh: Je note que lorsque Joan Atkinson a comparu devant vous, elle a essayé de dire, lorsqu'elle parlait de crime grave, que les petites mises ne présentent pas d'intérêt. Je me permets de vous faire observer que le Code criminel fait état de 98 infractions passibles d'une peine de 10 ans ou plus et pour lesquelles une condamnation à deux ans d'emprisonnement est une possibilité. Cela comprend les crimes odieux tels que le mauvais usage de renseignements informatiques, et la possession courante ou le vol, de plus de 5 000 $. Dans bien des cas il s'agit d'infractions - par exemple, la conduite avec facultés affaiblies causant des lésions corporelles - pour lesquelles, dans certaines parties du Canada, une peine d'emprisonnement de deux ans est fréquemment imposée. Voilà le genre de situation dans laquelle ces éléments joueront. Ce n'est pas simplement une situation hypothétique. Vous avez raison de vous inquiéter de la négociation de plaidoyer, des retards et des autres facteurs évoqués par vous qui entrent dans la détermination de la peine.

Le sénateur LeBreton: Ne risquez-vous pas alors de vous retrouver avec deux régimes juridiques? Si un client appartient à la catégorie des ressortissants étrangers tout en étant un résident de longue date de notre pays, s'il a des enfants et une entreprise au Canada, la détermination doit-elle alors présenter un intérêt particulier? Vous pouvez dire «Eh bien, pour la collectivité, cela signifiera que je laisserai imposer une peine plus sévère au citoyen canadien parce qu'il ne risque pas d'être déporté, alors que je serai obligé de faire plus d'efforts pour obtenir une peine moins sévère pour mon client dont l'intérêt à long terme est de demeurer dans notre pays.» Cela ne causera-t-il pas de problème?

M. Copeland: Je ne suis pas de ceux qui prennent ce genre de décision lorsqu'ils représentent un client, mais la représentation du ressortissant étranger assujetti à ces dispositions posera certainement un problème. Je me suis déjà occupé de quelques appels de ce type, encore qu'il n'y en ait pas beaucoup. J'ai représenté un jeune homme de 18 ans qui avait participé à un braquage de banque. C'était sa première infraction. Il a été condamné à une peine d'emprisonnement de trois ans, ce qui est assez raisonnable, mais il vivait au Canada depuis l'âge de six ans environ. Il s'est prévalu de son droit d'appel; il a obtenu gain de cause et n'a plus jamais eu aucune activité criminelle. M. Drukarsh a parlé de conduite avec facultés affaiblies causant des lésions corporelles ou la mort. C'est une terrible infraction pour la collectivité. Cependant, le degré de turpitude morale qui s'y attache est habituellement faible - il s'agit simplement d'un citoyen assez respectueux de la loi qui s'enivre un soir et se trouve impliqué dans une situation catastrophique à la fois pour lui-même et pour la où les personnes blessées ou tuées. Vous risquez ainsi de déporter quelqu'un qui est ici depuis 20 ans et qui a une entreprise et une famille dans notre pays.

Le sénateur LeBreton: La question de la conduite avec facultés affaiblies me touche personnellement car ma fille et mon petit-fils ont été tués par un conducteur en état d'ébriété, qui avait été déjà condamné à maintes reprises. Pourtant, je dois reconnaître que vous avez raison. Les réunions de MADD auxquelles j'ai assisté m'ont appris qu'il n'y a aucune uniformité dans les peines imposées et qu'elles varient d'une instance à l'autre. Cela dit, nous serions heureux de pouvoir nous dire que la réinsertion sociale de certaines de ces personnes est possible et qu'il n'est pas toujours nécessaire de les déporter parce qu'elles ont subi une telle condamnation.

Je ne suis pas avocat, mais j'essaie de comprendre ce que l'article 44 dit de la procédure de perte de statut et de renvoi. Le mot «peut» est utilisé à de nombreuses reprises. Quel est le rapport avec l'article 64?

M. Drukarsh: En gros voici, comment cela fonctionne. Aujourd'hui, si un individu est condamné pour une infraction, la situation est portée à l'attention d'un agent d'immigration. Celui-ci effectue une brève enquête et rédige un rapport. Le rapport est transmis à un gestionnaire qui, au nom du sous-ministre, décide si une enquête s'impose ou non. L'agent d'immigration, en vertu de la loi actuelle, doit «établir un rapport». C'est une obligation. Mes amis à la Direction générale de l'exécution de la Loi sur l'immigration accordent beaucoup d'importance au fait que, maintenant, l'agent «peut» établir le rapport. Si le rapport parvient au délégué du sous-ministre, celui-ci peut décider qu'il y aura enquête. L'arbitre n'a donc plus d'options. Il doit prendre une mesure d'expulsion, et à moins que le délégué du ministre n'ait fait des recherches, une enquête, ou soit parvenu à la conclusion que l'individu constitue un danger, celui-ci va à la Section d'appel où l'ordonnance d'expulsion peut être maintenue ou au contraire, un sursis d'exécution peut être décrété. Je ne l'ai jamais vu au cours de 27 années de représentation de personnes placées dans ce genre de situation, mais il peut arriver que l'on fasse immédiatement droit à l'appel; je reviens sur ce que je viens de dire. J'ai connu une personne qui, 14 ans après avoir purgé sa peine, était totalement réformée. Dans son cas, l'ordonnance de renvoi a simplement été annulée.

La différence est qu'en vertu du nouveau système, le premier agent qui effectue l'enquête et pose les questions suivantes - «Êtes-vous bien telle ou telle personne. Êtes-vous un immigrant reçu, un citoyen? N'avez-vous jamais été condamné pour une infraction?» - sera maintenant libre de décider d'établir un rapport ou de ne pas le faire.

Le grand sophisme dans tout ceci est que si l'individu a été condamné à 729 jours d'emprisonnement ou moins, on peut faire une enquête sans problème, aller en appel devant la Section des appels, imposer certaines conditions à l'intéressé, lui accorder un sursis et lui dire que pendant quatre ans il devra continuer à fréquenter Alcooliques Anonymes, poursuivre un traitement psychiatrique ou faire telle ou telle autre chose. Dans bien des cas, ces gens-là deviendront des adultes responsables. Avec cette aide, ce soutien de la collectivité, cette période de probation prolongée, beaucoup d'entre eux retrouveront le droit chemin et le résultat final sera positif pour eux-mêmes, pour leurs familles et pour la collectivité.

Dans les dispositions de l'article 64, c'est tout ou rien. Si une peine de 729 jours est imposée, on peut vous envoyer à la Section des appels mais si l'emprisonnement est de 730 jours, on observe les dispositions de l'article 44 et on décide de passer l'éponge sur l'infraction - on vous a parlé du nombre d'affaires qu'on laisse passer - ou alors, c'est le renvoi pur et simple. Dans le nouveau projet de loi, on a donc éliminé la passerelle sociale qui facilitait la réintégration au sein de la collectivité. On vous a laissé le choix entre tout ou rien.

Autre facteur très important, le processus de décision concernant l'opportunité d'exiger une enquête, d'engager des poursuites, est fondé sur une base pratique. Mon associé dirait que cela se ramène à une d'«analyse de rentabilité». Obtiendrons-nous gain de cause devant la Commission d'appel ou non? La compassion et les raisons humanitaires prédominent-elles sur tout le reste? L'intéressé est-il arrivé au Canada tout petit? Est-il venu d'un pays qui n'existe plus?

Le sénateur LeBreton: Pour conclure, que se passe-t-il?

M. Drukarsh: Actuellement, on décide s'il y a des chances d'obtenir gain de cause en appel. C'est la raison pour laquelle on applique aujourd'hui la loi dans peu de cas. C'est l'argument qui est invoqué pour nous demander de faire entièrement confiance à la décision qui sera prise.

Le sénateur Cordy: J'ai posé cette question à M. Green et il l'a déférée, je crois, à M. Copeland.

M. Copeland: Je croyais qu'il l'avait déférée à son associé.

Le sénateur Cordy: L'article 167 dispose qu'une personne comparaissant devant la Commission doit être représentée par un avocat, ce qui est merveilleux en théorie. En réalité, cependant, de nombreux demandeurs du statut de réfugié n'ont pas l'argent nécessaire pour se faire représenter; ils se trouvent dans le pays et peuvent faire l'objet d'une mesure de renvoi, et ils n'ont pas accès à une aide juridique. J'ai cru comprendre, d'après ce que disait M. Green, qu'en Ontario, on a en fait accès à une telle aide. En Nouvelle-Écosse, qui est ma province, ce n'est pas le cas. Que feraient ces demandeurs du statut de réfugié si le projet de loi leur imposait effectivement l'obligation de se faire représenter par un avocat?

M. Drukarsh: Il arrive actuellement que de jeunes contrevenants comparaissent devant les tribunaux et ne peuvent pas obtenir d'aide juridique. Un tribunal ordonne qu'on leur accorde cette aide. C'est ce qui se passe en Ontario au tribunal provincial. Si le système d'aide juridique n'est pas prêt à accorder un certificat à un jeune contrevenant et lui dit, «c'est à ton père de t'aider parce que nous pensons que tu vis encore chez tes parents,» et que le père s'y refuse, le tribunal peut le contraindre à aider son fils.

Que se passera-t-il dans le cas dont nous parlons? Je crains que nous ne nous retrouvions dans une de ces situations gênantes comme celles qui existaient à l'époque où on a complètement remanié la Loi sur l'immigration. On a adopté le concept de Reconnaissance du statut de réfugié basée sur des audiences crédibles, et pour essayer de respecter des échéanciers optimistes, le gouvernement fédéral a été contraint de financer des groupes spéciaux d'avocats de l'aide juridique. Il y a eu une époque ou les systèmes et plans d'aide juridique dans les provinces où ils existaient, étaient directement financés par le gouvernement fédéral lorsqu'il s'agissait du processus de reconnaissance du statut de réfugié. Des groupes spéciaux ont été créés.

Je ne pense pas que quiconque veuille que cela se produise ici. À mon avis, un système d'aide juridique adéquatement financé dans tout le pays est un élément critique de l'accès à la justice et je pourrais vous faire toute une autre série de discours là-dessus; disons simplement que c'est une des raisons pour lesquelles la disposition actuelle est inapplicable.

Le sénateur Cordy: Le projet de loi C-11 dit qu'il faut que ce soit un avocat ou autre conseil. C'est moi qui dit ce que devrait être un avocat.

M. Drukarsh: Permettez-moi de dire que, malheureusement, le terme «avocat» a été appliqué à des personnes qui ont fourni un service à leurs clients et aussi à bien trop de personnes qui ont mal servi leurs clients. Vous obligerez la Section d'appel des réfugiés, du fait des règles auxquelles elle obéit, à essayer de réglementer la conduite de ceux qui comparaissent devant elle, de faire son possible pour éliminer les imposteurs et les escrocs et de participer au choix de ceux qui devront ou ne devront pas comparaître devant elle.

Le sénateur Cordy: Un de nos autres témoins en a déjà parlé.

M. Drukarsh: Ce serait un cauchemar administratif et cela créerait une situation inextricable.

M. Copeland: Je ne répondrai pas à la question aujourd'hui, mais vous pouvez m'en parler plus tard. J'ai été vice-président du Comité d'aide juridique du Barreau pendant six ans et j'en suis encore un des conseillers. Nous étudions les questions de financement de l'aide juridique par le gouvernement fédéral dans le domaine de l'immigration.

M. Davis: J'ai été criminaliste, et je travaille maintenant exclusivement dans le domaine de l'immigration. Au Manitoba, les personnes soumises au processus d'immigration peuvent bénéficier d'une aide juridique.

Le président: Ce n'est pas le cas en Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Cordy: Mme Mohamed, je voudrais un éclaircissement. Vous avez dit que certains documents n'étaient pas remis aux réfugiés. Je n'ai pas tout saisi.

Mme Mohamed: En effet, les pièces d'identité.

Le sénateur Cordy: À la Chambre des communes, le comité permanent a apporté une modification au projet de loi C-11, avec l'assentiment de toutes les parties, qui précise que les réfugiés au sens de la Convention et les personnes protégées se verront délivrer des titres d'identité.

Mme Slobodian: Ce que nous craignons c'est qu'un document remis dès le début du processus ne constitue une mesure de sécurité potentielle, ce à quoi nous ne sommes pas nécessairement opposés, mais il ne constitue pas non plus nécessairement un document de voyage. Ce document ne permettra pas de voyager aux personnes qui n'ont pas encore obtenu le droit d'établissement car il n'est pas couvert par l'autorité du gouvernement.

Le sénateur Pépin: Ces personnes n'obtiendront pas le document nécessaire?

Le sénateur Cordy: D'après ce que je comprends, toutes les parties du comité, à la Chambre des communes, ont été très satisfaites de voir que ce document était en fait remis non seulement aux personnes protégées mais aussi aux réfugiés au sens de la Convention, et qu'il garantissait une aide aux personnes protégées pour qu'elles obtiennent des documents de voyage.

Mme Slobodian: S'agit-il de quelque chose dont nous ne sommes pas informés?

Le sénateur Cordy: Il s'agissait d'un amendement.

Le sénateur Roche: Madame Slobodian, au début de votre témoignage, ce soir, vous avez dit que vous êtes associée à Citizens for Public Justice, c'est bien cela?

Mme Slobodian: Je suis la coordinatrice des communications, et Mme Mohamed est la coordinatrice pour les réfugiés.

Le sénateur Roche: Pour Citizens for Public Justice?

Mme Slobodian: C'est exact. Nous gérons le projet Getting Landed Project. Nous portons plusieurs chapeaux.

Le sénateur Roche: D'après les notes d'information que j'ai, vous représentez en fait ici le projet Getting Landed. Y a-t-il un lien entre Getting Landed et Citizens for Public Justice?

Mme Mohamed: Oui. Citizens for Public Justice gère le projet Getting Landed.

Le sénateur Roche: Merci.

Mme Slobodian: C'est compliqué, nous constituons l'état-major actuel, mais nous avons deux fonctions qui ne se recoupent pas exactement.

Le sénateur Roche: Peut-on donc dire que votre témoignage, ce soir, au nom du projet Getting Landed représente en fait une intervention de Citizens for Public Justice? Est-ce que Citizens for Public Justice, qui est une organisation bien connue, partage les opinions exprimées dans votre mémoire?

Mme Slobodian: Certainement, en ce sens que nous portons deux chapeaux, et que je ne tiens absolument pas à me démarquer par rapport à ce qu'a dit Mme Mohamed, mais tout particulièrement parce que Citizens for Public Justice, séparément du projet Getting Landed, a été un des membres de la coalition que vous avez entendue hier et que notre organisation a apporté un soutien actif aux deux hommes accusés de terrorisme.

J'ai préparé les textes pour les médias lorsque les rapports du CIRC sont sortis. Cela faisait certainement partie de notre contribution, et la coalition est membre fondateur du projet Getting Landed. Oui, Citizens for Public Justice répond du contenu de ce mémoire.

Le sénateur Roche: Si vous cherchez à savoir quelle est la position de Citizens for Public Justice, vous la trouverez décrite dans le mémoire présenté hier par la Southern Ontario Sanctuary Coalition.

Mme Slobodian: J'ai une idée assez claire de ce qui a été dit; effectivement, nous nous retrouverions avec une justice à deux niveaux. Citizens for Public Justice laisse maintenant le soin au projet Getting Landed de poursuivre son travail en faveur des réfugiés.

Le président: Je vous remercie tous d'être venus. Je précise à l'intention des trois avocats qu'un des membres de mon personnel est lui-même avocat; nous avons une question juridique à poser au sujet de la rédaction d'un document que nous voudrions que vous examiniez. Nous vous serions reconnaissants de bien vouloir jeter un coup d'oeil à une question d'ordre technique.

Notre dernier témoin ce soir est Mme Anne Mulvale, maire de Oakville, en Ontario. Mme Mulvale est ici à titre de présidente de l'Association des municipalités de l'Ontario et de membre du conseil d'administration de la Fédération des municipalités canadiennes. Soyez la bienvenue et merci d'être venue.

Mme Ann Mulvale, maire de Oakville et présidente, Association des municipalités de l'Ontario: Merci de nous avoir invités à venir présenter ici des observations sur le projet de loi C-11.

Ce projet de loi est important non seulement pour les collectivités de l'Ontario mais aussi pour toutes les municipalités du Canada et c'est la raison pour laquelle nous avons demandé à la FMC de comparaître avec nous. Malheureusement, M. Jack Layton, président de la FMC n'a pas pu m'accompagner. La Fédération est cependant représentée ce soir par M. John Burrett, directeur intérimaire, Politique sociale et économique, et par Mme Pat Vanini, directrice de la Politique et des relations gouvernementales. Nous voudrions vous présenter notre point de vue sur ce projet de loi; après quoi nous serons prêts à répondre à vos questions.

Qu'est-ce que la FMC? La Fédération des municipalités canadiennes est l'organe national des administrations municipales, et comme nos associations provinciales, elle se consacre à l'amélioration de la qualité de vie dans toutes les collectivités en promouvant l'établissement d'administrations municipales fortes, efficaces et responsables.

L'Association des municipalités de l'Ontario, l'AMO, est membre du FMC. À titre de présidente, je siège à son conseil d'administration. L'AMO représente la presque totalité des 447 administrations municipales de l'Ontario et 98 p. 100 de sa population. Ensemble, nous nous faisons valoir l'importance de l'administration municipale en laquelle nous voyons un élément essentiel et indispensable du système politique du Canada.

M. John Burrett, directeur intérimaire, Politique sociale et économique, Fédération canadienne des municipalités: Avant de parler du projet de loi et de ses rapports avec l'administration municipale, je tiens à dire que nous comprenons que l'on veuille faire avancer rapidement l'examen de ce projet de loi. Nous ne ferons pas de commentaires sur les rapports avec la sécurité nationale car cela sort de notre domaine de compétence.

Cela dit, cependant, nous estimons que nos collectivités doivent être protégées contre ceux qui ne sont pas ici pour le bien du pays ou pour celui des collectivités locales. Tous les responsables gouvernementaux doivent collaborer plus étroitement afin d'assurer la sécurité des Canadiens. Les trois ordres de gouvernement et les organismes d'application de la loi respectifs se doivent de réexaminer la manière dont ils coordonnent leurs efforts. La rédaction du projet de loi C-11 est inspirée par un certain nombre de principes valables que nous appuyons en général. Plusieurs de ces principes méritent qu'on s'y arrête. Notre pays et nos collectivités ont tiré profit de la diversité de leurs habitants. La vision d'un Canada continuant à tirer profit d'une approche multiculturelle n'est pas difficile à adopter. Le respect du caractère multiculturel du Canada, à l'avenir comme aujourd'hui, est une priorité.

Nous sommes particulièrement heureux de voir qu'un des principes du projet de loi repose sur l'engagement de collaborer avec les autres ordres de gouvernement afin que les titres étrangers des résidents permanents soient mieux reconnus et que l'intégration de ces résidents soit accélérée, ce qui me conduit à évoquer les deux points suivants:

Premièrement, nous espérons que l'administration municipale est considérée comme un des ordres de gouvernement auquel ce principe s'applique, car il est clair que l'administration municipale est celle qui est le plus proche de la population, et qu'elle constitue le lieu le plus logique et le plus accessible pour la population de services de soutien aux personnes, aux collectivités et à leur qualité de vie.

Pourquoi est-ce important? Le recensement de 1996 montre que 85 p. 100 des immigrants vivent dans les 25 régions métropolitaines de recensement du Canada, et près des trois quarts d'entre eux, dans trois grandes villes: Toronto, Vancouver et Montréal. En 1999, la plupart des immigrants ont continué à s'installer dans ces centres. Il y a d'ailleurs aussi d'autres villes qui accueillent un pourcentage élevé de migrants induits - immigrants, réfugiés et demandeurs du statut de réfugié - qui immigrent de leur point de destination initial.

Deuxièmement, dans tout le Canada il y a une pénurie de travailleurs qualifiés dans notre système de soins de santé, dans nos écoles, dans le secteur technologique et dans de nombreux autres domaines. Pour que nos villes soient capables d'affronter la concurrence mondiale, pour maintenir et accroître notre bien-être économique, il est indispensable que nous élaborions des plans polyvalents afin d'éliminer cette pénurie. Nous sommes fermement partisans des principes qui sous-tendent la protection des réfugiés, en premier lieu en sauvant des vies et en tenant compte de l'intérêt supérieur des enfants.

Cela dit, il faut cependant que nous étudiions la meilleure façon d'appuyer les diverses formes d'aide indispensables aux nouveaux venus. Si nous en sommes incapables, qu'il s'agisse de logement, de soins dentaires, de formation ou d'aide au revenu, nous ne rendons pas justice à la politique officielle ou aux services publics.

Mme Mulvale: Je tiens à déclarer que les nouveaux venus en Ontario ont joué et continueront à jouer un rôle important dans la croissance et la prospérité de cette province et du Canada. En outre, les municipalités ont toujours accueilli les nouveaux venus et les ont encouragés à participer à tous les aspects de la société et elles continueront à le faire; pour cela, elles ont éliminé les obstacles aux services, à l'information et à l'emploi en leur faveur et ont répondu aux besoins spéciaux des groupes que forment ces nouveaux venus.

L'administration municipale est l'ordre de gouvernement qui se prête le mieux à la réalisation des programmes. C'est à ce niveau qu'il est le plus logique de venir en aide aux immigrants et aux réfugiés au cours du processus de leur intégration dans nos collectivités.

Bien que la prestation de services à ce niveau soit la solution la plus logique, ce qui l'est moins c'est qu'un nombre croissant de programmes sociaux et de santé communautaire sont financés grâce à l'assiette de l'impôt foncier résidentiel, industriel et commercial, en particulier en Ontario.

L'administration municipale est l'ordre de gouvernement qui occupe l'échelon inférieur de la «chaîne financière». Cependant, il ne faut absolument pas que l'on utilise cela comme mécanisme de financement par défaut pour un programme fédéral ou provincial. Il ne devrait pas y avoir de distinction ou de solution de continuité entre l'ordre de gouvernement qui élabore la politique et celui qui paie pour la mettre en oeuvre.

Autrement dit, la composante financière des programmes nécessaire pour appuyer la politique d'immigration du Canada ne devrait pas être financée, en tout ou en partie par l'assiette de l'impôt foncier; elle devrait l'être par le gouvernement fédéral. Pourquoi? Parce que l'on croit à tort que le propriétaire d'un bien est toujours capable de payer. En Ontario, les taxes foncières sont calculées en fonction de la valeur marchande du bien, et non du revenu de l'individu ou de l'entreprise. Les taxes foncières sont payées avec des dollars après impôt. Elles coûtent donc plus cher.

Les taxes foncières n'ont jamais été destinées à alimenter les programmes sociaux, mais bien plutôt à soutenir le maintien de l'ordre, les services d'incendie et d'évacuation des déchets. L'argent des recettes fiscales fédérales devrait être réservé aux politiques fédérales. Il faut à tout prix revenir à ce principe de base et travailler avec le gouvernement fédéral à l'établissement d'un programme de financement des programmes sociaux et de santé communautaire qui sont nécessaires pour aider les immigrants et les réfugiés.

Pourquoi cela revêt-il une importance cruciale pour les municipalités ontariennes? Examinons quelques-unes des statistiques - je sais que vous avez tous les documents devant vous et je ne les lirai donc pas.

En résumé, les immigrants d'aujourd'hui sont plus âgés en moyenne et les femmes forment la majorité des immigrants du troisième âge. En comparaison des immigrants qui vivent au Canada depuis déjà un certain temps, il est moins fréquent que les immigrants récents parlent l'une ou l'autre de nos deux langues officielles. Il y a un peu moins de chances qu'ils fassent partie de la population active rémunérée que leurs homologues non immigrants. Il est plus fréquent qu'ils soient sans emploi - le pourcentage est de 19 p. 100 par rapport aux 9 p. 100 des immigrants arrivés plus tôt au Canada.

Le nombre d'immigrants en Ontario augmente plus rapidement que dans toute autre province. Les villes ontariennes sont soumises à de plus fortes pressions à cause du nombre croissant des immigrants et du fait que les arrivés récents sont plus âgés, plus pauvres, travaillent moins et surtout parlent moins fréquemment français et anglais que les immigrants qui les ont précédés. Cependant, l'allocation de 864$ pour chaque arrivée d'immigrant en Ontario soutient mal la comparaison avec l'effort des autres provinces - par exemple, les 3 252 $ du Québec par arrivée d'immigrant.

L'Ontario a besoin de bénéficier d'une juste part de l'aide financière à l'établissement. À London, par exemple, pour chaque 1 000 cas d'assisté social supplémentaire, les coûts augmentent de près de 1,5 million de dollars. Il existe des milliers d'immigrants qui deviennent des assistés sociaux à cause d'une rupture de l'engagement de parrainage et des demandeurs du statut de réfugié qui doivent être logés dans des foyers d'accueil d'urgence. Il est clair que les municipalités ontariennes sont exposées à une très forte augmentation des pressions financières à cause des répercussions qu'a l'arrivée de ces nouveaux venus sur le plan social, économique et celui de la sécurité.

De quoi a-t-on besoin? - On a besoin de comprendre l'impact des immigrants et des réfugiés sur la collectivité locale et d'améliorer le climat d'accueil sur le plan local. Nous reconnaissons que nos collectivités tirent un avantage social, culturel et économique de la présence des nouveaux venus. Ils contribuent à notre diversité sociale et ethno-raciale. Ils représentent des ressources humaines nouvelles et hautement qualifiées, ressources dont nous avons besoin. Ils stimulent la rénovation urbaine. Ils renforcent l'économie en adoptant la position de notre pays sur le plan mondial. Ils ouvrent la porte à de nouveaux investissements et de nouvelles entreprises.

Tous ces avantages s'accompagnent de certaines difficultés. Tout d'abord, les institutions gouvernementales, éducatives, sociales, de santé, culturelles et économiques doivent s'adapter à la diversité croissante de la population. Les municipalités ont élaboré des stratégies destinées à créer un climat d'accueil propice aux nouveaux venus et elles continueront à le faire. Les municipalités ont accru le respect de leurs membres pour la diversité et continueront à le faire. Il faut cependant aussi que la collectivité locale réponde aux besoins, sur le plan de la santé, de l'éducation et des services sociaux, des réfugiés et des immigrants qui connaissent des difficultés, en particulier au cours de la période initiale d'établissement.

L'intégration dans la société canadienne commence par l'intégration dans une collectivité locale. Pour que les politiques d'immigration nationale réussissent, il faut que les programmes et les initiatives dans ce domaine transforment les avantages potentiels de l'immigration en résultats tangibles. Un grand nombre des effets se font sentir au niveau local. Les municipalités et les fournisseurs de services locaux connaissent mieux que quiconque l'impact des politiques fédérales sur les collectivités locales. Nos politiques d'immigration nationales et nos méthodes de financement dans ce domaine doivent refléter cette réalité.

Le gouvernement fédéral se doit d'appuyer le financement des programmes et des initiatives destinés à assurer l'intégration des immigrants et des réfugiés. Parmi les programmes et les initiatives qui faciliteront leur établissement, on peut citer l'éducation du public et sa sensibilisation aux aspects positifs de l'immigration, l'enseignement de l'anglais langue seconde; l'accès aux études scolaires pour les enfants des nouveaux venus, des services d'établissement équitables, des stratégies de logement à prix abordable, l'amélioration des compétences des gens de métier étrangers; la collaboration avec les organismes de réglementation et les associations techniques des provinces afin d'accélérer la reconnaissance et l'homologation des titres de compétence étrangers.

Nous voulons affirmer l'importance et la valeur de l'aide financière aux programmes et aux services destinés aux immigrants et réfugiés. Le projet de loi C-11 devrait prévoir le remboursement par le gouvernement du Canada des administrations municipales pour leurs dépenses en faveur de la santé publique, de l'aide sociale, des coûts des foyers d'accueil pour réfugiés et de l'aide sociale fournie aux immigrants en cas de la rupture de l'engagement de parrainage.

Les municipalités qui sont des centres de migration secondaire devraient également être remboursées des coûts d'établissement des immigrants et des réfugiés. En outre, le gouvernement du Canada devrait clairement prendre position en faveur des accords fédéraux-provinciaux tels que ceux qui ont trait à la santé publique, à l'aide sociale et aux coûts des foyers d'accueil pour les nouveaux venus.

À notre connaissance, il est actuellement impossible pour les demandeurs du statut de réfugié d'avoir accès à une aide financière fédérale sous quelque forme que ce soit tant qu'ils n'auront pas obtenu le statut de résident permanent à la suite du processus de reconnaissance du statut de réfugié. Actuellement, ce processus demande dix mois en moyenne. Cette situation oblige les municipalités et leurs partenaires communautaires à s'occuper des besoins financiers de ce groupe. Ce n'est ni juste ni raisonnable.

Il s'agit tout simplement de mettre fin à ce délestage des responsabilités. La politique fédérale à l'égard des immigrants et des réfugiés ne sera pas servie si les administrations municipales sont obligées d'augmenter les taxes foncières ou de réduire d'autres services municipaux afin de financer la hausse des coûts connexes. Ce n'est pas de cette manière que l'on soutiendra la politique fédérale concernant l'immigration et les réfugiés.

En conclusion, je dirai que l'Action de grâce marque le 32e anniversaire du jour où je suis devenue immigrante dans cette nation, et j'en suis reconnaissante.

Des voix: Bravo, bravo!

M. Burrett: Il faut que nous reconnaissions l'importance de la coordination, de la collaboration et de la consultation entre tous les ordres de gouvernement. Les administrations municipales savent que le gouvernement fédéral est responsable des politiques et des lois concernant les immigrants et les réfugiés, de la gestion du système de reconnaissance du statut de réfugié, de la signature des accords internationaux et du partage de certaines responsabilités constitutionnelles avec les provinces. C'est cependant au niveau des collectivités locales que la coordination et l'intégration se font.

Bon nombre des effets de ces politiques d'immigration se font sentir au niveau local. Les administrations municipales savent mieux que quiconque quels sont les effets de la politique fédérale sur les collectivités locales. C'est la raison pour laquelle il est indispensable de consulter les administrations municipales et de les associer à toutes les discussions portant sur l'élaboration de politiques et de programmes.

Nous considérons que le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration devrait établir immédiatement un mécanisme par lequel la Fédération des municipalités canadiennes serait associée à l'élaboration des règlements découlant de ce projet de loi.

Mme Mulvale: Nous croyons que notre mémoire a très clairement montré que les pressions que nous subissons ont considérablement augmenter. Si l'on ne fait rien pour les atténuer, l'application des politiques du gouvernement fédéral s'en trouvera compromise.

Le président: Vous avez dit que l'Ontario recevait 864 $ et le Québec, 3 252 $. Comment ce montant est-il calculé? Est-ce basé sur une formule? Je suppose que l'argent va à la province et non à la municipalité, en dépit du fait que c'est la municipalité qui fournit les services?

Mme Mulvale: Votre conclusion est correcte en ce qui concerne le second point.

Pour ce qui est du premier, comme la personne qui a effectué la recherche n'est pas ici ce soir, nous nous ferons un plaisir de vous fournir une réponse dès que nous aurons des données sûres.

Le président: Quoi qu'il en soit il ne s'agit manifestement pas d'un montant uniforme.

Mme Mulvale: C'est exact.

Le président: En fait, dans le cas cité par vous, il varie du simple au quadruple.

Mme Mulvale: Oui.

Le président: La ville de Oakville ne voit pas un sou de cet argent?

Mme Mulvale: Pas à ma connaissance, et Hazel a parlé avec beaucoup d'éloquence de cette situation à plusieurs reprises.

Le président: Je sais qu'elle est éloquente.

Le sénateur Fairbairn: Je veux être sûre que l'argent fourni pour chaque immigrant est de l'argent fédéral.

Mme Mulvale: C'est ce que je crois savoir.

Le sénateur Fairbairn: C'est l'argent fédéral versé à la province dont vous ne voyez pas la couleur.

Mme Mulvale: En effet; et pourtant, c'est nous qui exécutons le programme.

Le sénateur Fairbairn: Vous présentez la liste de ces programmes à la page 7 de votre mémoire. À votre avis, s'agit-il de programmes que le gouvernement fédéral devrait appuyer? Ou pensez-vous qu'ils devraient être appuyés à la fois par les gouvernements fédéral et provinciaux?

Mme Mulvale: Permettez-moi de vous dire que lorsque des immigrants tels que moi-même deviennent productifs, ils paient eux aussi l'impôt fédéral et provincial sur le revenu. Nous ne prétendons pas du tout que l'argent investi pour aider les gens à réaliser leur potentiel est dépensé à mauvais escient. C'est un bon investissement. Nous disons simplement qu'on en fait porter le poids aux contribuables qui paient, qu'il s'agisse de particuliers, d'industries ou d'entreprises commerciales, parce que certaines personnes sont incapables de payer. Cela peut inciter une collectivité à ne pas accepter les nouveaux Canadiens.

Le sénateur Fairbairn: Je connais très bien la liste des besoins de première nécessité des nouveaux venus; je pense en particulier à l'apprentissage d'une langue seconde, aux études scolaires pour leurs enfants et au perfectionnement de leurs compétences. Je suis sûre que dans votre collectivité, il y a des gens qui suivent des programmes d'alphabétisation parce qu'ils n'ont pas accès à des cours de perfectionnement.

Mme Mulvale: C'est tout à fait juste. Nous savons que nous avons aujourd'hui besoin d'accroître notre population active. Nous savons que nous avons besoin d'une infusion de ressources humaines, d'énergie et d'enthousiasme. Il est indispensable que nous aidions à faciliter cet apport extérieur, et cela le plus tôt possible. Ces programmes ont une importance absolument vitale.

Le sénateur Fairbairn: Vous prêchez à une convertie.

Le président: Quelqu'un a dit que pour une municipalité ordinaire - je crois qu'il s'agissait de l'Ontario - 50 p. 100 environ des coûts des services sociaux seraient attribuables aux immigrants et aux réfugiés. Quelqu'un sait-il si c'est exact? J'ai l'impression que c'est un pourcentage ahurissant par rapport ce à quoi on s'attendrait.

Le sénateur Di Nino: C'est le cas dans certaines collectivités.

Le président: Je ne me trompe donc pas?

Mme Mulvale: Mme Vanini pourra peut-être nous donner des chiffres précis.

Mme Pat Vanini, directrice de la Politique des relations gouvernementales, Fédération des municipalités canadiennes: La formule de partage des coûts d'assistance sociale avec la province est calculée de telle façon que les municipalités paient 20 p. 100 des prestations, et la province, 80 p. 100. Cependant, les frais d'administration sont partagés moitié-moitié. Au fur et à mesure que le nombre des assistés augmente, l'effet sur les prestations croît, et à cela s'ajoutent les coûts supplémentaires d'administration, car il y a une limite au nombre de cas que le praticien de l'aide sociale peut traiter.

Le président: Est-il vrai que pour certaines municipalités, le rapport est de 40 à 50 p. 100? Y a-t-il des municipalités qui se trouvent dans cette situation?

Mme Vanini: Les statistiques contenues dans le rapport montrent qu'à London, je crois, pour chaque 1 000 assistés sociaux supplémentaires le facteur est de 1,6. À Toronto, où les chiffres sont les plus élevés, il est assez important également, mais c'est ainsi que se présentent les choses, pour les deux formules.

Le président: Alors que dans une ville de la taille de Oakville, en partie à cause du climat économique, la situation serait différente?

Mme Vanini: Elle serait différente de celle de certains grands centres urbains, mais vous pouvez voir comment les quartiers de ma collectivité ont évolué avec les vagues de nouveaux Canadiens de nationalités diverses.

Le sénateur Di Nino: Madame, nous vous avons invités à participer à cette audience pour que vos avis puissent être notés, car je ne suis pas certain que les commentaires que nous avons entendus sur ce projet de loi incluent les autorités municipales avec les autres ordres de gouvernement. Il est donc bon de vous entendre. Poursuivez vos efforts et nous vous aiderons.

Vous avez tout à l'heure utilisé le chiffre 864 pour l'Ontario et l'avez comparé avec celui du Québec. S'agit-il d'un chiffre annuel ou fixe?

Mme Mulvale: Je crois que c'est un chiffre fixe.

Le sénateur Morin: Mais c'est bien ce qu'il devrait être.

Mme Mulvale: Certainement.

Le sénateur Di Nino: Je vois que vous n'êtes pas à la tête d'une municipalité.

Le sénateur Morin: Si c'est 3 000 pour le Québec et 800 pour l'Ontario, c'est très bien ainsi.

Le sénateur Di Nino: Nous avons plus d'argent que le Québec. Vous et moi poursuivrons ce dialogue en l'absence de nos invités.

Madame, y a-t-il une façon quelconque de préciser le chiffre dont nous parlons? Le savez-vous?

Mme Mulvale: C'est la raison pour laquelle nous avons respectueusement demandé de comparaître et d'être reconnus comme un ordre de gouvernement. Aux trois niveaux, il n'y a qu'un seul et même contribuable et électeur. Si nous voulons créer la meilleure synergie et les meilleures incidences possibles pour notre nation, il faut que nous acceptions cette réalité. Au niveau municipal, nous pouvons être une source d'information utile car les services sont directement fournis par nous.

Nous sommes ravis que vous ayez bien voulu nous inviter aujourd'hui. Nous vous fournissons des données qui montrent que nous pouvons contribuer à l'atteinte d'une solution. Nous parviendrons à de meilleures solutions si nous travaillons de concert et si nous reconnaissons les besoins et le transfert des coûts. Nous contribuons tous à édifier notre nation.

Le sénateur Di Nino: Pourriez-vous nous fournir, si vous ne les avez pas en main aujourd'hui, des documents sur l'ampleur, la portée du problème? Je pense aux commentaires d'une personne qui a été mentionnée par le président - mon amie Hazel McCallion. En fait, Hazel est l'amie de tout le monde. C'est une femme remarquable. Elle a souvent parlé de cette question. D'après ce qu'elle nous a dit, les chiffres sont astronomiques. Il s'agirait de dizaine de millions de dollars par an.

Mme Mulvale: Les coûts fluctuent. Si le pays connaît une baisse de régime ou une récession - j'ai horreur de ce mot en R - les coûts ont des répercussions plus immédiates par ceux qui demandent le statut de réfugié et pour les nouveaux Canadiens, une fois leur situation réglée, il y a moins de possibilités de s'intégrer rapidement à la société. Nous pourrions vous donner un aperçu historique de la situation. Je pense qu'il serait en effet bon que vous l'examiniez afin d'avoir une idée plus exacte de la situation que si vous vous en tenez à celle d'aujourd'hui, où le climat économique est différent de celui de la récession du début des années 90.

Le sénateur Di Nino: Cela nous serait très utile, madame.

Pourrait-on également considérer qu'on est beaucoup plus exigeant à l'égard de certaines municipalités telles que celle de Mississauga? Leur charge serait-elle beaucoup plus lourde que, par exemple, pour une des villes du nord de l'Ontario, où les problèmes sont différents, mais n'ont rien à voir avec les réfugiés.

Mme Mulvale: Je me souviens d'avoir lu il y a bien des années que quel que soit le point d'entrée des néo-Canadiens, 50 p. 100 d'entre eux se retrouvent dans la région du Grand Toronto. Il faut reconnaître cela. C'est pour cela que l'aide financière devrait être adéquate et calculée par tête. De cette façon, l'argent parviendrait là où on en a besoin et permettrait de créer la plus grande synergie possible en fonction de l'investissement consenti.

Nous pouvons vous aider sur ce point, car il y a une foule de démographes capables de vous fournir ce genre d'information. Nous sommes capables d'établir les caractéristiques d'établissement et nous nous ferions un plaisir de le faire.

Le sénateur Di Nino: Cela nous serait fort utile.

Le président: Il y a un certain temps que l'on nous parle de ces 50 p. 100. Si je comprends bien, une seule contribution est faite à la province pour l'établissement initial. Si cet établissement initial se fait en Nouvelle-Écosse, c'est cette province qui obtient l'argent, même si, par la suite, comme les tendances l'indiquent, les immigrants vont s'installer à Toronto ou à Oakville et que c'est alors à vous d'en assumer la charge financière.

Mme Mulvale: C'est la raison pour laquelle nous avons présenté ces arguments. Nous pouvons décider si le montant est approprié ou s'il devrait être transféré aux collectivités dans lesquelles les programmes sont mis en oeuvre. C'est toujours ainsi que l'on a procédé, mais cela ne signifie pas nécessairement que c'est la meilleure façon de procéder. Nous sommes ici parce que nous avons tenu à nous associer à nos collègues de la FMC nous les avons invités à se joindre à nous. Nous ne sommes pas venus uniquement pour défendre l'Ontario.

Le président: Nous ne l'avons jamais pensé.

Mme Mulvale: Permettez-moi de vous dire très respectueusement que nous n'essayons pas d'obtenir quoi que ce soit aux dépens d'une autre province. C'est au nom de la nation toute entière que nous demandons si l'argent va là où on en a besoin et si l'investissement qu'il représente est rentabilisé?

Le président: Vous soulevez là une autre question clé. Le système d'impôt foncier - qui, de par sa nature, n'est pas progressif - est-il l'instrument approprié pour couvrir les coûts? Une municipalité peut-elle refuser d'accueillir des immigrants?

Mme Mulvale: Ce serait contre-productif.

Le président: Je ne le recommanderais pas.

Mme Mulvale: À cause des restrictions budgétaires, on entend aujourd'hui évoquer des arguments qui ne sont pas nécessairement représentatifs des structures ou des valeurs de notre nation. Il s'agit en fait d'un cri de désespoir, car il y a des décisions déchirantes à prendre.

Le président: Vous savez décrire la situation avec énormément d'éloquence. Je vous remercie d'être venue.

La séance est levée.


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