Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule 40 - Témoignages
MONTRÉAL, le jeudi 1er novembre 2001
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui 9 heures pour étudier l'état du système de soins de santé au Canada.
Le sénateur Yves Morin (président intérimaire) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président intérimaire: Ce matin, la présidence va se faire en français parce que notre président habituel, le sénateur Kirby, doit malheureusement être absent pendant quelque temps.
Je voudrais d'abord souhaiter la bienvenue à l'Association des optométristes. Le Dr Langis Michaud, le président, est au centre; Mme Marie-Josée Crête, la directrice générale adjointe, est à ma droite; et M. Clermont Girard, qui est le conseiller, est à ma gauche. Je vous souhaite la bienvenue.
Je suppose, monsieur Michaud, que vous allez d'abord faire une courte présentation. Ensuite il y aura sûrement des questions parce que c'est un sujet qui nous intéresse beaucoup.
Vous nous avez transmis un document au préalable que nous sommes en train de distribuer. Monsieur Michaud, la parole est à vous.
Dr Langis Michaud, président, Association des optométristes du Québec: Je remercie le comité sénatorial de recevoir l'Association des optométristes du Québec. C'est un plaisir de venir vous rencontrer aujourd'hui et de partager notre point de vue sur le système canadien de santé.
Dans un premier temps, je prendrai quelques minutes pour définir exactement le statut de l'optométrie au Québec. J'ai rencontré plusieurs personnes dans le milieu politique et j'ai constaté que, dans ce milieu, le statut de l'optométrie au Québec n'est pas toujours bien défini.
L'optométriste de nos jours, dans les années 2000, exerce des fonctions bien au-delà de celui qui examine la vision et qui fournit aux patients des lunettes et des services reliés à la lunetterie. C'est un professionnel de première ligne, diplômé à l'université après cinq ans d'études. Une des deux seules écoles d'optométrie au Canada est ici à Montréal, à l'Université de Montréal; l'autre est à Waterloo, en Ontario. Il y a quarante gradués par année à Montréal, et soixante à Waterloo.
En fait, nous sommes la porte d'entrée de la première ligne des soins oculo-visuels, autant au Québec que partout au Canada. Notre formation est autant au niveau de la pathologie oculaire, de la reconnaissance des signes et symptômes des pathologies oculaires, que de la vision, de l'entraînement visuel, du strabisme, des yeux croches, des difficultés d'apprentissage. Ce sont les services que nous offrons à tous les jours.
Et au Québec particulièrement, depuis l'an dernier, nous avons acquis le droit de prescrire les médicaments pour soigner les maladies de l'oeil. En plus du Yukon, nous sommes la quatrième province qui a obtenu le droit de prescrire les médicaments pour soigner les maladies de l'oeil, comme ça se fait partout aux États-Unis depuis 1976. Donc, nous sommes vraiment des acteurs de première ligne, au même titre que les médecins généralistes, pour les soins oculaires, en plus de notre rôle traditionnel au niveau de la vision et de la fourniture des produits optiques que sont la lunetterie et la lentille cornéenne.
Malgré ce changement de statut au cours des récentes années, on considère encore, dans le système de santé canadien, que nous offrons des services dits complémentaires. Vous savez que la Loi canadienne et son extension au Québec date depuis fort longtemps et que les définitions ne correspondent plus à notre réalité. Donc, «services complémentaires» pour nous, cela ne correspond plus à la réalité de l'optométrie moderne que je viens de vous décrire.
Le fait de dire que nous offrons des services complémentaires a conduit le gouvernement du Québec, comme bien d'autres gouvernements provinciaux, à rendre une partie de nos services non-assurables dans les années 1992-1993. Et l'an dernier nous avons vécu une menace de «non assurance» complète de nos services, qui a été retirée à la dernière minute mais qui est toujours en cours malgré tout.
Comme nous fournissons des soins de première ligne à la population, nous croyons inéquitable cette classification de services complémentaires, et encore plus inéquitable cette menace constante d'avoir une coupure au niveau des services assurables gouvernementaux. Cela priverait les populations, plus particulièrement dans les régions où il n'y a pas d'autres services accessibles en première ligne. Les ophtalmologistes qui fournissent les autres services oculo-visuels sont principalement en ville. Nous sommes 200 à Québec, et 1 200 en tout répartis sur tout le territoire. Donc, si on pense à la Gaspésie, à la Côte-Nord ou à l'Abitibi, ce sont des régions où il y a peu de services ophtalmologiques. L'optométrie est la seule porte d'entrée. Dans des régions comme Trois-Rivières et Thedford Mines, qui sont des régions semi urbaines, les ophtalmologistes ne prennent plus aucun nouveau patient. Alors les services sont assurés par les optométristes. Alors, de rendre ces services non-assurables serait une catastrophe pour la majorité des citoyens de ces régions qui devront donc recourir à des services en milieu urbain, à Québec, à Montréal ou à Sherbrooke, ou bien à des services offerts dans les centres universitaires où sont concentrés les services d'ophtalmologie.
La «non assurance» de 1992-1993 n'a pas touché les services aux enfants âgés de 0 et 18 ans et aux personnes âgées de 65 ans et plus. Ces services demeurent assurés. Depuis que l'on a privé les gens âgés entre 19 ans et 64 ans de services assurés, on a vu un changement au niveau de la fréquence des consultations de ces gens-là dans nos bureaux. On ne fait plus du tout de services préventifs, alors qu'on sait qu'en santé, l'élément de prévention est essentiel si on veut maintenir une santé adéquate. On ne fait que du curatif. Les gens nous consultent quand ils ont des besoins, mais ils nous consultent beaucoup moins au niveau préventif.
Pour ce qui est de la réinsertion au travail d'excellence, cela prend une bonne vision, cela prend une bonne santé oculaire. Si on parle d'urgence oculaire, à l'heure actuelle, le système est un peu flou, c'est-à-dire que les services ne sont pas nécessairement assurables. Les gens doivent payer pour avoir recours à nos services s'ils sont âgés entre 19 ans et 64 ans. Cela oblige les gens, jusqu'à un certain point, à consulter des médecins en milieu hospitalier, aux services de l'urgence, ce qui congestionne encore plus le système et allonge les listes d'attente.
C'est donc une situation inéquitable qui a beaucoup pénalisé nos praticiens, qui a diminué la facilité d'accès des populations à nos services, plus particulièrement dans les régions que j'ai mentionnées tout à l'heure.
Voila un bref survol de la situation de l'optométrie au Québec. Je répondrai à vos questions si vous en avez.
Nous avons pris connaissance du document que vous avez publié en marge de vos travaux, entre autres le volume 4 qui vient d'être publié. Nous sommes d'accord avec presque toutes les conclusions auxquelles vous arrivez.
Je vais parler de trois éléments essentiels de notre mémoire. Nous disons d'abord que nous sommes d'accord avec lescinq critères de la Loi canadienne sur la santé, dont la gestion publique, qui ont été à la base du système de santé. Nous disons que pour maintenir ces cinq conditions, il faut assurer un financement adéquat. À défaut de financement adéquat, il devient difficile, sinon impossible, d'exiger que les provinces et que les responsables du système de santé adhèrent aux cinq critères. On ne peut pas donc pas imposer les critères et ne pas donner par la suite le soutien financier pour arriver à cette fin.
Dans un deuxième temps, nous pensons que la Loi canadienne actuelle sur la santé devrait être modifiée. Elle est centrée sur les services dits médicaux, donc fournis par un médecin ou bien sur les services fournis en hôpitaux. En optométrie, comme dans plusieurs autres secteurs, la façon la plus efficiente de donner des soins de santé se situe bien en dehors des cabinets médicaux et des hôpitaux. Maintenant il y a plusieurs acteurs, dont les optométristes, qui fournissent ces services.
Comme nos services ne font pas partie de la définition des services médicaux ni des services hospitaliers, nous nous trouvons dans la situation des services dits «complémentaires» et c'est au gré des aléas budgétaires de la province que les services sont assurables ou pas. On est d'avis qu'à tout le moins, les services de thérapeutique, d'urgence oculaire, de soins oculaires et de maladies doivent faire partie intégrante de la Loi canadienne sur la santé. Et on ne parle pas de vision, de lunettes, on parle vraiment de notre charge de travail qui comprend l'aspect «médical» de l'optométrie. On doit adopter une approche basée sur le service à rendre plutôt que sur celui qui le rend. Qu'on ne parle plus de médecin ou d'hôpital mais parlons de services assurables, peu importe qui les fournit, étant donné que la personne qui le fournit est évidemment un professionnel autorisé à prescrire des médicaments, muni d'un diplôme universitaire, d'un doctorat universitaire, ou autorisé par les lois des territoires où cela s'applique. Il faut que le service qui est rendu soit assurable et non pas le médecin ou l'hôpital.
Le troisième élément sur lequel on insiste est que la gestion du système de santé doit demeurer une prérogative provinciale. Le rôle du gouvernement fédéral est évidemment important en ce qui a trait à la santé, à la recherche, à l'uniformisation des services à la grandeur du pays, et aussi, bien sûr, au niveau du soutien financier. Mais la gestion et l'organisation sur le terrain doit être le plus proche possible des besoins des citoyens, et de notre point de vue, elle doit demeurer une prérogative provinciale. Dans cette optique, nous sommes d'accord que nos services soient en partie financés par le fédéral. Mais l'organisation sur le terrain ainsi que définition de ce qui est assurable ou pas ,devraient à ce moment-là être déterminés par la province.
Le président intérimaire: Merci, monsieur Michaud. Certaines des questions vous seront adressées en anglais. Il y a un système d'interprétation, si vous le désirez. Vous pourrez répondre dans la langue de votre choix.
Avant de donner la parole au Dr Keon, je voudrais en premier lieu poser une question, parce que vous êtes parmi les premiers optométristes que nous rencontrons.
Quelle est la situation de l'organisation du travail et des prérogatives des optométristes? Pourriez-vous nous donner un bref survol de la situation des optométristes en dehors du Québec? Y a-t-il des différences entre les optométristes, d'une province à l'autre, au niveau des prérogatives, des réclamations à l'assurance-maladie, et ainsi de suite?
M. Michaud: Sur la formation d'abord, comme je le disais, il y a deux écoles au Canada, à Waterloo et à Montréal, qui forment la majorité des optométristes canadiens. Il y a un certain nombre de candidats canadiens qui suivent leur formation aux États-Unis et comme la capacité d'accueil de nos universités est limitée, cela favorise les écoles américaines. Il y a un certain nombre d'étudiants qui suivent leur formation aux États-Unis et qui reviennent pratiquer au Canada. Nos deux écoles sont reconnues par le Council on Optometric Education, un organisme rattaché au ministère de l'Éducation américain, qui assure l'uniformité de la formation des optométristes dans tout le territoire nord-américain.
L'école de Montréal est reconnue comme faisant partie du premier quartile des écoles, donc elle se situe au niveau supérieur des écoles nord-américaines. Waterloo est également dans ce secteur-là. Nos écoles canadiennes sont donc très performantes par rapport aux écoles américaines. Tous les optométristes canadiens ont la même formation de base, c'est-à-dire une formation de cinq ans. Le doctorat professionnel en optométrie est orienté vers les problèmes traditionnels de vision, de rééducation visuelle, de vision binoculaire, du travail des deux yeux ensemble, donc du strabisme, et cetera. Mais l'orientation vise aussi la reconnaissance de pathologie oculaire et, maintenant, le traitement de la pathologie oculaire.
La première province qui a légiféré au Canada sur la thérapeutique oculaire est l'Alberta, en 1995, suivie de la Saskatchewan et du Nouveau-Brunswick en 1996. Après, ce fut le Yukon, en 1998. Et en 2000, la Nouvelle-Écosse et le Québec ont légiféré, donnant aux optométristes le droit de prescrire des médicaments.
Il y a encore des provinces qui n'ont pas encore cette thérapeutique oculaire, mais on s'attend à ce que d'ici deux ou trois ans, la majorité des provinces vont légiférer pour donner à l'ensemble des optométristes le droit de pratiquer la thérapeutique oculaire. Les cours de formation ont eu lieu. Les optométristes sont formés pour le faire.
Aux États-Unis, cela s'est fait de la même façon. Cela a commencé dans la région du Midwest en 1976, et entre 1976 et 1990, les cinquante états ont légiféré tour à tour pour permettre aux optométristes de pratiquer la thérapeutique oculaire.
En regard du remboursement gouvernemental, il n'y a que deux ou trois provinces qui n'ont aucun système gouvernemental de remboursement des frais d'examen. Donc, peu importe leur âge, les gens doivent payer les frais de leurs examens. La majorité des autres provinces, à l'exception de l'Ontario, assurent les gens âgés de 0 à 18 ans, ainsi que les gens âgés de plus de 65 ans. La Colombie-Britannique vient d'enlever l'assurance des gens âgés de 19 ans à 64 ans il y a à peu près deux semaines. Dans cette province, il sera donc plus difficile, pour des raisons budgétaires, de se faire examiner les yeux. Encore une fois, selon la loi canadienne, ce ne sont que des services complémentaires. En Ontario, on en l'assurance pour tout le monde, mais avec une restriction d'un examen assuré à tous les deux ans. Cela cause problème parce que l'optométriste doit, pour chacun de ses patients, vérifier auprès du gouvernement ontarien si la personne a eu un examen chez un autre optométriste ontarien depuis deux ans. Il faut donc un numéro d'autorisation pour chaque patient. Il s'agit d'une gestion administrative absolument incroyable.
Le président intérimaire: Quelles sont les provinces qui ne prévoient aucune assurance?
M. Michaud: De mémoire, je pense que c'est dans l'Atlantique, Terre-Neuve et l'Île-du-Prince-Édouard, je pense. La Nouvelle-Écosse vient de fournir certaines assurances pour les urgences médicales, le diabète entre autres, l'examen de diabète, et les urgences oculaires liées à la thérapeutique oculaire. Les autres examens ne sont pas assurés.
Le président intérimaire: Merci beaucoup.
[Traduction]
Le sénateur Keon: Pourriez-vous m'expliquer comment vous êtes rémunérés pour les services qui sont assurés? Comment recevez-vous ce paiement?
M. Michaud: Les personnes qui sont assurées dans le cadre du système de soins - c'est-à-dire les gens âgés de moins de 18 ans et de plus de 64 ans - doivent simplement présenter leur carte d'assurance-maladie et ensuite je facture le gouvernement directement. Je reçois donc le paiement du gouvernement. Les autres patients doivent payer immédiatement. C'est-à-dire qu'ils paient l'examen tout de suite après.
La seule exception concerne les personnes âgées de 19 à 64 ans qui touchent l'assistance sociale. Elles ont droit à un examen tous les deux ans, et je leur fais payer le même montant qu'aux patients qui possèdent une carte d'assurance-maladie.
Le sénateur Keon: Et quels patients seraient assurés s'ils consultaient un ophtalmologue plutôt qu'un optométriste?
M. Michaud: En ce qui concerne les services ophtalmologiques, tous les patients sont couverts, même s'il s'agit d'un simple examen de la vue ou de la réfraction.
Nous venons de terminer un sondage mené auprès des ophtalmologues de la province. Bon nombre d'ophtalmologues sont trop occupés pour faire uniquement des examens de la réfraction et de la vue. Dans ce sens, tous leurs services sont assurés, puisqu'ils n'interviennent que pour traiter des affections médicales.
Le sénateur Keon: Par exemple, une personne qui souffre d'hypertension, pourrait-elle évoquer cette affection pour pouvoir consulter une ophtalmologue et se faire payer ainsi l'examen de la réfraction?
M. Michaud: Oui, mais c'est le patient qui serait tenu de payer. De plus, si un patient diabétique se fait examiner par son omnipraticien, et que ce dernier veut obtenir un deuxième avis sur la santé oculaire de ce patient, il doit l'orienter vers un ophtalmologue ou un optométriste. Nous avons le droit de faire l'examen du fond de l'oeil d'un patient diabétique après dilatation. Si le patient est traité par un optométriste, les frais ne sont pas assurés par le système de soins, si bien qu'il doit payer lui-même les frais de son examen. Ce même service, s'il est fourni par un ophtalmologue, est assuré aux termes de la loi canadienne, mais le patient aura probablement à attendre six mois. Mais il sera tout de même assuré.
Cette situation est tout à fait injuste, notamment pour les patients qui vivent en milieu rural ou pour les Autochtones, dont un grand nombre souffrent d'affections liées au diabète. S'ils consultent un optométriste dans la réserve, ils sont tenus de payer. C'est injuste.
Le sénateur Keon: Les compagnies d'assurance appliquent-elles les mêmes règles que le gouvernement du Québec?
M. Michaud: Environ un tiers des patients sont assurés grâce à des programmes d'assurance privés. Mais tout cela fait partie du débat sur le rôle des secteurs privé et public. En ce qui concerne le coût pour un patient qui a besoin de services de santé oculaires, si ce patient doit payer en fonction de l'impôt sur le revenu, et que vous y ajoutez les frais d'assurance, il lui coûtera plus cher de cette façon que de se faire assurer par le système public.
Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.
Le président: J'ai une question complémentaire, et si vous la trouvez injuste, n'y répondez surtout pas. Est-ce que les honoraires que vous verse le gouvernement pour un patient âgé de plus de 65 ans sont les mêmes que vous recevriez si vous assuriez ce même service à quelqu'un qui paie lui-même ou qui a, mettons, 50 ans?
M. Michaud: Non. Nous faisons payer plus cher les patients privés.
Le président: Cela ne peut être que pour deux raisons: ou alors vous avez le droit de le faire, ou alors vos frais administratifs sont plus élevés pour traiter un patient privé.
M. Michaud: Ce que nous faisons payer au «patient privé» correspond aux coûts administratifs de l'examen en question. Pour une raison qui m'échappe, nous sommes sous-payés par le gouvernement. Voilà le résultat de nos négociations avec le gouvernement.
M. Girard: Il y a une autre raison également. Vous savez, dans le cadre d'un programme public où il n'y a pas de plafond de fixé pour les honoraires, tous les patients admissibles sont assurés - c'est-à-dire ceux qui ont moins de 18 ans et plus de 64 ans. Cependant, le nombre de patients diminue lorsque ces derniers sont tenus de payer eux-mêmes ces services. Donc, nous traitons moins de patients, mais nos dépenses sont les mêmes. Comme le volume est inférieur, pour toucher le même revenu et supporter l'ensemble de nos dépenses, nous sommes obligés de faire payer plus cher les patients privés.
Le président: Merci pour cette explication. C'est très utile.
[Français]
Le sénateur Pépin: Je comprends très bien que les frais se maintiennent, et que le nombre de patients diminue. Est-ce pour cette raison que lorsqu'on consulte un ophtalmologiste, même si on présente la carte d'assurance-maladie, on nous demande en plus 25,00 $ ou 35,00 $, en disant que c'est pour défrayer les services de bureau?
M. Michaud: C'est exact.
Le sénateur Pépin: Est-ce que c'est cela?
M. Michaud: En ophtalmologie, certains praticiens se donnent certaines permissions en ce qui a trait aux frais accessoires de services. En fait, ils vont dire qu'ils réclament des frais pour les gouttes qui servent à dilater la pupille des yeux ou bien des frais dits administratifs. Selon la loi, en théorie, si on regarde bien, ils n'ont pas le droit d'exiger des frais pour les gouttes. Ils parlent maintenant de «frais administratifs». Le patient doit donc payer deux fois, même si le service est assuré par la province.
Dans le cas de l'optométrie, cela n'est pas encore entré dans nos moeurs, d'exiger des frais pour les gouttes chez les patients qui sont assurés. Je pense qu'il y a à peine 10 p. 100 des optométristes qui ont cette tendance. Habituellement, on prend comme paiement ce que la province nous donne pour les personnes assurées. Et dans les tarifs réclamés aux personnes non assurées, évidemment, comme ils sont plus élevés, cela inclut aussi l'utilisation et les frais administratifs en ce qui a trait aux gouttes.
Le sénateur Pépin: En Abitibi, par exemple, ou dans les autres régions éloignées, est-ce que vos services sont assurés par le gouvernement, ou est-ce encore du domaine privé?
M. Michaud: Non, c'est la même chose.
Le sénateur Pépin: C'est la même chose?
M. Michaud: L'assurance est exactement pareille partout, peu importe la région, même si les services d'ophtalmologie ne sont pas disponibles. Trois-Rivières est le plus bel exemple. Trois-Rivières ne fait tout de même pas partie du tiers-monde. Cependant, il ne reste que trois ophtalmologistes, et un des trois ne travaille que dans le domaine privé. Il fait des chirurgies au laser, il fait des chirurgies de cataractes, mais il n'accepte plus de patients qui sont assurés par le régime provincial. Les deux autres ophtalmologistes sont tellement débordés qu'ils ne prennent aucun nouveau patient.
Si un patient développe du glaucome ou une pathologie oculaire qu'on ne peut pas traiter, parce qu'il y a quand même certaines limites dans nos capacités de traitement, nous sommes obligés d'envoyer ce patient à Québec ou à Montréal. Cela augmente les listes d'attente à Québec et à Montréal. On engorge le système, sans compter que ces patients doivent assumer des frais de déplacement, et que ce sont souvent des personnes âgées. Souvent, c'est le conjoint ou quelqu'un de la famille qui assure le transport. Certains sont obligés de voyager en taxi ou de se servir d'un moyen de transport public, ce qui va quand même coûter un certain montant d'argent. Et ce sont des coûts de santé insidieux.
On dit que le système coûte cher, mais dans l'évaluation du coût global, on doit tenir compte du fait que le citoyen moyen va supporter ces frais, qui, dans le fond, pourraient facilement être réglés si on avait un accès équitable à nos services en matière de financement public, et si personne n'avait à se déplacer.
Le sénateur Pépin: Je suis peut-être en erreur mais vos demandes s'adressent peut-être plus au gouvernement provincial qu'au fédéral, je ne sais pas.
M. Michaud: On sait que le gouvernement fédéral nous classifie comme étant un «service complémentaire». Et en ce sens, on parle toujours d'un service médical de prescription, on ne parle pas d'examen de la vue. Alors, comme on est un service complémentaire, la province a le choix de nous assurer ou de ne pas le faire. Suite aux compressions budgétaires que toutes les provinces ont connues, nos services sont devenus non assurables en 1992-1993, nous laissant seulement un minimum d'assurance.
Il n'est même pas question de réassurer les services médicaux parce que la province n'a pas les sous. C'est dans ce sens-là qu'on dit que le gouvernement fédéral a deux rôles: dans un premier temps, élargir la définition même des services assurés au niveau de la Loi canadienne, qui se limite aux médecins et aux hôpitaux, et donc parler de services assurés et non pas s'adresser à un prescripteur ou à un établissement; et dans un deuxième temps, assurer le financement adéquat des services assurés selon la Loi canadienne.
C'est la responsabilité fédérale de changer la définition, et ensuite d'assurer le financement adéquat, suite à cette nouvelle définition. On parle toujours de services médicaux. Évidemment, cette situation ne pouvait exister en 1970, au moment où la Loi a été adoptée, parce que l'optométrie n'était pas l'optométrie moderne et elle ne traitait pas de telles maladies en 1970. On les traite maintenant. Évidemment, on comprend que la Loi doit évoluer au même rythme que la réalité. On ne blâme personne.
Le sénateur Pépin: Et puis, il y a les Autochtones.
M. Michaud: Oui.
Le sénateur Pépin: Vous parlez des Autochtones. Il n'y a aucuns services qui sont payés pour eux?
M. Michaud: Pour les Autochtones, on vient justement de finaliser l'entente avec Santé Canada. On a essayé de faire reconnaître, entre autres, l'examen de santé oculaire en fonction du diabète. On a dit qu'on assurerait l'examen général. Eux, ils vont payer pour l'examen de la vision. Il s'agit de 43,00 $ ou 44,00 $, ce qui est à peu près le montant qu'on exige d'un patient dans le domaine privé. C'est un peu plus que ce que la province nous donne.
Il y aura des examens partiels, au besoin, si la condition du patient se détériore davantage. Si, par exemple, le patient est diabétique et qu'il doit avoir des examens spécifiques, il faut dans ce cas procéder par demande spéciale. Il s'agit toujours de demandes de dérogation spéciale, de demandes d'autorisation, toujours selon les aléas budgétaires.
Nous avons essayé, pourtant, de dire que le diabète est un problème important chez les Autochtones. Nous sommes maintenant reconnus par le Conseil médical canadien comme étant des agents capables d'examiner le diabète et pas de traiter par laser, évidemment, parce que c'est un traitement de deuxième et troisième ligne qui doit être donné par un ophtalmologiste. À tout le moins, l'évaluation peut être faite par un optométriste. Alors, nous demandons d'être payés pour ce service, ce qui empêchera l'affaiblissement de la vision des Autochtones, ce qui améliorera le service sur les réserves, et ce qui fera en sorte que les Autochtones n'auront pas besoin de prendre l'avion de Sept-Îles pour aller consulter un ophtalmologiste à Baie-Comeau, ce qui coûte énormément cher au gouvernement fédéral.
Le sénateur Morin: Pourriez-vous résumer? J'essayais de vous suivre. C'est parce que pour nous, la question des Autochtones est une question importante. Pourriez-vous résumer ce que vous reprochez actuellement au système, juste en quelques mots?
M. Michaud: Il faudrait, en regard de la santé oculaire, qu'il y ait des budgets de prévus.
Le sénateur Morin: Oui. Mais, si je comprends bien, vous venez de signer une entente?
M. Michaud: Oui.
Le sénateur Morin: Ou bien vous êtes en train de signer une entente. En quoi l'entente que vous venez de signer n'est-elle pas satisfaisante?
M. Michaud: Ils nous ont refusé cet examen de santé oculaire.
Le sénateur Morin: Même avec dérogation?
M. Michaud: Avec dérogation, oui, mais il faut qu'il y ait un budget de disponible.
Le sénateur Morin: On paie 7 milliards $ pour cela.
M. Michaud: Oui, je suis d'accord avec vous. Mais on est toujours quand même soumis à des aléas d'exception. On n'est jamais certain, si on est le vingt-deuxième sur la liste et qu'ils arrêtent de payer au vingtième, qu'on va être payé pour les services qu'on va faire. Il faut toujours faire des demandes de dérogation alors que le diabète chez les Autochtones est un problème connu; c'est un problème important. On voulait vraiment qu'il y ait un examen spécifique là-dessus, qu'il soit assuré et qu'il soit reconnu sans que nous soyons obligés de passer par de lourds processus administratifs.
Si le médecin qui traite un patient sait que cela va nécessiter plusieurs démarches, sans être certain que ce soit assuré, il va tout de même préférer diriger son patient vers un ophtalmologiste à 300 kilomètres de là et lui faire prendre l'avion, alors que si c'était déjà prévu dans l'entente, ce serait tout à fait facile et applicable sur le terrain.
Le sénateur Morin: Ce que vous souhaitez, c'est que ce ne soit plus soumis à une dérogation mais que ce soit tout simplement dans l'entente?
M. Michaud: Statutaire.
Le sénateur Morin: Statutaire?
M. Michaud: Exactement. Parce que des optométristes, il y en a sur toutes les réserves. Les services se donnent sur les réserves, sur la Basse-Côte-Nord, à Chibougamau ou à la Baie-James. Il y a des optométristes partout qui assurent les services.
Le sénateur Morin: Si j'ai bien compris ce que vous nous avez expliqué, monsieur Michaud, c'est que, finalement, vous vous considérez, et avec raison je pense bien, comme faisant partie des services des soins de première ligne?
M. Michaud: Tout à fait.
Le sénateur Morin: Au même titre. Vous êtes au courant des réformes qui sont recommandées. La Commission Clair, la Commission Fyke, enfin toutes les commissions qui s'y sont penchées ont recommandé une réforme des soins de première ligne, la constitution d'équipes inter ou multidisciplinaires - il y a des gens pour qui ces mots-là veulent dire des choses différentes - qui ont la responsabilité d'une population donnée, qui ont une rémunération sur une base de capitation. Est-ce que vous voyez qu'il y a aussi une responsabilité de s'assurer que tous les soins soient donnés à cette population? Est-ce que vous vous voyez comme faisant partie de cette équipe?
M. Michaud: Oui, effectivement, nous discutons déjà avec la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec à ce sujet. Vous savez que suite à la Commission Clair, au Québec, le ministère de la Santé a établi treize groupes de médecine de famille, qui sont donc les premiers embryons de ce qui, en effet, va être le modèle de l'octroi des soins en première ligne à partir d'un cabinet de médecins. Ce cabinet de médecins comprend statutairement, dans la définition actuelle du ministère, une équipe de médecins et d'infirmières dont le rôle sera étendu, et des recours avec des soins psychosociaux qui sont donnés actuellement par les CLSC. Alors il y a des ponts entre les groupes de cabinets de médecins et les CLSC.
Ce qu'on est en train d'établir comme modèle, et il y a une ouverture de la part des médecins comme il y a une ouverture de la part des optométristes à le faire, c'est que le recours aux cabinets d'optométristes soit une ressource supplémentaire que le groupe de médecine de famille peut offrir à ses patients.
Évidemment, on ne peut pas être inclus à l'intérieur même du groupe de médecine parce que cela supposerait d'être subordonné au travail du médecin, comme l'infirmière l'est actuellement, alors qu'il s'agit d'une profession autonome tout comme celle de médecin. Mais c'est bien un partenariat qu'on essaie d'établir entre les cabinets d'optométristes d'une région et le groupe de médecine qui y est établi.
Donc, que le patient consulte un optométriste ou un médecin de famille, il y a un lien qui va se faire entre les deux. Lorsqu'il se présente au cabinet du médecin de famille, le médecin peut traiter la condition que le patient présente, et on est d'accord avec cela. Comme cela se fait maintenant dans les régions où il n'y a pas d'ophtalmologiste, si le médecin veut une deuxième opinion sur le diagnostic et sur le traitement, il va diriger le patient vers l'optométriste qui pourra le voir le jour même ou le lendemain. Ils échangeront aussi les rapports.
Si le patient se présente chez l'optométriste et qu'il est inscrit auprès d'un GMF, d'un groupe de médecine familiale, l'optomé triste aura l'obligation d'envoyer un rapport au médecin pour l'informer de la condition du patient et du traitement qu'il aura eu.
Ceci étant dit, une des lacunes, c'est que comme on n'est pas certains que nos services thérapeutiques sont assurés par la province et donc, éventuellement par le financement fédéral aussi, qui finance les systèmes de santé, le médecin est un peu réticent parce qu'il sait très bien que s'il dirige le patient vers l'hôpital ou en milieu institutionnel d'ophtalmologie, même si cela prend plus de temps, le patient n'aura pas à payer, alors que s'il le dirige chez nous, le patient aura à débourser les frais.
C'est ce qui freine actuellement l'évolution de ce modèle idéal de la première ligne. On dirige le patient, encore une fois, vers l'institution ou vers le service de deuxième ligne, où le médecin se sent un peu forcé d'aller à la limite de ce qu'il est capable de donner comme soins, alors qu'il serait facile de consulter son collègue optométriste.
Le sénateur Morin: Monsieur Michaud, à ce moment-là, seriez-vous prêts à avoir un mode de rémunération basé sur la capitation?
M. Michaud: Tous les modes de rémunération sont possibles. Nous sommes prêts à discuter de n'importe quoi. En regard de la capitation, cela dépend. Je pense qu'il y a des systèmes mixtes qui peuvent aussi être mis en place. Le paiement à l'acte dans certains cas et le paiement par capitation à d'autres moments. Une chose que les optométristes font couramment au Québec, et cela contribue au maintien à domicile, c'est la visite en institution, en foyer d'accueil, pour les patients qui ne peuvent pas se déplacer.
On est encore payés à l'acte pour ces choses-là mais ce n'est pas un mode de rémunération qui est idéal dans ce cadre, parce que cela exige beaucoup plus de temps ainsi que de l'équipement portatif. Ce n'est pas nécessairement la même dynamique que dans un cabinet privé.
Le sénateur Morin: Dans le cadre de la réforme des soins de première ligne, si on établit comme principe qu'il y aurait une responsabilité pour une population donnée, à ce moment-là la capitation est plus facile à établir comme mode de rémunération que le paiement à l'acte.
M. Michaud: Tout à fait.
Le sénateur Morin: La profession n'aurait pas objection à ce mode de rémunération?
M. Michaud: Non, pas du tout.
M. Girard: Mais la capitation est difficilement envisageable dans l'optique où on a des groupes de gens qui sont assurés et d'autres groupes qui ne le sont pas.
Le sénateur Morin: Qu'est-ce que vous voulez dire par assurés et non assurés?
M. Girard: Bien, par exemple, actuellement, les gens âgés de 0 à 18 ans.
Le sénateur Morin: Oui. Mais à ce moment-là, on assumerait que la population est assurée dans l'ensemble.
M. Girard: C'est ça. Et qu'il y a des conséquences à adopter une approche comme celle-là.
Le sénateur Morin: Oui. C'est cela. À ce moment-là, on assume que toute la population est assurée pour l'ensemble des soins. Ce que vous nous décrivez paraît un peu complexe.
M. Girard: Tout à fait.
Le sénateur Morin: Actuellement, les gens consultent directement un optométriste sans avoir été envoyé par un médecin de famille.
M. Michaud: C'est cela. Et au niveau de l'oeil rouge, au niveau des problèmes de santé oculaire, de plus en plus dans les régions où les optométristes sont très présents, on voit très bien que cela se fait ainsi. Mais il y a toujours les limites des frais de la visite.
Le sénateur Morin: Oui.
M. Michaud: Les gens peuvent choisir d'aller à un service d'urgence hospitalier, ou d'aller voir le médecin ou bien d'aller directement chez un ophtalmologiste, dans certains cas.
Je prends comme exemple le Nouveau-Brunswick ou l'Alberta, où la Loi sur les thérapeutiques est en vigueur depuis plus longtemps qu'ici. Les paiements ne sont pas assurés non plus pour la thérapeutique oculaire dans ces provinces, et cela freine la collaboration des optométristes avec le système de santé, à l'efficience des services d'optométrie. Il y a toujours la question des frais que le patient doit assumer. Ce qui est vrai pour le Québec est vrai pour les autres provinces aussi. Il faudrait que ces provinces-là soient assurées au niveau de la thérapeutique. On parle toujours de soins médicaux au niveau de l'oeil, de soins d'urgence.
Le sénateur Morin: Dans une perspective canadienne, à l'heure actuelle, toutes les provinces accordent les mêmes privilèges aux optométristes. C'est ce que vous dites?
M. Michaud: Sauf sur la thérapeutique, sur le droit de prescrire les médicaments.
Le sénateur Morin: Quelles sont les provinces où cela n'existe pas?
M. Michaud: Terre-Neuve et l'Île-du-Prince-Édouard. Je les prends à rebours. L'Ontario, le Manitoba et Colombie-Britannique. Toutes les autres sont assurées à l'heure actuelle.
Le sénateur Morin: Et vous dites qu'il y a des négociations en cours dans les autres provinces?
M. Michaud: Oui.
Le sénateur Morin: Et vous pensez que ça va dans la bonne direction?
M. Michaud: Bien, on pense que c'est inévitable. Un peu comme aux États-Unis, cela se fait graduellement. Évidemment, il y a des réticences plus ou moins grandes dans certaines régions. Il y a toujours un certain lobby médical qui se fait contre cette évolution de l'optométrie, à chaque fois qu'une législation est proposée. Au Québec on a réglé la chose un peu. On parle aux ophtalmologistes, on parle aux médecins omnipraticiens, et l'entente est bonne. On a vu un peu moins de réticences qu'ailleurs, c'est pour cela qu'on a eu notre loi un peu avant les autres.
Dans un monde idéal, les services thérapeutiques d'optométrie seraient disponibles partout au Canada tout de suite. C'est inévitable, je vous dirais que d'ici cinq ans, au maximum, toutes les provinces seront assurées.
Cela étant dit, s'il y avait une assurance de financement de ces soins, cela aiderait peut-être les provinces à prendre leur décision plus vite.
Le sénateur Morin: Je vous remercie beaucoup, monsieur Michaud, madame Crête et monsieur Girard, d'être venus. On a beaucoup apprécie votre participation.
Le deuxième témoin, M. Paradis, n'a malheureusement pas pu se présenter.
Je souhaite la bienvenue au docteur Yves Lamontagne, qui est président du Collège des médecins, qui se trouve maintenant mon patron à moi, parce que je suis encore membre de ce Collège. Le docteur Lamontagne a joué un rôle très important, non seulement dans la direction du Collège et dans la conduite des affaires de la profession, mais aussi au plan de l'organisation des soins ici au Québec. Et je voudrais reconnaître ce rôle-là avant de lui donner la parole.
Je souhaite la bienvenue au docteur Lamontagne et docteur Garon. Vous nous avez remis un document que nous avons en mains et dont nous allons prendre connaissance. Vous pourriez peut-être faire une courte présentation et par la suite répondre aux questions. Les questions vous seront adressées soit en français, soit en anglais. Vous pourrez répondre dans la langue de votre choix. Nous vous écoutons, docteur Lamontagne.
Le docteur Yves Lamontagne, président du Collège des médecins du Québec: Monsieur le Président, un grand merci de nous avoir invités de vous rencontrer ce matin. Vous avez déjà, sénateur Morin, présenté le docteur André Garon qui est secrétaire-général adjoint aux Affaires externes du Collège des médecins du Québec.
Je vous dirai tout d'abord ce que le Collège a maintes fois répété au gouvernement du Québec - et on a l'impression que parfois on va être mieux entendus ici parce que vous êtes nommés au lieu d'être élus - ce que nous prônons et disons tout le temps: il faut sortir la politique de la santé et faire des politiques de santé.
Je vous donne deux exemples au niveau fédéral. Vous savez comme moi qu'il y a un peu plus d'un an, l'Alberta adoptait une loi qui visait à confier au secteur privé la production de services de santé financés publiquement. Et, bien sûr, au cours de la dernière période électorale, je vous dirais que fort probablement pour des raisons de votes, le ministre fédéral de la Santé a semé le doute chez les électeurs sur la conformité de la démarche albertaine en regard de la Loi canadienne.
Je suis convaincu que, suite à des pressions politiques, il y a quelques semaines à peine, le gouvernement fédéral adoptait un règlement sur l'usage thérapeutique de marijuana. Et encore, ce faisant, il renvoyait le problème dans la cour des médecins, c'est-à-dire la responsabilité de juger de l'utilisation d'un produit contenant plusieurs substances dont la plupart sont probablement dangereuses pour la santé. De cette façon, il contrevenait alors à sa propre loi autorisant un produit dit de santé, dont l'efficacité et l'innocuité ne sont pas démontrées. Pour conclure cette entrée en matière, je vous rappellerai que la finalité d'un système de santé, c'est d'améliorer la santé de tous les Canadiens et non pas de gagner des votes.
Ceci dit, les problèmes de soins de santé au Québec, on les connaît assez bien. On les a définis très clairement devant la Commission Clair, qui, d'ailleurs, a accepté la majorité de nos recommandations. Et on est d'accord avec vous de l'importance de réorganiser les soins de première ligne, de revoir la rémunération des médecins, de mettre à jour le système professionnel, d'accéder à plus de soins à domicile et à des médicaments efficaces.
Aujourd'hui, l'essentiel de notre présentation portera plutôt sur un sujet qui concerne particulièrement le niveau fédéral, soit le principe de l'accessibilité financière inscrit dans la Loi canadienne sur la santé.
À cet effet, je vous dirai que le système public a pour raison d'être, et vous le savez autant que moi, de garantir à tous et à toutes l'accès à des soins de santé lorsqu'ils sont requis. Les problèmes d'application que nous ressentons découlent d'interprétations plutôt serrées de ce principe, ce qui, paradoxalement, conduit à des problèmes d'accessibilité dès que les gouvernements rationnent l'offre de services en réduisant leurs allocations budgétaires.
Je vous rappelle que lorsque les régimes publics d'assurances étaient à leurs débuts, le gouvernement fédéral assumait 50 p. 100 des coûts d'hospitalisation et de maladie. Donc, un dollar du gouvernement fédéral pour chaque dollar dépensé par la province. Cela s'appelle aménager un «bridge funding», une sorte de passerelle financière qui est issue du pouvoir de dépenser pour simuler la mise en place de programmes sociaux par les provinces. Et cette juste part offrait aux provinces une interprétation du rôle de financement du fédéral par lequel on voulait fournir un niveau stable de financement pour assurer la viabilité du système de soins de santé au Canada.
Une fois que les systèmes publics furent implantés partout, le gouvernement fédéral a progressivement atténué sa présence financière, que l'on chiffrait aujourd'hui à 0,17 $ pour chaque dollar dépensé au Québec. Disons que la passerelle, bien sûr, s'est beaucoup affaiblie et ce, malgré les récentes injections de fonds du gouvernement fédéral. Et je pense que cela contribue, malheureusement, à cultiver cette espèce de méfiance de dépenser que les provinces ont, en tout cas, le Québec, - et je n'irai pas plus loin là-dessus - à l'égard du gouvernement fédéral.
Au Québec, en 1991, ce doute avait amené le gouvernement à envisager l'implantation non pas d'un ticket modérateur mais d'un ticket orienteur. Et pour palier à une insuffisance de fonds de santé, on avait alors cherché à établir un co-paiement qui responsabiliserait les citoyens qui avaient des mauvaises habitudes de consommation. Cela apporterait un peu d'argent neuf venant de l'utilisateur en plus de l'argent venant des contribuables. Le ticket orienteur n'a finalement jamais été utilisé par crainte de représailles financières.
Aujourd'hui, en 2001, on est convaincu qu'il faut collectivement s'entendre sur l'interprétation à donner au principe d'accessibilité. Même si le Canada et le Québec présentent annuellement de meilleurs états financiers, les incertitudes quant à l'avenir nous poussent à consolider notre conception de la responsabilité collective, notamment par le renforcement de la responsabilité individuelle. Ainsi, l'interdiction d'un co-paiement pour des services médicaux et hospitaliers ne devrait être maintenue que lorsque les soins dispensés et reçus seront considérés les plus pertinents, les plus efficaces et les plus efficients.
Au Canada, malheureusement, je pense qu'on a la fâcheuse manière d'assurer, par le financement public, la totalité des dépenses de services médicaux et hospitaliers ou de ne rien assurer du tout. La loi du tout ou rien, 100 p. 100 ou zéro. Cela ne fait donc pas de place aux nuances. Et pour être en règle, une province qui voudrait décourager une pratique devrait enlever l'assurance complètement, c'est-à-dire la retirer complètement du panier de services, plutôt, par exemple, que de rembourser les coûts à 50 p. 100 ou à 75 p. 100. La tendance à ne pas nuancer fait partie de la Loi.
Ce qu'on dit, c'est que le droit d'accéder à des services de santé financés publiquement, et lequel doit demeurer sans aucun doute, n'exclut pas le devoir de l'utilisateur de contribuer lorsque sa consommation n'est pas optimale. Et ceci peut se traduire par les exemples que vous retrouvez dans le texte. Par exemple: X p. 100 des coûts des soins aux malades sur pied dans une urgence hospitalière sont assumés par eux. Y p. 100 des coûts des soins dispensés dans une clinique à des malades non inscrits auprès d'un médecin de famille d'une clinique sont à la charge des malades. Vingt-cinq pour cent au lieu de 100 p. 100 des coûts d'examen de résonance magnétique nucléaire qui sont offerts dans le privé, sont assumés par les usagers.
Notons également que le régime québécois d'assurance médicaments oblige un co-paiement, alors que la Loi canadienne sur la santé interdit le co-paiement à l'égard des régimes d'assurance hospitalisation et maladie. C'est le genre d'incohérence, je pense, dont on devrait pouvoir se soulager. À cette fin, la Loi canadienne doit permettre aux provinces d'établir un co-paiement modulé par elle en fonction de certains paramètres de qualité.
De notre point de vue, arroser le système d'argent public n'apportera pas suffisamment de bénéfices si l'on ne fait rien. À l'inverse, injecter de l'argent privé, comme on le fait aux États-Unis, jusqu'à ce que les dépenses de santé en pourcentage du PIB aient passé de 9 p. 100 à 15 p. 100, cela signifie passer de 90 milliards $ à 150 milliards $ en santé au Canada pour de moins bons indicateurs de santé et une frange de la population complètement à découvert en cas de sinistre de maladie.
Nous croyons qu'il existe un juste milieu que tout l'un, le public ou tout l'autre, le privé, ne peut offrir. Il faut donc le retrouver, à défaut de quoi le gouvernement fédéral doit couper d'autres dépenses et revenir à sa quote-part antérieure pour financer les dépenses de santé.
En conclusion, je vous dirais que nous avions lu dans votre rapport qu'il y avait place à débattre des options nouvelles, même si elles apparaissent dérangeantes. Nous avons cherché, ce matin, à vous faire part d'avenues de changements pour rendre nos systèmes de soins de santé viables à long terme.
Selon que le gouvernement fédéral cherche une contribution nouvelle en matière de santé par des actions qui rejoignent les citoyens dans le besoin, il existe, à l'heure actuelle, un espace d'intervention qui est très peu occupé, soit celui de l'indemnisation des victimes d'accident de soins médicaux. Les règles actuelles en matière de responsabilité civile professionnelle conduisent à n'indemniser qu'une faction des victimes d'erreurs fautives. L'assureur presque unique, l'Association canadienne de protection médicale, n'a pas le mandat de protéger les victimes, encore moins les personnes victimes d'erreur non fautives ayant tout de même subi un préjudice. Et c'est là un problème sérieux et courant auquel les gouvernements provinciaux ne se sont pas encore véritablement intéressés à ce jour.
Monsieur le président, est-ce que j'ai dépassé le temps alloué?
Le sénateur Morin: On a un témoin qui s'est désisté à la dernière minute, alors vous avez du temps.
M. Lamontagne: J'aurais quelques commentaires très précis à faire sur certaines pages que j'ai tirées de votre Executive Summary.
À la page 12, vous dites que le rôle que joue le gouvernement fédéral par rapport à la santé de la population est axé sur la prévention plutôt que sur le traitement de la maladie. Je voudrais juste faire un commentaire. Depuis quelques années, je trouve qu'on parle beaucoup de prévention et de promotion, un peu comme si on faisait juste cela et que le monde ne mourrait jamais. Mais il faut faire du traitement. Et comme médecins, c'est nous qui sommes en charge du traitement. Je vous dirais qu'à cause de la désuétude de l'appareillage et des conditions dans les hôpitaux, et cetera, le chemin à faire sera long.
Je pense qu'il faut également investir sur le traitement, principalement pour trois conditions: l'appauvrissement de la société, surtout parce que l'on est en période de récession et que l'on sait qu'une société pauvre génère plus de maladies; les nouvelles maladies, comme par exemple le sida, entraînent des dépenses accrues, sont plus compliquées à traiter et elles nécessitent des médicaments qui sont beaucoup plus onéreux; il y a aussi le vieillissement de la population. On se retrouve avec des multi-pathologies et des traitements beaucoup plus compliqués.
Je suis tout à fait d'accord avec vous quand vous dites, à la page 12, que le secteur de santé ne possède aucune caractéristique d'une industrie moderne. J'y reviendrai plus tard. Quand vous traitez l'industrie de la santé d'artisanale, je suis bien d'accord avec vous. Il y a trois grands problèmes: le financement inadéquat, une gestion qui ne correspond absolument pas à la gestion des années 2000, et les gens qui administrent en santé sont des gestionnaires de dépenses au lieu d'être des gestionnaires de revenus et dépenses. Si vous voulez améliorer quelque chose, il faut que vous coupiez dans quelque chose. Et je n'ai jamais vu une compagnie qui fonctionnerait comme cela, elle ferait faillite après trois mois. À la page 13, vous dites:
... examiner les avantages à faire des unités de service spécialisées, un élément important d'un système moderne.Je suis tout à fait d'accord. Vous savez, j'ai l'impression - je ne sais pas comment c'est dans les autres provinces - qu'on a saupoudré partout, on a fait des rois partout dans les petits royaumes au lieu de faire des valets dans un grand royaume. Moi, je préconise beaucoup l'hôpital local avec des services de base, l'hôpital régional avec des services spécialisés, et des instituts et des hôpitaux universitaires avec des services ultra spécialisés.
Le sénateur Morin: Vous faites plaisir au docteur Keon.
M. Lamontagne: Oui? J'en suis bien content.
Le sénateur Morin: Il est directeur de l'Institut de cardiologie d'Ottawa.
M. Lamontagne: Ah bon! Donc, prenons comme exemple la cardiologie. Pour les opérations en chirurgie cardiaque, dans la région de Montréal seulement, il y a huit centres; alors que dans toute la Suède il y en a un ou deux, si ma mémoire est bonne. Il me semble qu'on pourrait en avoir un à Montréal et un à Québec. Si on retrouve cela ici, il y a sûrement des choses comme cela dans les autres provinces.
Le sénateur Morin: Et un à Ottawa, évidemment.
M. Lamontagne: Ah! oui. Mais vous savez, je parle très peu de l'Ontario.
À la page 15, vous dites:
Le gouvernement peut-il continuer à décourager la prestation de services privés en interdisant les assurances privées?
Je pense que la réponse c'est non. Prenons comme exemple l'Australie, où il y a une assurance complémentaire qui coûte à peu près ce que nous coûte le permis de conduire ici, environ 500,00 $ par année. Et, pas pour les riches, mais pour des gens dont le revenu moyen est d'environ 23 000,00 $ canadiens. Ceci amène une injection de fonds supplémentaire dans le système de santé.
Les gens d'ici peuvent dépenser des milliers de dollars chaque année en billets de Loto, puis ils n'ont pas le droit de prendre 500,00 $ pour s'assurer qu'ils vont avoir des bons services. Il y a quelque chose qui ne marche pas là-dedans. C'est vrai que la Loto, ça rapporte beaucoup d'argent, mais il me semble qu'on pourrait investir les revenus à la bonne place.
La médecine à deux vitesses, cela existe. Je pense qu'il y a deux sortes de médecines à deux vitesses: privée/publique et une médecine à deux vitesses dont on ne parle pas et qui rapporte peu. Je vous dresse l'image que je dresse souvent: Vous voulez avoir des bons services de nos jours dans un hôpital, c'est très simple: ou bien vous gueulez comme un putois puis ensuite vous faites partie d'un groupe de pression ou bien vous avez des amis dans le milieu. Cela ne rapporte pas beaucoup financièrement. On pourrait s'organiser pour au moins faire de l'argent avec cela.
Je vais vous raconter une histoire. J'aime beaucoup raconter des histoires. Dans un centre hospitalier de Montréal où il y a des - je n'ose pas dire - des «check-ups» pour des hommes d'affaires influents, ils sont offerts au centre hospitalier. On a dit:«Écoutez, nous autres, on serait prêt à payer le samedi. Prenez-vous du profit, aucun problème. Puis on va aligner les limousines une après l'autre, puis on va vous payer ça.»
Cela n'a pas été accepté. Donc, ils sont subissent leurs examens durant la semaine comme tout le monde. Un des hommes d'affaires a donné une plume Mont-Blanc à toutes les secrétaires et à toutes les techniciennes. Je vous assure qu'il a son rendez-vous le jour et à l'heure qu'il le veut.
C'est très joli pour la secrétaire qui reçoit une belle plume Mont-Blanc. Cela rapporte quoi au centre hospitalier? Zéro. Si cela avait été subventionné, on pourrait parler de gestionnaires de revenus et de dépenses.
À la page 18, vous dites:
Il faut augmenter l'efficience et l'efficacité et aussi trouver des nouveaux modes de fonctionnement.
C'est vrai. Cela fait trente ans qu'on injecte des fonds dans le système de santé. Cela fait trente ans qu'on investit dans le système de santé en supposant que cela ira mieux, puis cela ne va jamais mieux. Il doit donc y avoir d'autres problèmes. Et c'est un peu ce que je vous disais tantôt. Il y a un problème de gestion. Il y a un problème de partenariat privé/public et tout le monde a peur d'en parler parce qu'ils pensent que c'est le privé qui va manger le public et qu'on aurait alors une médecine à deux vitesses, alors qu'on aurait les moyens d'avoir une médecine en deuxième vitesse. C'est ça la nuance. Et donc, il faut faire les deux.
En Suède, qui est un pays encore beaucoup plus social-démocrate que nous, le plus gros hôpital de Stockholm a été vendu au secteur privé; il est coté sur la Bourse maintenant. Et quand les gens vont voir leur médecin, bien, cela coûte 25,00 $ en co-paiement s'ils voient leur médecin au bureau, et 35,00 $ s'ils font une visite au service d'urgence.
À la page 19, vous dites:
Tous les médecins pourraient être tenus de travailler un certain nombre d'heures dans le système public.
On est d'accord avec cela. Je pense qu'on pourrait arriver à le faire si on avait un partenariat privé/public. Et l'économiste Bonin, qui, d'ailleurs, a écrit un excellent livre sur la gestion de différents systèmes gouvernementaux au Québec, avait proposé qu'on devrait obliger tous les médecins à travailler trente-cinq heures/semaine dans le système public, et ensuite, s'ils veulent travailler dans le secteur privé, ils pourraient le faire.
Il y aurait un avantage à cela. Avec les plafonds qu'il y a au Québec, les médecins travaillent selon le plafond, puis après cela, ils vont jouer au golf. Les gens ne sont pas traités pendant ce temps-là. Les gens qui seraient traités là ne seraient pas traités dans le système public. Et il y aurait de fortes chances que moins de médecins s'en aillent à l'étranger parce qu'ils sont moins bien payés ici.
Vous dites également que le système public pourrait garantir les délais d'attente et que, s'ils sont dépassés, le gouvernement paierait pour que le traitement soit assuré par le privé. Cela doit faire bien peur au gouvernement pour deux raisons.
D'abord, on ne devrait même pas parler d'attente et de liste d'attente. Il y a des listes d'attente pour la chirurgie cardiaque, et cetera. Cela n'a pas d'allure. Et pour la chirurgie liée au cancer du sein, on attend souvent plusieurs semaines. Quand on est malade, il n'y a pas de semaines. On devrait être traité tout de suite. Donc, il y a un danger à ce niveau-là.
Évidemment, il y aurait un danger de subventionner indirectement le privé, ce qui pourrait avoir tendance à démontrer très clairement qu'on donne de meilleurs services, donc on va essayer de ralentir le plus possible le système public pour qu'on puisse ramasser l'argent à ce niveau-là.
Vous dites, dans la même page, que:
... un organisme indépendant mandaté pour veiller à ce que la technologie dans le système public soit aussi avancée que dans le privé.Je pense qu'on a beaucoup de retard au niveau de la technologie. Le danger que j'y vois, c'est encore d'augmenter la bureaucratie par la création d'un autre organisme. Et s'il n'y a pas un financement adéquat pour qu'on arrive à la même chose que dans le secteur privé, il est évident qu'on n'aura pas de résultats.
Le président du Conseil des technologies du Québec disait un jour au ministère: Moi, je vous fais des beaux rapports mais vous n'appliquez pas les recommandations. Pourquoi nous payez-vous pour vous faire des rapports quand vous ne les appliquerez pas parce que vous n'avez pas le financement pour le faire?
La page 27, en rapport avec la technologie:
Moderniser, acquérir, faire fonctionner...
Excellente idée! Au niveau des techniques de l'information, vous parlez de l'industrie artisanale. C'est épouvantable! On n'est pas à l'ère moderne. Le dossier informatisé partageable, la médication pour le patient, les analyses de laboratoire qui rentrent par ordinateur et l'aide diagnostique et thérapeutique, tout cela épargnerait beaucoup d'argent. Cela donnerait des meilleurs traitements aux malades.
Le problème, c'est que chacun fait sa petite affaire dans son coin, sans en parler. Et si on informatise complètement le système, je prédis que dans quelques années on aura beaucoup de problèmes. Comment sera-t-on capable d'harmoniser, au niveau informatique, tous les petits systèmes à gauche et à droite, alors qu'on aurait dû faire un plan provincial ou national, à la rigueur? Quand quelqu'un tombe malade à Vancouver, avec l'ordinateur, on sait quel médicament la malade prend à Montréal. C'est de rêver en couleur, je vous l'avoue.
Vous parlez des projets pilotes. Au Québec - je ne sais pas comment c'est dans les autres provinces - il me semble qu'on souffre de «pilotite». Nous, au Collège, avons évalué des centaines de projets pilotes aussi ridicules que pour le combi-tube par des ambulanciers, puis des trucs comme cela.
Alors qu'on devrait se baser sur des principes de recherche, on fait une étude pilote, on démontre qu'elle est efficace, on fait une étude «multi centre», et on applique.
Je ne suis pas très enthousiaste en ce qui est des projets-pilotes.
Le sénateur Morin: Je voudrais bien comprendre votre point, docteur Lamontagne. Ce que vous dites, c'est que plutôt que de faire un projet pilote qui n'est pas contrôlé puis qui n'est pas vérifié, ce serait plutôt une étude «multi centre». C'est ce que vous dites?
M. Lamontagne: On dirait qu'à chaque fois qu'il y a un projet-pilote qui commence, c'est comme si on voulait découvrir de nouvelles choses. Prenons l'exemple de l'informatique. Il y a plein de choses dans le monde entier qui ont déjà été découvertes et appliquées.
Je vous donne un exemple pour le dossier informatisé:
Il y a un excellent programme qui est fait en Australie, et qui serait facilement traduisible en français. Au Québec, on fait des projets pilotes alors qu'on aurait pu acheter cela de l'Australie, l'appliquer tout de suite en anglais, et ensuite le faire traduire en français. Peut-être que dans dix ans il faut le moderniser. Mais arrêtons de faire la recherche quand elle est déjà faite. Il y a beaucoup de compagnies qui ont développé des choses intéressantes. Il semble qu'on un peu peur de cela.
Même chose pour la télé-médecine. À cause de la grandeur du territoire, il est très important de développer la télé-médecine. Je vous citerais un exemple très personnel. Il y a deux ans, ma fille a fait une commotion cérébrale alors qu'elle faisait du ski dans le New Hampshire. Le petit hôpital qui désert 20 000 personnes avait un scanographe. Ils ont fait la scanographie, et quand j'ai demandé où était le radiologiste, ils ont dit qu'ils n'en avaient pas, mais que Télé-médecine Boston rendrait une réponse dans une demi-heure.
Trois quarts d'heure après, on nous a rassurés que ce n'était pas sérieux. Je suis sorti de l'hôpital avec un compte de 935,00 $ US. Mais cela, c'est de l'efficacité! Et ils épargnent de l'argent parce qu'ils n'ont pas besoin de radiologiste et tout est fait par télé-médecine.
Ressources humaines, pénurie de médecins. Je pense que longtemps, on a mal compté les effectifs médicaux. On commence à bien connaître mieux et on s'aperçoit que, effectivement, on est en pénurie partout au Canada. Je ne m'étends pas plus longtemps là-dessus.
Les règles actuelles définissent ce que les divers professionnels peuvent ou ne peuvent pas faire. On pourra vous en parler tantôt. Nous avançons actuellement l'idée des actes partageables. Je vous en parlerai.
En effet, il faut revoir tout notre système de partage des actes. Un peu comme les optométristes l'ont expliqué tantôt. Mais attention, il faut faire en sorte de ne pas remplacer, comme vous le dites, un dispensateur de soins par un autre et ainsi créer un nivellement par le bas.
Au Québec, le Comité Bernier travaille là-dessus. Il faut éviter les querelles de chapelle, de donner à Pierre puis d'enlever à Jacques, et là d'arriver à une médecine vraiment de moins bonne qualité.
Au niveau politique, cela pourrait amener des économies, cela pourrait amener une augmentation d'accessibilité. Au niveau économique, il y a des chances que cela baisse les coûts. Mais je ne suis pas sûr que les services seraient aussi bons.
Enfin, le gâteau, le paiement des médecins. Tout le monde est d'accord pour réviser le paiement à l'acte, à tout le moins, au Québec. Cela a déjà commencé au Québec avec cette histoire de forfait avec un pourcentage d'actes. Au fond, dans la capitation, c'est un peu la même chose, il y a un forfait et un pourcentage d'actes. Je pense que c'est fort probablement le meilleur moyen.
La plus importante cause de diminution de la productivité, à mon avis, c'est sans aucun doute le salariat, où le médecin devient vraiment un fonctionnaire. J'ai vu cela dans certains pays européens.
Dans La Presse de lundi dernier, un médecin disait qu'il quittait un CLSC pour s'en aller en pratique privée, parce qu'il ne voyait des patients que durant huit heures par semaine. On n'a pas payé un médecin pour faire des meetings sur la santé publique, on l'a payé pour voir des malades. Alors cela pose des problèmes. Et peut-être que la rémunération par personne pourrait aider dans ce sens-là.
Je ne vous cacherai pas que mon ancienne spécialité est la psychiatrie. tant que les médecins - comme d'autres, d'ailleurs - auront une mentalité d'entrepreneurs, et ne nous leurrons pas, les médecins en sont, il faut remettre des renforçateurs. D'où l'importance, à mon avis, d'un mélange de rémunération des médecins.
Le sénateur Morin: Alors, les questions vous seront adressées soit en français ou en anglais. Vous y répondrez dans la langue de votre choix.
M. Lamontagne: Pas de problème.
[Traduction]
Le sénateur Keon: Docteur Lamontagne, vous avez vraiment fait le tour de la question, et votre exposé était très clair. Vous avez mis le doigt sur tous les dilemmes auxquels nous sommes actuellement confrontés.
Je voudrais que vous nous parliez encore du système de rémunération des médecins. M. Claude Castonguay a comparu hier matin, et je lui disais que lorsqu'on a créé le système des CLSC, mon frère était omnipraticien dans l'ouest du Québec et trouvait que c'était une idée formidable, étant donné que les gens auraient ainsi accès à des travailleurs sociaux qui puissent traiter des problèmes non médicaux qui, dans son cas, représentait30 p. 100 de son temps. Ainsi il était plus libre de traiter les problèmes d'ordre médical. Cependant, vous nous avez fait remarquer certains des inconvénients de ce système.
Vous avez également parlé de télémédecine. L'Institut de cardiologie d'Ottawa a recours à ce genre de système depuis fort longtemps. Nous avons des installations sur l'île de Baffin et dans d'autres régions éloignées qui permettent aux gens de la localité d'envoyer leurs informations médicales au Québec et en Ontario. Le principal obstacle à la mise en oeuvre de ce genre de système est l'impossibilité de payer les médecins. À l'Institut de cardiologie, où les médecins sont salariés et partagent les crédits disponibles en fonction de diverses formules, cela ne pose absolument aucun problème. Si un médecin doit consacrer du temps à une clinique de télémédecine, cela ne nuit aucunement à son revenu, pas plus que l'enseignement ou la recherche, d'ailleurs. Mais dans les petites localités, les médecins ne sont pas payés pour ce service-là. Il faut donc demander aux médecins de travailler pour rien toute une matinée pour que ce système puisse fonctionner.
Je suis fermement convaincu que c'est aux médecins d'être des chefs de file pour ce qui est de conseiller le gouvernement sur d'autres régimes de rémunération. Je suis d'accord avec vous pour dire qu'il ne doit pas y avoir de régime universel. Cependant, il faut aider le gouvernement à élaborer des régimes de rémunération qui conviennent à tous ceux qui travaillent dans le cadre du système, que ce soit dans la prestation des soins primaires, en milieu universitaire, et cetera.
Vous en avez un peu parlé dans votre exposé. Vous nous avez clairement fait comprendre que vous ne souhaitez pas que les médecins deviennent fonctionnaires, et je suis d'accord avec vous. Il faut leur donner des encouragements. Le système de rémunération à l'acte n'est pas efficace dans bien des contextes. Peut-être pourriez-vous essayer de nous expliquer cela un peu plus lentement cette fois-ci, puisque vous avez abordé tant d'éléments différents. Pourriez-vous donc nous reparler des diverses méthodes de rémunération qui permettraient peut-être de régler les problèmes qui se posent au niveau des soins primaires et des établissements universitaires où les gens sont obligés de consacrer beaucoup de temps à l'enseignement et à la recherche et à d'autres activités liées aux programmes de pointe pour lesquels aucun paiement n'est prévu dans le barème actuel? On dirait qu'il n'y en aura pas avant quatre ou cinq ans qui incluent certaines de ces activités toutes nouvelles. Il faut qu'on soit en mesure de rémunérer convenablement les médecins pour pouvoir dispenser des soins de santé qui sont à la fine pointe technologique. La télémédecine en est un bon exemple.
À votre avis, quel genre de système pourrait-on envisager de mettre en oeuvre? Limitons-nous pour l'instant au Québec, puisque vous connaissez très bien la situation dans la province. À votre avis, quel type de système serait-il possible de créer au Québec qui permette de régler un certain nombre de ces problèmes?
M. Lamontagne: Je voudrais faire deux observations. La première concerne les CLSC dont vous avez parlé tout à l'heure. J'aimerais vous donner un exemple de ce genre de partenariat. Quand ce nouveau système a été mis en place, il y a des médecins d'exercice privé qui avaient leur cabinet dans un bâtiment, et tout d'un coup, des CLSC étaient mis sur pied à l'autre coin de rue. Au départ on pratiquait surtout la médecine dans ces centres, mais petit à petit, ils ont commencé à traiter davantage les problèmes sociaux que les problèmes médicaux. Et, évidemment, ils ont cessé de parler aux médecins d'exercice privé, et inversement.
Voilà le genre de partenariat qu'il serait possible d'établir. On pourrait faire en sorte que les CLSC travaillent de concert avec les médecins d'exercice privé. On peut aussi espérer que les médecins travaillant dans les CLSC acceptent de travailler en étroite collaboration avec leurs collègues d'exercice privé, pour qu'ils puissent communiquer afin de mieux traiter les problèmes psychologiques et sociaux. À l'heure actuelle, il n'y a pas de communication entre les médecins d'exercice privé et les CLSC.
Bien sûr, ça donnerait lieu à un problème important. Si, à titre de médecin salarié travaillant dans un CLSC, je travaille huit heures par semaine et j'en suis content, je ne voudrais pas qu'on m'oblige à voir des patients 35 heures par semaine. Donc, il faudrait trouver d'autres moyens d'inciter ces gens-là à participer au nouveau système.
Pour ce qui est de la rémunération, ce que vous avez à votre hôpital, c'est ce qu'on appelle le système de regroupement. Dans les hôpitaux universitaires, ce genre de système donne de très bons résultats. Mais les gens s'inquiètent toujours dès lors qu'il est question de changer la routine. Il faut donc leur offrir des encouragements pour leur faire accepter une nouvelle formule. Je dirais aussi qu'il y a peut-être un élément culturel dans tout cela parce qu'à Montréal, le système de regroupement marche beaucoup mieux dans les hôpitaux universitaires de langue anglaise que dans les hôpitaux de langue française.
Mais à mon avis, c'est une bonne idée. J'enseigne à l'université depuis 25 ans. Comme c'est le cas pour une entreprise privée, à la fin de l'année, si vous êtes visé par un système de regroupement, vous devez ventiler toutes vos activités au cours de l'année - c'est-à-dire, enseignement, recherche, publication d'articles, subvention, services cliniques, et cetera. Cela crée ainsi un climat très compétitif. Si vous ne répondez pas à certains critères, on vous met dehors. Cela favorise l'esprit d'entreprise et le leadership. À mon avis, ce système de regroupement convient parfaitement aux hôpitaux universitaires.
Mais dans le secteur des soins primaires, une formule mixte prévoyant un forfait, ou une somme fixe, de même qu'un pourcentage de rémunération à l'acte n'est pas une mauvaise chose, à mon avis. Les médecins qui travaillent dans les régions éloignées, où ils sont censés entreprendre toutes sortes de nouvelles activités, pourraient être rémunérés en fonction d'un forfait. Si la tâche à accomplir est de nature clinique, il faudrait à ce moment-là y ajouter un pourcentage de rémunération à l'acte pour les autres services qui sont assurés. Évidemment, cela ne relève pas de la responsabilité du Collège des médecins et des chirurgiens. Cela relève des fédérations, qui sont en réalité des syndicats. Il faudrait qu'elles en discutent avec le gouvernement pour savoir quelles tâches seraient rémunérées de cette façon.
Notre collège a préparé un rapport sur la télémédecine. Lorsqu'on a lancé ce programme, le système ne prévoyait pas de paiement pour une consultation de télémédecine. Ainsi personne ne payait ce service.
Pour moi, une formule mixte prévoyant à la fois un forfait et un pourcentage de rémunération à l'acte serait appropriée pour des médecins qui travaillent dans les régions éloignées. Bien sûr, essayer de garder des médecins dans ces régions pose vraiment problème.
Le sénateur Keon: À votre avis, le problème réside-t-il en partie dans l'existence de deux sources distinctes de financement? Il faudrait peut-être en discuter dans le cadre de la télémédecine. C'est-à-dire qu'il existe des crédits pour rémunérer les médecins et d'autres crédits pour payer les frais des établissements. Mais il n'y a pas de crédits pour autre chose - à part, bien entendu, de petites sommes ici et là pour des projets bien précis.
Le problème, lorsqu'on approuve la création d'un nouveau programme dans le secteur institutionnel, on n'approuve pas en même temps une formule de rémunération des médecins à partir des crédits disponibles, parce que le système manque déjà de fonds. Donc, chaque année, ils essaient de voir comment ils peuvent répartir équitablement les fonds disponibles. Ils doivent se demander si les spécialistes gagnent trop d'argent, ou si les médecins de famille n'en gagnent pas assez, et cetera, et cetera. Donc, incorporer un nouveau programme dans le barème d'honoraires actuels est pratiquement impossible.
L'un des principaux obstacles est donc l'existence de cesdeux sources de crédits. Peut-être faut-il créer un fonds de développement qui permettrait de financer des programmes à la fois dans le secteur institutionnel et le secteur privé, en attendant de créer un mécanisme approprié permettant de les financer à partir des deux sources de crédits. Cela n'existe pas à l'heure actuelle. Et cela freine beaucoup l'élaboration de programmes nouveaux et efficaces.
[Français]
M. André Garon, secrétaire général adjoint aux Affaires externes, Collège des médecins du Québec: On a effectivement constaté au Québec les problèmes que cela occasionnait d'avoir deux sources de financement, les programmes distincts qui étanchent l'un par rapport à l'autre. À la Commission Clair et plus récemment d'ailleurs, dans une autre commission parlementaire à Québec, nous avons plaidé pour ce qu'on appelait dans notre jargon, un «hydro» de la santé. Au fond, ce qu'on souhaitait c'est d'avoir un système d'assurance puis un gestionnaire des régimes d'assurance pour qu'il existe une perspective d'ensemble.
On est conscient qu'on pourrait fort bien, dans le cadre d'une négociation entre le ministre et les représentants des médecins, convenir de modes de rémunération, de tarifs. Tout cela privilégie tel genre de pratique plutôt que tel autre, et va donc dans un sens; alors que le système public, le financement du système public, le financement des hôpitaux, va dans l'autre sens. Les systèmes d'assurance ne se parlent pas. Et cela crée de la cacophonie, de l'incohérence, de la perte, évidemment, d'énergie, de sous et tout le reste. S'il était possible d'aménager des passerelles entre ces financements-là, oui, ce serait probablement déjà intéressant.
Je reviens à la question que vous avez posée antérieurement, pour compléter ce qui a été dit concernant la rémunération plus particulièrement des médecins. Nous sommes d'avis qu'un mode ou l'autre comporte des avantages mais aussi des désavantages énormes. Le mode d'honoraires fixes, d'honoraires forfaitaires, de salariat, comporte des avantages mais aussi des désavantages importants. C'est la même chose pour le mode de rémunération à l'acte. Il serait important de considérer la combinaison des deux, quelque chose de mixte, autant pour le spécialiste qui a des fonctions d'enseignement et de recherche que pour le médecin qui fait de la médecine générale, au niveau de la première ligne.
Ce qui importe le plus à ce moment-ci au Québec, c'est de voir comment on peut combiner, à l'inscription de la clientèle, un mode de rémunération où on introduirait une forme de capitation, un certain pourcentage de paiement à la capitation. Peut-être que 66 p. 100 du paiement du médecin serait sur une base de capitation et 33 p. 100 sur des actes qui sont posés. Vous voyez l'effet tout de suite. Et la portion capitation serait modulée en fonction de la clientèle qui est inscrite auprès du médecin de famille.
Il est certain que de s'occuper d'un jeune homme de trente-cinq ans en bonne santé, c'est dix fois moins onéreux en termes de charge de travail que de s'occuper d'une personne de soixante ans qui souffre de pathologies multiples. Il faut que ce soit modulé en fonction de cela. Mais on pense que d'explorer des nouvelles avenues de rémunération pourrait être fort prometteur, en plus de celle que vous semblez soutenir qui est d'avoir des interfaces entre les régimes publics d'assurances.
Le président intérimaire: Je trouve ça excellent. Si vous permettez, je pense que c'est excellent, ce 66 p. 100 de capitation et 33 p. 100 à l'acte. Est-ce que vous êtes arrivés à ce chiffre après une étude?
M. Garon: Je ne pourrais pas vous dire si c'est le fruit d'études mais l'idée, le principe en dessous c'est de faire en sorte qu'il y ait plus de 50 p. 100 qui soit payé pour avoir la responsabilité d'une clientèle. Et cela est fondamental. Le système de «fee for service», de remboursement pour des actes posés, cela fait qu'il n'y a pas un acte qui s'appelle «prise en charge» puis qui est tarifé, n'est-ce pas?
Le président intérimaire: C'est exactement la ligne de pensée dans laquelle nous nous engageons. Sénateur Keon, est-ce que vous avez d'autres commentaires?
[Traduction]
Le sénateur Keon: J'aimerais que le Dr Lamontagne nous explique un peu plus sa réflexion en ce qui concerne les copaiements.
Mais je voudrais tout d'abord vous parler de quelque chose dont nous avons discuté avec d'autres personnes d'un bout à l'autre du pays. À l'heure actuelle, les soins hospitaliers et les honoraires des médecins sont plus ou moins couverts dans le cadre du système, mais d'autres services, qui concernent notamment la prévention, et cetera, ne sont pas du tout assurés. Par exemple, à l'Institut de cardiologie, nous dispensons des programmes de désaccoutumance au tabac, des programmes de prévention primaire, et cetera. Nous arrivons à les financer à partir de notre budget global, grâce à notre efficacité dans d'autres domaines, mais ces programmes ne sont pas aussi importants qu'on le souhaiterait.
S'agissait de programmes de prévention, ce qui arrive, c'est que les grands pontes américains arrivent de Californie, s'établissent ici, donnent des leçons de cuisine, et font payer les gens pour suivre ces cours. Évidemment, seuls les riches peuvent se permettre de les suivre.
Par contre, quand vous parlez de soins à domicile ou de soins en milieu surveillé, y compris la physiothérapie à domicile et d'autres services de même genre, là les fonds s'épuisent rapidement, si bien que le patient doit supporter lui-même les frais de ces services. Cette situation pose gravement problème, notamment aux personnes âgées, dès lors que les versements qu'elles reçoivent du gouvernement ou de l'assurance sont épuisés. C'est la famille qui finit donc par avoir à payer les soins, ce qui lui crée souvent de graves difficultés financières.
J'ai lu votre mémoire, et vous y indiquez qu'à votre avis, il serait possible d'appliquer une formule de copaiement à l'ensemble du système. Autrement dit, le gouvernement paierait une portion du coût de tous les soins et services, et le patient paierait l'autre portion. Ai-je bien compris?
M. Lamontagne: Oui, mais cela pose problème malgré tout. Qu'arrive-t-il aux pauvres? S'ils n'ont pas les moyens de payer, ils n'iront pas se faire soigner, et s'ils ne sont pas soignés, ils risquent de mourir. Ce sera comme aux États-Unis: si vous n'avez pas d'argent, vous pouvez mourir dans la rue. Je ne sais pas en quoi consiste la solution. Peut-être devrions-nous envisager de créer un système semblable à l'aide juridique, qui permet d'aider les personnes qui n'ont pas les moyens de payer leurs propres frais judiciaires. Si on peut faire ça pour les frais judiciaires, pourquoi ne pas le faire pour les frais médicaux? Si vous avez de l'argent, vous payez; et si vous avez encore plus d'argent, vous payez davantage. Il serait assez facile de vérifier le revenu des particuliers en examinant leurs déclarations annuelles d'impôt sur le revenu. Il faut se rappeler qu'il y a tout de même des pauvres, et qu'ils méritent d'être aussi bien traités que les riches.
Mais je serais d'accord pour qu'il y ait copaiement à l'égard de tous les services. Si nous commençons à faire payer 5 $ pour tel service, 10 $ pour tel autre service, et 25 $ pour un autre service encore, nous aurons de nouveau un système bureaucratique. Comment va-t-on s'en sortir? Qu'est-ce qui vaut 5 $ et qu'est-ce qui vaut 25 $? Ça pourrait prendre des années pour prendre des décisions de ce genre. Par conséquent, il me semble préférable d'appliquer ce genre de formule à tous les services.
Pour en revenir à l'exemple de la Suède, si un patient consulte son médecin parce qu'il a un rhume ou la pneumonie, cela lui coûte 25 $. S'il va au service d'urgence, pour quelque raison que ce soit, ça lui coûte 35 $ - ça, c'est pour les personnes qui peuvent payer. Donc, je suis d'accord avec vous là-dessus. Il faudrait un système aussi simple que possible.
Vous avez parlé de ces Américains qui donnent des leçons de cuisine à ceux qui ont les moyens de se les payer. C'est très bien, mais je vous dirais aussi que c'est très américain. Je suis d'accord là-dessus. Les gens devraient avoir à payer ce genre de chose. Par contre, ils devraient surtout avoir à apporter une contribution au système lorsqu'ils sont malades.
Le ministre Trudel présentera sous peu les recommandations de la Commission Clair sur ce qu'on pourrait appeler la sécurité de vieillesse. Au niveau politique, évidemment, vous ne gagneriez jamais d'élections si vous proposiez un tel régime, parce que beaucoup de gens voteraient contre. Mais j'estime, personnellement, que c'est une très bonne idée. Les services et soins coûtent de plus en plus cher, mais les salaires n'augmentent pas. Si nous tombons malades, nous ne pourrons pas nous permettre de bénéficier de services médicaux. Nous devons aussi nous demander ce que nos enfants auront comme charge financière à cause de nous dans 20 ans. En l'an 2016, il y aura plus de vieux que de jeunes. C'est pour ça qu'il faut mettre de l'argent en banque dès maintenant pour cette éventualité. Je sais que les loteries rapportent gros aux gouvernements mais ces derniers peuvent ensuite s'en servir comme bon leur semble. Il va sans dire qu'ils ne l'investissent pas dans le système de soins de santé. Mais si vous mettez de l'argent de côté, vous saurez qu'il est là et que vous pourrez vous en servir le moment venu.
Je suis d'accord là-dessus mais, sur le plan politique, il serait très difficile de convaincre la population du bien-fondé d'une telle formule.
[Français]
Le président intérimaire: Docteur Lamontagne, avant de redonner la parole au Dr Keon, ce que vous dites semble un peu en contradiction avec le texte que vous nous avez soumis concernant le co-paiement. Vous avez dit qu'il devrait y avoir interdiction d'un co-paiement pour les services médicaux-hospitaliers qui ne devraient être maintenus que lorsque les soins dispensés et reçus sont considérés comme pertinents, efficaces et efficients. Vous dites qu'on devrait interdire le co-paiement, et vous donnez une série d'exemple.
Un exemple qui me plaisait beaucoup puis qu'on va sûrement retenir, c'est le pourcentage de soins dispensés dans une clinique à des malades non inscrits auprès d'un médecin de famille. Autrement dit, les malades ont le choix de s'inscrire ou de ne pas s'inscrire. On peut difficilement forcer les gens. Mais s'ils ne sont pas inscrits, il y a vraiment un co-paiement qui s'établit pour les soins auxquels ils ont accès en dehors de cette équipe de médecine de soins de première ligne. C'est à la page 4, sous «Y». Cela me plaît beaucoup et c'est la première fois que je vois cela. On parle toujours d'une réforme de soins de première ligne, que les malades doivent être inscrits et ainsi de suite.
Par contre, on dit qu'on ne peut pas forcer les gens à s'inscrire s'ils ne veulent pas le faire, et on ne peut pas forcer les malades. Comme vous le dites à la page 4, les malades qui refusent de s'inscrire auprès d'une équipe de médecine de première ligne, pour toutes sortes de raisons, assumeront un pourcentage des coûts s'ils veulent aller voir directement leur pédiatre, leur gynécologue ou leur psychiatre. Je trouve cela excellent.
M. Lamontagne: Je vais élaborer là-dessus, docteur Morin, ensuite je vais laisser le docteur Garon commenter parce que c'est lui qui a écrit le texte. Je vous dirais, dans un premier temps, qu'il faut rendre cela le plus simple possible. Parce que tel qu'il existe, le système est compliqué. Si on était capable de rendre cela le plus simple possible, au moins quand on parle de co-paiement, on éviterait que la bureaucratie entre là-dedans.
Si on avait un ticket orienteur qui serait le même pour tout le monde, on réglerait au moins un gros problème d'administration. Et on sait que combien cela coûte très cher d'administrer le système public.
Maintenant, quand vous parlez de population inscrite, je peux me faire, moi aussi, l'avocat du diable. Si on implante le système de capitation au Québec et qu'on demande aux gens de s'inscrire, ceux qui vont se présenter seront plus nombreux que ceux qui iront voter aux élections municipales dimanche prochain.
C'est assez difficile de se trouver un médecin. Si on disait que ceux qui ne s'inscrivent pas seront obligés de payer, je suis sûr que 98 p. 100 de la population va faire la queue pour s'inscrire.
Le sénateur Morin: J'aimerais qu'on parle de l'accès direct à un spécialiste à qui on n'aurait pas été envoyé.
M. Lamontagne: Je vais laisser la parole au docteur Garon.
M. Garon: Vous comprenez, Docteur Morin, l'esprit de cela, c'est d'encourager des comportements sains, des comportements qui visent l'efficacité et l'efficience, et de décourager les autres, autant du côté du consommateur, l'utilisateur des soins, que du producteur. Il nous apparaît qu'il n'est pas souhaitable que des malades, par exemple, aillent voir directement des médecins spécialistes sans passer par le médecin de famille auprès duquel ils sont inscrits. À ce moment-là, il faut certainement trouver une mesure pour décourager ce genre de comportement qui ne nous apparaît pas souhaitable.
Au niveau de l'assurance médicaments, on a à ce moment-ci au Québec un co-paiement qui permet, par voie électronique, de savoir ce que chacun doit défrayer de sa poche et ce que le gouvernement va assumer. Il y a très peu de bureaucratie donc dans la gestion de ce co-paiement. Il se fait par voie électronique. C'est informatisé. Et la personne qui va acheter ses médicaments, c'est sur le champ qu'elle va savoir quelle est la contribution. Il y a toujours un plafond. Alors, cela ne peut jamais prendre de grandes proportions.
On pourrait, en utilisant ces systèmes de co-paiement, favoriser le bon comportement du prescripteur aussi. La bonne vieille pénicilline pourrait être assurée à 100 p. 100, et puis le Cipro pourrait être assuré, je ne sais pas, à 25 p. 100.
Le sénateur Morin: Je ne sais pas pourquoi vous avez pris l'exemple du Cipro.
M. Lamontagne: Vous aurez remarqué que dans le texte, j'avais sauté ce paragraphe.
M. Garon: Tout ça pour vous dire qu'il faudrait que la modulation soit possible, que chaque province ait la possibilité de moduler. Au Québec, autour des années 1990, il y a eu une non-assurance de soins dentaires préventifs pour les enfants jusqu'à l'âge de douze ans. On est passé de 100 p. 100 à0 p. 100. Nos affaires ne sont pas toujours brillantes. Quand on a fait cela, on a perdu toute l'information sur la consommation des services. On aurait pu conserver un paiement de 25 p. 100, de 50 p. 100 par l'État pour de tels soins. Les autres coûts auraient été assumés par la famille. Non. On est passé de 100 p. 100 à0 p. 100.
Au Canada, en matière de santé, notre panier de services n'est jamais bien large. Il est profond. C'est 100 p. 100. Dans les pays européens, c'est large. On va chercher beaucoup plus que les services médicaux. On va chercher des soins d'optométrie, des médicaments, des soins de physiologie. C'est beaucoup plus large mais ce n'est pas à 100 p. 100. Il n'est pas nécessaire que ce soit une norme fixe, bête et méchante, de 25 p. 100 ou 50 p. 100. Cela peut être modulé en fonction de l'efficacité.
Je pense, sénateur Morin, que vous savez ce que je veux dire. L'exercice de la médecine ne se fait pas toujours selon les données probantes. Puis le choix des consommateurs ne se fait pas toujours en fonction de ce qui est le plus souhaitable.
Le sénateur Morin: Merci beaucoup.
M. Lamontagne: Je pense que l'exemple des soins dentaires du docteur Garon est un bon exemple. Vous voyez, on aurait pu faire moitié-moitié, par exemple. Et à ce moment-là, les gens de revenus moyens auraient continué d'avoir un renforçateur pour le faire, alors que la famille moyenne qui n'a maintenant plus les moyens de le faire, a débarqué. Puis dans dix ans, on va retrouver un tas de problèmes dentaires chez ces enfants qu'on a complètement ignorés, parce que c'est 100 p. 100 ou 0 p. 100.
L'autre point que le docteur Garon a abordé tantôt est d'encourager le comportement positif puis de décourager le comportement négatif. Je peux vous en parler car je suis béhavioriste de formation. Dans tous les systèmes de santé, on décourage les comportements négatifs, mais on n'encourage jamais les comportements positifs.
Or, on sait très bien qu'en thérapie du comportement, le renforçateur positif est beaucoup plus fort que le renforçateur négatif. Donc, il faudrait rediriger le bateau, que ce soit dans le domaine du paiement des médecins, dans l'aide qu'on demande aux gens de nous donner, que ce soit dans le domaine financier ou dans l'organisation. Mais il faut qu'il y ait un renforçateur positif en quelque part. Je pense qu'on doit rediriger le bateau, et penser davantage à un renforçateur positif au lieu de toujours renforcer négativement.
[Traduction]
Le sénateur Keon: Je pense que j'ai déjà un peu trop abusé du temps du Dr Lamontagne et du Dr Garon. Je vais donc permettre à d'autres sénateurs de poser leurs questions.
[Français]
Le sénateur Pépin: Docteur Lamontagne, j'ai bien apprécié votre article.
M. Lamontagne: Il y a des gens à Québec qui l'ont moins apprécié, je dois avouer.
Le sénateur Pépin: Je dois dire que si vous étiez ministre de la Santé, je pense que je me représenterais.
M. Lamontagne: Je n'en veux pas.
Le sénateur Morin: Je m'aperçois qu'on n'a pas reçu cet article-là.
Le sénateur Pépin: Moi, je l'ai découpé, voyons! Cela a paru dans L'Actualité et c'est excellent. On dit qu'il faudrait qu'on ait un système de santé comme Hydro-Québec.
Le sénateur Morin: Il faudrait faire photocopier ça.
Le sénateur Pépin: Oui. Je vais vous le donner, on peut le faire distribuer à tout le monde.
Quand, dans votre présentation, vous avez dit qu'il faut faire des traitements et pas simplement la prévention, je suis d'accord. Vous avez dit qu'on n'a pas fait d'études sur le vieillissement. On ne connaît pas l'impact et tous les besoins. C'est dont une chose qu'on pourrait peut-être faire dans un avenir rapproché.
Vous parlez aussi de l'importance d'avoir une équipe de gestion de revenus et de dépenses, et non simplement des gestionnaires de dépenses. Et je suis d'accord là-dessus.
Je suis aussi d'accord avec vos vues concernant les hôpitaux locaux, régionaux et universitaires.
Pour ajouter à l'efficacité de nos hôpitaux ou de nos services de santé, ils pourraient fonctionner sept jours semaine. Si on mettait le service public avec le service privé, cela nous rapporterait de l'argent puis cela pourrait même être beaucoup plus efficace.
Vous parlez de travailler en équipe. Je voudrais que vous nous disiez comment vous voyez cela, parce qu'on parle des médecins. Un médecin qui ne voit pas de malades plus de huit heures par semaine, je trouve cela assez grave. Mais s'il y avait une équipe formée de médecins, d'infirmières, de techniciens en laboratoire, de travailleurs sociaux et d'ophtalmologistes, comment concevoir une équipe qui serait fonctionnelle et qui fonctionnerait pour que chacun travaille selon sa discipline?
Vous avez aussi parlé du dossier informatisé. Ici, il y a une chose qui m'inquiète. C'est la confidentialité. Il n'y a encore personne qui a été capable de nous rassurer au niveau de la confidentialité. Il y a des points qu'il faudrait absolument examiner.
M. Lamontagne: Votre première question, sénateur Pépin, c'était en rapport avec le travail d'équipe?
Le sénateur Pépin: Oui. Et les heures de travail.
M. Lamontagne: En effet, puisqu'on est nombreux, il faut travailler en milieu interdisciplinaire. Le nombre de disciplines a augmenté. Dans les années 1950, on avait le trio médecin-infirmière-patient, qui travaillait main dans la main. Évidemment, l'équipe a grossi. On a maintenant des technologistes de toutes sortes. Et l'enjeu, au point de vue humain, c'est que tout le monde s'est mis à «picocher» le malade, à lui prendre des morceaux de peau, du sang, de l'urine, et cetera. Puis le malade, lui, s'est retrouvé un peu comme perdu dans cette jungle où tout le monde saute dessus, mais il ne sait qui s'occupe vraiment de lui. C'est un peu ça la situation actuelle.
Le sénateur Pépin: On a l'impression que c'est le patient qui est en dessous.
M. Lamontagne: C'est cela. Alors, je pense qu'il faut revenir à des notions d'esprit d'équipe et resserrer les liens entre les différents professionnels de la santé. Maintenant que je ne suis plus président d'une association syndicale, je peux plus facilement parler de la question d'argent. Avec cette façon de faire, je pense qu'on peut aider les choses et les liens avec les autres professionnels de la santé s'améliorent de beaucoup. C'est intéressant au point de vue de l'évolution de la société.
Dans les années 1950 et 1960, quand il y avait assez de médecins, il n'était pas question de donner quelque chose aux infirmières ou aux autres. Le marché. Mais là, on est en situation de pénurie puis tout d'un coup, je vois de jeunes médecins qui seraient prêts à tout donner aux autres.
Le sénateur Pépin: Mais il faudrait qu'ils augmentent le salaire des infirmières, par exemple.
M. Lamontagne: Ah! Je ne veux pas parler de cela. Comme je vous dis, moi, je suis professeur maintenant. Mais je pense qu'il y a des choses à faire. En ce sens, je vous dirais qu'on est passablement en avance, et on va rencontrer le ministère encore pour discuter de ce qu'on appelle les «activités partageables».
Le sénateur Pépin: Oui.
M. Lamontagne: Bon. On le sait très bien maintenant et on est d'accord, en tant que médecins, qu'il doit y avoir des infirmières hautement spécialisées. Hémodialyse, soins intensifs, néonatalogie, on a décrit toutes ces tâches et on est prêt à confier aux infirmières des soins comme ceux-là, sous protocole médical et en autant qu'elles ont la formation adéquate au-delà du cégep.
Le sénateur Pépin: Je suis d'accord.
M. Lamontagne: Deuxièmement, et cela ne me regarde pas, mais qu'on les paie comme il le faut pour le travail qu'elles font: soulager le plus possible les médecins des tâches que d'autres professionnels de la santé sont habilités à faire.
Par exemple, pourquoi faut-il qu'un médecin administre des vaccins quand une infirmière peut très bien le faire? À chaque année, aussitôt qu'un nouveau vaccin est disponible, on est obligé de regarder la question et puis de la déléguer encore aux infirmières. Et je dois vous avouer que déléguer prend tellement de temps que la période de vaccination est parfois terminée avant qu'on ait réussi à déléguer ces soins.
On parle de fonctions. On a regardé les différents professionnels. On est en train de s'entendre avec des associations de médecins spécialistes pour savoir jusqu'où ils peuvent déléguer à l'inhalothérapeute ou au physiothérapeute, pas seulement à l'infirmière.
Il faut venir à cela pour arriver, premièrement, à un coût/bénéfices beaucoup meilleur et, deuxièmement, dégager le médecin de certaines fonctions. Les gens qui sont maintenant mieux formés sont capables de faire des choses que le médecin faisait auparavant. Qu'on leur permette de les faire. Ceci concerne votre première question.
Passons à la question du dossier informatique, de la confidentialité. La semaine passée, j'ai donné une conférence à l'AHQ et j'ai aussi donné une conférence à un colloque à la Commission de l'accès à l'information. Une fois, au Collège, on avait fait venir un spécialiste en éthique à propos du dossier informatisé. Il nous a montré plusieurs belles diapositives à l'ordinateur. Je lui ai dit: «Monsieur Péladeau, si on vous écoute, on va être à l'an 3000 puis on n'aura pas encore de diagnostics à l'ordinateur.»
Je trouve qu'on a certaines craintes face à la confidentialité. On ne protège pas assez les systèmes informatiques. Et le dossier papier à l'hôpital, et il est là mon argument, le gars de l'entretien ménager y a accès. Quand l'infirmière n'est pas au le poste, un visiteur peut passer derrière le bureau et le prendre, ainsi que tout ce qu'il veut dedans.
Le sénateur Pépin: Oui, mais il y a moins de chances que les gens le voient sur l'écran.
M. Lamontagne: Oui. Mais, comme je vous dis, les systèmes informatiques sont assez bien faits maintenant qu'il y a des façons de bloquer l'accès. Quant aux cartes à puce, il s'agit de deux cartes. Si vous ne me donnez pas votre carte, je ne peux pas rentrer. Quand vous arrivez pour me consulter, vous insérez votre carte; pour indiquer que vous pouvez entrer, j'insère ma carte et j'ai accès à votre dossier. Donc, c'est un peu comme votre carte de crédit. Si vous ne me la donnez pas, il n'y a pas de paiement qui se fait.
Et dans le cas d'un dossier qui est partagé parmi plusieurs professionnels, on m'a dit qu'au niveau informatique je pourrais décider que je veux que ce soient uniquement le médecin, l'infirmière et le psychologue qui le voient. Je ne veux pas que le travailleur social et le pharmacien le voient. Et on peut faire en sorte que certaines personnes aient accès au dossier, et d'autres non. Au niveau informatique, cela se fait.
Le sénateur Pépin: D'accord.
M. Lamontagne: Il y aura des expériences pilotes. IBM a commencé à mettre sur pied le dossier partagé. D'autres compagnies le font aussi parce qu'il y a un marché, n'est-ce pas?
Ils vous donnent l'appareillage parce qu'il y a des clients éventuels qui sont très, très intéressants. On part une d'affaire ici, d'une autre là. À un moment donné, on va vouloir se parler à travers la province. Si mon dossier informatique est à Montréal et que je tombe malade dans un coma à Chicoutimi, comment va-t-on agencer le système de Montréal qui est une étude pilote avec le système de Chicoutimi qui est une autre étude pilote? Comment est-ce qu'on va arranger cela?
Je vous avoue que je serais très content, si j'avais un gros accident de voiture à Chicoutimi, que le médecin de Chicoutimi puisse retirer la carte de ma poche et qu'il s'en serve pour savoir quels médicaments je prends, et cetera. Alors, cela viendra. Je pense que de cette manière on peut sauver des vies.
Le sénateur Pépin: Une autre chose dont on a parlé c'est la télémédecine.
M. Lamontagne: Oui.
Le sénateur Pépin: Dans les régions éloignées, on sait qu'il y a un problème important. Si on pouvait trouver une formule de paiement pour les collectivités autochtones, la télémédecine serait alors une bonne solution.
M. Lamontagne: Vous avez tout à fait raison. Je connais moins les Autochtones, mais quand on parle de régions éloignées, cela peut être autant à Chibougamau qu'ailleurs. Ces gens paient des impôts comme tout le monde et ont droit à des services médicaux. Mais il faut aussi être réaliste. On ne peut pas implanter cela partout, comme je vous disais tantôt. Le meilleur exemple, c'est les fameux scanners. Tout le monde veut avoir un scanner. Puis au bout de quatre ans, c'est désuet. Il me semble que seulement les hôpitaux qui en ont vraiment besoin devraient avoir un scanner.
Je vous donne un autre exemple politique. Dans une des régions du Québec, on a une unité de traumatologie dans un comté, et on a le scanner dans le comté voisin. Politiquement, c'est parfait. Le malade arrive, il est en mille miettes, on est quasiment obligé de le mettre sur un fardier pour aller lui faire une scanographie à soixante milles plus loin. Ce n'est pas de la médecine. Cela n'a pas de bon sens!
Ce sont des choses qui sont complètement hors du gros bon sens clinique. Parce qu'ils n'ont jamais demandé à un médecin si c'était important d'avoir un scanner là où il y a une unité de traumatologie.
Quant à la télémédecine, c'est la même chose. Je vous ai raconté tantôt ce que ma fille a vécu dans un petit hôpital dans le New Hampshire, éloigné de tout. Pas besoin de payer de radiologiste, n'est-ce pas? Trente minutes et les résultats étaient là. Mais le radiologiste qui a dû regarder les images, ne vous inquiétez pas, il a été bien payé. Il a touché une grosse part de mon 835,00 $ ou 935,00 $. Une chance que j'avais une assurance!
On a commencé au Québec un projet en cardiologie infantile. Il y a sept centres qui sont reliés par câble, et cela fonctionne très bien. On veut développer des choses comme ça.
Il y a cependant un problème de gestion. Sept centres sont reliés par câble pour la cardiologie infantile, avec de belles salles, l'appareillage et tout cela. Je mettrais ma main dans le feu que cela fonctionne de 9 h 00 à 11 h 00 le matin, et ensuite la clé est dans la porte. L'après-midi, c'est la consultation en psychiatrie avec je mne sais pas qui jusqu'à 3 h 00. Puis de 3 h 00 à 5 h 00, ce sont les consultations en endocrinologie, en médecine interne ou autre. Puis qu'à 8 h 00 le soir, c'est une autre affaire, pour au moins faire rouler la machinerie.
J'ai perdu un bon ami qui vivait en face de chez moi, un chirurgien qui est allé pratiquer à New York. Il travaillait très peu. Une journée par semaine à l'Hôtel-Dieu, une journée par semaine au Victoria, et les trois autres jours, il faisait ses visites et c'était tout.
On a des patients qui doivent attendre un an pour avoir leur chirurgie. Le système l'a tellement exaspéré qu'on l'a perdu. Ce n'était pas une question d'argent. Il disait qu'il avait fait un cours de médecine et de chirurgien pour faire de la chirurgie.
Nous communiquons par courrier électronique. Il m'a dit: «Ici, je pourrais opérer vingt-quatre heures par jours, sept jours par semaine, je pourrais demander n'importe quelle instrumentation, je n'aurais pas de problème.» Mais il m'a aussi dit: «Je m'ennuie du Québec.» Si seulement on avait cela ici.
Le sénateur Pépin: Je voudrais aborder un sujet plus délicat: celui des femmes médecins. On a lu que le président de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec a dit, d'après un sondage, que les femmes médecins travaillent moins d'heures que leurs collègues parce qu'elles ont des enfants et qu'elles doivent s'en occuper. Et j'ai lu un autre article dernièrement à l'effet qu'en gynécologie obstétrique, il y a 38 p. 100 de femmes reçues actuellement et qu'il y en a de plus en plus.
Pensez-vous que cette tendance aura des conséquences? Et quelle sera l'incidence sur l'offre globale des services?
M. Lamontagne: Vous m'amenez sur une piste très glissante, sénateur.
Le sénateur Pépin: C'est pour ça que je vous ai dit que c'était délicat.
M. Lamontagne: Il est certain que les femmes médecins travaillent moins d'heures que les hommes, pour des raisons évidentes que je comprends, et c'est bien qu'elles s'occupent de leurs enfants. Mais au total, cela fait qu'elles travaillent moins d'heures. De plus, elles voient moins de patients qu'un homme médecin. C'est bien. Elles sont plus humaines, elles ont des rapports plus étroits avec les malades, plus d'empathie. C'est bien.
Sur le plan économique, les femmes médecins gagnent moins d'argent que les hommes médecins. En début de carrière, elles travaillent moins que les hommes. Quand les médecins atteignent la cinquantaine, comme elles ont élevé leur famille, elles augments le nombre d'heures au travail. Ce sont les hommes qui commencent à diminuer leurs heures. Avec le temps, il y a un équilibre qui se fait.
Le Québec compte environ 40 p. 100 de femmes médecins alors que dans les autres provinces, cela se situe à près 30 p. 100. C'est pour cela que quand on compare les provinces, il faut faire attention de tenir compte du ratio femmes médecins, du nombre d'heures travaillées, à cause des femmes médecins.
Les femmes médecins ne travaillent moins que les hommes; elles travaillent autant et souvent, elles travaillent mieux. Mais si on le regarde à long terme, et bien, elles travaillent peut-être moins d'heures quand elles élèvent leurs enfants et plus d'heures quand les enfants sont grands, et chez les hommes, après cinquante ans, le nombre d'heures diminue.
Le sénateur Pépin: Alors il y a un équilibre qui se fait.
Le sénateur Léger: Vous avez parlé de la différence culturelle anglaise et française dans la solution des problèmes de solution de santé au pays.
Si je comprends bien, les hôpitaux anglophones auraient une façon différente de solutionner le même problème que les hôpitaux francophones? Je me demande comment il se fait qu'une culture peut avoir une façon qui lui est propre?
Est-ce que cela se fait à travers tout le Canada? Y a-t-il une différence dans la solution à cause des différences culturelles?
M. Lamontagne: C'est une question de cultures. Ne nous mentons pas. La culture anglo-saxonne est une culture très pratique; et dans notre culture latine, nous sommes plus émotifs. C'est comme cela.
Que faut-il faire? À mon avis, au point de vue de la gestion d'hôpitaux, les anglo-saxons ont une gestion vraiment beaucoup plus «business» que dans le milieu francophone.
Deuxièmement, ils ont plus de cran que dans le milieu francophone. Ils ont beaucoup moins peur. Pour vous donner un exemple, dans un hôpital anglophone, le directeur général faisait payer son hypothèque par l'hôpital ainsi que ses paiements d'automobile, puis cela allait bien. Dans un hôpital francophone, un gars s'est fait prendre parce que l'hôpital lui avait payé quatre billets de baseball et le nettoyage de trois complets, puis il a été mis dehors. Il y a quelqu'un en quelque part qui n'a rien compris.
On devrait arrêter de mettre un collier sur ces gens-là et leur dire: «On vous paie pour administrer, administrez le mieux possible.» On devrait éviter de fendre les cheveux en quatre.
[Traduction]
Le président: Je suis désolé d'avoir manqué votre exposé. Mais j'ai bien entendu l'une des réponses que vous avez faites au sénateur Pépin. Lorsque Duncan Sinclair menait l'étude au nom du gouvernement de l'Ontario, un peu comme la Commission Clair au Québec, en examinant un échantillon des sommes facturées au gouvernement - et là mes chiffres sont approximatifs - il a constaté que les deux tiers des services facturés par les omnipraticiens auraient pu être fournis par un autre professionnel de la santé et qu'un tiers des services fournis par les spécialistes auraient pu être assurés par le médecin de famille.
Je voudrais donc savoir si l'on a mené une étude semblable au Québec? Autrement dit, les chiffres ontariens correspondent-ils à la réalité en Ontario seulement, ou peut-on supposer que c'est la même chose dans d'autres régions du pays?
M. Lamontagne: Je vous dirais que même si l'Ontario est plus riche que le Québec, vous connaissez les mêmes problèmes que nous, et donc dans ce sens-là, il n'y a pas de différence culturelle. C'est la même chose.
Le président: C'est la même chose. Merci.
[Français]
Le sénateur Pépin: Peut-être que la solution serait d'avoir des femmes comme chefs de département et comme doyennes.
Le sénateur Morin: Il faut toujours que le sénateur Pépin ajoute cela à la fin des discussions. Avant de vous libérer, docteur Lamontagne et docteur Garon, il y a un point extrêmement important sur lequel notre comité ne s'est pas penché: l'indemnisation des victimes des actes médicaux. Cela représente une part importante des coûts de santé. Le Collège s'est-il penché sur cette question? Avez-vous fait une étude particulière? Êtes-vous au courant d'une étude qui aurait été faite relativement à cela?
M. Lamontagne: Docteur Morin, vous soulevez un point très important, et je vais laisser le docteur Garon répondre à cette question parce qu'il a siégé au comité ministériel sur les accidents médicaux évidents.
M. Garon: En effet, il y a un rapport récent qui a été fait au Québec, remis au ministre de la Santé, sur la prévention des accidents de soins en milieu clinique. Je vous invite à en prendre connaissance.
Comme vous le savez, dans le régime actuel de responsabilité délictuelle, pour qu'une victime puisse être indemnisée, il faut qu'il y ait erreur fautive, il faut qu'il y ait préjudice, et il faut qu'on puisse démontrer qu'il y a un lien entre les deux. Évidemment, la personne qui estime avoir été lésée a parfois une côte a remonter.
Et je pense bien que les études américaines et australiennes démontrent que c'est une fraction d'une fraction des gens qui sont victimes d'un accident de soins, qui, au bout de la ligne, peuvent être indemnisés. La question, c'est: comment peut-on mesurer la performance d'un régime d'indemnisation? En se basant sur le fait qu'il ne coûte pas trop cher ou sur le fait qu'il indemnise les victimes?
Si on est capable de mesurer cela à un moment donné, on va probablement se questionner sur les limites du régime actuel d'indemnisation des accidents de soins. Et il faudrait peut-être regarder s'il y a d'autres alternatives.
Le sénateur Morin: Ma question était peut-être mal formulée. N'y a-t-il pas une étude de coûts, d'évaluation des coûts?
M. Garon: Non.
Le sénateur Morin: Parce que cela peut devenir énorme. Chaque fois qu'un malade a un effet secondaire à un médicament, il peut réclamer.
M. Garon: Dans d'autres pays, ces études ont été faites. La Suède a un régime «no fault».
Le sénateur Morin: La Suède?
M. Garon: Oui. La Suède a un régime «no fault», et il s'autofinance. Évidemment, je ne doute pas que comme dans l'assurance-automobile, les barèmes ne doivent pas être élevés.
Le sénateur Morin: D'accord.
M. Garon: Cela dit, ici, la difficulté c'est qu'on manque d'information sur les accidents de soins. Donc, il est difficile d'évaluer la faisabilité d'un régime autre que celui qu'on a actuellement.
Le sénateur Morin: En terminant, il me reste à remercier le docteur Lamontagne et le docteur Garon. Nous avons abusé un peu de votre patience par le nombre de questions. Vous avez vu le grand intérêt suscité par vos remarques et par votre document. Nous vous remercions beaucoup. Il n'est pas impossible que nous vous revenions sur des questions précises. Encore une fois, merci.
M. Lamontagne: C'est moi qui vous remercie.
Le sénateur Morin: Sénateurs, le docteur Battista s'est désisté un peu à la dernière minute. J'invite donc notre dernier témoin, M. Robert Dorion, un témoin que j'ai personnellement invité. Il représente les patients. On a entendu beaucoup de professionnels, des représentants d'associations de professionnels, des représentants des administrations gouvernementales, hospitalières, régionales. M. Dorion représente les patients qui sont soignés. Il témoigne en tant qu'individu. Et je lui ai demandé, tout simplement, de nous raconter son expérience dans ses mots.
Monsieur Dorion - et ceci n'a rien à voir avec son témoignage - est ingénieur et il demeure à Québec. C'est surtout comme patient qu'il nous apporte son témoignage. Et j'ai pensé que c'était important que les membres du comité puissent l'entendre.
Monsieur Dorion, je vous remercie beaucoup d'être venu. Je sais que vous vous êtes déplacé de Québec. Ce n'est pas très loin. Et vous êtes passé d'une belle ville à l'autre.
M. Robert Dorion: C'est cela. Puis par le hasard des choses, dans le dernier mois, j'ai voyagé à travers le Canada par affaires. J'ai eu l'occasion de parler avec des compatriotes pratiquement d'un océan à l'autre. Donc, j'ai essayé de rassembler dans un petit document certaines réflexions.
Le sénateur Morin: Alors, on vous écoute, monsieur Dorion.
M. Dorion: J'ai préparé un petit document. Vous l'avez reçu?
Le sénateur Morin: Oui. Alors, vous pourriez peut-être nous en donner un résumé. On pourra le lire dans un deuxième temps.
M. Dorion: D'accord. Sans aller dans les détails, le document, en premier lieu, fait état d'une perception que je peux avoir du système, et un cheminement personnel qui résulte en bonne partie du décès de mon père alors qu'il était sur une liste d'attente en cardiologie. Il était à ce moment-là à quelques jours d'être opéré et il avait été retardé à trois reprises, probablement à cause d'autres urgences, et il est décédé.
Évidemment, c'est décevant parce que quand notre père est malade, qu'il est pris en charge par le système et qu'il est sur le point d'être opéré, on se dit: On l'a pour encore vingt ans. On est tellement heureux, dans le fond, qu'il soit décelé et qu'il puisse être pris en charge par le système et qu'il puisse être guéri, mais on a l'effet inverse quelques jours après.
Cela m'a amené à réfléchir sur plusieurs choses. Je me suis demandé: pourquoi est-on si attaché au système de santé? Puis pourquoi veut-on le définir autant? Dans le dernier mois, j'ai été surpris de voir comment les Canadiens dans plusieurs villes, Toronto, Winnipeg, Ottawa, envoyaient leurs enfants à l'école francophone, en immersion. Les parents ne savaient pas un mot de français mais ils tenaient à ce que leurs enfants parlent français. Je suis dit: je suis très heureux de voir que vous faites des efforts.
Mais ils m'ont dit: c'est parce que cela nous permet d'être différents. Cela nous permet d'être différents des Américains. C'est comme une connaissance qui nous permet de définir notre identité.
Je pense que le système de santé, les Canadiens l'aiment parce qu'il est ouvert, il est généreux, il fait partie des critères qui permettent de définir notre pays. Il y a des raisons pour cela, et je les explique dans le texte. Et je pense qu'il est temps de faire face à la réalité.
Si je me fie à ma formation et à mon expérience comme économiste dans le domaine municipal et immobilier, la demande résultant du vieillissement de la population va faire en sorte que les soins pour les gens âgés de soixante ans et plus vont doubler dans les vingt années. Il est clair qu'au niveau immobilier, c'est comme cela qu'on mesure. Alors, on aura à faire face à une augmentation rapide de la demande. Regardons la vérité en face.
Qu'est-ce que les Canadiens vont penser si cette institution, qui est au coeur de leurs préoccupations, de leur identité canadienne, devient non efficiente ou non performante et incapable de répondre à la demande? Cela risque de créer in amoindrissement de l'attachement qu'on a au pays et à ses institutions. Il est donc très important d'être actif, de montrer que notre pays est capable de se questionner, de se remettre en question et de poser des gestes qui sont courageux et lucides.
À l'heure actuelle, si on a une offre qui est insuffisante pour répondre à la demande et si on n'a pas les moyens de l'augmenter dans le futur, on risque de voir une séquence d'événements déjà perceptibles. Alors qu'en 1993, quand mon père est mort, les gens se gardaient bien de parler ouvertement des magouillages de listes d'attente. Hier, par hasard, j'étais avec des amis, dont un est cardiologue à l'Hôpital Laval et sa femme est oncologue à l'Hôtel-Dieu, puis cela ne semble plus faire de doute et ce n'est plus caché maintenant que ce sont des choses qui, malheureusement, existent parce qu'il n'y a pas assez de places pour tout le monde. Puis souvent, comme dans la vie, ce sont les plus débrouillards qui se faufilent à travers le système.
Cela me préoccupe beaucoup parce que comme Canadien, si j'ai un jour besoin d'un pontage ou d'une opération, je connais beaucoup de gens à Québec. C'est une petite ville et on se connaît. C'est facile pour moi de faire quelques appels téléphoniques. Mais là, je me dis: qu'est-ce que je vais faire? Est-ce que je vais faire mourir quelqu'un d'autre à ma place en faisant cela? Peut-être que c'est arrivé à mon père, je n'ai pas de raison de le croire, mais c'est une possibilité. Si l'offre n'est pas suffisante pour la demande, si on pose des gestes comme cela, moralement, on vient d'avoir un problème. Il y en a qui n'en ont pas. Il y en a qui sont habitués avec des contacts et il y a une culture là-dessous qui est humaine, mais c'est vers cela qu'on s'en va.
Dans le fond, c'est ce message et cet esprit qui m'animent. J'ai souffert du départ de mon père et si cela peut être utile de penser que la réflexion peut amener du changement, j'en suis bien heureux.
Je crois que si on ne rétablit pas un équilibre entre la demande et l'offre à même le système public parce qu'on n'a pas les moyens de le faire, il faut alors innover et trouver de nouvelles solutions. Il faut se remettre en question. Il faut aller au fond des choses.
En attendant, j'ai réglé mon problème de conscience, j'ai décidé de prendre une assurance aux États-Unis au cas où je tomberais malade, au cas où j'aurais une maladie grave, un cancer, et cetera. J'ai amené ici les documents de la police. Docteur Morin, je pourrai vous les remettre. Si je tombe malade, et bien, je reçois automatiquement un montant d'argent, la compagnie d'assurance me trouve la meilleure place disponible aux États-Unis, où les spécialistes sont disponibles. Je peux, avec l'argent que je reçois, me déplacer, me rendre sur place pour me faire opérer et revenir ici. C'est un comportement individualiste qui ne me plaît pas beaucoup.
Par contre, l'alternative d'être pris dans un entonnoir auquel je ne fais plus confiance avec les règles qui le régisse, m'a porté à croire que c'était probablement plus humain si j'avais les moyens d'agir de cette façon plutôt qu'en temps et lieu, par réflexe, d'utiliser mes nombreux amis et connaissances pour éviter le sort que mon père a subi.
Le sénateur Morin: Je vous remercie beaucoup, monsieur Dorion, de votre témoignage. J'aimerais vous poser quelques questions. On connaît peu l'assurance sous laquelle vous vous êtes inscrit. C'est une assurance américaine?
M. Dorion: Non, canadienne.
Le sénateur Morin: Pourriez-vous nous dire, si vous n'avez pas objection, bien entendu, combien cette assurance vous coûte? Si je comprends bien, c'est une assurance qui vous donne la possibilité d'avoir des traitements aux États-Unis sur- le- champ si vous avez besoin d'un pontage, d'une chirurgie, d'un traitement pour le cancer ou des choses semblables. Pourriez-vous élaborer un peu sur l'assurance que vous avez prise?
M. Dorion: Dans le fond, c'est une assurance qui, tout simplement, déclenche un montant d'argent qui correspond au montant qu'on est assuré, lorsqu'on a un symptôme. Et, de la façon que c'est présenté et que c'est vendu, cela pourrait être comme une assurance-salaire: rester à la maison puis de recevoir de l'argent parce qu'on est malade. Ou encore - puis c'est comme ça que je l'ai pris - la compagnie offre les services de trouver des médecins aux Etats-Unis.
Le sénateur Morin: Ça vous coûte combien?
M. Dorion: À l'époque où j'ai signé le contrat, je fumais à peu près quatre, cinq cigarettes par année et je n'ai pas pris de chances, je l'ai prise «fumeur», mais c'est à peu près 100,00 $ par mois pour un non-fumeur, ce que je vais être au renouvellement. Parce que mes quatre cigarettes par année me coûtaient trop cher, c'était 150,00 $ par année. Et, c'est pour un capital assuré de 100 000,00 $.
Le sénateur Morin: Je vous remercie beaucoup.
M. Dorion: J'aurais peut-être d'autres commentaires sur le système.
Le sénateur Morin: Oui, on vous écoute, monsieur Dorion. Donnez-nous l'essentiel de votre témoignage.
M. Dorion: Je ne veux pas trop insister.
Le sénateur Morin: Au contraire, nous sommes très intéressés à ce que vous dites. Vous représentez le citoyen ordinaire.
M. Dorion: Oui. Excusez ma naïveté. Je suis un expert dans le domaine des services municipaux et dans le domaine de l'économie des services publics au niveau municipal. J'entendais des conversations au sujet de l'inforoute et de la confidentialité, ce sont des services que ma firme offre.
En lisant le document, à ma grande surprise, j'ai vu beaucoup de recoupements entre ce qu'on essaie de faire au niveau municipal et les préoccupations qu'il y a au niveau national concernant le système de santé. Ceci étant dit, je ne prétends pas être un expert.
Le sénateur Morin: Enfin, donnez-nous vos commentaires sur le système.
M. Dorion: Dans le fond, ce qui se passe actuellement, c'est une véritable révolution. Je pourrais vous faire parvenir d'autres documents que j'avais écrits spécifiquement sur la révolution informatique. C'est que tous les services sont en train de fondre graduellement. On peut se le représenter comme une chandelle. La base de la chandelle, c'est le Web. Au-dessus, il y a les systèmes d'exploitation, les bases de données et les applications. Puis, au-dessus des applications, il y a les services, qui peuvent être des services médicaux qui reposent sur les structures.
Graduellement, toute la chandelle est en train de fondre puis elle est en train, graduellement, de tomber au niveau du Web.
Cela veut dire une grande centralisation des informations, mais également la possibilité de la décentraliser face à chaque individu. Cela a des impacts majeurs au niveau de la façon dont on va donner des services dans le futur. Il va toujours y avoir une course entre ceux qui vont vouloir percer la confidentialité et les autres. Mais ce n'est pas un enjeu. On est déjà très avancé au niveau de la sécurité. Les banques sont très ouvertes. Et cela va avoir un impact majeur sur la manière dont on pourra donner des services.
Comme gestionnaire d'entreprise, la journée que j'ai pu assurer les médicaments à 100 p. 100, j'ai dit aux employés: «Si vous voulez continuer à de l'assurance à 100 p. 100, cela va vous coûter tant par mois, et à 75 p. 100, le montant diminue. Ils ont tous pris l'assurance à 75 p. 100. Puis j'ai remarqué que cela a entraîné une réduction dramatique de la consommation de médicaments dans le bureau.
Mais ce sont des phénomènes qui sont bien connus. Les compteurs d'eau sur les maisons ont diminué la consommation de l'eau de près de 20 p. 100. C'est la même chose pour les autoroutes. Il y a des autoroutes, aujourd'hui, qui se financent avec une participation du privé.
Pour ce qui est des modes de financement que vous avez énoncés, vous avez parlé d'un relevé annuel annexé au rapport d'impôt. Moi, je trouve que c'est essentiel. Il n'y a pas de système, à ce qu'on me dit, qui est aussi ouvert que notre système de soins de santé pour rembourser les frais. Et on n'a aucune connaissance de ces coûts-là. On paie mais on ne les connaît pas.
On les apprécierait davantage et cela renforcerait même notre attachement au pays si on savait ce que le pays fait pour nous, mais on ne le voit pas. On reçoit les soins, on ne sait pas combien cela coûte.
J'aime mieux taxer. Le principe, c'est de taxer pour faire réfléchir les gens, et je crois que le Dr Lamontagne l'a très bien expliqué précédemment. Il y a une façon de taxer qui n'a pas été abordée dans le document: l'impôt sur les successions.
Quand le système de santé a été mis en place il y a quarante ans, la société était moins riche et le patrimoine familial était beaucoup plus léger qu'il ne l'est actuellement. Il s'est créé une richesse dans la société et elle n'est pas taxée. Elle va être transmises aux générations suivantes lors de nos décès. Donc, la génération suivante, pour le moment, elle n'en a pas besoin parce qu'elle ne l'a pas. Puis la génération actuelle, quand elle mourra, elle n'en aura pas besoin parce qu'elle sera morte.
Je me dis qu'il y a comme un transit, il y a une opportunité, non pas pour lever des impôts trop élevés mais pour aller chercher une ponction qui serait raisonnable, comme 5 p. 100. Il y a plus que 1 trilliard $ qui est là. Alors, sur 1 trilliard $, c'est 50 milliards $; sur vingt ans, c'est 2.5 milliards $ par année. Puis c'est à peu près le pourcentage du PIB, le .05 p. 100 qui nous manque pour financer les soins de santé.
Alors, je trouve qu'il ne faut pas se gêner de lancer le défi aux jeunes et montrer qu'ils vont pouvoir être aussi travaillants que leurs parents l'ont été. Et puis, même s'ils reçoivent un peu moins d'héritage, je pense que ce n'est pas dramatique.
Le sénateur Morin: On peut peut-être en rester là, monsieur Dorion. Il y aura sûrement des questions en rapport avec ce que vous nous avez déclaré.
[Traduction]
Le président: Merci. J'ai deux questions à poser. D'abord, est-ce qu'une police d'assurance aux États-Unis assure tout ou uniquement les actes médicaux pour lesquels il y a de longues listes d'attente, comme la chirurgie cardiaque, le traitement chirurgical des cancers, et le remplacement des articulations?
M. Dorion: Si cette police m'a semblé intéressante c'est parce qu'elle disait précisément ce genre de maladies.
Le président: Permettez-moi d'ouvrir une parenthèse pour vous dire à quel point j'ai été désolé d'apprendre le décès de votre père.
M. Dorion: Merci.
Le président: Revenons à nos moutons. Lorsque les gouvernements ont réduit les budgets de santé, cela a eu pour effet de rationner l'offre de services de santé.
M. Dorion: Oui, c'est ce que j'expliquais dans mon mémoire.
Le président: Donc, il n'y a que deux solutions possibles, puisque la demande restera la même.
M. Dorion: Elle augmentera.
Le président: Il y a deux solutions. D'abord, on peut essayer d'accroître l'efficacité du système pour qu'il puisse traiter plus de patients. Mais à un moment donné, il vous faudra plus de crédits. Il y a deux façons d'obtenir ces crédits. Le gouvernement peut augmenter les impôts et investir ces crédits supplémentaires dans le système de soins, ou alors les particuliers peuvent investir directement dans le système de soins en payant eux-mêmes les services.
M. Dorion: Oui. Et il s'agirait là d'un changement important pour notre société.
Le président: Exactement. À votre avis, laquelle de ces deux solutions est préférable?
M. Dorion: À mon avis, il faut mener plusieurs activités de front. D'une part, il faut rationaliser la demande à tous les niveaux de service. Si je commençais à faire payer une consultation 40 $, la demande baisserait de 60 p. 100. Mais comme les services sont gratuits, les gens n'hésitent pas à consulter leur médecin. Il faut décourager ce genre de comportement. Il faut que les gens réfléchissent avant de recourir au système. Quand vous introduisez un système de tarification à l'utilisation pour l'eau courante, la demande d'eau baisse de 20 p. 100. Il faut que les services soient disponibles, mais il faut aussi faire quelque chose pour régler cet élément-là du problème.
À mon avis, vous pourriez justifier l'imposition d'une taxe successorale si l'on savait que les crédits ainsi réunis seraient réinvestis dans le système de soins, plutôt que d'être versés au Trésor. Peut-être qu'on pourrait créer un autre impôt sur le revenu. On pourrait prévoir, par exemple, que pour les personnes ayant des assurances, les premiers 500 $ ou 1 000 $ seraient ajoutés au revenu. De cette façon, les gens qui ne touchent pas ce revenu-là n'auraient pas à payer. Je n'ai certainement pas à vous rappeler qu'il ne faut pas perdre de vue ce principe important.
Par contre, si quelqu'un reçoit une facture pour les services de santé qu'il a reçus, alors qu'il n'a pas payé d'impôt, on pourrait s'en servir pour trouver les gens qui ne paient pas leur juste part des impôts. Autrement dit, l'impôt sur le revenu serait lié aux soins de santé. Ce serait un outil supplémentaire.
Je n'hésite absolument pas à dire que pour moi, chacun doit payer sa juste part des impôts. En tant qu'évaluateur, quand quelqu'un essayait de me duper avec de faux renseignements, je renvoyais tout de suite son dossier au tribunal. Je gonfle la cotisation pour m'assurer que l'intéressé portera plainte. Je n'ai aucune indulgence pour les gens qui font ça. C'est nous qui établissons les règles, et nous devons donc les respecter.
Rappelons-nous que l'offre est fixe. Je n'en ai pas parlé dans mon mémoire, mais j'insiste sur le fait que nous avons, dans l'environnement hospitalier, une forte culture de solidarité. Nous avons un excellent bilan pour ce qui est d'éduquer les gens et d'encourager les personnes les plus compétentes à apporter leur contribution au système de soins. Par contre, s'il s'agissait d'une entreprise privée, nous serions deux ou trois fois plus efficaces encore. Nous mettrions nos talents au service du monde entier. À présent nous faisons de la rationalisation. Nous sommes bons, nous sommes compétents, nous avons des gens très dévoués, et malgré tout, nous contrôlons leur formation parce que nous n'avons pas le moyen de les payer.
Il faut rappeler que certaines personnes sont prêtes à payer les services médicaux dont elles bénéficient. Je suis convaincu que pendant tout ce temps où mon père était sur une liste d'attente, il aurait été très heureux de payer 25 000 $ à un médecin pour qu'il l'opère, au lieu de regarder la télé le soir. À la place, j'ai hérité d'argent dont je n'avais pas vraiment besoin.
Le président: Merci.
[Français]
Le sénateur Morin: Monsieur Dorion, il me reste à vous remercier. Votre témoignage a été très apprécié et très utile. On va étudier votre document avec attention. Je vous remercie encore une fois de vous être déplacé et d'être venu aujourd'hui.
M. Dorion: Cela m'a fait plaisir.
Le sénateur Morin: Vous nous avez rendu service.
La séance est suspendue.
[Traduction]
La séance reprend.
Le président: Sénateurs, nos premiers témoins cet après-midi sont les représentants de l'Association canadienne des compagnies d'assurance de personnes, l'ACCAP. Je vous rappelle que lors de la dernière comparution de cette association, nous avons discuté assez longuement des lacunes de l'assurance médicaments au Canada. Nous lui avons demandé de se pencher sur la question de la mise en place d'un régime d'assurance-médicaments devant permettre, au strict minimum, de couvrir les situations difficiles. Par «situation difficile», j'entends le genre de cas, que nous avons étudiés dans notre rapport, qui fait qu'un employé travaillant dans une entreprise ayant une très bonne assurance médicaments n'en doit pas moins sortir de sa poche 12 000 $ à 14 000 $ par an au titre de sa participation au régime parce que sa femme a une maladie fatale.
L'industrie a bien voulu faire appel à un certain nombre de ses spécialistes, qui ont modélisé un certain nombre de programmes à notre intention. Nous sommes heureux de pouvoir les entendre aujourd'hui. C'est M. Mark Daniels, le président de l'association, qui va commencer. Seriez-vous assez aimable pour nous présenter les gens qui vous accompagnent?
M. Mark Daniels, président, Association canadienne des compagnies d'assurance de personnes Inc.: Honorables sénateurs, mes collègues et moi-même, apprécions particulièrement l'occasion qui nous est donnée ici de prendre part à vos délibérations dans ce domaine très important de la santé au Canada. J'ai à mes côtés Greg Traversy, vice-président des services d'administration et Yves Millette, vice-président senior, Affaires (Québec).
Dans les minutes qui vont suivre, chacun d'entre nous va évoquer différents aspects de votre document d'orientation. Je traiterai tout d'abord de la portée générale du projet ainsi que du rôle du secteur public et du secteur privé; Greg commentera ensuite les différentes orientations retenues par votre étude en matière d'assurance-médicaments, essentiellement afin de répondre à la question que vient de poser le sénateur Kirby; enfin, Yves Millette fera état rapidement de l'expérience effectivement menée par notre industrie au sujet d'une des solutions retenues par votre rapport en matière d'assurance-médicaments, en faisant appel à un partenariat entre le public et le privé. Il nous a paru utile, monsieur le président, de nous adjoindre Yves étant donné qu'il connaît bien le régime en place ici au Québec. Il a d'ailleurs largement contribué à sa mise en place grâce à une collaboration entre l'industrie et le gouvernement.
Pour commencer, laissez-moi tout d'abord évoquer de manière générale le rapport «questions et options». C'est un excellent document et nous nous félicitons de pouvoir contribuer à son étude. Le texte ne laisse pas d'impressionner, il fait preuve de franchise, d'ouverture d'esprit et d'un sens de la réflexion. Disons-le carrément, il sort des sentiers battus. Il contribue donc à renouveler un débat très important qui se caractérise trop souvent, de notre point de vue, par un manque de civilité, par de l'intolérance et, à l'occasion, par une véritable diabolisation. Nous sommes particulièrement heureux qu'on nous ait demandé de commenter quelques-unes de ces questions.
Le président: Je vous en remercie.
M. Daniels: Notre document de travail, qui renvoie à votre rapport «questions et options», peut présenter une utilité à d'autres égards pour les travaux que vous avez entrepris.
L'une des orientations du comité qui nous paraît remarquable, c'est le fait que votre projet de régime de santé pour le Canada envisage, entre autres, des rôles constructifs et complémentaires pour le secteur public et le secteur privé, tant au niveau du financement de la santé qu'à celui des soins dispensés. À notre avis, ce projet tient compte de la réalité actuelle du régime de santé du Canada depuis l'apparition de l'assurance santé tout en offrant les meilleures perspectives d'avenir.
Le rôle de notre secteur d'activité est presque exclusivement de financer le régime en assurant un financement dans le cadre de régimes complémentaires d'assurance-santé pour que les Canadiens puissent se soigner. Notre intervention porte sur le rôle des régimes complémentaires d'assurance-santé dans le cadre du régime de santé du Canada. La plupart de nos analyses ne sont pas pour surprendre votre comité. D'ailleurs, le profil établi confirme en grande partie la validité du projet de votre comité, qui pose le principe d'un partenariat constructif entre le secteur public et le secteur privé au sein du régime de santé du Canada.
Comme leur nom l'indique, les régimes complémentaires d'assurance-santé viennent tout d'abord compléter nos régimes publics d'assurance-santé en relayant les régimes publics lorsqu'ils cessent de rembourser. En second lieu, ils dispensent des crédits permettant de répondre à des besoins de santé importants en ce qui a trait, par exemple, aux médicaments prescrits, aux soins dentaires, aux membres artificiels, aux chaises roulantes et à bien d'autres services de grande valeur qui ne sont tout simplement pas remboursés par les régimes publics. Troisièmement, les régimes complémentaires protègent quelque 20 millions de Canadiens. Ils ont remboursé 10,6 milliards de dollars de frais en l'an 2000, dernière année pour laquelle nous ayons des statistiques complètes. Cela fait au Canada des régimes complémentaires, monsieur le président, d'importants organes de remboursement directs des services de santé.
Les régimes complémentaires ont d'ailleurs remboursé, en 1998, 11 p. 100 des dépenses directes de santé au Canada, ce qui les plaçaient donc en quatrième position derrière le gouvernement de l'Ontario, avec 23,9 p. 100, les dépenses personnelles des particuliers au titre des produits et des services liés à la santé, avec 16,4 p. 100, et le gouvernement du Québec, avec 15,4 p. 100. Les régimes complémentaires assument une bonne part de la facture totale. Sur ce total, les régimes complémentaires versent 1 milliard de dollars par an à nos hôpitaux, qui ont bien besoin de cet argent.
Dans l'ensemble, votre comité le sait bien, il est indéniable que les régimes complémentaires d'assurance-santé sont des partenaires importants de nos régimes publics lorsqu'il s'agit de dispenser des crédits répondant à nos besoins de santé. Ils jouent un rôle vital en réduisant et en détournant les pressions qui s'exercent sur nos régimes publics d'assurance-santé. Ces prochaines années, lorsque les politiques publiques en matière de santé vont évoluer, il sera absolument essentiel de maintenir cette possibilité pour les régimes complémentaires de continuer à jouer ce rôle d'important partenaire. De nombreux observateurs s'attendent d'ailleurs, vous-mêmes y compris, à que ce rôle soit largement renforcé au cours des années à venir. S'il n'est pas au minimum maintenu, il en résultera une augmentation considérable des pressions qui s'exercent déjà sur nos régimes d'assurance-santé.
Pour maintenir la capacité des régimes complémentaires d'assurance-santé, il faudra relever d'importants défis. L'un d'entre eux, que souligne votre rapport, c'est le fait que les gouvernements provinciaux ont fait supporter par les régimes complémentaires d'assurance-santé un fardeau fiscal de 1 milliard de dollars par an sous forme de taxes sur les primes d'assurance et sur les ventes au détail. De plus, le Québec prélève en outre 200 millions de dollars d'impôt sur le revenu aux membres des régimes complémentaires d'assurance collective étant donné que les cotisations des employés aux régimes collectifs au Québec sont incluses dans le revenu des travailleurs et sont imposées.
Il y a aussi le problème que pose l'augmentation des coûts, notamment du coût des médicaments, qui a des répercussions sur un volet essentiel des régimes complémentaires d'assurance-santé, celui de l'assurance médicaments.
Je vais maintenant demander à M. Traversy de commenter les différentes solutions préconisées par votre rapport en matière d'assurance-médicaments.
M. Greg Traversy, vice-président des Services d'administration, Association canadienne des compagnies d'assurance de personnes Inc.: Monsieur le président, comme vient de le dire Mark, l'assurance médicaments est un volet essentiel des régimes complémentaires d'assurance-santé et, comme l'indique notre rapport, il revêt par ailleurs de plus en plus d'importance au sein des régimes publics d'assurance-santé du Canada.
Votre document d'orientation prévoit quatre possibilités en matière d'assurance-médicaments: premièrement, un programme public universel; deuxièmement, un partenariat public-privé universel; troisièmement, un projet de partenariat public-privé assurant une protection contre les situations exceptionnelles entraînées par de fortes dépenses de médicaments; quatrièmement, enfin, des mesures fiscales assurant une protection contre les dépenses élevées de médicaments.
En ce qui a trait à la première possibilité, étant donné que les Canadiens, dans leur vaste majorité, bénéficient d'ores et déjà d'une certaine couverture des frais de médicaments dans le cadre des programmes fédéraux ou provinciaux d'assurance- médicaments, ou encore par l'entremise des régimes complémentaires d'assurance-santé, il semble que ce serait un véritable gaspillage que de faire comme si aucun Canadien n'avait la moindre assurance-médicaments en créant à partir de zéro un tout nouveau programme universel. Cela reviendrait à jeter à bas tout un ensemble de programmes d'assurance-médicaments publics et privés très élaborés qui couvrent déjà la grande majorité des Canadiens. L'une des conséquences immédiate du démantèlement du volet de l'assurance médicaments des régimes complémentaires d'assurance-santé serait d'amener le nouveau régime public à assumer 4,3 milliards de dollars de frais de médicaments déjà couverts par les régimes privés.
Monsieur le président, il semble qu'il serait bien plus logique d'écarter cette politique de la terre brûlée et de chercher plutôt à employer plus utilement les ressources limitées de notre pays pour adapter le régime actuel aux défis qui restent à relever. Comme l'indique notre rapport, le système actuel est loin d'être parfait du point de vue des politiques publiques. Des centaines de milliers de Canadiens n'ont tout simplement aucune assurance médicaments. Il y a des disparités régionales significatives sur le plan de la couverture. Même parmi ceux qui bénéficient d'une assurance santé, de nombreuses personnes courent au minimum certains risques et pourraient éprouver des difficultés financières insurmontables si elles-mêmes, ou l'un de leurs proches, devaient défrayer une chimiothérapie coûteuse. Vous citez d'ailleurs dans votre rapport un exemple qui illustre bien que même le paiement de la quote-part d'un traitement coûtant 50 000 $ par an en médicaments peut représenter un très lourd fardeau financier.
Est-ce que les possibilités deux, trois et quatre peuvent permettre de relever ces défis plus efficacement que la première? Mon collègue Yves va vous parler dans un instant de la deuxième possibilité. La troisième possibilité fait appel à un partenariat entre le public et le privé aux termes duquel le gouvernement fédéral fournirait l'aide financière indispensable devant permettre à des régimes provinciaux et à des régimes privés complémentaires d'assurance-médicaments de limiter les frais payés personnellement par les membres des différents régimes à un maximum de 1 000 $ par an, par exemple. On «inciterait» particulièrement les provinces et les régimes privés à protéger les personnes qui n'ont actuellement aucune assurance médicaments.
Si l'on retenait la troisième possibilité, le gouvernement fédéral assumerait essentiellement les risques liés aux cas relativement rares, mais très coûteux, de personnes ayant besoin de chimiothérapie très coûteuse.
Il est encore trop tôt pour conclure de manière définitive au sujet de cette troisième possibilité, ou peut-être même des deux premières, mais nous avons toutes les raisons de penser qu'il serait très utile que votre comité s'efforce d'étudier tout ce qui a trait à cette possibilité et nous sommes tout disposés à vous fournir les renseignements dont vous pourriez avoir besoin s'il s'avère que vous voulez approfondir la question.
Enfin, en ce qui a trait à la quatrième possibilité, celle de la fiscalité, il est indéniable, comme l'indique votre rapport, que l'on peut vraiment voir l'utilité d'un recours plus judicieux à notre fiscalité pour relever les défis qui se posent, sur le plan des politiques publiques, au régime de santé du Canada. Étant donné toutefois que notre régime d'imposition est par nature en retard d'un an sur les événements, il est très difficile de voir comme il pourrait remédier à toutes les difficultés entraînées par des dépenses de médicaments élevées. Tout bien considéré, monsieur le président, il semble que la quatrième possibilité ait un potentiel moindre que la troisième.
Le sénateur Morin: Avons-nous un document qui fait état de ces données? Il semble que non. Pouvez-vous nous répéter les différentes possibilités?
Le président: Excusez-moi si je me trompe. Je vous les cite de mémoire. La première correspond à une couverture nationale intégrale. La deuxième à un régime mixte public et privé. La troisième à la couverture des cas exceptionnels. Elle n'interviendrait qu'à partir du moment où le coût total des médicaments d'un particulier ou d'une famille dépasserait un certain seuil.
Le sénateur Morin: Y a-t-il des plafonds en matière d'assurance au Canada? Est-ce qu'il y a des régimes d'assurance-médicaments privés qui sont plafonnés au Canada?
M. Traversy: Oui. Il y a des régimes d'assurance-médicaments publics ainsi que des régimes complémentaires privés qui sont plafonnés. Ainsi, le programme universel d'assurance-médicaments du Québec, dont va vous parler mon collègue Yves, est plafonné à 750 $ par an, je crois, pour ce qui est de la quote-part versée par les particuliers.
Le sénateur Morin: Je ne vous parle pas de cela. Je parle d'un plafond correspondant à un certain taux de couverture.
M. Traversy: Vous voulez parler d'un plafond de remboursement au-delà d'un certain montant?
Le sénateur Morin: Oui, disons à partir de 20 000 $.
M. Traversy: Non, je ne suis pas au courant de la chose.
Le sénateur Morin: Cela existe aux États-Unis.
[Français]
M. Yves Millette, vice-président senior, Affaires (Québec) de l'Association canadienne des compagnies d'assurances de personnes: Effectivement, ce genre de programme est très peu courant au Canada.
Le sénateur Morin: Au Canada, mais il existe au États-Unis.
M. Millette: Ça existe peut-être aux États-Unis de façon plus normale, mais ici au Canada ce sont presque exclusivement des contrats collectifs souscrits avec un employeur et il n'y a aucun maximum.
Le sénateur Morin: Par conséquent, une personne qui serait couverte privément au Canada n'aurait pas besoin de plan catastrophique. Le plan 3 ne s'appliquerait pas à des gens qui sont assurés privément au Canada.
[Traduction]
Le président: Non, parce que nous prenons l'exemple dans le rapport d'une personne ayant un revenu de 70 000 $ et un très bon régime, comme le régime fédéral, et dont la femme doit payer 50 000 $ par an de médicaments, dont il faut payer une quote-part de 20 p. 100, soit 10 000 $ par an en frais de médicaments sur un revenu de 70 000 $. Par conséquent, même dans un régime de coassurance, en cas de catastrophe, même avec un bon régime de santé, et ne parlons pas des régimes déficients - bien entendu, la situation serait encore pire avec une quote-part de 50 p. 100 - on éprouve quand même des difficultés.
Le sénateur Morin: Est-ce que ces quotes-parts sont plafonnées dans le régime québécois?
M. Millette: Oui, mais nous avons quand même des difficultés. Nous avons besoin au Québec d'un mécanisme de réassurance parce qu'en l'absence d'un tel mécanisme, le régime devient trop onéreux pour les petites entreprises, les petits employeurs.
Le président: Est-ce que c'est là la quatrième possibilité?
M. Millette: Non.
Le sénateur Maheu: Quelle est-elle?
Le président: C'est un régime d'incitation au moyen de la fiscalité.
M. Daniels: Ce que nous disons au sujet de la fiscalité, c'est tout simplement que l'on rembourse en l'an un ce que l'on a dépensé en l'an zéro. Par conséquent, les contribuables qui se retrouvent dans une situation catastrophique n'ont pas vraiment le temps d'attendre qu'on les rembourse l'année suivante. Ils font quand même face à de grosses difficultés.
Le président: Autrement dit, il faudrait attendre la fin de l'exercice pour demander une déduction sur la déclaration fiscale. Le problème, c'est que l'on fait la déclaration en avril et que les frais ont pu être engagés en janvier de l'année précédente. Il est possible que l'argent soit sorti des poches du contribuable 15 mois auparavant, et il ne peut pas se le permettre.
Le sénateur Morin: Doit-on exclure la quatrième possibilité?
Le président: Les témoins proposent de l'exclure.
M. Millette: Je vous prie de nous excuser.
Le président: Vous pouvez voir que le sujet nous intéresse, puisque nous avons commencé à vous poser des questions avant que vous ne terminiez votre exposé. Poursuivez.
[Français]
M. Millette: Monsieur le président, la deuxième option dont il est question dans votre rapport propose un partenariat entre les secteurs public et privé pour la mise en place d'un régime universel d'assurance-médicaments.
Au Québec, notre industrie collabore depuis 1997 avec le gouvernement pour offrir un tel régime, le régime général d'assurance-médicaments. Tous les québécois doivent être couverts par une assurance-médicaments.
Ceux qui ont accès à un régime collectif privé offert par leur employeur doivent y participer ainsi que leurs personnes à charge.
Les travailleurs autonomes et leurs personnes à charge doivent également adhérer au régime collectif privé que leur offre, par exemple, leur association professionnelle.
Les assureurs, quant à eux, doivent offrir l'assurance-médicaments dans tous les régimes collectifs d'assurance santé et d'assurance invalidité qu'ils offrent au public, à des employeurs ou à des associations au Québec et ils ne peuvent refuser l'adhésion au régime pour des raisons médicales.
Ceux qui n'ont pas accès à un régime collectif d'employeur ou d'association, doivent adhérer au régime offert par la Régie de l'assurance-maladie du Québec. La prime du régime de RAMQ est fixée à 385,00 $ annuellement, actuellement, alors que les régimes privés établissent eux-mêmes la prime nécessaire pour leur régime.
En moyenne, la prime avant taxe des régimes privés est équivalente à la prime du régime public. Tous les régimes privés et le régime de la RAMQ doivent au moins prévoir ce qui suit: La franchise ne doit pas dépasser 100,00 $ par année. La part des frais payables par l'assuré ne doit pas dépasser 25 p. 100.
Aucun assuré ne doit être obligé de payer de sa poche plus de 750,00 $ par année. Cette mesure vise à protéger les assurés contre des difficultés financières découlant de frais élevés de médicaments.
Le sénateur Morin: Répétez donc, les gens sont surpris des montants qu'on connaît bien, nous.
M. Millette: La franchise, c'est 100,00 $ par année. Et elle s'exprime plus souvent dans le régime public par 8,33 $ par mois, parce que la franchise est mensuelle.
La part des frais payables pour les assurés sur chacune des prescriptions ne doit pas dépasser 25 p. 100. Aucun assuré n'est obligé de payer de sa poche plus de 750,00 $ par année.
Donc le maximum du 100,00 $ de franchise plus le 25 p. 100 qu'il paye ne doit pas, au total, dépasser 750,00 $ par année, peu importe le coût des médicaments que vous allez consommer dans l'année.
Au moins tous les médicaments figurant sur une liste réglementaire doivent être couverts. Et cette liste-là couvre quelque chose comme, si je me souviens bien, 93 p. 100 des médicaments généralement prescrits par le médecin.
Le sénateur Morin: Très généreuse au Québec.
M. Millette: Très généreuse, effectivement. Le régime de la RAMQ comporte un système d'assistance financière tant pour la prime que pour les déboursés des assurés.
L'assistance est fonction du revenu, mais n'est pas acceptable aux assurés des régimes privés.
Ainsi, depuis 1997, tous les Québécois sont couverts grâce à la combinaison des régimes privés et du régime d'État, lesquels sont harmonisés au plan de leur conception.
Du point de vue de notre industrie, le régime général d'assurance-médicaments fonctionne raisonnablement bien. Ainsi, par rapport à d'autres modèles de régimes universels d'assurance-médicaments, la formule retenue au Québec a été suffisamment souple pour permettre son intégration aux protections offertes par les assureurs.
La mise en place du régime a eu des conséquences permanentes minimales sur les activités quotidiennes de la plupart des fournisseurs d'assurances collectives.
Par exemple, les contrats n'ont pas dû être modifiés au moment de l'entrée en vigueur du régime, puisque l'uniformisation des dispositions n'était pas obligatoire.
De plus, la mise en place du régime n'a pas eu pour effet de compliquer le processus de traitement des demandes de règlement des assurés.
Finalement, la tâche la plus problématique qui nous a été confiée a été de mettre en place un système, un mécanisme de mutualisation où il existe un système pour les catastrophes qui permet aux petites et moyennes entreprises de maintenir la protection de leurs employés même lorsque l'un deux a besoin d'un médicament particulièrement onéreux.
La mutualisation permet de faire en sorte que les primes des petites et moyennes entreprises restent abordables par rapport à celles des groupes plus importants.
L'apport de l'industrie à la résolution de la question de la mutualisation jette les bases d'une collaboration plus poussée à l'avenir sur de tels genres de régimes catastrophe qui est l'option 3 qui était proposée par votre Comité.
Je ne peux pas parler au nom du gouvernement du Québec, mais je pense qu'à son point de vue les résultats ont été plus ou moins satisfaisants. Il ne fait aucun doute, cependant, qu'il a atteint certains objectifs clés qu'il visait.
Premièrement, 100 p. 100 des Québécois ont maintenant accès à une assurance avec un système qui est relativement généreux, comme vous le disiez tantôt.
Tous les assurés bénéficient d'une protection conforme à des normes standard. Tous les assurés bénéficient d'une protection en cas de difficultés financières graves. Et, ce qui n'est pas négligeable non plus du point de vue des fonds publics, les personnes âgés et les assistés sociaux assument, en fonction de leur revenu, une plus grande part de leurs frais de médicaments qu'avant la mise en place du régime.
D'un autre côté, le gouvernement est confronté à un certain nombre de difficultés. Premièrement, les coûts assumés par le régime de la RAMQ augmentent rapidement. Évidemment, c'est aussi le cas pour les régimes privés à cause de l'augmentation du coût des médicaments.
Par conséquent, le gouvernement doit continuellement trouver un moyen de maintenir la prime versée à la Régie de l'assurance-maladie à un niveau acceptable par rapport aux coûts et ce en continuant d'assister les personnes à faible revenu.
Donc, le coût pour le Conseil du trésor québécois continue toujours à s'élever et on constate, à chaque année, qu'il y a des pertes.
De plus, les frais payables par les personnes âgées à revenu élevé sont passés, avec l'établissement du régime, de quelques dollars par ordonnance à une prime de 385,00 $ par année; ce qui a provoqué un certain mécontentement chez ces personnes.
Toutefois, la prime payable par cette catégorie d'assurés reste en grande partie subventionnée. En effet, la participation d'un retraité à un régime d'assurance collective privé après la retraite entraîne des coûts de quelque 1 200,00 $ par année.
D'après notre expérience, nous pouvons donc dire, monsieur le président, que la deuxième option proposée dans votre rapport est réalisable. Toutefois, nous suggérons à votre Comité de tenir compte, dans l'étude de cette deuxième option, des coûts que pourrait avoir à assumer le secteur public.
Il est clair que la mise en place d'un régime universel peut causer de fortes pressions sur les finances publiques, même si le secteur privé joue un rôle complémentaire important, surtout à un moment où le pays connaît un vieillissement de sa population.
Monsieur le président, ce sera tout pour notre témoignage. Nous serons heureux de répondre à vos questions.
[Traduction]
Le président: Vous n'avez pas mis votre exposé par écrit. Nous avons la brochure rouge que vous nous avez distribuée. Si vous pouviez rassembler toutes vos notes et nous laisser une copie de votre exposé, ça nous serait utile.
Souvenez-vous que dans notre quatrième volume nous avons recensé un certain nombre de statistiques qui révèlent que 97 p. 100 des Canadiens ont une certaine forme d'assurance-médicaments, par exemple. Certains témoins n'acceptent pas ces statistiques. Est-ce que votre personnel et le nôtre ne pourraient pas se réunir pour s'entendre sur les chiffres? Je ne veux pas dire par là que vos chiffres soient faux. Lors de votre première comparution devant notre comité, nous avons discuté de la validité de ces chiffres. Nous devons nous entendre sur les statistiques afin de ne pas nous perdre dans des querelles de chiffres avec les gens.
M. Daniels: Nous sommes tout disposés à vous communiquer l'information dont nous disposons. Nous sommes actuellement en train de mettre à jour ces chiffres pour que vous soyez mieux informés. Nous avons fait quelques essais et la tendance générale n'a pas changé en ce qui concerne ces statistiques.
M. Traversy: C'est tout à fait exact, monsieur le président.
Le président: Nous aimerions pouvoir répondre aux critiques.
Je vais maintenant évoquer une question qu'a en fait soulevée le sénateur Morin. En faisant l'historique des régimes de pension, on se souvient des régimes à prestation déterminée. Vous les connaissez bien, évidemment. Dans un régime à prestation déterminée, la pension est calculée en prenant un certain montant que l'on multiplie par le nombre d'années de travail. Ces régimes étant devenus très onéreux, on a pris l'habitude ces 10 dernières années de s'orienter vers des régimes à cotisation déterminée, c'est ainsi qu'on les appelle, l'employé et l'employeur versant une certaine quantité d'argent chaque année dans un REER. Le montant de la pension versée est fonction de ce que vaut le REER. Si les marchés baissent, la pension versée est moins forte.
Des preuves empiriques nous montrent que l'on enregistre la même évolution en ce qui a trait aux régimes d'assurance-médicaments. Autrement dit, contrairement à un régime d'assurance-médicaments comme le régime fédéral, aux termes duquel le gouvernement fédéral paie 80 p. 100 des frais, l'employé payant 20 p. 100 sans que le total soit plafonné, on a tendance désormais à ne verser qu'un montant maximal chaque année. Cela s'explique par le fait que les régimes deviennent très onéreux pour les employeurs, notamment lorsque la biotechnologie entre en jeu.
Il est indéniable que l'évolution est en cours aux États-Unis, mais je sais pertinemment que certains employeurs ont commencé à s'engager dans cette voie au Canada. Je ne donnerai pas de noms ici. J'essaie de voir dans quelle mesure il s'agit là de cas aberrants. Dans 10 ans, où en serons-nous?
M. Traversy: Je ne voudrais pas me hasarder à prédire où nous en serons dans 10 ans.
Le président: Essayez quand même.
M. Traversy: Je suis bien au courant de régimes dans lesquels on remplace des prestations non liées aux médicaments, en recourant du moins à une certaine forme de substitution, par ce que l'on appelle des «comptes de dépenses de santé». Ainsi, un employé qui jusqu'alors aurait pu avoir droit, par exemple, à des lunettes, plutôt que de se voir proposer un choix parmi une longue liste d'articles relevant de la santé, reçoit un certain montant, disons 500 $, pour acheter ce dont il peut avoir besoin.
Je n'ai pas eu connaissance de ce phénomène, qui ne m'apparaît pas courant pour l'instant au sein des régimes complémentaires d'assurance-médicaments. Je vous avoue que je n'ai pas entendu dire, lors des entretiens que j'ai eus récemment avec nos sociétés membres et avec des personnes très qualifiées dans le domaine, que ce phénomène soit déjà courant, même si je peux éventuellement me tromper.
Le président: Lorsque les médicaments coûteux relevant de la biotechnologie feront leur apparition, éventuellement à des milliers de dollars par traitement, est-ce que l'on peut entrevoir cette possibilité?
M. Traversy: Il est indéniable que les administrateurs des régimes se préoccupent à l'heure actuelle du coût élevé des médicaments. Vous avez tout à fait raison, monsieur le président, de nous dire que ces régimes devront éventuellement s'adapter. Je suis sûr que l'adaptation que vous venez d'évoquer sera l'une des options envisagées, et peut-être plus tôt qu'on le pense. Il est indéniable que ces médicaments posent un gros problème pour les régimes d'assurance-médicaments administrés par les employeurs.
Le président: Pensez, par exemple, à une personne ayant un revenu de 70 000 $ et dont la quote-part est de 10 000 $ par an. Pour certains d'entre nous, sinon pour la totalité des membres de notre comité, ce n'est pas une situation normale dans un pays où l'on considère que personne ne doit être mis financièrement en difficulté par la maladie, notamment lorsque l'on sait que si cette personne était hospitalisée, elle recevrait gratuitement les médicaments et que son séjour à l'hôpital coûterait en outre quelque 1 500 $ par jour.
Comment concevoir un projet s'apparentant à la troisième possibilité que vous évoquez et qui permettrait de prendre en charge ce genre d'affaires? Autrement dit, sans rien bouleverser dans le régime actuel, on remédierait aux situations dans lesquelles le coût des médicaments représente un fardeau très lourd. Je reconnais qu'il nous faudrait préciser ce que l'on entend par «fardeau très lourd», et que tout dépendrait des revenus des personnes considérées. Je veux dire par là que la somme représentant «un fardeau très lourd» serait bien plus faible pour un revenu de 20 000 $ par an que pour un revenu de 200 000 $. Comment concevoir un régime susceptible de prendre en charge toutes ces personnes et de résoudre le problème posé par Yves, en ce sens que s'il s'agit d'un régime national, il faut que l'échantillon soit suffisamment représentatif pour que l'administration du régime soit possible? Je ne dis pas que là est la réponse; je veux simplement savoir quelle serait la procédure à suivre.
M. Daniels: Sénateur, je tiens simplement à vous dire de manière très générale que nous sommes venus témoigner ici du fait que cette troisième possibilité est tout à fait susceptible d'être mise en pratique.
Nous mettons déjà en oeuvre, dans notre province, la deuxième possibilité, même si l'application n'est pas parfaite.
Le président: Cette troisième possibilité renvoie aux situations graves.
M. Daniels: On peut mettre en pratique un régime d'assurance-médicaments adapté aux cas graves. Il appartiendra au gouvernement en place de juger dans quelle mesure il peut en défrayer les coûts. À notre avis, ils ne sortent pas de l'enveloppe des crédits susceptibles d'être fournis.
Le président: Excusez-moi de vous en demander tant, mais nous aurons besoin de beaucoup de connaissances techniques que notre comité et que notre personnel n'ont pas, pour en arriver à un projet précis définissant, à la satisfaction du gouvernement et de la population, quels sont les seuils à respecter en fonction des revenus. Il y aura des polémiques à ce sujet. Le principe m'apparaît très clair, mais je ne sais pas comment passer du domaine des principes à celui de l'application d'un régime bien défini. C'est sur ce point que la participation de l'industrie va faire toute la différence. C'est vous qui avez l'information.
M. Traversy: Monsieur le président, votre comité a déjà fait un pas très important en ce sens que vous avez défini une orientation qui, de toute évidence, a éveillé un grand intérêt dans différents milieux, et en particulier dans notre secteur d'activité. Nous nous ferons un plaisir de participer à ce projet dans toute la mesure de nos moyens si votre comité décide de le mettre en oeuvre. Nous savons qu'il reste à votre comité au moins un rapport à rédiger. Dans les mois qui viennent, si vous voulez continuer à réfléchir à la question, nous ne manquerons pas de vous fournir toute l'information voulue. Comme Yves vient de l'indiquer, il y a différentes voies que vous pouvez emprunter. Au Québec, on a abordé toute la question du coût élevé des médicaments en fixant un plafond de 750 $ pour que le coût en devienne abordable, même dans les petites entreprises.
[Français]
M. Millette: Oui, effectivement, on a une expérience peut-être limitée, mais la première expérience véritable de régime catastrophique est avec le système de mutualisation qu'on a dû mettre en place pour conserver les régimes des petites entreprises.
Et à venir jusqu'à maintenant, l'expérience est intéressante parce qu'elle permet de regrouper les réclamations catastrophiques et de les répandre sur l'ensemble de la population. Et à la limite, c'est quelque chose qui pourrait très bien être pris en charge par le gouvernement.
Sauf que les coûts du système qui a été mis en place par l'industrie, à l'heure actuelle, fait en sorte qu'il y a seulement certains montants qui sont échangés de l'un à l'autre. Je pense que les montants échangés sont de l'ordre, pour la présente année, d'à peu près 15 millions $. Mais c'est en progression très rapide, soit environ 30 p. 100 par année.
Et juste pour vous donner un exemple, on a soumis un rapport au ministre de la Santé cette semaine, dans lequel on donne l'expérience, parce que le régime paie les réclamations à partir de certains excédants qui sont basés sur la taille de l'entreprise. Mais à titre d'exemple, la première année que le régime d'assurance-médicaments a été mis en place au Québec, c'est-à-dire en 1997, il n'y avait eu aucune réclamation au Fonds d'indemnisation. Il n'y avait eu aucune réclamation pour des montants déboursés supérieurs à 20 000,00 $ dans une année.
En 1998, il y en a eu 46. En 1999, il y en a eu 76, c'est la dernière année pour laquelle on a des statistiques. Donc, ça grandit très rapidement. Et ça, ce sont des réclamations de 20 000,00 $ par année.
Si on diminue et qu'on va à 10 000,00 $ par année, on commence à avoir des montants minimums à 5 000,00 $ par année, ça cascade très rapidement.
Selon une évaluation très sommaire, il y a eu, en 1999, je crois, 8 réclamations supérieures à 50 000,00 $ autant dans les régimes privés que dans le régime public.
Si on recule à 20 000,00 $, je vous parlais de 72, mais c'est pour un groupe restreint.
Si on prend l'ensemble des régimes, c'est-à-dire les employeurs de 125 employés et plus et le régime public, c'est beaucoup plus important, lorsqu'on parle de réclamations de 50 000,00 $ et plus, le total représente environ 700 000,00 $ pour cette année.
Si on prend les réclamations de 20 000,00 $, notre estimation est que c'est plusieurs dizaines de millions de dollars.
Si on descend à 10 000,00 $, c'est plusieurs centaines de millions de dollars. Et si on descend à 6 000,00 $, qui serait peut-être un régime catastrophe, uniquement pour le Québec, ce serait de l'ordre de 1 milliard $.
Donc, plus votre régime catastrophe est généreux, plus les coûts augmentent et de façon exponentielle.
[Traduction]
M. Traversy: Monsieur le président, je peux vous donner quelques exemples du coût faramineux de ces médicaments. On a récemment procédé à une étude nationale de la fréquence de répartition des frais de médicaments élevés et l'on m'a dit qu'entre un et deux pour cent des malades dépassaient le seuil de 5 000 $ de médicaments par an. Il faut bien voir, cependant, que ces un ou deux pour cent de malades représentent 15 à 20 p. 100 du coût total du remboursement des médicaments par le régime.
Le sénateur Morin: Il en est ainsi pour tous les coûts de la santé.
Le président: Voilà qui confirme à n'en pas douter la nécessité de mettre en place un régime en cas de catastrophe. Vous nous dites que un à deux pour cent des malades représentent 15 à 20 p. 100 du coût des médicaments. C'est exactement le genre de personnes que le gouvernement devrait aider.
Puis-je vous proposer que dans la quinzaine qui vient votre personnel et le nôtre se réunissent pour jeter les bases d'un tel régime? Il faudrait qu'Yves fasse partie de ce groupe parce qu'il est important d'avoir quelqu'un qui connaisse le modèle québécois.
M. Daniels: Nous le ferons avec plaisir. Je tiens toutefois à préciser que les grandes lignes d'un régime adapté aux cas graves existent déjà. On a beaucoup réfléchi à ce genre de modèle et beaucoup travaillé dans ce sens. On ne part pas de zéro. En plus des analyses critiques et des renseignements pratiques que nous ont fourni les milieux spécialisés du Québec, nous avons beaucoup oeuvré à la mise en oeuvre d'un régime s'appliquant aux cas graves.
Le président: Je vous remercie.
Le sénateur Morin: Combien de provinces n'ont pas de régime s'appliquant aux cas graves? Je veux parler du genre de cas où une personne risque de sortir 5 000 $ de sa poche pour payer ses médicaments. J'ai l'impression qu'il y a relativement peu de provinces dans ce cas.
M. Traversy: Je crois que c'est le cas dans cinq provinces. Les quatre provinces de l'Atlantique et l'Alberta ont des régimes auxquels peuvent volontairement souscrire toutes les personnes qui le souhaitent. Toutefois, elles n'y souscrivent pas nécessairement toutes et elles risquent d'encourir ces coûts élevés.
Le sénateur Morin: C'est un cas particulier. C'est elles qui font ce choix.
Est-ce que je me trompe en disant que l'Alberta subventionne une société privée?
M. Traversy: Non, c'est effectivement le cas.
Le sénateur Morin: Il serait ridicule de ne pas tirer parti de cette solution. Quelle est la part de la population canadienne représentée par les provinces de l'Atlantique?
M. Daniels: Moins de 20 p. 100.
Le sénateur Morin: L'assurance prévue dans les cas graves s'applique à moins de 20 p. 100 de la population.
Le président: Pour que tout soit bien clair, la population des Maritimes dont nous parlons n'a aucune couverture. Je propose que l'assurance en cas de catastrophe s'applique dans les cas visés par votre rapport, lorsqu'une personne a souscrit à un régime d'assurance-médicaments, mais que la quote-part qu'elle doit payer elle-même reste bien trop élevée. Ce sont ces un ou deux pour cent de la population qui m'inquiètent.
Le sénateur Morin: Je suis certain que ça ne s'appliquerait pas au Québec ou à la population de l'Alberta, qui est couverte par un régime. Ces deux provinces au moins ne sont pas visées.
Le président: Excusez-moi, mais c'est faux. Il vous faut bien comprendre la différence. La différence, c'est entre l'absence de couverture et la nécessité de payer une quote-part. Sous le régime de la Croix Bleue de l'Alberta, il y a une cote-part à payer.
Le sénateur Morin: La cote-part n'est aucunement plafonnée.
Le président: Tout le problème est là.
Le sénateur Morin: Le Québec est-elle la seule province à plafonner la quote-part?
M. Daniels: Non. Je pense que la Colombie-Britannique plafonne éventuellement le total des frais. Elle vient de relever ce plafond de 800 $ à 2 000 $. Toutefois, si je me souviens bien, ce plafond n'intervient que très tard.
M. Traversy: L'Ontario a le régime Trillium, qui vise à aider les personnes dont les frais se montent à plus de quatre pour cent de leur revenu. Ce n'est pas un régime, toutefois, que tout le monde connaît nécessairement. Dans un certain nombre de provinces, on trouve des régimes publics qui comportent un plafond. Comme vient de le dire le président, cela ne signifie pas, cependant, que tous les citoyens en ont connaissance et qu'ils peuvent se prévaloir de ces régimes provinciaux. Il peut y avoir des gens qui ont souscrit à un excellent régime privé tout en devant supporter un fardeau très lourd sous forme de paiement d'une quote-part, par exemple.
Le sénateur Morin: Même si nous mettons en place un régime s'appliquant aux cas graves, nous devons tenir compte de ce que les provinces offrent déjà.
M. Traversy: Bien évidemment.
Le sénateur Morin: Que pense votre industrie du régime de l'Alberta? Dans cette province, nous subventionnons l'industrie privée. C'est l'une des possibilités qui s'offre à nous. Qu'en pensez-vous, monsieur Daniels?
M. Daniels: Monsieur le président, notre secteur est très satisfait des dispositions qui ont été prises en Alberta. L'Alberta a bien su régler le problème avec l'entreprise qu'elle s'est choisie. Bien entendu, vous nous entendrez nous plaindre du fait que la majorité des membres de mon industrie n'ont pas pu participer à l'opération.
Le sénateur Morin: Est-ce que vous y seriez favorable? Pouvez-vous rapprocher cette solution d'un régime mixte s'apparentant à celui qu'a décrit M. Millette?
M. Daniels: Je ne pense pas qu'il soit bon d'apporter des changements à un régime qui fonctionne relativement bien. Dans l'ensemble, nous l'avons dit, il y a une bonne complémentarité entre les régimes publics de base et tout l'éventail des régimes complémentaires privés. Les entreprises de notre secteur s'efforcent d'améliorer le fonctionnement du système en place, ce qui a entraîné la création du modèle québécois. Je ne sais pas exactement quel est l'historique du modèle de l'Alberta. Je ne sais pas ce qui a amené l'Alberta à vouloir collaborer avec une société locale, mais je peux imaginer que ce sont des raisons qui s'apparentent à celles qui doivent nous amener à agir à l'échelle du Canada.
Dans une très large mesure, nous voulons tirer parti des mécanismes déjà en place, des mécanismes que nous comprenons et qui, je vous l'avoue bien franchement, ont fait leurs preuves. Je n'ai pas souvenir que nos syndicats d'entreprise aient jamais proposé que l'on se débarrasse purement et simplement du système pour en adopter un tout nouveau.
[Français]
Le sénateur Morin: J'aurais une dernière question à poser à M. Millette. Vous avez très bien décrit les avantages du système québécois. L'inconvénient majeur du système québécois pour lequel on nous a reproché, c'est le fait d'imposer de la coassurance aux assistés sociaux et aux personnes âgées à faible revenu.
En effet, il y a eu des recherches, et on va peut-être en entendre parler plus tard, qui ont montré qu'en fait il y a eu détérioration de l'état de santé des personnes âgées, en particulier lorsqu'on leur a imposé la coassurance qui n'existait pas autrefois avant l'introduction du plan.
J'aimerais d'abord avoir vos commentaires là-dessus et aussi sur le fait que, pour l'État, les coûts ont augmenté mais ils augmentent moins depuis que les personnes à faible revenu, bénéficiaires de la Sécurité sociale, et l'ensemble des personnes âgées payent une coassurance beaucoup plus importante.
Dès la première année, le gouvernement du Québec a réalisé un profit considérable avec l'introduction du plan, à cause de la franchise et de la coassurance pour les personnes âgées.
M. Millette: Nous pensons que le principal problème du régime québécois en est un d'avoir mis ensemble le financement d'un programme de remboursement de médicaments et l'assistance donnée aux gens.
Nous croyons que le régime québécois devrait séparer les deux choses. Et l'assistance financière devrait émaner purement et simplement d'un programme fiscal et non pas être versée à même, ce qui fausse complètement la connaissance qu'on peut avoir des coûts exacts du régime en matière de médicaments.
Ceci étant dit, je pense aussi que ce qu'on reproche le plus au régime québécois, c'est l'insuffisance de l'assistance qui est accordée, du moins à certaines personnes.
L'assistance qui est accordée est tout de même importante en ce qui a trait aux assistés sociaux. La très grande majorité ne paieront pas de prime et la plupart vont être soumis à un maximum de remboursement de 200,00 $ par année et non pas 750,00 $.
Donc, il y a des subventions autant à la prime, au paiement de la prime, que des subventions aux déboursés que les gens doivent faire.
La principale critique du régime, je pense bien, c'est le 8,33 $ par mois que les gens sont obligés de débourser. Mais il y a peut-être des façons de régler ce problème-là.
[Traduction]
Le sénateur Keon: Permettez-moi d'aborder, messieurs, un autre type de catastrophe, lorsqu'une personne qui voyage à l'étranger se trouve dans une situation difficile. Je veux parler d'une personne qui a souscrit une assurance complémentaire, qui subit une attaque cardiaque, qui doit voyager souvent à l'étranger et qui ne peut pas obtenir une bonne couverture d'assurance. Une telle personne peut être ruinée si elle tombe gravement malade dans un pays étranger. Dans votre résumé, vous nous dites que les régimes complémentaires d'assurance-santé peuvent couvrir les soins de santé dispensés à l'étranger. C'est certainement le cas dans la plupart des circonstances, mais pas quand la situation est grave. Où est la solution?
M. Daniels: Je ferai une ou deux observations et je laisserai ensuite à mon collègue, Frank Fotia, qui est vice-président des assurances collectives et des pensions, le soin de vous exposer en détail les régimes d'assurances collectives.
Je crois savoir que la plupart des régimes d'assurance ne prévoient aucun plafond pour ce qui est des conditions préexistantes. Si un retraité qui a une maladie cardiaque a souscrit à un régime collectif sans plafond, il n'a aucun problème pour voyager. Toutefois, si ce régime collectif prévoit des plafonds et s'il lui faut alors souscrire une assurance privée, la prime sera alors plus élevée étant donné que les coûts augmentent lorsqu'on est à l'étranger. Dans certains cas, il lui sera impossible de souscrire cette assurance.
M. Frank Fotia, vice-président des assurances collectives et des pensions, Association canadienne des compagnies d'assurance de personnes Inc.: Dans la plupart des cas, comme l'a indiqué M. Daniels, il n'y a pas de problèmes avec les assurances collectives. Le problème que vous soulevez a trait essentiellement aux retraités qui ne sont plus assurés par un régime collectif. Je connais assez bien l'industrie de l'assurance voyage et je peux vous dire que la plupart des personnes de plus de 65 ans dont la santé est au moins stable peuvent souscrire une assurance médicale à l'étranger en passant par différents fournisseurs, mais la prime qu'elles devront payer sera calculée en fonction de leurs risques individuels. Plus elles présentent des risques, plus la prime sera élevée.
Un très faible pourcentage de voyageurs, du fait de leur état de santé préexistant, sont pratiquement non assurables. Il est extrêmement difficile pour un petit nombre d'entre eux de souscrire une assurance en raison tout simplement des risques qu'ils présentent et du coût énorme d'une intervention médicale d'urgence. Je peux vous assurer qu'ils ne représentent qu'une très faible minorité.
Le sénateur Keon: Il n'en reste pas moins qu'un nombre non négligeable de personnes relèvent de cette catégorie. Je pense aux petits entrepreneurs qui travaillent à leur compte, qui ne font pas partie d'une grande entreprise ou d'un régime collectif et qui doivent voyager pour leur travail. Je pense aussi aux personnes âgées avec lesquelles je suis en contact, souvent des femmes qui sont restées à la maison et qui se sont occupées de leur famille sur le mode traditionnel. Elles souscrivaient une assurance complémentaire lorsqu'elles voyageaient mais soudainement, à partir du moment où elles présentent un risque sérieux, elles ne sont plus assurables. Je pense que c'est un grave problème que notre société doit corriger.
M. Daniels: Vous venez bien sûr d'évoquer un problème très important. La question de l'assurance médicale à l'étranger n'est devenue un problème qu'à partir du moment où les régimes provinciaux ont baissé le taux de couverture. Souvenez-vous qu'en Ontario, les taux de couverture étaient au départ illimités, ce qui a rempli les coffres du réseau hospitalier de la Floride. Il est tombé ensuite à 400 $ par jour et nous en sommes aujourd'hui à 100 $ par jour environ. Bien entendu, les entreprises privées s'engouffrent dans la brèche.
Ce n'était pas un problème pour les assurer au sein d'un régime collectif. Bien évidemment, lorsqu'il s'agit d'une assurance individuelle, le fournisseur n'a pas l'expérience actuarielle voulue et il fixe dont le montant des primes du mieux qu'il peut. Lorsqu'on replace le problème que vous venez d'évoquer, sénateur, dans son contexte démographique, on voit qu'il ne va pas disparaître. Il ne va qu'empirer.
Vous ne me l'avez pas demandé et je n'ai certainement pas la réponse, mais je pensais que vous alliez me poser la question de l'assurance contre le terrorisme. C'est un énorme problème. Il y a des clauses excluant les conséquences du terrorisme dans la plupart des contrats de voyage. Elles ne sont pas appliquées pour l'instant, mais elles le seront certainement à l'avenir. Je ne peux pas imaginer que les nouveaux contrats comportant de telles clauses excluant les actes de terrorisme n'aient pas d'application à l'avenir. Il ne faut pas seulement penser aux voyageurs de 65 ans qui ont le coeur faible, mais aussi à ceux de 35 ans qui se rendent à l'étranger et qui ne peuvent pas s'assurer contre le terrorisme.
En poussant les choses un peu plus loin, monsieur le président, vous constaterez que ce n'est pas simplement la couverture de ce genre de risque qui remet en cause la cohésion de notre société, mais éventuellement, sur un plan bien plus large, que le principe même de l'assurance des personnes dépend de notre capacité à compenser le risque par l'assurance. Si certaines catégories de risque deviennent soudainement non assurables pour une raison ou pour une autre, on se retrouve devant un véritable problème. On peut voir aujourd'hui, par exemple, que le Congrès des États-Unis s'apprête à réassurer les actes de terrorisme. Nous assisterons à de nombreuses initiatives de ce genre. C'est en partie ce genre de préoccupations qui vous a amenés à soulever la première question.
Je ne connais pas de solution magique en la matière. Il n'y en a pas. Il est indéniable que notre industrie est très préoccupée par ces questions.
Le sénateur Robertson: Messieurs, nous venons d'évoquer les personnes âgées qui ne peuvent pas obtenir une assurance individuelle en raison de leur âge ou du fait qu'elles sont malades. Quel est le pourcentage de personnes âgées refusées de cette manière?
M. Fotia: Je crois savoir que c'est moins de 10 p. 100. Il s'agit d'assurances individuelles tenant compte du facteur de risque.
L'industrie est très concurrentielle. Il y a de nombreux fournisseurs. Même si sa santé est mauvaise au départ, il suffit qu'une personne soit restée dans un état stable pendant une certaine période, qu'elle soit physiquement en mesure de voyager et qu'elle ait une bonne probabilité de profiter de son voyage et de rester en santé, pour qu'elle soit assurée, même si ça va lui coûter nettement plus cher qu'à une personne plus jeune ou qu'à une personne de son âge jouissant d'une bonne santé.
M. Daniels: J'aimerais ajouter entre parenthèses qu'il est vrai aussi, à mon avis, que les entreprises règlent en partie ce problème en limitant la durée des voyages à l'étranger. Il y a différentes façons de limiter les risques. Vous n'ignorez pas que certaines entreprises n'assurent pas les voyageurs plus de quelques semaines.
Le sénateur Robertson: Je vous pose la question parce que la semaine prochaine, le président d'un groupe de personnes qui «migrent» chaque année à l'étranger ne va pas manquer de l'évoquer devant notre comité.
Vous nous avez indiqué que les bénéficiaires de l'assurance sociale étaient pris en charge par le ministère. Comment réglez-vous la situation du grand nombre de personnes âgées qui n'ont que des revenus très limités au Québec? Une grande partie de leur revenu provient du gouvernement fédéral et non pas de la province.
M. Millette: Le même barème de revenu est utilisé pour les personnes âgées et pour les bénéficiaires de l'assurance sociale.
Le sénateur Robertson: Il leur faut faire appel au gouvernement fédéral étant donné que leurs chèques de sécurité sociale proviennent du fédéral.
M. Millette: Le dossier est ouvert lorsque la personne âgée achète au départ les médicaments à la pharmacie. Sinon, ça se fait par l'intermédiaire de la déclaration fiscale.
Le sénateur Robertson: Est-ce que votre industrie a des difficultés avec les voyageurs qui souscrivent plusieurs assurances auprès de plusieurs sociétés d'assurances? Est-ce que c'est légal, où est-ce qu'il y a une limite?
M. Fotia: Il n'est absolument pas illégal de faire en sorte que l'on ait la meilleure protection possible, sénateur. Toutefois, ces contrats comportent une clause de coordination des prestations qui fait que lorsqu'il y a double emploi, les entreprises s'entendent de manière à ne pas rembourser deux fois le même préjudice et harmonisent leurs paiements.
Le sénateur Maheu: J'ai une petite question à vous poser au sujet de l'assurance des retraités qui migrent.
Le sénateur Morin: On sent que ça vous intéresse.
Le président: Ça dit bien notre âge.
Le sénateur Maheu: Il semble que nous soyons bien protégés à l'heure actuelle. J'ai entendu dire que certains retraités qui migrent aux États-Unis ne s'assurent pas pour toute la durée de leur séjour. Ils ne commencent à s'assurer qu'à partir des trois derniers mois d'un séjour de six mois. Est-ce légal? Je sais que ça se fait.
M. Fotia: Ceux qui souscrivent une telle assurance le font peut-être parce qu'ils déclarent que c'est là la période pendant laquelle ils vont voyager. Je leur déconseille fortement de le faire parce qu'ils donnent ainsi une idée fausse de leur situation. Pour leur propre protection, il faut qu'ils fassent preuve d'honnêteté et qu'ils disent franchement dans leur formule de demande où ils vont voyager, et pendant combien de temps.
Le sénateur Maheu: Je sais que certains le font en raison du coût que cela représente.
M. Fotia: Les coûts pourraient être bien plus élevés a posteriori comparativement aux quelques centaines de dollars supplémentaires de prime qu'il leur faut payer au départ.
M. Daniels: Il s'agit là d'un conseil important qui nous vient d'un ancien professionnel. Les gens n'ont absolument aucun intérêt à tromper les sociétés d'assurances au sujet de leur situation parce que s'ils le font, ces dernières vont riposter. Elles ne le feront pas par volonté de nuire mais parce que, lorsqu'elles établissent le prix de ces prestations, elles le font pour tout le monde et, si elles s'écartent des clauses assurant la rentabilité de certains contrats, elles font courir des risques à tous leurs autres détenteurs de police d'assurance.
Le président: En guise de conclusion, je vous rappelle simplement que lorsque nous nous reverrons, plus vous pourrez nous donner de précisions sur les un ou deux pour cent de personnes qui représentent 15 à 20 p. 100 des coûts, mieux ce sera. Nous avons besoin de les identifier, parce que ce sera notre groupe cible.
Je suis tout à fait d'accord avec l'analyse de M. Millette, qui nous dit qu'il ne faut pas confondre un programme de soutien des revenus avec un programme d'assurance. Nous nous occupons ici d'assurance et non pas de soutien des revenus.
Enfin, pour mettre simplement en relief la générosité du programme québécois, étant donné que M. Millette a déclaré que le maximum que pouvait payer une personne en frais de médicaments était de 750 $ par an; en Saskatchewan, les personnes âgées versent une prime - ce n'est pas un maximum - de 1 600 $ par an, qui peut aller jusqu'à 2 000 $, au titre de l'assurance médicaments. Il y a deux paiements semestriels - 800 $ pouvant aller jusqu'à 1 000 $ tous les six mois. C'est en fait la prime d'assurance que versent les personnes âgées.
Il faut remettre les choses en perspective en ce qui concerne la Saskatchewan, où l'on peut penser, intuitivement, que les chiffres sont moins élevés. Je tiens à signaler à quel point le régime québécois est efficace et généreux - et le terme «généreux» n'a aucune connotation péjorative dans mon esprit. Nous avons été très étonnés par les chiffres correspondant à la Saskatchewan et par la situation de certaines personnes, qui ne savant pas à la fin du mois si elles doivent acheter à manger ou payer leur prime d'assurance.
Avez-vous quelques derniers commentaires à faire?
M. Daniels: Je tiens simplement à vous remercier, vous et vos collègues, de nous avoir donné la possibilité de brasser aujourd'hui toutes ces idées importantes. Je tiens aussi à vous remercier de nous avoir donné l'occasion de vous informer des questions qui revêtiront une grande importance pour les politiques publiques et les orientations données à notre secteur. Votre institution continue à jouer le rôle fondamental qui est le sien.
Le président: Je vous remercie d'être venus. Yves, ce fut un plaisir de vous rencontrer.
Sénateurs, notre prochain groupe de témoins se compose de la Dre Margaret Somerville, professeure de droit à l'Université McGill et directrice intérimaire du Centre for Medicine, Ethics and Law de McGill. Certains d'entre vous se souviendront qu'elle est déjà venue témoigner devant notre comité. Nous avons aussi le Dr Robyn Tamblyn, professeur agrégé de la faculté de médecine de l'université McGill, et M. Kevin Skilton, directeur, Politiques et planification, chez Merck Frosst.
La professeure Somerville est une spécialiste de l'éthique.
Si nous en avons le temps à la fin, j'aimerais vous poser une question qui n'a rien à voir avec notre sujet. Sinon, je vous téléphonerai pour vous la poser.
Nous allons commencer par M. Skilton.
M. Kevin Skilton, directeur, Politiques et planification, Merck Frosst Canada Ltée: Je tiens à vous remercier, monsieur le président, vous ainsi que l'ensemble des membres du comité, pour avoir consacré tant d'efforts et d'énergie à cette opération très importante pour la population canadienne, et très importante pour notre secteur d'activité.
Monsieur le président, honorables sénateurs, je vais me faire l'écho de certains commentaires du groupe de témoins qui nous a précédés.
J'ai lu avec un grand intérêt votre document d'orientation. C'est un excellent travail. J'ai particulièrement apprécié le fait que votre comité insiste sur le recueil de données tirées de l'expérience pour orienter ses décisions. J'ai par ailleurs été intrigué par le fait que l'on utilisait le terme de «comportements» dans le document d'orientation parce que cela prouve, à mon avis, que vous avez conscience de la complexité des interactions entre l'objectif que nous cherchons à atteindre et les politiques qu'il nous faut respecter, ainsi qu'avec les comportements intentionnels ou imprévus que l'on constate au bout du compte.
On constate par ailleurs que les auteurs de ce document ont bien apprécié et compris la nécessité de réfléchir en profondeur aux enjeux et aux différentes options qui s'offrent à nous et de rallier les différentes parties prenantes autour d'un objectif commun. Si nous ne réussissons pas finalement à travailler ensemble, nous continuerons à faire ce que nous avons fait toutes ces dernières années, soit en réalité travailler les uns contre les autres.
La teneur de mon exposé peut se déduire de son titre: «Vers une politique pharmaceutique s'appuyant sur des faits.» Je veux m'efforcer de recueillir l'ensemble des éléments de preuve dont a besoin votre comité dans ses délibérations. J'estime que les éléments présentés devraient persuader votre comité d'élargir, sinon de réorienter, les différentes possibilités envisagées à l'heure actuelle.
Votre comité a choisi d'axer son action sur deux domaines: tout d'abord, la nécessité de limiter les coûts, qui contraste, sur un deuxième point, avec la nécessité d'étendre la couverture d'assurance. Votre comité a fait savoir qu'il cherchait actuellement à intensifier la réglementation et les contrôles au sein de l'industrie des médicaments. Plutôt que de chercher à savoir si cette orientation est bonne ou mauvaise, je voudrais m'assurer que votre comité comprend bien quel est le cadre de réglementation qui s'applique aux médicaments au Canada. Si je devais terminer ici mon exposé, je conclurais en ces termes:
D'un point de vue économique, le cadre politique et réglementaire du Canada l'empêche d'exercer sa concurrence au plan international pour ce qui est des investissements réalisés dans la R-D pharmaceutique.
Sur le plan de la santé, la gestion des nouveaux médicaments ne donne pas des résultats optimaux pour les malades et pour le réseau des soins de santé.
Enfin, il existe effectivement des solutions répondant à la fois aux intérêts des malades, des fournisseurs de services, des payeurs et de l'industrie, qui pourraient unir leurs efforts pour mettre en oeuvre une politique consciente des coûts et s'appuyant sur les réalités. C'est ce que nous appelons une politique de gestion de la santé des malades.
Le président: Est-ce que vous allez lire intégralement le mémoire?
M. Skilton: Non.
Le président: Je veux être absolument certain qu'il nous restera suffisamment de temps pour poser des questions.
M. Skilton: Dans chacune des trousses d'information que nous vous avons remises, vous trouverez tous les faits auxquels je vais faire allusion. Je vais baser mes conclusions sur des faits. Il y a cependant un élément que je tiens à invoquer avant de me lancer dans l'analyse du secteur des soins de santé, c'est la politique industrielle et la notion d'intégration des politiques économiques et des politiques de santé.
Il apparaît de plus en plus qu'il est profitable de faire en sorte qu'il y ait des synergies et non pas une opposition entre les politiques de santé et les politiques économiques du Canada. Les modifications apportées à la Loi sur les brevets en 1987 et en 1993 nous ont ouvert les yeux sur les possibilités qui s'offraient à nous. Aujourd'hui, une industrie pharmaceutique novatrice investit plus de 1 milliard de dollars par an en R-D et elle constitue de toute évidence l'un des piliers de l'économie du savoir au Canada.
Nous avons bâti en 1991 le Centre Merck Frosst de recherche thérapeutique. Nous employons plus de 300 scientifiques de renommée mondiale dans nos installations de Kirkland. D'importantes découvertes ont déjà été faites dans la lutte contre l'asthme, avec notre produit Singulair, et dans la lutte contre l'arthrite, avec notre produit Vioxx.
Nous nous sommes aussi dotés d'une installation de fabrication d'envergure mondiale, qui exportera en 2002 plus de 80 p. 100 de sa production.
Au chapitre «D'une économie mondialisée et axée sur le savoir», nous considérons que pour attirer les investissements, nous devons nous adapter aux conditions qui permettent au Canada de concurrencer efficacement les autres pays.
J'attire votre attention, monsieur le président, sur un rapport qui vient de paraître au Royaume-Uni et dans lequel ce pays fait état de ses indicateurs de compétitivité et de rendement. Il se situe clairement par rapport aux autres pays et se montre déterminé à exercer sa concurrence pour obtenir sa part des investissements dans la R-D pharmaceutique. Je vous laisse le soin de consulter ce rapport.
De son côté, l'Australie, qui s'est dotée d'un programme d'action, entreprend de développer des secteurs clés, notamment le secteur pharmaceutique. Lorsqu'il a comparu devant votre comité, le Dr Henry Friesen a déclaré qu'il considérait que le gouvernement fédéral avait pour rôle de mettre en place un projet inspiré et de grande portée pour ce qui est du réseau de soins de santé du Canada, et que nous sommes parties prenantes dans une politique affirmant que le Canada a d'énormes possibilités à condition de bien faire les choses et de savoir collaborer.
Le défi que doit relever le gouvernement fédéral est celui de la coordination du développement des politiques économiques et de santé à mesure que nous avançons dans la voie de la prospérité au Canada, qui est notre objectif commun. La tâche n'est pas facile mais, lorsqu'on considère la façon dont s'est organisé le Royaume-Uni, même sur le plan administratif, on peut voir qu'il s'est montré un peu plus efficace. C'est une concurrence qu'il nous faudra relever et nous devrons en tenir compte dans notre propre réseau.
Venons-en maintenant à la tâche qui nous attend. La question que se pose le comité est la suivante: Que peut-on faire éventuellement pour limiter le coût de l'augmentation des médicaments prescrits et des régimes financés par des fonds publics? Il est important de bien comprendre ce que cette question implique et quelles sont les possibilités qui s'offrent à nous lorsqu'on l'examine sous tous ses angles. Est-ce que le taux d'augmentation des médicaments prescrits est raisonnable ou, si l'on veut poser la question différemment, est-ce que l'utilisation que l'on fait des médicaments est raisonnable?
Étudions deux scénarios. Le premier est le suivant: si les faits corroborent que l'on fait un usage raisonnable des médicaments et si les parties prenantes concluent que l'augmentation du coût des médicaments prescrits reste inacceptable, il est évident que cela doit nous amener à un rationnement et éventuellement à justifier une réglementation et un contrôle accrus. Dans le deuxième scénario, les faits corroborent que l'on fait un usage raisonnable des médicaments et les parties prenantes concluent qu'il faut trouver les moyens de s'adapter à la croissance de ce secteur important de la santé, qui est en pleine expansion. Je pense que c'est ce qui a été déjà proposé à votre comité par l'Institut canadien des actuaires.
Bien entendu, il y a là une question sous-jacente qui est fondamentale à notre époque. Comment peut-on faire en sorte que les fournisseurs de soins et les malades ne perdent pas de vue le rapport coût-bénéfice tout en continuant à tenir compte des réalités? Une des solutions possibles consisterait à tirer parti des avantages d'un rationnement minimum, d'un ralentissement de l'augmentation du coût des médicaments prescrits et d'une optimisation de la valeur représentée par les nouveaux médicaments lorsqu'ils permettent de réaliser des économies dans d'autres secteurs de la santé.
Indépendamment de cela, les membres de votre comité conviendront volontiers qu'il est dans l'intérêt de tous de collaborer à la réalisation de cet objectif. Aux yeux d'une industrie pharmaceutique novatrice, une augmentation du chiffre d'affaires due à un emploi abusif ou trop généralisé des médicaments n'est pas une stratégie de croissance durable à long terme. J'insiste sur le fait que nous sommes des partenaires tout à fait disposés en faveur de soins pharmaceutiques rentables et tenant compte des réalités.
La démarche devant nous permettre d'arrêter une série d'options adaptées aux défis que nous pose notre environnement ainsi qu'aux besoins de la population canadienne, exige de toute évidence que l'on tienne compte des différents éléments qui figurent dans la liste qui suit.
Il convient de répertorier les règlements actuels. Si l'on se propose d'alourdir la réglementation, il nous faut alors être conscient de tout ce qui existe à l'heure actuelle.
Il nous faut bien voir à quel point nos méthodes actuelles de gestion coût-bénéfice sont généralisées et agressives et dans quelle mesure elles permettent de réaliser les objectifs de gestion coût-bénéfice que l'on s'est proposé d'atteindre.
Il convient aussi de se pencher sur la pratique de l'administration des médicaments, la question étant la suivante: Est-ce que les médecins prescrivent des médicaments en tenant bien compte du rapport coût-bénéfice et des expériences cliniques, ou le font-ils, comme bien des gens en ont l'impression, sans tenir aucun compte des coûts?
Compte tenu des répercussions des choix d'assurance, dont on a pu constater l'influence, sur les décisions prises en matière de soins, est-ce que ces choix d'assurance, ou est-ce que les décisions prises par les payeurs, contribuent à ce que l'on fasse des prescriptions erronées?
Vous trouverez dans notre documentation, monsieur le président, les éléments de preuve qui appuient les conclusions apportées sur ces questions.
Je vais maintenant conclure sur ces différents points.
Il est établi que des méthodes de gestion agressives du rapport coût-bénéfice se généralisent dans tous les régimes publics d'assurance-médicaments, comme le prouve le fait que la majorité des provinces ne répertorient plus les nouveaux médicaments. Monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité, vous serez peut-être surpris d'apprendre que ces dernières années six provinces ont choisi de ne plus faire figurer sur leur liste plus de 40 p. 100 des nouveaux médicaments. Il s'agit là, dans la pratique, d'une désassurance. D'un côté on envisage la nécessité d'étendre la couverture, et la couverture d'assurance est importante si elle couvre ce dont on a besoin, et d'un autre tout indique, dans la pratique actuelle, que l'on tient compte du rapport coût-bénéfice alors que les critères cliniques qui déterminent la couverture de l'assurance s'appuient sur les preuves cliniques de l'utilité des soins. Lorsque ces deux critères ne coïncident pas, il y a des frictions.
Il est prouvé que les décisions de remboursement par les régimes d'assurance-médicaments exercent une influence sur les prescriptions et, lorsqu'elles ne tiennent pas compte des preuves cliniques, nous considérons qu'elles présentent un risque pour la santé des malades et qu'elles contribuent inutilement à faire augmenter le coût global du régime.
Le Dr Terry Montague vous dira par ailleurs qu'il est établi que lorsque les parties prenantes sont associées au sein d'un régime intégré de soins de santé permettant d'établir des critères facilement mesurables et de rendre compte des soins dispensés, elles s'engagent naturellement dans la voie d'une prise en compte du rapport coût-bénéfice en fonction des preuves cliniques apportées.
Je m'arrêterai là. Je sais que vous avez des questions à me poser sur les prix de référence et sur d'autres sujets. Je serai tout disposé à y répondre tout à l'heure.
Le président: Je vous remercie. Docteur Tamblyn?
Le Dr Robyn Tamblyn, professeur agrégé, faculté de médecine, université McGill: Monsieur le président, je vais vous présenter des diapositives.
J'ai lu avec intérêt le rapport de votre comité. Je vous félicite d'avoir mûrement réfléchi à toutes ces questions. J'appuie résolument nombre des réflexions qui sont faites dans ce rapport... la réforme des soins primaires, les services de soins spécialisés, un commissaire national à la santé, ce qui est une idée très intéressante, le rôle du gouvernement fédéral dans la promotion de la santé - la prévention des maladies et surtout l'infostructure ainsi que l'infrastructure des soins de santé.
Il y a deux questions que je tiens à souligner en priorité. Je vais tout d'abord aborder les enjeux et les possibilités qui s'offrent sur le plan financier. Vous évoquez dans votre rapport la possibilité de faire payer les usagers. Les frais payés par les usagers, sous une forme ou sous une autre, reviennent à taxer l'ensemble de l'utilisation des services, au point d'utilisation, en faisant payer les malades qui ont recours aux soins. C'est une politique qui revient à faire payer les soins par les malades. Je ne suis pas sûr que cela soit vraiment conforme à l'un des grands principes établis jusqu'à présent dans le cadre de notre régime de santé.
Le deuxième sujet dont je veux vous parler est celui de la prévention des maladies et de la promotion de la santé. C'est un objectif très important, très louable, mais le rapport ne propose aucun mécanisme qui permette de le réaliser. Le gouvernement fédéral aurait vraiment un rôle à jouer en la matière, un rôle dont les provinces ne peuvent probablement pas se charger de la même manière.
La diapositive suivante porte sur les frais payés par les usagers - les hypothèses non corroborées et les effets imprévus. Le recours aux frais payés par les usagers s'appuient sur un ensemble d'hypothèses non corroborées; il n'est pas strictement validé par les faits. La première hypothèse, c'est que lorsque des soins sont gratuits, bien des gens y ont recours inutilement. Elle part du principe que la population va passer son temps dans les salles d'urgence plutôt que d'aller dans les bars de la rue Crescent. La deuxième hypothèse, c'est que les consommateurs savent à quel moment il est possible de substituer des médicaments moins onéreux et sont au courant des interventions chirurgicales. Elle part du principe que les consommateurs ont des connaissances suffisantes pour prendre ce genre de décisions alors même que nous exigeons un agrément pour les professions de la santé parce que nous estimons que seuls des professionnels peuvent prendre ce genre de décisions.
La troisième hypothèse non corroborée, c'est que les frais payés par les usagers ne vont entraîner une réduction que des services inutiles. La quatrième, c'est que des frais payés par les usagers et indexés sur les revenus vont constituer la solution. Le Québec a été quelque peu en avance sur son temps parce qu'il a essayé cette méthode et pourra en quelque sorte vous servir de modèle.
Sur la diapositive suivante, vous voyez deux graphiques. Le gouvernement du Québec a commandé une étude de sa nouvelle politique de coassurance et des tickets modérateurs payés par les personnes âgées et par les bénéficiaires de l'assurance sociale leur permettant d'accéder au régime universel de soins pharmaceutiques, ce qui est en soi un objectif louable, mais l'on a augmenté les frais payés par les usagers déjà assurés précédemment de manière à pouvoir financer ce régime.
Un large échantillon de la population pris au hasard - en comparant les médicaments pris au cours des trois années antérieures à ceux qui ont été pris au cours de l'année ayant suivi l'adoption de la politique - a révélé, comme l'on pouvait s'y attendre, que le paiement de frais par les usagers réduisait l'utilisation des médicaments. Généralement, on ne va pas plus loin et on se dit: «Bien, c'est exactement ce que nous voulions. Nous avons réduit nos coûts. La population prend moins de médicaments.» On en conclut trop vite qu'il s'agissait là d'une prise de médicaments inutile.
Les frais payés par les usagers vont bien entendu toucher les gens qui sont de gros utilisateurs du service. Pour ce qui est des médicaments prescrits par un médecin, ce qui faisait l'objet de cette étude, ce graphique nous indique qu'après l'entrée en vigueur de cette politique, la consommation a largement baissé chez les personnes qui prenaient beaucoup de médicaments.
La diapositive qui suit nous montre les effets des frais payés par les usagers en ce qui a trait aux médicaments prescrits aux personnes âgées. L'étude concerne trois catégories de personnes: celles qui touchent l'intégralité du supplément de revenu garanti, celles qui ne le touchent qu'en partie et celles qui ne touchent aucun supplément. Celles qui ne touchent aucun supplément ont un revenu annuel qui dépasse 14 000 $ et se situent dans la zone maximale des 750 $ pour les médicaments prescrits.
La première bonne nouvelle, c'est que l'indexation sur les revenus a bien donné lieu à une répartition équitable des réductions selon les différents niveaux de revenus. Il est bien intéressant de remarquer ici que les personnes très pauvres - celles qui correspondent à la ligne rouge, en haut - sont aussi celles qui consomment beaucoup de médicaments prescrits; il est tout aussi significatif - et vous le savez peut-être après avoir consulté les données fournies par Statistique Canada - de voir qu'elles meurent en moyenne 10 ans plus tôt. Elles sont donc davantage malades, elles consomment davantage de médicaments et elles meurent aussi plus tôt. D'ailleurs, nous nous référons ici en grande partie aux femmes âgées. Cette catégorie regroupe 70 p. 100 de femmes âgées, la plupart d'entre elles vivant probablement seules.
La diapositive qui suit nous révèle les effets imprévus des frais payés par les usagers - et cette question a été étudiée à deux reprises. La question à laquelle nous nous efforçons de répondre est la suivante: «Est-ce que les frais payés par les usagers réduisent à la fois l'utilisation des médicaments essentiels et moins essentiels?» Voici maintenant la mauvaise nouvelle: à tous les niveaux, les frais payés par les usagers réduisent l'utilisation des médicaments essentiels - les médicaments contre l'asthme, contre les maladies mentales, contre l'hypertension, pour le coeur. Ce sont là les médicaments que nous avons étudiés. L'autre mauvaise nouvelle, c'est que dans les populations des personnes âgées et des assistés sociaux, le rapport est de deux contre un, deux médicaments essentiels contre un médicament moins essentiel. Le malheur, c'est que les médicaments essentiels coûtent plus cher que les médicaments moins essentiels.
Par conséquent, lorsqu'on met en place un régime de coassurance, on incite la population à réduire l'utilisation de médicaments essentiels. C'est vrai aussi bien pour les personnes âgées et - comme vous le verrez sur la page suivante - pour les assistés sociaux, qui ont réduit encore plus leur consommation.
Les conséquences sont exposées dans un document qui est joint. Je n'entrerai pas ici dans les détails, mais il y a des effets en aval, même à court terme. Le nombre d'hospitalisations et de visites dans les salles d'urgence ont augmenté. Je ne pense pas que ce soit là le genre de conséquence que nous voulons.
La dernière mauvaise nouvelle, la pire, en fait, à mon avis, c'est celle des malades mentaux. Les programmes spéciaux visant à réduire le fardeau que les frais payés par les usagers fait porter aux personnes souffrant d'une grave maladie mentale - schizophrénie ou psychose - n'ont pas supprimé la réduction de l'utilisation des médicaments essentiels. En vertu de ce programme, les personnes souffrant d'une maladie mentale grave paient au maximum 16,67 $ par mois. Le graphique du bas de la page 5 montre les effets de ce programme spécial sur cette population. Il y a eu une diminution très rapide de l'utilisation de médicaments antipsychotiques et de lutte contre la schizophrénie. L'une des grandes difficultés que posent les malades mentaux, c'est de les amener à prendre leurs médicaments. Par conséquent, tout fardeau supplémentaire qui leur est imposé financier a des effets très pervers.
Le graphique de la dernière page, la page 6, nous montre que l'utilisation des services de santé a grimpé en flèche. Ainsi, les visites en salle d'urgence ont augmenté de 457 p. 100, suivies des visites médicales et des admissions à l'hôpital, même à une époque où l'on fermait des hôpitaux et où l'on réduisait les possibilités d'accès. Les répercussions ont été très graves. Il faut toutefois porter au crédit du gouvernement du Québec d'avoir changé sa politique et autorisé la gratuité des médicaments pour les personnes de cette catégorie. Le gouvernement a réagi extrêmement vite, essentiellement après avoir mené sa propre enquête.
Sur la foi de cette information, j'espère que vous n'envisagerez pas le recours aux frais payés par les usagers. Je considère qu'ils pénalisent les personnes très malades ainsi que les pauvres, même avec une indexation sur les revenus.
Le dernier point que je tiens à aborder est celui de la prévention des maladies et de la promotion de la santé. L'une des choses que nous avons apprises dans les études de Whitehall, dans les études qui ont été menées ici au Canada, c'est que nombre de facteurs qui déterminent la santé se situent à l'extérieur du réseau de la santé. Le réseau de soins de santé s'apparente à un terminus, au cimetière dans lequel vous venez rendre compte des bonnes ou des mauvaises habitudes de toute votre vie en matière de santé, ou encore des conditions de l'environnement, et cetera.
Bien des initiatives que vous pouvez prendre pour mettre effectivement en place des conditions favorisant la santé et permettant de lutter contre les maladies se situeront en dehors du réseau de la santé. Je vais vous en donner un exemple - et c'est la prévention des accidents. Les accidents sont la première cause de décès des personnes âgées de un à 40 ans. Dans leur majorité, ces accidents peuvent être évités. On a effectué bon nombre de recherches épidémiologiques en matière de prévention des accidents, par exemple. On peut éviter des accidents en mettant en place des normes de sécurité des produits, en construisant de meilleures routes, en faisant appliquer des normes environnementales.
Néanmoins, il n'est pas facile de procéder à ces changements. Le réseau de la santé tire l'alarme, mais sans que l'on ait de véritable modèle devant permettre, par exemple, au ministère de la Consommation et des Affaires commerciales ou encore à Transports Canada, de mettre en oeuvre des changements. Nous avons besoin de modèles qui ne soient pas limités à une même province. Nous avons obtenu quelques succès en matière de lutte contre le tabac, mais nous avons pris du retard.
Par conséquent, si nous voulons vraiment faire la promotion de la santé et lutter contre les maladies, nous devons nous doter de modèles originaux dépassant les cloisonnements entre les provinces.
Le président: Vous avez tout à fait raison. Nous n'avons pas prévu dans notre étude de mécanismes de mise en oeuvre de l'option consistant à promouvoir la santé de la population, en partie parce que nous espérions que les intervenants nous proposeraient certains mécanismes. Par conséquent, si aujourd'hui ou à une date ultérieure vous pouviez nous faire connaître votre point de vue sur la question, nous serions heureux de l'entendre.
La Dre Margaret A. Somerville, directrice intérimaire, McGill Centre for Medicine, Ethics and Law, Université McGill: Merci de m'avoir demandé de comparaître. Je vous ai remis un bref mémoire.
Comme l'ont fait les autres orateurs, je tiens tout d'abord à vous féliciter chaleureusement pour la qualité de votre rapport, même si cela ne veut pas dire pour autant que je suis d'accord sur tous les points. J'ai relevé dans mon mémoire différentes questions qui me paraissent poser des problèmes sur le plan des valeurs et de l'éthique puisque, vous le savez, c'est le domaine dans lequel je travaille. Je vais les passer rapidement en revue.
Vous dites que votre rapport «s'appuie sur des faits et n'est pas idéologique.» Je ferai à cela une légère critique en ce sens qu'un régime de soins de santé et les décisions qui s'y rapportent doivent s'appuyer sur un ensemble de valeurs et que certaines de ces valeurs vont correspondre à certains principes idéologiques et en contredire d'autres. Il est très important que nous reconnaissions qu'en prenant ces décisions sur le plan de l'éthique, il nous faut justifier les valeurs que nous avons choisies. Je ne pense pas qu'une démarche de ce type ait été faite à un niveau quelconque du rapport.
Le deuxième objectif du rapport est de «lancer le débat public», et là encore je vous félicite de cette initiative. J'ai toutefois joint une annexe à mon mémoire qui expose dans ses grandes lignes le projet de recherche intitulé «Éthique sur la place publique.» Même si nous parlons beaucoup de tenir compte de l'éthique dans nos politiques publiques et si nous discutons de la participation du public à cette prise de décision importante - d'ailleurs, nous disons même que c'est un impératif sur le plan de l'éthique que de faire participer le public aux prises de décisions sur des questions comme celles du réseau de la santé - nous n'avons pas élaboré les mécanismes correspondants. De même, nos mécanismes d'éthique au niveau des organisations, des institutions et de la société sont très insuffisamment élaborés. La plupart des formes d'éthique que nous avons mises en place dans le domaine de la santé se retrouvent au niveau des relations entre le malade et son médecin ou les professionnels de la santé.
Cela m'amène à mon troisième point, lorsque vous faites remarquer que pour mettre en oeuvre une bonne politique publique, il faut savoir quels sont ses objectifs. Là encore, je ferai des réserves en ce qui concerne la façon dont on articule dans le rapport les valeurs qui sous-tendent le réseau des soins de santé. Je sais que vous avez voulu éviter toute idéologie, mais il est extrêmement important que vous fassiez état des valeurs. Je vous dirais qu'une grande partie des problèmes, et certainement ceux qui se posent sur le plan de l'éthique dans le réseau de la santé, ne viennent pas simplement du fait que les gens ont l'impression qu'ils ne pourront peut-être pas obtenir les soins de santé dont ils ont besoin, ou aussi rapidement qu'ils le voudraient, mais ont trait aussi à ce que nous considérons comme étant essentiel et qui représente des valeurs importantes aussi bien sur le plan personnel qu'au niveau de la société canadienne.
J'ai fait figurer à l'annexe B une liste d'éléments qui indiquent, selon la façon dont on qualifie la chose et dont on prend les décisions ayant des répercussions sur les valeurs - et toutes les décisions prises dans le domaine de la santé relèvent de cette catégorie - que les effets peuvent être très différents. Permettez-moi de vous signaler qu'il y a une erreur typographique trois lignes avant la fin. Il convient d'inverser la première et la deuxième catégorie: il faut lire: «... la prise de décisions relèvera de la deuxième catégorie et non de la première,» contrairement à ce qui est écrit ici. Autrement dit, l'effet des prises de décisions peut être manipulé en procédant à d'autres opérations comme le fait de ne pas dire qui a pris la décision.
J'ai pris part il y a environ un an et demi à une étude cherchant à préciser qui décidait quels étaient les traitements disponibles pour lutter contre certains cancers au Canada et, dans certaines provinces, nous n'avons pas réussi à savoir qui prenait ces décisions. Si vous regardez ce tableau, vous voyez que cette... je pars délibérément du principe que ces décisions relèvent de cette deuxième catégorie de sorte qu'elles ne semblent pas s'opposer de la même manière aux valeurs établies.
L'une des caractéristiques que je n'ai pas trouvées dans le rapport, c'est l'incidence des avantages et des inconvénients politiques des décisions prises en matière de santé, ainsi que les mécanismes dont on pourrait avoir besoin pour remédier à ce problème. Nous sommes loin d'avoir étudié cette question suffisamment en profondeur.
De même, le rapport s'en tient principalement aux décisions prises au niveau de l'ensemble du système. C'est extrêmement important, mais le réseau de la santé opère essentiellement, du moins aux yeux de chaque Canadien, au niveau individuel. Voilà pourquoi la plupart des choses que vous entendez dire au sujet du réseau de la santé, et bien évidemment les plaintes qui me sont présentées, se situent au niveau individuel.
En réalité, l'éthique, telle qu'elle se présente au niveau de l'ensemble du système, n'est pas nécessairement l'éthique au niveau individuel. Votre rapport ne parle absolument pas de cette question. Vous pouvez constater que je l'ai traitée dans mon mémoire. Ainsi, un médecin a avant toute chose l'obligation de traiter personnellement tous les malades. Le médecin ne peut considérer l'efficacité et la rentabilité pour le réseau de la santé que comme un objectif secondaire, lorsque cela n'affecte pas directement le malade. Vous dites précisément, quelque part dans votre rapport, qu'il est bien difficile d'amener les médecins à tenir compte de l'efficacité et de la rentabilité. La raison en est que les médecins ont l'obligation de ne pas le faire sur le plan de l'éthique et du droit. Il vous faut comprendre ces obligations et, ce faisant, j'espère que nous ne déciderons pas de les abroger. Il n'en reste pas moins que ce sont ces caractéristiques qui causent ce type de réaction.
Il y a par ailleurs des problèmes de définition lorsqu'on cherche à savoir si les soins ont été dispensés en temps utile ou s'ils étaient médicalement nécessaires. Ce ne sont pas des problèmes nouveaux, mais il convient de les étudier plus en profondeur.
En ce qui concerne la nécessité de prendre des décisions tenant compte des réalités en matière de santé, je suis d'accord pour dire que c'est nécessaire, mais en lisant le rapport je me suis sentie quelque peu gênée par le fait qu'il nous fallait éventuellement considérer non seulement ce qui est nécessaire, mais aussi ce qui est suffisant, et je ne crois pas que ce soit ici suffisant. Selon le dicton, ce qui est mesurable exclut parfois l'essentiel. À mon avis, si nous nous intéressons aux soins et à la santé, et si nous voulons guérir, nous devons nous préoccuper de certains facteurs intangibles qui ont une très grande importance, les moindres n'étant pas les valeurs que nous renforçons ou que nous contredisons lorsque nous prenons des décisions dans le réseau de la santé.
Là encore, je n'ai pas constaté dans le rapport une prise de conscience suffisante de ce que j'appellerais l'ambiguïté nécessaire de certaines de ces décisions qu'il nous faut prendre. Nous ne pouvons pas espérer mettre en place un modèle de décision linéaire qui nous permette d'en arriver à des conclusions heureuses en toute connaissance de cause, qu'il faudra appliquer à un milieu dans lequel interviennent d'autres facteurs humains très importants et, entre autres, la nécessité de s'assurer que nous avons un réseau de santé qui prenne vraiment soin des gens et non pas qui soit administré efficacement.
J'en arrive maintenant à l'analyse du réseau de la santé en tant qu'industrie, ce qui est souligné dans le rapport. On évoque dans le rapport - et je pense avec une certaine réprobation - une médecine de première ligne de type artisanal, comme au XIXe siècle, par opposition à une industrie de service du XXIe siècle. Cela m'a fait penser que l'artisanat avait certes des inconvénients, mais que l'on pouvait entrevoir dans cette formule une interaction personnelle axée sur les soins et une connaissance personnelle des gens - et je n'insisterai jamais trop sur le fait qu'il convient de prendre en compte ces différents éléments.
En conclusion, laissez-moi vous dire que si j'ai trouvé d'excellentes choses dans votre rapport - je l'ai trouvé profond, réfléchi, ouvert et dénué de tout parti pris - ce qui me préoccupe surtout, c'est que l'on n'aborde les questions qu'au niveau de l'ensemble du réseau. Il convient aussi de les aborder dans le détail. Lorsqu'il y a des conflits entre ces deux niveaux, et c'est là que se posent les questions les plus difficiles sur le plan de l'éthique, nous devons décider de la manière de les résoudre - et c'est vrai pour chacun d'entre nous. En tant que contribuables et que citoyens canadiens, il faut que ce que nous décidons soit disponible étant donné que les soins de santé sont souvent très différents de ce que nous voulons pour nous-mêmes et pour ceux que nous aimons lorsqu'ils en ont besoin.
Je vous félicite d'avoir engagé ce débat national sur le plan de l'éthique. Il ne manquera pas de nous aider, mais il ne résoudra pas tous les problèmes. Par ailleurs, il faut que ce soit un processus en constante évolution.
Enfin, je vous invite à penser la médecine non seulement sur le plan curatif, et nous avons besoin de travailler dans ce domaine, mais aussi sur le plan des soins et de la prise en charge, en partant du principe qu'il est utile de consacrer autant de ressources financières à ces deux domaines. Je vous remercie.
Le président: Merci de cet exposé qui, comme toujours, donne matière à réflexion.
Le Dr Terrance Montague, directeur, Politique en matière de santé, Merck Frosst Canada Ltd.: L'essentiel des activités de Merck Frosst, l'une des grandes entreprises du secteur de la santé, consiste à découvrir de nouvelles thérapies et de nouveaux médicaments pour lutter efficacement contre d'importantes maladies en prouvant leur valeur aux malades et aux payeurs. Je pense qu'éventuellement nous cherchons tous en ce moment à démontrer aux malades toute la valeur des soins de santé. Des analyses cliniques et économétriques qui ont été effectuées récemment sur nombre de maladies, non seulement en cardiologie, où elles sont apparues à l'origine, mais aussi sur de nombreux états morbides, ont montré qu'il y avait une forte corrélation entre le recours à des thérapies pharmaceutiques novatrices, l'augmentation de la longévité et l'accroissement de la productivité nationale, qui a généralement été mesurée dans ces études par le produit national brut.
Toutefois, des études et des recherches répétées menées par des groupes comme le Clinical Quality and Proven Network, CQIN, dont j'ai été l'un des membres fondateurs, et par l'équipe de gestion de la santé des malades chez Merck Frosst, nous révèlent que l'on n'optimise pas le rendement de ces innovations pour la société dans notre pays ou dans d'autres régions du monde développé.
Cela s'explique surtout par le fait qu'il y a toujours un hiatus important entre les soins habituellement dispensés et les meilleurs soins possibles. Dans ce cadre, la notion de meilleurs soins possibles est définie comme étant l'ensemble des preuves accumulées par les essais cliniques, et les soins habituels comme étant la mesure dans laquelle ces connaissances de pointe sont mises en pratique dans la réalité. Il est difficile et complexe de ramener ce fossé à de meilleures proportions; toutefois, mon entreprise part du principe, et c'est aussi le cas de mes collègues, qui appartenaient antérieurement au monde universitaire et aujourd'hui à la fois au monde des entreprises, des universités et des organisations communautaires, que c'est possible et qu'en l'occurrence les soins dispensés aux malades, la santé des malades et la productivité du pays, peuvent tous être améliorés.
Pour combler ce fossé, voilà 10 ans que je préconise, avec mes collègues, des partenariats entre les gouvernements, l'industrie, les professions de la santé et le secteur communautaire. Je considère que ces partenariats sont une option possible qui mérite que l'on s'y attarde ici, et dont il vous faut délibérer à l'échelle du pays. Ces partenariats élargis tiennent compte des réalités, de la nécessité de rentabiliser les soins et des nombreux impératifs liés à la gestion de la qualité totale, notamment le recours à des mesures répétées et à un suivi pour améliorer constamment les soins dispensés et les résultats.
Notre projet le plus novateur, jusqu'à présent, du moins ces cinq dernières années, depuis que je suis chez Merck, c'est le projet ICONS, qui vise à améliorer le traitement des maladies cardio-vasculaires en Nouvelle-Écosse. ICONS est un projet institué à l'échelle de la province. Il a été créé et lancé en 1997 pour améliorer les soins cardiaques du haut en bas de l'échelle, c'est-à-dire en commençant au niveau communautaire. Il a une très large dimension communautaire, notamment en ce qui a trait à un comité directeur comptant 70 membres qui représentent tous les districts de gestion de la santé de la Nouvelle-Écosse. Les médecins participant au niveau communautaire, que ce soit les services de première ligne ou les spécialistes, de même que les infirmières et les pharmaciens, rendent compte régulièrement des pratiques locales et des résultats obtenus. Le projet ICONS est bien davantage axé sur les résultats que nombre de discours que j'ai entendus aujourd'hui, qui s'intéressent surtout aux moyens. Dès le départ, ICONS a été conçu comme un projet axé sur les résultats.
La première phase d'application est maintenant presque terminée, plus de 40 000 malades ayant été examinés et 13 000 ont été répertoriés au sein du projet et font l'objet d'un suivi. Il y a eu une amélioration constante, d'une année sur l'autre, de l'utilisation de chimiothérapies efficaces, ce que j'ai essayé de souligner à votre intention dans certaines diapositives ci-jointes, pour des maladies telles que les infarctus du myocarde ou les insuffisances cardiaques globales. Dans la gestion des maladies cardiaques, qui touchent 450 000 personnes dans notre pays, les statistiques tirées d'ICONS nous révèlent que les malades suivant une thérapie ayant fait ses preuves risquent nettement moins d'être hospitalisés ou de décéder, ce qui est évidemment un résultat important pour les malades et pour la société. Les améliorations enregistrées au niveau clinique s'accompagnent par ailleurs d'économies réalisées dans le réseau de la santé, même lorsque l'on tient compte dans les calculs du coût supplémentaire des médicaments administrés. Les économies réalisées grâce à ce système contribuent, à mon avis, à assurer la rentabilité globale à long terme du régime de santé de la Nouvelle-Écosse.
Les données cliniques et méthodologiques du projet ICONS commencent par ailleurs à être utilisées par le monde scientifique. Vingt-quatre communications ICONS ont été présentées lors des dernières réunions de la Société canadienne de cardiologie qui ont eu lieu à Halifax. Cela nous a permis l'année dernière de faire progresser de manière significative, dans notre pays, les connaissances de la cardiologie et les résultats obtenus par les traitements.
Les données fournies désormais en temps utiles par le projet ICONS ont une grande importance pour l'un des partenaires du projet, le gouvernement, étant donné qu'elles contribuent à remédier à l'une des grandes insuffisances de la gestion de la santé publique - l'absence de statistiques sur les résultats globaux sur lesquels les pouvoirs publics pourraient appuyer leurs décisions. La combinaison de données cliniques et financières est de la plus haute importance étant donné qu'elle permet d'évaluer non seulement ce que nous achetons avec nos crédits consacrés à la santé, l'argent dépensé, mais aussi le fonctionnement de l'ensemble du réseau de la santé.
Étant donné les succès enregistrés sur le plan de l'amélioration de la pratique ainsi que de la création de mécanismes administratifs novateurs permettant de remédier aux inégalités d'accès aux soins cardiaques en Nouvelle-Écosse, le partenariat au sein d'ICONS est entré dans une nouvelle phase. Il s'est transformé en plate-forme de développement d'un programme de soins cardiaques à l'échelle provinciale. L'évolution de ce programme sera appuyée par des crédits du ministère de la Santé de la Nouvelle-Écosse. Ce programme fera partie de la vie de tous les jours des citoyens et des malades nécessitant des soins dans cette province.
Il est bien évident que le projet ICONS nous a démontré que les choses pouvaient s'améliorer. Il nous a prouvé que la promesse d'une meilleure santé, pour la majorité de la population, au meilleur coût, fait partie du domaine du possible et peut en fait être réalisée.
Si vous voulez savoir quel est à mon avis le principal facteur ayant contribué au succès du projet ICONS, je vous citerai le respect méticuleux par le partenariat des critères de mesure, notamment de la mesure des résultats. La meilleure façon de souligner l'importance des mesures effectuées dans le cadre des partenariats, c'est encore de vous citer Charles Deutsch, un enseignant d'Harvard, qui a déclaré au sujet des partenariats:
On en parle comme d'une chose passionnante, mais ils sont généralement épuisants et peuvent nous rendre fous. Ils sont constamment braqués sur les résultats et ils en arrivent à en oublier le reste.Chaque fois que je relis la chose, je me rends compte que cette réalité ne se limite pas à l'enseignement ou aux soins de santé; elle peut très bien s'appliquer au mariage. Ça me frappe chaque fois.
Dans plusieurs autres provinces et pour plusieurs autres maladies, comme nous l'avons indiqué dans la dernière diapositive que nous avons insérée, notamment en ce qui a trait au diabète, à l'asthme, à l'arthrite et à l'ostéoporose, qui représentent un énorme fardeau pour notre société - 75 p. 100 de nos dépenses de santé sont consacrées désormais aux maladies chroniques, qui affectent près de 50 p. 100 de notre population à un moment donné - nous oeuvrons désormais avec d'autres partenaires au sein de notre société, avec les entreprises pharmaceutiques novatrices du Canada, sur un modèle semblable à celui qui a été lancé par le groupe ICONS. Nous prévoyons, et nous espérons, bien sûr, en tablant sur cette expérience, que l'amélioration des résultats ainsi que les infrastructures et les mécanismes administratifs novateurs établis sur le modèle d'ICONS peuvent se répéter et se renforcer. Ce qui nous guide, comme toujours, dans ce partenariat et dans ce modèle de gestion des maladies axé sur les preuves cliniques, c'est la conviction que les choses peuvent s'améliorer.
Cette conception de la santé se heurte à des difficultés qui sont loin d'être négligeables, comme vous n'avez certainement pas manqué de l'apprendre en écoutant parler les gens dans tout le pays. Il est nécessaire de faire preuve d'initiative pour saisir les occasions que nous offrent des projets comme ICONS. Le gouvernement du Canada est bien placé, je pense, grâce à des initiatives comme celle de votre comité, pour jouer un rôle très important de leader dans notre pays.
Je terminerai en insistant sur le fait que Merck Frosst continue à privilégier les règles de l'éthique ainsi que des partenariats efficaces en matière de santé pour toutes les maladies et à l'échelle du pays. Nous sommes confiants pour l'avenir.
Merci de m'avoir donné l'occasion de vous présenter aujourd'hui cet exposé.
Le sénateur Keon: Docteure Somerville, vous venez d'évoquer le dilemme bien connu devant lequel se trouve le médecin. Avez-vous vu la pièce de Shaw, Le dilemme du docteur?
La Dre Somerville: Non.
Le sénateur Keon: Il vous faut absolument la voir. Lorsque vous l'aurez vue, j'aimerais vous en reparler. La situation n'a pas changé.
Le dilemme, de nos jours, c'est que si les médecins ne s'impliquent pas dans les politiques et dans la gestion des soins de santé, le système va suivre naturellement son cours. Il y a ici une contradiction. Certains médecins sont convaincus qu'ils doivent uniquement se faire le porte-parole du malade. Je pense qu'il leur faut aussi s'habituer à prendre aussi leurs responsabilités envers l'ensemble du système, parce que ce qu'ils préconisent pour la plupart des malades, c'est l'accès aux services, du moins c'est le cas du médecin situé en première ligne, après quoi il perd tout contrôle sur ce qui se passe par la suite. Si le médecin situé en première ligne n'apporte pas une contribution utile en la matière, le système ne va pas s'améliorer.
Je me fais quelque peu l'avocat du diable. Fréquemment, une solution peut apparaître à première vue comme un compromis, le système ne peut pas être parfait pour tout le monde et, souvent, c'est le meilleur compromis possible qui constitue la solution.
La Dre Somerville: Disons que le terme de «compromis» est très décrié. Je me souviens d'une publicité pour les automobiles dans laquelle on nous disait: «Nous faisons des décapotables, pas des compromis.»
Je vais quand même répondre à votre question très importante.
Tout d'abord, je considère que le médecin a deux rôles de nos jours, l'un étant de protéger les individus et de se faire l'avocat de chaque malade. Le grand danger, c'est lorsqu'on se met à confondre ce rôle du médecin avec celui de conseiller politique et parfois même de décideur politique. Nous devons prendre un soin extrême à bien séparer ces deux rôles, même s'il arrive que le médecin joue tantôt l'un, tantôt l'autre.
Excusez-moi de faire ma propre publicité, mais je vous renvoie en fait dans mon mémoire à un chapitre d'un ouvrage que je viens de rédiger: The Ethical Canary. L'un des chapitres de ce livre porte sur l'éthique de l'accès aux soins de santé et j'y évoque assez longuement la question que vous venez justement de poser. L'une des possibilités serait de dégager le médecin de cette obligation première envers les soins dispensés personnellement au malade. Je considère pour ma part que ce serait une véritable catastrophe. C'est le véritable fondement, la base traditionnelle de la relation de confiance entre le médecin et son malade.
Comme je l'ai dit dans mon mémoire, il est vrai que le secteur de la santé possède certaines caractéristiques apparentées à celles d'autres secteurs d'activité de notre société, mais notre secteur est comparable à nul autre. L'une des grandes raisons pour lesquelles il en est ainsi, c'est le fait que le médecin entretient des relations avec son malade, a un certain pouvoir et en fait peut intervenir en quelque sorte sur la vie de celui-ci, ce qu'aucun autre membre de notre société n'est en mesure de faire. Il serait très dangereux de changer ou de gâcher cette relation. Le grand défi qu'il nous faut relever, c'est de conserver cet aspect traditionnel et, à mon avis, indispensable, de la relation entre le médecin et son malade, pour que le malade sache que le médecin agit pour son bien, sans aucun conflit d'intérêts, tout en étant par la même occasion en mesure d'organiser notre réseau de soins de santé pour qu'il soit viable, «durable» comme on le dit dans le rapport.
Le sénateur Keon: Merci de vous être longuement expliqué sur ce point.
En raison du temps limité qui nous est imparti, docteur Tamblyn, vous vous êtes contenté de survoler la question de la santé de la population. J'aimerais vous demander ce que vous entendez par santé de la population et, avant que vous me répondiez, je vais m'étendre quelque peu sur le sujet.
Je pense qu'étant donné que le réseau des soins de santé n'influe que sur une petite part - on l'estime généralement à 25 p. 100 - de la santé de la population, et que toutes les autres forces qui s'exercent sont des forces sociales, la richesse du groupe concerné, la géographie, et cetera, on ne s'est pas servi comme on l'aurait dû du critère de la santé de la population pour évaluer la performance de notre réseau de soins de santé. Depuis le rapport Lalonde, j'ai toujours eu le sentiment - et je n'ai rien vu jusqu'à présent qui puisse me convaincre du contraire - que ce n'est qu'en prenant comme base la santé de notre population que nous parviendrons un jour à mesurer précisément le rendement de notre réseau de soins de santé.
Donc, après cette tirade, est-ce que vous pouvez me dire ce que vous entendez par santé de la population et s'il vous paraît bon qu'on retienne ce critère pour évaluer et contrôler en permanence la performance du réseau des soins de santé.
Le Dr Tamblyn: Nous commençons tout juste à comprendre quels sont les facteurs qui déterminent la santé - «la santé de la population» relève pour moi d'un certain jargon; selon les gens elle aura des significations bien différentes. Dans mon esprit, il faut chercher à appréhender les nombreux facteurs qui influent sur la santé de la population. On ne les trouve pas dans le réseau des soins de santé, ils ne relèvent pas de sa compétence, de son mandat, de ses responsabilités.
Pour ce qui est des accidents, par exemple, la plupart des facteurs sont extérieurs au réseau de la santé. Ce qui compte, c'est la sécurité des produits, l'état des routes, la vitesse de circulation et le fait que l'on conduit ou non en état d'ivresse. Ces facteurs n'appartiennent pas au domaine de la santé. Les soins de santé sont largement tributaires de facteurs qui ne sont pas de leur ressort, de cadres administratifs externes, en fait, qui influent en fin de compte sur l'apparition des maladies et sur les décès et qui déterminent dans quel secteur on va dépenser de l'argent. Si vous voulez remonter en fait à la source pour juger de la santé de la population, il vous faudra alors vous intéresser effectivement à tous ces autres secteurs qui influent sur la santé.
Ainsi, si le ministre des Transports décide de porter la limite de vitesse - j'étais dernièrement en France, où la limite de vitesse était de 199 kilomètres à l'heure; du moins c'est à cette vitesse que les gens conduisaient. Si c'est bien là la vitesse autorisée, le problème qui se pose, c'est celui des accidents d'automobile inutiles et de la consommation d'énergie.
Prenez le cas des aliments génétiquement modifiés. Personne ne connaît vraiment les conséquences des OGM. Cette question relève de l'agriculture. Il y a aussi la question de l'utilisation des antibiotiques dans l'alimentation animale et de son influence éventuelle sur la résistance humaine aux antibiotiques.
Considérons l'enseignement. Nous ne comprenons pas très bien la relation qui existe entre les conditions socioéconomiques et la santé, mais nous savons pertinemment qu'il y a une relation entre le fait d'être en mauvaise santé et la pauvreté ou le manque d'instruction. Pour quelle raison? Quelles sont les influences de l'environnement? Est-ce que c'est, par exemple, parce qu'une grosse aciérie qui est une source de pollution a des répercussions négatives sur la santé des personnes qui habitent près de l'usine? Où est-ce que c'est autre chose?
Prenons un exemple précis. Nous savons désormais que l'exercice exerce une influence positive sur la «santé cardio-vasculaire».
Mais je ne devrais peut-être pas parler comme cela. Le Dr Montague est assis à côté de moi; je suis sûr qu'il pourra vous en dire davantage.
Quoi qu'il en soit, nous savons que l'exercice influe sur le métabolisme du glucose. C'est pourquoi la prolifération des cas de diabète et d'obésité chez les enfants jeunes est liée au manque d'exercice. Parallèlement, le ministère de l'Éducation réduit les budgets consacrés à l'enseignement et les enseignants refusent de prendre part à des activités en dehors des cours. Que faisons-nous? Nous laissons passer la possibilité de promouvoir et d'enseigner l'éducation physique. Cela aura des conséquences préjudiciables en aval sur la santé. Nous choisissons de nous en désintéresser et nous préférons pratiquer immédiatement des compressions budgétaires dans le secteur de l'enseignement, ce qui ne nous permet pas d'atteindre finalement l'objectif qui détermine en fin de compte l'état de santé de notre population.
Les facteurs déterminant la santé de la population influent à mon avis sur les réseaux de la santé avant même qu'ils soient créés. C'est entre autres ce qui doit permettre aux gens d'être en santé, de le rester, et c'est ce qui me préoccupe avant tout.
Le sénateur Keon: Et pour ce qui est de la prévention secondaire?
Le Dr Tamblyn: Pour la prévention secondaire, c'est la même chose - parlez-vous d'une détection précoce des maladies ou de la prévention secondaire des complications?
Le sénateur Keon: Non, je veux dire une fois que la première attaque a eu lieu, une fois qu'une personne âgée de 31 ans a subi une attaque cardiaque et qu'elle est prise en charge par un bon programme de prévention secondaire.
Le Dr Tamblyn: Effectivement.
Le sénateur Keon: Quel est le rapport avec la santé de la population?
Le Dr Tamblyn: Disons que la prévention secondaire, dans une large mesure, relève du réseau des soins de santé. Il faut faire des démarches qui s'inscrivent dans le cadre du réseau de la santé. Pour certaines maladies, la prévention secondaire est très efficace et, bien souvent, on n'y a pas assez recours. Ainsi, pour les attaques cérébrales, c'est la première attaque qui est le grand indicateur de la deuxième. Le principal indicateur d'une deuxième attaque cardiaque, c'est le fait qu'il y en ait une première. C'est le premier accident qui est le grand indicateur du deuxième. Il est donc important dans ces cas-là de pouvoir compter sur des mesures efficaces de prévention secondaire. Lorsqu'elles existent sans être utilisées, alors que chaque cas va coûter quelque 20 000 $, c'est dommage.
On a tendance, ce sont les mentalités au sein du réseau de la santé, à s'inquiéter du présent, des urgences en cours, et non pas du lendemain.
Le sénateur Keon: L'étude ICONS porte sur le réseau de soins de santé, sur les 25 p. 100 de cas qui, à mon avis, ont une influence déterminante sur la santé de la population.
Le Dr Montague: Oui.
Le sénateur Keon: Lorsqu'on mesure la santé de la population, on devient distrait et on n'examine pas les interventions effectuées au sein même du réseau de la santé.
Ce que je veux en fait vous demander, c'est si vous vous êtes penché sur la santé de la population dans la zone géographique concernée par cette étude et si vous avez relevé une influence sur la santé de la population.
Le Dr Montague: Je remercie le sénateur Keon.
Je n'ai pas de réponse définitive en ce qui a trait à la longévité sur une longue période en Nouvelle-Écosse; il n'y a pas suffisamment longtemps que nous menons cette étude. J'ai toutefois tendance à définir la santé de la population à l'aide de critères concrets.
Il ressort de certaines populations, c'est évidemment le cas en Alberta, que le montant des crédits consacrés par habitant à la santé entre 1975 et 1995 a fait progresser des indices de santé de la population bien établis tels que la longévité dans cette province. Il y a des gens qui nous disent que l'argent que nous consacrons à la santé est dépensé en pure perte, mais nous avons cependant la preuve du contraire, même au sein du projet ICONS, qui a désormais plus de cinq ans d'âge. On constate une augmentation d'une année sur l'autre du recours aux thérapies qui ont fait leur preuve ainsi qu'une augmentation ou une diminution de la morbidité et de la mortalité aux points de mesure des attaques cardiaques et des insuffisances circulatoires aiguës.
Il y a donc un certain intérêt à partir du moment où on définit la santé de la population en fonction des OSSI intégrées à l'échelle de la province, si vous voulez. Si vous considérez des maladies très lourdes comme l'arthrite ou les maladies cardio-vasculaires, où l'on enregistre rapidement des résultats à différents niveaux de traitement, je pense que vous serez en mesure de constater les effets de votre intervention au niveau de la prévention secondaire dans un très court délai.
Prenons une maladie comme l'ostéoporose - qui touche les femmes âgées, traditionnellement délaissée et sous-traitée par notre réseau de la santé, quelle que soit leur maladie. Dans une maladie comme l'ostéoporose, qui prend beaucoup de temps à se manifester sous ses effets cliniques ultimes, en dépit du fait que le risque existe depuis longtemps, il ne sera pas peut-être pas si facile de voir les résultats des investissements effectués. Il est certain que lorsque nous présentons dans tout le pays des programmes comme ICONS sous ses différentes formes, l'une des critiques que l'on nous fait, c'est que nous n'avons pas de service de prévention primaire. Nous ne pouvons pas faire tout en même temps. Nous ne nous contentons pas d'aller au plus pressé car je pense, sénateur, comme vous l'avez fait justement remarquer, que dans les maladies cardio-vasculaires il faut justement parer au plus pressé car c'est là la source principale des décès; c'est un objectif tout à fait légitime.
Avec le temps, nous en viendrons à tout ce que le Dr Tamblyn a évoqué et dont il nous a bien fait comprendre l'importance. Je sais que tous ces facteurs contribuent à faire augmenter le risque global, mais nous rentabilisons davantage notre action en nous attaquant aux maladies lourdes qui continuent, malheureusement, à frapper beaucoup de gens. C'est donc ce que nous avons choisi de faire, et cela dans le cadre de partenariats.
Pour résumer, ma conception de la santé publique représente sans conteste un tout qui fait appel à des projets comme ICONS avec une dimension communautaire et la participation de toute une province avec l'ensemble des malades pour faire pièce à la maladie. Nous pourrons peut-être exercer une influence en mettant sur pied la prévention secondaire.
Le sénateur Morin: J'ai un commentaire à faire et deux questions à poser. Monsieur le président, il est important de savoir que le Dr Montague est le plus grand spécialiste au Canada des programmes de gestion des maladies. Je sais à quel point il s'intéresse à la question, que je considère très importante. Il est bien dommage que le Dr Montague n'ait eu que six minutes pour exposer cette question essentielle.
Je propose que l'on invite le Dr Montague à nous exposer précisément cette question. Je comprends votre action - je connais bien vos travaux - mais je pense qu'il est important pour nous d'avoir une idée de ce qu'est la gestion des maladies. Je sais que ce n'est pas ainsi que vous appelez la chose, mais parlons pour l'instant de programme de gestion des maladies.
Le Dr Montague: C'est ainsi que nous appelons la chose, sénateur, parce que c'est ainsi que tout le monde l'appelle.
Le sénateur Morin: Dans le cas du diabète, de l'arthrite, et cetera, il y a des problèmes de sous-utilisation et de surutilisation des médicaments, et je pense que ça pourrait nous aider. Nous pourrions peut-être réinviter à un moment donné le Dr Montague, monsieur le président, qui a consacré la plus grande partie de sa vie professionnelle à traiter de ces problèmes, à s'occuper précisément de ça.
Le président: Nous n'y manquerons pas.
Le sénateur Morin: Docteur Tamblyn, j'ai été très intéressé par votre étude. Je me souviens très bien de la mise en place du programme de soins pharmaceutiques au Québec. Ce fut un véritable désastre. On a fait beaucoup de publicité négative au sujet de ce programme. Le gouvernement changeait constamment les taux de remboursement des usagers, il y a eu des problèmes d'informatique, les ordinateurs étaient constamment en panne et les pharmaciens ne voulaient pas rédiger les prescriptions. Je me souviens d'avoir demandé à Merck de m'envoyer toutes sortes d'échantillons pour les donner à mes malades. Ce programme a été une véritable catastrophe sur le plan administratif.
Je suis étonné que l'on n'ait pas poursuivi le gouvernement à ce titre. Certains de mes malades ont arrêté de prendre leurs médicaments. Ils avaient l'impression qu'il ne leur était plus permis de le faire. Votre étude nous révèle que ce sont les malades mentaux qui ont été les plus touchés; bien entendu, ce sont les plus fragiles dans une telle situation.
Il est indéniable qu'il y a eu des effets pernicieux; je les ai vus.
Je ne suis pas sûr, toutefois, que ce sont les frais payés par les usagers qui en étaient la cause; je pense que c'était davantage l'effet d'une terrible désorganisation qui a duré pendant des mois. C'était une véritable gabegie.
Je pense que vous devriez répéter votre étude en reprenant aujourd'hui le même groupe de personnes. Je ne me souviens pas du montant, 4 ou 5 $ par mois, mais je suis sûr que ces personnes prennent à nouveau leurs médicaments.
Je vous déconseille d'appliquer cette étude des frais payés par les usagers à l'ensemble du réseau de la santé ou à tous les pays du monde. Je ne préconise pas la mise en place de frais payés par les usagers, mais il faut bien reconnaître que tous les pays du monde y ont recours aujourd'hui. Au Canada, la plupart des régimes d'assurance privés font payer des frais aux usagers. Par conséquent, je demande que l'on soit très prudent.
Ce n'était là qu'un commentaire, pas une question.
Je vais maintenant m'adresser à M. Skilton.
Le Dr Tamblyn: Je suis d'accord pour dire qu'il est important de ne jamais considérer qu'une seule étude, comme vous venez de l'indiquer. Le problème, cependant, c'est que toutes les études qui ont été faites sur le sujet arrivent à la même conclusion. Il est possible que la mise en place des frais payés par les usagers bouleverse systématiquement les habitudes des consommateurs, mais les fondements et la raison d'être de ces frais n'est pour l'essentiel pas corroboré par les faits.
Quelles sont les preuves qui nous montrent, par exemple, que les malades mentaux utilisaient mal leurs médicaments?
Le sénateur Morin: Non, vous ne m'avez pas compris. Ils ne les prenaient pas parce qu'ils sont plus fragiles, vous me comprenez? Lorsque ce programme a été mis en place et qu'il en est résulté un chaos administratif, pour toutes sortes de raisons les gens n'ont pas pris leurs médicaments. Je parlais simplement des pharmaciens - quoi qu'il en soit, je ne voulais pas me lancer ici dans une polémique.
Monsieur Skilton, parlez-moi un peu des prix de référence.
M. Skilton: Les prix de référence partent essentiellement de l'hypothèse que toutes les molécules chimiques d'une catégorie donnée sont les mêmes. Cela dépend aussi, cependant, d'une différence de prix, et je dirais d'une différence de prix significative entre ces molécules de la même catégorie. Sinon, c'est un mécanisme de contrôle des prix ou d'une façon d'économiser. Sans une différence de prix significative, nous n'y gagnerons absolument rien.
Lorsque vous considérez le prix de différentes molécules - prenons l'exemple des statines. Il y a six, sept ou huit statines différentes pour traiter le cholestérol. La différence de prix de ces molécules est de plus ou moins cinq pour cent, à une exception près, cette exception étant - je ne révélerai pas le nom du produit, mais il y a un produit sur le marché qui coûte près de deux fois moins cher. On peut se demander pourquoi nous n'établissons pas le prix de référence en fonction de ce produit. Eh bien, il faut voir que ce produit est aussi deux fois moins efficace sur le plan clinique. Par conséquent, la dynamique du marché produit ses effets dans ce genre de système.
Nous savons que si nous nous présentons sur le marché avec un produit deux fois moins efficace que les autres, il est impossible de le vendre au même prix et de s'attendre à ce que le marché entérine la chose. Les forces du marché donnent donc des résultats, à mon avis.
Il est important par ailleurs de réfléchir sur deux autres points.
Tout d'abord, je suis convaincu que le partenariat a son importance. Je pense que nous avons tous des intérêts bien précis. Je considère par ailleurs que nous sommes tous en faveur de soins de santé de qualité à long terme. Le défi est d'y parvenir. Les prix de référence nous forcent la main - les intérêts d'une partie prenante forcent la main de beaucoup d'autres.
On a essayé d'imposer des prix de référence en Norvège. Finalement, les malades étaient mécontents parce qu'il leur fallait payer davantage et les médecins se plaignaient de devoir passer plus de temps dans leur bureau à consulter les prix qu'à dispenser des soins. Il y a eu une grande insatisfaction chez toutes les parties prenantes.
La gestion de la santé des malades fait appel à différents partenaires, qui se penchent sur les réalités et qui examinent la rentabilité. Collectivement, ils mettent en place un régime qu'ils peuvent évaluer et qui est établi en fonction d'un but commun. Ça donne des résultats parce que toutes les parties prenantes s'efforcent d'atteindre un but commun.
Le président: Docteur Tamblyn, le Québec est la seule province ayant un régime d'assurance-médicaments universel. Est-ce que dans ce cadre d'autres études ont été effectuées au sujet du régime - par exemple, qui en a profité, qui a été lésé - à l'exception des personnes que vous avez mentionnées dans vos brochures? Vous nous avez aussi remis un article du Journal of the American Medical Association.
S'il y a d'autres études, pourriez-vous nous les signaler?
Le Dr Tamblyn: On consacre beaucoup d'argent aux régimes de soins pharmaceutiques - il y a des politiques dans tout le pays permettant d'exclure ou d'inclure certaines formules, de partager le coût des différentes composantes - mais l'on a très peu de renseignements concernant les mécanismes.
Le président: Est-ce que selon vous le mécanisme d'évaluation des politiques...
Le Dr Tamblyn: Ce que je dis, c'est qu'il est presque inexistant. C'est affolant. C'est un terrain à défricher.
Le président: Voilà pourquoi, en dépit du fait que la Saskatchewan, la Colombie-Britannique et le Québec ont des programmes - les provinces des Maritimes n'en ont pas. Je suppose que plus de 1 milliard de dollars de fonds publics sont dépensés au titre de ces programmes, n'est-ce pas?
Le Dr Tamblyn: Je parlais hier aux représentants de l'Ontario, et ils m'ont dit que la province dépensait 2 milliards de dollars par an au titre de son programme.
Le président: Je suis surpris et déçu par le manque d'information sur la gestion dans le secteur de la santé, un secteur qui fait tellement appel à l'information. À une certaine époque, je pouvais demander au président d'un hôpital: «Combien coûte la mise en place d'une hanche artificielle?» Aujourd'hui, personne n'en a la moindre idée.
Si le responsable de toute autre entreprise pratiquait ce genre de gestion, il courrait au devant des ennuis.
Le Dr Montague: Je pense que le Dr Tamblyn a raison de dire que l'on sait très mal sur quelle réalité se fondent les politiques de gestion des soins de santé dans notre pays. On pourrait en faire bien davantage. Nous avons beaucoup de statistiques dans notre réseau de la santé, mais très peu d'information.
Il est très difficile de revenir sur une politique; la mise en place est bien plus facile. Par conséquent, nous devrions tirer parti des projets de recherche, comme celui que nous venons d'évoquer, qui constate que certaines politiques ont des effets pervers. Il est important que les décideurs pensent à ce genre de chose. À long terme, il est important de disposer des données pertinentes avant qu'une politique soit mise en place.
Tout cela étant dit, il est évident que le Canada ne diffère pas des autres pays. Tous les autres pays ont les mêmes problèmes. C'est ce dont s'est plaint le ministre Boudreault au moment où nous avons mis en place le projet ICONS - les responsables voulaient gérer en fonction des résultats, mais ils étaient forcés de le faire en fonction des coûts parce qu'ils ne disposaient pas des résultats. Toutefois, l'une des retombées positives d'un programme de gestion des maladies axé sur des critères de mesure, c'est qu'il a commencé à combler le manque d'information; il ne s'agit pas simplement de recueillir des statistiques sans signification.
Le président: Effectivement.
Par conséquent, docteur Tamblyn, il faut continuer à mettre en oeuvre des projets de ce type, parce qu'à un moment donné le réseau disposera de suffisamment d'information.
Le sénateur Robertson: Monsieur Skilton, nous entendons parler depuis un certain temps de la longue procédure qu'il faut suivre avant de pouvoir commercialiser un nouveau médicament. Quelle est la longueur de la procédure imposée par notre ministère de la Santé comparativement à ce qui se fait dans d'autres pays?
M. Skilton: Dans votre documentation, vous verrez que l'on fait état d'une étude effectuée par le Dr Rossen, qui a étudié la procédure d'autorisation au Canada, en Australie, en Suède et aux États-Unis. Il s'est penché sur la procédure d'examen de 87 molécules que l'on retrouve dans tous ces pays. Il a constaté que la durée de la procédure était à peu près la même au Canada et en Australie, et que dans ces deux cas elle était nettement plus longue qu'en Suède ou qu'aux États-Unis. Il a procédé à une analyse sectorielle des médicaments prioritaires, constatant que le Canada et que l'Australie mettaient nettement plus longtemps que la Suède ou les États-Unis à autoriser ces produits et faire en sorte que les malades puissent en disposer.
Je vais vous donner un exemple. Il est triste et révélateur en même temps. Nous avons découvert ici même au Canada un médicament contre l'asthme, dont le nom est Singulair; le Canada a toutefois été le 29e pays à l'autoriser. C'est aberrant.
Le sénateur Morin: C'était une découverte canadienne?
M. Skilton: C'était une découverte canadienne.
Le sénateur Robertson: Si l'un d'entre vous peut nous recommander un moyen d'améliorer cette procédure, nous serions heureux de l'entendre. Je sais que la question est évoquée depuis des années, mais les plaintes reviennent toujours sur le tapis. Il doit certainement y avoir une meilleure procédure. Si l'un d'entre vous, éventuellement avec l'aide de vos collègues de l'industrie, réussit à concevoir une meilleure façon de procéder, ça pourrait être intéressant.
M. Skilton: Laissez-moi répondre à cette question. On a procédé, dans le cadre du PPT, à plusieurs évaluations internes au cours des 10 dernières années. Je crois qu'il est temps que l'on procède à un réexamen public de cette organisation. Je sais que bien d'autres pays se sont engagés dans une autre voie, et il serait peut-être temps qu'on le fasse.
Le sénateur Yves Morin (président intérimaire) occupe le fauteuil.
Le président intérimaire: Je tiens à remercier tous les témoins d'être venus aujourd'hui. Nous avons apprécié leur contribution.
[Français]
Sénateurs, notre prochain témoin est le directeur général de l'Association québécoise de défense des droits des personnes retraitées et préretraitées. Monsieur Smereka, la parole est à vous.
M. Myroslaw Smereka, directeur général, Association québécoise de défense des droits des personnes retraitées et préretraitées: L'Association québécoise de défense des droits des personnes retraitées et préretraitées remercie le Comité sénatorial de l'opportunité de s'exprimer et de faire valoir ses arguments et recommandations.
L'Association a été créée en 1979 et elle compte maintenant 40 sections à travers toute la province de Québec, dont justement la mission est de défendre les droits économiques, culturels et sociaux de l'ensemble des personnes retraitées et préretraitées.
Les principales revendications de AQDR sont un revenu adéquat au-dessus du seuil de pauvreté, un logement convenable à prix abordable, des services et soins à domicile pour maintenir l'autonomie, l'égalité en droit et en faits des femmes et des hommes, et l'accessibilité universelle et gratuite des services de santé et des services sociaux.
Les trois points qu'on voudrait soulever dépassent la problématique stricte de dire qu'on témoigne pour défendre les intérêts des aînés ou un certain corporatif. On veut s'adresser à la logique même de ce qu'est le mandat du Comité.
Le premier point, c'est le concept de patient comparé au concept de consommateur de soins de santé.
Le deuxième, c'est la question du rôle que l'entreprise privée à but lucratif de soins de santé doit jouer comparé au rôle de l'entreprise privée à but non lucratif.
Et troisièmement, la question des soins de santé assurés par la Loi canadienne sur la santé comparée aux soins de santé pouvant être assurés par la Loi, à mesure que les soins sont de plus en plus prodigués en dehors des hôpitaux, c'est-à-dire dans la communauté et à domicile.
Et en terminant, on fera un bref commentaire sur la promotion de la santé et de la prévention auprès des aînés, plus spécifiquement en ce qui a trait aux intérêts des aînés.
Le premier point: D'entrée de jeu, nous sommes d'accord avec le docteur Noralou Roos, professeure du Département des sciences de la santé communautaire de l'Université du Manitoba, lorsqu'elle a témoigné devant ce Comité sénatorial à Winnipeg, à la mi-octobre dernier. On cite le Winnipeg Free Press du 16 octobre:
[Traduction]
Le rapport (du Sénat) s'inscrit dans le débat idéologique qui veut que le secteur privé soit le sauveur du secteur public, qui est en faillite. Votre conception des relations entre le secteur privé et le secteur public est très biaisée. En somme, vous ne nous remettez pas un rapport factuel, non idéologique.
[Français]
Donc, d'entrée de jeu, nous sommes de la même opinion.
Le président intérimaire: Je peux vous dire qu'on ne fait pas vraiment de rapport, ce sont des options. Alors, vous pouvez ne pas choisir le système privé, c'est parfait. Mais le Comité n'a jamais fait de choix. Je ne pense pas que le docteur Roos ait dit cela elle non plus. Elle est contre le système public, vous l'êtes aussi? C'est votre option, c'est votre choix.
M. Smereka: Lorsqu'on abordera le deuxième point, on va préciser. Privé, c'est privé à but lucratif contre privé à non but lucratif.
Le président intérimaire: D'accord.
M. Smereka: Donc, pas nécessairement contre le privé.
Le président intérimaire: Non, je comprends très bien ce que vous dites.
M. Smereka: Abordons la question du patient comparée à la question de consommateur de soins de santé.
Selon une perspective économique, l'obtention de soins de santé est une série de transactions dans lesquelles un consommateur souvent, connu comme un patient, demande des services à un fournisseur qui, à son tour, est payé par quelqu'un pour les services qu'il fournit.
Pour illustrer la différence conceptuelle entre un patient et un consommateur de soins de santé, nous comparerons deux scénarios de choix: d'un côté un consommateur d'un bien ordinaire contre deux scénarios de choix d'un consommateur de services de soins de santé.
Premier exemple: Le scénario face à un bien ordinaire. Vous appelez un taxi et demandez à un chauffeur de vous amener à une destination à l'autre bout de la ville. Vous n'avez pas assez d'argent pour payer les frais de voyage. Devez-vous tout de même être transporté?
Prenons maintenant le scénario en soins de santé. Vous arrivez à la salle d'urgence d'un hôpital avec un appendice perforé. Vous n'avez pas assez d'argent pour la chirurgie. Devriez-vous tout de même être traité?
Deuxième ensemble de scénarios: Vous avez gagné un voyage toutes dépenses payées à une destination de votre choix avec une seule condition : que le voyage doit être effectué dans les douze prochains mois. Acceptez-vous?
Soins de santé : Vous avez gagné une chirurgie à coeur ouvert dans l'hôpital de votre choix avec une seule condition : la chirurgie doit être effectuée dans les douze prochains mois. Acceptez-vous?
Nous voyons par cette comparaison que les services de soins de santé ne sont pas un bien ordinaire mais plutôt un «bien mérite». En anglais on parle de «merit good» dont l'allocation est fondée sur le besoin et le mérite.
Or, les modèles de marché ne sont pas conçus pour l'affectation de ressources sur la base de besoins, mais sur la base de demandes, c'est-à-dire sur ce que je veux, supporté par un pouvoir d'achat.
Je peux vous dire ce que je veux, mais notre société permet aux professionnels de la santé de déterminer ce dont j'ai besoin. Les consommateurs achètent ce qu'ils veulent, demandent, et peuvent payer. Les patients reçoivent ce dont ils ont besoin. Et ce, d'autant plus que notre société considère comme manquement à l'éthique l'action de fournir des services dont on n'a pas besoin.
En fait, l'enjeu de trouver des ressources pour payer pour quelque chose dont on a besoin est fondamentalement différent de payer pour des choses que nous voulons ou demandons.
Deuxième point: La question du rôle que l'entreprise privée à but lucratif de soins de santé doit jouer contre le rôle de l'entreprise privée à but non lucratif.
Comme l'explique Mme Raisa B. Deber du Département d'administration de la santé de l'Université de Toronto, dans un de ses articles, les systèmes de soins de santé ont trois dimensions: le financement, la prestation et l'affectation. Le financement comprend les méthodes par lesquelles l'argent est obtenu de tous les consommateurs, y inclus les consommateurs potentiels de soins de santé.
La prestation comprend la façon dont ces services de soins de santé sont organisés et livrés. Et l'affectation comprend la variété de façons dont le financement et la prestation sont liés, par exemple, la façon dont on choisit de payer les fournisseurs.
Plusieurs modèles de mouvements de fonds entre le patient et le fournisseur de soins de santé existent. Ce qui distingue ces méthodes ou ces modèles, c'est le nombre d'intervenants.
Et vous avez, en annexe, trois exemples de mouvements de fonds à deux directions quand on achète directement comme on le faisait avant dans notre système d'assurance santé. Ensuite, le tableau 2 démontre notre système d'assurance santé, et encore plus complexe, des organismes régionaux ou privés, donc à quatre directions. Ces tableaux illustrent donc cela.
Or, ce système, le dernier modèle, le quatrième, ouvre justement la porte à l'entrée en scène des entreprises privées à but lucratif. L'organisation fournisseur prend la responsabilité de s'assurer de la prestation de panier de services préétablis à une liste de patients prédéfinis.
Or, le système de soins de santé du Canada est principalement financé par l'État et les services sont fournis par le secteur privé. Mais ce secteur privé est à but non lucratif, car plus de 95 p. 100 des hôpitaux canadiens sont administrés par des entités à but non lucratif dirigées par des conseils communautaires d'administration, des organismes bénévoles ou des municipalités.
Le choix est donc au niveau de l'affectation des argents publics, soit vers des profits des entreprises privées à but lucratif ou vers les salaires et bénéfices des travailleurs dans des entreprises privées à but non lucratif.
En fait, on confond le financement et la prestation de services de soins de santé. Le système canadien n'est pas fourni par l'État, mais financé par l'État.
Troisième point: La question des soins assurés actuellement contre ceux qui pourraient l'être.
Une brochure de Santé Canada qui s'appelle: «Le système de soins de santé au Canada», est claire sur la problématique de fond. Les débats se détournent du système de soins de santé pour porter sur la santé, sur un concept qui implique que la santé va au-delà des soins de santé. La nouvelle orientation générale que prennent les provinces est la suite de ce virage. Elle se concentre maintenant sur une perception de la santé plus globale et intégrée et non uniquement sur les soins de santé.
Autrement dit, les gouvernements ont répondu à la nécessité d'adapter le système de santé aux réalités d'aujourd'hui, en adoptant notamment un cadre des déterminants de la santé qui reconnaît que même si les soins de santé contribuent grandement à la santé, il faut les considérer comme un seul élément d'un ensemble beaucoup plus vaste de déterminants de la santé.
Selon la citation de la brochure de Santé Canada, on a changé l'orientation du système de soins de santé, celui-ci reposant moins sur des modèles de prestations de soins en établissement, c'est-à-dire par les médecins et dans les hôpitaux, et plus sur des modèles communautaires et intégrés s'attardant davantage à la promotion de la santé et à la prévention.
La question est donc: veut-on étendre ce que couvre la Loi sur la santé canadienne et ses cinq principes? Le régime assure tous les services médicalement nécessaires fournis par les hôpitaux et les médecins.
Veut-on, comme société, l'étendre aux soins prodigués dans la communauté ou à domicile? Ou veut-on que «près du foyer» soit synonyme de payer de sa poche? L'AQDR préconise le premier choix.
En terminant, on peut dire que c'est bien beau de favoriser verbalement la promotion de la santé et de la prévention, comme les gouvernements semblent le faire, mais il faut que les ressources financières suivent.
Les sommes investies ne devraient pas être dédiées aux projets pilotes sans lendemain. Les domaines d'intérêt marqué pour les aînés sont: le diabète, l'obésité, la malnutrition et la violence faite aux aînés. L'AQDR recommande au gouvernement fédéral d'étendre l'application de la Loi de la santé canadienne à ces trois problèmes.
Le président intérimaire: Je vous remercie, monsieur Smereka. Madame Gagnon ou Madame Richer, auriez-vous des commentaires supplémentaires à apporter à ce document?
Mme Anne Gagnon, conseillère en santé, Association québécoise de défense des droits des personnes retraitées et préretraitées: Oui. J'aurais quelques réflexions.
Le président intérimaire: J'aimerais mieux que vous n'en fassiez pas la lecture. Si vous pouvez les donner de vive voix, ensuite, on aura le temps de vous poser des questions.
Mme Gagnon: D'accord. En m'amusant, je parlais de «génération spontanée». C'est-à-dire que le jour où j'ai eu 65 ans, je ne me suis pas réveillée en disant: est-ce que je suis riche et en santé ou pauvre et malade? C'est la caricature du système de santé quand on devient aîné.
Et comme arrière-grand-mère, il n'y a pas de division dans la santé. Si on regarde les déterminants de la santé, en essayant de décortiquer la naissance, la petite enfance, l'adolescence, et cetera, quand on parle santé, il faut que cela aille de l'utérus à la tombe; c'est aussi simple que cela, autrement on n'a pas d'aînés en santé. C'est une réflexion tout simplement.
Le président intérimaire: Merci beaucoup. Et vous,madame Richer, avez-vous des commentaires à apporter?
Mme Yollande Richer, vice-présidente, Association québécoise de défense des droits des personnes retraitées et préretraitées: Si on regarde les trois points au niveau de la privatisation, entre autres, nous savons qu'en Angleterre, on est obligé, dans leur système, d'investir un 32 p. 100 additionnel, parce que la privatisation ne fonctionne pas du tout.
Aux États-Unis, on sait qu'ils ont le système le plus coûteux au monde. Et les HMO, au niveau des soins à la population, on sait qu'il y a des personnes qui ne rentrent même pas à l'hôpital, qui sont sur la liste noire si on veut.
Alors, au Canada, on se demande réellement quel modèle on veut prendre. Parce que, finalement, la privatisation est presque rendue à 50 p. 100, de toute manière.
Le président intérimaire: Alors, vous êtes en faveur du maintien du système. Mais j'aimerais vous entendre un peu plus relativement aux problèmes des personnes aînées.
Je vois que vous identifiez les problèmes des personnes âgées: le diabète, l'obésité, la violence faite aux aînés. Avez-vous des recommandations que vous aimeriez faire au Comité pour solutionner le problème de la violence faite aux personnes âgées?
Mme Gagnon: Oui. Mes recommandations font suite, d'abord, à une constatation. Depuis dix ans, on a des CLSC. Vous connaissez la formule des CLSC qui se penchent de façon spécifique sur les problèmes de violence faite aux aînés.
Les recherches sont là. Les documents sont là. La Loi existe aussi. La question qu'on pose, c'est : quand est-ce qu'il va y avoir un arrimage entre ce qu'on connaît, ce qui est la violence faite aux aînés et les lois qui existent? Comment va-t-on venir à bout de faire respecter ces lois? Comment va-t-on supporter les aînés qui ne savent plus comment faire état de la violence verbale ou morale qui leur est faite? Ce sont des questions qui nous dérangent.
Le président intérimaire: Vous avez raison, il s'agit d'un problème très important.
Le sénateur Maheu: Je suis entièrement d'accord. J'ai déjà assisté à des conférences, il y a plusieurs années, sur la venue des aînés en Arizona, ma ville à l'époque, et cela me surprend toujours que souvent, les gens élus, au service du public, ne réalisent pas l'impact mental, financier et médical de ce qui arrive suite à l'abus de nos aînés.
Je voudrais aborder le sujet de l'abus des médicaments chez les personnes âgées. Quand j'étais députée, j'avais vingt-sept clubs d'âge d'or dans mon comté. J'ai donc beaucoup entendu parler du problème. Il y a souvent des médecins avant-gardistes qui préfèrent traiter les aînés avec des médicaments au lieu de les faire séjourner à l'hôpital et souvent, ils les laissent sortir trop tôt.
Est-ce que vous avez une opinion là-dessus? Est-ce que, d'après l'AQDR, il y a énormément de problèmes à ce niveau-là?
Mme Richer: Oui. Je pense que quand on dit que les compagnies pharmaceutiques font plus de profits que les banques, il y a de quoi se questionner. De même, on nous dit qu'on met 939 nouveaux médicaments sur le marché chaque année, dont 61 seulement sont valables.
Nous savons que les aînés sont beaucoup influencés par la publicité et nous connaissons le lobbying des compagnies pharmaceutiques. Je crois que c'est un énorme problème et, à l'AQDR, depuis la mise sur pied de l'assurance-médicaments au Québec, c'est un des dossiers que nous défendons.
Je pense qu'il va falloir que le gouvernement canadien mette en place des critères pour les compagnies et les cartels; on voit de tout dans ce domaine. Et je pense qu'il va falloir qu'il y ait des contrôles pour que les aînés ne soient pas considérés comme de la marchandise. Et il y a de la fausse publicité. Les aînés sont réellement exploités de ce côté-là.
Le sénateur Maheu: Il faudrait peut-être faire du lobbying vous-même auprès du gouvernement canadien, madame.
Mme Richer: Nous en avons déjà fait au moment de laloi C-91, au niveau des brevets. Nous sommes allés à Ottawa. Nous avons témoigné devant les comités et nous avons défendu une liste des médicaments génériques. Souvent, ni les médecins ni les pharmaciens vont aviser les aînés qu'ils ont droit à un médicament générique, par exemple, et même que ce médicament existe. Il y a beaucoup de travail à faire de ce côté-là.
Le sénateur Maheu: Il ne faudrait peut-être pas oublier non plus que si les médicaments génériques existent, c'est parce que la recherche, le développement et l'investissement des compagnies pharmaceutiques ont été faits au préalable.
Mme Richer: Oui. Sur ce, je vais vous répondre que souvent cette recherche, nous la payons encore. Les compagnies pharmaceutiques font beaucoup de recherche à l'intérieur des universités. Alors, ce sont nos sous qui sont dépensés. Et je pense que là aussi, il y a de l'abus. Souvent on nous dit que cela coûte cher, mais la population n'est souvent pas consciente des coûts.
Si on regarde nos voisins du Sud, on voit qu'ils dépensent des sommes énormes pour la publicité. Cela n'a pas de sens: ils dépensent des milliards de dollars. Et je pense qu'au Canada il y a une tendance à faire la même chose.
Souvent, au Québec, on nous dit que c'est la faute des femmes âgées, parce que, malheureusement, les hommes meurent avant les femmes.
Le président intérimaire: Je suis sûr que c'est le sénateur Pépin qui va prendre la défense des hommes.
Le sénateur Pépin: Le groupe du troisième âge est celui qui grossit le plus. En fait, on devra prendre en considération les besoins et l'accès. Ensuite, il y aura non seulement l'accès aux soins, aux visites de médecin, mais il faudra aussi vérifier l'accès aux traitements.
Le groupe d'âge des 65 ans et plus est très nombreux. Il faut en prendre considération. Vous parlez des médicaments. Hier,MM. Castonguay et Forget nous parlaient des médicaments et comment on doit prescrire les médicaments, la mode de prescrire les médicaments et le bon usage des médicaments. Ils disaient que c'était un problème actuel sur lequel on doit se pencher.
Vous avez mentionné l'égalité en droit et en faits des hommes âgés et des femmes âgées. Est-ce que cela veut dire que vous avez des problèmes différents au niveau de l'accès aux soins de santé? Qu'est-ce que c'est que cela veut dire? Je regarde, à la page 2 de votre mémoire, les principales revendications de votre association.
Mme Gagnon: J'aimerais répondre, madame le sénateur. J'aime beaucoup votre question. Il y a une vingtaine d'années, le Conseil national du bien-être social avait publié un rapport qui s'intitulait «La femme et la pauvreté, vingt ans après.» Ce rapport avait choqué et indigné certains journalistes qui disaient: ce n'est pas possible que ce soit au Québec que les femmes sont les plus pauvres; ce doit être à Terre-Neuve, c'est toujours à Terre-Neuve.
On avait dit: si les chiffres vous dérangent, c'est dommage, mais la pauvreté est pire chez les aînés, même chez les femmes aînées au Québec. Il y a une vingtaine d'année, on avait autre publication, et je regrette de ne pas l'avoir gardée. C'était: «Montréal, deux réalités dans une».
On disait que Montréal était divisé en deux à la rue Papineau. À l'est de la rue Papineau, le gens vivaient, croyez-le ou pas, dix ans de moins qu'à l'ouest de la rue Papineau. Alors, c'était deux réalités dans une. Cette étude démontrait une lacune. L'Année internationale de la femme avait fait prendre conscience qu'on faisait face à un problème sérieux.
Quand on parle des gens à la retraite ou des gens âgés de plus de 60 ans, il faut parler de prévention. Je reviens sur le mot «prévention», parce qu'on ne peut pas parler santé sans penser prévention.Une autre chose, c'est qu'on ne peut pas parler de santé si on ne parle pas de pauvreté. Qu'est-ce qu'on fait pour contrer la pauvreté pour avoir des enfants en santé, qui seront plus tard des aînés en santé? Il me semble qu'on ne peut pas avoir l'un sans l'autre.
Le sénateur Pépin: Je suis tout à fait d'accord pour ce qui est de la prévention. D'ailleurs, nous en parlons dans notre rapport. Un témoin nous a dit que la prévention, c'était très bien, mais qu'il fallait aussi donner les traitements. Le but de notre étude est de déterminer ce qui doit être fait pour offrir des traitements et les rendre accessibles à tout le monde.
En fait, ce qui est ressorti, c'est que les deux points les plus difficiles sont l'accessibilité au médecin et l'attente avant de recevoir les traitements. Mais aussi, on parle des CLSC.
Ce pourrait être un genre d'équipe qui ressemblerait aux CLSC mais qui serait composée de médecins, d'infirmières, de techniciennes en laboratoire, d'ophtalmologistes et d'optométristes.
Mme Gagnon: De diététistes aussi.
Le sénateur Pépin: Et si on arrivait à la conclusion qu'il faut collaborer avec ceux qui ont un peu plus de sous, comment verriez-vous cela? Êtes-vous tout à fait contre une participation monétaire des groupes du troisième âge?
Mme Richer: Nous, les aînés, nous avons payé toute notre vie. Au fédéral, il y avait, en 1970, des milliards de dollars dans une enveloppe protégée pour les aînés, les travailleurs, que l'on a ensuite diluée dans l'administration générale du gouvernement. Cela s'est fait de même au Québec.
Je pense que c'est le gouvernement qui nous doit des sous. Nous, les aînés, nous disons que nous sommes passés à la caisse. Si les «boomers» veulent se payer une assurance additionnelle pour leur retraite, libre à eux. Mais nous, nous disons non.
Puis ce qui est dangereux dans cette nouvelle formule, c'est que le gouvernement veut faire la même chose que l'assurance-médicaments. On disait: cela ne vous coûtera pas cher, juste une petite taxe annuelle de cent quelques dollars. Nous en sommes au double. Après deux ou trois ans, nous en sommes au double.
Alors, on nous dira: cette année ce sera juste un petit cent dollars. Et l'an prochain on va dire: bon, bien, on est en faillite, cela ne fonctionne plus, on va vous redoubler les primes. Alors, c'est la tarification, c'est la privatisation, il faut appeler les choses par leur nom.
Je pense qu'il va falloir qu'une une réflexion soit faite, au niveau social, sur le système de santé que nous voulons avoir. Le système américain ne fonctionne pas. On dit qu'il y a des chirurgies inutiles, on commence a en parler. Il y a des médecins, maintenant, qui commencent à briser le silence et à dire que cela ne fonctionne pas. Il faut trouver des moyens qui fonctionnent.
Ralph Nader est venu nous le dire, Ted Kennedy est venu nous le dire: ne changez pas votre système, vous vous en allez vers la catastrophe.
Le sénateur Pépin: Il y a peut-être une autre solution.
Mme Richer: Nos gouvernements ont les fonds, des milliards de dollars pour les super-hôpitaux qu'ils veulent créer à Montréal. C'est beau la fine pointe de la technologie, mais est-ce que tous les hôpitaux ont besoin d'appareils de résonance magnétique? L'appareillage, c'est bien beau, puis le béton aussi, mais nous, ce que nous voulons, ce sont des soins pour la population, mais on n'en parle jamais.
Le discours public des gouvernements ne touche jamais des soins, sauf une petite phrase ici et là. Mais, il faudrait qu'il y ait un contrôle de l'argent.
Autrefois, il y avait la santé; aujourd'hui, il y a l'éducation, la santé, le bien-être social. Alors, les gouvernements pigent dans la caisse comme ils veulent, de la façon dont ils veulent et puis ils vont boucher les trous là où c'est le plus urgent de la faire. On ne peut pas fonctionner comme cela. C'est incroyable! À l'AQDR, nous disons qu'on ne peut pas fonctionner comme cela.
Le sénateur Pépin: Et il faut une équipe de soins à domicile. Je ne sais pas trop comment on peut appeler cela, mais on parle de soins palliatifs, entre autres, pour les gens qui sont vraiment malades.
Mme Richer: Vous savez que les soins à domicile, présentement, ne coûtent rien au gouvernement. On sort les gens des hôpitaux trop rapidement et ils doivent même retourner à l'hôpital. Il y a encore des femmes qui travaillent pour rien.
Alors, je pense qu'il faudra qu'il y ait une équipe multidisciplinaire, comme vous le mentionniez tantôt. Je pense que c'est dans l'air, présentement, et on veut bien le faire. Mais on a de la difficulté avec les médecins, et ils le disent eux-mêmes: nous ne voulons pas aller en CLSC, nous ne voulons pas aller à l'Urgence et nous ne voulons pas aller à domicile non plus. Alors, il y a un problème.
En Ontario, ils ont des projets-pilotes qui fonctionnent bien. Nous en avons un seul et nous n'avons pas le suivi pour savoir si cela fonctionne ou non. Il y a beaucoup de médecins qui ne veulent réellement pas entrer dans ce jeu-là.
Cela va être très difficile. Tout est écrit, les documents sont là, le plan d'action est là, mais pour le mettre en oeuvre, il y a un problème.
Le sénateur Léger:Merci pour votre présence. Cela ne fait pas longtemps que je suis au Sénat, mais avec ce que j'ai entendu lors des séances jusqu'à présent, les babyboomers sont très inquiets; ils ne savent pas quoi faire. Alors, n'arrêtez pas de chercher et de proposer, parce que c'est vous qui allez trouver la façon de résoudre le problème. Je pense qu'il faut absolument dire que ce n'est pas la fin, que c'est un début. Alors, continuez.
Mme Gagnon: Sénateur Léger, vous parlez des «baby boomers», et Dieu sait qu'on essaie de les intéresser. Ce qui arrive, c'est que nous, les aînés, on s'essouffle. Quand on reçoit ce genre d'invitation, je vous assure qu'on se lève tôt le matin pour préparer notre témoignage et assurer notre présence à ce genre de comité. Nos budgets sont minimes, les bénévoles sont fatigués. Et j'aime beaucoup que vous parliez des «baby boomers». Comment va-t-on aller les chercher?
On essaie de les intégrer et puis présentement, ils prennent leur retraite de plus en plus tôt, et présentement ils n'ont pas encore d'inquiétudes parce qu'ils ont presque tous des fonds de retraite et ils prévoient que leur vieillissement ou leur avenir sera plutôt doré. Mais il va falloir qu'ils comprennent qu'on a besoin d'eux et qu'ils doivent tout de suite commencer à s'initier au bénévolat.
Le sénateur Léger: Maintenant, on a moins d'enfants. Alors qu'est-ce qui va nous arriver? Il faudrait conserver notre énergie pour pouvoir continuer. Et vous avez raison, vous devez parfois être à bout de souffle. Mais, c'est le début.
Le sénateur Pépin: Je veux revenir à ce que j'appelle les soins à domicile. Il y a à peu près trente ou quarante ans, on avait le médecin de famille qui venait nous visiter. On avait aussi l'infirmière qui visitait et qui donnait des vaccins. Et maintenant, avec tout ce qui s'est passé, on sait que les médecins ne font plus de visites à domicile. Et je me dis que l'équipe multidisciplinaire serait peut-être une solution.
Pour ce qui est visites à domicile, comme vous le dites, on fait sortir les personnes gravement malades trop tôt de l'hôpital. On les envoie chez eux et il faut quelqu'un pour s'en occuper. Ce sont souvent les femmes qui quittent leur emploi et qui s'en occupent sans rénumération.
Je pense qu'on ne peut ignorer cela. Il va absolument falloir faire quelque chose pour ces grands malades, qu'il y ait des visites et que des services soient offerts.
Mme Gagnon: Pour répondre à votre question, présentement, nous avons 14 p. 100 de possibilités de services palliatifs pour 14 p. 100 de la population, ce que je trouve aberrant. Je laisse la parole à M. Smeraka
M. Smereka: Je ne sais pas trop comment le dire, mais le gouvernement fédéral est aux prises avec une décision relative au fait que votre système est le résultat d'un processus historique d'intégration des lois précédentes.
Comme nous disons dans notre mémoire, à toutes fins utiles, vous avez gardé cinq principes liés aux soins de santé, selon l'hypothèse que quand les gens sont malades, ils sont soignés dans un hôpital par un médecin.
Par la suite, vous avez étendu cela en disant: bien, le médecin peut être en clinique. Mais, le regard sur la santé a changé. Les déterminants de la santé sont devenus des préoccupations : la pauvreté, l'environnement, le quartier pauvre comparé au quartier riche, la séparation de la rue Papineau, et cetera.
Et cependant, comme gouvernement, vous avez pris une décision, en 1977, de ne plus partager les coûts avec les provinces, mais de faire un transfert fiscal où vous dites: «on vous donne de l'argent et des points d'impôt et vous décidez, les provinces, ce que vous voulez». Et vous avez mis cela dans un transfert canadien. Vous avez intégré les programmes de bien-être, le Canada System Plan et tout cela. Mais vous dites tout de même aux provinces: «faites ce que vous voulez à l'intérieur de cela.»
Donc, en 1977, vous avez pris une décision financière. Depuis, on vous accuse de ne plus donner le partage de 50 p. 100. Mais on oublie qu'en 1977, ce 50 p. 100, vous l'avez converti pour25 p. 100 en crédit, en points d'impôt, et 25 p. 100 en argent.
Il reste que pendant que vous avez essayé de trouver une solution monétaire face à la question des soins de santé, vous n'avez pas adapté la Loi sur la santé canadienne à l'évolution de la réalité des déterminants de la santé. Et c'est pourquoi on pose la question: ne faudrait-il pas examiner la Loi sur la santé Canadienne pour voir comment on peut l'étendre. Étendre quoi au juste? Étendre l'assurabilité ou l'assurance en forçant, par conséquent, le respect des cinq principes, dont l'accessibilité.
Et si vous décidez que les médecins doivent sortir des hôpitaux, vous avez à l'intérieur même de la Loi actuelle la possibilité détendre les soins à domicile. Mais les règlements, vous ne les avez pas votés. On passe une loi mais après, on doit faire des règlements. Les règlements sont là à l'intérieur des soins complémentaires. C'est à vous d'agir quant à la notion d'étendre la loi.
Le sénateur Pépin: Il faut qu'on compose avec les gouvernements provinciaux. Les provinces ont la priorité. On ne peut plus leur dire où injecter les fonds. On ne peut plus faire cela.
M. Smereka: Je dis que la possibilité existe dans la loi. Vous n'avez tout simplement, historiquement, pas agi. Vous n'avez pas donné suite à cette deuxième phase qui est de voter les règlements qui vont de pair avec la loi.
Le sénateur Maheu: Il faudrait vérifier cela.
Le sénateur Pépin: Oui.
Le président intérimaire: Est-ce qu'il y a d'autres questions?
Le sénateur Maheu: Je pourrais parler longtemps sur la situation des aînés, mais je n'ai pas nécessairement de questions.
Le président intérimaire: Alors, il me reste à vous remercier, madame Gagnon, madame Richer et monsieur Smereka. Nous vous remercions. Vos commentaires vont sûrement être étudiés avec attention et s'il y a des questions supplémentaires, nous entrerons en communication avec vous.
La séance est levée.