Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule 61 - Témoignages
cOTTAWA, le jeudi 6 juin 2002
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 11 h 10 pour examiner l'état du système de soins de santé au Canada.
Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Nous recevons ce matin des représentants de l'Association des infirmières et infirmiers auxiliaires du Canada, Mme Kay, et de l'Association des infirmières et infirmiers du Canada, Mme Lemire Rodger et M. Calnan.
Nous sommes ravis de vous accueillir. Je vais demander à Mme Kay de commencer.
Mme Kelly Kay, représentante, Association des infirmières et infirmiers auxiliaires du Canada: Je vous suis très reconnaissante de l'occasion qui m'est donné de comparaître devant le comité.
L'Association des infirmières et infirmiers auxiliaires du Canada est le regroupement national des associations d'infirmières et infirmiers auxiliaires et de membres affiliés de partout au pays. Notre mission est d'influer sur l'évolution du système de soins de santé et de promouvoir l'excellence dans le secteur des soins infirmiers auxiliaires.
Le comité a rappelé que la réforme des soins de santé primaires a été recommandée par la quasi-totalité des rapports publiés dernièrement sur l'état du système de santé. À juste titre, le comité a demandé pourquoi elle tarde tant. Nous avons constaté des obstacles au changement dans quatre domaines précis, qui correspondent à ceux recenser par le comité. Les voici: les intérêts de longue date des divers groupes professionnels, la pénurie de personnel qualifié, l'absence de leadership et de coordination, et l'absence de compréhension d'un modèle de soins de santé primaires.
S'agissant du premier obstacle, les pouvoirs publics ont promis de faire en sorte que les citoyens reçoivent les soins les plus appropriés par les soignants les plus appropriés dans les cadres les plus appropriés. La réforme et le système qui en découlera devront être abordables pour le Canada. Pour optimiser les ressources, il faudra mettre à contribution efficacement la totalité des soignants dans toute l'étendue de leur capacité.
Ceci cadre avec la recommandation du comité concernant la création de filières multidisciplinaires qui font appel à fond aux compétences et aux talents de tout un éventail de professionnels de la santé. Le fait que les IAA rencontrent toujours des obstacles artificiels à l'exercice de leur profession, que les infirmières praticiennes doivent lutter pour être reconnues et rémunérées et que d'autres professionnels, comme les physiothérapeutes, ne bénéficient toujours pas d'un accès direct illustre bien les obstacles que rencontrent encore certains groupes professionnels.
Le lien entre la rémunération et le nombre de malades vus continue de mettre des professionnels dos à dos et ne peut que nuire à la réforme. Tant que la rémunération des soignants ne sera pas revue de fond en comble, une concurrence malsaine continuera de sévir. Demander à des soignants de renoncer volontairement à des clients, d'accepter une diminution de leur rémunération en faveur de soignants qui répondent mieux au besoin du client est souvent trop demander.
En ce qui concerne la pénurie de personnel qualifié, l'absence de planification coordonnée des ressources humaines s'est soldée par un cycle de surabondance et de pénurie de soignants qui a beaucoup nui aux relations publiques de ces groupes. On encourage les élèves des écoles secondaires à faire des projets et à évaluer sérieusement leurs options de carrière. Beaucoup renoncent aux professions de la santé. Il faut une planification à long terme et un financement stable d'année en année pour bien mettre à contribution les soignants que nous avons déjà et assurer la relève. Comme le comité, nous estimons qu'il faut créer une coordination nationale permanente des ressources en soins de santé composée des parties intéressées et des autorités gouvernementales. Cette recommandation se trouve dans votre cinquième rapport.
Vous avez demandé si la réforme peut se faire de façon volontaire. Nous estimons que pour être coordonnée et opportune, celle-ci doit bénéficier du leadership de l'État. En 1999, en Ontario, la Commission de restructuration des services de santé a recommandé une réforme obligatoire. Le gouvernement provincial a choisi une réforme volontaire. Malgré les changements apportés récemment dans le secteur des soins primaires en Ontario, la situation dans cette province reste sensiblement la même trois ans plus tard. Sans la volonté nécessaire — peut-être une volonté politique — la voie de la réforme est parsemée d'embûches et tarde à venir. Le leadership et la coordination sont la clé du succès. À tous les niveaux, les pouvoirs publics ont un rôle déterminant à jouer pour éliminer les obstacles réglementaires et accélérer la réforme de concert avec les parties intéressées.
Je vais maintenant parler des modèles de prestation des soins de santé primaires. À l'évidence, celle-ci variera d'un endroit à l'autre. Chaque ville doit adapter ses services à ses besoins. Chaque modèle de prestation de services doit toutefois reposer sur une solide planification, des éléments structurels universels, un dosage approprié de soignants et une analyse à long terme des coûts et des avantages.
Je prends pour exemple les 27 projets de soins de santé primaires financés par le Health Condition Fund de l'Alberta. Ces projets ont permis de dégager six facteurs de succès: développer une compréhension commune; développer une vision et un objectif communs; obtenir l'adhésion; développer les supports de changement; définir les rôles et responsabilités, et développer un plan d'évaluation.
The Nursing Advisory Council de l'Alberta a décrit les éléments nécessaires à l'adoption d'un modèle de soins primaires. En voici les éléments: des méthodes et technologies pratiques, scientifiques et socialement acceptables; l'accès universel pour les particuliers et les familles de la collectivité; la participation totale de la collectivité à un prix que la localité et le pays peuvent payer; pouvoir compter sur ses propres moyens et prendre soi-même des décisions; que le modèle fasse partie intégrante du système de santé et du développement socio-économique global de la collectivité.
La IIAC appuie la recommandation du comité en faveur d'aide financière fédérale pour les initiatives de réforme qui mènent à la création d'équipes multidisciplinaires de soins de santé primaires. Il faut en parallèle un mécanisme d'évaluation et de reddition de comptes qui garantira l'application de ces principes. Il existe déjà des méthodes comme les «bilans de santé», les normes d'accréditation et autres stratégies qui pourraient être utiles.
De nombreux projets de soins de santé primaires sont à l'essai partout au pays. De nombreux enseignements peuvent être tirés de ces expériences. Une synthèse des faits observés pourrait aider l'État et d'autres désireux de réformer les soins de santé primaires.
Ce sont les besoins de la communauté qui devraient déterminer la combinaison de soignants dans un cabinet; celle-ci doit pouvoir s'adapter en fonction de l'évolution des besoins. Il faut éliminer les obstacles qui empêchent d'avoir accès à différents soignants; en outre, ces cabinets devraient comprendre des soignants capables d'aider les clients à traiter de facteurs plus généraux influant sur la santé, comme le logement, l'instruction ou la justice ou permettant d'y avoir accès.
Les exemples de réforme des soins de santé primaires — notre mémoire en énumère quelques-uns — montrent bien qu'un système comme celui-là peut mobiliser les énergies en faveur de la promotion de la santé et de la prévention de la maladie et susciter la collaboration entre les divers partenaires. La réforme des soins primaires ainsi que l'intégration et la coordination de tous les aspects du système ont de très fortes chances d'améliorer la qualité des soins, de permettre des économies et d'insister comme il se doit sur la prévention de la maladie et la promotion de la santé et du bien-être.
Il devient alors beaucoup moins important de demander combien coûtera la réforme que de demander qu'elle est l'ampleur du gaspillage actuel. Comme les structures locales sont souvent déjà en place, la voie est ouverte à la coordination et à l'intégration.
Les coûts de démarrage élevés sont un obstacle à la réforme. Par exemple, le coût des moyens technologiques nécessaires à l'amélioration des communications entre les réseaux de soignants peut être un obstacle.
Il faut changer les mentalités, et songer aux avantages à long terme de ce qui peut coûter cher au début. Il ne faut pas non plus sous-estimer le coût de la prévention. On a tendance à ne pas attacher assez de prix à la promotion de la santé et à réduire ultérieurement le financement de ces programmes quand l'origine du problème a été oublié.
Pour terminer, il faut faire connaître les nombreux cas de réussite. Il faut informer la population des possibilités qui existent et lui permettre de participer aux activités de promotion de la santé. Cette information doit être communiquée de façon compréhensible aux citoyens pour bien mettre en évidence le lien entre des soins primaires de qualité et la réduction des situations critiques qui captent tant l'attention des médias. Ceci suscitera l'intérêt des citoyens en faveur de la réforme et ainsi assurera une nouvelle orientation à notre système de santé sur les soins primaires.
Le président: Nous entendrons Mme Lemire Rodger.
[Français]
Mme Ginette Lemire Rodger, présidente, Association des infirmières et infirmiers du Canada: Nous sommes très heureux d'avoir la possibilité de nous adresser au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie au nom de l'Association des infirmières et infirmiers du Canada.
Nous nous réjouissons des efforts de votre comité pour déterminer les orientations à venir et les paramètres du système de santé. Nous participons présentement avec l'aide de mémoires et de présentations à votre comité et à la Commission royale Romanow. Une de nos préoccupations est de nous assurer que les deux rapports vont sortir à peu près en même temps au mois de novembre et qu'il y ait une congruence entre eux.
Nous avons vécu beaucoup de débats interprovinciaux, provinciaux-fédéraux quant à la vision du système de santé dans notre pays, et l'Association des infirmières et infirmiers du Canada, et nos autres associations nationales, ont fait une demande au ministre de la Santé pour collaborer ensemble vers une vision complète au niveau national. Nous espérons que les deux grands comités et commissions, au niveau national, seront congruents dans leurs recommandations pour éviter des excuses de ne pas aller vers une vision nationale forte pour le pays.
Ceci dit, nous avons accepté l'invitation de votre comité pour adresser des questions spécifiques que vous nous avez posées. Nous aimerions aussi faire quelques commentaires qui découlent de votre rapport publié au mois d'avril, le volume cinq.
J'aimerais d'abord vous donner un peu d'information concernant l'Association des infirmières et infirmiers du Canada formée en 1908, laquelle est une fédération d'associations provinciales et territoriales représentant les autorités qui s'occupent de la réglementation des infirmières et infirmiers, c'est-à-dire les standards de pratique, l'éducation, la protection du public.
Aujourd'hui, il y a 234 000 infirmières autorisées au pays et 60 p.100 de ces infirmières travaillent présentement dans les soins cliniques, les hôpitaux et les autres travaillent au niveau de la communauté dans les soins préventifs aux familles, dans la réhabilitation, tant au niveau des soins dans les organisations et à domicile. Elles travaillent aussi en soins palliatifs pour supporter les personnes qui sont en voie de mourir. Aussi, nous avons les infirmières qui sont en industrie, en santé du travail.
Vous pouvez voir qu'avec tout cet éventail d'expérience, un peu comme le Canadian Institute for Health Information a noté dans son rapport de 2001, que ce sont les infirmières qui sont la source d'information majeure et des avis dans le système de santé, y compris dans les télépratiques qui sont en train de proliférer présentement.
[Traduction]
Il n'est donc pas surprenant que les infirmières et infirmiers interagissent chaque jour avec les Canadiens qui ont besoin d'aide pour maintenir et améliorer leur santé. Ils peuvent donc déterminer les tendances dans la population et la santé publique. Ils connaissent les forces et les faiblesses du système de santé du Canada. C'est en fonction de ces connaissances et de cette expertise collective que l'AIIC a préparé cet exposé.
J'aimerais maintenant répondre à votre question sur les modèles viables pour la réforme des soins de santé. Tout d'abord, nous sommes totalement en faveur d'un régime de santé public reposant sur les cinq principes de la Loi canadienne sur la santé. À notre avis, le système est robuste et sain mais il doit être réorienté et gagner en efficacité.
En 1978, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a adopté une approche axée sur les soins de santé primaires comme base de prestation efficace des services de santé. Cette approche est à la fois une philosophie des soins de santé et un modèle de prestation des services. Dans cet esprit, la santé est au centre du système des soins de santé.
L'OMS a fixé cinq principes pour les soins de santé primaires: l'accessibilité, la participation de la population, la promotion de la santé, les compétences et la technologie appropriées et la coopération intersectorielle. Les cinq principes doivent se compléter et être mis en oeuvre simultanément.
J'aimerais en décrire quelques-uns. L'accessibilité, comme nous le savons tous, est le fondement de la Loi canadienne sur la santé et veut dire que tous les Canadiens, où qu'ils soient, peuvent avoir accès aux services de santé. C'est ce qui conditionne le point d'entrée du système.
On parle beaucoup des soins de santé primaires et il en est question dans votre modèle. Celui-ci ne porte que sur l'accessibilité. Les soins de santé primaires déterminent le point d'entrée. Comment peut-on mieux articuler une équipe de gens pour fournir des services? Les soins de santé primaires ont besoin des cinq principes pour façonner le système de soins de santé et notre recommandation est d'utiliser les soins de santé primaires pour rediriger ce que nous avons. L'accessibilité n'est qu'un d'eux. Il est important de travailler dessus, mais ce n'est pas suffisant.
Le deuxième principe est la participation du public, ce qui signifie que les clients sont encouragés à participer aux décisions concernant leur propre santé, à déterminer les besoins de leur collectivité et à prendre en compte les mérites de solutions de rechange pour répondre à ces besoins. On a beau dire que, oui, nous pensons que la participation de la population est bonne. La plupart des pays industrialisés limitent la participation de la population à la planification et à l'évaluation des soins. Dans l'évaluation du pourcentage de la participation de la population, ce n'est presque que du symbolisme. Il faut mettre la participation de la population au coeur du système de soins.
Je vais vous donner un exemple. La Dre Sheila Gallagher et moi-même avons fait deux enquêtes nationales pour passer en revue le virage vers les soins de santé primaires de 1985 à 2000. Un de nos exemples venait de la santé cardiaque au Québec, où une infirmière a demandé à toute une collectivité d'examiner ce qu'elle devait faire parce que les données épidémiologiques de cette localité n'étaient pas bonnes du côté de la santé. Il y avait un manque de ressources et elle devait trouver un moyen d'améliorer la santé. Après avoir analysé la démographie de cette localité, qui avait un pourcentage élevé de personnes âgées, ils ont vu qu'il y avait un certain nombre de cercles de joueurs de cartes. Elle s'en est servi pour la planification de la prestation des services. Lorsque les gens allaient jouer aux cartes, on vérifiait leur tension artérielle et leur cholestérol et lorsqu'ils étaient anormaux, on faisait venir l'infirmière ou le médecin. En peu de temps, ils ont changé les données épidémiologiques de la localité.
Quand on parle de participation publique, et je sais que vous avez un principe qui en mentionne l'importance, je pense qu'on n'atteint pas le potentiel. Vous devez aller aussi loin que le recommande l'OMS, c'est-à-dire la pleine participation du public, non seulement dans la planification et l'éducation des besoins et des priorités, mais la prestation et l'évaluation.
Le troisième principe est la promotion de la santé. Comme vous le savez, le système a les soins de santé primaires. Si vous regardez, il y a un éventail de soins, préventifs, promotion, entretien, réadaptation, curatifs et palliatifs. La promotion de la santé et la prévention de la maladie doivent englober toute cette idée de faire partie du système de soins de santé du début à la fin.
De plus, nous devons rediriger l'argent de la promotion de la santé et de la prévention de la santé. Nous devons réserver un pourcentage élevé. Si vous regardez la plupart des budgets au pays, vous verrez que de 3 p. 100 à 5 p. 100 sont consacrés aux soins de santé dans la localité. Si vous regardez les provinces qui ont des chiffres élevés, vous verrez probablement qu'elles ont redésigné un hôpital comme centre de santé communautaire et ont utilisé son budget qu'ont transféré ailleurs.
Franchement, quand vous regardez les chiffres, il y a toujours un petit montant de promotion-prévention. On sait que l'investissement dans ce domaine est essentiel. J'utilise l'exemple du centre d'excellence d'éducation des diabétiques du Capital Health Authority d'Edmonton, en Alberta parce que j'ai travaillé à sa reconception. Cinquante pour cent de la population du pays se promènent avec un diabète non diagnostiqué. Sur ceux qui sont diagnostiqués, 80 p. 100 des complications du diabète sont évitables. Si les certificats de décès devaient indiquer le diabète, vous verriez qu'il est à la base de la plupart des maladies. C'est grave et ça coûte cher en complications. À peu près 80 p. 100 des complications sont évitables. Elles sont évitables moyennant une infirmière autorisée et un diététicien qui fait l'éducation des diabétiques au pays. Il n'y a pas de raisons aujourd'hui pour laquelle cette approche ne devrait pas être appliquée d'un bout à l'autre du pays, à titre d'investissement. C'est probablement le plus petit investissement avec le plus haut rendement dans le domaine des soins curatifs. Quand on parle de promotion, on parle de l'intégration de la promotion dans le système intégré, avec un investissement plus élevé de fonds dans ce domaine.
La technologie appropriée est mon prochain sujet. Je parle de l'importance d'adapter ce que vous avez appelé, au volume 5, les nouvelles réalités. Le principe reconnaît l'importance de développer et de tester des modèles de soins de santé innovateurs et de diffuser des résultats de la recherche sur les soins de santé. Il reconnaît également l'impératif de renforcement permanent de la capacité et du perfectionnement professionnel de l'effectif, ainsi que la technologie appropriée pour le faciliter.
Je pense que ceci est bien couvert, en particulier, en ce qui concerne la haute technologie ou la technologie de l'information. La partie qu'on n'apprécie pas est l'importance de la technologie rudimentaire. Utiliser la technologie rudimentaire aide le public à bouger et aide les infirmières à donner des soins. La technologie rudimentaire inclut, par exemple, des pompes et des thermomètres, de l'équipement qui repose sur des technologies qui ne sont peut-être pas à la fine pointe. Nous devons priser non seulement les technologies de pointe et les technologies de l'information. La technologie rudimentaire est un élément moins coûteux mais qui pourrait aider à rediriger le système.
Le secteur suivant est la collaboration multidisciplinaire intersectorielle. Comme Mme Kay l'a dit, dans un schéma multidisciplinaire, nous devons travailler avec un éventail complet de praticiens et en utilisant mieux toute l'équipe multidisciplinaire. La collaboration intersectorielle, par contre, reconnaît que la santé et le bien-être sont liés non seulement à la santé mais aussi à la politique économique et sociale. L'intersectoriel signifie que les experts en éducation, en logement et en emploi doivent être à la table quand nous parlons de santé. Souvent, dans toutes les réformes que l'on voie, il y a des lacunes dans ces domaines. On parle de redéfinir les soins de santé mais on ne parle pas de l'impact de quelqu'un qui n'a pas assez à manger ou est sans logis. Vous pouvez mettre tout l'argent que vous voulez dans la santé mais vous n'arriverez pas là où vous voulez aller parce que vous allez contre l'objectif visé. C'est très important. Nous avons des exemples merveilleux de collaboration intersectorielle.
Le directeur général de l'Organisation mondiale de la santé en 1978 a décrit les infirmières comme essentielles à la mise en oeuvre des soins primaires de santé, et en 1985 à répéter que le leadership du nursing dans les soins de santé primaires est important et essentiel dans l'évolution du système de santé. En fait, toutes les écoles de nursing du Canada ont changé leur programme pour intégrer les soins de santé primaires.
En 1974, le rapport Lalonde a constaté que quatre éléments de soins primaires influent sur la santé des Canadiens. En 1986, la Charte d'Ottawa les a répétés. En 1990, tous les rapports provinciaux et territoriaux ont repris le principe des soins de santé primaires. C'est pourtant un domaine qui est toujours méconnu dans notre pays. C'est encore très marginal; ce n'est encore que sous forme de projet.
Nous pensons que ce modèle offre une option pour réorienter le système de santé de façon importante. Il doit être poursuivi parce qu'il est basé sur la meilleure stratégie identifiée dans le monde. Je vous rappelle que le gouvernement fédéral, avec l'Organisation mondiale de la santé, a décidé que c'était la meilleure stratégie pour favoriser la santé pour tous.
Mon collègue, M. Calnan, va vous donner quelques-uns de nos exemples canadiens d'application de ce principe.
M. Rob Calnan, président élu, Association des infirmières et infirmiers du Canada: Outre les cadres théoriques, on trouve au Canada des exemples de mise en oeuvre efficace des principes de soins de santé primaires. J'aimerais en souligner quelques-uns.
Le travail du Centre de santé communautaire du nord-est d'Edmonton a adopté l'approche des soins de santé primaires. Le centre offre tout un éventail de services allant de la prévention à l'information sur la santé en passant par le traitement, la gestion des maladies chroniques, les services d'urgence, les laboratoires et l'imagerie diagnostique.
Avec les conseils d'un comité consultatif communautaire, le centre planifie les services pour répondre aux besoins des nouveaux immigrants, des personnes âgées, des enfants, des adolescents et des femmes en matière de santé.
Le centre est situé sur les principaux trajets des autobus et près des écoles. Le personnel du centre comprend des nutritionnistes, des audiologistes, des travailleurs sociaux, des infirmières de santé publique, des infirmières d'urgence, des médecins, des travailleurs culturels et autres qui collaborent afin de pouvoir répondre efficacement aux besoins des particuliers et des familles.
Le centre est doté d'un système d'information intégrée qui permet aux professionnels de consulter les dossiers et l'information. Le centre a des liens très solides avec d'autres ressources de la collectivité, comme les écoles, les logements sociaux et les lieux de travail.
La formule des soins de santé primaires a également été adoptée à la North Shore Ambulatory Nursing Clinic, au nord de Vancouver. La clinique se concentre sur la promotion de la santé. On y a noté un nombre important d'annulations de rendez-vous par les patients souffrant de cancer, ce que l'on a attribué à des rendez-vous concurrents avec d'autres professionnels de la santé. Parallèlement, bon nombre des clients du centre de cancer ont exprimé le vif souhait que soit amélioré l'accès aux soins oncologiques. Grâce à des consultations avec les divers professionnels de la santé, un programme de visites à domicile par des infirmières a été mis au point. Ce programme a permis d'en arriver à une meilleure coordination des soins aux patients cancéreux, à une amélioration de l'accès aux services appropriés des professionnels de la santé et à une utilisation plus efficace des ressources.
La coordination et l'affectation appropriées du personnel ont entraîné une amélioration de la qualité des soins et une plus grande efficacité dans la prestation. Par exemple, la durée des visites a diminué de 45 à 24 minutes par malade. Par conséquent, le système de santé est mieux adapté. Chacune des infirmières s'occupe maintenant de 13 malades par jour au lieu de six en moyenne auparavant.
Une clinique semblable a été créée à Ottawa comme programme d'un projet de recherche assuré par un financement temporaire.
Dans le domaine de la télésanté, nous avons l'Institut de cardiologie de l'Université d'Ottawa, qui assure à la fois des services de télésanté et de télémédecine. Il offre des consultations en cardiologie aux clients dans le Nord, en particulier dans les localités autochtones. Les malades ayant des défaillances cardiaques ont un accès permanent et ininterrompu à une infirmière 24 heures par jour, sept jours par semaine et 365 jours par an. À partir des renseignements sur la santé des malades, les infirmières leur prescrivent de modifier leur régime ou leur médication et les mettent en contact direct avec le professionnel approprié. Les malades participent à leurs propres soins et se prennent en charge. La diminution des taux de réadmission qui en résulte est avantageuse pour le système de santé.
Les équipes de santé de rue, qui sont actives dans la plupart des villes du pays sont un quatrième exemple de soins de santé primaires. Ces équipes sont composées d'infirmières et d'infirmiers, de médecins, de nutrionnistes, de travailleurs de la santé, d'avocats et d'autres professionnels ainsi que des membres des secteurs du logement et de la justice pénale. Leur clientèle est composée de populations marginalisées comme les sans-abri. La santé de ces groupes est compromise par une mauvaise alimentation, le manque de logement et une mauvaise hygiène. Beaucoup d'entre eux souffrent d'une maladie comme la tuberculose. De nombreux autres sont porteurs du VIH/sida et de l'hépatite C. Pourtant, ils ne peuvent pas accéder au système de santé. Les équipes de santé de rue apportent leurs diverses expertises dans la rue. Certaines se concentrent sur les soins aux malades; d'autres travaillent à surmonter les difficultés auxquelles sont confrontées ces populations — des difficultés qui déterminent leur état de santé. Dans certaines villes, les équipes de santé de rue offrent des programmes d'échange de seringues. Dans d'autres, comme à Ottawa, l'équipe a recueilli des fonds et construit un centre de soins palliatifs pour les sans-abri.
Il y a aussi des systèmes de triage par téléphone dans tout le pays qui souscrivent au principe de l'utilisation appropriée des ressources en matière de santé. Ce système fait participer la population à sa santé, favorise la promotion de la santé et facilite l'accès aux conseils et aux services. L'Ontario, le Québec et le Nouveau-Brunswick ont des systèmes à l'échelle de la province. Le personnel du programme du Nouveau-Brunswick, par exemple, est en mesure de répondre aux questions et aux préoccupations de presque 75 p. 100 des personnes qui appellent. Le programme a donc permis de réduire l'encombrement des salles d'urgence et leur utilisation abusive.
Ces initiatives jettent les bases d'un cadre national pour notre système de santé. Elles vont au-delà de la prestation des soins de santé traditionnels. Elles sont liées à l'école et au milieu de travail et créent des partenariats et des liens. Elles ciblent l'éducation de la population par la promotion de la santé et la prévention de la maladie. Elles encouragent tous les Canadiens à jouer un rôle actif dans leur santé.
Ces exemples montrent que lorsqu'on en vient aux éléments, comme les chiffres, la composition des professionnels et l'éventail des services, il n'y a pas de réponse toute faite. Ils montrent que l'adoption de l'approche axée sur les soins de santé primaires peut et doit améliorer la qualité et l'accessibilité des soins. Elle peut également améliorer l'efficacité et réduire les coûts dans la mesure où l'attention et les ressources se portent sur la prévention.
L'AIIC croit que les cinq principes des soins de santé primaires peuvent créer la base d'un cadre de reconstruction du système de santé au Canada.
L'AIIC estime qu'il existe trois obstacles à l'adoption des soins de santé primaires au Canada: des obstacles systémiques et liés aux ressources humaines et aux attitudes. Les obstacles systémiques sont notamment attribuables au manque de soutien à la collaboration intersectorielle, à des facteurs législatifs et politiques comme la Loi canadienne sur la santé et aux programmes de rémunération à l'acte, qui renforcent l'entrée unique, et au fait de privilégier les soins curatifs. L'instabilité du financement a aggravé tous ces obstacles systémiques.
Les obstacles liés aux ressources humaines ont été décrits dans notre exposé au comité en mai dernier. Nous notons que dans votre rapport, volume 5, vous consacrez un chapitre à la question des ressources humaines. Les infirmières vous félicitent de l'intérêt que vous portez à l'accès à l'éducation. Nous espérons que vos recommandations porteront également sur l'éducation permanente. Dans un secteur comme la santé où les connaissances et la technologie changent très rapidement, l'apprentissage tout au long de la vie est une nécessité. Cette année seulement, le réseau de l'enseignement a rejeté des milliers de candidats préparés aux écoles de soins infirmiers faute de places.
La pénurie d'infirmières continue d'être un problème et continuera de l'être au cours de la prochaine décennie si rien n'est fait. Même si d'aucuns peuvent penser que le recrutement dans un autre pays est une solution, nous ne sommes pas de cet avis. En effet, il y a une pénurie mondiale d'infirmières mais, en plus, les infirmières qui viennent de l'étranger constatent qu'il n'y a pas d'infrastructure capable de les aider à obtenir leur autorisation de travailler et à s'intégrer dans notre système de soins. Chose certaine, certains investissements dans des stratégies de recrutement et de maintien en poste sont nécessaires. L'AIIC croit que tous les soignants doivent donner leur pleine mesure. L'Association médicale canadienne a élaboré un énoncé de principes au sujet des décisions concernant le cadre des fonctions. L'AIIC souscrit à ce document et vous recommande de le lire.
Les obstacles liés aux attitudes sont notamment la négligence des principes des soins de santé primaires. Les Canadiens apprécient les technologies coûteuses et les traitements miracles. Toutefois, la promotion de la santé suppose souvent des technologies rudimentaires et des initiatives à moyen et à long terme. En revanche, les diagnostics et les soins curatifs peuvent faire appel à tout l'arsenal des technologies. Par conséquent, l'attention de la population — et des décideurs — s'est portée sur les aspects curatifs en négligeant les aspects préventifs du système de santé.
Les infirmières et infirmiers du Canada se consacrent avec passion à la santé des Canadiens. Nous croyons que le système de santé actuel offre un point de départ solide pour l'avenir. Comme mon collègue le Dr Rodger l'a dit, nous redoutons une plus grande indécision encore si les recommandations du comité du Sénat et celles de la Commission royale d'enquête ne convergent pas.
Les infirmières et infirmiers savent qu'il existe des stratégies en matière de soins de santé primaires pour améliorer l'efficacité du système actuel. Nous encourageons le comité à recommander l'adoption de ces stratégies dans son rapport final.
[Français]
Le sénateur Pépin: Après vous avoir entendue et après avoir lu votre mémoire, je me demande où nous allons commencer.
Vous dites que les soins de santé primaires sont importants. Lorsqu'on constate qu'il faut du personnel mieux qualifié, mieux rémunéré, à l'affût de la technologie et lorsqu'on connaît les difficultés en termes de ressources humaines, on se demande vraiment de quelle façon procéder.
Vous avez énoncé cinq principes dont, entre autres, l'accessibilité, la participation du public, l'importance de l'éducation et le principe de la promotion de la santé est en troisième position des priorités. Est-ce que l'éducation du public et la promotion de la santé ne devraient pas figurer au premier rang?
Vous nous avez donné l'exemple du groupe qui allait jouer aux cartes. On remarque que lorsque les gens sont sensibilisés, la connaissance change et cela facilite la prestation de soins de santé donnés aux patients.
De plus, on sait que l'éducation du public est une des priorités parce qu'aussitôt qu'on leur parle, les gens sont très sensibles. Il faut aussi tenir compte du vieillissement des travailleurs de la santé et de l'inquiétude du public. Je parle évidemment des personnes du troisième âge qui constitueront bientôt la majorité de la population du pays.
On réalise que si le système d'éducation est bien structuré, si on peut rejoindre la population par la promotion de la santé, les patients ne partiront pas nécessairement plus tôt de l'hôpital pour être traités à domicile. Bientôt on va éduquer les gens à suivre l'évolution de leur maladie eux-mêmes, à connaître leur médication et à consulter un médecin si nécessaire. Cette approche est globale et tout à fait différente. Je suis d'accord avec vous, il faut définitivement s'orienter de ce côté.
En ce qui a trait aux infirmières praticiennes, je reconnais le travail qu'elles peuvent faire, mais il semble qu'à certains endroits il y ait des difficultés d'arrimage entre les infirmières graduées, les infirmières praticiennes et les infirmières auxiliaires. N'oublions pas que dans certaines régions du pays, des médecins ont de la difficulté à reconnaître cette situation. Ce sont les principaux points sur lesquels j'aimerais qu'on discute.
Lorsque vous faites mention de l'importance des soins de santé primaires, comment envisagez-vous la façon de résoudre le problème du manque de personnel en soins infirmiers?
Mme Lemire Rodger: Je crois que votre question vise à savoir par où commencer. Cela fait exactement 20 ans qu'on prône le mouvement de l'Organisation mondiale de la santé. Il ne s'agit donc pas de notre première présentation sur le sujet de la réorientation du système de soins de santé.
Le juge Howe, qui en a fait la revue au cours des années 80, a statué que c'était une orientation importante à considérer. Quant à savoir par où commencer, je crois fermement que les cinq principes n'ont pas de priorité; ils sont tout aussi importants les uns que les autres. C'est donc l'approche multifacette qu'il faut considérer. Il n'y a pas de doute que l'éducation du public est essentielle. C'est un mouvement d'attitudes qu'il faut appuyer. L'éducation du public fait partie des choses que l'on doit faire. Plus l'approche au niveau des soins est intégrée et fait partie du système principal de santé, plus le public travaille avec les travailleurs de la santé pour développer cette nouvelle connaissance.
On peut faire de grandes campagnes publicitaires, mais c'est réellement sur le terrain, lorsqu'on est frappé par un problème de santé, qu'on peut le mieux tirer profit des circonstances. C'est un peu comme les exemples que M. Calnan a présentés tantôt.
L'autre point, ce sont les ressources humaines. Pour le système de santé canadien, où plus de 75 p. 100 des soins sont prodigués par les infirmières, c'est un point central au soutien d'un système de santé futur. On peut investir dans la technologie, l'équipement, la recherche et l'éducation, mais si on ne règle pas le problème de la main-d'œuvre, ces efforts seront inutiles car les systèmes devront être réduits. À mon avis, c'est la question clé. Vous le notez dans votre cinquième volume.
C'est une question que nous débattons depuis 1997, depuis que nous avons reçu les données sur la main-d'œuvre, ce dont nous avons fait part à votre comité. Dans quelques semaines, nous recevrons aussi un nouveau rapport sur la main-d'œuvre infirmière dans lequel nous projetons les données jusqu'en 2016 à partir des données reçues en 1997.
En ce qui concerne la main-d'œuvre infirmière, le problème est connu mais les solutions aussi. Il manque simplement une volonté politique coordonnée entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux et territoriaux pour régler la situation. Jusqu'à ce jour, toutes les provinces et territoires avaient un comité aviseur sur la main-d'œuvre infirmière. Chaque gouvernement, tant fédéral que provincial, a pris des initiatives à cet égard. Au plan fédéral, par exemple, il y a eu le comité aviseur sur les soins de santé et l'étude de secteurs dans le domaine des soins infirmiers.
On a réglé ce qui était facile. On a ainsi attribué plus de fonds pour la recherche, ce qui est extrêmement important et pour l'éducation, ce qui est aussi extrêmement important. On a également investi dans l'information et la technologie. Toutefois, une des deux pierres d'achoppement présentement touche au nombre d'infirmières qui reçoivent leur diplôme: 4 800 infirmières par année au lieu de 10 000 il y a à peine dix ans.
Au Canada, cette année seulement, on a refusé des milliers d'étudiants très bien formés. Les universités les refusent, parce qu'il n'existe que 70 sièges pour 800 demandes au pays. Nous ne vivons pas une pénurie de jeunes et de moins jeunes personnes voulant entreprendre une carrière dans les soins infirmiers, nous sommes dans une situation où les gouvernements ne financent pas les sièges pour accepter ces étudiants. C'est très sérieux. La solution est facile.
Cela prend des fonds. Ces fonds étaient dans le système avant et on les a enlevés durant les années noires 1990 quand tous les systèmes se retrouvaient en perte de vitesse et quand on a aboli des milliers de postes d'infirmières. On se retrouve donc aujourd'hui avec ces politiques à courte vue, qui ont des conséquences dans notre système.
Nous n'avons pas besoin d'aller dans d'autres pays et de pirater les ressources de leur propre système de santé. Nous devons former le nombre d'infirmières et d'infirmiers requis avec les ressources dont nous disposons. Cela peut être résolu facilement.
Rien n'est simple, car nous vivons à l'intérieur de systèmes complexes, mais nous disposons d'un bassin de professeurs qui, à cause du vieillissement de la population, devront prendre leur retraite dans les cinq ou dix prochaines années. Il est temps de les utiliser maintenant.
Le deuxième point concerne la révision de la main-d'œuvre. Présentement, les recherches abondent. Il suffit d'avoir le nombre d'infirmières et d'infirmiers nécessaires capables de prodiguer des soins au public. On a diminué le ratio infirmières/patients pour la dispensation des soins de façon dangereuse. La semaine dernière, j'ai entendu dire que selon le pourcentage d'infirmières autorisées dans le système, il y avait augmentation de mortalité et des complications de façon quantifiable.
Par exemple, une étude faite en Ontario démontre que lorsque les infirmières autorisées et les infirmières auxiliaires travaillent ensemble, ce modèle de soins est supérieur à celui où des infirmières et des aides qui travaillent ensemble. D'autres recherches démontrent qu'un pourcentage d'infirmières autorisées plus élevé a un impact direct sur les infections urinaires et sur le nombre de mortalités. Pour chaque ajout de 10 p. 100 d'infirmières autorisées, on réduit le nombre de mortalités de 5 000 par année. On réduit aussi les complications sur le plan de la gestion de la douleur, des infections urinaires, des accidents et des aiguilles souillées. La recherche faite en ce domaine durant la dernière année est énorme. Si votre comité n'a pas accès à toutes ces données, nous nous ferons un plaisir de vous y donner accès.
Je vous dirais de commencer par les sièges et par la surcharge de travail. Un comité national travaille présentement à la sécurité des patients. Un des éléments importants pour la sécurité des patients est justement d'avoir le personnel nécessaire pour assurer les soins. Il y a toutes sortes d'outils pour s'assurer qu'il y a une correspondance entre les besoins de la clientèle, leur sécurité et les compétences du personnel requis. La main-d'oeuvre infirmière en particulier est extrêmement importante, l'éducation du public et les cinq principes. De bonnes pistes nous indiquent où nous devons commencer pour rediriger le système actuel.
[Traduction]
Mme Kay: J'aimerais ajouter quelque chose. J'aimerais revenir à ce que vous avez dit à propos de la participation du public et répondre aussi à votre question à propos du conflit entre les infirmières et la façon de régler ce conflit.
En ce qui concerne la participation du public, j'ai parlé de créativité dans mes observations. Mes collègues ont fourni certains exemples de participation du public.
Un exemple auquel je songe est celui d'une organisation nationale dont le mandat était de sensibiliser les femmes au dépistage du cancer du sein. Cette organisation s'est assurée l'aide de coiffeurs afin qu'ils parlent aux femmes du dépistage du cancer du sein pendant leur rendez-vous hebdomadaire chez le coiffeur. Il s'agit d'une stratégie créative qui fait appel à des personnes qui ne sont pas des fournisseurs traditionnels de soins de santé, dans ce cas-ci des coiffeurs, pour faire un travail de sensibilisation à propos de ces questions.
Ce dont vous parlez, sénateur, ce n'est pas des soins à domicile après un séjour à l'hôpital mais peut-être de retarder l'entrée à l'hôpital. Ce sont des formes de stratégies créatives.
Les infirmières auxiliaires autorisées sont des fournisseurs de soins directs. C'est sur elles que nous mettons principalement l'accent. Nous pourrons certainement participer à la transmission de stratégies. Par exemple, lorsque nos infirmières travaillent à titre indépendant dans la collectivité pour offrir des soins des pieds, elles pourraient en profiter pour parler aussi à leurs clients d'autres choses.
Par ailleurs, je suis frappée par le projet communautaire Elnora, en Alberta. Pour élaborer ce projet et examiner la forme que prendraient les soins de santé primaires dans la collectivité, on a demandé à une centaine de bénévoles de la communauté de parler de leurs besoins. Ils en ont parlé non simplement dans le contexte des services de santé mais de la vision communautaire recherchée. J'ai été frappée par la façon dont on a sollicité dès le départ la participation de la collectivité pour examiner la conception de ces services de santé et aussi les décisions plus générales qui touchent la collectivité.
J'aimerais discuter un peu plus du conflit entre les infirmières et de leurs rôles différents pour indiquer qu'il s'agit d'un symptôme du chevauchement des rôles qui existe entre un grand nombre de différentes catégories de fournisseurs de soins. Vous abordez d'ailleurs de façon intéressante cet aspect dans votre cinquième rapport lorsque vous parlez de la nécessité de prévoir une forme quelconque de formation coopérative aux différentes catégories de fournisseurs de soins de santé afin qu'ils comprennent mutuellement leur rôle. Je considère que c'est un élément important.
Il existe des exemples positifs de travail en collaboration entre les infirmières dans différentes provinces. En Saskatchewan, les trois catégories d'infirmières ont préparé un rapport sur la collaboration des rôles en soins infirmiers en Saskatchewan. Ce rapport fournit un bon modèle pour discuter de cet aspect et favoriser ce genre de méthode.
Le sénateur Morin: Pourriez-vous vous assurer que nous obtenions un exemplaire de ce rapport, je vous prie?
Mme Kay: Bien sûr. J'en parlerai à mes collègues.
De plus, un projet de cercles d'apprentissage est en cours à Terre-Neuve. Ce projet vise à sensibiliser les infirmières d'une certaine catégorie au rôle des infirmières d'une autre catégorie afin qu'elles puissent travailler en collaboration.
Mes collègues ont mentionné l'étude sur le secteur des soins infirmiers. J'ai été frappée par les commentaires que renferme votre rapport à propos de la prise de décision en temps opportun. Je crois que l'on prévoit un délai de deux ans, ce qui est plus long que ce qu'on voudrait envisager pour que des mesures soient prises. Il ne fait aucun doute toutefois que ce travail permettra d'établir des rapports en cours de route qui fourniront des renseignements utiles sur la façon de dissiper la controverse qui entoure les rôles des infirmières.
On est en train de faire d'importantes études sur les compétences collectives. Ma collègue a parlé d'une étude faite par Linda McGillis Hall et Diane Doran qui conclut que lorsque les infirmières des deux catégories — nous savons que dans d'autres provinces il existe trois catégories d'infirmières — travaillent en collaboration, cela donne des résultats positifs pour les clients.
Je tiens à signaler que certaines études qui ont récemment été rendues publiques à propos des conséquences négatives pour les clients de la réduction des heures de soins infirmiers dispensés par des infirmières diplômées sont des études américaines. Lorsque l'on parle du rôle de l'infirmière auxiliaire autorisée, le rôle de l'infirmière au Canada ne peut pas en fait se comparer à celui de l'infirmière auxiliaire aux États-Unis. Les études requises pour une infirmière auxiliaire au Canada diffèrent de celles requises aux États-Unis. C'est pourquoi je vous demanderais de garder l'esprit ouvert lorsque vous examinerez ces études. D'après nos vérifications, l'ALENA ne prévoit aucun accord selon lequel les infirmières auxiliaires autorisées au Canada doivent répondre aux mêmes exigences qu'aux États-Unis et au Mexique, donc il est sans doute impossible de comparer leur rôle.
Nous prévoyons la publication sous peu d'un rapport du Comité consultatif canadien des normes infirmières qui devrait vous fournir des renseignements supplémentaires sur les rôles particuliers des infirmières. Nous ne manquerons pas de vous en fournir un exemplaire dès que le rapport sera disponible.
Le président: Vous avez indiqué qu'il y a environ 10 ans il y avait 10 000 infirmières en formation et que ce chiffre maintenant est d'environ 4 800. Au cours des deux ou trois dernières années, l'inscription dans les écoles de médecine a augmenté d'environ 25 p. 100. A-t-on constaté ces dernières années une augmentation correspondante du taux d'inscriptions dans les écoles d'infirmières? D'après ce que je crois comprendre, ce qui pose problème ce n'est pas le recrutement de candidates qui veulent devenir infirmières; c'est de trouver des places dans les établissements d'enseignement. Il y a deux ou trois ans, lorsque l'on a constaté qu'il y aurait une pénurie de médecins, on a augmenté quelque peu le nombre de places dans les écoles de médecine. A-t-on fait la même chose dans les écoles d'infirmières?
Mme Lemire Rodger: Jusqu'à un certain point.
M. Calnan: Le nombre de places dans certains établissements a augmenté mais pas le nombre de diplômées.
Le président: Je suppose que c'est à cause du décalage.
M. Calnan: Quoi qu'il en soit, si on examine les chiffres — 10 000 par rapport à 4 800 — si on examine la situation dans ma propre province de la Colombie-Britannique, nous constatons une augmentation de 400 places. Ce n'est rien comparativement à ce dont nous avons besoin pour répondre à la demande.
Le sénateur Morin: De combien de places supplémentaires avons-nous besoin au Canada? Deuxièmement, combien coûte une place?
Mme Lemire Rodger: Nous n'avons pas de chiffre pour le coût d'une place.
Le sénateur Morin: Si vous demandez à un palier quelconque de gouvernement d'appuyer la création d'une place, il est difficile de formuler une recommandation en ce sens sans avoir une idée approximative du coût. Nous connaissons le coût d'une place dans une école de médecine. Je suis sûr que vous en avez une idée.
Mme Lemire Rodger: Nous n'avons pas les données, mais l'Association canadienne des écoles de nursing a ce chiffre et nous vous le fournirons.
Lorsque vous nous demandez le nombre de sièges dont nous avons besoin, il y a eu une augmentation partielle, mais le plafond n'a pas été levé. Vous avez comparé la situation de la profession médicale à celle de la profession infirmière. La profession infirmière a déterminé l'existence d'une pénurie en 1997, tandis que la profession médicale a déterminé l'existence d'une pénurie en 1999. En l'an 2000, ils avaient 2 000 places pour 2 000 candidats, et la situation était réglée. Cinq ans plus tard, les infirmières continuent toujours de se battre pour qu'on augmente le nombre de places.
Au cours des deux dernières années, on a constaté une faible augmentation dans certaines écoles d'infirmières. Par exemple, en Saskatchewan, après que la diminution du nombre de places ait fait les manchettes, le gouvernement a ajouté 80 places, ce qui est nettement insuffisant pour rétablir les chiffres précédents.
Il existe un décalage entre le nombre de places prévu au départ et le nombre de diplômées, mais il faut aussi tenir compte de l'attrition. Le niveau d'attrition varie d'une école à l'autre. Le nombre de places dont ils ont besoin est calculé en fonction de leur taux d'attrition de manière à obtenir le nombre de diplômées dont nous avons besoin.
Les pédagogues essaient de déterminer les facteurs qui permettront de réduire le taux d'abandon. Ce taux varie d'une école a l'autre.
Vous nous demandez le nombre de sièges dont nous aurions besoin pour former 10 000 diplômées. Le fait est que nous n'en sommes pas encore là. Nous n'avons pas le nombre de sièges voulu pour obtenir à nouveau ce nombre de diplômées.
L'annonce faite en janvier par les premiers ministres a réitéré la recommandation de la stratégie nationale en matière de soins infirmiers, selon laquelle le nombre de sièges et le nombre de diplômées devraient augmenter 10 p. 100. Cela représente 480 places pour l'ensemble du pays.
Mme Kay et moi-même sommes membres du Comité consultatif canadien des normes infirmières. Notre rapport ne sera pas prêt avant septembre, mais nous recommanderons d'augmenter le nombre de diplômées dès maintenant de même que le nombre correspondant de places pour atteindre cet objectif.
Nous devons rétablir, à notre avis, cet objectif de 10 000. De plus, le nombre de places supplémentaires devrait être déterminé à l'aide d'études démographiques afin qu'il soit rectifié en fonction des changements au niveau des besoins de la population et de la main-d'oeuvre.
Le sénateur Cordy: Sur la même question, j'ai grandi dans une petite ville de la Nouvelle-Écosse. Lorsque j'ai terminé mes études secondaires, j'ai des amies qui ont décidé de devenir infirmières. Elles ont reçu une formation dans les hôpitaux de la collectivité. Je crois que dans la seule région de Sydney, il y avait six hôpitaux. Ces hôpitaux offraient une formation d'infirmière de trois ans. Maintenant, pour devenir infirmière, il faut aller à l'une des universités de la Nouvelle-Écosse. Est-ce que l'obtention d'un diplôme universitaire se traduit par de meilleurs soins infirmiers pour les Canadiens?
Mme Kay: Je ferai quelques observations, puis je laisserai mes collègues répondre à propos de l'aspect universitaire.
Je tiens à signaler qu'au Canada la formation infirmière n'est pas limitée aux universités. En fait, les collèges universitaires sont un point d'entrée pour les infirmières auxiliaires autorisées.
L'Ontario a éliminé le plafond pour l'admission aux programmes de soins infirmiers. Cependant, cela ne s'est pas traduit par une énorme augmentation des inscriptions aux programmes étant donné qu'il y a des pénuries parmi le personnel enseignant. Traditionnellement, les membres du personnel enseignant sont un peu plus âgés que la population d'infirmières. Comme il n'y a pas suffisamment de personnel enseignant, on ne peut pas offrir le nombre de places voulu et cela pose problème.
Il y a d'autres problèmes en ce qui concerne la souplesse du programme d'études et l'évaluation des connaissances acquises qui viennent aggraver la situation. La transition au statut d'infirmière diplômée n'est pas facile pour les infirmières auxiliaires autorisées, surtout dans le cadre des programmes de baccalauréat. Il semble étrange que les infirmières auxiliaires autorisées dont un grand nombre en Ontario comptent deux années d'études collégiales, de même qu'une expérience pratique, doivent recevoir le même traitement qu'une diplômée d'études secondaires qui s'inscrit à un programme de baccalauréat en sciences infirmières. C'est peut-être un obstacle artificiel qu'il faudrait examiner en ce qui concerne l'avancement professionnel dans le domaine des soins infirmiers.
M. Calnan: J'ai été enseignant dans deux programmes de sciences infirmières menant à un diplôme et dans un programme coopératif de sciences infirmières, et j'ai suivi la formation d'un programme de trois ans en milieu hospitalier au bout duquel j'ai obtenu un diplôme. Vous avez demandé si des études universitaires assurent une meilleure formation aux infirmières. Je répondrais oui.
Le président: Je pense que la réponse serait de toute évidence oui. J'ai interprété la question différemment, à savoir si cela était vraiment important pour faire le travail.
Le sénateur Cordy: J'ai demandé si les Canadiens recevaient de meilleurs soins de santé parce qu'une infirmière détient un diplôme universitaire.
M. Calnan: Oui, parce que cela donne le temps d'examiner les principes des soins de santé primaires, en quoi consiste le travail auprès des collectivités et des familles et les avantages de travailler en collaboration avec des équipes multidisciplinaires. Je n'ai pas eu l'occasion d'apprendre ce genre de choses dans le programme que j'ai suivi, qui était dispensé par l'hôpital. Avant mes études universitaires, j'ignorais tout de ces questions.
Le sénateur Cordy: Je doute qu'au bon vieux temps on abordait ce genre de questions, que ce soit à l'université ou non.
Le président: C'est peut-être en raison de l'âge des membres du comité et du fait que certains d'entre nous ont épousé des infirmières. Pour ce qui est de la prestation des soins de santé, il ne fait aucun doute qu'une personne mieux formée est probablement, tout bien considéré, plus compétente, mais nous traversons une crise ici. Avons-nous besoin d'une solution de première classe à la crise, un baccalauréat ès sciences en sciences infirmières, ou pouvons-nous élaborer un programme de rechange qui nous permettra d'obtenir plus rapidement des gens qui ont la formation voulue pour faire le travail?
Mme Lemire Rodger: Il faut alors se demander quelles en seront les conséquences pour la qualité des soins dont M. Calnan parlait? Nous avons des preuves à cet égard, et le travail de Linda O'Brien-Pallas, la présidente nationale de la recherche, a établi des comparaisons entre les infirmières munies d'un diplôme et celles qui ont un baccalauréat — et on a constaté que cela influe sur le résultat pour le patient.
Ces constatations n'étaient pas disponibles auparavant. Tout au long de la transition que la profession a connue à partir de 1980 jusqu'à présent, nous tenions à nous assurer que l'ensemble des infirmières aient la possibilité de s'adapter à la nouvelle ère, de sorte que les infirmières d'aujourd'hui et de demain possèdent la connaissance nécessaire pour soutenir un système de soins de santé complexe.
Dans ce pays, la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick, l'Île-du-Prince-Édouard, le Manitoba, à l'exception d'une école, la Saskatchewan et l'Ontario reconnaissent que deux années de formation pour une infirmière diplômée ne sont pas suffisantes pour la préparer à la complexité du travail.
Pourquoi les politiciens demandent-ils constamment si les infirmières ont besoin de six mois ou un an de plus de formation? Ils ne posent pas ce genre de question en ce qui concerne les médecins, les physiothérapeutes ou d'autres membres de la profession médicale. S'il y avait disons une pénurie de neurochirurgiens, il serait déraisonnable de leur demander de réduire leur cours de moitié chaque année. Pour chaque profession, il existe un organisme d'accréditation qui travaille en collaboration avec les gouvernements, qui veille à la protection du public et détermine les compétences nécessaires pour assurer des soins sûrs. Ce sont ces organismes qui décident du niveau approprié de formation et de connaissances nécessaires, y compris pour les infirmières.
À l'heure actuelle, les infirmières qui travaillent aux soins intensifs prennent 90 p. 100 des décisions de vie ou de mort. Voulez-vous des infirmières mal préparées? Êtes-vous prêts à dire qu'elles devront suivre six mois de moins de formation et à remettre votre vie entre leurs mains? Je ne le crois pas. Il est déraisonnable de demander une telle chose aux membres de cette profession.
J'ai visité toutes les régions du pays. Pour travailler dans les Territoires du Nord-Ouest, même à Yellowknife, une infirmière doit suivre une formation supplémentaire. On y a établi un programme coopératif avec Victoria et il faut six mois supplémentaires pour terminer ce programme, simplement pour s'assurer qu'elles pourront dispenser des soins sûrs et les soins nécessaires dans les régions éloignées.
Je tiens à souligner qu'il existe des preuves quant aux résultats sur le patient. Au cours de l'année prochaine, vos rapports seront rendus public mais aussi on rendra publique toute la question de la sécurité des patients et des erreurs qui sont commises, et qui seront directement liées à la formation et aux nombres de personnes qui font partie de l'effectif.
De nombreux professionnels ont reconnu que le savoir d'hier est insuffisant pour aujourd'hui et demain. Il suffit de regarder le cas des physiothérapeutes qui obtiennent maintenant un baccalauréat pour accéder à leur profession. Cela vaut aussi pour les travailleurs sociaux et les orthophonistes. Il est inconcevable que des gens chargés de vous soigner ne possèdent pas les connaissances nécessaires.
Par ailleurs, s'il y a pénurie, à cause de la complexité d'une telle situation, il faut que vous ayez à votre disposition les gens qui sont les mieux préparés, étant donné que vos décisions représentent toujours un compromis. Ils ont intérêt à être bien préparés.
Le sénateur Cordy: Personnellement, je trouve qu'on a grandement sous-estimé au cours des ans le professionnalisme des infirmières. Elles font partie intégrante du milieu des soins de santé.
Cependant, vous avez répondu à une question légitime, et j'espère que nous serons libres de poser toutes les questions que nous voulons ce matin.
Mme Lemire Rodger: Nous nous ferons un plaisir de vous fournir ces preuves.
Mme Kay: J'aimerais revenir aux observations faites par le président à propos des fournisseurs de soins directs. Il ne fait aucun doute que les infirmières auxiliaires autorisées considèrent qu'elles ont un rôle à jouer à cet égard. J'appuie ce que mon collègue a dit: c'est rendre un mauvais service aux Canadiens que de court-circuiter la formation des infirmières diplômées afin qu'elles aient accès plus rapidement au système. Je tiens à rappeler au comité que si vous voulez un fournisseur de soins directs, le programme d'infirmières auxiliaires autorisées est plus court et qu'il travaille en collaboration avec l'infirmière diplômée. Le système possède déjà les catégories d'infirmières dont il a besoin pour assurer des soins infirmiers réglementés aux Canadiens.
Il serait inapproprié de modifier la formation requise en raccourcissant le programme de formation dans l'une ou l'autre catégorie, et nous avons constaté que la portée de la formation des infirmières auxiliaires autorisées a été aussi élargie. C'est la tendance.
[Français]
Le sénateur Pépin: Je suis d'accord et je reconnais que les infirmières sont mieux qualifiées. Autant on a des infirmières diplômées et qualifiées, autant on manque de personnel pour s'occuper du quotidien des malades. Évidemment, avec le manque de personnel actuel et l'environnement de travail, il n'y a plus personne pour dire bonjour aux malades le matin, lui donner leur bain et leur parler un peu en leur administrant leurs médicaments ou pour leur frotter le dos, et cetera. Ces soins ne requièrent pas quatre ou cinq années d'étude. À une époque pas si lointaine, la première chose qu'une infirmière devait faire était d'aller se présenter à ses malades et les aviser que c'était elle qui allait s'occuper d'eux. Cela ne se fait plus aujourd'hui!
[Traduction]
Le sénateur Cook: Je viens de la province de Terre-Neuve et du Labrador, et j'ai été heureuse de vous entendre parler du programme de cercles d'apprentissage.
En 1984, j'ai présidé le Comité consultatif des normes infirmières du conseil de santé local. Notre vision était de parvenir à un programme de collaboration avant l'an 2000. Nous y sommes parvenus avec le centre des études infirmières qui a offert un programme de trois ans à deux volets. Cela fait maintenant cinq ans et je ne sais pas exactement ce qui s'est passé au cours de ces cinq ans.
Si je me souviens bien, les conditions d'entrée au centre à la fin du secondaire étaient supérieures à celles que l'on demandait pour entrer à l'université. Nous avons en outre découvert que quand l'Université Memorial a ouvert son école d'infirmières, des étudiants de 2e année n'avaient pas encore vu un malade. Ils arrivaient à l'hôpital sans avoir aucune idée de ce qui les attendait. Il y en a un certain nombre qui ont renoncé à ce moment-là parce qu'ils n'avaient fait jusque-là que de la théorie sans aucune pratique. On leur demandait pourtant de faire des choses assez ordinaires.
Quand je suis partie pour venir ici, le groupe se lançait dans une autre mission — celle d'infirmière praticienne. Je ne sais pas si je vivrai assez vieille pour voir les infirmières praticiennes remplir le rôle pour lequel elles ont été formées et auquel elles étaient destinées.
J'ai apprécié ce que vous avez dit quant aux obstacles au recours aux infirmières praticiennes. J'ai vu le résultat de l'intégration des trois écoles d'infirmières, le programme de collaboration et combien l'on a en effet collaboré pour réaliser cela.
Néanmoins, le volume 5 indique qu'il y a 40 p. 100 de moins de nouveaux diplômés à Terre-Neuve qu'au début des années 90. Nous avons tous entendu parler du Texas. Le nombre de places a été réduit de 273 à 180. Cela n'empêche que les infirmières d'aujourd'hui doivent suivre la meilleure formation possible. Nous sommes entrés dans l'aire de la technologie et nous faisons donc les choses différemment maintenant. Une infirmière doit être à la pointe de la technologie pour offrir les soins auxquels s'attendent les gens.
Il y a un autre point sur lequel j'aimerais que Mme Kay nous donne son avis, à savoir le rôle des infirmières auxiliaires dans les soins communautaires. On offre plus de soins à domicile. Par exemple, quatre jours après une chirurgie cardiaque, on peut renvoyer un patient chez lui. Il y a deux semaines, ma fille a donné naissance à son premier bébé à Halifax et 40 heures plus tard, elle était chez elle. Dans mon temps, les femmes restaient à l'hôpital sept jours. J'ai dit à ma fille qu'une infirmière de la santé publique viendrait la voir chez elle, peu après son retour. Ces infirmières ont été merveilleuses.
J'aimerais avoir vos commentaires.
Mme Kay: En fait, j'étais moi-même infirmière visiteuse autrefois.
C'est toute la question de l'utilisation des gens au maximum de leur potentiel. Cela revient à ce que vous dites à propos des infirmières praticiennes, mais je laisserai mes collègues vous parler de cela.
Nous maintenons qu'il y a un sérieux obstacle à notre profession dans la délivrance des diplômes d'infirmières auxiliaires. Il y a une réglementation provinciale mais les employeurs insistent pour réglementer eux-mêmes cette profession. Par exemple, j'ai travaillé à ce titre dans un hôpital de soins actifs où je n'avais pas le droit de travailler à fond dans mon champ d'activité. Je suis alors allée voir les clients que nous savions avoir été renvoyés chez eux assez tôt et je faisais tout pour eux. Le paradoxe est qu'une infirmière praticienne puisse fonctionner à un endroit dans tout son champ d'activité mais pas ailleurs.
J'aimerais revenir à ce qu'a dit le sénateur Pépin quant à la charge de travail, car je crois que c'est un problème. Il y a une vraie pénurie de ressources humaines. Dans mes fonctions actuelles, je suis absolument ahurie du nombre de coups de téléphone que j'ai reçus au sujet d'infirmières auxiliaires mises à pied pour être remplacées par des fournisseurs de soins de santé non réglementés.
Les soins qu'apportent les infirmières aux malades vont plus loin qu'une friction dorsale et des petits encouragements. Remplacer des professionnels par des gens qui se contentent de donner une friction dorsale n'est pas sérieux. On sous-estime en fait la valeur de l'évaluation que les infirmières de toutes catégories font lorsqu'on essaie de trouver quelqu'un pour faire ce travail, qu'il s'agisse du bain alité ou de la friction dorsale.
Dans la plupart des provinces, on manque d'infirmières auxiliaires autorisées. Il reste toutefois des situations comme en Ontario où 1 400 infirmières auxiliaires autorisées ont indiqué dans leur dernier formulaire de renseignements qu'elles cherchaient un emploi en soins infirmiers.
C'est peut-être une question d'études. Peut-être qu'il faut offrir d'autres possibilités d'études. Il est certain que les choses ont énormément changé pour les infirmières auxiliaires autorisées. Peut-être faudrait-il reclasser les auxiliaires plus anciennes. Je trouve remarquable qu'il y ait un tel remplacement.
Le sénateur Cook: Pour ce qui est de l'intégration des trois disciplines, dans quelle mesure la formation au Canada intègre-t-elle les différentes disciplines?
Mme Kay: L'infirmière auxiliaire autorisée, dans certaines provinces, a pu avoir un semestre commun s'il y avait des programmes d'infirmières diplômées. Ces programmes n'existent plus. Les choses ont un peu changé, en particulier en Nouvelle-Écosse, où les infirmières auxiliaires autorisées sont maintenant prioritaires pour la première année d'université dans le programme d'infirmières diplômées.
En Ontario, le programme d'infirmières auxiliaires est devenu un programme de deux ans, menant à un diplôme. À l'heure actuelle, les universités ontariennes ne semblent pas vouloir reconnaître cette préparation au diplôme. Pour commencer un baccalauréat ès sciences en soins infirmiers, une infirmière auxiliaire doit, si elle n'a pas les crédits du CPO, obtenir six crédits du CPO.
Le sénateur Cook: Dieu merci, on a été plus prévoyants à Terre-Neuve lorsque l'on a créé ces programmes. On y a mis les pratiques et méthodes voulues.
Mme Lemire Rodger: L'apprentissage à vie est une réalité, il est donc nécessaire de s'organiser pour faciliter le mouvement des infirmières, au fur et à mesure de leur carrière, non seulement pour les infirmières auxiliaires diplômées et les infirmières autorisées mais également, au niveau du doctorat. C'était la même chose pour le baccalauréat. Il faut absolument intégrer les choses.
Grâce à des programmes novateurs comme à Terre-Neuve, nous constatons qu'il y a beaucoup plus de jeunes qui envisagent de s'inscrire à un programme universitaire en soins infirmiers. Ce n'est plus sans issue. Aujourd'hui, il y a beaucoup de monde qui souhaite poursuivre leurs études jusqu'à une maîtrise ou un doctorat. Cela fait une différence pour les gens qui nous arrivent. Il y en a beaucoup plus qui souhaitent le diplôme universitaire que le diplôme d'infirmier, même s'il est encore difficile de s'organiser pour parvenir au baccalauréat.
Où sont passés les gens censés offrir les soins? Dans nos établissements, il y a des secteurs où la qualité des soins est excellente et la dotation en personnel bonne. C'est ce que nous disent les patients. Il y a d'autres secteurs où la qualité des soins et la dotation en personnel sont insuffisantes.
Aujourd'hui, les infirmières en connaissent plus. Une infirmière orthopédique en connaît plus aujourd'hui que je n'en connaissais il y a 25 ans. Il y a plus de collaboration qu'autrefois. Toutefois, il y a un problème de charge de travail et de nombre.
Pour ce qui est des infirmières praticiennes, nous ne les utilisons pas bien. Vous parlez de votre vision. Les infirmières praticiennes bénéficient d'un cadre législatif mais très souvent sans l'infrastructure nécessaire. Elles se retrouvent au milieu de la population à faire des diagnostics et décider de traitements. Elles assurent des soins infirmiers. Elles font également des évaluations et rédigent des ordonnances. La loi n'a pas suivi la pratique. C'est un peu comme la question du programme de deux ans maintenant en Ontario pour les infirmières auxiliaires autorisées. Tout le système évolue.
Si l'on considère les infirmières, qui font le diagnostic et le traitement et les questions de vie et de mort, la loi ne dit rien à ce sujet. Pour qu'elles soient couvertes, nous devons imaginer des tas de systèmes d'appoint, qu'il s'agisse de chemins cliniques, de règlements ou de directives médicales. Cela crée des difficultés.
M. Calnan et Mme Kay ont également parlé du problème systémique des lois et des finances. Il y a un problème financier. L'étude McMaster a révélé qu'une équipe multidisciplinaire qui inclut une infirmière praticienne permet au système de santé canadien de faire de sérieuses économies. Les infirmières praticiennes sont sous-utilisées. Il y a énormément de recherches qui viennent des États-Unis et de McMaster qui indiquent toutes les économies que l'on réalise en utilisant les infirmières praticiennes.
Le dernier point que je voulais évoquer est celui de la distorsion de notre main-d'oeuvre.
Dans les années 90, à l'époque des compressions, la majorité des employeurs ont voulu éliminer des postes à plein temps pour les infirmières en abolissant complètement les postes ou en créant des postes à temps partiel. À l'heure actuelle, 50 p. 100 des infirmières sont à plein temps et 50 p. 100 à temps partiel ou occasionnel.
Certaines des lignes directrices sur les meilleures pratiques indiquent que 70 p. 100 à plein temps et 30 p. 100 à temps partiel assureraient une meilleure continuité dans les soins aux patients et une plus grande stabilité dans la main- d'oeuvre. Terre-Neuve a 80 p. 100 de personnel à plein temps mais c'est la seule province qui ait de tels chiffres.
On a cru qu'en créant tous ces postes à temps partiel, on économiserait de l'argent. Mais cela a déstabilisé le système des soins de santé. D'autre part, les mauvaises conditions de travail et la charge cumulative ont provoqué une augmentation de la maladie chez les infirmières. C'est dans ce secteur qu'il y a le taux de maladie le plus élevé au pays. L'absentéisme moyen dû à la maladie est de 6,2 jours. Pour les infirmières, le taux passe à 15,5. Nous sommes la profession qui a la plus mauvaise santé au Canada. La distorsion dans nos rangs et l'instabilité due à l'élimination des postes à plein temps par nos employeurs nous ont fait beaucoup de mal.
Prenons l'exemple des nouveaux diplômés. Ils ne peuvent trouver de poste à plein temps. Ils sont endettés et doivent se loger si bien qu'ils sont obligés d'accepter un poste à temps partiel. Comme les postes à plein temps sont affichés à l'interne, les infirmières à temps partiel qui sont à l'interne vont occuper ces postes à plein temps. Cela a créé une distorsion et fait qu'il nous est difficile de faire entrer de nouveaux venus dans le système. C'est un problème interne.
Il y a le problème externe des projections que l'on fait. Il y a la distorsion interne qui vient de la charge de travail et du statut de ces infirmières.
Le sénateur Cook: Je ne connais pas d'autre profession au pays autant victime de compressions budgétaires que celle-ci.
Mme Lemire Rodger: Vous avez raison.
Le sénateur Cook: Dans ma province, l'année dernière, on a embauché 50 ou 60 infirmières auxiliaires autorisées. Il s'est produit quelque chose dans le système et on a fait revenir les employés occasionnels il y a une quinzaine de jours et mis à pied toutes les infirmières auxiliaires autorisées. C'est inhumain d'infliger ce genre de chose à ces gens qui essaient de nous assurer un système de soins de première qualité.
Le sénateur Pépin: Vous devriez voir ce qui s'est produit au Québec.
Le sénateur Cook: À la page 10 de votre mémoire, madame Kay, vous énumérez tous les fournisseurs de soins de santé dans les services de soins primaires. Dans ma vision de votre centre de santé communautaire, qui voyez-vous comme chef d'équipe possible?
Mme Kay: On peut m'accuser de préjugé en disant les services infirmiers mais, très honnêtement, je crois que les services infirmiers — et je le vois au sens large du terme — peuvent assurer le rôle de coordination nécessaire. Quand on parle de direction dans un cadre ou centre communautaire, il faut certainement quelqu'un qui est en mesure de diriger.
Je ne suis pas certaine qu'il faille limiter cela aux soins infirmiers. Ce qui est très important lorsque l'on envisage la direction d'une entité communautaire, c'est la coordination.
Le sénateur Cook: Sachant qu'elles sont sous-utilisées, est-ce que ce ne serait pas la place naturelle de l'infirmière praticienne?
Mme Kay: En effet, je pense que l'infirmière praticienne serait particulièrement bien adaptée à ce rôle.
J'aimerais toutefois revenir à ce que vous avez dit quant au rôle des infirmières auxiliaires dans le contexte des soins communautaires. Celles-ci ont en effet un rôle très important à jouer, mais cela n'a pas été reconnu de la même façon partout au pays. Bien qu'on ait des preuves de l'importance de ce rôle, il n'est pas vraiment mis de l'avant au Québec. Une étude a pourtant démontré dans une région particulière du Québec que les soins infirmiers auxiliaires peuvent jouer un rôle important dans le contexte des soins communautaires.
De même, en Colombie-Britannique, on s'attend depuis longtemps à ce que l'on parle du rôle des soins infirmiers communautaires dans le programme élémentaire offert aux infirmières auxiliaires. Les infirmières auxiliaires très souvent ne se font pas confier de fonctions d'infirmière en Colombie-Britannique. Elles sont préposées au service de soutien à la personne ou aide-soignant. Je pense qu'on pourrait leur donner d'autres rôles au sein de la collectivité.
Je serai à Terre-Neuve cette fin de semaine et je vais pouvoir constater les choses moi-même. Quand on parle du système là-bas, il est important de signaler que les études de soins infirmiers devraient offrir différents débouchés. On pourrait commencer comme infirmière auxiliaire autorisée et choisir d'arrêter à ce moment-là les études.
Terre-Neuve et le Manitoba sont les deux seules provinces qui appuient réellement l'idée d'un niveau avancé pour les infirmières auxiliaires dans les normes d'exercice de la profession. Bien que beaucoup puissent penser que le cheminement de carrière naturel d'une infirmière auxiliaire soit de finir infirmière diplômée, ce n'est pas nécessairement le cas. En fait, beaucoup choisissent de continuer et d'acquérir une certaine expertise dans certains domaines. Il y a des exemples à Terre-Neuve et au Manitoba où cela est reconnu par l'organisme de réglementation. Il y a un rôle pour les infirmières auxiliaires à un niveau avancé.
[Français]
Le sénateur Pépin: Notre comité a suggéré que le gouvernement fournisse une aide particulière aux étudiants, surtout lorsqu'il s'agit de frais de scolarité, c'est-à-dire qu'on abolisse complètement les frais de scolarité. Êtes-vous d'accord avec cette recommandation?
[Traduction]
Mme Lemire Rodger: Il ne fait aucun doute qu'abolir les frais de scolarité faciliterait les choses pour les étudiants. Par contre, nous refusons des milliers d'étudiants, faute de fonds. Nous ne nous préparons pas à la relève dans les services de soins infirmiers. Quant à vos priorités et investissements, je dirais que vous devriez considérer d'abord le nombre de places offertes dans les écoles parce que nous refusons des étudiants par milliers.
[Français]
Le sénateur Pépin: La semaine dernière un témoin, lors de sa présentation a parlé des coûts et des salaires. On nous a dit que les infirmières praticiennes travaillaient 40 heures comparativement à un médecin de médecine générale qui travaillait, peut-être, 90 heures. On nous a informé des salaires. Je ne veux pas faire de comparaison. Puis-je savoir s'il est vrai qu'une infirmière praticienne ne travaille que 40 heures par semaine?
[Traduction]
Mme Kay: Je pense que vous parlez là des infirmières praticiennes.
Mme Lemire Rodger: Il serait intéressant de faire une étude pour voir combien d'heures travaillent les infirmières praticiennes. À notre époque, je connais très peu d'infirmières diplômées, d'infirmières exerçant à un niveau avancé, d'infirmières praticiennes ou d'infirmières gestionnaires qui travaillent 40 heures. Bien qu'elles aient un salaire et un contrat, pour 36,25 ou 40 heures, dans les soins infirmiers, personne ne travaille ce genre d'heures. Théoriquement, nous pouvons faire des heures et indiquer ce que cela représente mais la réalité est différente.
En outre, comme vous le savez, ceux qui sont rémunérés à l'acte sont incités à travailler autant d'heures que possible. Est-ce que quelqu'un travaillerait 90 ou 100 heures pour assurer les services? C'est possible. Je le fais et je suis salariée. Je n'ai pas le choix; cela fait partie du poste.
Je ne pense pas qu'il y ait de données à ce sujet du tout. C'est théorique, calculé sur un certain nombre de contrats. Je n'ai encore jamais vu de contrat exécuté ainsi dans le système de santé actuel.
[Français]
Le sénateur Pépin: Lors de sa présentation devant notre comité, au mois de mai l'an dernier, Mme MacDonald- Rencz a fait allusion à 11 recommandations qui figurent dans un document sur la stratégie en matière de soins infirmiers, émis par les gouvernements fédéral, et les gouvernements provinciaux et territoriaux. Où en êtes-vous rendu avec ces recommandations? Qu'est-ce qui se produit dans ce domaine?
Mme Lemire Rodger: L'une des premières recommandation était de former, pour un an, un comité aviseur en soins infirmiers qui avait un mandat spécifique, soit aviser les ministres de la santé concernant ce qu'ils devraient faire dans le domaine des soins infirmiers. Le mandat a une durée d'un an. J'ai mentionné plus tôt que le comité aviseur a remis à un sous-comité son rapport qui a été accepté par le sous-ministre, le 10 juin, et en septembre par le ministre de la Santé.
De plus, certaines recommandations touchent les territoires et les provinces. Il y a eu une formation de comité aviseur parallèle à notre comité national dans chacune des provinces pour voir comment ils peuvent faire certaines choses, tel qu'améliorer l'image de l'infirmière. Ce travail est en cours présentement. Sur le plan national, vous recevrez ce rapport. C'est un rapport unanime de la part de représentants de gouvernement, de représentants d'employeurs, de représentants de syndicats, de représentants d'associations d'infirmières et des infirmières auxiliaires, les infirmières en psychiatrie et les infirmières autorisées et aussi des gens du monde académique. Ce rapport est entériné de façon unanime.
[Traduction]
Le sénateur Cordy: J'ai été particulièrement intéressée par les principes de l'OMS que vous nous avez fournis. J'ai trouvé cela très utile, en particulier pour ce qui est de la coopération intersectorielle. Nous savons tous que l'on ne peut considérer la santé sans considérer ce qui touche à la santé. Je pense au logement, à la situation sociale, à l'instruction et à tout un éventail de choses que vous avez mentionnées.
Au Canada, a-t-on des programmes de coopération intersectorielle? Cela semble en théorie magnifique. Je me demande si cela fonctionne.
Mme Kay: Nous indiquons dans notre mémoire l'exemple de la Manitoba Health's Primary Care Reform Branch. C'est un modèle qui décrit, je crois, ce que vous entendez par coopération intersectorielle et comment les services de santé doivent être considérés dans un contexte de santé beaucoup plus large. Cela remonte à 1997. On a probablement progressé depuis mais il y a des modèles qui démontrent tout à fait graphiquement ce dont vous parlez.
Le sénateur Cordy: Comment cela fonctionne-t-il? Est-ce que les différents groupes se réunissent une fois par mois ou sont-ils contactés selon les besoins? Comment cela peut-il fonctionner dans la pratique?
Mme Kay: Ce modèle particulier s'appelle Centres locaux de ressources et de soins médicaux. Il est fondé sur un principe de coordination et d'intégration mais pas nécessairement de regroupement des services. Il n'est pas nécessaire qu'il y ait un bâtiment de brique rouge dans lequel tout le monde travaille; ce qui est nécessaire, c'est une coordination centrale et des moyens d'avoir accès aux ressources qui existent localement et dans le système en général. La justice et le logement sont deux types de ressources auxquelles on peut avoir accès du même centre de coordination.
Quant à la façon dont ils se voient et sont en contact entre eux, je ne le sais pas. Il est certain que c'est un domaine où l'utilisation de la technologie peut être très utile et permettre une plus grande intégration et de meilleures communications entre des groupes géographiquement séparés.
Mme Lemire Rodger: Nous avons quelques autres exemples semblables. Lorsque nous avons étudié les soins de santé primaires et les soins infirmiers communautaires du Canada, nous avons donné quelques exemples. Il y a un exemple à Terre-Neuve où les policiers, les responsables des transports, les éducateurs, les parents et les prestataires de soins de santé se réunissent pour parler d'une question de santé et élaborer un programme et la façon de l'offrir. Il y a plusieurs modèles mais cela reste marginal. Ça ne se généralise jamais parce que nous n'avons pas accepté la pleine dimension des soins de santé primaires. Nous considérons cela comme un petit projet.
Ce qui se produit, c'est que lorsque l'on manque de fonds, le projet disparaît. Les projets ne durent pas. Tant qu'ils ne seront pas passés dans la norme, on ne pourra jamais en voir tous les avantages.
M. Calnan va nous en donner quelques exemples. Depuis deux ans et demi, certains secteurs du gouvernement examinent une approche intersectorielle. Une des difficultés vient du cloisonnement dans l'administration, que ce soit au niveau fédéral ou provincial. J'étais une des personnes ressources à une conférence nationale sur la collaboration intersectorielle. Tous les secteurs examinaient des projets possibles pour réduire au minimum les obstacles administratifs au financement. Il y a certains obstacles qui viennent du fait que la vision n'a pas été acceptée. Tant que cela reste marginal, il est difficile de le développer.
M. Calnan: À Victoria, il y a le James Bay Community Project. Cela a commencé par un groupe de médecins salariés avec une infirmière praticienne. Cela a été développé pour inclure des travailleurs sociaux et des conseillers financiers. Le bureau de la police communautaire se trouve maintenant dans le même bâtiment. Cela fonctionne depuis environ 25 ans. Cela marche bien dans cette localité. Il y a un centre d'accueil pour les aînés et différentes ressources sont offertes. C'est un modèle.
Il y a un service à Edmonton, le Northeast Project, dont nous avons parlé dans notre mémoire. Il y a encore un nouveau centre à Calgary, la Crowfoot Clinic, essentiellement des infirmières et des médecins. C'est un projet que l'on voulait développer. Il y a encore un centre en Saskatchewan où des infirmières, des travailleurs sociaux et des médecins travaillent avec la localité de Meadow Lake.
Le sénateur Cordy: Mme Rodger a parlé des groupes périphériques et j'ai vu cela en Nouvelle-Écosse. Par exemple, Phoenix House est une organisation à but non lucratif de jeunes itinérants. L'itinérance est un problème en soi. C'est comme la santé. Je ne sais pas si l'on peut parler d'«interdépendance», mais il y a certainement des ramifications d'autres facteurs.
[Français]
Le sénateur Pépin: En ce qui a trait aux équipes de santé et aux infirmières de rue, j'ai cru comprendre qu'il y avait une équipe semblable à Ottawa. Des telles équipes existent-elles dans d'autres villes canadiennes?
[Traduction]
M. Calnan: Je crois que c'est ce que dit Mme Rodger. Nous avons des exemples et des projets, mais cela reste marginal plutôt que la norme. Montréal, Toronto et d'autres grandes villes ont deux ou trois projets mais, jusqu'ici, ce n'est pas la norme.
Le sénateur Cook: Vous avez tous parlé de préoccupations qui retiennent mon attention.
Je voudrais revenir aux recommandations du Forum national sur la santé. On a investi environ 150 millions de dollars dans un certain nombre de projets pilotes, au plan provincial et fédéral.
Que pouvons-nous faire pour généraliser les approches qui s'avèrent bien fondées? Nous semblons être paralysés par le changement. Où est la pierre d'achoppement? Est-ce seulement un manque de financement? Quel est le problème? On dépense des sommes énormes pour acquérir ces connaissances fondées sur des preuves, mais on ne met pas en pratique ces connaissances à l'échelle du système. C'est comme si nous sommes paralysés dans notre capacité de réformer le système.
Mme Lemire Rodger: Jusqu'à ce que nous ayons une vision claire du gouvernement fédéral en ce qui concerne les soins de santé — et par cela je ne veux pas dire en excluant les provinces — il faut articuler une vision. Le comité du Sénat et la commission Romanow conviennent très bien à cette fin.
À notre avis, les soins primaires constituent une bonne approche parce que le Canada a pris un engagement à cet égard en 1978. Nous avons fait des progrès. À un moment donné, il faut articuler cette vision et investir des fonds considérables dans cette vision, tout en prévoyant un mécanisme de suivi. J'appelle cela une sucette. Vous trouvez une solution qui répond au problème, puisqu'on trouve que c'est une bonne approche.
Pour parler franchement, le Canada a presque...
Songeons, par exemple, à ce que disaient les trois paliers de gouvernement au début des années 90: «On a sept ans pour redresser les finances»; «pas de surfacturation». À la fin des années 90, toutes les provinces ont eu leur commission royale, et elles ont toutes fait les mêmes recommandations. La plupart d'entre elles mettaient de l'avant les principes de soins primaires, même si on ne les appelait pas ainsi.
Qu'en est-il résulté? Nous avons tâché d'aborder la question dans les années 80. Le mieux que nous ayons pu faire, ça a été de réclamer une modification à l'alinéa 6a) de la Loi canadienne sur la santé, afin de permettre aux patients d'avoir un accès direct aux infirmières et aux autres professionnels de la santé, et pas seulement aux médecins.
Nous avons réclamé une modification pour élargir les soins de santé, afin de mettre en pratique les cinq principes. Nous n'avons pas réussi. Nous avons lutté contre la surfacturation, le ticket modérateur, et cetera. Les sénateurs savent ce qui s'est passé. Il nous semblait que la situation ouvrirait la porte à la réforme du système.
Au cours des années 90, nous avons tout fait pour influencer le processus. Nous avons été rassurés par ce que nous avons vu dans les rapports. Nous avons osé penser qu'enfin, des années après l'engagement initial de 1978, le Canada allait prendre ce virage.
Dans les années 90, nous avons perdu du terrain. On a réduit les budgets. Tout a été marginalisé, et le système n'a pas été réformé.
Nous croyons que d'ici 2010, il y aura une seule occasion de le faire. La vision nationale indiquera le cap à suivre. Afin de faire prendre le virage à ce gros navire, il faudra des processus, des politiques, des procédures et du financement assorti de conditions. Cette approche n'aboutira pas à des ressources financières accrues, mais plutôt à une meilleure utilisation, une plus grande capacité et à une réorientation du système de soins de santé.
Les infirmières n'ont pas demandé qu'on investisse davantage dans le système. Elles ont toujours préconisé une utilisation plus efficace des budgets existants, des réinvestissements dans le système et une réorientation du système.
Cette possibilité de réforme se présente maintenant. J'espère que vous allez pouvoir nous aider.
Mme Kay: Quand on se penche sur les aspects pratiques pour vraiment aller de l'avant, ce que nous souhaitons tous, il faut disposer d'une synthèse ou d'une idée des constatations principales de tous les projets en cours.
Quand vous parlez des 141 projets subventionnés par le Fonds pour l'adaptation des services de santé, je ne suis pas convaincue qu'on sache quelles sont les meilleures idées ou conclusions à retenir de tous ces projets. Il faut faire la synthèse de tout cela.
Dans la pratique clinique, s'il existe différentes approches dans une situation donnée, nous analysons les diverses approches, les données cliniques et les recherches, et nous élaborons une ligne directrice sur la meilleure pratique à suivre. On parle d'une ligne directrice sur la meilleure pratique à suivre. Nous analysons les preuves cliniques les plus fiables, faisons ressortir les constatations clés et, sur ces bases, décidons de la meilleure marche à suivre dans l'état des choses.
Le président: À cet égard, un témoin a parlé des projets-pilotes comme étant une maladie canadienne, c'est-à-dire que nous faisons des projets-pilotes mais ils ne mènent jamais nulle part.
Je voudrais vous remercier tous les trois. Vous avez certainement retenu l'attention du comité. Je vous remercie d'être restés pour répondre à toutes nos questions.
La séance est levée.