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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

La santé des Canadiens – Le rôle du gouvernement fédéral

Rapport intérimaire

Volume quatre – Questions et options


Chapitre: Douze, Treize, Quatorze


Chapitre douze :

Questions et options concernant le rôle à jouer en matière de santé de la population

Le document de travail intitulé Nouvelle perspective de la santé des Canadiens, publié en 1974 par le ministre fédéral de la santé de l’époque, M. Marc Lalonde, a joué un rôle clé dans la façon dont sont conçus les soins de santé tant au Canada qu’ailleurs. Ce document reconnaît l’incidence du comportement sur l’état de santé et insiste sur la nécessité pour les Canadiens d’assumer une plus grande part de responsabilité à cet égard. Il fait surtout valoir qu’un bon système de soins de santé n’est que l’un des nombreux facteurs grâce auxquels la population se maintient en bonne santé. Certains spécialistes laissent entendre, depuis quelques années, que la santé de la population dépend à 25 % du système de soins de santé, alors qu’elle dépendrait à 75 % de facteurs tels que la biologie et le bagage génétique, l’environnement physique et les conditions socio-économiques.

En fait, comme le souligne le rapport du Comité pour la phase un, il y a accord sur le fait que de multiples facteurs – appelés déterminants de la santé – exercent une influence sur l’état de santé. Mentionnons, parmi ces facteurs, le revenu et le soutien social, l’éducation, l’emploi et les conditions de travail, l’environnement social, l’environnement physique, les habitudes personnelles en matière d’hygiène et les capacités d’adaptation, le développement au cours de la jeune enfance, les soins de santé, le sexe et la culture.

Le terme « santé de la population » est utilisé pour désigner l’état de santé général d’une population qui découle de tous ces déterminants. Contrairement aux soins de santé classiques qui sont offerts à des personnes individuellement lorsqu’elles deviennent malades, les stratégies d’amélioration de la santé de la population ont pour but, comme leur nom l’indique, d’améliorer la santé d’une population entière grâce à des politiques et des programmes à grande échelle qui ciblent ces principaux déterminants de la santé.

L’objectif d’une démarche axée sur la santé de la population est d’empêcher que ne surviennent des problèmes médicaux qui requerraient un traitement dans le système de soins de santé. Elle est donc orientée vers la prévention plutôt que vers le traitement des blessures ou des maladies.

Du même coup, il est important de reconnaître qu’une telle démarche ne vise pas le remplacement des soins de santé classiques; en dégageant les meilleurs moyens d’améliorer l’état de santé de la population; on tente plutôt de tenir compte de tous les déterminants de la santé ainsi que de leurs interactions. Les défenseurs d’une telle approche croient qu’en investissant davantage de ressources financières et humaines de la sorte nous en arriverons à améliorer l’état de santé d’une population donnée et qu’en fin de compte nous réduirons la demande de services nécessaires pour traiter les maladies.

L’un des aspects les plus intéressants d’une démarche axée sur la santé de la population est l’élargissement qu’elle permet du cadre de compréhension des raisons pour lesquelles l’état de santé général n’est pas uniforme à travers tout le Canada. Notre système de soins de santé universel a permis un accès équitable à des services assurés, mais pas nécessairement à une bonne santé pour tous. Une série d’indicateurs de l’état de santé montrent d’importantes disparités entre les Canadiens selon le lieu géographique, les facteurs démographiques, les conditions socio-économiques, le sexe et ainsi de suite.

Les stratégies d’amélioration de la santé de la population englobent donc une vaste gamme d’activités allant de la promotion de la santé et de la prévention de la maladie à des politiques et des programmes de nature générale qui exercent une influence sur la répartition du revenu, l’accès à l’éducation, le logement, la qualité de l’eau potable, la sécurité au travail, etc., autant de facteurs qui ont des effets sur l’état de santé.

 

12.1 Les tendances observées pour les maladies

La révolution qui a eu lieu au XXe siècle dans les soins de santé a modifié de manière importante les modèles de prévalence des maladies, les maladies infectieuses ayant été progressivement supplantées par les maladies non transmissibles dans les causes de décès. Aujourd’hui, les maladies chroniques telles que le cancer et les maladies cardiovasculaires sont les principales causes de décès et d’invalidité au Canada, alors que les blessures accidentelles se classent au troisième rang. Cependant, certaines maladies infectieuses qu’on croyait avoir vaincues réapparaissent – la tuberculose par exemple – et les antibiotiques se révèlent de moins en moins efficaces contre elles. Le transport rapide des aliments et des gens à travers le monde fait également augmenter les risques de propagation des maladies infectieuses.

Au cours de la phase deux de son étude, le Comité a appris que le coût total des maladies pour 1998 avait été estimé à 156,4 milliards de dollars. Les coûts directs ( tels que les soins hospitaliers, les services des médecins et la recherche en santé) s’élevaient à 81,8 milliards, tandis que les coûts indirects (tels que la perte de productivité et la baisse de la qualité de vie) comptaient pour 74,6 milliards de dollars. Les maladies diagnostiquées ayant entraîné les coûts les plus élevés ont été les maladies cardiovasculaires, les maladies musculo-squelettiques, le cancer, les blessures, les maladies respiratoires, les affections du système nerveux et les troubles mentaux.

Selon des témoins, il est possible de prévenir un grand nombre de maladies, de même que la plupart des blessures. À leur avis, la seule façon d’inverser les tendances observées pour les maladies et de réduire le fardeau de la maladie consiste à investir davantage dans la promotion de la santé, la prévention de la maladie et la santé de la population. Plus important encore, ils ont toutefois aussi fait remarquer que les gouvernements visent surtout la guérison des maladies plutôt que leur prévention. À titre d’exemple, il convient de mentionner que la stratégie la plus courante à l’égard des maladies chroniques porte sur le traitement clinique et qu’il n’y a que peu de volonté politique d’accroître les ressources destinées à la promotion de la santé et la prévention de la maladie. De tels programmes ne donnant de résultats qu’à long terme généralement, ils sont moins intéressants sur le plan politique que les investissements dans des installations comme les hôpitaux.

 

12.2 Quelques tendances dérangeantes

Comme nul ne l’ignore, la jeunesse d’aujourd’hui représente l’avenir de notre pays; c’est pourquoi les tendances qui menacent la santé des jeunes Canadiens sont particulièrement inquiétantes.

Une étude récente a donné l’alerte relativement à l’embonpoint et à l’obésité des enfants au Canada. Les chercheurs ont découvert que l’indice de masse corporelle des enfants ayant entre 7 et 13 ans a progressé de façon spectaculaire ces dernières années au Canada. En 1981, 15 % des garçons et des filles avaient un excès de poids, pourcentage qui est passé en 1996 à près de 29 % pour les garçons et à 23 % pour les filles. L’obésité des enfants a également plus que doublé pendant la même période. Selon les recherches, les enfants et les adolescents ayant un problème d’excès de poids sont plus susceptibles d’avoir des problèmes de santé une fois adultes.

Les troubles de l’alimentation comme la boulimie ou l’anorexie mentale demeurent graves, surtout chez des jeunes femmes. Quelque 90 % des personnes atteintes de troubles de l’alimentation sont des femmes, troubles qui apparaissent habituellement entre l’âge de 14 et 25 ans. Au Canada, plus de 38 000 femmes souffrent d’anorexie mentale et plus de 114 000 de boulimie. Même si la majorité des complications d’ordre physique qui surviennent chez les adolescentes ayant des troubles de l’alimentation peuvent être réglées avec le temps, certaines sont irréversibles. En effet, les conséquences à long terme de tels troubles sont mal connues, mais l’on sait néanmoins que les jeunes souffrant de ces troubles risquent un retard ou un arrêt irréversible de leur puberté ainsi qu’une mauvaise acquisition du pic de la masse osseuse plus tard dans la vie ou encore de souffrir d’ostéoporose à l’âge adulte.

Selon Statistique Canada, la grande majorité des Canadiens connaissent les risques liés à l’usage du tabac – 4 % seulement des Canadiens de 12 ans ou plus en 1996-1997 estimaient que l’usage du tabac ne posait aucun risque pour la santé. Pourtant, plus d’un quart des Canadiens de ce groupe d’âge fument chaque jour ou à l’occasion, s’exposant ainsi au cancer du poumon, aux maladies cardiaques et à d’autres problèmes de santé. Qui plus est, un nombre important de jeunes commencent à fumer chaque année.

Il convient également de noter un certain nombre d’autres grandes tendances qui se manifestent dans la population canadienne. Selon un document préparé pour le Réseau de consultation sur la santé mentale fédéral, provincial et territorial, 3 % des Canadiens souffrent de troubles mentaux graves et chroniques, comme les troubles bipolaires et la schizophrénie, qui sont sources de limites fonctionnelles et de handicaps sociaux ou économiques importants. Cela signifie qu’une personne de plus 15 ans sur 35 est touchée. Lors de l’Enquête nationale sur la santé de la population menée en 1994-1995, on a pu établir que 29 % des Canadiens vivaient de forts niveaux de stress, 6 % se sentaient déprimés, 16 % estimaient que le stress réduisait leur qualité de vie et 9 % avaient des troubles cognitifs, difficultés de concentration ou troubles de mémoire. Ce sont chez les jeunes que l’on trouve en particulier les plus bas taux de bien-être psychologique.

Quelque 42 % des adultes au Canada n’ont pas les capacités nécessaires pour lire et comprendre des documents liés à leur vie quotidienne, comme des brochures traitant de questions de santé. Le Canada a ceci de particulier que les capacités de lecture et d’écriture de la population se détériorent dans la quarantaine, plutôt que plus tard comme c’est le cas en Suède. On a expliqué au Comité qu’un certain nombre de facteurs pouvaient expliquer cette particularité. Les Suédois lisent deux fois plus au travail et davantage chez eux que les Canadiens. Le taux de participation à la formation permanente est le double en Suède de ce qu’il est normalement au Canada et la formation permanente y touche toutes les catégories d’âge, tandis qu’au Canada elle diminue vers la quarantaine tout comme les capacités de lecture et d’écriture. Le Comité a également appris que, même si le niveau d’instruction de la population devait augmenter avec le temps, les capacités de lecture et d’écriture au cours des quelque décennies à venir demeureront stables à moins que l’on n’investisse de façon extraordinaire dans ce type de formation. Il s’agit là d’une préoccupation importante, car 15 % environ des capacités de lecture et d’écriture actuelles sont fonction des niveaux de la génération précédente. Ces capacités étant un facteur clé de l’état de santé, elles représentent donc un des vecteurs des comportements néfastes en matière de santé entre les générations.

 

12.3 Les déterminants de la santé : quelques données

L’immense diversité des déterminants de la santé explique en bonne partie la complexité des questions de santé, complexité exacerbée par l’interaction entre ces divers facteurs.

Selon de nombreux experts, c’est le statut socio-économique qui exerce la plus forte influence sur l’état de santé. Qu’il s’agisse de la façon dont les gens évaluent leur propre santé, de mortalité prématurée, de bien-être psychique ou de l’incidence des maladies chroniques, nous trouvons dans chaque cas une forte corrélation entre le statut socio-économique et l’état de santé. Les différences dans l’état de santé sont particulièrement évidentes lorsque nous établissons des comparaisons entre les groupes ayant les revenus les plus faibles et ceux ayant les revenus les plus élevés. Les Canadiens et Canadiennes ayant un faible revenu et un faible niveau de scolarité (les deux phénomènes étant souvent reliés) sont plus susceptibles d’avoir un piètre état de santé, quel que soit l’indicateur utilisé pour mesurer l’état de santé, et pour pratiquement tous les indicateurs et tous les facteurs qui influent sur la santé, on constate que l’état la santé des gens s’améliore avec l’élévation des niveaux de revenu et de scolarité.

En d’autres mots, les Canadiens ayant un revenu élevé ont plus de chances d’être en bonne santé que ceux qui ont des revenus moyens, ceux-ci étant à leur tour en meilleure santé que ceux qui n’ont qu’un faible revenu. En fait, on estime que si les taux de mortalité des personnes ayant les revenus les plus élevés s’appliquaient à tous les Canadiens, on pourrait éviter plus d’un cinquième de la perte d’années potentielles de vie avant l’âge de 65 ans. On a également dit ce qui suit au Comité :

    • Les Canadiens n’ayant que de faibles capacités de lecture sont plus susceptibles d’être chômeur et pauvre, d’avoir une moins bonne santé et de mourir plus tôt que ceux qui ont des capacités de lecture élevées;
    • Les Canadiens ayant un niveau de scolarité élevé ont plus aisément accès à des environnements physiques sains et sont mieux en mesure de préparer leurs enfants pour l’école que les gens n’ayant qu’un faible niveau de scolarité. De façon générale ils fument moins, sont plus actifs physiquement et peuvent consommer des aliments plus sains;
    • Malgré une baisse du taux de mortalité infantile, une hausse de la fréquentation scolaire et une diminution de l’abus des substances psychotropes dans beaucoup de collectivités autochtones, le risque de maladie et de décès prématuré demeure plus élevé chez les Canadiens d’origine autochtone que dans l’ensemble de la population canadienne.

 

12.4 Le rôle du gouvernement fédéral

Le rôle du gouvernement fédéral en matière de promotion de la santé, de prévention de la maladie et de santé de la population est bien établi. Après la publication du rapport Lalonde en 1974, le ministère fédéral de la santé a créé des programmes communautaires et lancé des campagnes de sensibilisation visant la promotion de la santé (comme ParticipAction, Dialogue sur l’alcool et le Guide alimentaire canadien pour manger sainement).

Le rapport intitulé La Santé pour tous : plan d’ensemble pour la promotion de la santé, publié en 1986 par le ministre de la Santé de l’époque, M. Jake Epp, visait à élargir la politique fédérale de manière à englober la promotion de la santé et la prévention des maladies. Ce rapport plaçait une importance particulière sur les déterminants de la santé. Les programmes lancés au cours de cette période comprennent : la Stratégie canadienne antidrogue, l’Initiative canadienne en santé cardiovasculaire, Villes et villages en santé et la Stratégie canadienne sur le VIH/SIDA.

Dans les années 90, les ministres fédéral, provinciaux et territoriaux de la santé ont officiellement avalisé le concept de santé de la population. C’est ainsi qu’ont été publiés trois grands rapports offrant des données sur les déterminants de la santé des Canadiens et définissant des cadres visant à guider l’élaboration des politiques en matière de santé de la population et des stratégies connexes.

À la lumière de ces rapports, le gouvernement fédéral a trouvé un moyen de participer à l’élaboration et à l’application de politiques et programmes qui concernent la santé des Canadiens hors du secteur traditionnel des soins de santé (responsabilité provinciale ou territoriale). En 1997-1998, Santé Canada a adopté officiellement un cadre de santé pour la population dans lequel s’inscrit ses programmes et initiatives. D’autres agences et ministères fédéraux participent également aux stratégies d’amélioration de la santé de la population :

    • La santé de la population est l’un des quatre axes de recherche en santé aux Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC). L’Institut de la santé publique et des populations d’IRSC appuie en particulier la recherche portant sur les interactions complexes (biologiques, sociales, culturelles et environnementales) qui déterminent la santé des individus, des collectivités et des populations mondiales.
    • L’Institut canadien d’information sur la santé a pour responsabilité de mener à bien l’Initiative sur la santé de la population canadienne. Cette initiative appuie également la recherche visant le développement de notre compréhension des déterminants de la santé qui influent sur la population canadienne et portant sur la formulation de politiques axées sur l’amélioration de la santé de la population et la réduction des iniquités au regard de la santé.
    • Le Plan d’action national pour les enfants comporte diverses initiatives visant un développement sain chez les enfants, notamment le Programme canadien de nutrition prénatale, le Programme d’aide préscolaire aux Autochtones, le Programme d’action communautaire pour les enfants, la Prestation nationale pour enfants ainsi que les prestations de congé de maternité et parental qui s’inscrivent dans le cadre de l’assurance-emploi.

Il est manifeste que le gouvernement fédéral devrait maintenir et renforcer le rôle qu’il assume depuis longtemps en matière de promotion de la santé et de prévention des maladies. D’ailleurs, il est reconnu dans le monde entier pour avoir forgé le concept de santé de la population. Il pourrait donc de nouveau être à l’avant-garde en mettant en œuvre une stratégie d’amélioration de la santé de la population. C’est une tâche réalisable, étant donné son rôle actuel dans bien des domaines qui touchent à la santé, comme l’environnement, la politique économique, la recherche en santé, la sécurité au travail, etc.

 

12.4.1 La promotion de la santé et la prévention de la maladie

Des témoins ont rappelé avec insistance qu’il est nécessaire de continuer à inciter les gens à faire des choix éclairés en ce qui concerne leur propre santé. Il importe d’insister sur la nécessité de s’alimenter sainement, de faire de l’exercice régulièrement et de ne pas fumer.

Après une certaine réticence dans quelques cas, les campagnes de prévention ont porté fruit. Celle concernant le port obligatoire de la ceinture de sécurité en est un bon exemple. Avant l’adoption de la loi, de 15 à 30 % seulement des Canadiens bouclaient leur ceinture alors que le pourcentage se situe actuellement à 92 %. Et le nombre des décès dus à des accidents de la route a dégringolé.

Toutefois, des témoins ont fait valoir que, jusqu’à présent, bien des stratégies qui ont tenté d’inculquer un « bon comportement » n’ont pas vraiment porté fruit, notant que la création d’un environnement permettant aux gens de faire eux-mêmes les bons choix fait partie du défi à relever.

Les efforts en matière de prévention doivent être fonction des situations. Il n’y a pas de stratégie universelle. Par exemple, les tendances dans le domaine des maladies transmises sexuellement changent à mesure que les pratiques sexuelles elles-mêmes changent; elles exigeront donc toujours de nouvelles stratégies de prévention et de promotion. À cet égard, il est important de veiller à ce que les informations sur la santé qui sont diffusées soient toujours à jour. Des témoins ont cité la publication du Guide alimentaire canadien comme exemple d’une bonne initiative qui n’a toutefois pas été suivie d’une diffusion efficace ou d’une mise à jour et d’une actualisation.

L’une des difficultés que soulève l’élaboration de stratégies de promotion de la santé et de prévention de la maladie tient au fait qu’il existe, dans le cas de beaucoup de maladies, de nombreux facteurs de risque. Les stratégies globales de prévention et de promotion doivent donc tenir compte des liens entre les facteurs de risque, ainsi que des liens entre l’état de santé et les facteurs socio-économiques, démographiques et environnementaux.

Les stratégies doivent également tenir compte du lien entre la santé des collectivités et la santé des citoyens. Ainsi, les gens peuvent être moins tentés de faire du vélo ou du jogging si les rues ne sont pas sûres. Les programmes communautaires qui ont du succès allient une compréhension de la collectivité, la participation du public et la coopération d’organismes communautaires. Les stratégies qui portent sur plusieurs facteurs de risque peuvent avoir de nombreux effets bénéfiques; il s’agit notamment du soutien pour les familles à risque, des programmes intégrés de promotion de la santé à l’école et des programmes intégrés de santé et de sécurité au travail.

De plus, puisque les maladies et les blessures ne sont pas uniformément réparties au sein des populations, les stratégies doivent également tenir compte des liens entre l’état de santé et les facteurs démographiques et environnementaux tels que l’âge, la race, la région de résidence et le sexe. Elles doivent donc être conçues en fonction des tendances qui ont cours en matière de maladies et de blessures chez certains groupes précis de la population, comme la jeunesse ou les peuples autochtones. Par exemple, les accidents de véhicules motorisés touchent principalement les jeunes hommes et les taux de suicide sont élevés chez les jeunes Autochtones. Les adultes de 65 ans ou plus sont surtout victimes de chutes, et les blessures sont la première cause de décès chez les enfants. Les stratégies doivent être adaptées aux situations des groupes touchés et cibler les groupes qui profiteront le plus de la prévention.

 

12.4.2 Les stratégies d’amélioration de la santé de la population

Le Comité est d’avis que plusieurs des questions clefs qui se posent relativement aux stratégies d’amélioration de la santé de la population viennent de ce qu’il est difficile de savoir comment traduire les résultats des recherches démontrant l’importance de telles stratégies en politiques et programmes pouvant être mis en œuvre. Il ne fait guère de doute que ces stratégies pourraient donner lieu à une amélioration de l’état de santé de la population, mais il reste d’importants obstacles pratiques à franchir pour aller au-delà de l’expression de vœux pieux et concevoir des programmes concrets viables à long terme.

En premier lieu, en raison de la multiplicité des facteurs qui exercent une influence sur la santé de la population, il est extrêmement difficile d’établir des liens de causalité, d’autant plus que les effets ne se font souvent sentir que bien des années après l’exposition à la cause. Ce décalage signifie également qu’on ne peut juger qu’à long terme des conséquences des politiques mises en oeuvre dans ce domaine. Comme les horizons politiques sont souvent plus rapprochés, ceci peut décourager fortement l’élaboration et la mise en œuvre de stratégies d’amélioration de la santé de la population.

De plus, comme nous l’avons fait remarquer précédemment, une infrastructure considérable destinée au traitement des maladies est déjà en place, de sorte que de nombreux intérêts sont bien ancrés dans le système. Ce n’est pas nécessairement que les spécialistes du traitement médical s’opposent aux stratégies d’amélioration de la santé de la population – c’est sans aucun doute l’inverse qui prédomine. C’est simplement qu’il faut consacrer des ressources massives au simple maintien de l’infrastructure de soins de santé, si bien qu’il est difficile de trouver le temps, l’énergie et les fonds nécessaires au volet préventif de l’amélioration de la santé.

En outre, en raison de la diversité des facteurs qui influent sur l’état de santé, il est très difficile de coordonner l’action gouvernementale dans ce domaine. Étant donné que le système de soins de santé lui-même ne s’occupe que d’une partie relativement faible des véritables déterminants de la santé, la responsabilité de la santé de la population ne peut relever exclusivement des divers ministères de la santé. Et pourtant la structure de la plupart des appareils gouvernementaux se prête plutôt mal à la prise en charge interministérielle de problèmes complexes et cette difficulté est décuplée lorsqu’on intègre à l’ensemble, comme on doit le faire pour que les stratégies d’amélioration de la santé de la population soient véritablement opérantes, les divers ordres de gouvernement ainsi que de nombreux autres intervenants.

Par exemple, les données concernant l’existence d’une variation de l’état de santé en fonction des niveaux socio-économiques sont très concluantes. Il en découle que les efforts visant à améliorer la santé de la population doivent porter beaucoup d’attention à la réduction de la pauvreté. Il existe cependant au pays un grand nombre de politiques gouvernementales qui ont un impact sur les niveaux de pauvreté au Canada et on ne peut demander à un ministère de la santé d’assumer la gestion de tous les moyens d’action en cause, ne serait-ce que parce que ce serait perçu avec raison par les autres ministères comme une sorte « d’impérialisme de la santé ». Il serait également quelque peu paradoxal, comme l’a fait remarquer un témoin, de plaider en faveur d’une lutte contre la pauvreté uniquement en raison de l’incidence qu’a la pauvreté sur la santé. Toute initiative de ce genre devrait s’inspirer de l’orientation générale de la politique sociale du gouvernement, ce qui est un champ beaucoup plus vaste que la seule politique de la santé.

Les données dont on dispose montrent bien qu’en général les stratégies d’amélioration de la santé de la population doivent être élaborées très soigneusement de manière à ce qu’elles tiennent compte des réalités auxquelles sont confrontés des groupes particuliers. On doit en déduire que les programmes aux critères rigides qui sont appliqués de manière uniforme et fortement centralisée ont peu de chances de succès. Il semble donc nécessaire d’allier de quelque façon coordination et mise en oeuvre décentralisée.

Bien que la mise au point d’une stratégie efficace d’amélioration de la santé de la population soulève de nombreuses difficultés, le Comité croit qu’il est important que le gouvernement fédéral poursuive ses efforts visant à établir un modèle en cette matière en explorant des façons novatrices de transformer une bonne théorie en une pratique assise solidement qui contribuera à améliorer les résultats obtenus dans le domaine de la santé au Canada. Le Comité souhaite mettre de l’avant deux grandes options et obtenir des réactions des lecteurs sur ces options.

La première de ces options est élaborée de manière plus détaillée dans le chapitre suivant puisqu’elle porte sur la responsabilité fédérale en matière de prestation de services de santé aux Canadiens d’origine autochtone. Disons toutefois que l’idée principale est la suivante : dans un domaine qui relève nettement de la compétence fédérale, le gouvernement devrait pouvoir adopter une stratégie explicite d’amélioration de la santé de la population qui tienne compte des nombreux facteurs qui tendent à perpétuer l’état de santé général déplorable qui est encore la norme dans beaucoup de collectivités autochtones. Il faudrait qu’il y ait une étroite coordination des activités des divers ministères qui ont une responsabilité quelconque dans ce domaine (ceux de la Santé, des Affaires indiennes et du Nord, des Finances, etc.). Il faudrait également trouver des façons de travailler efficacement en collaboration avec les collectivités autochtones elles-mêmes ainsi qu’avec les autres paliers de gouvernement qui offrent également des services à ces collectivités. Une telle approche fournirait aussi l’occasion de mettre au point des mécanismes efficaces de reddition de comptes en ce qui concerne les résultats mesurables sur la santé. C’est là un aspect important, quoique souvent négligé, des programmes axés sur l’amélioration de la santé de la population

La deuxième option exigerait une intervention fédérale de plus grande envergure encore. En raison de la très grande ampleur du champ d’action visé par les stratégies d’amélioration de la santé de la population, il serait essentiel de trouver une façon de faire tomber les cloisons qui compartimentent les ministères en ce qui concerne la responsabilité des résultats des politiques. L’une des façons d’y arriver, qui a déjà été proposée au chapitre 10 du présent rapport, consisterait à confier à un « commissaire à la santé » la responsabilité d’analyser les effets sur la santé de toutes les politiques gouvernementales et de présenter des rapports à ce sujet.

Quel que soit le modèle exact du bureau chargé de cette tâche, l’important est de concevoir un mécanisme grâce auquel il sera possible d’examiner attentivement toutes les politiques gouvernementales sous l’angle de la santé de la population. Ceci permettrait de faire une analyse continue des résultats de ces politiques sur le plan de la santé et créerait une certaine obligation générale de rendre des comptes au public. Un rapport annuel d’un tel bureau qui centrerait son attention sur les principaux déterminants de la santé pourrait apporter un complément au travail déjà effectué par l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS), mais également inclure des prescriptions sur la façon de veiller à ce que toutes les politiques gouvernementales aient l’effet le plus favorable possible sur la santé des Canadiens et Canadiennes.

 

12.4.3 Les recherches

De nombreux témoins ont dit au Comité qu’il faut effectuer davantage de recherches, particulièrement dans certains domaines. Il arrive fréquemment que l’on débourse des fonds sans mener les recherches épidémiologiques permettant d’établir comment investir ces fonds. En ce qui concerne la recherche sur les maladies chroniques, des témoins ont fait valoir auprès du Comité que l’on sait mal comment utiliser les données pour mettre en œuvre des stratégies de prévention. À cet égard, des recherches sont nécessaires pour établir comment transmettre au mieux l’information sur la santé aux fournisseurs de soins de santé et à la population dans son ensemble, et en particulier aux milieux socio-économiques défavorisés ou aux personnes ayant de faibles capacités de lecture.


Chapitre treize :

Questions et options relativement au rôle à jouer dans le domaine de la santé des autochtones

Le gouvernement joue un rôle important dans la mesure où il assure directement la prestation de toute une gamme de services de santé à certains segments de la population. Il est ainsi responsable de la prestation de services de santé, dont les soins primaires, aux Premières nations et aux communautés inuites, ainsi que d’autres services connexes à la GRC, au Service correctionnel, aux Forces armées et aux anciens combattants. En fait, le gouvernement fédéral fournit des services de santé à un plus grand nombre de Canadiens que plusieurs provinces. Dans le présent chapitre, le Comité soulève des questions précises relativement à la prestation des services de santé aux Canadiens autochtones et fait état d’options qui permettraient à la politique publique de trouver réponse à ces questions.

La Loi constitutionnelle de 1982 reconnaît trois groupes d’Autochtones : les Indiens, les Inuits et les Métis. La population indienne regroupe les Indiens inscrits et non inscrits. La Loi sur les Indiens définit le statut juridique des Indiens inscrits (soit les Premières nations) du Canada, à savoir, les Indiens qui sont inscrits en vertu de la Loi sur les Indiens. Les Indiens non inscrits sont ceux qui ne sont pas inscrits en vertu de cette loi. La population inuite du Canada vit essentiellement dans les localités des Territoires du Nord-Ouest, du Nunavut, du Nunavik et du Labrador. Environ 6 % des Inuits vivent dans le Canada méridional. Les Inuits ne sont pas expressément visés par la Loi sur les Indiens mais ont néanmoins droit à certaines services de la part du gouvernement fédéral. Les Métis sont ces Canadiens qui sont de descendance indienne et européenne. Les Métis ne sont pas visés par la Loi sur les Indiens et ne reçoivent pas de services de la part du gouvernement fédéral.

On estimait en 2000 que la population autochtone se chiffrait à 1 399 300 personnes, soit environ 3 % de la population canadienne, et se composait de 28,5 % d’Indiens inscrits vivant dans des réserves, de 30,6 % d’Indiens non inscrits, de 20,8 % d’Indiens inscrits vivant hors réserve, de 15,6 % de Métis et de 4,5 % d’Inuits.

À l’heure actuelle, 12 ministères fédéraux offrent divers programmes et services aux Autochtones. Ces programmes et services sont nombreux et comprennent des services de santé et sociaux; l’enseignement élémentaire, secondaire et postsecondaire; des services d’adduction et d’égout; le logement; la restauration environnementale, le développement d’entreprises, etc. On estime que ces programmes devraient coûter au total 7,3 milliards de dollars en 2001-2002.

En dépit des crédits considérables que le gouvernement fédéral alloue à la santé et au bien-être des peuples autochtones, des écarts très considérables au niveau de la santé et de la condition socioéconomique persistent entre les Autochtones et le reste de la population canadienne. En fait, l’état de santé des Canadiens autochtones et les conditions socioéconomiques dans lesquelles ils vivent demeurent déplorables. En outre, lors des audiences du Comité, les Indiens inscrits hors réserve, les Indiens non inscrits et les Métis ont fait valoir que bien souvent leurs besoins particuliers en matière de santé et de soins de santé ne retiennent pas l’attention des pouvoirs publics.

 

13.1 Le profil socio-économique et la santé de la population autochtone canadienne

Il existe des disparités considérables entre les populations autochtones et la population canadienne en général pour ce qui est de l’état de santé et des conditions socio-économiques. Au cours de la phase deux de son étude, le Comité a pris connaissance de données très dérangeantes.

Par rapport à la population canadienne dans son ensemble, les populations autochtones souffrent beaucoup plus de maladies chroniques. Il semblerait par exemple, au vu de données récentes, que les problèmes cardiaques, l’hypertension et le diabète y soient trois fois plus fréquents. La tuberculose et le VIH/sida y sont beaucoup plus prévalents. Le taux de décès causés par des accidents et des empoisonnements est supérieur de 6,5 fois chez les Premières nations et les Inuits. Le taux de suicide des jeunes autochtones est de cinq à six fois plus élevé à ce qu’il est chez les jeunes Canadiens en général. L’abus d’alcool, de drogues et de solvants est critique. Le syndrome d'alcoolisme fœtal et les effets de l'alcoolisme fœtal sont beaucoup plus présents dans certaines collectivités autochtones que dans d’autres segments de la population canadienne. Quelque 75 % des femmes autochtones sont victimes de violence familiale et jusqu’à 40 % des enfants de certaines collectivités du Nord ont fait l’objet de sévices physiques de la part d’un membre de leur famille.

Les Autochtones sont moins susceptibles de faire partie de la population active et connaissent des taux de chômage supérieurs. Le revenu annuel moyen, toutes sources confondues, des Autochtones du Canada est bien inférieur à celui du reste de la population. Environ 44 % de la population autochtone et 60 % des enfants autochtones de moins de six ans vivent sous le seuil de faible revenu défini par Statistique Canada. À peu près 54 % de la population autochtone n’ont pas de diplôme de fin d’études secondaires, contre 16 % pour le reste de la population au pays.

Il est beaucoup plus fréquent pour les Autochtones de vivre dans un logement trop exigu que pour les autres Canadiens. Les logements autochtones présentent beaucoup de moisissures, mais l’incidence de ce phénomène sur la santé n’est pas encore connue. De nombreuses collectivités autochtones ont encore de la difficulté à bénéficier d’eau potable sûre et propre et d’égouts.

Le Comité est d’avis que l’état de santé des autochtones est une honte nationale. Si les Autochtones jouissaient du même niveau de santé que le reste de la population, le Canada afficherait sans doute la meilleure note au monde pour l’état de santé de sa population. Nous devons faire mieux, à n’en pas douter. Le gouvernement fédéral doit assumer un rôle de chef de file et redresser immédiatement cette situation.

 

13.2 La prestation des services de santé aux canadiens autochtones

Les soins de santé aux Canadiens autochtones sont assurés dans le cadre d’une réseau complexe de programmes et de services qui sont gérés par les administrations fédérale, provinciales et autochtones. La question de savoir qui assure quels services à qui est fonction d’un certain nombre de facteurs, par exemple, le statut de chacun en vertu de la Loi sur les Indiens, le lieu de résidence (si l’on vit dans une réserve ou hors réserve), l’emplacement de la localité (si elle est isolée ou non), et le fait que Santé Canada a conclu ou non un accord prévoyant le transfert de la prestation de services de santé à une communauté ou organisation autochtone.

Au cours de la phase deux, on a rappelé au Comité que le gouvernement fédéral assume des responsabilités particulières et spéciales vis-à-vis des Indiens inscrits en vertu de la Loi sur les Indiens. La prestation de services hospitaliers et médicaux, cependant, demeure une responsabilité provinciale ou territoriale. Les Indiens inscrits qui vivent dans les réserves ont droit aux services généraux de santé qu’assurent les provinces et les territoires en vertu de la Loi canadienne sur la santé, par exemple, services hospitaliers, services médicaux et autres services assurés que prévoient les régimes de santé provinciaux et territoriaux. Santé Canada, cependant, assure les soins primaires directs et d’urgence dans les réserves et ce, dans les régions éloignées et isolées où les services provinciaux ne sont pas accessibles. Plus précisément, le ministère gère quatre hôpitaux, 77 postes infirmiers et 217 centres de santé.

Santé Canada veille également à la promotion de la santé communautaire et à la prévention, ou alors finance ces services pour les Indiens inscrits vivant dans les réserves. Quel que soit leur lieu de résidence (dans une réserve ou hors réserve), les Indiens inscrits reçoivent les services de santé non assurés (SSNA) que finance le gouvernement fédéral. Ces services comprennent la prestation de médicaments, de fournitures et d’équipement médicaux, les soins dentaires, les soins ophtalmologiques, le transport médical, les cotisations à l’assurance-santé provinciale et le counseling psychologique en cas de crise.

Les gouvernements provinciaux et territoriaux sont responsables de la prestation de services de santé aux Inuits, si bien que la fourniture de services de santé à la population inuite du Canada varie selon le lieu de résidence. En 1988, le gouvernement fédéral a cédé l’administration de la santé au gouvernement des Territoires du Nord-Ouest. Avec la création du Nunavut, le nouveau gouvernement territorial a assumé cette responsabilité pour la région. Le gouvernement fédéral verse aux gouvernements territoriaux des fonds qui leur permettent de mettre en œuvre des programmes de soins de santé s’adressant aux Indiens inscrits et aux Inuits, et continue de financer les services de santé non assurés visant ces mêmes groupes.

En conséquence de la Convention de la baie James et du Nord québécois, le gouvernement fédéral a cédé la responsabilité des services de santé aux Inuits dans le Nord québécois au gouvernement du Québec, puis au Nunavik. La Régie régionale de la santé et des services sociaux du Nunavik administre les programmes de santé fédéraux et provinciaux dans cette région.

Au Labrador, la province assure les services de santé à tous les résidents, et le gouvernement fédéral subventionne la Commission des services de santé des Inuits du Labrador dans le cadre d’accords de transfert et de contribution visant des projets particuliers et toute une gamme de programmes fédéraux, lesquels comprennent entre autres les services de santé non assurés.

Les Métis et les Indiens non inscrits n’ont pas droit aux programmes de santé fédéraux. Ils ont droit cependant aux services médicaux qu’assurent les gouvernements provinciaux et territoriaux au même titre que tous les autres Canadiens.

 

13.2.1 Un plan d’action national pour les services de santé aux Autochtones

En gros, il y a deux obstacles juridictionnels à la prestation de services de santé aux Autochtones. Le premier tient à la séparation des pouvoirs entre les gouvernements fédéral et provinciaux. Les gouvernements provinciaux assurent un accès équitable aux soins de santé en vertu de la Loi canadienne sur la santé à tous les habitants, ce qui comprend les Indiens inscrits vivant dans les réserves et les Inuits, mais ils partent du principe que le gouvernement fédéral est responsable de certains services de santé aux Autochtones qui ont le statut d’Indiens inscrits en vertu de la Loi sur les Indiens (médicaments sur ordonnance ou soins à domicile). Voilà pourquoi des témoins ont déclaré au Comité que les services de santé qui ne sont pas mentionnés par la Loi canadienne sur la santé mais qui sont assurés autrement par les provinces ne sont pas toujours offerts aux Indiens inscrits et aux communautés inuites.

Le fait que deux autorités participent à la prestation des services de santé a d’autres conséquences, dont la fragmentation des programmes, des difficultés de coordination des programmes et de reddition de comptes, des incohérences, des lacunes ou des risques de chevauchement dans les programmesqui entravent la rationalisation des services et font obstacle à la réalisation d’une approche globale en matière de santé et de bien-être intégral.

Le deuxième obstacle juridictionnel résulte des distinctions entre Autochtones qui découlent de la Loi sur les Indiens. Étant donné que les Métis et les Indiens non inscrits sont exclus de la Loi, ils ne sont pas admissibles à la plupart des programmes fédéraux. De l’avis des témoins, l’absence de cette reconnaissance juridique plonge les Métis et les populations non inscrites dans un vide juridictionnel.

Le Comité est d’accord avec les témoins pour affirmer que ces obstacles doivent être surmontés rapidement et que tous les ordres de gouvernement – fédéral, provincial, territorial, municipal, bande et établissement – doivent mettre au point un plan exhaustif qui répondrait aux besoins de tous les Autochtones du Canada en matière de santé. Le ministre fédéral de la Santé devrait prendre l’initiative de la coordination de ce plan d’action.

En conséquence, l’option que l’on propose au gouvernement fédéral consiste à entreprendre, de concert avec les provinces, les territoires et les représentants de tous les groupes autochtones, l’articulation d’un plan d’action national pour la santé autochtone afin d’améliorer la coordination interjuridictionnelle au niveau de la prestation des services de santé. La contribution particulière du ministre fédéral de la Santé serait de faciliter une telle coordination.

 

13.3 Assurer l’accès à des services de santé adaptés aux réalités culturelles

L’accessibilité aux soins de santé est l’un des quatre principes de la Loi canadienne sur la santé privilégiant les patients. Cependant, l’accès à des services de santé satisfaisants demeure difficile dans les communautés autochtones éloignées et isolées. La plupart des soins de santé sont assurés par des cliniques de santé communautaire ou des postes infirmiers n’offrant que les services essentiels. Les patients qui ont de graves problèmes de santé sont soignés dans les grands centres urbains. L’absence d’infrastructures appropriées et la pénurie de fournisseurs de soins de santé essentiels aggravent ce problème.

 

13.3.1 Des fournisseurs de soins de santé autochtones

Des témoins ont proposé que les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux remédient à la pénurie de fournisseurs de soins de santé dans les communautés autochtones en mettant au point une stratégie à long terme qui aurait pour objet d’en augmenter le nombre. Dans le cadre de cette stratégie, le gouvernement fédéral pourrait fournir les ressources nécessaires à la formation des Canadiens autochtones dans une vaste de gamme de secteurs liés à la santé. En 1996, la Commission royale sur les peuples autochtones avait fait une recommandation semblable. Plus précisément, la Commission avait invité les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, ainsi que les milieux universitaires et les associations de santé professionnelles, à mettre en œuvre un programme visant à former 10 000 travailleurs en santé autochtones. Une telle stratégie à long terme permettrait aussi de régler les problèmes relatifs à la formation, au recrutement et à la rétention des professionnels de la santé dans les grandes catégories émergentes, comme les fournisseurs de soins de santé à domicile, les puériculteurs, les professionnels de la prévention du diabète, de la télésanté et les techniciens en développement de systèmes, etc.

 

13.3.2 La télésanté

La télémédecine peut aussi grandement faciliter l’accès aux services de santé dans les localités autochtones. Pour les localités autochtones éloignées et isolées, la télémédecine offre les avantages suivants : elle permet de remédier à la pénurie de fournisseurs de soins de santé et à l’absence de formation médicale; elle consolide l’infrastructure de santé; elle facilite le respect du principe de l’accessibilité qui est énoncé dans la Loi canadienne sur la santé; et elle assure un développement plus équitable des systèmes d’information sur la santé dans toutes les régions du pays.

 

13.3.3 Des services de santé adaptés aux réalités culturelles

Chose peut-être encore plus importante, la nécessité d’assurer aux Autochtones des services de santé « adaptés aux réalités culturelles », comme l’ont souligné les témoins. Autrement dit, leur expérience culturelle et leurs traditions doivent être prises en compte lorsque l’on conçoit et met en œuvre ces services de santé. Pour certains témoins, les services de santé adaptés aux réalités culturelles sont ceux auxquels on peut avoir accès par l’entremise d’un interprète ou qui sont assurés par des travailleurs autochtones. Pour d’autres, des services de santé adaptés aux réalités culturelles sont fondés sur le mariage de la médecine occidentale et des approches traditionnelles des guérisseurs. Les témoins ont également rappelé avec force au Comité que les peuples autochtones ne constituent pas un groupe homogène. Ils tenaient à ce que ces distinctions soient reconnues dans la prestation des programmes et services de santé.

Le Comité accueillera avec plaisir toute nouvelle opinion sur la manière dont l’on pourra assurer à tous les Canadiens autochtones des services de santé suffisants et adaptés à leur réalité culturelle.

 

13.4 La santé de la population

Les Autochtones de tous les groupes ne définissent pas simplement la santé comme étant l’absence de maladie. Ils parlent de bien-être intégral et préconisent une vision plus globale de la santé qui regroupe tous les aspects spirituels, physiques, mentaux et émotifs de la personne. Ils estiment que les diverses composantes de l’état général de santé peuvent être influencées par l’environnement social, culturel, physique, économique et politique. La notion de bien-être intégral pour les Autochtones se fonde sur le fait que les solutions en matière de santé n’auront d’effets que si l’on prend en compte tous les facteurs qui pèsent sur un problème. Les témoins ont fait valoir que la politique fédérale en matière de santé des Autochtones doit être davantage axée sur la prévention des maladies, la promotion de la santé et une approche holistique en matière de la santé de la population.

 

13.4.1 Une stratégie d’amélioration de la santé de la population pour les Canadiens autochtones

Au cours des audiences de la phasephase deux, le Comité a pris connaissance des diverses stratégies fédérales en matière de santé que coordonne Santé Canada et des multiples programmes que gèrent Affaires indiennes et du Nord Canada et les autres ministères fédéraux. Il y a encore énormément à faire pour réduire au Canada les disparités au chapitre de l’état de santé et des conditions socioéconomiques entre les Autochtones et le reste de la population. Étant donné le vaste réseau de programmes qu’il gère en ce moment et étant donné ses responsabilités constitutionnelles particulières, le gouvernement fédéral est le mieux placé pour mettre au point des stratégies d’amélioration de la santé de la population qui s’adresseraient expressément aux Canadiens autochtones.

Le gouvernement fédéral est un chef de file mondial dans l’articulation de la notion de santé de la population. Cette option suppose qu’il prenne, encore une fois, l’initiative en mettant en œuvre une stratégie d’amélioration de la santé de la population qui s’adresserait expressément aux Canadiens autochtones. Cette stratégie lui permettrait de remédier aux conditions économiques et environnementales, par exemple la question de l’eau potable, la prestation de soins de santé de haute qualité et adaptés aux réalités culturelles, le choix d’un mode de vie sain, etc. En investissant dans de telles activités, il améliorera l’état de santé des Autochtones et atténuera les souffrances et les coûts qui résultent d’une mauvaise santé. Cette option nécessiterait une collaboration interministérielle généralisée et permanente. Encore là, le ministre fédéral de la Santé pourrait jouer un rôle de leader et de coordinateur.

 

13.4.2 La reddition de comptes fédérale pour les programmes de santé autochtone

Comme il en est fait état au chapitre 10, le gouvernement fédéral pourrait donner l’exemple en établissant un mécanisme permanent de reddition de comptes qui permettrait au public canadien de mesurer les effets de ses politiques en matière de santé et de soins de santé. La reddition de comptes pour les programmes fédéraux en matière de santé autochtone est d’une importance primordiale, et pourrait constituer la première étape d’une reddition de comptes globale en matière de santé. Le Comité est ouvert à toute option relative à la création d’un mécanisme efficace de reddition de comptes en matière de santé autochtone.

 

13.5 La recherche relative à la santé des Autochtones

Au cours des audiences sur la santé des Autochtones, les témoins ont fait valoir l’importance d’entreprendre des recherches sur la santé des Autochtones afin d’améliorer la prestation des services de santé et les résultats en matière de santé. Ils se sont dits heureux de la création du nouvel Institut de la santé des Autochtones dans le cadre des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) et ils ont fait valoir la nécessité d’assurer un financement suffisant à cet institut.

Les témoins ont rappelé combien il est important de reconnaître la diversité des divers groupes qui composent la population autochtone. À leur avis, cette diversité doit se refléter dans les activités de recherche en santé. Ils ont également recommandé que l’on augmente les crédits alloués à la recherche en santé afin d’explorer tout l’éventail de modèles permettant de collaborer à la conception et à la mise en œuvre des programmes relatifs à la santé des Autochtones.

 

13.6 La participation des communautés autochtones

Les témoins ont affirmé qu’il est essentiel que les communautés autochtones participent directement au renouvellement des politiques et programmes fédéraux qui touchent à leur santé, étant donné leur diversité et leurs besoins uniques en matière de santé et de soins de santé. À leur avis, ce n’est qu’avec la participation active des membres de la communauté visée que l’on peut mettre en place des programmes qui amélioreront effectivement la santé des Autochtones. Le Comité voudrait entendre des suggestions sur la meilleure manière de faire participer les Canadiens autochtones à la conception, au développement, à la mise en œuvre et à l’évaluation des programmes et politiques fédéraux relatifs à la santé des Autochtones.


Chapitre quatorze:

Conclusion

Les Canadiens estiment que le système de soins de santé financé par les fonds publics constitue l’une des principales caractéristiques de leur pays. De fait, ce système est devenu un véritable symbole. Il est perçu comme le reflet des valeurs canadiennes, qui sont considérées comme nettement distinctes de celles de nos voisins du Sud.

L’assurance-santé est fondée sur la conviction que la société canadienne devrait, collectivement, partager les risques et les conséquences de la maladie et des blessures dont des Canadiens sont victimes. Avant l’avènement de l’assurance-santé, ces risques et ces conséquences étaient dans une large mesure assumés par les malades et les blessés eux-mêmes, par leurs familles ou par divers organismes de charité. L’importance accordée au Canada à la responsabilité collective en ce qui concerne la prestation de soins de santé est demeurée pratiquement inchangée, malgré le progrès des valeurs individualistes qui, ces dernières années, s’est traduit par des changements plus profonds au sein de la société.

Les soins de santé sont également perçus au Canada comme un bien public, en quelque sorte, même si plus de 30 % du total de ces coûts sont payés par des fonds privés. Il s’agit d’un bien public aussi en ce sens que les Canadiens se tournent vers les gouvernements, tant fédéral que provinciaux, pour garantir les services auxquels ils ont le sentiment d’avoir droit.

Compte tenu de l’importance des soins de santé dans la psyché collective des Canadiens et dans la vie politique du pays en général, on pourrait s’attendre à ce que les questions qui s’y rattachent fassent l’objet d’une discussion constante et réfléchie. Malheureusement, c’est plutôt le contraire qui se produit. Le débat sur les soins de santé au Canada présente les caractéristiques suivantes :

    • Reprise de mythes (comme le montrent le premier et le deuxième rapports du Comité). Les plus courants de ces mythes sont les notions que la Loi canadienne sur la santé interdit la prestation de services de soins de santé par le secteur privé et que tous les services de santé nécessaires sur le plan médical sont financés par les fonds publics au Canada;
    • Des affirmations idéologiques, tant par la droite que par la gauche. La droite soutient que tous nos problèmes en matière de soins de santé seraient réglés si nous adoptions un régime de concurrence, si nous acceptions que le secteur privé participe au système et si nous demandions aux patients de payer en partie les services qu’ils reçoivent. La gauche considère que l’adoption de tout élément de concurrence, l’ouverture du régime au secteur privé ou le paiement par les patients d’une partie des services qu’ils reçoivent sonneraient le glas de notre système actuel;
    • Les politiciens de tous les partis et de tous les ordres de gouvernement se renvoient la responsabilité des maux actuels du système. Le gouvernement fédéral rejette le blâme sur les provinces, les provinces font des reproches au gouvernement fédéral; les partis d’opposition fédéraux et provinciaux s’en prennent à leurs gouvernements respectifs;
    • Une réticence, de la part des diverses organisations représentant les professionnels de la santé, à accepter un changement systémique. Les intervenants ont plutôt tendance à réclamer de nouveaux investissements (sans doute suivant l’hypothèse que l’argent est la seule solution aux problèmes du système).

Devant cette situation, le Comité a décidé dès le départ qu’il ferait œuvre utile s’il pouvait produire un rapport résumant les grands enjeux du système de soins de santé canadien et présentant un ensemble d’options pour s’y attaquer. En outre, il envisageait un rapport aussi factuel et non idéologique que possible, et il croyait résolument qu’il fallait absolument laisser toutes les options ouvertes. C’est ce que le Comité espère avoir réussi dans le présent rapport.

Nous reconnaissons que notre ensemble de questions n’est pas exhaustif, et que nombre de nos lecteurs voudront en ajouter. De même, certains auront le sentiment que nous avons oublié des options et voudront compléter notre liste.

C’est avec plaisir que nous accueillerons ces suggestions. Nous croyons qu’elles nous rapprocheront de nos objectifs puisque nous voulons servir d’agent catalyseur dans un débat public éclairé sur le dossier des soins de santé.

Par-dessus tout, nous espérons que les Canadiens – ceux qui profitent le plus du régime d’assurance-santé du Canada et ceux qui seront le plus touchés par tout changement qui y sera apporté – prendront le temps de nous écrire pour nous faire part de leurs points de vue sur les options qui leur semblent le plus appropriées. Nous sommes impatients de prendre connaissance des conseils que nous donneront les Canadiens avant de préparer nos recommandations et notre rapport final.

Veuillez vous adresser à :

Le Comité sénatorial permanent des Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Le Sénat
Ottawa (Ontario)
K1A 0A4
sante@sen.parl.gc.ca
télécopieur : 613-947-2104


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