37-1
37e législature,
1re session
(29 janvier 2001 - 16 septembre 2002)
Choisissez une session différente
Délibérations du comité sénatorial permanent des
Transports et des communications
Fascicule 6 - Témoignages du 24 avril 2001
OTTAWA, le mardi 24 avril 2001 Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications, auquel a été renvoyé le projet de loi S-3, modifiant la Loi de 1987 sur les transports routiers et d'autres lois en conséquence, se réunit aujourd'hui à 9 h 30 pour examiner le projet de loi. Le sénateur Lise Bacon (présidente) occupe le fauteuil. [Traduction] La présidente: Honorables sénateurs, nous accueillons aujourd'hui M. Peter Turner dans le cadre de notre examen du projet de loi S-3. Monsieur Turner, nous vous souhaitons la bienvenue. Tout d'abord, permettez-moi de vous remercier de nous avoir fait parvenir à l'avance votre mémoire écrit. Nous vous demanderions de faire un exposé de 10 minutes, après quoi les membres du comité vous poseront des questions. Vous avez la parole. M. Peter Turner: Honorables sénateurs, j'ai été camionneur pendant quelques 25 années. J'ai transporté pratiquement de tout, depuis les détonateurs pour explosifs jusqu'au lait cru. Tout ce qui peut vous venir à l'esprit, je l'ai transporté. J'ai eu une seule contravention pour vitesse. J'ai reçu un avertissement d'excédent de poids concernant un essieu rétractile. J'ai reçu une contravention pour un retard de 12 heures dans les inscriptions dans mon journal de bord. J'ai été témoin de nombreux accidents. Malheureusement, j'ai eu trois accidents reliés à la température, dont deux n'étaient que de petits accrochages causés par d'autres véhicules. Je comparais aujourd'hui pour vous décrire l'industrie du point de vue d'un camionneur. Je vais maintenant vous décrire une journée type d'un camionneur afin d'essayer de vous faire comprendre les retards et les pressions de tous les jours. En tant que chauffeur d'entreprise, votre semaine commence par une adresse à laquelle ramasser la marchandise. Il y a des années, on s'attendait à ce qu'un camionneur ait besoin de deux heures pour charger ou décharger ses chargements. C'est maintenant rendu à quatre heures, pour lesquelles le camionneur n'est pas payé. Un jour de chance, le camionneur pourrait voir son chargement fait en l'espace d'une demi-heure ou d'une heure. S'il n'est pas chanceux, il pourrait lui falloir de deux à huit heures, en moyenne. N'oubliez pas qu'un chauffeur d'entreprise est rémunéré au millage, et non à l'heure. Il est rare qu'il puisse être rémunéré pour des heures supplémentaires. Quatre-vingt-dix pour cent des chargements à destination et en provenance des États-Unis sont des charges au plancher, c'est-à-dire qu'il n'y a aucune palette, que le chargement ne se fait pas au moyen d'un chariot élévateur à fourche. Le chargement est déposé sur le plancher. Aujourd'hui, on s'attend à ce que le chauffeur aide à charger et à décharger. Un chauffeur déplacera de 20 000 à 25 000 livres de marchandises. On s'attend ensuite à ce qu'il prenne le volant et se rende à destination. Lorsqu'il y parvient, on s'attend à ce qu'il décharge. C'est ce à quoi on s'attend lorsqu'un chauffeur se rend aux États-Unis. On inscrit sur tous les bons de travail «aide du chauffeur». Le chauffeur n'est pas payé pour décharger. La solution de rechange, c'est de payer 60 $ pour qu'un manoeuvre le fasse, et tout ça en argent américain. La plupart des compagnies ne veulent pas que tout cela soit inscrit dans le journal de bord d'un chauffeur. Elles veulent que ce soit inscrit comme des heures hors travail. C'est ce qu'un grand nombre de chauffeurs font, et je l'ai fait. Un chauffeur inscrira 15 minutes pour le chargement ou le déchargement. Le reste du temps, même si le chauffeur est stationné là, est inscrit en heures hors travail. N'oubliez pas que nous ne sommes pas rémunérés à l'heure; nous sommes rémunérés au millage. Je suis tenu d'inscrire des heures hors travail. Cela réduit mon salaire. Si je passe 20 heures par semaine à charger et à décharger, ce sont 20 heures pour lesquelles je ne suis pas payé. Je perds ces 20 heures en rémunération, parce que je ne conduis pas. La plupart des compagnies donnent à un chauffeur une permission écrite selon laquelle tout d'abord il ne fait pas le plein de carburant, et ensuite, il ne charge pas ni de décharge le camion. C'est écrit. Chaque compagnie vous remet cela, mais nous devons également faire le plein de carburant de nos camions. Nous sommes tenus de vérifier les freins, tout, de façon régulière. Ce sont des choses pour lesquelles nous ne sommes pas payés. Étant donné que nous ne sommes pas payés pour le faire, nous ne sommes pas à la veille de l'inscrire en heures hors travail, c'est-à-dire que nous ne sommes pas au volant. Le lieu de ramassage suivant pourrait se trouver à l'autre extrémité de la ville ou à des heures de distance. En temps normal, un chauffeur a un plein chargement, et il y a habituellement suffisamment de place pour ajouter une ou deux autres palettes. C'est ce que nous appelons la «sauce». C'est à ce moment-là que nous obtenons 200 $, 300 $ ou 400 $ pour ramasser une plate-forme. Ils s'attendent à ce que vous ramassiez la plate-forme et à ce que vous partiez. Nous sommes payés au millage pour prendre la marchandise, mais nous ne sommes pas payés pour nous asseoir et attendre. Nous devons parfois conduire cinq ou six heures pour prendre ce chargement, et nous devons arriver avant la fermeture. Habituellement, nous arrivons au moment où la compagnie ferme. On m'a injurié, parce que ces gars-là veulent rentrer chez eux. Parfois, ils nous disent tout simplement de revenir le lendemain matin. Nous devons alors appeler notre patron et expliquer pourquoi nous ne sommes pas arrivés à temps. Neuf fois sur dix, le chauffeur se fera enguirlander par son patron pour cela. D'habitude, le patron dit au chauffeur d'attendre. En conséquence, à mes frais, je dois attendre 13 ou 14 heures de plus. Si je suis aux États-Unis, je dois manger, prendre une douche, ou faire tout ce que j'ai à faire, et tout cela à mes frais. Lorsqu'une compagnie ne nous autorise pas à charger pendant la nuit, nous ne sommes pas autorisés à stationner sur les terrains de cette compagnie, en raison des règlements concernant les assurances, d'après ce qu'ils nous disent. La compagnie ne veut pas nous voir sur ses terrains parce que si nous y sommes, elle a une responsabilité envers nous et notre matériel. Elle nous dit d'aller à un relais routier. Aux États-Unis, la plupart des relais routiers sont de 25 à 30 milles à l'extérieur des limites de la ville. Nous ne sommes pas payés pour ce millage ou pour le temps qu'il nous faut pour traverser la ville jusqu'au relais routier. Le chauffeur doit l'inscrire dans son journal de bord, c'est-à-dire une heure pour y aller et une heure pour revenir. Et nous ne sommes pas payés pour tout cela. Pour résumer les événements de cette journée type, disons qu'un chauffeur a inscrit quatre heures de conduite et deux heures de service commandé, mais non au volant, soit un total de six heures. Un chauffeur reçoit environ 50 $ par jour, c'est-à-dire pour une journée qui commence à 7 h et se termine à 18 h, mais pendant laquelle seulement six heures de travail ont été inscrites. Quand on calcule le tout, je fais 4,55 $ l'heure pour la journée. Si le chauffeur doit traverser la frontière et le chargement n'est pas autorisé - ce qui se produit la moitié du temps - il espère que le nom du tractionnaire est inscrit en quelque part dans les documents. Si les bureaux du tractionnaire ne sont pas ouverts 24 heures sur 24, le chauffeur doit trouver qui assure la relève du tractionnaire et à quel endroit il est; cela pourrait lui prendre plus d'une heure. Parfois les tractionnaires retiennent les documents parce que le client n'a pas acquitté sa facture. Cela m'est arrivé plusieurs fois et j'ai été pénalisé parce que j'ai dû attendre à la frontière de 12 à 14 heures, tout simplement parce qu'un client n'avait pas payé sa facture. J'ai perdu 14 heures, à mes frais. Chez les courtiers en douane aux postes frontaliers, un chauffeur ne peut pas prendre le camion - il ne peut pas partir. Le chauffeur reste sur place, où il ne peut pas manger, se doucher ou faire quoi que ce soit. Le camion doit rester aux douanes; le chauffeur ne doit pas quitter. Si un chauffeur devait partir, il serait mis à l'amende de 5 000 à 10 000 $. Il incombe au chauffeur de veiller à respecter tous les règlements. Le temps qu'un chauffeur passe au poste frontalier dépend de deux choses, si les documents sont sur place, et la durée de l'attente au poste frontalier. Un chauffeur peut passer entre une demi-heure et 48 heures à un poste frontalier. Il m'est déjà arrivé de rester 48 heures à la frontière parce que je ne pouvais pas faire passer la frontière au chargement, mais c'était le seul poste frontalier où je pouvais passer. Malheureusement, il n'est pas obligatoire pour les courtiers en douane que leurs bureaux soient ouverts 24 heures sur 24 à ces postes frontaliers. Le retard retient la marchandise, qui retient tout. Les chauffeurs passent des heures, et parfois des jours, chez les courtiers en douane à essayer de faire passer leurs chargements. Si les documents ne sont pas en règle, ce ne sont pas seulement les agents de Douanes Canada qui sont en colère, il y a aussi les courtiers en douane. Les chauffeurs deviennent frustrés parce qu'ils peuvent très bien avoir conduit pendant huit ou neuf heures pour parvenir à la frontière, parce que c'est une livraison urgente, ou peut-être un chargement «juste à temps». Il y a un délai à respecter, mais personne ne semble s'en soucier à Douanes Canada - et je comprends que Douanes Canada doive remplir ses formalités. Cependant, il devrait revenir aux compagnies de s'assurer qu'elles ont engagé la bonne personne pour remplir ces documents. Neuf fois sur dix, elles remettent les documents au chauffeur et lui disent que c'est à la frontière. Au fil des ans, j'ai appris ce qu'il fallait faire et ce dont j'avais besoin pour faire passer le chargement à la frontière. Si je ne l'avais pas su, neuf fois sur dix je serais arrivé à la frontière et les agents m'auraient dit qu'ils n'avaient pas le numéro d'identification fédéral, ou plusieurs choses obligatoires. Il m'aurait alors fallu faire des appels pour retracer l'information. Dans un tel cas, si je suis arrivé à 18 heures ou à 19 heures pour faire passer le chargement à la frontière, il me faudrait appeler les clients, mais ils sont déjà rendus chez eux. Je dois donc attendre jusqu'au lendemain - jusqu'à ce que ces gens reviennent au travail - pour m'assurer que j'ai les bons documents pour passer la frontière. Il se peut qu'ils aient un numéro de cautionnement pour faire passer le chargement, mais le chauffeur doit alors se rendre à un bureau de douane. J'ai dû transporter mon dernier chargement jusqu'à Ottawa parce que je ne pouvais pas obtenir son dédouanement à Alexandria. Je l'ai amené à Ottawa, et j'ai stationné mon camion ici. J'ai dû tout laisser au bureau de douane. J'ai été là pendant 48 heures, à mes frais; j'ai dû payer quelqu'un 100 $ par jour pour attendre là pendant 10 heures. Je ne sais pas si c'était l'erreur du courtier ou quelle était la raison, parce que vous ne pouvez jamais apprendre la vérité, mais pendant 48 heures mon camion a été stationné au bureau de douane d'Ottawa à essayer de faire dédouaner le chargement. Lorsque j'ai facturé la compagnie, elle m'a répondu qu'elle ne paierait pas. Lorsqu'un chauffeur parvient finalement à sa destination, neuf fois sur dix le destinataire ne veut pas le chargement ou est furieux parce que vous étiez censé être là deux jours plus tôt. Vous lui dites que vous avez pris le chargement il y a deux jours et vous lui demandez comment vous auriez pu le livrer il y a deux jours, mais il ne répond pas. Il ne s'en soucie pas. La plupart des expéditeurs et des réceptionnaires pensent que nous ne sommes rien d'autre que des meubles et ils peuvent être plutôt rudes envers nous et même nous injurier. Cependant, dès que nous leur répliquons, nous sommes congédiés. J'ai même fait l'objet d'un chantage de la part de la Domtar. Je me suis présenté à Montréal - à Lachine - pour ramasser un chargement de papier. Mon camion était vide d'Ottawa à Lachine, à mes frais, parce que j'étais un indépendant. Ils ont mal chargé ma remorque. Parce que j'étais un indépendant, ma remorque et mon tracteur étaient munis de manomètres à air de sorte que je connaissais la répartition du poids. Le gars avait chargé le papier de l'avant jusqu'à l'arrière, ce que vous ne pouvez pas faire dans le cas d'une remorque de 53 pieds parce que vous allez avoir un excédent de poids sur les pneus de la remorque. Je lui ai donc demandé de refaire le chargement. Il m'a répondu qu'il pensait que c'était une remorque de 48 pieds. Je lui ai dit qu'il y avait une différence de cinq pieds entre une remorque de 48 pieds et une de 53 pieds et qu'il devrait le savoir parce qu'il gagne sa vie à charger des camions. Il est devenu très agressif à mon endroit. J'ai dit: «Décharge-le. C'est mon camion, ma remorque, mes droits de circulation, mon assurance. Décharge le camion». La police a été appelée sur les lieux et il m'a fallu deux heures et demie après mon heure de rendez-vous pour parvenir au débarcadère, et il m'a fallu trois heures et demie pour faire décharger le camion, parce que j'ai refusé de le faire après que le gars eut essayé de m'agresser physiquement et m'eut agressé verbalement. Je lui ai dit que je n'avais pas besoin de son travail, que j'étais dans le camionnage depuis longtemps et que j'avais effectué uniquement trois chargements pour lui. J'ai appelé le courtier en cargaisons et je lui ai dit que je ne transporterais pas les marchandises, parce que je n'avais pas besoin de me faire injurier de la sorte. Il m'a payé 200 $ pour mon temps, mais d'après ce que j'entends, je ne suis plus autorisé sur les terrains de la Domtar à cause de cela. La présidente: Je vais vous interrompre maintenant parce que nous avons une demi-heure pour vous poser des questions. Je suis convaincue que certaines des questions qui vous seront posées porteront sur votre travail de tous les jours. Vous avez dit que vous étiez un camionneur indépendant et que vous étiez propriétaire de votre camion. M. Turner: Oui, c'est ce que j'ai dit. La présidente: Étiez-vous affilié à un groupe ou une association? M. Turner: Je travaillais pour quelques courtiers en cargaisons. À ma dernière période d'emploi, je travaillais pour une compagnie de Russell. J'ai utilisé leur autorité, parce que l'assurance était moins chère. Je me servais de leur autorité et ils me donnaient les commandes. La compagnie a fait faillite et j'ai perdu 70 000 $. J'ai perdu mon camion et tout. La présidente: Dans la lettre que vous avez adressée au ministre des Transports, vous dites que vous avez vu la chute de l'Alliance canadienne du camionnage. Pourriez-vous expliquer? M. Turner: C'est un groupe spécialisé qui représente les entreprises. Elle ne représente pas les chauffeurs ni la sécurité de l'industrie. Depuis les années 70 et la déréglementation, nous avons surveillé. J'ai lu et j'ai surveillé, mais je ne pouvais pas comprendre de quelle façon l'industrie passait toute la responsabilité aux chauffeurs -, tout est maintenant sur les épaules du chauffeur. Par exemple, lorsqu'il fait moins 40, vous devez quand même sortir et faire les vérifications avant départ. Il n'y a personne à l'Alliance canadienne du camionnage qui va sous votre camion pour vérifier les freins pour s'assurer que tout fonctionne bien. La présidente: Vous dites que c'est la responsabilité du camionneur. M. Turner: Oui, tout est entièrement la responsabilité du camionneur. La présidente: Parlez-vous du camionneur indépendant ou du camionneur affilié? M. Turner: Cela n'a pas d'importance. Tous les chauffeurs de camion au pays sont responsables de tout - les expéditeurs, les réceptionnaires, les courtiers en cargaisons et les compagnies n'assument plus aucune responsabilité, tandis qu'auparavant ils en assumaient une partie. Le MTO avait l'habitude de surveiller les compagnies et de les mettre à l'amende, sans s'en prendre aux chauffeurs. Maintenant, ils s'en prennent davantage aux chauffeurs qu'à quiconque d'autre. Une infraction relative au journal de bord en Ontario coûte 250 $. Si nous ne nous conformons pas et si nous transportons une cargaison illégalement, nous ne faisons pas d'argent. En moyenne, un chauffeur fait 150 $ par jour, à conduire 500 milles par jour. Une infraction relative au journal de bord représente deux jours de travail. Comment voulez-vous qu'un chauffeur fasse de l'argent? Il vous en coûte 175 $ si vous vous présentez à une pesée et qu'un phare du camion est grillé, et vous recevez une autre amende de 175 $ si vous n'avez pas un phare de rechange. En tant que chauffeur d'entreprise, je ne débourse pas cet argent pour acheter les phares - donnez-moi une carte visa ou quelque chose pour les acheter. La plupart de ces chauffeurs - 90 p. 100 d'entre eux - doivent acquitter les péages de leur poche et les réparations de leur poche à l'égard d'un camion appartenant à la compagnie. Pourquoi est-ce que quelqu'un voudrait conduire? Un grand nombre des gars se lancent en affaires et achètent un camion, ne sachant pas que depuis 12 ans les gars font le transport à raison de 1 $ du mille. Traverser la frontière, et c'est 50 cents. du mille. Comment pouvez-vous exploiter un camion à 50 cents. US du mille? Je travaillais pour une compagnie de Jacksonville, en Floride, une compagnie du nom de Land Star. C'est la plus importante compagnie de propriétaires exploitants. Elle possède 14 000 tracteurs, qui appartiennent tous à des propriétaires exploitants. J'ai transporté des chargements à 2,25 $ US du mille. Mon taux le plus faible a été de 1,25 $ US. Pourquoi est-ce que nos gars au Canada sont obligés de le faire à 1 $ du mille, en dollars canadiens? Je ne comprends pas. Il n'y a pas un seul chargement dans notre pays en bas de 2 $ du mille. Le sénateur Forrestall: Cela vous donne une idée du travail que faisait l'ancien Sous-comité de la sécurité dans le transport. C'est précisément ce genre de témoignage qui nous incite à poursuivre le travail d'une façon ou d'une autre. La sécurité n'a pas seulement trait à l'état des pneus, à la route et à la mécanique du camion, elle a également trait à l'état d'esprit du chauffeur, au bien-être du chauffeur, et à de nombreuses autres choses. Ce que vous avez dit est très explicite. Je ne pense pas que ce projet de loi-ci nous permettra de progresser beaucoup plus vers un code national de la sécurité, un guichet unique. Cependant, c'est un pas dans la bonne direction. Aussi petit et difficile soit-il, il nous donne l'occasion de comprendre les difficultés auxquelles vous et vos collègues êtes confrontés sur la route. Au Canada, nous avons des réglementations provinciales qui exigent le paiement des factures en moins de 90 jours sans une carte ou un arrangement et une entente. Pourriez-vous préciser un peu plus? Si l'on vous doit 1 000 $ pendant 90 jours, ce n'est pas beaucoup d'argent sur la base d'une année, si vous conduisez depuis 20 ou 25 ans; cependant, au fil des ans, si vous versez cet intérêt dans un compte d'épargne, vous seriez surpris du montant que vous pourriez avoir accumulé. Je suppose que vous résidez en Ontario. M. Turner: Oui, j'habite à Ottawa. Le sénateur Forrestall: Avez-vous cherché avec les autorités provinciales des méthodes de paiement plus rapides? M. Turner: C'est une société libre. Le sénateur Forrestall: Une société libre? M. Turner: De la façon dont ces gens paient. C'est de la façon dont l'industrie est dirigée. Aux États-Unis, cela se fait tout à fait différemment. Ici, des compagnies comme Burlington Motor Express paient leurs chauffeurs immédiatement. Les chauffeurs reçoivent la moitié au départ, et lorsque le chargement est livré les chauffeurs d'entreprise reçoivent immédiatement leur argent. Lorsque je travaillais pour Land Star Ranger, je recevais la moitié de mon argent au départ. Une semaine plus tard, on me versait le reste. Ils comprennent que vous avez besoin d'argent pour continuer. Lorsqu'un chauffeur est engagé par une compagnie ici en Ontario, il doit avancer 5 000 $ pour la franchise en cas d'accident, montant qu'il doit payer dans le premier mois. Il paie à l'avance pour les plaques, ce qui représente environ 3 000 $. Il y a la facture de carburant à la fin du mois. Elle s'élève à 1 000 $ au bout de deux semaines pour un chauffeur. Si vous utilisez la carte de la compagnie pour le carburant, elle vous facture un ou deux cents en sus du prix à la pompe - pas le prix qu'elle obtient, mais un ou deux cents en sus du prix à la pompe. Ce prix peut varier. À la fin du mois, vous devez de l'argent à la compagnie. Vous avez maintenant un mois de retard. Vous n'avez pas fait vos versements hypothécaires pour la maison, ni les paiements pour le camion. Rien n'est payé. Vous vous étouffez vous-même. Le sénateur Forrestall: Permettez-moi de vous interrompre car c'est précisément ce qui me préoccupe. Si vous partez de la maison, vous laissez derrière vous une situation familiale précaire, et vous allez être absent pendant deux semaines sans savoir s'il y aura un chèque pour faire les paiements pour la voiture ou une autre urgence ménagère comme acheter de la nourriture, êtes-vous un chauffeur sûr? Si vous êtes d'une humeur massacrante et si votre famille n'est pas terriblement heureuse, êtes-vous un chauffeur sûr? M. Turner: Non. Je suis un chauffeur mécontent; je suis un chauffeur contrarié. Il est important de comprendre que conduire un camion, ce n'est pas un travail; c'est un mode de vie. Vous êtes laissé à vous-même; vous n'avez aucun soutien, à part celui des autres chauffeurs autour de vous. Vous devez comprendre, si c'est ce qui m'arrive, c'est qui arrive à tous les autres. Vous pouvez sentir la tension lorsque vous arrêtez à un relais routier. L'hostilité est palpable dans l'air. Ma femme est ici. Nous avions des comptes de téléphone de 500 et 600 $ par mois. C'est la seule personne à qui je pouvais parler, parce qu'elle comprenait les problèmes que j'avais là-bas. Je pouvais lui parler; elle me remontait le moral, puis je repartais. Vous êtes laissé à vous-même. Vous n'avez aucun moyen de soutien, émotif ou financier, parce que tout le monde est dans la même barque. Qu'est-ce que vous faites? Vous travaillez encore plus fort. Vous trichez dans votre journal de bord, et vous continuez à travailler. Vous essayez d'obtenir les milles supplémentaires, et vous cachez ceci et cachez cela. Ma femme et moi avons transporté un chargement jusqu'à Wildwood, en Floride, à partir de Toronto, avec un camion plateau. Je transportais de l'acier inoxydable. Je me rendais à Wildwood pour ramasser des tuyaux faits à l'aide de l'acier que je transportais. Ma femme m'a accompagné pour me tenir réveillé pendant le trajet, parce qu'on exerçait des pressions pour que je m'y rende. Nous avions un horaire à respecter. Ils ont pris du retard pour le chargement. Ils m'ont dit que je devais être là-bas selon l'horaire parce que c'était un chargement juste à temps. Elle me réveillait. Je me rangeais le long de la route et je dormais pendant trois heures. Je me réveillais, puis je repartais. J'ai fait tout le voyage. Je l'ai fait sur deux ou trois heures de sommeil. Le chauffeur moyen n'a que de quatre à cinq heures de sommeil par jour. Lorsque vous dormez dans votre camion, vous êtes à demi endormi; vous vous attendez à ce que quelqu'un frappe votre camion ou vole quelque chose. Vous êtes toujours sur le qui-vive dans un relais routier. Vous ne savez jamais ce qui va se produire. Vous êtes toujours sur le qui-vive de sorte que vous ne dormez que trois heures, quatre heures, peut-être cinq, et ce n'est pas un sommeil reposant. Ma femme peut en témoigner. Je reviens chez moi après deux semaines sur la route et je dors toute ma première journée de congé. Je la dors au complet. La deuxième journée, je me prépare à reprendre la route. Le délai de 36 heures ne fonctionne pas. À l'heure actuelle, vous avez des semaines de 60 heures. Au Canada, vous avez droit à 13 heures de conduite, plus deux heures pour charger et décharger, et pendant que vous conduisez, vous faites vos préparatifs de voyage, votre après-voyage, votre déjeuner et tout cela. C'est une journée de 15 heures. Vous pouvez le faire en quatre jours, ce qui vous donne 60 heures. Vous pouvez alors obtenir trois jours de congé avant de recommencer. Maintenant, on propose 70 heures, une journée de congé, puis vous recommencez le tout. Je ne comprends pas. En m'en venant ici, j'ai parlé à trois gars dans leurs camions à l'aide de mon CB. Aucun chauffeur n'est au courant de ce projet de loi. Lorsqu'ils en entendent parler, ils n'en croient pas leurs oreilles. J'ai quitté l'industrie parce que c'est trop frustrant. Auparavant, les chauffeurs étaient des gens qui vous aidaient sur la route. Ils arrêtaient pour prêter main-forte lors d'accidents et pour aider les gens à remplacer leurs pneus. J'ai tout fait cela; je ne le fais plus. Il n'y a pas de temps. À une époque, je pouvais arrêter et discuter avec mes copains sur la route ou arrêter et prendre un repas ou un café avec eux, parler de la famille. Tout notre monde tourne autour des autres chauffeurs. On n'a plus de temps pour cela. On n'a absolument plus de temps. Vous êtes toujours à la course. À partir du moment où j'entre dans mon camion et quitte la maison jusqu'à mon retour, c'est sans arrêt, toujours à la course. Même si vous avez inscrit votre temps de congé et que votre camion est déchargé, vous êtes en disponibilité. Ils disent que vous devriez dormir, mais je ne peux pas dormir sur demande. Et je ne peux pas aller me coucher pendant que j'attends qu'on décharge le camion, parce qu'ils ne nous le permettent pas. Si je suis dans une file d'attente et je dors, d'autres passent devant. National Grocers me l'a fait ici, à Ottawa. Je m'étais endormi. J'étais vraiment fatigué, et je me suis endormi. Il y a trois gars qui ont passé devant moi. Ils n'étaient pas pour me réveiller. J'ai alors reçu une pénalité de 50 $ pour mon retard. Qu'est-ce que vous pouvez faire dans ce temps-là? Le sénateur Forrestall: Il ne fait aucun doute qu'il y a beaucoup de choses à faire. Je vous remercie de votre franchise. Est-ce que vous ressentez la même frustration, ou une autre sorte de frustration - j'ai lu des études très révélatrices - au sujet des renseignements qui indiquent que ce ne sont pas nécessairement les mauvaises routes et les mauvais pneus, mais que c'est parfois uniquement la fichue frustration de la congestion sur les routes qui peut mener à certains problèmes? Dans quelle mesure est-ce que cela affecte votre état d'esprit et vous incite à conduire prudemment quand vous voulez aller 20 kilomètres à l'heure au-dessus de la limite permise et que vous ne pouvez rouler qu'à 40 kilomètres à l'heure sous la limite en raison de la congestion? M. Turner: Tout dépend du repos que vous avez pris. Le sénateur Forrestall: Est-ce que vous y voyez un lien? M. Turner: Il y a des jours où je n'ai absolument aucune patience, et c'est parce que je suis debout depuis 18 à 30 heures. Cependant, après huit heures de repos, je peux composer avec la circulation. Si j'ai eu une bonne nuit de sommeil, je peux composer avec cela. S'il me faut quatre heures pour me rendre de Mississauga à Bowmanville à l'heure de pointe - cela prend habituellement 45 minutes - il y a des jours où je peux m'en accommoder. Lorsque je me sens frustré, je me range le long de la route et j'attends jusqu'à 19 h 30 ou 20 heures. Il ne sert à rien de se frustrer. La plus grande partie de la colère chez les camionneurs, c'est parce que nous n'avons pas suffisamment de repos. Je ne sais pas où ils ont pris l'idée que nous pouvons conduire pendant 14 heures, puis prendre huit heures de repos. Dans la réalité, sur papier, c'est bien beau, mais vous allez vous rendre compte que les gars conduisent maintenant 14 heures. Ils n'inscriront pas «déchargement-débarquement», et tout le reste. Ils feront des journées de 14 heures; certains gars feront des journées de 16 heures. J'ai fait 70 heures, puis j'ai dormi pendant trois jours. C'est pour cette raison que nous prenions de la benzédrine et d'autres pilules il y a des années, pour rester éveillés afin de pouvoir travailler 70 ou 80 heures par semaine, ou même 90 heures. Les gars font maintenant 80 heures par semaine, mais nous passons de 20 à 40 heures à ne rien faire aux débarcadères chaque semaine. C'est notre semaine de travail. Cela sans compter la conduite, la douche, les repas, le plein ou quoi que ce soit d'autre. C'est ce que nous faisons. Vous pouvez allez chez National Grocers ou chez Loeb, et les gars seront stationnés là-bas pendant des heures, et ils doivent rester éveillés parce qu'ils vous appelleront à l'aide de la radio et vous diront que c'est l'heure de venir. Cependant, vous ne savez jamais quand cela se fera. Dimanche dernier, mon ami Ken est resté là-bas toute la nuit de 23 heures à 6 h 30, pour se faire dire qu'ils n'avaient pas le temps de décharger son camion et qu'il allait devoir revenir la nuit suivante. Ken a dû informer l'expéditeur suivant chez qui il devait se rendre pour prendre un chargement qu'il ne pourrait pas le faire parce que National Grocers ne pouvait pas décharger son camion. Et National Grocers ne vous paiera pas pour ce temps. Nous avons affaire à des expéditeurs et à des réceptionnaires qui ne respectent pas les heures de leur rendez-vous. Le sénateur Callbeck: Je comprends bien certainement que vous devez ressentir une grande frustration et beaucoup de stress dans ce type de travail avec de tels retards. Vous êtes un camionneur indépendant et on ne vous paie pas pour les retards. Si vous devez attendre cinq heures, vous devez attendre. Qu'en est-il du chauffeur qui est engagé par une compagnie de camionnage? S'il n'est pas un indépendant et s'il conduit le camion d'un autre, est-il payé? M. Turner: Il n'est pas payé pour charger ou décharger. On lui paie seulement le millage. Nous ne sommes pas assujettis au Code du travail. Nous n'avons aucun recours. On nous dit: «Si tu n'aimes pas ça, va ailleurs». C'est pour cette raison qu'il y a un roulement de 100 p. 100 dans cette industrie. Les chauffeurs essaient de trouver quelqu'un qui est prêt à payer leur temps. Les conducteurs urbains sans itinéraire fixe reçoivent de 8 $ à 9 $ de l'heure, ce qui représente le salaire minimum, pour conduire un semi-remorque en ville et faire des ramassages. C'est pour cela que tout le monde veut en sortir. Il n'y a pas suffisamment de chauffeurs parce que vous ne faites pas d'argent; et il n'y a pas d'argent. À raison de 34 cents. du mille, un chauffeur qui fait 3 000 milles par semaine, cela donne 60 heures. Il a une rémunération brute de 1 002 $ par semaine. Il paye 30 p. 100 en impôt, ce qui laisse 700 $. Au Canada, il dépensera 100 $ et aux États-Unis, ce sera 200 $ de sa paye. Au bout du compte, il fait 400 $ par semaine. C'est ce que je gagne là où je travaille maintenant, à 14 $ de l'heure. Je suis chez moi tous les soirs et je ne travaille que huit heures par jour. Je ne travaille pas 16 heures par jour. Le sénateur Callbeck: Que proposez-vous de faire pour aider à résoudre ce problème? M. Turner: La seule chose que je puisse voir, c'est que l'Association canadienne du camionnage soit ferme pour une fois et exige des concessions et les obtienne. Malheureusement, c'est difficile d'obtenir que tout le monde soit sur la même longueur d'onde, mais les compagnies doivent commencer à payer. Elles se font payer le plein prix par leurs clients pour transporter leurs marchandises. Lorsque le prix du carburant monte, elles l'ajoutent au coût du transport. Cela se fait dans un seul sens. Cependant, les tarifs n'augmentent pas pour les chauffeurs, pour les courtiers ou pour les exploitants d'entreprise de location. Les compagnies mettent tout cet argent dans leurs coffres. Je ne comprends pas pourquoi l'argent n'est pas réinvesti dans les entreprises. Elles ne paient pas leurs chauffeurs pour les temps d'arrêt, les temps d'attente ou les retards aux postes frontaliers. Un grand nombre de compagnies aux États-Unis paient à leurs chauffeurs 50 $ uniquement pour passer la frontière; c'est en sus. Elles savent qu'un chauffeur peut être là de deux à trois heures. Le sénateur Forrestall: Elles devraient leur prendre 50 $ lorsqu'ils vont vers le nord, et leur donner 50 $ lorsqu'ils vont vers le sud. M. Turner: C'est le même problème des deux côtés de la frontière. Le sénateur Forrestall: Beaucoup de compagnies vont payer en sus à partir des États-Unis. Elles paieront ce supplément pour que leurs chauffeurs passent la frontière. Le sénateur Callbeck: Je veux m'assurer des durées de conduite. Vous avez dit que vous pouviez conduire 14 heures par jour avant de prendre huit heures de repos. Vous pouviez conduire pendant sept heures, vous arrêter en quelque part, prendre cinq heures pour que le camion soit déchargé, puis conduire encore sept heures. En réalité, vous avez travaillé pendant 19 heures. M. Turner: Cela ne comprend pas les temps d'arrêt pour manger ou vous laver. Maintenant, nous allons ajouter deux à trois heures. C'est ce qui va se produire, je vous l'assure, parce que c'est ce qui se produit maintenant avec le journal de 60 heures. D'après ce que l'on m'a dit au sujet de la façon dont ce projet de loi est rédigé, il n'importe pas que vous conduisiez ou non. C'est une journée de 14 heures. Pourquoi voudriez-vous l'inscrire en temps autre que de conduite? Cela ne vous rapporte pas d'argent. En Europe, les gars sont payés à l'heure. Il y a une raison à cela. Au Canada, nous ne pouvons rouler que de 55 à 65 milles à l'heure, quand on est chanceux. Nous devons faire de la vitesse. Légalement, nous sommes supposés aller à seulement 55 ou 65 milles à l'heure. Je suis coupable, je le reconnais, mais nous avons un horaire tellement serré. L'ACC a proposé cela parce qu'un aller-retour Toronto- Montréal, qui sont nos deux principaux points de transbordement, ne prend que 14 heures. C'est de là, je crois, que vient ce chiffre. Ils n'ont besoin que d'un seul camion pour l'aller-retour, comparativement à un chauffeur pour y aller et à un autre pour revenir. Avec les changements, les véhicules de ces compagnies seront utilisés 24 heures sur 24. Nous sommes humains; nous ne pouvons pas travailler 24 heures d'affilée. L'industrie de la haute technologie a réglé le problème: si vous effectuez un quart de 12 heures, vous travaillez alors pendant trois jours, puis vous obtenez trois jours de congé. Là où je travaille, les gars travaillent des quarts de 12 heures: quatre jours de travail, quatre jours de congé. Vous nous demandez de travailler pendant 14 heures par jour, cinq jours d'affilée, puis de prendre seulement 24 heures de repos et de recommencer le tout. Quel sera d'après vous l'état physique et mental des chauffeurs - plus mental que physique? Le sénateur Forrestall: Est-ce sécuritaire? M. Turner: Ce n'est pas sécuritaire. J'ai fait moi-même des stupidités uniquement parce que j'étais trop fatigué. Il y a des fois que je ne me souviens même pas d'avoir fait 50 milles. Je les ai conduits; mon ordinateur indiquait que je les avais conduits, mais je ne m'en souviens pas. La présidente: Il nous reste environ cinq minutes, et il y a deux autres sénateurs qui veulent vous poser des questions. Le sénateur Fitzpatrick: Monsieur Turner, vous avez répondu à quelques-unes des questions que j'allais poser. Cependant, je m'intéresse à la situation dans laquelle vous vous trouvez au sein de l'industrie. Êtes-vous un indépendant? M. Turner: Je l'étais. Je ne pourrais pas venir prendre la parole ici et faire encore partie de l'industrie. Le sénateur Fitzpatrick: Lorsque vous y étiez, vous étiez propriétaire de votre propre camion? M. Turner: Oui. Le sénateur Fitzpatrick: Combien y a-t-il d'indépendants? M. Turner: Voici un nombre que l'on donne. Au Canada, il y en a trop. Il y a de nombreux indépendants qui faisaient comme moi et qui trouvaient leurs propres marchandises à transporter et faisaient leur affaire. Les exploitants d'entreprise de location sont classés dans la catégorie des indépendants. Ils ne le sont pas. Je me suis servi de l'autorité et de l'assurance d'un de mes amis. Nous avions une entente écrite. Je lui versais un certain montant par mois pour m'en servir. Autrement, il n'avait rien à faire avec moi. Disons que 50 p. 100 des camions qui sont loués le sont par l'entremise de compagnies. Ils entrent dans la catégorie des indépendants, mais ne le sont pas. La compagnie est propriétaire du camion. Ils détiennent les documents relatifs au camion; par conséquent, si le gars veut quitter la compagnie, il perd tout son intérêt à l'endroit du camion. Le sénateur Fitzpatrick: Quel serait le pourcentage des vrais indépendants? M. Turner: Je dirais peut-être 15 p. 100 au Canada. C'est plus élevé qu'aux États-Unis. Le sénateur Fitzpatrick: De la façon dont vous décrivez l'industrie, je ne vois pas comment vous pouviez rester en affaires. M. Turner: Vous ne pouvez pas. Le sénateur Fitzpatrick: L'indépendant est une notion du passé, ce qui signifie que les organisations plus importantes assurent le transport. J'étais curieux de connaître les perspectives pour les indépendants. Je pense que ce que vous dites, c'est qu'ils disparaîtront. M. Turner: Ils vont continuer à exister, mais ils auront principalement recours à des courtiers aux États-Unis. La plupart des indépendants ne restent pas au Canada. Ils livrent aux États-Unis et reviennent. Pourquoi? C'est parce qu'ils sont payés en argent américain. Quatre-vingt pour cent de leur millage se fait aux États-Unis. Ils établissent un contact avec des courtiers ici, puis ils viennent au Canada et en ressortent, par opposition à recourir à un courtier canadien parce que ce dernier vous paie en argent canadien. Le sénateur Milne: J'ai besoin de précisions, monsieur Turner. À la première page des renseignements que vous nous avez fait parvenir, vous dites que la plupart des chargements paient 1,50 $ à 2,00 $ de l'heure, même si le propriétaire/ exploitant reçoit de 1 $ à 1,30 $. Qui a le reste? M. Turner: La compagnie. C'est ici que les choses se compliquent. Vous avez des compagnies de camionnage, vous avez des courtiers en cargaisons, des chauffeurs et des exploitants d'entreprises de location. Quatre-vingt-dix pour cent des marchandises passent entre les mains de courtiers en cargaisons. Ils ne possèdent aucun matériel. Donc, ce sont eux qui s'occupent du mouvement de toute la marchandise. Ils appellent une compagnie et décident de lui confier certains chargements. Ils prennent dès le départ leur marge de 15 à 20 p. 100. J'ai eu des chargements pour lesquels j'ai eu cinq courtiers qui ont pris de 15 à 20 p. 100 dès le départ, et ils ne possèdent aucun matériel. C'est à nous ensuite de transporter. Dans le fond, l'industrie s'étouffe elle-même parce que les courtiers en cargaisons ne sont redevables ni au gouvernement ni à qui que ce soit. Une compagnie de camionnage qui possède 300 ou 400 camions a des responsabilités. Les courtiers en cargaisons sont installés dans leur sous-sol devant un ordinateur. C'est tout, point à la ligne. Le sénateur Milne: Vous devriez faire ce genre de travail. M. Turner: Non, parce que c'est une entreprise féroce. Je ne serais pas capable d'être aussi désagréable envers des gens. Je ne pourrais pas le faire. C'est pour cette raison que j'en suis sorti. Je ne pourrais pas être un courtier en cargaisons parce que je n'aime pas mentir. Cette industrie, c'était un travail respectable. Vous étiez fier de vous dire un chauffeur de camion. Mais depuis qu'ils ont inséré le mot «professionnel» dans l'industrie, elle n'a pas cessé de dépérir. Lorsqu'on me demandait ce que je faisais, je ne voulais pas le dire. J'étais gêné de me dire un chauffeur de camion à cause de la perception qu'on en avait. C'est une profession. Je faisais partie de l'émission Lemon Aid il y a quelques semaines. Quelques chauffeurs ont appelé et dit qu'ils avaient été dans cette industrie pendant 25 ans. Ils ont analysé la situation chacun avec sa femme et ont décidé que ça n'en valait plus la peine. Le chauffeur de camion moyen au Canada a 50 ans. J'essaie de parler à toutes les personnes qui essaient d'obtenir un permis. Je leur dis, «penchez-vous et lassez-moi vous donner un coup de pied», parce que c'est ce que c'est d'être un chauffeur de camion. J'ai parlé à de nombreuses personnes et je les ai convaincues de ne pas devenir des chauffeurs de camion parce qu'on n'a aucun respect pour le chauffeur. Nous sommes là uniquement pour nous faire exploiter. Le sénateur Milne: Si vous parlez d'un âge moyen de 50 ans, vous ne parlez pas uniquement de personnes qui subissent un stress énorme et qui exploitent leur entreprise dans des conditions de plus en plus insécuritaires, vous parlez aussi d'une catégorie d'âge où les réflexes ne sont pas ce qu'ils étaient lorsque le chauffeur était dans la vingtaine. M. Turner: Vous avez raison. M. Turner: J'ai 43 ans maintenant. Le sénateur Milne: Il y a une page dans ce document sur les graphiques, 70 heures en sept jours. Vous indiquez que c'est loin d'être 70 heures et 120 heures en 14 jours. Au bas de la page 6, il y a une rubrique intitulée, «pourquoi ne pas les "permuter"?» Permuter quoi? Je ne comprends pas. M. Turner: C'est à ce moment-là que vous faites la permutation des remorques et que vous faites toutes sortes de choses. Vous chargez votre camion. C'est du travail que vous effectuez tous les jours et dont il n'est tenu aucun compte. Le sénateur Milne: Vous dites que le temps passé à ces tâches n'est pas calculé dans ces données? M. Turner: Il n'est pas calculé. Si vous êtes pour faire le travail sur 70 heures, vous allez avoir des gars qui dorment deux ou trois heures par jour. Le sénateur Finestone: Je pense que la nature des questions a indiqué notre préoccupation à l'égard du monde dont vous parlez. Je suis curieuse. Si vous comparaissiez devant un comité aux États-Unis qui examine un projet de loi comme celui-ci, que diriez-vous en tant que chauffeur? Considéreriez-vous que vous seriez en meilleure condition si vous étiez un chauffeur américain? Serait-il préférable que vous soyez un chauffeur mexicain, ou est-ce mieux comme chauffeur canadien? M. Turner: Je pense que nous sommes bien au Canada. Nous sommes tout aussi bien qu'aux États-Unis. Nous devons suivre les règles des États-Unis. Le Mexique me fait terriblement peur. J'ai vu des remorques se casser en deux au Texas parce que des Mexicains les avaient surchargées. Leurs véhicules ne sont pas sécuritaires. J'ai conduis des remorques jusqu'à la frontière; elles sont revenues et il leur manquait des pneus et toutes sortes de choses. Le Canada est un bon endroit pour travailler dans l'industrie du camionnage, si le respect pouvait y revenir - et si on pouvait faire un peu d'argent. Aux États-Unis, les gars respectent la loi dans une certaine mesure. Il semble y avoir suffisamment de temps dans la journée. Ces pays ont cherché à régler la question du temps. Cela fonctionne dans l'industrie automobile parce qu'ils veulent le produit. Le reste du monde essaie de le faire, et cela ne fonctionne pas parce que ce n'est pas faisable. Le sénateur Finestone: Le problème est propre à l'industrie et aux personnes qui vous desservez. Ce ne sont pas nécessairement les lois du pays. M. Turner: Non, c'est essentiellement le service et l'industrie dans la façon qu'elle essaie de satisfaire sa clientèle. La présidente: Merci beaucoup, monsieur Turner. Votre expérience nous a été d'un grand secours. Le point de vue d'un chauffeur de camion est différent de ce que nous avons l'habitude d'entendre ici. Je suis convaincue que certaines observations peuvent être utiles au comité en ce qui concerne les règlements. Nous allons nous y attaquer. Votre expérience et votre point de vue nous ont été d'un grand secours. Merci beaucoup d'être venu. La séance est levée.