Délibérations du comité sénatorial permanent des
Transports et des communications
Fascicule 24 - Témoignages (séance du matin)
VANCOUVER, le lundi 25 mars 2002
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui à 9 heures pour étudier les enjeux stratégiques touchant l'industrie du transport interurbain par autocar.
Le sénateur Lise Bacon (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Je tiens à souhaiter la bienvenue aux témoins, aux observateurs et aux membres du comité lors des audiences publiques que tient ici à Vancouver le Comité sénatorial permanent des transports et des communications. Lors de ces audiences, notre comité entreprend une étude spéciale du transport interurbain par autocar. Nous sommes heureux de nous retrouver dans la province représentée par le sénateur Jaffer, qui est membre de notre comité, et par le sénateur Lawson, qui va se joindre à nous lors de la séance d'aujourd'hui.
Vancouver constitue, avec sa communauté urbaine, la troisième agglomération du Canada, et nous voulons nous familiariser avec les enjeux importants qui se présentent dans cette ville en matière de transport de passager.
Il est probable, par ailleurs, que la province tout entière a des préoccupations que nous avons constatées ailleurs: moins d'habitants dans les petites localités; une population globalement vieillissante; enfin, d'importants besoins de transports publics devant permettre aux personnes âgées d'obtenir des soins médicaux et aux jeunes de trouver un emploi. Le ministre fédéral des Transports a demandé à notre comité d'entreprendre cette étude.
[Français]
Le comité a tenu des séances à Montréal et à Halifax et, au cours des prochains jours, nous nous rendrons à Calgary et à Toronto. Nous soumettrons les résultats de notre étude au Sénat avant la fin de l'année 2002.
[Traduction]
Nous avons déjà entamé notre recherche et nous avons tiré profit des rapports de nombre de commissions et de groupes d'étude mandatés par le gouvernement fédéral, de nombreuses provinces ainsi que des pays étrangers pour étudier cette question; il est essentiel, toutefois, dans le cadre de notre étude, d'entendre ce que la population a à dire et c'est pourquoi nous sommes ici aujourd'hui.
Il arrive à l'occasion que les personnes chargées des études sur les transports se laissent obnubiler par les problèmes d'exploitation et même par les caractéristiques détaillées de l'équipement d'un transporteur, ou encore se perdent dans une analyse des avantages comparatifs des différents régimes de réglementation avant de comprendre pleinement ce que veulent vraiment les usagers du service.
Nous considérons que le but premier de notre étude est de comprendre les besoins et les désirs des usagers du transport urbain par autocar — ce que les économistes appellent le côté de la demande. Après tout, c'est le rôle des transporteurs; ils sont là pour servir les usagers. Nous considérons que si on arrive à comprendre en quoi consiste la demande, il sera éventuellement facile de concevoir un service et une réglementation bien adaptés.
Comme nous manquions de temps, nous n'avons pas toujours réussi à regrouper nos témoins selon qu'il s'agissait d'usagers, de transporteurs ou de responsables de la réglementation, mais je pense que c'est la meilleure façon de considérer les témoignages que nous allons entendre aujourd'hui. Les préoccupations liées à l'équipement, à la concurrence commerciale, aux priorités administratives, et cetera., doivent toujours être ramenées à la question suivante: Que veulent les usagers?
Avant d'entendre nos premiers témoins, je veux dire quelques mots de la raison pour laquelle on nous a demandé d'étudier le transport interurbain par autocar. Le problème vient essentiellement du fait que la fréquentation des autocars interurbains baisse régulièrement depuis plusieurs décennies. Cette baisse est inquiétante parce que l'autocar est un mode important du réseau de transport des passagers. Les autocars peuvent se rendre pratiquement partout, ils respectent l'environnement et, traditionnellement, ils ne coûtent pas cher.
Cette baisse peut s'expliquer de plusieurs façons. J'en mentionnerai quelques-unes. Il se pourrait que les gens soient mieux lotis qu'auparavant et voyagent davantage en automobile. Il est possible que cela s'explique par le plus grand nombre d'habitant dans les grandes villes. Il se pourrait qu'il y ait plus de réglementation de la part des gouvernements et que ces règlements varient trop d'une province à l'autre. C'est ce que nous espérons découvrir dans les jours et les mois à venir.
Des questions suivront chacun des exposés et j'ajouterai ici que les sujets sur lesquels nous espérons avoir des réponses figurent sur notre site Internet.
Nous allons commencer par entendre ce matin Michael Cafferky, qui représente Gray Line Victoria.
M. Michael G. Cafferky, directeur général, Gray Line Victoria: Je remercie le comité sénatorial de m'avoir donné la possibilité d'intervenir aujourd'hui et d'évoquer ce sujet important, non seulement pour le comité, mais aussi pour les localités que nous desservons, mes collègues et moi-même.
Je suis à la fois le directeur général de Gray Line Victoria, appelé aussi Island Coach Lines, sise à Victoria, et de Northland Bus Lines, qui a son siège à Prince George.
Voilà près de 25 ans que je travaille dans le secteur du transport interurbain par autocar. Au cours de ma carrière, j'ai travaillé pour le compte de cinq entreprises de transport par autocar, petites et grandes, dans cinq villes différentes. J'ai donc probablement une plus grande expérience de la question que la plupart des gens. Au cours des dix prochaines minutes, je vais m'efforcer de vous la faire partager.
Gray Line Victoria et Northland Bus Lines exploitent 101 véhicules de transport de passagers, 50 autocars, 11 autobus de transport urbain, 25 autobus à deux niveaux et 15 minibus ou fourgonnettes. Nous employons directement 150 personnes en basse saison et 250 en haute saison et nous employons aussi un certain nombre d'autres personnes dans nos 14 agences de transport de passagers et de colis. Nos véhicules parcourent au total 3,5 millions de milles par an, dont 1,2 million de milles au titre de nos services réguliers. Notre propriétaire est Laidlaw, mais nous ne sommes pas intégrés à l'organisation de gestion de Greyhound Canada parce que nos activités de circuits touristiques et de nolisage sont plus importantes que nos services de transport régulier.
Nos activités sont variées. Je vous en ai dressé la liste dans ce document et, pour ne pas perdre de temps dans cet exposé, je vais vous le remettre pour que vous puissiez le consulter par vous-même.
Nos services réguliers de transport des passagers et des colis desservent 40 localités, sans compter les quelque 20 arrêts effectués sur demande pour rendre service aux voyageurs locaux. Sur ce réseau comptant 40 points de vente, trois dépôts sont gérés par l'entreprise, 14 autres par des agents et les 22 restants de même que nos arrêts sur les grandes routes, sont de taille si réduite que c'est le conducteur de l'autocar qui agit en tant que représentant des ventes.
À l'exception de Victoria et de Nanaimo, aucune localité que nous desservons ne compte plus de 50 000 habitants. Nos services réguliers, qu'il s'agisse des passagers ou des colis, ne sont pas rentables. Ils représentent quelque 35 p. 100 de notre chiffre d'affaires, mais ils ne permettent de recouvrer qu'environ 95 p. 100 de nos coûts directs et aucunement d'amortir nos frais généraux.
Selon nos estimations, nous n'amortirions qu'environ 80 p. 100 de nos coûts si nous exploitions uniquement nos services réguliers. Ils ne manquent pas, toutefois, de contribuer en partie à la mise en place de nos infrastructures et, sans eux, nous serions obligés des les réduire considérablement, ce qui nous empêcherait d'exercer convenablement nos autres activités. De plus, l'administration exige expressément que nous exploitions ce réseau de services réguliers pour pouvoir continuer à détenir un permis de voyages nolisés et de visite touristique.
Contrairement à Greyhound Canada, qui est avant tout une entreprise qui offre des services réguliers, ou à Pacific Western Transportation, PWT, qui dispense avant tout des services d'autobus scolaire, de transport urbain et de navettes sous contrat, nous sommes une entreprise de transport par autocar généraliste. Nos activités sont étroitement liées entre elles; elles sont interdépendantes et pas assez développées pour pouvoir être séparées les unes des autres, à une exception près. Cette exception est celle de nos activités de transport nolisé et de visites touristiques de la communauté urbaine de Victoria. L'étendue et la rentabilité de ce service sont suffisantes pour qu'il puisse être en quelque sorte autonome. Toutes nos autres activités sont jusqu'à un certain point dépendantes les unes des autres, ce qui fait que l'arrêt de l'une d'entre elles menace l'ensemble.
Si j'en crois mon expérience du secteur, je sais que cette situation est anormale. Lorsque l'administration parle d'interfinancement, elle fait généralement référence au financement des lignes non rentables par les lignes rentables, ou encore au financement des services de transport des passagers par les services de transport des colis.
Notre cas est bien particulier étant donné que nous sommes la preuve que l'on peut financer des services réguliers, qu'il s'agisse du transport des passagers ou des colis, par des services de transport nolisé ou de visites touristiques. À ma connaissance, ce n'est pas courant dans le secteur du transport interurbain par autocar. De ce point de vue, nous sommes l'oiseau rare comparativement à la plupart des autres entreprises offrant des services de transport interurbain réguliers par autocar.
Si l'on procède à la déréglementation du transport de passagers par autocar, il est plus que probable que les services réguliers de transport par autocar ne seront maintenus que dans cinq des 40 localités desservies. Nos analyses de planification d'urgence nous permettent de dire que l'on pourra vraisemblablement continuer à desservir régulièrement par autocar, en assurant un service réduit semi-express, une ligne raccordant, dans l'île de Vancouver, Victoria, Duncan, Nanaimo, Courtenay et Campbell River. Il est peu probable que les autres localités de l'île puissent continuer à être desservies, surtout depuis l'achèvement de la nouvelle autoroute de l'île, qui laisse de côté la plupart des petites localités. Il n'y aura certainement pas de service régulier par autocar à destination de Fort St. James, une localité de 2 100 habitants seulement sur la partie continentale, dont le trafic insuffisant ne justifie même pas un service équipé de fourgonnette. Après une éventuelle déréglementation du transport par autocar, il est probable que nous chercherons à assurer ce service régulier réduit pour desservir ces cinq localités, même si les possibilités de profit sont réduites en dépit de ce service réduit. Le potentiel de profit est d'ailleurs tellement réduit qu'on ne peut pas, à notre avis, instaurer la concurrence sur ce trajet, et il est difficile d'imaginer une situation de concurrence justifiant que l'on puisse prendre des risques en investissant des capitaux.
On peut donc penser raisonnablement que nous nous retirerions de cette bataille perdue d'avance avant même que la concurrence ne soit instaurée. Même si nous sommes convaincus de pouvoir gagner une telle bataille, il se trouve que notre entreprise, comme bien d'autres dans notre secteur d'activité, n'a pas suffisamment de capitaux pour se lancer dans une activité commerciale génératrice de pertes. Même en cas de victoire relativement rapide nous ayant permis d'écarter nos concurrents dans les 12 mois, nous subirions quand même des pertes d'exploitation élevées qui viendraient obligatoirement s'ajouter à l'ensemble de nos frais d'investissement. Les marchés sur l'île sont trop réduits pour justifier de tels risques en matière d'investissement.
La déréglementation du transport de passagers par autocar aura donc vraisemblablement pour conséquence de faire perdre à 35 des 40 localités concernées le service d'autocar dont elles bénéficient à l'heure actuelle. Ce que nous savons du transport par autocar dans les petites localités nous amène à penser qu'il est peu probable que des liaisons par fourgonnette puissent prendre la relève. Ce sont tout simplement de trop petits marchés. Les gens de ces localités devront s'organiser pour se déplacer en automobile jusqu'au point le plus proche de ce réseau à service réduit. De plus, les fréquences, qui sont de quatre ou cinq passages quotidiens sur les grandes lignes, seront vraisemblablement réduites. Par ailleurs, l'équipement sur le réseau à service réduit n'offrirait éventuellement pas le même confort; toilettes, par exemple, qu'à l'heure actuelle. Bien sûr, le prix des billets pour les passagers augmentera vraisemblablement, comme c'est souvent le cas chaque fois qu'une société de transport non réglementée prend le contrôle du marché. Par ailleurs, les services de transport de colis par autocar pour toute autre destination sur l'île que celle de Victoria disparaîtront ou seront fortement réduits.
Sur la question assez particulière du caractère étroitement lié de nos différentes activités, ce qui fait notre originalité c'est que les conséquences que je viens de vous décrire au cas où l'on déréglementerait complètement le transport de passagers par autocar seraient les mêmes si l'on ne faisait que déréglementer les services nolisés d'autocar. Nous comprenons bien que ce n'est pas un problème courant dans le secteur du transport interurbain au Canada, mais c'est certainement le cas sur l'île de Vancouver. Que l'on mette en place une déréglementation des services nolisés uniquement, ou encore de l'intégralité des transports de passagers par autocar, notre réaction serait pratiquement la même. Pour nous en sortir, il nous faudrait immédiatement entreprendre de réduire au maximum nos frais fixes en limitant nos infrastructures. Nous serions obligés d'entreprendre la fermeture totale ou partielle de nos garages ainsi que de nos dépôts ou nos agences. Le nombre total d'employés à plein temps passerait de quelque 200 en moyenne à moins de 50. Notre parc de véhicules serait ramené de 101 à moins de 40 et nous entreprendrions de les redéployer là où il est possible d'obtenir un meilleur rendement sur investissement.
Nous consacrerions toutes nos énergies et nos ressources à la protection de nos marchés de transport nolisé et de visites touristiques plus rentables dans la communauté urbaine de Victoria. Même s'il serait dans ce cas plus difficile de rester rentable du fait de la réduction de nos activités, c'est là pour nous la meilleure chance de survie.
Les perdants, dans cette affaire, seraient nos employés, qui pour la plupart habitent les petites localités que nous desservons à l'heure actuelle, ainsi que les passagers subsistants, qui continueraient à bénéficier de services d'autocar réguliers, mais probablement de qualité réduite et à un prix plus élevé.
Je suis convaincu, après avoir travaillé pendant 25 ans dans le secteur des transports par autocar au Canada, que la déréglementation va détruire les services réguliers d'autobus desservant nombre de petites localités. C'est un mythe que de croire qu'elles pourront rester raccordées, sous une forme ou sous une autre, par des services de transport par fourgonnettes gérés par des entrepreneurs locaux dynamiques. Il y aura des tentatives isolées en ce sens, mais la plupart échoueront, surtout lorsque ces entreprises constateront que les pointes de trafic en été sont suivies par des périodes creuses de plusieurs mois. Nous avons tenté cette expérience au Manitoba alors que j'étais directeur général de Gray Goose Bus Lines. Au cours des années que j'ai passées là-bas, nous avons cédé l'exploitation de lignes non rentables, peu fréquentées, à des exploitants intéressés, opérant avec des fourgonnettes. Nous sommes même allés jusqu'à nous engager à entretenir les fourgonnettes, exigeant uniquement des exploitants qu'ils prélèvent sur leurs recettes le prix du carburant et les salaires. Au bout du compte, il nous a même fallu subventionner ces coûts. Lorsque le service est repris par des fourgonnettes, l'expérience et la logique nous enseignent que les exploitants ne vont vraisemblablement pas respecter les mêmes normes de sécurité que celles qui sont appliquées à l'heure actuelle dans le secteur des transports interurbains par autocar.
Je vous signale par ailleurs qu'une déréglementation intervenant à l'échelle du Canada n'amènera pas une baisse du prix des billets des services réguliers d'autocar, sauf sur les lignes principales, où la concurrence peut s'exercer. Là encore, si j'en crois mon expérience du secteur, je ne vois pas comment une concurrence pourrait continuer à s'exercer sur les services de transport régulier par autocar en Colombie-Britannique à la suite d'une déréglementation, si l'on excepte éventuellement le couloir Vancouver-Victoria. Soit les marchés de la Colombie-Britannique sont trop restreints, soit l'entreprise qui dispense actuellement les services est trop bien implantée au niveau des installations indispensables à l'exploitation des quelques grandes lignes d'autocar qui existent dans la province. Au bout du compte, nous nous retrouverons avec des monopoles non réglementés, qui sont venus remplacer le réseau actuel de sociétés de transport réglementées jouissant d'une exclusivité mais, bien entendu, le nombre de localités desservies sera réduit.
J'ai aussi travaillé au cours de ma carrière au sein des grands marchés de transport par autocar de Toronto et de Vancouver et je sais comment ils fonctionnent. Les avantages potentiels que l'on peut retirer d'une déréglementation de ces énormes marchés peuvent paraître intéressants aux yeux de certains, mais l'on profite déjà de nombre de ces avantages en raison de la déréglementation de fait du transport nolisé. Les décideurs font toutefois une grosse erreur de jugement s'ils croient que l'on peut retirer les mêmes avantages en étendant cette déréglementation aux plus petits marchés de transport par autocar. Le jeu de la concurrence qui s'exerce dans les petites villes est négligeable et le plus souvent il est remplacé par une collaboration entre les différentes localités. S'il poursuit sa politique de déréglementation du transport par autocar, le gouvernement aura en fait choisi d'accorder des avantages supplémentaires aux gros centres urbains au détriment des petites villes du Canada. Je considère que les avantages qui en résulteront pour les grandes villes du Canada se remarqueront à peine, alors que le préjudice causé aux petites villes sera considérable.
Ce qui me désespère surtout, c'est que le gouvernement fédéral s'apprêtait à se lancer dans la déréglementation du transport de passagers par autocar sans même en examiner les répercussions probables. Aucun palier du gouvernement nous a encore demandé de renseignements sur notre réseau et sur les changements éventuels apportés au service à la suite d'une déréglementation. Tout récemment, le gouvernement de la Colombie-Britannique a fait savoir qu'il avait l'intention de se pencher sur la question de la déréglementation du transport de passagers par autocar dans le cadre de la stratégie provinciale des transports qu'il se promet d'élaborer au cours des trois prochaines années. Nous restons raisonnablement confiants et nous espérons que lors de cette opération il nous demandera à la fois notre avis et les données concernant notre réseau. Avec un peu de chance, il se montrera mieux informé et fera appel davantage à notre collaboration que ce que l'on a pu voir lors de la dernière opération fédérale.
Je ne soulignerai jamais trop l'importance du rôle joué par votre comité à cet égard. Nous espérons pour le moins que votre initiative incitera le gouvernement à procéder aux études qu'il aurait dû faire au départ sur la question. Si, après une étude en bonne et due forme, on décide quand même de déréglementer le transport de passagers par autocar, qu'il en soit fait ainsi. Je ne serai pas d'accord avec cette décision, mais au moins j'aurai la satisfaction de savoir que l'on aura fait ce qu'il faut pour comprendre à l'avance les répercussions de cette mesure.
La présidente: Monsieur Cafferky, vous nous dites que Fort St. James, qui compte environ 2 000 habitants, est une trop petite localité pour justifier un service de fourgonnettes. Nous avons constaté que les petites localités de l'Île-du- Prince-Édouard et de la Nouvelle-Écosse sont très heureuses de leur service de transport par fourgonnettes. Pourquoi estimez-vous que ça ne donnerait pas de bons résultats dans votre cas?
M. Cafferky: Un service d'exploitation de fourgonnettes qui n'assurerait que le transport des passagers ne procurerait, à mon avis, pas suffisamment de recettes pour être rentable. Le nombre de passagers que nous transportons sur ce circuit est extrêmement faible.
La présidente: Ça ne pourrait donc pas marcher.
M. Cafferky: Dans le cas de Fort St. James?
La présidente: Oui.
M. Cafferky: La situation de Fort St. James se ramène à celle du Manitoba où, même lorsque nous avons introduit un service de transport par fourgonnettes, il n'y avait pas suffisamment de passagers pour rentabiliser le service, qui a dû être subventionné. C'est la même situation.
Celui qui exploite un service de fourgonnettes doit payer le conducteur. Il se peut que ce soit en même temps le propriétaire de l'entreprise, mais il s'attend à toucher un salaire ou à gagner quelque chose pour le prix de ses efforts. Comme tout le reste de nos activités, ce service comporte des frais d'exploitation, d'investissement, de main-d'oeuvre, d'entretien et de carburant très élevés. Les marges sont faibles dans le secteur du transport par autocar en raison des frais élevés dans bien des domaines.
La présidente: J'ai pris note des observations que vous avez faites à la fin de votre exposé, mais est-ce que les disparités entre les différents régimes provinciaux de transport par autocar qui sont apparues ces dix dernières années ont porté préjudice à votre secteur et aux voyageurs et, dans l'affirmative, quelles sont les solutions qui s'imposent? Quel palier du gouvernement doit se charger de la réglementation?
M. Cafferky: Il serait avantageux d'avoir des règles uniformes à l'échelle du pays. Cela dit, toutefois, je siège au sein du Comité consultatif de la commission des transports routiers de la Colombie-Britannique et nous nous sommes récemment posé la question de savoir ce que pouvait faire la commission pour mieux servir notre secteur. Certes, il y avait certaines sociétés exploitantes, notamment dans le secteur du transport nolisé, qui estimaient que l'on pourrait retirer un certain bénéfice, non pas d'une déréglementation, mais d'une rationalisation de la réglementation, mais même au sein de ce comité, qui comprenait des exploitants de services réguliers, la nécessité de disposer d'horaires et de barèmes de prix contrôlés par la commission avait été comprise et acceptée. Donc, même si une certaine rationalisation me paraît possible dans certains domaines, notre comité consultatif a conclu que les services réguliers devaient continuer à être soumis à la réglementation.
Le sénateur Forrestall: Vous semblez préconiser sans aucune hésitation une certaine forme de réglementation visant à vous protéger; sinon, il vous faudrait recourir aux autres lois qui vous régissent, à savoir la loi du profit, des investissements et du rendement.
Je comprends bien que l'île occupe une place particulière dans la géographie du Canada. Néanmoins, si vous ne pouviez pas offrir vos services dans l'île, est-ce qu'il y a des personnes qui seraient bloquées et quelles seraient-elles? Je pense aux personnes âgées, aux étudiants, aux jeunes et aux personnes dont le revenu est limité. Avez-vous une idée de la chose? Quelles sont les personnes que le gouvernement devrait alors prendre en charge?
Par ailleurs, il y a différentes Premières nations tout le long de la côte. Comment feraient-elles pour se déplacer?
M. Cafferky: À mon avis, il y a des gens qui seraient laissés pour compte. J'aurais préféré que vous ne m'ameniez pas à vous le préciser, mais en fait ce sont les jeunes et les personnes âgées qui seraient laissés pour compte. Le service que nous dispensons sur l'île de Vancouver dessert un certain nombre de très petites localités dans lesquelles habitent de nombreuses personnes âgées.
J'ai aussi travaillé au Manitoba, où la situation est très semblable. La seule différence, c'est que ces petites localités sont plus espacées.
Sur l'île, à certaines époques de l'année, les personnes âgées qui comptent sur notre service doivent aller, par exemple, passer une visite médicale dans un grand centre. Elles veulent pouvoir continuer à résider dans leur maison familiale de Qualicum, de French Beach ou autre tout en pouvant effectivement compter sur notre service pour aller à Nanaimo ou à Courtenay faire leurs achats ou, chez le médecin ou le dentiste. Il y a aussi des étudiants qui font l'aller- retour chaque semaine.
Il y a aussi de grosses périodes de pointe. À la fin de la session de cours ou lors des vacances de printemps, nous transportons un grand nombre d'étudiants. Par ailleurs, nous transportons de nombreux enfants qui font, par exemple, l'aller-retour pour aller chez le dentiste.
Est-ce qu'il nous faudra abandonner ce service? À mon avis, ce serait le cas. Nous n'aurions pas le choix.
Le sénateur Forrestall: Étant donné votre longue expérience de ce secteur et votre connaissance de ces problèmes, est-ce qu'il faudrait que le gouvernement intervienne? Avez-vous étudié avec le gouvernement certaines mesures visant à encourager l'utilisation du service, certaines formes de subventions, éventuellement une remise des taxes sur l'essence ou toute autre forme d'incitation visant à maintenir le service? Sinon, tôt ou tard, c'est le contribuable qui devra prendre la relève.
M. Cafferky: Je ne suis pas sûr que la solution soit de rétablir des services d'autocar desservant des localités qui les ont perdus du fait de la déréglementation.
Sur l'île de Vancouver, le gouvernement provincial finance les services de transport urbain. Dans certains cas, les localités sont si proches les unes des autres que ce service de transport urbain pourrait peut-être étendu de manière à assurer la liaison entre elles. Je pense à la région située au centre de l'île. Toutefois, ces services sont dispensés à l'heure actuelle sans aucune subvention.
Je considère personnellement qu'il est tout à fait illogique d'abandonner ce service pour le remplacer par un service subventionné.
À Fort St. John, par exemple, le coût de rétablissement de ces services sous un régime de subventions serait terriblement onéreux.
Le sénateur Forrestall: De quelle façon? À quoi vous référez-vous?
M. Cafferky: Je me réfère au modèle des transports urbains subventionnés.
Le sénateur Forrestall: Quelqu'un prendra la relève. Je comprends ce que vous voulez dire.
M. Cafferky: Une autre solution serait de financer les sociétés de transport pour qu'elles continuent à exploiter ces lignes. Je ne comprends toutefois pas l'intérêt de démanteler un service qui n'a pas besoin de subventions à l'heure actuelle pour le remplacer par un autre, qui lui a besoin d'être subventionné.
Le sénateur Forrestall: Avez-vous répondu à des appels d'offres, par exemple, pour des services d'autobus scolaire?
M. Cafferky: Gray Line exploitait un service d'autobus scolaire dans la communauté urbaine de Victoria. Lors du dernier appel d'offres, nous avons perdu le contrat. Nous exploitons aussi des autobus scolaires à Prince George.
Nous avons actuellement de nombreux accords contractuels. Nous nous acquittons d'un contrat nous permettant d'assurer la navette du personnel d'une usine de Prince George. Nous assurons aussi la navette du personnel d'une mine à Campbell River. Nous assurons sur l'île les services de transport urbain à Cowichan Valley ainsi qu'à Cranbrook.
Au fil des années, alors que le nombre de passagers a diminué, nous avons dû pour subsister trouver de nouvelles sources de recettes en passant des contrats comme celui de BC Transit ou encore en assurant la navette du personnel de certains entreprises. Nous faisons aussi beaucoup de sous-traitance par l'intermédiaire de notre installation d'entretien de l'île de Vancouver. Nous avons trouvé de nouvelles sources de recettes pour remplacer le manque à gagner sur notre ligne régulière de passagers de manière à pouvoir continuer à entretenir notre infrastructure. C'est pourquoi la sous- traitance est devenue un élément très important de notre exploitation; sans elle, notre ligne régulière de transport ne pourrait pas subsister.
Le sénateur Forrestall: Est-ce que la pression est suffisamment forte pour vous amener à envisager l'abandon de certains services dans un an, deux ans ou dix ans?
M. Cafferky: Chaque année, je dois transmettre à mes supérieurs hiérarchiques une analyse financière de nos services sur l'île de Vancouver. Cette opération a pour but de mettre en relief les pertes actuelles de notre service régulier de transport de passagers. Bien souvent, on me demande pourquoi nous continuons à exploiter ce service. Je réponds que le service de transport régulier, comme je l'ai dit dans mon exposé, vient effectivement renforcer dans une certaine mesure nos infrastructures et qu'en réalité nous en profitons dans le cadre de l'exécution de notre contrat de transport urbain de Cowichan Valley, par exemple. C'est notre représentant sur place qui le gère et nous n'avons donc pas à payer un directeur à plein temps.
Notre dépôt de Duncan nous sert de bureau. Le personnel qui renseigne au téléphone les passagers de notre service régulier répond aussi au téléphone pour les besoins du transport urbain. Il y a là des synergies qui nous permettent d'amortir les frais généraux entraînés par nos services réguliers.
Le sénateur Forrestall: Continuez dans cette voie.
Le sénateur Jaffer: Vous nous avez dit que personne ne vous avait posé de question sur votre réseau et sur les changements qu'entraînerait une déréglementation. Puis-je vous demander de faire parvenir ces renseignements au greffier de notre comité; ils nous seront très utiles.
Pouvez-vous le faire?
M. Cafferky: Bien évidemment.
Le sénateur Jaffer: Dispensez-vous des services spéciaux pour les handicapés?
M. Cafferky: Oui, effectivement. Nous avons l'un des véhicules les mieux adaptés à la condition des handicapés physiques dans l'Ouest du Canada. Les fauteuils peuvent prendre jusqu'à 14 positions. Nous y avons souvent recours. Nous devons transporter en moyenne quelque quatre ou cinq passagers par semaine en nous servant de nos véhicules à plate-forme élévatrice. C'est un service très demandé.
À l'heure actuelle, les fenêtres des autocars comportent des inscriptions en braille. Nous sommes équipés pour transporter les personnes malvoyantes. Elles peuvent monter à bord de nos véhicules avec leur chien. Nous offrons des tarifs spéciaux aux personnes souffrant d'un handicap physique ou autre.
Le sénateur Jaffer: Vous nous avez dit que votre entreprise dispensait des services aux étudiants qui font la navette. Est-ce que ce sont des navettes hebdomadaires? Vous n'assurez pas tous les jours le service d'autobus scolaires; n'est-ce pas?
M. Cafferky: Nous n'avons pas pour l'instant de contrats de transport scolaire. C'est surtout notre société mère, Laidlaw, qui exécute de genre de contrats. Toutefois, il nous est déjà arrivé d'en exécuter.
À Cowichan comme à Cranbrook, une grande partie de nos services sont dispensés dans les écoles. Nombre de ces services sont le prolongement de ceux que nous dispensons sur notre ligne principale d'un bout à l'autre de l'île.
Le sénateur Jaffer: S'il y avait une déréglementation, est-ce que vous vous engageriez dans le transport scolaire pour pouvoir joindre les deux bouts? Est-ce que vous pouvez envisager cette possibilité?
M. Cafferky: Si l'on déréglementait les services réguliers, nous étendrions nos activités partout où c'est possible. Nous ferions le maximum pour tirer parti de tous les débouchés qui se présentent parce que, comme je vous l'ai dit tout à l'heure, les marges sont très faibles dans notre secteur. Il ne faut pas trop souvent manquer son coup.
Le sénateur Jaffer: Laissez-moi interroger ici le représentant de la commission des transports routiers. Est-ce que vous avez envisagé d'offrir des services d'autocar aux travailleurs agricoles, surtout lors des travaux saisonniers?
M. Cafferky: Je n'ai pas pris part à ce genre de services. Je sais par expérience qu'en majeure partie ils ne sont pas réglementés. Le propriétaire de l'exploitation agricole ou les travailleurs vont, par exemple, acheter un autobus ou encore une fourgonnette et l'exploiter eux-mêmes. Nous n'avons pas pris part à ce genre d'opérations.
Le sénateur Lawson: J'aimerais évoquer rapidement la question des fourgonnettes utilisées par les travailleurs agricoles. On voit des fourgonnettes transporter 25, 30 ou 40 personnes alors qu'elles ont été prévues pour 15 ou 20. Nous avons reçu de nombreuses plaintes concernant ce type d'infractions.
Étant donné les prodiges d'équilibre financier que vous réalisez — le fait que vous subventionniez certains services, que vous les mainteniez en place et que vous optimisiez chaque dollar de recettes en utilisant au mieux les bâtiments et le personnel — avez-vous envisagé de faire carrière au gouvernement? Vous pourriez trouver suffisamment d'argent pour subventionner votre exploitation si vous décidiez de travailler à la commission pour le compte du gouvernement.
Vous nous avez dit dans votre exposé que vous étiez très découragé d'apprendre que le gouvernement fédéral était sur le point de déréglementer le transport de passagers par autocar. Savez-vous où en sont les choses à l'heure actuelle? Est-ce que le gouvernement continue à envisager cette mesure sans procéder à aucune consultation?
M. Cafferky: Non. Si je comprends bien, les audiences de votre comité font désormais partie de l'opération.
Le sénateur Lawson: La mesure est donc en quelque sorte retardée.
M. Cafferky: Oui.
Le sénateur Lawson: En réalité, les fonctionnaires ne vont pas voir les gens sur place; ils restent dans leurs bureaux et font des projets sur le papier.
Si je vous le dis, c'est parce que j'ai assisté à la déréglementation du secteur des transports, notamment du camionnage aux États-Unis, qui s'est répercutée de l'autre côté de la frontière. Lorsqu'ils ont entrepris de déréglementer, les États-Unis possédaient le réseau de transport le plus efficace et le mieux géré au monde. Poussés par des gens comme Ralph Nader, ils ont pensé faire une magnifique affaire en tout bouleversant; la concurrence allait être renforcée, les tarifs baisseraient, tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes et l'on mettrait fin à la concentration des grandes entreprises.
Au bout du compte, c'est l'inverse qui s'est produit. Ils se sont retrouvés avec des centaines de milliers de propriétaires-exploitants indépendants qui s'en sortent en travaillant 16, 18 ou 20 heures par jour. Ils restent éveillés en prenant des cachets. Les accidents ont été multipliés par dix et davantage du fait de cette situation.
Quelque temps après, lors d'une conférence à Toronto, j'ai entendu à mon grand étonnement Ralph Nader, qui était l'un des orateurs, s'opposer à la déréglementation. Je lui ai fait remarquer qu'il n'y avait pas si longtemps il était parmi les premiers à la réclamer. Il m'a rétorqué que dans ce secteur, la déréglementation ne s'était pas faite comme lui, et d'autres, l'avait réclamé.
Nous avons aussi éprouvé des difficultés au sujet de la déréglementation du transport aérien.
Si nous déréglementons vos services, il vous faudra abandonner 25 ou 30 des 40 ou 50 localités que vous desservez. Cela m'apparaît totalement illogique. À quoi rime une telle façon de procéder? Je ne comprends pas.
Je suis l'un de ceux qui estiment que l'on commet une grave erreur en se précipitant dans la voie de la déréglementation. Il faut que l'on consulte des gens comme vous, qui connaissez la question et qui comprenez ce qui se passe. Quelle est l'utilité pour le Canada, pour la population de la Colombie-Britannique, de l'abandon de 30 ou 40 localités?
On n'est pas obligé de subventionner une exploitation déficitaire. Combien de temps cela peut-il durer?
Je partage donc un certain nombre de vos préoccupations. J'invite le comité à recommander au gouvernement qu'avant de se lancer dans une folle entreprise telle qu'une déréglementation automatique, il consulte les gens sur le terrain, les personnes qui sont derrière le volant, et cetera.
La présidente: C'est ce que nous faisons, sénateur.
Le sénateur Lawson: C'est magnifique que vous le fassiez; toutefois, lorsqu'on pense que toutes ces petites entreprises étaient sur le point d'être mise sur la touche sans aucune consultation, on est révolté. Il est heureux que le ministre ait eu la bonne idée de mandater notre comité. C'est un grand pas en avant.
M. Cafferky: Je vous en suis reconnaissant.
Le sénateur Phalen: La présidente a fait allusion à l'utilisation des fourgonnettes dans la région de l'Atlantique. Vous exploitez des fourgonnettes. Ne sont-elles pas rentables?
M. Cafferky: Nous utilisons surtout nos fourgonnettes dans le cadre des services nolisés ou utilitaires. À l'occasion, nous mettons des minibus sur nos lignes régulières. Toutefois, dans notre exploitation quotidienne, environ 25 p. 100 du chiffre d'affaires tiré de nos lignes régulières provient de l'envoi de colis par express. Nous avons donc besoin de véhicules offrant suffisamment d'espace pour le transport des marchandises, qu'il s'agisse des bagages des passagers ou des colis. Par conséquent, si nous équipons parfois nos lignes de minibus, ce n'est pas une règle générale, et l'on ne pourrait certainement pas le faire avec des fourgonnettes.
Au Manitoba, nous avions des fourgonnettes équipées ou non de remorques, de sorte que l'on pouvait expédier les colis express en les chargeant dans la remorque. C'est une forme d'exploitation extrêmement lourde. De plus, ce n'était finalement pas rentable ou ça n'a pas permis de transformer des lignes non rentables en lignes rentables.
Là encore, si j'en crois mon expérience, ce serait la même chose dans la plupart des régions rurales du Canada.
Sur l'île de Vancouver, un certain nombre de nouveaux arrivants sur le marché ont, soit mis sur pied une exploitation, soit demandé à le faire en se servant de fourgonnettes. De toute évidence, les sociétés de transport par autocar se sont aperçues que ça ne donnait aucun résultat.
Le sénateur Phalen: Est-ce qu'il y a une explication?
M. Cafferky: Je ne suis pas sûr de la connaître. Lorsque je dis que les fourgonnettes ne donnent pas de bons résultats, j'entends par là que la clientèle est faible. Il me faut supposer qu'elle est faible parce que les passagers ne veulent pas faire un long voyage en fourgonnette. Je considère aussi que ça ne marche pas parce que, je vous le répète, quelle que soit la façon dont on aborde le problème, il est très coûteux d'exploiter un service d'autocar, indépendamment de la taille des véhicules.
L'exploitant doit investir, mettre du carburant dans son véhicule, payer les salaires et entretenir les fourgonnettes. Simplement, ça se fait à une échelle plus réduite. Les marges ne font pas nécessairement de cette exploitation une entreprise rentable; de plus, on perd la possibilité d'offrir un service express.
Le sénateur Phalen: En Nouvelle-Écosse, il semble qu'on se serve des fourgonnettes sur les petites lignes pour alimenter les lignes principales. Est-ce que vous procédez de cette manière? Est-ce que vous envisagez de le faire?
M. Cafferky: Notre ligne principale sur l'île de Vancouver traverse actuellement toutes les petites villes. Par conséquent, dans certaines régions au centre de l'île, avec la nouvelle autoroute, il est possible de s'écarter de la grande route pour faire des navettes sur des petites voies d'accès. Toutefois, ça ne ferait à mon avis qu'augmenter nos coûts et non pas nos recettes.
Le sénateur Phalen: Y a-t-il une réglementation du gouvernement s'appliquant aux fourgonnettes en Colombie- Britannique?
M. Cafferky: Oui.
Le sénateur Phalen: Voici ce qu'on peut lire dans votre mémoire:
Nos services réguliers de transport des passagers et des colis desservent 40 localités, sans compter les quelque 20 arrêts effectués sur demande pour rendre service aux voyageurs locaux.
Est-ce que le service de transport des colis n'est pas rentable?
M. Cafferky: Le service combiné de transport des passagers et des colis par express sur l'île de Vancouver ne serait pas rentable si nous ne faisions que ça. Même dans la situation actuelle, nos autres activités doivent combler les quelque 5 p. 100 des recettes nécessaires qui manquent au total pour que ce service atteigne le seuil de rentabilité.
Le sénateur Phalen: En Nouvelle-Écosse, les entreprises entretiennent des relations avec les postes canadiennes et envisagent de livrer le courrier. Avez-vous étudié cette possibilité?
M. Cafferky: Nous nous efforçons d'expédier des colis en express partout où nous le pouvons. Nous avons sur l'île de Vancouver un vendeur spécialement affecté à cette tâche. Toutefois, nous subissons une forte concurrence de la part du secteur déréglementé du camionnage. Notre marché sur l'île de Vancouver, et je pense que c'est assez courant à l'échelle du Canada, a tendance à porter sur un service allant d'une station ou d'un dépôt à l'autre; les petites entreprises y ont recours en raison de la fréquence des liaisons. Si, par exemple, un atelier de réparation automobile de Parksville travaille sur un véhicule et a besoin d'une pompe à eau, il sait qu'il peut appeler son fournisseur à Victoria et que la pompe à eau sera expédiée par autocar l'après-midi même. C'est ce qui représente le plus gros de nos activités d'expédition de colis par express.
Au fil des années, toutefois, comme ce qui s'est passé pour le transport de passagers, les recettes que nous tirons de l'envoi de colis par express ont diminué depuis la déréglementation du secteur du camionnage. Nous n'avons pas la clientèle des postes canadiennes, je ne sais pas qui en bénéficie exactement, mais nous cherchons à expédier un maximum de colis.
Le sénateur Phalen: Quelle est la taille des fourgonnettes dont nous parlons?
M. Cafferky: Il s'agit de fourgonnettes dont la capacité pourrait être de 15 passagers, mais la réglementation de la commission des transports routiers dispose qu'une fourgonnette peut transporter au maximum 11 passagers. Le siège situé tout à l'arrière est enlevé et cela fait de la place pour le transport des marchandises.
Le sénateur Phalen: Est-ce que l'on utilise des fourgonnettes transportant sept passagers, des mini-fourgonnettes?
M. Cafferky: Seulement pour les services de taxi. Selon les règles sur les transports routiers, à partir de sept passagers et au-dessous, il s'agit d'un taxi; s'il y a plus de sept passagers, on parle d'autobus ou d'autocar.
La présidente: Il me semble qu'en procédant à un interfinancement grâce à vos activités de voyage touristique, vous offrez un service social à ces localités. Pouvez-vous imaginer un meilleur moyen de dispenser ce genre de services?
En Nouvelle-Écosse, les entreprises font du porte à porte, ce qui leur a permis d'augmenter leur clientèle. Est-ce que ce serait possible dans votre cas?
M. Cafferky: Est-ce que vous voulez dire par là que dans l'est du Canada, de petits véhicules prennent les passagers sur le pas de leur porte et les amènent jusqu'au dépôt d'autocars?
La présidente: Non. Ils vont chercher les passagers pour les emmener chez le médecin, ou à l'école s'il s'agit des enfants.
M. Cafferky: C'est un service mixte s'apparentant à celui des taxis.
La présidente: Oui.
M. Cafferky: Ça peut donner des résultats, mais il ne s'agit pas là d'un service interurbain d'autocars, de sorte que ça ne s'applique qu'à une partie du marché. On ne s'adresse pas à l'ensemble du marché. À partir du moment où l'on décompose le marché du service interurbain par autocar pour en retirer certaines parties — autrement dit, en choisissant de servir de différente façon telle ou telle clientèle — on obère davantage encore les marges du service de transport interurbain par autocar, et il est certain que sur l'île de Vancouver, par exemple, on ne pourrait pas s'en sortir. Si j'en crois mon expérience, ce ne serait pas possible non plus dans bien d'autres régions.
Le sénateur Gustafson: Le Canada est devenu le pays le plus urbanisé du monde, si j'en crois les dernières statistiques que j'ai lues. Cette tendance va se poursuivre aux dires des spécialistes. On m'a d'ailleurs dit l'autre jour que Saskatoon, qui compte actuellement 250 000 habitants, va en avoir 400 000. Ce sera la même chose pour Regina. Pourtant, la population globale de la Saskatchewan ne va pas changer.
Il n'en reste pas moins que l'économie des campagnes est très importante, notamment dans le secteur des ressources naturelles. Le secteur de l'exploitation forestière en Colombie-Britannique en est un bon exemple. L'agriculture a aussi son importance et bien d'autres secteurs encore. On dispense de moins en moins de services aux régions rurales.
Nous devons bien réfléchir à la nature de notre pays et à ce qui va se passer si l'on abandonne nos campagnes. Bien des pressions s'exercent sur les régions rurales. Il faut aussi tenir compte des questions de santé.
Bien des choses que je veux signaler ont déjà été dites, mais je considère qu'il est important de tenir compte de nos ressources naturelles. Prenez le cas des pèches, des mines, de l'exploitation forestière, des hydrocarbures, de l'agriculture, de la potasse et de bien d'autres secteurs encore — tout nous vient des régions rurales du Canada. Il semble cependant que l'on redistribue de moins en moins de services à nos campagnes. Nous allons au devant de difficultés graves. Il ne semble pas que nous ayons une approche globale du problème.
Avez-vous des observations à faire sur ce que je viens de dire?
M. Cafferky: Nous desservons les régions rurales du Canada et nous sommes pleinement conscients des difficultés des localités concernées. Alors que notre pays s'urbanise, je considère, et je pense que je l'ai déjà dit, qu'une déréglementation du transport par autocar va déboucher sur l'exercice sans contrôle d'un monopole au service des grandes agglomérations sans que les campagnes canadiennes ne bénéficient d'aucun service.
La présidente: Monsieur Cafferky, je vous remercie d'être venu aujourd'hui. Nous attendons avec impatience les renseignements que vous vous êtes engagé à fournir à notre greffier.
Le témoin suivant est Bill Waters.
M. Bill Waters, professeur: Honorables sénateurs, vous avez devant vous la reproduction de la série de diapositives dont je vais m'inspirer pour faire mon exposé. Je suis ici parce que je faisais partie du groupe de cinq membres chargé de la l'examen de la Loi sur les transports au Canada, l'ELTC. Votre personnel a jugé utile de me demander de répondre à certaines questions posées par votre comité.
Disons, rapidement, que le mandat de l'ELTC était très large; le secteur du transport par autocar aurait pu en fait constituer l'un de nos sujets d'étude. Toutefois, comme il a été confié à votre comité, nous avons choisi de ne pas l'examiner en détail. Le groupe chargé de l'ELTC s'est dispersé le 1er juillet 2001.
Je suis cependant venu ici aujourd'hui au cas où je pourrais répondre à certaines de vos questions.
Notre groupe n'a pas procédé à une étude exhaustive du secteur du transport par autocar, mais nous n'en avons pas moins recommandé que l'opération dans laquelle vous vous êtes engagés est importante et doit se poursuivre en raison du cloisonnement de la réglementation. Nous n'avons pas manqué d'entendre les gens se plaindre de la disparité des règlements à l'échelle du Canada. Étant donné que l'ELTC avait pour mandat d'étudier le régime national, c'était là un sujet de préoccupation.
En second lieu, nous avons recommandé que les mesures prises au sujet du Code national de sécurité soient structurées de telle sorte que tous les véhicules transportant des passagers payants fassent l'objet d'un cadre de réglementation uniforme en matière de sécurité qui tienne compte de l'envergure de l'exploitation et des risques courus, sans se limiter exclusivement à la taille des véhicules.
Nous avons déclaré par ailleurs que l'on pourrait y parvenir sans changer les délégations des pouvoirs de réglementation en faveur des provinces, et qu'il appartenait à votre comité d'en décider.
Notre groupe n'a pas fait de recommandation précise concernant les avantages respectifs de la réglementation et de la déréglementation, si ce n'est pour inciter à une plus grande uniformité du cadre réglementaire. Toutefois, en consultant notre rapport, vous constaterez que, chaque fois que c'est possible, nous affirmons qu'en faisant appel au jeu de la concurrence et des forces du marché on est mieux à même qu'en recourant à un contrôle exercé par le gouvernement de mettre en place des services efficaces et utiles qui tiennent compte des préférences des voyageurs et des expéditeurs. Il s'agit là de l'objectif avoué de la politique canadienne des transports.
Je pense, toutefois, que le secteur du transport par autocar pose des problèmes particulièrement délicats.
L'intervenant qui m'a précédé a bien exposé la nécessité de faire appel par le passé à une certaine forme d'interfinancement. De nombreuses voix se sont fait entendre devant notre groupe — et je dois dire que les avis étaient très partagés — certains réclamant un marché plus libre et d'autres soutenant que les forces du marché ne pouvaient pas opérer dans le secteur du transport par autocar. De nombreuses voix s'élèvent encore pour préconiser une certaine forme de contrôle réglementaire, contrairement à la tendance enregistrée dans la plupart des autres pays.
C'est ce qui a justifié au cours de l'histoire la réglementation; en l'occurrence, la nécessité de dispenser certains services sociaux et économiques en conférant aux entreprises la possibilité de gagner de l'argent sur certains marchés en échange de quoi elles doivent dispenser d'autres services sur ce même marché.
Il faut bien comprendre qu'un régime réglementaire assez complexe est nécessaire si l'on veut atteindre les objectifs de l'interfinancement. Si vous adoptez cette démarche, il faut que les fournisseurs puissent avoir certains débouchés pour gagner de l'argent. Si le marché est rentable, d'autres vont alors s'y engouffrer. Il faut que ces fournisseurs jouissent d'une certaine position privilégiée, de certains droits sur ce marché, pour éviter que d'autres ne viennent leur couper l'herbe sous les pieds. Le corollaire, bien sûr, c'est qu'il vous faut faire confiance aux entreprises en place pour mettre sur pied des services novateurs parce que vous fermez au moins partiellement la porte aux nouveaux arrivants.
D'un autre côté, même si ces entreprises sont réglementées et ont recours à un interfinancement de leurs activités, il n'y a pas suffisamment d'incitations pour les empêcher de sortir de certains marchés. Personne n'aime exercer des activités déficitaires. Il vous faut exercer un minimum de contrôle par le biais de la réglementation sur le niveau des services offerts, les prix, et cetera., parce que l'on a affaire à de nombreux secteurs d'activité. Si l'on doit obliger ces entreprises à dispenser des services déficitaires, il faut avoir un moyen de les pousser à le faire, de les maintenir dans ces secteurs.
On relève dans le rapport de l'ELTC que l'on pourrait étendre le champ d'application des fonds de gestion du transport routier dont la création est proposée afin de répertorier les services ou les lignes susceptibles de justifier l'apport de fonds publics, des subventions pouvant alors être attribuées pour remplacer l'interfinancement ou un mode de financement plus neutre. Toutefois, on ne le verra pas de sitôt et, de ce point de vue, je ne sais pas si ça peut beaucoup vous aider dans vos délibérations.
L'existence de VIA Rail remet aussi en cause la rentabilité financière du secteur du transport par autocar. Bien évidemment, VIA Rail n'est présent que sur certains marchés mais, lorsque ce service existe, on peut alléguer de manière tout à fait raisonnable que nombre des prix pratiqués dans ce mode de transport n'ont aucune réalité économique, ce qui porte préjudice au secteur du transport par autocar.
VIA Rail a bien sûr le droit de dispenser certains services; cette entreprise est autorisée à le faire. Elle ne peut maintenir sa présence qu'en pratiquant des prix de cet ordre. Il n'en reste pas moins qu'en conséquence vous avez ici une société ayant pour mandat de dispenser des services non rentables et nous n'avons pas manqué de reprocher à VIA Rail le caractère très confus de ce mandat législatif et politique.
Notre recommandation touchant VIA Rail répond à vos préoccupations immédiates, mais si son mandat était plus clair — et nous avons effectivement recommandé qu'on dispense cette société de la charge d'assurer des services non rentables en lui donnant la possibilité d'agir là où elle pense devoir le faire — cela ouvrirait des débouchés en certains endroits au secteur du transport par autocar.
Il y a une autre question que je tiens à mentionner, et qui a été évoquée, il me semble, au sein de notre comité, sans toutefois figurer dans notre rapport. Il y a un conflit ou des chevauchements, à mon avis, entre les services commerciaux de transport interurbain par autocar et certains services dispensés dans les banlieues éloignées par les sociétés de transport urbain. La différence est fondamentale entre les deux. Les autocars interurbains, qu'ils fassent ou non l'objet d'une réglementation, sont essentiellement des entreprises commerciales. Ils doivent recouvrer leurs coûts et être rentables. Pour différentes raisons tout à fait légitimes, les sociétés de transport urbain sont subventionnées. Par conséquent, lorsque les marchés se chevauchent, il y a un conflit.
Voilà des sociétés ayant pour mandat de perdre de l'argent qui concurrencent des services qui, pour survivre, doivent en gagner. Lorsque ces services se chevauchent, on risque de rajouter encore au problème auquel doit faire face le secteur du transport interurbain par autocar, en l'occurrence, faire face à un concurrent qui n'a pas le même souci de rentabilité.
Qu'y faire? On peut penser que les sociétés de transport urbain devront envisager de sous-traiter certains de ces services aux transporteurs commerciaux. Même si le transporteur commercial est subventionné, on pourrait éventuellement avoir recours à un appel d'offres ou à toute autre formule pour lui permettre d'avoir un certain accès à ce marché.
Dans notre rapport, nous avons fortement critiqué le rendement de nombre des sociétés de transport urbain. Dans les régions urbaines, toutefois, on reconnaît maintenant depuis des dizaines d'années que l'un des problèmes fondamentaux vient du fait que l'usager de l'automobile en milieu urbain ne paie pas un prix correspondant à l'intégralité du coût qu'il impose à la société. Si l'on adoptait un régime plus approprié de facturation du coût des automobiles en milieu urbain, nous n'aurions pas besoin de subventionner autant le transport urbain, et les subventions devant être versées par ailleurs à certaines formes de transport par autocar en seraient aussi allégées.
C'est un véritable casse-tête.
Heureusement, je suis sûr que votre comité n'a pas à se pencher sur cette question.
Finalement — et je serai très franc avec vous ici — nous avions tellement de choses à faire pour réviser la LTC que je vous avoue que c'est avec un grand soulagement que nous avons saisi la possibilité de ne pas aborder certaines questions, et vous êtes appelés à traiter de l'une des plus difficiles d'entre elles.
J'ai perdu l'une de mes diapositives en chemin. Nous avons insisté sur les difficultés qu'entraînait pour le Canada la présence de marchés à faible densité. Notre pays a une grande superficie et une population limitée. L'Australie est un bon élément de comparaison. Par conséquent, de nombreux marchés ne peuvent pas justifier la présence de plusieurs fournisseurs, et parfois même pas d'un seul. Traditionnellement, le secteur du transport par autocar dessert un grand nombre de ces marchés de faible importance. Il y a donc là un véritable dilemme et l'on se demande s'il faut déréglementer en espérant que les forces du marché régleront tous nos problèmes à long terme ou s'il faut maintenir le régime actuel ou même le renforcer pour pouvoir atteindre nos objectifs.
Nombre d'organisations qui ont comparu devant notre groupe d'étude nous ont dit qu'il fallait que le gouvernement fédéral montre en quelque sorte la voie. De nombreuses personnes nous ont fait savoir que si nous attendions l'accord des provinces, nous pourrions attendre longtemps.
Par conséquent, vous avez donc un rôle très important à jouer. Je vous souhaite la meilleure des chances. Je suis prêt à répondre aux questions que vous voudrez bien me poser.
La présidente: Merci, professeur Waters. Le rapport de votre groupe nous a paru encourageant. J'imagine que l'étude du transport par autocar fait partie intégrante du transport en général.
J'ai quelques questions à vous poser. Que pensez-vous de la qualité des services de transport par autocar dispensés en Colombie-Britannique et des tarifs qui sont appliqués.
M. Waters: Étant donné que nous n'avons pas étudié la question à fond, il serait présomptueux de ma part de me prononcer sur la question. Il y a aussi des disparités selon les régions. Vous comprendrez bien, cependant, que les gens ont davantage tendance à se plaindre qu'à faire des compliments. Partout, nous entendons la population se plaindre que le service n'est pas suffisant et que les prix sont trop élevés. Je suis sûr que sur ce point la Colombie-Britannique ne fait pas exception.
De manière générale, le problème que nous avons constaté lors de l'ELTC, et je suis sûr que ce sera aussi le vôtre, c'est celui de l'avenir. À l'heure actuelle, le service fonctionne. Les autocars roulent et le service est assuré. Le gros problème, c'est que ces services d'autocar perdent de l'argent.
Nous ne pouvons pas continuer dans cette voie. Avec l'ELTC, nous avons dû nous fixer une perspective d'environ dix ans. Nous avons essayé de prévoir ce qui allait se passer, parce que l'interfinancement des activités ne peut pas durer indéfiniment, à moins que l'on aménage des compromis au sein de la réglementation pour que les entreprises puissent gagner de l'argent quelque part. Je suis sûr que vous entendrez des plaintes au sujet des tarifs, mais le service fonctionne. Partout, cependant, les entreprises du secteur sont en difficulté. Elles survivent, mais on peut se demander si cela va pouvoir durer.
La présidente: Quelles sont les politiques gouvernementales les mieux à même d'appuyer les régions rurales et les petites localités?
M. Waters: J'ai fait part d'un problème. Dans notre rapport «Vision fondée sur l'équilibre», l'équilibre vient de ce que l'on a appelé les marchés à faible densité. Nous avons réclamé à l'unanimité que l'on oriente davantage la politique des transports, car nous estimons que c'est ce qui donne les meilleurs résultats, en faveur des marchés et de la concurrence. Nous reconnaissons, toutefois, que certains marchés seront laissés de côté au Canada. Nous sommes un pays urbanisé. Nous constatons l'apparition de changements.
Ce sont les infrastructures qui nous inquiètent par ailleurs au sujet des marchés à faible densité. À long terme, nous prévoyons que les gouvernements n'auront pas d'autre choix que de se pencher sur la nécessitée de rationner les montants d'argent affectés aux infrastructures rurales et à certains services dispensés dans les campagnes. À long terme, nous devons pouvoir disposer d'un mécanisme pour remédier au problème. À l'heure actuelle, nous essayons de le résoudre indirectement en disant «heureusement, le secteur du transport par autocar survit. Rangeons ce dossier et espérons que dans cinq ans un autre comité réglera la question».
Nous n'avons pas eu à répondre à cette question. L'une des grandes tâches qui attend le Canada au cours des dix prochaines années consistera à admettre la nécessité de rationner les quantités d'argent affectées à des services non rentables. Nous allons devoir le faire. Nous allons abandonner les gens dans les petites villes. Toutefois, il nous faut imaginer les moyens de décider combien d'argent nous allons dépenser. Nous avons fait, vous le savez, certaines propositions telles que les fonds de construction de routes, par exemple.
Nous devons mettre sur pied une certaine administrative indépendante nous permettant de définir les priorités en matière de subventions. J'hésite à confier cette charge au personnel politique en raison du risque que l'on privilégie les considérations à court terme.
Le gros problème n'est pas seulement celui du transport par autocar, il y a aussi celui des infrastructures et de la nécessité de répondre aux besoins des marchés à faible densité dans notre pays.
La présidente: Quelles sont les perspectives d'un renversement de la tendance à long terme à une baisse un nombre de passagers des lignes régulières?
M. Waters: Je suis très pessimiste. Il y a une ligne très fine ou très marquée entre le secteur du transport commercial à but lucratif, le secteur à but non lucratif et le marché non organisé.
Si le service est abandonné, cela ne veut pas nécessairement dire que les gens ne pourront pas se déplacer. Il leur faudra peut-être faire appel à leurs amis ou partager une voiture. Il y a différentes façons pour les gens de s'en sortir. Nous aimerions une formule plus structurée. Vous n'ignorez pas que dans certaines régions du pays, le transport par fourgonnettes a eu un certain succès. Un particulier peut gagner un peu d'argent en mettant sur pied une exploitation à faible budget sans disposer d'un autocar de luxe à air conditionné. Si l'on s'en remet au marché, des solutions vont se présenter. Ces solutions ne seront peut-être pas aussi bonnes que celles dont nous disposons aujourd'hui.
La présence de services subventionnés empêche toutefois de trouver des solutions commerciales. C'est l'un des obstacles auxquels nous nous heurtons avec les services de transport urbain. La présence d'un service subventionné empêche effectivement un nouvel arrivant d'assurer une exploitation plus marginale. C'est là un des inconvénients.
Si l'on réglemente une ligne de transport à long terme en appliquant des bas tarifs, on ne laisse en fait aucune chance à la concurrence. La question est de savoir si on laissera suffisamment la possibilité d'entreprendre. C'est un gros pari. Les membres de mon groupe représentaient trois des grands partis. Sur une certaine période, nous avons décidé de jouer le jeu du marché. C'est un pari.
La présidente: C'est bien vrai.
Le sénateur Forrestall: Je fais partie de ceux qui ont résolument pris part à la déréglementation du chemin de fer et du transport aérien chez nous et je l'ai fait avec la ferme conviction que notre pays était en pleine expansion et que nous allions devenir l'un des grands concurrents dans le monde. La force même de notre population et d'autres facteurs de notre puissance allaient en décider. Je m'étais complètement trompé en pensant que notre pays était en pleine expansion. Nous sommes simplement un pays qui change d'orientation.
Les nombreuses études du recensement n'ont pas encore vraiment commencé dans les provinces, mais je suis sûr qu'il y a des gens qui ont hâte de connaître les statistiques. Je reconnais que ce que nous avions prévu était trop simpliste: un déplacement vers les grands centres des différentes régions des provinces et, à l'intérieur des provinces en général, des grands centres vers le plus grand d'entre eux, pas nécessairement la capitale, mais celui qui revêt le plus d'importance économique. Cette analyse aurait pu s'appliquer aussi à l'ensemble du pays lorsqu'on passe des grands centres provinciaux aux grands centres nationaux. J'imagine qu'il suffisait d'y penser dix minutes pour s'apercevoir que c'était évident et inévitable. Avec l'enthousiasme de la jeunesse, j'ai pensé il y a quelques années que tout était beau, que le Canada se retrouverait avec 40 millions d'habitants et allait pouvoir compter. Ce n'est pas ce qui s'est passé.
Après des années d'étude et après avoir longuement réfléchi, avec beaucoup de sérieux, aux questions liées au transport dans notre pays, pas seulement dans l'Ouest, mais sur tout notre territoire, que pensez-vous des répercussions de cette incapacité à attirer la croissance? Cela influe directement, par exemple, sur les activités exercées par le témoin précédent sur l'île. Avez-vous des commentaires ou des observations à faire sur cette incapacité à produire de la croissance et sur ce qui va se passer du point de vue de la réglementation du secteur — et je fais appel aussi sur ce point aux commentaires et aux observations de vos collègues.
J'ai laissé pendre bien des fils dans l'écheveau que je viens de dérouler à votre intention. Vous pouvez choisir celui que vous voulez. Est-ce que nous devons nous attendre à quelque chose d'imprévu alors que nous sommes placés devant un choix entre la réglementation et la déréglementation? Peut-on donner un sens aux nombreuses voies qui s'offrent à nous?
M. Waters: Quand vous parlez de «changement d'orientation», il faut bien voir que notre pays s'urbanise et cela ne concerne pas uniquement les grands centres de population. Cela touche aussi le coeur de la Saskatchewan. De grosses agglomérations apparaissent dans le monde entier. En fait, le monde s'urbanise. Cela signifie effectivement que les économies d'échelle sont minimes dans le secteur des transports et au sein des différents réseaux. Il s'ensuit inévitablement que nous gravitons autour des villes. Cela signifie que les petites localités vont être laissées de côté. Nous menons une bataille perdue d'avance. C'est bien triste à dire.
La voie la plus sûre est celle de l'automobile et de la mobilité. Tout le monde ne peut pas conduire une automobile. À un moment donné, il nous faut bien reconnaître que c'est vers cela que l'on se dirige dans le monde.
Il est indéniable que le mouvement en faveur de la déréglementation, dans le monde entier, a entraîné de nombreuses surprises. Il a été très efficace à bien des égards. Considérez les gains de productivité dans le secteur des transports au niveau mondial, c'est faramineux. Nous nous plaignons. Je ne suis par le dernier à critiquer le monopole exercé par Air Canada mais, si nous considérons en fait le prix des billets d'avion, nous constatons qu'il a diminué en termes réels au fil des années.
Il y a eu quelques grosses surprises. Après avoir passé tout ce temps à analyser les différents systèmes, aucun universitaire n'a vu arriver la formule des plaques tournantes. À notre grande honte, nous devons avouer que personne ne l'avait prévu. La liberté d'innover a prouvé que c'était un moyen économique d'assurer l'exploitation. Prenez le cas du secteur des messageries dans le monde, qui jusqu'alors était étouffée par la réglementation.
Il y a beaucoup de choses qui semblent aller de soi aujourd'hui, mais il semble bien que la taille et les économies d'échelle soient devenues des caractéristiques dominantes. Il y a maintenant quelques géants et une multitude de petits entrepreneurs, et celui qui se retrouve pris entre les deux est écrasé. C'est à cela que l'on a abouti. C'est la façon dont le monde a évolué.
Notre politique de concurrence est inadaptée. Nous sommes en train d'apprendre à traiter plus efficacement avec les très gros transporteurs. L'économie du marché a parlé et il faut maintenant en tenir compte. Nous sommes en train d'essayer de voir ce que nous pouvons faire et s'il y a des moyens de restructurer le secteur de façon à pouvoir compter à nouveau sur plusieurs transporteurs. Pour le moment, je ne sais pas ce qui va se passer.
Le sénateur Forrestall: Est-ce que le Tribunal de la concurrence est pour nous une meilleure option que la réglementation du secteur?
M. Waters: Les membres de mon groupe seraient d'accord, du moins partiellement, pour dire que le modèle que nous souhaitons voir s'instaurer va fonctionner parce que nous estimons que le marché est trop complexe pour que l'on puisse envisager un contrôle détaillé. Permettez-moi d'oublier un instant le prix des billets d'autocar pour considérer celui des billets d'avion. Nous estimons que c'est une chose impossible à réglementer. Ce serait peine perdue. Aucune administration ne pourrait évoluer suffisamment vite pour se maintenir à jour. C'est tout à fait impossible. Il nous faut trouver une autre façon de procéder. Nous espérions que ça donnerait des résultats.
Avec les membres de mon groupe, j'ai considéré qu'il était très important, que l'on se charge de réglementer les activités ou de faire respecter la concurrence, de bien connaître le secteur considéré. Dans le monde entier, il y a un véritable clivage entre les modèles de réglementation dont les règles s'appliquent uniformément à tous — c'est le cas de la plupart des bureaux de la concurrence — et les modèles à l'ancienne tel que celui de notre Office des transports du Canada. On cherche à faire appel à des gens qui ont une connaissance intime du mode de fonctionnement du secteur concerné. Nous avons penché en faveur de cette dernière solution, estimant qu'il était important que l'organisme mis en place connaisse véritablement le secteur concerné et sache bien l'évaluer à long terme. Il y a un clivage dans le monde sur ce point. Nombre d'organismes de réglementation et de tribunaux de la concurrence estiment qu'il suffit d'avoir une connaissance générale du domaine. Ce n'est pas ce que nous avons conclu. Il est nécessaire d'avoir appris à connaître le secteur au fil des années.
J'espère avoir répondu à votre question.
Le sénateur Forrestall: C'est effectivement le cas, et je vous en suis très reconnaissant.
Vous avez raison. Il y a là matière à débat et il appartiendra à notre comité, madame la présidente, de relever ce défi lorsqu'il rédigera son rapport.
Prenons le cas d'Air Canada et de Canadien qui, dans l'exercice de leurs responsabilités techniques complexes, sont appelées à juger si une pièce d'équipement est en état, bien installée et en mesure d'être mise en service sur d'énormes appareils auxquels sont confiées des centaines de vies, et qui ont parfaitement réussi à s'acquitter de cette tâche sans que quelqu'un ne les surveille en regardant par-dessus leur épaule. L'explication, bien entendu, c'est que la personne qui regarde par-dessus leur épaule n'a pas les compétences ou les connaissances de celui qui fait effectivement le travail. J'ai bien peur aujourd'hui que l'on étende le contrôle qui s'exerce sur leurs propres activités. Je n'ai pas peur pour le poulailler parce que le renard qui est à l'intérieur est un ami et a de toute façon accès à la cuisine s'il veut manger à sa faim.
Est-ce que je perds mon temps en argumentant contre la formule suivante: «On ne peut pas les laisser faire parce qu'ils sont bien incapables de se réglementer eux-mêmes?» Je considère que dans certains cas les organisations d'aujourd'hui sont éventuellement mieux à même de le faire que le gouvernement.
M. Waters: C'est une excellente observation. En matière de réglementation sur la sécurité, nous avons été en fait très efficaces et nous avons appris qu'il fallait effectivement des connaissances. Les inspecteurs de la sécurité savent ce qui se passe. Ils savent bien mieux procéder aux vérifications. Si des précautions doivent être prises au sein du système et si des mesures de protection existent, on sait déceler les erreurs ou les risques qui ont été courus. Nous avons beaucoup appris et nous pouvons nous montrer très efficace en matière de réglementation sur la sécurité. En fait, le risque est presque désormais d'en faire trop dans ce sens dans bien des domaines.
Le problème est de savoir si nous pouvons faire la même chose sur le plan économique. Pouvons-nous trouver les moyens de faire intervenir des personnes compétentes à certains moments? Dans une large mesure, encore, nous espérons pouvoir faire confiance au marché. Cela signifie qu'il nous fait déterminer qui doit intervenir, pour quelles raisons et à quelles conditions. C'est là où nous avons encore bien du mal. Je vous avertis qu'à partir du moment où nous réglementons les tarifs et les services, nous devons nous engager dans une forme de réglementation assez poussée. Ce n'est pas une sinécure. Avec mes collègues, nous avons eu tendance à nous en écarter, non pas pour des raisons idéologiques, mais en fait parce que nous étions loin d'être sûrs que l'on pouvait faire confiance à un énorme appareil de réglementation pour répondre à long terme aux besoins de notre pays et des usagers.
Le sénateur Forrestall: Je vous comprends.
J'espère que je ne me suis pas écarté du sujet. Je sais que ce sont les autocars qui intéressent les gens ici, mais j'ai l'impression que mes préoccupations font partie de notre sujet.
Le sénateur Jaffer: Étant donné que vous avez participé à cette étude et que vous connaissez si bien les enjeux, je me demande si, à votre avis, les mentalités ont changé depuis le 11 septembre au sujet du transport en autocar et, dans l'affirmative, si cette attitude va durer?
M. Waters: C'est une bonne question. Je suis sûr que les mentalités ont changé, mais je crois que ce sera à court terme. Le plus important, peut-on penser, ce seront les conséquences des retards intervenant dans le transport aérien et de l'imposition de la nouvelle taxe de 12 $ ou de 24 $ au titre des services de sécurité sur les vols sur courte distance. Cela donnera probablement un petit coup de fouet à l'industrie. D'ailleurs, si les retards et les frais continuent à s'accumuler, ou pourrait voir réapparaître certains débouchés pour les déplacements interurbains sur courte distance, les autocars redevenant compétitifs. Ce n'est pas le moyen optimal de rééquilibrer le marché. Les retards actuels dans le transport aérien ne peuvent pas durer. Nous devons trouver le moyen d'accélérer les choses. Ça ne durera pas parce que ça coûte trop cher mais, si la situation ne change pas, ce sera un stimulant.
Il y a des années que l'on fait valoir certains avantages. Les stations d'autocar ne se trouvent pas dans les aéroports et, lorsqu'on veut exploiter un bon réseau d'accès, il faut que les autocars passent par les aéroports. Si l'on ouvrait ce marché, il pourrait y avoir davantage de débouchés au cas où le prix des vols sur courte distance augmenterait, mais je vous signale aussi que la circulation des automobiles augmenterait encore plus que celle des autocars entre les villes. La principale conséquence d'une augmentation du prix du transport aérien sur courte distance serait de faire augmenter la circulation automobile qui, étant moins sécuritaire, entraînerait en fait des répercussions négatives sur l'ensemble du système.
La présidente: Puis-je intervenir ici en posant une dernière question? Vous avez parlé des automobiles. Pourriez-vous nous donner quelques précisions au sujet de l'office des autoroutes que vous avez mentionné dans votre rapport sur la Loi sur les transports? Jusqu'à quel point cela entraînerait-il des augmentations de coût pour usagers de l'automobile?
M. Waters: Il y a deux éléments à prendre en considération ici. Le premier est celui des infrastructures. Nous soutenons que la formule des fonds de gestion des routes permettrait de mieux organiser le réseau routier. Il y a en fait un parallèle à faire avec les sociétés aéroportuaires, par exemple. Lorsque la croissance est là et que le volume et le trafic sont élevés, les usagers paient-ils effectivement les routes qu'ils utilisent grâce aux taxes sur le carburant et autres mesure de ce type.
Nous avons pensé que le meilleur système serait d'instaurer des fonds spécialement affectés à ce genre d'infrastructure, les responsables de la construction des routes rendant directement des comptes aux usagers pour ce qui est de l'utilisation des fonds. C'est un système adapté aux grands centres, aux régions urbaines et aux principales autoroutes, mais que faire au sujet des marchés à faible densité? Nous devons disposer dans le pays d'un réseau routier desservant la plupart des petites localités. Elles ne peuvent pas payer leur part. Nous allons le faire pour elles. Pour cela, nous devons trouver un mécanisme. L'un des moyens consisterait à instituer des organismes dotés de budgets et chargés de mettre en oeuvre ces systèmes multiples.
Certains frais seraient recouvrés auprès des usagers au moyen des taxes sur l'essence, par exemple, mais dans les régions rurales il faudrait pouvoir disposer d'un budget supplémentaire, le gérant du fonds devant rendre compte de l'utilisation de l'argent. Nous avons pensé que l'on pourrait faire appel à ce même organisme pour subventionner éventuellement les services de transport de passagers dans les régions rurales. On pourrait se retrouver devant le tonneau des danaïdes et il faudrait donc se doter de certains critères s'appliquant à des collectivités d'une taille donnée et se trouvant à une certaine distance les unes des autres. Il nous faut trouver une formule ou une méthode quelconque pour que cette proposition voit le jour.
Dans les villes, c'est plus facile, parce que l'on dispose des moyens techniques permettant de repérer les véhicules et de leur appliquer un tarif uniforme ou encore des tarifs de pointe lorsqu'ils se trouvent sur la route à certaines heures de la journée. Il est assez facile de faire payer l'usage des routes sur les grandes voies, mais c'est bien plus difficile sur les routes rurales.
Le sénateur Gustafson: Étant donné le nombre de kilomètres que nous faisons au Canada, le transport a toujours été l'un de nos grands sujets de préoccupation. Il me semble que notre pays aborde chaque problème indépendamment des autres. Notre comité doit bien voir que le sujet qui l'occupe a des répercussions dans d'autres domaines. Il est très important de comprendre ce qui se passe à l'échelle globale.
Je préside le Comité sénatorial de l'agriculture. Nous revenons de Bruxelles, de Strasbourg et de l'Irlande du Nord où, sous la direction du Dr Gracey, des données sont rassemblées sur les questions de l'environnement, du développement rural, de l'agriculture et de l'exploitation forestière. Là-bas, la moitié des exploitations agricoles sont d'ores et déjà classées et bénéficient d'un gros soutien financier de la communauté européenne — la moitié des fermes. Le Dr Gracey se déplace dans les pays européens pour mettre en place ce genre de projets sous la direction du Parlement européen.
On voit se produire la même chose aux États-Unis. On entend dire: «Nous voulons obtenir une partie de ces 171 milliards de dollars de crédits supplémentaires et dix ans de subventions pour nous occuper de l'aménagement rural.» Aux États-Unis, le problème est différent. Les habitants d'Atlantic City vont acheter 15 acres de terres agricoles pour y élever quelques chevaux. Ils s'approprient tout simplement toutes les terres agricoles aux États-Unis.
Les perspectives d'avenir du Canada sont les meilleures au monde si nous savons y faire, parce que nous avons beaucoup de terres. La Saskatchewan a 40 p. 100 des terres arables au Canada et nous nous laissons dépasser.
Vous avez insisté sur le fait qu'il nous fallait avoir une vue globale des choses, et c'est certainement le cas dans le secteur de transports. Sans vouloir faire de grands discours, je veux rappeler que le Canada a un énorme défi à relever en examinant l'ensemble de la situation, qui est globale et qui évolue très rapidement.
M. Waters: J'ai deux observations à faire: nous savons tous à quel point le niveau des subventions agricoles est élevé en Europe, et j'imagine que c'est ce qui finance l'aménagement des terres. L'inquiétant, c'est que nous n'avons pas au Canada autant d'argent à jeter que l'Europe et les États-Unis dans ce genre de situation. L'inquiétant, c'est la perspective de devoir verser des montants énormes de subventions, mais nous ne voulons pas que le monde s'engage dans cette voie.
Le sénateur Gustafson: Excusez-moi d'intervenir, mais si nous ne faisons rien en la matière, le problème va empirer au point de faire disparaître le secteur agricole. Nous disons que les exploitations agricoles vont devenir de plus en plus grandes. Je sais bien qu'il y a de grosses exploitations et je peux vous dire qu'elles seront les premières à faire faillite. Nous devons replacer la question dans un contexte global, et il y a là un gros défi, mais la question des transports est bien délicate sur tous les plans.
M. Waters: Vous avez raison. Il y a là un véritable dilemme. Comme je vous l'ai dit, nous ne devons pas attendre de l'Europe de bonnes résolutions pour ce qui est du marché. Voilà longtemps que nous attendons et elle n'a rien fait. Comment réagir? Accorder à notre tour des subventions? Que faire? Vous avez raison de dire que dans de nombreuses localités on a constitué, ou essayé de constituer, des organismes d'aménagement davantage intégrés, comme c'est le cas en fait dans les villes et au niveau des provinces. C'est dans ce sens que le monde a évolué.
Pour essayer de mieux s'organiser, mes collègues de l'UBC se sont penchés sur le problème des interfaces. Un de mes collègues a étudié ce qui se passait à Rotterdam et à Singapour afin de déterminer dans quelle mesure on pourrait recourir à une forme de «guichet unique» pour intégrer au moins les différents silos de manière à ce que l'on puisse traiter avec les sociétés ou les pays susceptibles de faire avec nous des opérations d'échange et de développement.
Je vous mets en garde, toutefois, car même si les transports jouent un rôle, il ne suffit pas de construire des routes. La construction de routes n'amène pas en soi le développement. On peut construire des routes qui ne mènent nulle part. Nous avons l'habitude au Canada de gaspiller de l'argent dans les transports en espérant que le développement va suivre. Nous sommes tous d'accord pour dire que nous avons besoin d'un programme de développement plus judicieux permettant de rentabiliser vraiment nos crédits. C'est un paradoxe pour un économiste spécialisé dans les transports. Je connais toute la valeur des transports, mais je sais aussi que l'on peut gaspiller de l'argent en construisant des équipements alors que les investissements complémentaires font défaut. Il nous faut de toute évidence adopter une démarche plus globale lorsque nous mettons en oeuvre tous ces projets de développement. J'espère que nous aurons la sagesse de le faire.
Le sénateur Lawson: À la dernière page de votre mémoire, vous nous dites que si l'on versait une subvention à un office des transports, ce dernier pourrait la répercuter, en tout ou en partie, sur les services dispensés par les transporteurs commerciaux. Estimez-vous, plus précisément, que cela pourrait s'appliquer à une entreprise comme Gray Line?
M. Waters: Oui, ce serait possible. Ce que l'on a vu se produire au fil des années en matière de transport urbain, et c'est le cas ici en Colombie-Britannique, c'est que les sociétés de transport urbain commencent par avoir leur marché principal dans les villes, puis s'étendent aux faubourgs proches, aux lignes rurales et à la grande banlieue. Il y a là des autobus qui ne font pas beaucoup de trajets. Ils ont peut-être l'avantage de pouvoir être utilisés à titre supplémentaire. Pour bien des services, on ne voit pas clairement pourquoi il faut que ce soit la société locale jouissant d'un monopole qui s'en charge. Pourquoi n'y a-t-il pas de projet concurrent? Il y a en fait des endroits dans le monde où ça se fait. J'ai habité quatre ans en Australie, qui s'est orientée davantage en faveur de l'adjudication des services d'autobus et d'autocar par appel d'offres. La couleur de la carrosserie est la même, mais l'autobus a un autre propriétaire qui doit faire une offre pour obtenir le droit d'exploiter ces lignes. Les membres de mon groupe d'étude s'accordent à dire qu'il y a bien d'autres choses que nous pouvons faire dans les secteurs urbains pour faire jouer les forces du marché.
C'est un des moyens qui nous vient à l'esprit pour ce qui est du transport interurbain. Des possibilités pourraient se présenter si le transport urbain, pris globalement, était réorganisé dans un état d'esprit différent.
Le sénateur Lawson: Rappelez-vous que lorsque nous avons eu la grève des autobus, un entrepreneur de White Rock a pensé pouvoir offrir un service de transport de qualité à l'aide de fourgonnettes pour acheminer les gens vers la ville. Il a fait trois voyages en transportant chaque fois deux passagers. Les tarifs étaient élevés. Ça n'a tout simplement pas fonctionné.
M. Waters: On a expérimenté de nombreux services d'autocar très coûteux en faisant payer les billets très cher. J'ai l'impression que, de manière générale, ça ne marche pas. Nous savons aussi qu'il y a des services, dont on fait la publicité de temps en temps, dont on n'autorise pas la mise en place parce qu'ils empiètent sur les droits du transporteur en place.
Le sénateur Lawson: Madame la présidente, vous nous avez parlé du service porte à porte en Nouvelle-Écosse — qui semblait excellent — mais vous a-t-on précisé quels étaient les coûts impliqués, quel tarif devaient payer les passagers? Quel est le coût de ce service porte à porte?
La présidente: Il faut payer un certain montant. C'est un peu moins cher que le prix du billet de l'autocar.
Le sénateur Lawson: Moins cher que l'autocar?
La présidente: C'est ce dont je me souviens.
Le sénateur Lawson: Cette formule s'apparente à celle des taxis collectifs. Il me semble que les coûts devraient être plus élevés.
La présidente: Je vous remercie, professeur Waters, de votre exposé. Nous avons particulièrement apprécié votre présence en ces lieux aujourd'hui.
Sénateurs, les témoins suivants représentent Motor Coach Canada.
M. Brian Crow, président, Motor Coach Canada: Honorables sénateurs, Motor Coach Canada a été constituée en 1997 pour représenter de manière paritaire les différentes sociétés de transport d'autocar — lignes régulières, transport nolisé, transport sous contrat et voyages organisés au Canada. Alors que nous n'avons que quelques années d'existence, nous représentons désormais 95 sociétés de transport par autocar et 110 organisateurs de voyages. Notre mandat nous amène à faire la promotion des voyages organisés et du transport par autocar, d'améliorer l'image de notre secteur et de résoudre les problèmes qui s'y posent. Nous le faisons à l'aide de publications comme celle-ci, que nous distribuons dans le monde entier pour encourager les touristes à venir au Canada et à utiliser nos services. Nous le faisons aussi à l'aide de deux brochures comme celles qui se trouvent dans votre trousse d'information. Nous les distribuons aux décideurs du gouvernement, aux municipalités et aux diverses parties prenantes pour qu'ils se familiarisent avec un autre secteur.
Vous avez devant vous notre mémoire. En quelques minutes, je vais vous en retracer les grandes lignes de façon à garder du temps ensuite pour les questions et la discussion.
Vous voyez sur cette diapositive un escalier circulaire en marbre. Quel est le rapport avec le transport par autocar? Il s'agit en fait d'un autocar qui circule aujourd'hui sur nos routes. Nous n'irons pas jusqu'à dire qu'ils sont tous comme ça. Loin de là, mais ce faisant nous voulons vous faire comprendre que notre secteur n'est pas comme les gens le pensent et qu'il n'est pas nécessaire qu'il en soit ainsi.
Le Canada est un grand pays diversifié, qui possède des villes de classe internationale, des exploitations agricoles qui nourrissent le monde entier et des localités que tout le monde nous envie. Le Canada doit aussi relever des défis en matière de transport, de tourisme et de voyages en apportant des solutions de classe mondiale qui soient différentes de celles du passé. On ne peut pas conserver le statu quo.
Notre mémoire débute par une rapide introduction. À l'article 2, nous définissons des termes qui ont parfois des sens différents selon les personnes. Nous voulons que le lecteur comprenne à quoi nous faisons référence.
Vous avez déjà été bien informés par Transports Canada au sujet du transport interurbain. Nous ne reprenons pas cette information dans notre mémoire, mais nous la complétons.
Vous trouverez à la section 3 de notre mémoire un aperçu du secteur du transport par autobus et par autocar dans ses trois dimensions: transport scolaire, transport urbain et transport interurbain. Nombre d'entreprise, nombre de nos membres, opèrent dans les trois domaines. Nous discutons ensuite plus en détail du transport interurbain. Nous complétons l'analyse effectuée par Transports Canada du secteur du transport par autocar. Nous évoquons nos services réguliers, nos transports nolisés effectuant des navettes au service des localités, nos services sous contrat, notre taille, nos structures, nos répercussions sur le tourisme et sur le développement économique et notre importance pour les campagnes et pour la population canadienne. La section 3 répertorie par ailleurs les usagers de nos services: étudiants, personnes âgées, gens d'affaires, touristes, banlieusards, athlètes professionnels, amateurs de sport et de théâtre et groupes affiliés, ou encore politiciens, surtout lors des campagnes électorales lorsque les candidats affrètent des autocars. Ils reconnaissent l'intérêt du transport aérien mais, lorsqu'il faut se raccorder aux différentes localités et se rendre sur place avec tout le confort, en toute sécurité et à l'heure, ils affrètent un autocar.
La section 3 se penche sur notre passé et sur notre présent. Avons-nous un avenir? La section 4 fait état de nos points forts. Nous somme le service le plus rentable; le plus efficace; le moins subventionné; le plus abordable; le plus respectueux de l'environnement; le plus fiable. Lorsque des tempêtes de neige ont désolé l'Est du Canada, les transports aériens et par chemin de fer se sont arrêtés, mais les autocars n'ont jamais dérogé à leur horaire entre les grands centres. Nous sommes le mode de transport le plus sûr. Nous assurons les liaisons les plus fréquentes. Nous sommes en mesure d'ajouter un nouveau service pratiquement sans préavis, en quelques heures ou quelques jours, alors qu'il faut des mois ou des années pour y parvenir avec le transport aérien ou le chemin de fer. C'est notre service qui est le plus souple. Pourquoi donc n'avons-nous pas davantage de succès?
Certaines contraintes et certains obstacles sont expliqués à la section 5. Il y a une concurrence déloyale. Je vous renvoie aux recommandations faites sur la question par le groupe d'examen de la LTC. Nous devons lutter contre des concurrents subventionnés et je vous renvoie là encore au groupe d'examen de la LTC. Il y a les interventions des gouvernements, notamment au niveau municipal. Les politiques sont lacunaires. Il y a des incertitudes. L'application des lois et des règlements est défectueuse, entre autres difficultés. Nous pensons pouvoir surmonter les obstacles, tirer parti de nos points forts et avoir un bel avenir devant nous.
La section 6 présente notre vision et les chances qui s'offrent à nous pour l'avenir, notamment en ce qui a trait au transport de banlieue et sur courte distance ainsi qu'aux services de voyages touristiques, de transport nolisé et de transport sous contrat, qu'il s'agisse des services de navette dans les aéroports, des services dispensés aux congrès, ou des contrats de transport urbain. Nous prévoyons tout particulièrement une croissance des services s'adressant aux entreprises et aux hommes d'affaires.
Nous avons besoin que notre gouvernement prenne des mesures, ce que nous avons indiqué dans nos recommandations, mais nos perspectives d'avenir dépendent en grande partie de l'évolution des mentalités au sein de notre secteur et de la commercialisation de nouveaux services s'adressant à de nouveaux clients.
Sénateurs, je vais maintenant vous présenter Sheldon Eggen, qui siège au sein de notre conseil d'administration. Il est propriétaire et exploitant du VTT Group et gère les sociétés de transport par autocar dont je vous ai parlé.
La présidente: Soyez le bienvenu, monsieur Eggen.
M. Crow: Ce n'est pas uniquement notre secteur qui va bénéficier du développement du transport par autocar. La section 7 expose les avantages de ce mode de transport pour le gouvernement et pour la population.
Au niveau du service, les passagers bénéficient d'un moyen de transport fiable, dynamique, souple, qui s'arrête à votre porte, à toute heure.
Au niveau de la sécurité, tous les usagers de la route, les passagers ainsi que nos employés bénéficient de la sécurité des déplacements.
Au niveau de la réduction des subventions, le contribuable n'a à verser aucune subvention directe, que ce soit en matière d'investissement ou de frais d'exploitation. Nous utilisons les infrastructures existantes.
Pour ce qui est de l'environnement durable, l'environnement et les générations futures bénéficieront d'une augmentation des déplacements par autocar. Alors qu'il était interrogé par le comité sénatorial à Ottawa, le ministre a convenu et a confirmé que le transport par autocar était préférable au chemin de fer.
En faisant mes excuses à Shakespeare, je dirai que réglementer ou ne pas réglementer, telle est la question. Vous avez déjà entendu bien des avis au sujet de la réglementation économique, et vous en entendrez encore bien davantage. Vous avez entendu parler du cloisonnement des marchés. On a évoqué devant vous l'indécision des gouvernements et les messages contradictoires. Les transporteurs ne s'entendent pas sur la question. Nous avons incité nos membres à vous faire part de leurs réflexions et de leurs recommandations, comme le feront d'autres parties prenantes tout au long de ces audiences. Nous craignons que vous n'ayez pas l'occasion d'entendre l'ensemble des usagers ou les usagers potentiels d'éventuels nouveaux services. Vous n'entendrez pas l'avis du contribuable. Il appartient au gouvernement de décider ce qui est dans le meilleur intérêt de la population.
Notre secteur va s'adapter et survivre mais, comme dans tout marché qui évolue, il y aura des gagnants et des perdants.
À la section 8, nous évoquons la procédure suivie par les quatre associations de notre secteur pour se doter d'une position commune. En tant que représentants de notre secteur, nous avons délibérément décidé de ne pas choisir entre la réglementation ou la déréglementation économique, mais nous vous invitons à vous prononcer dans le meilleur intérêt de la population en donnant les moyens à notre secteur de servir notre pays, d'étendre ses services et de se développer pour le plus grand profit des Canadiens.
Nous présentons effectivement des recommandations selon le choix que vous aller faire. Je m'explique. Nous vous recommandons d'exiger un permis d'exploitation, tout particulièrement pour des raisons de sécurité, quelle que soit la décision que vous allez prendre en matière de réglementation financière. Nous vous recommandons aussi de définir le terme d'autocar.
Si le gouvernement décide de maintenir la réglementation financière, nous recommandons alors qu'elle soit simplifiée, rationalisée et adaptée aux réalités de 2002. Il faut qu'elle tienne compte des nécessités pratiques et des besoins du public, et la charge de la preuve doit être inversée. Il faut qu'elle s'inscrive dans le cadre de la politique des transports du Canada et qu'elle soit compréhensible, applicable, efficace et effectivement appliquée.
Si les gouvernements décident de déréglementer, il leur faudra immédiatement collaborer avec les entreprises du secteur pour améliorer les conditions de sécurité. Il faudra peut-être y consacrer 36 mois, le temps que la déréglementation soit mise en place. Il faudra que ça s'applique à toutes les composantes du secteur et non pas à une seule.
Ces recommandations figurent en détail dans notre mémoire. L'article 9 fait état de ces recommandations, qui ont été élaborées, je le répète, par les quatre associations de notre secteur. Vous les trouverez ici dans cette diapositive et cela va de la définition de l'autocar à celle du rôle que nous devons jouer dans l'ensemble des transports. Nous n'avons pas le temps de vous le lire et encore moins d'entrer dans les détails comme nous l'avons fait dans notre mémoire.
Nous sommes heureux que le Sénat ait saisi cette occasion d'entendre directement ce que notre secteur peut faire et non pas simplement ce que nous avons fait par le passé. Les statistiques passées ont leur importance, mais nous faisons porter nos efforts et toute notre attention sur l'avenir. La statistique qui nous intéresse, c'est celle d'une progression régulière et de grande ampleur dans les années à venir.
Pour conclure, je dirai que nous sommes très optimistes pour l'avenir. Notre contribution à la santé économique du Canada est significative. Nous pouvons contribuer encore bien davantage. Nous sommes prêts et disposés à agir pour le plus grand bien de tous.
La présidente: Je vous renvoie à l'exposé qui nous a été présenté à Montréal. Je vous avoue que cela nous a paru à tous très positif. Les gens semblaient très heureux de la situation.
Vous nous avez dit au moins à trois reprises dans votre exposé que si le gouvernement décidait de déréglementer, il fallait aller lentement et attendre au moins deux ans. Est-ce que cela ne vous paraît pas très long, lorsqu'on sait que voilà déjà dix ans que la commission d'enquête royale a recommandé la déréglementation?
M. Crow: Nous demandons qu'on nous donne le temps de rencontrer le gouvernement et de collaborer avec lui afin d'améliorer les conditions de sécurité. Nous estimons qu'un délai de 36 mois sera nécessaire. Un certain nombre de problèmes se posent. Les nouveaux arrivants dans le secteur ne seront peut-être pas soumis aux mêmes exigences de sécurité. Il faut qu'il y ait des antécédents sur le plan de la sécurité avant que l'on puisse imposer des amendes, par exemple. Il y a un certain nombre de choses que nous tenons à régler avant que l'on déréglemente.
Nous ne voulons pas être assimilés au camionnage à certains égards. Il y a des exigences d'inspection et de sécurité qui s'appliquent aux camions faisant le transport routier. Elles ne s'appliquent pas à notre secteur et en fait sont incompatibles avec certaines de nos activités. Nous avons besoin de ce délai, madame la présidente, avant que l'on procède à une déréglementation.
La présidente: Vous parlez à la section 5 de la nécessité de mettre en oeuvre une stratégie nationale s'appliquant au transport de passagers. L'énoncé des politiques de la Loi sur les transports au Canada fait appel aux forces du marché. Si le jeu des forces du marché entraîne l'adéquation de l'offre à la demande, pourquoi faudrait-il que le gouvernement concocte une stratégie visant en fait à orienter le marché?
M. Crow: Nous aimerions que l'on élabore une politique nationale pour un certain nombre de raisons. La première, c'est que cela nous aiderait à comprendre notre rôle. Le ministre des Transports, par exemple, a fait savoir qu'il voulait pouvoir disposer de liaisons par train à haute vitesse entre les aéroports et les centres-villes. Nous ne sommes pas convaincus que ce soit la bonne solution, évidemment. Si nous pouvions nous référer à une stratégie nationale du transport des passagers établissant la raison d'être du transport par chemin de fer, du transport aérien et du transport par autocar, nous saurions quel est notre rôle. Nous pourrions alors investir en fonction de ce rôle. À l'heure actuelle, nous ne pouvons même pas installer des terminus parce que nous ne savons même pas s'il y a un marché pour nous dans certaines régions du pays.
La présidente: Vous nous dites par ailleurs qu'il appartient au gouvernement de se prononcer en matière de réglementation économique et pourtant, parmi les principes que vous préconisez dans le cadre d'un régime de réglementation il y a celui de l'intérêt public et des besoins de la population. Il s'agit là, bien entendu, de la notion d'intérêt public qui sous-tend la mise en place d'un régime de réglementation économique. Vous semblez ainsi indiquer que vous partez entre autres du principe, pour que l'on ait un bon réseau de transports par autocar, qu'il faut recourir à la réglementation économique. Est-ce bien le cas?
M. Crow: Nous disons qu'au cas où le gouvernement estime qu'il est dans l'intérêt public de maintenir la réglementation, il convient alors de retenir le critère de l'intérêt public et des nécessités pratiques. Nous voulons que la charge de la preuve soit inversée. Nous voulons que le régime soit appliqué. Nous tenons à ce qu'il soit applicable et tout à fait transparent. J'ai peut-être mal compris votre question, madame la présidente, mais nous considérons qu'il appartient au gouvernement de décider. Si vous décidez de maintenir la réglementation, voilà alors quelles sont nos recommandations.
Le sénateur Forrestall: Vous avez évoqué en passant dans votre exposé l'éventualité d'une remise de la taxe fédérale d'accise sur les carburants. Pour que cela soit consigné dans notre procès-verbal et pour notre propre gouverne, pouvez-vous nous dire quelles pourraient être les répercussions de cette mesure sur votre secteur au cas où...
M. Crow: La taxe fédérale d'accise se monte à un peu plus de quatre sous sur chaque litre de carburant diesel. Le carburant est probablement notre troisième facteur de coût. Nous devons être concurrentiels. Nous sommes en concurrence avec les autres modes de transport. Les transporteurs américains obtiennent aux États-Unis une remise du gouvernement fédéral.
Le sénateur Forrestall: Connaissez-vous le montant de la taxe aux États-Unis?
M. Crow: Oui, effectivement. Il est de 24 sous. En dollars et en gallons américains, le gouvernement des États-Unis consent une remise de 17,1 sous le gallon. Est-ce que vous voulez que je vous fasse la conversion en litre?
Le sénateur Forrestall: Vous êtes trop aimable. Ça ira comme ça. Pouvez-vous expliquer la chose à un non- spécialiste? Quel est le rapport entre les deux? Est-ce plus ou moins élevé?
M. Crow: Nous proposons et nous demandons que l'on pratique la même remise que celle qu'accorde le gouvernement fédéral des États-Unis à ses sociétés de transport. Le gouvernement des États-Unis a décidé d'accorder cette remise en raison des économies de carburant qu'entraîne le transport par autocar et il s'efforce d'encourager les passagers à voyager en autocar et à ne plus prendre leur automobile. Le gouvernement consent uniquement aux sociétés de transport par autocar une remise équivalant à 75 p. 100 de la taxe sur les carburants. Nous recommandons que l'on en fasse autant au Canada.
Le sénateur Forrestall: Est-ce que le gouvernement des États-Unis fait une remise de 75 p. 100?
M. Crow: C'est exact.
Le sénateur Forrestall: Savez-vous ce que cela représente au total, en dollars?
M. Crow: Non, nous ne connaissons pas le montant total. Je pourrais vous le trouver. Nous avons des difficultés à recueillir des statistiques dans notre secteur et c'est ce qu'a pu constater, je pense, votre comité sénatorial, et nous ne savons pas exactement combien de gallons nous consommons effectivement. Sheldon, qui est un exploitant, pourrait probablement vous donner une réponse plus précise. Les autocars parcourent généralement 7 ou 8 milles au gallon de carburant diesel. C'est l'ordre de grandeur. Un autocar va parcourir entre 60 000 et 150 000 kilomètres par an. Il nous faudrait faire quelques calculs, sénateur, pour vous donner le chiffre exact.
Le sénateur Forrestall: J'imagine que vous évoquez aussi la question du recueil et du répertoriage des données, de leur analyse et de la divulgation des résultats ainsi que d'une meilleure communication avec le gouvernement, dont on peut penser qu'il ne dispose pas non plus de cette information.
M. Crow: Nous avons présenté un dossier au ministre des Finances et à celui des Transports et je suis quelque peu gêné de ne pas l'avoir ici. Je pense que ces chiffres y figuraient, ou du moins certaines estimations.
Le sénateur Forrestall: Est-ce que nous les avons ailleurs?
La présidente: Non. Pourriez-vous nous les fournir?
M. Crow: Oui, nous n'y manquerons pas.
Le sénateur Forrestall: Nous vous en serons très reconnaissants.
Alors que l'on parle de pistes réservées aux autocars et d'aménagement spécial des routes, au cas où le gouvernement envisagerait d'appliquer une remise de 75 p. 100 au titre de la taxe sur les carburants, est-ce que vous avez une idée de l'argent qui pourrait venir à manquer alors pour ce qui est de l'entretien et de la rénovation des routes? Nous savons pertinemment qu'une mauvaise route coûte extrêmement cher, notamment pour les habitants de l'ouest qui n'utilisent pas de bons pneus Michelin en provenance de la Nouvelle-Écosse, ce qui fait que c'est doublement difficile pour vous. Avez-vous un moyen de le savoir?
M. Crow: La taxe sur le carburant diesel perçue par le gouvernement fédéral n'est pas réinjectée dans le réseau routier. Le gouvernement fédéral finance très peu le réseau de nos routes nationales. Le soin de construire, d'aménager, d'entretenir et de réparer les routes est laissé au soin des municipalités et des provinces. L'attitude des provinces varie. En plus de verser quatre sous par litre en taxe sur les carburants au gouvernement fédéral, nous payons entre 12 et 16 sous aux provinces. L'ensemble des usagers de la route paye davantage en taxes sur les carburants et en permis qu'on n'affecte pas d'argent aux routes au Canada. Nous payons plus que notre part et l'argent que nous versons au gouvernement fédéral n'est absolument pas réinjecté dans le réseau routier.
Le sénateur Forrestall: Pratiquement rien n'est restitué et pourtant, si le gouvernement décidait de réaffecter spécialement ces fonds — et j'entends par là réinjecter de grosses sommes d'argent — les économies réalisées par les camions, les autocars, les autobus et les voitures particulières, si l'on en croit l'information dont on dispose, seraient considérables. Ne serait-ce que sur les pneus, une chaussée en mauvais état use terriblement les pneus. J'en suis bien conscient. Et pour ce qui est des remises pouvant être consenties par les provinces?
M. Crow: Une ou deux associations provinciales de transport par autocar ont demandé à leur gouvernement provincial de consentir une telle remise. Le gouvernement du Québec pratique effectivement une remise sur les carburants. Je crois que vous en avez entendu parler à Montréal.
Le sénateur Forrestall: Quel gouvernement consent une remise?
M. Crow: Le gouvernement du Québec accorde une remise à certaines sociétés de transport par autocar au Québec si elles répondent à certains critères. Je crois que cela a été mentionné devant le groupe sénatorial ayant siégé à Montréal. Je ne peux pas vous donner davantage de précisions, sénateur.
Le sénateur Forrestall: Il y a une question sur laquelle nous sommes passés un peu rapidement et qui est très importante. Combien d'années a votre association? Quatre ou cinq ans?
M. Crow: Elle a cinq ans.
Le sénateur Forrestall: Avez-vous les moyens de recueillir des données autres que celles qui figurent dans les rapports statistiques que vous fournissent les provinces? Disposez-vous de moyens indépendants?
M. Crow: Nous n'avons pas de moyens indépendants. Certaines associations régionales se sont efforcées de recueillir des données par le passé et elles n'y ont pas réussi. C'est en partie, sinon en totalité, disons-le franchement, la faute des entreprises de notre secteur. Nombre de nos membres veulent prendre connaissance des statistiques sans fournir les données permettant de les établir. Nous incitons les entreprises à le faire. Nous collaborons avec Statistique Canada au recueil de nouvelles statistiques, mais nous ne disposons malheureusement pas de sources statistiques indépendantes.
Le sénateur Forrestall: Collaborez-vous avec le secteur du transport routier pour définir les renseignements susceptibles d'être recueillis ou qui devraient l'être par les différents paliers du gouvernement? Contribuez-vous à répertorier les données qui vous sont utiles?
M. Crow: Nous avons une bonne collaboration avec l'Alliance canadienne du camionnage et ses associations régionales, mais pas en matière de statistiques. Ce n'est pas qu'il y a un manque de collaboration. Nous n'avons pas encore trouvé la possibilité de faire un travail statistique avec cette organisation. Nous oeuvrons directement en collaboration avec Statistique Canada pour essayer d'obtenir des statistiques se rapportant à notre secteur.
Le sénateur Forrestall: Quelle est l'importance de vos effectifs?
M. Crow: Sept personnes.
Le sénateur Forrestall: Est-ce que vous avez un économiste?
M. Crow: Non, nous n'en avons pas.
Le sénateur Forrestall: Je considère personnellement que c'est bien dommage. Je reconnais que votre association est jeune. Ça viendra peut-être plus tard.
M. Crow: Nous aimerions avoir un économiste au sein de notre personnel. Nous aimerions aussi avoir des spécialistes de la mise en marché pour aider à commercialiser nos services. Nous avons besoin d'un grand nombre d'informations sur les nouvelles techniques, le positionnement global au moyen du GPS, par exemple. Sénateur, vous avez tout à fait raison, nous manquons de personnel dans un certain nombre de domaines, y compris celui du recueil des statistiques.
Le sénateur Forrestall: Merci d'être venu vous joindre à nous ce matin.
Le sénateur Lawson: Merci de cet excellent exposé, très positif, à une exception près, qui me surprend beaucoup. Vous ne prenez pas position pour ou contre la déréglementation. Nous sommes un certain nombre à être convaincus que le gouvernement ne devrait même pas envisager une déréglementation sans avoir consulté les gens qui font le travail sur le terrain afin de tirer parti de leurs connaissances et de leur compréhension du secteur. Le gouvernement vous interroge et vous lui répondez: «D'une part, vous pouvez faire ceci, d'autre part vous pouvez faire cela — mais c'est à vous de choisir.» Cela ne nous aide pas beaucoup. Je ne comprends pas votre point de vue.
M. Crow: Les entreprises de notre secteur sont très divisées sur la question. La moitié d'entre elles veulent que l'on réglemente, l'autre moitié que l'on déréglemente, et je dirais même que 50 p. 100 d'entre elles, à l'intérieur de ces deux catégories, sont prêtes à aller dans un sens ou dans l'autre. Ce qui s'est passé ces dernières années a été très dur pour notre secteur. Nous ne pouvons pas parvenir à un consensus pour ou contre la réglementation. C'est très dur pour les entreprises de notre secteur. Certaines d'entre elles vont souffrir d'une réglementation alors que pour d'autres ce sera le contraire. Les situations varient selon les transporteurs et selon les régions.
M. Eggen gère une société d'autocars. Il se fera certainement un plaisir de vous donner son point de vue. Nous avons invité nos membres à vous faire connaître leur opinion sur la question afin de vous aider à prendre cette décision.
M. Sheldon Eggen, directeur, Motor Coach Canada: Les sociétés de transport par autocar se rendent compte que le système actuel ne donne pas de bons résultats. Nous avons du mal à savoir si le problème vient de la réglementation ou d'un manque d'application. La seule chose qui fait l'unanimité entre nous, c'est qu'à partir du moment où l'on doit être soumis à une réglementation, il faut que celle-ci soit appliquée afin que nous puissions déterminer si elle donne ou non de bons résultats.
Le sénateur Lawson: Vous avez eu du succès dans le cadre de la réglementation. Ne pouvez-vous pas prendre comme modèle certains pays, comme les États-Unis, pour déterminer les succès ou les échecs d'une déréglementation?
M. Eggen: Je pense que nous avons en Colombie-Britannique une déréglementation de fait. Je considère que nous réussissons à nous en sortir assez bien, mais les règles du jeu sont faussées à l'heure actuelle.
Le sénateur Lawson: Est-ce qu'elles seront mieux respectées à la suite d'une déréglementation?
M. Eggen: La déréglementation encouragera la créativité et l'expansion des services existants grâce aux nouveaux débouchés qui s'offriront.
M. Crow: Ce matin, sénateur, à Halifax et dans d'autres régions, vous avez entendu les deux camps s'exprimer.
Il y a des localités qui vont perdre leurs services en cas de déréglementation. Certains intervenants avancent que d'autres localités vont perdre leurs services dans le cadre de la réglementation. Nous nous chargeons de transporter des passagers. Si nous le pouvions, nous aimerions transporter tous les Canadiens, tous les jours. Nous disposons des meilleures infrastructures. Notre mode de transport est le meilleur pour desservir les localités rurales, que ce soit au moyen de services réguliers ou du transport nolisé. Nous voulons qu'il y ait une certaine cohérence. Nous voulons savoir quel est notre rôle pour pouvoir investir.
Le choix entre la réglementation et la déréglementation est dépassé jusqu'à un certain point. Nous vous l'avons dit dans notre exposé: précisez quel doit être notre rôle et écartez la concurrence déloyale à laquelle nous faisons face. Autorisez-nous à faire ce que nous savons faire. S'il en était ainsi, je suis sûr que nous ne tiendrons pas ce débat au sujet de la réglementation et de la déréglementation.
Les transporteurs ont des idées bien arrêtées, dans un sens ou dans l'autre. Vous en avez entendu certains s'exprimer avec passion. Vous en entendrez d'autres. Il y a ceux qui estiment qu'ils peuvent développer leur entreprise et offrir des services novateurs et améliorés dans le cadre de la réglementation. D'autres considèrent qu'ils seraient mieux à même de dispenser ces nouveaux services novateurs dans le cadre d'une déréglementation. Nous avons à l'échelle du pays différents exemples de régimes de réglementation.
Vous avez fait allusion aux États-Unis, sénateur. Nous avons considéré le cas des États-Unis, du Royaume-Uni et des différents pays ayant déréglementé le transport par autocar. Tout dépend de la personne à qui l'on parle. Certains considèrent que la déréglementation qui a eu lieu aux États-Unis porte préjudice au secteur du transport par autocar et aux campagnes américaines. Bien des services dispensés dans les régions rurales des États-Unis ont été abandonnés après la déréglementation. D'autres affirment que l'on s'est retrouvé dans cette situation parce que les États-Unis ont déréglementé en pleine récession et que l'on aurait constaté éventuellement le même phénomène avec ou sans déréglementation. Au sujet du Royaume-Uni, certains comparent plus ou moins favorablement la déréglementation qui a eu lieu dans ce pays à ce qu'on pourrait faire chez nous. Le Royaume-Uni a privatisé et déréglementé en même temps, et comment savoir par conséquent si les répercussions positives ou négatives sont le résultat de la déréglementation ou de la privatisation?
Le Canada, et c'est heureux, jouit d'une situation particulière dans le monde. Il est possible qu'on ne puisse déterminer ce qui nous convient à partir des expériences faites ailleurs. Il appartient au gouvernement de décider ce qui convient au Canada.
Le sénateur Lawson: La constante, dans tous ces pays, c'est que les localités rurales perdent leurs services. Compte tenu de tout ce que nous avons entendu jusqu'à présent, il semble que ce soit là la constante.
M. Crow: Je viens d'une région rurale du Canada. De coeur, je suis encore essentiellement un agriculteur. On a dispensé de nombreux services aux campagnes canadiennes. J'ai entendu le sénateur Oliver dire à Montréal que les collectivités agricoles et rurales au Canada se dépeuplaient progressivement. Nous l'avons aussi entendu aujourd'hui. Les localités deviennent de plus en plus petites et les exploitations agricoles s'agrandissent ou disparaissent, qu'elles disposent ou non d'un service d'autocars. Vous abordez ici le problème plus large de la survie des compagnies canadiennes et des localités agricoles indépendamment de l'existence d'un service de transport par autocar.
Nous voulons pouvoir être à la disposition de tous ceux qui ont besoin de services. Chaque fois que des besoins se feront sentir, nous serons là. L'avenir des campagnes canadiennes est largement tributaire de la croissance ou de la décroissance des régions et des localités rurales au Canada. Lorsqu'on habite une région rurale au Canada, on le sentiment de dépendre de l'automobile. On ne dépend pas de l'autocar. Nous avons perdu des services, même dans le cadre de la réglementation, parce que de nombreux habitants des campagnes se déplacent en automobile au Canada. Bien évidemment, nous aimerions beaucoup que cette clientèle réutilise davantage nos services.
Le sénateur Gustafson: Je m'intéresse beaucoup aux régions rurales du Canada. Vous dispensez un service très utile en mettant des autocars à la disposition de nos équipes de hockey et de football. Je pense que mes petits-enfants sont toujours en autocar.
M. Crow: C'est une chose que j'adore.
Le sénateur Gustafson: Je tenais à le mentionner en passant.
Le sénateur Jaffer: Est-ce que vos activités ont augmenté depuis le 11 septembre, notamment en provenance des États-Unis, et pensez-vous que ça va durer?
M. Crow: Immédiatement après le 11 septembre, nos activités, comme ce fut le cas dans la plupart des autres secteurs, ont nettement baissé. Les voyages organisés et les services nolisés — davantage dans l'Est que dans l'Ouest du Canada — ont subi une forte baisse. Ils ne se sont pas encore relevés. Une certaine croissance a été enregistrée après le 11 septembre. Dans la plupart des cas, les services réguliers ont enregistré une augmentation immédiatement après le 11 septembre. Cela s'explique en partie par l'absence de transport aérien. Cette hausse s'est résorbée, mais il y a des services réguliers qui enregistrent une certaine croissance.
Le marché des voyages organisés et du transport nolisé en provenance des États-Unis, auquel vous avez fait allusion, n'a pas encore retrouvé son niveau d'avant. Les statistiques que j'ai pu consulter récemment nous indiquent qu'il est encore fortement en baisse. Nous devons y remédier. La semaine dernière, j'étais à Washington, et il n'y a aucune recrudescence des voyages organisés aux États-Unis. Tout est très calme. Il n'y a plus de passagers pour les voyages organisés et pour le transport nolisé aux États-Unis, ni à destination du Canada.
Le sénateur Gustafson: Je relève qu'il s'agit selon vous du transport «le plus sûr». Quelles sont les statistiques comparatives des différents modes de transport: bateau, avion, train, autocar et automobile? Est-ce que vous considérez que votre mode de transport est le plus sûr?
M. Crow: Transports Canada a publié un document que je ne manquerai pas de vous fournir et qui indique que le mode de transport par autocar est le moyen de transport public le plus sûr.
Le sénateur Gustafson: C'est bien vrai?
M. Crow: Cela s'applique aussi à tous ces autocars transportant des équipes de hockey que vous venez d'évoquer, sénateur.
Le sénateur Gustafson: Ils se déplacent souvent sur des routes gelées.
M. Crow: Nous transportons aussi de nombreux athlètes professionnels, comme vous le savez probablement. Presque toutes les équipes de hockey professionnelles montent en autocar à un moment donné, même lorsqu'il s'agit d'une navette pour l'aéroport. Dans le domaine sportif, qu'il s'agisse d'équipes amateurs ou professionnelles ou encore de partisans des équipes qui veulent voir le Canada battre les États-Unis, nous transportons de nombreux passagers.
Le sénateur Gustafson: J'ai une petite question à vous poser. Quel est le coût d'un autocar moderne?
M. Crow: Le monsieur qui signe les chèques va vous répondre.
M. Eggen: Ça coûte 550 000 $.
Le sénateur Gustafson: C'est ce qu'on m'a dit dans les Maritimes. C'est cher.
M. Crow: Plus les taxes.
Le sénateur Gustafson: Soit au total 600 000 $.
M. Crow: Avec un escalier en marbre, c'est encore bien plus cher.
Le sénateur Forrestall: À quel rythme peut-on amortir ce coût?
M. Eggen: La dépréciation autorisée est de 30 p. 100 par an, la moitié seulement de ce pourcentage pouvant être appliquée la première année.
Le sénateur Adams: Vous avez précisé dans votre mémoire que vous étiez opposés au train à grande vitesse entre les villes et les aéroports. Pouvez-vous nous expliquer la chose?
M. Crow: Nous avons proposé que dans les grandes villes, et c'est le cas, évidemment, de Vancouver et de Toronto, on aménage un couloir pour les autocars par opposition à un couloir ferroviaire. À Toronto, plus précisément, ce couloir réservé aux autocars pourrait utiliser l'emprise du chemin de fer. Seules les sociétés de transport par autocar et par autobus pourraient l'emprunter. L'avantage, par rapport au corridor ferroviaire, c'est qu'il pourrait être utilisé non seulement par les passagers de l'aéroport, mais aussi par les autobus de transport urbain, interurbain et de banlieue en provenance du nord-ouest qui se rendent au centre-ville. Les véhicules de secours pourraient l'employer. Cette utilisation polyvalente présente bien des avantages par rapport au chemin de fer.
J'ai rencontré la semaine dernière les responsables de Transports Canada, qui m'ont déclaré: «Oui, mais le chemin de fer est plus rapide que les autocars.» Ce n'est pas vrai. J'ai demandé à quelle vitesse on pouvait se déplacer en train entre Toronto et l'aéroport et l'on m'a répondu que c'était à 70 ou à 80 kilomètres à l'heure. Les autocars empruntant des voies réservées peuvent rouler en toute sécurité à cette vitesse. Nous pouvons accélérer bien plus vite que le chemin de fer. Nous pouvons diminuer le temps de déplacement vers les aéroports — et cela sans avoir à faire des arrêts comme le train. Nous pouvons desservir d'autres destinations que le centre-ville. On peut raccorder toutes les rues au réseau d'autocars. Les hôtels des aéroports seraient désormais placés à 12 minutes des congrès du centre-ville de Toronto. Des couloirs réservés aux autocars entre l'aéroport et le centre-ville de Toronto présenteraient bien des avantages.
Malheureusement, le ministre m'a dit que l'on avait fait pas moins de 21 études rien que sur la liaison entre l'aéroport Pearson et le centre-ville de Toronto. Chacune d'entre elles visait à déterminer quel était le meilleur moyen de transport par chemin de fer. Aucune d'entre elles n'a cherché à définir quel était le meilleur mode de transport.
Pour en revenir à l'observation du sénateur au sujet de la politique nationale de transport de passagers, comment peut-on choisir entre les modes de transport lorsqu'on fait 21 études sur le chemin de fer et aucune sur les avantages comparatifs des différents modes? Nous aimerions que les règles du jeu soient les mêmes pour tous dans ce domaine et que l'on examine objectivement quel est le meilleur moyen de transport. Nous sommes tout à fait prêts à accepter les résultats de ces études.
Ai-je répondu à votre question?
Le sénateur Adams: Oui.
Je pense que le gouvernement a cessé d'aider le chemin de fer il y a dix ans environ en le privatisant. Est-ce que vos activités ont subi le contrecoup de la privatisation des lignes de chemin de fer sur courte distance?
M. Crow: La société mère d'un de nos membres possède et exploite effectivement des trains, et exploite par ailleurs un aéroport, mais pas dans notre pays. Certains de nos membres cherchent à s'associer au chemin de fer. Un certain nombre d'entre eux assurent désormais des correspondances avec VIA Rail et Amtrak. Il y a quelques années, nous nous considérions plutôt comme des concurrents. Au cours des cinq ou six dernières années, nous sommes devenus davantage des partenaires, mais il reste très difficile de nous associer au sein de programmes ou de devenir de véritables partenaires d'une société de chemin de fer qui bénéficie d'un tel niveau de subvention. On peut vraiment subir un gros préjudice lorsque les prix sont établis parce que ce sont aussi des concurrents.
Certaines de nos entreprises privées ont investi dans le chemin de fer en Colombie-Britannique et en Alberta. Les entreprises de l'Est du Canada montrent un certain intérêt pour ce qui est d'investir dans les services de chemin de fer, mais nous n'avons pas l'impression que dans les prochaines années nos membres vont exploiter des sociétés de chemin de fer.
Le sénateur Adams: Vous avez des navettes qui relient les villes et les aéroports. Lorsque ma famille est venue me voir à Vancouver, le trajet en autocar coûtait 12 $ par personne ce qui, pour une famille, est très onéreux. La course, en taxi, n'est que de 24 $.
M. Crow: M. Eggen possède et exploite ici le service de navettes de l'aéroport. Il se fera un plaisir de vous répondre sur ce point.
M. Eggen: Nous avons mis en place l'année dernière un tarif familial sur les navettes de l'aéroport, et je crois que ça se monte actuellement à 24 $ pour toute une famille. L'une des difficultés que rencontre ce service, c'est la nécessité de payer de nombreux droits pour pouvoir prendre les passagers à l'aéroport, en plus de ceux que nous devons déjà défrayer normalement; et nous sommes en outre en concurrence avec B.C. Transit, qui bénéficie de tarifs fortement subventionnés et qui assure des liaisons toutes les minutes avec l'aéroport. Nous avons bien du mal à continuer à desservir l'aéroport.
M. Crow: Puis-je enchaîner rapidement sur la réflexion judicieuse que vient de faire M. Eggen au sujet de la compétitivité? B.C. Transit, Go Transit à Toronto ainsi que la Toronto Transit Commission, la TTC, ne payent pas la TPS. Ils ne la perçoivent pas. Ils ne payent aucun droit à l'aéroport. Les transporteurs privés payent 50 $ par voyage à l'aéroport Pearson. Le service de transport public dessert l'aéroport en ne payant aucun droit et, dans un secteur, a effectivement mis en faillite un transporteur privé qui faisait payer 6,50 $ pour transporter les passagers de la bouche du métro jusqu'à l'aéroport. Le service de transport urbain est intervenu en disant: «Nous allons nous en charger.» Il fait payer 2,25 $ le trajet et ne prend pas en charge les bagages. Il n'y a pas de toilettes. Il n'y a rien à bord. Le service est lamentable, mais le transporteur privé qui l'avait lancé au départ afin que les familles puissent aller à l'aéroport et en revenir en a été écarté. C'est pourquoi nous avons besoin d'une politique de transport des passagers. Il faut que les règles du jeu soient les mêmes pour tous pour que M. Eggen, ou tout autre intervenant dans le secteur du transport par autocar, puisse développer les services dont vous avez besoin.
La présidente: Avez-vous des membres en commun avec l'Association canadienne de l'autobus, ou est-ce que vous représentez différentes parties du secteur?
M. Crow: Nous avons des membres en commun. Je ne sais pas exactement quelle est l'intégralité de ces membres, mais j'ai l'impression qu'il n'y en a qu'un ou deux qui ne sont pas par ailleurs aux membres de votre association.
La présidente: En matière de sécurité, est-ce qu'il y a un code de sécurité national qui s'applique aux autocars et, dans l'affirmative, qu'en pensez-vous? Est-il bien adapté? Est-ce qu'il couvre l'ensemble des autocars et des autobus, y compris les plus petits?
M. Crow: Il y a le Code national de sécurité, qui est excellent, il a été élaboré par le gouvernement fédéral, les provinces, les entreprises de notre secteur et celles qui font du camionnage. Il est toutefois appliqué par les provinces. Le gouvernement fédéral ne se mêle pas de son application. Nous collaborons en ce moment avec le gouvernement sur la question du nombre d'heures de service et de conduite. Les véhicules sont inspectés.
Excusez-moi, mais je ne suis pas un spécialiste et je ne connais pas la question dans tous ses détails parce que je ne prends pas part personnellement à ces réunions. On peut certainement apporter des améliorations et prendre certaines dispositions pour renforcer la sécurité.
On a évoqué certaines différences qui distinguaient notre secteur de celui du camionnage. À titre d'exemple, je vous signale que tous les jours le conducteur d'autocar doit inspecter au préalable son véhicule. La loi exige désormais que tous les jours le conducteur teste le déplacement de la tige de frein. Je ne veux pas entrer ici dans des détails techniques, mais cela signifie que le conducteur doit se coucher sous son véhicule pour faire ce test. Il a été conçu au départ pour les camions. Le conducteur du camion peut sortir de son véhicule, aller à l'arrière de la remorque et regarder par en dessous. Il n'a pas à ramper sous la caisse. Les autocars sont conçus différemment, vous le savez, et il est pratiquement impossible de procéder ainsi. Sans vouloir mettre M. Eggen en difficulté, j'imagine que ces conducteurs d'autocar ne procèdent pas à cette opération quotidienne. Je ne pense pas que nos passagers aimeraient nous voir agir ainsi. Ce n'est pas prudent. Nous oeuvrons en ce moment avec le gouvernement à la mise en place de ces changements. Nous pouvons parvenir aux mêmes résultats sans avoir à ramper sous les véhicules pour mesurer effectivement la distance de déplacement de la tige.
En somme, il existe une norme qui est bonne. Quelques ajustements doivent y être apportés et nous nous efforçons de le faire. L'un des membres de mon personnel est allé justement à Ottawa la semaine dernière, pendant deux jours, pour régler ces questions.
Le sénateur Forrestall: Lorsqu'on cherche à renforcer véritablement la sécurité à l'aérogare, la GRC vient avec de petits miroirs tout vérifier, deux, trois ou quatre fois par jour. Je me demande ce que vous ressentez vraiment lorsque vous manoeuvrer effectivement le mécanisme? Y a-t-il un mouvement? Y a-t-il un jeu? Comment faites-vous?
M. Eggen: L'une des solutions que nous avons trouvées, c'est d'équiper les nouveaux autocars d'un réglage automatique de jeu pour que les disques des freins soient continuellement réglés comme dans une voiture particulière. Contrairement aux anciens freins, ils n'ont donc jamais besoin de réglage.
La présidente: Merci, monsieur Crow et monsieur Eggen, d'être venus ce soir nous présenter votre exposé. N'hésitez pas à nous fournir d'autres renseignements si vous en avez. Ils seront communiqués aux membres du comité.
Le comité lève la séance.