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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones


Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 3 - Témoignages 


OTTAWA, le mardi 3 décembre 2002

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui à 9 h 05 pour étudier les questions touchant les jeunes Autochtones au Canada et, en particulier, l'accessibilité, l'éventail et la prestation des services, les problèmes liés aux politiques et aux compétences, l'emploi et l'éducation, l'accès aux débouchés économiques, la participation et l'autonomisation des jeunes, et d'autres questions connexes.

Le sénateur Terry Stratton (vice-président suppléant) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le vice-président suppléant: Bonjour. Nous allons entendre aujourd'hui les témoignages de Mme Jennifer Podemski et de Mme Laura Milliken, de Big Soul Productions.

Mme Jennifer Podemski, Big Soul Productions: Je suis copropriétaire et exploitante de Big Soul Productions, maison de production autochtone, à Toronto.

Mme Laura J. Milliken, Big Soul Productions: Je suis partenaire de Jennifer. Je suis originaire de Kettle et de Stony Point Reserve dans le sud-ouest de l'Ontario.

Mme Podemski: Commençons par mes antécédents. Je suis née à Toronto d'une mère Saulteaux de la Première nation Muscowpetung, en Saskatchewan, et d'un père israélien. J'ai grandi en banlieue de Toronto, où nous étions la seule famille autochtone. Simplement dit, la violence de ma jeunesse et l'alcoolisme de ma mère ont donné une image assez négative de mon patrimoine et de ma culture et j'avais honte de mes racines autochtones.

J'ai été immergée dans ma culture maternelle et paternelle, et c'est la danse, le théâtre et les arts qui m'ont sauvé la vie. J'ai commencé à m'intéresser aux arts à un très jeune âge et les ai pratiqués pendant de nombreuses années. Il y a beaucoup de points communs entre ma vie et celle de Laura.

Mme Milliken: Ma jeunesse est semblable à celle de Jennifer. J'ai grandi à Scarborough, en Ontario, où ma famille habitait dans un quartier relativement aisé, en banlieue, peuplé principalement de blancs. Ma soeur et moi étions les seules enfants autochtones à l'école, autant à l'élémentaire qu'au secondaire.

Mon père a fréquenté une école résidentielle et sa vie a été marquée par l'alcoolisme et par de nombreux autres problèmes liés à ce genre d'écoles. Il ne s'en est jamais remis et nous avons donc dû les supporter tout au long de notre enfance et de notre adolescence. J'ai eu la chance cependant de bénéficier de l'influence positive de mes professeurs, de ma mère et des parents des autres, sans parler de l'art en général. Mon père aussi a eu une influence positive sur ma vie: dans le fond, c'est quelqu'un de bien qui possède beaucoup de talents artistiques.

Les arts m'ont beaucoup intéressée dans ma jeunesse. J'ai joué de la flûte pendant de nombreuses années et j'ai pris des cours de théâtre à l'école secondaire; c'est ce qui m'a sauvé la vie.

Mon père et ma mère nous disaient toujours à quel point il est important de chanter et de jouer des instruments de musique. Je n'ai apprécié mon patrimoine autochtone qu'à la fin de mon adolescence, quand j'ai commencé à écrire et à découvrir qui j'étais et d'où je venais.

J'ai dû le faire toute seule à cause de l'éducation limitée que j'ai reçue à l'école secondaire.

Mme Podemski: Je vais commencer par le tout début, avant que je ne rencontre Mme Milliken.

Je pense aussi que l'éducation est un élément important. J'ai grandi dans un grand centre urbain, Toronto, où j'étais la seule Autochtone, peu importe où j'allais; or, l'ignorance et le racisme étaient monnaie courante de la part de mes pairs, à cause justement de leur manque d'éducation.

J'ai perdu mon patrimoine autochtone quand ma mère nous a abandonnés. Je ne l'ai retrouvé que quand je suis devenue actrice professionnelle. Les rôles qu'on me réservait étaient des rôles d'Autochtones, et j'ai vite appris qui j'étais au sein de la collectivité des acteurs. J'y ai été plongée, tant et si bien que j'ai gagné ma vie en jouant dans des films et des émissions télévisées dans une perspective canadienne.

Dance Me Outside est probablement le projet qui a tout changé pour moi, qui a fait progresser ma carrière et m'a amenée à The Rez. J'ai continué à travailler en tant qu'actrice, tout en ayant beaucoup de mal à surmonter les contraintes et obstacles que l'industrie m'imposaient. Être une actrice comme une autre était difficile, puisqu'on m'avait catégorisée comme «l'actrice autochtone». J'avais l'impression d'être la seule sur le marché, ce qui était étrange.

Il m'est souvent arrivé de jouer dans des films inspirés d'histoires autochtones qui étaient écrits, réalisés et produits par des non-Autochtones mal informés, et qui étaient peu représentatifs de la réalité, voire même dénigrants. Il m'est souvent arrivé d'être la seule Autochtone sur le plateau d'un film dont la distribution était censée être entièrement autochtone.

On m'a par la suite demandé d'animer la soirée de remise des prix d'excellence aux Autochtones, à Regina, en 1999, ce qui a été un grand honneur pour moi, parce que John Kimbell, l'un des organisateurs de ces prix, m'a sauvé la vie à plusieurs reprises en finançant ma carrière et en me permettant ainsi d'atteindre mes objectifs. C'est là que j'ai rencontré Mme Milliken et c'est à partir de ce moment que j'ai vraiment commencé à comprendre ce que signifie être une femme autochtone dans ce pays. J'ai trouvé ma raison d'être: me servir des arts et de mes antécédents de cinéaste, actrice et, d'une certaine façon, plaider en faveur d'un monde meilleur pour mes enfants, mes petits-enfants et ceux de mes proches.

Mme Milliken: Je me fais l'écho de ces remarques. Quand Jennifer et moi nous sommes rencontrées, j'ai senti qu'ensemble, nous pourrions faire quelque chose d'important pour le bien de tous. La route a été longue et sinueuse, puisque moi aussi, j'ai connu toutes sortes de dépendances que j'ai surmontées au terme de considérables efforts.

Ma carrière a commencé quand j'étais enfant. J'adorais jouer à la présidente avec mes amis; le jeu s'appelait en fait «Cabinet», mais j'étais toujours la présidente. J'ai toujours voulu passer à l'action, j'ai toujours été motivée. Les voisins voyaient comment nous vivions et portaient un jugement sur nous — et sur mon père, visiblement Autochtone et saoul.

Tout le monde croyait que ma soeur et moi allions être mariées et enceintes dès l'âge de 16 ans. Je suis très fière d'avoir prouvé le contraire. Tous les membres de ma famille ont fait des études postsecondaires. Je suis contente d'être passée par là, et de ma vie, aujourd'hui.

J'ai commencé par aller à l'université, où j'ai suivi des cours de journalisme. Je savais que je voulais m'exprimer et écrire. J'ai étudié pendant trois ans et obtenu un diplôme en journalisme. J'ai reçu la bourse en journalisme de Gill Purcell pour les Canadiens autochtones. J'ai travaillé à la Presse canadienne pendant quelque temps, puis aux magazines Canadian Business et Canadian Profit de CB Media, qui appartenait à l'époque à McLean Hunter et aujourd'hui, à Rogers. À 26 ans, je suis devenue gestionnaire du service de la promotion et des communications. John Kimbell m'a alors recrutée comme productrice adjointe des Prix nationaux d'excellence décernés aux Autochtones, poste que j'ai occupé pendant deux ans.

J'ai dit plus haut que la route a été sinueuse, vu que tous ces emplois que j'ai occupés à ce moment étaient très différents. Ce qui est formidable, c'est que j'ai pu ainsi connaître des mondes vraiment opposés. J'ai compris que les médias pouvaient me permettre de dire ce que j'avais à dire et j'ai eu ainsi l'occasion de découvrir davantage qui je suis et d'où je viens.

J'ai lu beaucoup de reportages sur les peuples autochtones, ce qui m'a beaucoup influencée. J'ai vite compris qu'ils ne reflétaient pas la réalité, que beaucoup étaient faussés; les histoires qu'ils racontaient n'étaient pas de vraies histoires autochtones et j'ai voulu rectifier les choses.

J'ai voulu aussi jouer un rôle plus positif, voire être une source d'inspiration, en montrant à nos frères et soeurs que nous faisons des choses extraordinaires. C'est ainsi que The Seventh Generation, notre série télévisée, est née. Elle offre des modèles de comportement, ce qui est important de mon point de vue; en effet, je n'ai pas subi beaucoup d'influences autochtones positives quand j'étais enfant, à l'exception de mon professeur de musique et de ma mère. Même si je respectais mon père parce que c'était un artiste et un musicien exceptionnel et qu'il était quelqu'un de merveilleux, il connaissait malheureusement énormément de problèmes. C'était très dur pour une jeune personne de dépasser cette réalité et je ne savais pas comment m'y prendre. Je ne voyais que ce que les autres voyaient, soit un Indien saoul. C'est horrible de grandir dans un environnement pareil et d'accepter cette image stéréotypée dès le plus jeune âge, surtout quand il s'agit de son propre père. Je n'y crois plus aujourd'hui, mais à l'époque, j'avais honte de ce que j'étais. Heureusement, tout a changé: j'aime mon père et je pense qu'il est important de le montrer. À l'époque, j'avais besoin d'un modèle positif qui soit un Autochtone à la peau basanée.

C'est pourquoi Jennifer et moi attachons tant d'importance au mentorat et aux modèles de comportement, et que nous donnons l'occasion à ces incroyables jeunes Autochtones de jouer à la télé devant le pays entier. Les enfants regardent la télévision et franchement, les gens reconnaissent ceux qu'ils voient à la télé. Nous avons pensé qu'il serait bon d'en tirer parti, ce que nous faisons aujourd'hui du mieux que nous le pouvons.

Je vais maintenant céder la parole à Mme Podemski qui va vous parler de The Seventh Generation.

Mme Podemski: Il s'agit essentiellement de revaloriser l'image, autant à l'échelle nationale qu'internationale — c'est du moins ce que nous espérons — des peuples autochtones, pour dépasser en fait celle que les autres se font en général de nous. Nous voulons dire: «J'ai la peau claire et les cheveux bruns, et même si la plupart des gens pensent que je suis asiatique, je suis en fait d'ascendance autochtone. Je veux représenter qui je suis et d'où je viens. Je ne représente pas tout le monde.»

Nous voulons représenter des gens du pays entier, des milieux urbains et ruraux, des réserves, des petites collectivités, des grandes villes, etc., qui n'ont pas l'air semblable, mais qui sont tous autochtones et font face aux mêmes problèmes d'identité que moi. Que vous ayez la peau claire ou foncée, les cheveux frisés ou les yeux bleus, peu importe, nos problèmes sont les mêmes; nous venons des mêmes endroits, des mêmes parents, des mêmes peuples et des mêmes cultures.

Laura et moi avons imaginé créer un genre de plate-forme, qui est devenue une série télévisée que nous avons appelée par la suite The Seventh Generation, où les jeunes Autochtones peuvent s'exprimer, parler de leur réalité, de leurs origines et des obstacles qu'ils doivent surmonter depuis leur naissance.

Ces obstacles, comme le racisme et l'adversité générale, ils les ont surmontés, ce qui leur a permis de devenir médecins, chefs de file dans le domaine de la culture, athlètes, acteurs, musiciens, avocats accomplis, etc. et de montrer au reste du pays qu'ils sont là et qu'ils accomplissent ce genre de choses. Nous ne sommes pas seulement ce que vous lisez dans le National Post, ou le Toronto Star: la plupart de ces journalistes ne sont même pas autochtones; c'est tout autre chose lorsque ce sont des Autochtones qui s'expriment, même si nous ne sommes pas toujours d'accord; nous estimons toutefois qu'il est temps de nous faire entendre et de dire qui nous sommes, de notre propre point de vue. Dans notre série télévisée, The Seventh Generation, nous avons décidé dès notre première année et notre première rencontre qu'il fallait entendre le point de vue de tout un chacun, qu'il s'agisse de celui qui a grandi dans le milieu Cri, qui connaît ou apprend la langue, qui connaît ses grands-parents, qui vit dans la réserve et connaît ce style de vie, ou qu'il s'agisse du citadin, de celui à la peau brune qui a été adopté, sans savoir qui il est vraiment, mais qui sait qu'il y a autre chose que ce que lui présente la réalité. Il faut explorer toutes ces histoires et encourager les jeunes qui, comme Laura et moi-même, ne voyaient rien. Nous n'avions aucun appui, aucun modèle et aucun soutien des médias. Nous n'avions que l'image de nous-mêmes et de nos parents qui nous faisaient honte. Heureusement, nous disposons aujourd'hui de réseaux télévisés comme APTN et autres, qui revalorisent cette image.

C'est en abordant tous ces sujets que l'idée nous est venue de créer The Seventh Generation, série télévisée en 13 parties que nous produisons, écrivons, réalisons, filmons et animons. L'épisode pilote de 1999 est le fruit d'un travail accompli par amour. Permettez-moi de vous raconter une anecdote avant de vous montrer notre vidéoclip: nos premières expériences avec The Seventh Generation ont été ardues parce que personne n'y croyait autant que nous. Nous avons eu du mal à convaincre l'industrie que ce projet était viable et commercialisable. Nous avons eu du mal à obtenir l'appui des collectivités, qui avaient d'autres priorités que de soutenir des jeunes et leurs idées folles. Nous avons vraiment eu beaucoup de mal à produire notre premier épisode. En fin de compte, APTN s'est intéressé à notre projet et nous a donné le coup de pouce financier qui a tout changé. Nous avons pu recruter Adam Beach, la plus grande personnalité autochtone au monde, Ryan Black, qui à l'époque apparaissait dans The Rez et qui était à la fois passionnant et passionné, et ma soeur, Tamara Podemski, la seule Autochtone jouant dans la comédie musicale Rent, sur Broadway. Tous les trois figuraient dans notre pilote, et ils ont servi de machinistes, d'électriciens, de monteurs, d'éclairagistes, de chauffeurs, etc. Nous avons tout fait grâce à ces gens qui nous ont fait entièrement confiance.

Nous avons alors terminé notre premier épisode, ce qui nous a permis de dire: «Regardez, nous avons réussi et en voilà le résultat. Vous aviez dit que nous ne réussirions pas, que c'était impossible et non viable.» Nous avons ensuite réalisé notre série en 13 parties dont nous allons vous parler un peu plus, après vous avoir montré notre premier vidéoclip The Seventh Generation, et après vous avoir présenté ceux que nous avons mis en vedette ces trois dernières années. J'espère que vous l'apprécierez.

(Présentation vidéo)

Mme Milliken: Ce n'est qu'un court vidéoclip des centaines d'heures de métrage produit au cours des saisons un et deux; notre troisième saison va commencer en janvier 2003. Jusqu'à présent, nous avons mis en vedette 91 jeunes Autochtones qui ont réussi et qui sont des médecins, des participants de la danse du cerceau, des acteurs, des musiciens. Nous avons le plaisir de vous dire que nous faisons tous les efforts possibles pour représenter un échantillon de tous les secteurs de l'éducation et des carrières. Nous essayons également, dans la mesure de nos moyens, de représenter des jeunes des Premières nations, des Inuits et des Métis, car c'est également important de notre point de vue.

J'ai en fait pratiquement pleuré au cours de cette vidéo, étant donné que nous avons vécu des moments d'émotion intense au cours de la production. Je n'en reviens toujours pas des qualités incroyables de ces 91 jeunes; il y en a d'ailleurs bien d'autres dans le pays. J'aimerais vous parler de la mise au point de l'émission. Nous avons utilisé un nouveau genre de logiciel, le «Final Cut Pro» et à nos débuts, il y a trois ans et demi, les gens ne savaient pas de quoi il s'agissait, car c'était très nouveau. Maintenant, nous utilisons la version 3 de Final Cut Pro et nous avons également des ordinateurs de bureau et des ordinateurs portatifs. Nous n'avons pas de salles de montage de millions de dollars, mais travaillons dans notre propre bureau. Beaucoup se sont demandé comment nous pouvions utiliser une technologie encore toute nouvelle pour réaliser une série télévisée en 13 parties; il est vrai que nous avons dû régler tous les problèmes posés par ce Final Cut Pro, tout nouveau, mais nous avons gagné, puisque notre émission rivalise avec d'autres du réseau. Nous avons également réalisé notre propre version française pour la saison un, ainsi que le sous- titrage codé pour malentendants pour les trois saisons.

La saison un peut être visionnée sur Saskatchewan Communications Network, ACCESS Network, en Alberta, ainsi que sur la Canadian Learning Television. La saison deux peut être visionnée sur Aboriginal Peoples Television Network, ou APTN, ACCESS Network et Canadian Learning Television. Jusqu'à présent, APTN est notre seul diffuseur pour la saison trois, mais nous sommes confiantes que d'autres réseaux s'y intéresseront également. Nous avons pu réaliser la saison trois à peu de frais par rapport à n'importe quelle autre série en 13 parties, car nous avons eu la chance de bénéficier de l'appui du ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada, du ministère de la Défense nationale, de Justice Canada, du Solliciteur général, de Santé Canada, du Service correctionnel du Canada, de Ressources naturelles Canada et de l'interlocuteur fédéral auprès des Métis et des Indiens non inscrits. Nous avons reçu énormément d'appui pour les deux premières saisons, mais nous n'avons pas eu cette chance pour la troisième, si bien qu'il a fallu faire preuve d'imagination.

Nous espérons obtenir de nouveau pareil soutien pour la saison quatre, car cette émission a un impact sur les jeunes; c'est ce qui ressort clairement de nos rencontres avec des jeunes des collectivités qui sont enchantés de pouvoir suivre The Seventh Generation. Il y a des gens dans les collectivités qui commencent à savoir que nous faisons partie de Big Soul Productions pour The Seventh Generation. Mme Podemski est heureuse d'être connue comme Jennifer, animatrice de The Seventh Generation, plutôt que comme «Sadie» de The Rez.

Nous allons essayer d'entamer une quatrième saison; en attendant, vous pouvez suivre la saison trois.

Mme Podemski: Voici quelques explications au sujet de The Seventh Generation, qui nous a incitées à créer une société de production. Au cours de l'été où nous avons eu l'idée de The Seventh Generation, nous nous étions engagées à le faire et à devenir un élément immuable de l'industrie de la télévision et du cinéma. Nous avions décidé non seulement de représenter des Autochtones, mais aussi d'infiltrer l'industrie et d'imposer notre présence, en faisant du travail important, destiné à la population en général et qui reflète notre culture. Nous voulions également être là, être disponibles. Nous voulions prendre des risques en produisant des émissions de télévision non conventionnelles en matière de distribution, de trame de l'histoire puisée au sein des collectivités, ainsi qu'en réunissant une équipe de production entièrement autochtone, à partir du scénariste jusqu'aux acteurs. Tel était notre mandat.

Big Soul Productions est une maison de production à part entière: nous concevons les idées, assurons la production et créons tous les rôles. Nous avons dû nous débattre au cours des trois années et demie passées, ne serait-ce que pour survivre, mais nous poursuivons un objectif: continuer à produire des émissions comme The Seventh Generation. Nous avons bien d'autres émissions à notre actif: Into the Music est une série en 13 parties sur les musiciens autochtones; nous avons également réalisé des documentaires et des vidéos de promotion. Nous voulons passer pour des producteurs forts, éduqués, et non pas seulement pour des propriétaires d'une société autochtone de production. C'est la direction dans laquelle nous voulons aller, nous voulons éliminer les obstacles que nous nous imposons à nous- mêmes.

Nous voulons ne plus avoir à dire: «Je suis un producteur autochtone,» ou «je suis un acteur autochtone.» Il faut se débarrasser de ces contraintes et dire: «Je suis producteur et voilà ce que je produis,» et commencer à avoir de grandes idées nouvelles et à vouloir faire partie du paysage de l'industrie.

La formation des jeunes est notre deuxième mandat. Il nous paraît quasiment incroyable d'avoir dans notre bureau des jeunes autochtones qui veulent se consacrer au cinéma. Le jeune monteur de ce vidéoclip que vous venez juste de voir est avec nous depuis un an et il s'agit de son premier montage. Nous en sommes fières, car nous cherchons à le former comme monteur. C'est un exemple parmi tant d'autres, puisque tous ceux qui travaillent avec nous cherchent depuis longtemps à se joindre à l'équipe de Big Soul Productions et ne cessent de progresser depuis qu'ils sont avec nous.

Il y a bien sûr beaucoup d'échecs. On a tendance à croire que l'industrie du cinéma est fascinante et prestigieuse, mais c'est un travail ardu. Nous intervenons au niveau local et nous ne pouvons pas faire beaucoup d'argent, car notre contenu n'est pas grand public. Dans l'industrie, il est très difficile de prouver que notre produit, où l'on retrouve des Autochtones, est viable et peut être commercialisé. Il n'y a rien que nous n'ayons entendu: certains refusent de regarder notre émission sous prétexte qu'elle n'est pas assez autochtone. Qui décide ce qui est suffisamment autochtone? Qui décide que Buckskin doit être du contenu autochtone? Nous voulons changer les choses, changer la façon dont l'industrie et le monde voient les Autochtones et commencer à tirer fierté du genre de travail que nous entreprenons. Nous voulons que les jeunes soient fiers de leur héritage et voulons, idéalement, renforcer ces images de manière positive, afin qu'ils puissent chaque jour se sentir forts et fiers d'être Autochtones, indépendamment de leur apparence ou de leur origine. Nous voulons qu'ils sachent qu'ils ont un brillant avenir devant eux.

Ce que nous faisons dans notre «Info-ressources,» est également important, puisqu'il s'agit de viser les jeunes que nous ne pouvons pas former personnellement. Nous pouvons alors leur dire: «Il existe des milliers de programmes, vous avez accès à tant de programmes, de ressources, de bourses et de fonds pour aller à l'école et devenir ce que vous voulez, faire des stages, voyager dans le monde entier et poursuivre vos études. Vous pouvez avoir des mentors aussi.» Il faut donner aux jeunes cette information, car presque partout où nous allons — et nous nous rendons dans beaucoup de collectivités, dans une centaine, si pas plus, chaque année — et nous entendons toujours le même refrain: «Nous ne savions pas que ces programmes existaient, rien ici ne nous permet d'avoir accès à ces ressources, nous ne savions pas cela était possible, nous ne le savions pas.» Nous nous demandons pourquoi et ce, chaque fois que nous nous rencontrons. Pourquoi est-ce ainsi? Nous devons faire notre part et fournir l'information ainsi que les ressources.

C'est ce que nous recherchons pour Big Soul Productions. Nous voulons être une société de production de l'industrie grand public, que nous ne faisons qu'effleurer pour l'instant; nous voulons être un organisme ou un mécanisme de formation qui offre aux jeunes Autochtones la possibilité d'entrer dans l'industrie du cinéma, puisque très peu d'Autochtones y sont présents, alors que beaucoup d'histoires et d'images sont vendues à leur sujet. Le plus ridicule, c'est que les syndicats n'ont aucun représentant autochtone; nous voulons changer les choses, comme nous voulons modifier la représentation aux festivals du cinéma. Les forums autochtones aux festivals ne devraient pas avoir lieu avant le début des festivals. Il ne faudrait pas nous marginaliser, ni nous mettre de côté pour créer quelque chose pour les Autochtones uniquement, sous prétexte qu'on se sent responsable à cet égard.

Nous voulons changer le climat de l'industrie en plaçant des Autochtones dans des postes de création et de pouvoir, comme des postes de producteurs. Je ne vois pas pourquoi Mme Milliken et moi-même devrions faire partie d'un groupe élu de producteurs autochtones en Amérique du Nord.

J'en arrive ainsi à l'un de nos dilemmes. On ne peut pas être à la fois un groupe de revendication et une société de production à plein temps. C'est très difficile. Nous travaillons de très longues heures et nous pleurons beaucoup, car ce que nous faisons est chargé d'émotion. Nous ne faisons que commencer à faire ce que nous voulons et ce que nous aimons, tout en essayant en même temps d'avoir une influence sur les jeunes, de les rendre fiers de leur identité pour qu'ils n'aient pas à se sentir comme nous nous sentions dans le passé, pour qu'ils n'aient pas honte, comme nous- mêmes et nos parents.

Mme Milliken: Cela nous amène à parler de RepREZentin'. Dès que notre émission The Seventh Generation a commencé à avoir du succès, nous avons su que Big Soul Productions était destinée aux jeunes. Nous leur avons dit: «Nous savons qui vous êtes et nous savons le travail que vous faites. Vous êtes formidables et nous voulons vous appuyer et vous faire connaître.»Toutefois, ce n'est pas véritablement notre travail. Beaucoup de jeunes ont commencé à venir nous demander: «Comment pouvez-vous m'aider? Comment puis-je devenir acteur?» Cette question nous est très souvent posée.

Nous avons alors défini un concept que nous appelons RepREZentin'. Nous cherchions un titre accrocheur et je crois qu'il appartient au vocabulaire des jeunes. Le mot RepREZentin' contient les lettres R-E-Z. À l'origine, ce projet était destiné aux réserves, mais on le retrouve maintenant à l'extérieur également; nous allons en parler un peu plus tard. RepREZentin' est un projet de formation qui permet, dans une collectivité ou dans un centre urbain, de faire faire des bouts d'essai à tous les jeunes Autochtones de 13 à 30 ans et de les interviewer.

Cinquante participants au maximum sont acceptés dans ce programme. Nous leur demandons de jouer dans le cadre de l'émission ainsi que de travailler derrière la caméra comme machinistes, électriciens, réalisateurs adjoints et producteurs adjoints. Ils participent entièrement à tous les aspects du travail sur le plateau ou au processus de la réalisation d'un film d'une demi-heure.

Nous décidons de l'histoire en interviewant les jeunes pour savoir ce qui est important pour eux, ce qui se passe dans leur collectivité: «Parles-nous de toi et de ce que tu voudrais voir dans une dramatique d'une demi-heure à ton sujet. C'est l'occasion pour toi de dire ce que tu veux dans le cadre d'une émission dramatique.» Tout marche bien. Les jeunes disent: «C'est formidable, je regarde The Rez. Je n'aurais jamais cru pouvoir jouer dans une dramatique télévisée à l'échelle nationale.»

La plupart des gens nous avaient dit qu'un tel projet était irréalisable. On nous a dit des milliers de fois: «Vous êtes complètement folles, vous voulez filmer une dramatique d'une demi-heure en vidéo numérique avec de jeunes acteurs complètement inexpérimentés. C'est impossible, ce n'est pas viable.»

La première dramatique a été filmée dans ma collectivité; c'était un projet pilote pour RepREZentin'. Nous avons eu 50 jeunes participants et le tout a coûté 25 000 $; nous avons payé tous les jeunes, ce qui est important. Non seulement nous les formons pendant une semaine ou dix jours, mais nous les employons aussi, car ils représentent un maillon important de l'équipe de production; il est important qu'ils le sachent pour se sentir valorisés.

Nous les payons et nous leur fournissons des ressources; nous leur donnons toutes les informations dont ils pourraient avoir besoin pour poursuivre ce genre de carrière par la suite, nous leur remettons un classeur plein de documentation sur l'industrie du cinéma, sur les cliniques et les conseillers en toxicomanie dans leur région, les endroits où ils peuvent aller ainsi que les numéros de lignes d'aide. Nous ne sommes pourtant pas là pour les conseiller; toutefois, au cours du programme pilote à Kettle Point, nous avons soudain réalisé que nous étions responsables de 50 jeunes.

Sommes-nous complètement dépassées? Nous avons des mentors autochtones pour la réalisation de films, ce qui est important. Nous avons des machinistes, des électriciens, des directeurs, des scénaristes, des entraîneurs d'interprétation et des maquilleurs autochtones. Ils nous demandent si nous travaillons pour de grands films. Ils peuvent dire: «Je connais quelqu'un dont je peux suivre l'exemple, je veux travailler comme machiniste pour le prochain film de Jackie Chan». C'est excitant pour eux également.

Pendant le premier projet, à Kettle Point, un jeune m'a serrée dans ses bras en disant: «C'est pour te dire bonjour». Plus tard dans la journée, il m'a dit «Je te serre dans mes bras, Laura, parce que c'est midi,» «Pourquoi ne pas recommencer ce soir, Laura?»

À la fin du projet, nous nous serrions dans les bras l'un de l'autre toutes les heures. Certains jeunes ne pouvaient quitter le bureau de la production, ils restaient là, sans faire grand-chose, parlaient, écoutaient de la musique et regardaient notre émission sur l'écran vidéo pendant que nous travaillions sur le plateau.

Le cinéma est un milieu où il faut constamment se hâter, puis attendre. Les jeunes avaient beaucoup de temps d'arrêt, ce qui leur permettait de parler, alors que certains ne s'étaient pas adressé la parole depuis des années; certains qui croyaient se détester sont redevenus amis sur le plateau. Le projet leur a montré la dynamique du travail d'équipe, l'estime de soi et le renforcement de l'autonomie grâce aux médias. Nous leur avons demandé de construire leur propre plateau et d'employer des gens de la collectivité pour les repas. Nous payons les services de la collectivité chaque fois que nous le pouvons, mais ce n'est pas toujours possible. Nous faisons tout ce que nous pouvons pour injecter de l'argent dans leur économie.

Les jeunes, tout comme nous, ont ainsi acquis de l'expérience. Nous avons commencé à comprendre que les problèmes en jeu étaient peut-être plus profonds et que nous ne pouvions peut-être pas les résoudre. Nos scripts traitaient de sujets très graves, non pas de retards à l'école, mais plutôt de questions propres aux jeunes Autochtones; nous avons découvert que beaucoup de ces questions se posent partout, sur la côte Ouest, sur la côte Est et dans le Nord. Les jeunes Autochtones sont confrontés à des problèmes bien particuliers qui ne sont pas à la portée de tous. Nous ne savions pas comment les régler, si ce n'est qu'en leur faisant connaître des gens qu'ils pouvaient admirer et en leur offrant un milieu intéressant et stimulant dans lequel ils pouvaient s'épanouir — quelque chose d'artistique, d'amusant et d'énergique, qui pouvait les toucher. Dans le premier épisode, nous avons utilisé de la musique rap, des bruits de la rue et du hip-hop et ils y ont bien réagi, tout comme à l'histoire et à son langage cru. Ils ont bien réagi à notre approche et étaient heureux de voir que nous étions tous de jeunes Autochtones. Cette formule nous a permis de découvrir que nous étions sur une piste intéressante. En effet, il ne s'agit pas d'implanter n'importe quel jeune dans un système universel et s'attendre à ce qu'il survive. Envoyer un jeune de Kettle Point à Forest risque de ne pas donner de bons résultats; en effet, beaucoup de ces jeunes doivent se familiariser progressivement avec ce monde entièrement différent, s'habituer au choc culturel et au racisme dont ils font l'objet, se faire à l'idée que leur culture est mal comprise et qu'ils ne disposent pas des ressources voulues. À qui puis-je m'adresser — et qui me comprenne — si je suis un jeune Autochtone dans une école située loin de ma collectivité? Je parle à des adultes qui ont quitté la réserve, qui sont allés à l'université et qui m'ont dit que la First Nations House était le seul endroit où ils se sentaient à l'aise, car ils pouvaient parler à des gens qui les comprenaient. La transition est difficile, même pour les jeunes qui vont à l'école secondaire. Je n'ai pas les chiffres, mais le taux de décrochage des jeunes Autochtones dès l'école secondaire est extrêmement élevé.

Nous avions l'impression d'avoir réussi quelque chose, car même si nous ne pouvions pas les garder sur les bancs d'école, même s'ils n'allaient pas plus loin pour obtenir un emploi en cinéma ou s'ils n'allaient pas étudier le cinéma ou la télévision à l'université, ils avaient eu la chance de se sentir valorisés. Ils ont eu la chance de travailler avec nous et de se voir à la télévision. Nous y sommes retournées pour la première représentation de RepREZentin' in Kettle Point, c'était bondé de monde. C'était un grand événement. Les jeunes s'étaient habillés chic et sont arrivés à la représentation en limousine. Tout le monde y était, et c'était vraiment magique de constater combien ils rayonnaient à voir le travail qu'ils avaient accompli ensemble.

L'un des conseillers s'est levé et a dit: «J'aimerais bien qu'on réussisse à attirer autant de monde à une rencontre communautaire.» C'est la force de ce média et de l'art dramatique. Beaucoup de gens sont probablement venus pour voir Jen et les autres acteurs, mais nous devons utiliser ce moyen autant que nous le pouvons. C'est là où nous excellons: pour apporter quelque chose aux gens, utiliser l'occasion et la rendre utile pour les jeunes.

Nous nous sommes rendues à Fort Chip pour notre deuxième production. Nous avons rencontré le chef George Poitras, ancien chef de la Première nation crie de Mikisew à Halifax, lors de l'assemblée générale annuelle de l'APN. Il s'est montré vivement intéressé. Nous avons projeté RepREZentin' in Kettle Point à un salon qui se tenait là-bas, il l'a vu et nous a demandé dans combien de temps nous pourrions nous rendre à Fort Chip. Nous y avons répondu: «Dès que vous le voulez.» Il a ramassé tout l'argent nécessaire auprès de sociétés privées pour nous emmener là-bas, et ce fut une expérience inoubliable. Des membres d'une collectivité éloignée accessible par avion seulement ont réalisé une émission d'une demi-heure. C'était du jamais vu. Heureusement, nous avons pu bénéficier de l'appui de l'APTN cette fois-ci. Cela n'avait pas été le cas lors de notre première entreprise, mais nous avons fait nos preuves.

Mme Podemski: Le projet de Fort Chip a été un vrai soulagement pour nous, parce que nous estimions que c'était un projet extrêmement positif et fructueux pour former des jeunes, créer de nouveaux écrivains et de nouveaux réalisateurs et aider des gens à participer à l'industrie. Nous trouvions le projet fantastique. Nous avons travaillé fort, fait des propositions, tenu des réunions et passé sept mois à négocier pour réaliser ce projet dans une collectivité. Rien ne s'était passé après Kettle Point. Lorsque nous avons rencontré le chef, le fait qu'il veuille que nous allions dans sa collectivité nous a incroyablement inspirées. Nous l'avons trouvé très progressiste, parce qu'il était prêt à prendre des risques et à faire des choix non traditionnels pour offrir des programmes aux jeunes.

L'une de nos amies a proposé à la CBC de nous suivre là-bas et de faire un documentaire pour l'émission CBC News: Sunday, animée par Evan Solomon. Nous pourrions enfin montrer au Canada ce qui se passe en arrière-scène. Les jeunes qui s'intéressent le plus à ce genre de projet sont généralement ceux qui sont considérés comme les plus an difficulté. Ce sont les plus mal aimés. Ce sont sans doute ceux qui ont le plus besoin qu'on les prenne dans ses bras. D'entrée de jeu, nous avons vécu une expérience très difficile à Fort Chip lorsque l'un de nos jeunes participants nous a laissé tomber. Nous avons admis qu'il était en grande difficulté et que nous devions le laisser partir. Ce projet a tout de même été merveilleux parce que nous avons rassemblé des enfants et des adolescents, et pendant tout ce temps nous avons demandé à tout le monde de demeurer sobre, de ne consommer ni drogue ni alcool et d'être très présent.

En bout de ligne, nous avions une trame complètement fonctionnelle. Lorsque nous rangions le tout pour retourner à notre bureau de production, tous les jeunes étaient là. Ils restaient avec nous jusqu'à la dernière minute — ils étaient toujours avec nous — parce qu'ils voulaient écouter de la musique et avoir des conversations intelligentes. Certains de ces jeunes sortaient à peine de prison, étaient en attente d'un jugement ou attendaient que la GRC les embarque et les amène à Edmonton. Ce sont des jeunes intelligents, beaux et talentueux à qui on ne donne pas de chance, mais c'est tout dont ils ont besoin. Si vous pouviez voir le talent, l'espoir et l'inspiration qui les habitent, vous verriez qu'il est évident qu'ils ont seulement besoin de débouchés créatifs, de modèles et de gens à qui parler de façon intelligente, de gens qui ne les rejettent pas.

De bien des façons, nous ne pouvons garantir que cela va continuer, c'est ce qui est difficile quand nous partons. Nous allons toutefois parler un peu plus tard de la façon de rendre ce projet durable.

Malgré toutes les difficultés, nous en sommes arrivés à un produit magnifique. Le documentaire a été diffusé dans tout le pays et vu par beaucoup de gens. Grâce à lui, beaucoup comprennent maintenant mieux ce que signifie le fait de jouer un rôle actif dans la collectivité et de faire des choix courageux dans l'industrie cinématographique. Les deux vont de pair. Nous croyons que le cinéma est extrêmement inspirant, parce que c'est un média très puissant. Beaucoup de gens passent beaucoup de temps devant la télévision, et nous sommes inondés des médias partout. Ils stimulent la jeunesse, la génération MTV. Un jeune acteur peut voir un ami régler les éclairages pendant qu'un autre tient la perche. Cela les aide à prendre conscience qu'ils forment une équipe.

Nous avons préparé un vidéoclip de nos trois projets: Kettle Point, Fort Chip et Regina, projet que nous venons tout juste de terminer et qui est la première initiative de RepREZentin' en milieu urbain.

(Présentation vidéo)

[Français]

Le sénateur Gill: Vos initiatives sont fantastiques envers les jeunes Autochtones canadiens. Vous avez eu des contacts avec des gens du Témiscamingue et de Kahnawake. Comme vous le savez, il y a des jeunes Autochtones au Québec dont la langue seconde est le français. Ils ne parlent pas anglais du tout. Ils ont les mêmes problèmes d'alcool, de drogues, et cetera, que les autres autochtones. Ils ont du talent et leurs frustrations sont difficilement exprimées. Ils ont très peu accès aux organisations nationales comme le projet de John Kimble. Vous ne voyez pas de jeunes francophones recevoir des récompenses sur le plan national parce qu'ils ne sont pas connus. Au Québec, plus de la moitié de la population indienne — entourée d'une population francophone — ne parle pas anglais et n'a donc pas accès aux réseaux, à l'information écrite ou télévisée. Avez-vous eu, avez-vous et voulez-vous avoir accès à ces jeunes?

[Traduction]

Mme Podemski: Oui. Nous sommes entrées en contact avec de nombreuses personnes pouvant communiquer en anglais dans ces régions. La barrière linguistique pose une difficulté. Nous voulons inciter des producteurs semblables à nous au Québec à faire la même chose. Nous voulons favoriser ce genre d'entreprise dans tout le pays, dans les collectivités où les jeunes ne parlent ni anglais ni français. Il y a quelques jeunes dans cette situation.

L'accès à la base et aux ressources est là. Nous voulons véhiculer le message qu'il est possible d'accéder à n'importe quelle information voulue et d'être reconnu. Grâce à la technologie existante, nous voulons montrer aux jeunes que tout ce dont ils ont besoin, c'est d'un peu d'argent, d'une voix et peut-être d'une caméra pour utiliser ce moyen de s'autonomiser à l'échelle nationale. Nous voulons leur montrer comment faire. Nous voulons toucher ces collectivités. Cependant, nous serions très heureuses de travailler avec des membres de ces collectivités qui pourraient réaliser ce type de projet là-bas. Nous serions ravies de le faire nous-mêmes, mais il est difficile de concrétiser ce projet partout, parce que les collectivités doivent être convaincues de son importance.

Nous savons tous que les jeunes veulent acquérir une plus grande autonomie et voir de tels projets réalisés, mais tout dépend du financement. Il n'en tient pas qu'à nous, un producteur francophone pourrait également le faire. Il existe des producteurs autochtones francophones qui conçoivent des émissions pour APTN ou la SRC. Il suffit vraiment d'inciter les collectivités, les conseils de bande et les leaders à offrir aux jeunes cette forme d'autonomisation.

J'aimerais bien que nous parlions français et que nous puissions le faire nous-mêmes, parce que nous savons faire preuve d'innovation si nous avons les fonds nécessaires.

[Français]

Le sénateur Gill: Il est important d'être conscient de la situation et que vous soyez capable d'aider les jeunes à avoir accès aux ressources financières. Lorsque les ministères et les gouvernements ont déjà financé des organisations comme la vôtre, règle générale, ils demandent aux jeunes de vous rejoindre. Il existe un problème de barrière de langue. Il est très difficile pour les jeunes d'avoir accès aux fonds.

[Traduction]

Mme Podemski: Notre organisme ne reçoit pas de fonds. Pour être bien claire, parce que nous y tenons parfois, nous allons faire tout en notre pouvoir pour expliquer ce programme d'autonomisation à d'autres producteurs, personnes ou leaders en espérant qu'ils puissent le mettre en oeuvre dans toutes les collectivités.

[Français]

Le sénateur Gill: Tout ce que je vous demande, c'est d'être solidaire des jeunes Autochtones francophones.

[Traduction]

Mme Podemski: Absolument.

Mme Milliken: Je suis d'accord.

Le sénateur Sibbeston: Vous êtes une source d'inspiration. Je vais me montrer un peu provocateur et contestataire, puisque vous êtes dans cet état d'esprit de toute façon et que vous avez dû l'être pour réussir.

Je dirais que ce que vous faites est novateur. Je me demande si c'est parce que vous êtes si uniques que le système vous aide, soit l'industrie et le gouvernement. Vous avez parlé de l'appui que vous avez reçu du gouvernement. Cependant, il arrive que des personnes ou des projets atteignent une telle valeur qu'ils reçoivent un appui constant de la société pour leur côté novateur ou pour leur émission. Peut-être est-ce votre cas en tant qu'Autochtones de Toronto et de l'industrie. Autrement, le système est fermé et le sort des Autochtones consiste à lutter pour gagner leur vie, à émigrer vers les centres urbains, mais ils ne réussissent pas bien. Il existe un fossé énorme entre la société autochtone et la société canadienne en général. Vous êtes uniques, novatrices, mais ce que vous avez accompli n'est pas possible pour d'autres Autochtones.

Mme Milliken: Vous faites bien de vous montrer provocateur. C'est important de le mentionner. D'autres diraient probablement la même chose que vous. Nous n'avons pas été appuyées. Les trois dernières années et demie ont été des plus difficiles pour nous deux. J'ai quitté un très bon emploi pour ce faire. Je me suis retrouvée au beau milieu d'une affaire extrêmement risquée. Pour chaque sou reçu, nous devions rencontrer des gens cent fois, présenter un dossier très professionnel et prouver que notre projet aurait un impact.

Les gens ont pris des risques en misant sur nous au début. Lorsque nous avons atteint un certain point, ils nous ont dit de voler de nos propres ailes, ils nous ont laissées libres. Par conséquent, nous ne sommes devenues dépendantes de personne. Nous avons nos clients. Nous formons une société à but lucratif. Nous n'avons pas fait d'argent dans les trois premières années. On nous a appuyées plus moralement que financièrement. Nous avons pris beaucoup d'autres contrats. Ce sont les projets de nos rêves que vous venez de voir. Nous avons fait toutes ces autres tâches «de service», dont des vidéos de quinze minutes, pour pouvoir réaliser l'important projet que nous voulions entreprendre.

Je pense que c'est possible. Tout est possible quand on le veut. C'est ce nous essayons toujours de dire aux jeunes avec qui nous travaillons. Nous leur disons: «Vous pouvez le faire. Procurez-vous une caméra. Procurez-vous un ordinateur Macintosh.» Je sais qu'ils ont accès à des ressources dans leurs propres collectivités. Il y a des jeunes qui ont réussi à obtenir du financement pour acheter un ordinateur G4 de Macintosh, une caméra et un système Final Cut Pro. C'est ce qu'il leur faut pour faire un film.

Un jeune homme travaille actuellement avec nous comme stagiaire. Il a 18 ans et vient de Kahnawake. Il a déjà réalisé quatre de ses propres films. Je pense qu'il est possible pour tout le monde de faire ce qu'il veut. C'est plus difficile pour les jeunes des réserves qui n'ont jamais participé à l'industrie, parce qu'ils ne comprennent pas. Ils ne comprennent ce dans quoi ils s'embarquent. C'est intimidant et effrayant. Il est effrayant de commencer n'importe quel emploi lorsqu'on vient de là. C'est plus facile lorsque de bons mécanismes d'aide existent.

Nous pouvons les aider, mais nous ne leur disons pas: «Venez à nous et nous allons vous faire participer à ceci ou nous allons faire cela pour vous.» Nous ne sommes pas là pour faire les choses à leur place. Nous exploitons une société de production et trouvons des entreprises pour nous aider.

Par conséquent, nous pouvons faire un pas de plus en tant qu'Autochtones et affirmer que nous avons un certain degré de responsabilité à assumer pour transmettre ce message aux collectivités et pour les inciter à prendre part à l'industrie et aux affaires. Nous voulons leur apporter autre chose que du cinéma, dont la réussite commerciale, la réalisation de soi, l'estime de soi, l'éducation personnelle et la prise en main de sa propre vie. Comment pouvons-nous le faire?

Nous devons distinguer la défense d'intérêts sociaux de l'exploitation de notre entreprise, parce que notre priorité numéro un consiste à poursuivre notre entreprise. RepREZentin' a été notre façon de dire qu'il est possible d'unir les deux mondes. De bien des façons, on ne nous a pas appuyées.

Ce qui est plutôt triste, c'est que j'ai souvent entendu des remarques telles que «Vous ne pouvez pas réussir» ou «Vous ne pouvez pas réaliser ce projet». Le plus souvent, ces remarques sortaient de la bouche des membres de notre propre peuple plutôt que des autres. Le manque d'appui de nos propres collectivités va restreindre nos jeunes. Cela doit changer.

Le sénateur Sibbeston: Dans le secteur où vous évoluez, la télévision et la production, les Autochtones sont-ils près de produire quelque chose comme Le mariage de l'année?

Mme Podemski: C'est tellement possible.

Le sénateur Sibbeston: Ce film a connu beaucoup de succès. Il nous a donné un aperçu de la société et de la culture grecques. J'ai toujours cru que les Autochtones avaient le même genre d'histoires et d'expériences savoureuses et intéressantes à montrer à la société canadienne. Quelqu'un doit produire quelque chose. Est-ce possible? Êtes-vous près de le faire? Prévoyez-vous une production de ce genre dans l'avenir? Un tel produit pourrait-il connaître du succès?

Mme Podemski: Bien sûr que c'est possible. Les initiatives de ce genre doivent toutefois être financées par l'industrie. Au Canada, il est très difficile de réaliser un film sans l'aide du gouvernement, de Téléfilm. Il faut changer la perception qu'a la société des Autochtones, de la vie autochtone. Toutefois, les ressources disponibles sont très limitées.

On peut s'adresser à n'importe quel réseau, n'importe quand, et dire: «J'aimerais réaliser une série». Nous avons déjà parlé de l'émission REZ. C'est difficile, mais possible. Il faut toutefois être prêt à consacrer dix années de son existence à ce projet pour qu'il devienne réalité.

Il y a de nombreuses personnes qui, à bien des égards, nous considèrent comme une nouveauté. Toutefois, il est très, très difficile de travailler dans les coulisses. On a envi d'abandonner tous les jours en raison du manque de soutien, des gens qui vous laissent tomber, des promesses en l'air. Il est difficile de se motiver. On a tendance à croire que c'est plus facile pour ceux qui vivent en milieu urbain et qui ont des contacts dans certains milieux, sauf que ce n'est pas le cas.

Ce que nous essayons de dire avec cette émission, c'est ceci: «Regardez ces 91 personnes qui viennent de toutes les régions du Canada. Ce sont tous des jeunes qui ont tourné dans The REZ, des jeunes qui viennent de l'est, de l'ouest, du nord, du sud et qui ont su s'assumer.» Ces 91 jeunes servent de modèles.

Il n'est pas nécessaire de tourner un film. Toutefois, nous devons commencer à nous assumer en tant qu'Autochtones et cesser de dire qu'un tel projet n'est pas réalisable. Je suis passée par là. J'étais prête à tout laisser tomber quand j'ai constaté qu'il n'y avait rien à la télé pour moi. Je me suis dis qu'il n'y a aucune émission qui reflète mes valeurs. J'abandonne. Je ne veux plus faire cela.

Or, il faudra beaucoup de temps avant que les choses changent. Ce qu'il faut se dire, c'est: «Vous savez, si je dois investir dans quelque chose, je veux que ce soit dans mon avenir. Je vais étudier pendant dix ou quinze ans, obtenir un diplôme, faire quelque chose de ma vie. Je vais mettre sur pied un groupe de jeunes, un groupe d'aide, un mouvement de jeunesse.»

Ce que nous voulons faire, au bout du compte, c'est rassembler les gens et dire: «Mobilisons-nous, unissons nos efforts.» Nous ne voulons pas être le centre d'attention. Nous voulons essayer de rassembler et de mobiliser les gens. Créons un mouvement de jeunesse. Rassemblons-nous, organisons une marche et changeons la façon dont le monde nous perçoit. Assumons-nous.

Nos outils de travail sont les films et les émissions télévisées. Pour d'autres, ces outils sont la culture, la médecine, les organismes de base. Il faut réunir les gens, leur dire: «Les ressources sont là. Nous sommes prêts à les distribuer.»

Ce qu'il y a d'incroyable, c'est que les scénaristes du film Le mariage de l'année, ne savent pas qu'il y a 3 000 concours qui sont lancés en vue de trouver le meilleur scénario, qu'un scénariste peut obtenir 30 000 $ US si son texte est retenu, et que soudainement, il peut réaliser un film. Il faut que ces ressources deviennent accessibles. La situation est très frustrante, parce que l'industrie elle-même ne fait pas assez à cet égard.

Le sénateur Léger: Je ne sais par où commencer. J'ai bien aimé vous entendre dire, au début, que les arts vous ont sauvée. On a dit la même chose de bien d'autres domaines. Si seulement on pouvait comprendre l'importance que revêtent les arts en général.

Toutefois, nous savons tous que l'art n'est pas un produit. On ne peut pas le vendre, le toucher, en augmenter ou en réduire le prix. L'art n'est pas un produit vendable. Voilà pourquoi ce secteur dispose de si peu d'argent. Les subventions gouvernementales ne constituent qu'un premier pas.

Vous avez parlé des capsules d'info-ressources d'une minute. Serait-il possible, à votre avis, de diffuser celles-ci à l'échelle nationale, sur les réseaux anglais et français de la SRC? Si je dis cela, c'est parce que je viens des Maritimes, et vous pensez peut-être que tous les gens vont les voir — sauf que je sais qu'ils vont probablement regarder d'abord les chaînes américaines.

Est-il possible de nous dire, en une minute, qui vous êtes? Vous vous adressez à nous pour que nous puissions comprendre. Il arrive parfois que nous refusions de comprendre, et nous en sommes conscients. Toutefois, vous vous adresseriez régulièrement à la nation, comme vous le faites en ce moment devant ce comité sénatorial. Des minutes? Je ne sais pas. Il y a 365 jours dans une année.

Le sénateur Léger: Nous, les non-Autochtones, avons besoin de savoir, même si je sais que, parfois, nous ne voulons pas savoir. L'idée commence à faire son chemin. Est-ce que les grands réseaux écouteraient? Non? Est-ce qu'ils accepteraient l'idée?

Mme Podemski: C'est difficile à dire. Il est difficile d'établir un premier contact.

Mme Milliken: Le problème tient en partie au fait que, lorsque nous sommes arrivées dans cette industrie, nous manquions non seulement d'expérience, mais nous étions également des jeunes femmes autochtones. Nous avions trois obstacles à franchir.

La première chose que nous avons entendue est la suivante: «Pourquoi ne réalisez-vous pas l'émission en coproduction avec quelqu'un qui a plus d'expérience?» C'était toujours un non-Autochtone qui nous disait cela. Ils ont proposé que l'on confie le projet à quelqu'un qui a plus d'expérience, c'est-à-dire un non-Autochtone. On partagerait les bénéfices à la fin.

Nous avons dit: «Non. Nous voulons réaliser ce projet nous-mêmes. Nous allons tout faire pour assurer l'intégrité, la pureté de l'émission que nous allons diffuser à la télévision.»

Nous sommes toujours confrontées au même problème quand nous faisons affaire avec les grands réseaux, et ce, même si nous avons réalisé des séries dramatiques, ou encore 39 épisodes d'une émission d'information.

Juste le fait d'établir un premier contact constitue un problème. Passer à l'antenne en est un autre.

Le sénateur Léger: Que peut faire le gouvernement pour vous aider à obtenir quelques minutes de temps d'antenne? Que pouvons-nous faire? Vous travaillez dans le milieu.

Je comprends très bien ce que vous dites quand vous parlez des stéréotypes. Mais c'est plus que cela. Ils ont peur. Il faut investir de l'argent. Je sais que c'est une entreprise, une industrie. Que peut faire le gouvernement? On ne peut pas leur forcer la main. Nous vivons dans un pays démocratique. Que pouvons-nous faire pour vous aider? Vous avez dit que les listes et les subventions vous avaient été utiles. On ne cherche pas à vous marginaliser, loin de là. On commence peut-être à éprouver un peu de jalousie. Est-ce là le problème? Je ne le sais pas. J'aimerais que tout le monde puisse bénéficier de ce que je suis en train d'apprendre.

Mme Podemski: Il y a de nombreuses options qui s'offrent à nous. Il est question ici de diffuser de l'information sur un grand réseau comme la SRC, ou même la chaîne radiophonique de la SRC. Ce ne sont pas les idées qui manquent. On peut diffuser, tous les jours, des messages d'une minute avec des Autochtones venant de différentes régions qui vont relater un fait propre aux Autochtones que le grand public ne connaît pas. C'est une excellente idée. À qui doit-on s'adresser? Il faut quelqu'un qui soit prêt à y consacrer tout son temps, à développer l'idée, à rencontrer les responsables de la chaîne radiophonique de la SRC et à leur dire: «C'est très important. Je vais trouver l'argent pour diffuser ces deux minutes tous les jours à la radio. Nous demanderons à des Autochtones de collectivités différentes de relater tous les jours un fait différent.» Nous devons renseigner le public.

Le sénateur Léger: C'est ce que j'aimerais qu'on fasse à l'échelle nationale.

Mme Podemski: Nous allons mettre cette proposition sur papier. À qui devons-nous l'envoyer?

Le sénateur Léger: En anglais et en français, naturellement.

J'aimerais revenir à ce qu'a dit le sénateur Gill. Même si l'émission n'est pas diffusée en français, les Autochtones font quelque chose de concret au théâtre.

Mme Podemski: Le théâtre est un outil puissant.

Le sénateur Léger: Peut-être pas à la télévision. Il y a trois ou quatre chaînes, mais j'aime l'idée qu'on puisse diffuser des émissions à l'échelle nationale.

Mme Podemski: J'ajouterais que même APTN, qui diffuse une de nos émissions, a demandé qu'on ne produise rien en français, car il y a des réalisateurs de langue française qui devraient pouvoir le faire et qui ont le droit de le faire. Nous ne voulons pas les priver de cette tâche. Ce n'est pas à nous de le faire. En fait, nous devrions plutôt leur confier le travail.

Le sénateur Léger: Je suis certaine qu'à un moment donné, les idées vont manquer. Ce qui se fait en français sera diffusé en anglais, et vice versa. C'est inévitable.

Que pouvons-nous faire pour vous aider? Je sais que c'est une industrie, que l'argent pose problème. Qu'on nous donne des fonds. Voilà ce que je dirais.

Le sénateur Tkachuk: Je tiens à vous féliciter pour votre esprit d'entreprise et je vous encourage à poursuivre vos efforts. Dans 10 ans, quand vous serez bien connues à l'échelle internationale, les gens vont dire que vous avez de la chance. Toutefois, ils vont oublier tout le travail qu'il faut accomplir pour obtenir du succès.

Je suis étonné de voir à quel point une chose si simple peut devenir si extraordinaire. Le fait qu'un groupe de jeunes travaillent, participent à un projet, communiquent entre eux — ce sont des choses simples. Votre émission m'a montré à quel point les choses simples peuvent être extraordinaires — le fait d'être connu dans votre collectivité, qu'on soit réalisateur, à Hollywood ou ailleurs, médecin, avocat, plombier ou électricien.

Vous êtes manifestement brillantes, mais vous n'êtes pas les seules à l'être. Il y a de nombreuses personnes qui sont très brillantes. Vous avez manifestement du talent, mais vous n'êtes pas les seules à en avoir. Vous avez plus de succès que d'autres, et vous êtes peut-être également plus scolarisées. Vous avez fait des études, et vous avez réussi à vous bâtir une vie où vous connaîtrez beaucoup de succès. Pourquoi vous et pas d'autres?

Mme Milliken: Il y a de nombreuses façons de répondre à cette question. Nous en parlons en fait tout le temps, parce qu'il ne manque pas de talent ou de personnes qui sont dynamiques et déterminées.

L'environnement y est pour beaucoup; le milieu d'où vous êtes issu, le genre d'aide dont vous bénéficiez. Même si mon père est alcoolique et qu'il a de très mauvaises habitudes de travail, j'ai la chance d'avoir une mère qui a réussi à subvenir aux besoins de sa famille en cumulant trois emplois. Elle m'a inculqué une solide éthique du travail. Elle m'a fait travailler très fort.

J'ai commencé à travailler à 13 ans. Je gagnais 3,15 $ l'heure, et je préparais des cornets de crème glacée chez Baskin Robins. En moins d'un an, je suis devenue gérante de l'endroit. Voilà le genre de personne que j'étais. Ma famille n'avait pas d'argent, et si je voulais des jeans, je devais travailler pour pouvoir me les payer. Ma mère travaillait très fort et je savais que je voudrais être en mesure, plus tard, de subvenir aux besoins de mes enfants. Il y avait beaucoup de choses qui me motivaient.

Il y a beaucoup personnes qui n'ont pas autant de chance, qui viennent d'un milieu où, malheureusement, les parents ni ne travaillent, ni ne subviennent aux besoins de leurs enfants. Parfois, ils sont confrontés à d'autres difficultés ou problèmes. Ils n'arrivent pas à se concentrer. Il se peut qu'ils soient tout simplement incapables de se concentrer à l'école, et les gens pensent qu'ils sont idiots. J'ai travaillé, au cours de la dernière année, avec un très grand nombre de dyslexiques. Je ne pensais pas qu'il y en avait autant. Je parie que bon nombre des enfants que je fréquentais à l'école étaient incompris parce qu'ils étaient dyslexiques. Le problème est peut-être aussi simple que cela, ou il se peut aussi qu'ils ne mangent pas bien avant d'aller à l'école, qu'ils consomment trop de sucre, qu'ils souffrent d'hypoglycémie ou de dépression et que personne ne s'en rende compte. Il se peut qu'ils soient incapables d'aller à l'école parce qu'ils sont trop déprimés. Le problème en est peut-être un de malnutrition.

Quand on parle de succès, de réalisations, on parle de choses aussi simples que cela. Est-ce que vous vous nourrissez bien? Nous ne servons pas de sucreries aux jeunes sur le plateau. Nous ne leur permettons pas de consommer des boissons gazeuses, du chocolat ou des biscuits.

Mme Podemski: Nous sommes pour la plupart diabétiques, et nous ne le savons même pas.

Mme Milliken: Oui, et l'hypoglycémie est liée à la dépression. Combien de personnes ont fait cette constatation, ont pris la peine de se rendre dans les collectivités où un si grand nombre d'enfants se donnent la mort, ont dit: «Il y aurait peut-être lieu de voir combien de sucre vous consommez. Que mangez-vous? Qu'est-ce qui se passe?» Ce pourrait être quelque chose d'aussi simple que cela.

Ma mère a toujours fait en sorte qu'on se nourrisse bien.

J'aurais pu connaître un sort bien différent. Il y a de nombreuses choses qui m'ont sauvée, et de nombreuses personnes qui m'ont inspirée. L'influence des gens qui nous entourent est importante. Le simple fait de voir une image positive du peuple auquel on appartient est important. J'ai grandi dans un milieu où il n'y avait pas de problèmes, ou du moins, pas tellement.

Mme Podemski: Ce qui me motive depuis toujours, c'est de pouvoir montrer aux autres que l'idée qu'ils ont de moi est fausse. C'est ce qui arrive quand, en grandissant, on entend des commentaires du genre: «Ta mère est une alcoolique, sale Indienne.»

Je ne mens pas quand je dis que le monde des arts me sert de soutien. Les enseignants ont vu quelque chose en moi. Ils m'ont obligée à faire du théâtre, à faire partie de la chorale, à faire de la danse dès ma première année. Il est important d'avoir des enseignants, un système d'éducation, qui reconnaît ce genre de choses et qui vous encourage. Certains d'entre eux m'ont beaucoup encouragée. J'ai eu de la chance.

Je viens d'une famille pauvre. J'ai commencé à travailler à 11 ou 12 ans pour mon grand-père, qui tenait un magasin. J'ai aussi travaillé comme bénévole dans les hôpitaux. J'avais une bonne éthique du travail parce que je ne voulais pas mourir, ou je ne voulais pas que mon esprit meure. Il est resté mort pendant longtemps. Il a repris vie quand j'ai vu Michelle St. John remporter un prix Gémeaux pour Where the Spirit Lives. Elle était la première Autochtone à remporter un tel prix. J'ai pleuré pendant de très nombreuses nuits, car je voulais être comme elle. Des années plus tard, j'ai tourné un film avec elle. C'était un rêve qui devenait réalité. J'avais tellement prié pour cela. J'avais tout fait pour en arriver là. J'avais suivi tellement de cours de danse que je n'avais plus de vie sociale. Je suivais des cours de danse, de chant, de théâtre. En classe, j'étais toujours la dernière à payer parce que mon père n'avait pas d'argent. On finissait par troquer quelque chose pour que je puisse continuer de suivre des cours de danse. Je voulais travailler fort, gagner de l'argent pour m'acheter de beaux vêtements, détruire l'image que certaines personnes avaient de moi. Mon inspiration venait de choses négatives.

Franchement, je suis gênée de dire que je n'ai pas fait d'études universitaires. Je me suis rendue jusqu'à la 13e année. Après, j'ai commencé à travailler comme actrice. Je ne suis pas allée à l'université parce que j'avais beaucoup de travail et que j'avais de la difficulté à faire la part des choses. Si c'était à refaire, je poursuivrais mes études et je me lancerais peut-être en politique ou quelque chose du genre.

Le sénateur Tkachuk: Il n'est pas nécessaire de faire des études pour se lancer en politique.

Mme Podemski: Notre motivation vient de diverses sources, mais c'est ce qui, au bout du compte, m'a inspirée. Je dois dire que le fait de voir Michelle obtenir le prix Gémeaux a changé ma vie, a changé la façon dont je voyais l'avenir. Avant cela, c'était des gens comme Madonna et Janet Jackson qui m'inspiraient. Ce sont les modèles de comportement qui vous sauvent la vie.

Le sénateur Tkachuk: On est porté à croire que ceux qui réussissent le mieux dans la vie sont ceux qui, à l'origine, avaient une faible estime de soi et qui ont voulu surmonter ce que les autres pensaient d'eux. C'est ce qu'on entend souvent dire en Amérique du Nord.

Il est curieux que certains vous prennent pour des Asiatiques. On me prend toujours pour un Asiatique et ma fille se fait constamment demander sa carte d'Autochtone. Comme je viens de l'Europe de l'Est, je dirais que je suis votre «petit cousin» puisque les Asiatiques ont envahi la plupart des pays de l'Europe de l'Est et que certains affirment qu'ils ont même été les premiers à coloniser l'Amérique du Nord. Nous sommes peut-être tous cousins.

Mme Podemski: Selon moi, nous sommes tous parents puisque nous sommes des êtres humains.

Le sénateur Tkachuk: Ce que vous voulez raconter dans vos séquences filmées est, selon moi, très intéressant. Bon nombre de nos problèmes raciaux découlent du fait que nous avons tous une vision romantique de notre propre histoire. Je dirais que les Autochtones canadiens sont souvent considérés comme étant des nomades, alors que c'était le cas des Autochtones des plaines seulement. Les peuples autochtones qui vivaient ici lorsque l'homme blanc est arrivé étaient des fermiers. Ils étaient agriculteurs; ils étaient pêcheurs sur les deux côtes du pays; ils étaient nomades dans les Prairies; ils étaient guerriers et étaient organisés au plan militaire; ils étaient bien sûr aussi hommes d'affaires puisqu'ils faisaient du commerce entre eux; ils étaient évidemment entrepreneurs. Le peuple Cri n'est pas natif des Prairies; il vient de l'Ontario et du Québec. Lorsque les Cris se sont procuré des fusils, ils ont tué les Indiens qui vivaient dans les Prairies et les ont repoussés jusqu'aux montagnes Rocheuses.

J'essaie de faire ressortir les similarités plutôt que les différences. Il est bon de voir que vos émissions offrent des images positives. Comme c'est le cas pour la plupart des minorités visibles, la télévision présente souvent ce qui ne relève pas de la normale, comme en témoignent les nouvelles télévisées. On nous présente un artiste noir qui connaît le succès, des accros du crack, mais on ne parle pas de la grande majorité des Noirs américains qui mènent une vie ordinaire comme nous tous. L'image est donc faussée.

Je vous félicite et j'espère que vous continuerez à vous raconter de cette manière.

Mme Podemski: J'aimerais ajouter quelque chose à propos des similarités que l'on retrouve précisément dans The Seventh Generation, puisqu'on y présente des archéologues, des scientifiques, des médecins et des avocats. Nous ne faisons pas les choses différemment et il n'y a rien de nouveau sous le soleil; en effet, nous avons des scientifiques et des médecins depuis 600 ans; nous avons toujours eu des guérisseurs. Il ne s'agit pas d'idées ni de concepts nouveaux, même si les méthodes peuvent être différentes, sans être si éloignées des vôtres. Dans l'émission, on présente des psychiatres, mais ils existaient déjà il y a 600 ans. Ce n'est pas tiré par les cheveux.

Mme Milliken: Dans RepREZentin' in Regina, que nous appelons maintenant Moccasin Flats, parce que c'est le nom du ghetto autochtone du centre-nord de Regina, nous offrons aussi des images positives. Toutefois, nous montrons ce qu'est réellement la vie des jeunes. On leur demande de quoi ils veulent parler. Ce qui ressort de nos conversations avec les jeunes de Regina et je cite: «l y a ici des gens qui se font poignarder.»

Les gangs de rue et la violence sont bien réels, sans compter les assassinats. Il faut constamment tout fermer à clé et les prostituées font le trottoir 24 heures sur 24, 7 jours par semaine. Dans ce film, on peut voir une prostituée amener son enfant alors qu'elle va travailler. Des jeunes sont tués pour de la drogue, c'est leur réalité. Je ne sais pas combien de Canadiens savent qu'il existe un ghetto autochtone à Regina.

Le sénateur Tkachuk: Il y en a aussi à Saskatoon et à Prince Albert. C'est atroce.

Mme Milliken: Peu de gens sont au courant de la violence qui explose dans certains coins de nos plaines balayées par les vents. Je ne suis pas originaire de cet endroit et c'est sans doute pour cela que je m'en suis sortie et que j'ai pu survivre. Je ne sais pas ce que je serais devenue dans un tel environnement. Il faut savoir s'adapter, être très fort et avoir réseau familial solide et beaucoup de soutien. Heureusement, de nombreuses structures d'entraide sont mises en place et beaucoup de gens s'efforcent de régler les problèmes qui se posent dans les centres urbains.

C'était très troublant et nous avons eu l'impression d'être dépassées par les événements. Nous n'allions pas extraire la jeune fille de 13 ans de la rue. Je ne peux pas le faire ni non plus la convaincre à participer à RepREZentin' et à venir travailler avec nous pendant 10 jours. Il y a des gens qui font ce type de travail, nous le savons.

Les parents ne viennent pas nous rencontrer et trop peu s'intéressent à la participation de leurs enfants à ce projet dont pourtant je suis responsable pendant 10 jours. Veulent-ils me rencontrer? Bien sûr que oui, toutefois, peu le font. La participation des parents et des membres de la collectivité est insuffisante; par ailleurs, ceux qui, dans la collectivité autochtone s'occupent des finances, sont peu nombreux et réservent les emplois aux membres de leur famille et à leurs amis. Pardonnez-moi l'expression, mais c'est en quelque sorte incestueux.

À mon avis, la gestion des fonds destinés aux jeunes en particulier est douteuse, puisqu'ils ne sont consacrés ni aux jeunes ni aux initiatives qu'ils veulent mettre en place. Les jeunes doivent pouvoir se faire entendre et défendre leur point de vue.

Mme Podemski: Tout doit être axé sur les jeunes dont le message doit être reçu cinq sur cinq.

Mme Milliken: Certains jeunes ont des idées extrêmement novatrices, comme ceux du Redwire Magazine. En fin de semaine, j'en ai reçu plusieurs chez moi, des jeunes «clean» et sobres qui ont chanté et raconté des histoires sur le peuple Haida Gwaii et ses luttes acharnées. Aujourd'hui, ils chantent ensemble et c'est le genre d'émergence culturelle qui apparaît. Les jeunes sont fiers de leur patrimoine; c'est maintenant «cool» d'être autochtone. Des milliers de jeunes Canadiens lancent de grandes initiatives pour eux-mêmes et leurs pairs et ce sont eux que nous devons écouter et aider afin qu'ils puissent réaliser leurs projets.

Le sénateur Hubley: Merci, votre témoignage est très intéressant et c'est une grande joie que de vous rencontrer. J'aimerais que nous parlions un peu plus des arts, parce que vous avez toutes deux commencé votre exposé en soulignant leur importance; en outre, le sénateur Léger a aussi posé des questions à ce sujet.

Vous avez dit, me semble-t-il, que vous jouez de la flûte. Ce n'est pas nécessairement le genre d'activité auquel nous pensons lorsque nous parlons de culture autochtone. C'est une activité culturelle, c'est tout. Ce pourrait être de la danse, sans obligatoirement être de la danse autochtone. Ce pourrait être de la musique, sans obligatoirement être de la musique autochtone. Qu'en pensez-vous?

Mme Milliken: C'est une question importante. J'ai des amis très talentueux dans le domaine des arts; ils sont musiciens, acteurs et écrivains. Des programmes ont été créés pour les artistes, mais si le contenu n'est pas suffisamment autochtone, l'artiste n'obtient pas de fonds pour produire un disque compact, par exemple. C'est tragique. Lorsqu'on décide de créer un fonds pour les Autochtones, pourquoi définir ce que doit être l'art autochtone? Ce sont des artistes autochtones qui créent des oeuvres pour que nous en profitions, mais nous définissons des paramètres pour leur art et limitons leur accès à ces fonds.

Le sénateur Hubley: Nous leur imposons nos propres attentes.

Mme Podemski: À quoi cela sert-il? Veut-on limiter les musiciens autochtones à jouer du tambour sur une scène ou veut-on leur permettre de s'épanouir en tant qu'artistes autochtones?

Le sénateur Hubley: Dans le dernier cas, ils peuvent choisir leur propre mode d'expression, unique en son genre et c'est d'ailleurs ainsi qu'évoluent les cultures. Vous avez très bien expliqué que même s'il est formidable d'entendre des histoires autochtones, elles ne sont pas complètes si elles ne sont pas présentées d'un point de vue autochtone.

Je voudrais aussi aborder un autre sujet. Nous avons entendu les propos de Mme Jamie Gallant, qui, comme moi, vient de Kensington, sur l'Île-du-Prince-Édouard. J'apporte cette précision pour que vous sachiez qu'elle vient d'une petite localité. Elle-même et sa famille sont des Micmacs, les seuls de la localité. Nous étions en quelque sorte à l'abri dans cette collectivité puisque nous ne vivions pas les mêmes problèmes que ceux des Autochtones dans d'autres parties du pays. Nous en avons, mais à plus petite échelle. Mme Gallant est maintenant interne responsable de la jeunesse et de la main-d'oeuvre pour le Congrès des peuples autochtones, et elle nous a présenté un exposé dans lequel elle parle d'espoir. Après vous avoir écouté ce matin, je peux voir que vous avez beaucoup d'espoir. Vous avez de grandes attentes quant au travail que vous faites.

Croyez-vous que votre vie aurait été différente si vous n'aviez pas grandi dans une société urbaine? Auriez-vous eu la motivation et l'esprit d'initiative nécessaires pour surmonter les problèmes auxquels font face de nombreux jeunes? De toute évidence, vous réussissez bien. Nous aimerions savoir pourquoi, afin de faire des recommandations intelligentes sur ce qui nous paraît important pour les jeunes.

Mme Podemski: Nous en parlons souvent. J'aurais probablement eu la même motivation; j'en suis sûre, parce que j'ai déjà rencontré des jeunes qui sont comme moi, alors qu'ils sont originaires d'une localité située à 800 miles au nord de tout centre urbain. Les parents de ces jeunes ne sont pas présents — ce qui n'était pas mon cas — et ils ne bénéficient d'aucun réseau d'entraide. Ils sont tout de même très motivés, forment des groupes de jeunes, ne boivent pas et ne consomment pas de drogue. Ils sont déterminés. Ils organisent des cours de danse, se rendent à des conférences, rassemblent des fonds, regardent les nouvelles et se forment eux-mêmes: ils sont vraiment motivés.

Je sais que c'est possible. J'aurais peut-être fait des choix différents et j'ai d'ailleurs fait bien des mauvais choix dans ma vie. J'ai eu honte de ma famille qui m'a aussi fait honte. Je crois que ma situation aurait probablement été la même, mais je n'aurais peut-être pas eu accès aux cours de danse et aux cours d'art dramatique aussi facilement. À la réflexion, j'aurais probablement organisé ces cours s'ils n'avaient pas existé.

Le sénateur Hubley: Je suis aussi un professeur de danse et je conseille à tous mes élèves de ne jamais laisser tomber leurs cours.

Le sénateur Christensen: Comme vous le savez, le comité étudie les questions reliées aux jeunes des centres urbains, c'est-à-dire à ceux qui viennent des réserves et à ceux qui sont des citadins de première, deuxième et troisième générations et qui peuvent connaître des problèmes semblables à ceux que vous décrivez pour la Saskatchewan.

Comment donner une chance à ces jeunes? Comment pouvons-nous les appuyer pour qu'ils se prennent en main? Je ne crois pas que ce soit illusoire; en effet, des gens comme vous parviennent au sommet grâce à leur détermination et à leur volonté et on les retrouve dans toutes les sociétés. Vous allez réussir, personne n'en doute, mais vous êtes l'exception. Nous voulons essayer d'aider ceux qui sont entre les deux extrêmes pour qu'ils aient l'espoir et l'estime de soi dont ils ont besoin pour réussir. Il y a aussi ceux qui occupent les derniers rangs de la société et qui, pour diverses raisons, ne réussiront pas. C'est ainsi que fonctionne la société.

Madame Milliken, vous avez dit que votre groupe comptait des jeunes des Premières Nations. Où les trouvez-vous, ou peut-être que ce sont eux qui vous trouvent?

Mme Milliken: Souvent, ce sont eux qui nous trouvent, mais il existe un excellent organisme à Toronto, financé par DRHC, qui offre un programme de subvention des salaires nous permettant d'embaucher trois ou quatre stagiaires par année. Le programme couvre jusqu'à 75 p. 100 des coûts; il est avantageux pour nous, ainsi que pour les personnes que nous formons. C'est un excellent programme puisqu'il permet aussi de financer des projets communautaires tels que RepREZentin'. De tels programmes de financement sont formidables.

Habituellement, c'est par l'entremise de cet organisme que les jeunes entrent en contact avec nous et que nous les recrutons. De nombreux jeunes nous téléphonent des réserves et nous disent qu'ils veulent déménager à Toronto. Nous sommes connus grâce à notre site Web, à notre travail et aux voyages que nous effectuons. Nous faisons aussi savoir que nous recherchons des jeunes motivés et innovateurs.

Le sénateur Christensen: Quel genre d'appui recevez-vous des organismes autochtones nationaux et régionaux?

Mme Milliken: Aucun. Il est difficile d'obtenir de l'appui au sein de notre propre collectivité. Mme Podemski et moi avons constaté que ce manque d'appui nuisait à ce que nous tentions de faire. Pour survivre et connaître la réussite, les jeunes ont besoin d'un plus grand appui au sein de leur propre collectivité. Nous sommes allées au American Indian Film Festival, où des jeunes de trois réserves présentaient dix courts métrages auxquels ils avaient beaucoup travaillé. Croyez-vous que des adultes se sont déplacés pour voir leurs films? Nous y étions, ainsi que quelques vedettes de Atanarjuat, mais peu d'adultes, réalisateurs ou autres modèles de réussite sont venus visionner les courts métrages de ces jeunes. C'est ce que nous constatons sans cesse: le manque de soutien des parents et de la collectivité et le peu de confiance manifesté à l'égard des jeunes.

Nous avions une réunion à Regina pour étudier le scénario d'un film avec quatre garçons qui avaient déjà fait de la prison. L'un d'eux attendait son jugement et un autre venait de sortir de prison. Ce sont eux qui ont le plus travaillé pendant toute la période que nous avons passée à Regina. Ils étaient toujours là quand nous avions besoin d'eux, mais ils étaient aussi extrêmement troublés. Nous leur faisions confiance et nous parlions le même langage. C'est ce dont ils ont besoin, de gens qui les comprennent ou qui sont ouverts à eux et qui parlent le même langage. Toutefois, ces enfants doivent aussi faire un effort pour nous comprendre. C'est donnant, donnant. Il est important de communiquer avec eux dans un langage qu'ils peuvent comprendre.

Le président suppléant: J'aimerais vous poser une ou deux questions. Vous avez parlé du manque de soutien des collectivités. Selon vous, les centres d'amitié jouent-ils un rôle efficace en tant que lieux de rencontre pour les jeunes? Répondent-ils aux besoins culturels des jeunes?

Mme Podemski: Oui.

Mme Milliken: Les centres d'amitié sont des établissements très importants.

Mme Podemski: Le travail de ces centres doit être mieux reconnu. Les gens y travaillent fort, et les bénévoles qui assurent le bon fonctionnement des groupes de jeunes sont nombreux. Ces initiatives doivent être mieux financées au niveau local.

Le président suppléant: Ma deuxième question porte sur l'impact de la culture urbaine sur votre propre identité. Cette culture peut avoir renforcé certains aspects de votre identité. En d'autres termes, elle peut l'avoir submergée. Qu'en pensez-vous?

Mme Milliken: J'ai découvert que je ne savais pas ce que cela signifiait d'être Autochtone. Je n'ai pas eu d'ancien ou d'autre personne pour m'enseigner les coutumes de mon peuple. C'était difficile. Toutefois, j'avais tout le reste. Des gens m'ont enseigné comment être professionnelle, m'ont fait comprendre l'importance des études et m'ont fait prendre acte des ressources à ma disposition et de mon potentiel en tant qu'être humain, plutôt qu'en tant que simple Autochtone. Cela m'a échappé pendant une bonne partie de ma vie, et il faut beaucoup de temps pour comprendre de quoi il s'agit. C'est l'envers de la médaille - j'ai profité de tous les avantages offerts par une culture, mais je ne connaissais rien de l'autre.

Le président suppléant: Hier soir, j'ai eu le privilège de faire partie d'un groupe d'experts des questions autochtones à la réunion annuelle du programme Bon départ destiné aux membres des collectivités. Une Autochtone de l'île Manitoulin a fait des commentaires intéressants à propos des écoles résidentielles. Elle a dit que c'est en vivant pleinement sa vie qu'on obtient la meilleure revanche et qu'il ne fallait pas perdre son temps à remâcher les circonstances qui vous ont placés dans ces écoles. Selon elle, la meilleure façon d'oublier tout cela, c'est de faire ce que vous faites.

Je vous remercie.

Mme Milliken: Le projet RepREZentin' in Regina, qui est devenu la série Moccasin Flats, a été accepté au Sundance Film Festival. Nous emmènerons quelques jeunes des quartiers pauvres de Regina y assister. C'est un grand honneur pour nous.

La séance est levée.


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