Aller au contenu
APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 4 - Témoignages du 5 février 2003


OTTAWA, le mercredi 5 février 2003

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui à 18 h 15 pour examiner diverses questions touchant les jeunes Autochtones vivant en milieu urbain au Canada, et notamment l'accessibilité, l'éventail et la prestation des services, les problèmes liés aux politiques et aux compétences, l'emploi et l'éducation, l'accès aux débouchés économiques, la participation et l'autonomisation des jeunes, et d'autres questions connexes.

Le sénateur Thelma J. Chalifoux (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Je souhaite la bienvenue à tous nos témoins. La question que nous examinons ce soir est bien importante et touche l'ensemble de nos peuples dans tout le Canada. Ce comité s'intéresse beaucoup à la situation des peuples autochtones, notamment ceux qui vivent en milieu urbain. Nous souhaitons élaborer un plan d'action qui serait assorti de recommandations énergiques sur les mesures à prendre. Une fois que notre rapport sera terminé, nous espérons qu'il vous fournira les arguments nécessaires pour vous adresser au gouvernement afin de négocier du financement qui vous permettra de participer à la mosaïque canadienne en tant que partenaires de plein droit. Les peuples autochtones représentent au Canada l'une des races qui font le plus l'objet de discrimination. Plusieurs sondages l'on prouvé. Il convient par conséquent, dans ce nouveau contexte, de sensibiliser tous les segments de la société et de devenir leurs vrais partenaires.

Donc, je vous souhaite à tous la bienvenue au comité. Je suis sûre que vous avez fait un bon voyage et je vous souhaite un excellent séjour dans cette froide capitale du Canada. Monsieur Adams, voudriez-vous commencer?

M. Robert Adams, directeur général, Centre canadien des Autochtones de Toronto: Merci. Nous sommes ravis d'être là et je tiens à vous remercier de cette invitation au nom de tous les membres de la collectivité autochtone de Toronto. Je voudrais aussi vous rendre hommage pour votre excellent travail. Voilà un bon moment que vous recueillez l'opinion des Autochtones sur diverses questions. Hier nous étions au Bureau de l'APN, où nous avons rencontré Lynn Chabot et d'autres personnes qui se chargent de ce dossier, et ils nous ont dit qu'ils ont témoigné devant le comité en juin.

Pour ma part, je travaille au Centre canadien des Autochtones de Toronto, l'un des 117 centres d'amitié du Canada. Je suis accompagné de Ryan McMahon, qui est responsable d'un programme pour les jeunes. M. McMahon partagera avec moi le temps qui nous est imparti pour notre exposé. Nous sommes également accompagnés d'Arlen Dumas, un autre gestionnaire chargé d'exécuter des programmes à l'intention des jeunes de la ville de Toronto, qui va également prendre la parole.

Nous allons vous parler ce soir des principales questions qui touchent les jeunes: l'éducation dans diverses formes, en plus des modèles, des mesures de soutien et des méthodes. Nos efforts s'articulent principalement autour des mesures permettant de soutenir l'éducation ou, dans le cas des jeunes plus âgés, de la prestation de programmes et de services dans ce domaine.

Je suis sûr que vous êtes au courant des plus récentes publications de Statistique Canada confirmant que 50 p. 100 des Autochtones vivent dans les grandes et petites villes. La population autochtone de Toronto est gravement sous- représentée dans ces statistiques, et nous l'avons affirmé publiquement.

Nous tenons à souligner qu'il y a des dizaines de milliers de jeunes Autochtones dans la ville de Toronto, si bien que le Centre constitue à présent un refuge pour les Autochtones de tout âge. La moitié de la population autochtone de Toronto est âgée de moins de 24 ans. Ces dizaines de milliers de jeunes cherchent des programmes d'éducation, l'hébergement, des emplois, des conseils, des services juridiques, du soutien affectif et un endroit où ils pourront retrouver et nourrir leurs racines.

Nous allons aborder ce soir un thème qui vous est bien connu. Le fait est qu'il est préférable que ces services — l'éducation, les ressources humaines et la santé — soient assurés à la population autochtone citadine dans un environnement autochtone. Le Centre canadien des Autochtones de Toronto ainsi que d'autres centres d'amitié et organismes autochtones de tout le Canada ont connu énormément de succès dans ce domaine parce que nous comprenons bien la situation des jeunes Autochtones.

Quand les jeunes viennent nous voir, ils ne se sentent pas menacés. Permettez-moi de vous citer un exemple précis. Avec les adolescents et jeunes Autochtones dans la vingtaine, nous avons commencé à discuter des bandes qui sont actives dans la ville de Toronto. Nous n'avons pas les bandes qui existent à Winnipeg ou dans d'autres villes de l'Ouest, bien que la population de jeunes Autochtones soit très importante. Mais nous avons créé des cercles de discussion pour parler de cette question. Récemment, M. McMahon a organisé un cercle de discussion avec les représentants d'autres organismes autochtones, et des jeunes. L'une des participantes était une jeune femme dans la vingtaine. Je pense qu'elle a déjà un enfant de quatre ou cinq ans. Je me souviens de l'avoir vue lorsqu'elle était encore adolescente; elle est devenue mère de famille à l'âge de 18 ans. Elle raconte l'histoire classique d'une jeune adolescente qui allait à l'école secondaire et qui avait tout le mal du monde à obtenir des jetons pour l'autobus afin de venir au centre des Autochtones pour nos rencontres sociales. Mais elle a fait cet effort afin de se retrouver dans un milieu où elle ne ressentirait pas la pression de son entourage, et pour ne pas sentir que son entourage ne l'acceptait pas parce qu'elle n'avait pas de chaussures Nike ou un jean Parasuco. Elle avait déjà assez de mal à obtenir des jetons pour venir en autobus au centre des Autochtones et se retrouver avec d'autres adolescents. Bien qu'elle ait eu un bébé à un jeune âge, elle a pris beaucoup de maturité au point où elle se sent sûre d'elle-même — en partie parce qu'elle sait qu'elle a en le Centre canadien des Autochtones de Toronto un foyer et un lieu où elle pourra toujours obtenir le soutien qu'il lui faut grâce aux programmes et l'installation que nous pouvons lui offrir. Elle se sent à présent sécurisée et elle a trouvé sa voie. Lors de la réunion, elle a pris la parole. C'est un processus qui lui a pris bien des années, mais elle est encore jeune. Elle a toute sa vie devant elle. Nous soutenons les jeunes familles. Notre réceptionniste actuelle est aussi une jeune mère âgée de 21 ans. Elle vient souvent travailler avec son bébé et tout le monde l'aide et l'accepte. D'ailleurs, n'importe quel jour, il peut y avoir des bébés au centre qui accompagnent leurs parents.

Au Centre canadien des Autochtones de Toronto, nous avons comme objectif d'offrir à nos jeunes de bons programmes d'éducation et de soutien. Ce genre d'initiative donne de bons résultats lorsque de tels programmes s'appuient sur la culture autochtone. C'est ça la base; l'argent investi dans ces centres donne de bons résultats. J'aimerais maintenant vous présenter Ryan McMahon, qui dirige un programme grâce à une subvention de mobilisation pour la lutte contre la criminalité. La première année est terminée et nous allons bientôt entamer le programme d'activités de la deuxième année.

M. Ryan McMahon, coordonnateur des Services pour les jeunes, Centre canadien des Autochtones de Toronto: Merci. J'aimerais saisir cette occasion pour remercier tous les sénateurs de nous avoir invités à comparaître aujourd'hui et d'autres membres de nations autochtones qui sont ici à titre d'invités; peut-être pourrons-nous prendre un café ensemble tout à l'heure et nous présenter officiellement.

Comme M. Adams vient de vous le dire, je m'appelle Ryan McMahon et je suis Ojibwa de Fort Frances, en Ontario. Je suis membre du clan des Ours et ma réserve est la Première nation de Couchiching.

Je suis l'un des coordonnateurs de services au Centre canadien des Autochtones de Toronto. J'ai récemment coordonné le programme «Awareness Through Art» qui était financé par le Centre national de prévention du crime. En ce moment, je coordonne le programme de récréation sociale pour les jeunes parrainé par la Fondation Trillium au Centre canadien des Autochtones de Toronto.

Le programme «Awareness Through Art» s'adresse «aux jeunes en transition» — c'est-à-dire les jeunes qui souhaitent apporter des changements positifs à leur vie et qui cherchent des moyens d'y parvenir. Ce programme a recours au théâtre et à d'autres formes d'expression artistique pour aider les gens à s'ouvrir en prenant des risques positifs, en renforçant leur opinion d'eux-mêmes, en participant à des jeux de théâtre, en recevant l'aide de leur entourage, et en passant du temps avec les aînés et les guérisseurs traditionnels de nos communautés.

Ce programme vise à mobiliser les jeunes pour favoriser leur réintégration dans la communauté autochtone globale de Toronto. Le Centre canadien des Autochtones de Toronto n'a d'ailleurs jamais exécuté un programme aussi unique et dont le contenu culturel était plus pertinent. Il convient de financer davantage de programmes de ce genre. Il est possible d'encourager l'établissement de rapports et de renforcer ces rapports en donnant aux jeunes — la plupart pour la première fois — un vif sentiment d'appartenance à leur communauté et la possibilité de comprendre ce en quoi consiste leur rôle au sein de cette communauté, grâce à une approche de programmation holistique qui tient compte de leurs besoins psychologiques, physiques, spirituels et affectifs.

Nous avons présenté une demande de financement de deuxième palier en vertu du Programme de mobilisation des collectivités, et nous espérons donc être à même d'exécuter dans un proche avenir un autre programme jeunesse sérieuse qui nous permettra de perfectionner nos méthodes en tenant compte de nos succès et de nos échecs.

L'un des principaux objectifs du programme, à part la prévention du crime, est de rebâtir nos communautés. Dans le cadre du programme «Awareness Through Art», des jeunes travaillent à titre de bénévoles pour les Services du cercle de la vie autochtone, un programme pour personnes âgées offert au Centre canadien des Autochtones. Ils participent à des manifestations culturelles, telles que les pow-wows, les cabanes à suer et la danse du soleil. En étant exposés à des fêtes et célébrations traditionnelles auxquelles ils ne seraient pas exposés autrement, ils acquièrent une connaissance et une compréhension plus profondes de notre culture et de nos pratiques culturelles.

Souvent les cours d'art, de musique et de théâtre sont les premiers à être supprimés de nos programmes ou systèmes d'éducation, mais je suis là pour témoigner de l'impact très positif que de telles activités ont eu sur les membres de notre communauté. La participation à notre programme est très élevée. On nous fait souvent des compliments sur la vision qui anime le projet lui-même. Les gens nous disent souvent: «Le théâtre comme outil de prévention du crime?» d'un air interrogateur. Après une conversation avec moi, je constate que les gens ont toujours l'air perplexe. Il est vrai que j'ai tendance à trop parler dès lors qu'il est question de théâtre, car c'est mon premier amour et ma grande passion, mais le message que j'essaie de communiquer aux autres concerne la force de l'expression. Les jeunes ont besoin d'être entendus. C'est leur plus ardent désir. Et quel meilleur moyen que de leur permettre de s'exprimer par le théâtre, où il n'y a pas de mauvaises réponses, où tout le monde est sur un pied d'égalité au niveau de l'apprentissage, et où ensemble, nous nous rendons ridicules?

J'aimerais vous parler d'un de nos succès. L'histoire que je vais vous raconter concerne un jeune homme qui avait beaucoup de problèmes — il vendait de la drogue et avait tendance à être violent. C'est un homme très timide, parce qu'il bégaie, et il tire toujours son chapeau sur le front pour cacher ses yeux. Ce jeune a commencé à participer au programme de théâtre avec nous. Peu de temps après avoir commencé le cours, il a lâché. S'il a décidé de lâcher, c'est à cause de sa timidité. Il n'arrivait pas à se débarrasser d'un sentiment de honte à cause de son bégaiement, mais il a rencontré une personne du Centre canadien des Autochtones qui est devenu son mentor. Pour beaucoup de gens, le fait qu'il ait quitté le programme serait considéré comme un échec. Mais il n'en est rien. Ce jeune homme a commencé à passer plus de temps avec le mentor qu'il avait rencontré grâce à ses contacts avec les membres de notre communauté. Le programme Jeunesse, celui que je dirige, a organisé un pow-wow les 9 et 10 mars 2002. C'est un pow-wow qui lui a permis d'entrer en contact avec l'aigle. Il a reçu à cette occasion une queue décorative de plumes d'aigle. C'est quelque chose que portent les hommes pendant la danse traditionnelle. Recevoir une queue décorative, c'est un événement qui change le cours de la vie et qui suppose aussi certaines responsabilités. Et pour notre peuple, recevoir la plume d'aigle est également l'un des plus grands honneurs qu'on peut vous faire. Je peux donc vous affirmer que cela a changé la vie de cet homme. Il travaille maintenant comme bénévole pour notre programme culturel. Il pratique toujours la danse traditionnelle. Et à présent, ça ne le dérange plus de venir observer un atelier de théâtre en présence de gens avec qui il a fait connaissance dernièrement grâce aux pow-wows.

Voilà donc un tout petit exemple de la force de notre communauté et de notre culture. Cet homme marche à présent sur ce que nous appelons le «chemin rouge». Il marche en apportant avec lui tous les enseignements qui lui permettent de bien vivre au jour le jour, et la source de ces enseignements est notre riche communauté de Toronto. Pour moi, ceci constitue les fondements de notre culture.

Quand on examine les programmes pour les jeunes en cherchant à savoir ce qui marche bien, ce qui est offert par les agences classiques, ce qui peut s'appliquer dans un contexte classique et ce qui ne s'applique pas à nos communautés, il convient toujours d'insister sur la nécessité d'axer ces programmes sur un contexte culturel et les enseignements culturels que nous avons acquis au sein de nos communautés respectives, grâce à nos tantes et nos oncles. Des personnes que nous ne connaissons pas encore mais qui nous veulent de bien sont souvent celles qui vont nous permettre de changer notre vie.

Le programme «Awareness Through Art» présente des activités qui reflètent la culture des participants, favorisent l'autonomisation et permettent aux jeunes de se raconter à d'autres membres de la communauté. Son plus grand atout est peut-être d'ailleurs le fait qu'il a été créé à partir de rien par les membres de notre communauté. C'est un programme unique qu'il est possible d'exécuter dans la pratique. Le principal objectif des programmes pour les jeunes du Centre canadien des Autochtones de Toronto est de rebâtir la communauté des jeunes Autochtones citadins. Souvent nous nous sentons dépassés face au défi que constituent les prestations de programmes et services à nos jeunes qui vont vraiment avoir un impact. Moi qui suis jeune, j'ai réalisé que ce qui avait le plus changé ma vie était le sentiment d'appartenir à ma communauté et de bien comprendre mon rôle au sein de cette communauté. En tant qu'Autochtones, nous devons chercher à nous connaître nous-mêmes et communiquer clairement à nos confrères et consoeurs non autochtones en quoi consistent nos besoins culturels, pour être à même de bien desservir nos jeunes. J'espère justement avoir réussi à faire ça aujourd'hui. Je vous remercie de votre attention.

M. Arlen Dumas, directeur du Programme pour les jeunes, Centre canadien des Autochtones de Toronto: [M. Dumas a parlé dans sa langue autochtone]

Merci. Je désire exprimer ma reconnaissance envers les membres du comité pour l'occasion qui m'est donnée ce soir de vous adresser la parole. Je suis un Cri de la réserve Pukatawagan du nord du Manitoba. Je dirige un projet du Service jeunesse Canada.

C'est lorsque nous avons le courage de croire en notre propre potentiel qu'il devient possible de rêver, de planifier et de travailler pour réaliser nos projets. En l'absence d'un tel courage, le potentiel des gens reste inexploité et la vie des gens est gâchée. Bien que les jeunes possèdent un potentiel presque illimité, malheureusement, leur manque d'expérience peut parfois les amener à gaspiller le talent qui constitue leur plus grand atout. Lorsqu'une personne ne cherche pas à réaliser son potentiel, elle est forcément perdante, mais la perte est peut-être encore plus importante pour tous les autres. Pour chaque jeune qui n'a pas cherché à réaliser les objectifs fixés pendant l'enfance, il y a à présent un médecin, un pompier, un astronaute ou un dirigeant de moins.

En tant que responsable de programme dans le cadre d'un projet du Service jeunesse Canada financé par DRHC, mon rôle consiste à animer un programme d'acquisition de compétences et de perfectionnement en vue d'aider les jeunes Autochtones à risque à contourner des obstacles qui les empêchent de réaliser leurs rêves. Un de ces obstacles est le déplacement, étant donné que ces jeunes mènent leur vie dans un milieu urbain précaire où rien de ce qu'ils voient autour d'eux ne reflète leur culture. Cela finit par leur donner un sentiment d'impuissance qui les amène à ne plus croire en leur propre potentiel.

Au Centre canadien des Autochtones de Toronto, nous offrons aux participants un environnement unique qui est à la fois accueillant, familier et stable. Nous présentons des jeunes venant de toutes les régions du pays à d'autres jeunes qui rencontrent des difficultés semblables. Ensemble, ils s'encouragent à faire le nécessaire pour améliorer leur situation. Nous encourageons les jeunes à s'exprimer davantage, à trouver le courage à manifester leur désaccord, et à exercer leur esprit critique grâce au débat et à des exercices d'élocution. Voilà un élément parmi bien d'autres de notre cours de dynamique de la vie qui leur apprend à confronter quelqu'un en situation d'autorité sans être ni dociles, ni agressifs.

Nous invitons également des conférenciers qui ont réussi leur vie et viennent du même milieu, à la demande des participants. Notre programme est approprié du point de vue de son contenu culturel et présente une série d'enseignements axés sur l'expérience autochtone. Les participants peuvent également rencontrer des Aînés et d'autres dirigeants traditionnels chaque semaine. De plus, on encourage les jeunes à travailler comme bénévoles dans le cadre de diverses manifestations communautaires qui leur permettent de comprendre à quel point leur travail peut être utile aux autres.

Rappelez-vous qu'il est difficile d'être jeune. Après tout, vous devez vous dire qu'il n'y a pas si longtemps vous aviez le même âge. Il y a un jeune homme en particulier que j'ai eu le plaisir de rencontrer lorsqu'il a présenté une demande pour participer à mon programme jeunesse. Je lui ai demandé pourquoi il avait quitté l'école à l'âge de 14 ans. Avec ses propres mots, il m'a expliqué qu'il avait trouvé un emploi à temps partiel et qu'il gagnait de l'argent, en l'occurrence, 5,50 $ l'heure. Pour un jeune de 14 ans, c'est un salaire très intéressant. Malheureusement, quelques années plus tard, il devient presque impossible de trouver un emploi qui lui permettrait de gagner davantage.

Un autre membre de la communauté que j'ai eu le plaisir de rencontrer est une jeune mère qui a deux enfants. Même si elle trouve difficile d'élever deux enfants avec un revenu fixe limité, elle nourrit toujours le rêve d'élever ses enfants dans une maison qui lui appartiendrait.

Je suis convaincu que tant que ces personnes resteront déterminées, elles réussiront à atteindre leurs objectifs. Tant qu'il y aura des débouchés pour les jeunes, nous pourrons affirmer sans craindre de nous tromper que nous avons bien rempli notre rôle d'oncles, de tantes et de mentors. Ceux d'entre nous qui avons la possibilité d'influencer les jeunes Autochtones et de les inciter à être courageux et à valoriser leur potentiel pourrons nous dire avec satisfaction que ce faisant, nous réalisons, nous aussi, notre potentiel.

M. Adams: Notre centre des Autochtones connaît pas mal de succès, et nous sommes très heureux de faire partie du réseau des centres d'amitié du Canada, car l'Association nationale des centres d'amitié est la seule à représenter les Autochtones vivant en milieu urbain. À ce titre, nous tenons à offrir de bonnes mesures de soutien aux Autochtones citadins.

En ce qui concerne les détails pratiques, le programme de M. Dumas est financé par DRHC; il bénéficie d'un budget de 300 000 $ pour un an et compte 32 jeunes participants, et nous espérons que bon nombre d'entre eux obtiendront des emplois par la suite. Nous allons demander du financement pour la deuxième année du programme, de façon à pouvoir répéter l'expérience. Ainsi l'année deux du programme sera un modèle pour l'élaboration d'un projet pilote sur cinq ans nous permettant d'«institutionnaliser» ce programme de formation pour les jeunes, qui donne d'excellents résultats. Nous en avons la preuve. Ensuite nous chercherons à établir d'autres partenariats, peut-être avec les collèges communautaires locaux, pour que ce programme soit de grande qualité et mène à un certificat. Ensuite, après le projet pilote de cinq ans, nous pourrons en assumer la direction en permanence et l'exécuter année après année, étant donné le succès qu'on peut associer à ce modèle. Nous avons élaboré une stratégie pour ce programme qui est fort pratique.

Pour les enfants qui sont plus jeunes, nous présentons un programme anti-décrochage, et il y a d'ailleurs une petite anecdote intéressante à ce sujet dans la documentation. En prévision de l'avenir, le Centre canadien des Autochtones a mis sur pied la Fondation Miskaowjiwan, qui dispose dans un premier temps d'un budget d'environ 400 000 $. Nous avons d'excellents administrateurs. Nous venons d'organiser notre première activité de financement, dans le cadre de laquelle les gens de Bay Street ont rencontré les Autochtones qui vivent à Toronto. Environ 40 ou 50 banquiers et spécialistes des services d'investissement nous ont rencontrés dans un restaurant du centre-ville. C'était une excellente soirée, et surtout la première occasion pour nous tous de faire connaissance. L'idée, c'est de créer une sorte de fonds de dotation disposant de dizaines de millions de dollars — et c'est un objectif tout à fait réaliste pour les prochaines années — afin que nous ayons un revenu permanent que nous pourrions contrôler nous-mêmes sans avoir à nous adresser au gouvernement. Nous constituerions ce fonds de dotation grâce à l'aide des bienfaiteurs auxquels tous les autres s'adressent également. Nous aurions ainsi un flux de revenus permanent pour l'autonomie gouvernementale, et pour répondre à nos propres besoins en matière d'autonomisation et de réalisations culturelles. C'est une initiative toute indiquée pour assurer notre avenir.

Enfin mon dernier point par rapport à cet investissement dans les gens, c'est que nous savons fort bien que l'éducation est la grande priorité de tous les segments de la société canadienne en ce moment. Et ce genre d'investissement est extrêmement payant. Je sais que ma propre lutte pour obtenir une bonne éducation et être admis à l'université en tant que jeune adulte m'a vraiment ouvert les yeux. C'était absolument merveilleux et c'est grâce à cela que, 25 ans plus tard, je me retrouve devant vous aujourd'hui.

Mais nous renvoyons l'ascenseur. Nous avons d'ailleurs un excellent programme de visites dans les écoles qui est financé par la région de l'Ontario du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. Ce programme nous permet de détacher des hommes et des femmes au sein du système d'éducation du Conseil scolaire de Toronto pour dispenser des cours sur la culture et les valeurs autochtones. L'année dernière, les deux personnes qui font ça à plein temps, plus les danseurs et chanteurs engagés pour chaque manifestation, ont rendu visite à 35 000 enfants dans les diverses écoles. Cette année civile, le nombre d'enfants qui en bénéficieront atteindra 40 000 ou peut-être 50 000. Nous avons un modeste budget de moins de 100 000 $. Mais nous sommes tous des intervenants très engagés et passionnés.

D'ailleurs, nos téléphones sonnent sans arrêt en ce moment parce qu'il est prévu que le programme d'études pour les 3e, 6e et 9e années comporte une composante autochtone. Par conséquent, c'est nous qui dispensons ces cours et ça nous plaît beaucoup. L'éducation est absolument essentielle. Et c'est lorsque nous contrôlons l'éducation des membres de notre communauté que nous obtenons les meilleurs résultats.

M. Leonzo Barreno, directeur, Programme de développement des qualités de chef des jeunes Autochtones: Je suis du Collège fédéré des Autochtones de la Saskatchewan, soit le SIFC. Il fait partie du FSIM. D'ailleurs je vous remercie infiniment de l'occasion qui m'est donnée ce soir de comparaître devant les sénateurs membres du comité.

Je voudrais tout d'abord vous signaler la présence de notre Aînée, Beatrice Lavallée, de la Première nation de Piapot; c'est l'une des Aînés du collège. Nous sommes également accompagnés de M. Wes Stevenson, vice-président du Collège fédéré des Autochtones de la Saskatchewan.

Je suis honoré d'avoir été invité par le comité à comparaître ce soir. Je vous suis également très reconnaissant de m'avoir permis de vous adresser la parole en tant que représentant du collège et des communautés de Premières nations et métisses. Dans un premier temps, je voudrais vous parler en tant que représentant du collège des Premières nations.

Je vais demander à l'aînée Beatrice de vous dire quelques mots; elle sera suivie de M. Stevenson, et ensuite je vais faire notre exposé.

Mme Beatrice Lavallée, aînée, Collège fédéré des Autochtones de la Saskatchewan: Permettez-moi de vous saluer. Je suis aînée au collège depuis plusieurs années. Tous les jours je suis occupée. Être aînée au collège m'occupe beaucoup. Je vais dans les différentes salles de classe et les différentes écoles de la collectivité. La semaine dernière, par exemple, les stagiaires du Service de l'éducation autochtone venaient rencontrer les enseignants associés. C'est toujours très encourageant de faire la connaissance de ces personnes et de voir à quel point la vie des peuples autochtones change.

Je suis née en 1929. La situation a beaucoup évolué depuis l'époque où j'étais au pensionnat. Maintenant j'encourage les étudiants. Je leur dis: «Vous avez tellement de chance. Profitez de votre système d'éducation. Faites de votre mieux et persévérez.» Je trouve donc tellement encourageant de constater l'évolution positive de la situation.

Il a été question ce soir de jeunes à risque. Je travaille avec une autre dame au Gathering Place qui conseille un groupe de jeunes adolescents à risque. Je l'aide là-bas de temps en temps. Je n'y vais pas aussi souvent que je le voudrais étant donné mon travail au collège.

Mais j'ai observé certains changements positifs. Comme je viens de vous le dire, je suis souvent dans les salles de classe. Au trimestre dernier, j'étais présente pour les cours de langue crie 100 et 101, l'instructeur est vraiment excellent. Il enseigne le cri. J'ai constaté que plus de la moitié des participants n'étaient pas Autochtones, et j'en suis ravie. Quand je suis arrivée au collège, je disais souvent aux gens: «J'ai appris des choses concernant votre culture occidentale et je parle un peu d'anglais, mais que savez-vous à propos de ma culture?» Je me disais un jour qu'il va falloir que je cesse de dire ça. Vous êtes tout simplement trop nombreux. Mais cette idée me plaît énormément. Plus de la moitié des étudiants n'étaient pas Autochtones. Et l'instructeur me disait qu'ils sont bons. J'étais assise au milieu de la classe et les étudiants sont venus me serrer la main. Le premier m'a saluée en cri et donnait l'impression de parler le cri depuis toujours. On m'a dit aussi qu'ils sont bons parce qu'ils savent écrire dans la langue crie. Donc, il se passe des choses très intéressantes au collège.

Je m'y plais parce qu'on nous permet d'apprendre des choses nouvelles concernant notre propre culture et de recourir à nos pratiques traditionnelles. Par exemple, nous organisons une cérémonie du calumet un fois par mois. Nous organisons aussi des fêtes.

Je vais visiter différentes écoles avec les stagiaires pour expliquer aux enfants de la localité pourquoi ils font ce qu'ils font. Ce sont eux qui enseignent aux jeunes enfants. Je suis convaincue qu'à l'avenir, tout le monde se comprendra et que nos rapports seront axés sur une compassion et un respect mutuel.

Une fois que je commence, je ne m'arrête plus de parler.

M. Wes Stevenson, vice-président, Administration, Collège fédéré des Autochtones de la Saskatchewan: Madame la présidente et membres du comité, je suis membre de la bande indienne de Saulteaux et de la Première nation de Cowesses située à l'est de Regina à une centaine de milles. Sur nos 2 400 membres, 384 ou 385, selon les personnes qui se trouvent en ville, vivent dans la réserve, alors que les autres se trouvent dans des centres urbains.

J'ai obtenu mon diplôme d'études secondaires en 1970, et ma première expérience à l'Université de Regina, en tant que jeune étudiant timide était une rencontre avec un orienteur qui m'a dit que des gens comme moi ne réussissaient pas souvent à faire des études universitaires.

Le Collège fédéré des Autochtones de la Saskatchewan existe depuis 27 ans. Nous avons des locaux sur le campus de l'Université de Regina. Comme M. Barreno vous le dira dans quelques instants, nous avons un grand nombre de diplômés. Notre programme a connu un succès phénoménal.

M. Adams a beaucoup insisté sur l'importance de l'éducation. Et nous en sommes tout à fait convaincus. Trente- deux ans plus tard, toujours sur le campus de l'Université de Regina, j'ai l'honneur de faire partie d'une administration qui fêtera, le 21 juin de cette année, soit la Journée des Autochtones, l'inauguration officielle d'un bâtiment d'une trentaine de millions de dollars qui appartiendra aux Premières nations de la Saskatchewan et qui sera contrôlé par elles. L'architecte Douglas Cardinal a conçu ce bâtiment.

Je dois vous dire à quel point j'ai aimé vivre la transition entre mon premier jour à l'Université de Regina, où on m'a dit que je ne finirais pas mes études, et mon rôle au sein d'une administration qui travaille très fort depuis une dizaine d'années pour que cet établissement d'études postsecondaires très symbolique et très canadien puisse voir le jour.

C'est d'ailleurs l'éducation qui m'a sauvé. Et je considère qu'elle sauvera également la grande majorité des jeunes qui s'inscrivent au collège. Tous les étudiants connaissent certaines difficultés de transition au moment de quitter la maison pour aller au collège; ces difficultés sont d'autant plus graves pour ceux qui viennent de réserves et commencent à peine leur parcours.

En ce qui concerne les membres des Premières nations, il y a énormément d'aspects du système d'éducation postsecondaire au Canada qui ne marchent pas bien. Nous construisons ce nouvel établissement de 30 millions de dollars, mais nous aurons une hypothèque de 15 millions de dollars quand nous aurons fini en juin. Nous sommes victimes des lacunes de la politique dans ce domaine, puisque le gouvernement fédéral et les administrations provinciales continuent de se renvoyer la balle en ce qui concerne la responsabilité des études secondaires des Premières nations. Nous ne sommes pas censés exister. Nous recevrons une subvention de 6 millions de dollars chaque année du ministère des Affaires indiennes. On dit que c'est pour un «projet-pilote» ou un «projet de recherche», mais nous ne sommes jamais considérés comme un établissement en bonne et due forme. C'est d'ailleurs pour cela que nous venons vous parler aujourd'hui.

Depuis que nous sommes devenus le soixante-seizième membre de l'Association des universités et collèges du Canada, soit l'AUCC, nous continuons de subir les contrecoups d'un problème de sous-financement chronique. Nous ne recevons que les deux tiers de la somme que touchent d'autres universités et collèges du Canada au titre des frais de fonctionnement. Ne parlons même pas de financement des immobilisations, puisque nous ne recevons aucuns crédits à cette fin.

Voilà pourquoi je vous dis que certains problèmes doivent être corrigés. Si nous sommes vraiment convaincus que c'est l'éducation et encore de l'éducation qui garantira le succès futur de bon nombre des membres des Premières nations, des mesures énergiques et immédiates s'imposent.

M. Barreno: Maintenant nous allons aborder la question qui correspond au thème de la réunion et pour laquelle nous avons été invités à comparaître.

Il est vrai que bon nombre d'étudiants autochtones — c'est-à-dire à la fois les membres de Premières nations et des Métis dans la province de la Saskatchewan — réussissent à poursuivre leurs études au collège, mais la grande majorité d'entre eux n'y arrivent pas. Ils décrochent lorsqu'ils sont encore très jeunes. Ils ne poursuivent pas leurs études et finissent dans des emplois inférieurs ou sans travail du tout.

C'est pour cette raison qu'il y a quatre ans, j'ai pressenti des collègues au collège ainsi que des responsables fédéraux et provinciaux concernant la possibilité de créer un programme visant à rejoindre les jeunes qui ne sont pas au niveau universitaire. On voulait être en mesure de leur offrir un type de formation qui leur permettrait de parfaire leur éducation et de trouver ensuite des emplois valables. C'est pour cela que nous avons mis sur pied le Programme de développement des qualités de chef des jeunes Autochtones.

Je voudrais vous parler de ce que nous avons appris au sujet des jeunes — ce qu'ils aiment; les activités qui leur plaisent, et ainsi de suite. En nous fondant sur leurs évaluations, nous avons créé des programmes dont ils pourraient bénéficier. Par exemple, nous savons que les jeunes n'aiment pas entendre des commentaires négatifs, blessants ou racistes concernant les peuples autochtones. Et parce qu'ils sont jeunes, ils n'aiment pas qu'on leur fasse la morale tout le temps à propos de leur situation. Nous avons également découvert, par le biais de stages que nous avons organisés, qu'ils n'aiment pas qu'on se serve d'eux pour des raisons purement symboliques. Ils ne veulent pas être considérés comme des Autochtones de service pour les besoins de contingentement. Ils n'aiment pas non plus être «Indiens» dans ce contexte — à ce moment-là, c'est pour la forme. Ils préfèrent exploiter leurs talents, montrer ce qu'ils sont capables de faire et accroître leurs compétences.

Les jeunes n'aiment pas qu'on leur colle des étiquettes. Or nous faisons ça tout le temps: «les jeunes à risque», «les jeunes contrevenants», «les jeunes provenant de foyers d'accueil», «les bandes», et cetera. Ils trouvent blessant d'être catalogués de cette façon. Ils n'aiment pas être mal compris et ils n'aiment pas non plus lorsqu'on ne tient aucun compte de leurs problèmes. Ils nous disent également qu'ils ne représentent pas uniquement «l'avenir». Cette phrase a été répétée si souvent que c'est devenu un cliché. Maintenant les jeunes nous disent: «Nous représentons également le présent, et nous sommes là pour faire quelque chose.»

Les jeunes estiment qu'il suffit d'avoir un rêve pour être capable de le réaliser. Ils aiment apprendre à faire des choses qui leur permettent d'avoir une meilleure opinion d'eux-mêmes. Bon nombre de ceux qui ont quitté l'école l'ont fait parce qu'ils avaient le sentiment de ne pas être assez bons pour rester à l'école et pour réussir — comme M. Stevenson se l'ait fait dire autrefois.

Les jeunes préfèrent la formation de type pratique, qui les stimule intellectuellement mais comprend des activités physiques. Les jeunes aiment bouger. Ils aiment montrer qu'ils sont capables de relever les défis qu'on leur lance.

Il y a une leçon importante que nous avons tirée de nos activités et qui est maintenant à la base de tout ce que nous faisons au centre. Les jeunes Autochtones ont un besoin urgent de retrouver leurs racines traditionnelles. Nous connaissons déjà les effets du colonialisme et des pensionnats sur de nombreuses générations d'Autochtones. La nouvelle génération réclame à nouveau et de façon urgente le droit de pratiquer sa culture. Mais pour les jeunes Autochtones vivant en milieu urbain, il peut être très difficile de revenir aux traditions. Je suis donc content qu'il existe des programmes, comme ceux décrits par mes collègues, qui leur permettent de retrouver leur sentiment de fierté.

En ce qui nous concerne, nous gagnons à établir des partenariats. C'est ainsi que nous invitons nos aînés à parler à nos jeunes. Et à partir des relations ainsi établies, nous élaborons l'ensemble des programmes. Le savoir traditionnel doit être inclus. Les aînés font partie intégrante de la culture. À toutes les étapes de la programmation, c'est avantageux de faire participer les aînés et les jeunes, non seulement en tant que consommateurs ou utilisateurs, mais en tant que collaborateurs qui aident à planifier, à dispenser, à évaluer et même à supprimer les programmes, si l'on détermine qu'ils ne sont pas appropriés. La formation doit être holistique, pas seulement dans le sens traditionnel, mais dans le sens de la participation des familles, des membres de la communauté et de tout autre groupe privé ou public qui voudraient travailler avec nous.

Nous visons toujours l'autosuffisance. Nos programmes sont continuellement sous-financés. Ainsi nous trouvons de nouveaux moyens d'obtenir le financement requis pour nos programmes. Nous voulons montrer aux jeunes qu'ils peuvent aussi nous aider à trouver des sources de financement pour le programme lorsqu'on les fait participer.

Nous sommes fermement convaincus que la formation doit porter sur deux aspects clés. D'abord, nous souhaitons habiliter les jeunes pour qu'ils soient en mesure de réaliser leur potentiel et de se valoriser. Deuxièmement, nous mettons l'accès sur l'éducation et les emplois qui vont leur être bénéfiques.

Nous évaluons chaque programme et nous y apportons les améliorations qui s'imposent lorsqu'un programme ne répond pas aux besoins des jeunes ou n'a pas d'impact positif. Nous utilisons les ressources au maximum. Mes collègues m'expliquaient les moyens qu'ils ont pris pour rejoindre des milliers de personnes avec des fonds très limités. Nous faisons exactement la même chose. Et nous avons un vif sentiment de nos responsabilités. Nous documentons l'ensemble de nos activités et, bien entendu, nous tenons un dossier complet de toutes nos dépenses.

Notre programme est une réussite parce qu'il est bien connu du public. Nous sommes très visibles au sein de la collectivité. Nous évoluons, nous diversifions nos activités et nous continuons à croître. Le collège en est l'exemple parfait. Nos programmes s'adressent à tous les jeunes Autochtones, membres de Premières nations ou Métis. Au niveau de la promotion de nos programmes, nous essayons toujours de fournir des renseignements aussi complets et exacts que possible sur les conditions d'admission, pour que les demandeurs sachent à quoi s'attendre. Nous faisons preuve de professionnalisme tout en tenant compte de nos différences culturelles. Nous respectons tous ceux qui participent à nos programmes. Nous ne pratiquons aucune discrimination contre les jeunes qui auraient été condamnés pour des infractions mineures par le passé. Eux aussi méritent une deuxième chance. Par contre, nous nous assurons toujours de leur faire comprendre qu'il existe des protocoles culturels et administratifs et certaines directives qu'il faut absolument respecter. Ils comprennent ça. Nous faisons en sorte que la situation soit très claire et nous pouvons toujours recourir aux Aînés pour nous aider à expliquer les conditions.

Une fois que les demandeurs ont été admis à nos programmes, nous signons des ententes qui favorisent la compréhension mutuelle et précisent nos attentes vis-à-vis d'eux et inversement. Bien sûr, les Aînés participent à ce processus.

Étant donné que nos programmes comprennent l'enseignement en classe et des séjours dans des camps situés en milieu rural, nous sommes obligés d'assurer tous les participants. Le collège a donc pris des assurances en cas d'accident. Jusqu'ici, il n'y en a jamais eu.

Une fois que la formation a commencé, les aînés, les membres du personnel et les formateurs arrivent rapidement à bien connaître les participants. Nous avons tous une bonne expérience dans nos domaines respectifs. Nous incorporons dans nos programmes beaucoup de savoir traditionnel, ainsi que des connaissances non autochtones en cherchant à nous assurer que les jeunes participants assimilent bien l'information qui correspond au contenu de la formation — une formation dynamique, continue, habilitante, respectueuse et motivante. Nous assurons cette formation pour permettre aux gens de se connaître vraiment et de découvrir les talents qu'ils ne pensaient peut-être pas avoir. Nous les encourageons toujours à communiquer au lieu de simplement nous écouter. Nous leur apprenons à être des meneurs — et à construire des sociétés saines.

Ensuite, quand cette partie du cours est terminée, nous leur apprenons à occuper un vrai emploi, à pratiquer un métier ou à faire une carrière qui les intéresse. Nous croyons aussi en la nécessité de renforcer nos propres capacités, et c'est pour cela que nous offrons de la formation aux formateurs, afin que les personnes qui participent à notre programme puissent poursuivre encore leurs études.

Maintenant je voudrais aborder la question des obstacles et du financement. Si l'objectif consiste à éviter les obstacles futurs et à venir en aide aux jeunes Autochtones, nous recommandons vivement que les organismes de financement soient plus souples au niveau des conditions qu'ils imposent afin que les programmes puissent être novateurs et davantage axés sur les vrais besoins du groupe cible — en l'occurrence, les jeunes — et non uniquement sur les exigences de l'organisme subventionnaire.

De plus, les organismes de financement devraient encourager l'innovation et l'apport de nos aînés et de nos jeunes. Qu'ils soient fédéraux, provinciaux ou autochtones, de tels organismes devraient se concentrer davantage. La procédure à suivre pour accéder aux crédits disponibles ne devrait pas être aussi rigide et les petits établissements devraient pouvoir en obtenir pour l'exécution de programmes de petite envergure.

Nous souhaitons également que les responsables de ces organismes cherchent à connaître les programmes ou établissements qui ont une influence positive sur la vie des jeunes et qu'ils continuent de financer de tels établissements en raison de l'excellent travail qu'ils accomplissent. Les représentants des organismes subventionnaires devraient nous rendre visite; ils devraient venir sur place pour voir en quoi consistent les programmes et chercher à suivre nos activités. Nous aimerions vraiment que les représentants de ces organismes envisagent de venir voir comment nous présentons nos programmes parce qu'à notre avis, porter des mocassins, ce n'est pas quelque chose qui fait mal. Au contraire, ils vont s'y sentir très bien.

De plus, les organismes de financement devraient aider les responsables de programmes et d'établissements à mettre en place des mécanismes appropriés pour la présentation de rapports narratifs et financiers. Cependant, la procédure à suivre ne devrait pas être compliquée. Puisqu'il s'agit là d'une difficulté qui surgit très fréquemment du moment qu'il s'agit de programmes et d'établissements autochtones, nous sommes d'avis qu'en conjuguant nos efforts, nous réussirons à faire avancer notre société.

Merci de m'avoir consacré de votre temps. Je vais donner à chacun d'entre vous un petit dépliant qui présente le collège et ses programmes, ainsi que les réactions d'un certain nombre de jeunes qui ont suivi nos programmes. Je tiens à féliciter le comité pour le travail qu'il accomplit. Je ne suis pas du Canada mais j'ai été accueilli et adopté par les membres de Premières nations. Je suis originaire d'une société où la tolérance était inexistante et si j'ai quitté mon pays, c'est à cause des conflits. Je vous félicite parce que les Autochtones, surtout dans l'Ouest, sont de plus en plus nombreux et ont des besoins urgents. Les jeunes et les Autochtones qui vivent dans les grandes villes de l'est et de l'ouest du pays ont également besoin de soutien. Ce n'est pas un appel à la pitié mais plutôt une requête légitime afin de garantir que les membres des Premières nations, les Métis et les Inuits puissent tous avoir le sentiment d'appartenir au Canada.

M. Lyndon Linklater, président du conseil d'administration, Centre d'amitié des Autochtones et des Métis de Saskatoon: Merci, sénateurs et collègues. Je vous salue au nom du Centre d'amitié des Autochtones et des Métis de Saskatoon.

Certains d'entre vous connaissez peut-être la ville de Saskatoon, et par rapport à la situation démographique des peuples autochtones de la province de la Saskatchewan, je dois vous dire qu'en venant ici en taxi, j'ai demandé au chauffeur comment il pouvait savoir où aller, étant donné qu'Ottawa est une très grande ville. Il m'a dit qu'Ottawa compte un million d'habitants. Je lui ai répondu que ça correspond au nombre d'habitants pour l'ensemble de la province d'où je viens.

Selon les prévisions, en l'an 2030, 50 p. 100 de la population de la Saskatchewan sera autochtone. Je suis convaincu que vous avez déjà entendu les prévisions démographiques concernant les membres des Premières nations et les écarts importants entre ces derniers et les Canadiens non autochtones sur le plan de l'espérance de vie, du taux de diabète, du taux d'incarcération et de toutes sortes d'autres facteurs liés à la santé et à la situation socio-économique. Que faut-il faire?

Plusieurs programmes différents ont donné de bons résultats — entre autres, le mouvement des centres d'amitié. En Saskatchewan, notre centre fêtera cette année sa trente-cinquième année de présence dans la ville. Nous espérons continuer de recevoir des crédits pour assurer le fonctionnement du centre et de l'ensemble des programmes qu'il dispense.

Dans notre ville, nous faisons face à certaines difficultés. Il y a un problème de bandes dans la ville où nous habitons. C'est un nouveau phénomène qui n'est présent que depuis cinq ans. Nous entendons parler de bandes à Winnipeg mais ces bandes se déplacent vers l'Ouest. Quand nous en parlons avec nos Aînés et aux responsables communautaires de la ville de Saskatoon, ils nous disent qu'il faut continuer à présenter des programmes, comme ceux que nous offrons au centre, c'est-à-dire des programmes adaptés aux besoins culturels des participants. Certains de mes collègues du Centre d'amitié de Toronto vous ont déjà parlé de leurs programmes. Bon nombre d'organismes autochtones dispensent des programmes semblables qui sont adaptés aux besoins culturels et offerts à titre de programmes à valeur ajoutée. Il faut que ces programmes continuent d'être disponibles. Si nous souhaitons modifier le moindrement les conséquences du profil socio-démographique que nous connaissons tous, il faut continuer à soutenir ce genre d'initiatives.

À l'heure actuelle, une initiative est en cours qui s'appelle l'initiative des Centres urbains et polyvalents pour jeunes Autochtones. Nous ne savons pas pendant combien de temps ce projet continuera d'exister. En fait, moi je travaille pour le gouvernement autochtone. Je travaille pour le Conseil tribal de Saskatoon aux Services urbains pour les Premières nations. En réalité, il y a une sorte de conflit parce que les programmes exécutés par le Centre d'amitié et l'endroit où je travaille sont très semblables. Mais quand j'y pense, je me dis malgré tout qu'il ne pourra jamais y avoir assez de programmes pour les jeunes Autochtones ou les peuples autochtones en général. Nous allons donc continuer à coexister — c'est-à-dire les organismes mis sur pied par le gouvernement autochtone et les organismes autochtones non gouvernementaux — et à nous efforcer de répondre aux besoins de notre peuple et de régler les problèmes de santé et les problèmes de tout ordre auxquels font face les Autochtones. Nous allons tous travailler de concert. Cependant, nous devons avoir la certitude que le gouvernement fédéral et les administrations provinciales continueront à nous aider financièrement.

À Saskatoon, nous avons un centre qui s'appelle le White Buffalo Youth Lodge; il existe depuis deux ou trois ans et ses activités sont financées par Patrimoine canadien. Le bureau urbain du Conseil tribal de Saskatoon où je travaille est responsable de ce centre pour les jeunes. Pour la première fois, il y a un centre pour les jeunes dans la ville de Saskatoon.

Il existe un quartier de Saskatoon qui s'appelle Rivers Dale. C'est en quelque sorte le quartier autochtone. On y trouve une très forte population d'Autochtones. Il n'y a jamais eu de centre ou d'endroit où ils puissent aller. On me dit que les jeunes qui deviennent membres de bandes le font parce que la bande représente pour eux une sorte de famille. Ils ont un endroit où ils peuvent aller. Et ils savent qu'ils seront en contact avec des gens qui parlent leur langue, que ce soit la langue de la rue ou une langue de Première nation. Voilà pourquoi ils deviennent membres de ces bandes. Pour eux, c'est une sorte de foyer, un milieu où ils peuvent avoir des rapports avec des gens comme eux.

Le White Buffalo Youth Lodge est un centre où 75 à 80 p. 100 des jeunes qui le fréquentent sont d'origine autochtone. On y présente des programmes qui répondent aux besoins culturels des participants, tels que des programmes d'activité récréative et d'orientation. Le White Buffalo Youth Lodge est situé dans un bâtiment où d'autres organismes gouvernementaux, tels que le Service de santé, travaillent en partenariat avec nous. Il y a une infirmière et un dentiste sur place. Nous avons établi des partenariats au niveau communautaire pour nous permettre de répondre à l'ensemble des difficultés auxquelles est confronté notre peuple.

Des partenariats de ce genre sont extrêmement positifs à condition que les partenaires aient les mêmes objectifs et désirent obtenir les mêmes résultats.

D'ailleurs, je tiens à féliciter le Sénat d'avoir créé ce comité et des efforts qu'il déploie pour améliorer la situation des gens dans ce beau pays que nous habitons tous. Je pense, par exemple, à la situation actuelle dans différentes régions du monde, comme en Iraq, et à ce qui est arrivé à la navette spatiale Columbia; ce sont des situations graves. Mais chez nous, nous sommes confrontés à de nombreux problèmes et il faut continuer à chercher des solutions à ces problèmes si nous souhaitons améliorer les conditions de tous ceux qui vivent au Canada. Nous sommes sur la bonne voie, mais je tiens à vous encourager à poursuivre vos efforts en ce sens.

Voilà; c'est tout ce que j'ai à vous dire pour l'instant. Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions.

Le sénateur Pearson: Permettez-moi tout d'abord de vous remercier pour vos exposés. Je les ai trouvés fascinants et fort intéressants. Certains thèmes se dégagent de vos propos. D'abord, celui de l'appartenance à une communauté, qui est si importante; pour que les programmes puissent donner de bons résultats, les jeunes doivent avoir le sentiment d'appartenir à leur communauté. Nous comptons d'ailleurs recommander, entre autres choses que les centres d'amitié et les centres urbains polyvalents bénéficient de financement garanti — dans la mesure où la chose est possible — surtout dans un contexte où vous pourriez conjuguer vos efforts et partager des locaux. Comme vous le dites vous- mêmes, il n'y a jamais assez de services. Il est clair que les jeunes ont besoin de centres où ils peuvent se réunir. Tous les jeunes ont besoin de ça, mais il faut que ce soit un endroit où ils se sentent à l'aise, où ils peuvent apprendre des choses, et cetera. J'ai un an de moins que votre aînée, mais j'étais bien contente d'entendre ce qu'elle avait à dire. Les liens entre les générations sont importants, de même que les possibilités de communication et d'apprentissage qu'offrent de tels liens.

L'exposé du groupe de Toronto m'a beaucoup intéressée parce que j'ai passé beaucoup de temps à Toronto, et que je suis de la province de l'Ontario. Votre centre est-il situé sur la rue St. George?

M. McMahon: Non, Spadina.

Le sénateur Pearson: Je me souviens d'y avoir été à l'époque de Rodney Bobiwash, qui est décédé depuis. Tout cela me paraissait bien intéressant. Cela remonte assez loin, à l'époque où je n'étais pas encore sénateur.

À la mi-janvier, le ministère de la Justice a publié un document qui présente un aperçu général de la situation relative aux détenus autochtones dans tout le Canada. Les différences entre Toronto et Winnipeg étaient tout à fait étonnantes. À Toronto, il y en avait six; à Winnipeg, il y en avait à peu près 62. Or ces deux villes avaient à peu près le même nombre de jeunes parmi leurs habitants. Évidemment, les efforts que vous déployez ont commencé à porter leurs fruits. Il est possible que les problèmes de Winnipeg soient de nature un peu différente, par rapport à la structure de la ville, et cetera. J'ai parlais avec Judy Findlay, qui défend les droits des enfants à Toronto. Elle m'a dit que ces programmes sont bien établis. D'ailleurs, j'aime beaucoup votre programme qui axe l'apprentissage sur l'appréciation artistique, car c'est quelque chose qui m'intéresse beaucoup. C'est aussi le genre de projet qu'on aimerait renforcer.

Dans votre exposé, monsieur Barreno, vous avez parlé de financement, et vos propos m'ont paru particulièrement éloquents en raison du message que vous communiquez indirectement et de la signification profonde de ce message. C'est-à-dire que vos organismes ne sont pas les seuls à se heurter à ce genre de problèmes; tout le secteur non gouvernemental jusqu'à un certain point est visé par ces formules de financement qui sont parfois irrationnelles et imposent un fardeau important aux organismes du point de vue des conditions à remplir.

Cela m'a frappé quand vous avez dit: «Quelqu'un devrait peut-être venir nous voir sur place un jour.» C'est vrai, ce que vous dites; les organismes subventionnaires vous donnent de l'argent, mais ils ne vont jamais vous voir pour avoir une idée de ce que vous faites, car le fait est qu'une fois sur place, on se rend compte à quel point vos programmes sont excitants. Peut-être qu'on leur a dit de ne jamais aller sur place puisqu'il faut éviter tout ce qui pourrait être excitant.

Je voudrais insister sur les messages que vous nous avez communiqués, et qui nous semblent tellement importants. Peut-être pourriez-vous nous parler un peu plus des activités artistiques. Il faudrait que nous essayions de recueillir autant d'information que possible à ce sujet pour que ce soit accessible par le biais du compte rendu. C'est un thème sur lequel nous devrions absolument insister.

M. McMahon: Je suis acteur et écrivain. Comme j'ai grandi au théâtre et au sein du mouvement des centres d'amitié, on pourrait dire que je suis un vétéran des centres d'amitié. Le programme des «little beavers» dont j'ai bénéficié en grandissant n'existe plus. J'ai littéralement grandi dans un centre d'amitié. Mes deux parents ont été des alcooliques qui étaient en cure de désintoxication. Ma mère a fini par retourner aux études, si bien que c'est le centre d'amitié qui nous gardait. Et je dois dire que ce centre d'amitié m'a vraiment sauvé la vie, ainsi que celles de mon frère et de mes deux soeurs. Nous avons tellement dépendu du centre d'amitié et de tout le mouvement pour nous soutenir.

Je n'oublierai jamais les propos d'une femme qui raconte une histoire à propos de sa capacité de s'exprimer et de dire ouvertement ce qu'elle pense. On dit souvent aux jeunes qu'il faut apprendre de bonnes manières, être polis et ne parler aux adultes que lorsqu'un adulte vous adresse la parole. Tout cela est vrai à mon avis, mais il faut aussi faire preuve de respect. S'il y a une chose qu'elle nous a toujours encouragés à faire au programme des «little beavers», c'était de nous exprimer librement. Si on n'était pas content, on avait le droit de le dire. Si on souhaitait que certaines choses changent, on avait le droit de le dire aussi.

Cela a certainement influencé mon approche au Centre canadien des Autochtones de Toronto. Vous allez peut-être mal interpréter ce que je vais vous dire, mais le fait est que je n'impose pas une structure ou des règles très rigides. La seul règle sur laquelle j'insiste est celle du respect: le respect de soi et le respect des autres avec qui on partage un espace. Voilà notre règle de base et une fois qu'elle est bien établie, on peut supprimer tout le reste. Lorsque le principe du respect est établi, on peut passer à autre chose.

C'est cette femme au centre d'amitié qui m'a appris cela. Elle nous a dit que nous avions le droit de nous exprimer. Donc, grandir au théâtre était pour moi une façon d'apprendre à communiquer avec autrui. Le principe de base du théâtre et de l'art est celui de la communication. La force du projet de théâtre que j'ai proposé ne s'est pas réalisée parce qu'on ne m'a pas permis de l'exécuter comme je l'avais conçu. Comme mon collègue l'a dit, le ministère de la Justice m'a obligé à le définir en fonction d'un cadre bien rigide. Vous pouvez imaginer à quel point j'ai du mal à définir un projet de ce genre en fonction des exigences de l'organisme subventionnaire. J'ai trouvé ça extrêmement difficile, et pour le premier projet, nous avons consacré presque un an à la préparation de notre proposition.

C'était ridicule mais en même temps enrichissant, car cela m'a forcé à approfondir ma propre conception du projet. Les modules que j'ai proposés étaient au nombre de six. Le premier principe de base était celui du travail d'équipe et de la collaboration; il faut qu'on apprenne à travailler ensemble et à bien se connaître. Donc, le travail d'équipe présentait une composante très importante du premier module, et pour ce qui est de la collaboration, je pense que ce concept se passe d'explications.

Pour être à même de partager cet espace et travailler ensemble, il a fallu qu'on travaille en équipe, mais nous avons tous dû être souples. Au niveau de la collaboration, chacun devait laisser tomber ses propres priorités et accomplir un travail en fonction des priorités d'un autre. Ça c'est une règle absolue au théâtre et notamment en improvisation, qui correspond à ma spécialisation.

Le deuxième principe était celui du leadership. Nous avons forcé les gens à démontrer leurs qualités de chef dans le cadre de ces modules. Le module portant sur le leadership vise à apprendre aux jeunes à prendre une situation en main en sachant s'exprimer librement et diriger différents exercices. Après avoir terminé la première composante du cours, nous avons demandé aux jeunes qui participaient aux ateliers de diriger l'un des jeux de théâtre ou l'un des exercices qui étaient prévus, par exemple, donc, dès le départ, ils avaient l'impression d'être parties prenantes. Mais pour vous dire la vérité, le plus souvent, ça ne marche pas. Nous connaissons beaucoup d'échecs dans notre programme, et ce sont des échecs importants. Mais comme nos aînés nous l'ont enseigné, pour apprendre, il faut faire des erreurs. Si on fait toujours bien les choses, on ne s'améliore jamais. C'est en faisant des erreurs qu'on commence à apprendre et à grandir. Tous ces jeunes ont fait des erreurs dès le départ, et nous les encouragions à en faire. Nos erreurs ne sont ni bonnes ni mauvaises; elles présentent simplement l'occasion d'apprendre quelque chose.

Le deuxième module permet d'assumer la direction du programme. Les troisième, quatrième, cinquième et sixième modules sont davantage axés sur l'expression artistique, mais surtout la création. Au niveau du contenu et de l'expression, on peut utiliser différentes techniques populaires, tel le clown, qui correspond à une forme de théâtre qu'on utilise pour faire un jeu de masque. Grâce à cette technique, on apprend à baisser la garde, à s'exposer aux autres et à être ouvert. On s'ouvre à la communication et aux émotions afin de favoriser et de faciliter l'expression.

On a aussi recours à différentes techniques, telles que l'écriture et le mouvement. On a parlé de programmes récréatifs et d'activités qui vous font transpirer — eh bien, le théâtre permet de faire ça. Il permet de s'attaquer directement à la question du leadership, des communications et de la dynamique de la vie d'une façon qui vous encourage à vous ouvrir. Aucun de ces principes n'est nouveau; ce n'est pas moi qui les ai inventés. C'est ce que je croyais — j'avais décidé de faire une maîtrise en technique de théâtre en tant que concept de base de la programmation jeunesse et des cours de dynamique de la vie. C'est ainsi que je me suis retrouvé — moi haute personnalité — à Toronto pour proposer un programme aux responsables de Justice Canada. J'avais organisé une rencontre avec eux et je leur expliquais que nous avions conçu un nouveau projet pour apprendre la dynamique de la vie grâce au théâtre — une idée géniale, quoi. Un responsable ministériel qui était assis en face de moi m'a dit: «Eh bien c'est ce que fait KYTES depuis 25 ans.» KYTES, soit le Kensington Youth Theatre and Employment Skills Program est en place à Toronto depuis quelque temps. Ce programme s'appuie sur une approche particulière de la dynamique de la vie; on ne se contente pas de distribuer des documents en demandant aux gens de remplir les cases. C'est plutôt un programme axé sur les connaissances pratiques. Comme nous le savons tous, l'expression et le rire sont comme des médicaments. Dans les ateliers, on encourage le rire.

Le sénateur Pearson: ... et le jeu de rôles.

M. McMahon: Oui.

Le sénateur Pearson: ... et la prise en compte de points de vue différents.

M. McMahon: En éliminant les personnes d'autorité dans les ateliers, vous pouvez créer un environnement sûr où les jeunes ont envie de participer. Personne, à part l'animateur, est en situation d'autorité. Et le plus souvent, l'animateur crée un environnement ouvert où les communications revêtent une importance clé. Il n'y a pas de symbole d'autorité et chacun peut communiquer librement.

Le sénateur Pearson: Merci infiniment de nous avoir fourni cette explication. Ce sera bien utile de l'avoir au compte rendu. L'un des avantages du travail en comité, c'est que nos délibérations sont enregistrées; autrement dit, vous parlez non seulement aux sénateurs réunis dans cette salle mais un public beaucoup plus important que celui que vous voyez ici. Je voulais justement permettre une diffusion plus générale de cette information.

Le sénateur Christensen: Comme vous le constatez, nous recueillons toutes sortes d'information en vue de découvrir des idées nouvelles. Nous n'allons sans doute pas trouver des choses tout à fait nouvelles à recommander, mais peut- être pourrons-nous changer nos méthodes ou notre approche. Chacun d'entre nous cherche à réinventer la roue d'une façon ou d'une autre, mais peut-être devrions-nous nous contenter d'y ajouter un rayon ou deux.

Votre explication des programmes que vous présentez était fort intéressante. Vous avez remporté de nombreux succès. J'aimerais vous demander à vous tous de me dire comment on peut encourager les gens de la rue à participer à vos programmes. Avez-vous des suggestions à cet égard? Comment peut-on faciliter la transition à ceux qui sont dans la rue mais ne viennent pas dans vos centres? Au moins si on peut les faire venir aux centres, la possibilité de les faire participer aux programmes est au moins deux fois plus grande. Et une fois qu'ils ont des mentors et des modèles, leurs chances de succès sont d'autant plus importantes. Comment donc faciliter cette transition? Comment faire en sorte qu'ils s'inscrivent au collège? Et comment les encourager à fréquenter vos deux centres d'amitié?

M. Barreno: Il faut aller vers eux. C'est ce que nous faisons. Dans le cadre de notre programme au collège, nous avons des travailleurs culturels qui n'ont peut-être pas fait d'études qui connaissent bien leur milieu. Ils connaissent la réalité des gens de leur milieu parce que cette réalité était aussi la leur. Nous en engageons environ quatre par année. Ils vont dans la rue pour parler aux gens. Nous les encourageons à nous écouter d'abord, et ensuite, nous les écoutons. Et nous apprenons à ces travailleurs qu'ils doivent d'abord et avant tout écouter ces gens et ne pas faire semblant. Petit à petit, nous gagnons leur confiance et nous leur expliquons que nous avons quelque chose à leur offrir. La première étape consiste à leur faire rencontrer les Aînés.

Grâce à la fondation de guérison, nous allons chercher ces personnes parce que si elles sont dans la rue, ce n'est pas de leur faute; elles s'y trouvent pour toutes sortes de raisons différentes. Nous savons tous ce par quoi ces gens sont peut-être passés. Nous n'en parlons pas et nous ne leur faisons surtout pas la morale. Nous les invitons tout simplement à venir nous voir et nous leur garantissons, évidemment, que ce qu'ils nous diront restera confidentiel et qu'ils bénéficieront d'un soutien permanent de notre part. Nous les invitons aux cérémonies, si cela les intéresse.

Donc, il s'agit de gagner la confiance des gens pour qu'ils aient envie de venir vous voir. Mais en même temps, il faut aller les chercher, parce que leur vie est extrêmement difficile. Nos travailleurs vont dans la rue pour travailler avec les sans-abri, les prostituées, ou des gens qui ont un problème d'alcool ou de drogue. À Regina, à Saskatoon, et certainement dans d'autres villes de l'ouest du Canada, les problèmes sont considérables: des fillettes âgées de 12 ans qui deviennent des prostituées, et des enfants qui déjà à un jeune âge commencent à avoir des démêlés avec la justice. Nous essayons de leur offrir autre chose, afin qu'ils aient une bonne opinion d'eux-mêmes. Mais dans un premier temps, il faut leur dire qu'ils font partie d'une collectivité, d'une société, d'une culture qui leur est propre. C'est pour ça qu'il est essentiel que les aînés leur parlent. La formation vient après; c'est seulement après cette première étape que nous pouvons les encourager à suivre une formation ou à profiter d'autres possibilités pour les aider à se rendre compte qu'ils possèdent des choses qu'ils ne croyaient pas posséder.

Le sénateur Christensen: Et en général, quel niveau de scolarisation est nécessaire?

M. Barreno: Dans certains cas, ces personnes ont quitté l'école en 8e, 9e ou 11e année. Mais chaque situation est différente. Nous leur offrons des solutions de rechange, pour leur permettre de terminer leur 12e année, et s'ils sont très près de finir, nous les invitons aussi à s'inscrire au collège. Le collège est une grande réussite, mais je dirais que la majorité n'atteint pas ce niveau; par conséquent, nous déployons beaucoup d'effort pour faire augmenter le nombre de personnes qui peuvent s'inscrire au collège.

M. Linklater: C'est une très bonne question, et la réponse la plus brève que je puisse vous faire ce serait de vous dire qu'il faut leur donner à manger.

M. McMahon: C'est vrai.

M. Linklater: Nous présentons toutes sortes de programmes différents au centre où je travaille, et il est vrai que lorsque votre programme comprend une composante axée sur une saine alimentation, les gens viennent. Si vous leur préparez à manger, ils vont venir. Il faut aussi être à même de leur offrir de bons programmes et un lieu de rencontre amical où on répond à leurs besoins culturels et autres de façon appropriée. Mais la nourriture permet certainement d'attirer les gens, et même si nous ne pouvons évidemment pas nous permettre de leur offrir trois repas par jour, c'est certainement une façon de les faire participer aux programmes.

Les villes qui sont représentées ce soir connaissent des problèmes fort différents. Regina et Saskatoon sont très semblables. Mon collègue vous a parlé de l'industrie du sexe à Saskatoon, où des fillettes âgées de seulement 10 ou 12 ans qui font le trottoir et qui se font exploiter sexuellement par les proxénètes et les clients. Nous travaillons avec ces jeunes filles dans nos centres et par l'entremise de nos programmes. La pauvreté est la grande raison qui les incite à faire ce genre de choses. Elles ont aussi des problèmes de dépendance de tout ordre, que ce soit le jeu, la cigarette, l'abus des solvants, l'alcoolisme ou la toxicomanie. Bon nombre de ces jeunes filles sont les descendantes directes de personnes qui ont été au pensionnat et qui ont perdu leur identité et leur culture, ce qui explique dans une très grande mesure pourquoi elles sont comme elles sont. Parfois, l'endroit où je travaille ressemble un peu à un hôpital militaire de campagne, à cause de tous les gens qui arrivent. Ils appellent ça «la chirurgie du style boulette de viande» — autrement dit, on ne peut aider la personne que jusqu'à un certain point, avant d'avoir à passer au prochain. Il nous arrive de travailler de cette façon. Parfois nous n'avons pas le temps d'aider les gens qui sont à la rue. Nous les voyons tendre la main ou le chapeau pour demander de l'argent. Mais nous sommes déjà tellement pris à cause des efforts que nous déployons pour aider ceux et celles qui ont la possibilité de poursuivre leurs études — disons des gens avec qui nous pouvons travailler plus facilement, parce qu'ils ont déjà un certain niveau d'instruction. Nous nous concentrons en ce moment sur les familles en crise qui perdent leurs enfants lorsque les services d'intervention sociale viennent les leur enlever. Nous travaillons beaucoup avec les familles qui ont des problèmes d'alcoolisme et de toxicomanie. Par conséquent, les autres passent entre les mailles du filet.

S'il y a une véritable solution, je dirais qu'elle consiste tout simplement à continuer à faire ce que nous faisons tous, parce que ça donne de bons résultats. Le processus est très lent mais porte déjà ses fruits.

M. Adams: Merci pour votre question. Ma réponse est semblable à celle que vous ont déjà faite les deux intervenants précédents. Pour notre part, nous servons environ 40 000 repas chauds chaque année dans le cadre de fêtes ou d'autres manifestations et nous avons une grande cuisine au sous-sol, si bien que nous servons des repas chauds à midi du lundi au vendredi, soit gratuitement, soit pour 1 $ ou 2 $, selon que la personne travaille ou non. Nous recevons des personnes âgées, des gens de la rue, des jeunes et de jeunes mères, et c'est vraiment merveilleux de voir les gens rassemblés en grand nombre dans la salle à manger.

Nous voulons que l'atmosphère au centre soit joyeuse. Et c'est le cas actuellement au centre des Autochtones. L'environnement du centre est un environnement où s'exprime une sorte de joie. Le rire peut être un médicament pour les gens, et si les gens se sentent bien dans notre centre, c'est parce que les personnes qui y travaillent se sentent bien aussi. C'est ça le point de départ: une atmosphère chaleureuse et accueillante ou on sert des repas et on organise des grandes fêtes où les gens viennent manger gratuitement.

Tous les jeudis soirs depuis plusieurs années, nous organisons des soirées du tambour. Parfois il y a seulement quelques douzaines de personnes, mais à d'autres moments, il y en a davantage. Tous les jeudis soirs, beaucoup de jeunes viennent au centre. Ils nous viennent de leurs écoles secondaires, où ils se sentent menacés, pour être avec des amis. Ils n'ont pas besoin de s'inquiéter de la marque de jean qu'ils portent ou de ce genre de choses. Juste le fait d'organiser régulièrement ces soirées a un impact très important.

Le sénateur Christensen: Si je peux me permettre de changer un peu de sujet, il semble y avoir des différences au niveau du genre de personnes qui se dirigent vers les villes et des raisons pour lesquelles les Autochtones s'établissent de plus en plus dans les villes. À Ottawa, les Autochtones qui viennent s'établir ici sont en ascension. Ils viennent ici pour travailler et les membres de leur famille travaillent. La culture semble donc être fort différente de celle qui existe à Winnipeg, Saskatoon ou même Toronto. Par contre, Toronto paraît bien différent de la Saskatchewan. Qu'en pensez- vous?

M. Adams: Pour ma part, je viens de l'ouest du Canada. Mon père est Saulteux de Pasqua, mais j'ai toujours vécu dans des villes: Calgary, Edmonton, Montréal, Toronto et Boston. Ottawa passe pour une sorte de petite ville. Elle attire une population migrante. Je sais par exemple que ces messieurs viennent de petites localités.

Le sénateur Christensen: Et qu'est-ce qui pousse les gens à quitter les collectivités du Nord ou les réserves pour aller s'installer dans les villes?

M. Adams: La possibilité de travailler, de poursuivre ses études ou peut-être même le désespoir, car dans bien des collectivités d'où viennent les Autochtones, il n'y a pas suffisamment de débouchés ou de possibilités. Bien sûr, les collectivités autochtones ont connu bien des succès, mais pour les 50 p. 100 de la population autochtone qui vivent en milieu urbain, leur chez-soi c'est la ville. Les personnes que nous accueillons au centre maintenant sont des Autochtones de deuxième et de troisième générations et des enfants.

M. McMahon: Certains des jeunes avec qui j'ai eu des contacts sont des sans-abri ou presque. C'est comme regarder à travers un vitrail; les possibilités qu'offre la ville semblent si immenses — des emplois, des débouchés de tout ordre. La différence est énorme. Pour ma part, je suis originaire d'une petite localité qui a 7 000 habitants. La perspective d'une vie meilleure ou différente dans les villes motive bien des gens. Mais quand on arrive dans les villes, on se rend compte que même pour être serveur dans un restaurant, il faut avoir de l'expérience. Même pour occuper le poste le plus subalterne, il faut de l'expérience et il faut avoir reçu la bonne formation.

Les personnes et surtout les jeunes que j'ai rencontrés viennent dans les villes pour profiter de l'avenir prometteur qu'elles semblent offrir. Mais ils ne trouvent pas ce qu'ils cherchent dans les villes. Et bon nombre d'entre eux y restent longtemps sans savoir comment s'en sortir. Leurs mauvaises habitudes prennent le dessus. À ce moment-là, du moins à Toronto, c'est trop tard parce que le coût de la vie est tellement élevé. Les loyers sont très élevés. Ils ne trouvent pas de logement, parce qu'il n'existe pas de logements abordables. Dans les collectivités que j'ai connues personnellement, ça semble toujours être le cas.

M. Dumas: Je suis originaire du nord du Manitoba. J'ai grandi dans ma réserve. Nous étions 18 à la maison. C'est courant. À l'époque, j'habitais dans une maison avec trois chambres à coucher. Maintenant nous avons la chance d'avoir une maison avec cinq chambres à coucher. Mais ce genre de choses est courant dans les réserves, parce qu'il y a un grand nombre de personnes qui vivent dans les réserves.

J'ai grandi à un moment où la population n'était pas en pleine expansion comme c'est le cas maintenant. Il n'y a tout simplement plus de place. Il n'y a pas de sans-abri dans les réserves parce que les Autochtones ont toujours une famille. Il y a toujours quelqu'un qui va vous accueillir chez lui, même s'il y a déjà une trentaine de personnes qui y habitent. Donc, les limites sont réelles. Et les villes fascinent les jeunes.

Il y a également d'autres limites un peu secondaire. Quand je grandissais, soit les gens pratiquaient différentes activités dans les terres, soit ils faisaient quelque chose de constructif ailleurs. Mais la vie des gens est tellement occupée à présent que les jeunes ont comme seule activité de se promener dans la rue. Leurs parents n'ont plus assez de temps pour les amener dans les terres. Ils n'ont plus assez de temps pour les faire participer à toutes ces autres activités avec eux. En conséquence, leur vie et leurs possibilités sont assez limitées.

Pour certains jeunes, aller faire un tour à Le Pas, qui se trouve à une centaine de milles et compte 1 000 habitants de plus — c'est très excitant. C'est une grande ville pour eux. Moi, aussi, je me souviens d'avoir considéré Le Pas comme une grande ville, alors que j'habite Toronto maintenant.

Donc, il y a toutes sortes de facteurs. Voilà pourquoi la migration est si forte en ce moment. Il n'y a pas assez de place. Et il n'y a surtout pas assez d'emplois.

M. Adams: Quand mon père a quitté la réserve vers la fin des années 40, il est parti se battre dans le cadre de la guerre de Corée et est revenu ancien combattant. Il a commencé à travailler dans l'industrie de la ferronnerie, où on l'a plus ou moins accueilli. Sa génération était la première à essayer de s'installer en grand nombre dans un milieu urbain. Les enfants de sa génération, dont j'en fais partie à l'âge de 50 ans, ont appris grâce à des luttes difficiles. Nous avons appris à bien vivre dans les villes. Je peux bien vivre dans n'importe quelle ville, quel que soit le contexte. Mais j'assiste aussi aux cérémonies. J'habite au pays du chemin Rouge. Je connais le mode de vie et les pratiques traditionnelles.

Les générations qui m'ont suivi sont encore plus débrouillardes que nous sur ce plan-là. Les membres de cette génération deviennent avocats et médecins. Quand mes frères et moi avons fait nos études universitaires, nous étions peut-être les seuls Autochtones dans tout l'établissement. Donc, on peut réussir. Les villes constituent notre chez-nous. Les cultures traditionnelles sont en plein essor dans les villes. Elles sont dynamiques. Nos plumes d'aigle sont chéries et protégées.

M. Linklater: Tout ce qui a été dit est très vrai. Je suis un Autochtone citadin de deuxième génération. J'ai passé toute ma vie dans les villes. De son temps, mon père était comme le père de M. Adams; ils ont été les premiers à quitter la réserve. Mon père a grandi à une époque où il ne pouvait quitter sa collectivité que s'il avait l'approbation de l'agent indien. Il leur était interdit de fréquenter des bars où on vendait de l'alcool. Je représente donc la deuxième génération d'Autochtones citadins.

La première chose que font les gens de chez nous quand ils arrivent dans un endroit nouveau c'est d'aller serrer les mains aux gens. Si des gens que nous ne connaissons pas viennent nous voir, nous commençons par leur serrer la main et ensuite nous leur offrons à manger. Quand je suis arrivé dans cette salle de comité ce soir, c'est la première chose qu'elle a faite, votre présidente. Je me suis tout de suite dit que j'étais entre amis.

J'ai connu des temps très difficiles quand je grandissais dans la ville. J'ai vécu bien des choses que les jeunes Canadiens ne devraient jamais avoir à vivre. Mais je suis passé à travers cette période difficile et non seulement j'ai survécu, mais j'ai guéri. J'ai fait des études. Maintenant j'ai un emploi et je paie des impôts. J'ai été en Allemagne. J'ai visité presque toutes les grandes villes du Canada. Je sais ce que c'est que de vivre dans une ville.

Derrière moi sont des jeunes qui ne connaissent pas leur propre culture, leur patrimoine. Ils regardent surtout MTV et Much Music. Ils disent «Yo» entre eux, ils portent des pantalons très larges et ils se teignent les cheveux. Ils sont influencés par ce qu'ils voient à la télévision. Voilà ce qui arrive aux jeunes Canadiens en ce moment. La mondialisation amène d'autres problèmes.

Dans les collectivités autochtones, les problèmes sont aggravés par tout ce qui s'est produit par le passé. Bien des événements du passé expliquent la situation que nous vivons aujourd'hui.

Quelqu'un parlait tout à l'heure des établissements pour les jeunes contrevenants au Manitoba et à Toronto. Si vous visitez un établissement pour jeunes contrevenants à Saskatoon, vous verrez que 95 p. 100 des détenus ont la peau brune. Il y a quelque chose qui ne va pas. Quand vous allez dans les établissements correctionnels provinciaux et fédéraux, vous verrez aussi que 65 p. 100 des détenus sont des hommes qui ont la peau brune et les cheveux longs. Là aussi, il y a quelque chose qui ne va pas.

Dans les collectivités, il n'y a tout simplement pas assez d'emplois. Par conséquent, les gens quittent leur collectivité pour aller dans les grands centres urbains en se disant que l'avenir y sera plus prometteur et qu'ils auront plus de raisons d'espérer que leur situation puisse changer. Mais la migration amène de nouveaux problèmes. Et c'est nous tous qui essayons de régler ces problèmes. Il y a également beaucoup de succès, et ces succès sont de plus en plus nombreux.

Mme Lavallée: Piapot se trouve à une demi-heure de Regina. Chaque jour, je fais le trajet de Piapot à l'Université de Regina, où se trouvent les locaux du SIFC.

Quand j'ai quitté la maison, j'avais sept ans. Je ne suis pas partie de mon propre chef. On nous a emmenés dans les pensionnats. Je ne parlais pas un mot d'anglais. Je ne parlais que le cri. Comme j'ai eu du mal à apprendre! C'est seulement en décembre 1992 que je suis retournée dans ma réserve.

Entre l'âge de sept ans et 1992, je n'étais pas chez moi. Je suis restée en contact avec ma mère, mon père et ma grand- mère. En été, j'allais chez moi et j'essayais d'apprendre l'anglais à mes frères. J'ai cinq frères, et tous sont encore à la maison. Certains sont chauffeurs d'autobus. Ils sont tous très occupés.

Ma famille a toujours réussi à s'en sortir. Mais ce n'est pas le cas de tous les membres de ma collectivité. Il n'y a pas d'emplois dans les réserves. Il n'y a rien à faire. Quelqu'un a parlé de MTV et du Nintendo. Nous n'avions pas toutes ces distractions quand je grandissais. Pendant bien longtemps, nous n'avions même pas d'électricité. C'est seulement dans les années 80, si je ne m'abuse, que nous avons obtenu le téléphone et toutes ces choses-là.

J'allais à l'école à Gravelbourg. À l'époque, nous ne pouvions pas aller plus loin que la 8e année. C'était le niveau le plus élevé qui nous était autorisé. Je ne sais pas pourquoi. Je pense maintenant que les prêtres et les soeurs voulaient que certains d'entre nous deviennent soeurs et prêtres. J'ai l'impression que c'est ça qu'ils s'imaginaient. Elizabeth Bellgarde et Marianna Pelletier sont toutes les deux devenues infirmières autorisées, et ensuite c'était à moi de le faire. Deux hommes — Victor Mackay et Alphonse Lavallée, mon oncle — ont été envoyés à Saint-Boniface pour aller à l'école. Aucun d'entre nous n'est devenu ni prêtre ni religieuse.

Lorsque j'avais 24 ans, j'ai eu mon premier enfant. Maintenant j'ai 73 ans. J'ai un arrière-petit-fils et sept petits- enfants. Mes fils ont eu un peu de mal à démarrer dans la vie. J'ai eu surtout des fils et une fille.

Maintenant je vais un peu partout dans la ville de Regina. Je songeais justement au Rainbow Youth Centre, que j'ai visité récemment et où ils servent entre 90 et 100 repas tous les soirs. J'ai visité aussi l'école Albert Scott qui se trouve dans un quartier très populeux. J'ai mentionné un jour à quelqu'un que dans les années 70, mon fils, Paul, était le seul Autochtone à fréquenter l'école. Elle s'appelait autrefois l'école secondaire Scott. Il était footballeur et il passait beaucoup de temps avec les gens qui aimaient jouer au football comme lui.

J'habitais Regina dans les années 50. Je me suis mariée en 1953. À l'époque, il n'y avait que deux ou trois familles indiennes à Regina. On ne voyait jamais d'Autochtones travailler. De temps en temps, on voyait des femmes autochtones dans la cuisine qui faisaient la vaisselle.

Je raconte souvent l'histoire d'une dame du nom d'Eleanor Brass, qui m'a appelée un jour. Elle était plus âgée que moi. Elle m'a demandé ce que je faisais. Je lui ai dit que j'attendais que mon enfant revienne du jardin d'enfants. Ça, c'était en octobre 1967. Bref, elle m'a dit qu'elle cherchait une Indienne qui voudrait travailler. Je lui ai répondu: «Je suis Indienne, et je veux travailler. Ce sera dans quelle cuisine?» Elle m'a dit de la rencontrer le lendemain matin à l'angle de la rue Albert et de la 11e avenue — c'est-à-dire le siège du Credit Union League of Saskatchewan. Avant de raccrocher, elle m'a dit qu'en raison de leur code vestimentaire, je devais porter une jupe. Mais je ne possédais pas de juge; je n'avais que des jeans. J'avais grandi avec des frères.

Le lendemain matin je me suis présentée au bureau en question. J'y ai travaillé pendant quatre ans et six mois. Cette coopérative de crédit a fusionné avec la Sask Coop Society, et j'y travaille encore.

Par la suite un autre type qui cherchait à recruter un Indien m'a contactée, mais là il fallait avoir certaines qualifications. Je savais conduire et je savais parler la langue. Je connaissais les moments difficiles que vivent les alcooliques — c'est-à-dire lorsqu'ils sont en cure de désintoxication. Mon premier mari buvait beaucoup. Par conséquent, j'allais aux réunions des Alcooliques anonymes pour apprendre à vivre avec cet homme misérable. J'ai appris beaucoup de choses grâce à cela. J'ai appris que je pouvais tout faire et que j'avais en moi les moyens de régler mes problèmes.

J'aimerais vous parler de M. Barreno. C'est un homme qui travaille très fort. Je remercie le Créateur d'avoir eu la bonté de nous envoyer cet homme qui a fait tant de choses pour mon peuple en Saskatchewan. Des fois ça me donne envie de pleurer. Je me rends compte de tous les jeunes qu'il a pu aider par l'entremise du programme de leadership. En automne dernier, il a fait venir des gens de Minneapolis pour une initiative de dynamique de la vie et de leadership. Nous avions deux groupes — un groupe d'adultes plus âgés et un groupe de jeunes adultes. C'est un excellent programme. J'ai des contacts avec ces jeunes hommes qui participent aux programmes de M. Barreno. Je suis tellement contente de les voir parce qu'ils ont tous un emploi. Ils travaillent bien avec les jeunes parce qu'ils ont vécu les mêmes expériences et ils savent comment ça se passe. Je constate qu'il y a des choses fantastiques qui se font en ce moment.

Des fois je réfléchis à ce que les autres ont dit à propos de l'éducation et la raison de nos échecs. Je pense que si nous pouvions faire bénéficier nos jeunes d'un programme de dynamique de la vie d'abord, avant de les envoyer dans le monde, nos efforts donneraient de meilleurs résultats. À mon avis, c'est ça qui serait utile.

Mais tout cela prendra du temps. Il faudra prendre le temps qu'il faut, faire preuve de patience et continuer, quoi qu'il arrive.

Nous avons un centre très occupé à Regina qui s'appelle The Gathering Place. Beaucoup d'Autochtones y vont pour rencontrer des gens. M. Barreno a travaillé très fort; il a compris qu'un tel programme était nécessaire et il l'a mis en place. Ses efforts ont été extrêmement utiles.

La présidente: S'il n'y a plus de questions, j'aimerais remercier tous nos témoins. Nous pourrions, bien sûr, vous poser bien d'autres questions, mais il se fait tard. Vous avez été d'excellents témoins. Vous avez pu nous parler de vos succès retentissants, et il est important de savoir ce qui a donné de bons résultats jusqu'à présent pour que l'on puisse continuer à progresser.

Ce programme des Centres autochtones polyvalents en milieu urbain est très important, et nous devrons insister pour qu'on l'élargisse.

Merci infiniment d'avoir pris le temps de venir nous rencontrer à Ottawa, car ce plan d'action pour le changement est extrêmement important.

La séance est levée.


Haut de page