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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 5 - Témoignages du 11 février 2003


OTTAWA, le mardi 11 février 2003

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui à 9 h 02 pour étudier les problèmes qui touchent les jeunes Autochtones des régions urbaines du Canada, en particulier l'accessibilité, l'éventail et la prestation des services, les problèmes liés aux politiques et aux compétences, l'emploi et l'éducation, l'accès aux débouchés économiques, la participation et l'autonomisation des jeunes, et d'autres questions connexes.

[Traduction]

Le sénateur Thelma J. Chalifoux (présidente) occupe le fauteuil.

La présidente: Bonjour. Je vous remercie d'être venu au comité aujourd'hui, monsieur Bell. Nous avons entrepris une importante étude en vue d'établir un plan d'action pour le changement. Nous écoutons les organismes autochtones pour connaître les lacunes qu'ils perçoivent dans leur structure et les problèmes qui entravent leur travail auprès des populations autochtones.

Les déplacements des Autochtones dans les villes sont importants et augmentent avec le temps. Plus de 50 p. 100 de nos gens vivent dans des centres urbains. Nous parlons d'une migration interne. Pourtant, il n'y a pas de services sociaux pour les aider à leur arrivée. Voilà pourquoi cette étude est tellement importante, non seulement pour soutenir les négociations des organismes qui cherchent à faire financer leurs projets, mais aussi pour aider le gouvernement à affronter les graves problèmes auxquels nos gens sont confrontés. Monsieur Bell, comme vous être connu et que vous avez travaillé tellement fort pendant des années pour l'amélioration des conditions des Autochtones, je crois que vos paroles auront un poids spécial pour le comité ainsi que pour l'étude et le plan d'action. Je vous souhaite la bienvenue au comité.

M. John Kim Bell, fondateur et président, Fondation nationale des réalisations autochtones: Bonjour. Je vous remercie de m'avoir invité. Au cours des vingt dernières années, j'ai réfléchi à quelques-uns de ces problèmes pendant la période de formation de notre organisation, la Fondation nationale des réalisations autochtones. C'est une question complexe, en ce sens qu'aucune mesure corrective ne pourra, seule, apporter un changement structurel aux statistiques négatives concernant les Autochtones. Si vous voulez bien écouter, j'ai préparé un aperçu des questions connexes pouvant contribuer à l'atténuation des problèmes sociaux auxquels les Autochtones sont confrontés. Pour commencer, je vais aborder cet aperçu à rebours.

Dans quel but parlons-nous du bien-être des jeunes Autochtones urbains? Quand nous examinons le problème, certains disent qu'il concerne l'amélioration de la santé et la réduction de la pauvreté. C'est bien vrai, nous avons besoin d'atteindre ces objectifs. Pour moi, cependant, ce ne sont que des objectifs partiels. À la Fondation nationale des réalisations autochtones, nous posons les questions suivantes: Pourquoi donnons-nous des bourses? Pourquoi organisons-nous notre série de salons de l'emploi, Blueprint for the Future? Pourquoi décernons-nous les Prix nationaux d'excellence aux Autochtones? La réponse évidente, pour moi, c'est que les gens ont besoin d'être inspirés, d'être renseignés sur le monde qui les entoure et d'avoir accès à des occasions leur permettant de réaliser leurs aspirations. Ce sont des objectifs partiels.

L'objectif principal est de permettre aux gens de réaliser leur plein potentiel et, ce faisant, de s'exprimer de manière à avoir un emploi dont ils profitent eux-mêmes et font profiter leur famille, leur collectivité et leur pays. Nous devons commencer à nous attaquer de façon structurelle à la capacité des Autochtones de contribuer, au lieu de considérer comme on a tendance à le faire, qu'ils représentent un poids. Bref, je crois que les soins et l'éducation donnés par la famille mènent à l'emploi qui, à son tour, ouvre la voie à une meilleure santé, à une réduction de la pauvreté et du crime, à une augmentation de la stabilité émotionnelle et mentale et à de meilleures familles. Quand ces jeunes grandissent et fondent leur propre famille, leurs enfants ont de meilleures chances de réussir.

C'est une notion simple, mais qui nous échappe, comme société autochtone et comme pays. Premièrement, le rôle du gouvernement pour les Canadiens. Quand nous examinons le contexte général, nous avons l'impression qu'il existe deux grands droits: les soins de santé et les services autochtones. Il y a bien sûr d'autres droits, comme les pensions et les autres services. D'une certaine façon, le rôle pour les Autochtones est légèrement différent. C'est le début de l'analyse. Deuxièmement, la société autochtone a été modifiée à dessein. Je déteste utiliser le mot «traditionnel» parce qu'il a perdu son contexte, mais nous avons été détournés de notre destin original, de notre modus operandi d'interaction sociale à l'intérieur et à l'extérieur de nos propres collectivités. Tant que nous n'aurons pas rompu ce cycle et écarté la politique actuelle du gouvernement, nous ne progresserons pas comme peuple. Je crois que l'effort doit être déployé des deux cotés. Nous avons besoin d'une certaine communauté de pensée entre les collectivités autochtones et le monde extérieur, y compris le gouvernement, pour avoir l'impression d'avancer.

Pour ce qui est des services autochtones, beaucoup sont réactifs plutôt que proactifs: nous réagissons au suicide et à d'autres problèmes plutôt que de bâtir l'avenir auquel aspirent les Autochtones. Le vieux dicton selon lequel «ils viendront si vous construisez» est vrai. Quand nous avons établi les Prix nationaux d'excellence aux Autochtones, il y a dix ans, tout le monde a dit que nous aurions à affronter trois obstacles: d'abord, nos gens ne sont pas prêts et ne s'appuient pas les uns les autres. Les Métis sont différents des Premières nations et des Inuits. Ils ne s'entendent sur rien. Ensuite, le secteur canadien des sociétés n'accordera pas son appui parce qu'il ne soutient pas les projets autochtones. Enfin, on nous a dit qu'aucun réseau de télévision ne serait assez fou pour diffuser une émission spéciale sur les Autochtones. On nous a dit que cela n'arriverait jamais. Je savais, moi, que c'était possible.

Je savais que ce n'était qu'une question de temps, de travail et d'effort. Cette année, nous célébrons notre 10e anniversaire. Des représentants des Nations Unies seront présents pour saluer nos efforts, qu'ils considèrent parmi les plus réussis de toutes les populations autochtones du monde pendant cette décennie. Je crois que le fait de concevoir et de bâtir l'avenir comme nous pensons qu'il devrait être, de nous montrer proactifs plutôt que de réagir est très avantageux.

À la Fondation nationale des réalisations autochtones, nous définissons les problèmes. Nous avons conçu nos trois programmes courants de façon à répondre aux besoins des jeunes. Nous attribuons actuellement des bourses totalisant près de 2 millions de dollars par an.

Même s'il ne s'agit pas d'une somme très importante, il y a surtout lieu de noter que la moitié de l'argent vient du secteur canadien des sociétés. Nous avons travaillé pendant 18 ans pour susciter leur intérêt et les inciter à soutenir nos efforts d'éducation.

L'appui va au-delà de l'argent comptant. Il comprend l'établissement de contacts avec une communauté qui crée la majorité des emplois occupés par les Canadiens. Il fallait donc assurer la compréhension mutuelle, former des partenariats et établir des relations à long terme entre les parties au profit de la communauté autochtone.

Nos bourses sont différentes des droits issus de traités. D'une certaine façon, elles sont plus fortes. Si vous recevez une bourse de la Fondation nationale des réalisations autochtones, c'est parce que vous l'avez méritée. Nous demandons souvent aux étudiants d'obtenir un prêt ou de trouver du travail. Nous négocions donc avec eux. Les bourses sont attribuées, cas par cas, par un jury indépendant formé d'éducateurs et de gens travaillant pour l'industrie. Souvent, les étudiants doivent payer la moitié des frais de scolarité ou des frais de subsistance. C'est une question d'autodétermination et d'effort autonome.

Quant à nos salons de l'emploi Blueprint for the Future, je suis surpris que nous n'en ayons pas un plus grand nombre dans le pays. La mondialisation a créé une concurrence croissante parmi les travailleurs. Aujourd'hui, tout dépend davantage de la technologie que cela n'a jamais été le cas auparavant. Quand vous arrivez dans un terrain de stationnement, vous n'y verrez plus un préposé; vous trouverez plutôt une machine dans laquelle vous introduirez votre carte de crédit. Par conséquent, l'emploi, dans ce cas, ne consiste pas à vous prendre votre argent et à vous rendre la monnaie, mais plutôt à construire et à entretenir la machine.

Tout dépend de la technologie. Dans la production d'émissions télévisées — je suis moi-même le producteur de l'émission sur la remise des prix d'excellence —, il y a un emploi qui porte le titre d' «opérateur d'éditeur Dyaxis». Le titulaire s'occupe de montage numérique du son pour les films et la télévision. Cet emploi est rémunéré à environ 100 000 $ par an. Toutefois, comment voulez-vous qu'un jeune autochtone, ou n'importe quel jeune, connaisse l'existence de cet emploi? Comment voulez-vous qu'il s'y intéresse s'il ne sait même pas de quoi il s'agit?

Oui, nous savons ce que fait un caissier dans une banque ou un vendeur d'autos. Tous les jeunes Autochtones vivant dans des collectivités éloignées savent ce qu'est un pilote de brousse, mais savent-ils ce qu'est un contrôleur de la circulation aérienne? Non, parce qu'ils n'en ont jamais vu un. C'est un emploi hautement technique, et personne ne transmet cette information d'une façon pratique.

Nous avons organisé un salon de l'emploi la semaine dernière à Vancouver, dans le cadre du programme Blueprint for the Future. Nous avons fait venir 2000 étudiants du secondaire et une centaine de représentants d'entreprises. L'une d'entre elles devait présenter des renseignements sur l'éditeur Dyaxis. Mais où faut-il aller étudier pour se spécialiser dans ce domaine? Combien d'argent peut-on gagner? Quel genre de vie faut-il mener? Le salon de l'emploi donne aux jeunes les renseignements pratiques dont ils ont besoin.

Les Prix nationaux d'excellence aux Autochtones sont plus qu'une émission de télévision. La cérémonie est devenue une institution culturelle, un lien entre une génération et la suivante. Elle montre que, malgré la marée de nouvelles négatives rapportées par les médias, il y a des Autochtones qui réussissent dans tous les domaines. Elle montre aussi qu'avec des occasions égales, notre potentiel est le même que celui de n'importe quelle autre communauté.

Les Prix d'excellence ont noué des liens entre la communauté autochtone et l'ensemble de la communauté canadienne. Ils fournissent des modèles de comportement, combattent les stéréotypes et le racisme et créent de l'unité parmi des gens qui en ont besoin à ce stade de leur histoire.

Ensemble, les trois programmes font connaître aux jeunes des carrières possibles auxquelles ils ne pensaient probablement pas et leur donnent des renseignements sur les bourses, que vous pouvez voir vous-mêmes dans la petite brochure rouge qui est devant vous. Nous les aidons ensuite à réaliser leurs aspirations. Bien sûr, les Prix d'excellence les inspirent également. Nous demandons aux bénéficiaires de venir parler aux jeunes qui assistent aux salons de l'emploi, pour leur donner une expérience concrète et personnalisée des relations interpersonnelles.

Nos activités sont interdépendantes et se caractérisent par une certaine logique. Nous parlons du «cercle» dans la communauté autochtone. C'est le cercle des Autochtones accomplis qui viennent inspirer les jeunes et leur fournir des renseignements pratiques. Les bourses contribuent à compléter le cercle. Nous avons conçu nos programmes d'une manière très appropriée sur le plan culturel.

J'ai lu le mémoire que vous a présenté l'Assemblée des Premières nations, mais il m'a déçu parce qu'il ne contenait pas la moindre idée. J'ai noté que l'APN a créé un conseil de jeunes, mais qu'elle soutient qu'elle n'a pas pu obtenir le financement qu'il lui faut à cet égard. En ce qui nous concerne, 50 p. 100 de tout ce que nous recueillons vient du secteur privé, et je peux vous dire que ce n'est pas facile. Toutefois, la collecte de cet argent a infligé — c'est à dessein que j'emploie ce verbe — à notre organisation une certaine discipline. Nous devons livrer des biens concrets et atteindre des objectifs précis dans le cadre d'un budget et d'un calendrier prescrits.

En qualité d'Autochtones, nous avons des droits légitimes; cependant, cette idée de droits a, dans certains cas, détruit notre motivation. Quand l'APN crée un conseil de jeunes, puis dit que le conseil ne peut pas fonctionner faute de financement, je ne peux pas accepter ce raisonnement. Je demande à la direction de l'APN pourquoi elle ne s'est pas adressée au secteur privé pour lui demander d'appuyer les activités de son conseil de jeunes. Il s'agit d'écrire quelques lettres et de passer quelques coups de téléphone, il s'agit de faire un effort. Je ne comprends pas pourquoi l'APN ne développe pas ce programme maintenant que les sociétés se soucient beaucoup plus de reconnaître nos droits et s'intéressent beaucoup plus au bien-être des Autochtones qu'elles ne le faisaient auparavant.

Je pense qu'il est nécessaire, dans notre société, qu'il y ait des objectifs concrets en place au 31 mars de chaque année. Toutefois, comme il n'y en a pas, parce que les conseils de bande n'ont pas à produire un budget le 31 mars ou n'ont pas à être évalués en fonction des bénéfices réalisés ou de la qualité d'un produit quelconque, nous n'avons pas la discipline que nous pouvons observer dans le secteur privé et qui pourrait contribuer à notre progrès.

La plupart des programmes fédéraux reflètent nos aspirations égalitaires, comme pays. C'est très bien, mais il arrive parfois qu'ils ne fassent qu'effleurer les problèmes. Je voudrais mentionner quelques-uns de ces programmes, non pas pour les critiquer, mais simplement comme exemples. Le ministère du Patrimoine canadien a un programme polyvalent pour les jeunes Autochtones vivant en milieu urbain. Nous l'avons étudié, avons interrogé les gens qui distribuent l'argent et avons posé des questions aux fonctionnaires du ministère. Nous avons exposé les résultats dans notre rapport Taking Pulse lorsque nous avons tenu une consultation nationale afin de poser les mêmes questions que vous, sauf que nous parlions des jeunes Autochtones en général, et pas seulement des jeunes vivant en milieu urbain. Nous avons découvert que le moyen le plus utile d'utiliser l'argent était de le faire dans le cadre d'un programme de tutorat.

Comme vous le savez, l'argent est distribué par l'intermédiaire des centres d'amitié. Nous n'en avons pas beaucoup: environ 12 à 20 millions de dollars par an répartis entre 130 ou 140 centres d'amitié. Ces fonds ne sont pas ciblés, chaque centre les utilisant d'une façon différente. Il semble cependant que le moyen le plus utile, c'est un programme de tutorat. Il serait peut-être bon d'examiner cette question.

Après 19 ans de travail dans la communauté, j'ai l'impression que les Autochtones manquent d'un lien avec les différents systèmes de la société. Ils n'ont pas un accès adéquat aux occasions, au développement ou à la compréhension du monde extérieur. Je ne veux pas simplement parler de l'emplacement. Il s'agit plutôt des choses qu'un jeune doit connaître dès son plus jeune âge: l'architecture, les mathématiques, les sciences, la musique, la littérature, la danse et la philosophie. Nous ne semblons pas faire cela. Nos paramètres sont trop étroits, ce qui entrave la progression de nos jeunes dans la vie.

Il y a un autre point important: nous avons trop peu de liens pertinents avec les affaires et l'industrie. Je veux parler du genre de nécessité économique qui définit une nation saine. Les chefs autochtones envisagent les sociétés comme une bande d'affreux pollueurs. Nous, Autochtones, prenons l'environnement très au sérieux, mais nous n'agissons pas nécessairement en conséquence. En réalité, nous polluons proportionnellement autant que les autres. Parmi ceux que je connais dans les collectivités autochtones, personne ne veut renoncer aux produits en papier, à l'électricité ou aux voitures. Je crois que la solution est mondiale. Nous devrons la trouver ensemble. Toutefois, nous nous en sommes servis pour affirmer que les sociétés canadiennes sont l'incarnation du mal.

Le consensus social quant au fonctionnement de l'unité autochtone traditionnelle est en conflit direct avec le capitalisme, ce qui constitue aussi un facteur négatif. Nous devons constamment garder à l'esprit le fait que les cultures traditionnelles ont toujours évolué et continueront à le faire. La culture est constamment dynamique, constamment en mouvement. Aucune culture ne reste statique. La seule constante, c'est le changement.

Quand je considère l'histoire de notre peuple, je constate que même si nous ne chassons plus le bison, nous avons encore un peu de la mentalité du chasseur. Cela n'est cependant pas réel. La société a évolué autour de nous, et nous avons souffert du retard que nous avons pris sur le plan culturel. Cela s'est fait très délibérément. Il n'a jamais été prévu de nous faire participer à l'économie.

Par conséquent, nous devons adopter pour but le développement économique durable. Nous devons également surmonter le point de vue selon lequel le secteur canadien des sociétés est entièrement mauvais. Souvent, les chefs autochtones demandent au gouvernement des sommes considérables en soutenant qu'il s'agit de droits issus de traités. Oui, nous avons des droits issus de traités, mais les chefs ne se rendent souvent pas compte que l'argent vient des entreprises, des industries et des créateurs de richesse de ce pays, qui acquittent des impôts et permettent ainsi le versement de ce qui constitue nos droits issus de traités. Nous ne semblons pas vouloir connaître la source de cet argent. La notion simpliste de ces droits est une chose du passé. Ce n'est pas parce que nous n'y avons pas droit. Légalement, cet argent nous appartient, mais les droits issus de traités et les programmes gouvernementaux ne réussiront jamais en eux-mêmes à résoudre le problème. Il n'y a jamais assez d'argent pour la santé, l'éducation, l'ensemble de la société. De toute façon, l'argent n'est pas la solution. Nous n'avons pas besoin d'argent pour les programmes. Nous avons plutôt besoin d'un changement fondamental, à titre d'Autochtones.

Par exemple, les chefs autochtones disent que les 330 millions de dollars actuellement affectés aux programmes de formation ne sont pas suffisants. Quand on répartit la somme, on s'aperçoit que de très petits montants sont éparpillés un peu partout. La somme ne couvre donc pas tout le pays.

Imaginons cependant que le secteur privé verse, de son côté, un montant équivalent. C'est la façon dont nous fonctionnons à la Fondation nationale des réalisations autochtones. À chaque dollar public correspond un dollar privé. Nous devons travailler plus fort pour arriver à ce résultat. De plus, tout le monde surveille de près ce que nous faisons. Cela augmente la discipline et nous impose de livrer un produit.

Dans nos 18 ans d'existence, nous avons chaque année recueilli plus d'argent et distribué plus de bourses, et nous n'avons jamais enregistré de pertes ni de déficits. Nous avons obtenu un soutien privé maximum pour toutes les questions autochtones. Il suffit pour cela de faire beaucoup d'efforts. Avec une contribution privée, les 330 millions de dollars se transformeraient en 660 millions.

La question est de savoir pourquoi cela ne se fait pas, compte tenu du fait que la majorité des emplois des Canadiens se trouvent dans le secteur privé. De toute évidence, il y a deux raisons. Le gouvernement doit faire davantage pour encourager le secteur privé à participer, et les Autochtones doivent en faire plus pour être mieux considérés et pour constater combien cela contribuerait à la croissance et au développement futurs de la communauté autochtone.

Il existe des partenariats, surtout là où se trouvent des ressources à exploiter sur les terres autochtones, mais il faudrait aller au-delà. J'ai récemment obtenu l'appui de M. Frank Dottori, président de Tembec, qui est l'un des géants des pâtes et papiers au Canada. Sur la question de savoir comment améliorer la situation, il a été le seul chef d'entreprise à convenir que le gouvernement pourrait envisager d'imposer aux sociétés un impôt égal à 2 p. 100 de leur masse salariale. Si les entreprises consacraient 1 p. 100 de leur masse salariale à la formation de personnes défavorisées — pas seulement les Autochtones, mais tous ceux qui se situent dans une tranche socio-économique donnée ou toute autre définition allant au-delà des Autochtones —, elles seraient exemptées de l'impôt de 2 p. 100. Elles auraient donc intérêt à opter pour la formation, et elles le feraient.

Bien peu de chefs d'entreprises conviendraient que c'est une bonne idée parce que personne n'aime payer des impôts et que les démocraties ont tendance à les réduire à cause de la mondialisation. Toutefois, les Canadiens disposent encore d'un nombre considérable d'encouragements fiscaux de toutes sortes. Ce serait donc une mesure très viable si nous voulons modifier la structure du pays pour la communauté autochtone. C'est une suggestion partielle.

Il y a un autre problème dans notre communauté. Pour les Autochtones, et notamment pour leurs dirigeants, les études supérieures relèvent d'une conception élitiste. M. Coon Come m'a récemment écrit une lettre dans laquelle il le disait. Je crois que c'est une opinion facile et artificielle. J'en suis persuadé car, dans les années 50, on pouvait trouver un emploi bien rémunéré en n'ayant qu'un diplôme secondaire. C'était la réalité d'alors. Aujourd'hui, 50 ou 60 ans plus tard, des études supérieures sont obligatoires pour faire carrière. Nous avons une énorme pénurie de médecins autochtones dans nos collectivités et, bien sûr, une formation de médecin qui dure cinq à sept ans est considérée comme élitiste. Voulons-nous avoir des médecins ou non? Allons-nous dire qu'aspirer à être médecin est élitiste et que nous ne devions donc pas en avoir? Je suis sûr que chaque collectivité autochtone aimerait avoir un médecin autochtone. Voilà la réalité.

Chaque chef a son téléphone cellulaire. Aujourd'hui, on peut faire des appels partout dans le monde grâce à la technologie GPS. Toutefois, il est élitiste d'aspirer à ce que nos gens les construisent, les vendent ou en tirent économiquement parti. Les chefs n'ont pas de difficultés à utiliser un téléphone cellulaire, mais ils considèrent qu'il est élitiste de faire les études supérieures nécessaires pour pouvoir les fabriquer et en tirer des avantages exponentiels. C'est un point de vue aussi facile que fallacieux que nous devons arriver à surmonter.

Je voudrais examiner brièvement les sociétés traditionnelles pour trouver des arguments à l'appui de mon assertion: quand nous vivions dans l'environnement difficile de ce pays — comme en témoigne le froid d'aujourd'hui —, les chasseurs avaient acquis des compétences hautement perfectionnées, de même que ceux qui ont établi des sociétés agricoles ont développé une expérience spécialisée dans la culture des différentes récoltes. Sur le bonnet de guerre, les plumes étaient attribuées pour reconnaître des victoires, de grandes réalisations à la chasse ou des actes de bravoure. On rendait hommage à ceux donnaient le meilleur d'eux-mêmes, car leur survie en dépendait. Par conséquent, nos sociétés traditionnelles se composaient pour une grande part d'éléments exceptionnels. L'environnement très dur imposait une performance extraordinaire. Nous avons perdu cette notion. Aujourd'hui, les grandes réalisations sont devenues de l'élitisme. Je conteste cette façon de voir les choses. Notre histoire confirme que nous devions être brillants, spécialisés et versés dans les techniques agraires. Par conséquent, il est erroné de percevoir les études supérieures comme quelque chose d'élitiste.

L'un des problèmes est que les objectifs des études ne semblent pas être les mêmes pour les Autochtones et les autres Canadiens. Je crois que les objectifs stratégiques des chefs autochtones visent à rétablir et à renforcer l'identité et la culture, sans accorder trop d'importance à la culture générale ou à l'acquisition de compétences particulières. Cela est compréhensible parce que notre culture nous a été enlevée pour une grande part. Il était illégal pour nous de parler notre propre langue. Il y a eu une réaction et de grands efforts ont été déployés pour rétablir notre culture. Il n'y a rien de mal à cela car les études montrent que les étudiants obtiennent de meilleurs résultats quand ils peuvent s'appuyer sur une base culturelle ferme. Lorsqu'ils ont des liens étroits avec leur culture et qu'ils en sont fiers, leur rendement est certainement supérieur.

Toutefois, nous sommes en train de faire abstraction des normes et des compétences concrètes. Cette situation est aggravée par la faiblesse des compétences parentales, qui jouent un rôle clé dans le développement positif de l'enfant. Les parents ne semblent pas capables de soutenir et d'éduquer les enfants. Il faut en tenir compte. C'est un cycle que nous devons rompre. Nous avons également besoin de normes et d'objectifs. Il ressort de notre rapport Taking Pulse que lorsque nous avons posé la question aux enseignants et éducateurs autochtones, ils ont répondu que les normes avaient été abaissées. Quand un enfant obtient un diplôme de 12e année, il ne sait lire et écrire qu'au niveau de la 8e. C'est la réalité. Nous aurons beau la nier, elle n'en est pas moins là.

De plus, notre système d'éducation n'a pas de liens avec les systèmes de l'industrie et du monde des affaires. Le pays connaît une pénurie de main-d'œuvre qualifiée. Le but de l'éducation dans une société libérale est de former des individus sains et équilibrés. C'est l'objectif déclaré de l'éducation dans une démocratie libérale. Le monde des affaires dira que c'est parfait, mais qu'il y a actuellement une pénurie de travailleurs qualifiés. Il doit y avoir plus de liens entre l'éducation et les besoins du marché. Nous disons dans notre rapport que c'est l'un des trois grands résultats que la communauté tirera d'un changement structurel dans le pays.

Je note que, dans les 20 dernières années, le pourcentage officiel de 70 p. 100 de décrochage à l'école secondaire n'a pas changé du tout. Il est encore à 70 p. 100.

Cette situation est vraiment triste. J'avais proposé de créer une subvention spéciale d'encouragement pour les collectivités autochtones... Bien sûr, cela ne se réalisera jamais. Je voulais simplement vous donner une idée de ce que je pense. Si une collectivité pouvait réduire son pourcentage de décrochage de 70 à peut-être 30 p. 100, elle serait admissible à une subvention d'infrastructure ou de développement économique. Cela pousserait tous les membres de la collectivité à agir et aiguiserait leur sens des responsabilités. Les enseignants, les parents et tous les autres feraient des efforts pour obtenir un nouveau centre culturel, une nouvelle patinoire ou autre chose. Chacun ferait pression pour garder les enfants à l'école.

Il ne s'agirait d'ailleurs pas seulement de garder les enfants à l'école. Il faudrait aussi veiller à ce que ceux qui finissent la 12e année sachent en fait lire et écrire et possèdent les compétences nécessaires pour avancer. Cela créerait une pression positive en développant un sens des responsabilités qui n'existe pas à l'heure actuelle.

Des millions de dollars sont consacrés à l'enseignement secondaire dans les collectivités autochtones. Considérons l'analyse suivante: 70 p. 100 des jeunes décrochent et quittent l'école. Cela signifie que notre population se compose aux deux tiers d'analphabètes, car ils ne possèdent pas des aptitudes de base en lecture et en écriture. Sur un plan commercial, c'est un échec retentissant: deux élèves sur trois décrochent même après que nous avons dépensé des centaines de millions de dollars.

Nous organisons ensuite des programmes de formation auxquels nous consacrons 300 millions de dollars, pour obtenir les résultats que les études secondaires ne nous ont pas permis d'atteindre. La solution consiste à trouver une solution au niveau du système d'éducation pour que les jeunes puissent progresser vers les études supérieures.

Je n'ai rien contre l'affectation d'argent à la formation. En réalité, si vous avez 30 ans, mais ne possédez pas un niveau d'alphabétisation de base, vous avez besoin de la formation fournie grâce aux fonds de la SDRHA, ou Stratégie de développement des ressources humaines autochtones. Même si cette formation ne donne accès qu'à des emplois à court terme, saisonniers ou de débutant dans un nombre relativement petit de disciplines et de secteurs de l'économie, elle est utile parce que les deux tiers de la population en ont besoin. En définitive, cependant, elle n'apporte pas le changement structurel dont les Autochtones ont besoin. Elle ne résout pas le problème de la pauvreté. Dans un monde de plus en plus concurrentiel et complexe, où la technologie occupe une place toujours plus grande, apprendre le métier de coiffeur n'est qu'une solution à court-terme. Bien sûr, nous aurons toujours besoin de coiffeurs, mais ce n'est pas cette formation qui aboutira à un vrai changement. Nous dépensons des centaines de millions de dollars dans un autre domaine. Ce genre de formation ne permettra pas aux stagiaires d'atteindre un niveau d'instruction équivalant à la 12e année.

Même si nous l'appelons «développement des ressources humaines», cette formation n'a pas de lien avec les besoins du secteur privé. Dans le cadre de la rédaction du rapport Taking Pulse, nous avons interrogé les représentants d'une centaine de sociétés, qui nous ont dit qu'ils n'avaient jamais entendu parler de la SDRHA. Personne ne les avait jamais appelés, parce qu'il n'y avait rien à gagner en le faisant. Le genre de formation que les gens reçoivent ne leur donne pas une vraie qualification professionnelle. Par conséquent, l'offre ne correspond pas à la demande. L'offre de main- d'œuvre autochtone ne correspond pas à la demande du secteur privé. La connexion ne se fait pas, ce qui constitue un problème fondamental.

L'argent revêt un caractère politique. C'est ce que les chefs veulent, et c'est ce qu'ils obtiennent. Il aide les Autochtones dans une certaine mesure. Je crois cependant que, d'ici une vingtaine d'années, nous aurons besoin d'une formule et d'une stratégie différentes. L'objectif est de réparer le système d'éducation. Une fois que les gens pourront accéder à l'enseignement supérieur, tout ira bien pour eux dès qu'ils auront décroché leur diplôme.

Pourquoi avons-nous besoin de faire cela? Nous savons tous que notre population augmente et qu'à moins d'agir, les coûts des soins de santé, de la sécurité sociale et du système judiciaire vont grimper à un rythme exponentiel. Il faudra payer maintenant ou plus tard. Il serait préférable de bâtir l'avenir d'une façon proactive plutôt que d'attendre une autre tragédie comme celle de Davis Inlet, puis de dépenser 100 millions de dollars pour déplacer les résidents de l'équivalent d'une vingtaine de rues. Le déménagement est une bonne initiative, mais il n'aura pas les résultats attendus. C'est la réalité.

Nous devons relever les normes de notre communauté. J'aurais bien voulu que chaque jeune soit tenu de lire l'Histoire du déclin et de la chute de l'Empire romain d'Edward Gibbon, parlementaire, soldat et grand écrivain britannique. Toutefois, cela ne fait pas partie du programme de la communauté autochtone. Nous devons aller au-delà de notre identité culturelle. Chacun comprendra ce je dis d'une manière différente. Certains affirmeront que, pour moi, l'identité culturelle n'est pas importante, alors que je la trouve fondamentalement importante. Je crois que la communauté répond à ce besoin d'identité, mais que nous manquons de compétences en mathématiques, en sciences et en administration des affaires. C'est sur ces domaines que nous devons concentrer nos efforts.

On a déjà fait beaucoup de recherches. Il y a beaucoup d'études sur les sujets que vous examinez. Le vrai problème, c'est que les chefs de notre communauté ne semblent pas vouloir faire le changement fondamental. Par exemple, nous savons que, statistiquement, les parents ne s'occupent pas de l'éducation de leurs enfants. Les parents et les autres adultes souffrent à un degré élevé de dysfonctionnement et d'autres problèmes sociaux. Leur situation émotionnelle ne leur permet pas d'éduquer de jeunes enfants. C'est encore une réalité. Qu'est-ce que les chefs autochtones font à ce sujet? Est-ce un nouveau problème? Ne le savons-nous pas depuis 20 ou 30 ans?

Ce domaine nécessite un changement fondamental. Il est vrai que le gouvernement ne peut pas le faire pour nous, nous devons nous en charger nous-mêmes. Nous devons nous retrousser les manches. Quelqu'un doit prendre l'initiative et dire: «Les parents n'élèvent pas les enfants. Ce sont nos enfants. Nous devons nous en occuper.» Nous ne le faisons pas et nos chefs ne le font pas non plus. Je crois qu'au lieu de blâmer constamment le gouvernement et en dépit du fait que nous avons besoin d'argent pour des programmes, nous devons placer la responsabilité aux pieds de chaque collectivité.

Il y a beaucoup trop de collectivités pour que votre action puisse avoir des effets. Nous devons créer une sensibilité différente, une espèce d'orgueil proactif, qui nous permette d'admettre nous-mêmes nos responsabilités. Nous avons un pourcentage élevé de décrocheurs. Nous devons chercher des solutions au lieu de nier l'existence du problème. La première étape, pour résoudre un problème, c'est de reconnaître son existence. Nous devons reconnaître nos difficultés, en parler ouvertement, sans critiques négatives, pour être en mesure d'envisager l'avenir d'une manière plus positive.

Récemment, des fonctionnaires des Affaires indiennes et du Nord canadien, qui discutaient avec l'un des groupes visés par un traité dans l'Ouest, ont abordé la question des 70 p. 100 de décrocheurs. Les responsables du groupe ont répondu qu'il n'y avait aucun problème dans le système d'éducation et que si le ministère voulait faire quelque chose, il n'avait qu'à leur verser plus d'argent. Ce n'est pas la solution. Ils ont nié qu'il y avait 70 p. 100 de décrochage. C'est pourtant la réalité, et nous devons l'admettre.

Pourquoi est-il obligatoire de faire intervenir le secteur privé? J'ai déjà donné la réponse: c'est dans le secteur privé que se trouvent la richesse, les emplois, la technologie et l'expérience; c'est le secteur privé qui emploie le plus de Canadiens. Si nous n'arrivons pas à établir de bons contacts avec le secteur privé, il n'y aura plus suffisamment d'emplois dans les services sociaux quand la population aura doublé. Il n'y aura pas suffisamment d'emplois, tout comme il n'y en a pas assez aujourd'hui dans les conseils de bande pour administrer un doublement de la population. Où se trouvent les emplois? C'est dans le secteur privé.

Le statu quo est tel qu'à mon avis, la situation actuelle est intenable. Je crois que nous le reconnaissons tous. Lors de la planification de «Taking Pulse», notre consultation nationale sur l'emploi, nous avons dû commencer par l'éducation et la jeunesse, en passant par tous les secteurs connexes tels que l'éducation parentale, pour déterminer comment accroître l'emploi.

Nous avons adopté quatre principes pour progresser. Premièrement, si la majorité des emplois des Canadiens résident dans le secteur privé, alors celui-ci doit jouer un rôle dans notre processus de développement parce qu'il possède les compétences et la richesse et détient les rênes du pouvoir.

Deuxièmement, nous ne pouvons pas séparer l'éducation de l'emploi. Troisièmement, le problème du chômage est tellement important que le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux, les sociétés, les éducateurs et les chefs autochtones doivent discuter ensemble pour s'entendre sur un plan pouvant aboutir à des résultats. En résumé, nous avons besoin d'un point de vue équilibré tenant compte des vues de tous les intervenants. Voilà ce que nous cherchons à réaliser grâce à «Taking Pulse». Quand nous avons parcouru le pays, nous avons demandé à des fonctionnaires fédéraux et provinciaux, à des éducateurs — qui n'avaient jamais été invités à une réunion autochtone —, à des jeunes et à des chefs autochtones ainsi qu'à des chefs d'entreprises de s'asseoir ensemble et de se poser la question: «Comment pouvons-nous résoudre ce problème?» Je crois encore qu'une collectivité ne peut pas, seule, déterminer son propre avenir sans prendre en compte tous les facteurs en jeu et sans avoir un point de vue équilibré.

Quatrièmement, nous reconnaissons le besoin de déterminer les vrais obstacles, c'est-à-dire les problèmes que chacun connaît, mais dont personne ne veut discuter de crainte d'embarrasser un ou plusieurs partenaires. Nous devons surmonter ces difficultés pour reconnaître les vrais problèmes et prendre les mesures nécessaires pour les résoudre.

Dire la vérité est souvent difficile, mais c'est une nécessité aujourd'hui.

Même si nous concentrons notre attention sur les Autochtones, les questions politiques de l'heure demeurent les revendications territoriales, les droits issus de traités et l'autonomie gouvernementale. Avec un taux de décrochage de 70 p. 100, nous continuons à perdre une génération à cause du dysfonctionnement et de la pauvreté.

Il importe de reconnaître que, dans le monde d'aujourd'hui, il n'y a plus de normes locales, régionales ou nationales. Avec la mondialisation qui rapetisse constamment notre univers, nous n'avons plus qu'une norme internationale. C'est la réalité. Nous devons l'admettre et nous y plier.

Au cours de la réalisation de «Taking Pulse», qui fut une entreprise provocatrice, un chef autochtone a exprimé l'avis que notre rapport n'avait pas abordé les différences tribales en ce qui concerne les employeurs du secteur privé. Je crois que ces différences ne constituent qu'un problème mineur, si on peut parler de problème.

En cette ère de développement du commerce international, de communications mondiales instantanées et de concurrence généralisée, les employeurs sont plus tolérants et respectueux de la diversité qu'ils ne l'ont jamais été auparavant. Dans la population active d'aujourd'hui, on appuie et on respecte les gens qui s'habillent différemment, qui mangent des aliments différents ou même qui célèbrent des fêtes différentes. Aujourd'hui, ce sont les compétences qui comptent, comme cela a toujours été le cas. Bien sûr, il y a de la discrimination, mais il n'en reste pas moins que pour faire partie de la population active, il faut avoir des compétences. Une fois qu'on en possède, les autres obstacles artificiels tombent. Nous devons lutter pour avoir notre place.

À cause de la mondialisation, les employeurs respectent davantage les différences. Quand on va dans une grande société, on y trouve des gens de toutes les origines ethniques, des gens qui s'habillent différemment, qui prennent des jours de congé différents, etc. Il y a plus de respect, et ce sont les compétences qui comptent.

Si nous n'acceptons pas de relever ce défi, nous aurons, comme je l'ai déjà dit, des coûts considérables à payer à l'avenir. Nous aurons tout simplement plus de gens qui souffrent d'un dysfonctionnement plus grave et d'une pauvreté plus profonde.

Notre rapport «Taking Pulse» a abouti à des résultats intéressants. J'aimerais vous signaler quelques idées concrètes.

Il existe aux États-Unis un programme ayant pour titre «Ne laissez personne à la traîne» ou quelque chose de semblable. Je serais heureux de transmettre au comité les dispositions législatives concernant ce programme.

Il s'agit d'une loi fédérale qui ne s'adresse pas seulement aux Autochtones, mais les chefs tribaux des États-Unis ont adopté le programme. Celui-ci fournit de l'argent permettant à des petits de suivre des cours avant l'âge de cinq ans. Ils vont à la pré-maternelle pour apprendre à mieux communiquer. Ils apprennent à écrire et à compter et acquièrent des aptitudes d'interaction sociale avant d'aller à l'école. De l'argent est également fourni aux parents pour leur permettre de pousser plus loin leurs études. Les parents travaillent avec les enfants.

La subvention a deux objectifs: permettre à l'enfant de suivre un programme préscolaire, et aux parents de s'instruire. Les deux vont à l'école ensemble pour étudier des matières différentes. Les chefs tribaux appuient ce programme.

Comme vous le savez, nous avons mis en œuvre le Programme d'aide préscolaire aux Autochtones. Il nous a fallu trente ans au Canada pour décider que ce serait une bonne chose. Les États-Unis ont adopté ce programme en 1965. C'est une autre bonne chose. Peut-être devrions-nous aller un peu plus vite dans ce domaine.

Après avoir terminé l'enquête «Taking Pulse» partout dans le pays, nous avons parlé d'un système scolaire urbain sectoriel. Vous noterez dans le Globe and Mail d'hier que John Richards, qui était l'un des membres de notre comité, aborde ce sujet. M. Richards a supposé que nous avions abouti à cette conclusion parce qu'il y avait abouti lui-même. En fait, nous y étions arrivés sans rien savoir de lui ni de ses travaux.

Nous avons pensé qu'il serait avantageux, compte tenu de tous les concepts que nous avions avancés, d'établir un système secondaire sectoriel doté d'une structure semblable à celle des Instituts de recherche en santé du Canada, organisation valant un milliard de dollars que dirige un important conseil d'administration. L'organisation se compose d'instituts distincts s'occupant respectivement des maladies rénales, du cancer, du cœur, des poumons, etc. Nous avons un Institut de la santé autochtone, dont je suis l'un des conseillers.

Comme nous l'avons expliqué dans notre rapport, il y aurait un conseil d'administration national composé de chefs autochtones, d'éducateurs et de chefs d'entreprises. Il en existe déjà à Ottawa. Je n'invente rien. Ce concept est appliqué dans le système scolaire français d'Ottawa.

La province a des exigences de base. Il faut assurer un certain niveau en mathématiques, en lecture, etc. De plus, chaque école secondaire offrirait cinq ou six cours supplémentaires rattachés à un secteur particulier.

Depuis les années 50, nous avons tous entendu parler des écoles secondaires d'art où allaient les enfants qui avaient un talent artistique particulier. Ces enfants continuent à étudier les mathématiques, les sciences, etc., mais ils reçoivent une formation spéciale dans leur domaine de prédilection, ce qui leur assure de meilleurs résultats.

Il s'agirait donc d'une école secondaire qui serait spécialisée non dans les arts, mais dans les différentes industries. Nous pourrions en avoir une spécialisée en foresterie à Vancouver et une autre, en pétrole et gaz en Alberta. Celle de médecine et de santé serait semblable à l'Université de l'Alberta, qui est très avancée dans le domaine des programmes de santé autochtones de même que dans la chirurgie cardiaque et la recherche. L'école spécialisée dans les transports pourrait se trouver à Winnipeg ou à Montréal, à cause de la présence du CN. Celle des industries manufacturières pourrait être en Ontario et celle des technologies de l'information, à Ottawa, Mississauga ou Toronto.

Compte tenu de la pénurie de main-d'œuvre et du besoin de compétences spécialisées, ces écoles pourraient offrir quatre ou cinq cours conçus par les industries elles-mêmes, de concert avec les éducateurs et les Autochtones. L'information serait présentée dans un contexte de langue et de culture autochtone.

Les partenaires du secteur privé contribueraient au financement de ces écoles. Les parents siégeraient en outre au conseil d'administration.

On pourrait ainsi familiariser les jeunes avec les technologies avancées et les compétences spécialisées. Qu'un jeune s'intéresse à la médecine ou à la fabrication, il pourra accéder à une plus grande information et aboutir à de meilleurs résultats.

Je suis musicien. Les années que j'ai consacrées aux études musicales avant d'aller à l'université m'ont beaucoup aidé à travailler à Broadway à 18 ans. C'est un privilège rare pour une personne aussi jeune, mais j'avais reçu dans l'enfance une formation spécialisée dans un domaine auquel je m'intéressais. Il s'agissait de développer cet intérêt.

Chaque jeune a des intérêts différents. Dans la communauté autochtone, ces intérêts sont souvent réprimés. Si vous avez de l'ambition, on vous critiquera au lieu de vous encourager.

Toutefois, dans un centre urbain comme Toronto, on peut éprouver un sentiment d'appartenance à cause de la présence de beaucoup d'autres enfants autochtones. Le lien culturel est là. On peut apprendre la langue autochtone à l'école, de même que l'histoire de quelques-unes des nations autochtones. On peut en même temps se renseigner sur la technologie du pétrole et du gaz ou suivre des cours enrichis de biologie si on s'intéresse à la médecine ou à d'autres sciences.

Je crois que cette approche est pratique. Dans le système scolaire français d'Ottawa, un élève qui veut suivre cinq cours supplémentaires d'informatique peut le faire dans l'une des écoles de la commission. Le modèle est déjà établi. J'ai mentionné par exemple les écoles secondaires d'art.

Cette approche assurerait la cohésion culturelle en milieu urbain. Le centre d'amitié, c'est très bien, mais que peut- on y obtenir? On y trouve quelques services, ce qui est merveilleux. Ils étaient particulièrement utiles, il y a une quarantaine d'année. Ces écoles seraient des établissements de transmission de la culture, mais aussi de transmission de normes, de fierté et de connaissances spécialisées et avancées.

Nous devrions avoir un système scolaire secondaire sectoriel que l'industrie financerait en partie. Elle contribuerait à la conception des programmes d'études. L'industrie collabore avec la communauté autochtone.

L'un des résultats les plus utiles de «Taking Pulse» a été de réunir ensemble des représentants du gouvernement, des éducateurs et des chefs autochtones. Il était difficile pour chaque groupe de se dégager de ses responsabilités parce qu'il était au service de quelque chose de plus grand. Lorsqu'on discute de concepts et d'idées, il est difficile pour quelqu'un de dire: «Je ne souhaite pas participer à ceci ou à cela.» C'est une discussion fortuite qui produit des résultats et imprime une direction positive.

Pour donner suite à notre rapport, nous envisageons aussi une organisation de jeunes Autochtones. Dans les années 1990, nous avions un programme anti-décrochage qui a donné de bons résultats, mais qui ne correspond plus à ce dont nous avons besoin aujourd'hui. Nous avons en fait besoin d'un programme de retour à l'école. Si 70 p. 100 des enfants décrochent, nous devrions avoir quelque chose qui les encourage à revenir à l'école, comme des cours sur le développement de la fierté et de l'estime de soi. Nous avons besoin de leur donner des occasions, Peut-être devrions- nous avoir des stages en milieu de travail suivis d'un retour à l'école.

Une organisation de jeunes peut atteindre ces objectifs. Nous aurions besoin d'une telle organisation, où les enfants se familiariseraient avec les réalités de la vie d'adulte à un plus jeune âge qu'à l'heure actuelle.

Nous travaillons actuellement sur le plan des concepts. Nous avons poursuivi le processus consistant à organiser des discussions sur le sujet entre des représentants d'entreprises, des chefs autochtones et des travailleurs experts auprès des jeunes de la communauté autochtone. Cela fait partie du suivi de «Taking Pulse». Nous voulons déterminer ce qui a bien marché dans le passé et quels éléments peuvent être combinés pour réaliser des progrès.

Nous avons besoin d'un lien plus fort avec le secteur des sociétés. Notre organisation a réussi à rallier dans le milieu des affaires des appuis sans précédent dans l'histoire du pays. Ces appuis ne vont peut-être pas très loin, mais ils sont plus nombreux que jamais. Compte tenu du fait qu'il a fallu un effort concerté pour atteindre ce résultat, nous pourrions en obtenir davantage dans l'environnement actuel. Quoi qu'il en soit, des efforts ciblés et vigoureux sont actuellement déployés.

C'est une question d'autodétermination. Encore une fois, aucune somme venant du gouvernement, aussi importante soit-elle, ne changera le problème tant que nous, comme peuple, n'aurons pas décidé de changer et de progresser. Nous ne pouvons pas continuer indéfiniment à nier. Nous devons admettre que 70 p. 100 des jeunes quittent l'école et que les parents n'élèvent pas correctement leurs enfants. C'est très malheureux.

Nous n'avons pas à rejeter le blâme sur quelqu'un. Qu'il nous suffise de nous demander: «Que pouvons-nous faire pour trouver une solution?» Rien n'y fera autrement.

J'ai lancé la Fondation nationale des réalisations autochtones. J'avais travaillé à Broadway. Dans la première année où nous avons décerné des Prix d'excellence, quelqu'un de CBC, dont je suis fier d'être administrateur, m'a dit: «John, vous êtes un gentil garçon. Nous allons produire l'émission pour vous, car que savez-vous de la télévision?»

Nous avions produit un ballet d'un million de dollars intitulé Au pays des esprits. C'était la première vraie production de danse autochtone. Je crois que c'était en 1998. Les gens de Radio-Canada ont dit: «John, nous savons que vous savez monter un grand spectacle sur scène, mais que savez-vous d'un spectacle télévisé? Nous le produirons pour vous.»

L'idée que le radiodiffuseur public se faisait d'un spectacle télévisé était très différente de ce qu'on voit aujourd'hui. Le spectacle que vous voyez maintenant est beaucoup plus ambitieux et d'une bien plus grande échelle.

La première année, Radio-Canada s'est interrogée sur les décors. Qu'est-ce que les Indiens reconnaissent? Ils reconnaissent un tipi. Nous avons donc eu quelque chose qui ressemblait à un tipi. Après le spectacle, tous les gens de l'Est m'ont appelé pour dire: «Le tipi faisait trop stéréotypé.» Les Cris et les groupes des Plaines trouvaient que ce n'était pas mal.

Je me suis alors rendu compte que notre décorateur était britannique et ne savait rien de l'art et de la culture autochtones. J'ai donc commencé à m'occuper moi-même de la production. J'avais beaucoup à apprendre sur le plan technique, mais, chaque année, j'ai assumé une responsabilité plus importante dans la production.

De plus, le radiodiffuseur public disait: «Voilà combien d'argent vous pouvez avoir. Vous n'en aurez pas plus.» J'ai répondu: «Non, nous irons chercher des commanditaires à l'extérieur.» Nous avons développé la commandite privée. Aujourd'hui, le spectacle est plus important et a un plus grand impact. Les décors sont plus adaptés sur le plan culturel. Nous avons engagé et formé plus d'Autochtones que Radio-Canada — pour qui j'ai bien sûr une grande admiration — ne l'avait jamais fait. Si vous regardez l'émission cette année, vous verrez que nous avons accepté des risques en prenant cinq ou six cadreurs qui n'ont peut-être pas autant d'expérience que les cameramen les plus chevronnés, mais qui vont acquérir cette expérience.

Radio-Canada ne les aurait pas laissés prendre de l'expérience, mais nous avons décidé de leur donner une chance dans notre émission. Nous devrons répéter un peu plus. Ainsi, le niveau de compétence de chacun augmentera.

Le spectacle est maintenant de plus en plus dirigé par les Autochtones. Il est devenu plus ambitieux et a un plus grand auditoire. Il présente mieux. Nous racontons les histoires concernant nos peuples et engageons plus d'Autochtones pour le faire.

Voilà le genre d'autodétermination dont je parle. Son seul inconvénient, c'est la somme de travail nécessaire. Quand je téléphone à une organisation autochtone à 16 h 30, il n'y a plus personne pour répondre. Si vous téléphonez à la Fondation nationale des réalisations autochtones à 20 heures, vous nous trouverez là. Nous y sommes, même le dimanche. Les étudiants, habitués à nous trouver toujours là, se fâchent quand ils appellent pour demander un formulaire de bourse et n'obtiennent pas de réponse. Voilà le genre d'autodétermination que nous devons préconiser dans notre communauté.

La présidente: Merci beaucoup. Votre exposé était très profond, très intéressant et très opportun.

Le sénateur St. Germain: Merci pour cet excellent exposé, monsieur Bell. Comme la présidente l'a dit, il était très profond. De toute évidence, vous avez beaucoup travaillé et beaucoup réfléchi.

À titre de Métis, je m'intéresse beaucoup à cette question de manque de soins de la part des parents. Nous pouvons établir les meilleurs programmes de formation du monde, mais tous les périples commencent par ce premier pas.

Vous avez parlé d'éducation et de cours préscolaires pour les enfants et les parents. Les Métis et les Autochtones viennent de régions rurales et de réserves. C'est là que se situe le problème. Votre proposition concernant les cours préscolaires serait efficace dans les régions urbaines, mais il faut qu'elle soit réalisée plus en amont. Si elle n'existe pas dans la région du lac des Esclaves ou ailleurs, il est trop tard et nous perdrons une autre génération. Voilà pourquoi nous perdons des générations.

Je suis né au Manitoba, mais je représente la Colombie-Britannique. Je vois de grandes différences entre nos peuples autochtones. Quand on se déplace d'Est en Ouest, on trouve ce que vous appelez la «mentalité du bison». Le retard culturel se manifeste davantage à l'Ouest, surtout dans les Prairies où vivent les Autochtones que je connais le mieux parce que j'ai été élevé avec eux. Je ne sais pas comment toucher ce groupe.

Vous avez fait abstraction de l'aspect spirituel. Les Autochtones ont eu une vie très marquée par la spiritualité. Leurs chefs étaient des chasseurs de bisons. Ils avaient un caractère spirituel. L'aspect spirituel créait la fierté et une vraie force dans les collectivités quand les guerriers recherchaient les panaches et les plumes dont vous avez parlé.

Voulez-vous nous en dire plus à ce sujet? J'ai trouvé votre exposé intéressant, mais l'aspect spirituel est très important à mon avis. Peut-être ne l'est-il pas pour vous.

M. Bell: Les questions spirituelles relèvent d'un choix personnel. Nous sommes largement assimilés. Il y a beaucoup plus d'Autochtones qui croient en Jésus-Christ que dans les religions traditionnelles. Nous ne devons pas perdre de vue que les Autochtones ne sont pas homogènes. C'est un aspect qu'on oublie souvent. La moitié des Canadiens était en faveur de l'accord de Charlottetown et l'autre moitié était contre. Il en est de même des accord du lac Meech et du libre-échange. Les Autochtones ne sont pas différents à cet égard.

M. Bell: Si vous dites que nous devons avoir des écoles sectorielles, certains diront que c'est de l'assimilation et d'autres, que c'est une bonne chose. La moitié sera pour et la moitié, contre. Les questions spirituelles sont personnelles. Il y a un important lien spirituel. Je suppose que, dans la conception d'un système d'écoles sectorielles, il faudra en tenir compte. Quand je dis qu'il faut tout placer dans un contexte culturel, je ne fais pas abstraction de l'aspect spirituel. C'est un élément fondamental de la vie de tous les jours qui n'a pas à être inscrit dans les lois.

Malgré ce puissant lien spirituel, nous nous sommes battus et entretués pendant des décennies. J'attire votre attention sur ce point aussi. Notre façon de nouer des liens spirituels est peut-être différente de celle d'autres cultures, mais je n'écarte pas du tout l'aspect spirituel. Je dis que les problèmes de base résident dans les compétences, la négation, l'examen des statistiques et le progrès. Mais nous devons tout faire d'une manière spirituelle.

Au sujet des différentes régions du pays, aucun programme n'apportera une solution partout. Ayant assisté au fil des ans à de nombreuses réunions autochtones, je sais qu'il est presque impossible de s'entendre sur quelque chose. Nous pourrions dire qu'il serait bon d'avoir du gâteau au chocolat, mais nous ne pouvons pas prendre de décision à ce sujet avant de nous être occupés des aînés, des soins de santé ou du logement. Aucune décision n'est prise tant que nous n'avons pas examiné tous les problèmes qui se posent. Toutes les réunions autochtones aboutissent au même résultat: il n'y a jamais de gâteau au chocolat.

À la Fondation, nous essayons d'adopter une approche intégrée et holistique. Nous savons que nous ne pouvons pas résoudre tous les problèmes. Les chefs et l'APN, par exemple, vous diront qu'on ne peut pas aborder tel sujet avant le règlement des revendications territoriales. C'est ainsi que nous continuons à perdre, génération après génération. À mon âge avancé, je trouve cette situation intenable. Certaines revendications territoriales seront réglées, mais nous ne recevrons jamais l'argent qui nous est dû. Poursuivons cet effort, mais avançons en même temps sur d'autres fronts pour régler d'autres problèmes fondamentaux.

Un programme, quel qu'il soit, n'atteindra jamais tout le monde et ne répondra pas aux besoins de tous. Cela ne signifie pas qu'il ne faut pas mettre en œuvre ce programme. Je me plaignais une fois du fait que notre organisation n'avait pas vraiment la capacité de changer la situation. Certaines personnes m'ont répondu que je devais cesser de m'inquiéter car toute réalisation positive est utile en soi. C'est ainsi que je vois les choses maintenant.

Il y a une autre chose dont je n'ai pas parlé. Je n'essaie pas nécessairement de faire mousser la Fondation, mais c'est l'un des grands malaises que nous avons dans le pays. Toutes les nations ont des institutions culturelles indépendantes. Il est difficile pour les chefs qui tentent de réaliser des changements sociaux d'aller voir les parents pour leur dire qu'ils s'acquittent mal de leurs responsabilités parentales, car ces chefs risquent de ne pas être réélus. Le Canada a le Conseil des arts, organisme indépendant du pouvoir politique qui est dirigé par des experts et qui jouit de la liberté d'expression. Ce sont les deux principes sur lesquelles repose le Conseil des arts du Canada. Dans quelle mesure est-il vraiment indépendant? Cela n'a pas vraiment d'importance car il est censé être indépendant, être dirigé par des experts et permettre la liberté d'expression sans aucune censure. Il y a par exemple la société Énergie atomique du Canada Limitée. Je pourrais citer une douzaine d'autres organismes, dont le Fraser Institute et l'Institut C. D. Howe dans le secteur privé.

Dans notre nation, nous n'avons pas d'institutions culturelles indépendantes. Dans notre Fondation, les chefs et les dirigeants vont et viennent. Quand Fontaine était chef national, il a lancé une agence de voyages et un journal. Deux ans plus tard, il n'était plus chef et tout cela a disparu. À la Fondation nationale des réalisations autochtones, nous ne faisons qu'une chose, décerner des bourses. Nous le faisons depuis 18 ans. Tous les deux ans, nous consolidons nos succès et nous ne changerons rien. À cause de notre stabilité, nous avons réussi à obtenir plus de soutien du secteur des sociétés, qui nous fait confiance. Nous sommes en quelque sorte indépendants.

Vous trouverez probablement que mes propos sont provocateurs. Vous n'entendrez sans doute pas d'autres répéter la même chose. Nous n'arriverons à réaliser quelque chose que si certains d'entre nous ont la liberté de parler sans crainte de répercussions. Je pourrais toujours obtenir un emploi dans une société. Beaucoup de dirigeants autochtones diront que mes propos sont provocateurs. Je ne fais pourtant que parler de la réalité. Quand je m'entretiens avec des chefs d'entreprise et d'autres gens partout au Canada, ils sont toujours d'accord avec moi que ce sont là les vrais problèmes. Dans les collectivités autochtones, les gens diront sans doute que ce n'est pas vrai.

Cela est dû en partie au fait que peu de gens ont la possibilité de parler librement. Nous sommes une petite communauté dans laquelle les répercussions peuvent être importantes.

Les dirigeants politiques n'auront peut-être jamais la possibilité d'aller voir les parents pour leur dire qu'ils n'élèvent pas bien leurs enfants, mais il est possible que des institutions culturelles indépendantes puissent le faire. Nous avons besoin de telles institutions. Les universités peuvent jouer ce rôle. Ce sont des établissements de savoir qui transmettent une masse de connaissances spécialisées au profit du pays. Nous en avons également besoin.

Le sénateur St. Germain: Je vous remercie d'avoir répondu à ma question. Pour moi, les responsabilités parentales et la façon d'élever les enfants jouent un rôle essentiel dont tout le reste dépend.

M. Bell: Je suis bien d'accord avec vous.

Le sénateur Hubley: J'ai beaucoup aimé votre exposé, qui ne manquait effectivement pas d'éléments provocateurs. Croyez-vous que les gouvernements accordent trop d'importance à l'aspect culturel comme solution aux problèmes autochtones? Nous avons peut-être l'impression que si les Autochtones pouvaient retrouver leur culture, les problèmes disparaîtraient. En fait, cela doit faire partie du processus, mais nous devons aller au-delà.

M. Bell: La culture est enracinée dans les droits collectifs, et vice versa. L'un des moyens de réagir consiste à reconnaître que nous sommes face à un dilemme. À mesure que le monde rapetisse, la notion de démocratie devient plus forte. Comme toutes les autres idéologies s'effondrent, les concepts de démocratie et de primauté du droit deviennent de plus en plus acceptables comme moyens de gouvernance. Cela signifie que les pays qui ont des populations autochtones commencent maintenant à manifester plus de respect et de responsabilité envers les droits collectifs des peuples autochtones. Nous jouissons donc de l'autodétermination, ce qui n'est pas un problème.

Il est bon pour nous d'assumer des responsabilités et de faire de bons choix. Je ne crois cependant pas que nous le fassions. Nous revenons de très loin et avons besoin de récupérer. Le problème, c'est qu'un groupe qui a des droits collectifs et une identité ou une culture devrait avoir droit à l'autodétermination. Le fait que le gouvernement le reconnaisse est un progrès.

Nous en sommes maintenant au stade où nous devons décider de ce que nous sommes, comme peuple, sans perdre de vue que les Autochtones ne sont pas homogènes. Les Autochtones qui embrassent une profession ne pensent pas de la même façon que les travailleurs sociaux. Les gens qui représentent des secteurs différents de la communauté autochtone ne pensent pas tous de la même façon. Cela complique la situation et crée une identité collective ainsi que le problème de l'autodétermination.

Notre réaction naturelle consiste à renforcer l'identité. Nous le voyons dans le système scolaire. Parce que notre langue, notre culture et nos coutumes avaient été proscrites, nous en faisons maintenant le centre de la définition de la personne autochtone. Nous avons ainsi récupéré notre identité. Par ailleurs, nous ne semblons pas nous rendre compte qu'après avoir retrouvé notre identité, nous devons prendre conscience du fait que nous ne sommes pas différents de n'importe quelle autre communauté. Il y a des Canadiens chinois, des Canadiens indiens, etc. Ils ont tous leurs propres cultures et jouissent tous de l'autodétermination. C'est ainsi que B'nai B'rith et d'autres institutions culturelles participent au grand contexte canadien.

Ce n'est pas notre cas parce que nous en avions été expulsés. Nous n'étions pas autorisés à participer à l'industrie forestière ou à toute autre industrie. On nous a retiré nos terres et notre capacité de prendre des décisions.

Maintenant, après tant d'années sans contrôle, tant d'années où nous avons simplement reçu de l'argent, nous avons le problème inverse: nos droits sont reconnus de plus en plus, nous recevons de l'argent pour l'autonomie gouvernementale, l'autodétermination, etc. La réaction naturelle est pour nous de retrouver notre identité. Les statistiques montrent, je crois, que nous renonçons aux responsabilités et à l'acquisition de compétences. Comme communauté, nous ne sommes pourtant pas très différents des Canadiens d'origine japonaise. S'ils ont un taux de chômage de 7 p. 100, nous ne devrions peut-être pas en avoir plus. Si leur taux de décrochage ne s'élève qu'à 20 p. 100, peut-être le nôtre devait-il être le même. Toutefois, nous ne nous comparons pas aux autres communautés, parce que nous sommes très différents. On nous a imposé un environnement artificiel. Comme je l'ai dit plus tôt, nous avons été délibérément forcés à adopter un mode de vie différent. C'est là que réside le problème.

Le gouvernement sait que les systèmes scolaires ne fonctionnent pas, mais les chefs autochtones disent que ce n'est pas l'affaire du gouvernement parce que nous contrôlons nous-mêmes nos propres écoles. Si vous intervenez, n'empiéterez-vous pas sur nos droits collectifs et notre droit à l'autodétermination?

Rien ne nous incite à changer. Si toutes les écoles devaient aller chercher 50 p. 100 de leur financement auprès des sociétés, les choses changeraient du jour au lendemain: les normes monteraient, les gens seraient plus organisés et personne ne rentrerait chez lui à 16 h 30. Nous aurions plus de discipline. Je crois que nous devons nous imposer une plus grande discipline. C'est un défi.

Le gouvernement ne nous a pas toujours bien traités, mais les choses s'améliorent. Au lieu de prendre position à droite et à gauche, nous devons considérer les objectifs. Tout d'abord, nous devons régler le problème du décrochage et celui des responsabilités parentales, car cela nous rapprochera de la solution de tous les autres problèmes, comme la pauvreté, la santé et le système judiciaire. Malheureusement, nous allons plutôt consacrer plus d'argent à d'autres projets, qui sont importants bien sûr, mais qui ne constituent pas nécessairement la racine du problème. Si les gens pouvaient se prendre en main et apporter leur contribution, nous aurions moins de cas de syndrome d'intoxication fœtale à l'alcool. Si vous devez consacrer 100 millions de dollars à ce syndrome, vous devriez plutôt en attribuer le double aux problèmes de base: responsabilités parentales, éducation des enfants, maintien des enfants à l'école et relèvement des normes. Alors, tous les autres problèmes s'atténueront avec le temps. C'est en cela que consiste l'approche holistique.

Le sénateur Hubley: La plupart de nos témoins sont des chefs de file dans certains domaines de leur collectivité. Vous nous présentez cependant un point de vue plus global.

Toutefois, aucun autre témoin ne nous a parlé d'élitisme. Comment se fait-il que, dans la société autochtone, les réalisations sont considérées comme des éléments négatifs?

M. Bell: Notre rapport intitulé «Taking Pulse» — que certains d'entre vous voudront bien examiner, j'espère — est une compilation d'observations faites par des Autochtones un peu partout dans le pays. Nous y parlons du manque de responsabilités parentales, de l'abaissement des normes, etc. J'ai reçu une lettre de notre chef national disant que nos propositions lui semblaient élitistes. Bien sûr, j'ai pris cette observation très au sérieux et j'y ai beaucoup réfléchi. Nous avons fait des recherches dans les documents et avons demandé aux gens leur avis sur la façon de répondre à cela.

Dans les années 50, des études secondaires suffisaient pour vivre très confortablement au Canada. Aujourd'hui, tout le monde vous dira que des études supérieures sont indispensables, mais nous n'en sommes pas encore là. Quand on me parle d'élitisme, je me demande: avons-nous besoin, oui ou non, de médecins autochtones? Faut-il, oui ou non, envoyer des gens faire sept ans d'études après leur diplôme secondaire? Je vous ai donné l'exemple du téléphone cellulaire.

Nous parlons de développement économique durable. En quoi cela consiste et comment y parvenir? Il ne suffit pas de planter des arbres après les avoir abattus. Comment allons-nous utiliser la technologie? Oui, nous achetons des téléphones cellulaires, mais pourquoi ne pouvons-nous pas les fabriquer ou les vendre? Pourquoi ne pouvons-nous pas profiter de cette technologie? Il faut pour cela des études supérieures d'une durée qui dépasse parfois quatre ans. C'est ce que le reste du monde fait. C'est ce que font les Canadiens d'origine japonaise, chinoise, indienne, etc. Pourquoi ne pouvons-nous pas le faire aussi?

[Français]

Le sénateur Gill: Monsieur Bell, je voudrais d'abord vous féliciter pour vos réalisations. Je sais que vous oeuvrez dans le domaine des arts et que vous avez été chef d'orchestre. Moi, je n'ai pas été chef d'orchestre, j'ai été chef de ma communauté et c'est là-dessus que je vais vous entretenir. J'ai été chef pendant 10 ans.

Le message que je reçois des gens de ma communauté est très différent de celui que vous recevez. Vous dites que les leaders n'encouragent pas les jeunes à poursuivre des études. Chez nous, je reçois des parents un message très différent. J'ai été en charge de l'éducation des Autochtones au Québec pendant plusieurs années et je constate qu'il y a une énorme motivation des parents qui veulent que leurs enfants fassent des études secondaires, postsecondaires et universitaires.

D'une part, vous dites avoir entendu des propos provocateurs de la part du leadership autochtone. Je serai un peu provocateur aussi en disant que vous êtes très exigeant envers le leadership autochtone. Exigeant, il faut l'être et j'espère que vous avez la chance de parler directement aux leaders parce que le message doit être transmis à l'intérieur de nos communautés. Personnellement, lorsque je m'adresse à mes commettants je leur dis vraiment ce que je pense, je le fais à l'interne et dans le but de corriger les choses.

D'autre part, vous encouragez l'établissement d'institutions. Cela signifie que lorsqu'on accepte davantage de responsabilités, il faut un certain encadrement. Je suis d'accord avec le fait que vous soyez en faveur de la création d'institutions.

Actuellement, le conseil de bande est la seule institution reconnue aux yeux de la loi tandis que dans le monde non autochtone, vous avez beaucoup d'institutions qui s'occupent des domaines scolaire, des arts ainsi de suite. Le conseil de bande est la seule institution reconnue et elle n'a pas possibilité de référer les dossiers à d'autres.

N'oublions pas qu'on a les chefs qu'on mérite et que c'est la population qui les élit. Dans la plupart des communautés, la démocratie règne. La grande partie du leadership — y compris le leadership national — est composée des responsables élus par la population.

Comment faire en sorte que les leaders travaillent dans le sens des recommandations que vous faites? Par exemple, comment faire en sorte que les leaders respectent les exigences de saine gestion et d'imputabilité au sein des conseils de bande en ce qui a trait à la création d'institutions?

[Traduction]

M. Bell: Je me considère davantage comme un militant social que comme un artiste, mais je vous remercie de reconnaître mon ancienne carrière. Oui, il est vrai que certains parents et certains chefs incitent les enfants à faire des études supérieures. Encore une fois, les Autochtones ne sont pas homogènes. Je ne sais pas quelles sont vos sources, mais j'ai connu, moi aussi, des parents autochtones qui encouragent leurs enfants et valorisent les études. Malheureusement, les statistiques qui viennent d'être publiées et dont j'ai pris connaissance hier montrent que le taux de décrochage est à 70 p. 100. Les écoles des collectivités autochtones n'obtiennent pas les mêmes résultats que les établissements urbains. Nous avons besoin de chefs ou de parents qui encouragent les enfants. Nous avons besoin d'une transition qui permette de reconnaître la valeur fondamentale de l'éducation. La réalité, c'est que la façon actuelle de faire les choses ne marche pas. Oui, plus de parents et de chefs doivent le reconnaître.

Un fonctionnaire m'a dit que l'argent donné aux conseils de bande pour les écoles n'arrive souvent pas à destination. Les écoles manquent de fournitures et n'ont pas des conditions adéquates. Les journaux ont parlé hier d'enseignants qui ne faisaient pas le poids. Qui voudrait aller dans le Grand Nord pour enseigner dans une école? Personnellement, je n'accepterai pas d'y aller. Il y a donc un problème au niveau des enseignants.

Je pense très simplement que nous devons accorder une plus haute priorité à l'éducation. Je suis heureux d'apprendre que les gens de votre collectivité et d'ailleurs en parlent en termes plus positifs. Malheureusement, ce n'est pas la même chose partout. Vous savez sans doute que je me suis entretenu la semaine dernière avec 15 chefs en Colombie-Britannique pour leur parler justement de cette question. Au Manitoba, j'ai rencontré 12 chefs il y a deux mois, y compris le grand chef Whitebird. Je vais voir les chefs pour leur dire très honnêtement ce que je pense, c'est-à- dire exactement ce que je vous ai dit aujourd'hui.

Quand je considère le nombre de conseils de bande qui connaissent des difficultés financières ou sont au bord de la faillite, je me dis qu'il y a un problème de responsabilité. Je note également que plus une nation a d'instruction, plus la démocratie y donne de bons résultats. Les deux sont interdépendantes. Beaucoup de nos chefs n'ont pas fait d'études supérieures, ce qui entrave notre processus démocratique. Je n'accuse personne. Je ne fais que rapporter ce qui me semble être la réalité.

Nous avons besoin de chefs élus. Le Canada a des chefs élus, mais il charge des gens ayant des compétences critiques de s'occuper des questions critiques. C'est de cela que je voulais parler quand j'ai mentionné le Conseil des arts du Canada, Énergie atomique du Canada, etc. Ayant demandé: «Qui devrait décider?», Socrate a conclu: «Que celui qui sait décide.» Laissons donc décider ceux qui possèdent les compétences critiques. Socrate demande ensuite ce qui suit: si un être qui vous est cher est gravement malade, allez-vous réunir un comité pour décider de ce qu'il convient de faire, que ce soit lui couper un bras, lui amputer une jambe ou lui faire une saignée? Ou bien allez-vous laisser décider celui qui sait? Si vous êtes en mer et que votre navire est sur le point de chavirer dans une tempête, tiendrez-vous un vote ou bien laisserez-vous décider celui qui sait?

Les démocraties fonctionnent le mieux quand elles se fondent sur des institutions qui possèdent des compétences critiques et qui jouissent de la liberté d'expression dans l'intérêt collectif. Par conséquent, la meilleure chose que nos chefs élus puissent faire est de permettre aux institutions qui possèdent des connaissances spécialisées dont nous pouvons profiter de s'épanouir, et non de réduire leur rôle. Ces institutions peuvent jouer un rôle extraordinaire. Je ne crois pas que la façon actuelle de faire les choses fonctionne. Je le dis ouvertement, et les statistiques le confirment.

Ce n'est pas non plus entièrement la faute des Autochtones. La situation est complexe et il y a beaucoup de points de vue divergents parce que nous ne sommes pas un peuple homogène. Peut-être avons-nous amorcé la transition vers une plus grande priorité pour l'éducation, mais les statistiques ne le montrent pas. Je m'entretiens régulièrement avec les chefs et je leur parle aussi franchement que je l'ai fait aujourd'hui, même si je dois en subir les conséquences. Nous ne pouvons pas faire abstraction des statistiques. Au cours de certaines de ces réunions, nous parlons de tout. Nous savons qu'il y a un problème et qu'il serait plus important d'en parler. Ce n'est jamais facile.

Encore une fois, les compétences spécialisées sont vraiment importantes. Radio-Canada n'engagerait pas six chefs pour produire l'émission sur les Prix nationaux d'excellence aux Autochtones. Il s'agit de trouver qui a les compétences voulues pour faire le travail. Dans tous les pays, l'éducation est essentielle au fonctionnement de la démocratie.

Le sénateur Pearson: Je suis très intéressée par ce que vous dites au sujet du besoin d'institutions. Vous avez ouvert une porte qui me permet de mieux comprendre. Quand on observe les joueurs sur le terrain et les institutions qui ont tous ces pouvoirs, comme vous le dites, on se rend compte que les conseils de bande et les autres ont également des pouvoirs, mais qu'ils sont insuffisants.

Comme vous le savez sans doute, j'ai travaillé avec Mary Simon en vue de favoriser l'établissement d'une fondation pour les enfants dans l'Arctique.

M. Bell: J'y siège.

Le sénateur Pearson: Je le sais. C'est pour cette raison que je disais que vous le savez sans doute. C'est la première fois que j'entends d'aussi bons arguments en faveur d'institutions distinctes. Ceux qui s'y opposent disent: «Pourquoi consacrer tant d'argent au problème des enfants de l'Arctique? Pourquoi le gouvernement devrait-il contribuer à la création d'une fondation distincte?»

Vous avez avancé d'excellents arguments au sujet de la valeur ajoutée d'une chose telle qu'une fondation pour les enfants dans l'Arctique. C'est la capacité de recueillir de l'information, de faire des recherches et de développer des idées sans être lié par le processus politique. Est-ce bien cela que vous dites?

M. Bell: Oui, en partie. S'il y a un problème critique, il faut l'attaquer au moyen de compétences critiques. Si l'environnement actuel ainsi que les processus et les programmes en place ne permettent pas de résoudre le problème, il faut recourir à des processus et des programmes différents, essayer quelque chose de nouveau et de différent.

Souvent, les gouvernements créent des organismes et des conseils qui ne fonctionnent pas bien. Il faut que les responsables aient de l'enthousiasme et la vision nécessaire pour se concentrer sur l'expertise et la pousser plus loin.

Le sénateur Pearson: Y a-t-il dans la communauté autochtone d'autres exemples d'institutions de ce genre, à part la vôtre?

M. Bell: Nous en avons très peu. Elles renforcent la communauté, mais on nous a empêchés d'en avoir. C'est la réalité. Elles sont considérées comme une menace. Il y en a encore beaucoup qui nous voient prendre la route à cheval pour déclencher une guerre et qui nous ont donc empêchés d'avoir ces institutions. Pour vous répondre, il y a l'organisation nationale de la santé autochtone, qui vient tout juste d'être créée et qui étudiera des questions précises.

J'ai remarqué dès la première réunion de la fondation des enfants de l'Arctique que personne ne sait quoi faire. Il faudra 20 ans pour y arriver. Nous devons grandir et apprendre. Toutefois, nous devrions avoir l'occasion de comprendre l'avenir avec l'autodétermination, d'étudier une question sans que le pouvoir politique cherche à nous faire mal, d'avoir la liberté d'explorer, d'offrir des idées et d'accepter les commentaires, les critiques, etc. Je crois vraiment que c'est important. Toute démocratie a des institutions culturelles. Les Autochtones devraient en avoir quelques-unes. Nous avons des centres culturels, dans le cadre d'un petit programme au financement insuffisant. Nous avons huit centres culturels dans le pays, qui s'occupent surtout d'arts, d'identité, etc. Mais nous n'avons pas d'autres grandes institutions culturelles. Nous avons cependant le Saskatchewan Indian Federated College, qui est un bon établissement.

Le sénateur Pearson: La fondation dit qu'elle n'a pas suffisamment d'argent et cherche, je crois, à obtenir un prêt hypothécaire.

M. Bell: Bien sûr, c'est très difficile. Cela étant dit, il existe de nombreux moyens d'acquérir des connaissances. Par exemple, nous avons tant de collèges communautaires autochtones, 70 ou 80, je crois.

Peut-être en avons-nous trop, parce qu'il nous est impossible d'augmenter la capacité. La capacité est très importante.

Le problème, c'est que chaque bande veut avoir un collège. Un système d'écoles secondaires sectorielles appartiendrait à tous les Autochtones, mais il n'y aurait qu'une école de foresterie et une d'informatique, parce que nous ne sommes pas assez nombreux et que nous voulons une école spécialisée avec une composante spirituelle.

Nous ne devons pas chercher à avoir des institutions culturelles simplement pour le plaisir. Il faudrait qu'elles aient pour objet d'améliorer la vie des Autochtones.

À mon avis, nous devrions avoir 40 collèges communautaires autochtones qui auraient le double de la taille actuelle, au lieu d'en avoir 80 qui manquent d'argent et ne peuvent pas recruter les meilleurs enseignants. Réduisons le nombre à 40 et donnons-leur l'argent nécessaire. Mais comment réussirons-nous à les répartir? Voilà la réalité de la vie politique.

Le système actuel ne fonctionne pas. Nous avons besoin d'un nouveau départ et d'une nouvelle façon d'envisager les choses.

Le sénateur Tkachuk: Merci beaucoup, monsieur Bell. Vous avez présenté un excellent exposé dans lequel vous avez dit ce que j'affirme depuis des années. Si vous croyez que c'est difficile pour un chef autochtone de parler franchement, pensez à toute la difficulté que cela représente pour un enseignant ukrainien blanc.

Je vais présenter quelques observations, puis je vous demanderai votre avis.

Aujourd'hui, au Canada, nous avons ce que j'appelle «l'industrie indienne». D'après les estimations, nous consacrons aux Autochtones entre 7 et 12 milliards de dollars, à part ce que nous aurions dépensé de toute façon pour la défense et tous les autres services gouvernementaux dont la société profite.

Si j'avais l'intention de détruire une culture, c'est exactement ainsi que je procéderai. Je rendrai cette culture totalement dépendante de moi. Ainsi, je garantirai sa corruption, parce que l'argent corrompt.

Dans ma province, nous apprenons aux Autochtones à devenir des gens d'affaires en leur accordant le droit d'exploiter des casinos en régime de monopole. Pour moi, cela est odieux parce que nous ne leur apprenons en réalité absolument rien au sujet des affaires s'ils n'ont à affronter aucune concurrence. Si vous leur accordez un monopole, il n'y a pas de doute qu'ils vont réussir. N'importe qui peut réussir avec un monopole. Toutefois, c'est du jeu. Ce n'est pas du tout une entreprise commerciale. Ce n'est qu'un permis pour imprimer de l'argent. Il est alors facile pour un gouvernement de dire: «Nous créons une perspective économique. Considérez tout le jeu. Chacun gagne beaucoup d'argent. Nous n'avons pas à en faire beaucoup plus à cause de tout l'argent que vous gagnez déjà.»

Nous devons trouver un moyen de permettre à la communauté indienne de posséder des biens. Je veux parler des réserves, et non des Indiens hors réserve, des Indiens non inscrits et des Métis. Aucune économie de marché ne peut fonctionner sans propriété privée, c'est-à-dire sans actif, sans argent comptant et sans moyen de constituer une entreprise. Nous ne permettons rien de cela dans les réserves, qui ne sont après tout qu'une institution de l'homme blanc. Ce n'est pas une institution indienne.

Voilà quelques-uns des problèmes vraiment sérieux auxquels nous devons nous attaquer. Il est difficile de les aborder, mais nous devons le faire. J'aimerais que notre société s'attaque à ces problèmes au lieu de contribuer à les aggraver.

M. Bell: Vos propos vont m'occasionner beaucoup de difficultés. Il y a bien une industrie indienne. Je suis très malheureux de le dire, mais la politique officielle constituait et constitue probablement encore du génocide. C'est du génocide, et nous n'avons pas modifié la Loi sur les Indiens.

Le sénateur Tkachuk: C'est exact.

M. Bell: Voilà pourquoi nous avons 70 p. 100 de décrocheurs. Voilà pourquoi 90 p. 100 des prisons ont des détenus autochtones. Le génocide n'a pas la même forme aujourd'hui. Au lieu d'être ouvert, il est très insidieux.

Je ne dis pas cela pour critiquer le gouvernement. C'est la réalité.

Nous sommes très dépendants et il y a un manque énorme de responsabilité. Pour défendre les casinos, je me limiterai à dire que si d'autres Canadiens peuvent en posséder, nous devrions nous aussi en avoir. Je conviens avec vous que ce n'est pas une noble entreprise. Les casinos occasionnent des problèmes sociaux, mais ils ont certains avantages. Qu'il me suffise de dire que si d'autres Canadiens peuvent en avoir, nous devrions aussi être autorisés à en posséder.

Le sénateur Tkachuk: Exact, il faut les répartir.

M. Bell: La santé, la prospérité et la création de richesse se basent sur la propriété privée. Tout le système économique mondial se fonde sur la propriété privée. Mais nous avons la Loi sur les Indiens.

Les États-Unis ont adopté une loi permettant aux Autochtones d'avoir des biens privés. Ils ont aussitôt perdu toutes les terres auxquelles ils avaient droit. Nous avons été dupés aux États-Unis et avons perdu nos terres parce que nous n'avions pas l'expérience des affaires. Au Canada, on hésite à faire la même chose.

La Loi sur les Indiens comporte un problème fondamental. Les chefs s'opposent au projet de loi de M. Nault. En même temps, ils ont déclaré à la presse la semaine dernière que la Loi sur les Indiens doit être modifiée. Si vous n'aimez pas le projet de loi de M. Nault, pourquoi ne proposez-vous pas votre propre projet de loi? Bien sûr, rien ne garantit qu'on vous écoutera, mais la Loi sur les Indiens est un obstacle au développement économique. Nos chefs devraient présenter des propositions en vue de la modifier.

Nous ne sommes pas un peuple homogène. Aucun chef du Nord n'acceptera des modifications de la Loi sur les Indiens, qui représente sa seule garantie de survie. Il n'y a aucune possibilité de développement économique dans le Grand Nord. C'est une réalité. Et les ports de pêche de Terre-Neuve ne sont plus rentables. Comme les collectivités ne sont pas homogènes, certains chefs souhaitent ne plus être assujettis à la Loi sur les Indiens, d'autres veulent des modifications et d'autres encore préfèrent qu'elle reste telle quelle. Les Premières nations sont tellement différentes les unes des autres. Il est impossible de s'entendre, alors rien ne se fait.

Il faudrait laisser une certaine latitude aux Premières nations. Il serait possible de leur permettre de se retirer en accordant certains droits et certaines responsabilités. Il devrait être possible d'offrir différentes options parce que les conseils de bande n'ont pas tous la même dynamique. Certains sont progressistes, d'autres sont rétrogrades. Certains membres ont de l'instruction, d'autres n'en ont que très peu. Certains veulent progresser, d'autres pas. Je conviens avec vous qu'il y a là un problème fondamental.

Certains doivent essayer d'obtenir des fonds dans le secteur privé, ce qui leur impose de se discipliner. Ils ont intérêt à le faire si, le 31 mars, ils doivent avoir certains résultats. Quand beaucoup de gens vous surveillent, vous devez vous montrer à la hauteur. Par ailleurs, si vous dépendez à 100 p. 100 de l'État, le 31 mars, vous avez intérêt à avoir tout dépensé. Vous n'avez pas à fabriquer des trucs ou à vendre des voitures.

Le sénateur Tkachuk: En fait, vous avez intérêt à dépenser plus pour obtenir le même montant ou peut-être davantage l'année suivante.

M. Bell: Oui, la moitié des bandes sont en déficit.

Certains disent que c'est parce qu'ils n'ont de comptes à rendre à personne. Pour d'autres, cet argent nous est dû conformément aux traités, et vous ne nous en donnerez jamais assez car vous nous devez des milliards et des milliards. C'est notre argent et nous devons l'avoir. Voilà leur perception.

Nous avons de terribles conflits qui ne disparaîtront jamais, tout comme le débat sur la santé ou sur l'avortement ne s'arrêtera jamais. Nous devons avoir assez de bon sens pour progresser. Au sujet de l'avortement, ceux qui y voient un avantage devraient pouvoir en tirer parti. Ceux qui s'y opposent n'ont qu'à s'abstenir.

Dans le domaine de la santé, un système ne peut pas répondre aux besoins de tous les membres d'une collectivité donnée. Il y a des obstacles fondamentaux qui nous arrêtent et que nous devons surmonter.

Vous avez raison. Nous avons une culture de dépendance, ce qui n'est pas sain et qui implique différents problèmes. Nous devons tirer nos revenus de sources multiples. Nous devons pouvoir produire nous-mêmes des revenus, comme les autres démocraties et les autres collectivités. Nous devons établir les bases nécessaires pour y arriver dans une période donnée.

La présidente: Comme vous le savez, notre comité a entrepris une étude des questions touchant les jeunes Autochtones en milieu urbain. Cette étude englobe toute une gamme de sujets familiaux comme la responsabilité parentale et les autres questions que vous avez mentionnées aujourd'hui. Nous espérons élaborer un plan d'action pour apporter des changements. Les Autochtones ont fait l'objet d'innombrables études. À mon avis, ce plan d'action aurait dû être établi depuis longtemps. Vous et moi sommes sur la même longueur d'onde et ce, depuis des années.

Les membres du comité souhaitent savoir quelles initiatives ont, à votre avis, donné les meilleurs résultats et pourquoi certaines ont réussi et d'autres pas. Nous voulons également déterminer les lacunes dans le financement et les programmes relatifs aux jeunes Autochtones en milieu urbain. Nous parlons ici d'une importante migration de personnes ne bénéficiant d'aucun appui.

Avez-vous une idée de ce qui a fonctionné on n'a pas fonctionné et des lacunes qui existent dans les services gouvernementaux?

M. Bell: Tout ce qui tend à exercer une influence positive est bon. La difficulté, pour la société autochtone, est que tous les efforts sont très limités. Il y a un manque de capacité et de compétences critiques. Les mesures prises sont essentiellement réactives, comme dans le cas des services à l'enfance et à la famille. Ces services sont importants parce que nous vivons dans un environnement où nous en avons besoin. Toutefois, nous avons aussi besoin de mesures proactives, tout en maintenant les services et les programmes réactifs nécessaires pour régler les nombreux problèmes actuels.

Les services à l'enfance et à la famille et les autres organismes de services sociaux n'arriveront jamais à surmonter tout le dysfonctionnement qui existe. Nous ne réussirons jamais à aider ou à guérir chaque personne. Les services ont toujours été réactifs plutôt que proactifs. Nous devons appliquer un ensemble d'idées organisées pour former une stratégie complète. Nous devons disposer des fonds nécessaires, mais il faut aussi que tout cela soit réalisé d'une manière stratégique.

Je vais vous donner un exemple. Il y a beaucoup de familles monoparentales. Dans notre programme de bourses, les mères célibataires obtiennent un montant supplémentaire pour payer la garderie. Pourquoi? C'est parce que la Commission royale a déterminé que le manque de services de garderie constitue un obstacle fondamental à l'éducation des mères célibataires autochtones. Toutefois, la garderie ne suffit pas, seule. Il faut considérer le développement de l'enfant ou tout autre objectif que vous essayez d'atteindre, et vous attaquer simultanément aux trois ou quatre questions fondamentales qui se posent.

Ainsi, dans le cadre de notre stratégie nationale de l'emploi, chacun dit qu'il est bon d'établir des liens avec le secteur privé. En réalité, on ne le fait pas. Ensuite, les compétences que nous possédons n'intéressent pas vraiment le secteur privé. Nous ne considérons pas simultanément différentes hypothèses fondamentales lorsque nous visons un objectif stratégique.

Beaucoup de bons programmes ont été mis en place, mais leur efficacité est toujours contestable. Ils n'ont pas été bien étudiés, ce qui fait qu'il est difficile de savoir. Personnellement, je m'intéresserais à ceux qui améliorent les relations entre parents et enfants. Mais nous devons amener les Autochtones à assumer leurs responsabilités. Nous devons leur dire: Ce sont vos enfants, vous en êtes responsables, ce n'est pas la faute du gouvernement. Si, en réalité, c'est parfois la faute du gouvernement, nous devons nous attaquer au problème en partenaires. Le gouvernement vous donnera d'argent, mais vous devez faire le travail, et le faire mieux que vous ne l'avez fait jusqu'ici. Voilà le problème fondamental.

Il faut également s'occuper de l'éducation, ce que nous ne faisons pas aujourd'hui. Les écoles ne sont pas à la hauteur, les enseignants ne le sont pas non plus et les résultats sont inacceptables. Une fois que nous l'aurons reconnu, nous pourrons progresser.

Nous devrons ensuite établir et renforcer l'estime de soi et créer des occasions. Renforcer l'estime de soi d'une manière «douce» est une mesure réactive, mais créer des occasions est proactif. Quand il y a des occasions dont on peut profiter, l'estime de soi augmente.

Lorsque nous avons établi notre fondation, nous avions un programme d'encouragement et de sensibilisation, qui porte aujourd'hui la désignation de «projets culturels». Nous tentions d'accorder un appui financier à des jeunes qui avaient une passion ou un intérêt particulier dans la vie: des leçons de piano, de danse, de patinage, etc. Ces jeunes ne réussissaient peut-être pas bien à l'école, mais ils étaient très bons à leurs cours, ce qui leur permettait d'avoir des réalisations et d'en être fiers. C'était quelque chose qu'ils pouvaient bien faire.

Enfant, j'étais passionné de musique. C'était ma raison de vivre. Je n'étais pas très bon en sciences, mais j'étais bon en musique, et j'en étais fier. Pour moi, la musique est devenue un langage qui m'a aidé à acquérir des compétences en mathématiques, en relations spatiales et dans toutes sortes de domaines que ni l'enfant ni les parents ne connaissent. Avoir des occasions est la clé.

Tout le monde est passionné de hockey dans ce pays, mais nos enfants n'ont pas l'occasion de participer. Je vois d'autres étudiants du secondaire qui s'en vont à Paris pour l'été ou qu'on inscrit dans une école privée. Nos enfants n'obtiennent rien de cela. C'est une limite fondamentale pour nous.

Parmi les choses importantes, il y a l'amélioration des relations entre les parents et leurs enfants, une amélioration sensible du système d'éducation et un plus grand nombre d'occasions pour les jeunes de s'exprimer de la façon qui leur convient. Ils savent ce qu'ils veulent. Souvent, ils ne connaissent pas les solutions, mais ils savent quels sont leurs intérêts et leurs passions.

Je ne vois pas beaucoup d'organisations autochtones qui ont réussi parce que nous n'avons pas de liens avec des systèmes extérieurs à notre communauté. Le Conseil des jeunes de l'APN en est un bon exemple. Je ne comprends pas pourquoi certains trouvent tellement difficile de passer quelques coups de téléphone pour réunir les quelque 200 000 $ nécessaires au fonctionnement du conseil. C'est ce que je fais constamment. Bien sûr, beaucoup d'interlocuteurs disent non, mais beaucoup d'autres disent oui.

Quand j'ai commencé dans les années 80, j'ai compris que les démocraties se rationalisaient partout dans le monde. Comme je lisais les journaux tous les jours, j'avais compris qu'à l'avenir, il fallait s'attendre à recevoir constamment moins d'argent plutôt que plus. Membre d'une culture minoritaire, j'ai pris conscience du fait que si je devais créer une organisation caritative, elle ne pourrait réussir que si elle avait de multiples sources de financement à part le gouvernement.

Nous avons bien sûr besoin du gouvernement: 50 p. 100 de notre financement vient de services gouvernementaux fédéraux et provinciaux. Toutefois, cela signifie que l'autre moitié vient du secteur privé. Cela crée une dynamique complètement différente dans notre organisation. Nous devons travailler plus fort et nous concentrer davantage sur notre mission.

Si vous obtenez de l'argent mais que vous n'avez pas à produire 12 objets ou 12 voitures qui fonctionnent, rien ne vous permet d'évaluer ce que vous faites. Vous continuerez à fabriquer 12 voitures qui ne marchent pas. Par contre, si vous avez plusieurs partenaires qui s'attendent à des résultats de votre part, vous êtes obligé de livrer votre produit, ce qui vous rend plus discipliné.

Nous devons trouver un moyen de bien comprendre cela. Nous devons être beaucoup plus proactifs, nous ne pouvons pas continuer à être tributaires des gouvernements. La responsabilité fait partie de l'autodétermination et de l'autonomie gouvernementale. Si nous voulons prendre en main notre avenir — comme nous devrions le faire —, nous devons assumer la responsabilité comme toutes les autres communautés. Nous devons pouvoir produire nos propres revenus.

Ce ne sera pas facile, mais c'est ainsi que notre fondation a réussi. Elle constitue l'organisation autochtone qui a le mieux réussi au Canada. Nous n'avons jamais eu un déficit. Nous avons connu 18 années consécutives de croissance financière et d'attribution de bourses.

Pourquoi? C'est parce que nous recueillons plus d'argent. Comment le faisons-nous? Si vous n'obtenez pas de bons résultats chaque année, vos commanditaires cesseront de vous financer. Les gouvernements nous financent parce qu'ils doivent le faire pour des raisons politiques et à cause de nos droits collectifs, mais ce n'est pas le cas des sociétés.

Si notre émission télévisée n'avait pas attiré un million de téléspectateurs, si elle avait déplu aux gens, si nous n'avions pas distribué des bourses, les sociétés refuseraient de nous commanditer. Vous devez livrer un produit mesurable, que chacun peut évaluer. C'est la condition du succès.

Dans ces conditions, vous ne pouvez pas faire autrement que de vous concentrer sur votre mission. Si vous ne faites pas ce qu'il faut dès la première fois, vous ne pourrez pas continuer. Beaucoup d'organisations ont essayé d'adopter ce modèle de financement mi-public mi-privé, mais très peu ont survécu ou ont réussi à grandir parce qu'elles ne s'étaient pas assez concentrées sur leur mission et que les sociétés leur ont retiré leur appui. C'est la façon de savoir si vous avez bien ou mal agi.

Cela ne veut pas dire que les sociétés ont toujours des objectifs louables. Si vous recevez votre financement de sources multiples et que vos commanditaires ont des points de vue différents, vous aurez l'obligation d'essayer de plaire à beaucoup de gens. Cela vous apprend la discipline et vous oblige à travailler fort pour atteindre le résultat voulu.

Qui veut travailler fort? En réalité, personne. Mais considérez le temps que les gens consacrent à leur entreprise. La plupart travaillent pendant le week-end. Je travaille pendant le week-end.

Il faut de l'enthousiasme. Nous devons travailler à le rétablir. Il faisait partie de notre culture traditionnelle. J'ai parlé de la vie dans un milieu dur et des connaissances spécialisées nécessaires. Nous avons dû travailler fort pour survivre.

L'éducation des enfants est importante. Les parents doivent assumer plus de responsabilités. Ils doivent se dire: «Ce sont mes enfants. J'ai un travail à faire.» Voilà ce que signifient l'autonomie gouvernementale et l'autodétermination.

Il faut relever les normes du système scolaire et établir peut-être des examens. Le ministère des Affaires indiennes pense aux examens. Certains croient que c'est un concept de droite, mais nous sommes probablement allés trop loin à gauche. Il faut trouver l'équilibre.

Comment saurons-nous si nous avons réussi? C'est simple: le taux de décrochage baissera et les résultats seront meilleurs. Quand les étudiants de 12e année obtiendront leur diplôme, ils sauront lire et écrire au niveau de la 12e année. Leurs chances de succès dans le monde des affaires et dans la vie seront beaucoup meilleures.

Nos dépenses sociales baisseront. Ce ne sont pas des vœux pieux. Je ne dis pas que ce sera facile ou qu'il n'y aura pas d'opposition. Toutefois, je crois vraiment que c'est sur cela que le pays devrait concentrer ses efforts.

La présidente: S'il n'y a pas d'autres questions, nous allons lever la séance. Je tiens à vous exprimer mes remerciements les plus sincères pour un exposé d'un grand intérêt et pour ce dialogue touchant des questions extrêmement importantes pour tous les Autochtones.

M. Bell: Je vous remercie de m'avoir donné cette occasion.

La séance est levée.


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