Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule 9 - Témoignages pour la séance du matin
VANCOUVER, le mercredi 19 mars 2003
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui à 9 h 10 pour étudier les problèmes qui touchent les jeunes Autochtones des villes, plus particulièrement l'accessibilité, l'éventail et la prestation des services; les problèmes liés aux politiques et aux compétences; l'emploi et l'éducation; l'accès aux débouchés économiques; la participation et l'autonomisation des jeunes; et d'autres questions connexes
Le sénateur Thelma J. Chalifoux (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Je souhaite le bonjour aux sénateurs, aux témoins et à toutes les personnes qui se sont déplacées pour s'informer au sujet des plus importants plans d'action proposant des changements pour les peuples autochtones qui nous ont été soumis depuis des années.
Notre comité, le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, travaille depuis 18 mois à un plan d'action en vue d'apporter des changements. Chacun d'entre nous s'est rendu dans les communautés autochtones pour parler aux gens et aux représentants d'organismes autochtones pour savoir ce dont ils avaient besoin pour les aider à progresser dans tous leurs dossiers urgents.
C'est le début de nos audiences publiques. Nous avons entendu des porte-parole de tous les divers ministères gouvernementaux au sujet des programmes qu'ils offrent et de leurs résultats. Nous en sommes venus à certaines conclusions très intéressantes.
Nous sommes arrivés à Vancouver en provenance de Winnipeg et nous repartirons vers Edmonton, les Maritimes et les provinces de l'Est dans le cadre de notre tournée d'audiences. Cette mission pancanadienne vise à recueillir le plus d'information possible concernant les jeunes Autochtones des villes.
Je souhaite la bienvenue à notre premier témoin, M. Morris Bates. Vous avez la parole.
M. Morris Bates, travailleur spécialisé en assistance aux victimes, Vancouver Police and Native Liaison Society: Je suis un spécialiste de l'aide aux victimes auprès de la police de Vancouver et de la Native Liaison Society depuis environ 10 ans. C'est notre bureau qui s'occupe du procès pour meurtre dans l'affaire Pickton.
Il compte quatre employés: deux spécialistes de l'aide aux victimes, notre directeur, Freda Ens, et notre commis aux livres. Comme deux de nos employés sont détachés au procès Pickton depuis quatre mois, c'est moi qui tiens le fort avec la secrétaire.
Lorsque la liaison avec les Autochtones a commencé, nous avions deux autres partenaires, les services d'aide aux victimes du ministère du Procureur général et le Service de police de Vancouver. Les autorités policières de Vancouver nous ont prêté deux constables ainsi qu'un local à l'intérieur du Service de police de Vancouver. Jusqu'à très récemment, nous avions un troisième partenaire au gouvernement fédéral, mais après trois ans de collaboration, il s'est retiré.
Le procès Pickton a accaparé de nombreuses ressources au Service de police de Vancouver de sorte qu'à l'heure actuelle, nous n'avons qu'un constable au lieu de deux. Notre bureau est très occupé. Nous recevons facilement de 70 à 140 visites et coups de téléphone quotidiennement, et nos journées peuvent parfois être très mouvementées.
Un trop grand nombre d'enfants se retrouvent dans la rue; une foule d'entre eux viennent à Vancouver de tous les coins du Canada. Ce sont de jeunes adolescents à risque. La ville affiche le pire problème de toxicomanie en Amérique du Nord. Plus de 4,5 millions de seringues par année sont échangées dans le cadre du programme d'échange, ce qui correspond à 12 000 seringues par jour environ. D'après les statistiques, 35 p. 100 des personnes qui reçoivent ces seringues sont des Autochtones. La toxicomanie provoque de nombreux décès liés au VIH et au sida. Les Autochtones ne représentent que 2,7 p. 100 de la population, et pourtant on leur attribue approximativement 24 p. 100 de tous les cas de VIH en Colombie-Britannique. Ce sont les responsables du projet VIDUS, Vancouver Intravenous Drug Users Society, qui nous ont communiqué ces chiffres.
Les bandes autochtones nous amènent leurs enfants pour que nous les mettions en garde contre la consommation abusive de drogues. Le problème, c'est que trop souvent les jeunes sont déjà tombés dans le piège de la drogue lorsqu'ils nous arrivent.
Pour tenter de régler le problème, j'ai commencé à m'adresser à des groupes de jeunes une fois par mois. Au début, ces groupes étaient peu nombreux. Il y a environ trois ans et demi ou quatre ans, avant que ne soit filmée la vidéo que vous allez voir, j'ai élaboré un nouveau programme qui a pris de l'ampleur et qui obtient un certain succès.
Ce programme, d'une durée approximative de deux heures et demie, est très intense. Les jeunes sont réunis dans mon bureau pendant environ une heure, après quoi nous leur montrons une vidéo et nous discutons de VIH, de sida et de consommation de drogues. Puis, je les emmène dans les rues de Vancouver, à cinq pâtés de maisons d'ici, où l'on trouve la plus incroyable culture axée sur la drogue dans le monde. Cela prend un autre 20 minutes. Ensuite, nous revenons au bureau et je les interroge au sujet de ce qu'ils ont vu dans la rue pendant une quinzaine de minutes. Je leur fais aussi un petit topo au sujet de la Loi sur les jeunes contrevenants et sur le fait d'avoir un casier judiciaire.
Je leur remets à chacun une petite roche en hématite pour leur rappeler qu'ils ont en leur possession quelque chose de concret. Je leur dis que s'ils choisissent la vie qu'ils ont vue dans la rue, ils peuvent jeter cette petite roche aussi loin qu'ils le peuvent car c'est ce qu'ils feront de leur vie. Je leur demande ensuite si, à leur avis, les gens qui vivent dans la rue gâchent leur vie.
Je mène à bien ce programme assis sur le coin de mon bureau. J'y consacre une heure du temps de la société ainsi que mon heure de repas. Je ne reçois aucun financement.
C'était le programme, en bref. Nous pouvons maintenant regarder la vidéo que j'ai apportée avec moi aujourd'hui.
(Présentation vidéo)
La présidente: C'est une vidéo qui donne à réfléchir.
Le sénateur St. Germain: Monsieur Bates, je vous remercie d'être venu ce matin. Je crois comprendre que vous n'êtes pas policier.
M. Bates: Non.
Le sénateur St. Germain: Si vous étiez policier, cela aiderait-il?
M. Bates: Je ne sais pas. Je ne pense pas.
Le sénateur St. Germain: Votre travail serait-il plus facile si vous étiez policier ou cela compromettrait-il le lien de confiance que vous avez créé avec les gens?
M. Bates: Notre service de liaison avec les Autochtones a vraiment jeté des ponts entre la communauté autochtone et la police depuis 10 ans. Notre bureau est très occupé car notre cas est unique au Canada; nous sommes une organisation autochtone faisant partie du Service de police de Vancouver. Nous avons établi des liens de confiance incroyables.
Au début, je n'accueillais qu'un groupe ou deux par mois, mais maintenant le programme est tellement populaire que je présente la totalité de l'exposé moi-même à l'intérieur avec les jeunes.
Le sénateur St. Germain: Lorsque je travaillais dans la rue dans les années 60, les toxicomanes gravitaient vers la zone de Granville et vers 100 Block East Hastings. Il semble que lorsque les jeunes arrivent dans une grande ville, ils sont attirés vers les quartiers où se fait le trafic de la drogue. Est-ce encore comme ça?
M. Bates: Oui, tout à fait. Il se trouve que tous les projets domiciliaires autochtones sont dans le quartier est du centre-ville. Nous avons un centre d'amitié au 1600 Block Hastings et un centre d'éducation au coin de la 5e Rue et de Main. Il y a 6 000 chambres à prix modique accessibles dans le quartier est du centre-ville. Si vous descendez vers la rue Fraser, jusqu'à la 49e, vous constaterez que les panneaux des rues sont en pendjabi.
Les gens qui participent à une culture aiment bien être près d'autres gens comme eux; c'est très confortable. Il n'y a pas que des Autochtones qui montent ou descendent de la rue Robson, mais s'ils sont dans le coin, ils auront de très bonnes chances de rencontrer fortuitement quelqu'un qu'ils connaissent. Je sais que c'est une situation horrible, mais c'est ainsi.
Autour de Richmond, il y a une imposante communauté asiatique; les gens d'une même culture aiment bien se sentir parmi les leurs. Malheureusement, dans le quartier est du centre-ville de Vancouver qui est le milieu de vie des Autochtones, se trouve le paradis des clochards.
Le sénateur St. Germain: Je suis contre les installations que l'on se propose de bâtir.
Pensez-vous que des centres de traitement seraient préférables aux piqueries? Pensez-vous qu'un plus grand nombre de programmes est nécessaire?
Je suis sûr que vos statistiques sont justes. Compte tenu du nombre considérable d'Autochtones qui se droguent, ne croyez-vous pas qu'il serait préférable de bâtir des centres de traitement modernes.
M. Bates: Mon programme est le seul du genre qui n'embrasse pas le principe de la réduction du préjudice. Je dis aux jeunes de ne même pas envisager cela. Mais les partisans de la réduction du préjudice sont très puissants.
Ils envisagent d'avoir une piquerie où l'on pourrait effectivement se rendre pour se piquer. Les jeunes seraient autorisés à fréquenter pareil endroit. À 14 ans, on vous autorisera à aller dans une piquerie. Je ne sais pas comment ils peuvent faire cela légalement. À ma connaissance, la consommation de drogues est encore illégale.
Dans le contexte de la réduction du préjudice, on offre des seringues aux jeunes, ce qui leur transmet un message confus. Ils constatent que le gouvernement offre des seringues aux gens pour qu'ils consomment des drogues illégales. Les jeunes savent pertinemment que le VIH/sida tue des Autochtones.
La culture de la drogue est incrustée dans ce milieu. Hier soir, lorsque je suis sorti avec un groupe de jeunes, il y avait bien un millier de personnes dans ces trois pâtés. Les rues étaient bondées. Un jeune m'a demandé si nous allions vraiment nous mêler à la foule. J'ai répondu: «Bien sûr.»
Je n'ai pas d'objection à le dire publiquement: je n'embarque pas là-dedans, mais je suis le seul à diriger un programme comme celui-là. Tout le monde dit en quelque sorte qu'il n'y a pas de mal à consommer de la drogue et qu'on devrait leur faciliter les choses. Je ne m'aventure même pas sur ce terrain avec les jeunes. Il y a d'autres personnes auprès desquelles ils peuvent obtenir ce genre d'information, et je ne veux pas être de ceux-là.
Le sénateur Carney: Monsieur Bates, êtes-vous de Vancouver?
M. Bates: Je suis né à Vancouver. Ma mère est Shuswap, de Williams Lake, et mon père est Haïda. J'ai été élevé à Williams Lake, sauf lorsque j'ai fréquenté l'école secondaire dans l'État de Washington. C'est une autre histoire.
Le sénateur Carney: Comment les jeunes viennent-ils ici? Y a-t-il des moyens de les empêcher de migrer vers Vancouver? Quelle est la raison de cette migration?
M. Bates: La GRC ou les services scolaires d'aide aux élèves m'emmènent les jeunes. Nous accueillons les Autochtones comme les non-Autochtones. Tous sont les bienvenus et peuvent participer au programme. Nous avons reçu des jeunes filles non autochtones d'Abbotsford. Je n'ai jamais fait de publicité, mais le téléphone n'arrête pas de sonner. Dès qu'une école en entend parler, une autre école m'appelle. On me demande de faire des exposés à diverses occasions.
J'essaie de rejoindre les jeunes avant que la rue ne s'en empare parce qu'une fois qu'ils y sont, je ne peux plus rien faire. Mais je peux intervenir dans ce local où sont réunis 12 ou 13 jeunes. Mais une fois qu'ils commencent à se piquer ou à fumer du crack, il n'y a rien que je puisse faire.
Le sénateur Carney: Les jeunes sont dirigés vers votre service?
M. Bates: Oui.
Le sénateur Carney: Quelle est la réaction des jeunes? La vidéo est-elle représentative de leur réaction? Essayez-vous de leur faire peur pour qu'ils n'aboutissent pas dans la rue?
M. Bates: Non. Je veux les aider à prendre une décision éclairée au sujet de la culture de la drogue; je veux qu'ils sachent à quel point leur vie sera horrible s'ils se laissent prendre. Je ne fais peur à personne. Ce sont les producteurs qui ont inséré l'expression «scared straight». Le nom du programme est «Reality Check for Indigenous People».
Le sénateur Carney: Vous donnez en quelque sorte un spectacle en solo. Qu'est-ce que vous aimeriez faire dans le cadre de ce programme? Il me semble que vous dirigez très efficacement une opération très limitée. Avez-vous besoin d'autres personnes pour vous aider? Avez-vous besoin d'autres bureaux dans de petites villes?
M. Bates: Je suis sûr que vous êtes tous au courant des compressions qui ont été imposées par le gouvernement de Colombie-Britannique. J'ai le dos au mur en ce sens qu'il me faut environ de deux heures à deux heures et demie pour faire ce programme. Je le fais habituellement pendant mon heure de déjeuner parce que je fais venir les jeunes à 11h et nous passons une heure à l'intérieur. Je prends une heure à la société à titre de travailleur spécialisé dans l'aide aux victimes, de sorte que les responsables de l'aide aux victimes me disent qu'il me faudra ou bien refouler les jeunes, ou bien trouver mon propre financement pour enrichir le programme. Le travail que je suis payé pour faire est celui de travailleur spécialisé dans l'aide aux victimes, et on m'a dit que le mandat de l'aide aux victimes ne comprend pas la prévention du crime. Je pensais que c'était le cas, parce que je le fais depuis quatre ans avec leur bénédiction.
Je travaille avec le Service de police de Vancouver, dont le mandat comprend la prévention du crime. D'une manière ou d'une autre, je le fais. Je travaille avec le service de police et je le fais pour eux. Si l'aide aux victimes préfère que je ne m'occupe pas du programme, je peux le faire avec le service de police, sous la rubrique de la prévention du crime.
Le sénateur Carney: Que faites-vous dans votre rôle d'aide aux victimes? Je pensais que le programme que vous dirigiez faisait partie de votre description de tâches.
M. Bates: Non.
Le sénateur Carney: Vous dites que c'est un programme que vous faites bénévolement pendant votre heure de déjeuner. Que faites-vous à titre de spécialiste de l'aide aux victimes?
M. Bates: Nous accompagnons beaucoup de gens devant les tribunaux. Auparavant, nous remplissions beaucoup de formulaires d'indemnisation pour les victimes de crime. Nous sommes le bureau de la société de liaison avec les Autochtones à la police de Vancouver, de sorte que nous nous occupons de tous les cas qui se présentent, mais notre financement de base provient de l'aide spécialisée aux victimes.
Le sénateur Carney: Que pouvons-nous faire pour vous aider?
M. Bates: Financer mon programme
Le sénateur Carney: C'est assez simple.
M. Bates: C'est tout ce que je peux dire. Je ne sais pas combien de temps encore les gens de l'aide aux victimes vont me laisser continuer à faire cela. Je sais que le service de police n'a pas d'objection, nous faisons notre mandat avec eux, mais il faudra probablement que je trouve une source quelconque de financement pour faire ce programme à mon propre compte, probablement sous l'égide de la Société de liaison avec les Autochtones de la police de Vancouver.
Le sénateur Carney: Je trouve que votre programme est formidable.
M. Bates: Merci beaucoup.
Le sénateur Carney: Vous en obtenez certainement pour votre argent si vous réussissez à empêcher des enfants d'être dans la rue.
M. Bates: C'est extraordinaire de voir la réaction des enfants. À la fin du programme, les jeunes doivent rentrer chez eux et m'écrire une lettre. Je vous ai laissé tout un tas de ces lettres que vous pourrez lire. J'ai également laissé les noms des gens qui ont eu recours à mes ressources: la GRC, les écoles, et cetera. Il y en a toute une liste.
Quatre milles jeunes sont passés par le programme. J'en ai fait un lundi, deux mardi, j'en fais un cet après-midi, deux jeudi, deux vendredi, je suis en congé samedi, et j'en fais deux dimanche.
Le sénateur Carney: Je vais lire certains commentaires pour qu'ils soient consignés publiquement.
Le sénateur St. Germain: Allons-nous faire en sorte que ces lettres figurent au compte rendu?
La présidente: Oui, elles feront assurément partie du compte rendu.
Le sénateur Carney: Permettez que j'en lise des extraits pour vous en donner une idée. Quelqu'un a écrit:
Merci pour cet entretien. Ça puait tellement dans la ruelle que ça m'a levé le coeur. J'avais envie de vomir. Je sais ce que la drogue peut vous faire. La drogue, c'est mauvais. Je ne prends pas de drogue.
Il est évident que vous rejoignez vraiment votre auditoire cible. En voici une autre: «Ce que j'ai vu hier m'a vraiment ouvert les yeux. Cela m'a fait penser aux décisions que je prends dans ma vie. Quand vous dites que 99 p. 100 des drogués qui se piquent ont commencé en fumant de l'herbe, cela veut-il dire que sur 100 personnes qui fument, 99 vont finir par se piquer?
Ce que j'ai appris hier, c'est que la drogue est un problème vraiment grave. Après tout cela, j'étais écoeuré de voir qu'ils en prennent n'importe où.»
C'est évident que votre message parvient à destination.
Le sénateur St. Germain: Combien d'agents de police à Vancouver sont d'origine autochtone?
M. Bates: Je pense qu'il y en a sept.
Le sénateur St. Germain: Sept sur combien de policiers?
M. Bates: Sept sur 1 200. Nous en avions un à notre bureau pendant un certain temps, mais il a été prêté à la réserve indienne de Musqueam.
Le sénateur St. Germain: Je trouve qu'il faut dire publiquement qu'on nous a dit à Winnipeg que notre pays a déployé tellement d'efforts pour faire venir des immigrants qu'il en a négligé nos Autochtones. Les peuples autochtones ont été négligés à tel point que nous sommes maintenant confrontés à ces épouvantables problèmes qui affligent les rues de toutes nos villes, et l'on dépense des millions de dollars pour assimiler les immigrants alors qu'ici même, chez nous, nous avons l'une des situations sociales les plus épouvantables qui puisse exister dans n'importe quelle civilisation.
En tant que Canadiens, nous nous démenons à gauche et à droite pour essayer de tout faire à la fois, et nous jurons au monde entier que nous allons nous occuper de tous ceux qui viennent des quatre coins du monde, alors que nous n'avons même pas réussi à nous occuper de nos propres concitoyens ici même chez nous.
Je trouve que c'est véritablement honteux. Les agents de police côtoient des Autochtones en grand nombre, pourtant ces derniers sont très peu représentés au sein du service de police. Les gens venus des quatre coins du monde sont mieux représentés au sein du service de police de Vancouver que nos propres Autochtones. C'est carrément scandaleux. C'est honteux.
M. Bates: J'ai été invité à Ottawa et j'ai représenté notre bureau au Forum national sur les services de police dans une société multiculturelle. Il y avait là 15 policiers autochtones. Nous nous sommes assis tous ensemble, et pas un seul de ces Autochtones n'était détective.
Le sénateur St. Germain: C'est révoltant.
M. Bates: Personne n'est promu au-delà du grade de constable. Il y a une foule de problèmes, mais au départ, il y a les enfants, et c'est la raison de ma présence ici.
La présidente: Je voudrais signaler la présence à la tribune du sénateur à la retraite Ray Perrault, qui a travaillé infatigablement pour le mieux-être de la population de Colombie-Britannique. Il nous manque beaucoup depuis qu'il a pris sa retraite. Malheureusement, nous devons prendre notre retraite à 75 ans au Sénat. Je vous souhaite la bienvenue, sénateur Perrault, et si vous le voulez, le comité vous a invité à venir, à prendre place et à siéger avec nous aujourd'hui.
Le sénateur Pearson: Je vous remercie pour votre présentation très émouvante et intéressante.
Vous devez faire des journées de 26 heures. Que fait d'autre la Native Liaison Society? Que comprend votre mandat, à part cela? Vous vous occupez de l'aide aux victimes, mais que faites-vous d'autre?
M. Bates: Eh bien, nous sommes essentiellement organisés comme un bureau de police communautaire. Nous fonctionnons au sein de la collectivité. Nous avions deux agents de police auparavant et ils sont en quelque sorte partis dans des organisations autochtones. Nous sommes comme un service de police miniature. Nous ne nous occupons pas seulement des Autochtones. N'importe quelle victime d'un crime à Vancouver peut se procurer un formulaire standard au service de police et c'est écrit noir sur blanc que la victime doit communiquer avec notre bureau pour obtenir de l'aide aux victimes.
Notre bureau est différent. Il y avait trois sortes différentes d'aide aux victimes. La première est l'aide aux victimes au sein du service de police, mais il s'en occupe seulement au moment de la tragédie initiale, après quoi ils ont fini. Il y avait le service aux victimes du procureur, qui a été supprimé complètement, et puis il y a notre service.
Nous sommes spécialisés dans le programme d'aide aux victimes, de sorte que nous pouvons suivre la famille pendant toute la durée du processus. J'ai suivi cinq grands procès pour meurtre. Dans l'un des premiers, à mes débuts, le type devait être libéré sur parole et j'ai amené la famille aux audiences de libération conditionnelle. C'est également ma responsabilité. Nous nous occupons de tout ce qui concerne les victimes de crime et d'à peu près tous les autres cas qui se présentent dans notre bureau. Nous faisons tout dans ce petit bureau, c'est extraordinaire, et nous avons un constable.
Le sénateur Pearson: Il est clair que les ressources sont un énorme problème. Vous avez dit que vous aviez un certain financement fédéral qui a maintenant pris fin. D'où provenait cet argent?
M. Bates: Je ne sais pas vraiment. Je n'en suis pas sûr. Quand la société a été créée, on avait mis sur pied de petits projets qu'on appelait «projets vitrines». La plupart du temps, ces petits projets sont voués à l'échec.
Quoi qu'il en soit, le nôtre n'a jamais fermé ses portes parce qu'il répondait à un tel besoin. Je veux dire, nous avons 65 000 Autochtones urbains dont nous devons nous occuper. Nous nous occupons aussi des cas de mauvais traitements sexuels.
Nous nous occupons de tous les cas: mauvais traitements conjugaux, agressions simples, agressions sexuelles, et agressions sexuelles remontant à longtemps. Nous avons des gens qui viennent du nord, parce que la plupart du temps, quand ils ont été victimes d'agression sexuelle dans leur réserve, c'est difficile pour eux de retourner dans cette réserve où ils sont ostracisés, alors ils aboutissent ici à Vancouver.
Une fille est venue me voir à mes débuts; elle était victime d'agression sexuelle depuis l'âge de... Elle a fait sa première fausse couche à l'âge de 11 ans. Elle ne savait même pas qu'elle était enceinte. Les hommes dans sa famille abusaient d'elle. Elle a été en counselling pendant trois ans avant de réussir à vider son sac. Les agressions ont eu lieu dans son enfance et elle est aujourd'hui dans la cinquantaine. Beaucoup de dossiers aboutissent à notre bureau parce que cela peut commencer quelque part mais initialement il faut retourner là où c'est arrivé. Nous avons des gens de partout, pas seulement de Colombie-Britannique, mais de tous les coins du Canada, qui viennent et qui utilisent notre petit bureau. C'est un endroit parfois très occupé.
Le sénateur Pearson: C'est évident que c'est un endroit très occupé et il est évident que vous avez besoin de plus de ressources. Je sais aussi que la police a été tenue fort occupée par l'affaire Pickton. Il faut espérer que cela prendra fin bientôt, dès demain.
M. Bates: Ils ont 110 spécialistes de l'anthropologie médico-légale sur place actuellement et ils ont beaucoup de ressources du Service de police de Vancouver. La GRC fait également partie du groupe de travail.
Le sénateur Pearson: Cette situation a drainé vos propres ressources.
M. Bates: C'est un dur coup parce que nous avons à peine commencé les travaux préliminaires il y a cinq mois. Je suis tout seul dans ce bureau depuis cinq mois.
Le sénateur Pearson: Vous devez vous occuper des familles des victimes.
M. Bates: Mon directeur et mon collègue de travail sont allés au procès préliminaire, qui durera probablement jusqu'à la mi-mai.
Le sénateur Pearson: C'est un beau cas de situation où la prévention aurait été utile. Voyez ce qu'il en coûte de ne pas avoir de programme de prévention.
M. Bates: J'espère seulement que vous lirez ces lettres que les enfants ont écrites.
La présidente: Je vais demander que le comité reçoive copie des lettres, pour que vous puissiez chacun les lire, et elles feront absolument partie intégrante du compte rendu.
Le sénateur Lawson: Je suis d'accord avec le sénateur St. Germain pour dire qu'il est scandaleux que vous fassiez dans votre temps libre un programme aussi valable que celui que vous dirigez, avec le taux de succès que vous obtenez, sans aucun financement.
Je suis préoccupé par le nombre d'Autochtones au sein du service de police. Je suis également préoccupé par le manque de financement pour des programmes comme celui que vous dirigez.
Madame la présidente, la discussion table ronde que vous avez eue avec les jeunes hier soir était extraordinaire. Il n'y a aucun doute dans mon esprit quant aux talents, aux compétences et aux habiletés de ces jeunes gens. Leurs présentations hier soir étaient remarquables. Ils ont trouvé de l'aide dans une situation très difficile.
L'un des grands thèmes du dernier budget, c'est que l'on devait consacrer des zillions de dollars aux problèmes autochtones. Je ne veux pas dire au comité comment diriger ses affaires, mais je trouve qu'il est impératif de savoir où va l'argent. Suivez la trace de l'argent. À quoi cet argent est-il dépensé? Pourquoi des programmes comme celui-ci ne sont-ils pas financés? Pourquoi n'aidons-nous pas ces jeunes gens?
On fait tout un plan du dossier de l'enregistrement des armes à feu. Ce gâchis a fini par coûter un milliard de dollars et, s'il n'en tenait qu'à moi, il serait mis à la poubelle et une partie de l'argent serait réaffecté pour s'attaquer aux vrais problèmes.
Votre comité devrait recommander que le gouvernement se concentre sur ce problème-ci et qu'il consacre une partie de l'argent disponible à des programmes comme celui-ci. Nous voyons bien que ce programme fonctionne. Il obtient des résultats. Pourquoi continuer de jeter de l'argent dans un puits sans fond, sans reddition de comptes et sans résultat.
Je vous remercie d'être venu et de nous avoir parlé de votre programme.
M. Bates: Merci de m'avoir reçu.
Le sénateur Carney: Je veux revenir sur votre observation, quand vous dites que la plupart des programmes échouent. Il y a 67 associations et groupes autochtones. Pourquoi un si grand nombre de ces programmes ont-ils échoué?
M. Bates: Le gouvernement fédéral finance un programme pendant trois ans, après quoi il cesse de financer le projet. C'est la cause de beaucoup d'échecs. Ils ont fait la même chose dans notre cas, mais nous avons eu la chance que le Service de police de Vancouver nous prenne sous son aile et nous fournisse des locaux gratuitement. Le Service de police de Vancouver a essentiellement pris le relais des autorités fédérales, de sorte qu'il ne restait plus que les services aux victimes, notre budget de base pour les salaires, et le service de police.
Le sénateur Carney: Où s'attendait-on à ce que vous trouviez l'argent pour un programme comme celui-ci?
M. Bates: Je l'ignore.
Le sénateur Carney: Je voulais seulement vous permettre de dire cela publiquement.
Le sénateur St. Germain: Madame la présidente, je tiens à dire que c'est une observation que nous avons entendue à répétition. Le gouvernement fédéral finance des programmes et, même si le programme est couronné de succès, à la fin des trois années, il retire son financement. Le gouvernement trouve alors un autre problème et recommence à neuf.
La présidente: Vous venez tout juste de le dire publiquement.
Le sénateur Léger: Auriez-vous l'obligeance de nous dire quelques mots au sujet du problème du logement?
M. Bates: Il n'y en a pas beaucoup à Vancouver. Il y a une très longue liste d'attente. Ma mère est maintenant à la retraite et elle habite dans un logement pour Autochtones. Elle a été sur la liste pendant environ 15 ans. Il y a des gens qui sont sur la liste depuis six, sept et huit ans. C'est mauvais, parce que le système lui-même est vulnérable à une sorte de népotisme. Je connais des gens qui sont inscrits sur cette liste depuis six ou sept ans, et ils attendent toujours. J'ai connu des gens qui ont travaillé dans d'autres organisations autochtones et, sans qu'on sache trop comment, ils avaient tout à coup un logement pour Autochtones. On dirait que c'est comme cela que ça fonctionne. C'est leur affaire, mais il y a tout simplement une véritable pénurie de logements abordables pour les Autochtones.
Si vous voulez voir un vrai problème, vous devriez jeter un coup d'oeil au réseau scolaire. Dans le nord, le problème est grave. Les écoles ont de l'argent pour chaque enfant et le chèque est encaissé en novembre. Peu après, l'enfant est jeté en dehors de l'école.
Le taux le plus élevé d'enfants de la rue se situe chez les enfants autochtones qui ont été expulsés de l'école pour une raison quelconque. Ces enfants autochtones ne reçoivent pas d'éducation.
Un jeune est venu me voir une fois pour me signaler un vol de voiture, et il n'était pas capable d'épeler son deuxième prénom, et il était en 10e année. Quand je reçois des jeunes dans le cadre du programme, je leur montre un tableau et je leur demande de lire. La plupart des enfants sont incapables de lire les mots qui y sont écrits, et pourtant ces enfants-là reçoivent leur diplôme d'études secondaires.
Dès que la case est cochée, indiquant que l'élève est Autochtone, l'école touche une somme supplémentaire de 9 000 $ et cet argent est versé au budget global. Si l'enfant commet une erreur et quitte l'école, les autorités scolaires peuvent empocher l'argent et en faire ce qui leur plaît. Cette situation est courante dans le nord.
Je vois beaucoup d'enfants du nord dans mon programme. Beaucoup d'entre eux sont déjà scolarisés dans le réseau d'éducation spéciale, ils ont été expulsés du réseau ordinaire. Les écoles devraient être forcées de garder ces enfants-là à l'école et de les instruire.
On met les enfants autochtones dans des écoles spéciales et on leur donne toutes sortes de petits programmes culturels. Écoutez, je connais une petite fille autochtone qui est blonde aux yeux bleus et on l'envoie suivre des cours d'initiation à l'ordinateur et tout le reste. Ses petites amies, on les envoie jouer à la poupée ou faire du camping. Ces enfants ne reçoivent aucune éducation, c'est tout simplement lamentable.
J'ai eu un constable non Autochtone, mais dont la femme est Autochtone, et il avait coché la case parce que sa femme avait sa carte d'Indienne inscrite, et quand il a coché cette petite case, désignant sa famille comme étant autochtone, ils ont immédiatement sorti son fils du réseau scolaire normal et l'on inscrit à l'éducation spéciale. Il lui a fallu se démener comme un beau diable pour faire revenir son fils dans le réseau d'éducation ordinaire.
Écoutez, je veux dire, je me retrouve avec des enfants qui se font jeter en dehors de l'école parce qu'ils prennent des drogues. J'essaie de m'assurer qu'ils comprennent bien ce que c'est que d'avoir un casier judiciaire. Je leur explique le vol de moins de 5 000. Si vous vous faites prendre avec un joint, c'est censé être contre la loi et vous allez être accusés de possession d'une substance contrôlée. Ça ne dit pas qu'il faut deux joints ou un sac de cocaïne, vous pouvez voir qu'on dit seulement possession d'une substance contrôlée, et je veux m'assurer qu'ils comprennent bien cela. Les filles aiment voler des produits de beauté. Je leur explique posément que c'est un vol de moins de 5 000 $; l'accusation ne dit pas que c'était un tube de rouge à lèvres de 5 $.
Voilà ce que je fais. C'est la dernière partie de mon programme. Après avoir parlé des drogues, je leur explique tout cela. Ils comprennent que s'ils ont un casier judiciaire, ils sont foutus. Quand on a un casier judiciaire, on ne peut même pas traverser la frontière. Il y a beaucoup de conséquences quand on a un casier judiciaire.
La présidente: Le gouvernement fédéral a dit qu'il investit un certain montant d'argent dans les services et les programmes pour les Autochtones, mais c'est entièrement dans les réserves. C'est là qu'il y a une grave lacune, à mon avis, et je l'ai dit plusieurs fois: nous devons vraiment commencer à mieux financer les services hors réserve. Il y a toute une bataille entre le financement dans les réserves et le financement hors réserve, et il faut le dire clairement pour que cela se sache.
M. Bates: Il n'y a pratiquement pas de ressources pour les Autochtones dans la ville de Vancouver. Vancouver en est venu à la conclusion qu'il n'y a pas d'Autochtones urbains ici. La ville est seulement responsable de 1 000 Autochtones qui habitent dans la réserve indienne de Musqueam. Seulement la moitié d'entre eux vivent dans la réserve. Pour la ville de Vancouver, il y a seulement 500 Autochtones urbains à Vancouver et ils habitent dans la réserve indienne de Musqueam. Tous les autres, qui viennent de partout au Canada, n'existent pas pour la ville et il n'y a donc pas de ressources pour eux. La ville de Vancouver ne va pas mettre un sou dans des programmes autochtones ou n'importe quoi qui a quelque chose à voir avec les Autochtones, parce que les autorités sont convaincues qu'il n'y a que 500 Autochtones à Vancouver.
La présidente: Et les autres organisations politiques autochtones, à Vancouver et aux alentours, comme United Native Nations? Que font ces organisations pour vous aider?
M. Bates: J'ai du travail à faire ici après que vous serez partis. Je ne pense pas que je sois bien placé pour vous donner une réponse complète à cette question. Je me concentre sur mon travail à moi. Plusieurs fois, les organisations ont essayé de nous faire adhérer à leur idéalisme, et nous, au fil des années, nous sommes devenus très prudents à ce sujet parce que si nous devenions membres de leurs petites coalitions, ça donnerait l'impression que le Service de police de Vancouver reconnaît officiellement certaines de ces organisations.
Nous avons fait très attention en choisissant les organisations auxquelles nous nous associons, parce que nous représentons en fait la police de Vancouver et la Société de liaison avec les Autochtones.
La présidente: Avez-vous reçu des lettres d'appui des organisations politiques autochtones dans la province de Colombie-Britannique?
M. Bates: Je vous ai donné une liste des gens qui m'ont écrit. Une fois, nous avons écrit une lettre pour dire que notre financement serait coupé, et nous avons demandé des dons. Nous avons envoyé cette lettre à toutes les organisations autochtones et toutes les bandes indiennes de Colombie-Britannique. Je pense que nous avons reçu en retour un chèque de 100 $.
La présidente: C'est très intéressant.
Vous faites aussi du magnifique travail de prévention. Obtenez-vous un soutien quelconque, existe-t-il des ressources quelconques pour aider les enfants à se désintoxiquer? Je parle des enfants qui sont déjà accrochés à la drogue.
M. Bates: Je pense qu'il y a seulement dix places pour les femmes dans les centres de désintoxication à Vancouver. Je peux me tromper sur le chiffre, mais en tout cas il n'y en a pas beaucoup. Il y avait auparavant un centre de désintoxication tout près d'ici, sur la rue Pender, mais on l'a fermé. Il n'en reste plus qu'un seul, juste en face du service de police.
Mon point de vue est qu'une fois que ces filles et ces gars-là se retrouvent là-bas et qu'ils ont une aiguille enfoncée dans le bras, ils sont foutus. Je leur dis même que je ne peux absolument rien faire pour ceux qui sont là-bas. Mais je peux m'asseoir ici, dans cette salle, et je peux faire quelque chose pour 10 ou 12 enfants, vous savez.
Une fois qu'une fille s'est prostituée, elle a perdu toute estime de soi. Tout ce qui compte pour elle, désormais, c'est de se piquer ou de fumer du crack; elle vend son corps pour de l'argent et elle n'a probablement qu'une 8e ou une 9e année d'école. Une fois qu'elle a appris qu'elle peut faire 500 $ en deux heures, elle ne veut plus retourner à l'école et il n'est pas question pour elle de gagner 8 $ l'heure. Même si elle peut retourner à l'école, elle a peu de compétences sur lesquelles elle peut compter par la suite.
Une fois qu'ils se retrouvent dans la rue, ils sont pas mal foutus. Je leur fais comprendre que c'est leur décision, que c'est à eux d'en décider. J'ai des lettres d'enfants qui n'ont pas réussi à s'en sortir.
Il faut que ces enfants aillent à l'école, et la raison pour laquelle je fais ce programme, c'est que j'espère qu'ils vont comprendre où ils vont se retrouver dans leur vie s'ils s'engagent dans ce petit chemin attrayant, la route de la drogue.
Les enfants viennent à Vancouver, ils ne vont pas à Edmonton. Les filles qui commencent à Whitehorse s'en vont à Edmonton et Calgary, mais dès qu'il commence à faire froid, ils viennent à Vancouver. Dans la rue, autour d'ici, il y a 300 personnes qui sont prêts à vous vendre un sachet de cocaïne ou d'héroïne pour 20 $. C'est très facile de se procurer des drogues à Vancouver. Les enfants n'arrivent pas à s'acheter des cigarettes, mais ils peuvent très facilement s'acheter de la cocaïne sous forme de crack.
Le sénateur St. Germain: M. John Kim Bell, de la communauté autochtone, a décrit la situation épouvantable dans laquelle se trouve le système d'éducation. Nous savons que l'on dépense de l'argent pour le programme d'anglais langue seconde pour les immigrants, et pourtant nous mettons nos Autochtones sur la voie de garage dès l'instant où ils cochent la petite case marquée Autochtone sur le formulaire scolaire. Les Autochtones, dans notre pays, sont relégués dans un monde à part, où ils ne seront jamais compétitifs parce que l'éducation qu'on s'apprête à leur donner est de deuxième classe. Je pense que vous l'avez signalé.
M. Bates: Oui.
Le sénateur St. Germain: Dès l'instant où ces enfants sont inscrits à des programmes d'éducation de rechange, ils perdent toute chance d'être compétitifs dans le monde du travail. C'est pourquoi nous n'avons pas de policiers autochtones ou de pompiers autochtones; ils ne peuvent pas rivaliser avec les candidats non autochtones.
Madame la présidente, il faut que cela se sache. Si telle est la politique des commissions scolaires de la province, tout ce que nous faisons ici ne sert à rien.
Monsieur Bates, le sénateur Chalifoux, le sénateur Carney, le sénateur Lawson et moi-même avons tous des antécédents politiques différents, mais il s'agit ici d'une question non partisane; cela n'a rien à voir avec la politique. D'après vous, que devrions-nous recommander?
Le sénateur Chalifoux et d'autres font partie du Comité des affaires autochtones depuis des années. C'est notre responsabilité de redresser les torts que subissent les jeunes Autochtones. Nous devons apprendre à nous occuper de nos propres concitoyens.
Pouvez-vous nous aider à transmettre ce message? Comment pouvons-nous vous aider?
Tout le système d'éducation de la Colombie-Britannique devrait être pris à parti si c'est effectivement la façon dont il traite les jeunes Autochtones.
Comment pouvons-nous vous aider à transmettre votre message, monsieur Bates?
Je ne veux pas vous mettre dans une position intenable car je sais que vous devez être présent dans la rue et que vous devez composer avec diverses organisations, mais si nous pouvons vous aider, de façon discrète, sans compromettre votre cause, qui est des plus valables, veuillez nous le dire.
M. Bates: Je n'ai pas vraiment une idée juste de votre pouvoir; je n'ai jamais participé à une séance du Sénat auparavant. La pièce commence à me paraître plus chaleureuse, cependant; je me sens plus à l'aise.
Je fais ce travail depuis 10 ans. J'ai fait mes études dans l'État de Washington parce que mon père refusait que l'on m'envoie dans un internat. Il a donc fait nos valises et nous a emmenés, mes deux frères et moi, aux États-Unis pour faire nos études afin de nous mettre à l'abri. C'est ainsi que j'ai acquis une éducation; j'ai été l'un des premiers Autochtones de ma ville, Williams Lake, à obtenir un diplôme.
Lorsque je constate ce qui se passe ici, je trouve que la façon dont ces jeunes sont traités est méprisable. Certains d'entre eux n'ont qu'une 8e ou une 9e année.
À mon avis, il faudrait exiger des comptes des écoles car c'est leur responsabilité d'éduquer ces jeunes. Je leur dis d'ailleurs qu'ils doivent absolument rester à l'école. En l'an 2003, dans le monde d'aujourd'hui, personne ne peut faire son chemin dans la vie avec une 8e ou une 9e année. Il faut qu'ils poursuivent leurs études. C'est ce que j'essaie de leur faire comprendre dans le programme.
Je leur recommande de ne pas toucher à la drogue et de poursuivre leur scolarité. Je leur dis de ne pas se laisser embobiner par le maudit discours de la réduction du préjudice. Excusez mon langage. Il est difficile pour ces jeunes de résister car lorsque les partisans de cette option leur parlent, ils leur font miroiter — comprenez-moi bien, ils vont avoir un local au bout de la rue où les gens pourront aller se piquer et en cas de surdose, il y aura une infirmière pour leur venir en aide.
Quel genre de message de pareille initiative envoie-t-on aux enfants?
La présidente: Que pensez-vous de la décriminalisation de la marijuana?
M. Bates: Cela n'arrivera jamais. Pensez-vous que les États-Unis vont laisser faire cela? Ils mènent une guerre féroce à la drogue et ce, depuis des années.
Vous pensez que les Américains vont laisser le Canada légaliser la consommation de mari quand nous avons la plus grande frontière non surveillée au monde?
Les États-Unis ont énormément d'influence et ils vont certainement user de leur ascendance si le gouvernement du Canada essaie de légaliser la marijuana ici. Voilà mon opinion.
La présidente: Bonne réponse.
Le sénateur Carney: Je ne suis pas nécessairement d'accord avec mon imminent collègue le sénateur St. Germain. Je ne pense pas que l'on doive couper dans les fonds consacrés à l'enseignement de l'anglais comme langue seconde et à d'autres domaines.
À mon avis, il faut absolument financer de tels programmes pour aider les gens à tirer parti des possibilités qu'offre notre société. Je ne veux pas laisser l'impression que le comité tout entier appuie nécessairement la déclaration du sénateur St. Germain.
Je tiens à signaler que dans les lettres des enfants que vous avez conseillés, il y a un paragraphe des plus éloquents qui résume le travail que vous faites.
Il s'agit d'une lettre d'une jeune fille appelée Raven. Je ne citerai pas son nom de famille pour préserver son identité. Elle écrit:
Je n'oublierai jamais cette journée. J'ai appris des choses que j'ignorais. C'est aujourd'hui que j'ai compris à quel genre de travail ou carrière je veux me consacrer simplement en voyant combien ces personnes ont besoin d'aide. Merci, Morris Bates, de votre compassion. Vous m'avez ouvert les yeux.
Je pense que cela dit tout.
La présidente: Monsieur Bates, vous avez été l'un des témoins les plus éloquents et les plus intéressants que nous ayons entendus.
Les membres de notre comité viennent de partout au Canada; certains d'entre nous sont Autochtones. Nous sommes tous très motivés et très intéressés de savoir exactement ce qui arrive à nos enfants.
Je vais faire une observation au sujet du programme d'anglais langue seconde pour les immigrants. L'anglais n'est pas la langue maternelle d'un grand nombre de jeunes qui arrivent à la ville. Ils n'ont pas la possibilité de s'inscrire à un programme d'anglais langue seconde car ils n'ont pas nécessairement la carte d'immigrant reçu nécessaire pour être admissibles à ce programme gratuit. C'est dommage. Les Autochtones ne sont pas sur un pied d'égalité.
Lorsqu'un immigrant arrive au Canada, il est bien accueilli. On lui offre de l'aide et des avantages en tous genres pour faciliter leur adaptation et leur permettre de s'intégrer au pays. Pourtant, lorsque des Autochtones arrivent à la ville des régions éloignées, il n'y a pas de services de soutien pour eux. Il nous faut tenir compte de la migration de personnes à l'intérieur de notre propre pays et non seulement de la migration de personnes en provenance de l'étranger.
Je vous remercie infiniment d'être venu nous parler de tous les problèmes auxquels se heurtent les Autochtones à Vancouver. Je suis sûr que tous les membres du comité se feront un devoir d'en parler haut et fort aux membres du gouvernement, aux ministres et à tous les décideurs à Ottawa.
M. Bates: Merci.
La présidente: Je souhaite la bienvenue à Mme Angie Todd Dennis et à sa collègue, Mme Rita Barnes, du B.C. Women's Health Centre. M. Lou Demerais était censé être ici pour représenter la Vancouver Native Health Society, mais il n'a pas pu venir. Nous accueillons à sa place deux femmes dynamiques qui, j'en suis sûre, saurons nous fournir de très bons renseignements sur le B.C. Women's Health Centre.
Mme Angie Todd-Dennis, B.C. Women's Health Centre: Sénateurs, je suis heureuse d'être ici, mais j'ai appris que j'allais comparaître il y a deux jours seulement car quelqu'un a proposé mon nom pendant que j'étais en vacances. Je vais vous expliquer brièvement mes antécédents. Je suis une Dénée du nord de la Colombie-Britannique. J'appartiens au Clan de la grenouille et j'ai déjà été professeur. J'ai deux enfants et quatre petits-enfants. J'ai emmené mon amie Rita Barnes avec moi pour qu'elle me fournisse un soutien moral. Nous appartenons toutes les deux à la Pacific Association of First Nations Women. Je travaille maintenant dans le domaine de la santé après être retournée à l'université à l'âge de 50 ans. Ce fut un cheminement tortueux que ces études que j'ai faites à Hawaii, croyez-moi. J'ai une maîtrise en santé publique et depuis 1995, je travaille en qualité de consultante en développement communautaire pour le B.C. Women's Health Centre.
On m'a demandé de parler des jeunes et de certains de leurs problèmes. Rita et moi-même en avons discuté un peu en venant ici. Nous avons évoqué le volet santé, emploi et mode de vie, mais ce qui nous a surtout frappées, c'est la pauvreté dans laquelle vivent bon nombre de nos jeunes. Peu importe le nombre de programmes qui existent, ils ne semblent pas contribuer à améliorer la qualité de vie, particulièrement en Colombie-Britannique où en fait, bien des ressources ont été coupées, particulièrement les services destinés aux Autochtones, aux jeunes de la rue. À mon avis, les fonds qui doivent être réservés aux Autochtones, comme les fonds d'éducation, ne sont pas appliqués là où ils le devraient. J'ai déjà été travailleuse auprès des jeunes à Kumtux, la première école alternative créée ici à Vancouver, et nous tentions d'aider les jeunes de la rue à partir de l'âge de huit ans. Si je ne m'abuse, trois autres écoles alternatives ont vu le jour depuis, mais à l'heure actuelle, il n'en reste plus qu'une. Les enseignants et les travailleurs à domicile de Vancouver pensent que ces fonds qui devraient continuer d'être réservés pour les jeunes Autochtones, sont versés dans une plus grande enveloppe, ce que je juge très nuisible.
Rita était une travailleuse scolaire visiteuse, c'est-à-dire que dans le cadre d'un programme très efficace, elle se rendait dans les foyers non seulement pour prodiguer des conseils, mais aussi pour vérifier que les enfants étaient nourris. Elle apportait des sandwichs à l'école sachant pertinemment qu'un grand nombre des élèves qui constituaient sa clientèle venaient à l'école le ventre creux. Il y a deux ou trois ans, elle a eu le bonheur d'assister à la collation des grades de la mère d'enfants qu'elle avait l'habitude de nourrir. Cette dernière a depuis obtenu un diplôme en droit de l'Université Harvard. Elle a revu ses enfants à Prince George lorsque leur mère a été admise au barreau et ils se souvenaient d'elle. Je pense qu'à l'heure actuelle, on fait une mauvaise répartition des fonds qui doivent être réservés à ce genre de programme et qu'il convient d'examiner ce qu'il en est.
Le slogan du programme que je dirige au B.C. Women's Health Centre est le suivant: «Femmes en santé, bébés en santé, communautés en santé». On ne peut faire de distinction entre les jeunes et leurs familles. Il faut considérer que les problèmes des jeunes sont les problèmes des familles autochtones et encore une fois, je tiens à mentionner que la pauvreté cause un tort énorme à la vie des Autochtones.
Pour ma part, j'ai vécu en institution, d'abord dans un internat et ensuite en tant que pupille de l'État. Heureusement, à l'âge de 12 ans, alors que je fouillais dans mes dossiers au pensionnat que je fréquentais, j'ai vu qu'un travailleur social avait écrit aux autorités de l'école pour leur dire qu'«Agnes» — c'était mon nom à la naissance — «est une fille très intelligente». Je n'en avais aucune idée car à l'internat, on se borne à vous pousser d'un niveau à l'autre sans prendre la peine de vous dire que vous êtes intelligente. À l'occasion d'une réunion, j'ai dit au premier ministre Harcourt que j'avais découvert à l'âge de 12 ans, grâce à un travailleur social, que j'étais intelligente et que j'ai commencé à agir en personne intelligente depuis.
Au sein de notre association ainsi que du B.C. Women's Health Centre, nous nous préoccupons énormément d'un problème caché dont très peu de femmes veulent parler en public, soit la violence qui sévit dans nos communautés, violence dont sont témoins les enfants autochtones quotidiennement. Il y a très peu de programmes ou de fonds destinés à aider les femmes à bâtir des foyers plus sains. Certains programmes sont axés sur les parents autochtones, mais à ma connaissance, ils n'ont guère de succès car ils ne dispensent pas de conseils sur l'art d'être parents. Apprendre à danser ne fait pas de vous un bon parent. Apprendre à jouer du tambour non plus. À mon avis, tous les enfants, tous les jeunes ont le droit d'être aimés et de vivre en sécurité, et l'on ne s'intéresse pas à ces problèmes. Si vous souhaitez instituer un programme financé, c'est un vaste domaine où l'on pourrait vraiment venir en aide aux femmes autochtones. Je sais que le sénateur Chalifoux connaît bien le dossier des internats, et je sais que bon nombre d'entre vous sont aussi au courant, mais essayez d'imaginer un village sans enfants entre six et seize ans sur plusieurs générations. On m'a envoyée à l'internat à l'âge de quatre ans. Là-bas, on ne nous apprenait pas comment être parent. Nous subissions des méthodes disciplinaires répressives et bon nombre d'entre nous ont répercuté ce type de relations parentales avec leurs enfants, de sorte que le cycle intergénérationnel n'est pas encore rompu aujourd'hui. Si l'on s'intéresse vraiment à la santé des jeunes, il faut aussi travailler avec la famille toute entière.
Dans la foulée de ce fiasco lamentable à DRHC il y a quelques années, la Pacific Association of First Nations Women, comme bien d'autres programmes autochtones au Canada, ont malheureusement subi des coupures. Les programmes destinés aux femmes autochtones ont été sacrifiés dans ce grand ménage. Nous n'avons pas perdu des millions de dollars, mais le peu que nous avions a été réduit de moitié. Par la suite, nous en sommes arrivés au point de ne plus vouloir présenter des demandes de fonds au gouvernement fédéral car on changeait les règles constamment. Il est impératif d'examiner de plus près les programmes destinés aux femmes autochtones. Nous devons recouvrer les fonds qui nous ont été enlevés et s'assurer que tout se passe dans le respect de l'équité. Pourquoi y a-t-il des compressions dans les fonds destinés à certaines populations et pas à d'autres? Je pose la question, et je pense que vous devez la poser aussi.
Je pense qu'il faut maintenir le financement de l'Aboriginal Healing Foundation. Même s'il s'agit d'un financement limité, nous avons fait beaucoup de bien grâce à de nombreux programmes offerts un peu partout au Canada. Ainsi, nous dirigeons un programme axé sur les collectivités éloignées qui ne peuvent avoir accès à ces fonds. Nous offrons une formation permettant d'identifier la violence dans la collectivité, dans la famille et d'aider les gens à élaborer des stratégies pour s'en sortir. À l'heure actuelle, notre association offre un soutien à sept groupes de femmes vivant dans des communautés éloignées et semi-éloignées. Nous avons aussi offert des séances de formation ici à Vancouver sur la violence dans les relations, les agressions sexuelles et tout autre type de violence physique qui est monnaie courante dans nos foyers.
Je vous ai parlé de pauvreté et de violence. Je veux maintenant vous raconter une histoire et ensuite, vous pourrez me poser toutes les questions que vous voudrez. Lorsque je travaillais à Kumtux, cette école alternative au coin de Gore et Hastings, nos élèves venaient de RayCam et d'un certain nombre de familles vivant dans les environs. Le programme était dispensé à partir d'une église et une année, nous avons décidé d'amener ces enfants de la rue, ces petits durs, à Disneyland. Nous avons travaillé tout au long de l'année pour recueillir des fonds et un syndicat d'employés de l'aéroport nous en a fourni une bonne partie, mais le reste a été plus ou moins le fruit des efforts des enfants. Il y en avait de tous les âges et quatre membres du personnel, dont j'étais, ont voyagé avec 16 d'entre eux jusque-là avec un autobus et une voiture. C'était de petits voyous qui, je dois vous le dire, essayaient toujours de me vendre toutes sortes de choses: «N'avez-vous pas besoin d'un nouveau téléviseur?» «Non, je n'en ai pas besoin.» «Mais vos enfants qui grandissent, n'ont-ils pas besoin de jeans?» «Nous en avons suffisamment.» Je disais toujours non. Je refusais d'accepter quoi que ce soit qui aurait pu avoir été volé. Dès que nous avons quitté le quartier est du centre-ville, nous avons constaté chez eux une grande différence. Nous les avons retirés de leur milieu — ils avaient franchi les limites de leur foyer et de leur territoire —, et ils se sont fort bien comportés. En fait, ils avaient un peu peur du monde extérieur. Lorsque nous sommes arrivés à San Francisco, nous leur avons dit: «Allez-y, explorez la ville; nous allons vous mettre sur le tram.» Ils avaient entendu dire, bien sûr, que San Francisco avait une forte population gaie et ils croyaient que dès qu'ils seraient dans le bus, quelqu'un leur pincerait les fesses. Ils se sont rendus en tramway jusqu'à l'autre bout de San Francisco et ils sont revenus illico.
Chacun d'entre eux avait épargné environ 200 $, et cet argent a fondu très rapidement une fois que nous sommes arrivés à Disneyland, mais heureusement, nous avions suffisamment pour que tous puissent s'amuser. En conversant avec l'un des travailleurs sociaux spécialistes de l'enfance avec lequel je travaillais à l'époque, je lui ai dit: «Vous savez, nous devrions organiser une réunion d'anciens.» Certains de ces enfants ont quitté le droit chemin, certains se sont suicidés, d'autres sont morts d'une surdose de drogue, mais je pense que dans l'ensemble ils font preuve de beaucoup de ressort. Je les vois déambuler, je sais qu'ils ont des emplois, que certaines jeunes filles sont devenues de bonnes mères, et je me dis qu'il y a de l'espoir. Il y a de l'espoir, et nous devons trouver un moyen de reconnaître cette grande force de nos jeunes et de leurs mères. Leur histoire me dit que tout n'est pas perdu, mais nous avons besoin de programmes et d'argent pour créer des milieux de vie sûrs. Mes propres enfants ont pu jouer au soccer; je les ai tenus occupés. Je remercie le ciel qu'ils aient tous deux été des athlètes, mais lorsque j'ai su combien il en coûtait pour inscrire mon petit- fils, qui a cinq ans, au hockey et l'équiper, j'ai été très contente qu'il ait un grand-père riche de l'autre côté de la famille. Bon nombre de nos enfants ne peuvent participer à ces activités. La pauvreté se répercute dans tous les domaines pour un jeune en croissance — nutrition déficiente, manque d'argent pour les activités récréatives, et cetera. En venant ici, pendant le trajet d'autobus, Rita me disait que même par une journée comme aujourd'hui, au lieu de rester chez eux dans un foyer dysfonctionnel, les enfants préfèrent être de hors à glander, à ne rien faire, à attendre, et cela me fait parfois peur. Dans ce cas, je n'hésite pas à m'approcher d'un groupe de jeunes filles pour vérifier si elles sont harcelées par certains délinquants qui veulent les attirer dans la rue. Je dis: «Qu'est-ce qu'il te raconte, et qu'est-ce qu'il fait?» Je vais confronter l'homme en question en lui disant: «Ne t'approche pas de nos filles. Si tu ne t'en vas pas, je vais me mettre à hurler.» Je me souviendrai toujours de ce qu'a dit Jane Middleton Moz au sujet des enfants adultes d'alcooliques. Lorsqu'elle voyait un enfant maltraité, elle se disait: «Je vais intervenir dans l'intérêt de l'enfant», et je pense que c'est cette attitude que, collectivement, nous devons adopter en tant que femmes autochtones. Voilà pourquoi il est tellement important que vous vous penchiez sur les mécanismes de financement en vue d'augmenter les fonds pour les programmes destinés aux femmes autochtones car nous voulons pouvoir aider ces femmes. Si nous ne pouvons compter sur des femmes saines et fortes, nous n'aurons pas d'enfants sains et forts.
La présidente: Madame Barnes, voulez-vous dire quelques mots?
Mme Rita Barnes, B.C. Women's Health Centre: Comme Angie l'a dit, je suis ici uniquement à titre de soutien moral pour elle. Je pense qu'elle se faisait du souci au sujet de sa comparution. Elle m'a dit que c'était des plus importants. Nous avons besoin d'aide ici. Nous avons besoin d'aide pour nos familles, pour offrir à nos enfants des possibilités de s'occuper. Même un jour comme aujourd'hui, ils ne veulent pas rester chez eux à cause de ce qui se passe à la maison, mais ils n'ont pas d'argent pour faire du sport. Mes petits-enfants jouent tous au soccer et mes filles se plaignent constamment du coût des souliers de soccer car comme les enfants grandissent, il leur en faut de nouveaux tous les six mois. Il est absolument impossible pour un enfant qui vit au centre-ville de pouvoir se permettre cela. Les activités sportives coûtent cher et avec les compressions, les organisations ne sont pas en mesure de donner un coup de pouce. Chaque fois qu'on met le pied dehors, cela coûte de l'argent. Même pour faire une campagne de levée de fonds, il faut de l'argent pour démarrer, et nous n'en avons pas. Il me semble que chaque fois qu'il y a des réunions d'organisations, on se pose toujours la même grande question, à savoir comment trouver l'argent pour ceci ou cela. Dans l'intervalle, chaque fois que nous sortons de chez nous, nous voyons des enfants qui traînent dans les rues et des femmes autochtones sans abri. Cela me fend le coeur et je vais m'arrêter avant de me mettre à pleurer.
Mme Todd-Dennis: Je sais qu'il existe des fonds réservés aux Autochtones dans les domaines de la santé et sans doute de l'éducation et de l'aide à l'enfance. Je me demande dans quelle mesure le gouvernement fédéral peut demander aux autorités provinciales de réexaminer les politiques qu'ils ont instaurées depuis deux ans et qui ont dessiné un grand nombre de nos familles. D'après certains, des femmes ont été forcées de se prostituer pour pouvoir nourrir leur famille. Elles ont très peur du système d'aide sociale qui limite la durée pendant laquelle on peut recevoir des prestations. À mon avis, les politiques du gouvernement provincial actuel sont préjudiciables pour le peuple autochtone en général. Et si les communautés autochtones sont touchées, il en va évidemment de même pour les jeunes. C'est un petit milieu, mais il y a parmi nous des enfants qui se piquent à l'âge de 10 ans. Il y a des trafiquants de drogues dont les conseils de bande ont peur. Il y a des leaders, des chefs qui ne prennent pas de mesures pour lutter contre la violence dans leur collectivité parce que certains d'entre eux en sont les auteurs. Les gens disent qu'ils veulent faire quelque chose pour nos jeunes parce qu'ils représentent l'avenir. Je ne conteste pas qu'ils représentent l'avenir, mais comment pourront-ils devenir des adultes forts s'ils sont déjà salement amochés lorsqu'ils arrivent en 1re année? Je sais que certains programmes Bon départ ont eu beaucoup de succès, mais je pense que toutes les initiatives, quelles qu'elles soient, doivent être plus globales. La famille doit guérir ensemble, et non pas seulement les jeunes individuellement.
Il est impératif de se pencher sur le problème de la pauvreté et sur toutes ses ramifications. Nous avons à notre actif bien des réussites, mais je tenais à parler au nom des jeunes qui n'ont personne pour se porter à leur défense.
Le sénateur Pearson: Je vous remercie d'être venue en dépit d'un préavis très court. Vous avez très bien su communiquer votre message. Vous n'avez pas de souci à vous faire à ce sujet. J'ai été particulièrement frappée par l'une de vos observations au sujet de l'art d'être parent, ce qui m'apparaît extrêmement important. Vous avez aussi mentionné qu'à l'internat, vous aviez été soumise à une discipline punitive. C'est la première fois que j'entends cela exprimé ainsi; c'est une réflexion très utile, quoique empreinte de tristesse. Quelle est la meilleure façon d'aborder les problèmes liés à la responsabilité d'être parent dans les familles avec qui vous travaillez? Il ne suffit sans doute pas de donner des cours aux gens; il faut faire quelque chose de plus concert. Avez-vous certaines idées au sujet de programmes susceptibles de donner des résultats?
Mme Todd-Dennis: Je sais que des femmes autochtones à qui on avait enlevé leurs enfants ont été tenues d'assister à des cours axés sur l'exercice de la responsabilité parentale selon le modèle de la classe moyenne. Je pense que la seule façon dont les Autochtones peuvent s'entraider, c'est de les intégrer concrètement au processus d'apprentissage de l'art d'être parent sur une base continue. On y arrivera en les invitant, par exemple, dans un local où ils pourront apprendre à interagir, à faire la cuisine pour leurs enfants, à planifier; un endroit où les mères pourront parler à d'autres mères sur les diverses façons de discipliner les enfants. Par exemple, elles pourront discuter entre elles: comment fais-tu ceci? Connais-tu une méthode saine pour faire cela? Chose certaine, un tel programme doit être dirigé par des Autochtones et il devra bénéficier d'un vaste soutien. Il y a très peu de conseillers qui comprennent vraiment le «mode autochtone», comme nous l'appelons. De toute façon, il y a très peu de conseillers pour les mères. Nous recevons fréquemment des appels de mères qui veulent simplement parler à quelqu'un; elles habitent dans des localités éloignées de la Colombie- Britannique où l'on n'offre pas les services que nous avons à Vancouver. Pour ma part, j'avais 34 ans lorsque j'ai commencé à me rendre compte que je me comportais comme ma mère; c'est à ce moment-là que j'ai eu recours au counselling. Je ne voulais pas que mes garçons souffrent de mes piètres qualités de parent à l'époque. C'était il y a quelques années, et j'apprends encore. D'ailleurs, je constate que je suis meilleure grand-mère que j'étais mère. Rita peut vous donner certaines idées car elle a travaillé directement avec des familles. Elle a pu voir concrètement certaines choses qui fonctionnent.
Le sénateur Pearson: Pouvez-vous nous donner des idées car à mes yeux, cette question de l'exercice de la responsabilité parentale est absolument cruciale. D'ailleurs, elle est cruciale non seulement pour les familles autochtones, mais pour l'ensemble des familles. À Toronto, une organisation appelée Invest in Kids a effectué une enquête qui a révélé que les personnes ayant de jeunes enfants estimaient que leur travail de parents est la chose la plus importante qu'ils font. C'est là une bonne nouvelle. La mauvaise, c'est qu'ils ne savent pas comment s'y prendre et qu'ils ont une piètre compréhension du développement social et émotif des enfants. Ils en savent plus long au sujet du développement physique, mais ils admettent leur ignorance. J'estime important qu'en tant que société, nous trouvions des moyens de mieux aider les parents à faire ce qu'eux seuls peuvent faire, c'est-à-dire être de bons parents. Par conséquent, si vous avez des idées à nous communiquer, je vous en serais très reconnaissante.
Mme Barnes: J'ai toujours supposé que lorsqu'on prévoit fonder une famille et qu'on attend son premier enfant, on se dit que ce sera notre propre bébé et qu'on saura s'y prendre. J'ai fait beaucoup de gardiennage. J'ai été pensionnaire pendant neuf ans, mais j'ai eu de la chance car l'école était située à un endroit où j'avais beaucoup de famille et je pouvais rentrer chez moi les week-ends. Je parle encore ma langue maternelle. Les bébés étaient toujours choyés. Lorsqu'on prend un bébé, il suffit de le serrer contre soi, lui faire un gros câlin. J'ai toujours supposé que tout le monde pensait comme ça, et je suis pratiquement certaine que c'est le cas, mais si vous n'avez pas grandi dans une famille, que vous n'avez pas vu comment on prend soin d'un bébé, vous ne le savez peut-être pas. Je comprends maintenant qu'il s'agit d'un comportement acquis. Lorsque je travaillais pour le conseil scolaire et que je faisais des visites à domicile, je regardais de jeunes mères changer la couche de leurs bébés, et il n'y avait aucune interaction. Je voulais leur dire de parler à leurs bébés, de jouer avec eux. Les mères font cela naturellement lorsqu'elles changent les couches. Toutefois, j'ai remarqué que dans un grand nombre de nos foyers, les mères ne faisaient pas cela. J'ai constaté une carence à cet égard, mais je ne savais pas comment régler le problème. Je savais cependant que je ne pouvais pas leur dire: «Vous ne faites pas cela comme il faut; voilà comment il faut faire lorsqu'on change des couches: on joue avec le bébé, on lui parle, on interagit avec lui».
Au bout d'un moment, je leur disais plutôt: «Verriez-vous des objections à ce que je change la couche du bébé? Je n'ai pas changé de couches depuis des lustres.» Alors je jouais avec le bébé ou je prenais un livre pour lui faire la lecture pendant ma visite. Je disais à la mère: «Pendant que vous êtes occupée, puis-je jouer avec le bébé, puis-je le prendre dans mes bras?» Tout au long des années où j'ai travaillé pour le conseil scolaire, je n'ai pas vu de résultats de mes efforts, mais je savais qu'il fallait faire quelque chose, que les programmes sur l'art d'être parent étaient très importants. Lorsque j'ai eu l'occasion d'assister à un cours sur l'art d'être parent, je n'ai pas été impressionnée par la façon dont on présentait les choses. Par la suite, j'ai assisté à un autre cours, à Burnaby, qui m'a vraiment enthousiasmée. C'était tout simplement merveilleux. Il était dirigé par une très jeune femme qui avait quatre petits garçons et dont le mari était ouvrier. Certains des parents qui assistaient au cours y avaient été envoyés sur l'ordre du tribunal. La façon dont elle avait organisé le cours était tout simplement fantastique. Elle ne forçait jamais les choses. Les séances commençaient par un repas, un repas sain, dont elle expliquait le menu, le coût des aliments et la valeur nutritive. Elle donnait ces explications pendant que nous mangions ce très bon repas; elle faisait un calcul pour nous montrer combien il avait coûté par personne. Par la suite, une travailleuse en garderie prenait les enfants en charge et le cours passait à autre chose. Après quatre semaines, on voyait que les mères qui avaient été forcées par le tribunal de suivre le cours arrivaient ponctuellement à l'heure et semblaient attendre impatiemment cette soirée pour parler de leur semaine. À la fin, elles s'associaient en équipe pour s'entraider; une mère donnait congé à l'autre et s'occupait de ses enfants pendant toute une semaine. C'était un repos bien mérité. La femme qui m'avait demandé d'assister au cours m'a demandé: «Comment voyez-vous votre rôle ici?» On m'avait fait venir à titre d'aînée, alors j'ai dû réfléchir à la question pendant environ une semaine. Je me suis dit: «Je vais les faire profiter de mes erreurs.» J'ai élevé cinq enfants à Burnaby et ils sont tous adultes, ils ont tous des enfants maintenant et ce sont de bons parents. Cependant, de temps à autre, nous nous retrouvons tous en famille et ils racontent ce qu'ils détestaient à mon sujet. «Tu sais ce qu'on haïssait, maman, quand nous étions petits? Tu ne pouvais jamais répondre directement à une question, il fallait toujours que tu racontes une histoire.» Bien sûr, ils font la même chose aujourd'hui, mais il y a autre chose qu'ils n'aimaient pas. Si je devais tout refaire depuis le début, je sais ce que je changerais, alors je les ai fait bénéficier de mes erreurs et je leur ai dit qu'il n'y avait rien de mal à dire: «Je ne veux pas être une mère en ce moment précis, je veux seulement me sauver d'ici.»
Cependant, j'avais tout un réseau de soutien. J'avais ma belle-mère, qui habitait avec nous; j'avais deux soeurs dans la même ville, de sorte que j'avais la très grande chance de pouvoir compter sur un réseau de soutien, mais je commettais quand même des erreurs. Nous ne sommes pas toutes des mères parfaites, mais il y a des familles qui sont tellement dysfonctionnelles parce que le système des écoles résidentielles a créé quatre générations de femmes qui n'ont aucune habileté parentale. Les femmes de la première génération qui ont été arrachées à leur foyer sont retournées à des parents qui n'avaient pas joué le rôle de parents pendant 10 mois. Ceux-ci ont commencé à perdre leurs habiletés et c'est devenu un cercle vicieux. Nous en sommes encore à essayer de retrouver l'art d'être mère, l'art d'être parent. On en revient toujours au dollar tout puissant, mais il faut de l'argent pour mettre sur pied des programmes afin d'aider les gens à devenir de bons parents. Il me fallait parler de cette jeune femme là-bas à Burnaby, parce que j'ai vraiment aimé son modèle. Bien sûr, le financement ne dure qu'un temps.
Le sénateur Pearson: C'est le même problème. Je pense avoir tiré de ce que vous avez dit les éléments d'un programme qui fonctionne. Il faut donner l'exemple, créer des liens de confiance, et aider à développer l'entraide entre parents pour qu'ils puissent se parler et s'aider mutuellement. Il faut une approche holistique, ce dont vous nous avez déjà parlé, et il nous faut des ressources pour que ces programmes puissent survivre.
Mme Barnes: Cette jeune femme m'a vraiment impressionnée, le fait qu'elle soit capable de faire tout cela. C'était une jeune mère autochtone et son mari faisait la tournée après son travail pour aller chercher les parents qui ne pouvaient pas payer l'autobus. L'argent pour l'autobus vient toujours en dernier dans la liste des priorités quand on est assisté social. En fait, tout se faisait par l'exemple. Elle les encourageait à venir accompagnées de leurs conjoints et c'était extraordinaire de suivre un programme qui fonctionnait vraiment bien. Cependant, nous avons besoin d'argent pour mettre sur pied un plus grand nombre de programmes comme celui-là, en espérant qu'on pourra obtenir de cette jeune femme qu'elle enseigne à d'autres la manière de s'y prendre pour créer des programmes comme le sien.
Le sénateur Sibbeston: Madame Todd-Dennis, vous nous avez dit que vous travaillez avec le B.C. Women's Health Centre, dont vous êtes la coordonnatrice. Je voudrais connaître l'étendue du travail fait par des Autochtones dans le domaine de la santé. Je constate qu'il y a à Vancouver une Société pour la santé des Autochtones; est-ce une organisation différente, et combien d'organisations au juste s'occupent de santé des Autochtones en général, essayant de promouvoir la santé?
Mme Todd-Dennis: Notre grande organisation provinciale, le Sommet des chefs, dirige de bons programmes provinciaux, par exemple sur le diabète, mais ils ont reçu il y a une semaine lundi une lettre annonçant l'élimination d'une somme de 500 000 $, soit leur budget total. Nous avons la Société pour la santé autochtone de Vancouver, qui dirige une clinique dans l'est du centre-ville. Nous avons un projet de santé mentale à Vancouver. Notre organisation est dirigée à l'échelle provinciale et ma tâche est de travailler avec des femmes un peu partout dans la province qui souhaitent mettre sur pied des programmes destinés aux femmes autochtones pour examiner les problèmes de santé de divers groupes d'âge. Je fais beaucoup de travail de développement communautaire, et nous dirigeons depuis une dizaine d'années trois cliniques de dépistage dans les régions éloignées, parce que le taux de mortalité du cancer du col de l'utérus, par exemple, est de quatre à six fois plus élevé que la norme provinciale. C'était assez effrayant quand nous avons lancé notre programme, mais les femmes elles-mêmes ont pris conscience que nous devons en savoir plus sur la santé des femmes et les activités propices à la santé. Nous avons donc étendu la portée de notre programme pour donner aux femmes de l'information sur leur propre santé.
Chacune des cinq régions — la province vient tout juste de réduire de 14 à 5 le nombre de régions dans le domaine de la santé — compte un coordonnateur autochtone, sauf pour l'intérieur de la province, où il n'y en a un qu'une journée par semaine. Leur rôle est de distribuer des fonds pour divers projets dans le domaine de la santé. L'Association des infirmières autochtones du Canada compte à peu près 50 membres dans la province. J'ignore combien de médecins nous avons suivis jusqu'à la fin de leurs études. Je travaillais auparavant à l'Université de la Colombie-Britannique et mon travail était d'encourager les gens à se lancer dans les sciences de la santé, et je connais donc seulement les gens avec qui j'ai travaillé. Je suis fière de dire que je suis allée en juin dernier à un dîner à Tucson avec l'un de mes étudiants qui venait tout juste de se qualifier comme anesthésiste, et il travaille maintenant à Bellingham. Quels autres programmes avons-nous dans le domaine de la santé? Il y a la Helping Spirit Lodge Society, qui s'occupe de la santé mentale des femmes battues. Nous avons Healing Our Spirit, qui est un programme provincial qui tente de répondre aux besoins des gens qui ont le VIH/sida. Il y a aussi la Red Road Society, qui est un autre projet provincial dans le domaine du sida.
Je suis présidente de la composante autochtone du collège des sages-femmes et nous essayons de trouver des gens qui sont intéressés à suivre une formation et nous tentons de voir s'il y a encore des femmes qui connaissent la pratique traditionnelle dans ce domaine. Nous avons été très excités d'apprendre que parmi les Maoris, de la même manière qu'ils ont réussi à ressusciter leur langue en une génération, les femmes ont uni leurs efforts pour remettre en honneur le métier de sage-femme dans le cadre de leur mode de vie, et il semble que leurs efforts ont été couronnés de succès.
Nous avons un projet d'éducation dans le domaine du SAF qui était auparavant dirigé par l'un des centres d'amitié, mais je crois que c'est maintenant le groupe de M. Demerais qui s'en occupe. M. Demerais a beaucoup de projets, soit dit en passant. Ils travaillent avec Sheway, qui s'occupe des besoins des futures mères pour s'assurer que leurs bébés obtiennent les soins prénataux et postnataux. Tout cela est situé dans l'est du centre-ville. L'une des recommandations d'un rapport intitulé «Pathways to Healing» était de créer un centre de mieux-être qui pourrait devenir le cadre de nombreux programmes. Je souhaite toutefois la création d'une clinique pour les femmes, parce qu'il n'y a aucune sécurité dans un centre de mieux-être, où une femme peut entrer par une porte tandis que celui qui la bat entre par une autre porte.
Je voudrais voir une clinique où les femmes peuvent venir pour le dépistage, pour du counselling, où elles peuvent laisser leurs enfants pendant qu'elles vont magasiner ou simplement pour avoir un peu de répit. C'est mon rêve.
Le sénateur Carney: Quels sont les principaux problèmes de santé pour les femmes autochtones? Il y a la question de la violence, mais est-ce que les questions de santé sont différentes chez les Autochtones, par rapport à l'ensemble de la population?
Mme Todd-Dennis: Nous ne mourons plus de blessures comme c'était le cas auparavant. C'était autrefois la principale cause de décès. Notre principale cause de décès aujourd'hui, ce sont les maladies cardio-vasculaires, et je pense que cela a beaucoup à voir avec un mode de vie plus sédentaire. Notre mode de vie a changé considérablement. Il est certain que le taux élevé de mortalité pour le cancer du col de l'utérus est attribuable au fait que la maladie est diagnostiquée trop tard, et à mesure que ces changements ont lieu dans la province, on dirait que la santé des femmes en prend un coup. Le diabète et l'arthrite sont plus répandus parmi les femmes autochtones. L'ostéoporose est en hausse, ce qui est très étonnant parce que cela n'avait jamais été tellement problématique. C'est probablement lié aux changements de régimes alimentaires. Je sais que les femmes s'interrogent au sujet de la ménopause parce que nos grands-mères n'y avaient jamais vraiment accordé tellement d'attention. C'était une étape de la vie et elles travaillaient tellement dur que la ménopause survenait sans causer trop d'émoi. Aujourd'hui, il y a beaucoup de préoccupations à ce sujet et c'est plutôt une question d'intérêt intergénérationnel. C'est l'un des ateliers qu'on nous demande fréquemment de donner. Une mère nous téléphone pour dire: «Pourriez-vous venir faire un atelier, parce que je veux que ma fille et ma petite-fille sachent à quoi s'en tenir». Elles sont capables de se transmettre un certain savoir sur les raisons du comportement de la mère. Des changements surviennent dans son corps.
Le sénateur St. Germain: Vous avez dit que les écoles résidentielles étaient sources de violence, et je sais de quoi vous parler parce que j'ai grandi avec une mère blanche et un père Autochtone. Mon père ne frappait jamais quoi que ce soit, il pouvait à peine tuer une mouche, mais pourtant ma mère me corrigeait. Dans la culture autochtone, partout, on a toujours adopté une approche non violente pour élever les enfants. Ensuite, cette culture différente, celle des écoles résidentielles, a été imposée aux peuples autochtones. On parle de violence et ce sont évidemment les deux parents qui sont en cause, pas seulement les mères. Je sais que vous représentez les femmes ici aujourd'hui, mais je dois demander si la frustration ressentie par le chef de famille pour cause de non-réalisation de soi n'est pas un facteur contribuant puissamment à cette violence.
Mme Todd-Dennis: Nous avons assisté à d'immenses changements culturels dans nos communautés et la culture n'est pas immuable; il y a 100 ans ou 200 ans, c'était les hommes, les pères et les oncles qui s'occupaient de trouver la nourriture, de construire les maisons, et cetera, c'était leur rôle. Le rôle des femmes était d'élever les enfants et de faire toutes les tâches qui incombaient aux femmes à cette époque, par exemple cueillir et faire sécher des petits fruits et s'occuper de la famille pendant que le mari était absent. Notre rôle est demeuré essentiellement le même, bien que certaines d'entre nous vont maintenant travailler à l'extérieur, tandis que le rôle des hommes a changé considérablement. Au départ, c'était des chasseurs, des pourvoyeurs pour la famille, et ils sont allés travailler dans les usines, comme bûcherons ou à n'importe quel emploi qu'ils pouvaient trouver, même à ramasser des racines. Je sais que dans la région de Vanderhoof, les gens de notre peuple étaient payés 1 $ l'acre pour ramasser des racines pour les agriculteurs. Beaucoup de nos hommes sont maintenant chômeurs et leur rôle a changé énormément, et je crois donc qu'il y a un sentiment d'impuissance et de désespoir parce qu'ils ne peuvent pas pourvoir aux besoins de leur famille.
Le sénateur St. Germain: Je n'arrive pas à comprendre comment fonctionne ce système de financement, parce que nous avons des bureaucrates à gauche et à droite qui sont censés disposer des fonds voulus, et nous avons constaté ce matin que M. Bates, qui a témoigné tout à l'heure, est financé par l'entremise de DRHC. Il y a une foule de gens qui travaillent pour l'empire du mal, le MAINC, qui touchent toujours plus d'argent chaque année, et pourtant nos Autochtones sont de plus en plus nombreux à quitter les réserves et l'argent du MAINC est presque entièrement consacré aux Autochtones qui habitent dans les réserves. Je n'arrive absolument pas à percer ce mystère. Je ne comprends rien à ce qui se passe, et peut-être que quelqu'un peut me l'expliquer, mais c'est vraiment frustrant pour nous également comme politiciens. Vous avez parlé d'un aspect holistique ou spirituel, et je pense que si nous, comme société, quelles que soient nos croyances respectives, n'avons pas une dimension spirituelle, c'est quasi impossible de nous sortir du bourbier dans lequel nous nous sommes enfoncés. Faites-vous une large place à cette réflexion dans le cadre des efforts que vous déployez, et que pourrait-on faire pour améliorer l'état des choses à cet égard?
Mme Todd-Dennis: Eh bien, on ne peut pas inculquer de force une dimension spirituelle à quelqu'un. La spiritualité est différente de la religion. Si vous voulez l'aborder sous l'angle holistique, la spiritualité signifie être une personne saine physiquement, mentalement et affectivement. Quand chacun de ces éléments est en bon ordre, la spiritualité est équilibrée. Nous aidons nos femmes à se sentir en sécurité et à renforcer leur estime de soi afin qu'elles puissent être de meilleures mères, et l'un des éléments de cela, c'est la durée. Cela a à voir avec la capacité d'exprimer l'amour. Pour ma part, je n'en étais pas capable. Heureusement, j'ai eu dans une famille d'accueil une mère pour qui c'était important de se serrer dans les bras l'un de l'autre. Avant, je ne savais pas comment serrer quelqu'un dans mes bras. Même quand j'ai eu mes enfants, j'avais l'impression de jouer la comédie. J'ai toujours eu une certaine idée de la famille idéale, je voulais que mon foyer soit comme celui de Dick et Jane, avec une petite clôture de bois peinte en blanc et le voisin qui vient chaque automne râteler les feuilles. C'était l'image que j'avais d'une famille, mais quand j'ai eu ma propre famille, je me suis rendu compte que le plus important, c'est l'estime de soi; quand on s'aime soi-même, on est capable d'exprimer l'amour. Je réussis enfin à l'exprimer, à mon âge, à mes fils adultes, et je peux l'exprimer très facilement à mes petits-enfants parce qu'ils me donnent de l'amour inconditionnel.
Je trouve que ce programme devrait être fondé sur une approche pratico-pratique, comme Rita l'a dit; il faut passer en revue l'élaboration d'un budget, la façon de s'habiller au meilleur prix, savoir comment s'organiser en groupe pour faire du jardinage communautaire; chacun peut mettre 5 $ par mois pour acheter un gros sac de patates ou de riz ou de quelqu'autre denrée. Je ne vois pas cela comme un cours magistral du genre: «Je vais vous enseigner comment aimer vos enfants et changer les couches de vos enfants». C'est une question d'épanouissement et de leur donner les outils avec lesquels élever leurs enfants d'une manière plus saine et d'être capables d'en discuter.
Le sénateur Carney: Je voudrais que l'on demande à M. Demerais de nous donner les noms des programmes auxquels il a accès, pour le compte rendu, pour notre rapport.
Mme Barnes a parlé de la pauvreté et des gens qui n'ont pas d'argent pour prendre l'autobus, et je songeais à ce que nous avons entendu hier soir, quand un jeune nous a dit à quel point il était important que les parents s'occupent de leurs progrès scolaires. Bien sûr, c'est plus difficile quand on n'a même pas d'argent pour prendre l'autobus.
Je voulais interroger Mme Todd-Dennis sur ces groupes de femmes autochtones, les liens qui les unissent et le pouvoir qu'elles ont le sentiment de posséder. Est-ce que la Pacific Association of First Nations Women s'occupe des femmes qui vivent dans les réserves ou hors-réserve?
Mme Todd-Dennis: L'association a été fondée en 1981 et s'appelait alors la Professional Native Women's Association. Comme nous étions tellement nombreuses à travailler dans l'administration gouvernementale, dans certains domaines en particulier, nous nous sentions isolées et nous avons fondé l'association à titre de groupe de soutien. Nous nous réunissions régulièrement pour des dîners et des activités sociales. Nous avons organisé des casinos pour pouvoir distribuer des bourses et encourager les gens à fréquenter l'université et pour organiser des fêtes lors de la remise des diplômes. Vers 1995, comme nous ne réussissions jamais à obtenir un numéro d'organisme de charité parce que le mot «professionnel» figurait dans notre nom, nous avons changé de nom pour nous appeler Pacific Association of First Nations Women, de manière à pouvoir inclure un plus grand nombre de femmes dans nos groupes. Nous avons essayé de jouer un rôle de défenseur des droits, nous avons essayé de faire du lobbying au nom des femmes, mais on nous a donné en 1995 le mandat spécifique de nous occuper des services sociaux et de santé pour les femmes autochtones, essentiellement en ville. Nous avons toutefois découvert que les femmes dans d'autres secteurs avaient besoin des services que nous avions à offrir et nous avons donc étendu notre mandat. Aujourd'hui, même si notre constitution stipule «principalement dans la ville de Vancouver», nous avons des membres à l'échelle de la province.
Il y a très peu de groupes de femmes autochtones enregistrés dans la province. L'un des plus anciens, appelé Indian Homemakers, s'est désintégré et il reste donc la Pacific Association, la Upper Island Women of Native Ancestry et quelques autres groupes épars dans la province qui se sont alignés sur la Pacific Association parce que nous avons travaillé eux dans le domaine de la violence. Il y a aussi un autre groupe de femmes, la B.C. Native Women's Society, dont le siège se trouve à Merritt.
Le sénateur Carney: On nous a dit, ou bien nous savons par expérience personnelle, qu'un facteur de la migration urbaine est que les femmes quittent les réserves et viennent en ville, et amènent bien sûr leurs enfants, parce qu'elles n'arrivent pas à obtenir des services des conseils de bande dominés par des hommes. C'est parfois une question de statut, mettant en cause le projet de loi C-31, et j'ignore si vous êtes au fait de ce dossier. Pouvez-vous commenter cela et êtes-vous d'accord pour dire que c'est un facteur de la migration vers la ville?
Mme Todd-Dennis: Dans bien des cas, c'est le cas. Il y a bien des raisons qui poussent les femmes à migrer. C'est parfois une question d'éducation, ou du manque d'éducation. Si vous n'êtes pas dans les bonnes grâces de la famille qui a le contrôle de l'argent, vous n'aurez pas d'argent pour aller à l'école. Par conséquent, vous pouvez aller en ville pour trouver d'autres solutions, par exemple en demandant une bourse. D'autres viennent en ville parce qu'ils vivent dans une situation malsaine où elles sont battues. D'autres encore viennent chercher du travail. Je n'ai jamais pu travailler dans une réserve. Pour vous dire la vérité, il m'était impossible de travailler pour un conseil de bande exerçant un pouvoir hiérarchique sur moi, avec mon instruction, et qui trouverait n'importe quel prétexte pour me congédier parce que je suis instruite. Je refuse de travailler dans une situation où une personne qui a une 8e année me dirait quoi faire. Après avoir obtenu ma maîtrise, j'ai posé ma candidature à un poste; ils ne m'ont pas embauchée, ils ont pris à la place un psychologue blanc qui n'est pas resté deux ans. Je refuse de me soumettre une fois de plus à cette indignité, de poser ma candidature pour un poste dans mon propre peuple pour me faire rejeter parce que je suis instruite. Beaucoup d'Indiens instruits comme moi ne retournent pas dans la réserve pour cette raison.
Le sénateur Carney: Pourtant, plus de femmes que d'hommes sont instruites.
Mme Todd-Dennis: Oui.
Le sénateur Carney: L'éducation est un facteur qui explique que des familles, des enfants quittent la réserve et viennent en ville? C'est ce que vous dites?
Mme Todd-Dennis: Oui.
Le sénateur Carney: Madame Barnes, voulez-vous faire des observations?
C'est très important que nous parlions d'éducation, mais plus précisément des jeunes qui migrent des réserves vers les villes, et ce ne sont pas toujours des cas problèmes. Je tiens à rappeler aux sénateurs ce que le jeune nous a dit hier soir: très souvent, nous examinons ces dossiers comme autant de problèmes qu'il faut régler. Bien des gens et beaucoup de jeunes se débrouillent très bien et nous ne devrions pas toujours chercher des problèmes à régler. Si nous avons une situation où il y a des inégalités dans l'éducation, où les femmes font mieux que les hommes, que pouvons-nous faire à ce propos, ou devrions-nous même faire quoi que ce soit? Je vous invite toutes les deux à commenter cela.
Mme Barnes: Je suis en ville parce qu'il n'y avait pas d'emploi dans le petit village dont j'étais censée faire partie, d'après les Affaires indiennes.
Le sénateur Carney: Kingcom?
Mme Barnes: J'ai toujours eu le sentiment que j'étais culturellement citoyenne de trois autres villages. C'était très isolé et les gens qui m'entouraient étaient des pêcheurs. Parfois, cela allait bien, mais parfois non. Il n'y avait pas d'emploi pour les femmes dans ce petit village. Naturellement, ce n'était pas un endroit où je pouvais rester à l'âge où j'avais besoin d'un emploi, et Alert Bay était la petite ville la plus proche. À un moment donné, j'ai quitté cet endroit pour venir ici.
Le sénateur Carney: Par conséquent, les femmes suivent les emplois ou viennent ici parce qu'elles n'obtiennent pas de services. Quels sont les autres facteurs qui amènent les familles en ville, d'après vous? Je sais qu'Alert Bay ressemble à Paris en comparaison de Kingcom, mais c'est quand même un endroit fascinant le long de la côte.
Mme Todd-Dennis: Je pense que les gens qui sont atteints du VIH/sida viennent pour échapper à la stigmatisation; beaucoup d'entre eux viennent dans les grandes villes pour y trouver l'anonymat et pour y mourir. Bien sûr, le taux de VIH/sida est en hausse, surtout parmi les femmes autochtones.
Le sénateur Carney: Pourquoi les femmes ne participent-elles pas davantage aux conseils de bande? Il y a là des problèmes de gouvernance. Comment ce fait-il que les femmes ne semblent pas être capables d'avoir accès au pouvoir? C'est lié à la question des familles et de la migration vers les villes, alors pourquoi les femmes ne sont-elles pas plus actives politiquement dans le dossier de la gouvernance des Autochtones?
Mme Todd-Dennis: La plupart des conseils de bande sont dominés par des hommes dysfonctionnels, et certains d'entre eux sont puissants et menaçants. Ils ont des familles. Par exemple, si je voulais devenir chef dans mon village et me débarrasser du trafiquant de drogue, celui-ci a une immense famille étendue qui pourrait voter contre moi. Il pourrait me menacer, et je sais qu'il a déjà menacé des gens. Je ne sais pas si, en tant que femme, je serais capable de supporter cela constamment. J'ai des parents qui ont été membres de conseils de bande, mais je pense que la plupart d'entre eux n'ont pas pu durer plus qu'un mandat. Notre chef tribal, qui est une femme, a duré trois mandats, mais de temps à autre, nous devons nous précipiter en groupe, toute la famille, pour l'aider à rester au pouvoir, ceux d'entre nous qui habitent en ville et qui peuvent... Nos votes comptent maintenant.
Le sénateur Carney: Avez-vous le sentiment de subir moins de discrimination dans la culture urbaine que dans la réserve?
Mme Todd-Dennis: Je le crois.
Mme Barnes: Pour ma part, je constate qu'il y a discrimination contre les femmes en milieu urbain.
Le sénateur Carney: C'est intéressant.
Mme Todd-Dennis: De la part des hommes autochtones, ou simplement de la discrimination en général?
Mme Barnes: Je veux dire les hommes contre les femmes. Il y a longtemps, quand les Affaires indiennes ont décidé d'établir le système démocratique et les conseils de bande, les hommes ont été amenés à croire que ce serait eux qui occuperaient ces postes-là. Cela a fait disparaître l'égalité qui existait entre les hommes et les femmes dans notre mode de vie, qui était tellement harmonieux. On a enlevé cela aux femmes et la situation n'a plus changé. Je n'ai pas constaté tellement de changements.
Le sénateur Carney: Je m'étonne toujours de voir à quel point les femmes autochtones semblent inactives. Peut-être que la prochaine génération sera plus active, mais notre génération semble tout à fait passive face à certains problèmes et, bien sûr, cela influe sur la migration et la culture familiale. Si les filles sont élevées dans une culture où elles se sentent inférieures, peut-être que cela les incite à partir pour aller s'instruire, je ne sais pas. Quoi qu'il en soit, c'est un facteur dans notre sujet d'étude, à savoir les problèmes des jeunes.
Le sénateur Lawson: Je trouve intéressant d'écouter ces dames parler de l'art d'être parent, des enfants et des petits- enfants. Ce qu'il y a de bien, c'est qu'elles n'hésitent pas à s'exprimer.
Quelqu'un a fait allusion au financement, en disant que DRHC aurait peut-être des fonds disponibles pour le programme de Morris Bates. Que ce soit le ministre des Affaires indiennes ou DRHC, il y a un problème de communication, et je dis cela parce qu'à la suite du grave problème qui s'est posé à DRHC il y a trois ou quatre ans, j'ai reçu beaucoup d'appels et de plaintes d'entrepreneurs qui recevaient des fonds de DRHC.
Divers groupes, par exemple le YWCA, recevaient des fonds pour donner de la formation aux gens qui veulent réintégrer le marché du travail, et j'ai donc transmis un certain nombre de griefs et de plaintes au bureau du ministre à Ottawa et j'ai rencontré le sous-ministre. Nous pensions progresser dans ce dossier, mais au cours des deux ou trois années suivantes, nous avons reçu de plus en plus de plaintes et de griefs au sujet de ces contrats.
J'ai soulevé de nouveau la question au bureau du ministre, et le sous-ministre a dit: «Je vais vous organiser une rencontre avec les responsables régionaux en Colombie-Britannique.» J'ai répondu: «À condition que ce soit un pas de deux». Il m'a dit: «Que voulez-vous dire par là?», et je lui ai dit: «Eh bien, je vais les rencontrer, et ensuite nous rencontrerons les gens qui se plaignent.»
Ils ont très bien réagi. J'ai dit: «Vous avez de graves problèmes», alors il m'a dit: «Bon, très bien, vous voulez convoquer une réunion». J'ai dit oui. Voici donc un sénateur qui convoque une réunion des entrepreneurs de DRHC pour discuter de leurs griefs. À leur surprise, pas nécessairement à la mienne, 70 entrepreneurs sont venus. Nous nous sommes réunis à côté d'ici, dans l'immeuble de la bibliothèque.
Il y a eu de la résistance au début, parce qu'ils ont dit: «Non, nous avons peur de venir à une pareille réunion parce que nous craignons de mettre en péril nos contrats, parce que les gestionnaires qui s'occupent de cela ont trop d'autonomie, trop de pouvoir.» Je leur ai répondu: «La première chose qui va se passer à cette réunion, c'est que je vais vous donner une garantie écrite que je vais faire tout un raffut si le contrat de quelqu'un est menacé le moindrement à cause de votre présence à cette réunion.» Ils ont fait venir une personne neutre pour présider la réunion et ces 70 entrepreneurs ont pris la parole l'un après l'autre pour dire s'ils étaient satisfaits ou mécontents de la situation. Il s'est trouvé que probablement 65 des 70 entrepreneurs étaient mécontents et avaient beaucoup de griefs. Nous avons eu un excellent dialogue qui se poursuit maintenant depuis environ un an.
Au moins, ils avaient eu l'occasion de se rassembler et je pense que nous progressons dans certains domaines. Certains problèmes sont d'envergure nationale et il faudra s'en occuper à Ottawa, tandis que d'autres peuvent être réglés au niveau régional. Je dois dire que la majorité des fonctionnaires de DRHC avaient une attitude très positive; ils tenaient à régler ces problèmes parce qu'autrement, il y aurait une explosion quelque part.
Le problème tient en partie à ce qu'ils ont des contrats d'un an et qu'au milieu de la première année, on ne sait pas encore clairement quel est le taux de succès, mais il faut se préparer pour le deuxième contrat. Je leur ai dit qu'ils devraient élaborer des contrats de trois ans, au minimum. Voici où je veux en venir: nous parlons d'une foule d'organisations autochtones diverses et il ne semble pas y avoir beaucoup de liens entre elles. Il y aurait peut-être lieu que quelqu'un intervienne et dise: «Écoutez, convoquons une réunion, rassemblons dans la même pièce tous les groupes autochtones et tous ceux qui ont des griefs et des plaintes, une pièce comme celle-ci, allons au fond des choses et voyons si nous ne pouvons pas progresser.» J'ignore pourquoi il y a un pareil éparpillement, mais je pense que c'est parfois parce que chacun veut protéger son fief. Je sais qu'on est très préoccupé à DRHC parce que les plaintes tenaient en partie au fait que les directeurs régionaux ou les responsables des programmes faisaient une micro-gestion des entrepreneurs. Et puis il y avait la question de savoir s'ils étaient des entrepreneurs ou des employés. Certains fonctionnaires de DRHC les traitaient comme des employés et beaucoup d'entre eux commençaient à en avoir assez.
Je pense qu'il y a eu un cas en Saskatchewan où l'on a intenté des poursuites et les tribunaux ont déclaré qu'ils étaient des employés. DRHC ne veut pas en entendre parler parce qu'en pareil cas, il faut payer tous les avantages sociaux, mais il ne faut pas non plus que les entrepreneurs soient traités comme de la main-d'oeuvre à bon marché. Ils doivent être traités équitablement. Il y a une leçon à tirer de tout cela: c'est possible de faire des progrès si quelqu'un s'en mêle et enclenche le processus. Vous pourriez envisager au comité de recommander qu'une telle réunion ait lieu.
La présidente: Cela revient encore une fois à une question de communication, et c'est ce que nous avons entendu depuis le début. Je n'ai qu'une seule question. Dans un rapport publié récemment par la Fédération ontarienne des centres d'amitié pour Indiens et intitulé «Tenuous Connections», on déclare que la fréquence inquiétante des grossesses à l'adolescence chez les Autochtones en milieu urbain crée un cercle vicieux de pauvreté et de désespoir, et l'on réclame une intervention urgente pour briser ce cercle vicieux. Les auteurs du rapport estiment que le taux de grossesses non désirées parmi les adolescentes autochtones est de quatre à quinze fois plus élevé que parmi la population non autochtone.
À votre avis, quels sont les facteurs qui contribuent à un taux aussi élevé de grossesses parmi les adolescentes autochtones en milieu urbain, et sur quelle forme d'aide peuvent compter les jeunes mères autochtones qui habitent en ville? Les mesures existantes sont-elles suffisantes et y a-t-il des différences entre les programmes disponibles dans les réserves et hors-réserve à cet égard? Et enfin, dans quelle mesure les programmes de sensibilisation à l'importance de l'éducation sont-ils importants pour réduire le taux inquiétant de grossesses à l'adolescence parmi les jeunes Autochtones vivant en ville?
Mme Todd-Dennis: Premièrement, je voudrais savoir si ce rapport porte seulement sur les jeunes en milieu urbain à Toronto.
La présidente: Oui.
Mme Todd-Dennis: Comment a-t-on déterminé que les bébés n'étaient pas désirés? A-t-on noté une augmentation du taux d'avortement, ou bien...
La présidente: Eh bien, j'ai une longue expérience et j'ai appris que, d'habitude, nos adolescentes autochtones voulaient avoir leur bébé, et même les pères. À Winnipeg, nous avons rencontré des jeunes au Centre Keewatin et il y avait là des jeunes pères de 16 ans qui nous disaient: «Je suis père d'un enfant et j'en suis très fier, et je vais changer ma vie parce que je ne veux pas que mon enfant fasse comme moi.» Je constate cette situation également dans ma propre communauté. Par conséquent, je pense que le terme «non désiré» ne convient pas dans notre culture.
Mme Todd-Dennis: C'était justement ce que je voulais remettre en question, parce qu'il y a toujours eu un taux plus élevé de grossesses à l'adolescence parmi les jeunes Autochtones, en comparaison de la norme provinciale. Le taux a toujours été plus élevé, et il arrive très rarement que la famille n'intervienne pas et ne s'occupe pas du bébé. Je sais que vous allez vous entretenir avec Jerry Adams, qui travaille avec des jeunes Autochtones en milieu urbain, et vous pourriez lui demander si les enfants en question ne sont pas désirés. J'ai peine à croire qu'ils ne soient pas désirés, parce qu'il y a toujours une tante ou une grand-mère ou quelqu'un qui intervient pour s'en occuper.
Quant aux services, je sais que Sheway offre un très bon service, et c'est encore l'un des programmes de Lou Demerais, à Crabtree Corner, qui dispense aussi des conseils aux adolescentes au sujet du contrôle des naissances. Est- ce suffisant? Non, je ne crois pas que les programmes soient suffisants, et ces grossesses d'adolescentes vivant en ville doivent être liées d'une manière ou d'une autre aux programmes de formation des parents, parce que de cette manière, nous pouvons éviter à ces adolescentes de tomber sous le coup de la loi. Je ne veux plus voir d'enfants autochtones se faire arrêter. Tous mes frères et soeurs l'ont été et ils sont plutôt mal en point.
La présidente: Une dernière observation à ce sujet. Je me suis occupée de jeunes femmes en Alberta pendant des années et j'ai remarqué que beaucoup d'entre elles avaient des bébés parce que cela leur permettait de toucher l'assistance sociale, de sorte que la grossesse devenait pour elles une ressource économique. Avez-vous constaté quelque chose du genre ici en Colombie-Britannique?
Mme Todd-Dennis: Non, je ne peux pas vraiment dire que j'ai constaté cela.
Mme Barnes: Je ne suis pas certaine qu'elles aient des bébés pour toucher plus d'argent de l'aide sociale, mais ce que j'ai remarqué chez beaucoup de familles autochtones — je m'inquiète au sujet de l'une de mes petites-filles parce que j'ai remarqué que dans sa famille, il y a beaucoup de très jeunes mères, enceintes à l'âge de 15 ou 16 ans — qu'il y a de très jeunes mères, c'est presque comme si la mère poussait l'enfant à grandir plus vite qu'elles ne le devraient. Elles ne restent pas très longtemps dans l'enfance. J'ai constaté cela chez beaucoup de familles et j'ai ma petite idée sur les raisons de cette situation.
J'ai parlé de mes préoccupations à la mère de ma petite-fille. Dans ma culture, c'était toujours les tantes qui parlaient aux enfants des rites de passage. La «matante» expliquait à l'enfant les changements qui se produisaient dans son corps, mais cela n'arrive plus. Tout se fait à l'école. Deux de mes filles ont eu un entretien avec ma petite-fille sur ce qu'il faut faire et ne pas faire, et elles se sont bien amusées. Mon mari s'en est mêlé et, à un moment donné, on lui disait qu'il ne fallait même pas envisager d'avoir un premier bébé avant l'âge de 25 ans, peut-être même quelques années de plus, et on lui parlait de toutes les précautions qu'elle devait prendre. Elle a rétorqué: «Mon Dieu, à quoi pensez-vous, je n'ai que 12 ans.»
Je pense pourtant qu'elle a vraiment beaucoup aimé que tout le monde s'assoit comme ça autour d'une table pour avoir un entretien avec elle au sujet de cette période de sa vie. Elle a dit: «Non, je n'aurai pas de bébé avant l'âge d'au moins 26 ans, parce que je vois que ma soeur est parfois très frustrée de ne pas pouvoir sortir, elle ne peut jamais s'amuser, et je suis trop jeune pour faire la gardienne d'enfants pour elle.» Je pense que certains enfants sont encouragés dans cette voie par leurs parents, ce qui résulte encore une fois du manque d'habiletés des parents. Les parents incitent leurs enfants à grandir plus vite qu'ils ne le devraient, même au niveau des vêtements qu'ils leur achètent, et je l'ai constaté bien souvent. J'ignore si vous me suivez là-dessus. Quand on incite une enfant à se sentir plus vieille qu'elle ne l'est réellement, elle s'imagine qu'elle est prête à vivre des situations qu'elle ne devrait pas connaître à son âge. C'est mon opinion.
La présidente: Je tiens à vous remercier beaucoup toutes les deux. Votre témoignage a été des plus éclairants. Je pense que ce qu'il faut retenir, c'est qu'il faut inculquer de meilleures habiletés dans l'art d'être parent à nos jeunes, pas seulement nos femmes, mais nos fils également. C'est très important.
La séance est levée.