Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule 13 - Témoignages
OTTAWA, le mercredi 30 avril 2003
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones s'est réuni aujourd'hui à 18 h 27 afin d'examiner le projet de loi C-6, Loi constituant le Centre canadien du règlement indépendant des revendications particulières des Premières nations en vue de permettre le dépôt, la négociation et le règlement des revendications particulières, et modifiant certaines lois en conséquence, conformément à son ordre de renvoi.
Le sénateur Thelma Chalifoux (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: J'aimerais souhaiter la bienvenue à Rolland Pangowish et à Bryan Schwartz, de l'Assemblée des premières nations, qui sont nos tout premiers témoins concernant l'étude du projet de loi C-6.
Veuillez commencer, messieurs.
M. Rolland Pangowish, directeur, section des traités et des terres, Assemblée des premières nations: Ce soir, nous avons l'intention de vous décrire les aspects techniques du projet de loi et de vous en donner un aperçu en adoptant le point de vue de l'Assemblée des premières nations. Nous nous intéressons de près à cette question depuis 1990.
J'aimerais donc vous décrire brièvement l'ampleur du travail que nous avons consacré à l'étude de la question des revendications particulières depuis cette date. M. Schwartz examinera avec vous l'analyse juridique que nous avons faite du projet de loi, une analyse qu'il a lui-même élaborée.
Premièrement, j'aimerais aborder le processus. Nous apprécions l'occasion qui nous est offerte de présenter au comité certains aspects techniques de cette question parce que nous avons été déçus de la manière dont le processus s'est déroulé à la Chambre des communes. Je dis cela parce que le ministre avait rencontré notre chef national ainsi que le président de notre Comité des chefs sur les revendications, M. Bill Erasmus des Territoires du Nord-Ouest. Il nous avait alors déclaré qu'en dépit du fait qu'il ne pouvait nous communiquer le projet de loi avant sa publication, il nous donnerait néanmoins la possibilité de l'examiner, puisqu'il devait le présenter au Parlement. Il nous a donné l'assurance que nous aurions par la suite amplement l'occasion d'exprimer nos préoccupations à ce sujet.
Malheureusement, les Premières nations de tout le pays n'ont pas trouvé que leur expérience en ce qui concerne le processus suivi par la Chambre des communes avait été très concluante. Au total, les témoins des Premières nations ont fourni l'équivalent de huit heures de témoignage, ce qui est très peu. Nous avons l'intention de vous transmettre la liste de quelque trente groupes des Premières nations qui n'ont pas eu la possibilité de se faire entendre par le comité de la Chambre. C'est décevant si l'on tient compte des engagements qui avaient été pris à notre endroit.
En ce qui nous concerne, ce projet de loi comporte de sérieuses lacunes. Il se trouve que nous avons été les derniers à témoigner devant le comité. Ce jour-là, tous les membres du comité n'étaient pas présents, et je suppose que cela peut se produire à l'occasion. Toutefois, cinq minutes après que nous ayons terminé, tous les membres libéraux du comité se sont soudain présentés et ont voté sur les résolutions qui seraient prises en considération, et ainsi de suite.
Le mardi suivant, on a procédé à l'étude des amendements, il y en avait environ 40. J'ai transmis au greffier du comité les amendements qui avaient été proposés par les partis d'opposition à la Chambre. L'étude des amendements n'a pas pris deux heures. Il n'y a eu aucune considération ni discussion autour de ces amendements. Les membres des Premières nations qui ont eu la possibilité de présenter un témoignage ont été déçus de constater que ces témoignages n'avaient pas été pris en considération le moins du monde.
Ce fut une déception, surtout à la lumière de la déclaration que nous avait faite le ministre comme quoi nous aurions la possibilité d'exprimer nos préoccupations. Nous n'avons pu voir nulle part dans le projet de loi que nos inquiétudes avaient été prises en compte. Et cela nous préoccupe encore davantage parce que nos inquiétudes en ce qui concerne le projet de loi ne reposent pas seulement sur des motifs partisans ou des préjugés. Nous avons discuté avec de nombreux experts indépendants qui sont arrivés aux mêmes conclusions que nous en ce qui concerne le projet de loi.
J'ai apporté avec moi aujourd'hui la lettre que notre chef national avait adressée au leader à la Chambre, l'honorable Don Boudria, concernant les inquiétudes que nous entretenons au sujet du processus parlementaire et des processus démocratiques du Parlement.
La présidente: Monsieur Pangowish, avez-vous des copies de cette lettre pour les membres du comité?
M. Pangowish: Oui, je vais la déposer. J'ai également une liste des Premières nations qui avaient demandé à comparaître devant le comité de la Chambre. Environ 30 de ces groupes n'ont pas pu présenter de témoignage.
Dans la documentation que je vous ai transmise, vous trouverez des lettres ainsi que les résolutions du conseil de bande concernant le projet de loi C-6, que nous avons transmises au ministre, au premier ministre ainsi qu'à divers organismes fédéraux.
La présidente: Les membres du comité désirent-ils obtenir des copies de ces documents?
M. Pangowish: Je vais démêler tout ça avec le greffier lorsque la séance sera levée.
La présidente: Pouvons-nous classer ces documents à titre d'annexes? Êtes-vous d'accord, chers collègues?
Des voix: D'accord
M. Pangowish: Pour finir avec la question du processus, plusieurs de nos Premières nations avaient transmis au ministre des résolutions de leur conseil de bande concernant les préoccupations qu'elles entretenaient au sujet du projet de loi C-6. J'ai parlé au chef John Martin d'une bande micmaque de la région de Gaspé, au Québec. Nous n'étions pas mentionnés sur la liste des destinataires en copie sur la lettre qu'il a adressée, mais il nous l'a néanmoins transmise. Plusieurs des points que le ministre fait valoir au sujet du projet de loi sont exactement ceux que nous allons réfuter parce que, d'une certaine manière, le projet de loi est censé être une réponse aux préoccupations des Premières nations.
Ce qui nous a le plus préoccupé est le fait que le ministre demandait des suggestions de noms de personnes qualifiées en vue d'examiner leur candidature à titre de commissaire et de membre du tribunal, ainsi que de premier dirigeant. Le projet de loi n'a pas encore été adopté. Il nous fallait supposer qu'il le serait à ce moment-là, mais le ministre a déjà demandé qu'on lui suggère des noms. De toute évidence, comme vous le verrez, l'une de nos préoccupations concerne le processus de nomination pour ce qui est censé être un organisme indépendant. Je reviendrai sur cette question. Voilà ce que nous avons l'intention de soumettre à la discussion en ce qui concerne le processus.
Nous espérons que les audiences qui se tiendront devant le Sénat seront plus justes à notre égard et qu'elles entraîneront un examen plus sérieux des préoccupations que nous exprimons. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous sommes heureux d'avoir l'occasion de vous fournir un contexte technique. Notre chef national comparaîtra plus tard et vous décrira le contexte politique. Même si mes observations peuvent vous sembler de nature politique, les arguments que nous vous présenterons visent des aspects techniques qu'il faut aborder à notre avis.
La question des revendications particulières ne date pas d'hier. Comme certains sénateurs le savent probablement déjà, on a proposé la mise sur pied d'une commission des revendications des Indiens dès les années 40. Mais cette proposition n'a pas vu le jour. Dans les années 60, sous le gouvernement Diefenbaker, une autre proposition est morte au feuilleton. Les autres témoins vont certainement vous en parler.
Bien entendu, sur le plan légal ainsi que sur le plan intellectuel nous avons fait des progrès depuis lors en tant que pays. Désormais, nous avons des dispositions constitutionnelles et ainsi de suite. N'importe laquelle de ces anciennes propositions devrait être examinée dans cette perspective.
La politique actuelle en ce qui concerne la négociation des revendications particulières a été établie au début des années 70. Comme vous le savez, les revendications particulières visent l'administration que fait le gouvernement des terres ou des autres éléments d'actif appartenant aux Indiens, notamment les comptes en fidéicommis, les dispositions particulières des lois et des traités. L'inexécution ou le non-respect de ces exigences sont à l'origine des revendications particulières. Elles ne visent pas des questions liées aux droits généraux. Elles sont liées à des obligations précises et imposées par la loi qui représentent en règle générale les responsabilités de Sa Majesté à l'égard des Premières nations. Je ne suis pas ici en tant qu'expert juridique. Mais notre conseiller juridique m'accompagne.
Ces questions remontent à 1984, avec l'arrêt Guerin de la Cour suprême du Canada dans lequel on évoquait la rétrocession de terres appartenant à des Indiens Musqueam en vue de les donner à bail pour créer un terrain de golf. Dans cette décision, la Cour suprême du Canada a commencé à articuler un concept avec lequel nous avons eu l'occasion de nous familiariser. Je fais référence aux obligations de fiduciaire. Depuis lors, deux types d'obligations de fiduciaire ont été définis. Je fais souvent référence à l'obligation du type Guerin, qui est celle dont nous parlons dans le cadre des revendications particulières. L'autre est celle qui correspond à la responsabilité fiduciaire ayant trait aux droits autochtones et aux droits issus des traités et à l'obligation de ne pas enfreindre ces droits.
Depuis le début des années 70 jusqu'en 1990, il y a eu au total 44 règlements de revendications particulières. L'été de 1990 a été marqué par la confrontation de Kanesatake, que l'on a appelée la crise d'Oka de 1990, qui a remis à l'avant- plan la politique fédérale en matière de revendications. À l'époque, le ministre Siddon avait émis un communiqué de presse que nous avons joint à la documentation que je vous ai apportée. On y décrivait la politique du gouvernement fédéral en matière de revendications comme si elle était en vigueur et comme si le gouvernement l'appliquait. Nous avons immédiatement répliqué par une critique de cette politique fédérale en matière de revendications. Dans le cadre de l'analyse du communiqué du gouvernement fédéral concernant cette politique, nous avons publié un document que nous avons intitulé «le double langage des années 90» dans lequel nous établissions un parallèle entre la politique relative aux revendications décrite dans le communiqué du gouvernement fédéral et les perceptions des Premières nations à cet égard; ce document identifiait très clairement et point par point les problèmes que nous éprouvons avec cette politique.
Par la suite, le ministre Siddon a demandé au commissaire des Indiens de l'Ontario et au chef de la bande de Kamloops à l'époque, Manny Jules, de mettre sur pied un groupe de chefs chargé de trouver des solutions aux problèmes que nous avons déterminés. À ce moment-là, il a dû admettre qu'il y avait certains problèmes avec la politique.
À l'automne de la même année, nous avons réussi à obtenir en l'espace de deux mois, deux mois et demi un consensus ainsi qu'un exposé de principe que nous avons transmis au ministre de l'époque. Ce document s'intitulait la proposition des Premières nations concernant les revendications de 1990, et il comportait environ 30 recommandations. Il s'agissait essentiellement de recommandations de principe comme quoi notamment le processus devait être indépendant, compatible avec la jurisprudence et tenir compte des décisions rendues dans ces affaires précédentes. Les Premières nations étaient très contrariées parce qu'elles ne voyaient pas dans quelle mesure le gouvernement appliquait la jurisprudence dans sa politique.
Il y avait tout un éventail de recommandations. Je le souligne parce que ces recommandations étaient fondamentales. Elles éclairent passablement la discussion qui se poursuit depuis lors.
Par exemple, l'une des recommandations que nous avions faites en 1990 était que le règlement des revendications ne devait pas faire l'objet d'un poste budgétaire. Avant le milieu des années 90, lorsque le budget a été introduit à la suite de notre recommandation, les règlements de revendications particulières étaient payés directement à même la réserve de sécurité parce qu'on les considérait plutôt comme des dettes légales qui ne faisaient pas partie du plan budgétaire. Nous étions opposés à une approche budgétaire parce que nous considérions qu'il s'agissait de dettes légales et que les décisions des tribunaux ne sont pas prévues au budget, et ainsi de suite — ce sont des obligations imposées par la loi. Nous tenions beaucoup à ce que le paiement de ces règlements soit effectué à même la réserve de sécurité et nous insistions pour qu'il n'y ait pas de retard dans le paiement du règlement, à moins qu'une entente particulière ait été conclue en ce sens.
Je me sers de cet exemple parce que malgré nos recommandations, les choses se sont passées exactement à l'inverse la même année. J'espère que vous pouvez comprendre pourquoi les Premières nations font preuve d'un certain scepticisme à l'égard de ces questions.
Avant cela, le juge La Forest avait produit un document dont j'ai transmis copie aux membres du comité. En 1999, il a en effet rédigé un document pour le Bureau des revendications des Autochtones précisément sur ce sujet. Il y a un point que nous voulions vous souligner au sujet de ce document. En effet, l'ancien juge La Forest avait insisté sur le fait que tout processus administratif visant à résoudre ces revendications devait non seulement être juste, mais revêtir également l'apparence de la justice pour les Indiens, comme il l'avait dit à l'époque. C'est un point important. Le juge La Forest est très respecté à titre d'ancien juge de la Cour suprême.
La présidente: En quelle année a-t-il rendu cette décision?
M. Pangowish: En 1989.
Il avait insisté sur ce point à quelques reprises dans son document, et c'est ce qui nous avait le plus frappé. Avec le projet de loi C-6, nous nous retrouvons devant un projet de loi que les Premières nations ne perçoivent certainement pas comme une loi juste. Après en avoir fait une évaluation objective, nous en sommes arrivés à la conclusion qu'il ne s'agit pas d'une loi mettant en place un processus plus indépendant, plus efficient ou plus efficace. Nous ne réussirons pas à régler les revendications plus rapidement et je ne pense pas que nous ayons davantage l'impression que le processus est empreint de justice. Nous allons aborder cette question et vous expliquer pourquoi.
Je voulais faire cette mise en situation parce que nous n'arrivons pas à cette audience en néophytes, pour ainsi dire — nous avons beaucoup d'expérience. Nous voulions en quelque sorte vous communiquer d'une certaine manière cette expérience que les Premières nations ont acquise aux quatre coins du pays parce que, depuis la crise d'Oka et les 27 recommandations faisant partie de la proposition des Premières nations concernant les revendications, le ministre Siddon s'est réuni avec les chefs en janvier 1991 à Toronto. À l'époque, il avait dit qu'il s'agissait de bonnes recommandations mais qu'il ne pouvait pas les appliquer toutes d'un seul coup. Il avait déclaré qu'il allait procéder par étapes. Peu après, le gouvernement a publié sa politique des quatre piliers dont l'un portait plus précisément sur les revendications particulières et qui comportait en effet cinq volets directement liés aux revendications. L'un de ces volets mentionnait une augmentation de l'aide financière consacrée à la recherche et à la négociation entourant les règlements. Le deuxième volet visait la mise en place d'un processus accéléré pour les règlements dont la valeur se chiffrait, je crois, autour de 2 millions de dollars. Le troisième volet qui, à notre avis était inutile, parce la jurisprudence existe déjà, consistait à éliminer la prescription imposée aux revendications antérieures à la Confédération. Les tribunaux avaient déjà établi clairement que les obligations légales de la Couronne antérieures à la Confédération étaient elles-mêmes héritées de la Couronne du chef du Canada. Ces deux derniers points sont importants. Le quatrième volet visait la mise sur pied d'une Commission des réclamations des Indiens chargée d'examiner les revendications ayant été rejetées par le gouvernement du Canada; ou encore chargée de rendre des décisions dans les cas où les critères d'indemnisation pour une revendication particulière faisaient l'objet d'un litige. Cette commission possédait également une troisième fonction qui était d'offrir des services de médiation lorsque les parties y consentaient.
Il s'agit de l'actuelle Commission des revendications des Indiens qui a été l'organisme intérimaire mis sur pied en 1991. La création de cet organisme était tout à fait conforme au cinquième volet qui visait la création d'un Groupe de travail mixte formé de représentants du gouvernement du Canada et des Premières nations chargé d'élaborer des recommandations en vue de la mise en place d'un processus nouveau ou amélioré.
Ce fut notre première tentative de collaboration à l'élaboration d'une politique conjointe dans ce domaine. En ce qui concerne la Commission des revendications des Indiens, lorsque l'Assemblée des premières nations a accepté la proposition du ministre, nous avions donné notre approbation conditionnelle. L'une des principales conditions était que le ministre nous consulte concernant le mandat de la Commission des revendications des Indiens. Toutefois, nous n'avons pas entendu parler du gouvernement avant le printemps de 1991. Puis, soudainement, nous avons appris par les journaux la nomination d'un commissaire en chef à la Commission des revendications des Indiens. Cette nomination nous a pris par surprise. Bien entendu, les chefs n'ont pas beaucoup apprécié.
L'entente avait été que nous fournirions une liste de noms au gouvernement à partir de laquelle il pourrait choisir la moitié des commissaires. Toutefois, nous n'avions pas été consultés sur le mandat. Les chefs étaient mécontents parce que les critères d'indemnisation liés à la politique relative aux revendications particulières avaient tout simplement été pris et intégrés au décret établissant la Commission des revendications des Indiens qui se voyait confier en vertu de la Loi sur les enquêtes le pouvoir de mener ses propres enquêtes publiques.
À l'époque, nous avions obtenu un avis juridique comme quoi un décret était une forme de mesure législative subordonnée et que, par conséquent, cela revenait ni plus ni moins à imposer par voie législative la politique même dont les Premières nations avaient exigé le remplacement.
Nous avons refusé de fournir des noms au gouvernement de l'époque. Par conséquent, la Commission n'a pas pu commencer ses travaux durant sa première année d'existence.
Finalement, il y a eu une réunion entre notre Comité des chefs qui, à l'époque, comprenait environ 50 chefs et le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, le MAINC. Lors de cette réunion, on s'est entendu pour travailler à un rajustement du décret à la suite de quoi nous pourrions transmettre une liste de noms de personnes en vue des nominations.
J'ai participé à ce processus, et cela explique pourquoi il existe deux décrets établissant la Commission des revendications des Indiens. Le premier décret établit que la Commission est une mesure provisoire. Je n'oublierai jamais les paroles prononcées par le ministre Tom Siddon à l'époque lorsqu'il nous a déclaré que la Commission provisoire nous offrirait un certain degré d'équité en vertu de la politique existante. Ce fut le début de ce que nous pensions n'être que quelques courtes années d'existence pour cette Commission intérimaire. Le rapport final que le Groupe de travail mixte a publié en octobre 1993 fait partie de la trousse de documents que j'ai remise au greffier du comité.
Nous ignorions que c'était la fin, à l'époque. Toutefois, lorsque ces discussions visant à élaborer des recommandations ont commencé, nous nous sommes rapidement aperçus que nos positions étaient très opposées pour ce qui est de nos perceptions respectives de ce qui devait être fait. Les représentants du MAINC et du ministère de la Justice qui participaient aux discussions étaient de la vieille école qui s'obstine à dire ce qui ne peut pas être fait — vous ne pouvez pas faire ceci et vous ne pouvez pas faire cela. Les discussions ont été assez musclées et les choses n'allaient pas vraiment bien au cours des deux premières réunions. Pour finir, nous avons dû faire appel à Bonita Thompson, une animatrice neutre qui se spécialise dans le règlement extrajudiciaire des différends à Vancouver. Elle nous a aidés à animer nos discussions à partir de ce moment. Ce fut le début d'une époque entièrement différente au cours de laquelle nos discussions ont pris un tour entièrement différent en raison de cette nouvelle approche. Il s'agit pratiquement d'une négociation sur positions parce que nous avions notre position et ils avaient la leur. Nous avons finalement produit le rapport qui se trouve là, dans cette boîte, et qui a été publié en octobre 1993; on l'appelle le rapport neutre.
À la fin des recommandations, nous avions établi une liste de 13 éléments sur lesquels nous n'arrivions pas à nous entendre. C'était à l'été de 1993. L'automne de la même année, se tenait une élection fédérale au cours de laquelle M. Chrétien, le premier ministre de l'époque, avait publié un document de politique du Parti libéral. Ce document était le pendant du Livre rouge qui décrivait plus en détail les promesses qui comprenaient notamment la création d'une commission indépendante à laquelle participeraient les Premières nations qui seraient invitées également à participer à l'établissement de la liste des nominations admissibles. Il s'agissait d'un engagement plus poussé intégré à la plate- forme sur les Autochtones, comme on l'appelle. Ce document figure également dans la documentation que nous avons fournie au comité.
Lorsque le nouveau gouvernement est arrivé au pouvoir, nous nous sommes dit: «C'est fantastique. Nous allons faire des progrès maintenant». C'était en 1993.
Ce qui s'est réellement passé ensuite, c'est que nous n'avons pu entamer aucune discussion avec le gouvernement. Bien entendu, à l'époque, il y avait un conflit entre notre chef national et le ministre de l'époque.
La présidente: Qui était le chef national à ce moment-là?
M. Pangowish: Ovide Mercredi, et Ron Irwin était le ministre.
Donc, nous n'avons pu entamer aucune discussion en vue de faire progresser cet engagement ou les travaux qui avaient été amorcés par le Groupe de travail mixte en vue d'établir un nouveau processus relatif aux revendications particulières.
Il nous a fallu deux ans, avec l'aide des chefs qui furent capables de s'asseoir avec le ministre et de discuter avec lui. On s'est entendu pour dire qu'il était nécessaire de s'attaquer à ces questions. Nous avons entamé une série de discussions. Nous avons aussi produit un document de travail. Nous avons appris beaucoup de choses dans le cadre du processus du Groupe de travail mixte. Et c'est surtout parce que nous avons appris à fonctionner dans le cadre du règlement extrajudiciaire des différends qui était une discipline nouvelle à l'époque. Aujourd'hui, ce mode de discussion est beaucoup plus élaboré. Enfin, nous savions ce qui devait être fait. Par ailleurs, nous avons pu déterminer quel genre de processus mixte ou de discussion serait le plus efficace. Nous avons rédigé à cette époque un «Rolling Draft» ou document de travail qui figure également dans la trousse de documentation. Ce document de travail a été distribué à tous les chefs du Canada afin de provoquer la discussion. Nous avons réalisé que nous avions mis de l'avant des principes généraux mais que nous n'avions pas établi de consensus concernant les particularités que devraient revêtir le processus et le mécanisme. Ce document devait faciliter les discussions et nous aider à déterminer le genre de processus que nous voulions mettre en place.
La présidente: Il s'agit de celui de 1998, n'est-ce pas?
M. Pangowish: Je pense que c'était en 1996. Je ne me sers même pas de la chronologie, j'y vais de mémoire.
En 1996 ou 1997, avec la collaboration du ministère, nous avons accordé un contrat visant à examiner le fonctionnement de la Commission intérimaire des revendications des Indiens afin d'évaluer sa performance et de pouvoir en tirer des leçons. La raison d'être de la Commission des revendications des Indiens consistait également à informer les Premières nations et le gouvernement sur les mécanismes et les leçons qu'il y aurait à retenir concernant les efforts visant à trouver un moyen plus efficace de régler les revendications particulières. Ben Hoffman, le directeur exécutif de Concord Associates, a procédé à un examen de la Commission des revendications des Indiens. Il est un spécialiste du règlement des différends qui a travaillé pour le gouvernement du Canada par la suite. Ce rapport est également inclus dans les documents d'information que nous vous avons fournis.
Les conclusions de son examen ont décrit les lacunes qui existaient dans le processus de la Commission. La principale faiblesse était l'absence d'autorité pour régler les revendications. L'un des principaux problèmes était également que le processus de revendication traînait continuellement en longueur parce que le gouvernement n'avait aucun motif d'incitation à régler ces revendications.
Après les discussions de 1996-1997, on s'est entendu pour dire qu'il fallait commencer les discussions mixtes qui avaient été promises dans le Livre rouge de 1993, aussi un Groupe de travail mixte a été mis sur pied. Bien entendu, les choses sont toujours difficiles lorsqu'il y a un conflit politique entre notre chef national et le ministre, et à l'époque, le besoin se faisait sentir. Auparavant, nous avions proposé un protocole que le ministre Siddon avait accepté. Vous trouverez une ébauche de ce protocole dans la documentation d'information. Malheureusement, le jour de la signature de ce protocole par le ministre, nous avions tenu une conférence de presse qui l'a indisposé, aussi il a refusé de le signer. Néanmoins, les discussions du Groupe de travail mixte se sont poursuivies.
La première chose que nous avons faite, en nous inspirant des leçons du passé, fut d'adopter le mode de règlement extrajudiciaire des différends plutôt que de nous cantonner dans une négociation sur positions comme nous l'avions fait auparavant. Nous nous sommes dit: «Adoptons une approche non positionnelle, fondée sur les intérêts des deux parties, dans le cadre de ces discussions». Donc, le Groupe de travail mixte était formé de fonctionnaires fédéraux et de représentants du ministère de la Justice qui avaient été nommés par le gouvernement, et nous avions des représentants techniques régionaux des Premières nations. Lorsqu'il s'agit des revendications particulières — et ce point prendra toute son importance lorsque le moment sera venu de nous pencher sur le projet de loi — ce genre d'obligations existent un peu partout dans le pays, et le contexte historique et juridique varie d'une province à l'autre. C'est une considération importante lorsque l'on examine ce type particulier de revendication.
Donc, nous avions des représentants, ce qui était tout à fait nouveau pour nous. Lorsque les discussions ont commencé, lors de la première réunion, nous avons dit: «Quelle est la liste des choses à faire sur laquelle nous nous entendons?» Nous avons commencé à énumérer les choses sur lesquelles nous étions d'accord. Nous avons tenu une séance de remue-méninges. Et un certain scénario a commencé à émerger de ce qui était faisable et de ce sur quoi nous pouvions nous mettre d'accord. Durant les discussions, le conseiller juridique du gouvernement fédéral a été remplacé à plusieurs reprises au début parce que, comme me l'a expliqué le coprésident du gouvernement fédéral — j'étais le coprésident des Premières nations, soit dit en passant — nous ne voulions pas en arriver à une situation où l'on nous dirait vous ne pouvez pas faire ceci ou cela. Donc, nous nous efforcions de trouver ce qui pouvait être fait. Notre mandat consistait à faire avancer les choses et à produire des recommandations.
Enfin, on a fini par trouver un conseiller juridique qui s'est révélé très compétent et qui a également été très utile dans le cadre du processus du groupe de travail mixte.
Les discussions se sont poursuivies durant près de deux ans. Nous nous réunissions pratiquement toutes les six semaines. Chaque réunion avait son ordre du jour. Je ne vous les ai pas remis, mais j'ai des résumés de toutes les discussions qui ont eu lieu. Il s'agissait de discussions extrêmement pénibles et détaillées. Mais ce n'était que le début. Le sujet devient de plus en plus compliqué et intense, et nous avons certainement appris beaucoup de ces discussions.
La présidente: Avez-vous l'impression que toutes les discussions que vous avez tenues depuis 1990, et tout le travail que vous avez effectué en coopération et en consultation avec le gouvernement, ont porté fruit et que ce projet de loi traduit bien tous ces efforts?
M. Pangowish: Selon moi, et M. Schwartz pourra vous donner son point de vue sur le plan juridique, les principaux éléments, c'est-à-dire la création d'une commission et d'un tribunal, ont été retenus; mais les concepts fondamentaux ont été pervertis quelque peu ce qui a contribué à affaiblir l'essence de ce qui devait être accompli pour ce qui est d'améliorer le processus et de le rendre plus équitable. Je vais élaborer un peu sur le sujet, parce que pour comprendre cette question il faut absolument examiner le rapport du Groupe de travail mixte, qui est le Livre jaune. Il est un peu technique. Ce rapport a été construit sur le style d'instructions relatives à la rédaction législative parce que, à l'époque, on jugeait qu'il y avait une certaine urgence en cette matière.
La ministre Stewart voulait intégrer ce rapport dans son document intitulé «Rassembler nos forces», et quant à nous, nous voulions quelque chose qui serait prêt à l'utilisation. Par la suite, nous nous sommes aperçus que cela pouvait avoir été une partie du problème.
Quoi qu'il en soit, j'aimerais passer en revue avec vous les principaux éléments de la proposition du groupe de travail mixte.
La présidente: Où cela se trouve-t-il dans le livre jaune afin que les membres du comité puissent suivre pendant que vous parlez?
M. Pangowish: Si vous voulez prendre le rapport du groupe de travail mixte, qui se trouve vers le milieu, vous verrez qu'il y a une lettre d'accompagnement des coprésidents. Vous remarquerez que nous avons fini par rédiger deux lettres séparées et que nous n'avons pas pu joindre la liste des participants. Je vais vous expliquer cela plus tard.
La présidente: Est-ce qu'il s'agit de M. John Sinclair?
M. Pangowish: Oui. Il y a la lettre, et après cette lettre on trouve le contexte du rapport suivi des principaux éléments où l'on énumère les caractéristiques clés du modèle proposé dans le rapport du Groupe de travail mixte. Premièrement, l'élimination de la perception d'un conflit d'intérêts pour le Canada par la création d'un mécanisme véritablement indépendant qui relèverait directement du Parlement et des Premières nations; et deuxièmement, l'établissement d'une commission en vue de faciliter et d'assurer des négociations de bonne foi en fournissant des mécanismes appropriés pour le règlement extrajudiciaire des revendications.
Contrairement à la politique fédérale existante qui définit de façon très restrictive les revendications qui sont admissibles à l'intérieur de ce processus, l'idée du rapport du Groupe de travail mixte était de régler les revendications. L'objectif visé était le règlement, et l'idée consistait à offrir le maximum de souplesse. Autrement dit, que le système s'adapte aux revendications plutôt que l'inverse. À notre avis, c'était toute la beauté de la chose.
La présidente: À votre avis, est-ce que ce projet de loi tient compte de tout ce que vous venez de dire?
M. Pangowish: Seulement dans une mesure très limitée en raison de certaines restrictions qui sont imposées.
La présidente: Allez-vous nous expliquer en quoi elles consistent?
M. Pangowish: Oui, je vais le faire. Ces restrictions reviennent à imposer une étape bureaucratique complètement inutile parce qu'elles n'améliorent aucunement le processus par rapport à ce qui existe déjà.
L'établissement d'un tribunal chargé de régler les différends d'ordre juridique lorsque les négociations échouent sera très important dans le cadre de cette loi. Comme le stipule la loi, il y a trois motifs pour lesquels une revendication peut être présentée au tribunal: premièrement, pour des fins de validation ou pour établir le bien-fondé d'une revendication qui devrait être négociée; deuxièmement, pour des questions interlocutoires, questions qui représentent les plus gros problèmes dans le cadre des négociations liées à des revendications particulières, autrement dit, les différends concernant des aspects juridiques qui empêchent les négociations de progresser; et troisièmement, l'indemnisation. Comme vous pouvez le voir, les restrictions imposées au tribunal ont pour effet de créer une distorsion du système tout entier parce que toute la raison d'être de la commission et du tribunal n'était pas que la majorité des revendications soient présentées au tribunal, mais plutôt que le tribunal serve d'incitation à ce que les négociations aboutissent parce que les revendicateurs des Premières nations pourraient se tourner vers un organisme quasi-judiciaire facilement accessible.
Le sénateur Banks: La commission arrive en premier, n'est-ce pas?
M. Pangowish: Oui.
Le sénateur Banks: La commission ne se voit pas imposer de limites aux montants qu'elle peut accorder en vertu du projet de loi C-6.
M. Pangowish: Oui, mais dans le cadre d'une négociation. Les parties doivent arriver à une entente. L'un des plus gros problèmes que l'on rencontre dans la négociation relative aux revendications particulières est que, en règle générale, le gouvernement refuse de négocier et aussi qu'il nie avoir une obligation imposée par la loi, essentiellement. Le gouvernement n'est pas d'accord, il déclare: «La loi ne nous impose aucune obligation». Nous affirmons, en raison de la nature fiduciaire de la plupart de ces revendications et de la relation qui existe entre Sa Majesté et les Premières nations, que le gouvernement est en conflit d'intérêts parce qu'il est à la fois juge et partie, et particulièrement dans le cadre de revendications liées aux obligations de fiduciaire qui sont de nature unilatérale. C'est la raison pour laquelle la cour a établi dans le cadre de l'arrêt Guerin c. La Reine que les normes de conduite les plus élevées doivent s'appliquer. La Couronne agit de façon unilatérale au nom de quelqu'un d'autre; par conséquent, elle doit agir conformément aux normes les plus élevées parce que l'honneur de Sa Majesté est toujours en cause dans des situations semblables.
C'est la raison pour laquelle le Groupe de travail mixte avait recommandé l'établissement de cette commission. Le requérant présente sa revendication à la commission, et ensuite il incombe au gouvernement de décider s'il veut négocier ou non. Dans l'éventualité où le gouvernement refuse de négocier, on peut toujours avoir recours au tribunal. Toute la question qui consiste à déterminer si le gouvernement veut négocier ou pas, ainsi que toute la nature de cette négociation changent. Il s'agit donc finalement d'une opinion de la part du gouvernement, parce qu'il se trouve en conflit d'intérêts. Donc, la commission examine des revendications à l'égard de la Couronne.
Le sénateur Banks: Oui, mais le projet de loi C-6 prévoit l'établissement d'un tribunal.
M. Pangowish: En effet, mais M. Schwartz va vous expliquer avec plus de précision en quoi consistent les restrictions qui sont imposées à ce tribunal. Le plafond de 7 millions de dollars élimine l'incitation à la négociation pour toutes les revendications présentées à la commission dont la valeur excède ce montant. En effet, quel est l'intérêt de négocier? Nous nous retrouvons dans la même situation.
Par ailleurs, le projet de loi n'impose aucun délai limite. Le ministre peut se contenter de produire un rapport tous les six mois dans lequel il explique qu'il n'est pas prêt à donner une réponse tout de suite. C'est très compréhensible étant donné les ressources limitées dont dispose le ministère de la Justice pour évaluer les revendications. On peut même exclure les mauvaises intentions, il suffit d'évoquer le manque de capacité pour s'occuper des revendications. On sait qu'il y a 550 revendications en suspens au moment où l'on se parle.
Le sénateur Banks: À titre d'information, jusqu'à maintenant, combien de revendications dont la valeur dépassait les 7 millions de dollars ont été réglées? On sait que 252 revendications ont été réglées jusqu'à maintenant. Parmi ces revendications, combien excédaient les 7 millions de dollars? Si vous voulez me donner la réponse un peu plus tard, c'est très bien.
M. Pangowish: Je vais terminer avec ces caractéristiques du rapport du Groupe de travail mixte. Donc, ce rapport faisait valoir que le tribunal devait rendre des décisions concernant les griefs liés à l'indemnisation et le paiement des indemnisations, et nous avons insisté pour que l'on soit tenu d'en arriver à une entente à l'intérieur d'un cadre financier. L'un des plus grands problèmes que nous ayons dû affronter lors de nos discussions au sein du Groupe de travail mixte a été que les fonctionnaires fédéraux ont commencé d'entrée de jeu à vouloir imposer un plafond. Nos conseillers juridiques des quatre coins du pays ont participé à ces discussions, et tous étaient d'accord sur le fait qu'en imposant un plafond aux revendications individuelles, on créait un préjudice dès le départ. Ce sont toutes des revendications fondées sur des obligations imposées par la loi, mais étant donné leur valeur financière, on affirme que certaines pourront être entendues et d'autres non. Un processus de rechange n'est même pas prévu. La seule autre solution consiste à s'adresser aux tribunaux. La seule raison pour laquelle nous avons travaillé à l'élaboration de cette politique et pour laquelle nous essayons de trouver un autre processus est justement parce que les tribunaux sont inefficaces pour le règlement de ces revendications. La plupart des Premières nations n'ont pas les moyens de s'adresser aux tribunaux. Je le répète, il est question d'un contexte de relations de fiduciaire.
Nous voulions éviter ce préjudice imposé aux revendications individuelles. C'est la raison pour laquelle nous avions proposé dans le rapport du Groupe de travail mixte ce qu'il est convenu d'appeler, dans le cadre de nos discussions, le montant total des compensations sur cinq ans ou FYCA, c'est-à-dire Five Year Compensation Amount. Encore une fois, il s'agit d'une approche budgétaire, mais il faut bien se rappeler que le rapport du Groupe de travail mixte n'est pas un document des Premières nations, ni un document gouvernemental. C'est un document élaboré conjointement par des représentants des deux parties ainsi que par des experts du domaine. Ce sont les meilleures recommandations que nous pouvions faire à l'époque. Je pense que le ministre a admis que nous avions fait du bon travail. Des experts internationaux nous ont informés qu'il s'agissait d'un excellent document. C'est ce qui nous a convaincus qu'il était important de nous en tenir aux principes exprimés, parce qu'ils sont intimement liés à la manière dont tout ceci va fonctionner. Le tribunal représente un encouragement à ce que la commission s'assure que les négociations sont efficaces, parce que cela représente un problème à l'heure actuelle. Même les négociations sur des revendications de faible valeur s'étirent sur des dizaines d'années parfois, parce qu'il n'y a aucune incitation à trouver un règlement.
La présidente: Votre témoignage se déroule depuis trois quarts d'heure maintenant, et nous aimerions entendre M. Schwartz nous expliquer les différences. Vous avez fait un excellent travail en nous décrivant le contexte ainsi que les réalisations du groupe de travail, et je pense que c'était important pour nous. Est-ce que vous aimeriez poursuivre un peu et ensuite M. Schwartz pourrait nous décrire les aspects techniques ainsi que les différences et les disparités qui existent entre le contenu du projet de loi et celui du rapport du Groupe de travail mixte et nous expliquer ce que vous jugez comme étant la meilleure approche? Je crois comprendre que vous dites que bon nombre des recommandations du Groupe de travail se sont retrouvées dans le projet de loi, mais qu'elles ne sont pas efficaces.
M. Pangowish: En effet, elles ont été dénaturées.
La présidente: J'aimerais que vous expliquiez à mes collègues du comité la différence qui existe entre ce projet de loi et ce qui était recommandé par le Groupe de travail mixte et que vous nous donniez des explications afin que nous comprenions mieux ce qui se passe avant de commencer à en discuter.
M. Pangowish: Nous voulons être absolument certains d'avoir le temps de vous faire part de notre analyse juridique. Peut-être que lorsque M. Schwartz aura terminé, je pourrai reprendre la parole.
M. Bryan Schwartz, conseiller juridique, Assemblée des premières nations: Je vais faire exactement ce que vous m'avez demandé de faire. Mais j'aimerais néanmoins faire quelques remarques préliminaires, qui n'étaient pas préparées. Ces commentaires me sont venus pendant que je vous écoutais parler. Nous avons apporté de nombreux documents avec nous. J'aimerais néanmoins vous faire part de mon sentiment général en ce qui concerne le processus et le contenu de ce qui se passe ici en ce moment.
J'ai écrit sur mon bloc ici le mot «réalité». Je suis préoccupé parce que bon nombre de ces réalités n'ont pas été prises en compte jusqu'à maintenant dans le cadre du processus parlementaire.
Il y a la réalité humaine. Ce projet de loi a le titre le plus ennuyeux que l'on puisse imaginer: Loi constituant le Centre canadien du règlement indépendant des revendications particulières des Premières nations en vue de permettre le dépôt, la négociation et le règlement des revendications particulières, et modifiant certaines lois en conséquence. Le titre en lui-même n'est pas très stimulant. Il a un aspect technique assez rébarbatif. À la lecture de ce titre, on se dit que cette loi n'aura pas beaucoup d'incidence sur les personnes.
Dans la province de la Saskatchewan, récemment, une bande a obtenu un règlement au montant de 93 millions de dollars parce qu'une commission indépendante sur les revendications a été en mesure de faire une enquête sur leur revendication après que celle-ci eut été rejetée par le gouvernement fédéral. L'accès à cette commission ne serait plus possible en vertu du nouveau projet de loi. Je ne connais pas ces gens, mais j'imagine que de voir des torts historiques redressés et de pouvoir compter sur cet afflux d'argent dans la collectivité, qui est probablement pauvre, a dû avoir des répercussions énormes sur la qualité de vie et sur le plan humain. Ce règlement a dû faire une énorme différence entre vivre dans la pauvreté et avoir une possibilité de s'en sortir, entre voir les jeunes quitter la collectivité ou bien décider d'y rester ainsi que toute une différence entre avoir le sentiment de l'autosuffisance et de l'indépendance plutôt que celui de la dépendance et de l'indignité.
Comme mon collègue l'a dit, beaucoup de groupes des Premières nations qui avaient demandé la permission de comparaître devant le comité de la Chambre des communes n'ont pas eu l'occasion de le faire. Je ne pense pas que quiconque, et je m'inclus moi-même, puisse véritablement apprécier les répercussions de ce qui est proposé dans le projet de loi C-6 sans que l'on donne la possibilité à des gens qui vivent ces réalités sur le terrain de s'exprimer devant des comités comme celui-là. Aux échelons supérieurs, nous faisons notre possible afin de comprendre ce qui se passe, mais il y a tellement de réalités différentes sur le plan juridique et sur le plan humain dans chaque collectivité des quatre coins du pays. Je suis convaincu que ces réalités n'ont pas été bien saisies et appréciées jusqu'à maintenant.
Deuxièmement, il y a aussi la réalité sur le plan juridique. Je suis vraiment très frustré à cet égard. Je sais que le langage juridique ouvre la porte à diverses interprétations. Je sais que les gens voient les choses différemment dépendant de leurs intérêts. Il est facile de dire que les Premières nations sont mécontentes, mais le gouvernement fédéral affirme: «Il n'y a pas de problème. Même si c'est de justesse, nous allons adopter l'une ou l'autre».
En 1998, nous avions réussi à obtenir un consensus entre les experts-conseils du gouvernement fédéral et ceux des Premières nations. Nous avions réussi à produire un document qui remplissait les objectifs de ce que tous les groupes de travail avaient recommandé, y compris le projet de loi de Diefenbaker en 1993, la CRPA ainsi que la commission La Forest.
Et maintenant, nous arrivons avec un projet de loi qui a été condamné unanimement par les Premières nations. Il y a à cet effet des résolutions qui proviennent de l'Assemblée des premières nations, de la Première nation de l'Atlantique, de la Première nation du Manitoba et de la Première nation de la Colombie-Britannique. Donc, une kyrielle de résolutions de ces conseils de bande condamnent le projet de loi et sont formulées pratiquement en termes identiques, et ce n'est pas parce que nous avons adressé une lettre type.
Alors comment a-t-on pu passer du consensus sur le contenu d'un certain rapport jusqu'à une opinion unanime comme quoi ce projet de loi marque un recul? À mon avis, c'est tout simplement parce que c'est une réalité sur le plan juridique que ce projet de loi marque véritablement un retour en arrière. Je veux m'expliquer clairement, et j'y arrive très rapidement.
Ce n'est pas seulement encore une fois parce que: «Nous voulons quelque chose, ils veulent quelque chose d'autre, et nous interprétons les choses différemment». Je vous affirme qu'il s'agit de problèmes très définis et que l'on ne peut les masquer en les réduisant à une simple différence de perception en toute bonne foi.
En réalité, tout comme je vous ai invités respectueusement à donner la possibilité à des personnes de venir témoigner devant vous afin qu'elles expriment les réalités humaines, je pense que l'Assemblée des Premières nations serait plus que favorable à ce que vous invitiez des personnes qui sont indépendantes de l'Assemblée des premières nations et du gouvernement fédéral afin qu'elles vous donnent leurs impressions sur le sujet.
Nous n'avons pas parlé au juge La Forest, mais il a publié il y a quelques années un rapport décrivant son modèle de commission. C'est un ancien juge de la Cour suprême du Canada. Nous pensons que ce serait une bonne idée de l'inviter.
La présidente: Est-ce que vous pourriez parler un peu plus lentement parce que la personne qui fait la transcription est très rapide, mais pas à ce point.
M. Schwartz: Nous serions très heureux que vous invitiez des experts indépendants comme l'ancien juge La Forest à venir témoigner devant vous. Nous sommes convaincus qu'une personne bien informée et indépendante et qui serait capable d'aborder cette question sans passion endosserait bon nombre des critiques que nous avons faites nous-mêmes.
Troisièmement, j'aimerais vous parler brièvement de la réalité financière avant que nous entrions dans les détails du projet de loi. Le ministre a suggéré que le rapport du Groupe de travail mixte présentait un modèle idéal, mais qu'il fallait tenir compte des réalités financières.
Les Premières nations n'ont jamais cessé de reconnaître l'existence de ces réalités financières. Dans le cadre du Groupe de travail mixte, nous sommes arrivés avec une idée que les techniciens du gouvernement fédéral avaient trouvée raisonnable afin de tenir compte des contraintes financières. Même si ces revendications existent de longue date, et même si des gens souffrent depuis très longtemps, et tout en tenant compte également de privations beaucoup plus récentes de leurs droits fondamentaux à jouir de leurs terres et de leurs biens, nous avons donné notre accord comme quoi il serait raisonnable d'établir un cadre financier organisé pour régler ces revendications.
Nous continuons de penser que s'il y avait un retour à la table de négociations et si le gouvernement fédéral avait une objection motivée par rapport à ce sur quoi nous nous étions entendus au préalable, nous pourrions trouver un terrain d'entente. Toutefois, une réalité financière qui empêche de présenter la plupart des revendications au tribunal est inacceptable. L'argument de la réalité financière n'explique ou ne justifie pas tout, et ne peut certainement pas expliquer ou justifier le manque d'intégrité de ce projet de loi.
Que le plafond soit fixé à 2 millions de dollars ou même à 10 millions ou 100 millions de dollars ou encore que l'on décide de limiter le nombre de revendications par année ou peu importe, le système doit avoir une certaine intégrité. Il doit être véritablement indépendant et il doit être vu comme tel par des gens raisonnables au sein des Premières nations. Mais il n'en est rien.
Enfin, il faut tenir compte de la réalité politique, une réalité qu'il est difficile de cerner pleinement de ce côté-ci du bureau. Un parti assuré de la majorité détient le pouvoir. La majorité des membres du Sénat appartiennent au même parti. Nous ne connaissons pas tous les liens qui peuvent exister en rapport avec les affiliations de parti, la loyauté, la discipline ou les considérations personnelles et ainsi de suite qui pourraient avoir une incidence dans ce calcul. Mais permettez-moi de vous dire, avec tout le respect que je vous dois, que les réalités politiques sont le résultat d'un choix. Il n'est pas question ici de faire la chronique d'une mort annoncée. Nous sommes ici parce que nous entretenons l'espoir, si nous réussissons à présenter nos arguments raisonnablement et rationnellement, et si ces raisonnements ont du mérite, qu'on en tiendra compte et qu'ils ne seront pas submergés par la rhétorique, la discipline ou l'inertie. Permettez- moi de plaider ma cause.
J'ai produit une analyse juridique du projet de loi C-6 qui se trouve presque au début du Livre jaune. J'agissais en tant que conseiller juridique pour l'Assemblée des premières nations. Et c'est le document à partir duquel j'ai l'intention de travailler.
Je suis donc l'auteur de ce document et j'étais également le conseiller juridique auprès de l'Assemblée des premières nations lorsque nous avons produit le rapport du groupe de travail mixte.
Comme M. Pangowish vous l'a déclaré, ce fut une expérience extraordinairement positive et constructive. Nous nous sommes attaqués aux obstacles, point par point, et nous nous sommes véritablement efforcés de collaborer. Non seulement sommes-nous arrivés à une solution de principe, mais nous avons également produit des instructions pour la rédaction d'un projet de loi qui abordaient chaque question point par point. Ce document aurait pu être, et il l'est toujours, un modèle illustrant la manière dont un partenariat peut fonctionner.
Lorsque le projet de loi C-60 — qui s'appelle aujourd'hui projet de loi C-6 — a vu le jour, je peux vous assurer que les experts-conseils de notre groupe n'allaient pas se précipiter pour exprimer leur dissension en disant: «Nous ne sommes pas d'accord avec ça». Pourquoi l'aurions-nous fait? Nous avons investi énormément sur le plan personnel afin que ce document soit une réussite. Nous avons participé à un processus positif. Nous voulions faire savoir que nous avions participé à un projet qui devait contribuer à ce que la loi fédérale donne de bons résultats. C'est pourquoi nous n'avons pas produit une réaction négative sur-le-champ. Nous avons passé l'été à l'étudier. Et chaque technicien ayant participé au Groupe de travail mixte, ainsi que tous les avocats qui avaient travaillé pour l'ensemble des autres Premières nations et moi-même en sommes venus à la même conclusion.
Permettez-moi de commencer avec ce qui me semble un point de départ logique. Je me trouve à la page 6 de mon analyse juridique. Qu'est-ce qu'une revendication particulière? Si votre revendication n'est pas définie en vertu de cette loi comme ayant un caractère particulier, vous n'avez aucun accès à ce mécanisme, et même pas à la commission. Vous êtes totalement exclu du processus. Durant la rédaction du rapport du Groupe de travail mixte, les deux parties s'étaient entendues sur ce que la définition devrait être en principe, et cela est bien documenté.
Les deux parties s'étaient entendues pour que la définition soit fondée sur la définition actuelle dans le document fédéral qui fait référence aux réclamations en suspens, mais modernisée et raffinée à la lumière de la jurisprudence établie depuis lors. On prend donc la définition existante, on examine la jurisprudence établie depuis lors et on modifie la définition de façon à ce qu'elle soit à jour. La définition présente devrait aller au moins aussi loin que celle du passé, et elle devrait aussi tenir compte de tous les développements, y compris des commentaires produits par la Cour suprême du Canada.
J'insiste sur ce point, et j'ai bien peur que cela revienne à plusieurs reprises dans le futur, que le gouvernement fédéral nous avait assuré dès le début que ce serait le critère sur lequel on se baserait. Nous nous étions entendus sur ce point dans le rapport du Groupe de travail mixte. Mais ce n'est pas ce que l'on peut voir dans le projet de loi C-6.
Le projet de loi C-6 s'éloigne de la définition actuelle à bien des égards et il s'éloigne également de ce qui avait été promis de façon répétée par le gouvernement fédéral et d'autres engagements pris antérieurement. En effet, la définition actuelle fait référence au non-respect de traités et d'accords et ne se limite pas aux traités et aux accords visant des terres ou des éléments d'actif.
Cette définition pourrait viser des droits issus des traités ayant trait à la chasse et à la pêche. La Commission des revendications intérimaire s'est penchée sur ce genre d'affaire dans le passé. La définition du projet de loi C-6 exclut ce type de violation des traités.
Mais il y a une omission encore plus renversante. Je ne veux pas sous-estimer l'importance de cette omission, parce qu'il s'agit d'une question existentielle pour certaines collectivités des Premières nations. En effet, beaucoup de collectivités des Premières nations se sont fait promettre de façon unilatérale que la Couronne leur accorderait des réserves. Il y a certaines Premières nations pour lesquelles la possibilité d'obtenir une assise territoriale ou une certaine qualité de vie dépend du respect d'un engagement unilatéral.
La Cour suprême du Canada a établi dans l'arrêt Guerin c. La Reine qu'un manquement à une obligation de fiduciaire équivaut au non-respect d'une obligation légale et peut entraîner une revendication particulière. La définition du Groupe de travail mixte comprenait notamment les promesses de fournir des terres ou des éléments d'actif par un engagement unilatéral. Le gouvernement fédéral avait donné son accord. La Cour suprême du Canada a déclaré que le non-respect de ce type d'engagement pouvait être à l'origine d'une revendication particulière. Mais ce cas est exclu de la définition du projet de loi C-6. Et on n'en a jamais discuté avec nous à l'étape du Groupe de travail mixte, du moins à l'étape où nous étions encore en négociation et où nous collaborions en tant que partenaires, c'est-à- dire avant de nous faire dire de façon unilatérale comment les choses devraient se passer.
L'inclusion d'un engagement unilatéral ne signifie pas nécessairement que tous les engagements unilatéraux pourraient déboucher sur des revendications particulières. Il reste toujours à démontrer qu'il s'agit d'une obligation légale. Le gouvernement fédéral ne court aucun risque de voir s'ajouter une nouvelle catégorie de revendications. Ce n'est que dans le cas du non-respect d'une obligation légale que l'engagement unilatéral peut donner naissance à un droit en vertu de ce système. Cela n'entraînerait pas l'ajout d'une catégorie de responsabilités pour le gouvernement fédéral, mais nous ne voudrions pas l'exclure de la définition du Groupe de travail mixte.
La définition du projet de loi C-6 exclut une catégorie de revendications. Quelle est la signification sur le plan pratique de cette exclusion? À vrai dire, je suis incapable de quantifier cela en me fondant sur une étude approfondie. J'en ai discuté avec des collègues qui ont estimé que, potentiellement, un tiers ou plus de la moitié des revendications particulières pourraient être exclues. Est-ce que ce chiffre est trop élevé? Je ne peux pas le dire avec certitude. Quelles seront les répercussions pour certaines Premières nations du Québec, de la Colombie-Britannique et d'autres régions, dans les cas où leurs droits à une assise territoriale reposent sur une promesse, cela revient à une question de vie ou de mort collective lorsque l'on ne peut arriver à obtenir l'existence sur le plan biologique? Disposons-nous d'une assise territoriale? Existe-t-il un fondement de notre existence collective dans ce lieu? Il s'agit d'une question sérieuse, et l'exclusion est inacceptable.
Un certain nombre d'autres exclusions et toute une liste dans l'annexe des exclusions ne figuraient pas dans le rapport du Groupe de travail mixte. Une revendication doit avoir au mois 15 ans. Une revendication ne peut découler d'un accord relatif à des revendications territoriales contemporaines. Et je pourrais vous réciter toute la litanie. Est-ce que ces exclusions sont déraisonnables? Je ne peux vous le dire avec certitude, mais il reste que l'on aurait dû en discuter avec nous avant d'en produire la liste. Certaines de ces exclusions sont de toute évidence déraisonnables. Il ne faudrait pas avoir à attendre 15 ans pour présenter une revendication qui est semblable à une autre.
Ont également été exclus de la définition, les droits qui découlent d'une loi britannique antérieure à la Confédération ou qui découlent d'une proclamation britannique antérieure à la Confédération. Je vous fais grâce de tout le charabia technique. Il faudrait lire une kyrielle d'articles et de paragraphes. Peut-être même que c'est accidentel de la part des rédacteurs du gouvernement fédéral. Néanmoins, cette exclusion a vu le jour, et le fait est que l'on ne peut présenter de revendication relative au non-respect d'une obligation qui découlerait d'une loi britannique antérieure à 1867 ou d'une proclamation britannique antérieure à 1867.
Nous nous étions entendus pendant les réunions du Groupe de travail mixte pour inclure ce genre de revendications. Cela a été changé de façon unilatérale après que la rupture du processus de collaboration.
S'il y a un point sur lequel je n'ai pas suffisamment insisté, dans mon avis juridique, c'est bien la question des critères. Il s'agit pourtant d'une question très sérieuse. Je ne pense pas que quiconque soit en mesure de produire des arguments persuasifs pour nous convaincre qu'il s'agit d'une amélioration par rapport au statu quo lorsque l'on ajoute des exclusions à l'égard de certaines revendications qui auraient pu être faites en vertu du système existant et même l'exclusion de revendications que l'on nous avait promis d'inclure dans le rapport du Groupe de travail mixte.
Je pense que l'on joue sur les mots dans certains documents du gouvernement fédéral, parce que certains ont fait valoir que la nouvelle définition n'était pas plus restrictive que la définition existante. Je vais vous donner une petite injection de logique.
Nous n'établissons pas seulement la comparaison avec la définition existante, mais également avec la définition que le gouvernement fédéral nous avait promise, la position existante modernisée à la lumière de ce que la Cour suprême du Canada a déclaré qui inclut des éléments comme l'engagement unilatéral. Vous trouverez dans mon avis juridique la citation exacte.
Divers membres, y compris au moins un membre libéral du comité de la Chambre, ont reconnu la presque totalité de ces problèmes. Des modifications précises ont été proposées à la Chambre en vue de remédier à tous ces problèmes relativement aux critères. Tous ces amendements ont été rejetés lors d'un vote partisan à la majorité, à l'exception d'un dissident libéral, et ce en dépit de l'appui de tous les partis d'opposition. La même histoire se répète à la Chambre des communes. Ces questions doivent être prises en compte pour toute loi qui se prétend juste et équitable.
Le deuxième point que je voulais aborder est celui de l'accès au tribunal. Est-ce que n'importe quelle revendication peut être présentée à la commission? Oui, on peut présenter n'importe quelle revendication, dans la mesure où l'on parvient à ne pas s'embrouiller avec les critères. Il s'agit d'un obstacle préliminaire, en revanche aucun plafond financier ne restreint l'accès à la commission, ce qui m'amène à poser la question suivante: «À quoi cela nous avance-t- il de pouvoir accéder à la commission? Où cela nous mène-t-il?» Nous avons un problème. Il y a environ 400 ou 500 plus de revendications aujourd'hui qu'il n'y en avait après la crise d'Oka. Chaque année, il y a plus de nouvelles revendications qu'il n'y en a de réglées. Poursuivre une situation dans laquelle les gens n'ont pas accès à un mécanisme de règlement des différends obligatoire, ce qui signifie avoir accès à un tribunal, ne fera que maintenir les erreurs du passé.
Je ne vois pas vraiment l'utilité d'avoir accès à une commission où l'on peut débattre indéfiniment d'une question en long et en large si le gouvernement fédéral n'a aucun intérêt à négocier sérieusement, à prendre une décision au sujet de la revendication et s'il ne reconnaît pas le bien-fondé de négocier cette revendication. Le mécanisme de règlement extrajudiciaire des différends ne donne de bons résultats qu'à une seule condition, c'est-à-dire dans la situation où les deux parties ont un intérêt à ce qu'il fonctionne. Forcer des personnes qui sont frustrées depuis 40 ou 50 ans, ou au moins depuis 15 ans, à se tourner vers un autre processus qui leur imposera d'en voir grandir d'autres sans espoir de trouver un remède à leur situation, et se diriger dans un cul-de-sac parce qu'elles n'ont pas accès à un tribunal ne représente pas à mon avis un progrès. Il s'agit plutôt d'un recul, en réalité.
Actuellement, comme je l'ai dit au début, une revendication de grande envergure a accès à la Commission intérimaire des revendications des Indiens. La revendication de grande envergure que j'ai mentionnée auparavant, celle de la Saskatchewan, a trouvé un règlement parce que, en dépit du fait que le gouvernement fédéral avait refusé de négocier, les Indiens ont quand même pu présenter leur revendication à la Commission des revendications des Indiens et obtenir une recommandation favorable. Le gouvernement fédéral a donc négocié et on a pu arriver à un règlement. Cette institution disparaîtrait. En vertu de la nouvelle loi, il n'y aurait aucun moyen de présenter une réclamation de grande valeur, une réclamation supérieure à 7 millions de dollars, ce qui n'est pas un si gros montant si l'on considère le bassin de population visé. C'est un gros montant en termes de dollars — quel que soit le point de vue adopté, 7 millions de dollars est tout de même une grosse somme — mais pour ce qui est du nombre de réclamations et de la taille de ces réclamations, nous pensons que le nouveau projet de loi reviendra à pratiquement exclure la plupart des revendications et c'est ce que je m'efforce de prouver.
Quoi qu'il en soit, à l'heure actuelle, n'importe quelle revendication peut être présentée à la commission qui a le pouvoir de faire enquête en vertu d'une loi sur les enquêtes, de citer des témoins à comparaître et de produire un rapport qui jouit d'une certaine autorité morale, c'est-à-dire le rapport de la Commission des revendications des Indiens qui possède d'un certain pouvoir de persuasion. Des cyniques ou des réalistes du côté fédéral ont déclaré: «Ah, de toute façon nous ne leur prêtons aucune attention». Que ce soit la vérité ou non, il est certain que les membres des Premières nations sont d'avis qu'il y a eu certains cas impressionnants, comme celui que j'ai déjà mentionné, et pour lequel la commission a réellement fait toute une différence, et c'est cette possibilité qui sera éliminée.
Je le répète, nous subirons une perte à deux niveaux. Comparativement à ce que nous avons déjà, cela représente un recul parce que les réclamations d'une valeur supérieure à 7 millions de dollars ne pourront plus être présentées à la Commission des revendications des Indiens en vue d'obtenir une décision non obligatoire. Les réclamations d'une valeur supérieure à 7 millions de dollars ne seront pas traitées non plus comme elles l'auraient été en vertu du rapport du Groupe de travail mixte parce qu'il n'y avait pas de plafond imposé aux revendications individuelles dans ce rapport.
Je veux me faire bien comprendre sur ce sujet parce qu'il y a toujours deux questions qui se posent: est-ce que le nouveau projet de loi aggrave la situation? Est-ce que c'est pire que ce à quoi nous pouvions nous attendre avec le rapport du Groupe de travail mixte? En ce qui a trait à l'accessibilité, oui, la situation est pire dans les deux cas. Elle s'est détériorée pour ce qui est des revendications de grande envergure et de la possibilité d'avoir accès à des recommandations non obligatoires, et elle s'est également détériorée dans le sens que nous n'obtenons pas d'aussi bons résultats qu'avec le rapport du Groupe de travail mixte, et de loin, parce que toutes les revendications d'une valeur supérieure à 7 millions de dollars sont exclues.
Quelle est l'incidence pratique de l'exclusion des revendications supérieures à 7 millions de dollars? Il est vrai que le cabinet, le gouverneur en conseil, peut élever cette limite s'il le souhaite. C'est également vrai qu'il peut abaisser cette limite, le cas échéant. Si nous acceptons que la limite soit fixée à 7 millions de dollars, qu'est-ce que cela signifie en réalité? Je pense que c'est le sénateur Sibbeston qui avait posé les questions et je tiens à lui répondre.
Nous voulons présenter ceci aux fins de la discussion, et si vous le permettez, nous vous remettrons le document en entier après. Je ne pense pas qu'il se trouve dans la trousse que nous vous avons déjà remise. Et je n'entrerai pas trop dans les détails.
La présidente: Mes collègues aimeraient bien vous poser un certain nombre de questions.
M. Schwartz: Il s'agit du rapport sur les dépenses publié par le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, il se rend jusqu'au milieu de 2003, donc il couvre l'exercice financier 2002-2003. Dans ce rapport, on mentionne que deux revendications ont été réglées au cours du dernier exercice financier, la première pour un montant d'environ 63 millions de dollars et l'autre pour 6 millions de dollars.
Si je regarde l'année précédente — et je le répète, je vous remettrai la totalité du tableau que je suis entrain de consulter — donc cinq réclamations ont été réglées, dont quatre se situaient bien au-dessus de 6 millions de dollars — soit 17 millions de dollars, 37 millions de dollars, 83 millions et 14 millions. Il n'y a qu'une seule revendication de moins de 7 millions de dollars et elle se chiffre à 40 000 dollars. Ces renseignements font l'objet d'une note en bas de page dans mon avis juridique. À l'époque où j'ai rédigé cet avis, pour les trois derniers exercices financiers, 14 revendications avaient été réglées. Huit de ces réclamations — soit la majorité — se chiffraient à des montants supérieurs à 7 millions de dollars.
Le gouvernement fédéral suggère que si on considère les règlements qui ont été faits dans le passé, la majorité seraient d'une valeur inférieure à 7 millions de dollars, et c'est exact. Si on examine ces règlements depuis 1990 jusqu'à aujourd'hui, on constate que la majorité des revendications ont été réglées pour un montant inférieur à 7 millions de dollars, mais — et ces règlements sont nombreux — la revendication qui a été réglée en 1990 vaut beaucoup plus aujourd'hui. En effet, l'intérêt va s'accumuler sur la réclamation si elle est réglée équitablement. Donc, une revendication d'une valeur de 5 millions de dollars pourrait très bien valoir 10 millions de dollars aujourd'hui.
Deuxièmement, le système existant ne donnait pas la possibilité aux Premières nations d'avoir accès à un tribunal. Par conséquent, il n'y avait pas d'autre recours si on n'était pas satisfait du résultat, à part une recommandation non obligatoire de la commission. On était donc fortement incité à régler la revendication pour un montant inférieur à sa pleine valeur. Il n'y avait pas d'autre recours. Bien entendu, on exerce des pressions sélectives en vue de régler les revendications pour un montant inférieur à leur pleine valeur, dans d'autres situations, mais bien sûr davantage de revendications sont réglées pour un montant inférieur qu'elles ne le sont pour un montant supérieur à cette valeur prédéterminée. Si on examine la façon dont les revendications ont été réglées dans le passé, on constate que les plus faciles sont celles qui ont été réglées en premier. Il est en effet beaucoup plus facile pour le gouvernement fédéral de régler une petite revendication qu'une grosse, étant donné que cela exerce moins de pression sur son budget. C'est raisonnable. Et je ne critique pas cette façon de procéder. Cependant, cela signifie que les pratique qui ont eu cours dans le passé ne sont pas une bonne projection de ce qui se passera dans l'avenir.
Si les Premières nations ont accès à un processus équitable, il est vraisemblable que la valeur d'un règlement des revendications devrait être supérieure à ce qu'elle est aujourd'hui alors qu'il n'existe aucun autre recours. Nous pensons que la majorité des revendications seront d'une valeur supérieure à 7 millions de dollars. La Commission des revendications des Indiens, dans sa présentation à la Chambre des communes, a déclaré que sur les 120 revendications qu'elle avait examinées, moins de dix avaient une valeur inférieure à 7 millions de dollars.
Je le répète, si l'on veut considérer la réalité financière, nous serions très heureux que le comité invite des experts indépendants afin qu'ils jettent un coup d'œil à la population visée et qu'ils fassent leurs propres projections. Nous sommes convaincus que si l'on examine la situation raisonnablement et sans passion, il est tout à fait irréaliste de supposer que la plupart des revendications, sinon leur grande majorité, se situeront en dessous de ce plafond.
Il y a un autre mais. Disons que vous avez une revendication d'une valeur de 100 millions de dollars et une autre qui vaut 50 000 dollars. Vous dites, c'est formidable, la moitié des revendications ont accès au tribunal. En effet, la moitié des revendications ont accès au tribunal, mais moins de 1 p. 100 de la valeur de ces réclamations ont pu avoir accès à ce tribunal.
C'est un peu comme cette vieille blague au sujet des statistiques. Si une maladie frappe seulement les personnes âgées et les bébés, l'âge moyen de la victime est de 40 ans. Si on veut exclure toutes les revendications d'un montant supérieur à 7 millions de dollars, alors la masse monétaire sera très lourdement exclue, même si la majorité des revendications sont incluses si on considère uniquement le facteur du nombre.
Le plafond financier est draconien. Je le répète, les dirigeants de l'administration peuvent l'élever ou l'abaisser à leur discrétion. Comment pouvons-nous parler de l'élimination du conflit d'intérêts si les dirigeants de l'administration fédérale ont toute latitude pour déterminer quel sera le plafond des revendications, et si ces dirigeants peuvent l'abaisser comme bon leur semble? Cela fait partie des nombreux leviers unilatéraux que le gouvernement fédéral s'est ménagés avec ce nouveau système, ce qui à notre avis exclut tout à fait la possibilité d'affirmer que ce nouveau système est véritablement indépendant.
J'ai déjà couvert le point trois de mon avis juridique, qui se trouve à la page 13: accès de toutes les revendications à l'obtention d'une enquête indépendante et d'un rapport. Ce mécanisme est disparu.
Le gouvernement fédéral nous a déjà rétorqué que nous pouvions toujours obtenir un arbitrage non obligatoire en vertu de ce nouveau système. Examinons avec soin la formulation. Avec le nouveau projet de loi, on ne peut obtenir un arbitrage non obligatoire qu'avec le consentement de l'administration fédérale. Avec le nouveau système, nous n'aurons pas le droit d'obtenir un arbitrage non obligatoire, même si nous l'avions avec le système existant. Il s'agit strictement d'une question de noblesse oblige de la part du gouvernement fédéral de décider si oui ou non il donnera la possibilité d'obtenir un rapport non obligatoire.
Par ailleurs, le rapport non obligatoire serait produit par un seul membre, ce qui est beaucoup plus facile à passer sous silence que le produit de la sagesse collective de l'ensemble de la Commission des revendications, et qui est finalement ce en quoi consiste le système actuel: le système actuel, une question de droit; le nouveau système, une question de noblesse oblige de la part de l'administration fédérale; le système existant, votre rapport non obligatoire possède l'autorité morale sur l'ensemble de la Commission des revendications des Indiens; avec le nouveau système, le gouvernement fédéral peut dire: «C'est l'opinion d'une seule personne. Ça ne compte pas».
Si nous avons déjà un problème aujourd'hui avec le gouvernement fédéral qui ne se conforme pas aux recommandations de la Commission des revendications des Indiens, les choses ne s'amélioreront sûrement pas avec l'opinion d'une seule personne plutôt que celle de la sagesse collective de la Commission des revendications.
Les amendements que nous avions proposés au comité de la Chambre visaient justement à corriger ce problème. Un amendement avait été proposé qui suggérait de maintenir la compétence de l'actuelle Commission des revendications des Indiens de sorte que le nouvel organisme puisse continuer, entre autres choses, à faire ce que l'ancien faisait déjà. Je le répète, cet amendement avait obtenu l'appui des partis d'opposition, mais il a été défait par un vote partisan majoritaire. À l'exception peut-être d'un seul dissident chez les libéraux. M. Pangowish a évoqué certaines des frustrations et l'insatisfaction que ce processus a engendrées.
Un de nos collègues a distribué des documents d'information à des membres du comité qui n'avaient pas assisté à la plupart ou même à aucune des réunions du comité et qui ont tout simplement retourné leurs documents et se sont mis à voter contre les amendements. C'est un processus qui est décevant et je suis désolé d'avoir à le mentionner pour le compte-rendu.
Le rapport du Groupe de travail mixte n'avait pas à maintenir le mécanisme rattaché à la Commission des revendications existante afin de lui permettre de faire des recommandations non obligatoires parce que la totalité des revendications avaient accès au tribunal. Cependant, si nous sommes forcés d'accepter le plafonnement du montant des revendications, il faudrait au moins maintenir la compétence existante de la Commission des revendications des Indiens. Si vous consultez le compte-rendu du comité de la Chambre des communes, vous y verrez les amendements que nous avions suggérés et qui proposaient justement cela.
La présidente: Monsieur Schwartz, l'alinéa 24e) du projet de loi stipule: «la Commission peut:» et vous parlez d'arbitrage. Pourriez-vous m'expliquer cela? Donc l'alinéa 24e) stipule:
[...] favoriser en tout temps l'emploi efficace de mécanismes appropriés de règlement des différends pour faciliter le règlement des revendications particulières, notamment la négociation facilitée, la médiation, l'arbitrage non obligatoire et, si les parties y consentent, l'arbitrage obligatoire.
Est-ce de cela que vous voulez parler?
M. Schwartz: Oui.
Le sénateur Banks: Est-ce que cela signifie que pour obtenir l'arbitrage obligatoire il faut obtenir le consentement des deux parties?
M. Schwartz: En effet pour l'arbitrage obligatoire, c'est nécessaire. En ce qui concerne l'arbitrage non obligatoire, je suppose que la commission pourrait le favoriser, et si le gouvernement fédéral refuse de coopérer, alors que se passera- t-il?
Le sénateur Banks: Ou alors si les deux parties refusent de coopérer?
M. Schwartz: Vous avez raison, sénateur.
Nous prenons bonne note de votre remarque parce qu'il existe une distinction entre consentir à un arbitrage obligatoire et ce mandat général de favoriser qui pourrait inclure l'arbitrage non obligatoire, sauf que la Commission des revendications des Indiens existante possède les pouvoirs d'une commission d'enquête. Elle peut procéder avec ses activités et elle est en mesure de citer des témoins à comparaître, peu importe si l'autre coopère ou non. Nous ne retrouvons pas ce type de pouvoir dans ce projet de loi.
Le sénateur Banks: À moins d'éliminer le plafond?
M. Schwartz: Si on élimine le plafond, toutes les réclamations auraient accès au tribunal et il n'y aurait pas lieu de s'inquiéter au sujet de la possibilité d'obtenir une recommandation d'arbitrage non obligatoire.
J'ignore si je vous ai bien expliqué cette notion. Si on a accès à l'arbitrage obligatoire, c'est de toute évidence moins important d'avoir accès à l'arbitrage non obligatoire. Le rapport du groupe de travail mixte n'a pas eu à maintenir le droit existant de la Commission des revendications des Indiens.
Si on est pour éliminer l'accès au tribunal qui figurait dans le rapport du Groupe de travail mixte, alors où devrons- nous nous adresser pour ces autres revendications? La position de l'Assemblée des premières nations est qu'il ne devrait pas y avoir de plafond financier. Toutefois, s'il doit y en avoir un, il faudrait au moins qu'il y ait un deuxième recours où l'on puisse s'adresser en ce qui concerne ces revendications de plus grande valeur. La commission dit qu'elle doit favoriser l'arbitrage non obligatoire. Le gouvernement fédéral quant à lui affirme: «Vous pouvez favoriser tout ce que vous voulez». Cela ne signifie pas pour autant que l'on possède la capacité de citer des témoins à comparaître ou l'autorité morale de produire un rapport collectif.
Nous avons discuté de la signification exacte du mot «favoriser» et si mon souvenir est bon, les deux parties s'étaient entendues pour dire que le sens de ce mot n'était pas très clair.
Est-ce que cela répond à votre question, madame la présidente?
La présidente: Oui, merci beaucoup. Je suis d'accord avec vous: que signifie exactement «favoriser»?
M. Schwartz: J'aimerais élaborer un peu sur ce point, pour interpréter le langage juridique, il est parfois éclairant de consulter le préambule ou l'article relatif à l'objet d'une loi. Il est frappant, dans le contexte d'un mot aussi ambigu que «favoriser», de comparer l'ancienne loi avec le nouveau projet de loi. Le nouveau projet de loi est, disons, anodin. En effet, l'article 3 du nouveau projet de loi stipule:
La présente loi a pour objet [...] d'aider les Premières nations et Sa Majesté à régler les revendications particulières et de trancher certaines questions découlant de celles-ci.
L'article relatif à l'objet qui figure dans le rapport du Groupe de travail mixte est remarquablement différent. L'article 3 dans le rapport du groupe de travail mixte se lit comme suit:
Le projet de loi aura pour objet de constituer deux organismes indépendants et spécialisés — la commission et le tribunal [...]
Les mots «indépendants» et «spécialisés» sont disparus du projet de loi C-6.
[...] chargés respectivement d'aider les Premières nations et Sa Majesté à régler, à l'amiable ou par arbitrage définitif, certaines revendications et de trancher rapidement et de façon définitive les questions découlant de celles-ci [...]
Des mots comme «spécialisés», ou «indépendants» et «rapidement» ont été éliminés. C'est troublant mais peut-être, étrangement honnête, parce que l'engagement de régler rapidement et de façon indépendante ne figure pas en substance dans le nouveau projet de loi. Nous souhaiterions beaucoup qu'il s'y trouve, mais nous devons avec regret signaler, d'après notre point de vue, qu'il en est absent, ce qui m'amène à mon prochain point, qui est la question de l'indépendance et de l'impartialité.
Toutes les revendications particulières découlent du non-respect d'une obligation de fiduciaire de la part de Sa Majesté. Parfois, ces revendications recoupent davantage; parfois, en effet, elles visent une reconnaissance constitutionnelle. Si vous détenez un droit issu d'un traité et que ce droit n'est pas satisfait en raison du comportement du gouvernement fédéral, il s'agit parfois du non-respect d'un droit qui est protégé par l'article 35 de la Constitution. Cependant, même s'il est seulement question des obligations de fiduciaire, ces dernières ont un fondement constitutionnel. Le paragraphe 91(24) crée ce rapport de fiduciaire et de ce rapport découlent les revendications particulières. Qu'il s'agisse ou non d'une revendication au titre de l'article 35, il s'agit néanmoins d'une revendication qui a un fondement constitutionnel.
La principale ligne de conduite d'un fiduciaire consiste à éviter les conflits d'intérêts. Le problème identifié par tous et chacun depuis que l'on a commencé à examiner ces systèmes est justement le statut du gouvernement fédéral à titre de juge dans une cause où il est partie. Cela explique que nous ayons accumulé depuis plus de 40 ans des recommandations visant à mettre sur pied divers systèmes.
Le gouvernement fédéral est donc censé avoir manqué à une obligation. Soit dit en passant, plus de la moitié des revendications particulières se révèlent bien fondées. Je ne me souviens pas des chiffres exacts. Toutes les revendications ne sont pas fondées, mais elles le sont en majorité.
Lorsque le gouvernement fédéral se retrouve en face d'une telle situation, il est dans la position, s'il prend la décision de trancher lui-même le litige, de conflit d'intérêts. Ainsi, le gouvernement fédéral déclare: «Donc, vous nous présentez une réclamation d'un montant de 10 millions de dollars? Nous allons établir si cette revendication est fondée ou non. Si vous n'êtes pas satisfaits de la décision, vous n'avez qu'à vous adresser aux tribunaux. Il ne s'agit pas vraiment d'un conflit d'intérêts, nous vous donnons seulement notre première impression. Mais si vous n'êtes pas satisfaits, vous n'avez qu'à vous adresser aux tribunaux, et ce sont eux qui décideront».
Comme l'a mentionné mon collègue, M. Pangowish, il arrive souvent que cette option ne soit pas disponible sur le plan pratique, ou alors sur le plan légal. Le gouvernement fédéral se réserve en effet le droit, en vertu de la politique existante, d'invoquer des moyens de défense techniques. Cela signifie qu'il peut invoquer les prescriptions statutaires. Par exemple: «Vous n'avez pas présenté votre revendication dans un délai de six ans», ou encore «de 20 ans , peu importe, de toute façon, il est trop tard. Revendication refusée».
Pour utiliser un mot que mon collègue a employé, il y a une perversité dans ce système parce que, jusqu'au début des années 50, les Premières nations ne pouvaient pas faire appel à un avocat sans obtenir au préalable la permission du gouvernement fédéral. Le même projet de loi stipule qu'il faut attendre 15 ans avant de présenter une revendication particulière. Ce même projet de loi affirme également que si vous n'êtes pas satisfaits de la décision du gouvernement, en ce qui concerne le plafond de 7 millions de dollars, vous pouvez toujours vous adresser aux tribunaux. Bien des gens seront frappés de prescription s'ils doivent attendre encore 15 ans.
La présidente: Ou alors peut-être qu'ils seront morts.
M. Schwartz: Oui. Comme le disait John Maynard Keynes, «À la longue, tout le monde finit par être frappé de prescription».
Donc nous essayons de mettre sur pied un système. Tout le monde comprend qu'il doit y avoir un moyen de sortir de ce cercle vicieux du conflit d'intérêts puisque le gouvernement fédéral se retrouve à être le juge dans sa propre cause.
Le rapport du groupe de travail mixte évoquait la possibilité de nomination conjointe des membres de la commission et du tribunal. Cette possibilité aurait constitué une véritable mesure d'indépendance. Il serait impossible de nommer une personne à la commission ou au tribunal sans que les deux parties se soient mises d'accord sur cette nomination et il serait également impossible d'éliminer une candidature sans que les deux parties soient également d'accord. Et on ne pourrait pas non plus reconduire une nomination à moins que les deux parties y consentent.
Parfois, le gouvernement fédéral fait valoir la sacro-sainte prérogative de la Couronne. Pouvez-vous me signaler un autre exemple dans l'histoire de cette grande fédération où le gouvernement fédéral aurait permis à quiconque à part le cabinet fédéral de procéder à une nomination? Permettez-moi de répondre à ces questions.
Il s'agit d'un organisme créé par la loi. Le Parlement, et non le pouvoir exécutif, est l'autorité suprême. Si le Parlement choisit de mettre en place un autre processus de nomination, aucune doctrine constitutionnelle n'interdit au Parlement de créer un processus de nomination indépendant.
Deuxièmement — et c'est un véritable sujet de frustration parce que nous avons fait cette remarque de façon répétée et que l'on nous répond toujours en faisant valoir le même argument — non seulement le Parlement est-il en mesure de le faire, mais il l'a fait de façon répétée.
Tous les accords de revendication territoriale contemporains dont j'ai eu connaissance comportent des mécanismes de règlement des différends dont la composition est décidée au moyen d'un processus à participation mixte. Lorsqu'il y a une impasse, une personne impartiale peut entrer en ligne de compte et compléter la nomination. Aucun des accords — ni celui des Nisga'a, celui du Yukon ou encore celui du Nunavut — ne comprend un processus de règlement des différends dans le cadre de l'accord de revendication territoriale par lequel le gouvernement fédéral serait chargé de nommer ou de reconduire la nomination des décideurs.
Le gouvernement fédéral procède de cette manière dans le contexte de l'ALENA ainsi que dans celui de l'Organisation mondiale du commerce. Les lois du Parlement ont mis en œuvre tous ces processus qui font régulièrement appel à des mécanismes de règlement des différends en vertu desquels le gouvernement fédéral et l'autre partie possèdent chacun une voix au chapitre. Habituellement, ces mécanismes sont assortis d'un moyen permettant de sortir de l'impasse en cas de problème.
Le processus mis de l'avant dans le rapport du Groupe de travail mixte est entièrement conforme à la pratique utilisée par le gouvernement à l'échelle fédérale depuis bon nombre d'années. Alors, être confronté aujourd'hui avec l'objection comme quoi cela ne peut être fait ou cela représente une certaine forme d'innovation est à tout le moins frustrant. Aucune explication satisfaisante ne nous a été fournie.
Si vous pensez que nous coupons les cheveux en quatre, permettez-moi de vous dire, avec tout le respect que je vous dois, qu'aucune explication «raisonnable» ne nous a été fournie. On nous a dit: «Nous l'avons fait. Nous faisons ce genre de choses dans d'autres contextes». Pourquoi exclure l'Assemblée des premières nations? Il s'agit du représentant légitime démocratiquement élu par les Premières nations des quatre coins du pays. Il s'agit de l'organisme que le gouvernement fédéral a choisi pour négocier le rapport du Groupe de travail mixte. Partout où ce rapport mentionnait «le ministre et l'Assemblée des premières nations», on a modifié le libellé dans le projet de loi C-6 pour qu'on y lise seulement «le ministre».
La présidente: Je vous demanderais à ce moment-ci de permettre aux sénateurs de poser des questions, puis vous pourrez poursuivre.
M. Schwartz: Certainement. Avec plaisir.
Le sénateur Sibbeston: J'allais poser une question en rapport avec ce que vous venez d'aborder, c'est-à-dire la prérogative du gouvernement. Je sais que les gouvernements sont habituellement assez jaloux de leur pouvoir de procéder à une nomination par l'entremise du gouverneur en conseil. Les gouvernements aiment avoir les coudées franches et ils détestent avoir à tenir compte d'un autre organisme. Vous avez donné l'exemple des mécanismes de règlement des différends dans l'accord Nisga'a ainsi que dans d'autres accords de revendication territoriale. Est-ce que la situation n'est pas un peu différente dans ce cas, il ne s'agit pas du principal objet de la loi. Ce mécanisme existe seulement en vue de sortir d'une impasse.
J'ai demandé à mon personnel et au conseiller juridique d'examiner les lois fédérales afin de voir s'il n'existe pas de dispositions dans la loi actuelle en vertu desquelles le gouverneur en conseil serait entravé dans son processus de nomination par d'autres personnes?
J'aimerais que vous me fassiez part de vos commentaires à ce sujet. Peut-être que l'exemple que vous utilisez n'est pas bien choisi.
M. Schwartz: Avec tout le respect que je vous dois, je pense qu'il existe une analogie très forte entre le projet de loi C-6 et les dispositions relatives au règlement des différends dans ces accords particuliers.
Le parallèle est tellement fort que le projet de loi C-6 stipule que: «lorsqu'il existe un mécanisme dans un accord de revendication territoriale, vous ne pouvez utiliser notre mécanisme». C'est parce que les deux sont complémentaires. Il s'agit de la même chose, mais d'un accord différent.
Dans un traité ordinaire, où doit-on s'adresser lorsqu'une obligation n'est pas respectée? Il faut s'adresser au tribunal. Un accord de revendication territoriale est un traité. Des dispositions particulières ont été prises en vue de créer un mécanisme impartial de règlement des différends. Dans les accords contemporains où l'on pense à mettre en place un mécanisme de règlement des différends, on inclut également des dispositions particulières en vue de prévoir des nominations impartiales.
Il y a toute une pagaille de Premières nations aux prises avec des traités ordinaires ne comportant aucune disposition particulière. Celles-là devront s'adresser aux tribunaux. Je suis prêt à défendre ce point. C'est ma position qu'il n'y a aucune distinction conceptuelle entre les deux.
La présidente: Je me rappelle que je faisais partie du comité lorsque ce projet de loi a été négocié. Je pense que le sénateur Sibbeston était présent, lui aussi. Avez-vous examiné la Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie? Je sais que cette loi a un rapport avec les ressources, mais elle stipule que les membres d'un office, mis à part le président et d'autres membres particuliers nommés en vertu de l'article 15, seront nommés par le ministre fédéral et conformément aux stipulations des parties 2 à 5, seront également nommés par une Première nation ou le ministre du territoire ou encore après consultation avec les Premières nations.
Je sais qu'il ne s'agit pas d'un mécanisme de règlement des différends mais plutôt d'une forme de nomination qui pourrait être prise en considération.
M. Schwartz: Est-ce qu'il s'agit du concept où l'on ne peut nommer une personne que si elle a été proposée par une Première nation?
La présidente: Oui.
M. Schwartz: Il y a différentes façons de procéder. Le rapport du groupe de travail mixte n'allait pas aussi loin que les accords de revendication territoriale contemporains. Ces accords sont entièrement conjoints, alors que le groupe de travail mixte dirait plutôt: «Vous vous entendez avec les membres des Premières nations sur une liste de personnes, et nous choisirons les membres dans cette liste».
La présidente: Il s'agit de la loi sur la gestion des ressources pour la vallée du Mackenzie. Je vous suggère d'y jeter un coup d'œil, et plus particulièrement au paragraphe 11(1). La formulation y est intéressante.
M. Schwartz: Je n'y manquerai pas et je vous ferai parvenir mes commentaires éventuels.
Pour ce qui est des autres analogies, comme la loi sur la mise en œuvre de l'ALENA ou toute autre mise en œuvre relative à nos accords de commerce internationaux qui prévoient des mécanismes de règlement des différends obligatoires, il s'agit de lois du Parlement. Un investisseur américain peut nommer une personne pour qu'elle fasse partie d'un groupe d'experts chargé de régler un différend et qui devra prendre une décision relativement à une divergence découlant du chapitre 11 de l'ALENA. Est-ce que le fait de donner à une Première nation la capacité de nommer une personne pour qu'elle fasse partie d'un organisme chargé du règlement des différends pose un plus grand problème que celui d'accorder ce privilège à un investisseur étranger? En vertu du chapitre 11 de l'ALENA, Exxon peut nommer une personne pour qu'elle fasse partie d'un groupe d'experts chargé du règlement des différends.
Même dans les pratiques constitutionnelles canadiennes, aussi jaloux qu'il puisse être de ses prérogatives, le gouvernement fédéral dans le cadre de l'accord du lac Meech était prêt à choisir les juges de la Cour suprême du Canada à partir de listes fournies par les provinces. En ce qui concerne la province de Québec, cela aurait pu donner énormément de pouvoir et d'influence au gouvernement provincial parce qu'il était impossible de procéder à la nomination d'une personne qui n'avait pas la faveur du gouvernement de cette province en particulier. Le gouvernement fédéral avait approuvé cette résolution
Oui, il y a des précédents, à la fois dans les lois du Parlement ainsi que dans les résolutions constitutionnelles. Peut- être que le gouvernement fédéral est, dans la pratique, toujours aussi jaloux de ses prérogatives. Toutefois, comme je l'ai dit tout à l'heure, qu'est-ce qu'une réalité politique? C'est le produit d'un choix. Est-ce que le gouvernement fédéral est prêt à oublier le schéma des conflits d'intérêts qui existe en établissant un organisme véritablement indépendant ou veut-il qu'on fasse appel à des systèmes qui se sont révélés inefficaces et qui ont été perçus comme ayant un rôle à jouer dans ce conflit d'intérêts? Vous trouverez dans mon analyse juridique les citations exactes dans la jurisprudence qui suggèrent que le processus de la nomination prévu dans le projet de loi C-6 n'est pas conforme à la Charte des droits ni aux doctrines du droit administratif contemporain.
Le sénateur Setlakwe: J'ai eu affaire aux tribunaux des droits de la personne, un système mis en place pour protéger les droits de la personne. La raison d'être de ces tribunaux était de faire en sorte d'obtenir progressivement des tribunaux indépendants. Au fil des années, le statut des membres du tribunal a été contesté au point que, en raison des décisions rendues, ces tribunaux sont devenus aussi indépendants que possible. Je peux voir, à partir de ce que nous sommes en train d'étudier, que ce centre n'est pas vraiment indépendant. Parce que s'il l'était véritablement, il prévoirait une disposition concernant la création d'un système d'arbitrage qui ferait en sorte que les parties soient aussi égales que possible. Cependant, le gouvernement fédéral est énorme et les Premières nations ou les peuples autochtones n'ont pas beaucoup de poids dans ce processus. Il faut examiner l'organisme en question afin de déterminer à qui il appartient réellement, qui procède aux nominations et si oui ou non la façon dont il est établi garantit qu'il prendra des décisions indépendantes libres de toute influence. C'est le genre de critère que l'on doit examiner, aussi il est évident que même si votre proposition s'est rapprochée sensiblement de cet idéal et qu'elle représentait une tentative de créer un système et un tribunal indépendant, ce que l'on nous présente actuellement n'a rien à voir avec un organisme indépendant. Cet organisme est conçu de manière à être favorable au gouvernement fédéral. C'est un véritable sujet de préoccupation. De toute évidence, je dois croire qu'il est dans l'intention générale du gouvernement de prévoir un système de décision qui représente une amélioration par rapport à la situation présente.
Cependant, je me demande si, comme vous l'avez mentionné vous-même, ils n'ont pas tout simplement empiré la situation pour les peuples autochtones, ce qui risque d'entraîner des lacunes et de donner de moins bons résultats que ceux que nous avons obtenus jusqu'à maintenant. Plus je l'étudie, et plus j'en apprends au sujet de ce projet de loi, et plus je suis préoccupé. J'espère réellement que, lors de notre examen de ce projet de loi, nous pourrons présenter quelques amendements qui pourraient l'améliorer. Peut-être que ces amendements n'auront pas la portée de ceux que vous aviez proposés, mais nous pourrions au moins l'améliorer au point de le sauver. Pensez-vous, avec les amendements appropriés, que ce projet de loi puisse être sauvé et que l'on puisse l'améliorer?
M. Schwartz: La position de l'Assemblée des premières nations est la suivante à cet égard: nous aimerions qu'un organisme comme le vôtre puisse identifier les lacunes que comporte ce projet de loi, qu'il puisse faire des suggestions et qu'il prie instamment les parties de revenir à la table. C'est exactement ce que nous souhaitons. J'essaie de ne pas trop élaborer sur la question, mais c'est un point très important, aussi je vais tenter de m'expliquer aussi brièvement que possible. Il est certain que nous étions très favorables à l'idée que les partis d'opposition, à l'étape de l'étude par la Chambre des communes, avaient fait ce que nous avions jugé comme des propositions réfléchies et utiles. Le problème est que nous aurions voulu que tout ce processus débouche sur une invitation à retourner à la table pour pouvoir dire au gouvernement fédéral: «D'autres personnes ont examiné le projet de loi et elles ont trouvé des lacunes. Alors reprenons ce que nous avions fait dans le cadre du groupe de travail mixte».
Est-ce que c'est rêver en couleurs? Que le gouvernement fédéral soit prêt à revenir à la table, je le répète, représente un choix politique. Si nous pouvions compter sur les recommandations d'un organisme comme le vôtre, serait-il possible, à l'intérieur d'une période de temps raisonnable, de s'asseoir et de régler les difficultés qui restent? Nous croyons que la réponse est oui. Nous avons développé cette opinion à la lumière des expériences passées. Pour la rédaction du rapport du Groupe de travail mixte, nous avons dû nous attaquer à 60 ou 80 problèmes qui semblaient assez ardus. Et en bout de ligne, nous avons réussi à régler chacun de ces problèmes. Comment sommes-nous passés de «Nous sommes d'accord avec tout» à «Nous adoptons une position radicalement opposée»? Ce changement d'attitude a été déclenché par le gouvernement fédéral et les Premières nations déclarent, «Non seulement nous n'en voulons pas, mais nous trouvons que ce projet de loi est rétrograde». L'un des importants facteurs, à mon avis, a été le bris de communication. Lorsque nous nous trouvons à la table de négociation, si quelqu'un dit: «Il s'agit d'une question de prérogative», nous pouvons argumenter et essayer d'en arriver à quelque chose. À un certain point, les plus hautes instances du gouvernement fédéral ont rejeté le rapport du Groupe de travail mixte et, plutôt que de revenir à la table pour discuter, la bureaucratie fédérale s'en est saisi et a décidé de réécrire le projet de loi à sa manière.
Afin de ne pas paraître trop arrogant, j'aimerais vous présenter une analogie. Si on avait demandé à l'Assemblée des premières nations de rédiger le projet de loi, nous aurions pu y intégrer toutes sortes de choses, que nous aurions trouvées parfaitement raisonnables mais qui n'auraient pas été bien comprises ou considérées comme des préoccupations légitimes de la part du gouvernement fédéral. Lorsque des gens se contentent de se parler à eux- mêmes, ils ont tendance à dérailler un peu. C'est ce qui s'est produit ici. Il y a problème après problème, et je pense que c'est le résultat du bris de communication.
Le processus que nous aimerions voir adopter par le comité, avec tout le respect que je vous dois, est davantage de consultation avec les divers groupes des collectivités qui sont prêts à venir faire part de leur point de vue; la consultation avec des experts indépendants qui viendraient identifier les problèmes et qui nous demanderaient de retourner à la table pour discuter.
Est-ce que quelques amendements seraient mieux que rien? Nous n'avons pas de position définitive à ce sujet parce que nous pensons que c'est prématuré. À l'heure actuelle, notre objectif est de revenir à la table des discussions. Nous sommes en train de vivre une situation où, et vous me pardonnerez de vous parler aussi franchement, plutôt que de voir le gouvernement fédéral négocier avec nous, nous nous retrouvons au milieu d'un processus où nous devons affronter tous ces problèmes. Peut-être que le Sénat nous appuiera pour certains d'entre eux. Ensuite le Sénat pourrait aller négocier avec la Chambre des communes, autrement dit avec le gouvernement fédéral. Mais où est notre place dans tout ce processus?
La présidente: Nous représentons le gouvernement fédéral. Le Sénat est également le gouvernement fédéral.
M. Schwartz: Il fait partie du Parlement fédéral. Il n'est pas le gouvernement fédéral.
La présidente: Dans le cadre des réunions de ce comité sénatorial, nous pouvons faire toutes les recommandations que nous voulons et personne ne les écoutera. Cependant, nous pouvons proposer des amendements au projet de loi en consultation avec les témoins et en considération de tout ce qui se dit ici, si le comité décide de procéder ainsi. C'est la possibilité qui s'offre à vous.
Peut-être que votre comparution d'aujourd'hui ne sera pas la seule. Si le comité décide qu'il veut citer à comparaître Bryan Schwartz et Roland Pangowish une autre fois, alors nous vous inviterons à revenir pour discuter de ces choses.
À mon avis, vous avez là une très bonne occasion de faire valoir votre cause, parce que nous ne sommes pas aussi partisans que l'autre chambre. Nous avons un peu plus d'indépendance.
Le sénateur Sibbeston: Nous avons également des membres chargés de représenter les intérêts des peuples des Premières nations. Vous n'êtes pas les seuls ici. Je vous respecte entièrement, mais vous devez croire qu'il y a d'autres personnes qui sont intéressées à voir à ce que justice soit faite et à ce qu'il y ait un bon système en place.
La présidente: Donc vous avez une bonne occasion ici de faire valoir votre point de vue.
M. Schwartz: Est-ce que je peux prendre «oui» pour une réponse? En fait, nous sommes heureux de voir que vous portez intérêt à notre cause et que vous avez l'esprit ouvert. La perspective de revenir est une possibilité que nous voulions aborder nous-mêmes. Il y a énormément de détails en cause. Nous affirmons que c'est prématuré pour le moment, mais si jamais nous en arrivons à l'étape des amendements, nous aimerions avoir notre mot à dire. Cela nous soulage de ne pas avoir à mettre votre patience à trop rude épreuve ce soir.
La présidente: Nous allons pouvoir mettre à l'épreuve votre propre patience.
Le sénateur Chaput: Je voudrais m'assurer de bien comprendre, aussi je vais vous brosser le tableau de ce que j'ai compris jusqu'à maintenant. Vous êtes tout à fait satisfait du contenu du rapport du Groupe de travail mixte, et vous espériez que le projet de loi reflète le contenu de ce rapport.
M. Schwartz: Tout à fait.
Le sénateur Chaput: Vous vous attendiez également à ce qu'il y ait davantage de consultation mais cela ne s'est pas fait.
M. Schwartz: Tout à fait.
Le sénateur Chaput: Vous avez l'impression que le projet de loi C-6 est injuste. Vous le voyez comme entaché de parti pris. Vous considérez qu'il ne sera pas plus efficace. Il me semble que vous considérez qu'il comporte des lacunes sur le plan de l'intégrité et de l'indépendance. Jusqu'à maintenant, est-ce que je vous ai bien compris?
M. Schwartz: C'est exact.
Le sénateur Chaput: Vous parlez de la définition de la revendication et des exclusions, de l'accès au tribunal, des plafonds imposés aux réclamations et de bien d'autres choses. Voici ma question: si vous, ou nous, ou peu importe qui, devions retourner à la table pour examiner les amendements, est-ce que certaines choses sont négociables et d'autres non négociables dans tout ce que vous nous avez dit ce soir?
M. Schwartz: Je dois me montrer très prudent dans ce que je dis, parce que je ne suis pas un décideur politique pour l'Assemblée des premières nations, mais je peux néanmoins vous dire que certains points sont négociables. Ce n'est pas parce que le Groupe de travail mixte a établi une formule en particulier que cela signifie que c'est le seul moyen d'en arriver à un résultat. Par exemple, nous avions établi un système pour l'élaboration des nominations indépendantes. Existe-t-il d'autres moyens d'y arriver? En fait, ce qui se trouve dans l'accord du Yukon est de loin supérieur à ce que nous avons mis dans le rapport du groupe de travail mixte. Il y a différents moyens d'arriver au même résultat. Le résultat final est ce qui compte vraiment. S'il y a différents moyens d'arriver au même résultat, alors bien entendu nous sommes ouverts à la discussion. Même sur les questions les plus épineuses, comme le cadre financier, lorsque nous faisions partie du groupe de travail mixte et que nous avons rédigé le rapport, nous nous étions efforcés de trouver une solution au problème du gouvernement fédéral. Nous avions reconnu que le gouvernement fédéral avait un problème. Certains pourraient dire que cette situation est le résultat d'une accumulation de plusieurs années et que tous ces problèmes devraient être résolus rapidement. Nous sommes prêts à reconnaître que le gouvernement fédéral a un problème s'il veut payer tout ce qu'il doit sur-le-champ. Nous avons essayé de régler son problème. C'est l'esprit avec lequel nous reviendrions à la table.
Le sénateur Chaput: Est-ce que d'autres questions — les revendications, le plafond, peu importe — sont négociables?
M. Schwartz: Certains concepts ne sont pas négociables. L'organisme doit être indépendant. Existe-t-il d'autres moyens d'obtenir cette indépendance? Bien entendu.
Pour ce qui est du délai de présentation, nous avions établi un modèle dans le rapport du Groupe de travail mixte. Je vais donner un exemple. Imaginons une réunion au cours de laquelle la commission pourrait examiner la possibilité d'utiliser divers moyens de règlement des différends et si ces moyens échouaient, vous pourriez vous adresser directement au tribunal. Mais le gouvernement fédéral met en place un modèle différent dans lequel les délais pour rendre une décision sont tout simplement inexistants. Il existe en fait un paragraphe, je crois que c'est le 30(4), qui indique que le ministre peut essentiellement reporter une revendication indéfiniment. Je n'invente rien. C'est essentiellement ce que dit ce paragraphe.
Alors, comment pourrions-nous procéder pour rétablir des délais limites pour le traitement des revendications? Il y a différents moyens de le faire. On pourrait par exemple établir des calendriers dans le système. Le comité de la Chambre des communes avait établi des délais qui devaient être pris en considération. Le tribunal possède le pouvoir d'imposer des délais pour le règlement. Aucun de ces pouvoirs n'a été accordé expressément à la commission. L'opportunité n'est pas négociable dans le sens qu'un système qui ne comporte pas de délais de règlement est sans valeur.
Existe-t-il différents moyens d'obtenir l'opportunité? Oui, très certainement. Je sais que certaines personnes confondent parfois le but et les moyens. Le Groupe de travail mixte était un moyen d'en arriver à un résultat. Les résultats sont ce que nous voulons obtenir. S'il y a des moyens d'en arriver à ces résultats, nous ferions preuve d'étroitesse d'esprit si nous nous accrochions à une formule en particulier en vue d'atteindre ce but.
Le sénateur Banks: Je dois vous avouer que j'entretiens certains préjugés, et peut-être que vous pourriez m'aider à m'en débarrasser. Dans l'expérience limitée que j'ai acquise, lorsqu'il y a un différend de longue date ou encore lorsque deux parties n'arrivent pas à trouver un terrain d'entente, il n'est pas toujours possible d'imputer toute la faute à une seule des deux parties.
Un autre de mes préjugés tient au fait que le gouvernement doit en fin de compte être en mesure de gouverner.
Et encore un autre des mes partis pris tient au fait que, si je peux décrire les choses de cette façon, les obligations de fiduciaire s'appliquent dans un sens, mais elles doivent également s'appliquer dans l'autre. Le gouvernement possède des obligations de fiduciaire en vertu de traités sur les revendications territoriales, mais il possède également des obligations de fiduciaire envers le Canada, Sa Majesté et toute la population.
Je vois également — et peut-être que vous pourriez me corriger sur ce point, parce que je ne suis pas vraiment un expert — une différence entre le type de règlement des différends auquel vous faites allusion qui est contenu dans les accords d'application, par opposition aux accords qui sont d'une autre nature. Pour utiliser l'exemple du traité Nisga'a que le sénateur Sibbeston ou M. Schwartz ont déjà mentionné, il est vrai que le traité Nisga'a comporte un mécanisme de règlement des différends qui fait appel à la nomination de membres indépendants au cours du processus. Mais le traité Nisga'a lui-même est le résultat d'un accord intervenu entre deux parties. Il n'a absolument rien à voir avec un arbitrage indépendant ou encore avec le résultat d'un mécanisme de règlement des différends faisant appel à une tierce partie.
Étant donné tous ces partis pris, j'en arrive à la conclusion que peut-être, et je soupçonne que c'est probablement le point de vue du ministre, même si je ne peux pas parler à sa place, que cet arriéré qui préoccupe tout le monde et que nous aimerions bien voir disparaître pourrait être réglé si on décidait de prendre le taureau par les cornes et de dire: «Voici comment nous allons procéder, et tant pis pour les torpilleurs». Le ministre pense, je crois, que le projet de loi C- 6 est un moyen qui lui permettra dans une certaine mesure de se débarrasser de cet arriéré de revendications. C'est un parti pris que j'ai. Cependant, le principal problème que je peux voir — et permettez-moi ici de poser une question entre parenthèses — est qu'il me semble que le comité peut opter pour l'une des trois solutions suivantes en ce qui concerne ce projet de loi. Il peut recommander son adoption; il peut recommander son rejet ou encore il peut recommander qu'il soit amendé. Je ne pense pas qu'il existe une quatrième voie, qui soit celle de revenir à la table pour négocier, à moins que je n'aie rien compris. Toutefois, cela pourrait bien arriver.
Le principal obstacle que je peux voir est l'absence d'un mécanisme qui prenne la relève lorsqu'une Première nation présente une revendication et qu'elle doit établir — ce qui est la politique du gouvernement du Canada depuis 1982 — qu'il s'agit d'une revendication fondée en droit par quelque moyen. Ce n'est une surprise pour personne. Cela n'a rien de nouveau. Votre argument, si je vous ai bien compris, est que lorsqu'une revendication est présentée à la commission, à moins que la commission n'établisse qu'il s'agit d'une revendication fondée en droit et par la suite s'il se trouve que cette revendication a une valeur supérieure à 7 millions de dollars, alors vous n'avez pas de chance, votre seule recours consiste à vous adresser aux tribunaux. Parce qu'en fait il n'y a plus de tribunal auquel vous pouvez vous adresser, en supposant que votre revendication ait une valeur de 7 001 dollars ou davantage, et que ce tribunal puisse établir, soit de manière obligatoire ou non obligatoire: «Attendez un peu, nous avons ici une réclamation fondée en droit, et vous allez devoir vous en occuper».
Si on garde à l'esprit que l'obligation de fiduciaire joue dans les deux sens, est-il raisonnable d'exiger qu'il n'y ait aucune limite imposée aux réclamations? Et sinon, quel serait le chiffre magique? Devrait-il y avoir une limite quelconque imposée à ces réclamations ou devrait-on tout simplement éliminer ce plafond? Je m'adresse à vous, de l'autre côté de la table, et je vous demande quelles seraient les répercussions si nous prenions cette décision.
M. Schwartz: Je vais répondre brièvement à chacun de vos préjugés. Vous avez tout à fait raison de dire que l'on ne peut blâmer une partie ou l'autre entièrement lorsque les deux n'arrivent pas à trouver un terrain d'entente. Dans le cas présent, toutefois, après qu'il y ait eu un accord initial, il n'y a pas eu d'autre discussion de la part du gouvernement fédéral. Pour être plus précis, il n'y a eu aucune consultation ultérieure de la part du gouvernement fédéral. Il y a bien eu des discussions au cours desquelles on nous a dit: «La consultation est terminée, mesdames et messieurs, nous allons vous tenir au courant de ce que nous avons l'intention de faire, mais nous n'avons pas l'intention de poursuivre notre partenariat avec vous».
De notre point de vue — et encore une fois je vous invite à examiner la situation de votre point de vue un peu plus détaché — il ne s'agissait pas d'une situation symétrique. Nous avions négocié avec le gouvernement fédéral et nous avions réussi à réaliser quelque chose. Lorsque le gouvernement fédéral a éprouvé des problèmes avec ce que nous avions établi, plutôt que de revenir et de nous dire: «Très bien, rasseyons-nous pour discuter un peu plus du sujet», les discussions ont été rompues. Avec tout le respect que je vous dois, je pense qu'il y a davantage de responsabilité d'un côté que de l'autre. Si nous avions eu la possibilité de discuter un peu plus avant de la situation, et si nous nous étions montrés intransigeants ou déraisonnables, alors je pense que l'on aurait pu répartir la responsabilité en conséquence. Mais étant donné que l'on ne nous a pas donné la possibilité de travailler à la résolution des problèmes qui subsistaient, il me semble que cela contribue à imposer la responsabilité au gouvernement fédéral. Nous suggérons même que c'était illégal de la part du gouvernement fédéral.
Le sénateur Banks: J'aurais une question d'ordre mécanique à ce sujet. Si le rapport du Groupe de travail mixte II avait obtenu l'assentiment de toutes les parties en cause, est-ce que les négociateurs auraient eu à revenir et à demander à ce que le rapport en question soit ratifié par quiconque avant qu'ils puissent signer l'accord ou est-ce que les négociateurs auraient pu tout simplement signer eux-mêmes l'accord en question?
M. Pangowish: Est-ce que vous voulez parler du rapport du Groupe de travail mixte?
Le sénateur Banks: Non. À la fin des travaux du groupe de travail mixte, tout le monde s'entend sur tout. Et le matin suivant, est-ce que les négociateurs qui ont entrepris les négociations du Groupe de travail mixte peuvent signer l'accord, peu importe son contenu? Ils auraient dû demander l'autorisation de quelqu'un, n'est-ce pas?
M. Pangowish: Oui.
Le sénateur Banks: La situation est la même de l'autre côté de la clôture. Les autres personnes qui négociaient avec vous devaient elles aussi rendre des comptes à quelqu'un. Au gouvernement en l'occurence.
M. Pangowish: Je n'ai pas eu la possibilité de vérifier tout le contexte. Bien entendu, au départ, nous transigions avec le ministre Irwin puis avec la ministre Stewart. La ministre Stewart était très intéressée à ce qu'il s'agisse d'un processus mixte et elle voulait que nous travaillions ensemble et que ce processus débouche sur un résultat conjoint. Elle s'était engagée à ce que le résultat de notre groupe de travail aboutisse au processus législatif. Mais les choses ont changé brusquement en cours de route, et c'est une partie du problème.
Lorsque le rapport du Groupe de travail a été déposé, il n'a pas été considéré comme un rapport final. Nous pensions qu'il y aurait d'autres travaux concernant la mise en application et d'autres aspects, comme l'insertion de certains détails, mais il n'y a pas eu de suite.
En mai 2000, le nouveau ministre, M. Nault, a annoncé les grandes lignes de ce que le gouvernement fédéral avait l'intention de proposer. Bien entendu, nous les avons examinées. Nous avons vu les lacunes par rapport au rapport du groupe de travail mixte, et c'est la raison pour laquelle je vous ai apporté cette correspondance. Nous avons essayé d'obtenir des réponses durant deux ans. Par exemple, nous avons demandé: est-ce que ce plafond comprend les intérêts accumulés et les frais juridiques? Nous n'avons pu obtenir de réponse claire. Nous avons commencé à soupçonner que les représentants du gouvernement fédéral ne savaient pas vraiment ce qu'ils faisaient. Par la suite, nous avons obtenu une réponse abrupte en février 2002 qui était tout simplement «oui».
Le sénateur Banks: Ils ont dit «oui» à quoi?
M. Pangowish: Oui, l'intérêt est inclus, ce qui a pour effet d'abaisser encore davantage le plafond.
Je voulais simplement vous situer en contexte pour que vous compreniez le sentiment de déception que nous avons éprouvé lorsque nous avons réalisé que nous vivions en quelque sorte une situation de déjà vu. Durant le processus suivi par le groupe de travail mixte, le ministre et le sous-ministre nous avaient vendu avec insistance le processus en question qu'ils appuyaient très fortement et qu'ils considéraient comme la voie de l'avenir. Ils nous disaient: «il s'agit d'un partenariat, et c'est désormais de cette façon que nous allons travailler ensemble», pour la première fois dans l'histoire. Nous avions le sentiment qu'avec un exemple comme celui des revendications particulières ayant trait aux obligations légales, si nous pouvions franchir cette étape et trouver un terrain d'entente dans ce domaine, alors nous pensions que pour les questions plus difficiles il y avait de l'espoir de les résoudre dans un délai raisonnable. Je pense que c'était bien l'esprit qui prévalait au sein du groupe de travail mixte à l'époque.
Le sénateur Chaput: Lorsque vous avez réalisé ces lacunes et que vous avez posé des questions au sujet du plafond imposé aux revendications, est-ce que vous avez posé également des questions concernant d'autres problèmes?
M. Pangowish: Oui. Nous avions une liste d'environ huit questions que nous avons posées à maintes reprises. Il faudrait que je consulte la correspondance que je vous ai fournie.
Le sénateur Léger: Pourquoi le projet de loi C-6 est-il si éloigné du rapport du groupe de travail mixte? Est-ce que le projet de loi C-6 est complètement à l'opposé du contenu de ce rapport? Vous avez dit qu'il y avait des lacunes au sein du groupe de travail mixte. Il me semble que cela sonne comme si tout n'était pas parfait. Est-ce que le projet de loi C-6 est complètement étranger à tout le travail qui a été effectué par le groupe de travail mixte? La première chose que j'avais noté sur mon bloc est: est-ce qu'il y a quelque chose de bon dans le projet de loi C-6? C'est tout ce que je peux dire.
M. Pangowish: Dès le départ, notre inquiétude tenait au fait que dans le cadre du rapport du groupe de travail, personne ne pouvait garantir que même le rapport lui-même tel qu'il avait été rédigé obtiendrait du succès ou qu'il serait accepté. Nous pensions qu'il avait de bonnes chances d'être accepté. Tout dépendait de l'entente mixte que nous essayions de mettre sur pied. Les chefs l'avaient accepté en principe. Ils voulaient voir quelle serait la réaction du gouvernement fédéral.
Le sénateur Léger: Est-ce que je dois comprendre que le groupe de travail était formé seulement de chefs?
M. Pangowish: Le groupe de travail était formé de représentants et de techniciens des deux côtés. Le rapport a été déposé en novembre.
En décembre de la même année, la Confédération des nations indiennes, l'un des organismes dûment autorisé par l'Assemblée, a accepté le rapport en principe. Durant tout le processus du groupe de travail mixte, les assemblées étaient continuellement informées de la progression des travaux.
Les membres du groupe de travail qui étaient issus des Premières nations produisaient des rapports à l'intention du Comité des chefs de l'Assemblée des premières nations. Les directive aux techniciens provenaient du Comité des chefs.
Le sénateur Léger: Y a-t-il quelque chose de bon dans le projet de loi C-6 ou bien est-ce qu'il est complètement à rejeter?
M. Pangowish: C'est difficile à dire. Dans le rapport du groupe de travail, nous avions identifié les principales caractéristiques. Si vous examinez ces caractéristiques, est-ce que vous pouvez voir dans quelle mesure ce projet de loi en est éloigné?
Le sénateur Léger: Il me semble que certaines choses doivent être bonnes, j'imagine?
M. Pangowish: L'établissement d'une commission et d'un tribunal était une idée originale du groupe de travail. Mais l'efficacité en a été réduite. Nous craignons de dire ce qui est bon dans ce projet de loi, parce qu'en fin de compte, étant donné la manière dont il a été rédigé, il se trouve à empirer la situation par rapport à ce qui existe maintenant. Il y aura moins de facilité d'accès aux enquêtes publiques. C'est ce genre d'aspect qui rend les choses pires qu'avant. Nous prenons le risque de vous demander de bien vouloir refuser ce projet de loi dans sa forme actuelle parce qu'il nécessite d'être retravaillé.
Le sénateur Banks: J'ai pris une tangente, et M. Schwartz n'a pas eu la chance de donner sa réponse de 30 secondes à ma question d'une heure.
M. Schwartz: Pour ce qui est du processus, dans l'éventualité où une obligation fiduciaire n'est pas exécutée, le fiduciaire doit consulter. Lorsque l'on tente d'établir un système visant à s'attaquer à ce problème national des obligations fiduciaires non exécutées, le système national en question devrait être établi en consultation avec une organisation nationale, et c'est ce qui s'est passé avec le groupe de travail mixte. Nous pensons qu'il s'agit d'une obligation légale du gouvernement et non d'une question laissée à sa discrétion. Lorsqu'un système national est mis sur pied dans le but d'encadrer un système qui s'occupe du manquement à des obligations de fiduciaire, il doit y avoir consultation. Et à notre avis, et cela a été exploré dans certaines affaires qui font partie de la jurisprudence comme celle de la Première nation crie Mikisew c. Canada, la consultation ne signifie pas bavarder gentiment et ensuite, faire ce que bon nous semble. Selon les tribunaux, la consultation signifie que l'on doit faire une tentative sérieuse de s'attaquer aux questions de contenu qui ont été soulevées. Dans certains contextes, par consultation on peut vouloir dire discuter, puis faire ce que l'on a décidé de faire au meilleur de notre connaissance, mais pas dans le contexte des Premières nations alors qu'il y a déjà eu des manquements à l'égard d'une obligation de fiduciaire. L'obligation de consultation ne signifie pas que tout ce que nous disons doit être accepté; les tribunaux sont clairs sur le fait que le gouvernement fédéral n'a pas à accepter tout ce que nous disons. Toutefois, on devrait avoir inclus la volonté de s'attaquer en profondeur à nos problèmes.
Dans le cadre de ma réponse à votre question, je vais aborder le point soulevé par le sénateur Léger. Pourquoi le projet de loi est-il si mauvais? Parce que nous n'avons pas discuté. Il y a tout un éventail de nouvelles questions et de nouvelles idées dans le projet de loi C-6 sur lesquelles nous n'avons jamais été consultés. Si quelqu'un nous avait demandé si nous étions d'accord pour que la bureaucratie de la commission soit une extension de la fonction publique fédérale, de sorte qu'il y ait une mobilité complète entre le gouvernement fédéral existant et cette commission, nous aurions dit non et nous aurions expliqué pourquoi. Nous ne voulons pas que des gens qui ont fait leur carrière en refusant le bien-fondé de nos revendications aient la priorité à l'embauche au sein de cette supposée commission indépendante. Ce n'est pas seulement les membres du tribunal et les commissaires au plus haut niveau qui ne sont pas indépendants, mais également les employés.
Il y a la question des règlements structurés de 7 millions de dollars. Si on nous avait demandé si c'était raisonnable, nous aurions tout simplement dit qu'il faut attendre 15 ans avant de présenter une revendication, que ça prend dix ans avant de régler la revendication en question et qu'ensuite ils vont structurer le règlement pour seulement 7 millions de dollars sur lesquels nous allons perdre une partie des intérêts. Si nous avions eu cette discussion, ils auraient pu nous répondre que nous avions raison parce que ce n'est pas raisonnable, mais on ne nous a jamais posé la question.
En vue de me préparer aujourd'hui, j'ai lu le projet de loi d'un bout à l'autre, et je vous promets que je ne le ferai pas, mais je pourrais le passer en revue article par article et le comparer avec ce que nous avons produit dans le cadre du groupe du travail mixte. J'ai trouvé une seule amélioration et, à ce qu'il me semble, de 80 à 100 reculs. L'amélioration en question est une référence à la location dans les critères qui n'y apparaissait pas auparavant. Je me suis efforcé de trouver quelque chose qui correspondait à une amélioration. Le reste est ce qui se passe lorsque le gouvernement fédéral décide de se parler à lui-même. Tous ceux qui ont un problème sont canalisés à l'intérieur du système national et un bureaucrate qui a consacré toute sa carrière à défendre la position du gouvernement dans le cadre de revendications particulières décide qu'il ne veut pas se trouver dans la position où il devra rendre une décision en l'espace de six mois. Il souhaite prendre autant de temps qu'il le désire. Quelqu'un d'autre a un problème avec le rythme avec lequel le règlement se déroule, et une autre personne est aux prises avec une question d'un ordre tout à fait différent. Le gouvernement fédéral se contentait finalement de négocier avec lui-même. Il n'affrontait pas du tout la réalité en nous présentant ce à quoi il était arrivé afin que nous puissions lui faire part de nos objections en tant que partenaires, et voici le résultat.
Il s'agit d'un paradigme relativement simple — nous avons discuté, nous en sommes arrivés à un résultat assez satisfaisant, un groupe de travail mixte. Est-ce que c'est notre dernier mot? Non, ce n'est pas ce que je dis. Au contraire, nous voulons revenir à la table pour négocier. À l'époque où les gens ne discutaient pas, le processus avait tendance à déraper sérieusement. La leçon pour nous est la suivante: une fois que l'on a étudié la question en profondeur, il faudrait pouvoir revenir discuter, et nous pensons que cela pourrait donner de bons résultats.
Pour ce qui est de l'obligation de fiduciaire qui joue dans les deux sens, il est clair que le gouvernement fédéral a une responsabilité envers tous les Canadiens, et pas seulement envers les Premières nations. Je peux faire cette concession, parce que c'est raisonnable et parce que la Cour suprême du Canada l'a déjà déclaré dans l'arrêt Eastmain.
Cependant, ça ne peut pas aller dans les deux sens. Il faut faire preuve de prudence. Le terme fiduciaire est un terme très spécialisé qui ne devrait pas être utilisé à la légère. L'obligation envers la population en général est une obligation solennelle, mais l'obligation qui résulte d'une obligation de fiduciaire est d'un ordre très particulier. Lorsque l'on a manqué à une obligation en ce qui concerne les rapports avec les terres et les éléments d'actif d'une population, alors qu'on se trouve dans une position qui est particulière et distincte et particulièrement rigoureuse sur le plan de l'obligation légale, cela va bien au delà de la politique ordinaire et de la fonction ordinaire qu'a le gouvernement fédéral de représenter la population. En effet, il s'agit là d'une priorité particulièrement élevée, et elle ne s'exerce pas dans les deux sens.
Vous avez posé une question difficile me demandant de fournir des chiffres et d'indiquer quelles seraient les limites. Je n'ai pas de mandat, pour être franc avec vous, pour concéder qu'une revendication individuelle devrait être exclue. Je peux tout simplement vous déclarer que dans le rapport du Groupe de travail mixte, nous avons essayé d'avancer l'idée d'imposer une limite au montant global qui pourrait être dépensé au cours d'une période de cinq ans. Une fois cette limite atteinte, le robinet serait fermé dans le sens que l'on ne pourrait pas avoir accès au tribunal. Existe-t-il d'autres solutions? Les Premières nations ont l'habitude de collaborer avec des systèmes de règlement à plusieurs niveaux. Lorsque les droits fonciers issus des traités ont vu le jour, ils n'ont pas été réglés tous dans la même journée. Il y avait un processus. Sachant que vous alliez recevoir des intérêts et qu'un processus ordonné limitait toutes ces démarches, vous vous efforciez de vous entendre sur un moyen relativement ordonné et mesuré de régler ces questions.
Le sénateur Banks: Est-ce que vous pourriez nous parler un peu de la différence qui existe entre le contenu du rapport du Groupe de travail mixte II qui a été mis de côté jusqu'à ce que l'on trouve davantage de ressources financières, et ce qui se trouve dans le projet de loi C-6 qui revient à ce qui suit: voici le montant dont nous disposons, mais lorsque cette limite sera atteinte, si la prochaine revendication est présentée, nous ne serons pas en mesure de nous en occuper. Il s'agit plus ou moins de la même chose, n'est-ce pas?
M. Schwartz: Nous avons fait référence à ce cadre financier en l'appelant «montant total des compensations sur cinq ans» ou FYCA. On avait accepté d'imposer un plafond aux dépenses cumulatives, mais pas en fonction de la valeur d'une revendication prise individuellement.
Le sénateur Banks: Dans le projet de loi C-6, la seule revendication qui serait touchée pour ce qui est de son importance prise individuellement serait la dernière s'il se trouve que sa valeur est supérieure à ce qui reste dans le fonds qui est alloué, si je peux utiliser ce terme.
M. Schwartz: Le projet de loi C-6 a une composante cumulative. Cependant, elle vient s'ajouter à la limite imposée à la revendication individuelle. Par conséquent, il y a deux composantes distinctes qui entrent en jeu dans le projet de loi C-6, alors qu'il n'y avait qu'une seule limite globale prévue dans le rapport du Groupe de travail mixte. Si les parties acceptent de discuter en vue de trouver une solution créative, je suis sûr qu'il y a d'autres moyens de régler la situation. Il y a des problèmes avec le plafond imposé à chaque revendication prise individuellement parce que cela revient à l'exclusion de catégories entières de revendications qui ne pourront être présentées nulle part ailleurs.
Le sénateur Banks: Est-ce qu'il doit être éliminé?
M. Schwartz: À notre avis, à l'intérieur d'un certain cadre financier, et nous en avons proposé un, toutes les revendications devraient en fin de compte avoir accès au tribunal. Existe-t-il une meilleure alternative que celle de l'éliminer complètement? Même si ce dont nous disposons actuellement représente une meilleure alternative, qui est qu'une revendication de plus grande valeur puisse au moins avoir accès à la commission qui pourrait produire un rapport. C'est l'un des amendements que l'Alliance canadienne et que d'autres partis ont proposée. En ce qui concerne les revendications de plus grande valeur, l'Alliance canadienne aurait élevé le plafond à 25 millions de dollars et les revendications de plus grande valeur auraient néanmoins pu avoir accès à la production d'un rapport indépendant.
Je veux me faire bien comprendre. Je n'ai pas le mandat en tant que technicien d'accepter ou de refuser l'imposition d'un plafond quelconque. La position de l'organisation que je représente est que nous ne voulons pas qu'un plafond soit imposé à toute revendication prise individuellement. Existe-t-il des moyens de limiter les dépenses globales sans procéder de cette manière? Nous avons essayé d'en trouver un. C'est tout ce que je peux dire pour le moment.
M. Pangowish: Notre préoccupation concerne la distorsion des revendications, et tout particulièrement en ce qui a trait aux obligations de fiduciaire qui sont en cause. Ce plafonnement des revendications individuelles crée une situation dans laquelle les requérants doivent signer une renonciation à la responsabilité pour avoir accès au tribunal. De cette manière, la Couronne ne serait pas responsable pour un montant supérieur à 7 millions de dollars. Je vous demande d'imaginer les chefs mis dans la situation où on leur demande, au nom de leur population, de signer cette renonciation, ce qui revient à abandonner quelque chose qui peut être important pour leur collectivité parce que cela représente des revendications qui sont dans leur cœur et dans leur esprit depuis très longtemps. Certaines de ces revendications ont plus de 100 ans. Cela devient important pour une collectivité, parce qu'il ne s'agit pas simplement d'argent.
C'est l'autre aspect de la question, je suppose. Les Premières nations sont davantage préoccupées au sujet des terres, parce qu'elles en ont besoin. Bon nombre de Premières nations n'ont pas suffisamment de terres pour répondre à leurs besoins en matière de logement.
Dans ce cas, il est question de la participation des gouvernements provinciaux, ce qui relève strictement de la commission. Nous essayons de vous convaincre que les Premières nations ont fait un certain nombre de compromis raisonnables de manière à obtenir l'établissement d'un organisme indépendant. Si vous lisiez la proposition que les Premières nations ont faite en 1990 en ce qui concerne les revendications et si vous la compariez avec le contenu du rapport du Groupe de travail, vous seriez à même de constater l'ampleur des concessions que les Premières nations ont faites. Elles ont essayé de faire quelque chose de sérieux et de réel dans le cadre de cet exercice. Je pense qu'il est important d'en tenir compte.
La présidente: Dieu merci! nous avons une excellente attachée de recherche qui a fait du très bon travail. Elle me dit en termes profanes exactement ce que nous sommes en train de discuter. Il est écrit ici, et c'est ce que le projet de loi signifie, qu'à la demande du requérant, la commission est obligée de référer la question de l'indemnisation au tribunal, si elle est satisfaite que la composante d'indemnisation liée à la revendication est complète et a été prise en considération par le ministre durant le processus de règlement du différend. Autrement dit, les mécanismes de règlement des différends ont été épuisés. Seule l'indemnisation financière est réclamée. Le requérant a renoncé au montant d'indemnisation qui excède le plafond imposé, et le montant qui reste dans le fonds d'indemnisation pour l'exercice financier est au moins égal au plafond de la revendication d'après le calcul prescrit par le projet de loi.
C'est exactement ce que M. Pangowish était en train de nous expliquer. C'est exactement cela.
J'ai une dernière question qui, je l'espère sera sur une note plus positive. M. Schwartz a déclaré que le titre du projet de loi était très ennuyeux, mais en ce qui concerne le projet de loi lui-même, Loi constituant le Centre canadien du règlement indépendant des revendications particulières des Premières nations en vue de permettre le dépôt, la négociation et le règlement des revendications particulières, et modifiant certaines lois en conséquence, est-ce que vous reconnaissez au moins que la création d'un centre canadien pour le règlement indépendant des revendications est une bonne chose? Le gouvernement veut établir un centre où vous pourriez vous adresser, d'après ce que je comprends.
M. Pangowish: D'après ce que j'ai entendu de la part de la majorité des Premières nations, elles arrivent difficilement à prendre ce titre au sérieux. L'idée était de créer un organisme indépendant pour les revendications. Le titre ne véhicule pas l'intention recherchée par les Premières nations depuis de nombreuses années. C'est un titre un peu alambiqué pour les Premières nations.
Le sénateur Eyton: Je suis nouveau dans ces délibérations, mais je m'assois ici avec un sentiment d'émerveillement de constater où nous en sommes arrivés aujourd'hui. Je regarde trente ans, dix ans ou même cinq ans en arrière et je constate l'ampleur des discussions qui ont eu lieu et je vois le projet de loi qui est déposé devant nous. Je suppose qu'il a dû subir déjà la première et la deuxième lecture. Il a donc derrière lui une certaine impulsion. Vous comparaissez devant nous aujourd'hui et vous venez nous dire que le projet de loi C-6 comporte peut-être 15 ou 20 principes fondamentaux et que vous désapprouvez la vaste majorité d'entre eux, d'une manière ou d'une autre. Je trouve cela horrifiant et je ne peux m'empêcher de penser: «Comment tout cela est-il arrivé?» Vous avez essayé de l'expliquer, mais je suis sûr que les torts sont répartis des deux côtés. Des choses comme ça ne peuvent tout simplement pas se produire.
J'ai participé à beaucoup de négociations au fil des années, et je peux vous dire que je ne me serais jamais assis à une table pour négocier durant deux ans sur la même question, quelle que soit son importance. Il vient un moment où il faut dire, assez c'est assez. Et c'est parce que, dans toute discussion, il y a deux principes fondamentaux. Le premier est que le temps, c'est de l'argent. Il faut qu'il y ait une motivation extraordinaire de la part des parties, si elles veulent en arriver à une solution équitable et rigoureuse, pour payer une indemnité de 100 dollars aujourd'hui tout en sachant que d'ici dix ans, cette indemnité de 100 dollars vaudra peut-être 20 dollars ou 23 dollars et, en particulier si on parle d'un plafond qui pénalise les intérêts qui ont couru sur le montant d'une revendication. Il doit y avoir un certain sentiment d'urgence.
Le deuxième, qui résulte de mon expérience de la négociation, est qu'il est pratiquement impossible de se présenter devant quiconque et de dire il y a 20 points stipulés dans le projet de loi et nous en refusons 15, parce que c'est impossible. Tout simplement impensable. Ce n'est pas vraiment une question, mais plutôt une observation et il me semble que les Premières nations devraient s'en tenir à trois ou quatre points principaux, ceux qui font le plus mal, ceux qui sont le plus flagrants, et essayer de les faire modifier dans le sens que vous suggérez.
Si on considère le long catalogue de vos doléances et la liste de tout ce que vous reprochez à ce projet de loi, n'importe qui jetterait la serviette et dirait: soit nous adoptons le projet de loi et nous oublions les recommandations, soit nous n'adoptons pas le projet de loi et nous allons tout simplement retourner dans le maquis pour un autre 10 ou 15 ans. À ce qu'il me semble, ni l'une ni l'autre de ces attitudes n'est acceptable. C'est moins une question, je le répète, qu'un commentaire. On vous a demandé quels étaient les points les plus importants pour lesquels vous suggéreriez des changements que le comité pourrait recommander ou pour lesquels il pourrait suggérer des amendements.
M. Pangowish: Nous espérons que nos chefs seront nombreux à venir comparaître devant vous. En effet, il est à espérer que notre chef national viendra vous décrire notre position exacte.
Nous nous sommes présentés devant vous afin de vous décrire le contexte dans lequel le projet de loi a vu le jour, ainsi que le processus qui l'a précédé et les problèmes techniques qui y sont rattachés à notre avis. Nous ne sommes pas venus témoigner devant vous pour vous dire que tout est négatif ou positif. Dans le cadre de l'analyse juridique réalisée par M. Schwartz, nous examinons neuf à onze points fondamentaux. Il a réussi à en énumérer quatre pour vous.
La présidente: Il va revenir.
M. Pangowish: Nous aimons croire que vous avez besoin de ce contexte afin de mieux comprendre les témoignages que vous allez entendre. Nous pensons qu'il est utile de pouvoir situer les choses en contexte.
Le sénateur Eyton: C'est décourageant.
M. Pangowish: Notre principale collaboration est la suivante; si nous sommes coincés avec le projet de loi dans son état actuel, nous risquons de nous retrouver pour une autre génération sans pouvoir régler toutes ces revendications. Ce n'est pas seulement nos intérêts qui sont en cause, mais également ceux de tous les Canadiens parce que ces dettes sont un fardeau pour l'ensemble des Canadiens. Le retard signifie que chacune de ces revendications d'une grande valeur, en particulier — l'intérêt...
Le sénateur Eyton: Il y a un plus grand sentiment d'urgence au Sénat parce que d'ici dix ans la plupart d'entre nous qui sommes assis autour de cette table n'y serons plus alors que vous risquez bien d'y être encore. Je n'en sais rien. Mais il est certain que dans l'autre Chambre, bon nombre de ceux qui s'y trouvent y seront encore, mais en ce qui nous concerne, le temps est compté.
La présidente: Si ce projet de loi est rejeté, est-ce que vous êtes satisfait avec le statu quoi actuel?
M. Pangowish: Nous avons déjà déclaré que non, nous n'aimons pas du tout la situation actuelle, mais qu'elle est tout de même préférable à celle que ce projet de loi risque de créer.
La présidente: Il y a une chose avec laquelle le Groupe de travail mixte était d'accord en ce qui concerne ce projet de loi. Le titre abrégé de la loi sera cité comme la Loi sur le règlement des revendications particulières, ce qui est exactement ce que le Groupe de travail mixte avait demandé. Vous avez dit que le projet de loi prévoyait que la loi pourrait être citée comme la loi sur le règlement des revendications particulières des Premières nations. C'est une chose que vous avez acceptée. C'est déjà un début.
Nous avons pris un bon départ en ce qui concerne l'étude de ce projet de loi et maintenant nous pouvons nous pencher sur le sujet. Je suis sûre que nous allons vous inviter à nouveau afin de poursuivre ce dialogue et cette discussion. Je tiens à remercier chacun d'entre vous de vous être déplacés ici ce soir. C'est important. Et j'aimerais vous complimenter tous les deux. Vous avez fait en sorte que nous puissions bien comprendre les problèmes qu'ont les Premières nations avec les sujets dont nous avons discuté.
La séance est levée.