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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones


Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 15 - Témoignages


OTTAWA, le mardi 13 mai 2003

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, à qui a été renvoyé le projet de loi C-6, Loi constituant le Centre canadien du règlement indépendant de revendications particulières des Premières nations en vue de permettre le dépôt, la négociation et le règlement des revendications particulières, et modifiant certaines lois en conséquence, se réunit aujourd'hui à 9 h 18 pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Thelma Chalifoux (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Je vous en prie, monsieur Erasmus.

M. Bill Erasmus, chef régional, Assemblée des Premières nations: Madame la présidente, honorables sénateurs, je crois savoir que vous avez un exemplaire de mon exposé. Vous m'excuserez de n'avoir pas pu vous en procurer un plus grand nombre de copies. Je vais lire mon intervention, après quoi je serai disposé à répondre à vos questions.

Je vous remercie de bien vouloir m'accueillir aujourd'hui pour commenter le projet de loi dont vous êtes saisis. L'avenir de ce dossier qui dure depuis fort longtemps repose en grande partie entre vos mains.

Je suis le chef adjoint de l'Assemblée des premières nations. Je suis également le chef national de la nation dénée. Malheureusement, le chef national de l'APN n'a pas pu venir aujourd'hui.

À titre de président du Comité des chefs chargé des revendications, je m'occupe de ce dossier depuis quelques années et je suis en mesure d'avoir cette discussion avec vous.

Le principal problème du projet de loi à l'étude au Parlement, c'est qu'il n'atteindra pas les objectifs déclarés, soit rendre le processus plus rapide, plus équitable et plus efficace. Le conflit d'intérêts n'est pas éliminé et le gouvernement peut toujours retarder le processus. Le plafond imposé limitera de plus en plus le nombre de revendications que nous pourrons examiner.

Le nombre de revendications qui pourront se régler grâce à ce processus sera très limité. Le projet de loi écartera la plupart des cas concernant les terres visées par des traités et des initiatives unilatérales de la Couronne.

Vous remarquerez que nous nous sommes limités aux problèmes les plus flagrants que présente le projet de loi. Il comprend en outre un grand nombre d'autres lacunes que nous laisserons de côté.

Lorsque le projet de loi a été présenté, nous étions plein d'espoir, mais nous n'avons pas relevé d'améliorations par rapport au statu quo. Notre point de vue a été confirmé par la plupart des Premières nations et l'observateur indépendant avec qui nous nous sommes entretenus. Nous pouvons seulement vous demander d'étudier sérieusement notre analyse et de recommander que le projet de loi soit complètement remanié grâce à une démarche conjointe.

Si vous écoutez les différentes Premières nations visées par le projet de loi, vous constaterez que presque aucune ne peut l'appuyer dans sa forme actuelle sinon les quelques fonctionnaires fédéraux qui l'ont élaboré. Que nous sachions, il n'existe aucun soutien pour le projet de loi dans sa forme actuelle au niveau de la base.

Votre sommaire du projet de loi fait allusion au rapport du groupe de travail mixte et signale les problèmes ainsi que les dispositions qui ne sont pas assez claires. Il fait remarquer de nombreuses omissions. Par exemple, il n'y a pas de disposition de non-dérogation, aucun délai n'est fixé et il ne semble pas y avoir de justification claire pour de nombreuses dispositions. Nous ne pouvons que remercier la Direction de la recherche parlementaire de ses observations objectives et raisonnables sur le projet de loi.

Notre conclusion, c'est que le projet de loi est tellement imparfait et que le comité ne saurait le rendre acceptable. Il faut une révision en profondeur. Il ne sert pas à grand-chose d'essayer de recommander des amendements précis, car ils seraient trop importants pour que vous puissiez les étudier correctement dans les délais prévus. Nous avons demandé au gouvernement de retirer ce projet de loi et de renouer avec la démarche coopérative et constructive qui caractérisait les travaux du groupe de travail mixte.

Le projet de loi C-6, Loi sur le règlement des revendications particulières, est très important pour la plupart des Premières nations, car un grand nombre d'entre elles ont perdu des terres, de l'argent ou ont été lésées parce que le gouvernement n'a pas honoré les obligations que lui imposait la loi.

Il faut souligner ici que la plupart des Premières nations ne considèrent pas les audiences des comités parlementaires comme des consultations adéquates sur un projet de loi aussi complexe. Les Premières nations ne donnent absolument pas leur consentement à cette mesure. Il est très important que vous le compreniez, car nous croyons que la façon dont ce projet de loi est étudié n'est pas conforme aux normes élevées de conduite attendues d'un fiduciaire.

Un grand nombre de ces revendications découlent directement de la relation de fiduciaire qui existe entre la Couronne et les Premières nations. Depuis la décision rendue en 1984 dans l'affaire Guérin, les tribunaux ont toujours dit que l'honneur de la Couronne était toujours en cause dans ces affaires. Selon nous, un fiduciaire ne devrait jamais se placer en situation de conflit d'intérêts.

Le projet de loi, dans sa version actuelle, perpétuera le conflit d'intérêts et entraînera des retards, deux problèmes que présente le processus actuel. Cela est contraire aux principes d'équité et à toutes les normes acceptées de la justice naturelle. Nous craignons que, si le projet de loi est adopté avec toutes les graves imperfections que nous avons repérées, de nombreuses générations encore ne trouvent pas la justice dans le système canadien.

Pour commencer, les obligations prévues par la loi doivent avoir la priorité sur les dépenses discrétionnaires. Il semble que le projet de loi s'écarte considérablement des recommandations du rapport remis en 1998 par le Groupe de travail mixte Premières nations-Canada sur les revendications particulières pour des raisons d'ordre strictement financier. La politique fédérale visant les Premières nations a toujours été guidée par la volonté de limiter les responsabilités et les dépenses

Les représentants fédéraux parlent des réalités budgétaires. Il ne semble pas y avoir d'équilibre entre les différents intérêts dans le projet de loi. Il vise à gérer les revendications et les dépenses fédérales sans guère tenir compte de la dette croissante que ces revendications représentent pour le Canada.

L'APN a toujours été disposée à coopérer à l'élaboration d'un cadre financier raisonnable, mais responsable et d'application rapide. Toutefois, il n'est ni raisonnable ni responsable de croire que payer 10 p. 100 des montants qui sont dus permettra de s'acquitter des obligations en souffrance. L'approche du groupe de travail mixte constitue la meilleure possibilité, pour les Premières nations et le Canada, de déployer des efforts constructifs et coopératifs qui, on l'a vu, peuvent s'avérer efficace.

Les Premières nations ont sacrifié un grand nombre de principes fondamentaux pour tenir compte des intérêts fédéraux. Malheureusement, il ne semble pas que le gouvernement fédéral soit disposé à faire les mêmes concessions, comme ses représentants l'ont recommandé en 1998.

Depuis la crise d'Oka, en 1990, l'APN a essayé de coopérer avec le Canada. Toutefois, cet effort s'est arrêté en 1998, car le gouvernement fédéral n'a pas donné suite aux recommandations élaborées conjointement et acceptées par nos représentants respectifs. Il a agi unilatéralement en proposant ce projet de loi.

Nous craignons maintenant que cette mesure législative ne réduise les Premières nations à une situation pire que leur impose le processus actuel. Par exemple, les revendications qui dépassent le plafond proposé ne pourront faire l'objet d'enquêtes publiques comme cela est possible pour l'instant avec la Commission provisoire des revendications des Indiens.

Nous avons peur que le projet de loi ne serve qu'à renvoyer à l'extérieur et à institutionnaliser le conflit d'intérêts et les retards qui caractérisent le processus actuel. Le projet de loi consacrera le droit du gouvernement fédéral de retarder l'étude des revendications, ce qui renforce le conflit d'intérêts au lieu de l'éliminer.

Le processus proposé pour nommer les membres de la commission et du tribunal reposera sur le même système de favoritisme dont tellement de Canadiens sont dégoûtés. Le ministre qui est chargé de défendre la Couronne contre ces revendications recommandera les candidats à nommer.

La nomination des membres de la commission et du tribunal devra être reconduit après un mandat relativement bref. Ce fait, ajouté à la capacité du ministre de retarder l'étude des revendications, permettra en réalité au ministre de téléguider l'ensemble du processus. Nous devons signaler que cette approche unilatérale est non seulement contraire au devoir de fiduciaire lorsque des griefs surgissent, mais qu'il est également contraire à la pratique retenue actuellement par le gouvernement fédéral dans les accords importants sur les revendications territoriales, où il est généralement prévu que les personnes nommées pour faciliter le règlement des différends sont choisies selon une formule mixte ou impartiale.

Une autre grande préoccupation, au sujet du projet de loi C-6, c'est que la définition de «revendication particulière» est plus restrictive que la définition actuelle, car elle exclut les initiatives unilatérales de la Couronne concernant les accords modernes sur les revendications territoriales et les obligations étroites, aux termes de traités particuliers, concernant des terres ou d'autres actifs. Le groupe de travail mixte a repris les critères existants à la lumière de la jurisprudence, en ajoutant les manquements aux obligations de fiduciaire.

Les revendications qui découlent d'initiatives unilatérales de la Couronne sont exclues du projet de loi, ce qui aura des conséquences catastrophiques pour de nombreuses Premières nations, surtout dans les provinces où la pratique qui existait avant la Confédération était souvent caractérisé par ces initiatives.

Aux termes du projet de loi, les Premières nations devront, pour accéder au tribunal, renoncer à ce que le gouvernement fédéral peut leur devoir au-delà d'un seuil de 7 millions de dollars. Non seulement il empêche de recourir au tribunal pour la plupart des revendications, mais il fait aussi disparaître l'incitation à négocier efficacement dans le cadre de la commission.

Ce manque d'incitation à conclure des règlements négociés est l'un des plus graves problèmes du processus actuel. Or, rien n'est prévu à l'égard des revendications plus importantes sur lesquelles le tribunal ne pourra se prononcer. Comme vous le savez, les tribunaux généraux ne sont pas une solution réaliste pour les Premières nations, qui ne peuvent se permettre les dépenses et les retards qui caractérisent le système judiciaire.

Un autre inconvénient des recours judiciaires, c'est la capacité du gouvernement d'invoquer des moyens de défense techniques comme des droits de prescription. Cela est tout à fait injuste, car les Premières nations n'ont pas pu présenter leurs revendications rapidement. Jusqu'en 1951, en effet, il était illégal pour elles de retenir les services de conseillers juridiques pour présenter des revendications.

Le ministre des Affaires indiennes a dit qu'il ne voulait pas voir les Premières nations dépenser des ressources précieuses pour engager des avocats et des consultants. Toutefois, si les Premières nations n'ont d'autre choix que de recourir aux tribunaux, il faudra beaucoup plus d'avocats et de consultants.

Nous estimons que le gouvernement fédéral est tenu par la loi de consulter les Premières nations au sujet des dispositions détaillées du projet de loi. Par conséquent, nous ne croyons pas que ce projet de loi soit légitime ni conforme aux devoirs de fiduciaire de la Couronne. Nous ne pouvons avoir un système qui perpétue les retards dans l'étude des revendications.

Le devoir de fiduciaire n'est pas une simple généralité. Cette relation exige un système national conforme aux normes d'éthique les plus élevées.

Depuis 1998, il n'y a aucun dialogue réel. Les Premières nations n'étaient pas au courant du contenu du projet de loi avant sa présentation, en juin 2002.

Le comité parlementaire ne saurait remplacer des consultations suffisantes. Le ministre a promis à nos dirigeants et dit à un grand nombre de Premières nations que nous aurions amplement l'occasion de présenter nos préoccupations au comité permanent. Nous craignons qu'on ne consacre pas à cette importante question suffisamment de temps et de ressources. Beaucoup de chefs ne croient pas que ce comité pourra corriger de façon acceptable les graves imperfections de ce projet de loi complexe.

Nous avons tous intérêt à ce que ces revendications se règlent équitablement. Nous devrions faire disparaître ces injustices. On a refusé aux Premières nations la capacité de devenir autonomes en grande partie parce que des territoires ou d'autres actifs leur ont été refusés. Aucun Canadien n'accepterait pareille situation ou pareil traitement de la part d'un gouvernement.

Nous avons essayé en vain de rétablir un partenariat à cet égard. Pourtant, malgré son discours sur le partenariat et la coopération, le gouvernement a refusé de travailler avec nous pour corriger les graves problèmes de ce projet de loi, malgré nos demandes répétées. Ce projet de loi repose sur le favoritisme, non sur des principes.

Beaucoup de Premières nations éprouvent des difficultés parce qu'elles ont été lésées. Le gouvernement rejette les promesses qu'il a faites dans son livre rouge, où il était dit clairement que la mise en place d'une commission indépendante serait une entreprise conjointe et que ses membres seraient nommés conjointement.

Quel message le gouvernement envoie-t-il aux jeunes des Premières nations lorsqu'il renie le produit d'un effort commun et douze ans de négociations menées de bonne foi? Il semble que le gouvernement a d'autres priorités que d'honorer ses obligations aux termes de la loi.

Pour conclure, nous estimons que le projet de loi prend les problèmes actuels, les maquille, renvoie le processus à l'extérieur et l'institutionnalise. Par conséquent, le projet de loi ne peut atteindre les objectifs énoncés, soit rendre le processus plus juste, efficace et efficient.

Nous demandons au comité de jouer son rôle, c'est-à-dire faire contrepoids à l'imposition unilatérale de mesures arbitraires. Faites ce qui s'impose et veillez à ce que le projet de loi soit remanié de façon à le rendre acceptable pour les Premières nations.

Nous vous renvoyons au rapport publié en 1979 par Gérard La Forest au sujet d'un mécanisme indépendant pour régler les revendications particulières. Il y écrit plus d'une fois que tout système doit non seulement être juste, mais aussi être juste envers les Indiens. Nous sommes ici pour vous dire que ce projet de loi ne nous semble pas juste. Nous vous rappelons aussi qu'un retard à faire justice est un déni de justice.

Depuis 1993, j'ai l'honneur de présider le Comité chargé des revendications particulières. Notre organisme national a été créé au début des années 90. Au début, nos Premières nations voulaient que nous nous occupions de tous leurs dossiers, ce qui comprenait les revendications particulières, les revendications globales et les traités. Ce fut notre approche initiale.

M. Pangowish et M. Schwartz ont comparu devant vous et vous ont donné une information générale, vous expliquant les problèmes que nous avons connus au départ. Ils ont parlé du début de notre dialogue et expliqué comment nous avions dû faire des compromis et rallier notre population.

Au début, notre population ne voulait pas participer à ce processus parce que, selon elle, c'était une démarche à courte vue, sans la portée plus vaste et l'orientation qu'elle souhaitait. Toutefois, en rencontrant le ministre Irwin, nous avons constaté qu'il n'avait pas le mandat voulu pour aborder toutes ces questions. Il nous a promis de s'occuper des revendications particulières, de donner une impulsion de ce côté et de nous guider dans ce processus. Après, nous pourrions passer aux revendications globales, puis aux traités. Telle est l'approche que nous avons adoptée en 1996.

Nous avons été très heureux d'avoir un processus mixte, le premier processus national de cette nature. Là encore, nos gens étaient prudents. À la fin, le rapport nous a été remis et, après l'avoir étudié, nous l'avons appuyé parce que nous voulions aller de l'avant. Nous voulions faire ce qui était juste. Mais le rapport s'est enlisé dans le système. Je sais que vous avez pu interroger le ministre et certains de ses collaborateurs à ce sujet.

J'ai peut-être tort, mais j'ai lu le compte rendu textuel de vos délibérations, et il me semble qu'ils traitent ce projet de loi comme une mesure législative ordinaire: un comité l'étudie, il fait un rapport, la mesure revient et, en fin de compte, le gouvernement peut apporter des changements et proposer les mesures qui lui plaisent.

Nous croyons que ce cas est différent. Il existe une relation claire de fiduciaire. Il s'agit ici de questions constitutionnelles prévues à l'article 35 ou au paragraphe 91(24). Il y a des dettes, des obligations légales du Canada, de l'argent et des terres qui sont dues à nos peuples depuis fort longtemps.

Jamais dans son histoire, le Canada n'a laissé une dette impayée. Dans ce cas-ci, le Canada a établi un système dans lequel il détermine le processus et le résultat et, dans bien des cas, il refuse de payer sa dette et il s'en tire. Cette situation sort de l'ordinaire.

Nous ne sommes pas d'accord non plus avec le ministre lorsqu'il dit que les dirigeants et la base ne partagent pas le même point de vue. Il n'y a aucune divergence. On indique que M. John a été chargé par le gouvernement de parcourir le Canada et de nous parler. M. John a fait savoir que sa visite ne constituait pas une consultation, bien que, au cours de nos discussions, nous ayons essayé de trouver un terrain d'entente. De toute évidence, nous voulions discuter avec le Canada pour présenter ce projet de loi pour que nous ayons une mesure originale.

Voilà notre dilemme aujourd'hui. Nous voulons avoir une attitude positive et constructive et faire en sorte que ce processus fonctionne. Nous avons de nombreux problèmes dont nous sommes prêts à discuter avec vous.

Mes collègues ont passé un certain temps avec vous. Nous devons dire qu'il s'agit d'une discussion fort longue. Je sais qu'ils n'ont pas eu la possibilité d'aborder tous les points qu'ils voulaient traiter. Aujourd'hui, il s'agit de savoir si nous avons toujours cette possibilité. Quant à la façon de procéder, nous nous en remettons à vous.

La présidente: Je dois présenter des excuses. Cela ne se produira pas aujourd'hui, car je pense que la chose la plus importante est votre exposé, monsieur Erasmus.

Avant d'inviter mes collègues à poser des questions, je voudrais en poser quelques-unes.

Je n'ai pas participé aux consultations sur le projet de loi proposé. Je crois comprendre qu'il met sur pied un centre chargé des revendications territoriales, une sorte de guichet unique. Êtes-vous d'accord là-dessus? Je crois comprendre également que ce centre sera l'amorce d'un cadre pour mettre en place les institutions d'autonomie gouvernementale.

Qu'en pensez-vous? Je voudrais connaître votre point de vue. Avant de nous engager dans le processus, tirons cela au clair.

M. Erasmus: Selon moi, le projet de loi vise à établir une commission et un tribunal qui pourront faire avancer l'étude des causes. Je ne crois pas qu'il s'agit d'un guichet unique parce qu'il ne permettra pas d'étudier toutes les revendications possibles. En réalité, nous trouvons qu'il risque d'entraver le processus à un tel point qu'un nombre encore plus faible de revendications seront étudiées.

La présidente: Vous en revenez au processus. Le ministre a affirmé que ce centre sera le début des institutions d'autonomie gouvernementale. Voilà ce qu'il a dit. Que répondez-vous?

M. Erasmus: Selon nous, ce n'est pas une question d'autonomie gouvernementale. Il ne s'agit pas de notre capacité d'acquérir ces moyens et d'exercer le droit inhérent, par exemple.

Ce qui est proposé est censé être indépendant des Premières nations et du Canada: une commission et un tribunal indépendants qui peuvent accélérer l'étude des revendications et contraindre le Canada à ne plus retarder le processus.

Vous confondez peut-être le projet de loi avec la mesure qui porte sur les relations financières. Je pense que cette mesure vise davantage à relever les normes en matière financière et à proposer des incitatifs à cet égard à nos collectivités.

La présidente: Le Centre de règlement des revendications particulières se composera d'un premier dirigeant et de deux divisions, la commission et le tribunal. Le premier dirigeant et les membres de toutes les divisions sont nommés par le gouverneur en conseil sur recommandation du ministre.

La Groupe de travail mixte a proposé que les nominations se fassent sur recommandation conjointe de l'APN et du ministre, en tenant compte de la représentation régionale. Les témoins de l'APN qui ont comparu devant le comité et aux Communes ont souligné que le régime de nomination prévu dans le projet de loi C-6 est une source de graves préoccupations pour les Premières nations. Le ministre dit, de son côté, que l'APN est consultée au sujet des candidats possibles.

De quelle façon l'APN compte-t-elle répondre à l'invitation du ministre à participer au processus en proposant des candidats possibles?

M. Erasmus: Au cours de nos premiers entretiens et durant le processus du Groupe de travail mixte, il était question d'établir un organisme indépendant pour les Premières nations. Nous envisagions un organisme indépendant à qui nous pourrions faire part de nos préoccupations.

J'ai peut-être mal compris, mais, pour nous, cela n'a rien à voir avec l'autonomie gouvernementale. Il s'agit plutôt d'une occasion d'avancer au sujet de ces obligations légales.

La présidente: Pour vous, ce n'est donc pas, comme ils disent, un Centre?

M. Erasmus: C'est peut-être une question de terminologie. «Centre» désigne un endroit ayant une fonction particulière et pouvant donner un service, par opposition aux tribunaux.

La présidente: Ce n'est pas ainsi que vous le voyez?

M. Erasmus: C'est un organisme de service, par opposition aux tribunaux, mais ce n'est pas un centre pouvant nous donner la possibilité d'exercer l'autonomie gouvernementale.

M. Bryan Schwartz, conseiller juridique, Assemblée des Premières nations: Honorable sénateur, vous avez parlé d'un guichet unique. Beaucoup de bandes ayant des revendications particulières sont incapables de s'adresser au centre parce que les critères ont été resserrés. Une fois qu'on a accès au centre, on ne peut s'adresser qu'au tribunal si on est au-dessous du plafond. Si on dépasse le plafond, ce n'est plus un guichet unique pour un règlement obligatoire des différends. En fait, si c'est un tel règlement qu'on recherche, on doit recourir aux tribunaux.

Pour ce qui est de l'évolution des institutions d'autonomie gouvernementale, je n'insisterai pas sur ce point que vous avez soulevé vous-même, mais nous étions censés avoir un partenariat aussi bien en matière de politique que sur le plan des nominations. L'examen conjoint devait être fait par un organisme conjoint de décision.

Quand le gouvernement produit un projet de loi de partenariat, mais qu'il supprime toute mention de l'Assemblée des premières nations pour ne laisser que le ministre, cela n'augure pas très bien de la collaboration en matière de formulation des politiques.

[Français]

Le sénateur Gill: J'aimerais vous mentionner que j'ai été plusieurs années commissaire aux revendications particulières. La commission trouvait que l'organisme en place n'était pas efficace dans le sens que les réclamations qui étaient appuyées par la commission n'étaient souvent pas appuyées par le ministère des Affaires indiennes. On tournait en rond. Il y avait aussi un retard considérable de revendications.

La but visé était d'avoir un organisme qui pouvait permettre une certaine indépendance et une objectivité convenable. C'était déjà dans l'air, il y a quelques années, d'avoir un tribunal indépendant dont les juges pourraient être nommés simultanément par le gouvernement et par les Premières nations.

On me dit que le projet de loi C-6 va établir un tel tribunal. Mais l'objectivité du tribunal et la nomination des juges ne se font pas d'une façon équitable par les Premières nations et par le gouvernement: Je dois vous dire que l'on a deux interprétations. Dans ma communauté, on répète les même histoires depuis plusieurs années. Ils me disent qu'il essaie de régler des choses pour nous alors que nous voulons participer au règlement de nos propres choses.

Par contre le ministère et le gouvernement nous disent qu'ils vont essayer de régler le problème. Même si les chefs ne veulent pas, ils prétendent régler le tout quand même parce que la pauvreté continuera d'exister. On englobe tous les projets de loi.

Il semblerait qu'il y a deux versions. Les chefs ne veulent pas de ces projets de loi pour toutes sortes de raison que j'aimerais connaître. Cela ne cadre pas avec les responsabilités de fiduciaire du gouvernement car je crois comprendre que les chefs disent qu'ils ne sont pas suffisamment consultés. Les gens concernés ne sont pas consultés. Par contre, on dit qu'il y a eu 300, 400 ou 600 séances de consultation.

Sur la colline parlementaire, on comprend que ce sont les indiens ou les chefs qui ne veulent pas. Je simplifie la chose, mais c'est mon interprétation. Pourriez-vous nous éclairer concernant le projet de loi C-6? Pour le reste, l'on en reparlera à d'autres séances.

[Traduction]

M. Erasmus: Nous n'avons aucune raison d'exagérer ou de ne pas dire la vérité. Nous avons tous participé à des initiatives depuis des années. Notre nom et notre réputation sont en jeu. Nous ne serions pas venus ici pour vous raconter des histoires si nous étions satisfaits. Nous souhaitons très fort arriver à une entente. Nous avons entrepris ce processus ensemble. Nous étions enchantés d'avoir cette occasion. Les discussions ont été très franches. Nous n'avons pas gagné sur tous les plans, et le Canada non plus n'a pas gagné sur tous les plans. Nous avons cru comprendre que des recommandations seraient formulées et que les discussions se poursuivraient jusqu'au bout, c'est-à-dire jusqu'à l'adoption du projet de loi. C'est ce qui a été entendu, mais ce n'est pas ce qui s'est produit. Nous trouvons cela très malheureux.

Ensuite, il n'a jamais été question d'établir des liens avec d'autres mesures législatives. Vous êtes actuellement saisis d'une série de projets de loi. On ne nous a jamais dit que ces mesures avaient des liens entre elles. Ces discussions ont commencé bien avant qu'on parle de la Loi sur la gouvernance des Premières nations.

À ce moment, nous avons travaillé dans un certain esprit. Quand on entend le ministre parler de mesures législatives, il est important de faire la distinction entre ce projet de loi et les autres. Il y a sans doute des liens entre eux, mais il n'a jamais été question qu'ils soient adoptés ensemble. Je tiens à ce que cela soit très clair.

Les médias parlent beaucoup de la méfiance qui existe. Nous avons tenté d'y remédier. Nous avons essayé, pour la première fois, de collaborer sur une base nationale avec le Canada dans ce domaine.

Nous croyons savoir que le Sénat a le pouvoir de commander des études indépendantes pendant qu'il est en session. Nous vous demandons officiellement d'examiner la série de projets de loi pour déterminer si elle a des effets préjudiciables sur nos droits ancestraux et issus de traités. Nous aimerions que votre comité étudie cette question.

Nous ne sommes plus à l'époque où le Canada pouvait dire à nos peuples comment vivre. Nous avons montré que nous avons la capacité de nous gouverner. Le Canada convient que ce droit inhérent ne découle pas de la Constitution canadienne. Il est inhérent et fait partie de nous.

La tâche à accomplir aujourd'hui consiste à s'entendre sur des arrangements, puis à les mettre en œuvre. S'il est traité adéquatement, le projet de loi peut nous donner la capacité et les moyens de nous développer en temps que Premières nations.

L'argent en cause ne quittera pas le pays. Vous savez très bien où cet argent ira. Si nous l'empochons, il sera recyclé dans l'économie canadienne et, neuf fois sur dix, il aboutira dans des portefeuilles non autochtones parce que nous n'avons pas encore développé les institutions qui nous permettraient de le garder dans nos poches. Cet argent ne sera pas gaspillé. Il servira à édifier l'économie canadienne. Bonté divine, si le Canada nous doit cet argent, trouvons donc un moyen d'agir rapidement pour que le Canada puisse se débarrasser de sa dette.

[Français]

Le sénateur Gill: On m'a fait le commentaire que le projet de loi C-6 avait des incidences sur la protection constitutionnelle des Autochtones. Qu'est-ce que vous en pensez? Est-ce que ce projet de loi a un impact sur la protection constitutionnelle que peuvent avoir les Premières nations?

Au Sénat, nous avons un comité qui traite des affaires juridiques et constitutionnelles. Si ce projet de loi est adopté, quelles en seront les incidences ou les conséquences?

[Traduction]

M. Erasmus: Voulez-vous parler des conséquences s'il est adopté dans sa forme actuelle? Je crois que nous avons exposé nos préoccupations la dernière fois. Beaucoup des revendications ne pourront être soumises ni à la commission ni au tribunal. C'est une injustice, parce que les gens ont attendu. Les revendicateurs d'avant la Confédération attendent depuis plus de cent ans.

Je ne suis pas sûr d'avoir clairement dit ce que je pensais de l'existence d'une protection constitutionnelle. Pour moi, il y a des gens qui ont perdu des terres et des biens pour diverses raisons. Le Canada a la possibilité de remédier à cette situation. Cela incite les gens à s'appliquer de plusieurs façons.

Encore une fois, ce n'est pas un exercice d'autonomie. M. Schwartz et M. Pangowish ont peut-être quelque chose à ajouter. Ils ont étudié le projet de loi et en connaissent les détails.

M. Schwartz: Du côté défensif, le rapport du Groupe de travail mixte prévoit une disposition de non-dérogation pour protéger les droits autochtones issus de traités. Le gouvernement fédéral a unilatéralement supprimé cette disposition, comme il a supprimé de nombreux aspects du rapport du groupe de travail. Nous n'avons plus maintenant de disposition de non-dérogation.

Pour ce qui est de l'incidence de ces questions sur les droits constitutionnels des peuples autochtones, je vais essayer de répondre brièvement tout en abordant les points essentiels.

Beaucoup des terres et des biens qui sont en cause dans les revendications particulières relèvent de droits issus de traités ou de droits ancestraux. Il peut également s'agir de terres qui sont devenues des réserves et qui demeurent, dans une certaine mesure, protégées par l'article 35 de la Constitution. Cela suscite de graves préoccupations constitutionnelles dans la mesure où nous n'avons pas un système équitable et efficace pour remédier aux violations de ces droits.

L'obligation fiduciaire est prévue dans la Constitution. Le paragraphe 91(24) crée un lien fiduciaire qui n'engendre pas toujours des obligations juridiques fermes, sauf en cas de mauvaise gestion des terres et des biens, comme dans la récente affaire concernant les deux tiers des terres de réserves en Saskatchewan. Le gouvernement fédéral a l'obligation juridiquement exigible — qui comporte une très importante composante constitutionnelle parce qu'elle découle du paragraphe 91(24) — de remédier à cette situation.

Sur le plan de la forme plutôt que du fond, nous sommes d'avis que l'adoption du projet de loi dans sa forme actuelle serait contraire à l'obligation constitutionnelle qu'a le gouvernement de tenir des consultations s'il établit un système national pour régler les violations des obligations fiduciaires. La Cour suprême du Canada a clairement établi que l'obligation fiduciaire implique la consultation. Si on établit un système national, il faut procéder à des consultations nationales.

Le gouvernement a unilatéralement mis fin aux consultations après la publication du rapport du Groupe de travail mixte. M. Pangowish et moi-même étions présents quant un fonctionnaire fédéral nous a dit que le rapport du groupe de travail mettait fin aux consultations. M. Johns a dit clairement que ce processus n'est pas de la consultation. La consultation implique de tenir compte des préoccupations, pas seulement de bavarder puis d'agir à sa guise. Je prévois donc des répercussions juridiques si le projet de loi est adopté dans sa forme actuelle.

M. Rolland Pangowish, directeur, Section des traités et des terres, Assemblée des Premières nations: Même si le projet de loi resserre la définition des revendications fondées sur les traités par rapport à la politique actuelle, ces revendications formeront une importante proportion des affaires en cause. Tout règlement de revendications fondées sur des traités nécessite la signature d'une décharge par la Couronne. Il s'agit dans ce cas de dégager la Couronne d'une obligation en échange d'un règlement. Bien sûr, des questions constitutionnelles sont en cause, notamment en ce qui concerne les dispositions des traités qui bénéficient de la protection de l'article 35. Je crois que les préoccupations concernant les droits autochtones issus de traités vont plus loin.

Comme le conseiller juridique l'a signalé, ces préoccupations ont à voir avec la relation fiduciaire et les normes de conduite énoncées dans la décision Guérin de 1984. Ces normes doivent être très élevées à cause de la nature unilatérale de l'administration des terres et des biens indiens par la Couronne. C'est la nature des obligations fiduciaires.

La Cour a établi que l'honneur de la Couronne est toujours en jeu dans ces affaires. C'est pour cette raison que nous croyons que, pour éliminer les conflits d'intérêts, un organisme indépendant doit être à l'abri de toute manipulation par le gouvernement, qui est le défendeur dans les revendications.

Le sénateur Austin: J'aimerais vous présenter un autre aspect de ce projet de loi.

À la base, il s'agit simplement d'une offre du gouvernement fédéral qui n'a absolument rien d'obligatoire pour la communauté autochtone. Aucune collectivité n'est tenue d'entreprendre un processus quelconque aux termes du projet de loi C-6.

Dans le cas des revendications déjà en cours, la Commission sur les revendications des Indiens poursuivra son travail. Si les collectivités ne souhaitent pas recourir à ce processus, elles n'ont pas du tout à le faire. C'est une offre unilatérale de la Couronne dont les revendicateurs peuvent ou non se prévaloir, à leur gré. Je ne vois aucun problème constitutionnel dans cette affaire.

Je crois comprendre qu'à votre avis, le projet de loi est irrécupérable et qu'il est hors de question pour vous d'y souscrire dans sa forme actuelle. Vous voudrez bien me corriger si je me trompe.

Je suis le parrain du projet de loi, au nom du ministère. Je considère que c'est un progrès par rapport à la situation actuelle. Je n'ai jamais prétendu que c'est un projet de loi parfait.

J'estime cependant qu'il établit, dans l'ensemble, un meilleur processus. Il permet aux gens d'échapper à l'emprise du MAINC et crée un groupe spécial de personnes qui, on l'espère, seront dévouées à leur travail. Le projet de loi a, pour le moins, l'avantage de ne pas relever du MAINC. Il établit un processus indépendant qui est préférable au système actuel.

J'aimerais connaître votre réaction à cette observation.

Notre collègue, le sénateur Sibbeston, a probablement posé la question clé au ministre Nault au cours de notre séance du 6 mai 2003. Au sujet des nominations, le sénateur Sibbeston a dit qu'il voudrait proposer un amendement pour établir un mécanisme de consultation plus officiel.

Monsieur Erasmus, vous avez reçu une lettre du ministre offrant des consultations avant les nominations. Le sénateur Sibbeston a proposé de modifier le projet de loi de façon à prévoir un processus législatif de consultation.

Croyez-vous que la suggestion du sénateur Sibbeston soit acceptable?

M. Erasmus: Je suis intrigué par vos observations. Madame la présidente, je voudrais poser une question. Pouvez- vous nous expliquer de quelle façon ce processus est meilleur que celui qui existe?

Le sénateur Austin: Il est meilleur sous plusieurs aspects. Je l'ai expliqué dans le discours que j'ai prononcé au Sénat à l'occasion de la deuxième lecture du projet de loi.

Tout d'abord, il établit un processus plus efficace d'examen des faits avec les revendicateurs pour qu'il soit possible de s'entendre sur la nature de la revendication. Il crée en outre un groupe plus efficace et plus spécialisé chargé exclusivement de ce processus.

Le revendicateur n'est pas tenu de s'adresser au tribunal. S'il est insatisfait à ce stade, il n'aura subi aucun préjudice.

Le ministre nous a dit que le système actuel ne prévoit aucun délai dans lequel le gouvernement doit répondre. Dans le processus que le projet de loi établit, le ministère de la Justice doit, tous les six mois, rendre compte au ministre de la gestion de la revendication.

La commission a la possibilité de formuler un avis sur la validité de la revendication et d'informer le public de son point de vue lorsqu'elle confirme la validité. Comme les membres sont nommés à titre inamovible, ils ne courent aucun risque lorsqu'ils demandent à la Couronne de se conformer aux conclusions de la commission. Je considère qu'il y a du progrès sur tous ces points.

Je conviens avec vous que le projet de loi supprime les pouvoirs d'enquête. Je dirais, très franchement, que j'aurais préféré que ces pouvoirs soient maintenus, mais ils ne sont plus là.

Je cherche des raisons de poursuivre le dialogue avec le comité en vue d'améliorer le projet de loi. Vous nous dites que vous souhaitez nous voir rejeter d'emblée toute la mesure législative pour recommencer à zéro. J'essaie d'établir clairement la position de chacun.

M. Erasmus: Je vous remercie. J'apprécie vos observations.

Il est toujours difficile de comprendre ces questions. J'ai souvent essayé d'imaginer le point de vue d'un non- Autochtone qui examine cette situation complexe. Nous avons dit qu'à notre avis, le projet de loi est irrécupérable. Nous avons suivi tout un processus ensemble pour aboutir à un projet de loi. Toutefois, ce que nous voyons est tellement différent de ce que nous attendions qu'il est difficile de concevoir qu'il puisse fonctionner.

Vous avez la possibilité d'apporter des modifications, mais pas nous.

Je ne peux qu'imaginer la situation. Je n'ai jamais travaillé pour le gouvernement fédéral, ni d'ailleurs pour le gouvernement territorial ou une institution canadienne quelconque.

J'ai fait des études en sciences politiques pour essayer de comprendre le système. Je crois le comprendre dans une certaine mesure mais, en dernière analyse, c'est à vous qu'il appartient d'apporter des changements.

Vous connaissez le système. Vous savez ce qui est possible et ce qui ne l'est pas. Nous avons eu l'occasion de considérer cela.

Nous savons que si nous vous proposions quatre ou cinq recommandations fermes, vous prendriez probablement notre part et tenteriez de les faire adopter.

Le problème, c'est que le projet de loi est tellement différent de ce que nous attendions qu'il nous est difficile de trouver quatre ou cinq points forts qui permettraient de le changer suffisamment pour satisfaire nos gens.

Nous avons présenté des observations sur quelques-uns des problèmes. Je sais que M. Schwartz a des commentaires à ce sujet.

Le sénateur Austin: Permettez-moi une observation philosophique. Étant diplômé en sciences politiques vous savez que les gains les plus sûrs sont souvent ceux qu'on a réalisés petit à petit. Les grands gains — ou, comme on le dirait au base-ball, les coups de circuit — sont beaucoup plus difficiles à réussir. Par conséquent, vous pouvez évidemment choisir la position du tout ou rien si vous le souhaitez. Vous pouvez aussi nous dire: «Nous n'aimons pas beaucoup le projet de loi, même avec les cinq changements suivants, mais, avec ces changements, nous serions prêts à considérer qu'il s'agit d'un pas dans la bonne direction.»

C'est une approche possible. Vous avez le privilège de choisir la position qui vous convient le mieux.

M. Erasmus: Pour frapper un coup de circuit, il faudrait que les deux côtés jouent le même jeu.

Pourquoi le Canada nous fait-il cette offre? Ne convenez-vous pas qu'il existe une obligation fiduciaire? N'êtes-vous pas d'accord avec la Cour suprême du Canada quand elle dit que, dans des circonstances comme celles-ci, de vraies consultations sont nécessaires? Ce ne sont pas des circonstances ordinaires. Si nous pouvons en convenir, alors nous jouons le même jeu et nous pouvons discuter de la question de savoir s'il est avantageux ou non d'aller au premier but.

Le sénateur Austin: Permettez-moi de préciser ma réponse en disant que j'ai passé des dizaines d'années à étudier des questions de politique dans ce domaine. Je connais les décisions judiciaires qui examinent la nature de la consultation, notamment dans ma province, la Colombie-Britannique, avec la récente décision rendue dans l'affaire Haida Nation v. Weyerhaeuser.

Je crois que la consultation est un processus auquel le gouvernement fédéral recourt quand il veut imposer des changements à la communauté autochtone. Par définition, la consultation n'implique pas le consentement. Elle doit être complète, équitable et transparente.

Dans ce cas particulier, rien n'est imposé à la communauté autochtone. Il s'agit d'un processus que le revendicateur peut, à son gré, utiliser ou non.

Le sénateur Gill: Il n'y a pas de choix pour les Autochtones.

Le sénateur Austin: Au sens juridique, rien n'est imposé, sénateur Gill. Personne n'est tenu de se conformer à de nouvelles règles. Le revendicateur peut choisir ce processus ou ne pas le choisir. Comme il n'y a pas d'obligation, il n'y a pas non plus violation de relations fiduciaires. Il est important de faire cette distinction. Je ne parle pas du projet de loi C-7 ou du projet de loi C-19, je parle seulement du projet de loi C-6.

M. Schwartz: Je vais essayer d'être très bref parce que je sais que ce n'est pas mon tour.

Quand on parle d'obligations fiduciaires, on évoque une situation dans laquelle une partie a le pouvoir unilatéral d'agir au nom de personnes vulnérables. Ces revendications découlent de violations d'obligations fiduciaires. Je prétends que, lorsque cela s'est produit, le gouvernement avait l'obligation fiduciaire d'agir avec équité. Le gouvernement fédéral avait le devoir d'agir d'une manière positive pour créer des conditions dans lesquelles ces revendications pouvaient être réglées avec justice. Le gouvernement ne peut pas se limiter à dire: «Nous n'imposons rien. Nous pouvons maintenir la situation insatisfaisante qui existe à l'heure actuelle, avec un arriéré de 600 revendications. Le nouveau système ne représente peut-être qu'une mesure futile, mais il n'empire pas votre situation.» Une telle attitude est incompatible avec le devoir d'action positive du gouvernement fédéral qui, à titre de fiduciaire, devait affronter les conséquences de centaines de violations des obligations fiduciaires partout dans le pays.

Sénateur Austin, je vous remercie de votre observation disant que c'est un pas en avant. Il s'agit d'un point que nous avons de la difficulté à expliquer. Maintenant, la situation est claire. Je crois que chacun comprend qu'il n'y aura plus d'accès au processus d'enquête publique. Il nous a été difficile de faire en sorte que tout le monde s'en rende compte, mais je crois que c'est maintenant chose faite.

Certains croient que la commission peut encore se prononcer sur une revendication. Nous devons faire attention à cela. En situation d'arbitrage non obligatoire, la commission n'a pas de pouvoir aux termes de la Loi sur les enquêtes. Elle n'est habilitée ni à citer des témoins à comparaître ni à forcer le gouvernement fédéral à présenter ses arguments. Franchement, je ne crois pas que la commission ait le pouvoir de formuler un avis non obligatoire. Si vous assurez le financement, la mesure envisagée ne vous permet pas de participer à un processus de règlement à l'amiable. Qui est responsable du financement de la commission? Si c'est la commission qui en est responsable, elle ne peut pas prendre position en exprimant un avis sur la validité d'une revendication. De plus, après la tentative de règlement à l'amiable, vous devez vous présenter devant la commission pour dire que la tentative n'a pas réussi. La commission ne peut pas à la fois financer le processus, participer au règlement à l'amiable puis prendre une décision sur le bien-fondé de ce processus. Les responsables du règlement à l'amiable, les médiateurs, les conciliateurs, les arbitres sont tous censés être extérieurs à la commission.

Le projet de loi supprimerait l'accès aux enquêtes publiques. La Chambre a au moins examiné des amendements visant à autoriser le recours au processus d'enquête dans le cas des revendications dépassant le plafond. Malheureusement, les amendements ont été rejetés. Vous voyez à quel point il est difficile de faire confiance au processus d'amendement.

Qu'est-ce qu'on nous enlève d'autre? Pour la première fois, le ministre obtient, par voie législative, le droit de reporter sine die l'examen d'une revendication, aux termes du paragraphe 37(4). Bien sûr, il doit présenter un rapport, mais aucun délai, aussi long soit-il, ne peut être considéré comme un refus de négocier. Le ministère de la Justice n'accepte pas ce point de vue, mais nous pouvons au moins le présenter.

Le projet de loi inscrira de façon permanente le droit du gouvernement de reporter indéfiniment sa décision, sans que cela soit considéré comme un rejet de la revendication.

Je vais aborder très brièvement un autre point. Pour ce qui est d'enlever des pouvoirs au MAINC, vous avez mentionné que les gens étant nommés à titre inamovible, ils n'ont pas à s'inquiéter de ceux qui les nomment. Mais voilà, ils peuvent s'inquiéter de la reconduction de leur mandat, surtout si celui-ci est très bref. Qui est-ce qui s'occupe de cette reconduction? C'est le même ministre et le même gouvernement.

Nous avons des précédents qui établissent que, dans certaines circonstances, il est incompatible avec l'obligation d'impartialité du tribunal de prévoir des mandats courts, qui peuvent être reconduit par l'une des parties.

Après que la responsabilité eut été enlevée au MAINC, une chose subtile s'est produite après le Groupe de travail mixte. Dans le cadre du GTM, la commission aurait contrôlé ses propres politiques de dotation. Aux termes du projet de loi, il semble que les fonctionnaires actuels auront la préférence lors du choix du personnel de la commission. De même, les membres du personnel de la commission auront la préférence s'ils souhaitent revenir dans la fonction publique fédérale. La commission est tenue de rester à Ottawa. Elle ne peut pas avoir de bureau régional à l'extérieur de la capitale. Ainsi, et ses dirigeants et les membres de son personnel sont devenus un prolongement de la fonction publique fédérale. L'indépendance prévue n'existera pas. Pouvez-vous imaginer le scénario? Les gens qui ont passé une bonne partie de leur carrière à rejeter des revendications particulières seront les employés du nouvel organisme.

Je dis cela avec tout le respect que je vous dois. J'ai en effet le plus grand respect pour le sénateur Austin, pour sa carrière aussi longue que distinguée et pour la bonne foi dont il fait preuve dans l'examen du projet de loi.

Nous en sommes aux premiers stades du processus. Vous parlez déjà d'amendements. Notre premier objectif est de nous faire entendre.

Par exemple, la dernière fois, des représentants du gouvernement fédéral étaient là, affirmant qu'il n'y avait que deux différences. Nous croyons que ces différences étaient déjà en soi désastreuses, mais nous pouvons vous démontrer qu'il y en a bien plus de deux.

La présidente: Nous le faisons déjà et menons des recherches à ce sujet.

Le sénateur Austin: Je posais une question supplémentaire, mais M. Erasmus m'a demandé quelque chose, et nous nous sommes un peu écartés. Je voudrais comprendre clairement, monsieur Erasmus. Nous demandez-vous de ne pas adopter le projet de loi?

M. Erasmus: Nous vous demandons de ne pas l'adopter dans sa forme actuelle.

Le sénateur St. Germain: Je siège dans ces comités depuis vingt ans. Rien n'a changé. Peu importe quel gouvernement est au pouvoir, on veut faire des choses aux Autochtones, au lieu de faire des choses pour eux.

Je crois que je vous ai rencontré pour la première fois pendant l'étude du projet de loi C-68. Et ce sont les mêmes gens que nous voyons aujourd'hui qui vantaient alors les vertus de la consultation avec les Autochtones sur cette question particulière.

C'est encore la même chose. J'entends toujours la même chanson. Il n'y a même pas d'esprit partisan. Je veux parler du point de vue non autochtone.

Je vous ai écouté attentivement ce matin. Vous avez parlé de discussions avec l'APN concernant le projet de loi sur les revendications particulières, mais il a quand même été produit pour les bureaucrates par les bureaucrates du MAINC.

Je ne sais pas comment sortir de cette situation. Tout cela n'est pas très sérieux. Ils ne font que présenter plusieurs projets de loi tous en même temps. J'espère que leur véritable objectif n'était pas de créer de la confusion. Je suis très inquiet.

Le sénateur Chalifoux et plusieurs autres d'entre nous travaillent sur les difficultés des Autochtones dans les centres urbains. Les problèmes comme celui que nous avons devant nous anéantissent la foi et l'espoir de nos jeunes Autochtones.

J'entends le sénateur Austin dire que ce système n'est pas obligatoire. Je ne sais pas à qui les Autochtones doivent adresser leurs revendications particulières. Le chef Philips était assis dans mon bureau avec M. Pangowish. Nous avons tout examiné, étape par étape. Il y a d'importantes revendications qui doivent être réglées dans ce domaine.

Le sénateur Austin dit que personne n'est obligé de recourir à ce système. Eh bien, à quoi faut-il recourir pour régler les revendications? Les Autochtones sont désespérés par le prix extrêmement élevé des procès. Une injonction du Nunavut concernant le projet de loi C-68 est maintenant devant les tribunaux. La question que je me pose est la suivante: Où est le problème?

J'ai beaucoup de respect pour vous et pour le grand chef Coon Come, mais il semble que, peu importe où nous allons, nous en arrivons toujours au même point de complète frustration. Certains diront, je suppose, qu'il y a des Autochtones qui préfèrent ne rien régler du tout.

Nous avons des gouvernements — je ne parle d'aucun gouvernement en particulier — qui se montrent toujours tellement manipulateurs qu'ils ne réussissent jamais à régler les vrais problèmes et aboutissent constamment à la situation que nous avons aujourd'hui. Paul Martin affirme à qui veut l'entendre qu'il n'appliquera pas le projet de loi s'il est adopté.

Pouvez-vous penser à une façon d'établir un processus qui puisse être efficace des deux côtés et qui ne serait pas rejeté d'emblée par le MAINC et le reste de l'organisation?

M. Erasmus: Sénateur St. Germain, je me souviens en effet de nos discussions concernant le projet de loi C-68. Vous serez heureux d'apprendre que, par l'entremise de l'APN, nous avons des discussions avec le Centre canadien des armes à feu en vue de l'élaboration d'une initiative des Premières nations, mais cela se fait après coup. Quoi qu'il en soit, nous faisons des progrès.

La question que vous soulevez est fondamentale. M. George Erasmus et les autres membres de la Commission royale ont examiné ces questions. Vous voudrez peut-être les inviter à comparaître pour en discuter avec eux.

À cet égard, la confiance est l'un des problèmes les plus importants qui se posent. Je crois qu'il existe à la base un sentiment de méfiance entre les Premières nations et les Canadiens.

Beaucoup de Canadiens ont d'énormes difficultés à rejeter le mythe de l'extinction de nos droits sur nos terres, qui appartiendraient désormais au Canada. Le système semble vouloir à tout prix perpétuer ce mythe.

Je crois que les questions de ce genre ne devraient plus relever du Parlement canadien.

Le Canada convient que nos droits et privilèges ne découlent pas de la Constitution. Le Canada dit que nous avons un droit inhérent qui précède la Confédération. Si nous avons un tel droit, nous devons établir un mécanisme pour lui permettre de se développer.

Le Canada ne peut pas continuer à légiférer en notre nom. Il ne peut pas continuer à nous enlever nos droits. Il faut mettre en place un mécanisme qui permette d'examiner ces questions d'une manière compatible avec l'édification d'une nation. Le traité 8, qui s'applique à nous, a été signé avec le roi George V.

Ce sont des questions fondamentales que nous devons aborder. Il faudra du courage pour le faire pendant qu'il nous reste encore de la patience et de la bonne volonté.

Le sénateur Chaput: Je voudrais comprendre la différence, en matière de versement d'indemnisations, entre ce qui se passe maintenant et ce qui se passerait si le projet de loi C-6 est adopté.

Comment une revendication est-elle réglée aujourd'hui et comment le serait-elle aux termes du projet de loi C-6?

M. Erasmus: M. Pangowish connaît le système mieux que moi et pourrait mieux répondre à votre question.

M. Pangowish: Dans le processus actuel de règlement des revendications particulières, aucune indemnisation n'est accordée. Le processus consiste à «valider» les revendications. Nous n'aimons pas cette terminologie qui, à notre avis, contribue au conflit, le gouvernement étant juge et partie puisqu'il doit se prononcer sur des revendications contre lui- même.

Dans le processus de validation, le gouvernement accepte ou refuse de négocier une revendication. Comme les négociations durent trop longtemps, on tente d'en arriver à des règlements.

L'idée d'un processus indépendant visait à encourager la négociation et le règlement des revendications. Aujourd'hui, il faut des années pour que le processus actuel aboutisse à un règlement.

À l'heure actuelle, il n'y a pas d'indemnisation à moins de s'adresser aux tribunaux. Vous voudrez peut-être examiner la décision Bande indienne de la rivière Blueberry c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien) concernant la perte de revenus pétroliers, qui avait été rejetée par le gouvernement fédéral. Dans le cadre du processus relatif aux revendications particulières, chaque affaire devait être présentée aux tribunaux et passer par toutes les étapes pour atteindre la Cour suprême du Canada, qui attribuait une indemnisation.

Dans le processus proposé par le Groupe de travail mixte, on accordait la préférence aux règlements négociés. Les deux parties doivent être convaincues que le règlement envisagé constitue la meilleure solution possible, surtout si des terres doivent être restituées, parce qu'il faut alors l'accord des provinces, compte tenu de la division des pouvoirs au Canada. C'est d'ailleurs là un autre obstacle dans le règlement des revendications. On pensait néanmoins que s'il y avait un tribunal facilement accessible, cela suffirait pour encourager la recherche de règlements négociés, avec ou sans la participation des provinces. Le gouvernement fédéral serait plus porté à engager des négociations et à viser un règlement d'une façon plus efficace.

Le dernier problème, c'est l'existence même d'un tribunal facile d'accès. Bien sûr, c'est une occasion pour le revendicateur, sauf que le tribunal rend des décisions sans appel. On peut demander un contrôle judiciaire, mais, une fois la revendication présentée au tribunal, une décision doit être prise. Le choix est donc difficile pour les Premières nations qui ont des revendications.

Dans le modèle proposé par le Groupe de travail mixte, le tribunal pourrait accorder des indemnités sans plafonnement, selon les obligations établies au cours du procès. J'espère que vous ne trouvez pas ces explications trop compliquées, mais c'est ce qui a été proposé en matière d'indemnisation.

Aux termes du projet de loi C-6, même si une indemnisation peut être accordée, elle est limitée par le plafond de 7 millions de dollars, ce qui est pour nous un sujet de préoccupation. Le gouvernement soutient que 70 à 90 p. 100 des revendications peuvent être réglées en deçà de ce plafond. Les Premières nations, de leur côté, estiment que 90 p. 100 des revendications ne peuvent pas être réglées à moins de 7 millions de dollars. Nous avons donné pour preuve le fait que le 8 des 11 derniers règlements étaient supérieurs au plafond.

Le sénateur Chaput: Y aurait-il une différence entre les règlements négociés dans le système actuel et dans le système envisagé aux termes du projet de loi C-6? Une fois les décisions prises, le montant du règlement serait-il réparti différemment dans les deux cas? Comment vos gens seraient-ils indemnisés?

M. Pangowish: Lorsque nous avons présenté nos premières observations sur cette question en 1990, après la crise d'Oka, l'une de nos premières recommandations était de ne pas limiter les indemnités relatives à des obligations légales par des affectations budgétaires.

Un an plus tard, le gouvernement a établi une affectation budgétaire de 30 millions de dollars pour le règlement des revendications particulières. Le montant a été porté plus tard à 75 millions de dollars. Toutefois, le gouvernement peut obtenir plus d'argent du Conseil du Trésor en cas de règlement, mais nous ne parlons ici que d'une toute petite fraction de la dette globale. Le gouvernement commence à peine à entamer l'énorme arriéré de revendications particulières.

À notre avis, le projet de loi ne favorise pas vraiment le règlement du plus grand nombre de revendications. Au cours des trois ou quatre dernières années, il n'y a pas eu plus de deux ou trois règlements par an. Il est facile de voir qu'à ce rythme, il faudra très longtemps pour régler l'arriéré de 550 revendications, si elles sont toutes jugées valides, sans parler des 2 000 revendications supplémentaires qui, d'après nos estimations, n'ont pas encore été présentées.

En établissant une affectation budgétaire, le gouvernement limite le nombre de règlements possibles. Nous avions proposé, dans le cadre du Groupe de travail mixte, une affectation budgétaire, mais nous pensions à un montant beaucoup plus important conçu pour éliminer l'arriéré.

Le sénateur Chaput: Est-ce que cela s'est reflété dans le projet de loi?

M. Pangowish: Non.

Le sénateur Léger: D'après ce que j'ai entendu, monsieur Erasmus, le gouvernement perpétue les retards dans les dispositions actuelles du projet de loi C-6. En même temps, vous avez dit que le projet de loi C-6 ne laisse pas suffisamment de temps pour examiner les problèmes. Il me semble qu'il y a là une contradiction. D'une part, vous dites que le gouvernement perpétue les retards et, de l'autre, vous demandez plus de temps. Est-ce que je me trompe?

M. Erasmus: Je ne suis pas sûr de comprendre votre question. J'ai bien dit que le Canada a la possibilité de retarder les choses. Je ne suis pas sûr de comprendre le reste de la question.

Le sénateur Léger: J'ai cru vous entendre dire, d'un côté, que le gouvernement perpétue les retards et, de l'autre, que vous voulez plus de temps pour étudier ces questions.

M. Erasmus: Nous avons dit qu'il faut du temps pour remédier à la situation. Vous devez avoir le temps de prendre connaissance des préoccupations des gens partout dans le pays. Vous devez bien comprendre toute la complexité des questions qui se posent. C'est à cela que le temps doit servir.

Le sénateur Léger: Et cela ne perpétue pas les retards?

M. Erasmus: Nous ne parlons pas de retarder un processus quelconque. Nous voulons que cela fonctionne. À cette fin, vous devez écouter ce que les gens ont à dire. Cela est d'autant plus vrai que lors de l'élaboration du projet de loi, à l'étape du comité, les gens n'ont pas eu le temps nécessaire pour exprimer leur point de vue.

Le sénateur Léger: Cela s'est-il produit dans le cadre du Groupe de travail mixte? Il me semble que vous avez dit que les décisions n'ont pas été appliquées et que c'est la raison pour laquelle vous protestez.

Les gens ont-ils eu suffisamment de temps pour s'exprimer? En d'autres termes, j'ai l'impression, d'un côté, que le gouvernement perpétue les retards et, de l'autre, qu'un autre retard est introduit. Pour moi, c'est la même chose parce qu'on ne cesse pas de reporter les décisions.

La présidente: Je crois que le sénateur parle de l'article 30 du projet de loi. Le sénateur Léger dit que le ministre peut retarder indéfiniment la décision.

M. Erasmus: Si j'ai bien compris les dispositions actuelles, le ministre doit présenter un rapport tous les six mois. Toutefois, il n'est pas tenu de prendre une décision positive. Il peut reporter indéfiniment la décision en affirmant que d'autres études sont nécessaires. Il peut donc perpétuer sans fin les retards. C'est l'une des difficultés que nous avons.

Pour revenir à votre question, oui, nous avons bien collaboré avec le Canada aux premiers stades de l'élaboration du projet de loi. Malheureusement, la collaboration ne s'est pas maintenue. Serons-nous en mesure de recommencer? Cela dépendra beaucoup du Sénat.

Le sénateur Léger: Le projet de loi C-6, représentant la position du gouvernement, est sur la table. Si j'ai bien compris, les Premières nations n'ont pas une position semblable parce que vous n'avez pas de droits. Est-ce que je me trompe?

Vous avez dit que le gouvernement peut faire des changements, mais pas vous. Est-ce la raison pour laquelle vous n'avez pas proposé l'équivalent du projet de loi C-6? Autrement dit, nous avons proposé le projet de loi C-6, et il aurait été souhaitable que vous déposiez un projet, de votre côté.

M. Erasmus: Le système dont nous parlons ici n'est pas un processus des Premières nations, c'est un processus du Canada. Nous avons convenu de travailler ensemble à l'amélioration du processus canadien pour aboutir, en définitive, à un système indépendant de règlement de nos griefs. Ce système accélérerait les démarches, serait plus équitable et échapperait au contrôle du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. Voilà ce qui a été entendu. Malheureusement, nous nous sommes écartés de cette voie. Aujourd'hui, c'est à nouveau le Canada qui mène le jeu, ce que les Premières nations trouvent très frustrant.

Il y a deux semaines, la nation dénée s'est réunie pendant une semaine, en présence de tous les chefs. Nous considérons cette réunion comme une assemblée des gouvernements de nos collectivités, de nos gouvernements tribaux. Je suis le porte-parole de notre peuple lorsque nous nous réunissons.

Essayez donc d'imaginer ce qui arriverait si nous présentions un projet de loi ou une résolution décidant de votre avenir. Il est évident, dans cette situation, que le projet de loi serait très unilatéral et qu'il nous faudrait vous donner l'occasion de présenter vos arguments et de participer au processus.

Je ne sais pas si vous pouvez imaginer une situation de ce genre. En effet, il est peu probable que vous ayez connu des circonstances comparables, sauf dans les provinces. En définitive, c'est le gouvernement fédéral qui joue le rôle du parent. On peut comparer, mais ce n'est pas la même chose.

Le sénateur Léger: Je crois comprendre ce que vous voulez dire. Je ne me prétends pas experte en la matière. Est-ce que le Groupe de travail mixte a permis d'équilibrer la discussion?

M. Erasmus: Oui.

Le sénateur Léger: Le ministre Nault m'a dit que le projet de loi ne contenait que deux dispositions qui s'écartent des décisions prises par le Groupe de travail: la première concerne le plafond, et l'autre, les consultations concernant les nominations. Toutefois, il m'a dit que toutes les autres dispositions s'inspiraient des recommandations du Groupe de travail.

M. Erasmus: Nous avons entendu dire qu'il a affirmé que tout était pareil, dans le projet de loi, sauf le plafond et les nominations. Ce n'est pas vrai. De deux choses l'une, ou bien le ministre ne comprend pas les propositions présentées par le Groupe de travail, ou bien il ne comprend pas les dispositions du projet de loi. Nous sommes tout à fait prêts à discuter avec lui de ces questions.

Vous avez entendu des témoignages, je crois, qui établissent clairement qu'il y a plus de deux différences. Vous n'avez d'ailleurs pas entendu la totalité de ces témoignages. Les témoins devaient aborder onze grandes questions, mais n'ont eu le temps de parler que de trois d'entre elles.

La présidente: À trois, ils ont eu deux heures.

M. Erasmus: C'est exact, mais la question est complexe.

Le sénateur Sibbeston: Le projet de loi C-6 traite d'un processus destiné à régler des revendications mettant en cause deux parties: le gouvernement fédéral et les Premières nations. Quand on examine le projet de loi, on peut se demander s'il s'agit d'un processus équitable pour les deux parties.

Les membres du comité connaissent mon point de vue. J'en ai fait part au ministre Nault et aux fonctionnaires qui ont comparu devant le comité. Je crois que le Groupe de travail mixte a constitué un processus honorable. C'était un point de départ pour de bonnes relations et de bons résultats. Malheureusement, une fois le processus terminé et les recommandations formulées, la bureaucratie a tout gâché. Les membres du comité savent que j'ai fait part de mon insatisfaction aux fonctionnaires quand cela s'est produit.

Nous avons récemment examiné le processus d'évaluation environnementale du Yukon. Lors de l'étude du projet de loi, les Autochtones du Yukon, qui devaient traiter avec le gouvernement territorial et le gouvernement fédéral, ont été satisfaits du processus.

Les négociations des Autochtones avec le gouvernement peuvent aboutir à des résultats positifs. Tout l'historique des revendications territoriales, notamment dans le Nord, est assez positif.

Je voudrais aborder la question d'un tribunal indépendant. À mon avis, lors de la mise en place d'un tribunal ou d'un organisme chargé de prendre des décisions, on s'inquiète évidemment de plusieurs facteurs: le mode de nomination des membres, leur degré réel d'indépendance, compte tenu de leur mandat, la possibilité pour le gouvernement de les remplacer s'il est insatisfait de leurs décisions, la question de savoir si le tribunal est à l'abri de toute influence et s'il s'assure qu'une décision est toujours prise.

Après avoir étudié la question, après avoir entendu les observations de l'APN, j'ai élaboré quelques amendements que je crois utiles. Il y en a quatre ou cinq que j'aimerais présenter. L'un d'entre eux porte sur le processus de nomination. Je conviens avec vous que ce processus doit être conjoint. Autrement, il y aurait un net déséquilibre en faveur du gouvernement fédéral.

Pour le moment, le ministre peut reporter indéfiniment ses décisions. Rien ne l'oblige à trancher. Seriez-vous satisfaits s'il était possible d'établir un mécanisme qui imposerait au ministre de décider dans un certain délai, au-delà duquel la décision serait réputée positive?

Pouvez-vous admettre qu'avec des efforts sincères et consciencieux, nous pouvons travailler ensemble pour améliorer le projet de loi? Est-ce que l'APN serait intéressée à collaborer avec nous sur un processus de ce genre pour aboutir à un projet de loi qui, sans être parfait pour vous, constituerait au moins un pas en avant?

M. Erasmus: Nous venons de la même région du pays. Toutefois, je crois que nous avons connu des circonstances différentes. Au cours des trente dernières années, nous avons réussi à faire des progrès aux différentes tables de négociation qui ont été établies.

Nous avons de la chance par rapport aux gens du sud du 60e parallèle, parce que nous avons pu siéger à plusieurs tables de négociation: revendications globales, droits fonciers issus de traités, autonomie gouvernementale, partage des revenus des ressources naturelles, cession des droits sur le pétrole et le gaz, et cetera. Nous avons eu une situation idéale au Canada et avons réussi, très récemment, à signer un certain nombre d'accords.

Il semble d'ailleurs qu'un autre accord sera conclu avant l'été. Nous avons eu des améliorations parce que nos gens ont pu préparer des accords et établir des gouvernements.

Cela n'a pas été le cas dans le sud. Le projet de loi représente la seule solution pour beaucoup de gens. Dans la plupart des cas, les tables de négociation dont j'ai parlé n'ont pas été établies, sauf dans les Maritimes et dans quelques régions de la Colombie-Britannique.

Nous voulons avoir quelque chose de solide, sur lequel les gens peuvent compter. Nous voulons que nos gens envisagent le processus avec confiance et soient persuadés qu'indépendamment des résultats, un bon jugement présidera aux décisions prises. C'est notre objectif. Nous ne voulons pas qu'on empêche cela de se produire. Nous avons déployé beaucoup d'efforts en faveur d'un tel système.

Nous ne contrôlons pas le processus. Or vous nous demandez ce qui suit: Sommes-nous disposés à collaborer avec vous? Oui, nous le sommes. Nous ferons tous les efforts possibles pour améliorer le projet de loi et le rendre efficace.

L'une de nos difficultés, c'est que le Canada veut établir des liens entre ce projet de loi et d'autres. Cela peut occasionner des difficultés politiques.

Toutefois, en qualité de dirigeant politique, je crois pouvoir dire que nous souhaitons que ce système marche. Autrement, il nous fera reculer.

La présidente: Le comité a déjà décidé que les projets de loi C-6, C-7 et C-19 n'ont aucun lien entre eux. Nous avons pris cette décision lorsque nous avons reçu le projet de loi.

Greg Ahenekew, de la FSIN, a assisté à une séance d'information à mon bureau. Sa Fédération a proposé quatre amendements au projet de loi. Il m'a dit que la Fédération serait disposée à accepter le projet de loi à condition que les amendements soient approuvés.

M. Ahenekew et Wilson Bearhead font partie de l'APN. Je me suis entretenue avec eux à Saint Albert, et ils m'ont répété la même chose. Nous commençons lentement à travailler ensemble, mais ces amendements doivent être présentés au comité pour être examinés.

Le sénateur Sibbeston: Je suis encouragé par l'intérêt que vous avez manifesté pour une collaboration entre nous. Je crois que le comité est sincèrement intéressé à trouver une solution pour sortir de l'impasse.

J'étais présent à la manifestation tenue il y a une dizaine de jours. J'ai siégé à un comité organisé par l'APN. Lorsque les bureaucrates se sont écartés des recommandations du Groupe de travail, les Premières nations n'avaient plus l'impression de participer au processus comme membres à part entière. Elles se rendaient compte que leur point de vue ne comptait plus.

Peut-être serait-il possible, grâce à des réunions avec vous, de revenir sur la bonne voie, d'essayer d'apporter quelques modifications pouvant améliorer le projet de loi. J'aimerais beaucoup collaborer avec vous. J'espère aussi que le comité s'intéressera à cette collaboration.

J'ai écrit à mes collègues après avoir pris contact avec vous et avoir entendu la position du gouvernement fédéral. J'ai étudié la question et je suis arrivé à une conclusion quant à ce qui serait équitable et qui pourrait améliorer le projet de loi.

J'ai abordé quatre ou cinq questions. Je peux vous donner une copie de ce texte pour que vous ayez une idée de mes propositions. Si vous n'y voyez pas d'inconvénient et si le comité est d'accord, j'aimerais envisager des réunions avec vous pour essayer de régler certains de ces questions et d'en arriver à une entente. Je suis sûr que nous pourrons alors présenter un projet de loi qui serait meilleur que celui dont nous sommes saisis.

Nous pouvons essayer de sauver ainsi ce que nous pourrons de la situation. Je ne sais honnêtement pas s'il nous est possible de rejeter complètement le projet de loi.

Je suis conscient du processus démocratique et de notre position, en qualité de sénateurs nommés. Notre rôle consiste à faire un second examen objectif et à représenter les intérêts des minorités et des Autochtones dans les régions.

Nous offrons de pousser plus loin ce processus pour essayer d'améliorer le projet de loi. J'aimerais savoir ce que vous pensez de cette idée.

M. Erasmus: Nous serions heureux de collaborer avec vous. Je ne sais pas si cela implique des échanges officiels. Je ne sais pas si cela peut marcher. Nous aimerions en savoir davantage sur les modalités de ce processus.

De plus, il est important d'écouter, partout dans le pays, le point de vue des Premières nations qui ont perdu des terres et qui ont présenté des demandes dans le cadre de ce système.

La présidente: Vous avez notre liste de témoins.

M. Erasmus: Cela vous aidera à comprendre la situation.

La présidente: Nous devons être prudents à cet égard. Il faudrait qu'il y ait un second examen objectif des deux cotés. Nous n'avons pas généralement à travailler avec les Premières nations. Nous devons également tenir compte du point de vue du gouvernement. Nous devons faire attention à ce que notre point de vue ne soit pas perçu comme étant partial. C'est pour cette raison que j'apprécie les amendements proposés par Greg Ahenekew. J'aimerais que son groupe comparaisse devant le comité pour présenter ces amendements.

Nous comprenons beaucoup de ces amendements et des lacunes du projet de loi. Le comité doit prendre une décision. Nous devons prendre garde à la façon de procéder. Il faut éviter toute impression de partialité. À titre d'aînés au Parlement, nous devons faire un second examen objectif.

Le sénateur Watt: J'ai clairement entendu les témoins dire que les consultations ont été insuffisantes aussitôt que le Groupe de travail mixte a terminé ses travaux. J'ai clairement compris en outre que le processus de nomination est jugé déséquilibré. Cela est peut-être lié à la question des conflits d'intérêts soulevée par les témoins.

Je m'intéresse beaucoup au plafond artificiel qu'on veut fixer. Je veux connaître le point de vue autochtone. Comment est-on arrivé au chiffre de 7 millions de dollars? Qui a établi ce plafond? Qu'est-ce qu'il enlève aux gens qui ont des revendications ou des griefs contre le gouvernement?

Avec la possibilité d'augmenter ce montant, l'affaire est renvoyée devant la commission indépendante qui est apparemment établie par le gouvernement du Canada avec une participation insuffisante de la part des Autochtones. Je crois vraiment que ce mécanisme indépendant est réclamé depuis longtemps.

Je ne m'étendrai pas sur les autres questions que vous avez mentionnées quant à la composition de cette organisation, comme le tribunal et ce qu'il peut ou ne peut pas faire. Je crois que votre conseiller juridique a bien couvert la question, mettant en évidence les différences entre les dispositions du projet de loi et les recommandations du groupe de travail. Madame la présidente a souligné le fait que la question est déjà l'étude.

Je voudrais en savoir plus sur les 7 millions de dollars. D'où vient ce chiffre? Comment peut-on dire à quelqu'un que quelque chose ne lui appartient plus? Que l'affaire ne le concerne plus. Qu'elle est devenue extérieure, entre le gouvernement et les Autochtones. Comment cela peut-il arriver? C'est tout à fait inhabituel, du moins pour moi. Comment peut-on confier une telle affaire à une tierce partie? Car c'est un peu cela, n'est-ce pas? Pouvez-vous me l'expliquer, s'il vous plaît?

M. Erasmus: Comme nous l'avons dit plus tôt, nous souhaitions sincèrement la création d'un organisme indépendant qui se montrerait équitable aussi bien envers le Canada qu'envers les Premières nations. Au départ, il n'était pas question d'un plafond ou d'une limitation de l'avantage global qu'une Première nation pouvait tirer du processus.

M. Schwartz pourra sans doute vous expliquer la situation mieux que moi. On avait proposé des formules compliquées.

M. Schwartz: C'est l'un des compromis que nous avons acceptés. Le sénateur Léger voulait savoir quel projet de loi l'APN aurait proposé. Pour l'APN, le projet de loi idéal aurait compris les revendications globales et aurait expliqué qu'il s'agit là de dettes contractées il y a très longtemps et qu'il faut rembourser comme toute autre dette. L'un des compromis que nous avons acceptés au Groupe de travail mixte était un cadre financier prévoyant qu'un certain montant serait dépensé pendant cinq ans, mais sans plafond applicable à chaque revendication.

Après la fin des consultations, l'affaire a été transmise aux bureaucrates qui, au départ, ont proposé le chiffre de 5 millions de dollars, je crois. Ils prétendaient que cela couvrirait la plupart des revendications d'après l'expérience antérieure. J'ai essayé d'expliquer, au cours de la dernière audience, pourquoi nous estimons que ce chiffre n'a aucune base statistique valable. Rien ne permet de l'accepter compte tenu du fait que, sur 120 revendications examinées par la Commission sur les revendications des Indiens, moins de dix ont fait l'objet d'un règlement inférieur à 7 millions de dollars. La plupart des règlements conclus dans les trois dernières années étaient supérieurs à ce montant. Nous ne croyons pas qu'il soit valable, mais les bureaucrates y tiennent.

Madame la présidente, vous avez posé des questions sur les amendements et sur la possibilité de jouer un rôle constructif. Nous sommes disposés à examiner les amendements proposés par d'autres organisations autochtones ou par la Chambre des communes.

Les Communes ont fait plusieurs choses intéressantes au sujet de ce plafond. Certains députés ont proposé de l'augmenter sensiblement pour qu'il englobe réellement la majorité des recommandations, ce qui n'est pas le cas du plafond de 7 millions de dollars. Un autre amendement proposait de confirmer la validité de toutes les revendications mêmes s'il est impossible d'obtenir une indemnisation dans tous les cas, ce qui aurait été préférable à la situation où, après la commission, on ne peut plus s'adresser à personne. On a également proposé le maintien du droit à l'enquête publique qui existe actuellement sous le régime de la Commission sur les revendications des Indiens.

Dans une situation idéale, il n'y aurait pas de cadre financier. Ce n'est pas une position absurde. Elle n'est pas non plus réaliste puisque le gouvernement fédéral la rejette. Toutefois, en principe, il n'est pas déraisonnable de dire que ce sont des dettes comme toutes les autres. Si vous devez de l'argent à General Motors ou aux États-Unis, vous devez payer. Il n'y aurait pas de cadre financier. Nous l'avons cependant accepté, à titre de compromis.

Nous avons maintenant un plafond extrêmement bas, qui va exclure la grande majorité des revendications. Il ne suffit pas de penser à la valeur intrinsèque des revendications. Peu de chefs iront dire à leur bande: «Voilà une revendication d'une valeur comprise entre 5 et 15 millions de dollars. Êtes-vous d'accord pour que je réclame 7 millions?» Un tel chef ne serait jamais réélu.

Si vous voulez envisager des amendements, vous pouvez penser à fixer un plafond plus élevé, à confirmer la validité de toutes les revendications, à maintenir l'accès aux enquêtes publiques, et cetera.

En ce moment, l'APN rejette le principe d'un plafond applicable à chaque revendication. Toutefois, je ne sais pas si cette position restera la même en bout de ligne. Je suis technocrate, pas politicien.

Si le comité est intéressé, nous pouvons examiner les amendements proposés à l'autre endroit et par les autres organisations pour vous en expliquer le contenu technique et l'objet.

Il est assez désagréable de se montrer aussi négatifs, après avoir été tellement positifs et créatifs pendant les travaux du Groupe de travail mixte. Mais on nous a obligé à prendre cette attitude critique. Ce n'est pas volontairement que nous l'avons fait. Nous trouvons cette situation déplaisante, mais nous n'en sommes pas responsables.

Le sénateur Watt: Si une collectivité autochtone a une revendication ou un grief d'un montant énorme, par exemple 500 millions de dollars, elle ne peut réclamer que 7 millions de dollars. Au-delà, la commission ne s'en occupe pas.

Sur le plan administratif ou politique, le gouvernement agit ainsi à des fins budgétaires. Autrement dit, le MAINC a besoin d'un plafond pour être en mesure d'inscrire un certain montant dans son budget. N'est-ce pas ainsi que vous le voyez? Rien de plus qu'un outil dont le gouvernement se sert et dont vous ne pouvez rien tirer?

M. Schwartz: Le rapport du Groupe de travail mixte proposait un budget global.

Le sénateur Watt: Mentionnait-il un montant particulier?

M. Schwartz: M. Pangowish se souvient peut-être du montant exact. Je crois que c'était 250 millions de dollars ou plus.

M. Pangowish: S'il s'agit d'estimer ce qu'il en coûterait pour régler ces revendications, je dirais que c'est un montant mesurable, ce n'est pas un puits sans fond. Nous avons demandé aux responsables fédéraux de faire faire une évaluation indépendante. Ils ont fait une évaluation interne pour justifier le chiffre qu'ils ont avancé. De toute évidence, les dirigeants des Premières nations ne sont pas d'accord. Nous avons demandé une évaluation indépendante pour savoir ce que le gouvernement aurait à débourser pour régler toutes les revendications en attente.

Personne au gouvernement ne veut faire ce que nous avons demandé. Je ne sais pas si le Sénat pourrait le faire pour nous. Il devrait y avoir un moyen d'obtenir une estimation de ce qu'il en coûterait pour régler les revendications.

Le sénateur Watt: Aucune mesure législative n'est nécessaire pour obtenir une évaluation indépendante.

M. Pangowish: De toute façon, nous croyons qu'il est préjudiciable de fixer un plafond pour chaque revendication.

Le sénateur Watt: Vous préférez qu'il n'y ait aucun plafond. Avez-vous dit que le groupe de travail a proposé un montant global de 250 millions de dollars?

M. Pangowish: Il y a d'autres moyens de faire preuve de responsabilité dans la gestion des ressources de l'État.

Le sénateur Watt: Que souhaitez-vous au sujet des conflits? Comment voudriez vous remédier à la situation dans laquelle le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien est à la fois juge et partie? Quelle est votre recommandation à cet égard?

M. Schwartz: Notre recommandation se base sur le modèle du Groupe de travail mixte, qui est celui dont on se sert dans les accords modernes sur les revendications territoriales. Il y a des nominations conjointes.

Le sénateur Watt: Est-ce le premier ministre qui nomme la personne?

M. Schwartz: Non. L'Assemblée des premières nations et le gouvernement fédéral procèdent à une nomination conjointe.

Le sénateur Watt: Voulez-vous dire qu'une liste est produite et que le premier ministre s'en sert pour faire une nomination?

M. Schwartz: Le modèle du Groupe de travail mixte consistait à établir une liste conjointe à partir de laquelle le Cabinet fait les nominations.

Le sénateur Watt: C'est ce qui est proposé actuellement?

M. Schwartz: Aux termes du projet de loi C-6, les nominations et les reconductions sont faites unilatéralement.

La présidente: D'après la recommandation du Groupe de travail mixte, on ne pouvait nommer que les personnes recommandées à la fois par l'APN et par le ministre. La nomination est ensuite faite par le gouverneur en conseil.

Le sénateur Watt: La présidente a parlé des trois projets de loi. En ce qui concerne le projet de loi C-6, pensez-vous qu'il est relié d'une façon quelconque à l'article 35 ou qu'il réduit en quoi que ce soit vos droits à l'avenir?

M. Erasmus: Nous avons mentionné qu'il s'agit ici d'obligations légales, dont beaucoup découlent de traités. Elles relèvent donc de l'article 35, surtout s'il y a une disposition de non-dérogation.

Le sénateur Watt: Cette disposition nous cause de grandes difficultés.

M. Erasmus: Nous n'essayons pas vraiment de tout avoir du premier coup. Lors des premières discussions, avant que le Canada ne s'écarte du processus, les gens se rendaient compte qu'ils n'auraient pas gain de cause sur tous les plans au chapitre des revendications territoriales.

On nous a dit qu'il serait possible de revoir la question du plafond dans peu de temps. Toutefois, d'après le projet de loi, le plafond peut être réduit. Par conséquent, rien ne garantit qu'il augmentera, même si la majorité des revendications s'inscrivent dans cet intervalle. De plus, rien n'oblige le Canada à payer le plein montant le jour de la signature de l'accord. L'argent peut être réparti sur une longue période, allant jusqu'à 25 ans. Pendant ce temps, le Canada gagne l'intérêt, sans avoir à payer tout le principal. Cette situation se retrouve dans beaucoup d'accords modernes.

Par exemple, si on s'entend sur un règlement de 500 millions de dollars payable sur 25 ans, le Canada gagne l'intérêt que l'argent aurait rapporté pendant cette période. Il y a des moyens de s'organiser pour que le Canada et les Premières nations soient tous deux gagnants. On peut parvenir à des ententes avantageuses pour les deux parties.

La présidente: Je regrette d'être obligée de mettre fin à cette discussion aussi intéressante qu'utile. Je vous remercie.

M. Erasmus: Nous voudrions vous remercier, madame la présidente, ainsi que les membres du comité pour votre patience et vos bonnes questions. Nous serions heureux de revenir pour présenter d'autres observations. Il pourrait également être utile que nos spécialistes établissent un graphique qui vous permette de mieux comprendre les différences entre le système actuel et le système envisagé. La nouvelle terminologie qui est utilisée est souvent une source de confusion.

La séance est levée.


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