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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 16 - Témoignages du 28 mai 2003


OTTAWA, le mercredi 28 mai 2003

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, à qui a été renvoyé le projet de loi C-6, constituant le Centre canadien du règlement indépendant des revendications particulières des Premières nations en vue de permettre le dépôt, la négociation et le règlement des revendications particulières, et modifiant certaines lois en conséquence, se réunit aujourd'hui à 18 h 30 pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Thelma J. Chalifoux (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Bienvenue à la salle des peuples autochtones. Ce soir, nous examinons le projet de loi C-6, constituant le Centre canadien du règlement indépendant des revendications particulières des Premières nations et modifiant certaines lois en conséquence.

Je souhaite la bienvenue aux délégués du Congrès des chefs des Premières nations de l'Atlantique. Je vous cède la parole.

Le chef Jean Guy Cimon, membre exécutif du Congrès des chefs des Premières nations de l'Atlantique: Honorables Sénateurs, je tiens à déclarer, au nom du Secrétariat du Congrès des chefs des Premières nations de l'Atlantique, que nous sommes heureux de pouvoir partager avec vous nos connaissances, nos réflexions et nos préoccupations au sujet de la Loi sur le règlement des revendications particulières.

Les membres du comité sénatorial sont chargés non seulement d'entendre les préoccupations du public au sujet de cette nouvelle loi, mais aussi de l'amender en réponse aux préoccupations qu'elle pourrait soulever.

C'est pour cette raison que nous participons au processus, non seulement pour exposer nos idées et nos préoccupations au sujet de la Loi sur le règlement des revendications particulières, mais aussi pour recommander des changements à certaines dispositions cruciales de la loi qui, à notre avis, répondront à nos préoccupations.

Le Secrétariat du Congrès des chefs des Premières nations de l'Atlantique est un organisme de recherche et de revendication regroupant 34 chefs des Premières nations micmaque, malécite et de Pescomody des quatre provinces atlantiques et de la région de Gaspé, au Québec, y compris l'est du Maine. Le territoire Wabanaki compte environ 30 000 membres des nations micmaque, malécite et de Pescomody. De ces 34 collectivités, 15 ont une population de 500 personnes ou moins, 10 ont une population entre 500 et 1 000 personnes et neuf collectivités comptent entre 1 000 et 3 100 personnes.

Dans la présentation que nous avons livrée au comité permanent de la Chambre des communes sur ce projet de loi, en novembre 2002, nous avons exposé quelques statistiques cruciales sur le taux de règlement des revendications dans notre région, afin de mettre en évidence les lacunes du système actuel. Malheureusement, ce taux est resté le même et ces statistiques restent valables encore aujourd'hui. Depuis l'imposition de la politique sur les revendications particulières, en 1973, les Premières nations de l'Atlantique ont présenté environ 58 revendications particulières sous ce régime. De ce nombre, 26 revendications sont «à l'étude», 5 sont «en cours de négociation», 27 ont été classées dans la catégorie «autres» et 10 revendications ont été réglées. En nous basant sur les statistiques préliminaires, nous estimons qu'environ 23 000 acres de terre de réserve ont été prises illégalement dans notre région. La superficie de terre de réserve qui reste après ces prises illégales est d'environ 34 376,58 hectares.

Le taux de règlement des revendications dans la région Atlantique nous plonge dans le désarroi. Seulement 10 des 58 revendications présentées dans la région Atlantique depuis 1973 ont été réglées. Il a fallu 30 ans pour régler 10 revendications. À ce rythme, les revendications de la région Atlantique n'auront pas été réglées avant 150 ans, ce qui est tout à fait inacceptable.

Dans la région de l'Atlantique, une revendication relative à la dépossession illégale de 248 acres de terre, présentée en 1982, a finalement été réglée en novembre 2002, 20 ans plus tard.

Ces statistiques n'incluent pas le nombre de revendications particulières qui n'auraient pas été encore présentées sous ce régime. Selon le Centre de recherche sur les droits ancestraux et issus de traités (CRDAIT) de la Nouvelle- Écosse, 35 nouvelles revendications pourraient être présentées pour le seul territoire de la Nouvelle-Écosse et au moins 35 autres au Nouveau-Brunswick, sans compter les autres provinces.

Nous vous présentons ces statistiques parce qu'elles illustrent le fardeau imposé aux peuples autochtones et, en particulier, à nos petites collectivités de Premières nations. Nous devons nous assurer que les revendications particulières sont réglées de façon juste, honnête et équitable car, pour nous, cet enjeu est colossal. Notre population présente le taux de croissance le plus élevé au Canada et vit en réserve dans une large proportion — 70 p. 100 —; or, notre assise territoriale diminue.

Sur une note plus positive, signalons que nous avons des traités, des droits issus des de traités, des titres et des droits autochtones, protégés par l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

Par souci de protéger nos droits, nous voulons faire remarquer que les présentations des chefs au comité sénatorial ne doivent pas être interprétées comme une consultation significative, une justification pour porter atteinte aux droits autochtones et aux droits des traités des Premières nations Micmac, Malécite et Pescomody.

En 1998, après des années de travail en collaboration, les Premières nations et le Canada, par l'entremise de l'Assemblée des premières nations, ont produit un rapport de groupe de travail mixte établissant, dans un esprit de collaboration, l'assise permettant la création d'une entité véritablement indépendante chargée d'étudier les revendications particulières. Le groupe de travail mixte proposait l'établissement d'une commission et d'un tribunal dont les membres seraient nommés par les deux parties et qui permettraient une résolution rapide, juste et efficace de toutes les revendications à l'intérieur d'un cadre financier raisonnable.

Ces revendications impliquent des obligations juridiques issues d'ententes conclues par le passé entre le gouvernement fédéral et les Premières nations. Un important arriéré de plus de 500 revendications s'est accumulé et augmente d'année en année, tout comme le passif éventuel du gouvernement fédéral. Les communautés des Premières nations demeurent victimes de leur incapacité de jouir des terres et des actifs qui leur reviennent légitimement. La politique sur les revendications particulières du gouvernement du Canada vise à résoudre, par voie de négociation, les revendications liées aux manquements aux obligations légales de la Couronne.

Le projet de loi C-6, la Loi sur le règlement des revendications particulières, ne constitue pas une entité indépendante et impartiale destinée à résoudre l'énorme arriéré de revendications. En se posant comme juge et partie dans le règlement des revendications, le gouvernement perpétue le conflit d'intérêts en l'enchâssant dans la loi.

Nos chefs estiment que la Loi sur le règlement des revendications particulières ne maintient pas le principe essentiel du projet de loi proposé par le groupe de travail mixte. Telle qu'elle est proposée, cette loi crée un système encore pire. Au moins, avec l'actuelle Commission des revendications des Indiens (CRI), toutes les revendications font l'objet d'une enquête publique, d'un rapport et d'une recommandation non exécutoire.

On a tenté à plusieurs reprises d'établir un système indépendant et efficace pour résoudre ces revendications. L'initiative la plus prometteuse à cet égard est exposée dans le rapport produit par le groupe de travail mixte en 1998. Cette option était le fruit de discussions entre les représentants de l'Assemblée des premières nations et du gouvernement fédéral. Chaque partie s'était efforcée de tenir compte des préoccupations de l'autre, dans un esprit de partenariat. Ces discussions ont abouti à un projet de loi détaillé et techniquement valable sur la création d'un système apte à résoudre les revendications particulières.

Le groupe de travail mixte proposait l'établissement d'une commission et d'un tribunal dont les membres seraient nommés par les deux parties et qui permettraient une résolution rapide, juste et efficace de toutes les revendications à l'intérieur d'un cadre financier raisonnable.

Avec le projet de loi C-6, le gouvernement fédéral conserve la mainmise sur le système. Il ne crée pas une entité indépendante et impartiale destinée à résoudre l'énorme arriéré de revendications. Au contraire, le projet de loi permet au gouvernement de contrôler étroitement le rythme des règlements et les décisions. L'accès au tribunal est très restreint, le gouvernement du Canada a toute liberté de désigner les membres de l'organisme pour des mandats de courte durée et trouve avantage à retarder les règlements. Loin d'être considérées comme une dette ou une responsabilité légale, les revendications y sont assujetties à des dépenses discrétionnaires qui doivent être étroitement contrôlées. Le gouvernement du Canada demeure juge et partie et perpétue ce conflit d'intérêts dans la loi.

En réalité, le projet de loi C-6 créerait un système pire que le régime actuel: au moins, celui-ci fait en sorte que toutes les revendications fassent l'objet d'une enquête publique, d'un rapport et d'une recommandation non exécutoire.

L'approche adoptée par le groupe de travail mixte consistait à travailler à partir de la définition formulée dans l'énoncé de politique fédéral officiel — le document intitulé «Dossier en souffrance,» publié en 1982 —, en y apportant un modeste élargissement à la lumière de la jurisprudence accumulée au cours des dernières décennies. Le projet de loi C-6 resserre la définition de revendication, même en comparaison de la politique fédérale actuelle. Celle-ci exclut les obligations issues des traités ou des accords qui ne concernent pas les terres et les actifs, les engagements à fournir des terres et des actifs pris unilatéralement par le gouvernement fédéral et les revendications fondées sur les lois du Canada issues de lois du Royaume-Uni ou de proclamations royales.

Le projet de loi C-6 ajoute également une liste de revendications qui ne peuvent être déposées: revendications de moins de 15 ans, revendications fondées sur les accords de revendication territoriale entrés en vigueur depuis 1974, revendications fondées sur un accord inscrit à l'Annexe au projet de loi, revendications concernant une aide financière ou la mise en œuvre de programmes concernant le maintien de l'ordre, l'exécution de la réglementation, les services correctionnels, l'éducation, la santé, la protection des enfants, l'aide sociale ou des programmes ou services publics semblables, revendications fondées sur un accord prévoyant un autre mécanisme de résolution des différends et revendications fondées sur les droits ou titres autochtones.

Le groupe de travail mixte n'a pas limité l'importance financière des revendications qui pourraient être présentées au tribunal. Le projet de loi C-6 limite le niveau d'indemnité des revendications à 7 millions $. Le montant peut être réduit ou haussé. Nos chefs prévoient que la grande majorité des revendications dépassera cette limite. En prévoyant le contraire, le gouvernement fédéral semble sous-estimer la valeur des revendications. La CCI indique que seulement 3 des 120 revendications particulières qui lui ont été présentées représentaient une somme de moins de 7 millions $.

Après avoir examiné le rapport du groupe de travail mixte de 1998, le Congrès des chefs des Premières nations de l'Atlantique estime que le modèle proposé dans ce rapport nous indique ce qui peut et doit être fait dans un esprit positif et constructif. Le Congrès invite le gouvernement à revenir à l'essentiel et à l'esprit de ce rapport et à régler les questions en suspens dans un esprit de partenariat, d'équité et de justice.

Nous devons créer un nouveau texte de loi prévoyant un mécanisme de résolution des revendications particulières qui soit globalement indépendant et efficace. Nous vous demandons, aujourd'hui, d'adopter une approche plus constructive, qui ferait en sorte que le Canada s'acquitte de ses obligations légitimes impayées à l'égard des communautés des Premières nations et respecte l'engagement qu'il a pris d'assumer ses responsabilités financières et de réduire la dette.

Les communautés des Premières nations obtiendraient justice et disposeraient des moyens concrets nécessaires pour promouvoir leur développement économique et social. Les entreprises n'appartenant pas aux membres des Premières nations bénéficieraient d'une augmentation des dépenses et des investissements des Premières nations. L'élimination des vieilles pommes de discorde nous permettrait d'envisager un avenir plus prometteur pour toutes les Premières nations, dans un esprit de coopération.

La promesse faite par le gouvernement fédéral dans les livres Rouges serait réalisée et le gouvernement créerait un antécédent en cette matière, qui bénéficierait aux Premières nations et à tous les Canadiens et servirait de modèle pour la communauté internationale dans le règlement des dettes envers les peuples autochtones.

Le Congrès des chefs des Premières nations de l'Atlantique souhaite que le gouvernement fédéral du Canada saisisse l'occasion qui se présente d'élaborer ensemble un nouveau projet de loi dont le véritable objectif serait le règlement juste, rapide et équitable des engagements légaux non payés par le gouvernement fédéral.

La Loi sur le règlement des revendications particulières ne fera que perpétuer un tort vieux de plus d'un siècle en imposant des mécanismes et des régimes inadéquats. Le gouvernement devrait plutôt travailler avec les Premières nations à réparer les torts et à soutenir le développement gouvernemental des Premières nations.

A-t-on mené une véritable consultation dans l'élaboration de ce projet de loi? Simplement, la réponse est «non».

Nous invitons le comité à tenir des discussions et des consultations significatives sur ce qui fonctionne vraiment — en termes de stratégies et de priorités — pour atteindre un résultat profitant aux deux parties, mais surtout aux peuples des Premières nations. Nous ne voulons pas consacrer plus de temps que nécessaire à souligner les failles du projet de loi C-6. Nous allons maintenant présenter nos recommandations.

Notre principale recommandation est de retirer le projet de loi. Le 18 septembre 2002, le Congrès des chefs des Premières nations de l'Atlantique a adopté unanimement une motion demandant au gouvernement fédéral de remanier complètement la Loi sur le règlement des revendications particulières afin d'y intégrer les éléments du rapport du groupe de travail mixte. Nos chefs ont aussi enjoint le gouvernement fédéral de s'acquitter de ses obligations fiduciaires envers les Premières nations en retirant la loi sous sa forme actuelle et d'adopter le processus de rédaction conjointe prévu dans le modèle du groupe de travail mixte. Notre position est conforme à celles de l'Assemblée des premières nations et d'autres groupes de Premières nations du Canada.

Notre principale recommandation est le retrait du projet de loi. Cependant, puisque le comité sénatorial permanent a la possibilité d'amender le projet de loi, nous aimerions apporter quelques suggestions de changements.

Premièrement, nous recommandons que les amendements apportés au projet de loi C-6 soient conformes aux recommandations du rapport du groupe de travail mixte de 1998. Aller de l'avant avec le projet de loi actuel ne pourra que compromettre la résolution rapide, juste et impartiale des revendications.

Deuxièmement, nous recommandons le retrait de la disposition introduisant un conflit d'intérêts. Maintenir le pouvoir unilatéral du gouvernement fédéral sur les nominations et le traitement des revendications ne pourra que miner le caractère indépendant de la commission et du tribunal.

Troisièmement, nous recommandons que la nomination des membres de la commission et du tribunal soit assurée conjointement par le gouvernement fédéral et les Premières nations. Autrement, il y aura conflit d'intérêts si le ministre défendant la Couronne est le seul à détenir le pouvoir discrétionnaire de nommer les membres d'une entité chargée d'entendre les revendications. Le projet de loi actuel ne prévoit pas la participation directe des Premières nations.

Quatrièmement, nous recommandons que le traitement des revendications par la commission soit assujetti à un échéancier précis et efficace. Le projet de loi actuel offre beaucoup trop d'occasions au gouvernement fédéral de retarder le processus. On pourrait dire que le projet de loi «institutionnalise» ces retards.

Cinquièmement, nous recommandons le retrait de la limite appliquée au niveau d'indemnité des revendications. Le projet de loi C-6 apparaît pire que le processus actuel, qui prévoit le recours à une commission d'enquête pour les revendications qui ont été refusées par le gouvernement, sans égard à leur valeur monétaire potentielle. En vertu du projet de loi, les Premières nations ne pourront s'adresser au tribunal sans renoncer à la responsabilité fédérale de plus de 7 millions $. Même le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien a convenu, lors de sa comparution devant le comité, le 6 mai, qu'il souhaitait une plus grande souplesse dans la limite du niveau d'indemnité, car cela renforcerait l'autorité du tribunal.

Sixièmement, nous recommandons que la définition de «revendication particulière» comprenne les revendications issues de dispositions formelles de traités antérieurs à la Confédération. Le projet de loi actuel resserre la définition de «revendication particulière» par rapport à la politique actuelle. Les revendications issues de dispositions formelles des traités se limitent aux revendications territoriales et non à celles qui concernent nos droits ou les ressources en eau.

Septièmement, nous recommandons que le projet de loi soit amendé afin de prévoir une assistance financière substantielle à long terme. Le projet de loi C-6 vise plutôt à restreindre la responsabilité du gouvernement fédéral qu'à régler les revendications. Il laisse bien peu d'espoir d'éliminer l'arriéré sans cesse grandissant des revendications dans un avenir prévisible.

Huitièmement, nous recommandons un assouplissement des structures et des procédures proposées dans le projet de loi. Elles n'offrent pas la souplesse recommandée par le groupe de travail mixte et deviendront encore plus rigides dans les règlements que le gouvernement fédéral élabore présentement.

Neuvièmement, nous recommandons l'ajout de dispositions prévoyant un examen conjoint du processus. Dans le projet de loi C-6, ce pouvoir est laissé à la discrétion du ministre.

Dixièmement, nous recommandons que le projet de loi soit retiré afin qu'on y inclue les recommandations que nous venons de présenter. Les Premières nations que nous représentons ne croient pas que ce projet de loi respecte les normes de conduite élevées requises d'un fiduciaire. Le projet de loi C-6 laisse au gouvernement fédéral la tâche de décider lui-même de la validité des revendications particulières. La compensation y est déterminée par voie de négociation, le gouvernement fédéral détenant des pouvoirs considérables quant aux règles qui s'appliquent. Le gouvernement nous paraît donc en conflit d'intérêts, en tant que juge et partie.

Pour conclure, nous désirons rappeler une déclaration faite par le ministre Nault au cours des audiences du comité:

La Loi sur le règlement des revendications particulières, comme les autres lois, représente l'équité pour les Autochtones. Nous devons les écouter et entendre ce qu'ils nous disent au sujet du respect de nos promesses, de la reconnaissance de nos responsabilités et du besoin de les assumer pleinement. Nous devons susciter un respect mutuel et établir des relations de confiance afin que les Autochtones puissent jouir de la qualité de vie que tous les autres Canadiens et Canadiennes tiennent pour acquise.

Nous tenons à rappeler aux membres du comité que nous sommes ici aujourd'hui pour demander le retrait de ce projet de loi précisément parce que notre confiance a été trahie par nos partenaires fédéraux qui, après avoir discuté et rédigé avec nous le rapport du groupe de travail mixte, n'en ont pas tenu compte par la suite. Nous espérons que, par le biais des présentes consultations, les membres du comité pourront rétablir et maintenir les principes mis de l'avant par le rapport du groupe de travail mixte.

Nous répondrons maintenant à vos questions avec plaisir.

Le sénateur Stratton: Messieurs, j'apprécie votre présentation, car c'est la première à proposer des solutions crédibles. Vous nous avez présenté des options et nous l'apprécions. Je crois que tous ceux qui sont assis à cette table ont des préoccupations réalistes qui doivent être considérées.

Nous nous inquiétons notamment du fait que le gouvernement semble exercer des pressions pour que ce projet de loi soit adopté et qu'il continuera de le faire malgré que vous-mêmes et d'autres intervenants souhaiteraient qu'il soit retiré. Dans cette perspective, vous devez tenir compte de ce que nous pouvons faire, en tant que comité sénatorial, pour vous aider dans votre démarche pour harmoniser davantage ce projet de loi avec les principes du rapport du groupe de travail mixte, ce qui, à mon sens, est crucial. Encore une fois, je vous remercie d'avoir présenté vos recommandations.

Peut-être pourrions-nous regrouper des amendements susceptibles d'apaiser une partie du moins de vos inquiétudes — la limite de 7 millions $, par exemple, qui pose problème. En ce qui concerne l'engagement financier à long terme du gouvernement du Canada, l'échéancier est tout à fait irréaliste. La période d'engagement n'a pas de fin: elle pourrait durer trois, cinq ou sept ans.

De plus, le processus de nomination de la Commission elle-même doit être modifié. Je suis originaire des Prairies et je me souviens que nous avions remanié la Loi sur la Commission canadienne du blé, en y incluant, pour la première fois, une disposition prévoyant la nomination d'agriculteurs des Prairies à la Commission. Pourquoi ne ferions-nous pas la même chose dans ce cas-ci?

Ce ne sont que des exemples. Si nous devions proposer ce type d'amendements, pensez-vous que cela suffirait comme première étape et que nous pourrions nous accommoder de ce projet de loi et l'améliorer par la suite?

Le chef Cimon: Je pense que oui. Si on y apportait des changements, je pense que nous pourrions nous accommoder de ce projet de loi.

Le sénateur Stratton: Vous aviez toute une liste de recommandations. Il est entendu qu'il existe deux types de recommandations: celles qui concernent des éléments souhaitables et les autres, qui sont les exigences incontournables. J'aimerais que vous la réduisiez à l'essentiel. Autrement dit, quelles sont les conditions essentielles qui rendraient le projet de loi acceptable à vos yeux?

Quelles demandes inscririez-vous sur une liste de conditions essentielles? Vous n'avez pas à la produire aujourd'hui, mais j'aimerais que vous y pensiez et que vous reveniez nous la présenter, si vous le pouvez.

Le sénateur St. Germain: Le Sénat a apporté des amendements valables à certains textes de loi qui ont été adoptés. Nous examinons aujourd'hui le projet de loi C-6, qui sera suivi du projet de loi C-7 et d'autres encore.

L'Assemblée des premières nations a indiqué qu'il fallait éliminer les projets de loi et non les amender. Les Premières nations du pays ont-elle adopté une position claire à ce sujet? Devrions-nous nous efforcer de faire retirer ce projet de loi, quelle qu'en soit la forme? Ou devrions-nous essayer d'y apporter des modifications, comme ceux que vous avez proposés?

C'est un peu déroutant. Je suis dans l'opposition mais, en même temps, j'aime à penser que le Sénat est capable d'œuvrer de façon non partisane pour le bien de la collectivité autochtone.

Pouvez-vous préciser si vous nous demandez d'exercer des pressions, dans la mesure du possible, pour que le ministre retire simplement le projet de loi ou devrions-nous plutôt envisager sérieusement de le modifier? Le gouvernement a été plutôt raisonnable en ce qui concerne les questions autochtones. Nous avons examiné récemment le projet de loi C-10B sur la cruauté envers les animaux, que vous connaissez certainement, et qui pourrait entraîner des effets néfastes pour nos communautés autochtones. Le gouvernement a travaillé avec nous sur cette question.

Ce n'est pas un piège. Je vous demande simplement et en toute honnêteté de nous dire ce que vous attendez de nous.

M. John G. Paul, directeur exécutif du Congrès des chefs des Premières nations de l'Atlantique: Seul le temps nous apprendra qui dit quoi et ce qui se passera réellement au Sénat et à la Chambre des communes. Ce qui nous rebute, c'est que le concept même du projet de loi est erroné.

Pour comprendre le fond du problème, il faut remonter aux travaux du groupe de travail mixte, qui a demandé beaucoup d'efforts et de temps — pas seulement des semaines ni des mois, mais des années. Des gens de loi de partout au pays ont travaillé avec les avocats du ministère de la Justice, du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien et d'autres organismes pour arriver à un résultat qui leur a semblé acceptable. Les choses ont changé par la suite. Ce qui, dans les faits, a été retenu des travaux du groupe de travail mixte a miné notre confiance dans le gouvernement. Si vous vous engagez dans une impasse, voua aboutirez à une impasse.

Voilà où nous en sommes et il n'est vraiment pas facile d'effacer les rayures d'un chat. Cette situation est difficile et frustrante pour nous, à cause de tous les efforts investis dans le processus, des années de travail des gens de lois qui ont abouti aux conclusions du groupe de travail. Nous avons été ébahis de voir, par la suite, que l'appareil gouvernemental avait produit des conclusions tout à fait différentes. Cela nous a fait un choc.

Nous avons agi de bonne foi tout ce temps. Nous avons mis nos meilleurs efforts pour trouver des compromis, des options, des arrangements acceptables pour toutes les parties. Maintenant, on nous propose un projet de loi venu de nulle part. Je ne pense pas que les auteurs du projet de loi aient profité de la participation ni de la volonté de participer qui se sont manifestées lors des travaux du groupe de travail, qui ont duré deux et même trois ans. C'est très frustrant pour nous.

Nous avons accordé notre confiance à ceux qui nous croyions être des représentants du gouvernement — à des gens de loi et ainsi de suite —, qui nous parlaient honnêtement, travaillaient avec nous, cherchaient des options et trouvaient des solutions à des problèmes très difficiles. Ce qu'on nous présente maintenant est complètement différent. Vous vous demandez pourquoi nous sommes mécontents. Nos gens ont investi beaucoup d'efforts dans ce processus. Ils ont proposé des compromis et des options. C'est un excellent travail qui a été mis de côté. C'est sur cette question que nous voulons attirer votre attention.

Il sera assez difficile de remanier ce projet de loi ou d'y apporter des ajustements, alors que le fonds ne reflète pas vraiment tout le travail qui l'a précédé. Nous sommes réellement déçus de constater qu'après avoir discuté avec les gens de loi et les conseillers de nos communautés, les représentants du gouvernement du Canada proposent une perspective complètement différente.

Nous reconnaissons le cadre financier. Nous reconnaissons le besoin de justice. Nous espérons que le Sénat ne répétera pas l'erreur d'avancer ici des actions qu'il n'accomplira pas ensuite. Nous en sommes à ce point.

Nous connaissons le point de vue du gouvernement. Il veut que le projet de loi soit adopté et qu'on en finisse. Mais c'est nous qui serons touchés, en définitive, et non les bureaucrates d'Ottawa. Ces revendications nous concernent, nous et nos peuples, et pas monsieur Tout-le-monde ni qui que ce soit d'autre.

Il s'agit d'obligations légales, de responsabilités incontournables du gouvernement du Canada. C'est une question de temps et nous avons été très patients jusqu'à présent.

Le sénateur St. Germain: La question n'est pas de savoir si le projet de loi émane du MAINC. J'estime que ce genre de question nuit à tous les débats qui concernent les peuples autochtones. Quoi qu'il en soit, je pense que le sénateur Austin a travaillé avec la présidente.

Bref, pensez-vous qu'il soit possible d'amender le projet de loi et de le rendre acceptable pour vous? Les gens de l'Assemblée des premières nations et les représentants autochtones de partout au pays sont aussi bien informés que n'importe qui d'entre nous à Ottawa. Par conséquent, je vous demande: ce projet de loi peut-il être amendé ou croyez- vous qu'on puisse y apporter des modifications afin qu'il réponde à vos exigences?

Qu'il s'agisse des travaux d'un groupe de travail mixte ou de l'ARCAP importe peu: le MAINC fera ce qu'il veut. Je pense qu'il y a un engagement ici, au Sénat; j'ai toute confiance dans la présidente. La personne responsable en cette matière est le sénateur Austin, qui représente en quelque sorte le bras droit du sénateur Chalifoux pour ces questions. Pensez-vous qu'on puisse modifier ce texte de loi pour qu'il soit acceptable pour vous? Si non, j'aimerais avoir une réponse.

M. Paul: Nous jugerons d'après ce que vous en ferez.

Le sénateur Austin: Merci pour cette courte réponse. Je tiens à dire que j'apprécie votre présentation. Les membres du comité ont pu constater au fil du temps que la communauté autochtone est plutôt constante dans ses présentations. C'est très impressionnant. Il semble que l'ensemble de la collectivité ait convenu de prendre position sur le projet de loi C-6.

Je suis responsable du projet de loi au Sénat; c'est moi qui suis chargé de le présenter au comité au nom du gouvernement. Cela ne veut pas dire que j'appuie ce projet de loi sans condition. Je veux qu'il soit clair que le comité est habilité à examiner des amendements à ce texte de loi. Cela fait partie de notre rôle.

Monsieur Paul, j'aimerais aborder un des points essentiels que vous avez soulevés et vous faire part de mon opinion à ce sujet. J'aurais pu tenir le même discours lorsque j'ai défendu le point de vue du Canada sur différentes questions auprès de l'administration américaine. On pense avoir conclu une entente, mais chaque membre du Congrès constitue une loi en lui-même, tout comme chacun des sénateurs. Ils vont revoir l'entente et la remanier — cela a été le cas pour l'ALENA, l'Accord de libre-échange et des dizaines d'accords.

Cela s'explique par le fait que le pouvoir est distribué tout au long du processus décisionnel. C'est aussi le cas au Canada, mais cela n'apparaît pas aussi clairement dans le système canadien. Ce qui se passe, c'est que chacun peut y mettre son grain de sel; chacun défend ses intérêts et son point de vue. Il faut donc trancher et en arriver à un compromis.

Dans notre système, nous confions la question à un groupe de travail qui, j'en suis sûr, assume ses fonctions avec application et sincérité, y compris la partie gouvernementale. Ensuite, les travaux du groupe sont présentés au ministre, qui se dit: «C'est vraiment du bon travail. Je vais le présenter au Cabinet.» C'est là que le couperet se fait entendre. Mais cela va nous coûter de l'argent», dira le Conseil du Trésor, ou «Je vais perdre des crédits pour mon programme de transport», dira un autre, ou encore «Cela va entraîner des frais pour tel ministère». Ensuite, on entame le processus de négociation interne et on aboutit au projet de loi C-6: un compromis établi à l'interne par le gouvernement.

Le sénateur St. Germain: Les Autochtones aussi sont victimes de la route.

Le sénateur Austin: Tout le monde fait partie du processus démocratique. C'est un processus de compromis et de médiation. La raison de mon intervention est que je voulais vous expliquer un processus que vous comprenez déjà. Je veux que mes paroles figurent au compte rendu. Car c'est réellement comme cela que les choses se passent.

En ce qui nous concerne, nous pouvons contester des décisions, mais il y a des limites à ce que le cabinet est prêt à accepter. Il y a des limites aux enjeux financiers que le pays peut prendre pour une période donnée.

Des représentants de l'Assemblée des premières nations nous ont dit qu'ils n'aimaient pas la limite de 7 millions $, mais qu'ils accepteraient une limite de cinq ans — un montant total pour une période de cinq ans. Cela paraît raisonnable, mais le problème est que notre Parlement ne peut prendre des engagements que pour une année à la fois. Les gouvernements peuvent bien prendre des engagements, mais ils ont besoin de l'approbation du Parlement.

Nous devons composer avec ce système. C'est ce que je voulais vous expliquer. On pourrait parler longuement du processus de consultation. Je vais dire à mes collègues que je crois que nous devrions intégrer le processus de consultation au projet de loi. Quant à la limite de 7 millions $, nous en discuterons avec le gouvernement.

Une autre objection — formulée par un témoin précédent — m'a paru très pertinente: le tribunal ne peut être indépendant si le personnel provient du MAINC et fait rapport au MAINC. Je suis bien d'accord. C'est une autre question à examiner.

Je veux revenir au commentaire du sénateur St. Germain. Il essaie d'établir ce que nous aimerions tous savoir. La communauté autochtone nous dit-elle: «Retirez ce projet de loi, nous recommencerons plus tard. D'ici là, nous allons nous accommoder de la Commission sur les revendications des Indiens»? ou plutôt: «Démerdez-vous pour l'améliorer!» — si vous me permettez l'expression, madame la présidente. «Prenez ces quatre recommandations, discutez-en avec le gouvernement et voyez si vous pouvez trouver le moyen d'améliorer ce projet de loi».

C'est tout ce que j'avais à dire.

M. Paul: Je me demande pourquoi le travail accompli par le groupe de travail n'a pas été intégré au système. Pourquoi ce travail n'a-t-il pas franchi les étapes de ce système? Je comprends vos arguments sur les compromis, car nous devons faire des choix. Toutefois, les conclusions du groupe de travail ont été élaborées par des spécialistes de ce type de revendications. Je ne comprends pas pourquoi d'autres intervenants prétendent qu'il y a moyen de faire mieux. Comprenez-vous ce que je veux dire? J'ai de la difficulté à comprendre pourquoi le gouvernement n'a pas travaillé à partir de ces conclusions.

Le sénateur Austin: Pour prendre l'analogie du base-ball, vous contenteriez-vous d'un coup double ou devez-vous absolument obtenir un coup de circuit? Les chances de frapper un coup de circuit sont beaucoup plus minces que celles de frapper un simple ou un double.

M. Paul: Nous sommes des gens très patients.

Le sénateur Austin: Est-ce que votre patience nous dit: «Ne faites rien, abandonnez ce projet de loi.» ou «Faites ce que vous pouvez pour le changer?».

M. Paul: Nous sommes des gens vraiment patients. Je pense qu'il reste encore des voies judiciaires. Peu importe ce qui arrivera, nous attendrons et nous verrons.

Le sénateur Austin: Très bien. Merci.

[Français]

Le sénateur Gill: Il y a quelques sénateurs autochtones. Il y a évidemment des sénateurs non-autochtones, mais certains d'entre eux voudraient voir les choses changer en ce qui concerne la question des Autochtones. A mon avis, pour arriver à changer des choses, il faut d'abord établir un climat de confiance qui, actuellement, n'existe pas.

J'aimerais savoir pourquoi le comité mixte a-t-il cessé ses travaux en 1998?

[Traduction]

Qui a décidé d'annuler les travaux et de ne plus travailler à cette question?

M. Paul: J'ai participé à différentes discussions. Toutes les parties semblaient satisfaites du travail accompli. Les représentants du ministère l'ont présenté au gouvernement, qui semble l'avoir relégué aux oubliettes, comme si rien n'avait été fait. C'est comme si ces événements ne s'étaient jamais passés.

Nous avons fait tout ce travail en pure perte. Avec la façon de faire du gouvernement, les interlocuteurs changent tellement souvent qu'il n'y a pas de suite entre le début et la fin du processus. Nos représentants ont tous connu la même expérience alors que, du côté du gouvernement, les visages, les intervenants et les approches ont changé constamment.

Le sénateur St. Germain: C'est ce qu'on appelle «l'illusion de la confusion».

[Français]

Le sénateur Gill: Vous avez parlé de revoir après un certain temps. S'il y avait une clause de révision dans le projet de loi, vous sentiriez-vous plus en sécurité? Même si la confiance n'existe pas, seriez-vous plus a l'aise de faire des amendements et inclure cette clause qui permettrait de réviser après un certain temps?

Beaucoup de gens veulent voir disparaître le projet de loi parce que le principe de consultation réelle n'est pas respecté. Tout le monde comprend que cela n'a pas lieu. Accepteriez-vous une clause de révision des amendements à ce projet de loi, quitte à les réviser plus tard?

M. Paul: Je pense que nous devrons attendre et voir ce qui arrivera. Ce ne sont que des hypothèses au sujet de ce qui pourrait arriver. Le niveau de confiance est très bas dans la relation avec le gouvernement. Vous nous demandez de faire un saut dans l'inconnu. Je ne sais pas. Il est difficile de faire un tel saut lorsque la relation est si mauvaise. Cela est très difficile. Nos espoirs et notre crédibilité à l'égard des organismes du Canada, du Parlement et du Sénat diminuent.

Lorsque cela se produit, nous examinons la situation et nous disons: «Qu'est-ce qui se passe? Qu'arrive-t-il à ces organismes censés être respectés par la population canadienne et mériter leur confiance, et que malgré cela, ces questions surviennent?» Tout ce que veulent nos communautés, c'est que ces questions soient réglées. C'est ce que nous voulons.

[Traduction]

Le sénateur Forrestall: Avez-vous préparé une version préliminaire des amendements conformément aux neuf ou dix points, que vous pourriez confier au comité pour fins d'examen?

M. Paul: Notre problème est le fait que quelqu'un d'autre que nous fait des concessions pour nous. Comprenez-vous ce que je veux dire? Quelqu'un d'autre fait des concessions après que le matériel ait été élaboré.

Nous nous demandons: «Qu'est-ce qui va arriver?». Nous disons «Retirez-le, réorganisez-le et recréez-le». Nous devons régler cette question de confiance pour obtenir la crédibilité nécessaire au processus. Nous ne voulons pas obtenir un système moins bon en bout de ligne. Même si le processus avance et que des amendements sont apportés, nous ne voulons pas un résultat encore moins bon. Je ne sais pas si quelqu'un peut prédire ce qui arrivera avec le projet de loi créé, quel qu'il soit. À moins d'avoir une boule de cristal afin de voir le futur, il est assez difficile d'imaginer ce qui arrivera.

Il existe des failles fondamentales. Nous devons rebâtir une relation de confiance afin de ne pas faire un saut dans l'inconnu encore une fois, en essayant d'obtenir quelque chose que nous désirons. Nous voulons que les revendications soient réglées. Tout le monde veut cela. Compte tenu du cadre financier, c'est une question difficile en matière d'établissement des priorités.

Si vous amorcez quelque chose à l'aide d'une logique inadéquate, vous obtiendrez alors des résultats inadéquats et des implications inadéquates. C'est cela qui nous inquiète. Nous nous inquiétons à ce sujet.

Le sénateur Forrestall: Pour faire une réponse courte, monsieur Paul, cela veut-il dire que vous n'avez pas préparé de version préliminaire d'amendements ou de propositions?

M. Paul: Nous n'avons pas élaboré de documents comme tels. Je me rappelle toutefois que dans le cadre de ses travaux, le groupe de travail mixte avait travaillé spécifiquement au libellé et à la terminologie juridique devant être utilisés. Le dossier a été soit égaré, soit envoyé quelque part. Peut-être que les gens sont déménagés en Mongolie.

La présidente: Nous l'avons ressuscité.

M. Paul: Vraiment? J'ai pensé que quelqu'un l'avait caché quelque part.

La présidente: Nous l'avons trouvé. J'aimerais vous remercier tous les deux.

J'ai engagé une attachée de recherche libre. C'est une dame Mohawk. Nous avons tellement entendu parler du projet de loi et du groupe de travail mixte. Nous avons mis le projet de loi d'un côté, et les recommandations du groupe de travail mixte de l'autre, et nous comparons le tout. C'est le début. Nous examinons le tout avec soin.

Je vous remercie tous les deux. C'était très intéressant.

Vous représentez environ 30 000 personnes, un nombre qu'il est important pour nous de connaître. Cela constitue une grande agglomération. Plus le Parlement en connaît à ce sujet, mieux cela est pour eux. Merci beaucoup.

M. Paul: Merci de nous avoir donné ce temps. Nous contribuerons du mieux que nous le pourrons.

Le chef Cimon: Merci beaucoup.

La présidente: Nous invitons le chef Roberta Jamieson et son groupe à la table.

Je vous souhaite la bienvenue dans la Salle des peuples autochtones du Sénat. Cette salle a été inaugurée et bénie par un aîné Mohawk au cours d'une cérémonie importante qui a eu lieu il y a quelques années. C'est une salle très spéciale. Il est intéressant de constater que plusieurs membres du Parlement apprécient d'entrer dans cette salle car elle est différente.

Bienvenue aux aînés et à vous tous. Je vous invite chère chef Jamieson, à faire votre présentation dans environ 10 à 15 minutes, afin que les sénateurs aient le temps de poser des questions.

Le chef Roberta Jamieson, Six Nations Council: J'aimerais vous présenter les gens qui m'accompagnent. Je vous présente Mme Cora Davis, mère de clan Cayuga du Territoire des Six nations de Grand River. À ses côtés, se trouve Mme Jo-Ann Green, notre directrice des terres et des ressources. À ma gauche se trouve M. David General, conseiller au sein du Conseil élu des Six nations. Également avec nous, se trouvent deux autres mères de clans, Mme Mina Keye et Mme Mary Sandy. Nous avons également des grands-mères très importantes qui nous accompagnent: Mme Josephine Harris, Mme Melba Thomas et Mme Joy Skye. Je suis très contente qu'elles soient avec nous aujourd'hui.

Je n'essaierai pas de lire notre mémoire écrit, mais je demande toutefois qu'il soit déposé en entier en tant que preuve dans le cadre des audiences du Sénat. J'apprécie l'occasion qui m'est offerte de témoigner devant le comité sénatorial qui étudie ce projet de loi.

J'aimerais commencer en partageant avec vous un enseignement haudenosaunee:

Un jour, un jeune homme chassait seul dans les buissons. Il a alors entendu une voix qui l'appelait. Il s'est arrêté, a regardé autour; comme il ne voyait personne, il a continué son chemin. Il a alors entendu la voix de nouveau, lui disant de regarder en bas. Le jeune homme a alors réalisé que la voix provenait d'une pierre. Il s'est assis à côté de la pierre et l'a écoutée.

Il apportait du poisson et des jeux à la pierre en guise de remerciement pour les merveilleuses histoires de vie qu'elle partageait avec lui. Le jeune homme a commencé à parler aux gens de son village des histoires et des choses que la pierre lui apprenait et ils ont commencé à aller la visiter et à l'écouter également. Bientôt, grâce aux histoires que la pierre partageait avec eux, tous les gens du village sont devenus plus heureux et ils se respectaient davantage les uns les autres.

Comme dans tous les enseignements, cette histoire contient une leçon. Pour nous, elle démontre le respect et le lien que nous avons avec la terre. Nos ancêtres ont écouté et pris connaissance des messages provenant de la terre et des ressources, sur lesquelles nous comptons toujours. Des leçons, provenant de la nature, ont été retenues par notre peuple et l'ont guidé dans ses actions. Nous sommes à l'écoute de ces messages. Les Six nations espèrent que ce comité entend également notre message.

Nous connaissons l'histoire du présent comité permanent. C'est pour cette raison que j'ai confiance que vous écouterez notre message. J'aimerais attirer votre attention, ainsi que la nôtre, en particulier sur le rapport de ce comité préparé en février 2000, intitulé «Forger de nouvelles relations: L'autonomie gouvernementale des Autochtones au Canada». Un énoncé de ce rapport est pertinent pour ce que nous faisons ici aujourd'hui. Je cite:

Des témoins autochtones ont parlé de la nécessité de structures indépendantes ne relevant pas des tribunaux ordinaires, capables de s'occuper des griefs des peuples autochtones et de surveiller la négociation et la mise en œuvre de relations entre ces peuples et le Canada.

Le comité a également noté dans sa recommandation 2, la création d'un nouveau Bureau des relations avec les Autochtones, établi hors du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. Dans le cadre de cette recommandation, le président du comité à ce moment-là, l'honorable sénateur Charlie Watt a affirmé que le rapport répétait le contenu du Rapport Penner publié 15 ans plus tôt. Trois autres années se sont écoulées depuis le rapport de l'année 2000, et le gouvernement fédéral doit résoudre les problèmes et traiter des questions restantes ayant trait à la relation entre gouvernements.

Malheureusement, je dois vous avouer que les relations se détériorent. L'appareil démocratique canadien, comme nous en avons été témoins sur la Colline hier et aujourd'hui, garde nos gens à distance de nos terres et ressources dans le cadre de son processus. Nous sommes toujours à la recherche d'une résolution équitable. Nous sommes toujours pacifiques, toujours respectueux et nous nous présentons afin que nos voix soient entendues. En examinant le projet de loi C-6, il est évident qu'il ne nous apporte pas une solution équitable, autonome et rapide en ce qui a trait aux revendications historiques de longue date.

Nous sommes venus témoigner devant le comité permanent de la Chambre des communes. Malheureusement, plusieurs témoins des Premières nations n'ont pu témoigner. J'aimerais recommander que ce comité écoute tous les témoignages de ceux des Premières nations qui demandent à être entendus. À peine 10 heures ont été accordées pour les audiences par le comité de la Chambre des communes. Je pense que ces gens ne devraient pas être ignorés ainsi. J'espère que vous voudrez bien les entendre.

Selon notre point de vue, des représentants d'une autre nation continuent à prendre des décisions qui affectent directement nos vies quotidiennes. Cela doit changer.

Je veux également dire qu'il est insultant pour le ministre Nault de décrire les demandes de notre peuple, afin de retirer le projet de loi C-6 du processus législatif, comme étant «le travail de seulement quelques dirigeants des Premières nations». Le peuple des Six nations a tenté de redresser la situation au moyen d'un processus équitable et juste, en faisant entendre nos voix au sujet de la façon dont le gouvernement traite notre terre et nos ressources depuis plusieurs années — en vérité, nous faisons cela depuis 1784.

J'aimerais vous parler brièvement de notre peuple. Nous sommes la communauté la plus peuplée des Premières nations au Canada. Notre communauté compte 21 000 membres ou plus. Nous sommes des peuples Mohawk, Cayuga, Oneida, Onondaga, Seneca et Tuscarora — et c'est le seul endroit au pays où toutes ces nations cohabitent.

Nos terres devaient comprendre 950 000 acres — en une seule étendue de terrain. Dans les années 1900, le ministre de l'Intérieur a affirmé dans une lettre:

C'est la politique du gouvernement du Canada, je crois, de reconnaître ses relations avec les Indiens des Six nations de Grand River comme étant différentes de celles existant avec toute autre communauté autochtone au Canada. Les Indiens des Six nations de Grand River sont venus au Canada en vertu d'une entente spéciale, à titre d'alliés de la Grande-Bretagne, et la politique du gouvernement canadien tient compte de ce fait.

Lors de la guerre de l'Indépendance, nous avons combattu en tant qu'alliés des Britanniques. Lorsque la guerre s'est terminée, nous sommes venus au Canada en provenance de la région Finger Lakes, qui est devenue l'État de New York, et nous nous sommes installés en bordure de la rivière Grand. En vertu du «Haldimand tract», nous avons reçu cette terre. Les relations avec les alliés ont été enregistrées à plusieurs reprises dans nos ceintures wampums, que notre mère de clan a apportées ici aujourd'hui. Probablement la plus importante pour nous — et vous la connaissez peut- être, — c'est la ceinture wampum à deux rangs. C'est notre peuple qui s'est engagé dans cette relation, cet accord.

Il faudrait plusieurs jours pour vous expliquer la signification de ces ceintures. Nous n'avons pas plusieurs jours. Je prends toutefois le temps de les porter à votre attention, pour rappeler qu'elles constituent des objets sacrés, qui ont permis d'enregistrer nos ententes et nos relations avec des nations qui sont venues s'établir à Turtle Island, un lieu que nous habitons depuis les temps immémoriaux. Jusqu'à ce jour, nous avons toujours compté sur ces ceintures, en tant que symboles de nos relations à titre d'alliés.

Je vous prie de ne pas oublier cela lorsque vous songez au caractère odieux du projet de loi C-6 pour notre peuple, en essayant de traiter des points encore en litige ayant trait aux terres.

Nous habitons maintenant une superficie correspondant à 4,8 p. 100 du territoire originalement affecté. Entre 1974 et 1994, nous avons déposé 27 revendications spécifiques contre la Couronne. À ce jour, une seule a été réglée.

Il est devenu évident pour nous dans les années 90 qu'une résolution satisfaisante ne serait pas possible en vertu du processus relatif aux revendications existant à ce moment-là. Une des conditions les plus offensantes de ce processus, était le préalable relatif à l'extinction des droits de nos enfants sur les terres en litige. Il nous incombe de planifier pour les sept prochaines générations; l'extinction n'est pas une option.

Durant l'examen de ces revendications, le gouvernement a suggéré que si nous n'étions pas d'accord avec ce qui était mis sur la table, nous pouvions nous adresser aux tribunaux. C'est ce que nous avons fait en 1995. Nous en sommes toujours à ce point — sept ans plus tard — avec nos revendications. Ce que nous recherchons dans ces démarches juridiques, c'est une justification. Qu'est-il arrivé aux autres 900 000 acres qui nous appartenaient? Qu'est-il arrivé aux sommes qui ont été perçues pour ces terres?

Lorsque nous avons fait appel au tribunal, le ministère des Affaires indiennes a fermé ces dossiers. Ils n'ont pas été rejetés, ce qui veut dire que nous n'avons pas eu l'occasion de les présenter à la Commission des revendications des Indiens dans le cadre d'un forum de substitution. Ils ont également cessé tout financement de recherche pour notre communauté, relatif aux questions territoriales ou aux ressources — pas simplement les affaires judiciaires, mais toutes les affaires.

Nous continuons à vivre avec les effets causés par nos revendications qui se poursuivent: l'incertitude économique certaine dans notre région — parmi les terres les plus riches du sud de l'Ontario, les conflits relatifs à la juridiction, la confrontation et les barrages routiers qui ont existé. Nous détenons une entente de notification avec les municipalités environnantes, et tout en sachant ce qui se passe sur nos terres, notre peuple reste là sans rien faire, à regarder les autres profiter des terres et des ressources qui nous appartiennent.

Nous avons toujours cru que la meilleure solution à l'égard de la situation, était la négociation. C'est avec regret que je dois vous dire que le gouvernement est prêt à négocier avec nous seulement si nous acceptons de suspendre le litige. Je suis avocate. Je ne connais aucun avocat dans ce pays ou nulle part ailleurs qui s'assoirait pour négocier toute affaire en disant «J'abandonne cette affaire». Après tout, c'est souvent une affaire juridique qui créera un climat propice pour rassembler les gens autour d'une table afin de négocier. L'affaire se poursuit et rien n'est résolu pour nous.

Est-ce que le projet de loi C-6 répond à nos questions? Absolument pas. Il est terriblement inadéquat. Je répéterai peu de ce qui a été dit plus tôt au sujet des points principaux que nous trouvons inacceptables. Je traiterai de plusieurs des points importants et je conclurai ensuite afin que nous puissions en discuter.

Nous sommes tristes nous aussi, que le Canada n'ait pas respecté ses obligations relativement au fait d'établir un processus vraiment indépendant pour les revendications et qu'il ait ignoré le groupe de travail mixte. Nous sommes également déçus qu'il continue à décider à l'interne et de façon secrète de la validité de revendications spécifiques. Cela nous déçoit que la commission se rapporte au ministre. Nous sommes déçus au sujet du niveau élevé de contrôle fédéral régissant les règles appliquées. Nous sommes déçus et nous trouvons offensant qu'une situation de conflit d'intérêt puisse continuer dans ce siècle et dans ce pays, et que nous devrions nous tenir avec fierté et accepter le caractère équitable et juste qui prévaut dans ce processus lorsque cela est le cas.

Je ne crois pas que vous puissiez trouver un tribunal quelque part dans le monde qui considérerait cela équitable.

Nous croyons qu'il est important de tenir compte du plafond de 7 millions de dollars et du fait que la Commission des revendications des Indiens a elle-même démontré à la Chambre des communes qu'après 11 ans, seulement trois des 100 revendications ou plus considérées, étaient d'une valeur inférieure à 7 millions de dollars.

Nos revendications — les 27 revendications en attente — ne seront pas inférieures à ce plafond. Nous voulons également réfuter un mythe souligné par le ministre lors de son témoignage devant votre comité. Le mythe au sujet du projet de loi C-6 que le ministre a tenté de réfuter était que chaque Première nation, peu importe l'envergure ou le montant de sa revendication, aurait accès à la gamme variée de mécanismes de substitution pour la résolution de conflits existant à la Commission. Il a oublié de mentionner que cela n'est possible que pour les revendications supérieures à 7 millions de dollars après qu'il ait déterminé la validité de la revendication. Nous croyons également que le droit de déterminer la validité d'une revendication, revenant à un organisme indépendant, doit constituer une question séparée par rapport à l'indemnisation demandée.

Nous sommes déçus que les pouvoirs, dont dispose la Commission des revendications pour exiger la production de documents et les témoignages, ne fassent pas partie du projet de loi C-6. Nous trouvons malheureux qu'il n'existe aucune exigence pour le gouvernement du Canada de fournir des raisons pour lesquelles une revendication est déclarée non valide. Nous trouvons malheureux que le délai inhérent au système actuel, se poursuivra. C'est regrettable, mais il y aura plus d'opportunités de délai en vertu du projet de loi C-6. Vous trouverez dans notre mémoire une liste des opportunités à notre portée.

Nous trouvons déplorable que le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien puisse considérer indéfiniment une revendication. Nous trouvons déplorable le fait que les Premières nations devront absorber les coûts des négociations et de participation au processus, dans le cadre d'un montant plafonné à 7 millions de dollars. Pour sa part, le gouvernement peut profiter des terres, des ressources et de l'argent sans aucun intérêt, et en bout de ligne, toute somme allouée est payée en dollars réduits par l'inflation. C'est incroyable.

Nous pensons que le règlement de revendications pour une somme inférieure à 7 millions de dollars constitue une pression déraisonnable pour les Premières nations. C'est déraisonnable lorsqu'il s'agit de personnes dépouillées, aux prises avec une insuffisance de fonds chronique, des personnes pauvres, en mauvaise santé, sans compter toutes les autres statistiques qui caractérisent notre situation actuelle dans ce pays. C'est tout simplement déraisonnable.

Nous aussi, nous avons notre part de circonstances qui créent des pressions sur notre communauté afin de régler ces problèmes. Notre peuple ne peut compter sur une eau potable sécuritaire que les Canadiens prennent pour acquis. Trois cent cinquante-deux étudiants de notre communauté qui avaient été acceptés pour des études postsecondaires l'année dernière, ont été incapables d'obtenir du financement. Mille six cents de nos familles sont sur des listes d'attente pour le logement. La période d'attente pour la liste est de 10 ans. Nos membres attendent plusieurs mois, même pour le logement d'urgence.

Je pourrais continuer encore. Les statistiques relatives à ces circonstances et qui décrivent la situation dans notre communauté, sont présentées pour vous, en entier et sous forme de tables, dans le mémoire.

En vertu du système actuel, du moins, les délais peuvent être contestés par le gouvernement fédéral, devant la Commission des revendications des Indiens, en réponse aux plaintes relatives au refus de communiquer. Cette possibilité n'existe plus en vertu du projet de loi C-6. La souplesse et l'équité des procédures que l'on retrouve dans plusieurs tribunaux au Canada en vertu de la loi, ne sont pas accordées à cette Commission.

L'indépendance — ou plutôt l'absence d'indépendance, devrais-je dire — est fatale au sein de cette commission. Aucune crédibilité ne peut être accordée à un organisme lorsqu'une personne l'a contesté, qu'elle le contrôle, qu'elle procède à des nominations, qu'elle procède à des révisions, qu'elle paie et qu'elle détermine le résultat.

Il existe des précédents ayant trait au fait d'avoir des nominations indépendantes, sur lesquels j'aimerais attirer votre attention. L'un d'eux est la Commission sur les Indiens de l'Ontario, un organisme qui a été créé à la fin des années 70 en Ontario en vertu d'ordres en conseil complémentaires, à l'échelle fédérale, provinciale et d'une résolution des Premières nations en Ontario. Je suis au courant car j'ai été par la suite nommée commissaire pour cet organisme dans les années 80.

Il existe également des opportunités de nominations indépendantes en vertu de l'ALENA. Je suis certaine que vous avez des attachés de recherche qui ont déniché ces exemples pour vous. Il existe un grand nombre d'opportunités afin d'examiner les antécédents qui existent ailleurs.

Il n'existe aucune révision mixte. Cela aussi est fatal. Il n'existe aucun processus d'établissement de rapports destinés au public. Dans le monde actuel, où la population canadienne exige des comptes, une transparence et des rapports afin d'être en mesure d'évaluer comment nous traitons de ces questions, cela aussi est fatal. Dans votre rapport «Forger de nouvelles relations», vous avez clairement indiqué le besoin d'établir des rapports destinés au public relativement à tous ces mécanismes.

La participation régionale est également problématique. Le fait que seul le ministre évalue l'efficacité du processus en vertu du projet de loi C-6, est incroyable. Que pouvez-vous dire d'autre que tout va bien lorsque dans le cadre d'un processus, vous faites l'objet de plaintes, vous le financez et vous en contrôlez la vitesse? Comment pouvez-vous condamner le processus si vous le contrôlez et que vous le passez en revue vous-mêmes? C'est incroyable. La population canadienne n'acceptera pas cela, selon moi.

Il n'existe aucun processus pour la transition et l'état des dossiers fermés. Qui sait ce qui va arriver aux dossiers qui sont présentement en possession de la Commission des revendications des Indiens? Le conflit d'intérêt est manifestement une faille fondamentale.

Je voudrais conclure mes propos, car les détails de tous ces points principaux sont énumérés dans le mémoire.

Si le projet de loi C-6 est amorcé dans sa forme actuelle, notre peuple continuera malheureusement de subir les conséquences causées par des dommages non corrigés et qui affecteront notre territoire et nos biens. Le gouvernement et la population du Canada seront toujours confrontés à une dépendance sociale qui aurait pu être allégée en redonnant à notre peuple ce qui nous appartient de façon légitime. Ils seront aux prises avec une montée en fièvre des coûts relatifs à la santé, avec des litiges à la hausse dans les tribunaux, des jugements en dommages-intérêts des tribunaux qui coûteront encore plus cher en matière de pertes économiques et d'intérêts croissants, ainsi qu'une incertitude au sujet des résultats des litiges — qui, je vous l'assure, gêneront la planification et le développement économique pour tous ceux concernés — étant donné que les Premières nations font valoir nos droits dans nos territoires et qu'elles s'entretiennent avec les corporations et avec le secteur privé au sujet de l'incertitude du climat.

Selon l'expérience des Six nations, le gouvernement fédéral semble vouloir ramer dans notre canot et diriger son bateau en même temps, en décidant pour nous comment, où et quand nos obligations légales en instance seront résolues ou traitées, si toutefois elles le seront.

Le résultat est une montagne émergente de responsabilités non résolues qui feront obstacle à des relations améliorées et de coopération entre les Premières nations et la population canadienne dans son ensemble. Il est difficile de comprendre comment le gouvernement du Canada peut être perçu comme un organisme agissant vraiment au mieux des intérêts de la population canadienne, lorsqu'il retarde et qu'il évite d'accéder à un processus spécifique équitable et juste pour les revendications.

Nous croyons qu'il est impératif que le Canada traite des questions territoriales en suspens et qu'il agisse conformément à nos droits constitutionnellement reconnus et obtenus au cours des 20 dernières années. Qu'est-il arrivé avec le partenariat prometteur de l'année 1982? Je m'en souviens. Quel fabuleux sentiment d'espoir, sans oublier le dur travail et l'énergie que nous pouvions fournir et dans lequel nous étions prêts à nous engager. Laissez-nous retrouver cette ambiance et reprendre la bonne voie.

Je demande au comité de revoir ce projet de loi, à la lumière de l'article 35 de la Constitution. Je demande au comité de revoir ce projet de loi ainsi que le reste du soi-disant ensemble de lois du ministre Nault — un ensemble de loi qui est tout sauf agréable — en entier. En tant que groupe, vous devez vous assurer et assurer la population canadienne, qu'il ne s'agit pas de limitation ou d'extinction pour notre peuple, nos droits, nos terres et notre survie, car c'est ce que nous percevons. C'est aussi simple que cela. Ce n'est pas une question de survie ou d'assurer l'assise territoriale pour notre peuple. Les tribunaux peuvent seulement accorder des sommes d'argent. C'est comme si vous aviez installé une caisse de sortie mais que vous limitiez notre peuple à huit articles. Cela ne correspond tout simplement pas à l'avenir pour les Six nations de Grand River ou toute autre communauté des Premières nations de ce pays.

Je vous demande d'examiner l'impact de l'ensemble des lois en entier. Je vous demande de ne pas poursuivre avec le projet de loi C-6. Je vous demande de l'examiner comme la situation l'exige. Je vous demande de le comparer à la Constitution, au rapport du Comité de travail mixte et au rapport «Forger de nouvelles relations» de votre comité. Je vous demande de fournir l'assurance à la population canadienne que ce n'est qu'un processus, car je pense que ce n'est pas le cas.

Mon peuple et moi espérons un avenir sans fardeau causé par des revendications non résolues. Je ne veux pas que ce fardeau soit reporté au siècle prochain, sur mes enfants ou sur notre septième génération. Le voulez-vous? Je ne crois pas. Nous voulons satisfaire les besoins de notre communauté et des prochaines générations, comme le font nos voisins. Cela veut dire que nos questions en litige doivent être traitées de façon équitable.

Si elles ne le sont pas, notre peuple sera établi dans moins d'endroits parce qu'il n'aura pas de solutions de rechange. En l'absence d'un processus juste, notre peuple se retrouvera devant les tribunaux s'il a de l'argent, ou dans la rue s'il n'en a pas. De plus, si les tribunaux ne fournissent pas à notre peuple la justice qu'il recherche, vous le retrouverez sur la scène internationale, car il cherchera à obtenir un traitement équitable. Nous chercherons, comme nous devons le faire, des forums qui doivent traiter de nos questions litigieuses, tout comme le chef Deskaheh l'a fait dans les années 20 lorsqu'il est allé à la Société des Nations au nom des Six nations.

Pour nous, le projet de loi C-6 ne crée pas un centre canadien pour la résolution indépendante des revendications spécifiques aux Premières nations. Il crée un centre. Il crée une façade pour continuer à éviter et à retarder le traitement efficace des questions de litige relatives aux terres et affectant les peuples autochtones du Canada. C'est pire que le statu quo. Je ne vous suggérerai pas d'amendements aujourd'hui chers sénateurs. Ce projet de loi n'est pas amendable.

J'ai demandé au comité d'entendre nos voix et de recommander l'étude que j'ai suggérée. Je vous demande de retarder l'adoption de ce projet de loi. Je vous demande de retourner à un processus conjoint intègre et crédible, impliquant une participation réelle de notre peuple, afin que nous puissions montrer au Canada une relation de coopération, un partenariat pour traiter des points encore en litige entre nous.

Une alliance avec les Six nations est réalisable et est nécessaire pour notre peuple vivant sur ce territoire que nous appelons Turtle Island.

La présidente: Je vous remercie pour cette présentation des plus impressionnantes. Nous l'avons grandement appréciée.

Le sénateur Stratton: Chef Jamieson, ce que vous nous avez dit est très impressionnant mais également très triste. Je ne crois pas avoir entendu parler de prévisions aussi tristes auparavant. J'ai beaucoup voyagé dans ce pays depuis plusieurs années et je me suis rendu dans des réserves établies partout dans l'ensemble du pays, plus particulièrement au Manitoba, d'où je viens.

C'est particulièrement triste lorsque vous affirmez que ce projet de loi ne devrait pas être amendé du tout. Vous savez que le gouvernement est déterminé à adopter ce projet de loi. Par conséquent, nous cherchons des façons et des moyens de le rendre plus acceptable pour votre peuple. Il est malheureux et tragique que vous n'y croyiez pas.

Vous nous avez décrit un processus qu'il conviendrait de réaliser. Ce qui m'inquiète et qui me préoccupe toutefois, c'est qu'ils vont quand même adopter le projet de loi. En bout de ligne, le gouvernement adoptera ce projet de loi à moins que ce comité ne détermine que nous ne traiterons pas de ce projet de loi avant d'avoir examiné l'ensemble des trois projets de loi.

Nos partenaires ont demandé: Pourquoi devrions-nous examiner chaque projet de loi séparément? Pourquoi ne pas les examiner tous les trois? En procédant ainsi, nous aurions une meilleure vue d'ensemble de ce qui se passe et concernant la façon de l'améliorer pour toutes les parties prenantes.

C'est ce que vous nous recommandez, si je comprends bien. Est-ce exact?

Le chef Jamieson: Absolument, c'est l'une des choses que je recommande, c'est-à-dire que les trois projets de loi soient examinés comme un ensemble, comme un paysage entier, mais non de façon isolée toutefois. Le paysage est plus grand. Le fait de forger de nouvelles relations fait partie de ce paysage. Le paysage, c'est la Commission royale sur les peuples autochtones, la CRPA. Le paysage, c'est l'ensemble des preuves qui ont été présentées par notre peuple dans tout le Canada.

Vous devez examiner la direction. Qu'est-ce que tout cela signifie? Pourquoi existe-t-il une telle détermination pour précipiter l'adoption de ces projets de loi? Avec toutes ces séances marathon qui durent toute la nuit et la façon dont ces projets de loi progressent, nous serions portés à croire qu'il y a une urgence nationale. Que se passe-t-il? Qu'est-ce qui vous incite à agir ainsi?

Le sénateur St. Germain: L'héritage.

Mme Jamieson: À force de penser à ce qui vous pousse à agir ainsi, j'en ai perdu le sommeil. Pourquoi existe-t-il une telle peur à l'idée de travailler avec notre peuple? Qu'est-ce qui ne va pas?

Pourquoi est-il correct de nous demander d'accepter des amendements parce que le processus continue de toute façon, pendant que nous restons là à regarder les autres profiter des terres et des ressources de notre peuple. Nous nous présentons à la table avec un morceau de pain et l'on nous dit «Même ce morceau de pain n'est pas bon à manger, alors il est préférable d'accepter quelque chose de moins bon». Notre peuple n'acceptera rien de tel en 2003. Nous ne ferons rien de tel après la Constitution.

Nous comptons sur la bonne volonté et la confiance de la population canadienne, telle qu'elle a été démontrée dans la Loi constitutionnelle de 1982. Il existait deux positions divergentes, nous n'étions pas seuls. Nous n'accepterons rien de moins que de nous acquitter de l'engagement que nous avons pris et de maintenir un engagement fort.

Je dois vous dire cela car les mères de clans ici présentes insistent sur le fait que nous nous occupions de nos sept générations.

Le sénateur Stratton: Je n'ai rien d'autre à ajouter, je vous remercie.

La présidente: Ce que j'ai cru comprendre, chef Jamieson, c'est que vous ne voulez pas que ce projet de loi soit retiré, vous voulez simplement qu'il soit mis de côté jusqu'au moment où les trois seront complétés?

Mme Jamieson: J'aimerais que ce projet de loi soit retiré. J'aimerais qu'ils soient tous retirés. J'ai été très claire à ce sujet. Je vous ai fait part de la destination où ils nous mènent: c'est une impasse pour nous.

La présidente: Quelle solution de rechange proposez-vous alors?

Mme Jamieson: Afin d'avoir un portrait global, vous devez examiner ces trois projets de loi ensemble.

Voici ma solution de rechange: s'il vous plaît, reprenez l'article 35 de la Constitution qui a été mis de côté. Reprenez la Commission royale sur les peuples autochtones. Déterrez le rapport Penner de 1983 au sujet duquel toutes les parties de la Chambre des communes pouvaient s'entendre.

Notre peuple a participé de tout cœur à la CRPA et aux travaux du Comité Penner. S'il vous plaît, reprenez également le rapport «Forger de nouvelles relations» et constituez un portrait global. Cela constitue un processus conjoint honnête. Il existe des solutions de rechange.

J'entends souvent le ministre et d'autres personnes dire «Où sont les solutions de rechange?» Pour l'amour du ciel! Elles existent depuis plusieurs années. Laissez-nous les remettre sur la table.

Pour ce qui est du projet de loi C-6, les solutions de rechange incluent un processus indépendant, des nominations conjointes, un tribunal sans un montant plafonné si ridiculement bas, la capacité d'exiger la production de documents, la capacité d'exiger que le gouvernement du Canada se comporte de façon honnête dans le processus. Ces solutions de rechange sont décrites en détails dans ces rapports. Ce que nous avons besoin, c'est de courage, de vision et d'énergie afin de retourner en arrière et d'examiner ce que nous devrions réellement faire ensemble dans ce pays.

La présidente: Très bien.

Le Sénat procède différemment des autres. Nous n'avons pas une attitude partisane et nous pouvons réellement examiner les projets de loi. Nous avons des préoccupations au sujet du projet de loi C-6. Notre comité commence à faire de la recherche et à examiner la situation globale. Le Sénat ne peut s'occuper de l'aspect monétaire, mais il existe d'autres moyens constructifs; nous sommes de vieux guerriers et nous pouvons examiner la situation.

Mme Jamieson: Je sais que c'est l'endroit pour un second examen objectif. Un examen de ce genre est nécessaire plus que jamais auparavant. Je suis consciente que cela vous donne à tous une lourde responsabilité. Elle n'est pas si lourde toutefois, car elle mène à une entente relative à l'histoire du Canada et aux relations avec les peuples autochtones.

Je crois fermement que le Canada ne pourra pas garder la tête haute tant que nous n'aurons pas réglé les questions au sujet de notre histoire et de notre passé. C'est l'occasion de le faire, et non d'aggraver la situation.

La présidente: Nous avons entendu dire que cela pourrait être le début d'un troisième ordre de gouvernement, en vertu de l'article 35 de la Constitution. C'est ce que l'on nous a dit.

Mme Jamieson: Qui vous a dit cela?

La présidente: Quelques-uns des témoins. Afin d'avoir un troisième ordre de gouvernement, vous avez besoin de structures et d'organismes. À votre avis, est-ce que le projet de loi C-6 et le projet de loi C-19 pourraient constituer le début de deux organismes?

Mme Jamieson: Absolument pas. Ils n'ont rien à voir avec le gouvernement. Ils ont tout à voir avec la lourdeur administrative — encore plus de contrôle relatif à la Loi sur les Indiens. C'est pour cela que notre peuple donne le nom de Loi sur les Indiens II à ces documents. Le projet de loi C-19 s'applique à quatre lois sur les Indiens mais dans les organismes. Le projet de loi C-7 est la Loi sur les Indiens II, et j'ai déjà décrit le projet de loi C-6.

Un gouvernement signifie un accès aux terres, aux ressources, aux transferts financiers entre gouvernements, ainsi qu'une capacité d'être autonome. Des organismes? Nous n'avons pas le temps, cher sénateur. La mère de clan est assise à mes côtés. Le Conseil de la Confédération dont elle fait partie, a créé la démocratie dans le monde occidental.

Des organismes? Nous avons un système bicaméral dans lequel les mères de clans décident qui sont les chefs. Les enfants ont des droits. Nous détenons des organismes législatifs, des organismes pour la résolution de conflits. Ils abondent et ils sont riches en ressources. En effet, ils ont été utiles lorsque les États-Unis ont élaboré leur constitution.

Les organismes? Nous les avons. Enlevez-nous le fardeau de la Loi sur les Indiens, ainsi que toutes les autres choses qui gênent nos organismes et notre peuple.

Nous disposons des ressources nécessaires pour prendre nos propres décisions, pour être en santé, pour respecter les droits humains qui nous appartiennent — de façon individuelle et collective — afin de contribuer d'une façon incroyablement riche au développement de ce pays. Nous voulons avoir l'opportunité de le faire. Nous sommes déterminés à l'obtenir et à exercer nos droits.

Les organismes? Nous les avons. Nous avons besoin d'obtenir le respect pour nos organismes.

La présidente: Vous avez parlé de la Loi sur les Indiens et du contrôle du gouvernement. Dans ma région natale, dans le Nord et dans la zone du Canada central, lorsque vous entrez dans les communautés et les réserves, vous reculez environ 75 ans en arrière. Ces gens me disent que nous ne pouvons pas éliminer la Loi sur les Indiens car ils en dépendent actuellement. Ils commencent à peine leur apprentissage en vue de devenir autonomes parce qu'ils sont arrivés, d'un milieu où le style de vie était traditionnel, dans une révolution industrielle au Canada et à laquelle ils n'ont pas eu le temps de s'adapter.

Que feriez-vous de ces communautés? Comment considéreriez-vous ces gens?

Mme Jamieson: Vous me demandez de donner une opinion au sujet de communautés, selon une situation hypothétique...

La présidente: Ce n'est pas une situation hypothétique. C'est une situation réelle.

Mme Jamieson: Vous avez visité ces endroits; pas moi. Qu'est-ce que je peux dire?

Je peux dire que nous avons mené une dure lutte à ce sujet. Certains pensent que la Loi sur les Indiens est très utile parce que c'est la seule protection dont ils disposent pour leurs terres, aussi terrible que cela puisse paraître. Je pense que nous avons progressé bien au-delà de la Loi sur les Indiens et nous l'avons fait en 1982.

La présidente: Ils n'ont pas progressé. Comment, en tant que dirigeant, travailleriez-vous avec ces communautés afin qu'elles atteignent un niveau semblable au vôtre, en tenant compte de ce retard d'environ 75 ans?

Mme Jamieson: Je ne peux pas porter de jugement. L'analyse de «mon niveau» me satisfait. Je ne peux pas juger ce niveau.

La présidente: C'est le dilemme auquel nous sommes confrontés.

Mme Jamieson: Je permettrais aux Premières nations de détenir leurs propres organismes, qui leur permettraient de renforcer leurs capacités, de détenir leurs propres organismes afin de travailler ensemble, soit en tant que groupe d'un traité ou sous toute autre forme faisant du sens pour eux et connexe à leur statut de nation.

Pourquoi sont-ils dans cette situation? Parce que quelques bureaucrates à Ottawa ont pris des décisions pour eux, ont contrôlé leur vie à distance. C'est un échec. Ne nous laissez pas continuer ainsi.

Peu m'importe s'ils sont à caractère bienveillant, je ne pense pas que ces projets de loi soient bien intentionnés. Je n'irai pas par quatre chemins. Malgré le fait que plusieurs pensent que ces projets de loi sont pleins de bonnes intentions, ils n'aideront pas ces gens. Ils rendront les choses encore plus mauvaises, je pense. Ce dont ces gens ont besoin, c'est d'une marge de manœuvre, d'un renforcement du pouvoir, de pouvoir renforcer leurs capacités au sujet de biens dont ils se sentent vraiment propriétaires. Je pense que dans ce pays, nous avons les ressources nécessaires aux Premières nations pour créer ce genre d'organismes. Il n'y a aucun doute à ce sujet. Nous avons également la responsabilité de le faire.

La présidente: Je vous remercie, chef Jamieson.

Le sénateur Gill: Je vous remercie pour votre présentation. C'est le résultat d'un bon travail que vous avez accompli pour la communauté. Il est très bon que le Sénat ait entendu ce que vous aviez à dire. J'aimerais que plus de gens entendent cela.

Mme Jamieson: J'aimerais ajouter quelque chose que le conseiller vient de mentionner au sujet de la diversité. Nous sommes des Premières nations assez diversifiées, mais je vous en prie, ne faites pas l'erreur de penser que les Six nations ou toute autre communauté sont spéciales et qu'elles ont davantage de capacités. Il existe plusieurs centaines de Premières nations dans l'ensemble du pays qui possèdent la capacité, le droit et la détermination pour accomplir ces choses. Je ne dis pas que c'est ce que vous avez dit, sénateur Gill, je voulais simplement que ce point soit clair.

Il pourrait être bon pour vous d'entendre le témoignage d'un certain nombre d'experts.

La présidente: Nous y avons déjà réfléchi.

Mme Jamieson: Puis-je en suggérer quelques-uns? M. le juge Antonio Lamer, juge en chef à la retraite. M. le juge E. Patrick Hart, qui a été le premier commissaire de la Commission sur les Indiens de l'Ontario. Si vous voulez entendre parler de l'expérience de la Commission sur les Indiens de l'Ontario, qui était un organisme facilitateur-médiateur, je serai heureuse de revenir devant ce comité à titre d'ancienne commissaire. Si vous voulez entendre parler du rapport Penner, je serai heureuse de revenir à titre d'ancien membre de ce comité.

Plusieurs personnes ont réfléchi à ces questions difficiles et elles ont beaucoup à partager avec vous. Ceux que j'ai nommés ne sont que quelques-unes des personnes à qui j'ai pensé.

Mme Cora Davis, mère du clan Cayuga, Six Nations Council: Je vous remercie de nous avoir écoutés.

La présidente: Je reprends les paroles du sénateur Gill. Si vous désirez rester pour entendre la prochaine présentation, vous êtes la bienvenue.

Nous avons entendu des présentations très intéressantes. Notre prochain témoin est le grand chef Carol McBride du Secrétariat de la Nation algonquine.

Avant de commencer, j'aimerais poser une question. Environ combien de nations représentez-vous?

Le grand chef Carol McBride, Secrétariat de la Nation algonquine: Je représente trois communautés algonquines.

La présidente: Nous voulons nous assurer d'entendre le plus grand nombre possible de témoins. Toutefois, à cause du nombre élevé de personnes voulant témoigner, nous avons décidé de procéder par régions. Parce que vous êtes élue pour votre région, vous pouvez parler au nom du peuple que vous représentez. Il est très important pour nous d'entendre le plus grand nombre de gens possible dans la période de temps qui nous est allouée.

Mme McBride: Je vous remercie pour cette opportunité de m'adresser à vous aujourd'hui. Mon nom est Carol McBride et je suis le grand chef du Secrétariat de la Nation algonquine qui représente les communautés des Premières nations de Timiskaming, du lac Barrière et de Wolf Lake. Notre territoire traditionnel est situé dans la région nord- ouest du Québec et la région nord-est de l'Ontario. M. Peter Di Gangi, directeur de notre conseil tribal, m'accompagne aujourd'hui.

Nous sommes heureux d'avoir la chance de parler au sujet du projet de loi C-6 car nous croyons que dans son état actuel, il aura un impact négatif sur nos communautés et il constituera un pas en arrière en ce qui a trait aux efforts en vue d'obtenir un processus équitable et vraiment autonome pour la résolution de revendications spécifiques. Pour dire les choses simplement, le statu quo, aussi mauvais qu'il puisse être, serait préférable à l'avenir en vertu du projet de loi C-6.

Nous avons passé en revue le témoignage de quelques-unes des personnes qui ont témoigné précédemment, incluant les représentants de l'Assemblée des premières nations. Nous croyons qu'ils vous ont fourni de nombreux renseignements au sujet des lacunes du projet de loi.

Je réalise que je n'ai pas beaucoup de temps et je ne veux pas répéter ce que d'autres ont déjà dit, alors je me concentrerai sur deux aspects ce soir. Le premier concerne le contenu du projet de loi, étant donné qu'il affecte les membres des Premières nations. Le deuxième concerne le processus qui a été utilisé pour faire avancer ce projet de loi dans le système.

Nos trois communautés membres ont des histoires différentes, mais nous avons tous des revendications spécifiques possibles. Différemment de plusieurs autres régions du pays, nous ne nous sommes pas engagés dans le processus de revendications avant le milieu des années 90. Nous avons passé les cinq dernières années à préparer la recherche et à documenter notre histoire afin d'établir les revendications possibles que nous pourrions avoir. Nous en sommes rendus à les intégrer au système. J'aimerais vous dresser un portrait au sujet de nos membres.

La communauté de Wolf Lake n'a jamais reçu de terrains de réserve même si elle a amorcé une pétition pour obtenir une réserve dans les années 80. Les membres de cette communauté ont vécu en forêt jusque dans les années 70, où ils ont été forcés de disperser leur peuplement à Hunter's Point. Aujourd'hui, ils poursuivent une revendication pour des terres de réserve. Leur revendication n'est pas fondée sur un traité ou une loi, mais sur le fait que la Couronne leur a promis des terres et qu'elle est par la suite revenue sur sa promesse. Ils en ont souffert.

La communauté du lac Barrière n'a obtenu une réserve qu'en 1963, et la province de Québec n'a permis qu'un nombre de terres à peine suffisant pour le logement — seulement 59 acres. Ils ont été sévèrement affectés par l'exploitation de réservoirs de retenue à Dozois et à Cabonga, qui ont causé des inondations et de l'érosion dans leur minuscule réserve.

Ma communauté est celle de Timiskaming. Un arpentage de notre réserve a été effectué en 1854. Originalement, notre territoire correspondait à une superficie de plus de 69 000 acres. Tout au long d'une série de réarpentages et de presque 40 cessions — dont plusieurs étaient apparemment à caractère illégal — notre territoire a été réduit à seulement 5 000 acres.

Je devrais également mentionner que la nation algonquine fait partie de plusieurs traités avec la Couronne britannique qui ont été établis entre 1760 et 1764. Ces traités n'étaient pas des traités de cession des terres, mais plutôt des traités de paix et d'amitié qui englobaient une gamme d'éléments pour assurer notre protection et notre cohabitation.

M. Peter Di Gangi, directeur, Secrétariat de la nation algonquine: Afin de vous donner un aperçu pratique de son impact, j'aimerais vous parler de certains points concernant le contenu du projet de loi, qui affecterait nos communautés membres.

Comme le grand chef l'a mentionné, les communautés se sont jointes assez tard au processus de revendications des terres. De facon fondamentale, elles ont manqué les 20 ou 25 premières années de recherches relatives aux revendications territoriales. Un certain nombre de revendications ont été identifiées, mais si le projet de loi C-6 était adopté dans sa forme actuelle, il nous empêcherait de poursuivre plusieurs des revendications que nous avons établies au cours des dernières années.

Nous avons assisté au témoignage du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien et de ses porte-parole, à l'effet que le projet de loi C-6 n'invoque pas la politique relative aux revendications spécifiques et qu'il ne fait que préciser et confirmer une pratique existante. Ou bien ils ne connaissent pas leur politique, ou ils ne disent tout simplement pas la vérité.

Le projet de loi C-6 restreint la définition spécifique d'une revendication spécifique afin qu'elle s'harmonise avec l'interprétation étroite que le ministère de la Justice a choisie. Si ce projet de loi est adopté dans la forme qu'il est rédigé, nos communautés membres et plusieurs communautés des Premières nations au Québec seront affectées.

Un autre problème majeur pour nos communautés est le plafond de 7 millions de dollars, qui empêcherait de porter devant les tribunaux les revendications correspondant à des sommes encore plus importantes. Cela aura pour effet de punir les Premières nations, qui ont connu les pires pertes, et de permettre au Canada d'éviter des obligations relatives à des manquements graves.

Je vais vous donner des exemples spécifiques. Le projet de loi C-6 limite les revendications de traité à celles ayant trait aux terres et aux autres biens. Ce projet de loi éliminerait les revendications fondées sur des droits établis selon des traités pour la chasse et la pêche. Il éliminerait également les revendications inhérentes aux aspects non réalisés de 1760, auxquels nos communautés tiennent. Il effacerait ces aspects et les éliminerait en tant que bases potentielles pour des revendications.

Le projet de loi C-6 ne permettrait pas des revendications fondées sur ce qu'on appelle «un engagement unilatéral de la Couronne». En d'autres mots, cela signifie que la Couronne a fait une promesse qui n'est pas nécessairement liée à un traité ou à une loi. À titre d'exemple, une promesse de créer une réserve à l'extérieur du traité ou de la loi serait considérée comme un engagement unilatéral et ne serait pas considérée comme admissible en vertu de la nouvelle définition d'une revendication particulière. Au Québec, presque toutes les réserves ont été créées à l'extérieur du traité et la plupart d'entre elles, à l'extérieur de la législation, ce qui aurait pu avoir des répercussions sur la plupart des réserves du Québec et non seulement sur nos membres.

Le projet de loi C-6 empêcherait le tribunal de rendre une décision sur des revendications de plus de 7 millions $. Wolf Lake, une de nos collectivités membres, a une revendication en suspens pour une réserve, laquelle, si on calcule le coût d'obtention d'une terre, comprenant le logement, l'établissement des infrastructures et les dommages liés à la perte de services, s'élèverait à beaucoup plus que 7 millions $. Cette revendication n'aurait pas la possibilité de se rendre devant un tribunal ou d'obtenir une décision.

Le ministre et ses représentants officiels disent: «Ne vous en faites pas, faites-nous confiance, nous négocierions ces revendications quoi qu'il en soit.» Cependant, en se fondant sur ce que nous avons observé et sur la façon dont le gouvernement fédéral a traité les collectivités, il n'existe absolument aucune raison de croire en cette assurance. Sans l'incitation venant du fait d'être en mesure d'en appeler à une autorité obligatoire plus élevée, il s'agit simplement d'une question de fait que le Canada ne sera pas motivé à traiter ces revendications supérieures à 7 millions $.

Les dommages subis par Barriere Lake à la suite de son inondation et de son relogement à partir des réservoirs de Cabonga et Dozois est un autre exemple. Il est possible que les dommages liés à ces réservoirs se chiffrent à plus de 7 millions $. Barriere Lake ne serait pas en mesure d'obtenir une audience indépendante.

En ce qui a trait à la bande de Timiskaming, il y a un certain nombre de modifications des limites et un très grand nombre de renonciations qui semblent avoir été illégales et il est clair que leur valeur dépasse 7 millions. Dans ces cas aussi, il serait impossible d'obtenir une audience indépendante.

En résumé, les communautés autochtones du Québec ne sont pas partie aux traités de cession des terres. Les réserves du Québec ont le plus souvent été établies par un engagement unilatéral de la Couronne. Un grand nombre de nos revendications s'élèvent à plus de 7 millions $. La limite et les changements à la définition de revendication particulière auront des répercussions très significatives et graves non seulement sur nos collectivités, mais aussi sur de nombreuses communautés autochtones du Québec. Il nous semble que les droits et les intérêts de ces dernières et leur type de revendications ont soit été ignorés dans l'élaboration du projet de loi, ou simplement considérés et qu'une décision a été prise afin d'éliminer toute une catégorie de revendications et une série de revendications susceptibles de découler de la situation qui prévaut au Québec.

Si le Canada tenait réellement à un processus de règlement des revendications juste et indépendant, l'un des choix aurait été simplement de laisser la définition d'une revendication particulière telle qu'elle est maintenant dans la politique de 1982 ou d'adopter les définitions faisant partie du rapport du groupe de travail mixte, puis de laisser le tribunal statuer sur l'admissibilité des revendications. C'eut été la mesure juste à prendre. Comme on le fait maintenant, le gouvernement a laissé le ministère de la Justice récrire la base de la politique des revendications d'une façon qui profite à la Couronne, et a retiré à cette commission la capacité de trancher elle-même ces questions. En réalité, avant de recevoir l'approbation écrite et de la transmettre à la commission, il met tous les atouts de son côté.

Nous n'énumérerons pas tous les problèmes parce qu'ils sont trop nombreux pour le peu de temps dont nous disposons. Cependant, un troisième problème important est le manque d'indépendance réelle pour peu que le Canada contrôle la nomination des commissaires. D'autres intervenants ont expliqué cette situation et nous partageons leurs préoccupations. On nous dit: «Ne vous inquiétez pas, faites-nous confiance, nous nous servirons du processus de nomination de façon responsable.» Cependant, il suffit d'observer comment le gouvernement a manipulé le processus du comité dans le cas du projet de loi C-6 pour avoir une bonne idée du type d'abus occasionné par des nominations unilatérales lorsqu'une partie peut mettre tous les atouts de son côté. Nous n'avons pas de raisons d'avoir confiance en la capacité du gouvernement de s'écarter et de maintenir de l'intégrité dans les nominations des commissaires.

Mme McBride: J'aimerais aborder certaines des préoccupations sérieuses que nous avons au sujet du processus utilisé pour mener ce projet de loi à cette étape. Le ministre Nault a affirmé qu'il y a eu de nombreuses consultations avec les Premières nations, ce qui n'est absolument pas vrai. Bien sûr, un travail de collaboration sérieux a été accompli entre 1995 et 1998 au sein du groupe de travail mixte, mais le gouvernement fédéral s'est éloigné. Lorsqu'il est revenu, il s'agissait du projet de loi C-6, ce qui est différent de ce que le Comité de travail mixte demandait.

Depuis, le gouvernement fédéral n'a pas fait d'effort sérieux afin de nous consulter ou de consulter nos membres ou nos organismes politiques. Il semble plutôt qu'il nous apprenait ce qui allait se produire et, si nous n'étions pas d'accord, nous n'avions qu'à débarrasser le plancher.

Nous avons quand même eu la chance de nous présenter devant le comité de la Chambre des communes, mais un grand nombre de Premières nations se sont vu refuser une telle chance. En fin de compte, les libéraux ont utilisé leur majorité au sein de ce comité pour adopter ce projet de loi à toute allure. Ils ont entièrement ignoré le témoignage des Premières nations. Il semble que le processus parlementaire a été manipulé afin de restreindre le débat et d'empêcher nos intérêts d'être considérés ou respectés.

Cette réalité est déplorable, particulièrement parce que le Canada a une obligation de fiduciaire spéciale à l'égard des Premières nations, ce qui signifie qu'il doit agir au mieux de nos intérêts et être honnête. Nous estimons que ce projet de loi et la façon dont le gouvernement a agi relativement à celui-ci dérogent à ces obligations de fiduciaire.

Nous voici donc devant le comité du Sénat. On nous accorde 15 minutes, mais il faut signaler qu'il ne s'agit pas d'une consultation adéquate. Notre présence ici aujourd'hui n'appuie en aucune façon le processus que nous a imposé le ministre Nault.

En tant que sénateurs, ferez-vous ce qui doit être fait? Vous assurerez-vous que nos droits sont considérés et respectés? J'espère que oui.

Je parle avec mon cœur. Je n'ai pas participé à un grand nombre de processus gouvernementaux auparavant. J'ai été très actif en ce qui a trait aux projets de loi C-7 et C-6 et j'ai présenté divers exposés. Je n'ai jamais été aussi découragé que lorsque je me suis présenté devant le comité de la Chambre des communes. Les gens écrivaient leurs cartes de Noël et remplissaient leur déclaration d'impôt, tandis qu'on parlait de notre vie. Ils ne prenaient absolument pas la chose au sérieux. Par conséquent, je me présente au Sénat pour vous demander, pour vous supplier, de faire ce qui doit être fait afin que ce gouvernement accomplisse ce qui est adéquat. Il a une obligation de fiduciaire et peut-être pouvez-vous vous assurer qu'il tienne sa promesse et protège cette obligation qu'il a envers nous.

Le ministre Nault nous a parlé de la façon dont nous devons être informés de la transparence, de la responsabilisation et de la façon dont nous devons diriger notre gouvernement. Cependant, dans le cas du présent projet de loi et du projet de loi C-7, nous avons eu l'occasion de voir comment votre gouvernement est dirigé et cette méthode est très différente de ce que le ministre attend de nous. Après avoir constaté comment la loi a été adoptée à toute vitesse et toute la désinformation et les demi-vérités issues du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien ainsi que la façon dont le processus du comité a été manipulé par le gouvernement, nous ne voyons vraiment aucune preuve de responsabilisation, de transparence ou de démocratie. En réalité, je crois que vous pourriez apprendre de nous.

Nous espérons que les honorables sénateurs auront l'intégrité nécessaire pour bien agir, peu importe le parti qui les a nommés. Vous devez agir en tant que vérificateur du pouvoir de l'administration de ce gouvernement. Vous avez un devoir, non seulement à l'égard des Premières nations, mais aussi de tous les Canadiens, de veiller à l'intégrité du processus démocratique.

La bonne chose à faire consiste à recommander que ce projet de loi soit retiré et que le gouvernement, en collaboration avec les Premières nations, en arrive à quelque chose de plus équilibré et tienne compte de nos opinions et de nos intérêts. Sous sa forme actuelle, le projet de loi est tellement inadéquat qu'il ne peut pas être amélioré par une modification. Il faudrait repartir à zéro afin que nous puissions l'améliorer et être fiers du résultat.

Les Algonquins ont beaucoup souffert depuis que nous avons accueilli les Européens dans notre territoire il y a plus de 200 ans. De nombreux gouvernements nous ont exploités et menti au fil des ans et notre situation n'a fait qu'empirer. Cependant, nous sommes là, aujourd'hui, espérant encore que vos institutions considéreront et respecteront nos intérêts. L'expérience que nous avons connue avec les projets de loi C-6 et C-7 ne nous inspire pas beaucoup confiance. Cependant, nous vous prions d'innover et de faire la bonne chose.

Meegwetch.

Le sénateur Gill: Dans l'intérêt de mes collègues, pourriez-vous nous parler des Algonquins, des parcs et de l'exploitation forestière?

J'ai visité de nombreuses collectivités autochtones et je crois que la situation économique de votre collectivité fait partie des pires pour les Autochtones.

M. Di Gangi: Permettez-moi de vous donner un bref historique. À l'origine, les territoires de la nation algonquine s'étendaient, à l'est, jusqu'à Trois-Rivières, au sud, jusqu'au nord de l'État de New York, et à l'ouest, jusqu'à la Baie Georgienne et la rivière Wanapitei, en Ontario. Au nord, son territoire allait jusqu'à la partie méridionale du territoire cri.

À mesure que la colonisation progressait dans les années 1700 et 1800, grâce à une combinaison de dépossession et de maladie, le territoire de la nation algonquine a diminué à un point tel qu'aujourd'hui, on le décrit comme les terres qui sont couvertes par les eaux qui s'écoulent dans la rivière des Outaouais, sur les deux côtés de la frontière provinciale. La ligne de partage des eaux de la rivière des Outaouais est ce qu'on qualifie aujourd'hui de territoire de la nation algonquine.

Il existe environ 10 collectivités de Premières nations, dont Golden Lake, en Ontario. Celle-ci ainsi que Maniwaki, à quelques heures de route seulement au nord d'Ottawa, se rendaient à la mission d'Oka, au Lac des Deux-Montagnes. Elles ont dû partir de cet endroit en 1870 et les habitants de Golden Lake ont dû acheter leur propre réserve avec leur argent parce que l'Ontario ne leur fournissait pas de terre de réserve. Maniwaki a obtenu une réserve en 1854. Les collectivités algonquines du nord et la bande Timiskaming ont obtenu une réserve en 1854, mais d'autres collectivités n'en ont pas eu.

Même aujourd'hui, il existe neuf collectivités algonquines au Québec. Dans tout le Canada, on trouve 12 bandes historiques qu'on considère sans terre et 25 p. 100 d'entre elles sont formées d'Algonquins. Grand-Lac-Victoria n'a pas de terre de réserve, la bande de Longue-Pointe, à Winneway, n'a pas un territoire de réserve. Le village de Wolf Lake n'a toujours pas de réserve. Barriere Lake a une réserve d'environ 59 acres et compte plus de 500 habitants qui vivent encore des ressources naturelles. Cependant, l'ensemble de leur territoire est assujetti à des permis de coupe, à la chasse sportive et au tourisme

Des études économiques ont été effectuées à Barriere Lake et nous avons calculé qu'entre l'industrie touristique et l'industrie forestière, excluant l'hydroélectricité, environ 100 millions $ par an sortent du leur territoire traditionnel et aucun des résidants n'est employé dans le secteur des ressources naturelles, pas un seul.

Je pourrais m'étendre sur le sujet. L'autre facteur important relativement à Barriere Lake est le fait que cette collectivité n'est qu'à trois heures de route au nord d'Ottawa. On a forcé ses habitants à évacuer leurs maisons en raison de l'inondation permettant à Hydro-Québec d'installer des réservoirs de retenue afin de produire de l'électricité. Ils n'ont pas d'électricité, comptent encore sur des génératrices Diesel et n'ont qu'un téléphone. Cependant, ils ne sont qu'à deux heures d'Ottawa. Si vous sortez de votre automobile et vous promenez un peu, vous entendrez tous les enfants s'exprimant encore dans leur propre langue. L'anglais est une langue seconde et le français, une langue tierce.

Le sénateur Gill: Étant donné que vous n'avez pas de réserves, vous n'avez pas beaucoup de logements, ce qui constitue un autre problème.

M. Di Gangi: Exact. Si vous n'avez pas une réserve, vous n'avez donc pas accès aux programmes fédéraux de logement, à l'éducation et à un financement de base. Toutes ces questions liées aux programmes et aux services sont refusées aux collectivités qui n'ont pas une réserve. On pourrait citer bien d'autres cas. Les collectivités envisagent la possibilité des revendications particulières comme étant une façon d'aborder ces anomalies et ce sous-développement.

Malheureusement, la façon dont le projet de loi est rédigé, soit à dessein ou accidentellement, sape la base de très nombreuses revendications des Premières nations au Québec. Le Québec est différent des Prairies, de la Colombie- Britannique et de l'Ontario. Malheureusement, nos collectivités et d'autres dans cette province, subiront un dur coup si ce projet de loi est adopté. Aujourd'hui, elles pourraient faire état de leurs revendications en vertu de la politique existante, ce qui serait impossible en vertu du nouveau projet de loi.

Le sénateur Chaput: Je vous remercie de votre exposé qui était clair et compatible avec les autres exposés que nous avons entendus.

Comme vous l'avez mentionné, nous sommes la chambre d'un second examen objectif. Permettez-moi de vous dire que nous avons des éléments de réflexion parce que nous n'avons pas beaucoup de choix. En premier lieu, nous pourrions accepter le projet de loi tel qu'il est, mais, à mon avis, ce serait impossible. En second lieu, nous pourrions le rejeter, et, en troisième lieu, nous pourrions le modifier. Voilà les trois possibilités.

Ce comité a également rencontré de jeunes Autochtones provenant de milieux urbains, étant donné que nous nous penchons aussi sur les besoins de ceux-ci qui vivent dans des milieux urbains. Comme vous le savez, ces jeunes n'ont pas accès à la plupart des programmes qui sont offerts s'ils habitent encore dans des réserves. Vos jeunes ont-ils été informés de ce que vous avez préparé? Sont-ils conscients de ce qui se produit? Ont-ils été en mesure de vous exprimer leur avis à ce sujet?

Le grand chef McBride: Ils font partie du processus. Je reçois mes directives des chefs des collectivités, lesquels, en fait, tiennent des réunions générales dans leurs collectivités afin d'examiner le processus. Les jeunes participent à ces réunions.

Senator Chaput: Ils ont participé à ceci?

Le grand chef McBride: Oui.

Le sénateur Adams: Merci de votre présence. Je suis originaire du Nunavut dans l'Arctique. Quand avez-vous amorcé votre processus de revendication auprès du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien? Avez-vous réussi jusqu'à maintenant? Vous avez mentionné que vous représentiez neuf collectivités.

Vous avez affirmé que dans certaines collectivités, il n'y a qu'un téléphone. La limite étant de 7 millions $ par revendication, pouvez-vous me dire où vous en êtes? Avez-vous commencé à l'échelle provinciale ou vous dirigez-vous vers un processus fédéral? Pouvez-vous me donner une idée de la façon dont fonctionne présentement le système gouvernemental et de la façon de revendiquer vos règlements futurs?

D'autres témoins qui se sont présentés devant nous aimeraient que les trois projets de loi C-6, C-7 et C-19 ne soient pas adoptés.

Mme McBride: J'aborderai d'abord votre dernière question. Je laisserai M. Di Gangi répondre à votre première question.

Vous devriez sortir ces trois projets de loi et les étudier. Ce faisant, vous verrez clairement que tout correspond. Pour les collectivités que je représente, ces trois projets de loi doivent être rejetés. Une fois que vous les aurez examinés, vous constaterez pourquoi.

M. Di Gangi: Permettez-moi de préciser, sénateur, que notre conseil de tribu représente trois collectivités algonquines sur neuf au Québec. Dans ces trois collectivités, nous avons commencé en retard à effectuer des recherches sur les revendications territoriales. On a commencé à financer cette recherche du début au milieu des années 70. Pour des raisons quelconques, les collectivités du nord-ouest du Québec n'ont participé qu'assez tard à la préparation de leur histoire ou de leur recherche. Nous avons découvert que c'était un défi de taille, en raison, entre autres de la tenue de registres.

En résumé, sur ces trois collectivités, nous avons découvert que la bande Timiskaming compte à elle seule environ 40 revendications potentielles fondées sur une des renonciations qui nous semblent soulever des problèmes graves. Il ne s'agit là que des revendications relatives aux renonciations et excluant la gestion du fonds d'affectation spéciale ou les sondages.

Wolf Lake est la collectivité parmi nos membres qui a réellement soumis une revendication, en 1996, soit une revendication particulière adressée au Canada pour obtenir une réserve. Le gouvernement l'a rejetée. Nous avons convenu d'effectuer des recherches supplémentaires.

En janvier 2000, le chef a rencontré le ministre Nault et lui a exprimé ce qui suit: «Voici un résumé de notre preuve. Nous estimons que nous avons des raisons valides pour obtenir une réserve parce que nous faisons partie d'une bande sans terre.» Il a demandé au ministre d'étudier cette demande et d'en accélérer le règlement afin de constater si nous pouvions la régler sur le plan administratif à l'extérieur du processus de règlement des revendications. Le ministre s'est engagé à traiter en priorité l'étude du ministère de la Justice. Grâce à ce «traitement accéléré», le ministère de la Justice a mis environ un an et demie à étudier un document de 20 pages, voire 30 documents historiques. Au cours de cette période, je crois que le ministère a consulté deux ou trois avocats différents et a rejeté la revendication une fois de plus.

Nous avons songé à présenter plus de preuves au ministère. Nous avions l'impression que nous n'obtiendrions pas une audition équitable. On nous a dit que nous pouvions nous pourvoir en justice ou nous présenter à la Commission des revendications. Le chef et le conseil ont opté pour cette dernière solution, en septembre dernier. Le Conseil a entamé des procédures et nous a été utile en obligeant le gouvernement à être honnête et en le forçant à respecter ses échéanciers. Il semble que ce soit plus efficace que lorsque le ministère s'occupait de la situation. Malheureusement pour le village de Wolf Lake, s'il devait faire partie du nouveau processus, il ne pourrait pas aller devant les tribunaux parce que sa revendication porte sur une réserve, une infrastructure et du logement, ce qui est nettement supérieur à 7 millions $.

Heureusement, cette revendication est présentement en cours. S'il avait attendu encore cinq ans et l'adoption du projet de loi C-6, il n'aurait plus aucune chance. Les habitants continueraient d'être une bande sans terre.

Je regrette de ne pouvoir donner un plus grand nombre d'exemples, mais c'est tout ce que je peux faire.

Le sénateur Adams: Le sénateur Gill a mentionné d'autres régions où vos revendications comprennent des parcs. Ces parcs appartiennent-ils au gouvernement provincial ou au gouvernement du Canada?

M. Di Gangi: Il y a plusieurs grands parcs provinciaux. La réserve faunique La Vérendrye a été établie dans les années 920 en tant que terre de piégeage exclusive pour les Algonquins en raison du manque d'assise territoriale et des difficultés économiques qu'ils éprouvaient. En 1940, la province a construit une route au milieu du parc et l'a déclaré parc réserve pour les touristes, la chasse à l'orignal et la pêche, ce qui a été un coup terrible pour l'économie de la collectivité.

Il existe un petit parc historique national à une extrémité du territoire près de la collectivité du grand chef. Évidemment, il y a le parc de la Gatineau, dans la région de la Capitale nationale, qui appartient au fédéral. On trouve un mélange de parcs fédéraux et provinciaux dans cette région

Le sénateur Adams: Je n'ai pas vraiment bien compris pourquoi le gouvernement rejette certaines de vos revendications. A-t-il une politique en vertu de laquelle il peut rejeter certaines de vos revendications? Arrête-t-il simplement ou affirme-t-il que vous avez fait quelque chose d'inadmissible? Pourquoi vos revendications ont-elles été rejetées?

M. Di Gangi: Vous soumettez une revendication avec vos preuves et vous devez démontrer qu'il existe une obligation légale fondée sur la politique en matière de revendications particulières. Le gouvernement y jette un coup d'œil, puis l'envoie à ses analystes historiques qui l'évaluent et la transmettent ensuite au ministère de la Justice. Celui- ci tranche la question à savoir si votre revendication respecte les critères, s'il existe une obligation légale qui a été établie, et cetera. Il donne alors son avis au ministre. Il peut accepter ou rejeter la revendication en se fondant sur cet avis.

Dans le cas du village de Wolf Lake, le ministre a rejeté la revendication parce qu'il a affirmé ne pas avoir reçu assez de preuves pour démontrer que le gouvernement était obligé légalement de lui accorder une réserve. Lorsque les traités ont été signés dans les Prairies, le gouvernement était obligé de mettre des réserves de côté pour chaque bande. Ces types de traités n'existent pas au Québec. L'établissement de réserves pour les collectivités était davantage une question de politique gouvernementale. On a choisi la solution facile en affirmant fondamentalement qu'il n'existait pas de traité et que, par conséquent, on n'avait pas à vous donner une réserve.

Nous avions deux choix: nous pouvions préparer plus de preuves et les soumettre à nouveau au ministère de la Justice ou nous pouvions porter notre cause devant la commission en espérant que nous aurions un arbitre qui nous donnerait l'occasion d'avoir une audition équitable. Jusqu'à maintenant, cette dernière décision semble être la plus avertie.

Le sénateur Adams: Si le ministre devait affirmer «Vous avez essayé de faire du bon travail. Vous avez commis quelques erreurs et je dois rejeter votre revendication. Cependant, je vais vous fournir tous mes conseillers du ministère qui vous donneront peut-être une meilleure revendication.» Le ministre pourrait-il agir ainsi? Pas question.

Le sénateur Léger: L'ensemble du pays doit savoir ce qui se passe ici. Nous avons entendu de nombreux témoins et nous sommes les seuls a avoir eu la chance de vous écouter. Je sais qu'il s'agit d'un idéal.

Le temps est venu. Tous les intervenants du gouvernement doivent écouter et entendre. Tout ce que vous avez dit au sujet de la signature de cartes me surprend aussi.

Selon ce que je constate aujourd'hui, les Autochtones veulent commencer à travailler en collaboration avec nous, et non seulement nous avec eux. Nous obtiendrions des résultats communs et tout le pays serait réuni.

Je suis très positif au sujet de toutes ces réunions. Je regrette seulement que tant de chaises soient vides. C'est la vie. Il y a d'autres choses à faire et tout le monde court partout.

Mon désir est de progresser ensemble.

La présidente: J'ai un commentaire à émettre.

Lorsque nous faisions notre étude et préparions un plan d'action portant sur le changement pour les Autochtones en région urbaine, en nous concentrant sur la jeunesse, nous avons entendu parler de certaines organisations au Québec. J'ai été absolument horrifié de la façon dont les Autochtones sont traités au Québec, selon ces exposés.

Vous venez de réaffirmer exactement ce que nous avions entendu dans d'autres réunions de notre comité. Je me demande où s'est trouvé le leadership des deux côtés, soit celui du gouvernement et des Autochtones. Je crois que le moment est arrivé. Nous comptons des personnes plus instruites dans nos collectivités, ainsi que des gens qui n'ont pas peur d'émettre leurs opinions. Nous n'avons pas à nous soucier des obstacles linguistiques puisque nous nous exprimons tous soit en français, soit en anglais.

J'estime que le temps est venu pour que nous commencions à œuvrer en partenariat.

Nous avons peu de temps, et ceci est le début. Les négociations sont serrées et tout ce que je peux dire c'est que je suis heureux de faire partie du Sénat où nous pouvons, éventuellement, innover.

Merci infiniment à vous deux de vous être déplacés. Je l'apprécie.

La séance est levée.


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