Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 3 - Témoignages du 28 novembre 2002
OTTAWA, le jeudi 28 novembre 2002
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 8 h 30 pour étudier l'impact du changement climatique sur l'agriculture, les forêts et les collectivités rurales au Canada ainsi que les possibilités d'adaptation axées sur l'industrie primaire, les méthodes, les outils technologiques, les écosystèmes et d'autres éléments s'y rapportant.
Le sénateur Donald H. Oliver (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Honorables sénateurs, je déclare ouverte cette troisième séance du comité consacrée à l'étude des effets du changement climatique sur l'agriculture, les forêts et les collectivités rurales du Canada ainsi qu'aux possibilités d'adaptation.
[Français]
Honorables sénateurs, aujourd'hui nous continuons notre étude sur les effets du changement climatique. D'abord, j'aimerais vous souhaiter la bienvenue, chers collègues, ainsi que nos observateurs ici présents. Je voudrais également souhaiter la bienvenue aux Canadiennes et aux Canadiens qui nous écoutent sur Internet.
Le 31 octobre, le comité s'est vu confier par le Sénat un mandat précis qui consiste à examiner les effets du changement climatique sur l'agriculture, les forêts et les collectivités rurales. Depuis quelques années, nous sommes témoins de signes évidents, et parfois troublants, du changement de notre climat. Malheureusement, le changement climatique est une réalité et continuera de l'être pendant longtemps.
[Traduction]
Le comité entreprend maintenant une étude intensive de la façon dont nous devons adapter nos pratiques d'exploitation agricole et forestière partout dans le pays à des effets possibles tels que la diminution des précipitations, l'allongement des périodes de croissance et une hausse sensible des températures. Nous examinerons les possibilités d'adaptation en insistant sur les pratiques de l'industrie primaire, les technologies et les écosystèmes. Pendant que nous procéderons à cet examen, dans le cadre de notre mandat, d'autres questions pourraient nécessiter une étude détaillée. Le comité doit déposer son rapport final fin décembre 2003.
Nous inviterons des experts, des praticiens, des dirigeants communautaires et d'autres parties intéressées afin de connaître leur point de vue. Aujourd'hui, honorables sénateurs, nous accueillons des responsables de Ressources naturelles Canada, M. Gordon Miller, M. Paul Egginton, que nous avons brièvement entendu mardi, et Mme Darcie Booth. Monsieur Miller, la parole est à vous.
M. Gordon E. Miller, directeur général, Direction des sciences, Service canadien des forêts, Ressources naturelles Canada: Honorables sénateurs, merci et bonjour.
[Français]
Il me fait plaisir de pouvoir vous présenter brièvement les incidents possibles des changements climatiques sur la foresterie, y compris les options en matière d'adaptation.
[Traduction]
Je crois que tous les honorables sénateurs disposent d'un exemplaire de cette présentation. Je vous demande de passer à la deuxième page. Ressources naturelles Canada s'occupe de très près de la question du changement climatique. En fait, nous avons pris les devants en matière d'impacts et d'adaptation.
[Français]
La modification du climat et le réchauffement accéléré de la planète font du changement climatique le défi environnemental, social et économique le plus audacieux que le Canada ait à relever aujourd'hui. Le ministère des Ressources naturelles joue un rôle décisif en s'engageant dans ce défi dans le cadre de son mandat relatif au développement durable des nombreuses ressources naturelles canadiennes.
[Traduction]
Le ministère tire parti d'une vaste gamme de compétences scientifiques, techniques et administratives relatives aux ressources naturelles. Cette combinaison de capacités et de compétences nous permet de donner au gouvernement du Canada et à la population canadienne des avis éclairés fondés sur des connaissances scientifiques crédibles et faisant autorité. Nous exerçons ces fonctions dans le pays et à l'échelle internationale. Ressources naturelles Canada est, sur le plan intérieur, un chef de file en matière de changement climatique et d'adaptation.
Dans le domaine du changement climatique, par exemple, Ressources naturelles Canada peut compter sur les services de nombreux scientifiques de calibre mondial qui nous fournissent des renseignements et des connaissances utiles sur les multiples aspects de la question. Notre champ de compétence s'étend aux sciences de la terre, à l'énergie, aux forêts, aux minéraux et aux métaux. Dans le cas d'une question de nature horizontale telle que le changement climatique, la collaboration entre ces secteurs et champs d'intérêt est importante.
En ce qui concerne en particulier les forêts du Canada, il y a deux grands points à considérer. Il n'y a pas de doute que les forêts du Canada seront touchées par le changement climatique. En même temps, ces forêts ont en elles-mêmes le potentiel d'atténuer partiellement les effets du changement climatique. De plus, les forêts sont des systèmes dynamiques qui réagissent à ce changement. Les écosystèmes forestiers connaîtront probablement différents impacts, tant positifs que négatifs, à mesure que le changement climatique se manifestera. Les forêts ont la capacité de retirer de l'atmosphère les gaz à effet de serre tels que le gaz carbonique, ce qui en fait un moyen efficace de remédier au changement climatique.
[Français]
Les écosystèmes forestiers sont à l'origine d'une vaste gamme de biens et services. Ces avantages couvrent les aspects environnementaux, sociaux et économiques.
[Traduction]
D'un point de vue environnemental, les forêts contribuent à la modération des conditions météorologiques et à la stabilisation du climat. Elles absorbent les déchets et nous fournissent de l'air et de l'eau propres; elles protègent les bassins hydrographiques de l'érosion, génèrent et préservent les sols, recyclent et déplacent les éléments nutritifs, fournissent un habitat à la faune et maintiennent la biodiversité.
Sur les plans social et économique, les forêts constituent un important facteur du tissu social du Canada. Des centaines de milliers de personnes en tirent leur subsistance. Cela représente environ un emploi sur 17 dans le pays. À tous les niveaux, les gouvernements bénéficient considérablement de l'activité économique liée aux forêts aux chapitres des recettes fiscales et de l'infrastructure.
Il importe de passer en revue les nombreux services et avantages que nous assurent nos forêts pour montrer que le changement climatique est un phénomène qui aura des incidences sur tous ces services et avantages. En effet, il ne s'agit pas seulement d'arbres. De toute évidence, nous sommes préoccupés par le changement climatique et les effets qu'il aura sur les forêts. Il augmentera l'intensité des perturbations naturelles telles que les incendies, les insectes et les maladies. Nous pouvons également nous attendre à des conditions météorologiques plus extrêmes, comme les tempêtes de verglas et les sécheresses.
Il ne faut pas non plus perdre de vue les changements de composition des forêts qui peuvent résulter de perturbations naturelles telles que les incendies et les insectes ainsi que de conditions climatiques comme la durée de la saison de croissance et le régime des précipitations. Dans les deux cas, nous assisterons à un changement de la composition des forêts et des essences ainsi que de la disponibilité de biens et de services. Il y aura certainement des incidences sur la croissance des arbres, quoi que ce soit là un sujet complexe parce que cette croissance ne dépend pas seulement de la température et des précipitations. D'autres facteurs, comme les éléments nutritifs du sol et les conditions particulières dont certaines essences ont besoin pour se régénérer, jouent également un rôle. Tous ces facteurs interviendront à mesure que le climat continuera à changer. Et ils auront à leur tour des incidences sur la façon dont l'industrie pourra gérer les forêts à notre profit.
Pour ce qui est des impacts possibles sur les collectivités, nous devons tenir compte d'aspects tels que la qualité et la disponibilité de l'eau potable, les dommages à l'infrastructure et des causes naturelles définies liées à l'assurance des biens. De tels changements peuvent exercer des pressions très sensibles sur notre système social.
Compte tenu de l'important rôle que les forêts jouent dans notre société, à part leur rôle dans l'atténuation des conséquences du changement climatique, il est essentiel que le gouvernement fédéral et tous les membres de la communauté forestière canadienne continuent à disposer de renseignements concrets et crédibles. La recherche sur le changement climatique qu'appuient, d'une façon générale, le Service canadien des forêts et Ressources naturelles Canada fournit des outils qui, dans le contexte de saines pratiques de gestion forestière, nous aiderons à atteindre l'objectif ultime de promotion du développement durable des forêts canadiennes. La recherche nous permettra de trouver des moyens de tirer parti du changement climatique, si possible, et d'en réduire les effets au besoin.
Dans le contexte du changement climatique et des forêts, je peux vous citer quatre exemples de travaux dirigés par Ressources naturelles Canada. Les titres indiquent que ces travaux couvrent une vaste gamme d'aspects faisant appel aussi bien à des activités sur le terrain qu'à des applications de télédétection. J'attire votre attention sur la diapositive 6.
Nos activités actuelles comprennent un certain nombre de programmes et de projets qui fournissent une description concrète des forêts canadiennes. Les impacts régionaux possibles du changement climatique varient selon l'endroit. On croit qu'ils seront les plus marqués aux latitudes élevées, où ils occasionneront une augmentation des grandes tempêtes, une hausse du niveau de la mer et de la température de l'eau dans les régions côtières, un accroissement de l'incidence des sécheresses dans les Prairies et une diminution du ruissellement des eaux dans le bassin hydrographique des Grands Lacs et du Saint-Laurent. Les impacts varieront selon la région du pays, la nature de leur économie et le degré de changement climatique. Malgré nos efforts, de nombreuses incertitudes demeurent quant au caractère, à l'importance et au rythme des changements futurs du climat.
Pour vous donner quelques exemples précis des effets anticipés, je vous dirai que nous prévoyons un allongement de la saison de croissance et des hivers plus chauds le long de la côte. Nous nous attendons en outre à une incidence accrue des insectes et des incendies dans nos forêts. Dans les Prairies, il est probable que certaines essences disparaîtront aux limites de leur aire actuelle et que les herbages et les essences tempérées à feuilles caduques migreront vers le Nord. Déjà, dans les Prairies, nous assistons à un déclin du tremble dans la forêt-parc, surtout attribuable à la sécheresse et aux insectes.
Dans les régions septentrionales, les forêts du Canada devraient se déplacer vers le Nord d'environ 100 km par degré de réchauffement. Ce phénomène dépendra d'autres facteurs tels que les éléments nutritifs du sol, dont la présence pourrait considérablement retarder cette migration. D'une façon générale, nous nous attendons à ce que la forêt boréale diminue de taille à mesure que le climat se réchauffera.
On peut déjà observer, dans l'ouest du Canada, une incidence accrue et une intensification des incendies, tandis que dans l'Est, la fréquence des incendies devrait diminuer. Encore une fois, cela dépend beaucoup des modèles climatiques régionaux et de ce qu'ils permettent de prédire.
Au chapitre des mesures d'adaptation, la possibilité pour le Canada de minimiser le changement climatique et ses répercussions sur nos écosystèmes forestiers et les processus correspondants dépend en définitive du rythme et de l'importance du changement climatique et du lieu où il se produit. L'adaptation à ces impacts nécessitera une gestion soigneuse des forêts et des efforts de la part de l'industrie et des collectivités qui en dépendent. L'industrie forestière pourra peut-être adopter de nouvelles technologies, utiliser des essences différentes et faire de la planification à long terme.
Les changements de la gestion et des pratiques du secteur forestier comprennent des choses telles que l'allongement de la saison de culture, qui laissera plus de temps pour planter des arbres, et une réduction de la période de gel du sol en hiver, qui aura des effets sur les activités d'exploitation. Dans la forêt boréale, par exemple, l'exploitation se fait surtout en hiver quand le sol est gelé parce que les répercussions environnementales sont moindres qu'en été, quand le sol est moins dur. Nous aurons également des changements dans les méthodes d'exploitation ainsi que dans le moment et les endroits où les forêts sont exploitées. Il pourrait être nécessaire à l'avenir de penser aux essences à planter, de façon à donner la préférence à celles qui résistent bien à la sécheresse et aux insectes.
Les pratiques de gestion de la forêt, comme l'exploitation, la protection contre les insectes, les maladies et l'incendie et les techniques de sylviculture peuvent modifier le rythme auquel la forêt absorbe le carbone, la période pendant laquelle il est conservé et la quantité qui est restituée à l'atmosphère. Des pratiques de gestion durable des forêts peuvent réduire les émissions et augmenter la quantité de carbone retenue, grâce par exemple à une perturbation moindre du sol et à une meilleure régénération après l'abattage. La création de nouvelles forêts, c'est-à-dire le boisement, et la réduction des pertes permanentes diminuent également la concentration de gaz carbonique dans l'atmosphère.
La recherche scientifique financée par le gouvernement du Canada améliore notre compréhension du cycle du carbone et nous apprend comment la gestion peut en accroître la quantité. Le gouvernement étudie également des moyens de boisement à grande échelle pour réduire le réchauffement de la planète. En fait, Forêt 2020 est une initiative de ce genre du Conseil canadien des ministres des Forêts, qui est très liée au changement climatique et au piégeage du carbone.
En ce qui concerne les mesures possibles d'atténuation, il est certain que le boisement devient de plus en plus un élément courant de la gestion forestière partout dans le monde. À l'heure actuelle, près de 35 p. 100 de l'approvisionnement mondial en fibres vient de plantations forestières, et ce chiffre devrait bientôt passer à 44 p. 100. Ce facteur est particulièrement pertinent parce que les plantations sont gérées de très près. Il s'agit en fait de plantations d'arbres, qui nous permettent de suivre très attentivement tout ce qui se passe.
Au Canada, nous avons la possibilité de recourir à une combinaison de foresterie intensive et de plantations à grand rendement, à part notre exploitation des forêts naturelles. Nous avons une certaine souplesse qui nous permet d'augmenter la conservation de certaines de nos ressources forestières en exploitant davantage de plantations. Nous avons donc des moyens directs et faciles de piéger le carbone dans ces plantations.
Considérant la biotechnologie comme un aspect du changement climatique, le Service canadien des forêts et ses partenaires de recherche explorent les moyens d'utiliser cette science pour améliorer la régénération des forêts et les méthodes de protection, tout en veillant à tenir compte des impacts environnementaux. Nous croyons vraiment que la biotechnologie peut jouer un rôle dans le changement climatique. Il est possible, par exemple, de concevoir des arbres qui résistent mieux à la sécheresse et aux insectes.
Sur le plan de la gestion des incendies, nous nous attendons à une augmentation tant de la fréquence que de l'intensité des incendies de forêts. L'accroissement des activités d'extinction est économiquement impossible et peu souhaitable sur le plan écologique. Il n'y a pas de doute que le feu joue un rôle écologique naturel dans la régénération des forêts. Là où cela est possible, nous devons permettre au phénomène de suivre son cours naturel.
Nous avons quelques initiatives liées, par exemple, à la protection des collectivités. L'un de ces programmes, Préventifeu, encourage les gens à se préparer à réagir à un incendie de forêt. À l'échelle régionale, nous réalisons des projets en partenariat avec d'autres, comme l'industrie, les universités, et cetera, portant sur des choses telles que les allées coupe-feu et leur utilisation dans une gestion à grande échelle des incendies. Au niveau national, nous avons des moyens de surveillance permettant de suivre la progression des incendies pendant l'été. Nous réalisons également des études sur les risques courus en combattant les incendies de forêt.
Je passe maintenant au programme de recherche du gouvernement du Canada sur les impacts et l'adaptation, que gère Ressources naturelles Canada. Le programme est axé sur la sensibilisation à la vulnérabilité du Canada au changement climatique et comprend différentes activités. Le programme est en cours depuis cinq ans. Parmi ses réalisations, il y a lieu de mentionner la création et la coordination du Réseau canadien de recherche sur les impacts climatiques et l'adaptation (C-CIARN), dont je crois savoir que vous recevrez les représentants plus tard.
Nous avons également conçu des produits de communication comme la série d'affiches sur les impacts régionaux du changement climatique et avons financé de nouvelles recherches sur les impacts et l'adaptation. Les projets de recherche sont disséminés dans tout le pays comme vous pouvez le voir sur la carte de la diapositive 11. Ils couvrent de nombreux secteurs, dont la foresterie et l'agriculture. Les résultats de ce travail constituent, du moins en partie, la base de la publication intitulée «`Impact et adaptations au changement climatique: Une perspective canadienne.»' Le rapport est l'œuvre de M. Egginton et de son équipe. Trois des treize chapitres ont été publiés, y compris ceux qui traitent de la foresterie et de l'agriculture. Je crois que vous en avez déjà reçu des exemplaires. Nous espérons que vous les trouverez utiles dans vos délibérations.
En résumé, il n'y a pas de doute qu'un certain degré de changement climatique est inévitable en ce moment et qu'il aura des effets sur les forêts du Canada et sur bien d'autres secteurs. L'adaptation sera nécessaire, de même que des mesures d'atténuation. Nous croyons que les forêts joueront un rôle clé des deux côtés de l'équation du changement climatique.
L'adaptation doit être gérée horizontalement. C'est l'impression qu'ont les ministères qui collaborent ensemble au sein de l'administration fédérale. Nous avons besoin de collaboration entre les autorités fédérales, provinciales et municipales ainsi qu'avec l'industrie. Il faut également de la coopération dans la formulation des politiques et des solutions scientifiques. En effet, le problème est d'une nature très technique et a d'importantes conséquences sur le plan des politiques.
Nous croyons également que le Canada est en bonne position. Comme je l'ai dit, nous avons de nombreux scientifiques de calibre mondial qui s'occupent du problème. Ressources naturelles Canada a un rôle clé à jouer sur le double plan des sciences et des politiques dans la gestion des impacts et de l'adaptation au changement climatique.
Nous sommes maintenant prêts à répondre aux questions.
Le président: Monsieur Miller, vous avez ouvert de nombreuses portes. Je sais que les honorables sénateurs auront beaucoup de questions à vous poser. Votre exposé était extrêmement intéressant. Vous avez abordé beaucoup des sujets que nous espérons explorer dans les prochains mois.
Vous avez parlé du déclin du tremble dans l'Ouest sous l'effet de la sécheresse et des insectes. Vous dites aussi que la tendance est à la création de plantations forestières.
Je suis un peu surpris. J'aurais cru qu'en élevant une seule essence dans une plantation pour la préparer à l'exploitation, on change le cours naturel des choses. En d'autres termes, il n'y aura ni arbustes, ni feuillus, ni conifères ni d'autres essences poussant naturellement. À long terme, est-ce que les plantations forestières ne vont pas accélérer le rythme du changement climatique?
M. Miller: Je ne le crois pas. Beaucoup de ces plantations sont établies sur des terres agricoles marginales ou dans des régions où, comme dans le sud de l'Ontario, il y a déjà eu beaucoup de déforestation. Par conséquent, nous reboisons en fait des régions du pays qui avaient été couvertes de forêts dans le passé, mais qui ne l'étaient plus, dans certains cas depuis des centaines d'années.
En augmentant la superficie couverte de forêts et en piégeant délibérément le carbone dans une partie de cette superficie, nous croyons pouvoir compenser dans une certaine mesure les émissions de gaz à effet de serre que nous produisons actuellement.
Le président: J'étais en Nouvelle-Zélande, il y a quelque temps. Quand on a dit à un certain nombre d'éleveurs d'ovins qu'ils ne pouvaient plus poursuivre leur activité, quelques-uns ont planté 100 ou 200 acres de bois. Ils ont trouvé une essence de pin de la Californie qui peut atteindre la maturité en 25 ans. Ils en ont planté et pourront les exploiter à temps pour leur retraite. Croyez-vous que nous pourrons trouver de nouvelles essences à planter dans certaines de ces régions?
M. Miller: Oui. La majorité des plantations forestières du monde se basent sur des essences exotiques plutôt qu'indigènes dans la situation que vous décrivez, même s'il y a, dans certains cas, des pays qui recourent également aux essences indigènes. Dans le cas de Forêt 2020, par exemple, nous utilisons des essences à croissance rapide comprenant aussi bien des conifères que des feuillus, en insistant particulièrement cependant sur des essences hybrides de peuplier et de saule qui ne représentent pas, à l'heure actuelle, une proportion appréciable du marché forestier commercial. Le peuplier hybride atteint la maturité en 18 à 20 ans. Comme ces arbres poussent rapidement et piègent efficacement le carbone, il est possible d'utiliser ces essences pour affronter un phénomène tel que le changement climatique.
Le sénateur Wiebe: Mes premières questions seront axées sur les Prairies plutôt que sur l'ensemble du pays et les forêts, même si plus de la moitié de la Saskatchewan en est couverte, fait que beaucoup de gens ignorent au Canada. Toutefois, le genre d'arbres que nous faisons pousser dans le Nord est une espèce d'épinette sans grand intérêt.
Lorsque la Saskatchewan est devenue une province en 1905, le nouveau lieutenant-gouverneur avait décidé de planter des épinettes autour de ses propriétés. Il avait donc affrété un wagon des Chemins de fers nationaux du Canada pour transporter les arbres de Banff, en Alberta, jusqu'à Regina. Il a fait cela pendant trois ans, obtenant quatre wagonnées d'arbres, dont il ne reste aujourd'hui que trois vivants. Par contre, son jardinier avait réussi à adapter ces arbres de façon telle qu'ils poussaient très bien dans le sud de la Saskatchewan. La recherche et la technologie mettent cependant beaucoup de temps pour aboutir à des résultats. Les activités humaines intensifient considérablement le changement climatique qui se produit normalement.
Avons-nous mis suffisamment d'argent dans la recherche pour affronter les changements rapides de notre climat? Il y a 25 ans, le climat évoluait naturellement à un rythme auquel nous pouvions facilement nous adapter. Toutefois, à cause de l'augmentation des activités humaines et surtout de la consommation accrue d'énergie, le rythme du changement s'accélère constamment.
Affectons-nous suffisamment de fonds pour suivre ce changement rapide et développer des produits, des arbres, des pêches et des écosystèmes pouvant nous permettre de nous adapter assez rapidement?
M. Miller: En qualité de chef d'un programme scientifique, je vais commencer par dire que nous n'avons jamais assez d'argent. Cela étant dit, beaucoup de fonds sont affectés à la recherche sur le changement climatique. Nous devons cependant affronter d'autres obstacles. Par exemple, nous parlons aux doyens des écoles de foresterie du pays de la nécessité d'une plus grande collaboration en recherche forestière. Ils nous répondent de plus en plus, non seulement au sujet du changement climatique, mais en général, que les activités de recherche sont limitées non par le manque de financement, mais par une pénurie d'installations et, plus particulièrement, une pénurie d'étudiants compétents du deuxième cycle capables de s'occuper de la recherche.
Pour ce qui est du financement de la recherche sur le changement climatique, il existe de nombreuses sources gouvernementales et autres. Dans une certaine mesure, la question est de savoir à quelle vitesse nous voulons obtenir des résultats. Si nous souhaitons agir très vite, il serait utile de disposer de plus de ressources, mais il faut admettre que nous avons besoin de temps, comme vous l'avez mentionné, pour parvenir à certains résultats, indépendamment du financement dont nous disposons.
De notre point de vue, les fonds de recherche ne manquent pas, mais il y a d'autres obstacles qui ont davantage à voir avec le manque de personnel et d'expertise.
Le sénateur Wiebe: Dans l'Ouest, et surtout en Saskatchewan et en Alberta, nous avons créé des arbres qui résistent bien à l'hiver. Il faut beaucoup de temps pour établir une bande boisée brise-vent autour d'une exploitation agricole ou d'une ville. Toutefois, nous avons connu des hivers très doux. Nous avons eu de la neige et des précipitations, mais nous avons eu aussi ce que nous appelons des chaleurs extrêmes pendant l'hiver. Si la température reste assez longtemps au-dessus de zéro, le cycle de croissance des arbres se déclenche. Puis, quelques jours plus tard, la température tombe à -35 degrés. Nous avons perdu ainsi beaucoup d'arbres. Nous pouvons nous adapter aux insectes et aux maladies des arbres en utilisant des produits chimiques, mais nous n'avons pas trouvé un moyen de nous adapter à ces énormes fluctuations de la température.
Cet automne et cet hiver, ce phénomène a été particulièrement marqué. Ce matin, il faisait +13 en Saskatchewan, et toute la neige avait fondu. Qu'arrivera-t-il si les arbres commencent leur cycle de croissance?
Faites-vous des recherches pour créer des essences pouvant résister à de telles fluctuations?
M. Miller: Je conviens que le phénomène de dessèchement des rameaux en hiver est courant dans les Prairies. Je me demande s'il ne l'a pas toujours été, parce que j'en ai été témoin depuis que j'ai commencé à suivre la situation. À ma connaissance, le Service canadien des forêts n'a pas de recherches en cours sur ce sujet particulier, mais Agriculture Canada a des programmes axés sur les brise-vent et ce genre de choses.
M. Paul Egginton, directeur exécutif, Direction des impacts et de l'adaptation liés au changement climatique, Ressources naturelles Canada: Honorables sénateurs, à ma connaissance, il n'y a pas de recherches particulières sur cette question, mais vous avez raison quant aux impacts possibles.
Je voudrais faire une observation générale pour répondre votre question. Vous soulevez un point intéressant. La recherche nécessaire n'est pas seulement de nature climatique, il faudrait qu'elle soit plus vaste. Il est très important de savoir ce qui arrive au système. Nous devons en apprendre davantage à ce sujet, qu'il s'agisse d'arbres, d'insectes ou de collectivités. Par conséquent, nous avons besoin de différentes recherches, pas seulement d'études climatiques.
Le président: Je voudrais poser une question faisant suite à celle du sénateur Wiebe concernant la recherche. Dans votre exposé, monsieur Miller, vous avez mentionné un programme sur les impacts et l'adaptation au changement climatique. Pourriez-vous nous parler du financement de ce programme? Quel en est le budget total et combien en avez-vous dépensé?
M. Miller: Je laisse répondre M. Egginton, qui dirige ce programme particulier.
M. Egginton: Depuis la mise en place du programme en 1998, les fonds affectés ont totalisé quelque 48 millions de dollars.
Le président: Ce montant a-t-il été dépensé?
M. Egginton: Les fonds doivent financer le programme jusqu'en 2006.
Le président: En avez-vous dépensé la moitié?
M. Egginton: Jusqu'ici, nous avons probablement affecté 8 millions de dollars à la recherche.
Le sénateur Day: Monsieur le président, puis-je avoir des éclaircissements sur ce dernier point? A-t-on dépensé 48 millions de dollars?
M. Egginton: Non. C'est le budget total du programme jusqu'en 2006.
Le sénateur Day: Il y a donc 8 millions de dollars pour la recherche.
Le président: Jusqu'en 2006.
Le sénateur Day: C'est une partie extrêmement importante de l'économie canadienne. Les collectivités rurales dépendent de l'industrie forestière.
Pouvez-vous nous donner une idée de la taille de l'industrie forestière au Canada, de sa contribution directe et indirecte à la création d'emplois et de sa valeur en dollars?
M. Miller: En général, cela varie. La contribution de l'industrie va de 50 à 70 milliards de dollars par an. C'est elle qui contribue le plus à notre balance commerciale. En fait, elle représente à elle seule plus que la somme des quatre ou cinq articles suivants de la liste
Le sénateur Day: Est-elle plus importante que l'industrie automobile?
M. Miller: Oui. Elle se classe première pour ce qui est de la balance commerciale.
Le sénateur Day: Avez-vous vu des statistiques quelconques? Nous nous occupons d'agriculture et de forêts. Pouvons-nous faire une comparaison entre les deux en ce qui concerne les recettes, par exemple, pour mieux comprendre de quoi il s'agit?
M. Miller: En toute franchise, je ne peux pas le faire de mémoire.
Le sénateur Day: Pouvez-vous obtenir ces renseignements et les transmettre au greffier du comité?
M. Miller: Très volontiers.
Le sénateur Day: J'aimerais pouvoir comparer l'industrie forestière canadienne à quelques-uns de nos autres secteurs, par exemple l'agriculture, à l'exclusion des forêts, pour ce qui est du nombre de personnes en cause et des montants générés.
M. Miller: Oui.
Le sénateur Day: Je vous remercie.
M. Miller: Nous pouvons vous fournir ces chiffres assez rapidement.
Le sénateur Day: De votre point de vue et de celui du Service canadien des forêts, quel est le plus important: atténuer les effets des activités qui causent le réchauffement de la planète ou adapter industrie à l'inévitable?
M. Miller: Je crois que les deux sont extrêmement importants.
De toute évidence, l'atténuation peut aider d'une façon générale. Si nous pouvons vraiment piéger une partie du carbone que le Canada s'engagera à éliminer dans le cadre de l'accord de Kyoto, ce serait vraiment très avantageux.
Toutefois, la réalité est que le changement climatique se produit et continuera à se produire. Nous devons nous adapter. Déjà, quelques sociétés forestières nous disent que nous plantons les arbres qu'il faut, compte tenu de ce qui nous attend. Elles sont au courant et s'intéressent aux mesures d'atténuation car, si nous mettons en place un système d'échange de crédits de carbone, elles pourraient en retirer certains avantages économiques. L'industrie s'intéresse aux deux volets. Je ne peux pas dire si l'un est plus important que l'autre. Il est clair que nous devrons prendre au sérieux l'objectif de Kyoto si nous ratifions l'accord, pour que le Canada puisse honorer ses engagements internationaux. Toutefois, il faut regarder la réalité en face: si vous gérez les forêts, vous devez le faire d'une façon qui continue à appuyer ce que les Canadiens attendent de leurs forêts, c'est-à-dire des emplois dans les scieries, de l'eau propre, de l'air propre et tous les services environnementaux que nous avons.
M. Egginton: En matière d'adaptation, nous avons besoin de ralentir le rythme du changement pour pouvoir nous adapter. Les deux vont de pair. Nous avons autant besoin de l'atténuation que de l'adaptation.
Le sénateur Day: Je commence me demander, injustement peut-être, si nous ne nous laissons pas mener par le jeu de la politique internationale relative au Protocole de Kyoto et au respect des obligations. Nous consacrons beaucoup d'argent à l'atténuation, par opposition à l'adaptation, à cause des engagements possibles. L'industrie commence à se laisser influencer par des questions telles que les crédits de carbone, qui ne se posent que dans le cadre de la structure internationale du Protocole de Kyoto. Nous devrions plutôt penser en fonction de la production et de l'adaptation aux changements inévitables du climat et à l'évolution de l'écosystème.
Est-ce que je me trompe?
M. Miller: Je peux certainement parler du programme de recherche du Service canadien des forêts. Nous avons commencé à nous occuper du changement climatique depuis la fin des années 80, avant même que la question ne prenne la coloration politique qu'elle a aujourd'hui. Nous l'avons fait essentiellement parce que nous commencions déjà à être témoins de certains changements. Nous nous interrogions surtout au sujet de leurs répercussions sur les forêts. Il n'était absolument pas question de Kyoto à l'époque, c'était une chose qui relevait d'un avenir lointain. Nous concentrions déjà nos efforts sur des choses telles que le réchauffement et l'assèchement du temps à l'avenir, et nous nous demandions quels en seraient les effets sur les incendies de forêts et nos principaux parasites. Dans le cas de notre propre programme, nous nous sommes le plus souvent intéressés, au cours des quinze dernières années, aux mesures d'adaptation et à la compréhension de la nature des répercussions possibles.
Le sénateur Day: De quelle façon votre budget et vos sujets centraux ont-ils évolué au ministère depuis le Sommet de la terre de Rio et le Protocole de Kyoto?
M. Miller: Nous affectons certainement une bien plus grande proportion de nos ressources de recherche au changement climatique. La plupart des fonds vont aux mesures d'adaptation, mais nous nous intéressons aussi à l'atténuation. Toutefois, le plus gros va à l'adaptation et aux impacts.
Le sénateur Day: Vous dites que vers la fin des années 80, vous parliez de prédictions et de mesures d'adaptation.
M. Miller: Oui.
Le sénateur Day: Vous avez répondu à ma dernière question en disant que vous avez consacré plus de fonds à la recherche sur le changement climatique. S'agissait-il de recherche sur l'atténuation ou sur l'adaptation?
M. Miller: Les fonds ont été consacrés aux deux aspects, mais il y en a eu probablement plus pour l'atténuation que pour l'adaptation. Nous avions cependant une forte base du côté de l'adaptation.
Le sénateur Day: Avez-vous eu une augmentation sensible de votre budget, qui sera consacrée au changement climatique pendant cette période?
M. Miller: Oui. Nos scientifiques ont déployé beaucoup d'efforts pour obtenir du financement par l'entremise du Fonds d'action pour le changement climatique et du programme du Réseau canadien de recherche sur les impacts climatiques et l'adaptation. Nous avons réussi à obtenir de nouveaux fonds pour nous occuper du changement climatique.
Le sénateur Day: Quel est le pourcentage approximatif de changement depuis 1992?
M. Miller: Pour ce qui est du financement de base, les efforts ont plus ou moins doublé depuis 1992. Les chiffres réels sont probablement plus élevés. Je crois que nous avons doublé dans les cinq dernières années.
Le sénateur Day: Tout cela est-il lié au changement climatique?
M. Miller: Oui.
Le sénateur Day: Comment ce budget d'ensemble attribué au changement climatique se répartit-il entre l'atténuation et l'adaptation?
M. Miller: Il est vraiment difficile de répondre à cette question, mais je peux essayer. Beaucoup de nos autres recherches, comme les travaux sur une gestion plus intensive des forêts destinée à produire des arbres commerciaux nous permettent de recueillir des renseignements qui, même si nous ne visions pas particulièrement le changement climatique, ont des incidences sur ce domaine parce qu'ils servent à estimer la quantité de carbone contenue dans le nouveau bois. Nous avons un réseau de recherche axé sur le changement climatique dans notre programme interne. Je suppose donc que nous consacrons probablement, en gros, les deux tiers de notre budget aux mesures d'atténuation en ce moment.
Le président: Le sénateur a également demandé combien vous consacrez à l'adaptation. Pouvez-vous estimer ce qui va à l'adaptation?
M. Miller: Je peux obtenir ces chiffres, mais je ne les connais pas de mémoire.
Le sénateur Day: Ce serait utile.
Je sais que beaucoup des grandes sociétés de gestion forestière font de la modélisation, et que vous en faites aussi.
Est-ce que vos modèles de prédiction de ce qui arrivera à l'industrie forestière dans les 20, 50 ou 80 prochaines années vous permettent de déterminer avec une précision quelconque les effets du changement climatique, ou bien vos modèles sont-ils encore basés sur des facteurs n'ayant rien à voir avec ce phénomène?
M. Miller: Non. Nos modèles sont très particulièrement axés sur le changement climatique, y compris les impacts et l'adaptation. Ils comportent cependant beaucoup d'incertitude scientifique. Nos modèles se fondent, par exemple, sur des modèles climatiques régionaux. Par conséquent, si le climat évolue dans un certain sens, nous nous attendons à des effets correspondants sur les forêts. Toutefois, les modèles de base comportent, comme je l'ai dit, beaucoup d'incertitude.
Nos propres modèles ne sont donc pas très sûrs. Nous avons un modèle de budget de carbone qui nous permet d'estimer la quantité de carbone emmagasinée dans les forêts et dans les sols. La forêt boréale constitue un important puits de carbone, ce qui est très différent des forêts tropicales, par exemple. Pour le moment, nous ne savons pas avec précision combien de carbone est emmagasiné dans les sols. Nous consacrons beaucoup d'efforts à cet aspect de la recherche.
Le sénateur Day: Votre modélisation est-elle suffisamment perfectionnée à l'échelle régionale pour qu'une société forestière du Nouveau-Brunswick, par exemple, puisse s'en servir afin de déterminer quels arbres planter après l'exploitation d'une zone particulière?
M. Miller: Oui.
Le sénateur Day: Cela se fait-il actuellement?
M. Miller: Oui.
Le sénateur Day: Est-il trop simpliste de penser qu'avec la hausse des températures, la forêt boréale se déplacera de plus en plus vers le nord? Y a-t-il d'autres facteurs en jeu?
M. Miller: Nous nous attendons effectivement à un déplacement vers le nord des forêts tempérées et de la forêt boréale. Toutefois, il y a d'autres facteurs à considérer. Comme les éléments nutritifs du sol ne sont pas uniformément répartis, il y aura des limites au déplacement de certaines essences. D'autres facteurs, comme la quantité et la qualité de la lumière, jouent également un rôle. On pourrait avoir des essences boréales plus au nord, mais il s'agirait de forêts très broussailleuses par rapport à la partie sud de la forêt boréale qui irait vers le nord. On aura de très petits arbres. Cela n'a rien à voir avec la température, et tout à voir avec la quantité et la qualité de la lumière et des éléments nutritifs ainsi qu'avec différents autres facteurs.
Le sénateur Day: Ma dernière question porte sur la certification et les forêts modèles. Y aurait-il quelques forêts modèles que nous pourrions visiter, qui seraient plus avancées que d'autres sur le plan de la modélisation et de la prédiction?
M. Miller: Je crois que la plupart d'entre elles, sinon toutes, ont fait l'objet de différents degrés de modélisation. Il y a probablement deux ou trois où cela est un peu plus évident qu'ailleurs. Je peux penser, par exemple, à la forêt modèle de Foothills en Alberta.
Le sénateur Day: Pourriez-vous vérifier auprès du ministère s'il y a une forêt modèle particulière qu'il nous serait utile de visiter pour nous faire une idée concrète de ce que vous faites?
M. Miller: Je serai heureux de le faire.
Le sénateur Day: L'autre volet de la question portait sur la certification des bonnes pratiques forestières. Du point de vue de la vente du produit aux États-Unis, en particulier, et partout ailleurs dans le monde, nous avons parlé de l'importance de l'industrie forestière et de la mesure dans laquelle il est essentiel pour nous de préserver nos affaires et de vendre notre produit. Beaucoup d'entreprises de vente au détail des États-Unis qui vendent aujourd'hui des produits forestiers exigent l'attestation de bonnes pratiques forestières. Y a-t-il des organismes de certification qui aient commencé à tenir compte du changement climatique ou des problèmes de réchauffement de la planète dans leur programme de certification de la gestion forestière?
M. Miller: Je ne le crois pas. Ces organismes savent sûrement que le changement climatique aura des effets sur notre conception de la gestion forestière, mais cela relève du domaine des connaissances générales. Je ne crois pas que quiconque ait commencé à en tenir compte de façon précise dans les programmes de certification.
Le sénateur Wiebe: J'aimerais revenir à la question du projet des Foothills. Vous dites, à la page 11 des diapositives concernant l'impact et l'adaptation dans le cadre du programme du changement climatique que vous avez entrepris six projets nationaux. On ne les voit cependant pas sur la carte. Pourriez-vous nous dire où sont réalisés ces six projets et s'il serait utile pour nous d'en visiter quelques-uns?
M. Miller: Je ne sais pas vraiment de quels projets vous parlez.
Le sénateur Wiebe: À la page 11 de vos diapositives, on peut voir dans le coin supérieur droit «Projets nationaux» et, au-dessous, un projet relatif à l'eau, deux concernant l'économie, deux autres l'agriculture et un dernier la foresterie, mais je ne vois pas les symboles correspondants sur la carte. Pouvez-vous nous dire où ces projets sont réalisés?
M. Egginton: Je peux vous donner une liste des projets qui sont énumérés. Je ne sais pas au juste à quel projet particulier vous vous intéressez. Nous pouvons vous présenter les détails de ces projets particuliers ainsi que le genre de choses que nous faisons.
J'ai ici une liste dont je peux vous parler. Nous avons bien sûr quelques exemples de réussite. Ainsi, l'un des projets énumérés porte sur l'évaluation de l'impact du changement climatique sur l'inflammabilité du paysage et l'efficacité de la gestion forestière. Il est réalisé par le Service canadien des forêts à Edmonton. Le Conseil de recherche de la Saskatchewan et d'autres établissent un cadre pour déterminer la capacité du secteur forestier de s'adapter au changement climatique. Si vous voulez les noms des personnes intéressées, nous pouvons sûrement vous les fournir.
Le président: Nous voulons plus que des noms. Pouvons-nous avoir le document complet, avec les noms, les programmes, les lieux, les objectifs, et cetera?
M. Egginton: Oui. L'un des documents distribués porte sur la foresterie. C'est un document vert à l'aspect brillant. Vous y trouverez une liste des projets par titre. Vous l'avez en main maintenant. En tournant la page, vous verrez le titre, le nom des participants ainsi qu'une adresse Internet. Si vous souhaitez interroger l'un de ces chercheurs, ils sont bien sûrs à votre disposition.
Le sénateur Wiebe: Quand j'ai vu les projets nationaux énumérés sur cette page, j'ai pensé que le ministère les avait placés là pour convaincre qu'il faisait quelque chose. Six projets sont énumérés. Je crois qu'il serait utile pour nous de les visiter. Si vous avez six projets que vous jugez assez importants pour les mentionner en particulier sur cette page à titre de projets nationaux, nous voulons savoir à quoi ils servent.
M. Egginton: Je comprends.
Le sénateur Wiebe: S'ils sont assez importants pour que vous les mentionniez, je crois qu'il vaut la peine d'aller les voir. J'espérais que vous auriez les noms. Je pensais qu'il serait possible de les trouver sur la carte puisque chacun est désigné par un symbole particulier. Je me trompais donc?
M. Egginton: Non, ce sont bien des projets réels. La personne qui a produit ce document est ici avec nous. Peut-être peut-il nous en parler.
Le sénateur Day: Puis-je poser une question supplémentaire pendant qu'il arrive? Nous avons des brochures sur la foresterie, l'agriculture, les ressources en eau, mais nous n'avons rien sur les aspects économiques. Y a-t-il une brochure à ce sujet?
M. Miller: Non.
M. Donald S. Lemmen, gestionnaire de la recherche, Direction des impacts et de l'adaptation liés au changement climatique, Secteur des sciences de la Terre, Ressources naturelles Canada: Permettez-moi de préciser que ces six projets nationaux constituent en fait une synthèse de la documentation provenant de toutes les régions du pays, ce qui ne permet pas de nommer un lieu particulier où les travaux sont réalisés, à part le fait que le chercheur principal est basé dans une université. Nous avons essentiellement regroupé et analysé des données sur un sujet particulier provenant de tout le pays. Voilà pourquoi ils sont représentés par des symboles. Ils sont importants pour identifier aussi bien les points communs que les différences qui existent dans le pays.
Le sénateur Wiebe: Pourriez-vous, quand vous le pourrez, nous donner le nom des scientifiques qui recueillent ces données? Il vaudrait peut-être la peine de les inviter à comparaître devant le comité pour qu'ils viennent nous donner une image exacte de la situation.
M. Lemmen: Nous pouvons sûrement le faire. Je sais, par exemple, que Barry Smit, de l'Université de Guelph, s'occupe de l'un de ces deux projets. Il serait sûrement intéressant pour le comité de le faire comparaître.
Le sénateur Hubley: Je vous remercie de votre exposé. Pouvez-vous nous présenter un schéma de la situation d'ensemble de nos forêts et de celles des pays qui ont fait des progrès? Comment le Canada se compare-t-il à ces pays sur le plan de la R-D et au chapitre de l'introduction de nouvelles pratiques pour faire face à la situation?
M. Miller: Le Canada dispose d'un effectif de scientifiques de calibre mondial pour faire la recherche. Vous en avez la preuve dans le fait que beaucoup de Canadiens sont en relation avec le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, groupe international de scientifiques qui donne des conseils sur le changement climatique. Cela témoigne du fait que nous sommes actifs et que nous avons chez nous des experts de réputation internationale qui travaillent sur le problème.
D'une façon générale, cela dépend du pays auquel nous nous comparons. Beaucoup de travail se fait un peu partout. Dans le domaine de la modélisation, nous sommes probablement aussi avancés que n'importe quel autre pays pour ce qui est de la compréhension des effets du changement climatique sur nos forêts et de la façon de les utiliser pour atténuer ces effets. Bien sûr, nous ne finançons pas la recherche au même degré que les Américains, mais cela est vrai dans tous les secteurs de la recherche.
Je crois que le Canada est à l'avant-garde puisque nos scientifiques sont régulièrement invités à présenter des exposés aux conférences internationales. Ils ont également leur propre réseau. Nos scientifiques sont eux-mêmes très forts, mais ils sont, de plus, en relation étroite avec d'autres experts du monde. Par sa nature même, la science est internationale. Elle l'a toujours été. Les bons scientifiques ont toujours un grand réseau. En parlant à un seul, vous pouvez probablement accéder aux connaissances de beaucoup d'autres.
Le sénateur Hubley: Vous dites que les incendies de forêts seront plus graves et plus fréquents. Ces incendies coûtent au Canada 400 millions de dollars par an. À la page 10 de votre présentation, vous montrez une région forestière qui a été exploitée d'une façon particulière. Est-ce une coïncidence ou bien cette photo représente-t-elle une méthode de lutte contre les incendies de forêts?
M. Miller: Je ne sais pas vraiment d'où vient cette image. Nous avons des projets de recherche sur les coupe-feu. C'en est peut-être un exemple, montrant des allées coupe-feu qui, on peut l'espérer, vont au moins retarder la progression de l'incendie.
Le sénateur Hubley: C'est très évidemment cela. Je n'en étais pas sûre parce qu'on a l'impression que le coin supérieur a brûlé. Je viens de l'Est. Je ne connais donc pas bien les incendies de forêts. A-t-on mis au point de nouvelles méthodes de boisement ou de reboisement qui tiennent compte des incendies?
M. Miller: Oui, bien que la gravité des incendies soit largement déterminée par la charge combustible. Si le sol est couvert de bois mort ou qu'il y ait beaucoup d'arbres morts, il est très difficile d'arrêter un incendie à moins de s'y prendre très tôt. Dans le cas d'un incendie important, nous avons besoin de l'aide de la nature sous forme de précipitations, car il n'existe aucun autre moyen d'arrêter le feu. Nous en avons eu beaucoup d'exemples, notamment à Yellowstone aux États-Unis. La charge combustible était tellement importante qu'une fois le feu pris, il n'y avait pas grand-chose à faire que d'essayer de protéger les gens et les habitations.
Le président: On recourt aussi au brûlage dirigé qui dégage beaucoup de carbone dans l'atmosphère et agit sur le changement climatique.
M. Miller: Oui. Les incendies de forêts sont une importante source de gaz carbonique, entre autres, surtout quand des milliers ou des centaines de milliers d'hectares sont brûlés.
Le sénateur Hubley: À mesure que la forêt se déplace vers le nord à cause du réchauffement, est-ce que tout l'écosystème, y compris la faune et la flore, se déplace aussi dans la même direction?
M. Miller: La question est intéressante. Il est également difficile d'y répondre parce que les différentes essences ont différents besoins. Nous verrons bien si tout l'écosystème se déplace. Par exemple, si les conditions de croissance d'un lichen dont s'alimentent certains animaux pendant l'hiver changent au point où il se déplace vers le nord, les ongulés — orignal et caribou — ne pourront pas le suivre. Le phénomène dépend donc de la façon dont chaque espèce réagit à l'évolution des conditions.
Le président: Est-ce que le réchauffement marqué dû au changement climatique aux latitudes élevées augmentera ou diminuera la productivité des forêts canadiennes?
M. Miller: Cela dépend de la région du pays.
Le président: Je parle du nord-ouest du Canada, c'est-à-dire de l'Alberta et du nord de la Saskatchewan qui ont beaucoup d'arbres.
M. Miller: En toute franchise, je n'en suis pas sûr. Si le climat se réchauffe et que la saison de croissance s'allonge, les arbres grandiront plus vite. Par contre, si nous avons plus d'incendies et d'insectes, ils vont réduire la croissance. Nous ne savons pas vraiment où se situera le point d'équilibre.
Le président: Si la productivité baisse par suite du changement climatique, nous serons moins compétitifs pour l'exportation des produits forestiers.
M. Miller: De ce point de vue, oui, je suis d'accord.
Le sénateur Fraser: Étant de Montréal, je crois que la fameuse tempête de verglas de 1998 a été l'un des événements marquants de notre histoire récente. Depuis, j'ai passé beaucoup de temps au volant entre Montréal et Ottawa et entre Montréal et le lac Champlain. Le long des deux routes, il n'y a pas vraiment d'industrie forestière, mais on voit beaucoup d'arbres. Les dégâts que l'on peut constater de la route continuent à retenir mon attention chaque fois que je passe en voiture, surtout quand les arbres n'ont plus de feuilles. Je me pose souvent plusieurs questions auxquelles je n'ai pas trouvé de réponse. Peut-être pourrez-vous m'aider.
Tout d'abord, quel a été l'impact économique de la tempête à l'extérieur des zones urbaines? Ensuite, dans quelle mesure le bois mort augmente-t-il les risques d'incendie? Enfin, devons-nous commencer à nous préparer à de grands travaux d'entretien pour enlever toute cette charge combustible dont vous venez de parler? Pouvons-nous le faire? Est- ce même concevable? Je vous pose ces questions parce qu'on nous dit que ce phénomène, qui n'est censé se produire qu'une fois tous les 1000 ans, pourrait bien devenir plus fréquent avec le réchauffement de la planète.
M. Miller: Pour ce qui est de l'impact commercial de la tempête de verglas, nous avons procédé à des relevés de l'état des forêts, en coopération avec les gouvernements du Québec et de l'Ontario. Nous avons mesuré les dégâts. Mme Booth a peut-être des renseignements à ce sujet. Beaucoup des arbres gravement endommagés appartiennent à des essences secondaires, si je peux m'exprimer ainsi, du point de vue commercial. Les conifères n'ont pas été très atteints, ce sont surtout les feuillus qui ont été touchés. La tempête de verglas n'a pas eu d'effets très considérables du point de vue industriel ou commercial. Les effets sont surtout esthétiques et ont touché notamment les propriétaires de maisons des centres urbains.
Il est nécessaire de nettoyer les forêts pour réduire les risques d'incendie. Cela est possible, quoi que les feuillus soient moins exposés à l'incendie que les conifères. Les feuillus ne sont vulnérables à l'incendie que dans certaines conditions, par exemple en cas de sécheresse, lorsque les feuilles repoussent au printemps. La sécheresse menace davantage les forêts de feuillus que les forêts de conifères, pour lesquelles la période dangereuse englobe la saison de croissance si le temps est sec.
D'après les projections modélisées et notre réflexion sur ce qui pourrait se passer, nous croyons que les incendies augmenteront dans l'Ouest, mais diminueront dans l'Est, à cause des différences entre les forêts dominantes. Les Prairies et la Colombie-Britannique ont surtout des forêts de conifères, tandis que le sud et l'est du pays ont surtout des feuillus.
Le président: Nous avons trop coupé et trop vendu de bois à pâte. La forêt qui repousse est surtout constituée de feuillus.
M. Miller: Nous avons aussi trop coupé pour les besoins de l'aménagement urbain, et cetera. La forêt du bassin des Grands Lacs et du Saint-Laurent n'est plus ce qu'elle était. Elle n'est pas non plus aussi saine.
À l'échelle nationale, des pressions s'exerceront sur l'Ouest. En Colombie-Britannique, le dendroctone du pin a tué les arbres sur des centaines de milliers d'hectares, créant un danger réel d'incendie.
Le sénateur Fraser: Pendant que nous nous adaptons, nous devrons commencer à penser à tout le nettoyage à faire.
M. Miller: Oui, nous devrons penser à des choses telles que la charge combustible.
Le sénateur Fraser: Avez-vous des estimations de coût?
M. Miller: Je ne crois pas que personne ait poussé l'analyse aussi loin.
Le sénateur Fraser: Si le bois est mort, on ne peut pas vraiment l'utiliser à des fins commerciales.
M. Miller: Il est possible de récupérer le bois dans les trois à cinq années qui suivent, selon les essences et les conditions environnementales. En Colombie-Britannique, où les dégâts sont massifs, il est impossible d'en utiliser plus qu'une petite fraction.
Le président: Dans l'optique de la formulation des politiques, nous étudions cette question pour déterminer les nouvelles politiques que le gouvernement du Canada pourrait établir en matière d'adaptation. Qu'est-ce que les décideurs ont besoin de savoir pour minimiser le coût du changement climatique dans le secteur forestier? Lors de la planification de la stratégie d'adaptation, comment pouvons-nous surmonter l'incertitude touchant le changement climatique? Vous et d'autres témoins avez dit que nous ne connaissons pas vraiment les effets. Comment pouvons- nous, en présence de telles incertitudes, formuler de nouvelles politiques publiques pour affronter le changement climatique?
M. Miller: Il est utile pour vous de savoir qu'il existe des incertitudes et des risques. Normalement, nous pouvons vous renseigner suffisamment sur la nature des risques pour que vous puissiez en tenir compte dans la planification. Bien sûr, en intensifiant les efforts de recherche liés au changement climatique, nous pouvons réduire l'incertitude. Cela serait sûrement utile. La communauté scientifique, par exemple, peut vous dire ce qu'elle sait et ce qu'elle ne sait pas et vous informer des risques de certaines mesures, de façon à vous permettre de prendre des décisions plus éclairées au sujet des conséquences qu'elles peuvent avoir.
Le président: Dans combien de temps pourrez-vous présenter au secteur forestier un plan précisant ces choses à faire et à ne pas faire dont vous vous occupez soigneusement, mois après mois, semaine après semaine et jour après jour, afin de réduire les effets de l'érosion et du changement climatique?
M. Miller: S'il y avait des lignes directrices de ce genre, elles viendraient probablement des gouvernements provinciaux, qui sont responsables de la gestion des forêts. Nous basant sur les résultats de la recherche, nous pourrions informer l'industrie et les gouvernements provinciaux de ce que nous avons appris et des conséquences qui en découlent.
Nous disposons probablement d'éléments du plan dont vous parlez. Nous étudions bien sûr les moyens d'utiliser les forêts pour atténuer les effets du changement climatique. Nous étudions aussi les effets du changement sur différentes essences. Tout cela est cependant incomplet. Nous ne sommes pas en mesure de dresser un plan sérieux englobant tous les aspects à envisager et de le présenter au pays. À mon avis, il faudra encore quelques années pour pouvoir le faire.
Le sénateur Wiebe: Je crois comprendre qu'un certain nombre d'essences différentes sont utilisées à des fins de boisement et de reboisement pour que les forêts futures soient plus résistantes faces aux changements climatiques attendus. Est-ce que cela se fait déjà sur grande échelle? Je pose la question parce que dans l'ouest du Canada, le peuplier hybride a été introduit par suite de sa résistance supérieure aux contraintes. Quelles seront les répercussions sur les écosystèmes de l'introduction de nouvelles essences hybrides, qui vont modifier la nature des forêts que nous avons?
M. Miller: Cela dépend des essences. Par exemple, comme je l'ai mentionné, beaucoup de plantations forestières du monde se basent sur des essences exotiques, par opposition aux essences indigènes. Cela n'a pas de conséquences sérieuses sur nos forêts naturelles, parce que ce sont des essences nouvelles distinctes.
Si l'on parle d'arbres comme le peuplier, même les essences créées par la biotechnologie, tout dépend de ce qu'on veut réaliser. Par exemple, il est possible — nous avons fait des recherches à ce sujet — d'empêcher les arbres de se reproduire. Si on laisse dans la nature des arbres produits par les procédés de biotechnologie, il est possible de les empêcher de fleurir ou de produire du pollen, afin d'éviter de contaminer le fonds génétique naturel.
Si l'on parle d'arbres produits par des moyens plus classiques, comme c'est le cas de la plupart des hybrides que nous avons, les gènes utilisés sont essentiellement naturels. Ils viennent d'un fonds génétique naturel. L'hybridation est très courante dans la nature, ce n'est pas une chose conçue par les humains. Il y a un certain risque de contamination génétique quand on plante ces essences. C'est possible. On peut observer une légère augmentation de l'incidence de traits particuliers. Toutefois, d'une façon générale, par rapport aux essences indigènes et au fonds génétique naturel, nos modifications sont relativement mineures.
Le sénateur Wiebe: Un des grands avantages du peuplier, c'est qu'il atteint très rapidement la maturité. Quels effets cela pourrait-il avoir sur la faune ou les insectes? Est-ce que la tordeuse des bourgeons de l'épinette pourrait faire des ravages dans une forêt de peuplier?
M. Miller: Peut-être pas la tordeuse, mais beaucoup d'autres insectes s'en régaleraient volontiers.
Le sénateur Wiebe: Peut-être devrions-nous planter du peuplier hybride en Colombie-Britannique. Nous n'aurions pas alors à nous inquiéter de la tordeuse.
M. Miller: Nous avons bien d'autres sujets d'inquiétude.
Dans le cas de certaines de ces essences hybrides, je devrais peut-être ajouter qu'elles nécessitent souvent une gestion beaucoup plus intensive. Le peuplier hybride en a besoin par exemple. La gestion doit être beaucoup plus énergique pour que ces essences croissent bien parmi les essences naturelles
Le président: Parlez-vous d'engrais spéciaux?
M. Miller: Oui, et d'irrigation aussi. Il faut également s'occuper des parasites, car toutes sortes d'insectes et de maladies peuvent s'attaquer au peuplier hybride.
Le sénateur Wiebe: Je ne crois pas en outre que le bois ait la même valeur. Je suppose qu'il faut aussi en tenir compte.
M. Miller: Dans le cas des essences à croissance rapide, les fibres ne sont en général pas aussi fortes que celles d'arbres à croissance plus lente, qui sont là depuis quelques décennies.
Le sénateur Wiebe: Vous allez peut-être penser que c'est une question frivole, mais elle se base sur les observations du sénateur Hubley concernant le déplacement vers le nord. Selon vos estimations, dans combien de temps croyez-vous que je pourrais m'asseoir à l'ombre d'un palmier au bord du lac Supérieur?
M. Miller: Vous auriez probablement besoin de trouver la fontaine de jouvence. Nous tous d'ailleurs.
Le sénateur Day: Dans les cent dernières années, la température moyenne a augmenté d'environ 1,6C. Est-ce que je me trompe?
M. Egginton: C'est plutôt 0,6C.
Le sénateur Day: Il faudra donc longtemps.
M. Egginton: Je voudrais préciser que nous parlons là des températures mondiales.
Le sénateur Day: Pour faire suite à une question posée plus tôt sur l'adaptation, avez-vous une idée de ce qui arrivera à la compétitivité du Canada dans le domaine forestier si tous ces changements se produisent selon les prédictions actuelles? Par rapport à d'autres pays, le Canada aura-t-il encore une industrie forestière si le changement se maintient dans le monde? Serons-nous encore un pays de forêts comme aujourd'hui?
M. Miller: Nous en avons certainement la possibilité. Nous nous attendons, par exemple, à ce que l'Est connaisse une augmentation sensible de la croissance des arbres. Ce ne sera pas surtout à cause du changement climatique. Ce sont d'autres facteurs, comme le bois d'œuvre résineux et les obstacles au commerce qui détermineront si nous sommes compétitifs ou non, mais les forêts seront encore là.
Le sénateur Day: Pour vous, est-ce que l'Est signifie l'Ontario et le Québec, ou bien les Maritimes?
M. Miller: L'Est s'étend jusqu'à l'autre bout du pays.
Le sénateur Day: Je suis bien heureux que vous l'entendre dire. Plus tôt, quand vous avez parlé de la nature de la forêt dans l'est du Canada, je n'avais pas l'impression que vous pensiez au Nouveau-Brunswick ou à la Nouvelle- Écosse. Est-ce que vous pensiez à ces deux provinces quand vous avez parlé de la nature des forêts?
M. Miller: Oui, nous nous attendons à ce qu'un plus grand nombre d'essences de feuillus se déplacent vers le nord, et cela jusqu'à la côte Est.
Le sénateur Day: Par suite des hausses prédites de la température?
M. Miller: C'est exact.
Le sénateur Day: Quelles incidences aura sur le réchauffement de la planète la politique appliquée par les États-Unis et le Canada qui, en ne se débarrassant pas du bois mort et des arbres détruits par les maladies dans les régions forestières, augmentent les risques d'incendie? Il y a eu récemment un important incendie aux États-Unis. Pouvons- nous tenir compte de détails de ce genre dans l'équation?
M. Miller: Nous avons des modèles qui prédisent l'intensité, la fréquence et d'autres caractéristiques des incendies. Nous sommes un chef de file mondial dans ce domaine. Nous connaissons les conséquences de différentes charges combustibles. Nous pouvons faire beaucoup de ces calculs aujourd'hui.
Le sénateur Day: On a tendance à mettre de plus en plus de forêts à l'abri de l'exploitation. Selon toutes probabilités, ces forêts resteront à l'état naturel. Il est donc vraisemblable que nous y verrons une incidence sensiblement accrue d'incendies. Est-ce exact?
M. Miller: Oui.
Le sénateur Day: Cela aura-t-il des effets sur le réchauffement de la planète?
M. Miller: C'est difficile à dire. Ce n'est pas très différent aujourd'hui. En gros, la moitié des forêts du Canada sont considérées comme commerciales ou sont gérées ainsi. L'autre moitié reste en pratique à l'état sauvage. En désignant plus de réserves, on n'augmente ce qui existe déjà que dans des proportions relativement modestes. Quand on a plusieurs millions d'hectares de forêts à l'état naturel et qu'on y ajoute un nombre relativement petit de parcs ou de réserves écologiques, on ne modifie pas beaucoup l'ensemble du système.
Le sénateur Day: La modélisation est-elle assez précise pour établir qu'un incendie libère beaucoup de carbone dans l'atmosphère, mais qu'en contrepartie, la croissance rapide qui suit provoque l'absorption d'importantes quantités de gaz carbonique atmosphérique? La modélisation permet-elle de déterminer ce genre d'équilibre?
M. Miller: Des chercheurs ont étudié ces phénomènes pour déterminer combien de carbone est libéré dans l'atmosphère par suite des incendies et ce qu'il advient du site après la perturbation sur le plan de l'absorption du carbone. Oui, il y a certainement des recherches à ce sujet depuis quelques années.
Le sénateur Day: J'ai lu dans l'une de vos publications que les études donnent des résultats très variables selon les facteurs considérés et les hypothèses posées. Dans une perspective de modélisation, cela peut donner lieu à toutes sortes de prédictions sur ce qui arrivera dans 20, 40 ou 80 ans, ce dernier chiffre étant la durée de vie d'un arbre. Dans cet intervalle, beaucoup de choses peuvent se produire dans un modèle, selon les hypothèses et les facteurs dont on tient compte.
Si nous voulons planifier une stratégie d'adaptation au réchauffement de la planète, disposons-nous aujourd'hui de renseignements suffisants pour prédire avec un degré raisonnable de certitude ce qui va arriver? De quoi avons-nous besoin pour élaborer une bonne stratégie d'adaptation? À quel point cette stratégie doit-elle être régionale?
M. Miller: Pour certains types de forêts, nous disposons d'une importante masse de données, qui nous permettrait de présenter des estimations raisonnables. Mais nous ne pouvons pas le faire dans tous les cas. Par exemple, notre connaissance des forêts mixtes n'est pas aussi bonne que celle des forêts de pin ou de fausse pruche de la Colombie- Britannique, ou encore des forêts de pin et d'épinette de l'Est. Dans une certaine mesure, cela dépend du type de forêts que nous évaluons. Dans certains cas, nous pouvons produire des estimations raisonnables de ce qui arrivera. Il serait toujours possible d'améliorer ces estimations, mais nous pouvons donner une bonne approximation. Dans d'autres cas, cela peut être plus difficile.
Le sénateur Day: Avez-vous perfectionné vos modèles de prédiction des résultats et des stratégies d'adaptation au point de pouvoir dire que, si la température monte d'un degré dans les cent prochaines années, certaines choses précises se produiront et que, si elle monte de deux degrés, certaines autres choses arriveront probablement?
M. Miller: Oui, nous sommes en mesure de le faire, tout en reconnaissant que certaines des données des modèles se fondent, comme vous l'avez mentionné, sur des hypothèses dont la modification pourrait considérablement changer les estimations.
Certaines des données sont très raisonnables. Dans d'autres cas, elles relèvent davantage de l'intuition par rapport à ce que nous connaissons vraiment. Nous analysons déjà différents scénarios pour déterminer les effets respectifs de hausses d'un ou de deux degrés.
Le sénateur Wiebe: J'ai toujours été porté à croire que mère Nature agit le plus sur la régénération des forêts et des herbages et qu'un incendie de forêt occasionnel a du bon parce qu'il entraîne un bon brassage des semences.
Cet été, j'ai eu l'occasion de passer une journée avec la directrice et quelques membres du personnel du parc national Grasslands dans le sud-ouest de la Saskatchewan. Le motif de la visite était qu'à cause de la sécheresse, l'herbe magnifique du parc ne servait à rien. Il n'y avait pas assez de bisons et d'antilopes pour maintenir la croissance sous contrôle. On a donc pensé qu'il fallait peut-être ouvrir l'accès du parc à des troupeaux commerciaux. Des recherches ont été faites et les responsables du parc m'ont informé qu'il n'était pas nécessaire que l'herbe soit coupée, mangée ou brûlée. Les études ont montré qu'on pouvait la laisser là et que mère Nature s'occuperait de la régénération.
Est-ce là quelque chose que l'industrie forestière constate elle aussi? Ces herbages m'ont beaucoup intrigué.
M. Miller: Beaucoup d'essences sont tout à fait capables de se régénérer elles-mêmes. Souvent, quand nous reboisons en utilisant une essence particulière, c'est soit que nous voulons cette essence soit que nous essayons de rétablir les arbres avant que la terre ne soit envahie par les mauvaises herbes, car il y a une succession naturelle. Si vous êtes prêt à attendre des centaines d'années après une perturbation, vous retrouverez les forêts actuelles. La nature se débrouille très bien et les essences réagissent bien à toutes sortes de conditions.
Le sénateur Wiebe: Est-il vrai que si une section de forêt n'est jamais exploitée ou n'est pas brûlée par un incendie, elle finit par mourir?
M. Miller: C'est vrai. Deux facteurs jouent dans ce cas. Dans la forêt boréale, le feu en est un. La tordeuse des bourgeons de l'épinette en est un autre. En Colombie-Britannique, le pin tordu résiste très bien au feu, en ce sens qu'il a besoin d'une grande quantité de chaleur pour ouvrir ses cônes, laisser tomber ses semences et se régénérer. En cas d'incendie, les arbres brûlent.
En Colombie-Britannique, la lutte contre les incendies de forêt est très efficace. Comme résultat, nous laissons beaucoup de pins qui font un festin pour le dendroctone. Nous avons donc déplacé un agent de recyclage en laissant la place à un autre. Je suis sûr que si nous pouvions combattre le dendroctone avec autant d'efficacité que les incendies, la maladie du pied ou un autre agent viendraient recycler la forêt.
Le sénateur Wiebe: C'est peut-être ce que nous devrions chercher parce que les incendies de forêt libèrent d'énormes quantités de carbone.
M. Miller: Effectivement.
Le sénateur Day: Toutefois, tous les nouveaux arbres se nourrissent de gaz carbonique.
Le sénateur Wiebe: Le font-ils assez vite?
Le sénateur Day: C'est la question qui se pose.
Le président: J'ai posé tout à l'heure des questions sur la politique publique pour obtenir les renseignements dont nous avons besoin, à titre de législateurs. Pouvez-vous nous recommander d'autres moyens d'aider le secteur forestier à s'adapter?
M. Miller: Nous en savons déjà pas mal sur la gestion des forêts. Nous recourons de plus en plus à des techniques de gestion adaptives qui nous permettent de savoir où exploiter la forêt, d'en comprendre le fonctionnement et de prévoir ses changements par suite de l'intervention humaine. Si nous continuons à appliquer ce que nous savons déjà, de même que les connaissances considérables que nous possédons sans les utiliser, nous pouvons aller assez loin. La recherche n'est pas la seule solution. Nous devons faire usage de ce que nous savons déjà et prendre de bonnes décisions, ce dont nous sommes tout à fait capables.
Le sénateur Hubley: J'aimerais revenir à la R-D, qui est très importante pour l'agriculture et la foresterie.
Où en sont les travaux sur les arbres résistants à la sécheresse et aux insectes? Quels sont les possibilités dans ce domaine? À la dernière séance du comité, les trois sénateurs de la côte Est ont appris non seulement que le réchauffement de la planète accentuera les marées, mais qu'une partie du Canada est déjà en train de sombrer.
Dans l'Île-du-Prince-Édouard, nous nous occupons de l'érosion du sol sur une base permanente. Nous avons encouragé le remplacement de la culture en couloirs, l'adoption de meilleures pratiques agricoles, et cetera.
Croyez-vous qu'il soit possible d'utiliser des arbres sur une échelle suffisante pour modifier les effets du réchauffement de la planète dans une zone atteinte de sécheresse? Est-ce que certains arbres en sont capables?
M. Miller: D'une façon générale, il y a sûrement des interactions entre la végétation et l'atmosphère, mais elles sont variables. Par exemple, les forêts de tremble transpirent plus que les forêts de conifères, ce qui agit sur l'humidité de l'atmosphère et détermine les endroits où il peut pleuvoir par suite des cellules de convection. Il y a donc une relation directe entre les deux: le temps agit sur la végétation et la végétation agit, pour le moins, sur les conditions météorologiques locales.
D'une façon plus générale, il est possible que nous puissions gérer la végétation de façon à influencer le temps qu'il fait et peut-être même le climat.
M. Egginton: Des arbres ont été replantés dans certaines régions où le printemps était complètement sec, entraînant une modification du temps. Par conséquent, il est certainement possible, par exemple, d'agir sur la disponibilité des eaux souterraines.
M. Miller: Nous avons la preuve dans l'histoire que la déforestation à grande échelle peut intensifier la désertification avec des conséquences écologiques désastreuses.
Le sénateur Hubley: Envisageons-nous d'utiliser des arbres que nous avons déjà pour remplacer d'autres arbres dans les régions atteintes de sécheresse, ou bien créons-nous de nouvelles essences?
M. Miller: Nous faisons les deux. Nous essayons, en recourant aussi bien à l'hybridation classique qu'à la biotechnologie, de modifier des essences pour augmenter leur résistance à la sécheresse. Dans certaines essences, notamment le pin blanc, nous avons déjà trouvé le gène responsable de cette résistance.
Le sénateur Day: J'ai une brève question supplémentaire sur la recherche. Comme le comité examine surtout, en ce moment, les stratégies d'adaptation et compte tenu du fait que des recherches sont réalisées par l'industrie, les universités, le Service canadien des forêts et les gouvernements provinciaux, avez-vous déterminé où sont les lacunes de la recherche, s'il y en a, pour nous aider en matière d'adaptation à court et à long terme?
M. Miller: Le Service canadien des forêts l'a déjà fait et a entrepris de le refaire. Nous procédons régulièrement à cette analyse pour déterminer dans quels secteurs des progrès scientifiques ont été réalisés et dans lesquels des lacunes persistent.
M. Egginton: Nous avons fait exactement la même chose, ce qui explique la perspective canadienne. C'est pour nous mettre au courant des résultats des nouvelles recherches et de ce qu'ils prouvent.
Le sénateur Day: Avons-nous les résultats de vos recherches?
M. Egginton: Vous en avez une partie concernant la recherche déjà faite. Nous nous en servons pour mieux cibler nos efforts. Nous pouvons vous fournir de l'information à ce sujet.
Le président: Vous fournirez des renseignements au comité?
M. Egginton: Oui.
Le président: Excellent.
Nous tenons à vous remercier beaucoup pour une journée extrêmement intéressante et informative. Si nous avons d'autres questions tandis que nous progressons dans notre étude, nous espérons pouvoir vous écrire ou venir vous voir pour trouver les renseignements nécessaires.
M. Miller: Nous serions heureux de mettre à votre disposition toute information dont nous disposons.
Le président: Je vous remercie.
La séance est levée.