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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

L’adaptation aux incidences du changement climatique dans le Nord canadien 

Séance d’information préparée à l’intention du Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts

Le 5 décembre 2002


Aynslie Ogden, M.Sc., forestier professionnel inscrit, R.P.Bio, P.Ag. — Coordonnateur, Northern Climate ExChange; directeur, Bureau du Nord du Réseau canadien de recherche sur l’adaptation aux incidences climatiques

Avec l’aide de 

M. Peter Johnson, Ph.D. — Président, Commission canadienne des affaires polaires; professeur à l’Université d’Ottawa et conseiller scientifique auprès du Bureau du Nord du Réseau canadien de recherche sur l’adaptation aux incidences climatiques


Sommaire 

1.        Dans le Nord canadien, le changement climatique n’est plus une idée abstraite. Les données scientifiques et les observations locales sont formelles : le changement climatique y a déjà eu et continue d’y avoir des incidences. On s’attend donc à un réchauffement important des températures et à des précipitations beaucoup plus fortes au cours du 21e siècle. 

2.        Les incidences prévues du changement climatique préoccupent beaucoup les populations du Nord étant donné les répercussions qu’elles pourraient avoir sur leurs modes de vie traditionnels et sur la mise en valeur et la conservation des ressources. 

3.        Les répercussions du changement climatique sur les peuples autochtones du Nord sont tout spécialement dignes de mention en raison de leur rapport à la terre et de leurs responsabilités actuelles et nouvelles en matière de gouvernance régionale. 

4.        En général, l’analyse de NCE montre que nous comprenons mal les modifications que pourrait subir le climat et les incidences qu’elles pourraient avoir. 

5.        Le peu de recherche et de surveillance que nous faisons actuellement nous empêche de bien comprendre la mécanique et les incidences du changement climatique et, partant, d’élaborer pour les populations du Nord des moyens de s’y adapter. 

6.       Il est crucial de chercher et de concevoir des moyens de s’adapter au changement climatique dans le Nord canadien, mais nous commençons tout juste à le faire. Un travail de base important a déjà été fait, mais il faudra faire beaucoup plus pour assurer la subsistance des collectivités, écosystèmes et modes de vie du Nord canadien. 

 

1.       Dans le Nord canadien, le changement climatique n’est plus une idée abstraite. Les données scientifiques et les observations locales sont formelles : le changement climatique y a déjà eu et continue d’y avoir des incidences. On s’attend donc à un réchauffement important des températures et à des précipitations beaucoup plus fortes au cours du 21e siècle.

 

Selon un rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), de 1861 à 2000, la température moyenne en surface a monté de 0,6oC dans le monde. Dans l’Arctique, le 20e siècle a été témoin d’un réchauffement de la température de l’air pouvant atteindre 5oC dans de vastes étendues de terres et d’une légère hausse de la température de l’air au-dessus des étendues d’eau glacées. La température de la planète pourrait connaître une augmentation allant de 1,4 à 5,8oC d’ici 2100, et toutes les études disent que lorsque l’atmosphère terrestre se réchauffera, le réchauffement sera plus rapide et plus marqué dans les hautes latitudes que dans les basses. Les écarts de température devraient se produire au cours des mois d’hiver, c’est‑à‑dire que les grands froids devraient être moins intenses et moins fréquents. Les changements dans les précipitations devraient être modestes au cours du 21e siècle, mais les précipitations excessives devraient être plus fréquentes. Le changement climatique est une chose compliquée, car la fréquence et l’ampleur des variations de température changent d’une région et d’une saison à l’autre. Nous résumons ci-après les données scientifiques recueillies et les résultats des observations locales.

 

Région du Yukon — Au cours du dernier siècle, on a noté au Yukon une montée de la température de 1,5oC très facilement remarquable. Le réchauffement s’est surtout produit en hiver et au printemps avec une prolongation très faible de la tendance au cours de l’été et une baisse graduelle des températures à l’automne. Les données sur les précipitations révèlent qu’en général, elles ont diminué en hiver alors qu’en été, elles ont peu augmenté et elles varient plus en intensité. Au cours du prochain siècle, selon toutes les prévisions fondées sur des modèles, le Yukon aura des températures plus élevées pendant toute l’année et des chutes de neige plus abondantes. On prévoit que le réchauffement sera plus notable en hiver qu’en été et qu’en hiver, il sera plus marqué sous les latitudes élevées. Par ailleurs, à cause de l’effet modérateur de la mer de Beaufort, il sera plus fort dans le sud et le centre du Yukon que dans le nord. On est moins certain des prévisions relatives aux précipitations que de celles qui concernent la température, et les modèles portent généralement à croire que les précipitations d’hiver connaîtront une augmentation plus forte sous les latitudes élevées. La plupart des modèles permettent de prédire peu de changement dans les précipitations d’été, mais on prévoit que les tempêtes seront plus fréquentes et plus violentes en hiver et en été.

 

Région du Mackenzie — Cette région, où se trouve la plus grande part de la partie continentale des Territoires du Nord-Ouest, s’est réchauffée de 1,5oC au cours des 100 dernières années. Selon les modèles, le réchauffement le plus fort devrait se produire en hiver sous les latitudes nordiques supérieures avec un réchauffement faible en été. On s’attend d’ici 2050 à un réchauffement pouvant atteindre 5oC avec des variations d’une saison à l’autre. On prévoit aussi un taux général d’augmentation des précipitations qui pourrait atteindre les 25%.

 

Région de la toundra arctique et région des montagnes et des fjords arctiques — Ces deux régions climatiques englobent le centre et l’est de l’Arctique. Dans la région de la toundra arctique, qui inclut la partie continentale du Nunavut, l’Île Banks et l’Île de Victoria, on a noté un réchauffement approximatif de 0,5oC. Celle des montagnes et des fjords arctiques, au fond est de l’Extrême-Arctique, a connu, au contraire, un léger refroidissement, surtout en hiver et au printemps. Les prévisions pour ces régions font état d’un réchauffement plus marqué sur terre que sur mer, d’un réchauffement plus faible et peut-être même d’un refroidissement sur une partie de l’Atlantique Nord, d’un réchauffement plus fort au cours des mois d’hiver et d’un réchauffement augmentant avec la latitude. En hiver, le réchauffement devrait varier entre 5o et 7oC dans la partie continentale et dans la majeure partie des Îles de l’Arctique et atteindre 10oC au centre de la baie d’Hudson et dans l’océan Arctique, au nord-ouest des Îles. En été, on constatera vraisemblablement un réchauffement maximal de 5oC sur la partie continentale et les Îles du centre de l’Arctique et un réchauffement de 1 à 2oC de la température dans le nord de la baie d’Hudson, dans la baie Baffin et dans le nord-ouest des Îles de l’Extrême-Arctique. Certains croient qu’il pourrait y avoir un léger refroidissement dans l’extrême-est de l’Arctique en hiver et au printemps. On prédit aussi une augmentation générale des précipitations pouvant atteindre 25 % dans les deux régions.

 

Observations locales — Beaucoup de Canadiens du Nord observent des changements dans le climat. L’expérience locale et le savoir traditionnel constituent un apport important à notre compréhension des incidences du changement climatique. Établie à Whitehorse, Northern Climate ExChange (NCE) a commencé en 2000 à consulter les collectivités du Yukon pour avoir une meilleure idée de l’inquiétude que le changement climatique leur inspire et de l’ampleur de l’information qu’elles possèdent sur le sujet. Elle a conclu des données recueillies qu’au Yukon, le changement climatique n’est plus une idée abstraite et qu’il est un sujet important de préoccupation dans les populations. Nous avons aussi noté qu’il existe à l’échelle locale une somme énorme d’informations extrêmement précieuses sur le changement climatique, mais que très peu de ce savoir a été recueilli et consigné. Il y a plus de questions que de réponses. De plus, on ne dispose pas de suffisamment d’information pour aider les collectivités à comprendre les incidences du changement climatique et à s’y préparer, et on en a encore moins à une échelle qui pourrait aider les collectivités à prendre leurs décisions. Les observations et les préoccupations en matière de changement climatique varient au sein des collectivités et entre elles, et les observations qui sont faites dans les collectivités ne recoupent pas toujours les prévisions fondées sur des modèles.

 

 

2.       Les incidences prévues du changement climatique préoccupent beaucoup les populations du Nord étant donné les répercussions qu’elles pourraient avoir sur leur modes de vie traditionnels et sur la mise en valeur et la conservation des ressources.

 

Qu’il s’agisse de construire des routes praticables l’hiver sur des lacs et des cours d’eau gelés ou de la migration des hardes de caribous, le climat est un facteur important dans la gestion, la mise en valeur et la conservation des ressources naturelles et joue un rôle de premier plan dans la subsistance des collectivités nordiques. Voici une introduction à certaines des incidences que le changement climatique pourrait avoir dans les territoires du Nord canadien.

 

Agriculture — De façon générale, dans le Nord, les sols et les conditions climatiques se prêtent mal à l’agriculture, mais certaines régions du Yukon ont un potentiel agricole modéré, et l’agriculture est une composante modeste, mais importante de l’économie basée sur les salaires au Yukon. Une prolongation de la saison de croissance permettrait de cultiver un plus grand nombre de variétés et d’obtenir de meilleurs rendements. Elle pourrait aussi améliorer les possibilités de production en serre. Or, la mesure dans laquelle le changement climatique pourrait permettre d’accroître la production agricole est limitée par l’état des sols et l’évolution future des précipitations. Les incidences du changement climatique sur les disponibilités alimentaires du Nord sont beaucoup plus fortes quand on tient compte des activités de subsistance, comme la chasse et la cueillette. Nous en traitons plus loin.

 

Foresterie — Au Yukon et dans les Territoires du Nord-Ouest, l’apport de la foresterie à l’économie est faible, malgré son importance, et la croissance de ce secteur suscite de l’intérêt. Au Yukon, le nombre d’incendies de forêt et d’hectares brûlés augmente depuis les années 1960. On s’attend à ce que cette tendance se maintienne, car les températures se réchauffent et les orages électriques sont de plus en plus fréquents. Entre 1994 et 1999, le typographe a tué presque toute la population adulte d’épinette blanche sur quelque 200 000 hectares dans le couloir fluvial de la rivière Alsek, dans le parc national de Kluane, ainsi que dans la vallée de Shakwak, au nord de Haines Junction. Une succession d’hivers et de printemps doux a favorisé la reproduction de ces insectes et leur a permis de se multiplier rapidement. Dans le Bassin du Mackenzie, à défaut de changements dans les méthodes de gestion des feux de forêt, il faut s’attendre à une augmentation du nombre et de la violence des incendies, ce qui devrait faire doubler d’ici 2050 le nombre annuel moyen d’hectares de forêt brûlés. De plus, dans le Bassin, le nombre d’hectares qui pourraient devenir vulnérables au charançon du pin blanc doublerait au moins et engloberait toute la zone boisée.

 

Infrastructure — Dans certaines régions, le dégel du pergélisol accroîtra le risque de glissements de terrain, lesquels, s’ils se produisaient près des infrastructures, pourraient causer des dommages considérables. Il compromet aussi l’intégrité structurale des vieux immeubles ainsi que de l’infrastructure d’adduction d’eau et d’élimination des déchets. Il peut causer le cintrage et la rupture des pipelines et la rupture des réservoirs servant à l’entreposage des réserves d’eau et au confinement des eaux usées. Les routes, les pistes d’atterrissage et les immeubles souffriront de l’instabilité du sol, surtout dans les régions où sa teneur en glace est élevée.

 

Industrie — Le changement climatique pourrait avoir des répercussions importantes sur l’activité commerciale et industrielle, ce qui pourrait avoir des incidences économiques. L’augmentation des précipitations pourrait obliger l’industrie minière à renforcer à grands frais les digues à stériles et les ouvrages de déviation des cours d’eau. De plus, un prolongement de la période exempte de gel pourrait perturber l’accès à beaucoup de champs de prospection pétrolière et gazière, que les chemins d’hiver construits sur le sol gelé permettent actuellement de rallier. La plus grande imprévisibilité des conditions climatiques hivernales pourrait nuire à l’expansion du secteur en plein développement de la production et de la réalisation cinématographiques du Yukon, dont la réussite est fortement attribuable, notamment, à la possibilité d’y trouver des paysages enneigés beaucoup plus tôt et beaucoup plus longtemps qu’à d’autres endroits. Par contre, des étés plus longs et plus doux pourraient stimuler le tourisme et accroître le nombre de visiteurs dans les territoires nordiques.

 

Transports — Dans beaucoup de régions du Nord, la stabilité des voies de transport est tributaire des propriétés des agrégats dont le gélisol se compose. Le réchauffement des températures d’hiver endommage les routes de glace, qui gèlent plus tard à l’automne et fondent plus tôt au printemps. Il est ainsi plus difficile de transporter les marchandises vers les collectivités et les mines dont l’approvisionnement dépend de ces routes. Le changement du climat et l’augmentation des températures devraient aggraver ces problèmes. Si les températures se réchauffent assez, le passage du Nord-Ouest pourrait devenir une route de navigation internationale. Cela pourrait entraîner un accroissement du commerce, mais cela pourrait aussi avoir de nombreuses conséquences sociales et environnementales. En fait, cela soulève déjà des questions sur la souveraineté du Canada dans les eaux arctiques.

 

Ressources en eau — La configuration hydrologique du Nord est particulièrement vulnérable au réchauffement du climat parce que des augmentations même faibles de la température accentueront la fonte des neiges et des glaces. On s’attend à ce que les eaux de ruissellement soient de plus en plus constituées d’eau de pluie et que les fluctuations saisonnières du ruissellement diminuent. Par endroits, il se formera de plus grandes nappes d’eau à la surface du sol, mais les tourbières pourraient s’assécher à cause d’une évaporation accrue et d’une plus grande transpiration des plantes. Dans certaines régions, le dégel du pergélisol pourrait accentuer l’infiltration d’eau. Le changement climatique pourrait avoir des conséquences sur la production d’énergie hydroélectrique au Yukon. On ne sait trop quel effet net il pourrait avoir, mais une augmentation des eaux de ruissellement pourrait faire monter la capacité hydroélectrique, alors que des orages forts et le charriage d’une charge solide pourrait la réduire. Les inondations consécutives au dégel du printemps pourraient causer des dommages plus graves en bordure des cours d’eau.


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