Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles
Fascicule 5 - Témoignages du 28 novembre 2002
OTTAWA, le jeudi 28 novembre 2002
Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles, à qui a été renvoyé le projet de loi C-5, Loi concernant la protection des espèces sauvages en péril au Canada, se réunit aujourd'hui, à 8 h 30, pour en étudier la teneur.
Le sénateur Tommy Banks (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Honorables sénateurs, nous accueillons aujourd'hui l'honorable David Anderson, ministre de l'Environnement, qui est responsable du projet de loi. Il est accompagné par Karen Brown, sous-ministre adjointe du Service de la conservation de l'environnement. Nous recevons également John Sims, sous-ministre délégué de la Justice.
Monsieur Anderson, j'imagine que vous avez préparé une déclaration liminaire pour nous, ce matin.
L'honorable David Anderson, c.p., député, ministre de l'Environnement: Oui, j'ai quelques mots à dire pour commencer. Je suis très heureux d'avoir à nouveau l'occasion de discuter avec vous du projet de loi C-5 sur les espèces en péril.
J'aimerais d'abord remercier les honorables sénateurs de tout le travail accompli au sujet de cette mesure législative, depuis ma dernière comparution devant le comité. C'est fort apprécié. Je reconnais que le projet de loi est complexe et qu'il exige beaucoup de temps. Son étude est un travail de longue haleine parce que le projet de loi est difficile; il est loin d'être simple. Votre opinion est particulièrement importante pour moi, étant donné que ce sont les sénateurs qui vont accorder ou non leur approbation finale à cet important projet de loi. J'estime donc que ce que les sénateurs ont fait, votre compréhension du projet de loi, votre intérêt pour la conservation et votre connaissance des enjeux comptent énormément dans tout ce processus législatif.
Je vais discuter de certains des problèmes qui vous ont été exposés. J'espère que mes propos vont dissiper ou apaiser les craintes que vous pouvez avoir.
D'abord, au sujet de la disposition de non-dérogation, on a consacré beaucoup de temps à l'étude de cette question au cours des derniers mois. J'en ai discuté avec mon collègue M. Cauchon, ministre de la Justice, qui s'est engagé, comme promis, à examiner le recours à ces dispositions dans toutes les lois fédérales. J'ai d'ailleurs eu l'occasion de parler de ce problème avec lui et d'autres membres du Cabinet pas plus tard qu'hier. Peu après nos discussions, il a envoyé une lettre aux sénateurs, dont vous avez reçu copie je crois. Sa lettre est adressée au président du comité. J'attire votre attention sur le quatrième paragraphe de la lettre qui dit:
Je suis maintenant prêt [...] à recommander au gouvernement de présenter, comme vous le proposez, un projet de loi autonome visant à supprimer les dispositions de non-dérogation de toutes les lois existantes.
— ce qui, comme vous l'avez dit, serait probablement approuvé par le sénateur Watt et d'autres sénateurs autochtones.
Je vais également recommander que le gouvernement ait comme politique ne plus prévoir de dispositions de ce genre dans les futurs projets de loi.
Autrement dit, que ces dispositions n'existent plus à l'avenir et qu'on veille à ce qu'elles soient toutes supprimées des lois déjà adoptées. C'est l'engagement qu'il prend d'après le quatrième paragraphe de sa lettre, auquel je fais référence dans le troisième paragraphe de celle que je vous adressais le 27 novembre.
Ce troisième paragraphe dit en partie:
J'approuve tout à fait cette formule et c'est la solution que je vais recommander à mes collègues du Cabinet.
Pour revenir en arrière, c'est vous qui m'avez écrit, dans une lettre datée du 21 novembre, pour me signaler, au troisième paragraphe, la possibilité de supprimer la disposition de non-dérogation.
Le président: Puis-je vous demander de laisser aux membres le temps de lire les deux lettres dont vous parlez, étant donné que nous sommes en train de les distribuer? Je ne les avais pas fait distribuer avant.
Le sénateur Milne: Je propose qu'on fasse la lecture de ces lettres. La lettre du ministre Cauchon devrait figurer dans le compte rendu de nos délibérations.
Le président: Je vais le faire avec plaisir. Je vais lire les deux lettres qui me sont toutes les deux adressées. La première est celle du ministre Anderson qui dit:
J'ai bien reçu votre lettre du 21 novembre, et sa pièce jointe, concernant la disposition de non-dérogation du projet de loi C-5.
Je suis conscient de l'importance que le comité accorde à cette question. Comme vous le savez, mon collègue le ministre Cauchon va, comme promis, étudier la question du recours aux dispositions de non-dérogation dans toutes les lois fédérales. J'approuve sans réserve son initiative et j'espère qu'une décision sera prise très bientôt.
Dans la lettre que vous m'avez envoyée, vous proposez que le gouvernement s'engage par écrit à déposer un projet de loi «autonome» pour supprimer la disposition de non-dérogation de toutes les lois en vigueur. J'approuve tout à fait cette formule et c'est la solution que je vais recommander à mes collègues du Cabinet.
Ainsi, les dispositions de non-dérogation des lois en vigueur et des projets de loi actuellement à l'étude seraient toutes visées par un projet de loi d'ensemble le plus tôt possible. Cela nous épargnerait d'avoir à modifier chaque mesure législative, en plus de nous permettre d'assurer l'uniformité des lois fédérales et d'offrir une solution durable.
Dans l'intervalle, c'est avec plaisir que je comparaîtrai devant le comité jeudi pour discuter de cette question et d'autres sujets liés au projet de loi sur les espèces en péril.
Ce que le comité pense du projet de loi importe pour moi. Soyez assuré que je vais en tenir compte très sérieusement. Si je peux encore aider le comité dans son travail, n'hésitez pas à communiquer avec moi.
La deuxième lettre, celle du ministre Cauchon, dit:
J'ai bien reçu votre lettre du 21 novembre concernant la question des dispositions de non-dérogation dans les lois fédérales et la protection accordée aux droits ancestraux et issus de traité par l'article 35 de la Constitution.
C'est une question importante que mes collaborateurs examinent de près dans le but de trouver des solutions possibles. En fait, des discussions entre des cadres supérieurs du ministère de la Justice et d'autres ministères viennent à peine de se terminer. Les répercussions à la fois sur les lois et les politiques ont été envisagées pendant l'étude.
Cette semaine, j'ai eu l'occasion de discuter de la question avec mes collègues du Cabinet, et les solutions que vous proposez dans votre lettre m'ont été alors très utiles.
Je suis maintenant prêt, tout comme mon collègue le ministre Anderson, à recommander au gouvernement de présenter, comme vous le proposez, un projet de loi autonome visant à supprimer les dispositions de non- dérogation de toutes les lois existantes. Je vais également recommander que le gouvernement ait comme politique de ne plus prévoir de dispositions de ce genre dans les futurs projets de loi.
Tout comme vous, nous cherchons une solution globale et durable pour régler les problèmes que le recours aux dispositions de non-dérogation soulève, une solution qui garantit clairement la protection des droits autochtones qui est assurée par l'article 35 de la Constitution. Je crois que cette proposition atteint l'objectif visé.
Je vous prie d'agréer, monsieur le sénateur, l'expression de mes sentiments distingués.
Martin Cauchon
Voilà pour les deux lettres.
Le sénateur Watt: Je veux qu'on réponde à la lettre que j'ai ici. Nous avons besoin d'explications, parce que cinq sénateurs autochtones ont écrit au ministre, et je ne suis pas sûr que ce soit la réponse à cette lettre. Monsieur le sénateur, avez-vous aussi écrit une lettre en notre nom?
Le président: J'ai écrit une lettre en mon nom et au nom du comité.
Le sénateur Watt: Ce n'est peut-être pas important mais, en ce qui me concerne, notre lettre n'a pas reçu de réponse. Cette lettre n'a pas été envoyée aux sénateurs autochtones.
Le président: Je ne sais pas quelles lettres le ministre a reçues.
Le sénateur Watt: Je n'apprécie pas tellement qu'on ait ignoré la lettre que nous avons écrite.
Le président: Mesdames et messieurs, je pense que nous allons laisser le ministre finir sa déclaration. Je suis sûr que le ministre et les autres témoins ont des choses à dire, et ils répondront volontiers à vos questions par la suite.
M. Anderson: Je signalerais seulement que, dans la lettre que vous m'avez remise, vous indiquez clairement exprimer votre opinion personnelle, et non celle convenue après consultation avec le comité. Je veux m'assurer que c'est clair. La lettre de M. Cauchon et la mienne s'adressent au comité, mais nous avons pris note du point de vue personnel dont vous nous avez fait part.
Le président: Merci.
M. Anderson: On l'a clairement considérée comme une opinion personnelle. En fait, je pense que vous employez les mots «à mon avis». En outre, le 27, mon collègue Martin Cauchon, le ministre de la Justice, a envoyé une lettre à l'honorable Willie Adams et à ses cosignataires. Je présume que c'est au sujet de la correspondance reçue. C'est une brève lettre d'accompagnement des deux lettres que vous venez de lire. Elle a été envoyée le 27.
Le président: Merci, monsieur le ministre.
M. Anderson: Quoi qu'il en soit, les deux engagements sont clairs dans la lettre de M. Cauchon. Il va présenter un projet de loi autonome pour faire supprimer des lois existantes les dispositions de non-dérogation, et il va recommander que le gouvernement ait pour politique de ne plus prévoir de dispositions de ce genre dans les futurs projets de loi. Ce sont les deux engagements qu'il a pris, et qui, d'après lui, vont tenir compte d'un problème jugé très délicat non seulement par les sénateurs autochtones. Nous avons cherché une solution durable à ce problème, et John Sims, le sous-ministre délégué de la Justice, qui m'accompagne aujourd'hui, peut donner plus de précisions sur les aspects juridiques et constitutionnels de la question. Je vais sûrement lui en donner l'occasion tout à l'heure.
Je veux aussi vous parler de la question de l'indemnisation. Vous avez déjà interrogé des témoins sur les pertes financières que les mesures de protection de l'habitat essentiel pourraient causer. Votre préoccupation est légitime. Nous en avons tenu compte et nous avons essayé de répondre aux problèmes. Nous avons créé un régime d'indemnisation qui est juste et équitable et qui considère que l'intendance est la première façon de protéger l'habitat essentiel. J'attirerais particulièrement votre attention sur ce qu'a dit M. Stewart Elgie, qui a comparu devant vous mardi. Il a alors déclaré et je cite:
Aucune autre loi environnementale au Canada n'offre une indemnisation aussi juste et raisonnable aux gens à qui la loi cause un préjudice important.
Il poursuit en disant:
J'exhorterais les sénateurs à examiner ce qui s'est vraiment passé au Canada. Dans pratiquement tous les cas, grâce à une planification minutieuse et de légers réaménagements, il est possible de gérer des terres de façon à assurer la survie d'une espèce et à ne pas causer de préjudice aux gens.
Je pense que c'est très important. M. Elgie a critiqué assez assidûment le projet de loi. Il a participé activement aux travaux du comité de la Chambre et, visiblement, aux vôtres aussi. Cependant, il a reconnu qu'il est extrêmement difficile d'établir un régime d'indemnisation à partir de rien et, dans son exposé, il a indiqué la difficulté de fixer des droits. Il a aussi signalé le problème que cela pose aux gouvernements provinciaux qui ont énormément de lois régissant les terres, étant donné que c'est un de leur domaine de compétence, et qui considèrent la question de l'indemnisation avec méfiance.
Par exemple, les conseils municipaux adoptent beaucoup de règlements de zonage sans prévoir indemniser ceux qui auraient pu obtenir davantage pour leur terrain si des restrictions n'avaient pas été imposées sur la hauteur ou la superficie au sol d'une propriété. Il est légitime de vouloir mettre en oeuvre un régime en prenant soin de savoir où il va nous mener.
Pour finir là-dessus, je dirais que nous avons parfaitement l'intention d'offrir une indemnisation quand le préjudice est clair et qu'il faut assurer une certaine protection aux gens à la suite de la reprise ou de l'expropriation de leurs terres, le cas échéant. Par contre, il ne faut pas inciter quelqu'un à menacer d'exploiter sa terre de façon nuisible pour la faune s'il n'est pas indemnisé, ou à agir en contradiction avec les principes courants de zonage. Nous ne voulons pas nous retrouver obligés de verser d'importantes sommes d'argent. Comme la collaboration avec les provinces et les territoires est importante, nous ne voulons pas non plus faire en sorte que leurs règlements concernant les forêts, l'agriculture et l'utilisation des terres entraînent de lourdes dépenses à leurs gouvernements.
Ce sont les préoccupations que M. Elgie a soulevées, et nous pouvons y revenir plus tard. Je tiens à souligner que nous ne nous attendons pas à avoir à offrir d'indemnisation. Nous voulons encourager la bonne intendance. Nous pensons que les cas d'indemnisation pour des pertes subies à la suite de mesures prises par le gouvernement pour empêcher la destruction d'un habitat essentiel seraient rares et, d'ailleurs, M. Elgie a indiqué qu'il ne voyait pas comment un cas pourrait survenir.
Je ne sais pas combien il pourrait y avoir de cas, mais je serais surpris qu'il y en ait deux ou trois par année. Voilà pourquoi ce droit devrait être discrétionnaire et non pas inscrit dans la loi et le règlement.
Monsieur le président, je voudrais maintenant parler brièvement de la participation des Autochtones. Depuis le tout début, les Autochtones ont été et resteront des partenaires essentiels au succès du projet de loi. Notre collaboration avec les Autochtones a permis d'apporter plusieurs améliorations importantes au projet de loi. Par exemple, l'intégration du savoir traditionnel autochtone à l'évaluation des espèces en péril est un concept tout nouveau pour beaucoup de scientifiques, qui est toutefois très important. Nous avons l'obligation de constituer le Conseil autochtone national sur les espèces en péril. Je dois convoquer la première réunion du conseil national dans les trois mois suivant la promulgation du projet de loi.
Évidemment, le projet de loi n'enlève aucun des droits ancestraux ou issus de traités qui sont protégés par l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Je m'en remets à cet égard au sous-ministre délégué de la Justice, mais je crois qu'il est impossible que les lois violent la Constitution de cette façon. Si un groupe autochtone a le droit de capturer une espèce menacée ou en voie de disparition aujourd'hui, la loi ne peut rien y changer. Si jamais, ce qui est fort peu probable, la loi sur les espèces en péril empêchait les Autochtones de capturer une espèce pour la protection de son habitat essentiel, ceux à qui cette mesure causerait un préjudice important auraient droit à une indemnité.
Si le droit des Autochtones est clairement protégé par l'article 35 de la Constitution, il est respecté. Si le droit n'existe pas, mais que la protection de l'espèce porte un préjudice à leurs activités, les Autochtones auraient droit à une indemnité.
C'est important. L'assurance garantie par la protection de la loi, qui a été examinée bien des fois par les témoins et les organisations autochtones, sera réelle.
C'est à dessein que nous avons employé, dans l'article 64 du projet de loi, le mot «verser» plutôt que «payer» une indemnité pour pouvoir envisager d'autres indemnités que financières. Par exemple, on pourrait échanger des terres ou prévoir autre chose du genre plutôt qu'offrir une somme d'argent.
Le projet de loi ne permet pas d'indemniser les Autochtones qui ne peuvent pas capturer une espèce menacée ou en voie de disparition, ni personne d'autre à qui il est interdit de tuer une des espèces énumérées. Les espèces figurent sur la liste des espèces menacées ou en voie de disparition seulement s'il existe des preuves solides que leurs risques d'extinction sont imminents.
Les Autochtones qui comptent sur la capture d'espèces sauvages seront avantagés par le projet de loi qui protège les espèces et vise à ce qu'elles deviennent plus abondantes. Dans l'ensemble, la loi aura un effet bénéfique pour les chasseurs et ceux qui vivent de la nourriture traditionnelle au Canada.
L'intendance est un aspect crucial du projet de loi, comme vous le savez sans doute. C'est un des fondements du projet de loi. La dernière fois que je vous ai rencontrés, j'ai indiqué que je trouvais important que les propriétaires fonciers et ceux qui exploitent la terre prennent volontairement des mesures de conservation de façon à protéger l'habitat. Le Programme de conservation et de gérance de l'habitat en est déjà à sa troisième année d'existence. Nous avons investi environ 10 millions de dollars cette année dans 160 projets locaux. Ces projets aident et protègent quelque 208 espèces en péril. Il y a aussi à peu près 80 autres espèces figurant sur les listes provinciales qui profitent des programmes de gérance.
Le programme de gérance de l'habitat se finance bien. Sur à peu près chaque dollar versé par le gouvernement fédéral, 70 cents proviennent d'autres sources.
La participation des propriétaires fonciers est essentielle au succès du projet de loi. Nombreux sont ceux qui ont déjà fait beaucoup pour améliorer l'habitat de la faune. Nous voulons les appuyer et continuer de collaborer avec eux. Beaucoup d'associations industrielles et d'entreprises approuvent les activités d'intendance et agissent pour protéger les espèces en péril.
Je tiens à répéter que, pour moi, l'esprit de collaboration est la pierre angulaire du projet de loi. Le projet de loi sera efficace seulement si les propriétaires fonciers et ceux qui exploitent la terre sont disposés à l'appuyer. Aucune somme d'argent ni aucune loi fédérale ou provinciale ne peut donner de résultat si les propriétaires fonciers ou les exploitants ne collaborent pas. Le projet de loi C-5 prévoit en bonne et due forme la participation aux programmes de rétablissement de nombreux intervenants, y compris les propriétaires fonciers.
Je veux remercier les sénateurs de l'ardeur avec laquelle ils ont travaillé à l'étude du projet de loi. L'intérêt évident que vous avez témoigné pour la conservation au Canada est impressionnant et fort apprécié.
Les responsabilités concernant la protection des espèces en péril sont aussi bien évidentes pour moi. Nous avons des défis à relever, mais je suis convaincu que le projet de loi que vous avez pris soin d'examiner au cours du dernier mois est un élément essentiel de la stratégie globale du gouvernement. Après de nombreuses années d'étude, il est important que le projet de loi soit mis en oeuvre sur le terrain, là où il peut changer des choses.
Le président: Madame Brown, voulez-vous ajouter quelque chose?
Mme Karen Brown, sous-ministre adjointe, Service de la conservation de l'environnement: Non.
Le président: Monsieur Sims, auriez-vous des observations précises à nous faire?
M. John Sims, sous-ministre délégué, Justice Canada: Merci, monsieur le président. Je suis disposé à répondre aux questions que vous voudrez bien poser, mais la lettre du ministre Cauchon, dont vous avez donné lecture, expose la position du ministre de la Justice concernant la disposition de non-dérogation et la position que le gouvernement aimerait prendre pour arriver à régler le problème.
Le sénateur Christensen: Nous avons constaté beaucoup d'inquiétude de la part des propriétaires fonciers, des éleveurs de bovins et des associations environnementales. Ils ont des idées bien arrêtées quant aux changements qu'il faudrait apporter, mais leurs points de vue ne sont pas nécessairement compatibles.
À l'article 64 du projet de loi, le ministre «peut» et non «droit» agir. Avez-vous des observations à ce sujet?
Deux ou trois témoins ont eu le sentiment qu'une modification avait été apportée, mais c'est le mauvais alinéa qui a été modifié. Il aurait fallu modifier l'alinéa 1 et non pas l'alinéa 2. Avez-vous des observations à ce sujet?
Nous venons de recevoir un document sur le fait de tuer ou de maltraiter un animal en connaissance de cause ou délibérément, quand il y a mens rea. Je ne l'ai pas encore lu. Je crois que le ministère de la Justice devrait faire un commentaire là-dessus.
Nous avons également entendu des témoignages sur le fait que l'habitat des oiseaux migratoires est mal protégé. J'aimerais que vous nous en parliez davantage, et que vous répondiez à la critique selon laquelle le problème des espèces transfrontalières n'a pas été assez bien examiné.
J'aimerais aussi avoir votre avis sur l'examen quinquennal. Dans cinq ans, la mise en oeuvre du projet de loi sera encore récente, et il sera très difficile de bien en évaluer l'utilité. Vous allez disposer de certaines données de référence, mais vous n'aurez pas assez d'informations pour évaluer le projet de loi et déterminer s'il satisfait aux besoins et aux objectifs.
De plus, il faudrait que le projet de loi fasse l'objet d'un examen continu qui permettrait de le mettre à jour afin qu'il réponde aux objectifs visés.
M. Anderson: Madame le sénateur Christensen a sûrement bien résumé certains des éléments les plus importants.
En ce qui concerne l'indemnisation prévue à l'article 64, une fois de plus, je précise qu'il s'agit d'une nouveauté législative dans ce domaine. Les gouvernements provinciaux, pratiquement d'un océan à l'autre, manifestent de grandes réserves à son égard puisque qu'une grande partie de leur réglementation touche les droits et les possibilités d'action des propriétaires fonciers ou des locataires. M. Sims vous en parlera plus abondamment.
Par exemple, en Colombie-Britannique, on n'a pas payé les sociétés forestières lorsqu'on leur a retiré une bande de cent mètres le long de chaque rivière pour la protection du saumon. Les sociétés ont alors affirmé, plutôt à juste titre, que le bois d'oeuvre près des rivières, c'est-à-dire le bois le plus haut et le plus droit, était celui qui avait le plus de valeur dans toute la vallée. Néanmoins, elles n'ont pas obtenu gain de cause. On leur a dit que cette mesure était nécessaire et on l'a mise en oeuvre.
C'est aussi ce qui se passe lorsque des conseils municipaux prennent des décisions en matière de zonage qui ont un impact immense sur la valeur des terrains. Le simple fait d'autoriser des immeubles plus hauts dans un règlement, par exemple de permettre qu'un immeuble de six étages puisse en avoir 20, multiplie plusieurs fois la valeur des terrains. Bien entendu, un tel changement a un impact immense.
Le contraire peut aussi se produire. L'indemnisation a souvent engendré de grandes difficultés. Nous avons tenté d'être très prudents. Nous nous sommes efforcés de ne pas offenser les provinces et nous avons aussi essayé d'éviter que l'indemnisation ne devienne un droit, que l'on s'attende à être indemnisé pour faire ce qui est normal et prévu. Nous ne voulons pas inciter les gens à avoir un comportement nuisible à l'environnement pour qu'ils nous disent ensuite qu'ils modifieront leur comportement s'ils sont indemnisés.
Je vais laisser mes collègues vous donner des renseignements supplémentaires à ce sujet s'ils le désirent, et je vais demander à M. Sims de vous parler des actes posés «sciemment» et «intentionnellement».
En ce qui concerne le manque d'habitat pour les oiseaux migrateurs, un des dilemmes dans ce domaine est qu'on ne sait pas à quel endroit ces oiseaux reviennent chaque année. Ils vont plus au nord ou plus au sud, selon le cas, et ils ne reviennent pas toujours au même refuge. C'est l'une des grandes difficultés auxquelles nous faisons face.
De nombreuses personnes enthousiastes et bien intentionnées ont donc laissé entendre que la Loi sur la Convention concernant les oiseaux migrateurs, une loi fondée sur un traité impérial, nous autorise à intervenir dans toutes les provinces où un oiseau migrateur pourrait se poser. Si nous agissions de la sorte, l'agriculture deviendrait un domaine de compétence fédérale dans la plupart des régions de la Saskatchewan et de l'Alberta, et les relations du gouvernement fédéral avec les provinces en souffriraient énormément.
Nous ne croyons pas qu'il faille faire une pareille distinction entre les animaux migrateurs et les animaux non migrateurs. En élargissant la portée de la loi, nous provoquerions une crise constitutionnelle majeure. Une telle démarche serait aussi, sans aucun doute, invalidée par les tribunaux.
La question touchant les espèces transfrontalières vient peut-être d'une préoccupation particulière aux États-Unis. Prenons l'exemple d'un grizzli qui franchit le 49e parallèle, se promène au Montana et revient en Colombie-Britannique ou en Alberta. Il faudrait qu'il continue d'être protégé au Canada parce qu'il l'était aux États-Unis. C'est tout à fait illogique. C'est là un parfait exemple du nombrilisme des États-Unis, qui croient que leurs politiques doivent être appliquées partout ailleurs. Or, c'est faux.
S'il faut protéger une espèce au Canada, que ce soit un oiseau, un poisson ou je ne sais trop quoi, parce que sa population est trop faible, soit! Par contre, si elle se déplace jusqu'à l'extrême-sud de son aire de distribution, soit aux États-Unis où elle est en voie de disparition, que les États-Unis fassent ce qu'ils veulent. Ils peuvent la protéger sur leur propre territoire. Nous devrions pouvoir prendre nos propres décisions en ce qui concerne les espèces en voie de disparition d'après ce que nous constatons sur notre propre territoire. La question est épineuse.
Ce serait totalement illogique que l'ours qui fait quelques centaines de mètres aux États-Unis our ensuite revenir au Canada devienne tout à coup protégé parce que l'espèce est en voie de disparition aux États-Unis, mais que celui qui longe le 49e parallèle en demeurant à 50 mètres au nord de la frontière ne le soit pas. Ce serait une situation tout à fait illogique. Je n'ai rien contre les ours, mais tous les ours sont pareils, et s'ils sont en voie de disparition en Colombie- Britanique, nous prendrons la décision qui s'impose. Toutefois, s'ils ne le sont pas, nous ne devrions pas accorder de traitement spécial à un ours qui passe six semaines par hier au Montana parce qu'il est protégé aux États-Unis. C'est insensé de traiter ainsi ces animaux. La même logique vaut aussi pour les autres espèces.
Je me rejouis de l'enthousiasme que mettent les Américains à protéger les espèces en voie de disparition. Toutefois, je ne suis pas du tout impressionné par ceux qui croient que toutes les questions reliées aux espèces en voie de disparition doivent être traitées à la lumière des décisions prises aux États-Unis, ni par ceux qui croient que si des espèces sont considérées comme étant en voie de disparition aux États-Unis, nous devons aussi prendre des mesures exceptionnelles. Bien entendu, nous le ferons si elles sont effectivement en voie de disparition, mais ce ne sera pas parce qu'elles font de petits détours aux États-Unis.
La partie nord des États-Unis représente l'extrême-sud de l'aire de distribution de ces espèces. Pour reprendre mon exemple du grizzli, sa population est assez élevée au Canada. Lorsqu'il fait un saut aux États-Unis, il se trouve à l'extrême-sud de son aire de distribution. Aux États-Unis, les ours grizzli ont été chassés de 99 p. 100 de leurs anciens habitats. On peut voir un grizzli sur le drapeau de la Californie. Le grizzli de la Californie était la plus grosse espèce de grizzli en Amérique du Nord, et le dernier a été abattu dans les années 20. Le seul endroit où on peut en voir un, c'est sur le drapeau de cet État. La situation est différente au Yukon. Nous ne devrions pas permettre que la réglementation de la Californie s'applique aussi au Yukon. C'es insensé.
À l'inverse, pour certaines espèces, la partie la plus au nord de leur aire de distribution se trouve au Canada, juste de l'autre côté de la frontière. Si nous adoptons des mesures de protection spéciale à l'égard de la chevêche des terriers ou de certains animaux du désert du sud de l'Okanagan, nous le faisons pour les protéger, et non pas parce que leur population est élevée au Nevada. Nous devons maintenir la transparence du processus et ne pas nous laisser emporter par les arguments présentés par certains organismes environnementaux américains.
Mais j'ai parlé trop longtemps de cette question et je m'en excuse.
En ce qui concerne l'examen quinquennal, nous devons tenir compte d'un aspect pratique. Nous reverrons la loi après cinq ans. Cela ne signifie pas qu'il n'y aura pas d'autre examen. Nous savons tous que certaines lois ont trop souvent été examinées depuis dix ans, pour ceux d'entre nous qui sont là depuis dix ans. Toutefois, si toutes les lois du gouvernment du Canada sont revues tous les cinq ans, c'est dire que 20 p. 100 de nos lois devront être passées en revue chaque année par le Sénat et la Chambre des communes. Nous serions tellement absorbés par ces travaux que nous n'aurions pas le temps de nous attaquer aux problèmes réels. C'est une perpesctive effarante.
Actuellement, nous devons faire certains examens dans le cadre du processus normal. Toutefois, plutôt que de revoir les lois tous les cinq ans, il serait plus sensé de les revoir cinq ans après leur entrée en vigueur et de suivre ensuite le processus normal, c'est-à-dire de ne les modifier qu'elles en ont besoin. Il faudrait peut-être soumettre les lois à des examens plus fréquents, mais si nous choisissons cette voie, nous aurons des règles de procédure très différentes à la Chambre des communes. Je ne m'avancerai pas en ce qui concerne le Sénat, mais il est impossible que la Chambre des communes revoit chaque année le cinquième de toutes les lois adoptées par le gouvernement du Canada.
Nous choisissons ce qui est le plus important. Certaines lois ont vraiment besoin d'être examinées. Toutefois, l'imposition d'examens quinquennaux engendre une charge de travail qui pourrait plus tard s'avérer trop lourde. Une fois de plus, rien ne nous empêche d'examiner cette loi dans cinq ans et une autre fois, cinq ans plus tard, s'il le faut. Il ne serait pas réaliste d'exiger un examen de la loi tous les cinq ans, sauf si nous envisageons de l'abolir après un certain temps.
Le sénateur Spivak: J'ai une autre question.
Le président: Est-ce qu'elle concerne l'examen quinquennal?
Le sénateur Spivak: Non. Elle concerne plutôt le point soulevé par le sénateur Christensen à propos de la Convention concernant les oiseaux migrateurs.
Le président: Avant que vous ne posiez votre question, M. Sims pourrait maintenant répondre à la question du sénateur Christensen à propos de l'intention coupable.
M. Sims: Je vais demander à mon collègue David Near, du ministère de la Justice, de répondre à la question du sénateur puisqu'il connaît bien cette loi.
M. David Near, avocat-conseil, Justice Canada: Merci, monsieur le président. Vous vous rappellerez que j'ai comparu devant le Sénat, au début de la semaine dernière si je ne m'abuse, et que nous avons discuté de cette question.
Le président: Nous sommes ravis de vous revoir.
M. Near: Et je suis ravi de me retrouver ici, comme toujours.
Je ne sais pas si vous désirez que nous reprenions ce que le sénateur Kenny a qualifié de «cours de droit 101». En ce qui concerne l'intention coupable et la différence entre des infractions d'intention coupable et de responsabilité stricte, comme je vous le disais la semaine dernière, presque toutes les infractions relatives à l'environnement au Canada sont des infractions de responsabilité stricte pour lesquelles la Couronne doit prouver qu'un acte prohibé a été commis. Ensuite, c'est la règle de la prépondérance des probabilités qui entre en jeu. L'accusé doit prouver qu'il a pris les précautions raisonnables pour éviter de commettre l'infraction. Ce n'est pas comme dans le cas d'une intention coupable, en vertu de laquelle on doit prouver la commission de l'acte coupable (l'infraction prohibée réelle) et on doit ensuite prouver que la personne a intentionnellement commis l'infraction, ce qui est plutôt difficile dans le cas d'un principe.
Très tôt, il a été décidé qu'en ce qui concerne les espèces en voie de disparition, il ne devait pas être plus difficile de poursuivre en justice les personnes soupçonnées de ce genre d'infraction. Cette approche est à l'opposé de celle de lois telles que la Loi sur la Convention concernant les oiseaux migrateurs et la Loi sur les pêches, puisque ces espèces sont relativement abondantes.
Le président: Je tiens à m'assurer que nous comprenons tous la réponse donnée à la question soulevée par plusieurs témoins. Certains croyaient qu'en réalité, les propriétaires fonciers ou les locataires pourraient être dans l'ignorance et qu'on leur imposait déraisonnablement de se donner beaucoup de peine à l'avance pour être en mesure de prouver plus tard qu'ils ont pris des précautions raisonnables pour ne pas contrevenir à la loi. D'autres témoins ont indiqué qu'étant donné les dispositions du projet de loi à l'étude en ce qui concerne les programmes de rétablissement, il serait pratiquement impossible qu'un propriétaire foncier ou un locataire ignore qu'une espèce vivant sur sa terre doit être protégée et que, par conséquent, on considérerait qu'il en a été amplement informé, dans tous les cas visés par ce projet de loi. Laquelle de ces affirmations est vraie?
M. Near: Comme nous en avons discuté la semaine dernière, en ce qui concerne les actes prohibés en matière d'habitat essentiel, il serait pratiquement impossible de ne pas être au courant qu'une interdiction en matière d'habitat essentiel s'applique à sa terre. Le sénateur Spivak a parlé des espèces inscrites et de l'interdiction d'abattage. Un avis serait fourni, en ce sens que l'espèce serait inscrite sur la liste des espèces en voie de disparition publiée dans la Gazette du Canada. Si quelqu'un décidait de tuer un membre de cette espèce, l'interdiction entrerait alors en jeu.
Comme je le disais également la semaine dernière, les agents de l'autorité et le procureur du ministère de la Justice saisi de l'affaire doivent faire preuve de jugement lorsqu'ils décident s'il y a matière à poursuite.
Le sénateur Spivak: Je suis plutôt perplexe, monsieur le ministre. Vous avez déclaré qu'un élargissement de la compétence fédérale en vertu de la Convention concernant les oiseaux migrateurs pourrait mener à une crise constitutionnelle. Pourtant, le juge Gerard LaForest s'est déjà prononcé à cet égard dans une décision rendue il y a quelque temps au sujet de la compétence législative constitutionnelle du Parlement du Canada relativement à la protection des oiseaux migrateurs. Il a statué que la compétence du Parlement était très étendue et que les dispositions de la Convention concernant les oiseaux migrateurs qui prévoient des pouvoirs généraux pour la protection de l'habitat des oiseaux migrateurs relèvent de la compétence fédérale. Ce jugement n'a jamais été sérieusement remis en question, et la pratique a cours depuis quelque temps déjà. Je me demande donc pourquoi, en ce qui concerne le projet de loi à l'étude en particulier, vous avez choisi de limiter ces dispositions qui sont appliquées depuis très longtemps et qui ont été confirmées par le tribunal. Elles ont déjà été contestées et elles ont été confirmées.
M. Anderson: Madame le sénateur, c'est une très bonne question. Il est vrai que des jugements rendus par des tribunaux confirment la compétence du gouvernement fédéral en matière d'habitat. D'ailleurs, je vais aussi demander à M. Sims de nous donner des détails à ce sujet. Toutefois, il existe une certaine limite au-delà de laquelle les tribunaux ne toléreront pas une intrusion du gouvernement fédéral, c'est-à-dire en ce qui concerne la compétence provinciale clairement définie à l'égard du territoire et, en fait, même à l'égard de l'agriculture, qui est un domaine de compétences partagées.
Cette limite peut dépendre des faits reliés à chaque cas. Nous reconnaissons qu'il existe une limite. Il ne suffit pas qu'une espèce en voie de disparition doive être protégée pour que le gouvernement fédéral se substitue d'office aux provinces dans des domaines reconnus comme étant de compétence provinciale dans la Constitution.
Il ne faut pas oublier non plus le filet de sécurité. Si une province ne respecte pas un accord établi, nous pourrions intervenir et avoir recours au filet de sécurité. Dans ce cas-là, vous pouvez compter que nous nous appuierions sur les causes dont vous venez de parler.
Je ne crois pas que nous nous éloignions de la pratique existante, mais peut-être que lorsque j'ai répondu à la question du sénateur Christensen, je pensais trop aux témoins qui ont paru devant le comité de la Chambre et qui semblaient avoir une notion très étendue de ce que nous pourrions faire pour contourner les lois provinciales afin de protéger les espèces en voie de disparition. Laissez-moi demander à M. Sims de nous exposer brièvement les aspects juridiques de cette question. Il sera peut-être plus en mesure que moi de vous donner des renseignements supplémentaires.
Le sénateur Spivak: Je pourrais peut-être préciser ma question. Il s'agit d'un arrêt de la Cour suprême, de sorte qu'on ne peut en appeler. Le juge LaForest précise effectivement que les provinces dans lesquelles des espèces sont présentes pendant une partie de l'année ont aussi le pouvoir de légiférer pour protéger ces espèces, sous réserve de respecter la réglementation fédérale.
Quelle est la signification de cette décision par rapport à notre pratique courante? Est-ce que le projet de loi éclipse cette décision? C'est ce que je veux savoir.
M. Anderson: Merci beaucoup, madame le sénateur. Je vais demander à David Near de répondre à votre question.
M. Near: L'étendue de la compétence fédérale en matière de protection de l'habitat des oiseaux migrateurs fait l'objet d'un débat depuis au moins dix ans. En quelques mots, les lois fédérales se fondent sur ce qu'on appelle un traité impérial qui en définit les paramètres.
Le débat entourant la Convention concernant les oiseaux migrateurs, qui, à l'origine, a été signée en 1917 ou en 1918, je crois, avec les États-Unis et qui a été modifiée en 1995 par un protocole, porte sur l'habitat des oiseaux migrateurs.
On peut dire à juste titre que les avocats ne sont pas tous d'accord sur l'étendue de la compétence fédérale prévue dans la Convention concernant les oiseaux migrateurs. Pour ce qui est de la décision du juge LaForest, un juge à la retraite de la Cour suprême, je crois que vous faites référence à une opinion qu'il a rendue au sujet d'une affaire mettant en cause le Sierra Defence League.
Le sénateur Spivak: C'était en 1999.
M. Near: Oui, il s'agissait d'un avis et non d'un jugement de la Cour suprême. Il était retraité à ce moment-là, et il avait donné une interprétation relativement large de ce qui était de compétence fédérale, comme ce que stipulait la Loi sur la Convention concernant les oiseaux migrateurs. Nous avions organisé une téléconférence entre cette personne, M. Justice, retraité de la Cour suprême, et notre sous-ministre délégué de l'époque, pour débattre de ces questions. Il est juste de dire que notre interprétation de la compétence relative aux oiseaux migrateurs est reflétée dans le projet de loi qui est devant vous aujourd'hui.
Rien ne dit que l'interprétation de M. Justice LaForest a été retenue par la Cour suprême. En fait, cette dernière ne s'est jamais directement penchée sur le problème.
Le sénateur Spivak: Cela répond à ma question. Autrement dit, cette mesure législative traduit l'état actuel de la Loi sur la Convention concernant les oiseaux migrateurs, laquelle prévaudra tant qu'on n'aura pas tranché sur la question.
Le sénateur Anderson: Il se peut qu'il y ait un différend, auquel cas le ministère de la Justice se fonderait en grande partie sur l'interprétation de M. Justice LaForest. Il n'en demeure pas moins que lorsque vous avez des doutes au sujet d'un avis juridique, vous essayez d'éviter tout litige car vous pouvez perdre, et puis vous n'êtes sûr de rien.
J'ai lu les jugements rendus par M. Justice LaForest et cela fait 25 ans que je m'intéresse aux opinions émises en la matière. Je les respecte profondément, mais comme je m'occupe de questions environnementales, je me souviens, à l'occasion, que d'autres juges ont exprimé des avis quelque peu contradictoires. J'ai eu parfois le malheur de rapporter des opinions minoritaires alors que je citais M. Justice LaForest.
Cela ne veut pas dire qu'il a tort. Je n'en sais rien puisque cela dépend des jugements rendus par la Cour suprême du Canada dans chaque affaire. Cela ne signifie pas que nous attachons peu de valeur à ses interprétations, mais si nous voulons adopter une approche prudente à l'égard de la loi, nous ne devrions pas aller trop loin, au risque de nous avancer sur un terrain glissant. Par conséquent, nous ne voulons pas entrer dans une vaste bataille constitutionnelle avec les provinces sur l'aspect théorique de la question. Nous préférerions instaurer une coopération efficace quand c'est possible. Si nous nous trompons, nous perdrons et nous devrons faire marche arrière.
Si nous pouvions adopter une approche de coopération avec les provinces, tout le monde en sortirait gagnant.
Le sénateur Watt: Permettez-moi de vous parler de la lettre que nous avons reçue. Pour une fois, monsieur le président, je m'attendais à quelque chose de bien plus fort que ce que contient cette lettre qui dit, essentiellement, que les ministres présenteront des recommandations au gouvernement; ce qui est loin d'être un engagement à agir. Nous ne savons pas ce qui se passera après; je ne considère donc pas que ce soit satisfaisant.
Après tout, ces droits sont déjà enchâssés dans la Constitution. Nous avons déjà dit, par le passé, que nous ne voulions pas que l'article 25 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, qui est censé protéger l'article 35 de la Constitution, soit interprété différemment.
C'est pour cette raison que je crois m'appuyer sur des fondements très solides à l'égard de la position constitutionnelle. C'est pourquoi nous demandons que le ministre nous fournisse une réponse plus appropriée. Je suis prêt à proposer que nous cessions d'étudier ce projet de loi et que nous attendions de recevoir une lettre qui nous satisfasse.
Le président: Souhaitez-vous poser une question complémentaire avant qu'il ne réponde?
M. Eyton: Compte tenu de tout ce que nous savons, pourriez-vous nous dire jusqu'à quel point ce type d'assurance est courant? Comment était-ce par le passé?
M. Anderson: Sénateur Watt, je suis d'accord avec vous dans la mesure où ceci est un engagement écrit pour le ministre de la Justice et un engagement écrit pour le ministre de l'Environnement. Cela ne veut absolument pas dire que le gouvernement fédéral a les pieds et les points liés.
Il serait toutefois extrêmement inhabituel d'ignorer le ministre de la Justice dans une affaire comme celle-ci. J'ajouterai qu'il y a évidemment un troisième ministre concerné, dont ce comité n'a pas encore entendu le point de vue; je veux parler du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, qui a certainement un rôle important à jouer. Il y a toujours des opinions divergentes au sein des groupes autochtones, comme dans le reste de la société, d'ailleurs.
Ceci dit, il me semble que c'est un engagement écrit relativement important. Si nous devions faire ce que vous proposez pour que la loi élimine toute clause de non-dérogation passée, ce serait une possibilité. Vous voulez peut-être proposer de fixer un délai pour dégager un compromis. Néanmoins, nous ne pouvons pas faire mieux pour l'instant étant donné que nous devons obtenir l'accord de nos collègues. Nous devons passer par le Cabinet.
C'est vrai, on pourrait modifier la procédure, mais je ne suis pas du tout sûr que les chances de réussite augmenteraient en reportant l'adoption de cette mesure législative.
Le sénateur Kenny: J'aimerais dire quelque chose en réponse à la question du sénateur Eyton, à propos de la fréquence à laquelle se produisent ces choses. Je siège à ce comité depuis 18 ans et je peux vous dire que cela arrive souvent, sénateur Eyton.
Sachez que ce comité a reçu plusieurs lettres de ministres de l'Environnement, dont une dans laquelle une ministre s'était résolument engagée à faire quelque chose. Lorsque j'étais vice-président du comité, j'avais transmis la lettre d'un ministre sortant à son successeur. Il s'agissait d'une lettre d'accord très semblable à celle-ci, qui n'engageait pas le gouvernement, mais qui disait, essentiellement, que le ministre ferait de son mieux. Le nouveau ministre, du même gouvernement, s'en était sorti en prétextant que la situation avait changé.
Qu'en pensez-vous, monsieur Anderson?
M. Anderson: Sénateur Kenny, l'avantage de devenir sénateur si jeune, comme cela a été votre cas, c'est que vous voyez défiler beaucoup de ministres. L'inconvénient, pour un ministre, c'est de se sentir un peu comme ces oiseaux migrateurs dont parlait le sénateur Spivak: on vous tire dessus de tous bords, tous côtés et vous êtes promis à une mort certaine.
Il ne fait aucun doute que le droit est de votre côté. Ces problèmes arrivent. Tous les nouveaux ministres, comme vous le savez très bien, enthousiastes à l'idée de réaliser toutes sortes d'initiatives personnelles, découvrent rapidement qu'ils sont pieds et poings liés. Ils sont un peu comme Gulliver, liés par des milliers de promesses faites dans des lettres ou des engagements antérieurs qui, d'une certaine manière, empêchent toute action ou tout mouvement.
Je suis très d'accord avec vous sur le fait que les ministres de l'Environnement se succèdent à un rythme effréné, ce que je déplore fortement. J'estime que je devrais pouvoir rester en poste très longtemps. Je crois d'ailleurs que dans un mois, je serai le ministre de l'Environnement qui aura servi le plus longtemps de toute l'histoire du Canada.
Le sénateur Kenny: Lorsque vous serez premier ministre, changerez-vous cette façon de faire?
M. Anderson: J'espère pouvoir m'acquitter alors de tous les engagements que j'aurai pris.
Blague à part, je trouve ce commentaire tout à fait pertinent et j'admets que c'est un problème. Le sénateur Watt a toutes les raisons de se préoccuper. Je lui ai dit que si nous pouvions fixer un échéancier, nous devrions le faire. Je pourrais vous promettre de demander à mon collègue, le ministre de la Justice, de venir la semaine prochaine pour en discuter avec vous, si cela pouvait vous satisfaire.
Je reconnais que les sénateurs Watt et Kenny ont tout à fait raison. Le sénateur Eyton a également fait une observation juste et il a très bien décrit la problématique.
Nous pourrions peut-être nous astreindre à des délais acceptables, et il se peut que mon collègue vienne témoigner devant vous et réponde à la question de savoir: comment donner aux membres du comité l'assurance que tout ceci sera pris au sérieux et que nous éviterons de nous retrouver dans une situation comme celle qu'a décrit le sénateur Kenny?
Le sénateur Kenny: C'est une offre très généreuse de la part du ministre. Pour accélérer la visite du ministre de la Justice, ce serait bien s'il pouvait nous présenter une lettre qui dirait, au cinquième paragraphe, que le gouvernement du Canada s'engage à rendre ceci possible; je suis sûr que le comité en serait satisfait et que le problème serait rapidement résolu.
Le sénateur Milne: Monsieur Anderson, j'aurais préféré vous entendre dire que vous porterez cette question à l'attention du Cabinet la semaine prochaine.
Le président: Monsieur le ministre, souhaitez-vous répondre aux observations du sénateur Milne?
M. Anderson: Je dirai simplement au sénateur Milne, qui a fait un commentaire tout à fait pertinent, que nous en avons parlé au Cabinet hier, à la suite de quoi, on a rédigé la lettre. Je ne peux évidemment pas vous révéler les secrets du Cabinet, mais j'ai certaines raisons de croire, à titre de membre du Cabinet, que le processus est en place. Je comprends très bien les inquiétudes exprimées par les sénateurs Watt, Kenny et Eyton.
Si mon collègue, M. Cauchon, peut proposer quelque chose de plus solide, de plus utile et de plus raisonnable et présenter un calendrier et une orientation qui satisfassent les sénateurs, j'en serais ravi, et je comprendrais aussi que M. Cauchon puisse faire plus que moi. Il est le ministre agissant au premier chef dans cette affaire. En outre, je dois ajouter que le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien a certainement beaucoup à nous dire sur la question des clauses de non-dérogation.
Le sénateur Watt: Monsieur le ministre, j'apprécie vos efforts. Je ne tente pas de rejeter délibérément du revers de la main tout ce que vous proposez. Les résultats dépendent beaucoup de l'atmosphère qui règne au sein du Cabinet. Le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien éprouvera de sérieuses difficultés si on laisse de côté la question des clauses de non-dérogation. Il nous faudra bientôt nous occuper de la gouvernance et nous n'en avons pas encore fini avec les clauses de non-dérogation. Voilà où est le problème.
Comme le sénateur Kenny et vous-même l'avez fait remarquer, même si le ministre se présente devant le Cabinet et rédige une lettre d'engagement du gouvernement, on n'aura parcouru que la moitié du chemin; mais quoi qu'il en soit, rien de tout cela ne s'est produit. Nous avons absolument besoin de l'intervention du Cabinet, et pas seulement d'un ou deux ministres. Le ministre des Affaires indiennes donnera certainement plus de crédibilité à ce processus.
Nous demandons l'intervention du premier ministre. Il a lui-même été ministre des Affaires indiennes et il devrait bien comprendre la situation des peuples autochtones. Il a également contribué à faire de la Constitution ce qu'elle est aujourd'hui.
Je suggère fortement que nous prenions cette question très au sérieux pour éviter de nous y repencher à chaque fois que nous examinerons un projet de loi. Nous ne pouvons pas passer au crible chaque mesure législative. Depuis que je suis ici, j'ai passé pratiquement 95 p. 100 de mon temps à défendre le peu que nous avons, surtout dans les domaines sur lesquels je dois concentrer mon attention pour aller de l'avant, au bénéfice des gens que je représente. Depuis 18 ans que je fais cela, je n'y suis jamais parvenu.
Monsieur le ministre, aidez-moi à faire passer le message. Nous voulons une réponse claire du Cabinet.
M. Anderson: Je suis tout à fait d'accord avec le sénateur Watt. C'est une question que nous devons prendre très au sérieux. Je vous rappelle que nous avons discuté de la question hier lors d'une séance de comité du Cabinet. Nous avons besoin d'une confirmation. Le sénateur a raison. Nous voulons mener ce processus à terme et ne pas rester à mi- chemin, comme c'est le cas actuellement.
Nous pourrions nous entendre sur le processus à suivre en discutant avec les ministres concernés. Encore une fois, je ne peux évidemment rien dire sur la direction que prendra l'ancien ministre des Affaires indiennes, qui se trouve être l'actuel premier ministre du Canada. Toutefois, nous cherchons à savoir ce qu'en pense le ministre des Affaires indiennes. C'est important. Si nous organisons la prochaine séance de ce comité assez rapidement, mon collègue, M. Cauchon, pourra vous donner l'heure juste. Il se peut qu'il ait de meilleures idées.
Je sais que le ministre Cauchon s'est engagé, comme il l'a dit dans sa lettre, à recommander à ses collègues non seulement de retirer les clauses de non-dérogation actuelles, mais aussi de ne plus en mettre dans aucun des projets de loi futurs. Je pense que cela répond aux objectifs des sénateurs.
Le sénateur Watt: Cela ne ferait pas de mal de le lui rappeler.
M. Anderson: Nous ne sommes pas si éloignés les uns des autres. Nous parlons de processus. Je me ferai l'écho de vos préoccupations et je vous assure que l'opinion de ce comité a beaucoup de poids dans ces discussions. Cette loi est importante pour le gouvernement. D'autres mesures législatives le sont également beaucoup, mais on a promis ce projet de loi à maintes reprises dans des discours et nous voulons qu'il soit adopté. Par ailleurs, nous ne voulons pas nous retrouver dans une situation où il semblerait que le texte de loi proposé est bloqué à cause d'autres enjeux; nous voulons être certains que ce projet de loi sera jugé sur le fond.
Si nous pouvons séparer les deux problèmes et résoudre celui-ci de manière générique, je serais le premier à m'en réjouir, même si certains sénateurs sont contre.
Le sénateur Watt: J'aimerais en revenir à la question de l'indemnisation, monsieur le ministre. J'apprécie le fait qu'on prendra en compte les connaissances traditionnelles des Autochtones dans le processus décisionnel relatif à la gestion des espèces, aux espèces en péril et à tout ce qui s'en suit.
Monsieur le ministre, si j'ai bien compris, en ce qui concerne l'indemnisation relative à la terre, vous avez dit que si on examinait l'habitat, on n'aurait pas besoin de verser d'indemnités, et que les concepts d'intendance pourraient représenter une solution très intéressante. Mais je crains que les gens ne perdent leur gagne-pain; la terre, c'est la moindre des choses. Permettez-moi de vous donner un exemple. Depuis trois ans, il y a divergence entre les connaissances traditionnelles et les connaissances scientifiques au sujet des bélugas. Que faisons-nous des bélugas?
Nous sommes sur le point d'ajouter le béluga à la liste des espèces menacées parce que les scientifiques ont exercé des pressions dans ce sens, sans pour autant disposer d'informations fondées. Dans la région d'où je viens, il y a eu confrontation entre ceux qui possèdent les connaissances traditionnelles et la soi-disant collectivité scientifique à cause du béluga.
Monsieur le ministre, ne trouvez-vous pas que lorsqu'on manque de preuves scientifiques ou qu'on n'est pas certains qu'une espèce est sur le point de s'éteindre ou est menacée ou encore lorsqu'il y a conflit d'opinions, vous accordez davantage de crédit aux données scientifiques qu'aux connaissances traditionnelles? C'est bien ce qui arrive.
Votre ministère a versé 50 000 $ à des chasseurs pour qu'ils aillent du nord du détroit d'Hudson au sud de la baie James. Où pensez-vous pouvoir aller avec 50 000 $? C'est là qu'est le problème. Vous avez établi un précédent en versant 50 000 $ à des gens pour qu'ils sortent des zones géographiques où la capture du béluga est interdite. Les gens qui possèdent les connaissances traditionnelles vous disent que vous ne disposez pas de suffisamment de renseignements scientifiques pour étayer vos arguments. Les milieux scientifiques prétendent que vous avez raison. C'est peut-être le cas. Nous sommes dans le domaine du possible.
Il s'agit de notre économie. Comme vous le savez, le coût de la vie et celui des transports sont très élevés dans le Nord. Le Nunavik est le plus grand contribuable du Canada. Notre taux d'imposition est plus élevé que partout ailleurs. Ce type d'initiative aura pour effet d'éliminer une partie de l'économie dans les régions septentrionales. Ne pensez-vous pas qu'il faudrait en tenir compte si le gagne-pain des personnes qui vivent dans ces régions est menacé et si leur économie est touchée et affaiblie? On devrait reconnaître cet état de fait et accorder des indemnités, pas pour une longue période, mais jusqu'à ce que la collectivité scientifique prouve qu'elle dispose d'assez de données pour justifier sa décision. Est-ce que vous me suivez?
M. Anderson: Oui.
Le sénateur Watt: Selon moi, c'est très important. Actuellement, nous vivons presque au jour le jour au Nunavik.
M. Anderson: Cette loi devrait beaucoup rassurer les personnes auxquelles vous faites référence. Nous introduisons pour la première fois le principe d'indemnisation dans le processus. En outre, nous avons réservé d'importantes sommes d'argent pour des activités d'intendance avant de décider de cesser l'exploitation de certaines terres.
Le sénateur Watt: Cela n'a rien à voir avec les terres. Cela n'a rien à voir non plus avec les effets sur l'habitat. Je vous dis que ces gens risquent de perdre leur gagne-pain.
M. Anderson: Dans l'exemple que vous avez donné, vous évoquiez le déplacement d'une terre à une autre. C'est dans ce sens que je voulais parler.
Le sénateur Watt: De l'eau.
M. Anderson: Très bien. Si vous me permettez de relater une petite anecdote, je vous fournirai dans un instant un exemple concernant le béluga et les connaissances traditionnelles.
J'aimerais toutefois mettre l'accent sur le COSEPAC et sur la liste officielle. C'est la raison pour laquelle nous avons réservé au gouvernement le droit d'établir la liste officielle. Il y a d'autres considérations, autres que purement scientifiques. C'est pour cela que nous avons livré une telle bataille aux environnementalistes qui voulaient une liste automatique, sans tenir compte des impacts sur la société ou sur les communautés. C'est pourquoi nous avons conservé ce droit au sein du Cabinet. Les craintes que vous venez d'exprimer reposent essentiellement sur des problèmes socio- économiques qu'il convient d'examiner d'un point de vue politique et elles seront prises en compte.
Par ailleurs, en ce qui concerne les connaissances scientifiques relatives aux bélugas, je reconnais que vous avez absolument raison. Nous n'avons pas tant de données scientifiques que ça. Ce n'est que très récemment, par exemple, que l'on a fixé des systèmes radios sur le dos de bélugas et que l'on a découvert que certains bélugas canadiens se rendaient jusqu'en Sibérie; d'autres sont même allés jusqu'au Groenland. On ne le sait que depuis quelques années. C'est seulement à ce moment-là qu'on s'est rendu compte qu'il ne s'agissait pas d'une espèce résidente vivant à la surface de l'eau et qu'on a découvert qu'ils étaient capables de plonger jusqu'à 1 000 mètres de profondeur, chose que nous ignorions auparavant.
Permettez-moi de vous raconter une anecdote à propos de ce que disent les scientifiques. J'étais en compagnie d'un Autochtone et nous écoutions un scientifique nous expliquer que personne ne savait jusqu'alors que le béluga était capable de plonger si profondément.
Le sénateur Watt: Nous, nous le savions.
M. Anderson: C'est ce que m'a dit cette personne. Leur façon de plonger est différente. Parfois, les bélugas plongent pour se nourrir et parfois ils plongent en piqué et remontent immédiatement à la surface. Les scientifiques ne comprenaient pas pourquoi ils faisaient ce va-et-vient.
À l'issue de la rencontre, l'Autochtone qui m'accompagnait et qui avait un permis familial pour chasser trois ou quatre bélugas — je ne me souviens pas exactement combien, mais un nombre assez important — m'a dit: «vous savez, les scientifiques ne comprennent pas que c'est à cause d'un problème de constipation. Les baleines plongent où la pression est plus importante car cela les aide; puis, elles remontent à la surface et ainsi de suite.» C'était un exemple intéressant de connaissance traditionnelle transmise par quelqu'un qui avait été au contact des bélugas toute sa vie. Le scientifique n'en avait aucune idée. J'ai demandé à l'Autochtone pourquoi il n'avait rien dit au scientifique. Il a rétorqué que c'était parce qu'il ne le lui avait pas demandé. Voilà une preuve intéressante que les scientifiques ne profitent pas des connaissances traditionnelles, en admettant, bien sûr, que celles-ci soient exactes.
Le sénateur Watt: Monsieur le ministre, je crois que cela fait longtemps que les milieux scientifiques creusent le fossé entre les connaissances traditionnelles et les soi-disant connaissances scientifiques. Ils ont tendance à mettre les choses dans un cadre rigide et à travailler toujours avec les mêmes paramètres. Parfois, ils ne reconnaissent pas la nature hors frontières des espèces.
Par exemple, si, durant leur migration, les bélugas passent par la baie d'Hudson pour rejoindre le golfe de Richmond, à une certaine époque de l'année, cela ne veut pas dire qu'ils restent dans cette zone. Ils remontent jusqu'à Churchill, au Manitoba, puis de Rankin Inlet jusqu'à la mer de Norvège. Nous le savions. Cela fait longtemps que nous essayons de dire cela aux scientifiques. Mais c'est comme parler à des sourds. Tant qu'ils ne voient pas les choses de leurs propres yeux, ils ne les croient pas. Et c'est là que réside tout le problème, selon moi.
Le président: Monsieur le ministre, nous espérons que vous pourrez exercer votre influence et demander au COSEPAC d'écouter davantage les gens qui s'y connaissent.
M. Anderson: Tout à fait, monsieur le président, et c'est d'ailleurs pour cela que je suis fier de cette loi qui est la première à incorporer des connaissances traditionnelles autochtones. Bien que mon exemple ne soit pas très sérieux, je pense que c'est un progrès considérable. À mon avis, tout bon scientifique se doit de tenir compte des connaissances traditionnelles, même si bon nombre d'entre eux les ignorent; alors peut-être que je me trompe.
Nous disposons d'un mécanisme institutionnel pour incorporer les connaissances traditionnelles au processus scientifique, et j'en suis fier. Le sénateur Watt et les autres conviendront que c'est un pas important dans la bonne direction.
Le sénateur Watt: Il ne faut pas oublier non plus que les milieux scientifiques ne soumettent pas toujours des rapports complets de leurs études au gouvernement puisqu'ils ont besoin de plus d'argent de la part de ce dernier.
Le président: Sénateur, je vais devoir vous interrompre afin de permettre aux autres sénateurs de poser leurs questions.
Le sénateur Sibbeston: Je comprends tout ce qui a été dit, monsieur le président, notamment les propos du ministre au sujet de la disposition de non-dérogation. Je suis un peu préoccupé, cependant, par la lettre du ministre de la Justice, que j'ai lue attentivement. Il affirme qu'il appuie la proposition consistant à présenter une loi visant expressément à retirer les dispositions de non-dérogation, sans toutefois préciser ce qui les remplacera. S'agira-t-il simplement d'une mesure législative visant à retirer les dispositions de non-dérogation?
Je dois dire que des dispositions de non-dérogation pertinentes sont utiles. Elles forcent les tribunaux à réaliser qu'ils doivent reconnaître les droits des Autochtones et leur rappellent que cette mesure n'empiète nullement sur ces droits. Elles servent de pense-bête pour les tribunaux. À mon avis, la lettre de M. Cauchon est incomplète puisqu'elle ne précise pas ce qui les remplacera.
Il ne faut pas oublier que nous traitons de cette question depuis le printemps dernier, à l'époque où nous travaillions sur la Loi sur les eaux souterraines et la Loi concernant les aires marines nationales de conservation du Canada, et nous avions d'ailleurs écrit au ministre. Malheureusement, il aura fallu cette loi pour précipiter les choses.
Nous avons fourni un exemple dans nos lettres au ministre — nous disposons d'une déclaration de droits des peuples autochtones qui, d'après nous, incite à interpréter la loi de façon à reconnaître les droits des Autochtones. Le fait que les dispositions de non-dérogation actuelles pourraient être interprétées au gré du lecteur nous inquiète. Nous estimons que le libellé actuel est si ambigu qu'il mine les droits des Autochtones. C'est une de nos préoccupations.
Nous devons mettre ce projet de loi de côté jusqu'à ce que nous ayons une meilleure idée de ce que le gouvernement est prêt à faire. Nous n'avons, en ce moment, que des lettres de recommandation, qui sont un peu vagues en ce qui concerne les intentions du ministre de la Justice. Je propose au comité de remettre ce débat à la semaine prochaine, quand nous aurons davantage d'information et aussi l'occasion de rencontrer le ministre.
Le président: Avant d'entendre les réponses des témoins, sénateur Sibbeston, je tiens à mentionner que selon moi, ce n'est pas à notre comité de se pencher sur une déclaration des droits de peuples autochtones, puisqu'elle viserait beaucoup d'autres domaines que celui dont nous traitons aujourd'hui. Si j'ai écris une lettre aux deux ministres, c'était pour exprimer mes points de vue et aussi pour dire que nous avons déjà traité de cette question, non seulement dans le contexte de ce projet de loi, mais aussi dans celui de la Loi sur les eaux souterraines, la Loi concernant les aires marines nationales de conservation du Canada, et la Loi sur les parcs nationaux. Je ne me suis encore jamais attaqué à une question aussi régulièrement et, comme nous l'ont dit les représentants autochtones, leurs représentants légaux et autres représentants légaux, la nouvelle disposition de non-dérogation actuelle porte atteinte en quelque sorte à la protection des droits des peuples autochtones prévue par la Constitution; or, nous ne voulons pas qu'un ou l'autre de ces projets de loi ait pareil résultat. C'est notre objectif. Une déclaration des droits des peuples autochtones serait d'une portée plus vaste que ce projet de loi.
Le sénateur Kenny: Monsieur le président, êtes-vous en train de dire qu'un membre du comité ne peut pas proposer de reporter l'étude d'un projet de loi?
Le président: Non. Je parlais du commentaire du sénateur Sibbeston à propos d'une déclaration des droits des peuples autochtones et de son effet sur la loi. Tout membre du comité peut faire des suggestions ou présenter les motions de son choix.
Le sénateur Milne: Monsieur le président, je vous rappelle que dans votre lettre au ministre, vous proposiez deux solutions possibles: Retirer toute disposition de non-dérogation de toutes les lois en vigueur, ou revenir au libellé de la Constitution.
Le président: En effet.
M. Anderson: Ma réponse sera brève, puisque nous tombons dans le domaine de compétence du ministre de la Justice, et non du mien. Cependant, puisque j'ai promis à mon collègue qu'il serait des nôtres, peut-être qu'une discussion plus générale dont a parlé le sénateur et que vous-même avez mentionnée, monsieur le président, pourrait faire l'objet d'une autre réunion regroupant des sénateurs autochtones et d'autres, ainsi que le ministre lui-même. Si vous l'invitez à dîner la semaine prochaine avant sa comparution devant le comité, quelques-unes des questions plus générales pourraient être mises en contexte. Je suis prêt à envoyer la facture du repas à Environnement Canada, si cela peut vous être utile.
Le président: Vous faites bien de mentionner les autres sénateurs, puisque cette question n'intéresse pas exclusivement les membres autochtones de ce comité ou du Sénat.
Monsieur Sims, voulez-vous répondre aux commentaires du sénateur Sibbeston?
M. Sims: Honorables sénateurs, je comprends tout à fait que certains veulent qu'on rappelle, dans la loi, l'importance des droits des Autochtones issus de traité qui sont garantis en vertu du paragraphe 35 de la Constitution. Il est logique de se préoccuper de ces droits et de faire en sorte qu'ils soient respectés et protégés.
Bien évidemment, il y a un risque: Si on regarde le tout avec l'oeil d'un avocat, il est inutile de rappeler à qui que ce soit que ces droits existent. Comme l'a dit M. Anderson au tout début, le paragraphe 35 est bel et bien dans la Constitution. On ne peut demander mieux. Ce n'est que très rarement que des lois rappellent des droits déjà inscrits dans la Constitution. Par exemple, on ne précise pas que le paragraphe 15 de la Charte garantit l'égalité lorsqu'on promulgue une loi relative à un programme d'avantages sociaux. Cette garantie existe, tout le monde le sait, y compris les tribunaux.
L'autre précepte fondamental dans cette histoire, c'est qu'on présume que le Parlement ne va pas parler pour ne rien dire, pour éviter toute redondance. Si des mots superflus apparaissent dans la loi, les tribunaux pourraient essayer de comprendre ce qu'ils signifient. Ils ne peuvent les prendre au premier degré, puisqu'ils sont redondants, alors qu'est que le Parlement a vraiment voulu dire?
Si le paragraphe 35 garantit déjà les droits des peuples autochtones, nous n'avons théoriquement pas besoin de dispositions de non-dérogation pour le rappeler. Il se peut que nous voulions simplement faire un petit rappel, qui pourrait cependant déconcerter les tribunaux qui diraient: «Ils n'avaient pas besoin de le dire, alors pourquoi l'ont-ils dit? Quelle autre signification est-ce que ça pourrait avoir?» C'est, je pense, le risque dont parlait le sénateur Banks au début du débat.
Le risque, c'est que les tribunaux, déconcertés par les mots superflus de la disposition de non-dérogation, tenteront d'y déceler un sens que nous ne pouvons imaginer aujourd'hui. On ne peut pas restreindre ces droits puisqu'ils sont garantis, mais peut-être qu'on peut les étendre, auquel cas on risque d'instaurer des nouveaux droits qui dépassent ceux prévus au paragraphe 35 de la Charte. Mots superflus et éventuellement déconcertants: c'est le risque entrevu par tout le monde et c'est ce qui explique toutes ces versions de dispositions de non-dérogation qui ont été rédigées au fil des ans, dans le but de faire en sorte qu'il y ait aucune équivoque.
Le président: Monsieur Sims, y en a-t-il plus de deux?
M. Sims: Plus de deux versions?
Le président: Oui.
M. Sims: Je crois en avoir vu trois, peut-être même quatre.
Le sénateur Milne: Ce dont parlait M. Sims, c'est-à-dire que les tribunaux cherchent à interpréter la raison pour laquelle le Parlement a ajouté cette disposition, ne risque-t-il pas de se produire?
Le président: C'est justement ce que faisait valoir M. Sims.
Le sénateur Milne: Vous en avez donc ajouté une autre dans le projet de loi à l'étude?
M. Sims: C'est pourquoi, selon moi, M. Cauchon a répondu favorablement à la suggestion du sénateur Banks selon lequel le moyen le plus sage et le plus sûr de régler le problème est peut-être de retrancher toutes les dispositions de non- dérogation, c'est-à-dire de ne pas en inclure de nouvelles à l'avenir et de révoquer toutes celles qui existent déjà. Cela nous ramène à l'article 35 de la Constitution qui garantit les droits autochtones. On élimine ainsi tout risque de confusion et de problème.
Le sénateur Kenny: Au cinquième paragraphe de la lettre du ministre, la solution consiste d'après moi à retirer la recommandation et à dire que le gouvernement s'engage à faire ceci ou cela. À ce moment-là, il n'y aura plus de problème.
M. Sims: M. Anderson l'a souligné tout à l'heure, et je crois qu'il s'agit en partie d'une question de façon de faire. Le ministre Cauchon a consulté ses collègues. Nous savons qu'il a écrit la lettre d'hier à sa sortie d'une réunion du conseil des ministres. Toutefois, il s'agit de savoir comment faire franchir à cette proposition les différentes étapes du processus décisionnel du gouvernement. Il prend un engagement sincère et solennel. Il estime que cela réglera le problème. Il a toutes les raisons de faire la recommandation parce qu'il croit que le sénateur Banks a raison et que c'est là la solution.
Le président: Je ne peux m'empêcher de faire observer — et je crois bien parler au nom de tous les membres du comité — que nous sommes péniblement conscients du fait que tout est dans la façon de faire. Cette question, que je sache, traîne depuis deux ans et demi et probablement depuis plus longtemps encore.
Sénateur Sibbeston, vous opposez-vous à ce que le sénateur Watt fasse une autre intervention?
Le sénateur Sibbeston: J'aurais simplement un commentaire à faire. La question des droits autochtones est si primordiale qu'on ne peut pas la ranger dans la même catégorie que les autres droits inscrits dans la Charte des droits et libertés et dans la Déclaration des droits. Tout au long de l'histoire des relations du Canada avec ses Autochtones, on trouve diverses périodes de tension. J'avoue qu'au cours des vingt, trente ou quarante dernières années, le sort des peuples autochtones s'est amélioré au Canada. Les droits autochtones sont inscrits dans la Constitution, et j'estime que leur sort s'est amélioré. Les tribunaux ont aidé à interpréter les textes et à faire en sorte que les droits autochtones sont reconnus au Canada.
Tout le débat vient de ce que la disposition de non-dérogation du projet de loi à l'étude, extraite de l'article 25 de la Charte, était libellée dans un langage simple et direct. C'est le ministère de la Justice, si je ne m'abuse, qui s'est mis à en changer les termes après 1996, de sorte qu'il y en a eu plusieurs versions depuis lors. Nous demandons que l'on revienne au libellé d'origine. Nous serons alors contents. J'estime utile de rappeler aux tribunaux qu'il ne faut pas déroger aux droits autochtones, ni les révoquer. Un rappel ne peut pas faire de mal.
Tout simplement, la façon dont l'article était libellé a été modifiée. De toute évidence, les tribunaux en prendront note. Je crois que c'est le ministère de la Justice qui en est responsable. C'est vous qui avez créé le problème. Vous avez joué avec les mots, et les tribunaux commencent à s'interroger sur la raison de ces changements.
Les droits autochtones ne sont pas absolus. Les tribunaux ont statué que, dans certaines circonstances, particulièrement lorsqu'il est question de conservation, les droits autochtones ne sont pas absolus. Le ministère de la Justice a essayé de modifier le libellé pour en tenir compte. À notre avis, cela risque de se retrouver devant les tribunaux qui interpréteront le nouvel article essentiellement comme une invitation à ne pas les respecter.
En tant que peuples autochtones, nous craignons que le Parlement n'envoie aux tribunaux le message qu'ils sont libres de disposer comme ils veulent des droits autochtones et que ces droits n'ont plus l'importance qu'ils ont déjà eue. C'est pourquoi la disposition de non-dérogation nous préoccupe. Ce sont les rédacteurs du ministère de la Justice qui ont changé les mots et qui ont créé le problème. La disposition est maintenant soumise à diverses interprétations des tribunaux. Nous estimons qu'on porte ainsi atteinte aux droits autochtones. Voilà pourquoi nous avons tant mis l'accent sur cette question.
Nous avons besoin d'aide pour donner aux peuples autochtones du Canada l'assurance que leurs droits demeurent intacts et qu'on ne peut y toucher pour un oui, pour un non. Nous voulons simplement en obtenir l'assurance, soit par un retour au libellé d'origine, soit par l'adoption d'une loi qui reconnaît sans équivoque les droits autochtones, qu'il est interdit de les révoquer ou de les retirer à moins que le Parlement ne prévoie explicitement le contraire dans une loi.
Voilà les raisons pour lesquelles nous insistons sur cette question, et j'espère que nous arriverons à la régler à la satisfaction de tous.
Le président: Je suis désolé d'avoir à prendre des moyens aussi raides, mais je crois que vous nous avez très bien expliqué l'importance de cette question, d'où le fait que nous en sommes saisis.
Nous empiétons déjà beaucoup sur le temps inélastique dont dispose le ministre. Je vais demander au sénateur Milne si elle peut limiter sa question à dix secondes.
Le sénateur Milne: Mes questions ne prennent habituellement pas plus de dix secondes. Nous avons fait de notre mieux pour régler la question des droits autochtones et de la disposition de non-dérogation.
J'aimerais poser une question vraiment préoccupante au sujet de l'examen quinquennal. Je ne crois vraiment pas que, cinq ans après l'adoption du projet de loi à l'étude, nous aurons une idée des résultats. Il faudrait prévoir au moins une autre période de cinq ans avant de pouvoir discerner les effets de la loi, si effets il y a.
Le président: Je vais être rude et traiter cette question comme s'il s'agissait d'une observation parce qu'on y a déjà répondu.
Sénateur Spivak, si vous voulez bien faire vite.
Le sénateur Spivak: J'ai deux questions à poser au ministre. J'aimerais d'abord savoir ce que nous allons faire des espèces qui ont été évaluées en mai et le mois dernier et qui ne sont pas visées par le projet de loi.
L'autre question concerne la définition de «résidence», qui prête à confusion. Il est évident que toutes sortes d'animaux n'ont pas de résidence au sens du paragraphe 2(1). Comprenez-vous de quoi je parle?
M. Anderson: Nous allons, comme l'a avec raison fait remarquer le sénateur, accepter les 233 espèces inscrites jusqu'au dépôt du projet de loi à l'étude. Les espèces qui seront inscrites dans l'intervalle seront traitées de la manière habituelle, c'est-à-dire que nous les examinerons et, comme nous en avons déjà accepté 233 sur 233, je n'en vois pas qui seraient susceptibles d'être rejetées.
Cela étant dit, pour les raisons que j'ai données en réponse à une question posée par un membre de l'autre côté de la table, nous examinerons chaque espèce individuellement, au cas où il y aurait des facteurs économiques ou sociaux très préoccupants. Cela ne se fera donc pas tout à fait d'office. Nous les examinerons comme nous le faisons habituellement, en tenant compte de l'avis du COSEPAC, après quoi nous aviserons, comme pour toutes les autres espèces dont nous serons par la suite saisis.
Madame le sénateur, auriez-vous l'obligeance de répéter votre seconde question.
Le sénateur Spivak: La définition de «résidence» donnée au paragraphe 2(1) me préoccupe. La moitié du texte d'une motion qu'a faite mon collègue n'y figure pas, et il est donc manifeste que certains animaux comme le caribou ne sont pas visés par le projet de loi à l'étude.
M. Anderson: C'est bien vrai. Il y a de nombreuses espèces auxquelles il ne s'applique pas. Par contre, il s'applique à certaines autres.
L'animal qui habite dans le sol ou dans un nid par exemple a manifestement une résidence. Il a été extrêmement difficile de trouver des génériques convenables qui ne susciteraient pas de problème ailleurs. Je vais demander à Mme Brown de vous en dire davantage à ce sujet. Le libellé n'est peut-être pas ce qu'il y a de plus élégant parce qu'on est habitué d'entendre ce terme utilisé en rapport avec des humains.
Cela étant dit, nous avons joué avec de nombreuses autres définitions, qui semblaient toutes pires, et nous avons sacrifié jusqu'à un certain point la précision et l'élégance de manière à disposer d'un vocable qui semble au moins pratique, bien que nous soyons conscients qu'il ne désigne pas toutes les espèces.
Mme Brown: J'ajouterai que, lorsqu'il était impossible de définir une résidence pour une espèce, comme dans le cas du caribou, nous avons cherché à inclure son habitat essentiel dans le processus d'élaboration du plan de rétablissement. La définition est beaucoup plus générale quand on parle d'habitat. Il est possible de définir pour certaines espèces une résidence, qui représente évidemment une partie importante de l'habitat essentiel. C'est par contre impossible dans le cas de certaines autres.
Le sénateur Spivak: Êtes-vous en train de dire, bien qu'il s'agisse d'une définition quelque peu contradictoire, qu'on se rattrape par la bande? La définition n'est pas vraiment logique. Le comité de l'autre endroit a essayé d'y remédier, mais la solution proposée s'est malheureusement perdue en chemin, si j'ai bien compris. Nous voilà donc pris avec une définition qui n'a pas de sens. Le projet de loi parle de «résidence», puis de «haltes migratoires», d'«hivernage» et d'«alimentation».
M. Anderson: Il est certes vrai qu'elle ne s'applique pas à tous les animaux. C'est là tout le défi de traiter à la fois de lézards habitant le désert dans le sud de l'Okanagan, près d'Osoyoos, et de caribous se trouvant dans l'extrême-nord, au Nunavut. C'est très difficile à faire dans une loi omnibus.
On oublie que le Canada est plus long que large. Son centre se trouve à Iqaluit. Ottawa est située beaucoup plus au sud, presque à la hauteur de New York.
En arriver à des descriptions génériques du genre pose d'énormes défis. Je conviens, comme je l'ai dit tout à heure, que le libellé manque d'élégance, voire qu'il est gauche par endroits. Toutefois, c'est le mieux que nous pouvions faire. On a effectivement cherché à l'améliorer, mais la formulation proposée créait plus de problèmes qu'elle n'en réglait.
Le sénateur Spivak: On s'y perd un peu parce qu'il est question d'un «lieu semblable», alors qu'il n'existe pas de lieu semblable pour bien de ces animaux. Comment réglerez-vous ce problème en termes d'habitat essentiel? Vous me laissez entendre que ce sera fait dans le plan de rétablissement, même si la définition ne le précise pas. Est-ce de cette façon que vous vous rattraperez?
Mme Brown: Oui.
Le président: Je remercie vivement les témoins d'avoir accepté de venir aujourd'hui.
Le sénateur Milne: Monsieur le président, je comprends que le ministre doit partir, mais les autres témoins pourraient-ils rester, car j'ai une question à poser à au moins un d'entre eux?
Le président: Les autres témoins acceptent-ils de demeurer parmi nous?
M. Sims: Oui.
Le président: Monsieur le ministre, vous êtes maintenant en retard pour une réunion. Je vous suis reconnaissant d'être demeuré des nôtres au-delà de l'heure convenue. Nous allons reprendre nos délibérations et — c'est une promesse, monsieur le ministre — vous aurez vite de nos nouvelles.
M. Anderson: Merci, monsieur le président. Pour ce qui est de mes engagements, je vais parler à mon collègue et l'informer qu'il doit comparaître devant votre comité et qu'il doit aussi prendre un repas en compagnie des sénateurs autochtones, entre autres, pour débattre de questions plus générales.
Le président: Nous nous organiserons en temps et lieu pour en fixer la date et l'heure.
Le sénateur Milne: Navrée de vous obliger à demeurer sur place, mais j'ai une petite question à poser à M. Near, puisque c'est lui qui a parlé d'inscrire les espèces en voie de disparition dans la Gazette du Canada. Combien d'agriculteurs et de pêcheurs lisent la Gazette du Canada, selon vous?
M. Near: La question a aussi été posée à la Chambre. Je crois que c'est M. Mills qui me l'a posée.
Le sénateur Milne: Je ne veux pas savoir qui d'autre vous l'a posée. Je veux avoir la réponse.
M. Near: J'ignore combien de gens lisent la Gazette du Canada. Par contre, c'est la manière officielle de rendre publics les règlements pris par le gouvernement.
Le président: Comme question supplémentaire, j'avais cru comprendre, monsieur Near, de ce qu'ont dit d'autres témoins que, si je suis un fermier qui exploite sa propre terre ou la terre d'un autre, mise à part l'invraisemblance que je lise un avis dans la Gazette du Canada, on prendrait des moyens pour m'informer, à l'échelle de la collectivité. Il est très peu probable que j'ignore qu'il y a sur cette terre un habitat d'espèce en voie de disparition. Il n'est pas raisonnable d'affirmer, d'une part, qu'il est très peu probable qu'un propriétaire ou exploitant l'ignore, puis de dire, d'autre part, que le moyen pris pour l'informer est de publier un avis dans la Gazette du Canada. J'y vois un bris de logique.
Y a-t-il un autre moyen de communication ou d'autres mesures qui permettraient de s'attendre raisonnablement que le propriétaire foncier en région rurale est au courant qu'il y a un habitat d'espèce en voie de disparition sur sa terre?
Le sénateur Spivak: Puis-je intervenir? Un amendement proposé à la Chambre portait que, lorsqu'il existe une liste, il faudrait que tous les propriétaires fonciers touchés en soient avisés. La Chambre des communes ne l'a toutefois pas adopté.
Le sénateur Kenny: La réponse du témoin est tout à fait exacte, mais elle est également nettement insuffisante. Le gouvernement dépense des millions de dollars en publicité de tous genres. Durant la diffusion du match de la coupe Grey, on a pu voir partout dans le stade des affiches publicitaires payées par le gouvernement du Canada. Il n'est sûrement pas déraisonnable d'utiliser des supports publicitaires populaires pour informer ceux qui sont touchés ou encore de leur envoyer directement une lettre. Nous savons tous que le gouvernement fait connaître les règlements en les publiant dans la Gazette du Canada. Mais nous ne trouvons pas ce moyen très efficace. Y en a-t-il de meilleurs?
Mme Brown: C'est peut-être moi qui devrais répondre à cette question. C'est davantage une question de pratique et de la manière dont nous projetons de mettre en oeuvre la loi. C'est plus qu'une stricte définition de ce qui est publié dans la Partie I de la Gazette du Canada.
Nous sommes en train d'en discuter avec les propriétaires fonciers. Nous avons bel et bien l'intention de continuer de faire participer tous ces propriétaires aux discussions portant sur les espèces en péril se trouvant sur leur propriété. Il y a deux volets à ces discussions. D'une part, il y a la simple présence de ces espèces. De nombreuses équipes de rétablissement sont actuellement au travail et elles le sont depuis des années. Je songe notamment à l'opération relative à la chevêche des terriers dans le cadre de laquelle les propriétaires fonciers prennent une part très active aux stratégies de rétablissement, en collaboration avec des partenaires du secteur privé et des groupes écologistes locaux. Ces travaux se poursuivront. En fait, leur rythme sera accéléré.
D'autre part, nous avons déjà projeté de faire connaître les listes à grande échelle. Nous utilisons déjà les journaux locaux, nous tenons déjà des assemblées locales et nous invitons déjà les propriétaires à participer. Nous prenons cette responsabilité très au sérieux, et nous continuerons de le faire.
Le processus d'établissement des plans de rétablissement envisagé dans la loi à l'étude exige — et c'est ce que nous souhaitons — que nous y intégrions les propriétaires fonciers et tous les autres intéressés.
Quand nous en arriverons à l'étape de la définition de l'habitat essentiel, il faudra être précis. Il se pourrait fort bien que cela vise la ferme X sur le lot Y du rang Z. Toutefois, nous travaillerons de concert avec tous les membres de la collectivité et ceux qui se trouvent autour de celle-ci. Notre stratégie de communication, notre programme de diffusion externe et nos services d'extension seront très dynamiques à cet égard.
Le président: Serait-il pratiquement impossible pour moi, en tant que propriétaire foncier ou exploitant d'une entreprise, de ne pas être conscient du plan de rétablissement, une fois qu'il est en place?
Mme Brown: Ce serait pratiquement impossible, comme vous dites.
Le sénateur Milne: Je vais approfondir cette question, bien qu'elle n'ait rien à voir avec les délibérations du comité ou avec les résultats de ses travaux. Je crois savoir que des fonds ont déjà été mis de côté pour élargir le genre de programme dont vous parlez. Si le projet de loi à l'étude n'est pas adopté en temps opportun, cet argent sera perdu.
Mme Brown: Le budget de l'an 2000 allouait des fonds pour les programmes visant les espèces en péril avant le dépôt du projet de loi à l'étude, du jamais vu de la part du ministre des Finances d'alors. Le ministre Anderson a assurément à plusieurs reprises dit craindre qu'il ne soit difficile de défendre le maintien de cet engagement budgétaire, qui n'est que d'une durée de cinq ans, si la loi n'est pas adoptée.
Il reste un an de financement sur cette période de cinq ans. Cependant, le financement est très étroitement lié au programme d'intendance de l'habitat et au programme d'extension, ainsi qu'aux efforts de rétablissement déployés depuis plusieurs années.
Le sénateur Milne: À combien s'élève le financement?
Mme Brown: Il prévoit 45 millions de dollars par année, et il y a un total courant pour les cinq ans.
Le président: Chers collègues, nous avons encore beaucoup de travail à faire après le départ des témoins.
Messieurs Near et Sims et madame Brown, nous vous remercions et nous vous sommes reconnaissants d'être venus témoigner.
Chers collègues, nous allons poursuivre nos délibérations à huis clos.
Le comité poursuit ses délibérations à huis clos.