Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles
Fascicule 7, Témoignages du 6 février 2003
OTTAWA, le jeudi 6 février 2003
Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles, auquel a été déféré le projet de loi C-4, Loi modifiant la Loi sur la sûreté et la réglementation nucléaires, se réunit aujourd'hui à 8 h 35.
Le sénateur Tommy Banks (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Bonjour à tous. Aujourd'hui, nous poursuivons notre examen du projet de loi C-4, Loi modifiant la Loi sur la sûreté et la réglementation nucléaires. Parmi les trois groupes de témoins que nous recevons ce matin, nous entendrons d'abord les représentants de la société Cameco, Rita Mirwald et Al Shpyth.
J'imagine que vous avez votre opinion sur l'amendement proposé et je vous prie de nous en faire part.
Mme Rita Mirwald, première vice-présidente, Ressources humaines et relations d'entreprise, Cameco Corporation: Je vous remercie de votre invitation à comparaître devant ce comité. Nous vous en sommes très reconnaissants car Cameco et d'autres sociétés du secteur travaillent sur cette question depuis près de deux ans. Nous nous réjouissons fortement d'en être à ce stade de la discussion.
Je suis dans l'industrie de l'extraction et de la transformation de l'uranium depuis environ 22 ans. Au cours de ma carrière, j'ai travaillé pour une société d'État provinciale, qui a fusionné avec une société d'État fédérale avant d'être privatisée et cotée en bourse. J'ai appris à bien connaître la gamme d'options de financement offertes à des sociétés comme Cameco.
La société Cameco est le plus grand producteur et fournisseur d'uranium au monde. Notre premier client sont les États-Unis, vers lesquels nous exportons environ 65 p. 100 de notre production. Le combustible produit par Cameco représente approximativement 10 p. 100 de l'électricité générée aux États-Unis; ce qui est énorme pour une société comme la nôtre.
Nous sommes également le principal prospecteur d'uranium au monde, particulièrement en Australie et en Asie centrale. Nous avons pour objectif de devenir l'une des plus grandes entreprises nucléaires de la planète. Pour y parvenir, nous avons posé plusieurs jalons au-delà de nos activités essentielles. Par exemple, la société participe au programme historique appelé «Des mégatonnes aux mégawatts», auquel ont adhéré la Russie et les États-Unis et qui est destiné à recycler du matériel militaire russe pour alimenter des centrales électriques américaines.
De nos jours, une ampoule sur 10 aux États-Unis s'allume grâce à du combustible généré à partir de charges militaires soviétiques, dont plus de 7 000 ont été recyclées. Notre société est très fière d'avoir pris part à cette initiative.
Par ailleurs, nous avons récemment pris une participation directe au capital d'une centrale de production d'énergie électrique. Actuellement, Bruce est notre seule entreprise dans ce domaine. Nous avons également acquis quelques intérêts dans une société de médecine nucléaire et acheté des parts dans une société qui vise l'utilisation de l'hydrogène dans le transport.
Le siège social de Cameco est établi à Saskatoon, en Saskatchewan, et la société est cotée aux bourses de New York et de Toronto. En outre, nous sommes particulièrement fiers d'être une société socialement responsable, reconnue internationalement comme l'un des principaux employeurs de Canadiens autochtones et du Nord. Les résidants des régions septentrionales de la Saskatchewan représentent 50 p. 100 de la main-d'oeuvre travaillant dans nos mines. C'est un pourcentage considérable, particulièrement quand on sait que beaucoup des autres sociétés qui s'efforcent d'accroître le nombre de leurs employés autochtones se contentent d'un pourcentage compris entre 10 et 20 p. 100. Nous sommes donc très fiers de nos 50 p. 100 et nous visons 67 p. 100 d'ici 2010.
Pour Cameco, la sécurité est la priorité numéro un. Notre société enregistre le plus faible nombre d'accidents avec perte de temps de toutes les industries minières de Saskatchewan et d'Ontario pour les quatre dernières années.
Nous cherchons également à obtenir la certification ISO 1401 pour l'ensemble de nos activités. Il s'agit d'une norme d'évaluation de la performance environnementale reconnue à l'échelle internationale. Il est difficile de l'avoir, mais nos employés sont extrêmement fiers des efforts qu'ils ont déployés dans ce sens au cours des deux dernières années.
Notre principale activité a toujours été et continue d'être l'extraction et la transformation de l'uranium, et nous sommes établis surtout en Saskatchewan et en Ontario. En Saskatchewan, Cameco exploite trois mines et usines de traitement de l'uranium, et elle s'apprête à en ouvrir une quatrième. Ce sont les mines et les usines de traitement les plus grandes au monde et celles offrant la plus forte teneur en uranium. En Ontario, nous exploitons la raffinerie de Blind River, la plus grosse raffinerie d'uranium au monde, ainsi que l'usine de transformation de Port Hope, qui figure parmi les quatre que compte le monde occidental.
Même si cela ne fait pas encore partie de ses fonctions principales, Cameco voudrait développer ses activités dans le domaine de la production d'électricité à partir d'énergie nucléaire, comme je l'ai mentionné plus tôt. Jusqu'à présent, elle atteint cet objectif en partenariat avec la centrale nucléaire de Bruce. Comme vous le savez certainement, Bruce est l'un des plus grands complexes nucléaires au monde puisqu'il compte un total de huit réacteurs sur un site immense. Cette centrale fournit actuellement 15 p. 100 de l'électricité consommée en Ontario et elle a la capacité d'en produire 20 p. 100.
Lorsque le nouveau partenariat sera officiellement en place, Cameco possédera environ un tiers de Bruce et sera responsable de l'alimentation en combustible pendant toute la durée du contrat de location. Ce nouveau partenariat devrait se concrétiser vers la fin de ce mois-ci. Les partenaires en présence seront Cameco, le Régime de retraite des employés municipaux de l'Ontario, aussi connu sous le nom d'OMERS, par l'intermédiaire d'une de ses filiales appelée «Borealis», ainsi que TransCanada Pipelines Limited.
L'importance de ces deux nouveaux partenaires — Borealis et TransCanada — est significative dans la mesure où ce sont deux grandes sociétés canadiennes qui n'avaient jamais investi dans le nucléaire auparavant et qui ont décidé de miser sur l'électricité d'origine nucléaire au Canada. Il s'agit d'un appui fondamental et prometteur pour l'avenir de l'industrie nucléaire dans ce pays.
Les partenaires se sont également entourés d'une équipe très compétente et expérimentée d'exploitants nucléaires, avec à leur tête Duncan Hawthorne, le président-directeur général de Bruce, qui est ici aujourd'hui et qui s'adressera à vous un peu plus tard.
On prévoit également la mise en marche de nouveaux réacteurs sur le site en avril et en juin, ce qui portera à six le nombre de réacteurs en activité dans le complexe. Leur production d'électricité contribuera grandement à satisfaire la demande ontarienne et devrait réduire la nécessité pour la province d'acheter de l'électricité aux États-Unis à un coût élevé; un problème que vous connaissez certainement.
Les nouveaux partenaires ont besoin que le projet de loi C-4 soit adopté et entre en vigueur le plus rapidement possible pour pouvoir accéder, avec Bruce, à du financement de projets ou à des créances garanties. Dans sa forme actuelle, le libellé du paragraphe 46(3) de la loi présente une contrainte financière importante, et nos banquiers nous ont avisés qu'à moins que des modifications y soient apportées, ils ne financeront aucun de nos projets. C'est la raison pour laquelle Cameco appuie fortement le projet de loi C-4.
Le nouveau libellé remplace «un intérêt reconnu en droit» par «l'administration et la responsabilité» pour que la réglementation soit conforme à la common law et à la politique du gouvernement canadien en la matière. Le projet de loi C-4 permet à ceux qui investissent dans des projets nucléaires de garantir leurs prêts au moyen, par exemple, d'une hypothèque, ce qui est une approche courante dans le développement de grandes initiatives. Nos actionnaires et nos employés s'attendent à ce que Cameco, en tant que société canadienne qui travaille et investit au Canada, ait un accès direct au financement commercial normal pour appuyer ses investissements constants et ses nouvelles activités. Ils savent que nous avons recours au crédit pour faire grandir notre entreprise, pour créer des emplois, pour garantir un rendement raisonnable à nos actionnaires et pour contribuer à la réalisation d'objectifs économiques et sociaux.
Par conséquent, nous croyons fermement que ce projet de loi aura une incidence significative et positive.
En tant que société cotée en bourse, Cameco, comme je l'ai dit, a été créée par la fusion de deux sociétés d'État: l'une fédérale et l'autre provinciale. Cela nous place peut-être dans une position unique pour nous prononcer sur la signification de ce projet de loi. Lorsque nous étions une société d'État, les gouvernements du Canada et de la Saskatchewan avaient la responsabilité de subvenir aux besoins financiers de la société. Toutefois, la politique d'investissement des sociétés d'État se limite très souvent au Canada, pour les sociétés fédérales, ou à la province, comme c'était le cas lorsque que je travaillais dans une société d'État saskatchewannaise. Lorsque nous avons eu la possibilité d'accéder à des capitaux privés, nous avons mis à profit les mêmes actifs que nous avions lorsque nous étions une société d'État et nous avons rapidement développé nos activités dans d'autres pays. Suite à cela, comme je vous l'ai dit, Cameco est devenue le plus grand producteur d'uranium au monde, et elle dispose maintenant d'installations non seulement au Canada, mais aussi aux États-Unis et en Asie centrale, sans compter les intérêts grandissants qu'elle a acquis dans d'autres secteurs.
Dès que nous avons pu accéder aux capitaux privés, en utilisant les mêmes actifs, nous avons réussi à accroître de manière significative le rendement de nos investisseurs ainsi que le montant des impôts versés à la Saskatchewan et au Canada. Nous avons observé que les restrictions inhabituelles appliquées aux emprunts propres au secteur nucléaire, comme celles prévues au paragraphe 46(3), n'existent dans aucun des pays où nous sommes allés. D'ailleurs, près de la moitié des centrales nucléaires dans le monde — et il y en a environ 430 en activité actuellement — appartiennent à des intérêts privés. Dans d'autres pays, également, la présence du secteur privé est visible dans toutes les entreprises du secteur nucléaire.
Nous croyons que les restrictions appliquées au financement constituent en fait des entraves au développement de ces sociétés et de ces industries.
De telles contraintes, si elles entraient dans le cadre d'une politique gouvernementale, ne devraient pas être appliquées par voie de règlement par une agence vouée à la sécurité du public, comme la Commission canadienne de sûreté nucléaire.
En guise de conclusion, je tiens à rappeler que le Canada est un chef de file de l'industrie nucléaire. Il produit un tiers de l'uranium mondial à partir de ses installations de Saskatchewan et d'Ontario. Nous sommes à l'origine de la plupart des projets de radio-isotopes à des fins médicales réalisés dans le monde grâce aux réacteurs de puissance et de recherche en activité ici, en Ontario. Nous avons inventé et nous exploitons avec succès le réacteur nucléaire CANDU. En outre, nous sommes appuyés par des ingénieurs et des fournisseurs de partout au Canada.
L'énergie nucléaire est promise à un avenir radieux. À l'échelle mondiale, l'énergie nucléaire est à l'origine d'environ 16 p. 100 de toute la production d'électricité, soit environ autant que le gaz, un petit peu moins que l'énergie hydraulique et, bien sûr, beaucoup moins que le charbon — environ moins de la moitié. Toutefois, si vous pensez aux engagements pris dans le cadre du Protocole de Kyoto, vous serez probablement d'accord sur le fait que si les émissions constituent un facteur déterminant dans les décisions en matière énergétique, ces pourcentages sont susceptibles de changer.
Il existe, bien sûr, de solides analyses de rentabilité de centrales bien gérées. Il y a, aux États-Unis, de nombreux exemples de centrales gérées avec efficacité et succès. Nous croyons que Bruce est un grand modèle canadien.
Les informations dont nous disposons sur ces centrales exemplaires révèlent que ce sont les meilleurs exploitants qui prennent les meilleures mesures de sécurité, appliquent les facteurs de capacité les plus élevés et enregistrent les coûts les plus bas. De bons exploitants nucléaires permettent aux consommateurs d'avoir des prix stables et prévisibles.
Il y a également un argument environnemental de poids qui joue en faveur des centrales nucléaires. Une tonne de combustible d'uranium permet de produire autant d'électricité que 150 000 tonnes de charbon. Le ratio est impressionnant. L'énergie nucléaire se place au deuxième rang des énergies de production d'électricité qui émettent le moins de gaz à effet de serre dans le monde, après l'énergie hydraulique; mais, contrairement à cette dernière, elle n'est pas soumise à des conditions géographiques.
Aux États-Unis, pays qui compte 103 centrales nucléaires, les émissions de CO2 sont inférieures d'environ 30 p. 100 par an par à ce qu'elles seraient si la part du nucléaire devait être remplacée par des combustibles fossiles.
Le Canada et Cameco peuvent profiter de cet avenir radieux. Mais avant, il faut adopter le projet de loi C-4.
Le sénateur Lynch-Staunton: Je vous remercie de votre exposé. Nous éviterons de nous lancer dans un débat sur le pour et le contre de l'énergie nucléaire, sinon, nous serons encore ici dans longtemps. J'aimerais plutôt que nous nous centrions sur l'incidence de l'amendement requis.
Je ne vois aucun problème à limiter la responsabilité du créancier au montant du prêt consenti pour lui éviter de s'empêtrer dans des problèmes avec la société à laquelle il a prêté de l'argent.
Cela fait longtemps que je pose cette question et je n'ai pas encore obtenu de réponse satisfaisante ni même rassurante. Prenons le cas de la centrale de Bruce. Actuellement, les réacteurs sont loués par une agence du gouvernement de l'Ontario ou par le gouvernement lui-même — peu importe — à une société qui gère le complexe nucléaire de Bruce. L'Ontario reste le propriétaire des installations.
Mme Mirwald: C'est exact.
Le sénateur Lynch-Staunton: D'après le libellé de l'amendement, il demeure responsable parce qu'il est le propriétaire. Son statut, en tant que partie responsable, ne change pas, n'est-ce pas?
Mme Mirwald: Je ne suis pas avocate. Vous devriez poser cette question à Duncan Hawthorne, le chef de la direction de la centrale de Bruce. Il vous fournira probablement une réponse approfondie.
Le sénateur Lynch-Staunton: Savez-vous s'il existe dans le contrat de location une clause qui exonère le propriétaire des installations de toute responsabilité?
Mme Mirwald: Dans ce cas, le propriétaire auquel vous faites référence se trouve être la province de l'Ontario.
Le sénateur Lynch-Staunton: Voilà les questions que je me pose. Je peux attendre, mais j'espère obtenir les réponses avant la fin de la matinée.
Peut-il y avoir une clause dans le contrat de location qui passe outre cet amendement?
Mme Mirwald: Non, je ne le crois pas.
Le sénateur Lynch-Staunton: Moi non plus, mais j'aimerais en avoir le coeur net. Peut-il y avoir une clause disant: «Nonobstant le paragraphe 46(3) modifié, le propriétaire de la centrale est déchargé de toute responsabilité»?
Mme Mirwald: Je ne pense pas. Je le répète, je ne suis pas avocate, mais je suis sûre que nous pourrions vous trouver les témoins compétents pour répondre à cette question. M. Hawthorne me dit qu'il est prêt à intervenir.
Le sénateur Lynch-Staunton: Merci.
Le représentant de la Commission canadienne de sûreté nucléaire a fait une déclaration troublante à notre séance de mardi — et ce n'est pas hors contexte. Nous lui avons demandé quelles sont les garanties financières que la Commission doit exiger des titulaires de permis. Il nous a répondu qu'au moment où il parlait, la Commission n'était absolument pas certaine que les conditions liées au permis de la Centrale de Bruce étaient pleinement respectées. J'espère que vous êtes au courant et j'aimerais savoir ce que vous en pensez.
Mme Mirwald: Cela concernait les garanties financières relatives à l'exploitation. Il vous a répondu cela car à ce moment précis, le nouvel accord de partenariat n'avait pas encore été conclu. Toutefois, le contrat est toujours honoré par British Energy. Les propriétaires actuels de la centrale continuent d'assurer le soutien. De plus, la CCSN sait qu'il y aura une transition pour les trois nouveaux partenaires dès la signature du contrat, qui est d'ailleurs imminente. Elle est prévue pour le 14 février.
Le président: Chers sénateurs, êtes-vous d'accord pour modifier l'ordre du jour et demander à M. Hawthorne d'intervenir maintenant?
Des voix: D'accord.
M. Duncan Hawthorne, chef de la direction, Bruce Power: Monsieur le président, je pense que le mieux est de vous parler de la Centrale de Bruce tout en répondant à vos questions. Ainsi, ce sera plus complet.
Je suis le président et le chef de la direction du complexe nucléaire de Bruce. Je suis également président de AmerGen Energy, qui possède trois centrales aux États-Unis, et le directeur de British Energy en Amérique du Nord.
On a beaucoup parlé de Bruce, qui possède et exploite le plus grand complexe nucléaire en Amérique du Nord. Elle loue ses installations qui ont une puissance installée de 6 800 mégawatts. Actuellement, la moitié de la centrale est opérationnelle et l'autre moitié est à l'arrêt.
Depuis sa création le 11 mai, Bruce travaille à la remise en activité de deux de ses réacteurs. Cela représente une capacité de 1 500 mégawatts. Nous avons pour objectif de remettre ces réacteurs en service avant l'été. En fait, nous visons avril et juin.
Depuis que nous avons acheté la centrale, le 11 mai, nous avons recruté environ 400 personnes pour travailler sur le site. Nous envisageons d'embaucher 200 employés supplémentaires d'ici à la fin de cette année. Cela portera à environ 3 300 le nombre total de nos employés.
Il est évident que la remise en activité d'une centrale nucléaire nécessite l'élaboration d'un programme d'immobilisations important. À ce titre, depuis mai 2001, nous avons dépensé près de 600 millions de dollars canadiens dans la modernisation des installations pour la remise en service des réacteurs.
Nous avons toujours dû compter énormément sur nos investisseurs pour couvrir toutes nos dépenses. Il est évident que nous avons utilisé beaucoup des revenus tirés de l'exploitation des réacteurs en activité pour nous acquitter d'une bonne partie de nos engagements. Toutefois, le reste a été comblé grâce à l'injection de capitaux propres provenant de nos propriétaires.
Étant donné que Bruce se trouve être l'exploitant indépendant le plus important dans une industrie hautement capitalistique, le libellé actuel du paragraphe 46(3) du projet de loi nous empêche d'accéder normalement aux marchés de capitaux. Comme les banquiers et les prêteurs craignent d'être visés par la formulation actuelle du projet de loi, il est clair qu'ils considèrent que nos possibilités sont limitées.
L'industrie nucléaire est évidemment une industrie hautement réglementée. Elle se conforme aux lois en vigueur. En plus de nos problèmes de fonctionnement normaux, British Energy, qui est actuellement le propriétaire majoritaire de la centrale de Bruce, puisqu'elle possède 82,4 p. 100 de ses actifs, a éprouvé des difficultés financières au mois de septembre.
L'une des conditions de l'octroi de notre permis d'exploitation est que les propriétaires de Bruce affichent des garanties financières. Ces garanties sont censées assurer la couverture des coûts que pourrait subir la centrale dans l'éventualité très improbable d'un arrêt des réacteurs, laissant la centrale sans aucune source de revenu. Au cas où cela arriverait, notre organe de réglementation, la CCSN, a estimé important de disposer de suffisamment de fonds pour couvrir les dépenses d'exploitation pendant une durée de six mois. Cela représente une somme totale de 264 millions de dollars canadiens. La CCSN a reçu de Cameco et de British Energy, qui sont propriétaires de la centrale à 15 p. 100 et à 85 p. 100 respectivement, des lettres de garantie financière. Il s'agit de garanties contre ce que nous appelons l'élément de passif éventuel — c'est-à-dire que le montant des fonds n'a pas besoin d'être indiqué, mais l'argent doit être disponible dans l'éventualité très peu probable où un problème surviendrait.
Lorsque British Energy s'est trouvée aux prises avec des difficultés financières, notre organe de réglementation, de manière tout à fait appropriée, a demandé la confirmation que les garanties étaient toujours en vigueur. Pendant une certaine période, même si British Energy pouvait légalement dire qu'elle respectait ses obligations, elle ne pouvait officiellement donner le numéro du compte bancaire dans lequel se trouvaient les fonds disponibles. Pendant plusieurs mois, nous avons travaillé avec la CCSN pour prouver que British Energy pouvait s'acquitter de ses responsabilités grâce à l'aide financière qu'elle reçoit du gouvernement britannique. En effet, la clause 11.3 du permis qui est à l'origine des questions du sénateur est toujours en vigueur au moment où nous nous parlons. Elle s'applique car British Energy maintient sa garantie financière grâce aux fonds mis à la disposition par le gouvernement britannique pour couvrir les 85 p. 100. Durant toute cette période, la part de Cameco est demeurée intacte.
Pour ce qui est de la transition vers le changement de propriétaires, nous avons déjà fourni à la CCSN des ébauches de lettres qui prouvent que chacun des nouveaux partenaires en présence assumera la part de garantie proportionnelle qui lui revient. Il y aura une transition sans interruption au cours de laquelle la garantie du gouvernement britannique cessera, et ce, simultanément avec l'arrivée des trois nouveaux propriétaires, qui seront chacun garants de 31,6 p. 100 des intérêts de la centrale. Par conséquent, les règles ne sont enfreintes à aucun moment et il n'y a jamais de période sans garantie.
Il est évident que ceci se produirait uniquement en cas d'arrêt de la centrale, ce qui est très peu probable. On a évoqué un peu plus tôt la situation dans laquelle se trouve la centrale de Bruce. Il est vrai que nous louons les installations. En tant que locataires, nous sommes tenus d'assumer toutes les dépenses de fonctionnement. Par exemple, nous devons payer une assurance de 75 millions de dollars pour faire fonctionner la centrale. C'est notre responsabilité et notre obligation, en tant qu'exploitants, de nous conformer à toutes les exigences réglementaires qui nous incombent.
Toutefois, tout comme le locataire, le locateur n'est pas exempt de responsabilités. Nous avons clairement pour obligation de respecter toutes les lois qui s'appliquent aux exploitants de centrales. La durée initiale du bail s'étend jusqu'en 2018, avec possibilité de renouvellement pour 25 années supplémentaires. Le propriétaire demeure responsable de toutes les mesures de déclassement et de tout le combustible épuisé de la centrale. Bruce a l'obligation d'exploiter la centrale conformément à toutes les lois en vigueur et de maintenir cette centrale dans un état conforme aux normes de performance prévue par les règlements de la CCSN et dans le respect des bonnes pratiques d'utilisation.
Il n'y a pas d'abandon de responsabilités. Le propriétaire ne peut absolument pas se soustraire à ses responsabilités. Le bail à long terme est en fait remis à la CCSN et il doit respecter tous les règlements. La CCSN a un droit de regard sur ce bail. Il ne serait pas possible de le modifier de façon à enfreindre ou à mettre en cause la loi en vigueur, étant donné que le bail du complexe nucléaire de Bruce fait partie des conditions du permis.
Je n'ai pas parlé en détail du complexe nucléaire de Bruce et je n'ai pas suivi mon texte. Il est clair que le libellé actuel a une nature restrictive. Je suis heureux d'apprendre qu'on est plutôt en faveur d'un nouveau libellé. Le complexe nucléaire de Bruce ou même l'industrie nucléaire ne cherche en aucune façon un moyen de se soustraire à ses responsabilités en tant qu'exploitant. Nous demandons l'uniformité, si vous voulez, avec les autres pays. J'ai travaillé cinq ans à la centrale américaine, et pendant plus de 20 ans pour la société AmerGen aux États-Unis. La loi actuellement en vigueur ici ne concorde pas du tout avec celles d'autres pays. Aux États-Unis, ceux qui dirigent et contrôlent les activités — les propriétaires-exploitants — assument l'entière responsabilité. Des lois semblables s'appliquent au Royaume-Uni et en Europe. Il n'y a aucun autre pays à ce que je sache qui veut faire assumer le risque de responsabilité nucléaire à d'autres que les propriétaires et les exploitants des installations.
Le président: Simplement pour préciser la question posée par le sénateur Lynch-Staunton, il est clair qu'un bail ne peut annuler une loi. Cependant, y a-t-il des mots dans votre bail avec l'Ontario, comme «indemniser» et «dégager de toute responsabilité» qui s'appliquent aux modes d'exploitation et aux responsabilités qui en découlent?
M. Hawthorne: Non, le texte du bail qui fait référence au respect des règlements est très clair. Le bail explique le partage des responsabilités liées à l'exploitation et à la propriété. On précise bien comment nous, les exploitants, devons respecter toutes les lois, suivre tous les règlements d'exploitation et assumer tous les risques liés à de futurs changements à la loi. Par exemple, le Sénat a déjà recommandé dans les rapports que j'ai lus d'augmenter le montant de l'assurance, ce qui est l'entière responsabilité du complexe nucléaire de Bruce.
Dans le même sens, si on modifiait les règles de mise en service afin d'exiger une aide accrue pour le déclassement, cette responsabilité serait celle du propriétaire et c'est lui qui aurait l'obligation de l'assumer. C'est la raison pour laquelle la CCSN s'est toujours adressée au gouvernement provincial pour ce qui est des questions de déclassement; c'est lui en fin de compte qui est l'actionnaire d'Ontario Power Generation et qui est responsable, en tant que propriétaire, du déclassement et des coûts de nettoyage.
Le président: Les contributions à verser à la SGDN le sont-elles par vous ou l'Ontario?
M. Hawthorne: Elles sont versées par l'Ontario.
Le sénateur Lynch-Staunton: Plus simplement, pouvons-nous dire qu'il s'agit d'une relation propriétaire-locataire, dans le cadre de laquelle chacun assume une certaine responsabilité qui est bien définie dans le bail?
M. Hawthorne: Oui.
Le sénateur Lynch-Staunton: Ce sont des considérations qui dépassent l'objet de l'amendement dont nous sommes saisis. Il est à espérer que les actionnaires du complexe nucléaire de Bruce seront solides, étant donné que nous avons appris au cours des derniers mois que l'actionnaire majoritaire n'était pas en mesure de poursuivre ses activités.
S'il y avait eu contamination pendant que cette société était propriétaire, qui serait intervenu pour réunir les fonds nécessaires étant donné qu'elle a des problèmes financiers?
M. Hawthorne: Il y a deux aspects distincts à ce sujet, monsieur le sénateur. D'abord, même si British Energy, notre actionnaire majoritaire, pouvait éprouver des difficultés financières, le complexe nucléaire de Bruce devait s'acquitter de ses obligations en tant qu'exploitant. Le complexe de Bruce a toujours été protégé par une assurance et par toutes les mesures prévues par la loi. Cela n'a jamais été en cause. Les activités du complexe de Bruce ne sont aucunement touchées par la situation de British Energy.
La situation de British Energy met beaucoup plus en cause son passif éventuel et l'accès à des fonds pour payer les salaires, et cetera. Il n'y a jamais eu de problème de sécurité. C'est la raison pour laquelle l'organisme de réglementation n'a vraiment jamais eu à s'inquiéter de la sécurité sur le site. Toutes les exigences au sujet de l'assurance et toutes les mesures que le régime de réglementation nous oblige à suivre ont été respectées tout le temps.
Dans l'éventualité où ce dont on parle se serait produit, le complexe nucléaire de Bruce aurait réagi exactement comme il va le faire sous la nouvelle administration. En tant qu'exploitant, le complexe de Bruce est vraiment réglementé et assujetti à des règles, et la situation financière de British Energy n'a jamais rien changé à cela.
Franchement, la situation financière de British Energy a simplement soulevé des inquiétudes sur la capacité du complexe de Bruce d'accéder aux marchés financiers courants. Il reste que le complexe de Bruce fonctionne très bien. Nous avons amélioré la sécurité sur le site. En tant que tel, notre bilan est très solide.
Compte tenu de ces scénarios, quand notre actionnaire principal a connu des difficultés, je suis sûr que, sans cette mesure législative, nous aurions pu protéger le complexe de Bruce en ayant accès à des marchés de capitaux et à des fonds auxquels la loi nous a interdit l'accès. La loi nous a empêché de recourir à une solution que notre bilan nous aurait permis d'adopter.
Le sénateur Lynch-Staunton: Le complexe de Bruce est rentable. Je constate que le dernier rapport était très encourageant. Est-il vrai que les actionnaires ne peuvent verser plus que leur part proportionnelle de la garantie?
M. Hawthorne: Il y a deux aspects à cette question. D'abord, aujourd'hui, le complexe de Bruce doit concéder la cote de solvabilité de ses actionnaires. C'est dans deux secteurs. Nous vendons de l'énergie en vertu de contrats à long terme. Dans ce cas, il faut que les deux parties à la transaction soient solvables. La faillite d'Enron montre bien qu'une ou l'autre partie peut manquer à ses obligations si elle n'est pas solvable.
Étant donné qu'un de nos principaux propriétaires, British Energy, a perdu sa cote élevée de solvabilité en raison de ses difficultés financières, il a été nécessaire pour nous d'imputer du capital afin de poursuivre nos activités commerciales. À ce jour, le gouvernement britannique a garanti plus de 300 millions de dollars canadiens pour nous permettre de continuer à vendre notre énergie. C'est une situation particulière causée par les difficultés financières de British Energy. Les choses vont se rétablir dès la conclusion de cette transaction parce que nos trois nouveaux propriétaires sont des sociétés très solvables et qu'il ne sera plus nécessaire d'engager du crédit.
Actuellement, l'aide financière consentie au complexe de Bruce prend la forme de capitaux pour ses besoins commerciaux et de fonds qui sont mis à sa disposition pour son passif éventuel.
Le sénateur Lynch-Staunton: Le financement que vous seriez en mesure d'obtenir des banques une fois l'amendement approuvé, ce serait des prêts garantis, c'est-à-dire soutenus par quelque chose?
M. Hawthorne: Il y a beaucoup d'options possibles, monsieur le sénateur.
Le sénateur Lynch-Staunton: Je ne veux pas me mêler de vos affaires internes.
Si les prêts sont garantis par des baux, des hypothèques ou des propriétés, c'est donc dire qu'en cas de problème la transaction offre un intérêt à la banque, n'est-ce pas?
M. Hawthorne: Bien sûr, le financement d'un projet, avec ses modalités, suppose toujours qu'il y a un risque d'intervention dans processus décisionnel.
Je peux peut-être vous donner un exemple pour illustrer l'effet que cela peut avoir.
Actuellement, nous cherchons à octroyer un contrat pour remplacer tous les rotors de turbine de tous les réacteurs de la centrale Bruce «B». Ces réacteurs ont 20 ans. On s'attend donc à un investissement important de capitaux pour assurer et prouver la durée de vie utile de ces appareils. Nous sommes sur le point d'accorder le contrat à GE. Je ne divulgue pas d'informations confidentielles étant donné que cela s'est fait par voie de concours. GE nous a indiqué par écrit que si le libellé changeait, elle était prête à nous louer les appareils à long terme. C'est un investissement de 151 millions de dollars. À cause de ce libellé, nous devons les acheter en puisant dans les liquidités de l'entreprise.
Ce n'est pas que nous ne pouvons pas le faire, monsieur le sénateur. C'est simplement que, normalement, nous pourrions louer ces installations, en amortir le coût pendant leur durée de vie utile et améliorer le bilan du complexe de Bruce, ce qui nous permettrait d'utiliser l'argent pour autre chose. Le vendeur est prêt à nous les louer, mais le risque de responsabilité nucléaire l'inquiète. GE donne un très bon exemple de la façon dont les choses fonctionnent.
GE est une grande société américaine qui craint, dans un contexte procédurier aux États-Unis, qu'une clause de portée très générale, ici, fasse en sorte qu'en nous prêtant de l'argent elle ait à assumer une énorme responsabilité nucléaire — qui dépasse de loin le coût et la valeur de son contrat. GE est le principal fournisseur des centrales nucléaires dans le monde, et ce libellé ne lui permet pas d'avoir des activités commerciales normales au Canada.
Le sénateur Lynch-Staunton: En fait, qui a-t-il de si magique à propos du 14 février?
M. Hawthorne: En réalité, British Energy reçoit une aide financière du gouvernement américain. L'intervention du gouvernement britannique est fondée sur un principe de sécurité de l'approvisionnement au Royaume-Uni. C'est une décision logique de la part du gouvernement.
British Energy continue de détenir des actifs à l'étranger. Le Royaume-Uni et le Parlement européen examinent de près la question de savoir ce que serait une subvention de l'État, parce qu'il y aurait alors concurrence déloyale sur le marché britannique.
Pour se justifier, le gouvernement britannique a déclaré qu'il était prêt à soutenir financièrement British Energy, ainsi que ses installations nord-américaines, pour aider l'entreprise britannique à quitter l'Amérique du Nord au moment opportun et de façon à reprendre de la valeur. Le gouvernement pourrait ainsi récupérer le crédit qu'il a offert. Il a indiqué que, si la transaction du complexe de Bruce n'était pas terminée le 14 février, il retirerait son aide financière.
Comme je l'ai dit, plus de 300 millions de dollars ont été garantis pour financer les activités commerciales. Évidemment, des parties sont intéressées. Il y a une transaction qui est sur le point d'aboutir, mais la date du 14 février est l'échéance fixée par le gouvernement britannique.
Le sénateur Lynch-Staunton: Merci.
Le président: Envisage-t-on aussi de mettre fin au transfert des actions le 14 février?
M. Hawthorne: Autour de cette date, sûrement. Il y a un certain nombre de conditions à remplir pour fermer les livres. British Energy exige l'approbation des actionnaires à l'assemblée générale extraordinaire qui doit avoir lieu le 10 février. Des décisions fédérales et provinciales en matière d'impôt sont aussi exigées par toutes les parties. Nous nous attendons à recevoir la décision fédérale peut-être vendredi qui vient ou lundi prochain au plus tard. Les décisions provinciales devraient suivre quatre ou cinq jours plus tard.
Si on est optimiste, cela pourrait se décider à l'assemblée générale du 10 février, et la transaction complétée dans les 40 heures suivantes. Cependant, il est plus probable qu'en raison des décisions en matière d'impôt, nous ne puissions pas agir avant le 14 février.
Le président: Merci.
Le sénateur Spivak: Comme le sénateur Lynch-Staunton l'a dit, je n'ai pas de problème à comprendre qui n'a pas de responsabilités à assumer. Je comprends moins bien qui en a à assumer. Je crois vous avoir entendu dire que le déclassement, le combustible épuisé et tout ce que cela comporte était la responsabilité du propriétaire, qui est le gouvernement de l'Ontario. Est-ce exact?
M. Hawthorne: Oui.
Le sénateur Spivak: Je sais que toutes les installations doivent mettre de l'argent de côté en prévision de ces énormes dépenses. Cet argent vient des contribuables ontariens.
M. Hawthorne: Il serait peut-être utile que je vous explique ce que le bail prévoit, de manière à vous rassurer peut- être. Je peux comparer la situation avec ce qui se passe aux États-Unis étant donné que nous avons acheté trois installations là-bas. Le comité pourra ainsi mieux comprendre.
Quand nous avons acheté ces installations, la Commission de réglementation de l'énergie nucléaire des États-Unis a voulu savoir quelles étaient vraiment les responsabilités en matière de déclassement. Aux États-Unis, les responsables de la réglementation nucléaire sont régis par ce qu'on appelle un «régime basé sur des règles». La règle 10CFR50 prévoit tous les ans une évaluation de la responsabilité en matière de déclassement. Il y a une formule qui indique les fonds que chaque installation doit prévoir pour s'acquitter de cette responsabilité en fonction du reste de sa durée de vie utile. Cependant, dans le cas d'une transaction et d'un changement de propriétaire, les responsables de la réglementation exigent le versement d'un montant supplémentaire dans le fonds de déclassement pour qu'au moment de la fermeture des livres les fonds nécessaires à cette opération soient suffisants.
Quand nous avons acheté des centrales aux États-Unis, le propriétaire a dû verser des fonds pour assurer le déclassement. Si nous avions fermé la centrale le lendemain, il y aurait eu assez d'argent pour son déclassement, parce qu'elle était achetée par une entreprise du secteur privé pour être transférée à une autre.
En Ontario, c'était un problème. Si on y pense, dès que vous mettez un réacteur nucléaire en activité, vous avez une responsabilité en matière de déclassement étant donné que vous avez des coûts de nettoyage à assumer.
Nous avons acheté le complexe de Bruce 20 ans après sa mise en service. Comme c'était une société d'État, on ne pouvait pas indiquer où était l'argent nécessaire pour assurer la responsabilité en matière de déclassement. Dans la transaction du bail à long terme, nous avons versé un paiement initial et prévu des paiements de location sur une base annuelle jusqu'en 2018. Ces montants ont été calculés de façon à respecter la responsabilité en matière de déclassement jusqu'à l'échéance. Nous finançons ainsi cette responsabilité pour laquelle il n'y avait pas de liquidités avant. Nous payons l'Ontario Power Generation pour constituer ce fonds. Cela tient compte des 20 années de responsabilité engagées avant notre arrivée. Néanmoins, le fonds est constitué grâce à notre budget de fonctionnement.
La responsabilité en matière de déclassement incombe toutefois au propriétaire. Par conséquent, nous fournissons simplement l'argent à cette fin. Nous leur remettons l'installation à la fin du bail, nous vidangeons les réacteurs dans la piscine nucléaire, remettons les clés au propriétaire qui peut utiliser l'argent que nous avons fourni pour déclasser l'installation.
Le sénateur Spivak: Qu'en est-il de l'assurance? Elle est de 75 millions de dollars pour la tierce partie. Qui est la tierce partie?
M. Hawthorne: En tant qu'exploitant, nous devons avoir une assurance conforme à la loi. Aux États-Unis, le montant est bien différent du Canada. Nous devons aussi avoir une assurance en tant qu'exploitant aux États-Unis. Dans ce pays, nous versons notre contribution dans un fonds nucléaire commun. Toute l'industrie aux États-Unis cotise à ce fonds. Chaque exploitant verse environ 88 millions de dollars et le fonds commun compte 9 milliards de dollars.
Le sénateur Spivak: Quelle est l'assurance?
M. Hawthorne: L'assurance de chaque installation est de 200 millions de dollars américains. En tant qu'exploitant aux États-Unis, nous souscrivons une assurance de 200 millions de dollars américains et nous versons également 88 millions de dollars dans le fonds commun, le Nuclear Energy Insurance League, ou NEIL. Le groupe gère un fonds de 9 milliards de dollars qui est destiné à payer des dommages de plus de 200 millions de dollars causés par un incident nucléaire qui surviendrait dans l'une ou l'autre des installations. Au-delà de ce montant, c'est le gouvernement fédéral qui assume la responsabilité.
Au Canada, indépendamment du bail, tous les exploitants doivent avoir une assurance de 75 millions de dollars, comme la loi le prévoit. Nous sommes obligés d'avoir cette assurance en tant qu'exploitant.
Le sénateur Spivak: Au-delà des 75 millions de dollars, c'est le gouvernement fédéral qui assume la responsabilité.
M. Hawthorne: Oui.
Le sénateur Spivak: Merci.
Le sénateur Milne: Monsieur Hawthorne, combien d'employés travaillent actuellement au complexe de Bruce?
M. Hawthorne: Aujourd'hui, il y a 3 263 employés.
Le sénateur Milne: Je devrais vous dire que le sénateur Eyton et moi sommes probablement les deux sénateurs qui connaissent le mieux le complexe de Bruce. J'ai des parents qui sont producteurs agricoles dans la région. Je sais que le revenu agricole dans ses deux comtés est attribuable en grande partie à la centrale.
M. Hawthorne: C'est vrai.
Le sénateur Milne: C'est un important employeur. Est-ce le principal employeur de la région?
M. Hawthorne: Oui, madame le sénateur. Comme c'est une localité rurale, oui.
Le sénateur Milne: Si le projet de loi n'est pas adopté, que va-t-il arriver aux emplois après le 14 février?
M. Hawthorne: Évidemment, nous avons une stratégie de croissance. J'induirais le Sénat en erreur si je disais que tout le monde est menacé actuellement. Ce n'est pas une question de menace, mais de perte de possibilités.
J'ai signalé qu'il y avait quatre réacteurs inactifs. Nous sommes sur le point d'en redémarrer deux. Il est évident que la province de l'Ontario ne produit pas assez d'énergie. Nous allons peut-être, avec ces deux autres réacteurs inactifs, pouvoir produire l'énergie la moins chère dans la province. Je crois que la remise en service des réacteurs 3 et 4 — qui se fera cet été — rendra celle des deux autres réacteurs beaucoup plus probable. C'est un projet à forte intensité de capital.
Je considère le complexe de Bruce comme le joyau de la couronne canadienne en termes de centrales nucléaires. Je suis un peu déçu de constater que beaucoup de gens ne connaissent pas son existence. J'ai parlé à beaucoup de gens à Ottawa et je suis surpris de voir qu'il y en a très peu qui savent où se trouve la centrale. Il y avait quatre réacteurs en activité quand nous avons acheté l'installation. Les quatre autres étaient inactifs. Plus de 600 employés de la centrale avaient reçu des lettres les informant qu'ils allaient être mutés ailleurs au centre-ville de Toronto, à Pickering et à Darlington parce qu'Ontario Power Generation fermait progressivement la centrale.
Cela a eu un effet dévastateur dans la localité — pas seulement pour l'économie, mais aussi pour ceux qui ont grandi à cet endroit et qui étaient ainsi forcés de partir gagner leur vie ailleurs parce qu'il n'y avait pas d'autre solution viable. Nous avons déchiré toutes ces lettres le jour de la fermeture des livres. Nous avons embauché 400 personnes depuis. C'est beaucoup plus une question de croissance et de développement. Je suis très fier de l'influence que nous avons eue dans la localité. Tous ceux qui vont visiter l'endroit s'en rendent compte. Quelle que soit son allégeance politique, on ne peut pas manquer de remarquer les maisons neuves, les centres médicaux qui ont été construits, les écoles dont la fermeture a été épargnée et les 400 jeunes qui n'ont pas eu à quitter leur lieu de naissance pour se trouver du travail. Je considère que c'est une bonne nouvelle que le secteur privé ait décidé de financer et d'exploiter une industrie en déclin.
Le sénateur Milne: Je signale aux sénateurs qui ne connaissent pas la région, que c'est une région agricole, mais qui n'est pas très fertile. Il y a des forêts, du roc et des marécages entre quelques champs cultivés. Quand on n'a plus d'autre revenu que celui de la ferme, on risque souvent de perdre sa maison. Je ne dirais pas que Pickering ou Darlington se trouvent près du centre-ville de Toronto, mais si vous devez déménager en sachant que vous ne réussirez probablement pas à vendre votre exploitation agricole, c'est dévastateur pour la localité.
Le sénateur Eyton: Merci de votre exposé monsieur Hawthorne.
Vous avez très très bien répondu à presque toutes mes questions de structure. Je peux vous dire que j'appuie le projet de loi et son objectif général.
Je conviens que Bruce Power n'est qu'un exemple de bénéficiaire de l'amendement proposé. Dans la structure d'origine, qui remonte maintenant à 20 ans, y avait-il un mode de financement classique ou n'y avait-il aucun besoin de financement?
M. Hawthorne: À l'époque, tout était de compétence fédérale ou provinciale. Il n'était pas nécessaire d'avoir accès à des marchés pour financer le travail.
Le sénateur Eyton: Un nouveau besoin se fait sentir, et la modification proposée y répond?
M. Hawthorne: Exactement.
Le sénateur Eyton: On a fait allusion aux propriétaires et aux actionnaires. Quelle est la structure actuelle? S'agit-il d'un partenariat ou d'une société par actions?
M. Hawthorne: Je sais que je n'ai donné aucun détail, c'est que je voulais aller directement au coeur du problème.
Je pense que Bruce Power est un partenariat dans tous les sens du terme. Cinq parties son copropriétaires de Bruce Power. C'est une situation unique. Selon la nouvelle entente, Cameco, TransCanada et le fonds de retraite OMERS posséderont au total 31,6 p. 100 du capital-actions de Bruce Power. Vous verrez que nous n'arrivons pas à 100 p. 100. Nos syndicats détiendront 5,2 p. 100 de notre capital-actions. Le Syndicat des travailleurs et travailleuses du secteur énergétique, qui représente 2 300 de nos employés, en détiendra 4 p. 100 et la Society of Energy Professionals, qui représente 700 employés sur le site, 1,2 p. 100. Nous avons cherché à créer un partenariat avec nos groupes d'employés.
Ce n'est pas une société cotée en bourse. Trois investisseurs ont injecté des fonds et deux syndicats ont reçu du capital-actions pour créer le partenariat que constitue Bruce Power.
Le sénateur Eyton: Dans le nouvel amendement, le mot «propriétaire» et le mot clé. Dites-vous au comité que la société d'État de l'Ontario en est propriétaire, en plus de Bruce Power et de ses grands partenaires ou toutes ces parties sont-elles des partenaires de Bruce Power?
M. Hawthorne: Au sens strict, le propriétaire de l'installation est Ontario Power Generation, dont l'actionnaire est la province. Les propriétaires de Bruce Power sont les cinq groupes que j'ai énumérés, et Bruce Power se trouve à être le locataire de l'établissement.
Le sénateur Eyton: Peut-être n'en est-elle pas le propriétaire, mais elle en est certainement l'occupant.
M. Hawthorne: Oui, nous sommes de toute évidence l'exploitant autorisé de l'établissement, de Bruce Power. Toutes les responsabilités liées au fonctionnement incombent à Bruce Power, qui en est l'exploitant prévu.
Le sénateur Eyton: Et ses partenaires?
M. Hawthorne: C'est juste.
Le sénateur Eyton: Êtes-vous content d'assumer cette responsabilité?
Mme Mirwald: Oui, nous le sommes.
M. Al Shpyth, directeur des relations gouvernementales, société Cameco: Sénateur, le projet de loi ne change en rien cet aspect. Le propriétaire, l'occupant, l'exploitant avaient déjà des responsabilités et cela demeure. Le projet de loi remplace les mots «ayant un intérêt reconnu en droit» par «en ayant l'administration et la responsabilité».
M. Hawthorne: J'aime que les choses soient bien claires. J'aime la façon dont les banques me les expliquent lorsque je leur en parle. Cette formule s'apparente à celle qui s'applique quand je vais à la banque demander de l'argent pour acheter une voiture. Si je sors avec la voiture et que j'ai un accident, je pourrais m'attendre à ce que la banque paie, parce que c'est ce que les mots disent, en fait. C'est pourquoi les banques ont des problèmes. Elles sont disposées à vous prêter de l'argent pour que vous puissiez acheter une voiture, mais si vous sortez et percutez quelque chose, pourquoi auraient-elles une quelconque responsabilité à assumer? Pour utiliser une image simple, c'est le même problème. Si je suis le conducteur et que j'en assume l'entière responsabilité — parce que c'est mon permis de conduire — je dois contracter une assurance, garder ma voiture en état de rouler et faire tout le nécessaire, parce que j'en suis l'utilisateur. Tant que je n'ai pas remboursé mon prêt, c'est la banque qui en est propriétaire, en théorie. Est-il raisonnable, toutefois, de s'attendre à ce qu'elle absorbe les coûts de mon accident et qu'elle me décharge de ma responsabilité? C'est ce que cette formule laisse entendre, actuellement, pour un prêteur comme une banque.
Le sénateur Eyton: Pour ce qui est de la date elle-même, il semble presque y avoir urgence fabriquée, parce que le projet de loi est arrivé très tard au Sénat. L'échéance du 14 février est-elle fixe ou souple? Elle s'en vient vite.
M. Hawthorne: C'est une question intéressante. J'ai un esprit politique, et il me semble un peu difficile de dire combien je peux influencer le gouvernement du Royaume-Uni. Le fait est qu'il y a beaucoup d'opposition au soutien financier de la British Energy. Diverses sociétés et activistes du domaine nucléaire ont interjeté appel devant la Commission européenne sous prétexte qu'il serait absolument inacceptable que le gouvernement du Royaume-Uni utilise l'argent de ses contribuables pour subventionner une exploitation nord-américaine.
Dans ce contexte, il semble y avoir un sentiment d'urgence depuis longtemps pour que cette transaction en arrive là où elle en est. On a établi une limite en fixant ces dates. On a d'ailleurs aussi fixé une date d'échéance pour que la société se retire des États-Unis d'ici le 30 juin. Ces dates ont été soumises à la Commission européenne.
Pouvons-nous les changer? Peut-être. Mais compte tenu du temps qu'il nous reste, ce pourrait être très difficile.
Il serait déplacé de ma part, après être passé si près de conclure une affaire, de dire que quelqu'un nous a empêchés de le faire. Ce serait déplacé. Cependant, je dois dire que les dates fixées ont été très bien diffusées et qu'on me les a décrites comme une échéance inébranlable.
Mme Mirwald: Au nom de ce groupe de propriétaires, nous y travaillons depuis mai 2001, soit depuis que le problème est apparu clairement à nos yeux. Des solutions ont été proposées dans le projet de loi C-57 à la dernière session, mais nous avons été pris de court par la prorogation du Parlement. Nous sommes donc plutôt à court de temps, ce que nous regrettons aussi.
Le sénateur Christensen: De toute évidence, les besoins de financement de Bruce Power ont jeté la lumière sur une faille évidente de la loi. En tant qu'acteur dans l'industrie du nucléaire, Cameco a-t-elle eu besoin de solliciter des fonds publics et si c'est le cas, avez-vous déjà eu des problèmes dans le passé?
Mme Mirwald: Depuis que ce règlement a force de loi, nous n'avons pas eu besoin de solliciter du financement de projet. Le dernier grand projet réalisé avant la hausse de l'investissement dans Bruce, c'est celui de la mine de McArthur River, en Saskatchewan. Nous avons réussi à le financer grâce aux flux de trésorerie internes et aux établissements de crédit que nous avions à l'époque.
Non, nous n'avions pas encore été confrontés à ce problème. Cependant, nos banques nous préviennent, comme M. Hawthorne l'a indiqué, que si nous leur présentions une demande de financement pour un projet — pour la mine de Cigar Lake, qui est en processus de mise en valeur, par exemple — nous obtiendrions la même réponse que Bruce.
Le président: La banque ferait-elle une distinction entre un prêt demandé pour exploiter une mine et un prêt demandé pour exploiter une centrale nucléaire?
Mme Mirwald: Il semble que non. Les banques nous donneraient la même réponse. Elles s'inquiètent elles aussi de la responsabilité nucléaire.
Le sénateur Lynch-Staunton: À part le fait d'exiger des garanties financières, que la CCSN fait-elle? Envoie-t-elle quelqu'un sur le terrain pour garder un oeil sur ce qui se passe?
M. Hawthorne: Oui. Il fait partie du fonctionnement normal de Bruce qu'il y ait sept inspecteurs de la CCSN sur le terrain pour surveiller nos activités. Les inspecteurs fournissent des rapports périodiques à la Commission sur la sûreté des activités sur le terrain. Ils sont présents de façon permanente sur les lieux.
Le sénateur Lynch-Staunton: Quelles sont leurs compétences?
M. Hawthorne: La CCSN effectue un suivi à divers égards. Elle envoie des experts en analyse de la sûreté, en sécurité, en santé et hygiène et en environnement. Elle essaie de surveiller tout l'éventail de nos activités et fait tout en son pouvoir pour que ces inspecteurs aient les mêmes compétences que les spécialistes de nos divisions. À la CCSN, il y a un directeur responsable de Bruce Power. Il s'agit d'un cadre supérieur. Il se trouve en permanence sur le lieu de nos installations.
Le sénateur Lynch-Staunton: Les Américains ont une commission de réglementation nucléaire semblable qui effectue des inspections. Quelle est votre expérience avec eux et comment leurs inspections se comparent-elles aux nôtres?
M. Hawthorne: Comme je l'ai déjà dit, le cadre de réglementation des États-Unis est axé sur des règles. De façon concrète, cela signifie que tous les titulaires de permis détiennent le même type de permis. Allez dans n'importe quelle centrale nucléaire américaine et vous verrez que la condition numéro sept est la même pour tout le monde et que toutes les installations doivent respecter les mêmes règles.
Ici, au Canada, le régime se rapproche beaucoup de celui du Royaume-Uni. Notre réglementation est moins axée sur la conformité que sur le bon jugement. Il y a des règlements à respecter, mais le titulaire de permis peut faire valoir des arguments techniques, dont la validité est évaluée. Les permis des divers exploitants peuvent varier. Par exemple, chez nous, il y a Bruce B et Bruce A. Les permis des deux centrales ne sont pas les mêmes, parce qu'ils sont adaptés aux conditions uniques propres à chacune.
Cela alourdit peut-être la tâche de l'organisme de réglementation d'ici, mais cela crée également un environnement dans lequel les permis sont plus ciblés. Ainsi, les représentants de l'organisme de réglementation présents sur le terrain connaissent très très bien le permis de l'établissement et la façon dont il s'applique.
Au Royaume-Uni, la situation est un peu entre les deux. On parle d'un environnement «d'autoréglementation» au Royaume-Uni. Dans ce cas, l'organisme de réglementation approuve les ententes proposées et évalue le rendement sur cette base. Il y a trois façons légèrement différentes de le faire. Toutes reposent sur le même principe de base, mais l'obligation de se conformer incombe au titulaire de permis, tandis que les vérifications de l'organisme de réglementation visent à assurer la conformité.
Le sénateur Lynch-Staunton: Le sénateur Spivak a soulevé la question de l'assurance responsabilité obligatoire de 75 millions de dollars. Aux États-Unis, celle-ci est beaucoup plus élevée. Auriez-vous objection à ce que l'on modifie la loi pour hausser le montant minimal d'assurance pour en arriver à un chiffre plus réaliste?
M. Hawthorne: Le devoir d'exploitant de Bruce Power consiste à se conformer à la loi. Personnellement, je n'ai aucune objection si cela peut vous rassurer, c'est très bien. Honnêtement, au Royaume-Uni, l'assurance minimale est de 140 millions de livres, ce qui correspond à environ 350 millions de dollars. Il existe aussi un fonds central indépendant.
Le sénateur Lynch-Staunton: Il y existe un consortium comme aux États-Unis?
M. Hawthorne: Oui, il y a un consortium européen, qui a été créé en vertu de la Convention de Bruxelles. Le modèle américain comprend le consortium d'assureurs NEIL, dont la valeur s'élève à 9 milliards de dollars. La Convention de Bruxelles favorise elle aussi le concept d'un consortium. Je crois toutefois savoir qu'elle devrait être révisée. En tant qu'exploitant, je peux comprendre votre logique et bien sûr, nous ne nous y opposerons pas.
Le président: J'aimerais une précision. En plus des 75 millions de dollars minimums, les exploitants sont tous tenus de verser une contribution supplémentaire continue à l'OMM pour le déclassement du combustible usé.
M. Hawthorne: C'est juste, mais c'est autre chose.
Le président: Je voulais être certain que nous le savions tous. Je vous remercie beaucoup.
Je souhaite la bienvenue à nos deux prochains témoins, qui souhaitent comparaître ensemble.
[Français]
M. Shawn-Patrick Stensil, coordonnateur national, Campagne contre l'expansion du nucléaire: Je m'appelle Shawn- Patrick Stensil, je suis le coordonnateur de la Campagne «Sortir du nucléaire».
[Traduction]
Vous ne me connaissez probablement pas parce qu'il s'agit de mon premier exposé devant le Sénat. Comme je suis souvent vos débats à la CPAC, je sais que les questions les plus difficiles sur la Colline ont tendance à être posées dans les réunions du Sénat. Je vous prierais donc d'être indulgents.
La campagne Sortir du nucléaire est une campagne pancanadienne à laquelle participe une coalition d'organismes, dont celui que représente Elizabeth May, qui se trouve à ma droite, le Sierra Club du Canada, ainsi que Greenpeace, Enquête énergétique et divers groupes régionaux, dont le Interchurch Committee on Uranium Mines et la Coalition pour l'énergie verte du Nouveau-Brunswick. Depuis le début de nos 13 ans d'existence, nous militons pour que le Canada élimine progressivement ses réacteurs nucléaires. Vous pouvez certainement deviner notre position par rapport au projet de loi. Notre position se fonde sur diverses expériences en Europe, entre autres. J'en parle dans mon mémoire.
La plupart des pays du monde se départissent progressivement leurs réacteurs nucléaires. Ils soupèsent les risques environnementaux et financiers. Comme on peut le voir aujourd'hui, ces risques sont très élevés, et beaucoup de pays choisissent de désactiver leurs réacteurs dans le cadre de leur politique d'énergie nucléaire. La Belgique en est un exemple. Elle a adopté une loi en décembre dernier afin de désactiver tous ses réacteurs d'ici 2025. Ce n'est pas une mince affaire. La Belgique est signataire du Protocole de Kyoto. Elle tire 57 p. 100 de son énergie du nucléaire. Voilà l'orientation que prend le monde. J'incite le comité à adopter la même ligne de pensée.
Actuellement, nous luttons contre la remise à neuf de la centrale de Point Lepreau, au Nouveau-Brunswick, dont certains ont fait mention pendant ces audiences, de même que de Gentilly 2, qui pourrait bien devoir être fermée en 2008.
J'aimerais replacer ce projet de loi en contexte. Certains soutiennent qu'il place l'industrie nucléaire sur un pied d'égalité avec les autres industries. Malheureusement, toutefois, l'industrie nucléaire jouit déjà d'un traitement très favorable. C'est donc un argument fallacieux.
D'autres affirment que ce n'est qu'une petite anomalie. En faisant cela, en quoi responsabilisons-nous une industrie déjà relativement à l'abri des responsabilités? Est-ce dans l'intérêt public? Cela améliore-t-il le bien-être public? Nous sommes d'avis que non.
Prenons le projet de loi. Je ne suis pas avocat. Ma collègue, Mme May, l'est. Je vais vous en faire une lecture simple.
Le projet de loi se lit comme suit:
En outre, elle peut ordonner au propriétaire ou à l'occupation du lieu, ou à toute autre personne en ayant l'administration et la responsabilité, de prendre des mesures réglementaires pour le décontaminer.
Certains soutiennent qu'il s'agirait là d'une responsabilité illimitée, et que les investisseurs sont plutôt capricieux. Ce n'est pas ce qu'on appelle la responsabilité. C'est ce qu'on appelle une responsabilité discrétionnaire qu'un organisme de réglementation pourrait déterminer.
L'argument qu'il s'agit d'une responsabilité illimitée n'est pas très convaincant. L'établissement de crédit ne serait pas automatiquement tenu responsable. Il devrait d'abord y avoir des audiences publiques pour que le public ait son mot à dire et puisse discuter de ce qui est dans son intérêt. Il faudrait aussi que la CCSN soit très stricte et qu'elle attribue directement la responsabilité non plus à l'occupant ou au propriétaire, mais à l'établissement de crédit. Cela me semble illogique. Les tenants du projet de loi projettent une image erronée.
La Loi sur la sûreté et la réglementation nucléaires porte sur les incidences à l'extérieur des lieux d'exploitation, mais le seuil minimum de 75 millions de dollars d'assurance est le plus bas au monde. Nous parlons ici d'une industrie déjà très protégée. Les investisseurs sont déjà au courant des risques énormes associés aux centrales nucléaires. Peut-être cela nous indique-t-il quelque chose. Peut-être cela nous indique-t-il que cette industrie ne pourrait pas se tenir debout si elle devait suivre les règles du jeu comme tout le monde.
Je vous recommande de rejeter ce projet de loi. Je vous recommande de revoir toute la politique canadienne sur l'énergie nucléaire plutôt que d'apporter divers petits changements ponctuels. L'industrie existe depuis 50 ans. Nous lui avons versé 70,5 milliards de dollars en subventions. Pendant ce temps, nous continuons d'y apporter des petits changements superficiels sans nous demander si le jeu en vaut la chandelle. Je dirais que non.
Mme Elizabeth May, directrice générale, Sierra Club du Canada: J'apprécie le travail de tout le personnel qui coordonne nos efforts et je remercie le sénateur Oliver de m'avoir autorisée à quitter le Comité de l'agriculture pour être avec vous ce matin.
Le projet de loi que vous avez entre les mains est unique en son genre selon mon expérience. Je ne sais pas comment vous allez procéder à l'étude article par article. Vous allez avoir fini avant même d'arriver à la fin de la phrase.
D'après ce que dit mon collègue, M. Stensil, une entreprise particulière qui éprouve de graves difficultés financières a besoin de cette disposition. Je lis les journaux britanniques et je sais que les difficultés de l'entreprise ne se limitent pas au Canada. Elle est un mauvais risque bancaire et il est reconnu qu'elle compte constamment sur le gouvernement britannique pour se faire renflouer. Cette entreprise a maintenant des intérêts dans la centrale de Bruce et prétend que le paragraphe 46(3) de la Loi sur la sûreté et la réglementation nucléaires, qui comprend les mots «toute autre personne ayant un intérêt reconnu en droit dans», est le seul obstacle qui la sépare du succès commercial.
Tout ce que nous avons, c'est la parole de ces gens. Cela semble peu probable et j'invoque encore une fois les points soulignés par M. Stensil.
Lorsque vous examinez le libellé de la loi, il n'y a rien ici qui laisse supposer une responsabilité automatique. Il n'y a rien qui laisse entendre qu'il s'agirait d'une procédure usuelle que de regarder du côté du prêteur. Ultimement, tout prêteur peut devenir propriétaire.
Toutefois, il a bien dû y avoir une raison pour laquelle la loi a été rédigée telle qu'elle l'a été. Il ne fait aucun doute que le comité de la Chambre, si l'on regarde le compte rendu des délibérations, de même que, j'imagine, votre comité, avez exploré le raisonnement qui a justifié le libellé qui a été adopté en 1997, pourquoi ce libellé a été utilisé et pourquoi l'avis du ministère de la Justice a été retenu. Il semble qu'en l'espace de cinq ans, cette justification ait disparu et qu'elle ne nous soit plus accessible pour nous permettre de comprendre pourquoi l'expression «toute autre personne ayant un intérêt reconnu en droit dans» a été utilisée il y a cinq ans.
Ce n'est pas une bonne idée que d'adopter un projet de loi particulier pour traiter d'un cas particulier. Il s'agit d'une étrange façon pour un Parlement de légiférer. Il est clair qu'il s'agit de quelque chose qui trouve son origine dans un problème financier particulier touchant, selon les allégations, Bruce Power.
Dans son état actuel, la Loi sur la sûreté et la réglementation nucléaires ne nous donne pas beaucoup confiance dans la sûreté de l'industrie nucléaire. Je le dis en sachant que mes paroles figureront dans le compte rendu: dans ce pays, les responsables de la réglementation de l'industrie nucléaire ont toujours été assez proches de l'industrie qu'ils sont chargés de réglementer.
L'intérêt public n'a pas été servi. Nous avons besoin d'un examen complet de cette industrie. Quand je lis les propos de l'honorable Herb Dhaliwal qui dit que le projet de loi C-4 mettra l'industrie nucléaire sur un pied d'égalité avec les autres secteurs de l'industrie et de la production d'énergie, je me demande si nous ne sommes pas sur le point de retirer les subventions que reçoit cette industrie pour qu'elle soit vraiment sur un pied d'égalité avec les autres. Nous avons toujours devant la cour fédérale une poursuite que nous avons engagée au sujet du plus gros prêt externe consenti dans l'histoire du Canada, soit 1,5 milliard de dollars, pour permettre la vente à la Chine d'un réacteur nucléaire qu'elle nous payera avec l'argent que nous lui avons prêté. Cette industrie n'a jamais été sur un pied d'égalité avec les autres. En fait, il s'agit d'une nouvelle concession. Il s'agit également d'une concession qui vise à accroître la probabilité que d'autres propriétaires du secteur privé s'intéressent à l'industrie nucléaire.
Je ne suis pas une chaude partisane des entreprises monopolistiques, quel que soit le type d'activité. Quelqu'un peut dire sans se tromper que les étangs de goudron de Sydney se trouvent là où ils sont et sont aussi toxiques qu'ils le sont — sauf votre respect, sénateur Buchanan — parce que nous n'avons pas eu un propriétaire du secteur privé. Tout le monde voulait garder l'usine en activité, même lorsqu'elle n'était plus rentable. Je pense que le marché et sa capacité d'éliminer les choses insensées a ses avantages.
Dans le cas présent, on s'inquiète de la privatisation du nucléaire à cause du niveau de risque très élevé qui accompagne cette activité. Il ne s'agit pas d'une industrie ordinaire. C'est pourquoi elle donne lieu à tant de projets de loi, comme la Loi sur la responsabilité nucléaire, qui prévoit que l'entreprise doit payer des dommages, mais jusqu'à concurrence de 75 millions de dollars, pas plus. Les dommages découlant d'un accident nucléaire sérieux peuvent se traduire par des pertes de milliers de vies et de milliards de dollars. Nous sommes chanceux de ne pas avoir eu un tel accident et j'espère que nous n'en aurons jamais.
Toutefois, légiférer dans le seul but d'accroître la probabilité que des prêts privés soient consentis à des propriétaires privés de centrales nucléaires n'est pas quelque chose qui devrait se faire par la porte arrière, au moyen d'une disposition unique. Cette question devrait faire l'objet d'un débat en tant que changement de politique. Elle devrait être exposée au public canadien et au Parlement du Canada dans le cadre d'une discussion, qui aurait dû avoir eu lieu il y a longtemps, non seulement du rôle de l'énergie nucléaire au Canada et de l'ampleur des subventions accordées à cette industrie, mais également du bien-fondé de tenter de garder en activité des réacteurs vieillissant en attirant des investisseurs du secteur privé. C'est toute cette question qui doit d'être débattue et non pas seulement la question de savoir s'il est approprié de changer l'expression «toute autre personne ayant un intérêt reconnu en droit dans» par «toute autre personne en ayant l'administration et la responsabilité». Ce n'est pas le niveau de débat qui convient à une question d'une aussi grande importance.
Le sénateur Lynch-Staunton: Je suis désolé que votre ressentiment à l'égard de l'énergie nucléaire ait voilé le jugement que vous avez porté sur le but de cette disposition — notamment que tout ce que nous avons entendu plus tôt et mardi est entièrement faux. À moins que vous vouliez essayer de me convaincre, je ne comprends pas ce que vous voulez dire lorsque vous dites que le projet de loi C-4 est une initiative de Bruce Power qui sert à isoler encore davantage l'industrie nucléaire des coûts réels de l'énergie nucléaire. Que cela signifie-t-il par rapport à l'amendement qui est devant nous? Comment cet amendement isole-t-il l'industrie du coût réel de l'énergie nucléaire?
M. Stensil: L'industrie est déjà protégée de plusieurs façons.
Le sénateur Lynch-Staunton: Nous parlons de Bruce Power. Cette modification d'un projet de loi gouvernemental est proposée à la demande de Bruce Power et d'autres pourraient en profiter. Quels avantages pensez-vous que Bruce Power va retirer en étant isolé du coût réel de l'énergie nucléaire?
M. Stensil: Ce projet de loi enlève à un organisme de réglementation le pouvoir, qui en apparence fonctionnerait dans le sens de l'intérêt public, de demander à un titulaire de permis ou à quelqu'un d'autre de nettoyer un site contaminé. Ces coûts peuvent être très élevés. Nous pourrions avoir besoin de beaucoup d'argent pour le faire.
Le sénateur Lynch-Staunton: Qui enlève la responsabilité de nettoyer les sites contaminés?
M. Stensil: On demande à ceux qui soutiennent l'industrie.
Le sénateur Lynch-Staunton: Qui?
M. Stensil: Les personnes «ayant un intérêt reconnu en droit» — quiconque trouve ces mots inquiétants. Je pensais au scénario dans lequel les gens auraient peur.
Le sénateur Lynch-Staunton: Vous feriez mieux d'être plus clair, sinon je n'aurai d'autre choix que de considérer tout cela comme des platitudes.
Mme May: Vous devez regarder la réalité, le contexte dans lequel ce projet de loi est parvenu devant vous. Vous en êtes conscient. Si un prêteur s'inquiète de prêter de l'argent à une entreprise parce qu'il voit une exigence potentielle — et cette exigence est véritablement potentielle et non automatique — que le commissaire exerce son pouvoir discrétionnaire pour ordonner que les coûts du nettoyage soient payés par quelqu'un qui, potentiellement, pourrait être le prêteur. C'est cette disposition du projet de loi que l'on trouve maintenant inacceptable cinq ans seulement après l'adoption de la loi. L'application réelle de la disposition pourrait ne pas isoler Bruce en particulier. Cependant, l'adoption d'un projet de loi pour permettre à ces gens d'obtenir des prêts à un moment où ils éprouvent des difficultés financières et à un moment où les banques ne sont apparemment pas intéressées à leur en prêter si elles estiment que Bruce n'aura pas les ressources nécessaires et qu'elles pourraient se retrouver sur la sellette; c'est très révélateur.
Le sénateur Lynch-Staunton: Si vous aviez été présente ici, Bruce Power vous aurait dit qu'elle n'éprouve pas de difficultés financières et vous l'auriez entendu le dire.
Mme May: Alors, tous les journaux britanniques se trompent.
Le sénateur Lynch-Staunton: Un important actionnaire de l'entreprise-mère en éprouve, mais cette situation sera résolue, selon leur témoignage, par l'arrivée de nouveaux actionnaires dont la situation financière est plus solide. Ne dites pas que Bruce Power éprouve des difficultés financières, ce n'est pas le cas.
Deuxièmement, on affirme dans le paragraphe (4) que «l'industrie nucléaire a allégué que le fait de forcer les investisseurs et d'autres qui ont un intérêt dans les activités nucléaires de procéder au nettoyage est une «anomalie»». Qu'est-ce que cela signifie: «forcer les investisseurs et d'autres personnes qui ont un intérêt dans les activités nucléaires à nettoyer est une anomalie»? Quels investisseurs sont forcés aujourd'hui de nettoyer à part les gouvernements qui ont bâti les centrales qui fonctionnent?
Mme May: C'est une allusion à leur allégation selon laquelle ce libellé est une anomalie. C'est ce qu'on nous a dit devant le comité de la Chambre — que l'utilisation des mots «toute autre personne ayant un intérêt connu en droit dans» était une anomalie en droit.
Le sénateur Lynch-Staunton: Oui, mais vous avez ajouté les mots «de nettoyer».
Le président: Madame May, dans le contexte de la question du sénateur Lynch-Staunton, la question de l'anomalie, pouvez-vous penser à un autre cas, qu'il s'agisse de production d'électricité ou d'un autre type d'activité, où les gens qui prêtent de l'argent à une entreprise sont exposés de quelque façon que ce soit à une responsabilité éventuelle par suite de l'exploitation de cette entreprise?
Mme May: Dans le domaine de l'exploitation des sites contaminés, les banques sont très préoccupées au sujet de leur responsabilité potentielle. Il n'y a pas de loi qui traite de sites toxiques contaminés de cet ordre.
Le président: Sauf la loi qui nous intéresse.
Mme May: Oui. Dans le cours normal de l'exploitation d'une entreprise, et beaucoup de travail a été effectué sur cette question à la Table ronde nationale sur les friches industrielles et d'autres sites contaminés, les prêteurs sont préoccupés par le fait qu'ils pourraient se retrouver avec une patate chaude entre les mains par suite de faillite ou de forclusion et être responsables d'un site contaminé.
Le président: Comme ce serait le cas avec ce projet de loi, parce qu'ils deviendraient alors propriétaires ou exploitants.
Mme May: Et c'est pourquoi nous nous demandons pourquoi le projet de loi a été rédigé de cette façon en tout premier lieu. Cela peut avoir un certain sens à cause de la nature de la contamination nucléaire qui est d'un type particulier et une source de préoccupation particulière. Cela ne s'applique qu'au site de contamination et non aux effets en dehors du site. Le degré de responsabilité encore exigé en vertu de la Loi sur la responsabilité nucléaire est à un niveau artificiellement bas. Il y a beaucoup de choses au sujet de l'industrie nucléaire pour lesquelles on ne trouve aucun parallèle ailleurs. L'industrie de l'extraction de l'uranium est la seule activité minière à être réglementée par le gouvernement fédéral plutôt que par les provinces. Pendant très longtemps, l'industrie nucléaire a été traitée d'une manière extrêmement différente des autres industries et les exemples sont nombreux. Il ne s'agit ici que d'une différence parmi tant d'autres. En ce qui concerne la façon de traiter usuellement des sites contaminés au Canada, les banques sont effectivement des acteurs très intéressés lorsqu'il s'agit de trouver une façon de remettre ces sites en état.
Le sénateur Lynch-Staunton: Je vais m'arrêter ici, parce que cela ne me mène pas très loin. Je pense que vous devriez trouver une certaine consolation dans le fait que si, comme vous le croyez, l'industrie nucléaire est une industrie moribonde, décadente et dangereuse, aucun prêteur privé ne voudra s'y intéresser. Je ne sais pas ce qui vous inquiète?
Mme May: Ce qui nous inquiète, c'est de voir le dinosaure se secouer la queue au moment où il disparaît.
Le sénateur Milne: Madame May, je dois vous dire que je suis tout à fait d'accord avec vous lorsque vous demandez pourquoi le gouvernement voudrait apporter des changements touchant l'industrie nucléaire en utilisant la porte arrière, par un changement de politique. Vous avez également dit que cette question méritait un débat et je suis tout à fait d'accord avec cela.
Selon M. Stensil, la Belgique a décidé d'éliminer l'industrie nucléaire, mais elle s'est donné 22 ans pour le faire. Je présume que cela a déjà commencé.
Pourquoi voudriez-vous amorcer l'élimination du nucléaire en vous attaquant à un projet de loi qui ne concerne que le financement, plutôt que de proposer un projet de loi autonome?
Mme May: Au cours des ans, nous avons appuyé un certain nombre de projets de loi émanant de députés portant sur des questions comme le réexamen de la Loi sur la responsabilité nucléaire pour égaliser les chances dans l'industrie nucléaire. Nous avons parlé de la question dans le contexte des audiences de l'Office nationale de l'énergie et dans le cadre d'autres textes législatifs. Si vous nous demandiez quelle est notre première priorité en ce qui concerne l'industrie nucléaire, ce ne serait pas le cas particulier des prêts potentiels à British Energy et à Bruce Power.
Pour avoir connu le fonctionnement de l'appareil gouvernemental, je sais que le dépôt de projets de loi n'est pas une mesure que le gouvernement prend à la légère ou qu'il prend pour régler des cas particuliers. Je trouve inacceptable que ce projet de loi se retrouve devant le comité de la Chambre, qu'il soit adopté et qu'il se retrouve maintenant devant le Sénat. Lorsque j'ai comparu devant le comité de la Chambre, j'ai eu le sentiment que de nombreux membres du comité trouvaient que c'était inacceptable et se demandaient pourquoi le projet de loi était devant eux. Vous pouvez lire les comptes-rendus. De nombreuses questions pertinentes posées par les membres de la Chambre n'ont pas reçu de réponse satisfaisante. La seule réponse — et cela ressemble presque à un ultimatum —, c'est qu'il faut adopter le projet de loi parce que les banques en ont besoin. Cela ressemble à un abus du processus gouvernemental.
Le sénateur Milne: Je dois dire que je trouve plutôt inacceptable que vous essayiez de changer toute la structure régissant l'énergie nucléaire ou la politique du gouvernement en cette matière en vous attaquant à ce projet de loi particulier. Je pense que si c'est là votre intention, vous devriez plutôt avoir recours à un texte de loi autonome déposé en temps opportun, ce qui permettrait à tout le monde d'être informé de l'ensemble de la question. On ne devrait pas le faire en s'en prenant à une disposition touchant un projet de loi particulier.
Pensez à la situation qu'a vécue l'Ontario l'an dernier; la pénurie d'énergie était réelle. Étant donné que nous sommes dans une situation de changement climatique — nous devrons vivre avec des étés plus chauds et des hivers plus froids —, si nous n'adoptions pas ce projet de loi, que proposeriez-vous à court terme à l'Ontario comme moyen peu coûteux et rapide d'avoir l'énergie dont elle a besoin?
M. Stensil: Il y a plusieurs choses. Même au Canada, nous n'avons pas de lignes de distribution d'électricité entre l'Ontario et le Québec. Il y a beaucoup d'électricité de bonne qualité qui peut être fournie très rapidement.
Le sénateur Milne: N'allez pas sur ce terrain.
Mme May: Je ne veux pas me porter à la rescousse de M. Stensil, mais ce que nous avons envisagé, c'est une centrale d'électricité pour l'Ontario. Une des raisons pour lesquelles nous sommes vulnérables et que nous avons des pénuries, c'est le manque de fiabilité de l'énergie nucléaire. Sept réacteurs ne sont pas en service en ce moment. Dans un contexte de changement climatique, nous nous devons d'investir notre argent là où il produira le plus d'effet. L'investissement de capitaux dans l'énergie nucléaire ne répond pas à ce critère. La solution la plus sensée, c'est de nous assurer de retirer le maximum de productivité énergétique de l'énergie que nous utilisons.
Nous avons mis sur notre site Web une étude produite par la Campagne contre l'expansion du nucléaire, appelée Kyoto and Beyond, qui montre qu'il est possible, par des mesures d'efficacité énergétique, de réduire la quantité d'énergie que nous utilisons d'environ 50 p. 100 d'ici à 2030. Nous atteignons ainsi les objectifs de Kyoto et nous allons même au-delà. Nous serions également en mesure de déclasser les réacteurs nucléaires existants et les centrales thermiques alimentées au charbon qui restent. Ce scénario suppose que l'on utilise l'énergie de manière plus intelligente. Nous avons besoin du long terme pour mettre à profit plus de sources d'énergie renouvelable, mais à court terme, ce que nous pouvons faire de mieux pour obtenir le plus d'effet pour l'argent investi, c'est d'améliorer notre efficacité énergétique.
M. Stensil: J'ai vécu à Toronto entre 1995 et 2000 et j'ai vu la différence dans le smog. C'était à l'époque où l'on a fermé les réacteurs nucléaires. Qu'avons-nous fait lorsque les réacteurs ont été fermés? Nous avons commencé à brûler beaucoup de charbon. La solution envisagée pour sortir de ce cul-de-sac a été de remettre les réacteurs en service, alors nous avons investi des milliards dans ce projet. Cela a eu un effet dissuasif sur les sources d'énergie nouvelles, fiables et sûres. En termes de marché, Pickering occupe tellement d'espace qu'on peut se demander qui voudrait investir en Ontario pour développer de nouvelles technologies lorsqu'on ne sait même pas si la nouvelle source d'énergie sera utilisée.
Le sénateur Milne: Si vous voulez parler de sources d'énergie propre, en comparant le nucléaire à toutes les autres formes d'énergie, c'est là un débat que je brûle d'entreprendre avec vous. Il s'agit également d'une situation à long terme. Mais ce qui m'inquiète pour l'instant, c'est comment pouvons-nous répondre aux besoins énergétiques des gens du sud de l'Ontario l'été prochain. Il me semble que la seule façon qu'il soit possible de le faire, c'est de remettre en service certaines de ces centrales. Il ne faut plus jamais construire de centrales thermiques alimentées au charbon.
Mme May: Sauf votre respect, je ne pense pas que les réacteurs nucléaires puissent être remis en service l'été prochain. Le retubage prendra beaucoup de temps.
Le sénateur Milne: N'a-t-on pas parlé de juin dans le cas de Bruce? C'est de cela dont nous parlons aujourd'hui.
M. Stensil: Dans d'autres provinces, au Nouveau-Brunswick, par exemple, un débat fait rage actuellement sur Point Lepreau. La centrale doit être fermée ou reconstruite, à des coûts encore inconnus. La Commission des entreprises de service public du Nouveau-Brunswick a jugé que la proposition de retubage était financièrement risquée. Encore une fois, il s'agit de remettre en service cette énorme centrale nucléaire, en prenant la chance qu'elle fonctionnera pendant encore vingt ans, alors que cette centrale n'a jamais eu de très bons antécédents. Mais a-t-on pris des engagements pour développer de nouvelles sources d'énergie? En Europe, les gens se sont demandés si c'était une solution viable, et en sont arrivés à la conclusion que ce n'était pas le cas. Ils ont ensuite décidé de dresser un plan qui était logique, bon pour les travailleurs et qui assure une source d'énergie stable et sûre.
Le sénateur Milne: Monsieur le président, je suis d'accord avec Mme May. C'est une question qui a besoin d'être débattue. Elle ne devrait pas être débattue ou contestée par la porte arrière. Il s'agit de quelque chose dont on doit débattre ouvertement et j'ai l'intention d'appuyer ce projet de loi.
Le président: Nous devons nous assurer de traiter de la substance du projet de loi aujourd'hui.
Le sénateur Buchanan: Je tiens à remercier les témoins d'avoir comparu devant le comité.
Nous n'avons pas de centrales nucléaires en Nouvelle-Écosse et plusieurs premiers ministres successifs ont clairement laissé entendre que nous n'en aurions pas parce que nous avons du charbon. Si nous tordons un peu cet argument, nous pouvons dire que maintenant, nous n'avons plus de charbon. Il est intéressant que nous continuions de brûler du charbon. Mais malheureusement, ce n'est pas notre charbon local, mais du charbon qui vient des États-Unis ou d'Amérique du Sud; mais il reste que 80 p. 100 de nos besoins énergétiques sont encore comblés par le charbon et le reste, par le pétrole et un peu par le gaz naturel. Et il y a la question de l'avenir qui se pose.
Que ferons-nous dans l'avenir? Il ne nous reste plus que quelques petites mines de charbon à ciel ouvert et les autres ont été fermées. Quel sera l'avenir de la Nouvelle-Écosse du point de vue énergétique? Premièrement, il n'y aura pas de centrales nucléaires. Deuxièmement, on ne construira pas de nouvelles centrales thermiques alimentées au charbon. Troisièmement, certaines de nos centrales au charbon seront converties au gaz naturel. Cela a déjà commencé avec la centrale de Dartmouth dont une des unités fonctionne parfois au gaz naturel.
Je sais que Mme May sera heureuse de savoir que quelque chose qu'elle préconise depuis de nombreuses années commence maintenant à prendre forme, lentement mais sûrement: nous avons des éoliennes au Cap-Breton et dans l'ouest de la Nouvelle-Écosse. C'est quelque chose que n'aurais jamais cru voir un jour, mais nous l'avons maintenant. Nous sommes progressistes dans ce sens. L'avenir appartiendra au gaz naturel et à l'énergie éolienne et, peut-être, à l'énergie solaire.
Mme May: La centrale marémotrice que vous avez fonctionne.
Le sénateur Buchanan: J'ai procédé à l'ouverture de la toute première centrale marémotrice au Canada et la seconde seulement en Amérique du Nord.
Le président: Je dois vous demander de revenir au projet de loi.
Le sénateur Buchanan: Je vais donner mon appui à ce projet de loi parce que je crois qu'il est de nature administrative seulement et qu'il permettra aux centrales nucléaires de l'Ontario d'obtenir un certain financement qu'elles ne pouvaient pas obtenir auparavant. Les facteurs de sécurité seront renforcés et nous n'aurons pas de centrales nucléaires en Nouvelle-Écosse. Êtes-vous d'accord avec cela, madame May?
Mme May: De quelle partie parlez-vous?
Le sénateur Buchanan: Je sais que vous n'êtes pas d'accord avec la première partie, mais êtes-vous d'accord avec la seconde?
Mme May: Absolument.
Le sénateur Spivak: Je suis toujours préoccupée par la question de savoir qui sera responsable et jusqu'à quel point. Lorsque je regarde cette question dans l'optique d'une catastrophe majeure, il me semble — et je me demande ce que vous en pensez — que ce sera les contribuables et le gouvernement du Canada qui en feront les frais. Nous savons déjà qu'au-delà d'une certaine somme, le gouvernement de l'Ontario sera responsable.
Le fait d'exclure les prêteurs à ce moment-ci ne me pose aucune difficulté, mais je me demande quelle est votre opinion, étant donné votre expérience, sur la responsabilité réelle des Canadiens dans cette entente particulière?
Mme May: Dans un certain sens, le fait que cette question vous parvienne sous forme de modification d'un projet de loi, qui touche un fragment de phrase, voile la réalité et cache le problème plus vaste. Je sais que j'ai concentré mon intervention sur le projet de loi, mais je pense que pour répondre à votre question, nous devons reconnaître que la Loi sur la responsabilité nucléaire est le principal instrument qui limite la responsabilité de tout propriétaire ou exploitant d'un réacteur nucléaire au Canada à 75 millions de dollars, même en cas de catastrophe majeure. Il s'agit d'une disposition qui limite tellement la responsabilité. C'est pourquoi je trouve si curieux qu'on ait besoin de la changer. Cette question ne concerne que le type de contamination qui peut survenir sur le site et où la contamination est survenue d'une telle façon que le commissaire peut procéder à des audiences publiques. Cela donne à entendre que nous ne traitons pas ici d'une situation d'urgence. Il y a d'abord des audiences publiques et ensuite, le commissaire peut décider, en vertu d'un pouvoir discrétionnaire, en plus de déposer un avis de contamination au Bureau de la publicité des droits, d'ordonner au propriétaire ou à l'exploitant, ou il pourrait désigner un prêteur, pour prendre les mesures réglementaires pour décontaminer le site.
Il s'agit d'un ensemble de faits restreint et discret qui n'a aucun rapport avec les risques plus importants liés à l'exploitation de la centrale. Ces risques sont pour la plupart couverts par la Loi sur la responsabilité nucléaire. En examinant ces données, je ne pense pas que le gouvernement a donné une raison suffisante qui justifie le changement au projet de loi. Vous pouvez dire qu'il s'agit d'un projet de loi d'ordre administratif, mais rien ne s'est produit dans l'environnement juridique au cours des cinq dernières années qui justifie un tel changement. Voici quelque chose qui donne au commissaire le pouvoir discrétionnaire — pas toujours, mais parfois —, lorsqu'il estime que la chose est appropriée, de rechercher l'aide financière d'un prêteur pour le nettoyage d'un site contaminé. C'est tout.
Le sénateur Spivak: Je n'ai pas bien posé ma question. Est-ce que le libellé que nous avons ici impose légalement une responsabilité illimitée aux personnes nommées ici, c'est-à-dire, le propriétaire ou l'exploitant ou toute autre personne? Est-ce que la responsabilité est illimitée? En d'autres mots, n'y a-t-il pas de plafond à cette responsabilité? De toute évidence, nous savons qu'en cas de catastrophe majeure, aucun gouvernement ne pourrait rester impassible si personne n'était en mesure de remplir ses obligations. Y a-t-il ici une responsabilité illimitée pour les personnes nommées?
Mme May: Leur responsabilité est limitée par une autre loi.
Le sénateur Spivak: Il s'agit d'une tierce partie. C'est ce que je ne comprends pas clairement. On parle d'une tierce partie, les 75 millions de dollars. Voyez-vous ce que je veux dire?
Mme May: Il n'y a certainement pas de plafond à la responsabilité à l'article 46, mais l'étendue du nettoyage est plus limitée.
Le président: Non, l'étendue de ceux à qui on pourrait demander de payer le nettoyage.
Mme May: Mais également l'étendue du nettoyage, parce que cette disposition concerne un lieu, un véhicule ou un événement qui pourrait vraisemblablement se produire. Alors, le commissaire entreprend des audiences et cela ne ressemble pas du tout au scénario de l'accident plus important.
Le président: Toutefois, vous parlez de l'ensemble du projet de loi, non pas de l'amendement au projet de loi.
Mme May: Je parle du projet de loi dans son ensemble.
Le président: L'amendement au projet de loi n'a aucun effet sur les personnes ou les choses visées par le projet de loi.
Mme May: Non, je suis branchée sur l'amendement proposé au projet de loi dans l'article dans lequel on le retrouverait et j'essaie de voir ce que cela pourrait signifier.
Le sénateur Spivak: Nous parlons ici de responsabilité. C'est de cela dont nous parlons et nous savons qui est exclu. Ma question, c'est quelle est alors la responsabilité en termes de propriété privée. Si elle est illimitée, cela me rassurerait davantage que de penser que, comme d'habitude, le gouvernement et les contribuables canadiens seront