Délibérations du comité sénatorial permanent
des pêches et des océans
Fascicule 2 - Témoignages du 3 décembre 2002
OTTAWA, le mardi 3 décembre 2002
Le Comité sénatorial permanent des pêches se réunit aujourd'hui à 19 h 08 pour étudier, afin d'en faire rapport de façon ponctuelle, les questions relatives aux stocks chevauchants et à l'habitat du poisson.
Le sénateur Gérald J. Comeau (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Bonsoir et bienvenue à tous. Nous avons le plaisir d'accueillir ce soir M. Gus Etchegary, de la Fisheries Crisis Alliance, qui a commencé dans la pêche en 1945. M. Etchegary a été intronisé au temple de la renommée de la province en soccer; il a dirigé la plus grande entreprise de transformation du poisson de Terre-Neuve et du Labrador, la Fisheries Products International, et occupé le poste de président du Conseil des pêches du Canada. Sa vaste expérience des pêches lui a valu des nominations au sein de l'Organisation des pêches de l'Atlantique Nord-Ouest, l'OPANO, et de l'organisme qui l'a précédée, la Commission internationale pour les pêcheries de l'Atlantique Nord-Ouest ou CIPAN. M. Etchegary lutte depuis longtemps contre la surpêche étrangère et se présente ce soir devant le comité au nom de la Fisheries Crisis Alliance.
M. Gus Etchegary, porte-parole, Fisheries Crisis Alliance: J'aimerais d'abord vous remercier de m'avoir invité.
Nous avons un énorme problème à affronter dans le secteur des pêches à Terre-Neuve et au Labrador. En réalité, c'est toute la côte Est canadienne qui fait face à un énorme problème, mais la situation est particulièrement difficile à Terre-Neuve et au Labrador.
Je vais d'abord vous expliquer en quoi consiste mon organisation. En 1993, lorsque le ministre des Pêches de l'époque, M. Crosbie, a annoncé un moratoire, la population a subi un choc. À l'époque, des centaines de communautés constituées en corporation situées sur la côte de Terre-Neuve dépendaient presque entièrement de la pêche pour leur subsistance. À la suite de ce moratoire, les chefs des cinq principales Églises ont formé une «Coalition des Églises», comme ils l'avaient appelée, qui regroupait principalement des évêques et des archevêques qui, naturellement, n'avaient pas beaucoup d'expérience dans le domaine des pêches. Cependant, ils devaient affronter d'épouvantables problèmes économiques et sociaux dans leurs communautés, aussi ils avaient décidé de faire front commun sur cette question épineuse.
C'est alors que nous sommes entrés en jeu — plusieurs confrères et moi-même avons été invités par les chefs religieux à donner des avis sur les aspects techniques des pêcheries. C'est ainsi que la Fisheries Crisis Alliance est née. La coalition des Églises a disparu il y a trois ou quatre ans. Notre groupe est formé principalement de confrères à moi: un ancien ministre des Pêcheries, un chercheur chevronné, deux ou trois anciens fonctionnaires et quatre ou cinq pêcheurs côtiers et hauturiers de grande expérience. Nous avons décidé de rester ensemble et de nous réunir environ une fois par mois, parfois avec des ministres des Pêches, des sous-ministres, des bureaucrates ou des chercheurs scientifiques. En dehors de cela, nous nous faisons un point d'honneur d'assister à des séminaires scientifiques, particulièrement lorsqu'ils traitent de l'évaluation des stocks, afin de nous tenir au courant de ce qui se passe dans le monde des pêcheries.
Par ailleurs, nous avons un site Web où nous invitons des tas de gens à participer à nos activités. Ce site comporte de nombreux liens visant à encourager les habitants de Terre-Neuve et du Labrador et du reste du Canada à se documenter sur les pêcheries. L'un de nos objectifs consiste à former, dans les années qui viennent, une association d'écoles de pêcheurs en vue d'améliorer le programme de cours qui y sont donnés au secondaire. Voici donc l'histoire de nos origines et de ce que nous accomplissons.
J'ai transmis aux membres du comité un exposé dans lequel je décris les stocks chevauchants ainsi que la gestion à titre de dépositaire. Par ailleurs, nous avons rédigé quelques notes dont je vais m'inspirer.
Très brièvement, j'aimerais vous livrer mes réflexions et mes opinions sur la situation qui prévaut actuellement et tenter de vous décrire notre position à cet égard.
La côte Est du Canada a souffert gravement de la surpêche et de l'absence de gestion. Pour un grand pays de pêche, laissez-moi vous dire que nous avons l'un des pires systèmes de gestion des pêches du monde. Il n'y a aucun doute là- dessus. Si nous comparons le Canada à l'Islande, à la Norvège et à bien d'autres pays que nous connaissons sur le plan des pêches, nous devons admettre que nous avons bien des raisons de nous inquiéter.
Terre-Neuve s'est jointe au Canada en 1949 en tant que membre fondateur de la Commission internationale pour les pêcheries de l'Atlantique Nord-Ouest, la CIPAN, qui a été formée afin de réagir à l'augmentation énorme du nombre de navires de pêches opérant loin de leur base au large de Terre-Neuve et du Labrador. Nous avons abandonné notre indépendance et nous sommes devenus une province canadienne, cinq ans après que les Islandais eurent obtenu leur propre indépendance des Danois.
Voilà une comparaison assez frappante. L'Islande compte 210 000 habitants et 75 à 80 p. 100 de son économie repose sur les pêches. L'Islande est complètement isolée du reste du monde, et pourtant, les chiffres indiquent — des chiffres exacts — que les Islandais se classent aujourd'hui à la cinquième place au monde pour le revenu par habitant. Ils devancent l'Allemagne, les États-Unis et quelques autres pays du monde industrialisé.
On peut se demander comment 210 000 personnes vivant sur une île isolée entre l'Amérique du Nord et l'Europe peuvent obtenir un niveau de vie aussi élevé. On s'interroge non seulement sur le niveau de vie, mais aussi, et tout visiteur de ce pays pourrait en témoigner, sur le fait qu'ils sont tous très bien éduqués — en effet, le taux d'alphabétisation est de l'ordre de 99 p. 100.
La capitale, Reykjavik, est tellement propre que l'on pourrait manger par terre. La population est en excellente santé et d'une productivité phénoménale, et ces gens ont mis au point l'une des meilleures technologies qui existent dans l'industrie de la pêche. De nos jours, la plupart des navires de pêche les plus gros et les plus perfectionnés, et plus particulièrement les navires usines qui transforment le poisson en mer, utilisent un matériel qui a été soit fabriqué ou du moins étudié et mis au point dans ce petit pays de 210 000 habitants.
Le moment est venu de réfléchir et d'examiner très attentivement la situation des pêches à Terre-Neuve et au Labrador et de la comparer à ce qui se passe en Islande, surtout à la lumière de ce que la province a apporté à la Confédération si on remonte jusqu'en 1949.
Nous vous avons distribué quelques graphiques afin de vous donner une meilleure idée de la situation. Avant que la province de Terre-Neuve et du Labrador ne se joigne à la Confédération, le nombre de poissons, la variété et la diversité des pêches étaient tels que le Canada se classait à l'époque au 14e ou 15e rang mondial pour la production de poisson. Le jour où Terre-Neuve et Labrador s'est jointe à la Confédération, le rang du Canada a aussitôt grimpé entre la cinquième et la sixième places au monde. Juste pour vous donner une idée des ressources qui existaient à l'époque.
Nous parlons beaucoup de la morue parce que c'est l'une des pêches les plus importantes. Néanmoins, la morue n'est pas la seule espèce que l'on récolte. Il existe beaucoup, beaucoup d'autres espèces de poisson de fond, de poisson pélagique et de crustacés qui ont une valeur inestimable. Sur le graphique, nous voyons une statistique publiée en 1962 par le ministère des Pêches et des Océans, le MPO, concernant la pêche de la morue. À gauche du graphique, vous voyez que l'on indique 1,6 million de tonnes. Ce chiffre correspond à l'importance de la biomasse de frayère — autrement dit, le nombre, le poids et le tonnage de la morue de sept ans et plus et, par conséquent, en âge de se reproduire.
De plus, à l'époque, il y avait environ 2,5 millions de tonnes de poisson de moins de sept ans et beaucoup plus jeune, jusqu'au stade larvaire.
Pour vous donner une idée des caractéristiques de la ressource: en 1962, il y avait sept ou huit ans que les flottes étrangères massives avaient été introduites, elles avaient vu le jour à la fin de la guerre pour combler la pénurie de protéines dans certains pays. Tous les pays européens, de l'Espagne jusqu'à la Bulgarie, en passant par la Russie, les pays Baltes et la Scandinavie, ont alors converti leurs chantiers maritimes à la construction de chalutiers plutôt que de navires de guerre. Ils ont construit des flottes massives. Si vous lisiez l'un des ouvrages publiés par M. Templeman dans les années 50 et 60, vous y verriez une statistique publiée en 1957 selon laquelle il y avait à l'époque 600 grands navires usines et 44 000 pêcheurs européens au large de la côte Est de Terre-Neuve et du Labrador. Cette situation a perduré pendant 35 ans sans aucune mesure de réglementation — et sans surveillance.
Je vais vous raconter une histoire de première main. Nous avons engagé un capitaine qui, avant de travailler pendant 10 ou 15 ans à Terre-Neuve, avait jadis navigué sur le premier ou le deuxième navire usine britannique à avoir été construit. Il m'a raconté que lors de leurs premiers voyages au Labrador, en 1953, ils s'enfonçaient jusqu'aux chevilles dans la fraie des poissons qu'ils avaient pêchés au large du Labrador dans, à ce qu'il m'a dit, trois ou quatre pieds de glace. Les navires de l'époque étaient construits avec la technologie que les Allemands avaient mise au point pour leurs sous-marins. Les gens de la Lloyds avaient mis au point une structure qui permettait aux navires de pêcher le poisson dans des glaces très épaisses.
Ces navires capturaient de grandes quantités de poisson frayant. Il ne faut pas s'étonner du résultat aujourd'hui parce qu'ensuite on a pêché sans aucune mesure de réglementation ou de conservation durant près de 30 ans.
Il faut savoir que le Canada était présent lorsqu'une commission sur les pêches que l'on appelait la CIPAN ou Commission internationale pour les pêcheries de l'Atlantique Nord-Ouest était censée contrôler cette activité. Bien entendu, ces pêches s'effectuaient à l'extérieur de la limite de trois milles pour commencer, puis par la suite à l'extérieur de la limite de 12 milles, aussi on peut dire que le Canada n'avait aucune compétence. J'ai assisté à plusieurs de ces réunions, et je peux vous dire que ce n'était pas très agréable d'être assis là à écouter des chercheurs nous livrer des statistiques effrayantes sur l'industrie de la pêche. Nous savions ce qui allait se passer dès 1971. Les choses n'ont pas commencé à se gâter brusquement en 1990. Nous avions anticipé la suite dès 1971.
Je pourrais vous raconter une expérience qui s'est déroulée dans cette ville. Elle a commencé par un exposé devant le premier ministre Trudeau et huit de ses ministres les plus influents au cours duquel on avait justement livré cette information. Se trouvait également dans cette pièce, en 1971, un certain Mitchell Sharp qui était alors ministre des Affaires étrangères. Les scientifiques et les pêcheurs qui vivaient la situation savaient très bien ce qui était en train de se passer. Ils savaient que tout allait s'effondrer au bout de 5, 10, 15 ou 20 ans. On déployait beaucoup d'énergie afin d'inciter le Canada à prendre position, même si je sais très bien qu'il ne pouvait tout simplement pas se rendre dans les eaux internationales et ouvrir les hostilités Toutefois, à mon avis, on aurait pu au moins tenter de monter une campagne d'information soutenue et concertée à l'intention de ces pays afin de les avertir de ce qui se passait. C'aurait été dans l'intérêt de tous les participants à ces pêches, y compris les étrangers, de prendre des mesures pour corriger la situation par ce que, aujourd'hui, ces pays et notamment le Royaume-Uni et bien d'autres ont abandonné. L'Espagne et le Portugal et d'autres continuent de pêcher; mais certains ont cessé de venir parce que les taux de capture ont chuté trop bas à l'extérieur de la limite de 200 milles.
Certains pourraient se demander pourquoi les Espagnols continuent de venir pêcher ici? J'ignore si les honorables sénateurs sont au courant, mais les Espagnols ont reçu, en 2001, une subvention de un demi-milliard d'euros de Bruxelles pour financer leur flotte sur le Grand Banc de Terre-Neuve. C'est ce qui explique qu'ils soient en mesure de continuer à pêcher.
La pêche des étrangers est l'une des principales raisons pour lesquelles il n'y aura jamais de rétablissement. D'une manière ou d'une autre, le Canada doit cesser de faire des compromis et d'adopter — je suis désolé d'avoir à dire ça — cette attitude de mauviette lors des négociations internationales qui se déroulent chaque année; il doit prendre position. Je ne suis pas le seul à penser comme ça. Je peux assurer les honorables sénateurs qu'il y a des gens qui ont beaucoup plus d'expérience que moi et qui sont dans le domaine depuis autant d'années et qui vous diront que nous avons une chance de nous en sortir, pourvu qu'Ottawa fasse preuve de bonne volonté et montre qu'il a du coeur au ventre.
Soit dit en passant, notre organisation est apolitique. Je tiens à ce que cela soit clair. Le fait est que les administrations successives ont adopté la même attitude. Parfois, on se demande si cette attitude est prise délibérément; néanmoins, nous ne pouvons spéculer sur la question. Aussi, à moins que le gouvernement du Canada ne décide d'adopter une position ferme face à ces gouvernements qui subventionnent les pêcheries telles qu'on les connaît actuellement, nous n'aboutirons à rien.
Que se passera-t-il? Depuis 1993, 50 000 personnes ont quitté Terre-Neuve et le Labrador. Je peux vous garantir que d'autres personnes vont quitter la province, si on annonce un autre moratoire en mars. Sur le plan scientifique, il faudrait qu'il y en ait un. Cela ne fait aucun doute. La seule raison qui, à mon avis, pourrait empêcher un nouveau moratoire serait un soulèvement de la population. Les pêcheurs de Terre-Neuve et du Labrador ne vont pas rester les bras croisés et accepter un autre moratoire pendant que 30, 40, 50, 60, 70 navires et 16 ou 17 nations pêchent juste sous leur nez, débarquent ce poisson dans nos ports et le transbordent jusque dans leur pays d'origine ou alors l'expédient en Chine où il est traité par une main-d'oeuvre qui reçoit 10 cents de l'heure. Ces conditions leur permettent d'obtenir tous les biens et services dont ils ont besoin pour faciliter leur exploitation au prix le plus bas possible. Cette situation, en plus des subventions que ces pêcheurs reçoivent de la Communauté européenne dans bien des cas, déclenchera au printemps une réaction comme on n'en a jamais vu auparavant.
Néanmoins, ceci ne va pas améliorer les choses et, soit dit en passant, la morue n'est pas le seul problème. Il se pêche d'énormes quantités de limande, d'aiglefin et de turbot. Il y a notamment quatre navires russes qui appartiennent à deux Russes vivant à New York et qui ont signé un contrat avec un courtier de Hong Kong. Ces navires débarquent régulièrement à Terre-Neuve depuis trois ans et expédient le poisson dans des conteneurs par le canal de Panama pour le faire traiter en Chine à 10 cents de l'heure. Comment pouvons-nous, en tant que nation, permettre que de telles choses se produisent, cela me dépasse complètement.
Pourquoi est-ce que le MPO et ses fonctionnaires ne préviennent pas les ministres influents et le premier ministre de cette situation? Cela me dépasse complètement ainsi que beaucoup d'autres qui ont compris. Voilà le genre de situation que nous devons affronter.
Vous savez, les gens diront: «L'Islande? Et alors?» Peut-être que les conditions du milieu ont eu une incidence sur Terre-Neuve et le Labrador ainsi que sur la côte atlantique du Canada. Si quelqu'un nous fait cette réflexion, et cela ne manquera pas d'arriver, est-ce qu'on pourrait alors demander pourquoi l'Islande, la Norvège, les Îles Féroé et le Groenland, qui sont dans le même hémisphère dans l'Atlantique Nord, juste à côté de Terre-Neuve et du Labrador, ont des pêcheries extrêmement bien gérées qui leur permettent d'avoir une qualité de vie et un revenu qui les situent à la cinquième ou sixième place dans le monde. L'explication est qu'ils gèrent leurs pêcheries.
Je ne veux pas simplifier à outrance, mais je peux vous assurer que si vous preniez le temps de lire les mesures réglementaires qui sont appliquées en Islande, en Norvège, dans les Îles Féroé ainsi qu'au Groenland à cet égard, vous verriez que ces gouvernements imposent des restrictions très sévères concernant le type d'engin de pêche et la dimension des mailles parce que ce sont des éléments importants du facteur d'échappement pour les juvéniles. Il faut laisser les petits poissons s'échapper pour leur permettre de grandir et de se reproduire. Si on ne le fait pas, alors on est mal parti. Il existe une loi dans ces pays nordiques qui empêche les pêcheurs de débarquer délibérément des juvéniles.
Si, par hasard, on rencontre beaucoup de petits poissons dans les champs de pêche artisanale, les pêcheurs le signalent immédiatement à l'institut scientifique et cinq ou six chercheurs sont dépêchés sur les lieux. Les pêcheries sont fermées jusqu'à ce que les scientifiques puissent fournir une explication et trouver un moyen de corriger le problème.
Cette attitude est tellement différente de celle du MPO au Canada, ou à Terre-Neuve et au Labrador, que c'est un peu comme un conte de fées, et je n'exagère pas. Je ne vous dis que la vérité.
Si vous regardez ce graphique, vous voyez que les chiffres sur les pêches partent de 1,6 million à 70 000 tonnes et se rétablissent ensuite. Le point bas correspond à l'époque où on a établi la limite de 200 milles en 1978.
Les choses auraient dû se passer autrement, étant donné ce que nous savions. Lorsque je dis «nous», je veux parler des chercheurs confirmés dépositaires d'un énorme savoir collectif et qui savaient précisément ce qui allait se produire.
Plusieurs de ces chercheurs faisaient des recommandations, non pas de cesser complètement les pêches, mais de les réduire afin de permettre le rétablissement des populations. Vous voyez cette ligne qui traverse le graphique ici? C'est la ligne de 1,2 million, un niveau établi par les chercheurs pour la biomasse de fraie des poissons âgés de sept ans et plus afin de permettre de reconstituer le stock sur une certaine période. On n'a pas tenu compte de ces limites.
Non seulement ont-elles été ignorées, mais un ministre fédéral des Pêcheries de l'époque avait plutôt accordé une subvention. J'ai la lettre ici, dans mon dossier, elle est datée du 1er octobre 1978. Cette subvention visait à encourager les chalutiers hauturiers canadiens à revenir pêcher au large du Labrador dans une zone où les pêcheries avaient été annihilées pendant plus de 30 ans par les pêcheurs étrangers. Et ne voilà-t-il pas qu'en janvier 1978, près de 150 chalutiers canadiens sont revenus dans ce secteur pour s'attaquer aux jeunes morues concentrées là pour la fraie, parce que la période de fraie s'étend de janvier à avril. C'est à cette période que les chalutiers ont été encouragés à pêcher d'énormes quantités de petits poissons; 80 p. 100 de ces poissons étaient tellement petits que l'on a dû les classer dans la catégorie de qualité inférieure appelée «bloc de morue». Ces poissons étaient expédiés aux États-Unis où ils étaient transformés en bâtonnets de poisson et déjeuners de poisson alors que ces captures donnent le plus bas rendement sur le marché.
Dans l'intervalle, les Islandais et les Norvégiens étaient occupés à récolter un poisson qui donnait un rendement de 20 à 25 p. 100 plus élevé en fonction des prix américains.
Deux ou trois secteurs de la flotte ont protesté contre cette décision du ministre en faisant valoir les arguments suivants. Premièrement, les navires qui devaient participer à cette pêche n'avaient pas été construits pour naviguer dans les eaux froides du Labrador. Ils avaient été conçus pour pêcher sur la côte Sud de Terre-Neuve et au large du plateau néo-écossais et sur le Banc Georges, en eau libre. Deuxièmement, bon nombre d'entre nous ne voulaient pas aller pêcher là-bas parce que nous savions très bien que 80 p. 100 du poisson devrait être transformé et vendu sur le marché à un prix inférieur, et c'est exactement ce qui s'est produit.
Cet effort de pêche a été mené durant environ cinq ans, jusqu'à ce qu'il soit aboli. Puis le moratoire de 1993 a été décrété. La situation ne s'est pas rétablie depuis en raison de la surpêche étrangère. Même si ces bateaux ne concentrent pas leurs efforts seulement sur la morue, il reste qu'ils récoltent de grandes quantités de morue dans leurs prises accessoires. Tous les pêcheurs savent bien qu'il n'existe aucun moyen, si l'on pêche la limande ou le turbot, d'éviter de pêcher de la morue; par conséquent, de grandes quantités de morue sont débarquées et prises par les Espagnols et les Portugais en particulier, mais également par d'autres.
C'est ce que l'on appelle la surpêche. En plus de cela, la population de phoques échappe à tout contrôle. Nous avons fait des copies de ces renseignements scientifiques à l'intention des honorables sénateurs. Lorsque vous aurez l'occasion d'en prendre connaissance, vous découvrirez qu'après plus de 50 ans dans le métier, à nous efforcer de comprendre ce qui se passe dans nos pêcheries, nous ne savons toujours pas avec précision, comme l'affirme ce chercheur, quel est le lien réel existant entre le capelan en tant que poisson comestible et la morue.
Un autre fait extrêmement déprimant est que nous avons une population de plus de 5 millions de phoques. Cette population compte notamment les phoques gris, que le sénateur Comeau connaît bien. Ils se retrouvent au large du plateau néo-écossais. Ils se sont répandus. Il y a également des phoques du Groenland et des phoques à capuchon.
Le gouvernement fédéral ainsi que le ministère des Pêches et des Océans, plus particulièrement, ont délibérément omis d'informer le public concernant la consommation réelle de morue ou de poisson de fond par les phoques.
Beaucoup de pêcheurs ont une idée assez précise de cette consommation. Toutefois, l'information anecdotique n'a pas beaucoup de valeur.
Mes amis et moi nous avons prêté l'oreille aux habitants de notre province. Ils étaient ici hier. Ils sont tous très excités et très inquiets, et avec raison, au sujet de la surpêche étrangère. La surpêche représente un problème réel. Cela ne peut absolument pas être mis en doute, comme je l'ai déjà mentionné.
C'est un problème important, et il faut trouver le moyen de mettre fin à la surpêche étrangère. Toutefois, ce ne sont pas les pêcheurs étrangers qui sont notre plus grand défi, ici à Terre-Neuve et au Labrador, mais plutôt Ottawa. C'est là que se trouve notre problème.
Il ne s'agit pas d'un problème politique. Nous n'avons aucune inquiétude en ce qui concerne les aspects politiques de la question.
Il y a environ cinq mois — peut-être que certains sénateurs sont au courant — le Comité permanent des pêches et des océans de la Chambre des communes est venu à Terre-Neuve et a visité d'autres villes de la côte atlantique. Nous avons passé beaucoup de temps avec les membres de ce comité. Durant trois ou quatre jours, ils ont eu tout le loisir de recueillir des renseignements de première main sur la situation.
Ils ont fini par comprendre que l'une des solutions pour le Canada consistait à contrôler la région de la plate-forme continentale. Ce comité a d'ailleurs présenté une recommandation à cet effet.
Le ministre de l'époque a classé le rapport sans même en prendre connaissance. J'ignore si la recommandation a été mal comprise. La gestion à titre de dépositaire n'est pas une extension de compétence ni une mainmise du Canada ou encore des pêcheurs de Terre-Neuve ou de la Nouvelle-Écosse. L'idée était d'utiliser le terme «dépositaire».
La gestion à titre de dépositaire signifie qu'il faut se présenter devant l'Espagne et le Portugal et dire à ces pays que nous reconnaissons qu'ils pêchent depuis quatre siècles dans cette région et qu'ils ont des liens historiques avec elle. Toutefois, ces pays doivent comprendre que cette pêche a disparu. Au Canada, nous sommes prêts à serrer les dents, à fermer la pêche et à donner à la nature une occasion de se rétablir. Toutefois, ces pays doivent emboîter le pas. Ils doivent se joindre à nous et collaborer dans le domaine scientifique, quels que soient les paramètres, afin de rétablir cette ressource.
Lorsqu'elle sera rétablie, nous pourrons nous asseoir pour discuter. Étant donné les liens historiques de ces pays, ils pourraient participer de nouveau à la pêche, nous ne leur dirons pas de s'en aller et de ne plus jamais revenir. Nous leur disons plutôt que nous avons un problème économique et social colossal et que nous devons l'affronter. Ils doivent nous aider à corriger la situation. C'est cela que l'on entend par gestion à titre de dépositaire.
Plutôt que de se concentrer sur cet aspect de la question, que fait-on? Les recommandations sont mises au rancart, et dix jours plus tard, il y a une réunion de l'OPANO en Espagne où le premier point à l'ordre du jour pour les 18 nations réunies autour de la table est que le ministre du Canada n'est pas inquiet. Il ne mentionnera pas la gestion à titre de dépositaire. La position de négociation des Canadiens venait de s'écrouler.
Je ne pense pas que cette attitude ait été adoptée délibérément. Je pense qu'il s'agissait plutôt d'un malentendu. Ce devait être un malentendu, parce que la situation était tellement claire.
Il me semble que nous nous sommes perdus en cours de route. Des gens comme les honorables sénateurs à Ottawa doivent comprendre un peu mieux ce qui se passe. D'ici les dix prochaines années, nous risquons de perdre encore 50 000 habitants à Terre-Neuve. C'est inévitable. L'économie de Terre-Neuve affiche un taux de chômage qui doit frôler les 25 p. 100, peut-être un peu moins, alors que le taux de chômage national se situe quelque part entre 8 et 9 p. 100.
Nous avons environ 300 communautés, et toutes ont été encouragées au cours des 25 ou 30 dernières années à s'incorporer et à installer un réseau d'égouts coûteux, l'aqueduc, un système d'éclairage et toutes sortes de commodités qu'elles n'ont pas finalement les moyens de s'offrir. Les habitants de ces communautés doivent couper l'électricité dans les lampadaires parce qu'ils n'ont pas de budget d'éclairage. Ils n'ont tout simplement pas l'argent.
Dans beaucoup de ces communautés, la population vieillit parce que les plus jeunes et les plus instruits quittent la région pour le continent, les États-Unis ou ailleurs.
Voilà le problème. Je pourrais continuer comme ça longtemps, monsieur le président. Cependant, le fait est que nous devons convaincre le gouvernement du Canada, le premier ministre et le MPO du problème.
Je vais maintenant aborder l'aspect scientifique. Il est impossible de se doter d'une gestion des pêches comparable à celle de l'Islande ou de la Norvège à moins qu'elle ne soit fondée sur des bases scientifiques. On peut prendre l'avion et survoler les forêts de la Colombie-Britannique ou de l'Ontario et se faire une très bonne idée de leur étendue. On peut se faire une excellente idée de la ressource que représente cette forêt en très peu de temps.
Il est aussi facile de déterminer l'importance de l'industrie laitière au Québec ou encore de la culture du blé dans les Prairies. Toutefois, lorsqu'il est question d'une ressource qui se trouve à 1 000 mètres sous la mer, le bon sens nous dit qu'il faut faire ce que l'on appelle de la «recherche océanographique».
L'Islande possède trois grands navires de recherche océanographique. Sur la côte atlantique du Canada, du Banc Georges jusqu'au delà de la Nouvelle-Écosse, du Nouveau-Brunswick, de l'Île-du-Prince-Édouard, du Québec ainsi que de Terre-Neuve et du Labrador, il y a trois vieux navires. L'un d'eux était en radoub, il y a trois semaines, et le ministre avait une note sur son bureau dans laquelle on recommandait sa mise au rancart. Nous en avons entendu parler et nous avons multiplié les messages. Nous ignorons pour l'instant si ces messages ont porté fruit.
J'ai distribué aux honorables sénateurs un document rédigé par un certain Sandy Sandeman qui a pris sa retraite il y a six ou sept ans. Cet homme a occupé le poste de chercheur principal pour la région de St. John's pendant dix ou douze ans. C'est un homme brillant.
Il est arrivé à la conclusion que si l'on met ce navire au rancart, la recherche scientifique à Terre-Neuve et au Labrador reculera jusqu'au niveau où elle était en 1949. Il y a un graphique au verso du document à l'appui de cette information.
On y explique également qu'il y a en Europe 11 ou 12 grands navires de recherche océanographique qui ont pour territoire une zone légèrement plus grande que celle dont nous discutons. Voilà une indication de l'attention et de l'intérêt qu'accordent les Européens à la science en dépit de leurs mauvaises pratiques.
Nous faisons exactement le contraire.
J'ai presque honte de vous raconter ceci, mais il y a environ 12 ans, j'ai répondu avec deux autres personnes à l'invitation du gouvernement du Vietnam qui voulait réaliser une étude sur les pêcheries vietnamiennes afin de déterminer si elles pouvaient être concurrentielles sur le marché international. Après avoir visité Hanoï, nous nous sommes rendus dans le port de Haiphong. Un navire magnifique était amarré au quai, cadeau de la Norvège au peuple vietnamien. C'était un navire de recherche océanographique à la fine pointe de la technologie. Il y avait trois chercheurs scientifiques à bord dont les salaires étaient versés par les Norvégiens pendant deux ans afin d'enseigner aux Vietnamiens comment effectuer de la recherche océanographique.
Le navire n'avait pas quitté le quai en 16 mois parce qu'on n'avait pas suffisamment de carburant. Pouvez-vous croire qu'à St. John's Terre-Neuve, des navires de recherche océanographique du MPO sont restés amarrés au quai parce que la totalité du budget de carburant avait été épuisée?
Le sénateur Cochrane: Combien de temps sont-ils restés amarrés au quai?
M. Etchegary: Franchement, je l'ignore. On m'a parlé d'une note de service adressée aux capitaines et leur demandant de ne pas utiliser de carburant à moins d'être en action. Autrement dit, de conserver le carburant. On leur disait que lorsqu'ils étaient en mer, pour se rendre dans des secteurs de recherche ou pour effectuer des sauvetages, ils devraient essayer de naviguer à demi-vitesse.
C'est le genre de choses, monsieur le président, que nous devons porter à l'attention du gouvernement du Canada, et qui est mieux placé que vous pour le faire?
Le président: J'ai remarqué que vous aviez indiqué que ce problème avait été porté à l'attention du gouvernement à plusieurs reprises, comme vous l'avez montré sur ce graphique. Cependant, je ne peux m'empêcher de vous rappeler le témoignage de l'actuel ministre des Pêches et des Océans qui est venu nous dire ici même il y a quelques mois, que tous les problèmes liés à l'effondrement de la pêche de la morue étaient strictement attribuables à l'ancien gouvernement. Il a affirmé que tous les problèmes avaient commencé avec le gouvernement précédent et que l'on devrait également blâmer les gouvernements étrangers. Je ne peux pas m'empêcher de vous rappeler cette déclaration.
M. Etchegary: Il y a un livre écrit par M. Templeman, qui est de loin le meilleur chercheur que le Canada ait jamais produit. Ce livre a été publié en 1965 et s'intitule The Marine Fisheries of Newfoundland. Si jamais vous avez le temps, vous y lirez paragraphe par paragraphe des choses qui auraient très bien pu se retrouver dans les journaux d'hier. Et cela ne se produisait pas seulement dans les milieux scientifiques, et chez des gens comme M. Templeman. Ceux d'entre nous qui exploitaient des usines, embauchaient des milliers de personnes pour pêcher et conditionner le poisson et s'efforçaient de le commercialiser, tenaient aussi des dossiers. Nous avions des personnes très compétentes dans nos exploitations. Ces gens tenaient des dossiers, par exemple sur la taille du poisson. Vous ne réalisez peut-être pas ce qu'il en coûte pour conditionner un poisson de cette taille...
Le président: Pour le compte-rendu, nous dirons qu'il mesure environ deux pieds.
M. Etchegary: Entre 24 et 26 pouces. C'est ce que nous appelons un «poisson ayant une valeur sur le marché» et qui, dans des circonstances normales et avec une productivité raisonnable, permet à un transformateur de payer le salaire des pêcheurs et de réaliser un profit. Continuer à conditionner des poissons de 18 pouces va vous mener tout droit à la faillite. C'est ce que nous avions constaté en 1971.
Lorsque M. Kirby a rédigé son rapport en 1984, il était déjà 10 ans trop tard. Il n'y avait rien de nouveau sous le soleil. Nous le savions déjà en 1971 et en 1972.
J'ai apporté avec moi des documents qui montrent que 25 personnes de la Nouvelle-Écosse, du Nouveau-Brunswick, du Québec, de Terre-Neuve et de l'Île-du-Prince-Édouard sont venues à Ottawa et se sont réunies dans un grand immeuble à deux pas d'ici avec Mitchell Sharp, Jack Davis et Don Jamieson durant une journée et demie et leur ont présenté les statistiques du MPO, et non les nôtres, concernant la tendance que je vous montre maintenant sur ce graphique. Après l'exposé, Mitchell Sharp a déclaré: «Finalement, je comprends le fond du problème.»
Pour faire une histoire courte, M. Sharp, M. Davis et M. Jamieson ont déclaré: «Nous voulons que quatre ou cinq d'entre présentent une version abrégée de cet exposé devant M. Trudeau, et huit de ses ministres les plus influents.» Nous l'avons fait le matin suivant.
Je me rappellerai toujours de cette personne merveilleuse, Mme Sauvé, qui était assise au bout de la table. Nous avons terminé notre exposé et cette petite dame a déclaré: «Mon Dieu, tout le monde sait que s'il y a moins de poissons et qu'ils sont plus petits, nous risquons d'avoir des problèmes.»
Nous transmettions ce genre de renseignements quotidiennement en 1970, 1971 et 1972 comme quoi les poissons étaient de plus en plus petits. Nous présentions des statistiques au Cabinet qui montraient qu'entre 1965 et 1971, les prises d'un chalutier de 125 pieds étaient passées de 1 tonne par heure à 800 livres. Les prises d'un filet maillant avaient chuté de 500 livres par filet par jour à 50 livres par filet par jour. C'étaient les chiffres que nous transmettions à ces gens. Ces chiffres avaient d'importantes répercussions pour ce qui est du rendement sur le marché pour les petits poissons, et cetera.
À la fin de cette réunion, le gouvernement a déclaré qu'il se servirait de cette information pour procéder à l'extension de la compétence en matière de pêche. Nous avons été très heureux d'entendre cette déclaration. Je dois dire qu'à partir de ce moment, c'est devenu une question réelle, même s'il a fallu attendre huit ans avant l'extension proprement dite.
Nous insistions sur le fait que nous ne pouvions par survivre avec la limite de 200 milles. Nous devions obtenir une extension de la compétence en matière de pêche. Je ne pardonnerai jamais aux hauts fonctionnaires de l'époque avec lesquels nous discutions de ne pas avoir informé leurs patrons et les politiciens.
C'était pourtant fort simple. Il y a un petit graphique à la dernière page de mon exposé. Il n'était pas nécessaire d'être un génie pour comprendre que l'intersection de la ligne rouge avec le nez et la queue du Grand Banc et du Bonnet flamand devait leur mettre la puce à l'oreille.
Le problème venait de ce qu'il y avait une zone de pêche de premier ordre d'une superficie de 45 000 milles carrés à l'extérieur de cette ligne, et que le poisson la traversait. La saison de la pêche est ouverte pour les 18 à 20 nations qui ne suivent aucune mesure de réglementation.
Et justement, concernant l' «absence de mesures de réglementation», le graphique joint à mon exposé montre les chiffres réels sur les contingents et les prises pour l'Union européenne; vous pouvez tirer vos propres conclusions et constater qu'il n'y pas de contingents pour l'Union européenne. Et pourtant, entre 1986 et 1991, ces pays ont pris quelque chose comme 40 000 à 70 000 tonnes de poisson à même les zones de pêche de premier ordre situées au large des côtes de Terre-Neuve et du Labrador. Ces pêches ont été faites au nez et à la barbe des fonctionnaires canadiens — qui ont fermé les yeux. C'est une question complètement apolitique, aussi je vous affirme que les gouvernements successifs n'ont jamais saisi l'importance de cette pêche.
Le sénateur Cook: Monsieur Etchegary, votre réputation n'est plus à faire à Terre-Neuve. Je me contenterai de dire que nous devons faire les choses différemment. Je suis assis ici et pourtant, je me rappelle avoir grandi dans un petit port isolé; en 1962, nous avons commencé à faire les choses différemment, n'est-ce pas? C'était la fin de l'ère du Grand Banc et de la pêche avec ligne et hameçon et le début de la flotte de chalutiers. Comme mon père l'aurait dit à l'époque, et je suis sûr qu'il le répéterait aujourd'hui, c'est à ce moment-là que nous avons commencé à violenter les océans. Il ne fait pas de doute à ce sujet dans mon esprit. Nous avons fait les choses différemment.
Je crois vous avoir entendu dire que le MPO, par l'entremise des gouvernements successifs et durant toute cette période de temps, n'a pas entendu vos recommandations et n'en a pas tenu compte. Je me préparais à entendre parler de l'OPANO aujourd'hui, mais maintenant je me retrouve devant un plus gros problème: le MPO ne comprend pas ce qui se passe et ne défend pas les intérêts de la côte atlantique du Canada. Alors, par quoi devons-nous commencer?
M. Etchegary: La transition entre l'ère du poisson salé et celle de l'industrie du poisson congelé frais a commencé durant la guerre et a évolué rapidement. À cette époque, le poisson était abondant et personne ne prêtait l'oreille à la politique de conservation du gouvernement ou aux bonnes pratiques de gestion. C'était très simple, il suffisait de sortir le poisson de l'eau.
Lorsque l'on examine les archives sur le nombre de poissons qui étaient pris par les pêcheurs de Terre-Neuve et du Labrador traditionnellement, des archives qui remontent aussi loin que 1875 — on voit que la pêche à la morue du nord se chiffrait à environ 200 000 tonnes. Et cette pêche aurait pu continuer indéfiniment si l'on avait maintenu ce rythme. Mais lorsque ce chiffre est passé à 1 million de tonnes, on a amorcé la dégringolade.
La nouvelle technologie a été introduite de manière inconsidérée parce que l'on n'exerçait aucune surveillance. La flotte de pêche canadienne paraissait bien minuscule par comparaison avec l'énorme flotte étrangère. Au fil des années, j'ai passé beaucoup de temps ici à discuter de questions comme celle-ci dans le cadre de mon travail, parce que l'homme qui a construit la société pour laquelle je travaillais m'avait dit que l'élément le plus important dans l'industrie était le poisson. Il m'avait dit de faire attention au poisson. Aussi, j'ai consacré la moitié de mon existence à cet aspect de la pêche.
Dans toutes ces années, je n'ai jamais rencontré une seule personne occupant un poste de haut fonctionnaire au ministère des Pêches et des Océans qui savait quoi que ce soit au sujet de la pêche. Je suis désolé de vous dire cela, mais aucun ne savait de quoi il parlait. Les fonctionnaires du Ministère n'avaient aucune expérience ni aucun antécédent. En Islande et en Norvège, les fonctionnaires qui s'occupent de l'application des mesures réglementaires se trouvent dans le même port — ils évoluent dans le même milieu de pêche. Ils ont des échanges avec l'industrie chaque jour, chaque semaine et chaque mois. On ne peut pas exploiter une pêche à partir d'un immeuble situé à Ottawa, à plus de 1 800 milles de distance. Bien entendu, des personnes qui ne comprennent rien aux aspects économiques de la pêche ne peuvent pas s'occuper de la question. Certains de ces fonctionnaires n'ont pas la moindre idée de ce qui se passe.
Je me suis rendu dans quelques capitales du monde avec la CIPAN et l'OPANO afin de participer à des assemblées annuelles et à des négociations. J'ai été commissaire auprès de ces deux organisations durant de nombreuses années. Nous venions à Ottawa où nous rencontrions trois ministres qui nous donnaient des instructions sur la façon de négocier. Il y avait toujours trois ou quatre personnes du ministère des Affaires étrangères et trois ou quatre autres du ministère du Commerce international. Je peux vous affirmer qu'en de nombreuses circonstances ces ministères avaient davantage d'influence sur les négociations qui se déroulaient en matière de gestion et de conservation des pêcheries que les propres fonctionnaires du ministère des Pêches et des Océans. On négociait des ententes comme la construction d'une usine d'automobiles en Ontario ou au Québec en échange d'un contingent de pêche sur le Grand Banc pour la Corée. Je ne vous raconte pas d'histoires, c'est la pure vérité. Au cours d'une de ces négociations, le Royaume-Uni a éliminé un tarif de 25 p. 100 sur le flétan de la Colombie-Britannique et en retour, le Canada a remis au Royaume-Uni un contingent au large des côtes du Labrador. Dans d'autres négociations qui tournaient autour des aéroports, on donnait accès aux lignes aériennes canadiennes dans des villes comme Amsterdam, Lisbonne et Madrid, et cetera.
L'un des grands problèmes, sénateur Cook, est que les personnes qui dirigent les dossiers des pêcheries n'ont pas l'expérience et les connaissances nécessaires. Autrement, ce qui nous est arrivé ne se serait jamais produit.
Le sénateur Phalen: Ce que vous nous avez présenté est très intéressant. M. Chamut, le sous-ministre adjoint à la gestion des pêches, du ministère des Pêches et des Océans, est venu témoigner il y a quelques jours. Nous lui avons posé quelques questions: est-ce que le problème des stocks chevauchants est unique au Canada? Est-ce que d'autres pays ont des problèmes similaires? Est-ce que la communauté internationale serait favorable à une extension de la zone économique? M. Chamut a répondu non.
Croyez-vous que la convention de l'OPANO pourrait être modifiée de manière à tenir compte des préoccupations des Canadiens?
M. Etchegary: Je pense qu'il s'agit d'une tâche difficile, mais que nous pourrions réussir si le gouvernement canadien était déterminé à faire quelque chose. Premièrement, il ne faut pas abandonner l'OPANO. Quiconque affirme que le Canada devrait quitter l'OPANO fait erreur. Au moins, l'OPANO est un forum où nous pouvons nous adresser aux interlocuteurs de l'industrie de la pêche.
Les Espagnols et les Portugais qui viennent ici pour pêcher notre poisson le font pour les mêmes raisons que nos pêcheurs côtiers ou nos pêcheurs hauturiers — c'est-à-dire pour répondre aux impératifs économiques et sociaux de collectivités en Espagne et au Portugal. Ces gens doivent avoir un intérêt prolongé à conserver la pêche. L'attitude que devrait adopter un pays convaincu du sérieux de la situation serait de faire en sorte que des gens compétents mettent au point une approche destinée à faciliter les négociations difficiles avec ces pays afin qu'ils réalisent ce qui se passe et qu'ils commencent à rétablir la ressource.
Le sénateur Phalen: Il semblait dire que cette approche ne suscite pas beaucoup d'intérêt à l'échelle internationale.
M. Etchegary: On peut dire cela, et au bout du compte, c'est peut-être exact, sénateur. Toutefois, il faut bien commencer quelque part. L'autre option est de ne rien faire.
Le sénateur Phalen: Je sais.
M. Etchegary: L'autre solution est de dire: «D'accord. Laissez tomber. Nous sommes fichus. C'est terminé.» Mais ce n'est pas la bonne façon de procéder. Il faut prouver aux Espagnols, aux Portugais et à tous les autres que c'est dans leur intérêt.
Le sénateur Phalen: Est-ce que le Canada peut prendre des mesures unilatérales et étendre la compétence au-delà de la limite de 200 milles?
M. Etchegary: J'ignore ce qu'un ancien ministre a voulu faire; cependant, il n'a pas accompli grand chose. Finalement, nous nous sommes retrouvés avec l'histoire du chalutier Estai et nous avons été éclaboussés, à dire bien franchement. Nous n'arriverons pas à forcer les gens à quitter les eaux internationales. C'est impossible.
Pour le moment, le Canada possède l'autorité sur toutes les espèces de fond à l'intérieur de la limite de 200 milles. Le crabe, les pétoncles et les palourdes appartiennent au Canada. Le Canada possède la pêche du crabe à l'extérieur de la limite de 200 milles, de même que celle des pétoncles et des palourdes. Aux termes des conventions des Nations Unies, le Canada a accès aux espèces qui vivent dans les grandes profondeurs. C'est un bon point de départ, parce que l'on peut très bien s'asseoir avec un Espagnol qui est un pêcheur averti et lui demander: «Quelle est la différence entre une plie qui vit dans le fond de l'océan et un crabe?» Pourquoi est-ce que quelqu'un a eu l'idée d'accorder à l'État côtier le droit de gérer la pêche au crabe, et non la pêche à la plie?
Pour le moment, le Canada possède un point de départ. C'est tout ce que je peux dire.
Le sénateur Phalen: J'ai participé à une réunion, il y a environ un mois, et j'ai entendu un commentaire comme quoi il n'y avait pas de preuve scientifique que les phoques mangent de la morue. Qu'est-ce que vous pensez de cette affirmation?
M. Etchegary: On a délibérément évité de se mettre dans la position où l'on devrait affirmer qu'il existe une relation de cause à effet. Je pense que c'est la meilleure réponse que je puisse donner à cette question.
Honorables sénateurs, je vous donne ma parole que lorsque vous lirez le document que je vous ai présenté, vous y verrez que l'un de nos meilleurs scientifiques affirme que les phoques mangent de la morue. En quelle quantité? Nous n'en savons rien. Toutefois, ils mangent bien de la morue. Et ils mangent aussi autre chose qui est tout aussi important, et en grande quantité, et je veux parler du capelan. Le capelan est la nourriture de la morue.
Le sénateur Mahovlich: Il me semble que vous êtes très contrarié, monsieur. Je vous comprends. Vous avez raison. Je suis originaire de l'Ontario et je ne suis pas un pêcheur. J'ai bien réussi à attraper quelques truites dans une pisciculture à Muskoka, mais c'est à peu près tout.
Je pense que c'est Pierre Trudeau qui a dit que le problème avec les poissons, c'est qu'ils nagent, et le poisson peut nager au-delà de la ligne de 200 milles. Où s'en vont-ils? Je suis allé à Kuujjuaq, une petite ville dans le nord du Québec. Les gens là-bas envisagent de faire l'élevage de l'omble chevalier dans un lac. L'omble chevalier va tout simplement nager jusqu'à l'océan. Et une fois qu'il sera dans l'océan, où ira-t-il? Il va probablement remonter jusqu'en Islande. Il est impossible de contrôler le poisson.
On peut dire la même chose de la limite de 200 milles. Vous avez aussi suggéré que l'on demande aux scientifiques de nous indiquer à quel endroit les poissons s'en vont et de surveiller toute cette zone de l'océan. Vous avez raison, il faut négocier avec les Portugais, parce que c'est un problème mondial maintenant. Il ne suffit pas de tirer un trait.
Je ne suis pas un pêcheur. Vous avez tout à fait raison, je ne connais rien à la pêche; cependant, je vois bien que vous êtes très contrarié. Et je comprends pourquoi. Il ne suffit pas de tirer un trait. C'est la raison pour laquelle ils viennent ici et pêchent notre poisson. Je pense que quelques sénateurs devraient écouter ce qu'ils ont à dire durant ces réunions. Nous n'avons pas encore trouvé la bonne solution à ce problème.
Vous avez parlé de l'Islande et de la façon dont ce pays gère les pêches. Est-ce que les Portugais et les Espagnols vont pêcher en Islande?
M. Etchegary: Non.
Le sénateur Mahovlich: Expliquez-moi pourquoi.
M. Etchegary: C'est simple, sénateur. L'Islande ne fait pas partie de la Communauté européenne.
Le sénateur Mahovlich: Est-ce que nous sommes membres de cette communauté?
M. Etchegary: Eux non.
Vous m'avez posé une question au sujet de l'Islande. Pourquoi est-ce qu'ils ne vont pas pêcher en Islande?
Le sénateur Mahovlich: Est-ce qu'ils vont pêcher en Norvège?
M. Etchegary: Non plus.
Le sénateur Mahovlich: La Norvège se classe au premier rang mondial.
M. Etchegary: Ou alors pas loin.
Il y a huit ans, par exemple, la Norvège a voté sur l'adhésion à la Communauté européenne et on a tenté d'inciter le gouvernement norvégien à voter en faveur. Le gouvernement lui-même était très favorable à l'Union européenne. J'avais des amis là-bas. Ils m'ont demandé de venir et de prononcer des discours devant des pêcheurs.
Le sénateur Mahovlich: J'y étais aussi. Je suis allé à Tronso.
M. Etchegary: Ils cherchaient une personne qui pourrait leur communiquer notre expérience. Ils voulaient persuader de plus en plus de personnes de voter contre l'entrée dans le marché commun. Malgré le fait que le gouvernement voulait se joindre à la Communauté européenne, le vote a été de 58 contre. Par conséquent, la Norvège ne s'est pas jointe à la Communauté européenne et l'Islande non plus.
Si ces pays y avaient adhéré, il leur serait arrivé exactement la même chose qu'au Royaume-Uni. Lorsque le Royaume-Uni s'est joint à la Communauté européenne, immédiatement, l'Espagne, le Portugal et tous les autres pays ont eu la possibilité de venir pêcher juste sous leur nez. Par conséquent, ils ont massacré le poisson qui s'y trouvait.
Vous me demandez pourquoi ils viennent ici. C'est en raison de l'exposition de cette zone située à l'extérieur des 200 milles.
Le sénateur Mahovlich: Le poisson franchit cette ligne.
M. Etchegary: Nous connaissons le schéma de migration de la morue. Par exemple, nous savons où la fraie a lieu et l'endroit où les poissons se déplacent après janvier, février, mars et avril. Malheureusement, de 20 à 25 p. 100 de ces poissons franchissent la ligne. Dans le cas de la plie, qui est une espèce extrêmement importante, les très importantes nurseries sont situées entre 15 et 20 milles à l'extérieur de la zone de 200 milles. Si vous allez dans un restaurant familial espagnol ou portugais un dimanche, on vous servira une assiette de cette dimension et sur le dessus vous allez trouver ces petites plies canadiennes qui proviennent du Grand banc et qui mesurent de quatre à six pouces. Ce sont de petits poissons immatures.
Les Espagnols, et surtout un segment de l'industrie que l'on appelle la pêche par paire qui est originaire du nord, du pays Basque, d'où viennent mes ancêtres, utilisent deux navires qui remorquent un énorme chalutier. En 1968 ou 1969, nous avons prouvé aux Espagnols qu'ils capturaient 50 p. 100 de plies à titre de prises accessoires avec leurs grands filets à morue. Ils ont massacré la ressource de plie.
Nous avons réussi à leur prouver cela, et soit dit en passant, en présence de responsables du gouvernement fédéral.
Je me rappelle m'être rendu à Madrid avec un groupe de personnes et y avoir présenté des chiffres afin de prouver aux Espagnols ce qu'ils étaient en train de faire.
Mais ils continuent à pêcher dans cette zone. Le ministère des Pêches et des Océans doit se débrouiller avec un budget considérablement réduit. Et, en passant, une bonne partie du personnel du MPO qui travaille dans la surveillance, avec la garde côtière, directement sur l'océan ainsi qu'à titre de chercheur et de technicien, sont des gens merveilleux qui ont un bagage énorme de connaissances et d'expérience.
Toutefois, deux années de travaux qui avaient été effectués sur un navire de recherche océanographique à St. John's sont maintenant périmées parce que l'on manquait de techniciens pour les analyser.
Le sénateur Hubley: Vous êtes une mine de renseignements, monsieur Etchegary. Nous avons d'autres questions à vous poser maintenant que nous avons entendu votre exposé. Mais je trouve que c'est formidable que quelqu'un de Terre-Neuve vienne nous expliquer ce qui se passe avec les pêcheries.
Si vous deviez recommander à ce comité de se concentrer sur quelque chose en particulier dans le cadre de notre étude des stocks chevauchants, quelle serait à votre avis le point le plus important? Vous avez parlé de l'OPANO et de ses tentatives pour protéger ces zones de fraie, et cetera. Que nous suggérez-vous?
M. Etchegary: Sincèrement, je pense que la structure actuelle du ministère des Pêches et des Océans, telle qu'elle existe aux termes de la Loi sur la protection des pêcheries côtières, ne peut pas fonctionner. Il y a cinq provinces de pêche sur la côte Est du Canada. Les pêcheries de l'Île-du-Prince-Édouard sont entièrement différentes de celles des quatre autres provinces. Le Québec a un semblant de pêche de poisson de fond, tout comme la côte Nord-Ouest de Terre-Neuve et du Labrador. À part cela, elles sont toutes différentes. Le Nouveau-Brunswick a des pêcheries dans la baie des Chaleurs et une autre dans le sud qui sont complètement différentes.
La Nouvelle-Écosse a toujours été une pêcherie importante et d'une certaine valeur, surtout parce qu'elle est constituée à 70 p. 100 de crustacés, comme le homard et les pétoncles. Je parle en termes de valeur. Pour cette raison, la Nouvelle-Écosse n'a pas été touchée par les problèmes des stocks chevauchants, comme Terre-Neuve.
Il faut reconnaître que l'on ne peut appliquer la même politique des pêcheries à la grandeur de la côte Est seulement parce qu'il se passe quelque chose à l'Île-du-Prince-Édouard. On ne peut appliquer la même politique à la côte du Labrador, parce que cela ne fonctionnera pas.
Un cadre supérieur pourrait diriger le service des pêcheries régionales à Terre-Neuve, avec l'aide d'un conseil de gestion formé de quelques représentants de Terre-Neuve et du Labrador dont il relèverait; il pourrait s'attaquer aux problèmes particuliers que représentent les stocks chevauchants de Terre-Neuve. Les pêcheurs de Yarmouth et de Blacks Harbour ou ceux de l'Île-du-Prince-Édouard ne s'inquiètent pas trop au sujet des stocks chevauchants. Mais, c'est un sujet de préoccupation pour les pêcheurs terre-neuviens ou du moins pour ceux qui sont responsables et professionnels. Et c'est un sujet de préoccupation qui risque de faire du grabuge au printemps 2003.
Il faut reconnaître que le ministre ne peut agir comme un dictateur, d'autant plus s'il manque d'expérience. Il faut savoir faire preuve de beaucoup de sagesse pour s'attaquer aux problèmes des pêcheries de la côte Est.
Une équipe de gestion dans la province de Terre-Neuve et du Labrador, dirigée par un bureaucrate de premier ordre et relevant du ministre, pourrait s'occuper des problèmes liés aux aspects scientifiques, réglementaires et d'application. Elle pourrait en outre s'attaquer au problème de déterminer la quantité de poisson que les phoques consomment et à d'autres sujets qui ne s'appliquent qu'aux pêcheries. Les problèmes seraient différents de ceux qui touchent les pêcheurs de l'Île-du-Prince-Édouard, par exemple.
Il faut que quelque chose change dans la structure. Politiquement, il se peut que ce soit difficile à réaliser, mais il faudrait que l'on fasse quelque chose dans ce genre. Toutefois, cela ne règle pas tout. Il y a tellement de problèmes; c'est une industrie complexe.
Par exemple, le sénateur Cook a mentionné la transition qui s'est faite en 1950 entre le poisson salé et l'industrie de la congélation, et tout ce qui s'est ensuivi. L'honorable sénateur a appelé cela «le commencement de la fin» et, dans une large mesure, je crois qu'il a raison.
Environ 80 p. 100 des prises des chalutiers islandais sont réalisées avec une queue de chalut formée d'un filet à mailles carrées qui laisse les jeunes poissons s'échapper. À Terre-Neuve, le même chalutier utilise un filet à mailles en forme de losanges qui ne laissent pas les petits poissons s'échapper. Nous tentons de démontrer cela au MPO depuis des années, mais on attend toujours leur réaction.
Le sénateur Hubley: Est-ce que la zone de frayère pour les pêches est une aire protégée?
M. Etchegary: Non, elle ne l'est pas. Au contraire, les poissons ont tendance à se concentrer lorsqu'ils fraient. Malheureusement, c'est à ce moment que l'on autorise les pêcheurs à utiliser des engins de pêche qui ne permettent pas aux jeunes poissons de s'échapper. Sur le Grand Banc, environ cinq zones ont été reconnues comme des champs de pêche prolifiques. S'il y avait des personnes compétentes sur place, ces zones auraient été fermées et inspectées tous les deux ou trois mois par des chercheurs afin de déterminer ce qui se passe. Aujourd'hui, nous ne savons rien à ce sujet. Vous avez mis le doigt dessus, sénateur, c'est une bonne question.
Le sénateur Cochrane: Vous nous avez donné beaucoup de matière à réflexion et il me semble que vous avez encore beaucoup de choses à nous apprendre. Chaque fois que vous dites quelque chose, peu importe ce que c'est, une question me vient à l'esprit. Je suis impressionné par votre vaste savoir.
En 1992, nous avons mis en place un moratoire sur la pêche de la morue à Terre-Neuve. Il y a dix ans de cela aujourd'hui, mais les stocks de morue ne se sont pas rétablis. Ai-je raison?
M. Etchegary: C'est exact.
Le sénateur Cochrane: Vous avez utilisé la phrase «lorsque les stocks seront rétablis». Combien de temps pensez- vous que cela prendra?
M. Etchegary: Cela n'arrivera jamais.
Le sénateur Cochrane: Nous avons attendu dix ans.
M. Etchegary: Les stocks ne se rétabliront pas tant que nous n'aurons pas reconnu plusieurs des raisons à l'origine de leur épuisement. Les pêcheurs ordinaires savent déjà que la surpêche étrangère, les phoques et les capelans sont à l'origine d'une partie du problème. Il nous faut des aires de conservation, des nurseries pour certaines espèces et des mesures de réglementation efficaces, particulièrement en ce qui concerne les activités de pêche étrangère.
On a beaucoup parlé des activités menées par les navires étrangers. Croyez-moi, nous ne faisons qu'effleurer le sujet. La pêche étrangère est un très gros problème.
Mais ce n'est pas le seul. Il y en a plusieurs autres que nous devons aborder. Je vous assure que ces ressources ne se rétabliront pas tant qu'il n'y aura pas eu un changement radical dans l'attitude du bureau du premier ministre, du premier ministre et du Cabinet du gouvernement fédéral au Canada. Autrement, nous sommes fichus.
Le sénateur Cochrane: Vous dites que nous devons nous attaquer à tous ces problèmes. Nous devons examiner la question des phoques et de la surpêche étrangère. Nous devons nous pencher sur le problème des filets et sur d'autres sujets aussi si nous voulons que les stocks de morue se rétablissent. Il faut aborder toutes ces questions.
M. Etchegary: Tout à fait. Il faut cesser la pêche au capelan. D'énormes quantités de capelans sont détruites afin de fournir à quelques Japonais des œufs de ces poissons. Il y a bien d'autres problèmes, sénateur Cochrane. Je ne fais qu'effleurer la question. Nous pouvons y arriver. Toutefois, pour le moment, il ne se passe rien du tout.
Le sénateur Cochrane: Le moratoire n'a servi à rien.
M. Etchegary: Le moratoire a été un exercice parfaitement inutile. Bien des gens en viennent à la conclusion qu'il s'agit d'un génocide culturel.
Le sénateur Cochrane: Permettez-moi de revenir à l'Espagne et au Portugal. Ce sont eux les coupables.
M. Etchegary: Ils ne sont pas les seuls.
Le sénateur Cochrane: Cependant, c'est bien de ces deux pays que nous entendons parler au moins depuis les 16 années que je suis ici.
Certaines personnes, dont je fais partie, sont allées jusqu'en Espagne pour évoquer les problèmes que nous éprouvons au large des côtes de Terre-Neuve devant le gouvernement. D'autres y sont retournées à maintes reprises. Et pourtant, il ne s'est rien passé.
M. Etchegary: C'est de l'argent jeté par les fenêtres.
Le sénateur Cochrane: Qu'allons-nous faire?
M. Etchegary: Voici comment ça se passe dans l'industrie de la pêche portugaise. Un propriétaire achète un chalutier moderne pour 25 millions de dollars. Il engage un équipage de 50 à 60 personnes. Il doit amortir le navire et réaliser un profit tout en versant les salaires de ces 50 à 60 personnes.
Ces gens n'ont absolument aucune préoccupation à l'égard de la conservation. Ils s'en fichent complètement. Leur objectif dans la vie est de prendre du poisson afin de payer le navire et le salaire de l'équipage.
Le gouvernement du Portugal n'a aucune autorité en la matière. Je n'ai pas parlé directement à M. Thibeault, parce que je ne le connais pas, mais j'ai essayé de lui transmettre un message comme quoi c'était une perte de temps et d'argent de s'adresser au gouvernement du Portugal. Les gens qui décident des activités de pêche qui se déroulent dans le secteur du Grand Banc ne sont pas au gouvernement du Portugal et de l'Espagne. Ce sont le propriétaire et l'équipage qui décident. C'est aussi simple que cela.
Ces gens sont en train d'apprendre. Par exemple, l'année dernière, la Communauté européenne a décidé de réduire les subventions versées aux flottes alors qu'en 2001 les Espagnols ont consacré 500 millions d'euros à leur financement. Ces flottes n'auront pas ce montant en 2003.
Le jour viendra où, malgré les écarts dans le niveau de vie, ils n'auront plus les moyens de venir et de pêcher le quart des prises qui sont nécessaires pour amortir ces actifs coûteux. Ils n'auront plus les moyens de payer les salaires de l'équipage. Oui, ce jour viendra, et il n'est peut-être pas si loin qu'on pense.
J'ai de nombreux amis en Islande. Et j'ai beaucoup d'admiration pour eux. Cependant, depuis deux ans, ils trouvent de plus en plus difficile d'affréter un navire avec un équipage islandais parce qu'ils n'arrivent pas à prendre suffisamment de poisson pour pouvoir le payer.
Que font-ils? Ils battent le pavillon de l'Estonie, de la Lettonie ou de la Lituanie où ils peuvent verser des salaires de 65 dollars par semaine. Les choses se présentent alors sous un angle différent.
Mais la situation évolue. Nous savons maintenant des choses qui nous permettent de confronter ces gens.
En même temps, cependant, cela ne nous empêche pas d'utiliser les mêmes arguments et les mêmes positions par rapport à la Convention des Nations Unies sur les droits de la mer. Il est certain que si nous continuons à pêcher comme nous le faisons à l'échelle mondiale, c'est-à-dire sur le modèle de ce qui se passe actuellement sur le Grand Banc, le jour viendra où il n'y aura plus rien à pêcher dans l'océan.
Le sénateur Adams: J'ai commencé à étudier ce dossier il y a de nombreuses années. Nous avons quelques petits contingents de pêche au Nunavut pour le turbot et pour d'autres poissons. Peut-être que vous êtes au courant.
Au Nunavut, depuis que nous avons réglé la question des revendications territoriales, la population pense qu'elle a peut-être de l'avenir dans les pêches. Nous connaissons bien l'eau et la pêche, mais nous ne possédons pas ce type de matériel.
Vous avez mentionné que l'Islande compte une population de 210 000 habitants et que près de 70 p. 100 sont des pêcheurs?
M. Etchegary: Un très fort pourcentage de la population.
Le sénateur Adams: J'espère que les gouvernements du Canada et du Nunavut commenceront à donner de la formation à la population locale afin de lui enseigner à pêcher et qu'ils lui fourniront le matériel. Les dés sont jetés.
En Islande, on apprend à pêcher. Les Islandais sont d'extraordinaires pêcheurs. Peut-être que c'est la seule ressource qu'ils sont, je l'ignore.
Au Nunavut, nous pensons pouvoir nous lancer dans l'exploitation minière. Nous avons des mines d'or et de diamant. Peut-être que nous avons du gaz naturel ou quelque chose de semblable. Nous l'ignorons pour le moment.
Dans quelques petites communautés, 80 p. 100 des gens sont sans travail.
Nous essayons de trouver des moyens de créer de l'emploi. Nous perdons de grandes quantités de poisson aux mains des étrangers, et les Russes et les Islandais pêchent notre turbot.
Est-ce que vous pensez que les habitants du Nunavut pourraient se lancer dans la pêche? Actuellement, nous ne capturons qu'environ 8 000 tonnes par année.
M. Etchegary: Oui. Je dois avouer que je ne suis pas un expert en matière de pêcheries dans cette région. Le peu que je sais m'a été appris par d'autres.
Je ne pense pas que ce serait très difficile pour la population qui vit dans cette région de développer ces habiletés.
Mais plus que tout, je m'inquiéterais parce que j'aurais peur que le jour où ils auraient finalement acquis les habiletés nécessaires et qu'ils seraient prêts à investir dans un bateau de pêche, ils se verraient limités à la pêche côtière parce que la pêche hauturière serait déjà passablement épuisée. Les Islandais et d'autres pêchent le turbot au large des côtes. Nous avons beaucoup de preuves qui montrent que de très petits turbots sont pêchés et rejetés. En réalité, ils sont tellement petits que les pêcheurs les qualifient de «timbres-poste». En effet, ils sont tellement petits qu'ils restent collés sur le pont et que l'équipage a fort à faire pour s'en débarrasser.
C'est le genre de chose qui me préoccuperait — l'assaut continu mené contre les pêcheries au large par des navires étrangers. Je ne dis pas que ces gens sont mauvais, peut-être qu'ils essaient tout simplement de gagner leur vie comme quiconque; toutefois, ils le font d'une manière incontrôlée. Ils ne se préoccupent pas du tout de la conservation.
Le sénateur Adams: Merci.
Le sénateur Cook: Je vais poser quelques questions à M. Etchegary: le MPO a une installation extraordinaire à St. John's. Que s'y passe-t-il de nos jours? J'ai entendu dire que le programme scientifique avait subi des compressions, et si c'est le cas, que pouvons-nous faire à ce sujet? Est-ce que ces réductions ont une incidence sur tout ce qui se passe dans la région? Si vous étiez le ministre des Pêches et des Océans, que feriez-vous pour résoudre ce problème?
M. Etchegary: Je pense que les personnes qui travaillent au centre régional à St. John's sont des gens extraordinaires. Cependant, ils manquent de personnel et ils n'ont pas les fonds nécessaires.
Lorsque le budget est réduit de moitié, on risque de perdre les chercheurs de premier plan — des gens qui possèdent un énorme bagage de connaissances. Je ne parle pas seulement des chercheurs scientifiques, mais également des personnes qui possèdent les connaissances et la vision nécessaires pour établir de vastes objectifs scientifiques dans une pêcherie complexe et difficile à gérer. Lorsque l'industrie perd ce genre de personnes, elles aboutissent à Dalhousie, à l'Université de la Colombie-Britannique ou alors elles descendent à Wood's Hole, au Massachussets. C'est une grande partie du problème. Ces scientifiques se sont lassés d'essayer de défendre leur point de vue.
J'ai lu avec regret le document suivant: il s'agit d'une note interne qui demandait à un groupe de 40 ou 50 chercheurs de répondre à des questions sur des moyens visant à améliorer leur effort scientifique. À l'unanimité ou presque, ils ont répondu que le moral des troupes était bas parce que les chiffres qu'ils fournissaient aux bureaucrates étaient manipulés, et que cela les démoralisait. Une fois leur évaluation des stocks terminée, ils rédigeaient des rapports sur l'état de la situation et faisaient des recommandations concernant les niveaux de pêche et autres sujets connexes. Mais une fois ces rapports entre les mains des fonctionnaires, ces renseignements étaient manipulés. Je ne vous apprends rien de nouveau. Les politiciens et les hauts fonctionnaires manipulaient les renseignements au hasard de la situation.
C'est pathétique, surtout lorsque l'on sait qu'il est possible qu'une grande partie de la population quitte la région pour cette raison. Il faut qu'il y ait un changement complet d'attitude en ce qui concerne la gestion des pêches, y compris le travail des chercheurs, les programmes scientifiques et tout ce qui vient avec.
Le sénateur Cook: Si vous étiez le ministre des Pêches et des Océans, que feriez-vous au sujet de ces changements?
M. Etchegary: Je sais que c'est facile de parler, mais je ne suis pas le seul à penser ainsi et à faire ce genre de commentaire. Il y en a bien d'autres qui sont tout aussi déterminés que moi à ce sujet. Je ne pense pas que le problème soit lié à la personnalité du ministre des Pêches et des Océans, mais plutôt que c'est la structure qui est inadaptée. On ne sent pas un intérêt professionnel et concentré sur les problèmes. Les fonctionnaires doivent faire appel au ministre ou à leurs supérieurs et les informer de ce qui doit être fait.
Mais grands dieux, nous en payons le prix! Nous sommes en bonne voie de créer un groupe de personnes tout simplement blasées — écoeurées même. Il n'y en a pas beaucoup qui sont prêts à le dire, mais pourtant il faut le faire: je suis dans les pêches depuis le milieu des années 40. Je disais tout à l'heure que, pendant 35 à 40 ans, la saison de pêche durait 50 semaines. Vous aviez mis le doigt dessus, sénateur Cook. Il y avait une saison de pêche de 50 semaines sur la côte Sud de Terre-Neuve parce qu'elle était en eau libre. Les pêcheurs ne dépendaient pas entièrement de la pêche côtière. À l'époque, la population était formée de contribuables — de citoyens qui payaient leurs impôts et assumaient les frais des soins de santé et de l'éducation. Ils faisaient leur part. Aujourd'hui, si nous avions géré les choses correctement, les pêches de Terre-Neuve et du Labrador donneraient un rendement appréciable, non seulement pour l'économie de Terre-Neuve, mais également pour l'économie nationale. Nous pourrions apporter notre contribution. Et à la place, que voyons-nous? Beaucoup trop d'hommes et de femmes qui sont désespérés — le mot n'est pas trop fort — à l'idée d'accumuler le nombre suffisant d'heures pour se qualifier pour l'assurance-emploi. C'est une situation très grave. Il faut que quelqu'un réagisse.
Le président: Merci.
Le sénateur Watt: J'ai raté le début de votre exposé, mais d'après ce que j'ai compris, il y a énormément de surpêche dans la région de Terre-Neuve et du Labrador.
Nous nous apprêtons à vivre exactement la même chose, à ce qu'il me semble, dans l'Arctique, si nous n'avons pas déjà commencé. Quelle serait votre recommandation? Que devrions-nous faire dans l'Arctique — la dernière frontière qui reste, en quelque sorte?
M. Etchegary: Si vous avez de bons leaders dans votre région, il n'y a qu'une seule chose à faire: mettre un frein à tout cela. Si c'est le cas, vous devez arrêter ça tout de suite. Si vous ne le faites pas, les choses vont s'envenimer. Nous avons la même situation au Labrador et à Terre-Neuve avec la pêche à la crevette et au crabe. Ces deux espèces ont remplacé temporairement les pêches de poisson de fond. Et c'est la même chose, traditionnellement, partout dans le monde — en Asie, en Amérique du Sud, en Afrique du Sud, et cetera. La situation est différente avec les pêches de fond.
Par conséquent, les leaders de votre région doivent demander à quelqu'un d'examiner le problème de près. Si c'est vraiment ce qui est en train de se passer, alors vous devrez réagir.
Dans notre cas, on a laissé les choses pourrir, et maintenant nous nous retrouvons dans une très mauvaise situation. Voilà, ce n'est pas très utile; mais, c'est la vérité.
Maintenant, nous allons devoir nous occuper de questions de régie interne pour quelques minutes. Toutefois, avant de le faire, monsieur Etchegary, je tiens à vous remercier d'être venu comparaître devant le comité. Je suis persuadé que tous les honorables sénateurs ont trouvé la soirée très intéressante et très instructive. Au nom de tous, je tiens à vous dire que nous apprécions votre franc-parler, votre franchise et l'expérience que vous avez bien voulu partager avec les membres du comité. C'est particulièrement enrichissant d'entendre les commentaires d'une légende vivante que nous voulions rencontrer depuis très longtemps. Au nom de tous les membres du comité, merci beaucoup.
La séance est levée.