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POFO - Comité permanent

Pêches et océans


Délibérations du comité sénatorial permanent des 
Pêches et des océans

Fascicule 11 - Témoignages


OTTAWA, le mardi 23 septembre 2003

Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans se réunit aujourd'hui à 19 h 07 pour étudier, afin d'en faire rapport de façon ponctuelle, les questions relatives aux stocks chevauchants et à l'habitat du poisson.

Le sénateur Gerald J. Comeau (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Ce soir, nous allons continuer d'étudier, afin d'en faire rapport, les questions relatives aux stocks chevauchants et à l'habitat du poisson.

Nous avons soumis un rapport sur les stocks chevauchants. Ce soir, nous allons donc nous concentrer sur l'habitat du poisson. Nous avons le privilège d'accueillir comme témoin M. Jon Lien, président du Conseil consultatif sur les océans du ministre.

M. Lien est aussi professeur et chercheur honoraire au groupe de recherche sur les baleines du programme de bio- psychologie de l'Ocean Science Centre de l'Université Memorial de Terre-Neuve.

Je sais que M. Lien se consacre corps et âme à tout ce qui concerne les océans, l'habitat et ainsi de suite. Nous comptons donc sur une soirée des plus productives.

Avant d'entreprendre nos travaux, je tiens à dire que nous sommes heureux d'accueillir un membre du Conseil consultatif sur les océans puisque nous formons désormais le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans. Depuis la dernière visite de représentants du secteur des océans, on a effectué l'ajout, et nous avons accueilli cela avec plaisir.

Monsieur Lien, les sénateurs que vous voyez autour de la table sont tous d'ardents partisans de la Loi sur les océans, qui a été adoptée il y a deux ou trois ans. Nous espérons que vous allez en parler et que nous serons en mesure, dans le cadre de notre étude, de rendre compte de ce que vous observez dans le domaine des océans.

Je ne veux pas monopoliser davantage de votre temps. Je crois comprendre que vous avez un exposé à présenter, après quoi nous allons passer à la partie plus productive ou plus agréable des questions et des réponses.

M. Jon Lien, président, ministère des Pêches et des Océans, Conseil consultatif sur les océans: Je suis très heureux d'être ici et, en particulier, de comparaître devant le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans. Je vous en félicite. Le ministère des Pêches et des Océans faisait en quelque sorte figure d'anachronisme, au même titre que le Comité des pêches.

Nous n'avons pas d'organisme appelé «Vaches et Agriculture» ni «Bois d'œuvre et Foresterie».

Les pêches étaient seules et ont servi à défendre une industrie plutôt qu'à gérer un environnement. Voilà ce dont je veux vous entretenir ce soir.

J'ai l'habitude de faire face à des étudiants diplômés dans le cadre de séminaires. Je n'ai pas l'habitude de lire des notes, mais j'ai soumis un bref mémoire que je vais m'efforcer de suivre d'assez près au bénéfice de tous. J'aime aussi qu'on m'interrompe — comme on le fait fréquemment dans mes séminaires — lorsque je ne suis pas clair. N'hésitez pas à le faire. Je suis moi aussi impatient d'entreprendre la discussion. Il s'agit d'une question importante.

Nous vous remercions de donner au conseil le temps de se faire entendre. Nous sommes impatients de vous faire part de nos vues sur les océans, de la situation qui a cours et de certaines des mesures qui, à mon avis, doivent être prises.

Le conseil a été établi il y a quelques années sous la direction du ministre Dhaliwal et a continué d'exister sous celle du ministre Thibault. Le conseil avait pour but de constituer un groupe consultatif spécialisé et indépendant en mesure de se prononcer sur la mise en œuvre de la Loi sur les océans de même que sur la conception et la mise en application de la Stratégie sur les océans du Canada. Voilà ce à quoi le conseil s'est principalement employé.

Nous avons fréquemment consulté le ministère, pas seulement la direction qui s'occupe des océans, mais l'ensemble des services du ministère des Pêches et des Océans. Nous avons mené de vastes consultations publiques partout au pays, débattu de la Loi sur les océans du Canada et la Stratégie sur les océans du Canada, en plus d'aider le plus activement possible le ministre et le ministère à mettre en œuvre ce que nous considérons comme une loi importante et un changement d'orientation pour le gouvernement du Canada et le ministère des Pêches et des Océans.

Permettez-moi de vous dire quelques mots au sujet du conseil. Il se compose de deux ambassadeurs des océans, Geoff Holland et Art Hanson. De plus, nous misons sur le concours d'un groupe spécialiste de divers domaines. Ils ont une expertise dans le secteur du pétrole et du gaz, des pêches, de l'océanographie et des sciences, et ainsi de suite. L'idée, c'est d'assurer au conseil la plus grande représentativité possible afin de pouvoir fonder et transmettre au ministre de véritables opinions d'experts. De façon générale, nous nous réunissons une fois par trimestre, mais nous le faisons aussi à la demande du ministre ou du ministère. De temps à autre, des problèmes se posent, et le ministre ou le ministère souhaite avoir de l'aide dans tel ou tel dossier ou encore sollicite une opinion. L'horaire de nos rencontres est donc en réalité un peu erratique.

Depuis l'adoption de la Loi sur les océans par le Parlement en 1997, le ministère des Pêches et des Océans a considérablement élargi son mandat et ses responsabilités dans le domaine des océans. Aux termes de la loi, le ministère a dû élargir l'accent qu'il mettait traditionnellement sur les pêches pour s'intéresser aux océans du Canada d'une façon exhaustive et holistique. À titre de partenaire fédéral, le ministère joue un rôle de premier plan parmi les autres ministères du gouvernement dans la coordination de l'action du gouvernement au titre de la gestion des océans. Il s'agit d'un changement majeur que le ministère a dû effectuer en raison de la loi.

Dans mon exposé, je vais aborder un certain nombre de questions. La première, c'est que les océans constituent un habitat unique essentiel au bien-être des Canadiens tout autant qu'au développement économique du Canada. On doit en parler.

Deuxièmement, je vais dire un mot des changements que la Loi sur les océans fait subir à la conception que le gouvernement fédéral a des océans et des conséquences possibles pour l'habitat marin, notamment, et tout ce que les océans font pour les Canadiens.

Troisièmement, je vais évoquer les contraintes budgétaires très réelles qui ont nui à la mise en œuvre de la Loi sur les océans, qui est la loi du Canada, et de la Stratégie sur les océans du Canada, qui est la politique du gouvernement du Canada.

Le dernier point que je soulèverai concernera le public, sa connaissance de plus en plus approfondie des océans et certaines des contraintes constitutionnelles auxquelles on s'est buté dans la mise en œuvre de la Loi sur les océans et de la Stratégie sur les océans du Canada.

Les honorables sénateurs sont probablement conscients du fait que les océans, en raison de la densité de l'eau, constituent les environnements les plus intégrés du monde. Il est impossible d'ériger des frontières serrées. D'ailleurs, ce problème se posera lorsque nous tenterons de délimiter le plancher océanique du Canada et de régler les questions connexes. En fait, certains océanographes parlent d'un seul et même océan mondial. Il est difficile de diviser les océans en bassins. Même le son va plus vite et plus loin dans l'eau. En raison du modèle de la circulation de l'eau dans le monde, les contaminants rejetés dans le fleuve Saint-Laurent peuvent faire le tour de la planète. Or, ces environnements les plus intégrés du monde sont administrés par les autorités responsables les plus fragmentées qui soient. Quand on y songe, c'est vraiment stupéfiant.

Au Canada, on dénombre quelque 27 organismes fédéraux responsables de la gestion d'aspects différents des océans. De plus, les provinces ont elles-mêmes des activités sur les océans, par exemple leur utilisation par les municipalités et les réseaux provinciaux de transport. Les provinces et les territoires ont eux aussi des autorités responsables de la gestion.

Les créatures qui peuplent les océans fraient habituellement dans la colonne d'eau et se déplacent au gré des courants océaniques. La stratégie de reproduction des océans est unique. On n'observe rien de comparable sur la terre ferme. Des créatures de toutes sortes des plus évoluées aux formes planctoniques infimes, prennent naissance dans la colonne d'eau et parcourent les océans d'un bassin et parfois les océans du monde.

Nous découvrons à peine tous les services que les océans rendent aux écosystèmes, y compris la création d'oxygène et la séquestration de gaz comme le dioxyde de carbone de même que leurs effets sur le climat et la température. Nous savons que nous devons gérer les océans de façon plus exhaustive et holistique. À une époque, on croyait que les principaux avantages des océans se résumaient à leurs ressources halieutiques ou à leur capacité de faciliter les découvertes et le transport vers de nouveaux territoires.

Dans toutes les provinces du Canada, la pêche a été remplacée à titre de principal moteur économique des océans par d'autres industries comme le pétrole et le gaz extracôtiers, le tourisme maritime, les utilisations militaires, le transport et les industries de haute technologie comme le câble. On utilise aujourd'hui l'océan de multiples façons. À titre d'industrie, la pêche ne fournit plus autant d'emplois qu'autrefois en raison des changements sectoriels qu'elle a subis. Ceux d'entre vous qui venez de Terre-Neuve le savent mieux que quiconque. On déplore d'autres pertes d'emploi imputables à l'efficience de la technologie et aux zones de pêche exclusives.

Ces changements ont eu un impact critique dans des lieux comme Terre-Neuve, où la démographie tout entière de la province reposait sur la disponibilité du poisson de fond et les emplois qu'elle assurait. Cependant, les collectivités côtières ont été marginalisées par la transformation de l'industrie. Il s'agit d'une considération importante pour l'habitat océanique.

La Loi sur les océans est le deuxième point que je tenais à aborder. Son principal objectif est d'assurer l'utilisation durable des océans. Elle vise à garantir un écosystème marin sain et à optimiser les avantages économiques et la contribution que l'environnement peut faire au bien-être des Canadiens. La loi énonce les principes en vertu desquels ces objectifs peuvent être réalisés.

Il est intéressant de noter que tous les océans du monde se sont butés à des difficultés. On a organisé des commissions nationales de gouvernements chargés d'enquêter sur ce qui a mal tourné et sur ce qu'il faut faire pour corriger la situation. Des études sur les environnements océaniques ont été menées aux États-Unis et en Nouvelle- Zélande. Quelques principes ressortent des résultats.

Le premier, c'est qu'on doit adopter une approche fondée sur l'écosystème pour gérer les océans. Le deuxième, c'est que nous devons miser sur une gestion intégrée de l'environnement pour répondre aux besoins de toutes les industries nouvelles et désamorcer les conflits qu'on observe aujourd'hui.

Nous commettons beaucoup d'erreurs. Par conséquent, on souligne dans tous les documents, y compris dans la Loi sur les océans, que nous devons adopter une approche de précaution. Il faut non pas mettre un terme au développement, mais bien plutôt l'orienter de telle manière qu'il évolue au gré de notre compréhension de ses impacts.

Le dernier pilier de ces stratégies océaniques, y compris la Loi sur les océans, c'est la coopération dans la gestion des océans. Ces principes sont à la base de la révolution de notre conception des océans.

Le Parlement a adopté la Loi sur les océans. Le gouvernement du Canada a rendu publique la Stratégie sur les océans du Canada. On y fournit un certain nombre de détails sur ce que nous pouvons faire pour donner suite à ces principes. L'un d'eux concerne l'établissement de zones de protection marines. C'est important parce que l'efficience de notre technologie nous permet désormais d'exploiter les moindres recoins des océans.

À une certaine époque, il y avait des sanctuaires naturels. Ils étaient recouverts de glace, trop loin de la rive ou sujets à du mauvais temps à certaines périodes de l'année. Un certain nombre de ressources et de processus océaniques ont ainsi été protégés.

Avec les remarquables avancées réalisées dans le domaine de la technologie, ces conditions ont pour l'essentiel disparu, comme dans l'environnement terrestre, et nous devons maintenant les rétablir au moyen d'initiatives de gestion.

Une deuxième initiative consiste à établir des projets de gestion intégrée en vertu desquels nous réunirons des personnes invitées à se concentrer sur tel ou tel secteur d'un océan. Il s'agit presque de projets de démonstration; voici, en d'autres termes, ce que nous pouvons faire pour arriver à nos fins. Avec un peu de chance, certains de ces projets sont en cours et seront couronnés de succès; avec un peu de chance, l'idée de faire appel à ce genre d'approche des océans se répandra.

L'établissement d'un contrôle exhaustif de la qualité des environnements marins constitue un troisième élément majeur de la Loi sur les océans. À l'heure actuelle, je peux vous dire à titre de scientifique que ce que nous savons de la qualité des environnements marins est disséminé parmi un certain nombre d'organismes responsables, porte sur un nombre d'années qui varie, est entreposé sur divers supports et recueilli au moyen de diverses méthodes. Nous n'avons pas pour le long terme de programme exhaustif de contrôle à la hauteur de nos moyens. La Loi sur les océans corrigera la situation.

Au ministère des Pêches et des Océans, nous nous sommes livrés à un exercice intéressant: certaines personnes ont décidé qu'elles devaient faire passer un câble de haute technologie dans un champ de pêche de premier plan de la circonscription du ministre. Certains d'entre nous ont été très surpris de constater que le ministre des Pêches et des Océans n'avait rien à dire à ce sujet; la question relevait du ministère de l'Industrie et du Commerce. C'est à ce ministère qu'est revenu de décider qu'il était opportun d'utiliser de la sorte l'espace océanique. La gestion fragmentée d'un environnement unique constitue un grave problème. À la lumière des nouvelles formes de développement dont font l'objet les océans, nous devons vraiment discuter des moyens d'optimiser nos capacités dans ce domaine.

Le troisième point que j'aimerais soulever, c'est que, en dépit de l'importance des obligations que nous fait la Loi sur les océans et des obligations que la Stratégie sur les océans du Canada fait à la politique du gouvernement du Canada, jamais on n'a alloué de nouveaux fonds pour la mise en œuvre du programme. On s'est entendu en principe, mais les nouveaux fonds ne se sont jamais matérialisés.

La Table ronde sur l'environnement et l'économie du premier ministre a estimé à environ 500 millions de dollars pour commencer les coûts de la mise en œuvre efficace de la Loi sur les océans. Un effort d'une telle ampleur, si nous le prenons vraiment au sérieux, représente une entreprise colossale.

Comme nous avons une loi et que le gouvernement du Canada a une politique, je tiens pour acquis que la bureaucratie ne peut choisir de les mettre en œuvre que s'il est commode ou possible de le faire. On doit donner une orientation à la bureaucratie. On ne l'a pas fait, faute de financement. On a enlevé à d'autres programmes du ministère des Pêches et des Océans les fonds nécessaires à la mise en œuvre de la Loi sur les océans et de la Stratégie sur les océans du Canada à une époque où les budgets faisaient l'objet de compressions. Une telle mesure n'a rien fait pour rendre la mise en œuvre des programmes océaniques terriblement populaires auprès des services de gestion des ressources halieutiques, des sciences, de l'habitat et d'autres responsabilités et services du ministère des Pêches et des Océans.

Dans l'ensemble du pays, l'argent qui a été réaffecté à partir des budgets permanents du ministère s'est chiffré à environ 1 p. 100 du budget total de 1,4 milliard de dollars par année — seulement 1 p. 100 pour un nouveau programme majeur qui a une incidence non seulement sur le poisson et son habitat, mais aussi sur toutes les industries dont dépendent l'économie du Canada et le bien-être de ses citoyens.

Il s'agit selon moi d'un grave problème. À cause de cette absence d'efforts, les secteurs publics et certains cercles gouvernementaux en sont venus à penser que cette importante politique n'avait aucune réalisation adéquate à son actif et que sa mise en œuvre était un échec.

Ce que je vais vous dire maintenant ne figure pas dans mes notes, mais, à deux reprises déjà, le Canada, le ministère des Pêches et des Océans ont tenté de mettre en œuvre une stratégie sur les océans. Toutes les deux n'ont recueilli que des commentaires favorables. Personne n'a dit: «C'est une idée pourrie.» Au contraire, tout le monde a dit: «Voilà ce que nous devons faire. Une telle initiative se fait attendre depuis trop longtemps.» Or, ces initiatives ont dépéri faute de ressources suffisantes. L'opinion arrêtée du conseil est que nous courons le même risque cette fois-ci encore. Je sais que la situation budgétaire est difficile, mais nous nous sommes déjà trouvés là où nous sommes aujourd'hui. Le taux d'échec a été de 100 p. 100, et la cause des échecs en question a toujours été la même.

Le dernier point majeur que je tiens à soulever est le suivant: après que le gouvernement du Canada a rendu publique la Stratégie sur les océans du Canada, le conseil a participé à ce que le ministère des Pêches et des Océans a appelé le «processus de mobilisation publique». Essentiellement, l'exercice visait à présenter la politique et à obtenir la réaction du public. Le conseil a rencontré des représentants de l'industrie, des ONG environnementales, des lobbyistes de l'industrie, des provinces et ainsi de suite — tous les groupes d'intérêts que nous sommes parvenus à définir. La réaction à la Loi sur les océans et à la Stratégie sur les océans du Canada a été très majoritairement positive. Voici à quoi tenait la réaction typique: «Il est grand temps. Allons de l'avant. L'initiative se fait attendre depuis trop longtemps. Nous subissons déjà les contrecoups de l'absence d'une telle politique.»

Malgré ce soutien fortement majoritaire et probablement en raison de l'insuffisance des ressources, la mise en œuvre de la stratégie et de la loi s'est butée à de véritables obstacles institutionnels. On se rend compte que les organismes responsables des océans ont eu tendance à travailler dans des silos, compte tenu des limites contrôlables de leur mandat, sans nécessairement établir de relations horizontales avec d'autres gestionnaires des océans responsables. Des bureaucrates tendent à privilégier un tel monde. Il existe des barrières institutionnelles très réelles à la coopération entre divers ministères fédéraux, les organismes du gouvernement fédéral et les provinces.

Un problème interne au ministère des Pêches et des Océans est venu compliquer davantage la mise en œuvre. Les directions autres que celle qui concerne les océans ont tendance à vouloir continuer de fonctionner comme auparavant. Le secteur des océans est le petit nouveau. En avons-nous besoin, en avons-nous les moyens, quels ont été les résultats jusqu'ici? Lorsqu'on ampute votre propre budget pour soutenir le nouvel arrivant, vous vous posez des questions encore plus pressantes tout en essayant de fournir les produits dont vous êtes responsables. Certaines des directions et certains des particuliers qui travaillent ont préféré conserver les responsabilités historiques du ministère des Pêches et des Océans. Outre les ressources financières, on note des obstacles institutionnels à l'intérieur du gouvernement fédéral, entre le gouvernement fédéral et les provinces et à l'intérieur du ministère des Pêches et des Océans.

Le conseil se positionne à titre de champion de la Loi sur les océans et de la Stratégie sur les océans du Canada, mais nous avons besoin de votre aide.

Il semble que votre comité et d'autres comités comme le vôtre doivent défendre la Loi sur les océans et en parler dans les cercles gouvernementaux, aux collègues et aux parlementaires, au MPO et ainsi de suite. Nous devons aller de l'avant. C'est essentiel au bien-être du Canada.

Les Canadiens considèrent les océans comme un élément important du Canada et de sa culture. Ils commencent à mieux comprendre l'importance que revêtent les océans pour leur bien-être et tout ce que nous valorisons au Canada.

Je suis ravi que le comité ait ajouté le mot «océans» à son nom. Vous rendriez un fier service au Canada en commençant à parler des problèmes qui entourent la Loi sur les océans et la Stratégie sur les océans du Canada. Vous pourriez agir comme champions de la loi et faire la promotion de ses avantages. Vous pourriez porter la question à l'attention de vos collègues.

Vous devriez vous prononcer en faveur du financement adéquat de cette importante initiative gouvernementale dans toutes les tribunes auxquelles vous avez accès. Vous constituez un groupe des plus importants, et votre communauté représente une voix prépondérante au Canada.

Nous avons affaire à une énorme portion du territoire canadien. En renouvelant la carte du plancher océanique, nous pourrions ajouter un territoire aussi vaste que les provinces des Prairies au territoire canadien dans le Pacifique et une superficie égale à l'ensemble des provinces Maritimes du côté de l'Atlantique. Il s'agit d'une question aux proportions très vastes.

Dans les nouvelles, on nous a appris aujourd'hui que la calotte glaciaire de l'île d'Ellesmere s'était fendue. C'est dans l'Arctique canadien qu'on observe les changements de l'environnement les plus rapides sur la planète. Le passage du Nord-Ouest sera ouvert d'ici dix à quinze ans. Toutes sortes de problèmes se posent, notamment au chapitre de la sécurité, des frontières nationales, de la navigation, de l'environnement et de l'écologie.

Nous vivons à une époque où les océans du Canada changent rapidement. Nous avons besoin de champions haut placés. Les pêches sont importantes pour la collectivité où je vis et pour ma province, mais nous devons nous convaincre que la question des océans va bien au-delà de la seule question de la pêche, ainsi qu'en témoignent une très bonne loi et un très bon document stratégique du gouvernement du Canada.

Voilà tout ce que j'avais préparé, monsieur le président. J'ai tenté de m'en tenir plus ou moins aux notes que j'ai préparées pour les membres du comité. Je vous suis reconnaissant de l'occasion que vous m'avez donnée de m'adresser à vous, et je suis impatient de répondre à vos questions et de participer à la discussion.

Le président: Merci beaucoup, professeur. Nous vous savons gré de prendre le temps de comparaître devant le comité pour nous faire des commentaires francs et courageux, ce dont nous vous sommes également reconnaissants.

Vous avez soulevé des préoccupations extrêmement sérieuses que les membres du comité, j'en suis certain, voudront examiner plus en profondeur avec vous.

Avant d'ouvrir la période de questions, cependant, je tiens ce soir à souhaiter la bienvenue au sénateur Trenholme Counsell du Nouveau-Brunswick, en poste depuis une semaine.

Le sénateur Cochrane: Monsieur Lien, je tiens à vous remercier de votre comparution de ce soir et de nous avoir fait des commentaires des plus francs.

À vrai dire, je suis consternée par vos propos. Comme je l'ai déjà dit ici, les budgets alloués aux sciences sont tout à fait insuffisants. Il n'y a pas de budgets pour les sciences. Nous avons entendu des histoires d'horreur au sujet des problèmes pour les navires qui patrouillent les océans. On les amarre à des ports différents faute d'argent pour le carburant. On nous l'a dit ici, j'ai entendu la même chose chez moi.

Permettez-moi de poser d'abord une question au sujet du conseil. Vous constituez un organisme indépendant. D'où viennent donc les membres du conseil?

M. Lien: Les membres sont nommés par le ministre. Le ministère propose le nom de spécialistes possédant le vaste éventail de connaissances dont le conseil a besoin. Ce dernier fait lui-même part de ses idées au ministre; mais c'est le ministre qui décide. C'est son conseil.

À l'heure actuelle, la représentation de l'Arctique et du Québec est insuffisante. Nous avons perdu un membre de l'Arctique. La charge de travail est horrible. On ne peut se poser en expert de toutes les questions concernant les océans. On ne peut pas participer pleinement aux conseils à moins d'avoir lu ce que les personnes intelligentes ont déjà fait dans tel ou tel domaine. C'est un travail très difficile. La plupart des membres du conseil ont un emploi du temps chargé; dans le contexte d'une vie réelle, ça devient trop. Nous avons perdu quelques membres de l'Arctique pour cette raison.

À l'heure actuelle, nous n'avons pas de membre du Québec, ce qui représente une grave lacune. Sinon, nous sommes relativement bien représentés dans les Maritimes et en Colombie-Britannique.

Le sénateur Cochrane: Et dans le Canada atlantique?

M. Lien: Oui. Je suis le représentant de Terre-Neuve.

Le sénateur Cochrane: Vous rencontrez le ministre tous les trimestres, n'est-ce pas?

M. Lien: Nous ne rencontrons pas toujours le ministre. Cependant, nous avons des rencontres trimestrielles. Nous formulons des avis sur les questions qui nous sont soumises. Il n'est pas nécessaire que le ministre nous rencontre.

L'une des réalités de notre mode de gestion des ressources halieutiques, c'est qu'un ministre doit faire face aux crises. À l'heure actuelle, la gestion des océans constitue une forme de gestion de crise. L'intention de la Loi sur les océans et de la stratégie est de nous faire adopter un mode proactif de gestion des océans.

L'argent que nous injectons dans une telle initiative constitue un investissement dans la prospérité économique. Investir dans la mise en œuvre de telles politiques constitue un investissement honnête dans le genre d'infrastructures dont le Canada a besoin pour bien se tirer d'affaire.

En consultation avec d'autres ministères fédéraux, le ministre définit des enjeux à propos desquels il a besoin d'avis. Les enjeux émanent parfois de groupes provinciaux, comme pour la queue des Grands Bancs et toute la question qui concerne l'OPANO et les pêches. Il en est résulté une série de discussions à l'issue desquelles le conseil a recommandé la ratification de la Convention sur le droit de la mer de l'ONU. On observe à cet égard des faits récents qui feront considérablement bouger les choses. Le ministre Thibault a soutenu un tel programme devant le Cabinet, au même titre que le ministre Graham. En réalité, c'est le ministère du ministre Graham qui a piloté cette initiative.

Le ministre n'a pas besoin de nous rencontrer. Les membres du ministère et d'autres ministères fédéraux nous rencontrent.

À Terre-Neuve, par exemple, il se pose un problème dont vous êtes peut-être au courant. Un déversement illégal de pétrole en mer a tué 300 000 oiseaux de mer. Nous réunissons le ministère de la Justice, le ministère des Transports, le ministère de l'Environnement et la Garde côtière. Nous nous assoyons ensemble et nous disons: «Voilà un problème qui file entre les mailles du filet.»

Curieusement, nous avons associé à la démarche Environnement Canada, qui a un programme de zones maritimes protégées. Nous faisons aussi appel à l'Agence Parcs Canada en raison du programme national des aires de conservation. Le ministère des Pêches et des Océans a aussi été interpellé en raison de son programme de zones maritimes protégées. J'ai demandé aux représentants de chacun des organismes de présenter son programme. En jetant un coup d'œil, je me suis rendu compte qu'ils prenaient des notes sur ce que disaient les autres. L'absence de consultations horizontales est apparue clairement. Voilà le genre de choses qui se produisent à l'occasion de nos réunions.

Nous allons inviter quiconque, à notre avis, a des choses utiles à apporter à la discussion en vue de la mise en œuvre de la stratégie et de la loi.

Le sénateur Cochrane: En quoi cela peut-il être utile si vous ne disposez pas des fonds suffisants pour mettre en œuvre quoi que ce soit? Nous avez-vous dit avoir reçu 1 p. 100 du budget du MPO?

M. Lien: Dans la région du Pacifique, le pourcentage n'est que de 0,6 p. 100. Lorsque d'autres directions ont des manques à gagner, on leur redonne les sommes qui devaient servir à la mise en œuvre d'activités sur les océans. On s'est livré une véritable bagarre rangée. L'une des tragédies, selon moi, c'est qu'on parle sans arrêt de la gestion des attentes. Si vous en parlez avec des Canadiens, vous vous rendrez compte qu'ils sont prêts à ce qu'on donne suite. Il est inutile de parler de gestion intégrée avec des sociétés pétrolières si on n'est pas prêt à donner suite. Il est inutile de parler de zones maritimes protégées avec des groupes environnementaux ou des groupes de pêcheurs à moins qu'on ne soit en mesure de faire les choses convenablement.

À mes yeux, la situation est alarmante. Depuis 35 ans, je travaille dans le domaine de la conservation des océans. Mes étudiants diplômés travaillent dans le domaine de la biologie de la conservation, des homards jusqu'aux baleines. On a adopté la Loi sur les océans, et je n'en croyais pas mes yeux. Je verse des larmes de sang à la pensée de ce que nous en avons fait depuis.

Le sénateur Cochrane: C'était il y a six ans.

M. Lien: Exactement. Six années se sont écoulées depuis l'entrée en vigueur de la loi, et il existe une perception selon laquelle la mise en œuvre des principes de la loi a été décevante. Dans certains milieux, on considère la loi comme un échec.

À la lumière de mon expérience dans le secteur des océans, je suis convaincu que tous les pays du monde devront prendre des initiatives de cette nature pour assurer la survie de la planète. La situation des océans est complexe. La notion d'«océans du Canada» est en quelque sorte un mythe parce que tous les océans sont liés par la migration des espèces, la circulation de l'eau, le transport de tous les produits chimiques qui circulent par l'océan mondial. La gestion des océans doit se faire dans les eaux nationales d'autres États tout autant que dans les océans internationaux de la planète. C'est très complexe. Sur l'échelle de la complexité, le problème va bien au-delà du simple maintien de stocks de poissons suffisants.

Le sénateur Cochrane: Au MPO, aucun secteur n'est donc déterminé à assurer ce type de gestion des océans?

M. Lien: Oui, un tel secteur existe. La Direction des océans se passionne pour cette question. Dans un monde idéal, la Direction des océans s'inscrirait dans le prolongement de ce que nous faisons dans le secteur de la gestion des pêches, de ce que nous faisons à la Garde côtière, de ce que nous faisons dans le domaine des sciences et de ce que nous faisons pour l'habitat. Certains jours, les océans sont à l'avant-plan de tout ce que nous faisons. Je m'intéresse aux océans, mais je me spécialise aussi dans les poissons, les urgences et toutes les interventions de la Garde côtière; par ailleurs, l'habitat est mon centre d'intérêt principal.

Ce dont nous avons besoin, aujourd'hui, c'est d'un nœud spirituel qui fasse la promotion des idées véhiculées par la loi et la stratégie auprès de l'ensemble des ministères du gouvernement fédéral. Souvent, ils n'en savent pas grand-chose et ne voient pas trop comment les mesures s'appliquent à eux. Il en va de même pour des directions du MPO — on se sent plus à l'aise lorsqu'on travaille à l'intérieur de son propre organisme sans se préoccuper des accords horizontaux que les océans exigent.

Le sénateur Cochrane: Ce que vous êtes en train de nous dire, c'est que les travaux devraient surtout porter sur les relations publiques.

M. Lien: Je pense qu'il faut aller plus loin. Il s'agit de changements fondamentaux que nous devons tous apporter. Prenez Parcs Canada et Pêches et Océans Canada. J'ai été stupéfait par le mal que nous avons eu à constituer un groupe de travail qui rende véritablement compte des intérêts des deux organismes. Maintenant que Parcs Canada a plus d'argent, il serait dommage que l'organisme parte de son côté et crée de toutes pièces une spécialisation dans les sciences océaniques. Nous avons cette capacité au MPO. Il serait dommage que Parcs Canada, au moment où on mettra en œuvre les zones maritimes protégées, se dote de sa propre spécialité dans les communications. En ce qui concerne l'environnement, Parcs Canada est le communicateur le plus crédible aux yeux des Canadiens. L'organisme doit mettre ses points forts au profit du processus et, pour ce faire, régler les problèmes de collaboration horizontale.

Qui relève de qui? Qui fournit les installations? Qui fournit l'ordinateur? Quelles sont les communications? Il s'agit d'une question complexe pour les bureaucrates, et je ne relâche pas la pression que j'exerce sur eux. Ce sont des problèmes auxquels je ne suis pas confronté à titre de chercheur universitaire.

Le sénateur Cochrane: Je suis tentée de m'aventurer dans un autre recoin et d'aborder la question de la morue du Nord, ou plutôt l'absence de celle-ci, mais je suis consciente du fait que notre défi et votre travail, comme le nôtre vont beaucoup plus loin.

J'ai trois questions à poser. Comment la Stratégie sur les océans du Canada répond-elle à la volonté des Canadiens d'être associés aux activités de gestion de l'océan en faisant la promotion de l'intendance et de la sensibilisation du public? Qu'entendez-vous par «gestion intégrée»? Les collectivités autochtones et côtières seront-elles davantage associées à la gestion des océans aux termes de la stratégie? Je mets l'accent sur la question des collectivités côtières parce que c'est celle qui me préoccupe le plus.

M. Lien: Je suis d'accord avec vous. C'est la question qui me tient le plus à cœur à moi aussi.

Le sénateur Cochrane: Si la situation n'est pas viable, faut-il aller de l'avant? Le changement est-il pénible?

M. Lien: C'est difficile. On a tenu un sommet sur la survie des collectivités côtières dans les îles Change à Terre- Neuve. Les habitants de cette petite île au large du littoral du nord-est tentent de survivre au moyen de la diversification.

Pour en revenir à votre entrée en la matière, sénateur, qui portait sur la morue du Nord, une expérience sans fin nous a appris et a appris au reste du monde qu'on ne peut gérer de façon durable des stocks de poisson majeurs sur la foi d'une évaluation annuelle. On doit plutôt se doter d'un plan qui porte sur de nombreuses années et qui fixe des objectifs pour les collectivités côtières, le développement économique et la conservation biologique des stocks concernés Ce n'est pas ce que nous avons fait.

Il y a un cas qui concerne le poisson de fond. À une certaine époque, le ministre a demandé au Conseil pour la conservation des ressources halieutiques (CCRH) de se prononcer sur le homard. Il est censé y avoir un conseil du poisson de fond, mais le ministre a indiqué que tous les indicateurs laissaient croire que le homard était en difficulté partout dans les Maritimes. Le conseil a élaboré une stratégie de conservation du homard, laquelle constitue l'apport le plus précieux du CCRH jusqu'à ce jour. Il s'agit d'une stratégie à long terme qui tient compte de certaines des questions que vous avez soulevées. On a confié la gestion d'une zone à une collectivité. À l'intérieur de la zone, la collectivité a défini un cadre d'application parce que tout le monde triche, en particulier dans le domaine de la pêche au homard, qui constitue une activité de pêche supplémentaire. Cependant, lorsque les stocks de poisson de fond se sont effondrés, le homard est devenu une importante source de revenu. Des pressions se sont exercées sur les stocks, qu'on a exploités à des niveaux sans précédent. Comme les indicateurs biologiques étaient totalement irréalistes, les niveaux ont dépassé toute mesure.

Un comité de conservation du homard d'Eastport a adopté une initiative, mais il faut se doter d'un programme d'application auquel souscrivent les pêcheurs, qui connaissent les tricheurs. Un pêcheur peut cogner à la porte d'un tricheur pour l'informer qu'il porte atteinte à tous les autres pêcheurs et qu'il ne peut pas garder du homard juvénile ou pêché de façon fortuite. Un pêcheur peut dire à un tricheur qu'il doit se conformer aux règles. Dans un des secteurs où j'ai travaillé pendant sept ans, il n'y a pas eu une seule infraction. Pour ma part, je ne voudrais pas qu'on vienne cogner à ma porte après souper pour me dire: «On est au courant de ce que tu fais.»

C'est la première étape.

La deuxième concerne l'amélioration des connaissances scientifiques. En coopération avec le ministère des Pêches et des Océans, et l'université, on a établi des programmes de journal de bord et de contrôle en mer. Ce sont les meilleures recherches scientifiques sur le homard qu'on a effectuées au Canada, en coopération totale avec les pêcheurs. De leur propre initiative, mais enfin avec l'aide de l'Université de Terre-Neuve et du ministère des Pêches et des Océans, les pêcheurs ont commencé à marquer les femelles au moyen d'encoches en V. Le système reproductif des homards est tel que, une année, les femelles ont des œufs. À ce moment, on les capture et on les marque au moyen d'une encoche en V. L'année suivante, elles sont au repos et n'ont pas d'œufs, mais ce sont ces femelles marquées, celles qui ont déjà eu des œufs, qu'il faut protéger par-dessus tout. Il est donc illégal de garder des homards marqués au moyen d'une encoche en V. À cinq dollars ou dix dollars pièce, cela vous fend le cœur, mais vous devez les remettre à l'eau.

En vertu du programme scientifique amélioré, les habitants d'Eastport demandent aux élèves des classes de science du niveau secondaire de faire la saisie et l'analyse de données. Il s'agit donc d'un programme d'éducation communautaire.

Le dernier point est qu'on a créé des aires fermées à la pêche. On les choisit en fonction de la densité des bouées indiquant les casiers à homard, dont la présence indique les habitats les plus favorables. On les interdit à la pêche. Depuis sept ans, maintenant, on effectue de la pêche expérimentale dans ces régions: on étiquette tous les homards, on mesure leur croissance d'une année sur l'autre, et les homards deviennent de plus en plus gros. Un de mes étudiants diplômés est tombé malade, et j'ai dû aller étiqueter des homards dans une de ces aires fermées à la pêche. On sort de l'eau des casiers à homard dans lesquels se trouvent de cinq à sept énormes spécimens qui tentent tous de vous pincer pendant que vous cherchez à lire le numéro de l'étiquette. J'ai travaillé auprès des baleines et participé à toutes sortes de missions de cette nature, mais c'est vraiment la situation la plus dangereuse dans laquelle je me suis trouvé, au point où j'ai craint pour ma vie.

Sans opposition, les membres du comité à l'origine de ce travail se sont maintenant prononcés en faveur de l'établissement d'une zone maritime protégée permanente. Le problème que posent les aires de pêche fermées, c'est que, une fois la ressource de retour, les pêcheurs ont tendance à dire: «Les homards sont de retour, les gars. Allons-y.» On constate les avantages, mais, en réalité, en raison de pressions économiques et de la nécessité d'assurer la survie de sa collectivité et de toutes sortes d'autres bonnes raisons, les initiatives ont tendance à avoir la vie courte.

Voilà comment peut fonctionner la coopération. Je pourrais faire référence à d'autres zones. Une fois de plus, pardonnez-moi si je fais référence à des exemples terre-neuviens, mais des industries privées de Terre-Neuve de même que les représentants de l'industrie de la pêche et du pétrole se sont réunis dans le cadre d'une initiative appelée «un océan». Il s'agit en réalité d'un exercice de gestion intégrée, amorcé, financé et mené par le secteur privé. Il y a d'autres modèles, en vertu desquels le gouvernement a dit: «Nous allons protéger la Plate-forme Scotian» ou d'autres endroits — la Baie de Plaisance, par exemple — mais il s'agit d'un programme vraiment intéressant.

Ces différents secteurs économiques ne souhaitent pas se faire la lutte l'un l'autre. Ils utilisent le même espace et la même eau océaniques. Ils ont une incidence sur les mêmes ressources, et ils doivent discuter entre eux et coopérer. Ne pas agir de la sorte aura des conséquences désastreuses.

Le sénateur Cook: Parlons un peu de la gestion des océans. Vous venez tout juste de faire référence au changement catastrophique subi par l'île d'Ellesmere. C'est la première chose que j'ai trouvée sur mon bureau en arrivant ce matin. Là, un lac d'eau douce a disparu, emportant toutes les remarquables données scientifiques le concernant. Je suis certaine qu'il s'agit d'une lourde perte du point de vue de l'écosystème.

Nous concevons l'océan comme une colonne d'eau, puis il y a un fond — tout paraît très simple. Avez vous ou quelqu'un d'autre a-t-il effectué des recherches sur la prospection sismique et ses effets sur le fond marin dans le contexte de l'écosystème?

M. Lien: Il s'agit d'un secteur qui pourrait donner lieu à de graves conflits entre l'exploration pétrolière et gazière et la communauté benthique dans son ensemble, la communauté pélagique dans son ensemble présente dans la colonne d'eau. Le Fonds pour l'étude de l'environnement, financé par une taxe que les sociétés pétrolières s'imposent à elles- mêmes, s'intéresse maintenant de très près à cette question.

Sur la côte Est — en Nouvelle-Écosse, à Terre-Neuve, et cetera, les invertébrés constituent la pêche principale — on s'y intéresse donc de près à l'impact de l'activité sismique sur les invertébrés. Quels sont les effets sur le crabe des neiges? Dans le cadre d'une étude récente, on a exposé des crabes des neiges capturés à des pulsations de très grande amplitude, et on n'a constaté aucun effet sur les adultes. Cependant, la question demeure: y a-t-il des effets sur la reproduction et les larves nageantes? Les enquêtes se poursuivent.

Le sénateur Cochrane: Il est réconfortant de vous entendre dire que l'industrie pétrolière et gazière de la côte est consciente de ce qu'il y a d'autre dans l'océan, dans la colonne d'eau, et qu'elle investit dans ce domaine. Est-ce bien ce que vous nous dites?

M. Lien: Assurément. Au Cap-Breton, dans le dossier des ressources pétrolières et gazières des petits fonds, elle a reçu une gifle. Il en est résulté un conflit entre les pêcheurs côtiers et les sociétés pétrolières, qui voulaient effectuer de la prospection sismique dans le secteur. Que fait l'activité sismique non seulement dans les eaux profondes où nous pêchons habituellement, mais aussi dans les bas-fonds où ces personnes s'adonnaient à la pêche? On s'est retrouvé avec un sérieux conflit sur les bras et beaucoup de mécontentement. On ne peut gérer les océans à coups de commissions royales; une fois le chat sorti du sac, impossible de l'y remettre.

La Loi sur les océans a notamment ceci d'avantageux qu'elle nous fournit les outils dont nous avons besoin pour faire preuve de proactivité. Lorsque je travaille dans le cabinet du ministre, je suis choqué de constater qu'on fait quotidiennement appel à une forme de gestion de crise. On ne peut gérer ni une entreprise ni un foyer de cette façon. Nous devons nous doter de politiques et les mettre en œuvre sur l'eau, sortir de cette mentalité, créer de façon proactive des débouchés économiques et protéger la santé des océans avant de devoir passer en mode de gestion de crise.

Le sénateur Cook: Si vous étiez ministre au MPO, comment réordonneriez-vous vos priorités du point de vue du financement?

M. Lien: Dans ses rapports, l'Oceans Commission des États-Unis a recommandé la création d'un ministère des Océans. Déjà, elle a commencé à investir dans ce genre d'activités, mais elle estime nécessaire de miser sur un ministère des Océans chargé de la coordination de tous les enjeux.

La vérité, c'est que nous devons commencer par mettre de l'ordre chez nous. Nous n'avons jamais été en mesure de respecter notre budget. Voilà maintenant que la vérificatrice générale ordonne une évaluation et un processus d'harmonisation. On en est au beau milieu de cette initiative. Il s'agit d'une démarche longue, malheureuse et difficile. Nous devons aller jusqu'au bout.

Indépendamment de ce qui en ressort au bout du compte, l'inquiétude que m'inspire tout le processus vient de son absence de transparence. On ne fait pas appel à des examinateurs de l'extérieur du ministère. Si j'étais ministre, je me serais assuré d'avoir le bénéfice d'un point de vue de l'extérieur. Je pense que la transparence est, au bout du compte, nécessaire à la crédibilité du processus. Demander à un ministère en proie à de nombreuses difficultés de s'enfermer dans un placard pour s'ausculter lui-même ne constitue pas la meilleure façon de prendre des décisions. On a besoin de conseils de l'extérieur. Il y a en tout cas des personnes disposées à en donner.

Quelles que soient les recommandations qui en découlent, je pense que nous, à titre de représentants du Canada et des citoyens du Canada, devons nous asseoir, examiner la situation et dire: «On a fait du bon travail. On aurait dû ajouter ceci et cela», et cetera En ce qui concerne la transformation actuelle du ministère, j'utiliserais le processus pour associer les Canadiens et les organismes responsables à une consultation plus large. La clé, c'est que, à l'issue de la démarche, on ait en main un plan d'action.

La mise en œuvre de la Loi sur les océans et de la stratégie sur les océans du Canada ne se fera pas sans mal. Il ne suffira pas d'une année pour tout mettre au point. On s'engage dans un processus qui durera une décennie, peut-être dans une initiative qui s'étendra sur toute une génération, je ne sais pas. Il faudra du temps, et je pense que, pour réussir, nous devons définir nos buts, nos priorités et notre plan de travail d'entrée de jeu.

Le sénateur Phalen: Nos questions se chevaucheront probablement. Il est difficile de l'éviter.

Récemment, j'ai mené une étude sur l'impact du rejet de munitions dans les océans. Le ministre de la Défense est responsable de ce secteur. Il a investi des millions de dollars dans une étude visant à déterminer où sont les munitions.

À qui revient la responsabilité ultime? Si le ministre de la Défense constate qu'on rejette effectivement des munitions et en vient à la conclusion que ces dernières devraient être récupérées, à qui, à ce moment, la responsabilité reviendrait- elle? Votre conseil consultatif est-il responsable? Le ministre de la Défense est-il responsable? Le ministre de l'Environnement est-il responsable? Qui est responsable?

M. Lien: Le conseil ne fait que donner des conseils. Nous n'avons pas les moyens de mettre en œuvre une politique du gouvernement du Canada.

Le sénateur Phalen: À ce moment, pourrais-je m'adresser à vous pour obtenir conseil?

M. Lien: Absolument. Nous envisagerions de donner ce genre de conseils. La question que vous soulevez s'inscrit dans le cadre d'un problème plus vaste: 80 p. 100 de l'ensemble des émissions dans les océans viennent de nous qui vivons sur terre. J'ai un petit autocollant que je colle dans les toilettes publiques. On y lit: «Vous êtres assis au bord de l'océan.» En effet, on n'établit pas de lien entre ce que nous faisons sur terre et ce que nous rejetons dans les océans.

Les Terre-Neuviens sont choqués de l'apprendre, mais 50 p. 100 de l'ensemble des sites aquacoles potentiels de Terre-Neuve sont pollués par les eaux d'égouts urbains. Les activités des bateaux — les industries en mer — comptent pour 20 p. 100 de cette pollution. En une seule année, une ville comptant trois millions d'habitants rejette autant de pétrole dans l'océan, en moyenne annuelle, que l'Exxon Valdez.

Nous avons maltraité les océans en y déversant n'importe quoi à notre gré. Les océans servent de lavabo à l'environnement terrestre tout entier. Ils font office de dépotoir universel.

Les munitions représentent un grave enjeu. Je dirais qu'il y a de multiples organismes responsables, y compris le ministère de la Défense, le ministère de l'Environnement ainsi que le ministère des Pêches et des Océans. Parce qu'il pourrait s'agir d'un danger, le ministère des Transports, responsable des navires, serait probablement aussi concerné.

Le sénateur Phalen: Vous avez dit que la Loi sur les océans et la Stratégie sur les océans du Canada prévoient l'établissement d'un programme de contrôle. Pouvez-vous faire le point sur l'état d'avancement du programme?

M. Lien: Il est en évolution. Il est certain que le manque généralisé de ressources lui a nui. De la même façon, la complexité constitue aussi une forme d'empêchement.

Comme je l'ai déjà dit, il est insensé de ne s'intéresser qu'au Canada à titre de pays baigné par des océans. Nos océans sont liés à ceux des États-Unis, du Groenland, de l'Islande, de l'Union européenne et ainsi de suite. Pour avoir du succès, un programme de contrôle doit déboucher sur des mesures qui donneront de bons résultats dans toutes les nations concernées, dans le contexte de règles et d'organismes différents. Il ne suffit pas de récupérer des BPC, des métaux lourds ou des hydrocarbures. Il s'agit d'un problème des plus épineux.

La question du financement joue toujours contre nous quand nous essayons d'établir une série de données à long terme. Il faut avoir les moyens, sinon le projet est voué à l'échec. C'est aussi simple que cela.

Ce que la Chine jette dans l'océan et ce qu'elle en retire sont des choses qui nous touchent. Il existe diverses assises économiques et diverses formes de gouvernement. Faire le ménage chez nous-mêmes, au Canada, est difficile, étant donné que les océans forment une entité globale.

Le sénateur Phalen: Est-ce qu'il y a des zones de l'océan qui sont protégées?

M. Lien: Moins de 0,01 p. 100 des eaux territoriales canadiennes sont protégées. Certains voudraient affirmer que les zones de pêche interdites, par exemple toute la côte nord-est de Terre-Neuve, sont essentiellement des zones protégées. Toutefois, dès que le poisson y reviendra, la pêche ne sera plus interdite, pour que les localités de ce coin-là puissent se donner une forme de survie. Quant aux zones officiellement protégées, il y a déjà eu un exemple que j'utilisais, mais j'en oublie les détails, mais si vous comptez cela en acres, c'est quelque chose comme tant de pieds carrés — point.

Nous n'allons jamais rendre à un océan son état original, ni parvenir à le garder dans un état d'une parfaite pureté. Le mieux que nous puissions souhaiter, c'est d'en assurer la pérennité. Les zones de protection marines sont importantes parce que les sanctuaires naturels, lieux où le poisson pouvait frayer et l'alevin parvenir à maturité, sont maintenant envahis du fait de nos activités.

Nous pouvons prendre n'importe quoi, n'importe où, à n'importe quel moment de l'année. Si je ne le prends pas moi-même et que je vous vois arriver dans votre bateau, je vous dirai où il se trouve, et vous pouvez le prendre vous- même. C'est ahurissant. J'ai un bateau de 20 pieds qui comporte toute la panoplie électronique que les dragueurs avaient au début du moratoire, en 1982. J'arriverais probablement à repérer le dernier poisson. Les deux derniers poissons formeraient un banc. Ce sont des créatures très grégaires.

L'idée de rétablir les sanctuaires naturels n'est pas bourgeoise. C'est une façon essentielle de protéger certaines des ressources océaniques dont il est question.

Le sénateur Hubley: J'aimerais que vous parliez un peu plus de la situation mondiale. Vous avez mentionné le fait que les océans dans le monde sont fortement liés entre eux. Y a-t-il de par le monde de meilleurs exemples que celui du Canada? Y a-t-il des pays qui ont eux aussi eu une révélation, à savoir ce qui arrive aux océans du monde et qui ont fait certains progrès et établi le financement voulu?

Comme suite à cela, j'aimerais savoir si votre conseil se réunit avec d'autres groupes dans le monde. Avez-vous une responsabilité mondiale aussi bien qu'une responsabilité toute canadienne?

M. Lien: Nous sommes responsables devant le ministre. Comme il est ministre d'un organisme qui est censé assumer un leadership international dans le domaine des océans, nous devons lui prodiguer des conseils à propos de questions comme celle-là. Nous avons mis en marche cette nouvelle ratification de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer; le Canada s'est mis en tête de faire cela, et il l'a fait.

Il y a eu une époque où cela ne faisait aucun doute: le Canada était un chef de file en gestion océanique. Si on étudie ce qui s'est passé durant les cinquante années où le droit de la mer a été négocié, on constate que c'est le Canada qui en a été l'élément moteur. Au fil du temps, l'expertise et l'intérêt découlant de cela ont tout simplement disparu.

En juin, j'ai participé aux séances consultatives officieuses sur les océans, aux Nations Unies. La sécurité de la navigation et la qualité du milieu marin étaient les questions à l'ordre du jour. Le Canada n'y a délégué personne du ministère des Transports ou de la Garde côtière. Il n'y a envoyé aucun scientifique susceptible de traiter de questions touchant la qualité du milieu marin.

Les petits pays que sont la Norvège et l'Islande y ont envoyé des représentants. Cela n'a pas fait mon bonheur.

À titre de membre du conseil, mon travail consiste à prodiguer des conseils au ministre et non pas à instaurer la politique gouvernementale, mais j'ai été déçu du manque de leadership qui a caractérisé notre attitude à ce moment-là. Nous devons mettre nos culottes.

À titre de conseil, nous prenons certainement part aux travaux de ces autres groupes, par exemple l'Oceans Commission des États-Unis, établie à la suite d'un décret présidentiel et qui fait rapport aux plus hautes instances, et non pas à un ministre, plus bas dans la hiérarchie. Attendons de voir ce que fera cette commission.

Son rapport final se fait attendre. Elle a produit un rapport provisoire. Je me suis entretenu avec certains des membres de la commission et avec le président de la commission. Un des éléments positifs qu'il faut noter, c'est que la commission va recommander la ratification de la Convention sur le droit de la mer, ce qui est tout à fait ahurissant; c'est que certains des éléments du Sénat sont passés à autre chose. Pour ratifier la Commission, il faut obtenir les deux tiers des voix au Sénat ainsi que l'aval du président, ce qui, en rapport avec pratiquement n'importe quel traité international, aurait été impossible il n'y a pas si longtemps.

Tout de même, elle recommande la ratification et fera des pressions en ce sens.

Nous sommes en relation avec d'autres responsables de ce dossier, et certains sont plus avancés dans la mise en œuvre de leur programme. L'Australie représente un cas tout à fait étonnant, car elle a établi un réseau de zones de protection marine qui est probablement le plus complet qui soit dans le monde, et qui porte fruit. Dans le secteur du tourisme, les recettes nettes associées à la grande barrière de corail s'élèvent à quelque 4 milliards de dollars australiens, et les coûts de gestion sont très peu élevés. Nous avons un projet de ZPM où l'investissement total des administrations fédérale et provinciales représente moins d'un quart de million de dollars. Les retombées annuelles — les retombées économiques — des ZPM en question, qui sont en voie d'être instaurées, se situent à 3 millions de dollars. Les gens qui ont embarqué constatent que ça porte fruit.

Pour illustrer un point que j'ai fait valoir plus tôt, je dirais que je vois là des possibilités de développement économique et non seulement l'action de bonnes âmes soucieuses de l'environnement. C'est un élément capital du bien- être des crabes.

Le sénateur Hubley: Vous avez dit qu'il y a 27 organismes fédéraux qui s'occupent des océans.

M. Lien: Ne me posez pas de questions sur eux aujourd'hui.

Le sénateur Hubley: Avez-vous quelque chose à dire à leur sujet? Est-ce qu'ils ont des préoccupations légitimes? Est- ce qu'ils devraient être établis d'une autre façon? Est-ce qu'ils travaillent ensemble, à votre avis? Est-ce qu'ils reçoivent beaucoup de fonds?

M. Lien: Oui. Nous donnons beaucoup d'argent à tous ces organismes. Il y en a peut-être une partie qui devrait servir à promouvoir la collaboration. Nous devons nous asseoir avec tout le monde et en parler. M. Peter Harrison, sous-ministre à l'époque, au ministère des Pêches et des Océans, entendait revitaliser son comité des océans. Or, les membres du comité ne se sont jamais réunis. Nous devons mettre quelque chose en place à ce niveau, pour que nous puissions régler la question. Il nous faut un plan d'action pour que tous les partenaires puissent mettre en œuvre la Loi sur les océans.

Certains d'entre nous allons rencontrer, au début d'octobre, le greffier du Bureau du Conseil privé pour lui faire part des problèmes que nous associons à la mise en œuvre de la Loi sur les océans et de la stratégie. Nous allons affirmer que nous souhaitons élaborer, à titre de gouvernement et de groupes de Canadiens, un plan d'action. Nous allons discuter de la manière de procéder, pour que cela se concrétise.

Le sénateur Watt: J'aimerais mieux comprendre ce qu'est la Loi sur les océans, par rapport au Conseil consultatif des océans.

Dites-le-moi si je me trompe, mais est-ce que je ne vous ai pas entendu dire que, au moment où le conseil consultatif a été mis en place, son mandat à l'égard du ministre portait davantage sur des questions économiques? Est-ce ce que vous avez dit plus tôt, durant votre exposé?

M. Lien: Non. Nous ne comptons pas d'économiste à notre conseil, de sorte que nous sommes limités de ce point de vue. Certes, la mise en œuvre de la Loi sur les océans comporte des objectifs liés au développement économique. Nous ne prodiguons pas de conseil sur cette question particulière. Cela me paraît curieux de savoir que notre groupe a été le premier au MPO à discuter avec les gens du secteur de la technologie de pointe qui s'occupent de l'innovation dans le secteur maritime. Ces gens-là ne s'étaient jamais entretenus avec quiconque au MPO. Nous avons également parlé à des représentants du secteur de l'exploitation pétrolière et gazière en mer, avant que des problèmes ne surgissent. D'une certaine, façon, nous sommes branchés sur l'industrie, mais notre souci, c'est de gérer les conflits et l'utilisation de l'espace océanique, ainsi que d'assurer la qualité du milieu. Il s'agit de mettre en œuvre les principes énoncés dans la Loi, les programmes limités qui existent, la gestion et les organismes responsables, et d'assurer la santé des océans et ainsi de suite. La prise en considération d'intérêts économiques particuliers dans quelques secteurs, y compris celui des pêches, n'entre pas vraiment dans nos tâches.

Je suppose que si le ministre disait: «comment faire pour que les pêches rapportent plus d'argent?» nous serions obligés de nous former une opinion à ce sujet.

Le sénateur Watt: Pour ce qui touche la mise en œuvre de la Loi sur les océans, je crois que vous avez laissé entendre que le gouvernement devrait envisager la question avec un plus grand sérieux. Vous dites que le ministre est occupé à régler les crises qui se succèdent au sein de l'industrie, qu'il gère les stocks existants, ou ce qui est censé exister, en réaction aux pêcheurs et à d'autres intervenants. Si c'est là la préoccupation du ministre, ne croyez-vous pas qu'il faudrait probablement une autre tentative pour mettre en œuvre la Loi sur les océans? Quand je parle d'une «autre tentative», je parle d'un ministère autre que le ministère des Pêches et des Océans. Peut-être faut-il faire pression sur lui pour qu'il fasse avancer le dossier, sinon l'action gouvernementale ne portera pas fruit, mais je crois que le mal est déjà fait, et vous l'avez bien illustré.

Depuis que je me suis joint au Comité des pêches, je me soucie des conditions qui existent à Terre-Neuve. Il me semble que les pêcheurs vont toujours de plus en plus loin, au large.

M. Lien: Cette remarque est tout à fait juste.

Le sénateur Watt: Parfois, les politiciens ont tendance à croire que le poisson ne franchit pas les limites territoriales, mais nous savons qu'il s'agit ici non seulement d'une crise canadienne, mais également d'une crise internationale.

Je suis moi-même originaire de l'Arctique, et je m'inquiète de l'éventualité que ce genre de pratique puisse continuer dans le Nord. On ne semble pas trop se soucier des stocks — à part pour savoir s'ils vont produire des fruits économiques, au profit du secteur des affaires. Une bonne analyse scientifique de la question s'impose certainement dans le Nord. Parfois, faute de fonds, les scientifiques n'arrivent pas à parachever leurs travaux. Je vais vous donner un exemple de cela.

Il est question ici du ministère des Pêches et des Océans. Le béluga figure maintenant sur la liste des espèces en péril. Les gens qui s'y connaissent demandent quel est le fondement scientifique de la décision ainsi prise. D'après ce qu'ils en savent, les gens concluent que c'est une sorte de vœu pieux qui ne repose sur rien de réel, étant donné que les travaux scientifiques dans le domaine demeurent insuffisants, faute de fonds. Je traite de cet aspect de la question parce que vos observations, notamment quand vous dites qu'il faut mettre en œuvre la Loi sur les océans, sont importantes. C'est-à- dire qu'il n'y a pas seulement le côté économique de la question; il y a aussi le côté environnemental et le côté scientifique. Du point de vue scientifique, il faut savoir ce qui existe et ce qui n'existe plus.

Il m'arrive de n'être pas sûr de tout cela et, comme vous, je me demande si, en l'absence d'une restructuration du ministère et du fait que le ministre doive passer d'une crise à l'autre, la Loi sur les océans sera bien mise en œuvre un jour. Je ne crois pas que le ministre soit parfaitement disposé à le faire. J'aimerais savoir ce que vous en pensez. Pour commencer.

M. Lien: J'ai travaillé pour sept ministres des Pêches et non seulement celui qui est en poste aujourd'hui. De fait, l'urgence prend toujours le pas sur les objectifs à long terme. Cela vaut pour la Garde côtière, dont la tâche prioritaire consiste à sauver les gens, avant de prendre le temps d'apporter des modifications à sa flotte ou à ses programmes. Cela vaut également pour les pêches et pour la gestion de l'habitat et ainsi de suite. C'est simplement le côté absurde du monde: l'urgent a préséance sur le reste.

La gestion de crise, c'est ce qu'un ministère peut accomplir. C'est malheureux: il faudrait pouvoir mobiliser toute la puissance et toutes les idées que peut produire ce ministère au profit de la mise en œuvre. La question est la suivante: est-ce que le MPO aide à la mise en œuvre de la Loi? Cela ne fait aucun doute. Le projet ne fonctionnera que s'il s'agit d'un programme coopératif qui fait appel à tous les organismes responsables, et il n'est pas question ici d'eau salée. La loi sera mise en œuvre pour ce qui est des océans Arctique, Pacifique et Atlantique. Si les provinces et les industries, qui possèdent à propos des océans des connaissances abondantes qui échappent au gouvernement fédéral, ne collaborent pas à ce projet, cela ne se fera pas.

Certaines personnes ont affirmé que la Loi sur les océans est une bonne idée, mais, par contre, la gestion du ministère des Pêches et des Océans a signifié l'arrêt de mort de la pêche au poisson de fond. Faut-il confier aux mêmes gens la gestion de l'océan dans son ensemble? C'est le genre de scepticisme qui s'est manifesté. Il ne fait aucun doute qu'ils auraient besoin d'aide pour savoir comment organiser l'affaire. C'est le travail du premier ministre, du CPM et du greffier du Bureau du Conseil privé. C'est un travail qui échappe certainement à un conseil consultatif ministériel, et peut-être à votre comité aussi. Saisir l'importance de la Loi et les difficultés que suppose sa mise en œuvre pourrait vous conduire à discuter avec des gens de la façon d'y arriver concrètement. Quel est le plan d'action? Quelles sont les exigences institutionnelles quant à la mise en œuvre de la Loi sur les océans?

Cela ne fait aucun doute: la situation à laquelle nous faisons face dans l'Arctique est critique. La situation des localités de Terre-Neuve et de la Colombie-Britannique, sur la côte, n'est pas très différente de celle des localités dépendantes de l'Arctique. D'une façon ou d'une autre, nous sommes des gens de la mer; il importe peu que ce soit le poisson qui assure notre subsistance ou encore le pétrole ou le gaz ou le tourisme; nous sommes des gens de la mer. C'est la ressource sur laquelle il faut compter pour gagner notre vie. Pour s'en tirer à un moment où le changement se fait de manière exceptionnellement rapide, le gouvernement doit certainement adopter des mesures mieux ciblées. Nous ne formons qu'un conseil consultatif au service d'un ministre, nous ne disons pas au premier ministre ni au greffier du BCP quoi faire. Il faut une assise différente pour pouvoir prodiguer ce genre de conseils au gouvernement.

Le sénateur Watt: Je crois comprendre, c'est parfaitement clair. Comme vous le dites, ce n'est pas l'affaire d'un seul ministre, c'est la responsabilité du pays entier et de la communauté internationale.

Pour ce qui est des questions que vous avez soulevées au sujet du passage du nord-ouest, vous avez parlé de 15 ans. J'ai tendance à croire que cela se fera avant que 15 ans ne s'écoulent, car les choses évoluent vite. J'habite là; et j'y vois des choses qui ne se faisaient pas il y a nombre d'années. Avant, les arbres m'allaient aux genoux; mais, aujourd'hui, ils sont plus grands que moi. Cela montre la vitesse à laquelle croît la végétation. La glace disparaît, et les ours polaires sont de plus en plus présents le long de la côte. On risque presque de se faire manger par les ours polaires aujourd'hui: nous sommes pour eux un très beau gibier. C'est parce que les glaces qui se trouvent au large fondent rapidement. Si nous ne faisons pas attention, nous allons perdre rapidement l'emprise que nous avons sur l'Arctique, car nous ne comprenons nullement l'océan; nous ne connaissons nullement les fonds marins; nous ne connaissons nullement le poisson; et nous ne connaissons nullement quelque espèce qui vit dans l'océan. Les travaux visant à réunir des informations scientifiques sur ces questions ont été insuffisants.

M. Lien: Une perte d'emprise sur l'Arctique est une possibilité réelle, et pas seulement au sens écologique que vous avez évoqué. La Russie a réalisé sa cartographie marine et déposé tous les documents voulus. Les États-Unis sont en train de réunir des données à cette fin.

Le sénateur Watt: Oui, ils ont des projets.

M. Lien: Qu'est-ce que le Canada a fait, lui? Des segments importants de ce que nous appelons «l'Arctique canadien» font l'objet de différends. L'exercice de cartographie des fonds marins s'est fait en un laps de temps relativement court — dix ans, je crois. Le Canada a mis au point la technologie pour faire cela avec splendeur, mais nous devons aller de l'avant.

Le sénateur Adams: Monsieur Lien, j'aimerais vous poser quelques questions. Premièrement, les membres de votre conseil originaires de l'Arctique ne vous ont pas côtoyé pendant longtemps, et vous avez perdu un membre du Québec. Peut-être étaient-ils frustrés et peut-être qu'ils n'avaient pas d'espace pour travailler. Depuis combien de temps siégez- vous au comité? Qu'est-ce qui se passe?

M. Lien: Les gens sont nommés par le ministre. Nous avons déjà dit au ministre que nous devons avoir l'occasion de le renseigner sur la situation — l'ampleur du travail est telle que cela fait peur aux gens.

Nous avons perdu un membre du Québec parce que le ministère refusait de payer le carburant du jet privé qu'elle empruntait pour venir aux réunions, ce qui est une question tout à fait différente. Nous avons perdu les membres du Nunavut parce que le fardeau de lecture est terrible et que l'anglais n'est peut-être pas leur langue maternelle. Les traditions littéraires ne sont peut-être pas les mêmes: une bonne part des connaissances qu'ont ces gens sont de nature traditionnelle, ils les tirent de la terre. Voilà les complications qui se présentent. Notre conseil doit refléter la diversité de l'expertise; je suis d'accord avec cette idée. Encore une fois, les membres du conseil peuvent formuler des recommandations sur l'expertise que doivent posséder les membres afin de s'attaquer aux questions en jeu. Certes, les gens qui vivent dans l'Arctique éprouvent de la frustration.

Le sénateur Adams: Notre situation s'apparente à celle de Terre-Neuve. Nous comptons 27 localités au Nunavut, mais une seule qui se trouve dans la partie continentale — Baker Lake. Il y a 26 localités qui, sur tout le territoire, dépendent de la mer, mais nous dépendons aussi de la terre, dans le cas du caribou.

M. Lien: Il n'y a pas que le poisson dans l'Arctique qui va disparaître.

Le sénateur Adams: Je le sais. Nous allons entendre le témoignage de gens de l'île de Baffin demain. Vous vous y êtes déjà rendu. Nous allons étudier le secteur de la pêche commerciale et le secteur de la pêche à la crevette. Les scientifiques ne peuvent nous donner de renseignements sur le nombre de poissons et de crevettes, ni sur leur taille. Il n'y a que huit tonnes métriques de flétan et environ 3 000 tonnes métriques des autres poissons. Il y a trois ans et demi de cela, le ministre s'est rendu sur place et a affirmé que le budget permettrait de consacrer 200 millions de dollars par année à la recherche; néanmoins, il n'a jamais dépensé un cent au Nunavut et dans le secteur côtier. Y aura-t-il à l'avenir des fonds pour les pêches commerciales du Nord?

M. Lien: Vous avez pour vivre les ressources océaniques; il est donc absolument essentiel que nous les protégions, avec l'entière collaboration des résidents locaux.

J'ai eu affaire à un cas où la pêcherie au flétan allait jusque dans le détroit de Davis, et le Nunavut pouvait certainement réclamer une part de cela.

C'est la zone de frai de tout le stock de flétan. Les Terre-neuviens, en particulier, y pêchaient au filet maillant. Ils remontaient toute une série de filets maillants à l'automne et, souvent, s'en retournaient avec non pas tant un grand nombre de filets, mais plutôt toutes sortes de poissons.

C'est un danger grave pour l'environnement, attribuable à la pêcherie. C'est un problème qui fait intervenir les droits relatifs aux eaux contiguës et aux allocations. Il y a des mesures correctrices qu'on prend en ce moment même.

Le Nunavut est en train de prendre le contrôle de cet aspect. Les pouvoirs publics sont conscients de la situation. C'est sous la férule de M. Tobin que cela s'est fait. Cela remonte à un certain temps. Le Conseil pour la conservation des ressources halieutiques figure parmi ceux qui ne savaient pas ce qui se passait. Il attribuait les secteurs traditionnels à Terre-Neuve, là où on prenait le poisson sans savoir vraiment ce qui se passait. Nous avons vite fait de nous réunir au Nunavut, ce qui a été très utile au conseil, pour entendre les points de vue exprimés au Nunavut.

Le sénateur Adams: À l'heure actuelle, le gouvernement du Canada ne nous reconnaît pas comme pêcheurs commerciaux. Nous sommes considérés comme vivant des fruits de la Terre. Il devrait y avoir une politique gouvernementale, comme celle qui s'applique à Terre-Neuve, en ce qui concerne la pêche commerciale. Il devrait y avoir une forme quelconque de politique à cet égard.

M. Lien: Étant originaire de Terre-Neuve, j'ai droit moi aussi à l'image pittoresque des «bottes de caoutchouc» appliquée à ce que nous faisons. Or, notre secteur des pêches est très perfectionné sur le plan technique et d'un grand professionnalisme. Les pêcheurs ont des bateaux que je n'aurais jamais les moyens de me payer, ni la capacité de comprendre.

Il n'y a aucune raison de croire que certains de ces éléments ne pourraient fonctionner au Nunavut. Je ferais cependant une mise en garde à votre intention: vous avez un écosystème qui comporte certaines limites du point de vue de la productivité. Si vous voulez savoir comment agir correctement, ne nous prenez pas pour exemple. La voie industrialisée de la pêche communautaire et de la survie d'une collectivité n'est pas forcément la voie indiquée.

La science ne parviendra jamais à instaurer les mesures de précautions nécessaires, surtout dans un écosystème fragile. Nous vivons cette situation au Labrador, en ce moment même, dans le cas du crabe des neiges.

Il y a eu une réduction de 94 p. 100 de la biomasse, que l'on peut probablement attribuer, tout au moins en partie, à la méthode destructrice que nous employons pour pêcher les crevettes. Nous avons des localités qui sont devenues dépendantes de ce secteur de pêche industrielle; aujourd'hui, la ressource n'y est plus.

Le sénateur Trenholme Counsell: Votre exposé a été très intéressant. J'espère que vous n'envisagez pas tout cela avec trop de pessimisme. En vous écoutant, j'ai conclu que vous le faisiez un peu.

Vous avez souvent employé le terme «gestion intégrée». J'espère que ce que je m'apprête à dire ne sera pas assimilé à une forme d'hérésie. Vous avez mentionné le fait que 27 organismes fédéraux s'occupent de la gestion des océans.

Il m'est venu à l'idée que nombre des questions que vous avez soulevées ce soir sont des questions environnementales. Quelle est la relation entre le ministère des Pêches et des Océans et le ministère de l'Environnement, et y a-t-il une intégration suffisante des deux? Comment procédez-vous pour travailler ensemble?

L'environnement évoque pour nous l'air, la terre et l'eau. Dans quelle mesure Environnement Canada se penche-t-il sur le cas de l'eau?

M. Lien: Il est certainement responsable de contrôler la qualité du milieu aquatique dans le cas des eaux intérieures. Il est responsable de la Loi sur les espèces en péril. Sa mise en œuvre, pour ce qui est des animaux marins, relève de la responsabilité du ministère des Pêches et des Océans.

Ils collaborent à ce genre de tâche. Si vous demandez: est-ce une intégration parfaitement réussie? La réponse est: non. Est-ce qu'on pourrait l'améliorer? La réponse est: oui.

Pour y parvenir, il ne suffit pas d'arriver sur place, de mettre son pied à terre et de dire: «Travaillez donc ensemble!» Il y a des précisions et des éléments à régler dans les deux bureaucraties. La complexité des bureaucraties doit être prise en considération.

Le sénateur Trenholme Counsell: Les pêcheries, c'est une chose. C'est de la stupidité économique, dans une très grande part. Il y a tant de ce que vous dites qui est lié à l'environnement. Il y a la question de la coopération, mais la gestion de tout cela est l'affaire du ministère des Pêches et des Océans, c'est bien cela?

M. Lien: La responsabilité première, entre tous les partenaires fédéraux, incombe au ministre des Pêches et des Océans, oui.

Le projet de Kyoto était la responsabilité du ministère de l'Environnement et cela a été un choc pour moi de voir que le rôle des océans dans le monde pour ce qui est de la régulation des climats, des échanges de gaz sur la planète et ainsi de suite était peu prisé comme sujet.

Je n'ai rien entendu à ce sujet dans les discussions qui ont eu lieu au Parlement, au gouvernement, dans le grand public ou dans les médias. C'est ahurissant.

Le ministère des Pêches et des Océans dispose de scientifiques qui comprennent la question. Nous avons un groupe d'étude du changement climatique qui comprend le rôle des océans. À mon avis, cela symbolise le manque de coordination entre les divers partenaires qui traitent de la question des océans. Les océans auraient dû occuper le premier plan de nos discussions sur le protocole de Kyoto. Or, elles n'y ont tout simplement pas figuré.

Le sénateur Trenholme Counsell: Cela m'inquiète certainement. Je peux comprendre les problèmes quotidiens auxquels fait face le ministre des Pêches et des Océans, car il a affaire aux problèmes immédiats qui marquent la vie des pêcheurs. C'est tout à fait compréhensible, mais il faut une perspective plus vaste pour comprendre tout cela.

J'ose espérer qu'il y aura de plus en plus de relations de coopération et une gestion intégrée avec Environnement Canada.

M. Lien: C'est ce que j'espère. Je ne suis ni cynique ni pessimiste. Ce serait là une stratégie qui n'est ni viable à long terme ni judicieuse, en rapport avec quoi que ce soit. Cela reflète la diversité du pays.

Le sénateur Mahovlich: J'ai reçu aujourd'hui une lettre d'un député du Yukon. Il essaie de faire en sorte que tout le monde signe un document, pour que cesse la prospection pétrolière en mer. Je me dis qu'il doit y avoir une politique en place.

M. Lien: C'est dans quelle région?

Le sénateur Mahovlich: Je crois que c'est l'Arctique.

Le président: C'est une lettre signée par le député Larry Bagnall, qui, je crois, vient du Yukon. La lettre porte sur une certaine prospection pétrolière en mer.

Le sénateur Mahovlich: Je ne sais pas si je dois la signer. Est-ce qu'il fait en sorte que tout le monde signe cela? Est-ce qu'on fait des choses en faisant signer des lettres? C'est une industrie. Faut-il faire cela?

Je suis un peu confus. Avez-vous déjà eu affaire à cela? En ce moment, il y a des plates-formes pétrolières dans l'Atlantique. Nous ne pouvons les arrêter; c'est l'industrie. Pouvons-nous employer des lettres pour les arrêter?

M. Lien: Ce serait 2,3 milliards de dollars annuels de moins dans l'économie de Terre-Neuve. Je ne sais pas ce que ça représenterait pour la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Mahovlich: Est-ce qu'ils polluent beaucoup, vraiment? Est-ce qu'il y a de nombreux polluants qui s'échappent?

M. Lien: Pour ce qui est de l'exploration pétrolière en mer, par comparaison avec les rejets des installations sur terre, c'est presque insignifiant. Le processus d'évaluation de ce genre d'activités est très intense.

J'ai déjà pris part aux travaux de comités d'évaluation environnementale. Les pétrolières disent: «Nous voulons mettre en valeur cette ressource-ci», et le gouvernement répond: «D'accord, dépensez votre argent, déterminez quelles seront les conséquences; vous devez nous donner toutes sortes de précisions là-dessus.»

La pétrolière revient avec l'information. Si nous sommes d'avis que cela ne suffit pas, nous la renvoyons à ses devoirs. Nous prenons alors tous les devoirs faits, ce qui devrait représenter une somme assez générale des conséquences de la mesure envisagée sur les océans, nous les soumettons à l'examen en matière d'environnement — nous scrutons cela à la loupe. Si nous avions fait cela dans le cas des poissons de fond sur la côte Est, on n'aurait pas fait disparaître tout le niveau trophique de l'océan. Nous aurions agi avec une plus grande prudence.

Je comprends les inquiétudes que peut soulever l'exploration pétrolière et gazière en mer. C'est une nouvelle activité dans les océans. C'est également une activité dont la durée est de peut-être 25 ou 30 ans. Les localités qui vivent depuis 500 ans d'autres ressources se soucient de ce que vient faire le petit nouveau, qui va prendre ce qu'il veut bien prendre, puis s'en aller. Qu'est-ce qu'il reste alors dans son sillage pour nos localités, notre main-d'œuvre et la culture?

Je vis dans une culture où les changements en question sont très marqués. Il ne fait aucun doute que la prospection pétrolière et gazière à Terre-Neuve a pris le pas sur l'industrie de la pêche en tant qu'activité économique. C'est dans le secteur de la presqu'île Avalon que l'on trouve la croissance économique la plus rapide qui soit au Canada. Ce n'est que là que ça existe. Ce n'est pas le secteur rural de Terre-Neuve dans son intégralité; nous sommes donc en train d'établir une société de classes, en raison de cette industrie.

Ce n'est pas seulement la faute de l'industrie; notre façon de gérer les occasions qui se présentent est aussi en cause. Nous ne le faisons pas de manière proactive. D'accord, il y a une crise, le secteur rural de Terre-Neuve se vide, et voilà que nous revenons en mode crise — et ce qui est urgent a toujours préséance.

Je ne sais rien de toute la question du Yukon; je vais donc m'abstenir de formuler des commentaires particuliers à ce sujet.

Le président: J'ai plusieurs questions à poser, mais je vais m'en tenir à une question qui porte sur la pêche. Je sais que je ne devrais probablement pas vous poser une question sur la pêche, mais, dans l'état actuel des choses, on pourrait comparer les méthodes de pêche à des coupes à blanc. Les bateaux sont d'une efficacité extraordinaire; ils prennent le large et sont en mesure de repérer tout le poisson — je crois que, plus tôt, vous avez parlé du fait de repérer jusqu'au dernier poisson, et même les deux derniers d'une espèce. Au fil des ans, nous avons créé un régime qui dirige les convoitises vers le poisson de fond, dans certains cas sur la crevette, dans d'autres sur le crabe, et tout le monde est bien professionnel. Il prend sa part à lui et ne se soucie pas vraiment, je présume, des autres espèces. Or, les méthodes fondées sur l'écosystème nous disent que si quelqu'un va à la pêche à la morue, cela a des conséquences pour les autres espèces.

Je me demandais si, selon cette approche écosystémique que je crois que vous avez mentionnée, pour la pêche interespèces — si vous pêchez, disons, le crabe, cela va avoir des conséquences pour certaines autres espèces à un moment donné — s'il n'y a pas une façon pour nous d'en arriver au genre de permis qui ferait que les pêcheurs se soucient du fait que le nombre de prises qu'ils ont, pour une espèce particulière, aura des conséquences pour certaines autres espèces dans le secteur? Je songe peut-être à une sorte de permis multiespèces. En tant que groupe consultatif, avez-vous étudié les effets possibles d'un régime de permis multiespèces sur l'amélioration, sinon l'adoption de l'approche écosystémique de pêche, celle dont vous parliez?

M. Lien: De tradition, la technique appliquée aux pêches s'est concentrée sur l'efficacité et l'efficience, et non pas sur la mortalité globale produite en rapport avec un stock donné, pour d'autres espèces, ou sur quelque conséquence du point de vue de son habitat.

Le cas du Platier est un bon exemple. Il s'agit d'une montagne sous-marine qui se trouve près de la queue des Grands Bancs. Une bonne part de la queue des Grands Bancs est une zone de prédilection pour les alevins de quatre espèces de poissons exploités commercialement. Ce sont des poissons qui sont exploités de tradition par les pêcheurs canadiens, mais aussi par les pêcheurs étrangers qui ont des droits historiques à cet égard.

Or, les alevins ne survivent tout simplement pas s'ils ne peuvent évoluer dans un habitat benthique intact. La technologie que nous employons pour pêcher dans ce secteur-là est le dragage du fond. Ce procédé a déjà été comparé aux coupes à blanc. Il comporte des conséquences pour la flore du fond marin, élément capital de la survie des alevins. Quatre espèces — 84 p. 100 des espèces à vocation commerciale d'alevins — évoluent dans les secteurs en question et sont touchées par cette méthode de pêche.

La FAO et les pêcheurs canadiens ont adopté des codes de conduite. Je crois que cela évolue, mais l'adoption d'une technologie nouvelle fait l'objet de certains facteurs dissuasifs sur le plan économique. Il faut beaucoup de recherches et de recyclage et de restructuration des bateaux. Or, il est difficile de trouver de l'argent pour faire cela à l'intérieur d'une industrie marginale qui connaît une époque difficile. Il n'appartient pas au gouvernement d'arriver et de dire: «Nous allons vous subventionner.» Déjà, un des problèmes que nous avons dans l'industrie de la pêche, c'est celui de la capacité excédentaire, attribuable en partie aux subventions directes versées par les divers gouvernements du Canada et par les pouvoirs publics de pratiquement tous les autres pays du monde.

Pour ce qui est des permis multiespèces, du fait de certaines des techniques de pêche dont nous disposons, nous prenions simplement ce qu'il y avait là. Le dragage, la pêche à la senne coulissante, la pêche par pair — ces procédés permettent simplement de prendre ce qui se trouve dans la colonne d'eau, du moment que la créature est assez grosse pour ne pas passer entre les mailles du filet.

Cela explique pour une bonne part le taux de mortalité globale attribuable à la pêche. C'est de cette façon que nous sommes parvenus à éliminer des niveaux trophiques entiers. Ce qui est arrivé dans les pêcheries du monde, c'est que nous sommes passés des grands poissons pélagiques aux poissons pélagiques plus petits, puis aux poissons-appâts comme le hareng, le capelan et le lançon, et jusqu'aux invertébrés. Cette cascade de trophiques caractérise les pêches partout dans le monde. Comme nous n'avons pas exploité la technologie de manière responsable, il est établi que les prises mondiales sont à la baisse depuis dix ans.

Dans certaines publications, on affirmera que ce n'est pas le cas, mais c'est parce que les chiffres incluent alors le cas de la Chine; les responsables des publications ont tenu pour vrais les rapports de la Chine; or, les Chinois ont menti comme des arracheurs de dents — ils voulaient bien paraître. Si ont tient compte du fait que les Chinois ont embelli les chiffres, les pêches mondiales en tant que total, considéré dans le milieu océanique entier, sont à la baisse. Qu'il s'agisse d'adopter ou non la gestion plurispécifique, nous devons fixer clairement nos objectifs de gestion. Est-ce que nous agissons pour maintenir un niveau sécuritaire des stocks existants? Est-ce que nous agissons pour préserver les collectivités et les secteurs de la pêche? Agissons-nous pour faire de l'argent? Nous n'avons jamais géré les pêches au Canada en vue d'un seul et unique objectif. Tous ces objectifs entrent en contradiction et susurrent à l'oreille du ministre quand il doit prendre une décision, de sorte qu'il est très difficile pour l'industrie de se tirer d'affaire.

Le président: Je suppose que nous devons passer de la coupe à blanc à la coupe sélective; ce sera peut-être la solution.

M. Lien: C'est peut-être la bonne analogie, oui.

Le président: Professeur, comme je l'ai dit, la soirée a été très longue. Tout de même, elle a certes été instructive et tout à fait agréable pour chacun d'entre nous. L'attention portée par le comité et la longueur et la qualité des questions témoignent de la qualité de votre exposé. Nous apprécions le professionnalisme, la candeur et l'honnêteté avec lesquels vous avez abordé l'exposé et répondu aux questions ce soir.

Vous avez mentionné tout à l'heure un défi — que nous devenions des champions. Nous n'allons peut-être pas être à la hauteur, mais j'espère que nous allons pouvoir vous aider quelque peu à atteindre votre but.

M. Lien: J'ai bien apprécié le temps que j'ai passé ici.

Il importait que le conseil s'adresse à vous. J'ai pour vous quelque chose qui vous rappellera votre responsabilité à l'égard des océans. Je me suis rendu au quai dans ma localité; voici l'Atlantique-Nord. Vous pouvez le mettre sur votre bureau, l'utiliser comme presse-papier si vous le désirez. Je n'en ai pas assez pour tous, mais vous pouvez le mettre sur votre bureau et, si vous voulez, je peux vous en obtenir de la mer de Beaufort et du Pacifique. Collectionnez-les tous, comme des cartes de hockey.

Le président: Ce sera une façon merveilleuse de se rappeler pourquoi nous sommes là.

La séance est levée.


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