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POFO - Comité permanent

Pêches et océans


Délibérations du comité sénatorial permanent des 
Pêches et des océans

Fascicule 14 - Témoignages


OTTAWA, le mardi 7 octobre 2003

Le Comité sénatorial permanent des Pêches et des Océans se réunit aujourd'hui à 19 h 06 pour étudier, afin d'en faire rapport de façon ponctuelle, les questions relatives aux stocks chevauchants et à l'habitat du poisson.

Le sénateur Gerald J. Comeau (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Nous poursuivons ce soir notre étude des questions relatives à l'habitat du poisson. Nous avons la très grande chance d'accueillir M. Jay Straith, ancien président de l'Artificial Reef Society of British Columbia (ARSBC).

Je suis certain que les membres du comité seront très intéressés à entendre ce que vous avez à dire tout autant que par la période de questions et de réponses qui suivra.

M. Jay Straith, ancien président, Artificial Reef Society of British Columbia: Monsieur le président et honorables sénateurs, je veux vous brosser un bref historique du projet de création de récifs artificiels au Canada, de son évolution et de ce qu'il pourrait faire à titre d'outil d'intendance des océans.

Un certain nombre de raisons sont à l'origine du projet initial de création de récifs artificiels en Colombie- Britannique. L'utilisation à des fins récréatives d'épaves historiques par des plongeurs posait un problème particulier. En effet, l'interaction avec ces plongeurs a entraîné une détérioration notable de ces épaves historiques, dont l'état était plutôt fragile. Certains d'entre nous, issus surtout de l'Underwater Archaeological Society of British Columbia, ont eu l'idée de mettre au point un programme de création de récifs artificiels. Nous en avons parlé à des représentants de la Direction de la gestion de l'habitat du ministère des Pêches et des Océans (MPO), qui étaient au courant du concept, lequel, à la fin des années 80, n'avait cependant jamais été mis en application dans les eaux canadiennes.

Nous étions motivés par un certain nombre de raisons. D'abord, nous étions d'avis qu'un programme de création de récifs artificiels bien conçu attirerait des plongeurs dans la région. Les plongeurs viendraient dans ces récifs artificiels non pas pour pêcher, mais bien pour observer les poissons qui auraient tendance à s'y épanouir et à y établir des colonies. Il y avait aussi des considérations éducatives: en effet, on ne savait pas comment se comporterait un récif artificiel en eaux froides. Jusqu'ici, cette question n'a pas bien été documentée par la communauté des chercheurs.

On avait également l'intention d'initier les plongeurs au moyen de pratiquer leurs passe-temps en toute sécurité et d'assurer la surveillance de ces derniers. Il y avait aussi des questions environnementales liées à l'échouage de navires de grande taille dans les eaux froides du Canada. Depuis des années, on connaît bien la notion de récifs artificiels un peu partout dans le monde. Je pense par exemple au lagon de Truk en Micronésie ou aux eaux qui s'étendent au large de la Grande Barrière de récifs, où on peut visiter des navires comme le SS Yongala. Ce sont en soi des récifs spectaculaires au sens naturel.

Au Canada, à cette époque, nous avions ce que nous appelions des récifs artificiels spontanés, et c'est-à-dire qui s'étaient formés à l'endroit où ils se trouvaient par suite d'accidents. Pour cette raison, ils constituaient des endroits plutôt délicats et dangereux où pratiquer la plongée autonome. Ces épaves historiques — dont bon nombre ont coulé au siècle dernier — ont subi l'effet de l'action des vagues et du climat à l'endroit où elles se sont échouées. Habituellement, elles se trouvaient dans des lieux des plus dangereux.

Si le navire avait fait naufrage, c'était d'abord parce qu'il avait été surpris au mauvais moment par des conditions climatiques ou des courants déchaînés. L'endroit où il s'était échoué ne se prêtait pas à la plongée à des fins récréatives. Par ailleurs, les navires s'étaient détériorés au fil des ans. Un organisme appelé le Divers'Alert Network tient à jour des statistiques très serrées sur les accidents mortels subis par des plongeurs. Dans bon nombre de ces vieilles épaves, un grand nombre de plongeurs étaient morts du fait qu'il n'y avait qu'une seule entrée pour le compartiment d'un navire et, par conséquent, une seule sortie. Si, pendant la plongée, ils éprouvaient des difficultés, les plongeurs ne pouvaient accéder à la sortie, et on avait un accident mortel à déplorer.

Le monde archéologique, plutôt actif dans les eaux du Canada, souhaitait faire quelque chose pour atténuer les pressions exercées sur les épaves historiques. Au large de Porlier Pass, en Colombie-Britannique, il y a un navire appelé le Del Norte qui constitue un remarquable exemple de vapeur à aubes, qui a fait naufrage en 1868. Malheureusement, les plongeurs récréatifs avaient causé beaucoup de dommages à cette relique des temps anciens, et nous étions à la recherche d'un moyen d'atténuer les pressions dont ces navires faisaient l'objet afin de prévenir une détérioration plus grande.

Notre première épave, le G.B. Church, a été saisie par suite d'une action en justice intentée devant la Cour fédérale du Canada en 1991. À l'époque, personne n'avait encore fait échouer un grand navire de ce type sur la côte Ouest. Nous avons eu des discussions avec la Garde côtière du Canada, Pêches et Océans, B.C. Parks et Environnement Canada à propos de l'approche à adopter pour le navire en question.

Après un grand nombre d'heures de travail bénévole, on a fini par faire couler le bateau en août 1991, et il a très rapidement été lourdement colonisé. Dans l'année qui a suivi, nous avons recensé de très importantes populations de pieuvres, de morues-lingues et de sébastes. Dès la cinquième année, le navire était complètement recouvert de diverses espèces marines comme les anémones plumeuses. Il y avait là un bon éventail de vie marine, des sébastes juvéniles aux sébastes adultes. On a recensé sur ce navire certaines des morues-lingues les plus grandes de la côte Ouest, et le navire constitue toujours un refuge pour des espèces qui, dans cette région de la côte Ouest, étaient menacées.

Au fil des ans, nous avons remarqué une stabilisation de plus en plus grande de la population. Les fluctuations saisonnières initiales s'étaient aplanies, et l'habitat originel du bateau avait peu à peu gagné en maturité, puis nous avons observé un grand nombre de masses d'œufs de morues-lingues déposées sur lui au gré des saisons.

Il est apparu clairement que le poisson, si nous choisissons le bon emplacement, s'établirait aussi volontiers dans un récif artificiel planifié que dans un récif artificiel spontané. Ils s'orienteraient vers la structure du navire et s'en approprieraient les avantages.

Grâce aux efforts de l'ex-sénateur Ray Perrault et, à l'époque, de l'honorable Mary Collins et de Paul Dick, nous sommes parvenus à faire l'acquisition du premier d'une série de destroyers sur la côte Ouest pour la somme princière de un dollar. Mary Collins en particulier croyait fermement en nos travaux, et les membres de son personnel ont collaboré étroitement avec nous dans le cadre du projet initial. Nous avons tiré de nombreuses leçons impitoyables du projet Chaudière, simplement parce que personne n'avait encore entrepris un programme si important d'échouage de navires.

Dans notre réflexion, nous avons souvent dû sortir des sentiers battus, et les fonctionnaires d'Environnement Canada ont fait de l'excellent travail en nous aidant à interpréter la lettre et l'esprit de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement et les dispositions relatives à l'immersion en mer. À l'époque, nous étions régis par l'ancienne Loi sur l'immersion de déchets en mer. Nous avons examiné le régime législatif afin de trouver le moyen d'en faire quelque chose de positif — un nouveau récif par opposition à l'outil de réglementation des immersions en mer.

Nous avons commis de nombreuses erreurs. Faute de comprendre toute la procédure, nous avons rencontré un problème avec les Premières nations de la région de Sechelt. Quoi qu'il en soit, le Chaudière a été coulé le 7 décembre 1992. Du point de vue des plongeurs, le projet est rapidement devenu un succès commercial. Au cours des deux ou trois années suivantes, nous avons effectué un suivi avec Environnement Canada pour déterminer si nos évaluations initiales concernant ce qu'un récif artificiel pouvait donner et ne pouvait donner se vérifiaient.

En 1993 et 1995, on a effectué des études de suivi pour établir ce qui allait arriver à l'amiante présente dans le bateau et déterminer si le problème des substances particulaires se résorbait ou non. Tout au long du programme, Dixie Sullivan du service de l'immersion en mer d'Environnement Canada en Colombie-Britannique et les membres de son personnel nous ont apporté une aide absolument fabuleuse.

M. Rick Welsford de la Nova Scotia Artificial Reef Society est présent aujourd'hui. Lui et moi avons assisté à un certain nombre de réunions visant la mise au point d'un programme analogue en Nouvelle-Écosse pour le NCSM Saguenay, dont l'échouage au large de Lunenburg, en Nouvelle-Écosse, aura bientôt dix ans. Nous avons été en mesure de transmettre bon nombre de leçons apprises dans le cadre du projet Chaudière et d'aider les responsables à éviter des écueils analogues. Nous leur avons expliqué comment faire face aux problèmes de récupération. On s'est rendu compte qu'il y avait un grand nombre d'articles pouvant être récupérés des cargaisons. De concert avec lui, nous avons réussi à obtenir la participation de la collectivité marine, un des aspects où, dans le cadre du programme Chaudière nous avions le sentiment d'avoir éprouvé des difficultés.

Par la suite, nous nous sommes adressés à un certain nombre de membres du caucus de la Colombie-Britannique, en particulier, une fois de plus, l'ex-sénateur Perrault, qui a fait office de chef de file de concert avec les honorables David Anderson et Hedy Fry, en vue de négocier une option d'achat pour les quatre navires mis au rancart suivants sur la côte Ouest.

On a constitué un programme grâce à des prêts du ministère de la Diversification de l'économie de l'Ouest et à des fonds du Programme d'assurance-emploi une main-d'œuvre. Nous avons mis sur pied un programme pour les quatre navires suivants. Nous étions conscients d'être confrontés à un grand nombre de navires et nous étions au courant des coûts des opérations de récupération. La Marine canadienne sait maintenant ce que nous voulons lorsqu'elle nous cède des navires, et nous avons été en mesure de travailler avec elle pour éviter les problèmes qui s'étaient posés dans le cas du Chaudière.

On a réglé les problèmes environnementaux. Nous avions une norme, et nous savions ce que nous avions à faire pour faire en sorte que le navire soit sûr pour l'environnement avant d'être échoué. Nous avions conscience de pouvoir faire mieux pour les plongeurs et l'habitat du poisson, aspects qui nous sont apparus comme manifestement fort compatibles. En faisant en sorte que la structure du navire soit plus complexe pour les plongeurs, qui pouvaient accéder à tous les niveaux, nous avons également créé un habitat plus grand pour les poissons. Nous avions également établi une ligne de production — à l'origine à New Westminster, en Colombie-Britannique, et plus tard à North Vancouver — où s'effectuaient le nettoyage et la remise en valeur des matériaux et des rebuts récupérés à bord des navires. Nous avons mis au point des techniques d'échouage plus avisées et plus rapides. Nous avons découvert une méthode plus dynamique d'utilisation de dispositifs de coupe chimique grâce auxquels nous pouvions placer le navire à l'endroit exact où nous le voulions et le positionner sur sa quille sans permettre l'entrée en action de l' effet de carène liquide. Nous avons également réussi à situer les navires à l'endroit précis où nous le voulions, sans cette fois de difficultés imputables à l'action du vent et des vagues. Nous avons également été en mesure d'utiliser la dynamique d'échouage pour assurer un accès aux plongeurs même dans la portion inférieure du navire. Nous avons ainsi réussi à faire en sorte que jamais un plongeur ne puisse être pris au piège.

On a donc procédé ainsi pour le NCSM MacKenzie, le NCSM Columbia et le NCSM Saskatchewan. Au moment du projet Saskatchewan, toute la collectivité de Nanaimo, en Colombie-Britannique, était parfaitement mobilisée. Notre programme avait suscité beaucoup d'intérêt sur la scène internationale, et le regretté capitaine Cousteau s'était associé à nous. Dans le cadre d'un tirage au sort organisé par la Société Cousteau dans le cadre de la campagne de financement organisée pour la construction du Calypso II, on avait fait du privilège d'appuyer sur le bouton qui allait provoquer l'échouage du NCSM le premier prix.

Malheureusement, le capitaine Cousteau est mort peu avant l'échouage du Saskatchewan, mais sa participation et son approbation de notre approche de la création de récifs artificiels nous ont été des plus précieux.

À ce stade, le plan visant à assurer la sécurité des plongeurs était pour l'essentiel parvenu à maturité. Nous avions une très bonne idée du comportement des plongeurs à bord de ces navires et des mesures à prendre pour réduire les risques au minimum. Nous avons été heureux de la collaboration de la Marine canadienne et, dans ce cas particulier, la bande autochtone de Coast Salish a participé pleinement au processus tout entier. Le chef Raymond Good, ex-chef de la bande de Salish, avait lui-même servi à bord du NCSM Saskatchewan et était mort environ neuf mois avant le début du projet. La bande indienne s'est adressée à nous, et les cendres du chef Good ont été déposées dans la salle des moteurs du NCSM Saskatchewan, à bord duquel il avait effectué un certain nombre de voyages à titre de premier maître de 1re classe. Nous avons en fait offert au Saskatchewan un enterrement officiel digne d'un guerrier. Un capitaine de la Marine a déclaré que seules les funérailles d'un Viking auraient pu damer le pion à la cérémonie.

Le projet a eu des conséquences économiques spectaculaires sur Nanaimo. Dans quelques instants, je vais vous montrer certaines photos concernant le secteur de la pêche. L'échouage du Saskatchewan a marqué un tournant pour la communauté des plongeurs de Nanaimo. L'événement, le plus important qu'aient connu les eaux de la Colombie- Britannique, a suscité de l'intérêt sur les scènes nationale et internationale. Nanaimo a ainsi fait son apparition sur la carte internationale de la plongée.

Ainsi, des entreprises de Nanaimo ont fait état d'augmentations annuelles de leur chiffre d'affaires de 40 p. 100 la première année et de 50 p. 100 la deuxième. La hausse s'est poursuivie. La communauté des plongeurs, à l'instar des hôtels et des restaurants, admet que les navires attirent un nombre considérable de plongeurs.

Ils suscitent aussi l'attention du monde et des magazines des États-Unis et d'ailleurs. Au cours des 18 premiers mois, on pense que 15 000 plongeurs ont visité le Saskatchewan — au coût de 100 $ par personne pour la simple plongée. Si on tient compte des sommes dépensées dans les hôtels et les restaurants, on se rend compte que l'échouage de ce navire dans les eaux de la région a apporté une contribution à l'économie tout entière de la région de Nanaimo. La Chambre de commerce de Nanaimo estime que le navire rapporte à la collectivité quatre millions de dollars par année et que le montant augmente annuellement.

Nous avions donc traité quatre destroyers de la Marine canadienne en un laps de temps relativement court, et la société s'est rendu compte que le plan visant à assurer la sécurité des plongeurs donnait de bons résultats. On n'avait à déplorer aucune mort à bord des bateaux qui soit imputable à un phénomène d'enchevêtrement ou d'emprisonnement. La prévalence des problèmes de santé liés à la décompression était également remarquablement faible puisque les plongeurs pouvaient entrer et sortir des navires exactement comme ils l'avaient prévu.

Ces photos du Saskatchewan, prises à l'automne 2002, vous donnent une idée de l'évolution du navire. À l'époque du programme Saskatchewan, des groupes d'Australiens étaient venus nous rencontrer. De même, des fonctionnaires d'Environnement Canada travaillaient en étroite collaboration avec l'agence de protection de l'environnement de l'Australie afin d'initier ses responsables à ce que tout le monde appelle désormais les récifs artificiels à la canadienne en vue de la mise en place d'un programme analogue en Australie.

On a constitué un groupe à Geographe Bay en Australie-Occidentale pour échouer le HMAS Swan. Nous avons eu un certain nombre de rencontres avec les membres de ce groupe et mis au point avec eux un plan d'échouage adéquat pour ce navire. La question était de choisir l'emplacement du navire, compte tenu du fait qu'on allait modifier de façon très sensible l'écologie de la baie, dont le fond était plat et sablonneux — le genre d'environnement qui se prête en général à la création de récifs artificiels. La Marine australienne a participé au programme, qui lui plaisait. Du point de vue économique, le Swan a été le récif artificiel le plus rentable: en effet, au cours de sa première année, il a attiré 15 000 plongeurs.

Les Australiens ont reconduit le programme et s'emploient actuellement à échouer toute leur flotte de destroyers de classe Adams. Des membres de l'Artificial Reef Society of British Columbia ont participé à l'échouage des HMAS Perth et Hobart. En novembre, un des membres de notre équipe se rendra en Australie pour contribuer à la préparation du Brisbane, qui sera échoué à l'extrémité méridionale de la Grande Barrière de récif au début de 2004.

Nous avons également travaillé de concert avec des groupes de la Nouvelle-Zélande. En 2000, nous avons échoué le HMNZS Waikato, près des îles du groupe de Poor Knights dans l'île du Nord en Nouvelle-Zélande. Nous avons joué un rôle auprès de groupes néo-zélandais envisageant l'échouage du Wellington et du Canterbury.

L'un des récits les plus bizarres concerne un navire de la Marine canadienne, le NCSM Yukon, qui a été coulé au large de la base de la Marine à San Diego, en Californie. C'est littéralement comme porter de l'eau à la rivière, mais cela illustre l'innovation dont les Canadiens font preuve dans la mise en place de programmes de ce genre. Des règlements et des considérations politiques propres à l'État de la Californie interdisaient l'échouage d'un navire de la Marine des États-Unis dans ce qu'on appelle là-bas Wreck Alley ou le couloir des épaves. Des responsables se sont adressés à nous et, dans le cadre de négociations avec M. Richard Long de la San Diego Oceans Foundation, nous avons fait le nécessaire pour obtenir le Yukon et faire au Canada environ 80 p. 100 des préparatifs nécessaires. Puis, nous l'avons transporté aux États-Unis, où les préparatifs ont été terminés. Par la suite, le navire a été échoué dans Mission Bay, au large de San Diego.

Dans le cadre de ce programme, nous avons eu affaire à la California Coastal Commission. Lorsque j'entends des gens dire que notre gouvernement est trop bureaucratique et politique, je leur relate notre expérience de la California Coastal Commission, l'un des pires cauchemars politiques que j'ai connus. Je me suis rendu compte que, au Canada, nous faisons les choses de façon beaucoup plus efficiente que dans de nombreuses régions des États-Unis.

À l'époque de l'échouage du Yukon, l'Artificial Reef Society of British Columbia et la San Diego Oceans Foundation ont organisé conjointement une conférence sur l'utilisation de navires comme récifs artificiels. Des participants du Brésil, de l'Australie, de la Nouvelle-Zélande et de l'Europe y sont venus pour étudier l'idée et en discuter. Parmi nos conférenciers, il y avait Mme Sylvia Earl de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA), Mme Dixie Sullivan d'Environnement Canada et Tex Enemark de l'Artificial Reef Society. Le programme que nous avons mis sur pied a également suscité l'intérêt de la RAND Corporation, qui a préparé un rapport exhaustif sur ce qui avait été fait au Canada dans le cadre de son étude de ce qui pouvait être fait pour éliminer la flotte fantôme des États-Unis. Les auteurs de l'étude en sont venus à la conclusion que l'approche canadienne constituait le moyen le plus économique et le plus respectueux de l'environnement pour se débarrasser des anciens navires du gouvernement des États-Unis.

Des membres de la société ont également joué un rôle sur la scène internationale. Il existe un groupe appelé la Conference on Artificial Reefs and Related Aquatic Habitats (CARAH), qui se réunit à intervalles de quelques années. À l'occasion des conférences internationales, nous avons présenté des communications sur notre approche. Il en est résulté un réseautage plus poussé, en particulier en Europe. Les Européens s'intéressent à l'approche que nous avons mise au point comme moyen de résoudre les problèmes qui se sont posés en Grande-Bretagne et, de façon plus particulière, dans les régions du nord de la Méditerranée.

Sur le plan économique, ces navires constituent une très grande réussite. Au début du programme canadien, la Colombie-Britannique ne jouissait pas d'une grande réputation auprès des plongeurs. Dans les enquêtes initiales effectuées par certains magazines de plongée en 1990, on n'en parle même pas. Tous les facteurs naturels qui font de la Colombie-Britannique une région spectaculaire existaient bel et bien, mais on ne cotait ni la plongée sur les tombants, ni la plongée avancée. Quant aux épaves, il n'en était pas question.

Cependant, en 2001, la Colombie-Britannique était citée à titre de meilleure destination pour la plongée en Amérique du Nord. L'information surprend de nombreuses personnes. J'ai pour ma part fait de la plongée dans le lagon de Truk, en Papouasie-Nouvelle-Guinée et dans la Grande Barrière de récif; or, la Colombie-Britannique est le meilleur endroit où faire de la plongée au monde. Elle vient maintenant au premier rang sur le plan de la santé de l'écosystème marin et du rapport qualité-prix. On considère que c'est l'un des meilleurs endroits où revenir et où pratiquer la plongée avancée et la plongée sur les tombants; en ce qui concerne la plongée dans les épaves, elle ne se classe que parmi les cinq premières destinations.

Les récifs artificiels ont suscité de l'intérêt pour la plongée en Colombie-Britannique partout dans le monde. Les auteurs venus étudier le programme de récifs artificiels ont commencé à prendre acte des plongées spectaculaires qu'on peut effectuer dans des lieux comme Port Hardy et dans le passage de Gabriola. J'ai souvent soutenu qu'on ne peut protéger un endroit que personne ne connaît. Au fur et à mesure que se répand la qualité spectaculaire de la plongée dans nos eaux, la protection des zones maritimes dans certains de ces lieux stratégiques a beaucoup progressé.

En Colombie-Britannique, l'un de nos projets les plus récents et les plus ambitieux concerne le NCSM Cape Breton, qui a été préparé au cours des deux ou trois dernières années. C'est le dernier de nos navires de classe Victory ayant participé à la Deuxième Guerre mondiale. On a utilisé une partie du bateau comme musée, et on l'a dans les faits échoué en octobre 2001. Nous avons été heureux de constater que notre programme faisait des petits lorsqu'un groupe de Rimouski, au Québec, — Récifs artificiels de l'estuaire du Québec — a sollicité notre aide. Des bénévoles du groupe québécois avaient déployé des efforts considérables pour faire couler le NCSM Nipigon au large de Rimouski, au Québec, non loin de l'épave de l'Empress of Ireland.

Dans le cadre de ce programme, on a observé un phénomène troublant. Les Directions de la gestion de l'habitat des côtes est et ouest du Canada considéraient les récifs artificiels comme ayant tout au plus des effets neutres sur l'habitat. De façon générale, elles considéraient même que les effets sur l'habitat étaient positifs. Au Québec, le ministère des Pêches et des Océans en est venu à la conclusion que le MPO devait être indemnisé pour l'échouage d'un navire dans le Saint-Laurent puisque l'épave avait écrasé un certain type de vers vivant dans le fond du fleuve.

D'après ce que nous avons compris, on a obligé le groupe québécois à verser 120 000 $ au MPO pour un projet de remise en valeur, en l'occurrence une installation émettrice de Radio-Canada. Le groupe n'avait pas vraiment les moyens de verser une somme de 120 000 $ et, pour cette raison, se trouve aujourd'hui en difficulté.

Nous avons effectué des recherches et constaté qu'il s'agissait du premier groupe au monde à devoir verser une indemnité financière à son gouvernement en contrepartie de la création d'un récif artificiel. J'en ai parlé aux membres du personnel du ministre, et je vais leur faire parvenir un mémoire, qu'ils se sont engagés à étudier. On n'aurait jamais dû en arriver là, et on ne devrait jamais en arriver là. J'aimerais que la situation concernant le groupe de Rimouski soit corrigée puisqu'il s'agit d'un terrible précédent.

Cependant, le Nipigon constitue une bonne illustration du fonctionnement au Canada. Des bénévoles de la Colombie-Britannique ont apporté de l'aide relativement à bon nombre d'aspects techniques. Le groupe a retenu les services de deux membres de l'Artificial Reef Society pour les six dernières semaines du projet, soit l'établissement du plan d'échouage. Le 23 juillet de cette année, le Nipigon a été échoué à l'endroit précis qui avait été choisi, et le groupe québécois est très heureux de son premier projet de récif artificiel.

Si nous ne parvenons pas à remédier au problème, c'est-à-dire l'application par le MPO et le Québec d'une politique différente de celle de partout au Canada, je doute toutefois que quiconque sera tenté de répéter l'expérience.

Nous travaillons aujourd'hui de concert avec des groupes à Key West, en Floride, où on prépare un navire appelé le General Vanderberg, destiné à devenir un récif artificiel au large de Key West. La Garde côtière des États-Unis et l'EPA ont décidé de respecter les normes canadiennes établies par Environnement Canada parce qu'elles sont bonnes. Voilà qui vous donne une idée de l'impact que les activités canadiennes ont eu sur la scène internationale; nous avons fixé les normes mondiales applicables à ce genre de projets. En outre, tout le monde a à l'esprit les normes relatives à la sécurité des plongeurs que nous avons établies.

La prochaine diapositive vous donne une idée de la taille du General Vandenburg. Nous devons faire échouer ce navire par 160 pieds de fond afin d'obtenir le dégagement minimal de 30 pieds requis. Des représentants des groupes de Key West sont venus à Rimouski à l'époque du projet Nipigon. D'autres sont venus de Grande-Bretagne. Nous nous rendrons dans ce pays à la fin de cette année pour entreprendre des travaux préparatoires à la création du premier récif artificiel en Grande-Bretagne — le HMS Scylla. Au sein de l'Union européenne, le Scylla fait figure de cas type pour ce genre de projet. Aux stades du contrôle et de la préparation, le projet suscitera beaucoup d'intérêt.

Historiquement, les programmes canadiens ont été menés aux termes des dispositions de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement concernant les rejets en mer. Auparavant, le programme était né aux termes de l'ancienne Loi sur l'immersion de déchets en mer. Dans le cadre de projets antérieurs, on a élaboré des lignes directrices sur le nettoyage pour assurer une protection adéquate de l'environnement. En règle générale, ces lignes directrices ont débouché sur un ensemble de règlements très bien connus et relativement raisonnables. À deux ou trois exceptions mineures près, ils sont tout à fait applicables.

Les Directions de la gestion de l'habitat du MPO des deux côtes semblent reconnaître que ces récifs artificiels ont des effets à tout le moins neutres et vraisemblablement positifs. Nous sommes également parvenus à travailler efficacement avec des programmes d'expansion régionale et le Programme d'assurance-chômage pour obtenir la main-d'œuvre nécessaire à la réalisation des projets.

De façon générale, nos projets ont été réalisés à proximité de la rive. Au Canada, nous n'avons pas encore tenté de réaliser des projets de création de récifs artificiels en eaux profondes. Le plus souvent, ils sont menés par des groupes sans but lucratif. Comme je vous l'ai déjà indiqué, la communauté internationale a pour une grande part fait siennes les normes canadiennes.

Fait intéressant, au Canada, les projets de cette nature sont toujours considérés comme des immersions en mer au sens des définitions de l'article 122 de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement. On pourrait arguer que, aux termes de l'alinéa 122h) de la Convention de Londres, il s'agit d'une réutilisation du navire plutôt que d'une immersion en mer et que, par conséquent, on n'a pas à les déclarer en tant qu'immersions au sens de la Convention de Londres. J'ai communiqué avec des représentants des agences de protection de l'environnement de l'Australie et des États-Unis. Or, ils ont confirmé que même si leurs pays, soit l'Australie, la Nouvelle-Zélande et les États-Unis, ont signé la Convention de Londres, ils ne signalent pas les récifs artificiels créés à titre d'immersions en mer. Les Britanniques ont également indiqué avoir adopté la même approche.

Les Canadiens ont participé aux programmes menés en Australie, en Nouvelle-Zélande, aux États-Unis et au Royaume-Uni, et nous nous attendons à ce que cela continue. Des projets canadiens de récifs artificiels sont en cours; bon nombre d'entre eux sont menés au niveau local. On a entrepris un projet à Nanaimo en Colombie-Britannique, et un autre est prévu cette année dans la baie de Mahone en Nouvelle-Écosse. Dans l'état actuel des choses, Environnement Canada fait office d'organisme responsable, le MPO et la Garde côtière étant consultés tout au long du processus.

Nous sommes d'avis que le MPO devrait faire preuve d'esprit d'initiative et cerner les endroits où il serait pratique et approprié de recourir à la création de récifs artificiels: ainsi, nous pourrions éviter de créer des récifs artificiels dans des régions qui, techniquement, sont réservées aux immersions en mer alors que nous cherchons à avoir une influence positive sur l'environnement.

Au Canada, on a eu recours aux récifs artificiels à des fins récréatives surtout. Dans des endroits comme l'État de la Floride, on s'en est servi comme outils pour les pêches. Les groupes auxquels nous avons eu affaire dans le sud des États-Unis, le golfe du Mexique et le littoral est envisagent de créer des récifs artificiels dans des eaux de plus en plus profondes. On ne les configure pas nécessairement dans l'intérêt des plongeurs, et on fait du bon travail au chapitre de la surveillance des lieux dans l'optique de la croissance biologique.

De toute évidence, les projets soulèvent des questions relatives à l'habitat, mais les rétroactions biologiques dont nous disposons au Canada sont d'ordre anecdotique. En ce qui concerne le comportement des récifs artificiels au Canada, nous n'avons pas en main de documents défendables sur le plan scientifique. Il existe un besoin avoué de recherche sur toute la question de la colonisation et de la productivité de ces récifs artificiels.

Sur le plan international, les groupes côtiers de gestion de la pêche ou, dans certains cas aux États-Unis, l'État contigu aux 12 premiers milles font office d'organismes responsables dans les dossiers touchant la création de récifs artificiels. Une fois de plus, les États en question n'utilisent pas ces récifs à des fins d'immersion en mer. Cependant, dans la plupart des administrations, personne ne voit dans les récifs artificiels un élément négatif pour l'environnement. Personne n'oserait demander à un groupe en train de créer un récif artificiel de verser une indemnité comme on l'a exigé de la part du groupe québécois. Les organismes environnementaux des États concernés veillent à ce que les normes établies au Canada soient respectées au moment de la préparation et de l'échouage des bateaux.

On m'a demandé de formuler certaines suggestions relatives à la politique et aux dispositions législatives de même qu'à d'éventuelles modifications. À notre avis, on pourrait faire beaucoup à ce chapitre simplement en réinterprétant la loi de manière à l'harmoniser avec ce que font les autres signataires de la Convention de Londres et en cessant de traiter la création de récifs artificiels comme une question relative aux immersions en mer. En convenant que la création de récifs artificiels constitue une forme de réutilisation, nous pourrions éviter bon nombre de problèmes administratifs et techniques qui se sont posés au cours des dernières années.

Le ministère des Pêches et des Océans pourrait encourager les collectivités intéressées à créer des récifs artificiels à travailler de concert avec lui pour établir des lieux s'y prêtant bien. Nous devons miser sur la coopération de la Garde côtière pour faire en sorte que les questions relatives aux eaux navigables soient abordées d'entrée de jeu, de façon que nous puissions mettre au point une méthode durable de gestion de ces projets qui soit plus positive. Une telle solution serait préférable au traitement au cas par cas auquel nous avons eu droit au cours des dix dernières années.

Nous pourrions définir un cadre législatif pour la création de récifs artificiels ou encore continuer de fonctionner sous le régime des dispositions actuelles de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement. Dans ce cas, il suffirait de réinterpréter les dispositions relatives aux définitions pour faire en sorte que les récifs artificiels ne soient plus considérés comme des immersions en mer.

Il y a deux ou trois domaines dans lesquels le leadership du gouvernement est absolument essentiel. En ce qui concerne les récifs artificiels comme habitats, le ministère des Pêches et des Océans devrait adopter une approche cohérente. On ne devrait plus jamais dire une chose à un groupe québécois et une autre à un groupe de l'Ouest canadien et de l'Atlantique canadien. À titre de Canadien, que cela se soit produit m'irrite. On n'aurait jamais dû en arriver là. Nous devrions faire le nécessaire pour réduire au minimum les tracasseries administratives entourant de tels projets et trouver un moyen d'accélérer les procédures d'approbation. On doit poser les questions environnementales inévitables concernant la création d'un récif artificiel dans telle ou telle région bien avant qu'on ait un navire à sa disposition.

Fait intéressant, il arrive que la Garde côtière saisisse des navires en mauvais état et s'informe auprès des programmes de création de récifs artificiels de leur intérêt pour les navires en question. Il serait nettement préférable d'avoir une idée préalable des emplacements où pourraient être échoués les navires saisis par la Garde côtière. À l'heure actuelle, nous avons accès à des navires disponibles, mais nous devons passer par toute la procédure d'approbation de l'habitat tandis que les navires demeurent à quai.

Il serait peut-être indiqué d'enjoindre au ministère des Pêches et des Océans d'entreprendre des études défendables sur le plan scientifique au sujet de la situation des récifs artificiels. Dans ces navires, la colonisation est considérable. Dès que nous aurons réparé le projecteur, je vais vous montrer des images de ce qui s'est produit sur le NCSM Saskatchewan au cours des cinq années qui ont suivi son échouage. Une vie marine spectaculaire a colonisé le navire — aux stades macroscopique et microscopique. On y retrouve de tout, d'animaux marins minuscules aux morues-lingues, en passant par les chabots marbrés, les loups ocellés et les pieuvres de grande taille du Pacifique.

On a là une occasion de créer des partenariats entre les secteurs privé et public. Le gouvernement et les organisations non gouvernementales peuvent travailler ensemble à la création de récifs artificiels à titre d'outils à part entière d'intendance de l'océan au Canada. Au cours des dernières années, nous avons eu une feuille de route impressionnante et appris quelques leçons difficiles. Si nous prenons aujourd'hui le temps de réfléchir au chemin parcouru et à ce que nous souhaitons faire de cet outil à l'avenir, nous pourrons progresser sur une note nettement plus positive.

Je me ferai maintenant un plaisir de répondre à vos questions.

Le président: Je tiens à préciser que, en juillet dernier, un des ministères du gouvernement fédéral refusait de laisser le NCSM Nipigon partir de son mouillage à Rimouski.

M. Straith: Oui.

Le président: Le ministère en question refusait catégoriquement tant et aussi longtemps que les droits de mouillage n'avaient pas été acquittés. Même si les droits de mouillage étaient garantis par un autre ministère du gouvernement fédéral, la Garde côtière refusait de le laisser partir.

M. Straith: La situation était des plus absurdes puisque, sur le navire en question, les préparatifs en vue de la création d'un récif artificiel étaient avancés au point où le navire, si on lui avait barré la voie et on l'avait gardé à quai, aurait coulé sur place pendant l'hiver.

Au Canada, nous avons, de façon ponctuelle, obtenu des résultats remarquables en ce qui concerne la création de récifs artificiels surtout parce que nous avons pu compter sur deux ou trois politiciens et bureaucrates clés qui croyaient avec ferveur au processus. Lorsque, en revanche, on tombe sur des personnes qui ne comprennent pas vraiment ce que nous faisons, des situations comme celle qui s'est produite à Rimouski, au Québec, se produisent. Au niveau politique, on doit indiquer très clairement qu'il convient d'agir en ce sens.

Avant que des orientations politiques ne soient données, nous devons constituer une base de données scientifiques d'appoint plus importante. À titre d'exemple, on avait, avant l'échouage du Cape Breton, installé un très important ensemble de grilles sur les diverses surfaces du navire. Tout était parfait: nous avions les grilles adéquates et une étiquette sur chacune d'elles. Malheureusement, la Direction de la gestion de l'habitat a vu son budget réduit, et elle n'est pas en mesure d'effectuer l'étude de suivi. Des membres de notre société ont plongé pour recueillir des témoignages photographiques sur bon nombre des grilles, afin de faire état de l'évolution de la situation, mais ce n'est pas comme si l'examen était effectué par un biologiste de la vie marine dûment formé.

Des phénomènes intéressants se produisent dans ces bateaux, et nous devrions prendre le temps de les comprendre. Nous pouvons améliorer les choses. Tous nos projets ont constitué une amélioration par rapport aux précédents parce que nous avons pris bonne note des expériences antérieures. Peut-être pourrions-nous apporter un certain nombre d'améliorations — par exemple, faire en sorte que le navire soit un peu plus complexe pour améliorer la qualité de l'habitat du poisson.

Le sénateur Cook: Merci de votre exposé des plus complets qui m'a aidée à comprendre le principe. J'essaie de me faire une image mentale d'un récif. À quelle distance de la rive les récifs sont-ils créés dans le cadre de votre programme actuel? À quelle profondeur les bateaux sont-ils échoués?

M. Straith: La quille la plus profonde se trouve par 135 pieds de fond. Le Cape Breton et le Saskatchewan se trouvent à environ trois milles du rivage, mais près d'une autre île appelée Snake Island. En raison de la composition physique de la côte Ouest, nous n'avons pas échoué de navires en eaux profondes.

À Lunenburg, en Nouvelle-Écosse, le Saguenay a lui aussi été échoué dans des eaux plus protectrices. Au sud, dans le golfe du Mexique, on a fait couler des navires à une centaine de milles du rivage. Dans les eaux hauturières des États du Golfe sur la côte de l'Atlantique, on l'a fait avec beaucoup de succès, mais il n'y a pas encore eu de tentatives en ce sens au Canada, simplement parce que nos projets étaient principalement à vocation récréative.

Le sénateur Cook: Le récif est-il sujet aux vents et aux marées ou, une fois au fond, est-il stationnaire?

M. Straith: Les bateaux que nous échouons sont tout à fait stationnaires. En Colombie-Britannique, les bateaux sont sujets à des marées très fortes, mais les bateaux ne bougent pas. De concert avec MPO, nous nous assurons que le bateau, une fois échoué, restera en place.

Le sénateur Cook: Du point de vue de l'habitat, quelles informations fondées sur des données probantes votre association ou votre groupe a-t-il recueillies auprès des récifs en question?

M. Straith: Maintenant que le projecteur fonctionne, je vais vous montrer cette présentation vidéo, qui vous donnera peut-être une meilleure idée de ce que nous disons. Ces images ont été prises à l'époque de l'échouage du Saskatchewan, tandis que les plus récentes datent de septembre. Voici une image du bateau en train de couler prise par des caméras de bord en juin 1997. Voici une image prise à partir d'une baille à mouillage à l'avant du Saskatchewan pendant qu'il coulait. Le Saskatchewan s'est échoué sur du sable nu, où il n'y avait pas de vie. Sur ces images, prises en septembre 1997, vous apercevez une quille nue. Il y a le pont supérieur et il y a le canon en avant du bateau. À ce stade, on ne voit que des algues s'agglutiner sur le chargement.

En septembre dernier, nous avons visité le même endroit, et des sébastes avaient colonisé les moindres recoins du navire. Au stade juvénile en particulier, ils s'établissent sur le navire et grandissent jusqu'à maturité dans de petits compartiments.

De façon générale, le navire est recouvert d'anémones plumeuses. On voit tout, même des sébastes qui vivent dans les canons du bateau. Comme vous le constatez, la vie marine recouvre désormais totalement le pont supérieur que vous avez vu tout à l'heure. Le mât est entièrement entouré de sébastes, qui ont convergé vers le navire. Les sébastes se chiffrent en centaines et en milliers.

Des créatures plus grandes comme les loups ocellés ont également élu domicile à bord du bateau. Ils se nourrissent des pétoncles qui croissent sur le navire. Abondantes, les morues-lingues pondent des œufs. On voit aussi des pieuvres géantes du Pacifique, qui se nourrissent des crabes et des pétoncles qui se sont établis sur le navire.

À cent pieds du bateau, il n'y a rien. Il s'agit d'une petite oasis qui s'est formée de ce côté de l'île et dont les effets sont plutôt remarquables. Voilà qui vous donne une idée de ce qui se passe sur le mât. Depuis cinq ans que le navire a coulé, il est devenu un jardin.

J'ai apporté ce document visuel pour vous donner une idée de l'évolution du bateau supérieure à ce que peuvent faire des photos. Sur le bateau, on observe aussi un grand nombre de phénomènes intéressants au niveau macrobiologique. On aperçoit souvent des chabots grogneurs et de nombreuses petites créatures vivant dans le navire.

Ce qui est frustrant, c'est que nous ne savons pas exactement comment et pourquoi ces créatures colonisent le bateau. Des groupes comme le Florida Sea Grant College des États-Unis et des personnes comme Mel Bell ont réalisé une étude très détaillée sur ce qui se produit au fond de l'eau. Ils ont une bonne compréhension de la façon dont ils placent leurs navires, et de ce qui fonctionne et de ce qui ne fonctionne pas. Cependant, au Canada, on nage encore dans l'inconnu.

Le sénateur Cook: Vous dites donc qu'il y a une oasis de vie là où votre récif se trouve et que, autour de lui, il n'y a rien.

M. Straith: Oui.

Le sénateur Cook: L'hypothèse sera donc la suivante: si la vie marine prolifère sur votre récif, les créatures, en l'absence d'un tel récif, iraient au-delà de l'endroit où il n'y a rien et s'établiraient dans un habitat convenable où elles pourraient respirer et croître?

M. Straith: Probablement. Par exemple, les morues-lingues issues des œufs déposés sur le récif vont ailleurs dans la colonne d'eau. Les morues-lingues ne sont pas particulièrement territoriales, pas plus d'ailleurs que les sébastes.

Actuellement, on n'a pas la possibilité d'étudier ce qui se produit. Voilà à quoi se résume le problème. Au moment de choisir des emplacements pour nos récifs artificiels, nous privilégions des secteurs qui sont déjà déficients du point de vue de l'habitat. À ces endroits, il n'y a pas de structures auxquelles les créatures marines peuvent se fixer. La plupart des créatures qui s'établissent à bord des navires sont des poissons oeuvés. Le premier navire — le G.B. Church — a été échoué en coopération avec B.C. Marine Parks. On l'a échoué à une centaine de verges au sud d'un récif existant. Nous avons remarqué que des sébastes adultes avaient commencé à fréquenter le navire dans les six mois suivant son échouage. Nous avons donc mieux compris qu'il ne fallait pas aller trop près de récifs voisins parce que nous ne voulons pas que des poissons adultes y déménagent. Nous préférons une colonisation complète.

Le sénateur Cook: À la lumière de la vision que vous avez de ces récifs, je crois comprendre que vous êtes à la recherche d'un programme scientifique spécialisé — sous les auspices du MPO.

M. Straith: Permettez-moi de vous donner un exemple. La San Diego Oceans Foundation a effectué un bien meilleur travail au chapitre du suivi auprès de la communauté des chercheurs. En collaboration avec le Script Institute of Oceanography et le California Department of Fish and Game, elle a mis au point un programme d'initiation des plongeurs récréatifs à l'observation du Yukon à titre de récif artificiel: ces derniers recueillent donc plus de données scientifiques que les spécialistes de l'institut utilisent aux fins de leurs recherches.

J'aimerais que, au Canada, on s'emploie de façon dynamique à la mise sur pied d'un tel programme. Cependant, je pense que le MPO devrait s'engager à assurer un financement spécialisé à long terme pour que cela fonctionne. Au Canada, il y a eu l'amorce d'un programme, lequel est par la suite mort de sa belle mort. Pour que le programme prenne de l'essor, nous devons avoir une idée du financement dont nous disposerons au cours d'un certain nombre d'années.

Le sénateur Cook: Vous êtes à la recherche de fonds spécialisés. Qu'en est-il d'organisations comme la David Suzuki Foundation et le Sierra Club? Comment voient-elles votre activité? Pourquoi ne pas vous tourner vers elles pour obtenir des réponses à vos questions?

M. Straith: Le Sierra Club ne voit pas d'inconvénients à nos activités. Des groupes comme la Georgia Strait Alliance s'opposent catégoriquement aux récifs artificiels. Elle est animée par une philosophie et elle n'a pas changé son fusil d'épaule. Dans son site Web, elle invite toujours les visiteurs à écrire pour protester contre l'échouage du NCSM Saskatchewan en 1997.

Les partisans des récifs artificiels participent activement à ce qu'on appelle la gestion paramétrique, soit une forme de participation de l'humain à la gestion de l'environnement océanique ou de tout environnement. Cependant, les tenants d'une philosophie purement axée sur la conservation s'opposeront vigoureusement à des actions de ce genre.

Notre point de vue, c'est que l'environnement côtier est déjà si mal en point que nous devons commencer à prendre des mesures comme la création de récifs artificiels, ne serait-ce qu'à cause des torts causés par l'établissement de nos collectivités côtières.

Le sénateur Cook: Aurait-on raison d'affirmer que l'organisme gouvernemental responsable dans ce cas serait le ministère de l'Environnement par opposition au MPO? Les deux ministères devraient-ils plutôt travailler en partenariat?

M. Straith: À l'heure actuelle, Environnement Canada est le ministère responsable, mais, compte tenu de nos objectifs à long terme, cela n'a pas de sens. C'est le MPO qui devrait l'être.

Le sénateur Adams: J'ai entendu des témoins nous raconter des histoires d'horreur à propos de l'immersion en mer de bombes et d'autres choses provenant des navires. Votre histoire à vous est plus positive.

Vous travaillez de concert avec les fonctionnaires d'Environnement Canada et du MPO. L'échouage de navires de cette taille doit susciter beaucoup de préoccupations. Vous devez nettoyer les quilles et les moteurs, vous assurer qu'il n'y a ni produits chimiques, ni produits pétroliers ni peintures susceptibles de se lessiver dans l'eau. Quel genre de travail effectuez-vous avant d'échouer le navire?

M. Straith: Je vais vous donner un exemple. Si, aux États-Unis, vous acceptez d'assumer la responsabilité d'un navire analogue, comme un des destroyers, le gouvernement des États-Unis vous versera une somme de 1,2 million de dollars. Il essaie de se débarrasser d'un certain nombre de ses vieux bâtiments.

Au Canada, les collectivités ont fait l'acquisition de navires. La mesure avait du sens puisque la Marine canadienne effectue elle-même une grande part des travaux préparatoires et assumait la responsabilité de la majeure partie des carburants et des autres produits dangereux pour l'environnement. De façon générale, nous devons éliminer le carburant résiduel dans les conduites et les réservoirs, mais les quantités sont limitées.

Nous avons également trouvé le moyen d'extraire l'huile de graissage et de la revendre. Ces destroyers sont bâtis comme des poids welters. C'est la meilleure façon de les décrire. Ils sont conçus pour encaisser d'innombrables chocs. Ils ont un ventre en laiton et en bronze. Nous avons fait preuve de beaucoup d'efficience au chapitre du recyclage de ces matières. Des membres de la société ont pris la parole à l'occasion d'une conférence sur le recyclage tenue à Philadelphie il y a deux ou trois années, et les participants ont été passablement surpris d'apprendre que nous avions réussi à trouver des marchés pour les fils.

En vertu d'un programme poussé, nous enlevons les écoutilles pour assurer la sécurité des plongeurs qui fréquentent les bateaux. Nous ne nous contentons pas de les ouvrir; nous les enlevons, et bon nombre d'entre elles finissent par être revendues. À ce chapitre, on a fait preuve de pas mal de créativité. Si nous avons aidé de si nombreux groupes américains à régler les problèmes posés par les vieux bâtiments, c'est parce qu'il n'y a pas là-bas d'élément de créativité. Cependant, nous réussissons toujours à trouver des solutions plutôt novatrices à leurs problèmes.

Le sénateur Adams: Vous avez effectué le suivi du navire qui a été échoué en 1997. Avez-vous constaté des effets sur l'habitat?

M. Straith: Rien ne montre que les récifs artificiels ont des effets nuisibles. Sur le Saskatchewan, nous nous sommes donné la peine d'enlever la peinture sur certaines sections du bateau pour voir si elle retardait la croissance de la vie marine. D'après ce que nous avons vu, nous sommes à peu près convaincus qu'il n'en est rien.

Nous avons prélevé des échantillons de sédiments autour des bateaux pour voir si des contaminants s'échappaient d'eux par lessivage. Nous avons effectué des suivis auprès d'Environnement Canada pour prélever des échantillons auprès de bioaccumulateurs comme les pétoncles qui croissent sur les navires afin de mesurer la présence éventuelle de substances en mouvement.

Nous sommes convaincus d'avoir la situation bien en main. On a révisé les lignes directrices relatives à la préparation des navires publiées en août 2001. Deux ou trois détails qui nous préoccupaient ont été corrigés. Par surcroît de prudence, nous avons jugé bon d'aller au devant de certains problèmes.

L'enjeu principal a trait à la présence de BPC dans les fils. À bord des navires de la Marine construits ou remis à neuf entre 1965 et 1978, la présence éventuelle de BPC suscite de graves inquiétudes. Voilà pourquoi on retire tous les fils des navires disponibles sur la côte Est — le Gatineau et le Terra Nova.

Le sénateur Adams: Je me souviens d'avoir entendu un de nos témoins dire que, à une certaine époque, aucune réglementation ne s'appliquait à l'immersion de marchandises en mer. Cependant, depuis 1970, je crois, des règlements interdisent une telle pratique.

Votre organisation doit-elle se procurer un permis pour échouer ces navires? Devez-vous répondre à certaines exigences? Comment la réglementation fonctionne-t-elle?

M. Straith: Avant 1970, il n'y avait pas de Loi sur l'immersion de déchets en mer. Cette année-là, on a adopté des dispositions législatives prescrivant la marche à suivre. Aux termes de certains règlements, on doit, avant d'échouer un navire, présenter une demande d'immersion en mer en vertu de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement.

Cependant, le formulaire concerne l'immersion en mer et non la création de récifs artificiels. Par conséquent, lorsque nous choisissons un emplacement, nous devons au préalable le faire désigner à titre de lieu d'immersion.

Lorsque, dans les îles Gulf, on veut faire désigner comme lieu d'immersion un secteur à proximité de chalets, on n'est pas exactement accueilli avec des fleurs. À l'occasion, des questions passablement émotives ont été soulevées là- bas. Nous avons reçu une lettre — que je conserve toujours précieusement — d'un habitant de l'île Gabriola qui craignait que nous ne lui gâchions la vue en échouant le navire un mille au nord de sa propriété. Il a une meilleure vision que moi.

Le problème, c'est que, parce qu'il s'agit d'un règlement concernant l'immersion en mer, Environnement Canada renvoie la question à divers ministères — en particulier Pêches et Océans Canada —, et ce qui nous oblige à effectuer toute la démarche avec eux. Lorsqu'on a en main un navire en mauvais état qui a été saisi, le simple fait de le garder en surface coûte cher — je pense par exemple aux droits de mouillage et à l'assurance. Ce que nous proposons, c'est qu'on mette au point une procédure approuvée — aux termes d'une loi ou d'une initiative gouvernementale — en vertu de laquelle, à supposer que quelqu'un souhaite faire désigner un lieu pour la création d'un récif artificiel, on effectue d'abord des études de l'habitat, on obtienne l'approbation du MPO et on travaille de concert avec le MPO et la Garde côtière dans les eaux navigables pour obtenir une approbation avant même la réception du navire. Ensuite, la préparation finale et la procédure d'approbation seraient faites conjointement avec Environnement Canada. Le processus serait plus rapide, et on respecterait l'objectif qui consiste à ne pas porter préjudice à l'environnement.

Le sénateur Phalen: Comment avez-vous financé vos premiers projets?

M. Straith: À même nos propres fonds. Les membres du groupe associés à ce projet étaient déterminés à avoir gain de cause. On a effectué une campagne de financement auprès de la communauté des plongeurs pour obtenir la réalisation du projet G.B. Church.

Nous avons réussi à assumer les coûts liés au Chaudière à même les matériaux récupérés. Le Chaudière était pour nous une aubaine puisque tout, des hélices au Monel présent dans les chaudières en passant par les tubes de chaudière et les fils, avait une valeur. La question était de savoir où.

Le sénateur Phalen: Vous avez dit que le coût imputé pour une plongée était de 100 $.

M. Straith: En moyenne.

Le sénateur Phalen: Vous avez dit que, cette année, 1 400 plongées avaient été effectuées dans ce navire.

M. Straith: Oui.

Le sénateur Phalen: S'agit-il d'une activité commerciale, ou l'argent est-il réinvesti dans la société?

M. Straith: Non, il s'agit d'une entreprise commerciale. Nous avons décidé que le fait d'imputer des droits de plongée constituait une bonne façon de financer les projets. On en trouve une bonne illustration au John Pennekamp Marine Sanctuary de l'État de la Floride. Parce qu'il s'agit d'un sanctuaire marin, on a été en mesure d'imputer aux plongeurs des frais annuels de 20 $. Les plongeurs obtiennent une étiquette qu'ils fixent à leur détendeur pour montrer qu'ils sont autorisés à faire de la plongée dans les récifs artificiels. Voilà comment on assume le coût des projets d'envergure menés là-bas.

Malheureusement, au Canada, il n'y a pas encore de réglementation dans ce domaine. Nous considérons la haute mer comme territoire libre, et aucune disposition législative ne permet en fait de réglementer.

Le sénateur Phalen: Une fois le navire échoué, vous n'exercez donc aucun droit sur lui?

M. Straith: Non. En vertu de la Loi sur la marine marchande du Canada, le navire, deux ans après avoir été échoué, est rétrocédé à Sa Majesté.

Le sénateur Phalen: La température de l'eau a-t-elle un effet sur la croissance dans la région?

M. Straith: C'est une très bonne question. Au début, certains se montraient sceptiques à propos des possibilités offertes par la création des récifs artificiels en eau froide. Le problème ne tient pas tant à la température de l'eau; ce qui compte, ce sont plutôt les substances nutritives présentes dans l'eau. En Colombie-Britannique, les eaux sont riches en substances nutritives, et c'est pourquoi les navires en question ont donné de si bons résultats.

Le sénateur Phalen: Y a-t-il une différence entre la Colombie-Britannique et Lunenberg, en Nouvelle-Écosse?

M. Straith: Il y en a quelques-unes.

Le sénateur Phalen: La croissance est-elle plus lente à Lunenburg en Nouvelle-Écosse?

M. Straith: Je ne crois pas. Il y a un chercheur de l'Université Dalhousie qui étudie périodiquement le Saguenay, et ce dernier, sur le plan biologique, se tire très bien d'affaire.

Le sénateur Phalen: Dans les secteurs de la Nouvelle-Écosse où il y a de nombreux bateaux échoués, seriez-vous autorisé à créer de tels récifs artificiels?

M. Straith: Je ne vois pas pourquoi pas. Il faut trouver la bonne profondeur et vérifier les données sur les tempêtes des 50 dernières années pour avoir la certitude que le récif artificiel ne finira pas sur une plage. Il faut aussi trouver le bon navire pour créer un récif artificiel dans telle ou telle région.

Le sénateur Hubley: Si je comprends bien, on a principalement échoué les navires dont il est question à des fins récréatives?

M. Straith: Oui, c'est ce qui s'est produit, mais il ne s'ensuit pas nécessairement, à la lumière de ce que nous avons constaté, que nous devrions en rester là.

Le sénateur Hubley: Quelles pourraient être les autres raisons?

M. Straith: Je sais que Paul Watson de la Sea Shepherds Society a soutenu que les récifs artificiels constitueraient d'excellents policiers dormants, dans la mesure où ils permettraient de faire échec aux opérations de dragage. Si de nombreux problèmes de ce genre se posent dans un secteur, le simple fait de le nettoyer et d'y faire échouer un certain nombre de cargos côtiers constituera le meilleur moyen de dissuader les opérations de dragage non autorisées. C'est possible.

L'État de la Virginie a trouvé un certain nombre d'utilisations différentes des récifs artificiels. En Caroline du Nord et en Caroline du Sud, on a trouvé un certain nombre de moyens d'utiliser les récifs artificiels de façon créative. Il s'agit d'un outil d'intendance de l'océan. Jusqu'ici, l'outil a été très bien défini au sens récréatif. Cependant, nous devons explorer les utilisations plus créatives des récifs artificiels, notamment au chapitre de la surveillance des pêches ou de la reconstitution de certains stocks.

La solution a de toute évidence du potentiel, mais nous n'avons pas eu les ressources pour commencer à poser des questions et y répondre.

Le sénateur Hubley: J'aimerais maintenant aborder la question des données scientifiques et des études que vous devriez réaliser. Je suis un peu nerveuse lorsqu'un projet a été réalisé et qu'on commence ensuite à en tirer des leçons — je pense à l'incident concernant les BPC.

Quelle est l'importance des données scientifiques que vous avez recueillies dans l'ensemble de vos projets pour nous donner l'assurance qu'ils se déroulent de manière sécuritaire et raisonnable?

M. Straith: Le suivi effectué avec Environnement Canada a été très bon. Je vous ai montré une diapositive à ce sujet. On a recueilli des échantillons de sédiment pour s'assurer que rien ne s'y infiltrait par lessivage. On a recueilli des échantillons d'eau pour en vérifier la qualité. On a également recueilli des échantillons de tissu auprès des animaux qui grandissent dans ces récifs artificiels pour s'assurer qu'ils ne sont pas différents de ceux qui vivent à un demi-mille ou un mille de là. Ces données ont été très bien colligées et validées par des groupes appartenant à des organismes de l'Australie, de la Californie et d'ailleurs. Sur ce plan, nous sommes en très bonne posture.

Nous avons de bons documents sur toutes les questions défensives qui nous permettent de conclure qu'aucun tort n'est causé à l'environnement. Cependant, nous ne disposerons pas d'une documentation de qualité sur toute la question de la colonisation: l'état des choses, la façon dont elles se produisent et ce que nous pouvons faire pour améliorer la situation. Dix ans plus tard, je suis déçu de constater que nous n'avons pas fait davantage, mais nous avons été confrontés à un problème d'abord et avant tout financier.

Le sénateur Hubley: Un autre ordre de gouvernement devrait probablement entreprendre le genre d'étude dont vous avez besoin pour répondre à certaines de vos questions.

M. Straith: Oui. La Artificial Reef Society de la Colombie-Britannique a, au fil des ans, effectué des campagnes de financement créatives. Nous tentons présentement de mettre la dernière main à une campagne de financement grâce à laquelle nous espérons constituer un fonds susceptible d'intéresser les étudiants de l'Université de la Colombie- Britannique à poursuivre les études de deuxième ou de troisième cycle à ce propos. Ce serait un début dont les avantages sautent aux yeux.

Faire de la plongée dans ces bateaux est coûteux. Ian Hall et son groupe de Nanaimo, Ocean Explorers Diving, ont informé l'université qu'ils accepteront de prêter gratuitement leur bateau pendant un certain nombre de jours par mois si cette dernière accepte de lancer un programme de contrôle adéquat.

On aurait intérêt à examiner le projet à long terme afin de déterminer ce qui pourrait être amélioré.

Le sénateur Hubley: Ce que je retiens de vos propos, c'est que la mesure concerne davantage la pêche ou une amélioration de la pêche.

Pouvons-nous parler un moment de l'aspect récréatif, par exemple, du nombre d'adeptes; je ne connais pas très bien le domaine de la plongée. Pratique-t-on ce sport pendant toute l'année?

M. Straith: En Colombie-Britannique, nous faisons de la plongée pendant toute l'année. En particulier, dans le sud de l'île de Vancouver, l'économie tire avantage de la présence d'exploitants actifs toute l'année à Nanaimo.

Le phénomène s'explique par la façon dont nous avons réparti les bateaux. Avant de prendre une décision, nous avons examiné les modèles météorologiques en hiver. Nous avons obtenu une réussite considérable à ce chapitre.

À Lunenburg, en Nouvelle-Écosse, on ne pratique pas la plongée pendant toute l'année. Au moment de la réalisation du projet du Saguenay en 1994, les pêcheurs de homard étaient nos plus farouches opposants. Ils prédisaient la fin de l'industrie de la pêche au homard au large de Lunenburg, en Nouvelle-Écosse. En 1995, on pouvait deviner l'emplacement du Saguenay, même lorsque les bouées marines étaient sorties de l'eau, puisqu'un grand cercle de casiers à homard encerclait l'emplacement du bateau. Dès 1997, les pêcheurs au homard ont été les promoteurs du projet suivant de création d'un récif artificiel à Port Mouton, en Nouvelle-Écosse. Aujourd'hui, on considère le Saguenay comme le meilleur endroit où capturer le homard au large de Lunenburg, en Nouvelle-Écosse, simplement parce que le navire est devenu une sorte de gros casier à homard.

Le sénateur Hubley: Je suis au courant. Au moment de la construction du pont de la Confédération, nous avons vu les mêmes études, lesquelles révélaient que c'était probablement autour de la structure qui soutenait le pont. À long terme, la formation rocheuse constituera probablement un avantage pour les pêcheurs au homard. Nous avons perdu des choses, mais je suppose que nous devons aussi nous convaincre que nous avons réalisé des gains.

J'ai du mal à parler de récif artificiel parce que nous faisons référence à une pêche alors que, en réalité, il s'agit d'emplacement à vocation récréative. Je ne sais pas pourquoi, pour désigner ces lieux, nous n'utilisons pas plutôt le nom du bateau qui s'y trouve, par exemple le site du Saguenay. Ainsi, nous aurions une idée de ce dont il est question.

M. Straith: Il m'est arrivé de parler d'attractions pour les plongeurs, ce qui représente un concept différent du concept traditionnel des récifs artificiels présents dans certains États du golfe. Nous avons simplement fait passer la notion à un niveau tout à fait différent.

Le sénateur Hubley: En voyant vos vidéos et certaines de vos photographies sous-marines, je me suis rendu compte qu'il y avait beaucoup plus d'éléments que ce à quoi je me serais attendue. J'aurais pensé que tout aurait été supprimé, mais j'ai vu des portes, des charnières et des canons.

M. Straith: Vous avez été très impressionnée par les canons. Il y a deux ans environ, un membre de la Marine américaine a regardé les mêmes documents et a déclaré qu'il ne se doutait pas que les navires de la Marine canadienne transportaient des canons de cinq pouces.

En fait, il s'agit de tuyaux d'égouts, mais cela a beaucoup impressionné les gens au fil des ans. Les fûts des canons sont toujours présents, mais on a retiré les mécanismes. Il n'y a rien de plus poisseux et de plus gorgé de fluide hydraulique que les canons automatiques de ces destroyers, et on les démantelait avec le plus grand soin. À bord de ce navire, c'est le démantèlement du système de manutention des munitions qui constitue le cauchemar le plus redoutable. Je dis parfois qu'il s'agit de la distributrice qui, à l'intérieur, sert au transfert des munitions.

Le sénateur Mahovlich: Y a-t-il des endroits où un pêcheur amateur peut aller pour visiter certains de ces navires échoués? S'agit-il toujours de plongeurs chevronnés?

M. Straith: Nous concevons les navires à l'intention d'un éventail complet de plongeurs. En particulier, ce sont les portions supérieures du navire qui font l'objet des préparations les plus poussées, de sorte que même un plongeur relativement novice peut descendre sur le Saskatchewan.

Le sénateur Mahovlich: J'ai fait un peu de plongée en apnée en Australie. Il faut faire très attention parce qu'il y a de nombreuses aspérités très tranchantes.

M. Straith: Vous voulez parler du corail. Nous sommes très prudents à ce propos. Nous parcourons les lieux et les évaluons de manière à supprimer tous les points d'accrochage possibles. Comme l'a souligné le sénateur Hubley, nous cherchons sans cesse le point d'équilibre, puisque les animaux préfèrent une structure plus complexe.

C'est la même chose pour le corail. Le corail en corne de cerf attire de petites créatures. Toutes sortes de poissons juvéniles et de larves s'abritent dans les écoutilles et les roues qui les actionnent. On doit donc établir un arbitrage prudent entre les deux aspects suivants: la réduction au minimum des risques à bord du bateau et la conservation des petits éléments qui finissent par constituer un habitat de très bonne qualité.

À bord du Saskatchewan, nous avons mis au point un système que nous appelons l'emporte-pièce. Nous perçons de nombreux petits trous dans la superstructure. Nous avons constaté que de petits poissons de trois pouces vivent non loin de là en raison de l'effet Venturi produit par le choc de la marée contre cette partie du navire. Lorsque des prédateurs se présentent, les poissons en question se déplacent tout simplement de l'autre côté de la structure.

Au fil des ans, nous avons accumulé des données anecdotiques. Je juge la situation frustrante: en effet, nous ne disposons pas des données scientifiques objectives dont nous avons besoin, je crois, pour que ce genre de programme progresse.

Le sénateur Mahovlich: Je pense que c'est une bonne idée que de susciter l'intérêt des universités et de les amener à réaliser certaines études. Ce serait une bonne idée.

M. Straith: Si elle avait plus de moyens, la société serait en mesure de faire preuve de plus d'initiatives. Je pense que la création d'un partenariat gouvernement-sociétés-université constitue l'approche que nous devrons retenir.

Le président: Je vous ai entendu dire que, à propos de la productivité des récifs, vous ne disposiez que de données anecdotiques. Je sens que vous éprouvez de la frustration à la pensée qu'aucune étude n'est en cours.

Pourtant, la notion de récifs artificiels n'a rien de nouveau. En 1987, je me suis rendu à Cuba avec le ministre des Pêches du Canada de l'époque, et nous avons rencontré son homologue cubain. Il nous a parlé de petites structures en ciment — que les pêcheurs construisent eux-mêmes — qu'on jette sur les récifs ou en mer. Elles constituent de petits abris pour les homards. Lorsqu'ils veulent des homards, les pêcheurs se rendent sur place armés d'une perche. Ils tapent sur le dessus des structures, et les homards sortent de leur cachette et, de ce fait, deviennent une proie facile.

C'est rempli de bon sens. Cependant, on ne peut utiliser le bon sens et des données anecdotiques pour justifier ces affirmations.

De toute évidence, comme votre document vidéo nous l'a montré, le secteur, dans un délai de trois ou quatre ans, grouille de poissons, qui, sinon, ne seraient pas là.

M. Straith: Exactement. Vous avez raison, c'est frustrant. À l'occasion, de la conférence CARAH, nous avons entendu des communications présentées par la Californie, la Caroline du Nord et la Caroline du Sud et les États du golfe. On a également eu droit à un exposé sur certains travaux initiaux effectués sur des récifs artificiels dans certains secteurs de la Méditerranée. Cependant, les personnes qui travaillent en eaux froides ne se sont pas encore montré le bout du nez, en dépit du fait que les groupes dont il est question s'intéressent à un secteur au large de l'Écosse. Ces membres savent que les endroits où des bateaux se sont échoués constituent des milieux incroyablement productifs pour les pêches. C'est autour de ces anciens bateaux qu'ils effectuent leurs meilleures pêches, mais on n'a pas réalisé d'études à ce sujet.

Je ne sais pas quel a été le problème. Dans le sud de l'Australie, où on a échoué le Hobart et le Perth, on trouve des eaux similaires. L'Université de la Nouvelle-Galles du Sud mène activement une étude très détaillée qui, espérons-nous, évoluera et retiendra l'attention des chercheurs.

Le président: En ce qui concerne les endroits où les poissons se cachent et se reproduisent, nous avons, dans l'état actuel des choses, laissé très peu d'endroits où les poissons peuvent effectivement se cacher ou se reproduire puisque les dragueurs écument ces eaux. J'ai entendu parler de cas où des dragueurs s'alignent pour récolter les ressources d'une zone très productive. L'un après l'autre, ils raclent le fond, et rares sont les poissons qui restent. S'il y avait quelques obstacles — ce que Paul Watson appelle des policiers dormants —, on réussirait peut-être à conserver quelques poissons à ces endroits.

M. Straith: Je suis d'accord avec vous, sénateur. L'une de nos frustrations est — j'ai moi-même observé le phénomène dans le récif artificiel du NCSM MacKenzie à maintes reprises — vient du fait qu'il arrive qu'une région soit littéralement recouverte de pétoncles. Dans de tels cas, les pieuvres débarquent. Cependant, il ne s'agit malheureusement pas d'une aire maritime protégée.

Nous avons des bateaux de plongée amarrés là-bas. Un pêcheur commercial arrive sur place et capture les pétoncles qui ont élu domicile dans le bateau, sans oublier les pieuvres. Nous ne pouvons absolument rien faire pour protéger la ressource, et les données scientifiques dont nous pourrions disposer disparaissent.

Pour que le ministère des Pêches puisse examiner la situation de façon adéquate, je suis fermement convaincu que nous devrions à tout le moins interdire la pêche dans ces secteurs dans un rayon de 100 mètres d'un récif artificiel pour une période d'au moins cinq ans, le temps de mener des études adéquates sur l'évolution de la situation. Malheureusement, nous échouons les navires, et c'est le début de la saison de l'industrie de la pêche commerciale — sauf dans le cas d'un navire échoué dans un parc maritime provincial. Un bon nombre de nos données sont donc perverties sans que nous puissions y faire quoi que ce soit.

Le président: Il y a quelques mois, nous étudiions les stocks chevauchants de la plate-forme continentale de Terre- Neuve, les Grands Bancs. À l'époque, on avait notamment suggéré l'immersion en mer de vieilles carcasses de voiture, de bateaux, d'aéronefs et ainsi de suite dans des endroits stratégiques des Grands Bancs pour créer des récifs artificiels pouvant servir d'habitats aux poissons.

En entendant ces suggestions, un certain nombre de personnes ont poussé les hauts cris. Certains y voient une forme d'immersion de déchets en mer. Quelle serait votre position sur la possibilité de protéger certains secteurs des Grands Bancs?

M. Straith: Je crois qu'on pourrait le faire. Nous avons travaillé de concert avec un type du Virginia Artificial Reef Program qui n'est pas chaud à l'idée d'échouer des wagons de train ou des avions, simplement parce que l'acier utilisé pour leur fabrication est trop léger et n'assure pas la longévité voulue. Cependant, on utilise beaucoup de matériaux de façon créative. Les récifs artificiels ont beaucoup fait pour réduire la prévalence du dragage dans les zones au large de la Virginie.

Je pourrais vous mettre en communication avec les personnes qui, sur cette côte, ont eu recours à ce genre de mesures afin de dissuader les pêcheurs de faire du dragage à certains endroits. La technique s'est révélée très efficace. Au large de la Louisiane, on se réjouit du fait qu'il arrive parfois que des bateaux accrochent des filets d'une valeur de 200 000 $ sur la structure d'un navire. On est convaincu qu'il s'agit d'une solution beaucoup plus efficace que toute amende imposée par un tribunal, sans compter que, une fois le bateau coulé, il s'agit d'une mesure d'application de la loi relativement peu coûteuse.

Le président: Nous allons assurément vous prendre au mot et attendre que vous nous mettiez en communication avec ces personnes. À quelle distance du rivage ces structures sont-elles installées?

M. Straith: En Virginie de même qu'en Caroline du Nord et en Caroline du Sud, on les installe jusqu'à 100 milles du rivage.

Le président: Lorsqu'il a été question de placer des obstacles dans les Grands Bancs, je me souviens qu'un député ait affirmé que les Grands Bancs étaient trop loin et que l'eau y était trop profonde. Si l'eau est trop profonde, il est certain que les dragueurs ne viendront pas y pêcher. Nous nous intéressons aux secteurs où les dragueurs sont actifs.

J'imagine que les récifs en question ne sont pas installés dans des lieux où l'eau est très profonde. C'est d'ailleurs ce qui m'amène à ma question suivante: les structures en question figurent-elles sur les cartes de navigation et autres documents du genre?

M. Straith: Vous auriez intérêt à en parler au responsable des eaux navigables de même qu'au Service hydrographique du Canada. À mon avis, c'est à eux qu'il revient d'en décider.

Le sénateur Cook: Vos récifs figurent-ils sur les cartes de la côte de la Colombie-Britannique?

M. Straith: Oui, nous communiquons avec la Garde côtière dès que le navire a été coulé. Dans certains cas, nous avons même recours à des bouées de récif pour bien marquer l'endroit et éviter d'éventuels conflits.

Le président: En ce qui concerne les structures échouées au large de la Virginie, vous avez dit qu'il ne s'agit pas nécessairement de véhicules, de bateaux, de navires ni d'autres choses. On peut donc utiliser d'autres structures?

M. Straith: C'est possible. L'État du New Jersey a fait preuve de pas mal de créativité. Les Japonais disposent d'une forme très avancée de récifs artificiels. Ces derniers ont tant de langues différentes qu'on dirait des virus. Dans le cadre de leur programme de création de récifs artificiels, ils utilisent un dispositif ancré au fond de la mer qui occasionne une remontée d'eau dans le secteur. On a utilisé les récifs artificiels à des fins extraordinairement créatives auxquelles, jusqu'ici, on n'a tout simplement jamais pensé au Canada.

Le président: Je tiens à remercier M. Welsford d'avoir aussi été présent à titre d'invité. Si je comprends bien, M. Welsford préside le PAZCA de Lunenburg. La semaine dernière, nous avons eu l'occasion de visiter les sites du PAZCA dans la région de l'Atlantique. Ils sont fort impressionnants. Nous avons été très heureux de constater ce que vous réussissez à faire en dépit de fonds très limités et que, dans la région, vous faites un merveilleux travail.

Je crois comprendre que des programmes de ce type sont exécutés en conjonction avec Environnement Canada partout au pays. Et nous attendons avec impatience qu'ils se répandent encore davantage.

La séance est levée.


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