Délibérations du comité sénatorial permanent des
affaires étrangères
Fascicule 3 - Témoignages du 11 février 2003
OTTAWA, mardi 11 février 2003
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit ce jour à 18 h 17 afin d'examiner, pour en faire rapport, les relations commerciales canado-américaines et canado-mexicaines.
Le sénateur Peter A. Stollery (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Honorables sénateurs, nous allons poursuivre nos audiences conformément à notre ordre de renvoi du 21 novembre 2002, qui stipule que le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères soit autorisé à étudier et à faire rapport sur les relations commerciales entre le Canada et les États-Unis d'Amérique et entre le Canada et le Mexique en portant une attention particulière à l'Accord de libre-échange de 1988, à l'Accord de libre-échange nord- américain de 1992, à un accès sûr pour les produits et services canadiens aux États-Unis d'Amérique et au Mexique et au développement de mécanismes efficaces de règlement des différends.
Nos accueillons M. Charles Gastle, associé de la firme Shibley Righton et président du International Dispute Management Group qui en fait partie. M. Gastle a été le premier avocat canadien à avoir représenté les communautés de Premières Nations du nord de la Saskatchewan devant le Département américain du commerce dans le différend canado-américain sur le bois d'œuvre.
[Français]
Du Conseil du libre-échange pour le bois d'œuvre, nous avons aujourd'hui M. Frank Dottori, président, ainsi que M. Carl Grenier, vice-président principal.
[Traduction]
Le Conseil du libre-échange pour le bois d'œuvre est un organisme pancanadien dont les membres exportent plus de 40 p .100 du bois d'œuvre de résineux vers les États-Unis. Le Conseil a été créé en 1998 en vue de relancer le libre- échange entre le Canada et les États-Unis dans le cas de cette denrée.
Du Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, nous accueillons M. Fred Wilson, représentant national, qui remplace M. Brian Payne, président du syndicat.
Messieurs, vous pouvez passer à vos exposés.
M. Frank Dottori, coprésident, Conseil du libre-échange pour le bois d'œuvre: Honorables sénateurs, merci de nous offrir la possibilité de témoigner devant vous. Je suis président-directeur général de Tembec Inc. qui est une société forestière intégrée. Nous sommes présents un peu partout au Canada — au Nouveau-Brunswick, au Québec, en Ontario, au Manitoba, en Alberta et en Colombie-Britannique — et dans plusieurs autres pays. Je suis aussi coprésident du Conseil du libre-échange pour le bois d'œuvre, organisme qui a été mis sur pied en 1998 afin de promouvoir le libre-échange du bois d'œuvre sur le marché nord-américain. Notre objectif était d'imprimer une certaine orientation à l'industrie canadienne afin d'essayer de régler les problèmes qui risquaient de se poser à l'expiration de l'Accord sur le bois d'oeuvre résineux afin d'instaurer un régime de libre marché et de libre échange entre nos deux pays.
Comme vous le savez, le problème canado-américain en matière d'oeuvre est vieux de 200 ans environ, mais ce n'est qu'au cours des 20 dernières années que la situation s'est envenimée sur le plan juridique et qu'il a beaucoup été question de ce dossier dans les médias.
Nous en sommes à la quatrième enquête américaine depuis 1983. On aura pu remarquer que les provinces de l'Atlantique ont toujours été exclues de ce processus. À l'heure actuelle, nous devons payer 27,22 p. 100 en taxes sur nos ventes aux États-Unis, soit 18,79 p. 100 en droits compensateurs et environ 8,43 p. 100 en moyenne au titre des mesures antidumping. Cet obstacle a considérablement entravé nos opérations. En effet, toutes nos ventes de bois d'oeuvre de 100 $ sont amputées de 25 $. Ce faisant, le secteur canadien du bois d'oeuvre a été durement touché, puisqu'il a, jusqu'ici, payé près d'un milliard de dollars en droits divers. Pour une compagnie comme la nôtre, la note va de 80 à 100 millions de dollars par an.
Cela étant, nous n'avons eu d'autres choix que d'annoncer des restructurations et des fermetures parce qu'au cours des cinq dernières années, notre secteur n'a pu dégager que des marges bénéficiaires de 14 p. 100 en moyenne, soit moins que les 27 p. 100 qu'on nous prélève. Nous avons enregistré d'importantes pertes d'emploi, ce dont un des témoins aujourd'hui vous parlera sans doute, à cause de la fermeture et de la restructuration des scieries qui ont occasionné un grand nombre de mises à pied.
La stratégie du Canada comporte deux fronts. D'abord, le front juridique. Nous nous rendons devant les tribunaux en étant sûrs que nous allons remporter notre cause comme par le passé. Nous sommes certains que notre cause est très solide. Comme la récente décision rendue par l'OMC a ébranlé les bases de l'argumentation américaine contre nous, argumentation qui était fondée sur des évaluations transfrontières, nous pensons pouvoir l'emporter devant l'OMC.
Par ailleurs, le Canada poursuit son action sur le front de la négociation. Malheureusement, comme à l'accoutumée, nous semblons être toujours prêts à abandonner dans les derniers mètres. Un groupe important réclame un règlement négocié, car il est convaincu qu'on ne peut jamais gagner contre les États-Unis et qu'il vaut mieux sauver la mise.
La négociation, qui a été entamée en août 2001, a fini par un échec en mars 2002, la Coalition américaine refusant de modifier sa position et les autorités américaines n'étant pas en moyen de prendre quelque mesure que ce soit contre cette position.
Récemment, Grant Aldonas, avocat qui avait représenté la Colombie-Britannique dans un de ses dossiers il y a quelque temps, a essayé de lancer une initiative. Il est maintenant sous-secrétaire au commerce international, au Département du commerce. L'approche différente qu'il a voulu adopter pour trouver une solution à ce contentieux méritait que nous nous y intéressions.
Tout récemment encore, nous nous trouvions à Washington, mais il est difficile de se prononcer sur l'aboutissement possible de ces entretiens. Il demeure qu'un certain accord semble se dégager et que quelques décisions importantes devront être prises dans ce dossier. En ce qui nous concerne, nous pensons que les États-Unis vont essentiellement dicter la politique forestière du Canada dans l'avenir et décider si celle-ci va ou non leur permettre de répondre à leurs besoins commerciaux dans ce domaine. Pour l'heure, tout semble indiquer que les Américains décideront, en fonction de leurs propres normes, si les Canadiens répondent ou non à ces obligations. L'ébauche du bulletin d'interprétation a été publiée. Ce texte est inacceptable pour la plupart des provinces canadiennes sauf peut-être la Colombie-Britannique qui semble vouloir régler au plus pressé et être disposée à modifier sa politique forestière.
Je n'entrerai pas dans le détail, mais il faut savoir que les dispositions annoncées risquent de porter gravement atteinte, et de façon permanente, à notre position compétitive, étant donné que nous sommes présents un peu partout au Canada.
Comme il faudra du temps pour appliquer certains des changements annoncés, tout le monde commence à parler d'accord transitoire qui prendrait la forme d'une taxe à l'exportation. Les provinces appuient cette formule, parce qu'elle leur permettrait d'équilibrer leur budget. Du point de vue de l'industrie, même si nous préférons que cet argent demeure au Canada, nous nous disons qu'il ne contribuera pas à la viabilité économique du pays, que ce soit Ottawa ou Washington qui l'empoche ou l'une de nos provinces.
Il demeure encore de nombreux problèmes qui n'ont pas été réglés. Il y celui des mesures d'antidumping dont il n'est pas question dans les actuelles propositions émanant des États-Unis. Il y a aussi l'importance de la taxe à la frontière. Dans sa réponse, la Coalition demande que celle-ci soit de 18 p. 100. De plus, dès que les prix chuteront en dessous d'un certain niveau, la taxe augmentera de 10 p. 100 par tranche de 10 $ de réduction. Cela pourrait équivaloir à une taxe de 60 p. 100, ce qui est totalement inacceptable.
Par ailleurs, la Coalition ne veut pas nous rembourser notre dépôt d'un milliard de dollars. Certains d'entre nous n'entendent pas se laisser faire, parce qu'ils estiment que c'est notre argent et que nous y avons droit en vertu du droit international. Et puis, il y a la question de la poursuite que nous avons entamée. La Coalition américaine veut que nous l'abandonnions, ce qui nous placerait dans une position vulnérable dans l'avenir.
Le passé nous a montré qu'il n'est pas possible d'amener les Américains à adopter une position raisonnable à moins de les attaquer devant les tribunaux et de gagner! Même à cela, il semble qu'il faille toujours négocier un compromis. Nous pensons que l'ALENA et l'OMC ont amélioré les règles au point que le Canada est maintenant en meilleure posture pour exiger des changements et pour contrer la loi américaine. C'est pour cela, selon moi, que nous ne devons pas renoncer à notre intervention juridique dans les cadres de l'OMC et de l'ALENA, à moins que les États-Unis soient prêts à proposer une solution véritablement intéressante.
Nous croyons que les États-Unis sont pressés de régler ce dossier parce que 15 à 18 p. 100 du droit compensateur actuel va disparaître dès que les comparaisons transfrontières auront été déclarées illégales. Ce faisant, ce droit devrait être ramené à 3 p. 100. De toute évidence, les Américains essaieront de l'augmenter ensuite mais, comme nous avons aussi certains droits de nature juridique, il pourrait fort bien être ramené à zéro.
Nous pensons que les Américains insistent beaucoup pour régler ce dossier maintenant, parce qu'ils sentent ce qui les guette. Malheureusement, les deux parties sont encore très éloignées dans leurs positions. Une taxe à l'exportation de 25 p. 100 serait catastrophique pour l'industrie canadienne puisque, comme je le disais plus tôt, notre marge bénéficiaire n'a été que de 14 p. 100 en moyenne au cours des cinq dernières années.
Le Conseil du libre-échange pour le bois d'oeuvre a demandé au gouvernement du Canada de consentir des garanties de prêt à l'industrie par le biais d'Exportation et développement Canada, dans le cadre du programme de garantie des exportations. D'après l'avis juridique que nous avons recueilli à cet égard, cette aide ne pourrait faire l'objet d'un droit compensateur. Jusqu'ici, le gouvernement a décidé de ne pas agir sur ce front et, ce faisant, nous allons tous nous retrouver sans argent si nous devons continuer à verser des droits aux Américains. Nos voisins vont nous contraindre à l'abandon, de guerre lasse, car c'est bien là leur stratégie et elle fonctionne! Pour l'instant, une grande partie de l'industrie canadienne du bois d'œuvre se dit qu'il faut régler à n'importe quel prix, parce qu'elle veut survivre et que, si l'on continue ainsi, tout le monde va se retrouver en faillite.
Nous allons devoir prendre des décisions très difficiles. Jeudi ou vendredi dernier, nous n'avons deviné aucune véritable ouverture chez les Américains.
J'ai eu la mauvaise idée de nous comparer à des termites quand nous étions à Washington. Quelqu'un avait dit que les termites sont aveugles et qu'ils rongent le bois... et c'est précisément ainsi que je percevais les Canadiens là-bas. Nous n'avions pas une position très solide, très organisée. Les provinces négocient de leur côté avec le Département du commerce et le gouvernement fédéral, lui, siège en observateur. Nous n'avons pas une position pancanadienne forte et unie, même si tout le monde voudrait faire croire que c'est le cas.
Nous sommes plutôt aux prises avec un différend commercial international qui, à l'évidence, relève de la compétence d'Ottawa, et d'allégations américaines qui visent exclusivement les politiques forestières provinciales. Il n'existe aucun mécanisme formel pour trouver une solution dans une telle situation. Les provinces affirment les forêts sont de leur ressort et le gouvernement fédéral rappelle qu'il a compétence dans les questions de commerce international, ce qui nous place dans une situation plutôt bizarre. C'est d'ailleurs ce genre de situation qui a donné lieu au protocole d'entente de 1986, protocole qui a provoqué la disparition de 43 p. 100 de l'industrie québécoise, avant qu'il ne soit finalement retiré.
Cette fois-ci, le gouvernement de la Colombie-Britannique a pris l'initiative en vue de parvenir à une conclusion dans ce dossier. La semaine dernière, nous nous sommes retrouvés à devoir appliquer des mesures d'arrière-garde, à trouver un moyen de nous dégager de l'entente proposée par cette province parce qu'elle signifierait la disparition d'une bonne partie des scieries de l'est du Canada. À l'analyse des clauses en petits caractères, je pense que cette entente aurait des effets tout aussi catastrophiques en Colombie-Britannique. Certains, qui ont étudié cette proposition en détail, m'ont appelé le week-end dernier pour me dire qu'ils savent maintenant exactement ce que contient le document de politique de la Colombie-Britannique.
Nous ne sommes pas d'accord avec la façon dont tout ce processus est mené. Sans nous lancer dans des questions de réforme constitutionnelle, nous estimons que le Canada devrait très sérieusement analyser la façon dont nous négocions. Tout ce qui touche aux échanges commerciaux devrait être placé sous la gouverne du gouvernement fédéral et les provinces devraient s'aligner sur Ottawa.
Les membres du Conseil du libre-échange pour le bois d'oeuvre, tout comme la majorité des membres de notre secteur, pensent que nous faisons partie d'un marché intégré. Nous répondons à quelque chose comme 34 ou 35 p. 100 de la demande américaine de bois d'oeuvre. D'un autre côté, on parle de marché intégré dans le cas de l'énergie tandis que nous ne fournissons que 30 p. 100 de la demande américaine. Ce faisant, nous ne voyons pas pourquoi on ne parlerait pas de marché intégré avec 34 ou 35 p. 100. Il n'existe pas de taxe sur l'énergie et nous ne voyons pas pourquoi il devrait y en avoir une sur le bois d'oeuvre.
Nous pensons que les industries américaines et canadiennes devraient travailler côte à côte à la création d'un marché nord-américain. La consommation de bois aux États-Unis n'est que de 0,44 mètre cube par personne. En Finlande, elle est d'un mètre cube par personne et au Canada elle est de 0,60 mètre cube. Moyennant une augmentation de 10 p. 100 de la consommation de bois aux États-Unis, nous éliminerions toutes ces contrariétés, parce que les Américains manqueraient alors de bois d'oeuvre plutôt que de se trouver dans une situation excédentaire.
Nous n'allons pas nous battre pour gagner des parts de marché comme s'il s'agissait d'un jeu à somme nulle. Nous sommes les grands défenseurs de la coopération nord-américaine. Notre groupe est anti-protectionniste. Nous sommes gagnés aux vertus d'un marché continental nord-américain mais, aux États-Unis, à cause des lois sur le commerce de ce pays, le gouvernement se doit de représenter des intérêts individuels, comme ceux des propriétaires forestiers.
Le gouvernement fédéral américain est un peu à la merci des caprices et des exigences déraisonnables de ces propriétaires et de quelques petits producteurs. Est-ce par hasard si les commissions sénatoriales américaines chargées des questions de bois d'oeuvre sont toujours présidées par un sénateur venant d'un des plus gros États producteurs de bois d'oeuvre de résineux? Quand le sénateur Trent Lott, du Mississippi, est devenu leader de la majorité au Sénat, beaucoup se disaient qu'il allait représenter les intérêts du coton, pensant que c'était la plus grosse industrie du Mississippi, mais ce sont les produits forestiers qui viennent en tête.
À cause d'une combinaison de hasard et de jeux d'influence, depuis un certain temps déjà, le gouvernement américain maintient une position protectionniste au nom de l'industrie du bois d'oeuvre et des propriétaires forestiers. Or, ces gens là formulent des exigences complètement déraisonnables, ce qui m'amène à croire qu'il nous faut adopter une position très ferme du côté canadien afin de nous défendre.
En résumé, je recommanderais au gouvernement fédéral de commencer tout d'abord par maintenir nos recours juridiques devant l'OMC et l'ALENA car, si nous les abandonnions, nous pourrions ne jamais nous le pardonner. Deuxièmement, il faudrait demander à EDC d'offrir des garanties de prêt à toutes les compagnies forestières, en vertu de ses programmes actuels, afin que nous permettre de résister au harcèlement juridico-commercial dont nous faisons les frais aux mains de gouvernements étrangers. Troisièmement, il conviendrait d'améliorer et de systématiser la coopération entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux, avec la participation du secteur privé, pour faire face aux problèmes internationaux complexes que soulève le différend du bois d'oeuvre, situation qui amène les provinces à se dresser contre le gouvernement fédéral au moment même où nous essayons de négocier un accord international avec les États-Unis.
Le président: Merci, monsieur Dottori. Monsieur Wilson, je vous en prie.
M. Fred Wilson, représentant national, Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier: Je vais essayer d'être bref. Merci beaucoup de nous avoir accueillis aujourd'hui. Je vais aborder certains des sujets dont M. Dottori a traité, mais d'un point de vue légèrement différent.
Le Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier est le plus important syndicat canadien dans le secteur forestier. Nous comptons en effet 70 000 membres qui travaillent dans ce secteur au Canada, de la Colombie- Britannique à Terre-Neuve. Une grande majorité de ces gens là travaillent dans le secteur des pâtes et papier, la plupart dans les scieries de M. Dottori. On y retrouve 12 000 travailleurs dans les scieries de l'Ontario, plus encore au Québec, de même que des ouvriers forestiers et d'autres travailleurs de l'industrie.
Je vous dirais que le processus dans lequel s'est engagé le Canada face aux États-Unis est foncièrement vicié. Des syndicats comme le nôtre, qui représentent des dizaines de milliers de travailleurs dans ce pays — ainsi que notre syndicat frère, l'IWA Canada, qui représente les travailleurs dans l'ouest du pays — se sentent exclus de ce processus et ont dû recourir à des mesures extraordinaires pour être tenus au courant de ce que le gouvernement et, dans une certaine mesure, l'industrie sont en train de négocier pour nous.
Il y a aussi quelque chose de foncièrement pernicieux dans un processus qui a amené des hauts fonctionnaires fédéraux canadiens et des responsables de l'industrie à se réunir à Washington la semaine dernière pour négocier des aspects fondamentaux de notre politique sociale nationale avec un négociateur commercial américain, plutôt que de parler de ces questions là où il faudrait en débattre, c'est-à-dire au Canada avec les citoyens canadiens. Nous trouvons ce processus déplorable.
J'aimerais attirer votre attention sur une situation que nous jugeons urgente. Je ne sais pas exactement quel rôle votre comité va pouvoir jouer à cet égard, parce que je suis conscient que votre action s'inscrit dans le cadre d'un processus plus vaste. Il demeure que je ne saurais insister assez sur l'urgence de la situation. Je diverge d'avis avec M. Dottori à cet égard, parce que je pense que les deux pays sont sur le point de parvenir à un soi-disant règlement. Nous avons appris qu'une entente pourrait survenir dans les 10 prochains jours, peut-être deux semaines. Celle-ci pourrait avoir de profondes conséquences pour le secteur forestier canadien.
Je plaisantais à moitié avec un collègue dans le couloir, tout à l'heure, quand je lui posais la question suivante: «Quel est le point commun entre l'Irak et l'industrie canadienne du bois d'oeuvre de résineux? Réponse: tous deux sont aux prises avec une situation qui va occasionner un changement de régime». C'est en effet ce qui se produit dans nos négociations avec les États-Unis.
Tout comme M. Dottori, notre syndicat et d'autres syndicats étaient représentés à Washington la semaine dernière où nous avons pu rencontrer M. Grant Aldonas du Département américain du commerce. Plus tôt aujourd'hui, nous avons rencontré notre ministre du Commerce international, Pierre Pettigrew. Sur la foi de ces rencontres et de séances d'information dont nous avons pu bénéficier, nous pouvons vous affirmer que le Canada a essentiellement indiqué aux États-Unis que le «plan Aldonas», comme on l'appelle, sera la base d'un règlement. Je ne sais pas si l'on vous a remis des copies du bulletin d'interprétation dont M. Dottori vous a parlé il y a quelques minutes. Aucun fonctionnaire fédéral ne nous en a remis d'exemplaire, mais il se trouve que j'en ai un. Je l'ai déniché sur un site Internet américain où il s'est retrouvé après une fuite. Il n'y a que comme ça que nous avons pu obtenir ce document pourtant important.
On y propose de résoudre le différend commercial, dans un premier temps, par l'imposition d'une taxe à la frontière. Les sanctions commerciales américaines contre le Canada ne disparaîtraient pas pour autant. Elles seraient simplement réévaluées après quoi les provinces canadiennes arrêteraient une «solution de nature politique» consistant à pour modifier nos politiques forestières canadiennes afin de répondre aux critères formulés dans le document américain.
Cela fait, et si nous arrivons à satisfaire suffisamment les Américains, nous pourrons alors demander des modifications en vertu du droit commercial américain. Notre voisin déterminerait ensuite dans quelle mesure il pourrait nous exonérer des taxes et des droits compensateurs actuels. Le document détaille — d'une façon que nous trouvons humiliante pour des Canadiens — la façon dont les provinces devraient modifier leurs lois en matière forestière.
Je vais vous donner les grandes lignes des aspects sur lesquels nous sommes sensés agir. Il y a tout d'abord la question de la dépendance économique. Depuis plus d'un demi-siècle au Canada, il est entendu que si vous exploitez des terres domaniales, vous vous engagez envers la collectivité et la population à assurer sur place la transformation de la fibre ligneuse. Il y a aussi les exigences en matière de coupe minimale, les restrictions relatives à la fermeture des scieries, les exigences concernant le niveau minimum de transformation et les tenures à long terme non négociables. Que restera-t-il de la politique forestière canadienne si l'on supprime tout cela?
Ce sont pourtant là les mesures qui sont énoncées dans ce bulletin d'interprétation, mesures auxquelles les Canadiens doivent réagir. Je crois savoir que le greffier du comité vous a remis un document intitulé: Principles for Joint Labour Proposal to Resolve the Softwood Lumber Dispute (Principes d'une proposition syndicale commune en vue de résoudre le différend du bois d'oeuvre de résineux). Nous disposons donc d'une contre-proposition.
Notre syndicat travaille au côté de l'IWA Canada, de la PACE International Union et de la International Machinists Union — les deux principaux syndicats du secteur forestier aux États-Unis — ainsi que des centrales syndicales canadiennes et américaines — soit le Congrès canadien du travail et l'AFL-CIO — pour énoncer les principes qui devront régir le règlement du différend dans le domaine du bois d'oeuvre. Ces principes, qui respectent la souveraineté du Canada dans le domaine des pratiques forestières, sont énoncés dans le document que vous avez devant vous.
Je me dois aussi de préciser qu'un des syndicats américains qui s'est rangé à nos côtés, était signataire de la première plainte entreprise contre le Canada, plainte qui a débouché sur l'imposition des droits compensateurs actuels. Il est significatif que ces syndicats soient prêts à nous tendre la main par-dessus la frontière pour voir, avec nous, s'il ne serait pas possible de formuler des propositions conjointes en vue de régler ce différend.
Comme on vous a remis le document, je ne vais pas vous le lire. La solution proposée consisterait essentiellement, pour le Canada ou les provinces, à imposer une taxe à l'exportation sous la forme d'un droit de coupe plus élevé afin de réglementer ou d'administrer l'accès des Canadiens au marché américain.
Pourquoi sommes-nous favorables à cela? Nous y sommes favorables parce que depuis plus de 20 ans, il y a toujours eu une formule du genre. Cela ne revient pas à reconnaître que notre bois est subventionné, simplement qu'il y a toujours eu une sorte de mécanisme en place, appelons-le modalité commerciale réglementée entre le Canada et les États-Unis, et c'est une formule que nous favorisons. Les syndiqués canadiens s'inquiètent dès que des travailleurs américains se retrouvent au chômage.
Un tel problème ne se pose que lorsque nous sommes dans le creux d'un cycle commercial. Il est vrai qu'à ce moment-là, quand les prix sont bas, les travailleurs des États américains producteurs de bois d'œuvre peuvent se retrouver au chômage tandis que le secteur canadien, lui, peut continuer de fonctionner à haut régime. Cela est dû à la différence de valeur de nos devises et à plusieurs autres facteurs, comme l'efficacité des scieries canadiennes.
Malgré tout, nous pourrions faire en sorte que, quand le marché passe par un creux, les travailleurs et l'industrie d'un côté de la frontière ne soient pas beaucoup plus durement touchés que ceux de l'autre côté, grâce à la mise en oeuvre d'une taxe variable à l'exportation. Ainsi, quand le prix serait élevé, cette taxe serait ramenée à zéro et, quand le prix serait faible, elle remonterait. Une telle formule appliquée à une taxe à l'exportation tiendrait compte de la différence de valeur de nos devises. La taxe tiendrait donc compte de l'augmentation éventuelle du dollar canadien.
Une commission bilatérale serait chargée de surveiller la situation et d'apporter les correctifs nécessaires. De plus, elle serait le lieu de discussion pour les Américains et les Canadiens relativement à tout ce qui concerne la mise en valeur du marché. Elle s'abstiendrait de dicter aux provinces canadiennes les changements qu'elles devraient apporter à leur politique forestière.
Pour terminer, je rappellerai que nous avons cru comprendre que le plan Aldonas donnerait lieu à une solution durable. Je tiens à insister avec force que la voie dans laquelle nous semblons nous engouffrer très rapidement ne va nous amener à une solution durable. Elle débouchera plutôt sur des conflits du côté canadien parce que 300 collectivités de chez nous dépendent de l'industrie forestière. Nombre de ces collectivités n'existent que parce qu'elles sont en situation de dépendance économique. Il suffit que quelqu'un ait accès à des arbres, qu'il bâtisse une scierie et une ville naît.
Il ne faut pas sous-estimer le risque de conflits sociaux qui découlerait d'une décision selon laquelle nous pourrions, du jour au lendemain et afin d'apaiser les Américains, mettre notre industrie forestière à l'envers pour passer à une soi- disant politique de marché.
Nos avocats spécialisés en commerce international nous ont dit que, selon M. Aldonas, il ne serait pas nécessaire que nous suivions tout son plan mais que nous pourrions nous en tirer en n'en appliquant qu'une partie. Si nous allions assez loin, nous serions protégés dans l'avenir. Cela revient à dire que le Département américain du commerce pourrait rejeter une éventuelle demande ultérieure d'application de mesures compensatrices émanant de l'industrie américaine. Ces mêmes avocats nous ont dit que ce n'était là qu'un attrape-nigaud et que la seule solution durable susceptible de protéger le Canada contre d'autres droits compensateurs américains consistait à conclure un accord de gouvernement à gouvernement.
Nous sommes favorables à une entente négociée d'autant que, si celle-ci était conclue sur la base d'une taxe à l'exportation, nous serions à l'abri de toute autre mesure compensatoire dans l'avenir. Nous estimons que toutes les autres solutions ne feraient que déboucher sur davantage de conflits plus tard.
M. Charles Gastle, associé, Shibley Righton: Permettez-moi, tout d'abord, de vous remercier pour m'avoir invité ici aujourd'hui.
Histoire de me présenter à vous, sachez que j'ai un doctorat en commerce international et en droit de la concurrence et que je suis professeur adjoint en droit commercial international à l'école de droit Osgoode Hall.
Puisque j'ai témoigné devant le tribunal binational, je vais me garder de parler spécifiquement de bois d'œuvre de résineux pour élargir mon propos. Dans votre mandat, dont vous nous avez fait parvenir copie, il est aussi mention du cycle de Doha et de l'Accord de libre-échange des Amériques.
Je me propose de vous parler de trois choses: d'abord, le contexte dans lequel il faudra formuler la pratique commerciale canadienne; deuxièmement, le défi auquel le Canada est confronté et, troisièmement, et ce sera bref, la question particulière des droits autochtones.
Commençons par le contexte. Il est évident que nous allons pénétrer dans une période de turbulence. Nous avons connu toute une série de crises financières qui ont ébranlé l'Asie et l'Amérique du Sud du début 1997 à la fin 1998. On assiste à un renforcement de Mercosur, le marché commun sud-américain. On assiste également à quelque chose de nouveau aux États-Unis: des déficits constants de la balance extérieure et des signes d'affaiblissement du billet vert.
Quel effet tout cela aura-t-il sur la politique commerciale canadienne? M. Dottori vous a parlé d'une taxe de 25 p. 100. Que se passera-t-il si le dollar canadien augmente par rapport à son niveau actuel de 65 cents pour atteindre 75 voire 85 cents américains? On ne peut envisager la politique commerciale à part du système financier.
Deuxièmement, que signifie la récession que traversent actuellement les États-Unis? L'autorité de promotion du commerce, qui a reçu le pouvoir de conduire une négociation accélérée, a pour principal objectif, dans les présentes négociations, de maintenir les mécanismes de règlement des différends.
L'autre question, en ce qui concerne la récession américaine, consiste à savoir si ce pays va véritablement donner l'accès nécessaire aux importations de textiles et de produits agricoles pour que les accords commerciaux envisagés soient effectivement mis en place?
Parlons maintenant de la Zone de libre-échange des Amériques et voyons ce que signifie vraiment ce concept au regard du problème qui nous réunit. Il est fort peu probable que l'Accord de libre-échange des Amériques sera signé d'ici 2005 à cause de la situation qui règne en Amérique du Sud et au Brésil. Lula essaie déjà de remettre certaines des rencontres prévues.
Parlons à présent de Doha. Le cycle de Doha est qualifié de «cycle du développement» puisque ce sont les pays en développement qui vont bénéficier de la majorité des gains réalisés sur le plan du commerce international. Ces pays se plaignent de ne pas avoir obtenu leur juste part des résultats du cycle de l'Uruguay. Ils doutent de pouvoir pénétrer dans les secteurs clés de l'économie, surtout à la lumière de ce qui se passe aux États-Unis. Ils ont peur de ne pas avoir la capacité institutionnelle voulue pour pleinement comprendre les négociations, ce qui s'est d'ailleurs passé lors du cycle de l'Uruguay. Ils craignent aussi de ne même pas avoir l'infrastructure nécessaire pour réaliser les gains envisagés au chapitre du commerce international.
La cycle de Doha a repris là où celui de Seattle avait échoué. Il faut bien comprendre ce que signifie le fait que Doha ait eu lieu peu après le 11 septembre 2001. Cela étant, je soutiens qu'il y a très peu de chances pour que le cycle de Doha aboutisse d'ici 2005.
Le Canada est confronté à deux défis en matière de commerce international. D'abord, jusqu'à quel point risque-t-il d'être marginalisé? Le Mexique a négocié un accord de libre-échange avec l'Europe. Il y a quelques semaines, ce même pays a commencé à négocier un accord de libre-échange avec le Japon. Ni l'Europe ni le Japon ne veulent négocier avec le Canada. Si le partenaire commercial du Canada instaure des liens préférentiels avec d'autres blocs commerciaux extrêmement importants, ne risque-t-on pas d'assister à un détournement de l'investissement étranger direct au profit du Mexique et aux dépens du Canada?
J'ai posé cette question à un ami qui faisait partie de l'équipe de négociation japonaise au Mexique. Il m'a déclaré quelque chose d'étonnant. Il m'a dit qu'il croyait que l'accord de libre-échange nippo-mexicain pourrait n'avoir que très peu d'effets sur les flux d'investissements étrangers directs entre les partenaires de l'ALENA. Cela tient au fait que les maquiladoras japonais envisagent plutôt de se déplacer en Chine et vers l'Extrême-Orient, puisque la Chine fait maintenant partie de l'OMC. Pourquoi cela? La raison semble — j'insiste sur le mot semble — tenir au fait que l'ALENA ne procure pas plus d'avantages que l'OMC. Du point de vue canadien, plutôt que d'envisager nos relations commerciales et notre position sur une base de coûts par rapport au Mexique, nous ferions mieux de nous intéresser à ce qui se passe en Extrême-Orient.
Le Canada s'est marginalisé de lui-même lors des négociations de l'Accord de libre-échange des Amériques à cause de la position qu'il a adoptée dans le différend auquel Bombardier était partie. Le Canada a aliéné le Brésil qui est pourtant le plus important marché en Amérique du Sud. Depuis le début de la crise financière argentine, le Brésil se livre à une promotion très active de Mercosur. Qu'avons-nous obtenu dans nos différends commerciaux impliquant Bombardier? Pas grand chose. Rien n'est encore réglé et nous nous trouvons fondamentalement aux prises avec un différend qui s'éternise. J'ai mes propres vues sur la façon dont tout cela devrait être réglé, mais nous n'avons pas le loisir d'en parler ici.
S'agissant des questions autochtones, nous n'avons pas accordé suffisamment d'attention au fait que le gouvernement du Canada est tenu, en sa qualité de fiduciaire, de consulter les peuples autochtones dès qu'un projet législatif ou réglementaire risque d'avoir un effet sur les droits autochtones ou les droits de traité. Que se passera-t-il si l'Accord de libre-échange des Amériques risque d'avoir une incidence sur les droits de traité ou les droits autochtones? Quelles seraient les obligations du Canada dans de tels cas?
Nous n'avons jamais vraiment traité des questions autochtones dans les accords de libre-échange signés jusqu'ici. Il y a bien eu quelques annexes et exclusions des dispositions du chapitre 11 de l'ALENA, je veux parler du mécanisme de règlement des différends entre un investisseur et un État. En fait, à l'étape de la négociation des accords de libre- échange, on ne semble pas s'être livré à une véritable analyse de leur effet potentiel. Il n'existe pas non plus de mécanismes de consultation très clairs. Il n'existe pas de GCSCE pour les Autochtones, c'est-à-dire de groupes de consultation sectorielle sur le commerce extérieur.
Il existe pourtant un modèle de participation des peuples autochtones à ce genre de négociations. On le trouve dans le texte qui modifie la Convention concernant les oiseaux migrateurs de 1916. Cette convention imposait une période pour la chasse des oiseaux migrateurs qui portait atteinte au droit dont dispose les Autochtones de chasser durant toute l'année. En 1994, le Canada a négocié une solution avec les États-Unis, ce qui est tout à son crédit. Eh bien, les peuples autochtones ont pris part à ces négociations.
Dans nos négociations de libre-échange, nous ne nous sommes jamais dit qu'il fallait effectuer des analyses de l'impact potentiel. En présence d'un éventuel effet négatif, le gouvernement est tenu de se conformer à ses obligations fiduciaires.
Les accords commerciaux portent atteinte à la souveraineté nationale. La réduction des tarifs constatée entre 1947 et le cycle de Tokyo de 1979, ne suffit plus. On demande maintenant à l'OMC de s'intéresser à des questions sociales. Cela étant, nous assisterons à davantage de répercussions et à une menace encore plus grande sur la souveraineté, ce qui en découle automatiquement.
Je dispose de beaucoup d'informations à propos du cadre légal régissant les droits compensateurs et les mesures d'antidumping — deux mécanismes qui ont conduit au différend dans le bois d'œuvre. Je pourrai vous commenter tout cela ensuite, si vous avez des questions à me poser à ce sujet.
Le président: Monsieur Wilson, seriez-vous prêt à nous faire profiter du document que vous avez obtenu sur Internet?
M. Wilson: Le voici.
Le président: Le problème du bois d'œuvre de résineux a commencé par l'adoption de l'article 18, qui est inopérant parce que les tribunaux binationaux ont tranché d'après une loi nationale et que les Américains venaient juste de modifier la leur. Ce faisant, le différend en matière de bois d'oeuvre s'est de plus en plus transporté à l'OMC. Corrigez- moi si je me trompe.
Jusqu'ici, d'après ce qu'on m'a dit à Genève, nos dépenses et nos frais d'avocat à l'OMC s'élèvent à 200 millions de dollars. Vous avez dit que, selon le secrétaire général de l'OMC, nous avions dépensé 200 millions de dollars en frais d'avocat à l'OMC au titre du différend dans le bois d'oeuvre. Ce que je ne comprends pas, c'est qu'on nous a dit que nous avions remporté la partie à l'OMC. J'ai lu la décision et j'en ai conclu que nous sommes en présence de deux choses: il fallait d'abord prouver qu'il y avait contribution financière et les Américains ont apparemment gagné sur ce point. Il y aurait contribution financière sous la forme du système de droit de coupe. C'est ce que dit la décision. J'aimerais beaucoup que vous tiriez un peu cela au clair pour moi. Il n'a pas été établi qu'une contribution financière constituait une subvention. Pouvez-vous m'expliquer un peu cela?
M. Gastle: Nous sommes ici en présence de deux choses différentes. D'abord, les droits de coupe peuvent-ils être assimilés à des subventions pouvant donner matière à compensations? Deuxièmement, dans quelle proportion et comment alors calculer cette proportion? Primo, le droit de coupe peut-il faire l'objet d'un droit compensateur au regard de la loi et, secundo, à combien peut s'élever ce droit?
Le président: L'accord de l'OMC, comme on nous l'a rappelé, n'existait pas au moment de la signature de l'ALE ni de l'ALENA.
M. Gastle: C'est exact. Le problème, c'est que le tribunal de l'OMC a décrété que les programmes de droit de coupe peuvent donner matière à compensation. Il a aussi conclu que la méthode de calcul utilisée par les Américains — les calculs transfrontières — était mauvaise et contraire à la partie de l'accord de l'OMC qui traite des droits compensateurs.
Les Américains ont eu gain de cause sur la définition de ce qui est compensable, en revanche, ils devront trouver une méthode de calcul qui soit conforme au droit établi par l'OMC. La comparaison transfrontières qu'ils ont utilisée jusqu'ici n'est pas bonne.
Le président: Vous dites que les Américains n'y parviendront pas, que c'est pour cela que vous ne voulez pas conclure d'accord à Washington et que vous préféreriez poursuivre l'affaire au niveau de l'OMC. Ce n'est pas ce que vous avez dit?
M. Gastle: Il y a deux positions à cet égard.
M. Dottori: Notre position à nous est très claire. Nous prétendons qu'il serait préférable de négocier une entente continentale grâce à laquelle nous aurions un libre accès au marché nord-américain, ce qui nous placerait en position de concurrence équitable. Nous représentons, du côté canadien, un groupe libre-échangiste qui prétend être en mesure de concurrencer n'importe qui dans le monde. Nous ne pensons pas être plus stupides que d'autres et nous croyons plutôt pouvoir faire concurrence à n'importe qui, moyennant des règles justes et équitables. C'est ce que nous pensons.
Nous soutenons que si les États-Unis imposent des mesures artificielles et illégales contre l'industrie canadienne, nous les traînerons devant le tribunal.
Le président: Et ce tribunal c'est l'OMC, n'est-ce pas?
M. Dottori: C'est cela. Nous l'avons déjà fait et le tribunal de l'OMC a décrété que les États-Unis agissaient de façon illégale en vertu des règles de l'OMC en appliquant des comparaisons transfrontières. Nous avons remporté cette décision. C'est très clair.
M. Wilson: Je vais répondre très brièvement. Du point de vue syndical, nous doutons de la possibilité de parvenir à une solution satisfaisante par le truchement de l'OMC pour les raisons que vous avez déjà mentionnées. En outre, nous craignons que, si nous réglions dans le cadre de l'OMC, nous risquerions d'obtenir beaucoup plus que nous le désirons. Si l'on nous consentait une libéralisation complète du marché, la grume serait aussi visée, ce à quoi nous nous opposons fermement.
M. Gastle: Nous sommes en présence ici de deux systèmes, et je veux être certain que nous comprenons bien cela. Il y a, d'un côté, celui de l'OMC et, de l'autre, celui de l'ALENA. Il s'agit de deux systèmes juridiques concurrents. Il pourrait très bien y avoir divergence entre les conclusions atteintes par l'OMC d'un côté et par l'ALENA de l'autre.
Le président: Tout le monde dit que les tribunaux binationaux ne fonctionnent pas. De plus en plus de différends se retrouvent devant l'OMC dont 120 pays sont membres. Pour toute cause portée devant l'OMC, il y a 120 pays derrière. Les membres des tribunaux sont choisis dans les pays qui ne sont pas parties aux différends, tandis que le tribunal binational, lui, n'est composé que d'Américains et de Canadiens argumentant sur des points de droits américains, n'est- ce pas?
M. Gastle: Je ne suis pas d'accord.
Le président: Je viens juste de lire l'accord et j'ai cru comprendre que c'est ce qui y est dit.
Le sénateur Carney: À l'époque où j'étais ministre du Commerce international, j'ai négocié l'accord de 1986 qui devait ouvrir la voie à l'Accord de libre-échange. C'était un accord déterminant.
Vous avez tous contribué de façon intéressante à nos travaux. Je me propose de revenir un peu sur les raisons qui nous ont amenés à nous pencher sur cette question. Nous l'avons fait parce que c'est l'un des irritants commerciaux les plus graves entre nos deux pays. À cause de ce problème, des collectivités sont touchées, des travailleurs se retrouvent au chômage et l'on compte des victimes économiques des deux côtés de la frontière. Il crée une atmosphère dans laquelle il est très difficile de maintenir nos relations commerciales, de défense et énergétiques avec nos voisins, parce qu'on a l'impression que ces joueurs ne respectent pas les règles et que nous sommes malmenés dans ce processus. Voyons donc pourquoi nous faisons tout cela.
Nous n'aurons pas le temps de couvrir toutes les raisons, mais j'aimerais vous poser une question qui concerne votre témoignage. On y retrouve quelques-uns des facteurs fondamentaux. Tout d'abord, le fait que le système américain s'articule autour de terres privées. Dans l'économie américaine, on dénombre environ 5 p. 100 de forêts publiques et 95 p. 100 de forêts privées. Voilà pourquoi les Maritimes ont été exclues de l'essentiel de cet accord. Dans les Maritimes, la divine providence et les règlements antérieurs ont voulu que la plupart des terres forestières soient encore privées. Cependant, dans le reste du Canada, en Colombie-Britannique et en Ontario — je ne puis parler pour le Québec — il y a essentiellement des terres publiques et l'administration des terres forestières domaniales au Canada a constitué la base de ce qu'on a souvent appelé en Colombie-Britannique le «point de vue de la Commission Sloan», à savoir que ces terres sont les joyaux des provinces. La compétence en la matière relève donc des provinces. Les résidents d'une région peuvent ainsi se servir des forêts régionales comme outil de réalisation de leurs objectifs sociaux et économiques.
En certains endroits, comme dans le nord de l'Ontario et en Colombie-Britannique, il n'y avait pas de villes ni de villages avant l'adoption de ces politiques. On ne trouvait, ici et là, que quelques campements flottants, des chevalets et des bûcherons. C'est grâce à cette politique, permettant d'utiliser des ressources régionales pour réaliser des objectifs sociaux et économiques d'une province et des collectivités, que nous avons Gold River ainsi que la forêt et les scieries. Il y a aussi Port McNeil que j'ai vu passer du stade de campement de bûcheron à celui de petite ville florissante qui compte maintenant plusieurs milliers d'habitants. Il y a aussi Prince George. Quand je suis allée à Prince George pour la première fois, en qualité de journaliste spécialisée en foresterie, il y avait 5 000 habitants là-bas et l'on roulait les trottoirs» le soir. La ville compte maintenant 100 000 résidents et plusieurs scieries. Toutes ces politiques ont eu des effets économiques et sociaux bénéfiques. Voilà pourquoi les différends commerciaux sont tellement dévastateurs. Il faut y réfléchir.
Deuxièmement, nous sommes en présence d'un problème de double compétence. Le gouvernement fédéral a la main haute en matière de politique commerciale, même si les provinces participent, mais ce sont ces dernières qui possèdent les ressources. Le gouvernement fédéral a certains devoirs en matière de politique commerciale, mais ce sont les provinces qui possèdent les ressources et elles ne sont pas d'accord, pas plus que l'industrie.
Monsieur Gastle, quand vous avez obtenu l'Accord de libre-échange canado-américain, puis l'ALENA, il n'y avait pas encore eu l'arrêt Delgamuukw ni l'arrêt Marshall. Ceux qui ont négocié la politique n'avaient pas à tenir compte des droits dont vous avez parlé, qu'ils soient bons ou mauvais. Le gouvernement fédéral était responsable de la politique autochtone dans la plupart de ces régions et les provinces étaient investies d'une responsabilité fiduciaire envers les citoyens. Votre argument est convaincant, mais je pense que vous devriez en revoir les éléments temporels.
Nous sommes dans une situation où nous devons nous concentrer sur une chose: l'accord éventuel auquel parviendront les négociateurs devra être le bon. Je suis d'accord avec ce que dit M. Wilson, quand il souligne que beaucoup trop de gens ont été exclus de ce processus. Il n'est pas idéal que des représentants de l'industrie et du gouvernement se rendent à Washington pour rencontrer d'autres représentants de l'industrie et des bureaucrates américains sans consulter ni les travailleurs, ni les collectivités concernées. L'industrie a pour objectif de conserver des tenures qui soient les plus longues possible. C'est ce dont elle a besoin. Certaines des politiques proposées pourraient avoir un effet négatif sur les collectivités. Si nous ouvrons la porte pour permettre à d'autres de venir exploiter votre bois d'oeuvre, les Américains se présenteront aussi. Avons-nous vraiment envie que notre grume soit exportée à Washington et dans l'Oregon?
En Colombie-Britannique, le volume d'exportation de grume n'a jamais été aussi élevé, comme l'IWA pourra vous le dire. À cause des droits dont nous faisons l'objet, il est beaucoup plus facile de couper le bois à destination des États- Unis dans les réserves privées que d'en couper dans les terres publiques. Je vais venir à ma question, mais je voulais d'abord vous placer en contexte, parce que les choses sont différentes en Ontario. Votre groupe représente certaines scieries en Ontario. Le bois d'oeuvre de résineux dans cette province représente 15 p. 100 de tout le secteur, le reste revenant aux pâtes et papier. Quand vous dites que vous représentez 40 p .100 du secteur du bois d'oeuvre de résineux, il faut préciser que la moitié de ce pourcentage revient à la Colombie-Britannique. Vos membres dans cette dernière province sont les petites scieries intérieures, ce qui est louable. Nous sommes donc en présence d'une divergence.
M. Dottori: Nous produisons 500 millions de pieds-planche en Colombie-Britannique. Un petit producteur ne peut certainement pas faire cela.
Le sénateur Carney: Je dis cela par égard à la grande majorité de vos membres mentionnés sur votre site Internet. Je ne dénigre pas votre point de vue, mais j'affirme qu'il existe, en Colombie-Britannique, un point de vue qui ne correspond pas au vôtre. Votre industrie est composée de groupes différents. C'est tout ce que je dis. Il y a des divisions sur le plan de la représentation du secteur: d'un côté les gros producteurs côtiers et de l'autre des compagnies comme Slocan Forest Products Ltd., qui est producteur intérieur et qui n'est pas membre de votre groupe. Ces gens-là veulent autre chose. Il y a aussi la Corporation Canfor et Weyerhaeuser.
Il y a donc des divisions au sein du secteur et d'une province à l'autre parce que la forêt est utilisée différemment en tant que base économique. Je vais m'expliquer. Il n'y a pas de solution universelle pouvant correspondre à tout le monde.
Tous les arguments présentent leurs failles. M. Wilson, qui contribue de façon si importante à l'industrie, trouverait sûrement difficile d'investir dans pareille situation. Je tiens, quoi qu'il en soit, à préciser les différences qui existent entre votre groupe et d'autres groupes de votre secteur afin que nous sachions exactement pourquoi les petits exploitants que nous accueillerons la semaine prochaine ont des points de vue opposés au vôtre. Puis-je vous poser cette question, monsieur Dottori?
M. Dottori: Je tiens à corriger une chose, pour mémoire. La proportion de forêts publiques aux États-Unis est de 37 p. 100 et pas de cinq. Dans le nord-ouest de ce pays, le fédéral et les États possèdent en fait 75 p. 100 de la forêt et non pas 5 p. 100.
Le sénateur Carney: Je ne suis pas d'accord avec ces chiffres.
M. Dottori: Vous pouvez toujours les vérifier. Nous aussi avons fait nos devoirs. Les données sont là. Je serai très heureux d'ailleurs de vous les communiquer. Nous effectuons en outre des comparaisons de chaque côté de la frontière. Par exemple, au Michigan, 69 p. 100 de la forêt est détenue par l'État. C'est nettement supérieur à ce que possède le gouvernement fédéral dans certaines provinces canadiennes. Dans l'est, c'est au Québec que le taux d'abattage est le plus élevé et il serait subventionné par rapport à celui du Nouveau-Brunswick. Comme ma compagnie est présente dans six provinces, j'estime pouvoir exprimer un point de vue pancanadien.
Le sénateur Carney: Je ne le conteste pas. Tout ce que j'essaie de faire, c'est d'expliquer très grossièrement les deux différences fondamentales dans la définition d'une forêt publique entre la vision canadienne et la vision américaine.
M. Dottori: Très certainement.
Le sénateur Carney: C'est ce que je veux dire.
M. Dottori: Je suis d'accord avec cela.
Le sénateur Carney: Les forêts aux États-Unis sont confiées à l'exploitation selon un système d'enchères.
M. Dottori: Ce n'est pas vrai.
Le président: Permettez à M. Dottori de répondre.
Le sénateur Carney: Il y a des divergences de points de vue.
Le président: Je crois que vous vous êtes bien fait comprendre, sénateur Carney.
Le sénateur Carney: Pourquoi votre point de vue est-il différent de celui des autres associations?
M. Dottori: Notre point de vue n'est pas très différent de celui d'autres personnes. La différence, c'est le niveau de confiance que nous avons. Nous sommes gagnés aux vertus du libre-échange. Soit dit en passant, et encore une fois je le dis pour mémoire, nous avons gagné devant les tribunaux de l'ALENA, nous n'avons pas perdu. Je dis cela pour le procès-verbal. Nous avons toujours négocié des ententes après avoir gagné des batailles juridiques parce que les États- Unis ne renoncent jamais. Mais cela, c'est quelque chose de différent. Nous croyons que la meilleure façon d'obtenir justice, quand on se heurte à la petite terreur de la cour d'école, n'est pas de négocier avec lui après qu'il vous a mis une raclée ou deux... il faut aller voir le directeur.
Nous estimons qu'un système judiciaire indépendant nous permettra d'obtenir quelque chose de mieux. Nous aimerions, en fin de compte, parvenir à une solution à long terme qui consisterait à faire croître le marché. Or, nous ne trouverons pas de solution durable à ce différend tant que nous n'aurons pas la possibilité de faire croître le marché.
Le président: Pourriez-vous nous expliquer ce que vous voulez dire par «faire croître le marché»?
M. Dottori: Les Américains utilisent 0,44 mètre cube de bois par personne. En Finlande, ils en utilisent un mètre cube et, au Canada, nous en consommons 0,6 mètre cube. Si les Américains passaient à 0,5 mètre cube, cela donnerait lieu à une augmentation d'environ 6 milliards de pieds de bois d'oeuvre. L'excédent d'approvisionnement disparaîtrait automatiquement. Si nous continuons à appliquer des taxes à l'exportation pour gonfler artificiellement les prix par le biais de systèmes de soutien des prix, le consommateur se tournera vers les matériaux de remplacement, comme l'acier, le ciment et la matière plastique.
Ces matériaux ont déjà remplacé 10 p. 100 du bois aux États-Unis dans les cinq dernières années. Voulons-nous poursuivre cette politique? Elle ne répond certainement pas à nos intérêts à long terme. Nous sommes convaincus de la nécessité de promouvoir la croissance du marché. Nous proposons la mise sur pied d'une commission bilatérale depuis plus d'un an. Nous avons fait des recommandations sur la façon de commercialiser nos produits en vertu du U.S. Producer Act qui permet aux Américains de prélever 1 $ par millier de pieds-planche auprès de chaque producteur, au titre de l'expansion des marchés.
En 1988, les Norvégiens ont créé le Conseil nordique. Ils avaient le même problème parce qu'ils ne pouvaient pas exporter en Allemagne ni vers les autres pays d'Europe. En huit à dix ans, ils ont doublé la consommation de bois par habitant. Allez donc en Scandinavie et vous verrez la quantité de bois qu'on utilise là-bas par rapport au Canada. Tout ce que nous affirmons, c'est qu'il nous suffirait de faire la moitié de ce qu'ont fait les Norvégiens pour régler notre problème en Amérique du Nord. Si nous agissions ainsi, nous ne serions pas assis, ici, en train de nous demander qui va se retrouver sans travail.
Le sénateur Carney: Belle projection. Je suis certaine que personne n'est contre l'idée d'élargir le marché ni d'entreprendre des opérations de commercialisation en commun. Le fond du différend, ce sont les politiques sur les droits de coupe ainsi que sur la propriété et la tenure des forêts. Le gouvernement de la Colombie-Britannique a déjà annoncé aux grandes compagnies qui détiennent les droits de tenure pour l'exploitation forestière, qu'il prélèvera 20 p. 100 sur ce qu'elles perçoivent. Cette mesure aura des conséquences financières considérables. Il est ici question de l'approvisionnement et pas uniquement de la commercialisation du bois d'oeuvre.
Votre compagnie est-elle détenue par des intérêts Canadiens?
M. Dottori: J'en suis le fondateur. Je suis parti d'une scierie en faillite pour arriver à une société qui vaut maintenant 4 milliards de dollars. Ma compagnie est effectivement canadienne et nationaliste.
Le sénateur Carney: Parfait. C'est là un problème soulevé dans d'autres arguments avancés à propos de l'accès.
Est-ce qu'une de vos compagnies en Colombie-Britannique détient des droits de tenure? Je sais que TimberWest est une grande société qui doit contrôler la plus grande superficie de terres privées.
M. Dottori: Nous sommes la troisième plus grande société de la province.
Le sénateur Carney: C'est vous qui avez la plus forte concentration de forêts privées de toutes les compagnies de la province. TimberWest est donc en mesure de vendre son bois d'oeuvre aux États-Unis sans restriction.
M. Dottori: Nous avons convenu avec les Américains qu'il faudrait en résilier un ou deux. Les propriétaires de forêts à grume doivent être en mesure de vendre leurs produits. Toutefois, si le bois d'oeuvre est taxé, il devrait y avoir une taxe équivalente sur la grume pour empêcher que des emplois soient exportés aux États-Unis.
Le sénateur Carney: Parce qu'en taxant la grume, on exporte des emplois.
Est-ce qu'une des compagnies membres de votre association, dont le nom apparaît sur votre site Internet, détient des tenures importantes? Est-ce que Ainsworth Lumber, Apollo Forest Products, Carrier Lumber — qui vient d'être dédommagée pour les réserves de bois d'oeuvre qu'elle possède — Downie Timber, Dunkley Lumber, les Coopératives fédérées et Flavelle Sawmill sont de petites sociétés indépendantes s'approvisionnant en grumes de différentes façons ou sont-elles des sociétés qui dépendent largement de tenures et qui ont accès à des forêts publiques de bois d'oeuvre?
M. Dottori: La majorité des sociétés canadiennes dépend fortement des tenures.
Le sénateur Carney: Vous parlez de vos membres en Colombie-Britannique?
M. Dottori: Oui.
Le sénateur Graham: Si les chiffres cités par le sénateur Carney semblent être différents de ceux de M. Dottori, je dois dire que j'ai beaucoup de respect pour ma collègue du Sénat, surtout pour son expérience de ministre du Commerce international. Elle a fait une oeuvre remarquable en concluant l'Accord de libre-échange.
Monsieur Dottori, préférez-vous la solution juridique ou la solution négociée? Il semble que nous devions appliquer les deux formules. De toute évidence, M. Wilson est plutôt favorable à une solution négociée. Il nous a dit qu'après avoir rencontré le ministre Pettigrew, il pensait qu'un accord serait possible dans les 10 jours ou les deux semaines à venir. Est-ce exact?
Monsieur Dottori, vous vous êtes montré plus pessimiste quand vous avez déclaré que nous semblons toujours renoncer au combat dans les derniers mètres. Ce «nous», s'applique-t-il autant aux États-Unis qu'au Canada ou juste au Canada?
M. Dottori: J'aimerais qu'il s'applique aux deux, mais il ne vise que le Canada.
Le sénateur Graham: Pourriez-vous me donner un exemple?
M. Dottori: Lors du dernier cycle de négociation, nous avons arraché un accord, mais pour obtenir le milliard de dollars conclu, nous avons convenu de contingenter nos exportations ce qui a occasionné le problème actuel. Ce n'est pas juste.
Cet accord a donné lieu à une production de 4 à 6 milliards de pieds-planche supplémentaires. Il a engendré un stockage énorme de bois canadien et favorisé les importations en provenance d'autres pays. Les provinces qui n'étaient pas visées par l'accord ont augmenté leur production de quelque 1 milliard à 2 milliards de pieds-planche. Nous avons créé un énorme excédent de 6 à 8 milliards de pieds-planche sur le marché.
Nous subissons maintenant des conséquences commerciales qui découlent invariablement des mesures artificielles et des contingentements négociés. Le marché immobilier ne s'est jamais aussi bien porté. Vous pourrez, si vous le désirez, trouver des renseignements à ce sujet dans le rapport Hay-Roe. Les niveaux de consommation n'ont jamais été aussi élevés, mais les prix n'ont jamais été aussi bas non plus. Dans le sillage de l'Accord sur le bois d'oeuvre résineux, la production a été stimulée artificiellement jusqu'à atteindre des niveaux records.
Je ne suis pas d'accord avec M. Wilson. Je me préoccupe du sort de mes travailleurs, parce que j'ai conclu un concorda avec les syndiqués au début, quand j'ai repris ma première scierie en faillite. Nous sommes en effet spécialisés dans la reprise de scieries en difficulté, comme Chetwynd Pulp Mill en Colombie-Britannique ou à Matane au Québec. Nous «produisons» beaucoup de membres pour M. Wilson.
Il faut laisser les forces du marché s'exercer librement. On ne peut agir artificiellement. Si nous imposions, comme cela est recommandé, une taxe de 20 à 25 p. 100 à l'industrie canadienne, taxe qui équivaut essentiellement à un système de soutien des prix, nous serions obligés de déposer le bilan dans les conditions actuelles. Si c'est bon pour les syndiqués, tant mieux pour eux. Mais je ne le pense pas. Je ne pense pas que les gens ont véritablement envisagé les conséquences de cette taxe. Je connais parfaitement mes chiffres. Je sais à quoi correspond ma contribution par millier de pieds-planche que je produis. Je sais exactement quels sont mes coûts dans chaque domaine.
La proposition qui consiste à établir un lien avec la valeur du dollar canadien ne sera jamais adoptée, parce que le gouvernement fédéral s'y opposera. À quoi passerez-vous ensuite: au blé, à l'acier? Non, cette proposition n'aboutira pas. De plus, si le dollar canadien devait passer à 70 cents américains, nous nous retrouverions immédiatement avec un différentiel de 16 cents, mais j'aurais toujours à payer une taxe de 20 p. 100. Autrement dit, le secteur devrait dire adieu à quelque chose comme 25 à 50 p. 100 de ses revenus. Je ne pense pas que les honorables sénateurs désirent cela.
En revanche, je ne recherche pas uniquement un règlement sur le plan juridique. Je veux aussi d'un règlement négocié, mais à condition qu'il soit juste et qu'on ne me pousse pas à la faillite.
J'ai raison d'agir sur le plan juridique. Je poursuis le gouvernement américain en vertu des règles de l'ALENA. Je ne vais pas abandonner cette cause. J'ai aussi des droits en vertu du chapitre 11. Ce différend-là relève du chapitre 19.
La Coalition américaine doit faire porter l'accent sur l'expansion du marché. Elle doit insister sur le libre-échange entre nos deux pays. Elle devrait réclamer l'imposition d'une taxe transitoire de l'ordre de 5 p. 100 jusqu'à ce que le marché soit en place. Côté canadien, nous devrons appliquer certains mécanismes de réforme.
Personnellement, j'ai beaucoup milité en faveur de la levée des restrictions imposées sur l'exportation des grumes, ce qui ne m'a pas fait beaucoup d'amis. Cependant, je ne peux venir ici pour prêcher en faveur du libre-échange en appuyant, du même souffle, des mesures visant à inhiber artificiellement les exportations. On ne peut tenir de double discours. On est honnête ou on ne l'est pas.
Vous allez devoir vous pencher sur des questions comme les coupes obligatoires. Or, ce genre de coupe n'a rien de bon pour l'industrie canadienne. Ce sont des mesures que le gouvernement fédéral peut adopter en collaboration avec les gouvernements provinciaux afin de réaliser certains objectifs sociaux régionaux, comme la fait la Suède. Gardons- nous de réinventer la roue. Cela a déjà été fait ailleurs et nous devrons faire la même chose.
Comme on a l'habitude de le dire, nous avons assez de scies pour couper tous les arbres du nord de l'Ontario. Cinq sociétés se font concurrence dans cette région. Il n'y a pas assez de place pour tout le monde. En vérité, nous allons devoir rationaliser ce secteur d'activité au Canada, ce qui sera douloureux. Il n'empêche que nous nous devons de limiter les dégâts. Nous sommes un pays souverain et nous pouvons moduler la façon dont nous allons nous y prendre. Nous n'avons pas à nous plier aux diktats des Américains qui veulent nous mettre en faillite.
On peut dire de moi que je suis profondément nationaliste. Nous assistons là à une invasion absolue de notre souveraineté. On peut toujours donner aux choses la tonalité qu'on veut, mais maintenant que vous avez un exemplaire du document que M. Wilson a récupéré sur Internet, lisez-le donc, lisez ce document Aldonas, et dites-moi si vous n'y voyez pas une invasion de notre souveraineté. Tout ce que je dis, c'est que les politiques et les lois doivent être établies ici, au Canada.
Le sénateur Graham: Monsieur Wilson, vous pourriez peut-être nous expliquer votre optimisme quand vous affirmez que nous sommes à une dizaine de jours ou à deux semaines d'un règlement possible.
À l'évidence, il y a un problème dans la façon dont les gouvernements provinciaux et fédéral fonctionnent. Nous sommes là pour vous aider. Nous aimerions faire ce qu'il faut pour aider les rameurs à souquer en cadence et dans la même direction. Avez-vous une idée de la façon dont nous pourrions amener le gouvernement du Canada et les gens des provinces à collaborer?
M. Wilson: Vous voulez savoir pourquoi nous craignons qu'un accord soit conclu très prochainement? C'est que les cabinets de M. Aldona et du ministre Pettigrew nous ont informés que cette entente était imminente.
Le sénateur Graham: Entendons-nous bien, vous ne voulez pas de cette entente parce qu'elle est dictée par les États- Unis, par Aldonas.
M. Wilson: Précisément. Je suis tout à fait d'accord avec la façon dont M. Dottori vient de qualifier l'accord actuel. À ce sujet, nous sommes tous deux sur la même longueur d'ondes.
Au cours des deux dernières semaines, il y avait plus de dirigeants du secteur forestier canadien et de fonctionnaires des gouvernements provinciaux chargés du dossier des forêts à Washington qu'au Canada. Ils sont allés là-bas dans le cadre d'un processus particulièrement intense. Le cabinet du ministre Pettigrew a encouragé M. Aldonas à rédiger le bulletin d'interprétation que vous avez devant vous.
Le gouvernement de la Colombie-Britannique affirme qu'il s'agit-là d'une base pour un règlement. Nous avons appris que le gouvernement de l'Ontario, lui aussi, serait prêt à négocier sur cette base. D'autres provinces sont plus hésitantes, mais il demeure que la pression est énorme.
Si nous devons parvenir à un accord, à quoi celui-ci devrait-il ressembler? Nous ne devons pas perdre cela de vue. Ce n'est pas comme s'il s'agissait simplement d'aller couper un morceau de ruban lors d'une inauguration quelque part. Le document de M. Aldonas n'est pas une base de négociation: il s'agit d'un bulletin d'interprétation rédigé unilatéralement par le Département du commerce des États-Unis.
Les Américains seraient d'accord avec le fait que le Canada impose une taxe à l'exportation en remplacement de l'actuel droit compensateur. En revanche, cela ne modifierait en rien les autres mesures compensatoires dont nous faisons actuellement l'objet. C'est ainsi que les choses se passeraient.
S'agissant de la taxe à l'exportation, nous ne devons pas oublier que nous payons actuellement 27 p. 100 en droits compensateurs et antidumping. La question n'est pas de savoir s'il faut appliquer une taxe à l'exportation ou rien. Notre industrie supporte déjà un fardeau considérable qui a des effets très négatifs sur son fonctionnement. Il y aura des gagnants et des perdants à cause de tout cela. On recense d'ailleurs déjà de nombreux perdants.
Pour répondre à la question du sénateur Carney, je dirai que certains segments de l'industrie sont tout à fait prêts à jouer cette partie où il y aura des gagnants et des perdants, parce que les gens croient qu'ils en sortiront gagnants. Quand il y en a qui font faillite, il y en a d'autres qui récupèrent la grume et les marchés qui viennent avec. Nous estimons que la meilleure approche consiste à négocier une entente. Si nous arrêtons de faire le tour du monde pour trouver les deux par quatre les plus économiques et si les prix augmentent, la taxe diminuera ce qui nous permettra peut-être d'assurer la stabilité des emplois et des investissements.
M. Dottori: M. Grenier, spécialiste de la question qui compte 20 ans d'expérience, pourrait certainement répondre à la question de savoir ce que le gouvernement fédéral devrait faire.
M. Carl Grenier, premier vice-président, Conseil du libre-échange pour le bois d'oeuvre: Honorables sénateurs, j'ai débuté ma carrière au gouvernement fédéral, dans le domaine de la formulation de la politique commerciale. J'ai fait partie de l'équipe de négociation du Canada lors du cycle de Tokyo à Genève, à la fin des années 70. Je suis ensuite entré au gouvernement du Québec où je me suis occupé des volets provinciaux de toutes ces questions. J'étais là quand le sénateur Carney a négocié le protocole d'entente de 1986. J'ai également fait partie de l'équipe de négociation de l'Accord sur le bois d'oeuvre résineux en 1996. Je m'occupe de tous ces dossiers depuis longtemps.
Je veux aussi répondre à la question posée par le sénateur Graham à propos du volet fédéral-provincial, dont nous traitons d'ailleurs dans le document que nous avons déposé aujourd'hui.
À la suite de la négociation de l'Accord de libre-échange, à la fin des années 80, les provinces ont voulu officialiser la coopération qui avait existé entre elles et le gouvernement fédéral à l'étape de la négociation de l'accord. Nous avons travaillé très fort pendant une année environ, d'abord avec les provinces puis avec le gouvernement fédéral, afin de formaliser ce genre de relation. Il nous fallait adopter un mécanisme pour régler le genre de problèmes décrit par M. Dottori tout à l'heure. Il est difficile de négocier des dossiers comme celui-ci où les provinces, qui ont le dernier mot en matière de politique, sont attaquées par un gouvernement étranger comme le gouvernement américain.
En 1990-1991, nous n'avons obtenu aucun résultat. Le gouvernement fédéral a finalement refusé d'officialiser le mécanisme qu'il avait adopté pour permettre aux provinces de participer aux négociations. Il n'existe donc pas de mécanisme, bien que nous en ayons cruellement besoin. Pour l'instant, tout se fait de façon officieuse. Il n'est pas possible de savoir d'avance quelle position le gouvernement fédéral adoptera dans la négociation d'une entente comme l'Accord sur le bois d'oeuvre ou tout autre accord semblable portant sur les échanges commerciaux avec les États-Unis ou avec un autre pays.
Il nous faut officialiser ce genre de relation sans quoi nous risquons de devenir les victimes d'un effort résolu, concerté, comme celui entrepris par les États-Unis. Il est très facile en effet de miser sur les travers de notre système et sur notre absence de dispositifs de formulation de politiques.
Le sénateur Di Nino: Honorables collègues, je me propose de changer un peu de registre. Je vais demander à M. Gastle de nous expliquer ce qu'il a voulu dire à propos des relations entre partenaires dans le cadre des accords commerciaux conclus en Amérique du Nord. Vous avez dit que le Canada était marginalisé, surtout que nous nous étions nous-mêmes marginalisés en combattant le Brésil dans l'affaire Bombardier. Vous avez dit aussi que vous aviez une idée de la façon dont ce différend pourrait être réglé.
M. Gastle: L'affaire Bombardier, qui a débuté en 1996, a subi depuis cinq ou six itérations. Rien n'a été réglé; aucune solution n'a été trouvée. Lula est maintenant au pouvoir et, d'après ce que je crois savoir, il a apporté certains changements dans la façon dont ce genre de dossier sera désormais négocié. Nous ne sommes cependant pas plus avancés quant à la recherche d'une solution.
Entre la bataille de Bombardier et la crise de la viande brésilienne, je crois que nous avons effectivement aliéné l'un des plus importants pays aptes à contribuer à la conclusion de l'Accord de libre-échange des Amériques. Le Brésil est un peu différent en ce sens qu'il a établi des relations commerciales beaucoup plus étroites avec l'Europe qu'avec les pays d'Amérique du Nord. Les Brésiliens n'ont pas véritablement adhéré au modèle nord-américain. Plus nous aliénons ce pays et plus nous allons contribuer à nous marginaliser ou à porter atteinte à notre position.
Pour ce qui est de la solution possible, il se trouve que des entreprises de potasse, qui approvisionnent le secteur producteur de souffre en Saskatchewan et en Alberta, m'ont demandé d'effectuer une analyse de la question. J'ai travaillé en collaboration avec Joe D'Cruz, de la Rotman School of Business. Les ventes de potasse au Brésil avaient considérablement diminué et mes clients voulaient savoir comment s'y prendre pour parvenir à un règlement. Nous avons adressé un document au gouvernement dans lequel nous recommandions d'opter pour un mécanisme d'arbitrage accéléré.
L'OMC évalue les subventions une fois que les contrats ont été conclus et il est alors trop tard pour faire machine arrière. Une des solutions consiste à mettre en oeuvre un mécanisme d'arbitrage accéléré en vue d'évaluer les programmes de subvention avant que le marché ne soit conclu. Dans le cas du contrat de Northwest Airlines, le Canada avait amplement de temps pour se prévaloir de la formule d'arbitrage.
Le Canada et le Brésil ont négocié pour trouver une solution jusqu'à l'élection de Lula. D'après ce que je crois savoir, les choses sont en train de déraper et le Brésil est en train de durcir sa position.
Le sénateur Di Nino: Quand vous avez dit que le Canada se marginalisait, vous avez dit que le Brésil n'était qu'un exemple parmi d'autres. Dans cette remarque, sous-entendez-vous que nous nous marginalisons par rapport au monde entier ou uniquement dans le contexte nord-américain? Soyez un peu plus précis.
M. Gastle: Pour ce qui est de l'Accord de libre-échange des Amériques, le Brésil aurait pu être un allié naturel du Canada dans nos négociations avec les États-Unis. Il ne semble pas que nous ayons beaucoup de pouvoir quand nous négocions avec notre voisin immédiat.
Le Mercosur est composé de l'Argentine, du Brésil, de l'Uruguay et du Paraguay. À cause de la crise financière et de la situation qui règne en Argentine, Mercosur s'est renforcé. Le Brésil a dit, lors de la négociation de la Zone de libre- échange des Amériques, qu'il devait aborder un peu différemment la question du Mercosur et que la formule envisagée ne saurait être simplement un ALENA élargi. Le Brésil ne signera pas son adhésion à un accord de type ALENA. Il veut être traité en partenaire commercial plus important.
Si nous voulons réformer certaines choses comme les droits antidumping et les droits compensateurs, nous devrions nous associer avec Mercosur et d'autres dans cette région. Nous pourrions ainsi renforcer notre position dans nos négociations avec les États-Unis. Si nous aliénons ces pays par l'application d'une politique commerciale plus agressive, nous allons perdre des alliés naturels.
La deuxième marginalisation concerne le Mexique. Nous avons établi une zone intégrée, incluant le Mexique, les États-Unis et le Canada. C'est fort bien. En revanche, le Mexique est soudainement en train de devenir un pivot dans le dispositif commercial. Il a maintenant conclu des ententes de libre-échange avec la communauté européenne. Il en négocie une avec le Japon. Si, du jour au lendemain, des relations préférentielles devaient être instaurées entre le Mexique et ces deux zones économiques extrêmement importantes, qu'adviendrait-il du Canada advenant que nous n'ayons pas établi la même relation avec ce pays?
On pourrait penser que le Mexique est en bonne posture pour attirer les investissements directs étrangers en provenance de ces deux zones économiques, et cela aux dépens du Canada parce que nous n'avons pas mis en oeuvre le même genre de relation. Je peux vous assurer que le Japon n'est pas, pour l'instant, disposé à négocier un accord de libre-échange avec le Canada. Je crois savoir que l'Europe n'est pas non plus prête à négocier un tel accord avec nous. Voilà l'autre facette de notre marginalisation.
Par ailleurs, j'ai été surpris d'apprendre que le secteur des maquiladoras japonais, même si ce pays et le Mexique sont en train de négocier une entente de libre-échange, envisage de déplacer une grande partie de ses investissements en Chine. D'un seul coup, comme la Chine a accédé à l'OMC et qu'il se passe des choses extraordinaires entre l'OMC et ce dernier pays, l'ALENA ne présente plus autant d'avantages, pas au point du moins de contrebalancer les avantages de l'adhésion de la Chine à l'OMC.
Le sénateur Grafstein: Monsieur le président, je me suis occupé de ce dossier pendant trois ans en qualité de coprésident du groupe interparlementaire canado-américain. J'étais à Washington la semaine dernière et je participe à ce genre de discussion depuis trois ans. Je vais faire une petite déclaration après quoi je passerai au fond des choses.
Tout d'abord, je tiens à féliciter les témoins pour leur contribution et leur témoignage très utile dans le contexte de ce terrible différend. Je félicite le secteur forestier, les conseillers juridiques et les syndicats qui ont fait un excellent travail partout au pays, malgré tous les obstacles auxquels ils se sont heurtés, afin d'essayer de parvenir à une position valable au nom de tous les Canadiens et de toutes les Canadiennes. Je félicite tout particulièrement le Conseil du libre-échange pour le bois d'oeuvre qui a fait preuve de leadership. Il s'est acquitté d'une tâche très délicate. Nous suivons ce dossier de près et nous avons essayé de vous aider pendant toutes ces années.
De plus, j'ai présidé pendant 10 ans le groupe interparlementaire canado-américain auquel de siège depuis 18 ans. Nous n'avons jamais eu à composer avec un problème aussi difficile, aussi délicat.
Il y a un seul conseil que je puis donner sur ce plan: je me suis entretenu avec 56 sénateurs et 100 membres du congrès à ce sujet. Nous sommes allés les démarcher et les rencontrer à plusieurs reprises. Nous aurions pu agir différemment dès le début, parce qu'il s'agissait d'un différend privé et pas vraiment d'un différend entre gouvernements. Monsieur Dottori, vous savez, vous, qu'il s'agit d'un différend privé concernant le secteur privé et qu'il faut faire le distinguo entre le problème des subventions et les autres problèmes pour bien comprendre les difficultés auxquelles même le gouvernement des États-Unis se trouve actuellement confronté. J'avais recommandé, mais ni le ministère ni le secteur privé n'en ont tenu compte, que l'industrie entame des poursuites contre les États-Unis devant les tribunaux, pas à l'OMC ni à l'ALENA, mais qu'ils traînent en justice le Département du commerce. J'ai demandé à plusieurs avocats et conseillers juridiques d'entreprendre une telle démarche et un cabinet d'avocats canadien aurait pu se faire des centaines de millions de dollars s'il avait bien voulu suivre mon conseil, conseil qui est encore gratuit et qui s'adresse à tous les avocats susceptibles de m'entendre.
D'après ce que j'ai constaté, je crois que les Américains respectent leur constitution et les procédures établies. Je ne crois pas, en revanche, que l'industrie canadienne a bénéficié de l'application régulière de la loi par le Département du commerce. Pourquoi cela? Parce qu'il y a eu interférences. Que faut-il entendre par interférences? Eh bien, nous savons très bien ce qu'il advient chez nous du ministre ou du parlementaire qui communique avec un tribunal chargé d'une cause d'arbitrage et nous savons ce que le tribunal dira. Par contre, les sénateurs américains et les membres du Congrès interviennent directement dans le processus au détriment des procédures établies. J'estime important de contraindre les Américains à respecter leur propre loi et la seule façon d'y parvenir consiste à le faire chez eux, aux États-Unis.
Quand tout cela se reproduira, parce que c'est inévitable, quand vous reviendrez ici dans une dizaine d'années, si ce n'est plus tôt, je vous invite à porter l'affaire devant les tribunaux américains parce que vous obtiendrez une bien meilleure forme de justice que par le biais de décisions arbitraires prises dans les antichambres du pouvoir et qui sont injustes envers vous et envers les intérêts canadiens.
Le président: Merci beaucoup.
Le sénateur Di Nino: Nous avons commencé ces audiences il y a une semaine et demi environ et nous sommes systématiquement confrontés à ce genre de problème: nous n'avons pas assez de temps pour parler, pour poser des questions, pour échanger véritablement avec les témoins experts. Je suis certain que nous pourrions trouver plus de temps dans notre calendrier ou que nous pourrions prolonger un peu nos audiences. Cette situation n'est juste ni pour nos témoins ni pour nous. Il y a huit à 12 personnes d'assises autour de cette table et chacune d'elle aimerait avoir la possibilité d'échanger avec les témoins. Je recommande fortement de trouver le moyen, dans l'avenir, d'accorder plus de temps à tous les témoins.
Le président: Sénateur Di Nino, il faut reconnaître que c'est là un dossier très compliqué. Nous avons la chance d'avoir parmi nous le sénateur Carney qui a été ministre du Commerce et je trouve que son intervention a été tout à fait raisonnable et appropriée. Le dossier est compliqué. Nous avons siégé durant toute la semaine dernière également et nous recueillons des témoignages qui se contredisent. Je ne dis pas que certains témoignages sont mauvais et que d'autres sont bons, mais il faut reconnaître qu'il y en a qui se contredisent.
Le sénateur Graham: Je trouve que c'est là un problème que nous pourrions régler à l'interne.
Le président: C'est vrai.
Le sénateur Carney: Puisque vous avez commencé par moi, je trouverais normal que vous finissiez également par moi. Je suis d'accord avec ce qu'a dit le sénateur Grafstein. Quand j'étais ministre du Commerce, que nous sommes allés à Washington en compagnie de hauts fonctionnaires et de mes homologues provinciaux. On nous avait assurés que nous bénéficierons d'une procédure équitable et qu'on nous écouterait. Le lendemain, les Américains ont pris l'un des ministres de l'ambassade canadienne à part, dans une des antichambres du Département du commerce, pour lui déclarer sans ambages que nous allions perdre notre cause, peu importe ce qu'on nous raconterait au niveau politique.
Le président: Merci, sénateur Carney.
Le sénateur Carney: Je pensais qu'il fallait que cela soit dit au procès-verbal.
Le président: Honorables sénateurs, nous devons entendre deux autres témoins cet après-midi: M. Avrim Lazar, de l'Association des produits forestiers du Canada, et Mme Diana Blenkhorn, du Bureau du bois de sciage des Maritimes.
Madame Blenkhorn, vous pouvez commencer.
Mme Diana Blenkhorn, présidente et directrice générale, Bureau du bois de sciage des Maritimes: Mesdames et messieurs les sénateurs, je tiens tout d'abord à vous remercier de votre invitation. Je vais consacrer quelques instants aux guerres du bois d'oeuvre entre le Canada et les États-Unis, dont vous avez d'ailleurs déjà parlé, puisqu'elles constituent le fond de mon intervention.
J'ai participé à toutes ces guerres commerciales dès 1982. Je connais bien cette question en ce qui concerne les Maritimes. J'ai siégé au côté du sénateur Carney lors du débat de 1986 et j'ai travaillé sur les autres dossiers.
Le Bureau du bois de sciage des Maritimes a été créé en 1938. Depuis cette époque, il représente effectivement les intérêts des producteurs de bois d'oeuvre dans les quatre provinces de l'Atlantique en avançant une position coordonnée et unifiée qui a été très souvent représentative du secteur. Nous sommes uniques en ce sens que nous sommes parvenus à trouver une position unifiée entre notre secteur et les gouvernements provinciaux de quatre provinces, par-delà les allégeances politiques. Le front le plus notable s'est traduit par la position que nous avons maintenue entre l'industrie et le gouvernement dans les quatre provinces de l'Atlantique à l'occasion du différend sur le bois d'oeuvre de résineux entre le Canada et les États-Unis.
Ce matin, je limiterai mes remarques aux relations commerciales entre le Canada et les États-Unis. Comme les provinces atlantiques du Canada ne commercent pas vraiment avec le Mexique dans le domaine du bois d'oeuvre de résineux, je ne vous parlerai pas de ce dernier pays sauf dans le contexte de l'Accord de libre-échange nord-américain.
Je suis certaine que les honorables sénateurs savent parfaitement que, malgré l'Accord de libre-échange canado- américain signé en 1988 et l'Accord de libre-échange nord-américain de 1992, nombre de différends ont opposés nos deux pays, notamment dans les dossiers du blé, des produits laitiers, de la volaille, du saumon, de l'acier et des pommes de terre, autant de dossiers que nous connaissons bien dans les Maritimes, ainsi que de la laine. Le dossier qui a provoqué le plus de battage et qui est le plus politisé est, indéniablement, celui du bois d'oeuvre de résineux.
Nos deux pays sont en guerre sur ce terrain depuis les années 1820. En me préparant pour mon exposé de ce soir, j'ai trouvé un débat qui remonte à 1853 sur le traité de réciprocité avec le Canada, débat à l'occasion duquel un représentant de l'Ontario a déclaré: «il faut augmenter les droits sur le bois d'oeuvre importé pour provoquer une augmentation des droits de coupe; si l'on réduit les droits d'importation, les droits de coupe diminueront aussi».
Depuis le début des années 80, le Canada est régulièrement ciblé par les États-Unis quand il veut essayer «d'administrer le commerce» ou d'appliquer des «recours commerciaux». Cette manie remonte à l'adoption de l'ALE et de l'ALENA. Une bonne partie de mes propos de ce soir touchera à l'histoire du différend canado-américain dans le bois d'oeuvre de résineux. Je suis, d'ailleurs, certaine que les honorables sénateurs la connaissent cette histoire. Toutefois, je vous demande de bien vouloir m'autoriser à y faire de nouveau allusion, celle-ci étant importante dans mes conclusions à propos de la capacité des accords commerciaux signés par le Canada de représenter nos intérêts régionaux dans un climat de différend commercial.
La base de ce différend est due à la différence dans le régime de propriété des forêts entre nos deux pays. Aux États- Unis, 72 p. 100 du bois d'oeuvre se trouvent sur des terres privées et il est vendu sur le libre marché à des prix concurrentiels. Ce pourcentage correspond au total pour l'ensemble des États. Au Canada, 93 p. 100 des forêts de bois d'oeuvre sont essentiellement détenues par les gouvernements provinciaux qui fixent les droits de coupe en appliquant différentes formules administratives. À cause de cette différence, au fil des ans les producteurs américains ont entrepris des actions contre leurs homologues canadiens en vue d'obtenir toute une série de recours commerciaux qui ont notamment pris la forme de quotas, de droits compensateurs, de mesures d'antidumping et, plus récemment, d'une réforme des politiques forestières provinciales afin «d'égaliser le terrain de jeu».
C'est la différence de régime de propriété de nos forêts qui a permis à la région atlantique d'être traitée différemment du reste du Canada lors des différends commerciaux qui se sont succédés à partir de 1982, jusqu'à aboutir à la poursuite actuelle contre les droits compensateurs.
Dans les Maritimes, 76 p. 100 de la production de bois d'oeuvre de résineux provient de terres privées. Dans cette région, la Couronne n'est pas le principal fournisseur de matière première servant à la production de bois d'oeuvre de résineux, elle n'est qu'un fournisseur secondaire.
À cause du régime de propriété foncière, les Maritimes reflètent davantage la situation américaine que celle du reste du Canada. Cela ne revient pas à dire que nous n'apprécions pas toutes les tentatives déployées par le Canada et que nous ne sommes pas non plus résolus à travailler au côté de nos homologues des autres provinces pour trouver une situation durable à ce différend qui s'éternise.
En 1991, dans le cadre de la cause sur les droits compensateurs lancée par le gouvernement américain après la résiliation du protocole d'entente avec le Canada, l'industrie américaine a déclaré une chose aux Maritimes:
L'industrie américaine du bois d'oeuvre ne réclame pas l'imposition de droits compensateurs contre les provinces maritimes. Le bois d'oeuvre des provinces maritimes est vendu à un prix compétitif, sur le marché libre. De plus, comme le gros du bois coupé dans les Maritimes provient de terres privées, l'industrie américaine ne pense pas que le secteur forestier des Maritimes est financé par les provinces au point que les importations ont été dommageables ou ont risqué de l'être pour le secteur du bois d'oeuvre américain.
Dans sa plainte signée à l'occasion de l'actuel différend sur les droits compensateurs, la Coalition américaine en faveur d'importations équitables de bois d'oeuvre précise qu'elle n'allègue pas être la victime de subventions indirectes par les provinces Maritimes. La Coalition a recommandé au Département américain du commerce de traiter les Maritimes comme il l'avait fait en 1991.
J'aimerais brièvement revenir sur l'histoire du commerce du bois d'oeuvre de résineux avec les États-Unis, depuis 1986. J'aurais aimé remonter à 1982, mais à cause des contraintes de temps, je me limiterai aux principales phases du différend depuis 1986, phases qui montrent le traitement tout à fait particulier dont le Canada atlantique bénéficie depuis toujours.
C'est en 1986 que les États-Unis ont effectué leur première enquête sur les droits compensateurs dans le secteur du bois d'oeuvre de résineux. À l'époque, le Département américain du commerce a renversé la décision de 1982. Il avait en effet conclu que les programmes provinciaux de droit de coupe au Canada équivalaient à des subventions. On parlait alors de 15 p. 100. Cinq compagnies sur 300 dans les Maritimes, représentant 92 p. 100 des expéditions de la région vers les États-Unis, ont alors bénéficié d'exclusions particulières.
En 1987, le Canada et les États-Unis ont conclu un protocole d'entente en vertu duquel nous acceptions d'imposer une surtaxe à l'exportation de 15 p. 100, moyennant quoi l'industrie américaine retirerait sa requête de mesure compensatrice. Ce même protocole d'entente a été modifié le 1er janvier 1988 en vue d'exempter complètement les provinces de l'Atlantique. D'autres amendements sont survenus pendant la durée de vie du protocole, amendements qui ont eu pour objet de réduire la surtaxe à l'exportation dans le cas des provinces qui avaient modifié leur politique forestière dans un sens qui, selon le Canada et les États-Unis, pouvait être assimilé à des mesures de remplacements.
En septembre 1991, sans préavis, le Canada a unilatéralement mis un terme au protocole d'entente. Je me dois ici de souligner que mon organisation, c'est-à-dire moi-même et d'autres avons démarché le gouvernement fédéral pendant plus d'un an pour empêcher cela. Nous ne divergions pas forcément d'opinion par rapport aux autres provinces canadiennes qui voulaient se retirer de ce protocole pour des raisons de souveraineté, comme les répercussions sur les politiques forestières. Nous avions en fait peur que la suspension de ce protocole ne mette un terme à l'exclusion dont nous bénéficions dans les Maritimes, ce qui nous aurait entraîner dans un nouveau différend fondé sur des allégations dont nous n'étions nullement la cible.
En octobre 1981, le Département américain du commerce a entrepris de son propre chef une troisième enquête au sujet de droits compensateurs contre le Canada et a imposé un cautionnement de 15 p. 100 en vertu l'article 301 de la loi américaine sur le commerce. Pour la première fois dans l'histoire des États-Unis, dans un geste qui allait donc créer un précédent, une subdivision politique d'un pays se trouvait exclue de la portée d'une telle enquête. Ainsi, les provinces de Nouvelle-Écosse, du Nouveau-Brunswick, de l'Île-du-Prince-Édouard et de Terre-Neuve étaient à l'abri de cette enquête au sujet de droits compensateurs. Aucune exigence de garantie ne nous était imposée et nous n'allions faire l'objet d'aucun droit compensateur éventuel dans cette cause.
Le dossier a fait son chemin puis s'est retrouvé devant le tribunal de l'ALE. Afin de gagner du temps, je vais passer sur ce que j'avais préparé, mais il convient de remarquer que le Canada a contesté les droits compensateurs américains devant le tribunal binational de l'ALE. Nous avons remporté la cause mais, à un moment donné, quand le tribunal a renvoyé la décision au Département du commerce, les États-Unis ont confirmé leur intention d'augmenter les droits imposés sur le bois canadien. Ces droits sont passés de 14,48 cents à 6,5 cents avant de remonter à 11,4 cents dans un très court laps de temps. Les chiffres ne sont pas importants, mais ce qui est important c'est de comprendre que, depuis 1986, le Canada a toujours été la cible de recours commerciaux. En juillet 1994, le différend s'est terminé quand le tribunal de l'ALE a tranché en faveur du Canada, en établissant que les importations canadiennes ne causaient pas de tort indu à l'industrie américaine.
En décembre 1994, les gouvernements canadien et américain annonçaient qu'ils étaient tombés d'accord pour instaurer un processus de consultation bilatéral qui allait porter le nom de «dialogue sur le bois d'oeuvre». Le principal objectif du Canada était alors d'éviter d'autres poursuites en justice parce qu'en vertu de la loi américaine, il fallait qu'une nouvelle plainte soit déposée par l'industrie locale pour justifier l'enclenchement d'une enquête. L'industrie américaine avait bien précisé que si le dialogue sur le bois d'oeuvre ne conduisait pas à des résultats satisfaisants — ou du moins pas à ce qu'elle avait établi d'avance comme étant des résultats satisfaisants — elle réclamerait la tenue d'une nouvelle requête en vue de l'imposition de droits compensateurs. Il est important de souligner que ce dialogue était la première tentative de comparaison de notes sur les régimes forestiers des deux pays dans un contexte nord-américain, malgré les soupçons énormes qui régnaient des deux côtés de la table. Aujourd'hui, nous nous trouvons dans la même phase très importante.
C'est en mai 1996 qu'a été conclu l'accord suivant, connu sous le nom d'accord sur le bois d'oeuvre de résineux. Il s'agissait en fait d'un nouveau niveau de recours commercial qui consistait à limiter le volume des importations dans le sens Canada-États-Unis. Un quota de 14,7 milliards de pieds-planche a été accordé aux producteurs de bois d'oeuvre de résineux de la Colombie-Britannique, du Québec, de l'Ontario et de l'Alberta. Aucun quota de ce genre n'a été appliqué aux producteurs du Manitoba ni de la Saskatchewan, ni à ceux des quatre provinces de l'Atlantique.
Encore une fois, les provinces de l'Atlantique ont établi un précédent en ayant pu obtenir un accord distinct sous la forme d'un échange de lettres signées par les deux administrations fédérales. Cette entente garantissait une protection à la région — étant donné ce que nous avions connu à l'occasion de la fin volontaire du protocole précédent — advenant que l'accord soit suspendu avant son expiration prévue du 31 mars 2001 ou qu'une des deux parties en enfreigne les dispositions.
Cet accord, connu celui-là sous le nom «d'Accord des Maritimes», stipulait les engagements du Canada atlantique. Certains étaient mineurs en regard des changements à apporter aux politiques forestières provinciales. D'autres étaient plus substantiels et ont exigé que le Bureau du bois de sciage des Maritimes applique le programme de certification d'origine visant à garantir que seul le bois d'oeuvre coupé dans la région de l'Atlantique ou de l'État du Maine allait bénéficier de l'exclusion prévue à l'accord sur le bois d'oeuvre de résineux.
En avril 2001, tout de suite après l'expiration de l'accord sur le bois d'oeuvre du résineux, la Coalition américaine pour l'équité dans les importations de bois d'oeuvre a de nouveau déposé des requêtes auprès du Département américain du commerce. Cette fois-ci, il y en avait deux réclamant la tenue d'une enquête. Pour la première fois dans ce long différend qui nous opposait à notre voisin, une enquête au sujet des droits compensateurs venait s'ajouter à ce que pensions devoir être un recours pour mesures compensatrices, sous prétexte que le bois d'oeuvre canadien était vendu aux États-Unis à une valeur inférieure à la juste valeur marchande. Comme je le disais, dans toutes les requêtes antérieures qui visaient à imposer des droits compensateurs, jamais aucune allégation n'avait été portée contre le Canada atlantique. La Coalition américaine a spécifiquement demandé que la région de l'Atlantique soit traitée comme elle l'avait été en 1991, soit hors des cadres de la plainte.
Malheureusement, nous avons de nouveau été les victimes indirectes de ce différend et nous avons été contraints de nous défendre dans une cause à laquelle nous ne devions pas être parties parce que, dans sa requête en vue de l'imposition de droits compensateurs, le Département du commerce avait cité toutes les provinces canadiennes. Malgré tout, dans un autre geste qui allait faire trace, en juillet 2001, soit quelques jours avant de rendre sa décision préliminaire sur le montant des subventions — ce qui, encore une fois, allait être une première dans l'histoire américaine — le Département du commerce a modifié l'avis de dépôt de plainte après que les procédures eurent été engagées. Dans ce cas, l'avis a été modifié pour exclure le Canada atlantique de la portée des procédures compensatrices.
Ce sont des arguments juridiques antérieurs, arguments ayant donné forme à la notion de subdivision politique d'un pays, qui ont permis au Département du commerce de rendre cette décision. Outre qu'il excluait le Canada atlantique de la portée de l'enquête au sujet des droits compensateurs, l'amendement américain exigeait que le Bureau du bois de sciage des Maritimes émette des certificats d'origine pour toutes les expéditions de bois d'oeuvre de résineux en provenance de notre région, certificats qui devaient faire partie des documents d'entrée exigés par la douane américaine. Cette exigence extraordinaire, émanant d'une organisation non gouvernementale, prouve une nouvelle fois que les États-Unis ont pris acte de la situation unique du Canada atlantique au regard des causes profondes de ce différend commercial qui perdure.
Toutefois, comme les allégations d'antidumping visent tous les producteurs d'une marchandise visée dans un pays donné et non les ressorts gouvernementaux, la région de l'Atlantique s'est retrouvée dans le même sac que les autres provinces pour l'application des droits antidumping, bien que jamais aucune allégation de subvention du secteur n'ait été portée dans une procédure compensatrice et que jamais aucune compagnie de l'Atlantique n'ait été visée par une enquête au sujet de droits compensateurs.
S'il est une caractéristique distincte dans cet épisode du différend canado-américain en matière de bois d'oeuvre, c'est que les deux côtés insistent maintenant davantage pour parvenir à une solution durable. Nous estimons que la transparence, la prévisibilité et le respect des dispositions seront essentiels pour parvenir à des résultats positifs. Les deux côtés en ont assez de financer des poursuites coûteuses et acrimonieuses. J'estime personnellement que le Canada a laissé plus de 800 millions de dollars US depuis 1986 aux avocats de Washington.
Des deux côtés de la frontière, les industries du bois d'oeuvre poursuivent un grand nombre d'objectifs communs et doivent relever les mêmes défis. Nos deux pays doivent s'attacher à élaborer une vision d'avenir commune en ce qui a trait à l'exploitation de cette ressource renouvelable. Nous devons d'abord chercher à favoriser l'expansion de nos marchés — et je crois savoir que M. Dottori vous a très bien parlé de cette réalité — car nous devons répondre au souci légitime et croissant de nos clients en matière de protection de l'environnement. Le secteur forestier n'est pas différent de celui de l'acier quant à l'éventail des industries et des produits qu'on retrouve en aval et au phénomène récent de l'intégration graduelle des secteurs. Fait à souligner, le secteur de l'acier se qualifie maintenant de nord-américain surtout par rapport aux produits de l'acier étrangers qui sont subventionnés et écoulés sur nos marchés à prix de dumping. Pour ce qui est du milieu forestier, on peut maintenant espérer qu'il existe une volonté commune de se pencher vraiment sur le problème de la concurrence que pose le bois d'oeuvre provenant de terres domaniales, et de travailler à l'instauration de régimes véritablement transparents assortis d'objectifs de revenu et d'aménagement forestier.
Plutôt que de s'attarder à leur intérêt commun depuis 18 ans, les industries américaines et canadiennes ont consacré d'importantes ressources financières à se combattre mutuellement. Tandis que ce différend perdurait, la population des deux côtés de la frontière a commencé à douter de l'intégrité de notre secteur. Des produits de remplacement ont grugé une part croissante du marché et, pire encore, on a assisté à une augmentation très importante du volume des importations en provenance d'ailleurs que d'Amérique du Nord. Les provinces forestières que nous sommes ont, avec les États-Unis, une frontière plus longue que le reste du Canada. Malgré cela, en 2002, nos voisins ont importé plus de bois d'oeuvre en provenance d'outremer que des provinces de l'Atlantique bien que nous continuions à bénéficier d'un libre accès au marché grâce à notre exclusion des mesures compensatrices. De 1995 à aujourd'hui, les importations de bois d'outremer par les États-Unis ont augmenté de plus de 220 p. 100.
Le sénateur Grafstein: Quelles parts des approvisionnements au Canada et aux États-Unis proviennent d'autres pays?
Mme Blenkhorn: Je l'ignore. Environ 3 p. 100 du marché américain. La part du Canada atlantique est d'environ 2,9 p. 100 du marché américain. Avec les variations de prix, cette part a tendance à augmenter.
Il convient de ne pas oublier que le Canada n'a eu d'entente de libre-échange dans le domaine du bois d'oeuvre de résineux avec les États-Unis que pendant 18 mois en 12 ans, soit depuis 1986. Ce n'est que d'août 1994, à la suite de la décision du tribunal binational de l'ALE, jusqu'à l'imposition de l'accord sur le bois d'oeuvre de résineux le 1er avril 1996, que le Canada a bénéficié d'un accès sans restriction au marché américain.
Le Canada dépend grandement du marché américain. Le bois d'oeuvre est l'une de ses principales exportations vers ce pays. Les honorables sénateurs comprendront le volume d'affaires et l'importance que représente notre industrie au Canada. Nous pensons que le Canada a surtout cherché à négocier un accord de libre-échange avec les États-Unis pour être effectivement protégé contre d'éventuelles mesures de rétorsion ou des recours commerciaux. Or, le bois d'oeuvre de résineux n'a jamais bénéficié d'un libre accès au marché américain depuis l'entrée en vigueur de L'ALE et de l'ALENA.
Je vous dis cela bien que les gens que je représente aient eu un accès relativement libre. Je veux plutôt traiter des aspects du différend qui n'ont pas été sans nous faire mal.
Toutefois, il convient de signaler que les Maritimes, par l'application des mêmes lois que nous contestons dans le cadre de nos différends commerciaux internationaux — différents qui se règlent à l'ALENA, à l'OMC et au GATT — nous ont permis de bénéficier d'un accès relativement illimité au marché américain. Les lois américaines — mais pas les accords commerciaux — ont permis suffisamment de souplesse pour tenir compte des différences d'une région à l'autre, au regard des causes profondes du différend dans le domaine du bois d'oeuvre.
Les Maritimes ne sont pas ressorties complètement indemnes du différend, même si les États-Unis continuent à reconnaître la situation très particulière qui est la nôtre. Nous avons perdu du terrain sur le marché intérieur à cause d'autres produits provenant d'autres régions du Canada victimes de ces recours commerciaux.
Nous avons dû entreprendre des défenses juridiques coûteuses pour parer à toute une série d'attaques liées à ces différends, bien que notre région n'ait jamais fait l'objet d'aucune allégation. Notre système axé sur les forces du marché, qui consiste à obtenir des matières premières auprès de sources privées et de terres domaniales, nous place en situation de désavantage concurrentiel quand le marché est à la baisse, quand nous sommes contraints de concurrencer des producteurs d'autres provinces canadiennes dont les volumes sont plus élevés que les nôtres et les coûts d'exploitation sont moindres. Il faut être conscient que le Canada atlantique ne représente que 2 milliards de pieds- planche sur les 22 milliards produits au Canada. Nous sommes de petites provinces. Notre capacité ne sera jamais supérieure à cela. Malgré ce que d'aucuns ont affirmé lors des différends précédents, autrement dit que les exclusions dont nous faisions l'objet avaient donné lieu à d'importantes augmentations de production, il faut savoir que nous tournons à pleine capacité.
Je veux maintenant parler d'un problème délicat qui a surgi récemment. Nous voulons contribuer à l'unification du Canada et pas à son éclatement. Je me permets d'aborder cette question pour informer les honorables sénateurs. Le gouvernement du Canada a assisté à l'érosion de notre position que nous qualifions de compétitive en portant «assistance» à d'autres associations afin de corriger les effets négatifs du différend dans le bois d'oeuvre. Nous estimons, quant à nous, que peu importe la détermination du gouvernement du Canada d'aider les régions touchées par les effets de ce différend commercial, il ne faut pas oublier les racines profondes du problème, soit les allégations de subvention par le gouvernement, si bien que toute subvention supplémentaire ne ferait qu'aggraver la situation. J'en retiendrai pour récent exemple le projet de loi déposé la semaine dernière devant le sénat américain, qui réclame une augmentation de 46 p. 100 des droits imposés au Canada.
Votre comité étudie les relations commerciales entre le Canada et les États-Unis en vue de formuler des recommandations pour permettre aux biens et services canadiens de pénétrer librement aux États-Unis et pour mettre en place des mécanismes de règlement de différends qui soient efficaces dans le contexte des relations économiques unissant le Canada aux autres pays des Amériques et dans le contexte du cycle de Doha à l'OMC. À cette occasion, nous vous demandons de tenir compte de l'expérience des Maritimes dans ce différend sur le bois d'oeuvre qui perdure depuis plusieurs décennies.
Il conviendrait de modifier les dispositions de tous les accords commerciaux dont nous sommes signataires afin de refléter la situation de notre région dans l'application des modalités commerciales ou du processus de règlement des différends, ou des deux.
Il faut s'attendre à ce que, dans les semaines à venir, le Canada et les États-Unis parviennent à un autre règlement «mutuellement acceptable» — mais rien n'est joué — pour régler le tout dernier problème dans le domaine du bois d'oeuvre. Le Canada doit veiller à ce que la région Atlantique ne soit pas laissée de côté dans son désir de parvenir à la solution pancanadienne que nous appuyons et encourageons depuis toujours. Depuis toujours, nous prétendons qu'il ne devrait y avoir aucun droit, aucun quota, aucune taxe à l'exportation — ce qui veut dire absolument aucun recours commercial — aucun droit compensateur, aucune mesure antidumping et certainement aucune taxe à l'exportation imposée par le gouvernement du Canada. Le Canada atlantique est toujours favorable à une solution durable qui permettra aux dispositions de l'ALENA et de l'OMC de prévaloir.
Depuis des décennies, le Parlement canadien — le gouvernement de l'heure — est confronté à une grande difficulté: celle de trouver une solution permanente au différend qui nous oppose aux États-Unis dans le domaine du bois d'oeuvre de résineux, question fort complexe s'il en est. Tout à l'heure, le président lui-même a fait allusion à cette complexité.
Il est particulièrement difficile de trouver une solution qui soit acceptable au Canada tout entier, parce que le fond même du problème réside dans des pratiques forestières relevant de la compétence des provinces. Le Canada atlantique est très petit par rapport au reste du Canada, dans le contexte de la production de bois d'oeuvre. Il semble, toutefois, que tous les ordres de gouvernement concernés aient compris la position et le caractère uniques de notre région.
Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de comparaître devant le comité et je suis maintenant prête à répondre à vos questions.
M. Avrim Lazar, président, Association des produits forestiers du Canada: Honorables sénateurs, je me propose de couvrir trois aspects. Les échanges commerciaux avec les États-Unis ont un très grand impact sur le niveau d'emploi et le bien-être au Canada. C'est là une chose que l'on tend à sous-estimer. Deuxièmement, les échanges commerciaux sont menacés par des obstacles non tarifaires, pas uniquement dans le domaine du bois d'oeuvre, et par les politiques purement canadiennes. Troisièmement, nous devrons modifier notre vision des choses si nous voulons réussir à long terme.
L'industrie forestière au Canada donne du travail à un million de personnes. Un grand nombre de ces emplois se trouvent en régions rurales. On recense 350 collectivités rurales dont l'activité économique dépend entièrement de la scierie locale. À cela viennent s'ajouter 1 200 autres collectivités qui dépendent en partie d'une scierie. Essayez donc d'aller créer des emplois dans une de ces villes ou l'un de ces villages après la fermeture d'une scierie. C'est très difficile. Essayez donc d'aller créer des emplois qui rapportent deux fois plus que le salaire moyen, comme le fait notre industrie. C'est quasiment impossible.
Le gouvernement a tendance à accorder une grande attention à notre industrie quand nous fermons une scierie, mais il paraît sourd à nos appels quand nous lui disons que nous avons de la difficulté à garder une scierie ouverte et qu'il nous faut changer nos politiques. Aucun autre secteur d'activité ne transfert autant de technologie que nous dans les régions rurales du Canada. Les secteurs de l'aérospatiale, des transports, de la chimie et de l'automobile combinés utilisent moins de matériel de haute technologie que l'industrie des produits forestiers à elle seule. Nous employons des gens, pour exploiter ce matériel de haute technologie, qui touchent deux fois le salaire moyen versé dans les régions rurales au Canada.
Il n'est pas simplement ici question de lois sur le commerce ni des agréments liés aux échanges commerciaux ou encore aux profits qu'empochent les grandes sociétés. Il est question d'un million d'emplois dans les petites villes et villages du Canada.
Soixante-cinq pour cent de nos produits sont exportés vers les États-Unis et le Mexique. Les échanges commerciaux sont en augmentation. Au cours des 10 dernières années, le commerce du papier a progressé de plus de 100 p. 100, celui du bois de plus de 180 p. 100, celui de la pulpe de près de 50 p. 100. Il ne faut pas tenir ces augmentations pour acquises. Les emplois liés à ces échanges commerciaux disparaîtront si nous n'apportons pas les changements nécessaires.
Deuxièmement, je vais vous parler de menaces. Il ne servirait à rien que je reprenne les remarques qui vous ont été faites plus tôt. Mme Blenkhorn a fait un excellent travail pour vous présenter la position des Maritimes. En fin de compte, les faits sont là et vous les avez entendus plus d'une fois.
Il me semble utile de signaler que Price Waterhouse Coopers a estimé le coût actuel des droits compensateurs à environ 1,5 milliard de dollars par an. C'est beaucoup d'argent que l'on prélève dans les poches des travailleurs canadiens.
On nous impose ces droits sans égard ni à l'intention ni à l'esprit de l'ALENA, accord qui est laissé à la merci des lois américaines. Notre seul recours en vertu de l'ALENA consiste à démontrer que les États-Unis ne sont pas cohérents avec leurs propres lois. Les procédures prennent beaucoup de temps et enrichissent de nombreux avocats. Si nous gagnons, il suffira aux Américains de modifier leurs lois. C'est ce qu'ils ont fait jusqu'ici et ils nous ont annoncé qu'ils allaient continuer.
Nous redoutons également les répercussions du différend dans le domaine du bois d'oeuvre sur les autres produits forestiers. Il y a, bien sûr, la production de pâtes et de papier qui revient plus cher dès qu'il y a des difficultés du côté du bois d'oeuvre qui est la principale source de matière première dans ce cas. Le risque le plus inquiétant, c'est que les autres acteurs du marché américain, travaillant sur d'autres produits forestiers, soient fortement tentés d'imiter leurs homologues du bois d'oeuvre qui veulent s'enrichir sur le dos des Canadiens en leur imposant un embargo. Il n'y a pas que le bois d'oeuvre qui est en jeu. Si nous nous couchons dans ce dossier, les Américains nous marcheront dessus dans un autre.
Nous sommes bien sûr reconnaissants vers M. Pettigrew et le gouvernement du Canada pour ce qu'ils ont fait jusqu'ici afin de protéger nos intérêts, mais il nous apparaît de plus en plus clairement qu'il nous faut maintenant adopter de nouvelles approches.
La bataille n'est qu'à demi-gagnée quand on a entrouvert une porte dans un secteur du commerce international. Une fois qu'on est entré sur le marché, encore faut-il être concurrentiel. Quand on parle d'échanges commerciaux, on oublie le pendant national de cette réalité. Mes homologues américains, ceux de l'association américaine, ont effectué une étude de la fiscalité en pensant qu'ils pourraient démontrer ainsi que l'industrie forestière américaine est la plus lourdement taxée. Eh bien, le directeur général de cette association m'a envoyé un courriel, puis m'a appelé pour me dire: «Allez-y, Avrim, vous pouvez utiliser cette étude parce qu'il se trouve que c'est le secteur forestier canadien qui est le plus lourdement imposé au monde». C'est la conclusion de l'étude américaine. Non seulement nous sommes les plus lourdement imposés au monde, mais les impôts sur le capital nous dissuadent d'acheter du matériel moderne. Allez-y! Imposez-nous sur les bénéfices — mais pas trop tout de même — et nous pourrons toujours nous débrouiller, mais les taxes sur les investissements nous font perdre des emplois.
Nous avons également des problèmes à cause des règlements fédéraux et provinciaux qui se recoupent. D'autres pays que le Canada se sont dotés de règlements en matière d'environnement, bien qu'aucun ne soit aussi exigeant que le nôtre, mais nous n'arrivons même pas à savoir si ces règlements que nous devons respecter relèvent du fédéral ou du provincial. Nous sommes tout à fait prêts à accepter les responsabilités que veulent nous confier les provinces et le gouvernement fédéral dans le domaine de l'environnement mais, de grâce, accordez vos violons. Toute cette situation ne fait qu'occasionner des incertitudes commerciales, réduire les niveaux d'investissement et accroître les coûts.
Nous sommes le seul pays qui traite son industrie des produits forestiers comme si elle était purement nationale. En Finlande, il y a une grande compagnie, comme en Australie et en Nouvelle-Zélande. Notre Bureau de la concurrence examine ce que la concentration dans tel ou tel secteur pourrait donner sur les prix au Canada et décrète que nous n'avons pas le droit d'effectuer de fusions. Or, on ne peut réussir sur le marché international quand on est un groupe désuni de petites compagnies exportant 80 p. 100 de leurs produits. C'est très bien si ces compagnies peuvent survivre, mais il faudrait laisser au marché le soin de décider et pas à des fonctionnaires du Bureau de la concurrence. C'est au marché à décider de ce que doit être la structure optimale pour cette industrie. Une fois qu'on a pénétré un marché, on n'a gagné qu'à moitié parce qu'il est aussi très important d'être structuré et d'évoluer dans un climat des affaires qui vous amène à être compétitif.
Nous nous sommes demandés si nous ne pourrions pas mettre de notre côté nos alliés naturels aux États-Unis. Les droits punitifs dont nous sommes victimes sont le résultat des politiques américaines. Or, chez nos voisins, on retrouve de véritables libres-échangistes qui ont un véritable pouvoir politique. Il y a aussi beaucoup de gens qui vivent dans des maisons en bois et beaucoup d'autres qui en construisent. Un grand nombre de secteurs d'activité — tous les domaines de la construction et une grande partie de l'industrie — dépendent de produits du bois vendus à des prix concurrentiels. Nous recommandons, notamment de chercher à travailler davantage en partenariat avec ces alliés naturels pour qu'ils mobilisent tous ceux qui, aux États-Unis, ont les mêmes intérêts que nous.
La représentation canadienne aux États-Unis est bonne, mais tous nos amis à Washington nous disent: «c'est très bien quand votre Premier ministre vient nous voir ici, nous savons que vous voulez vendre du bois d'oeuvre sans avoir à acquitter de droit d'entrée, mais vous obtiendriez de bien meilleurs résultats si cinq ou six de vos députés ou sénateurs ou gouverneurs venaient nous voir pour nous dire que vous ne pouvez pas payer de tels droits».
Le gouvernement nous a aidé à effectuer un certain travail de lobbying aux États-Unis. Je crois savoir que le greffier vous a fait remettre des exemplaires de nos publicités. Si vous me le permettez, j'aimerais vous montrer le genre de publicité que nous avons faite jusqu'ici. Elle devrait apparaître sur l'écran.
(Présentation vidéo.)
Nous avons fait paraître nos annonces dans la presse, nous avons engagé des cabinets de lobbyistes et avons toujours fait passer le même message: cela porte tort à tout le monde. Cela porte tort au consommateur et au secteur de la construction aux États-Unis. Cela provoque également une scission par rapport au meilleur ami de l'Amérique, son allié le plus proche, son plus gros client et sa plus importante source d'approvisionnement en pétrole et en gaz. Pourquoi voulez-vous vous imposer cela? Pourquoi continuer? Voilà le genre de lobbying que nous avons mené de façon très intense aux États-Unis.
Nous avons suggéré ceci: si nous parvenons à une entente — que nous espérons raisonnable — il faudra nous entendre sur le fait que ce sont les politiques américaines qui sont à la base du problème. Le problème est dû au désir de l'industrie américaine, qui n'est pas aussi productive que l'industrie canadienne, de se réfugier derrière des barrières tarifaires. Elle est de plus en plus tentée par cette formule, année après année, parce que chaque fois qu'elle parvient à faire appliquer une barrière tarifaire, elle s'affaiblie et nous nous renforçons, en sorte qu'elle a de plus en plus peur de nous affronter sur le terrain de la concurrence.
Nous devons être en permanence présents à Washington et partout aux États-Unis, pas uniquement quand il y a risque d'imposition d'un nouveau tarif, mais tout le temps, pour donner notre version des faits, pour expliquer aux Américains que nous ne sommes pas subventionnés, pour leur dire que nos pratiques environnementales correspondent en tout point à ce qui se fait ailleurs dans le monde et nous devons nous associer avec les consommateurs de bois aux États-Unis pour enrayer l'emballement de la machine politique de façon à éviter que ce problème se répète sans cesse.
Plutôt que de poursuivre mon exposé, je pense que nous devrions réserver un peu de temps aux questions.
Le président: Merci beaucoup. C'est très censé.
Le sénateur Grafstein: Puis-je vous demander de revenir un peu en arrière pour que nous examinions la situation de l'industrie? Nous savons que les prix sont particulièrement déprimés. Que signifient des prix très bas pour l'industrie canadienne? Est-ce que cela nous rend plus ou au contraire moins compétitifs?
M. Lazar: Le marché des produits de base est particulièrement ingrat. Il faut comprendre que les prix varient, mais pour l'instant le mouvement ne va que dans un sens. Normalement les prix montent et descendent, mais pour l'instant ils descendent, descendent et descendent encore. C'est la même chose que pour les puces d'ordinateur, le rutabaga et n'importe quelle autre matière première.
De quoi dispose-t-on? D'arbres, d'énergie, de gens productifs et vraiment intelligents et nous avons des usines assez bonnes. Notre problème, c'est que depuis plus de 10 ans le rendement de nos investissements est inférieur au coût des immobilisations. Pourquoi? Eh bien, parce que le gouvernement impose à l'Industrie des loyers qui sont supérieurs à ce que le marché international peut supporter. Vous avez trois petites scieries, qui ne sont pas toutes compétitives selon les normes internationales, et vous voulez investir dans une grande. Dans quelques provinces, on vous dira: «c'est un pays libre, mais si vous fermez une de vos scieries, ne vous attendez pas à pouvoir couper d'autres arbres ici». Les choses sont plus faciles dans les provinces où les forêts sont privées.
Cela étant, nous ne nous sommes pas modernisés aussi vite que nous l'aurions dû. La plupart des installations modernes sont en difficulté parce qu'elles sont en concurrence contre des scieries qui auraient dû être fermées. Nous sommes de moins en moins compétitifs. Peut-on renverser la vapeur? Tout à fait. Nous possédons le savoir-faire voulu. Nous avons les ressources. Nos cadres ont une culture de l'innovation. Pour survivre au Canada et pour être concurrentiels sur la scène internationale, il faut être bon. Cependant, il nous faudra créer de nouveaux partenariats avec le gouvernement afin d'instaurer un climat d'affaires où l'innovation aura sa place.
Le sénateur Grafstein: Vous devriez écourter vos réponses en vous concentrant uniquement sur les questions. Quelle est la proportion de la propriété étrangère détenue par les Américains dans votre secteur?
M. Lazar: Je ne le sais pas, mais je pourrai vous obtenir ce chiffre.
Le sénateur Grafstein: Parle-t-on de 40 à 50 p. 100?
Mme Blenkhorn: Je n'ai pas le chiffre exact, mais deux grandes acquisitions viennent d'avoir lieu: MacMillan Bloedel a été acheté par Weyerhaeuser et Weldwood du Canada par la International Paper. Je pense que la proportion est élevée, mais je ne sais pas si elle est de 40 p .100.
M. Lazar: Nous vous obtiendrons ce chiffre.
Le sénateur Grafstein: Supposons qu'elle soit de 40 p .100 et qu'elle soit en train d'augmenter de beaucoup. À quel moment pensez-vous que ce problème se réglera de lui-même? Quand les Américains posséderons 50 à 70 p. 100 du marché? Autrement dit, d'après ce que j'ai retenu de ma visite à Washington la semaine dernière, si le principal acteur de motivation n'a pas été posé sur la table, c'est que les Américains veulent parvenir à un règlement. Cela, on le doit au fait que les propriétaires de scieries, des deux côtés de la frontière, doivent maintenant composer avec l'industrie au Canada. Puis-je affirmer cela, c'est-à-dire que le problème va se régler de lui-même puisque le niveau de propriété américaine au Canada va augmenter?
Mme Blenkhorn: Il est important de rappeler ici que les grandes américaines qui ont acheté des scieries ici ne sont pas membres de la Coalition. Celle-ci, qui a entamé des procédures contre le Canada, est composée de petites et moyennes entreprises qui ne sont pas rentables, comme on vous l'a dit plus tôt. En revanche, elles ont abouti dans leur démarche sur le plan politique. C'est exactement la même chose qui se passe chez nous quand on prétend que de petites collectivités rurales ne survivront pas aux fermetures de scieries ou quand on parle d'intégration ou encore de devenir plus compétitifs mais que, dans un même souffle, on soutient qu'il faut maintenir les petites exploitations dans les collectivités rurales.
Je crois que cela contribuera à faire disparaître le problème mais je ne suis pas certaine que ce soit une solution définitive, parce que ce ne sont pas les mêmes qui financent la cause entreprise aux États-Unis.
Le sénateur Grafstein: Pour gagner du temps, monsieur le président, pourrais-je demander à M. Lazar de nous fournir le pourcentage de terres à bois canadiennes détenues par des intérêts étrangers?
Le sénateur Carney: ...par région.
Le sénateur Grafstein: Par région, cela nous aiderait, mais je suis intéressé par la situation globale.
M. Lazar: Vous voulez parler de propriétés des terres à bois ou des scieries?
Le sénateur Grafstein: Les deux.
M. Lazar: La majorité des terres forestières, sauf dans les Maritimes, appartient aux provinces.
Le sénateur Grafstein: Donnez-nous le pourcentage pour les deux catégories.
Ensuite, ne pourrait-on pas dire qu'à la suite de cette augmentation des consolidations et de la fluctuation des marchés, le segment de l'industrie qui est vraiment mis à mal est composé par les petits et moyens exploitants, parce qu'ils ne peuvent pas s'en sortir avec de si petites marges bénéficiaires?
M. Lazar: Vous savez, il y a aussi des grands qui disparaissent.
Le sénateur Grafstein: Les grands peuvent être touchés, mais ils ne disparaissent pas parce qu'ils en ont plein les poches. Quoi qu'il en soit, peut-on dire que ce sont les petites et moyennes entreprises qui sont les plus touchées?
M. Lazar: Les petites et moyennes entreprises couleront avant les autres, c'est certain.
Le président: Merci.
Le sénateur Carney: Je tiens à remercier nos deux témoins pour leurs exposés.
Monsieur Lazar, d'après les contacts que vous avez eus avec vos homologues aux États-Unis, et étant donné que vous vous intéressez de plus près à la commercialisation, pour quel motif la Coalition américaine pourrait-elle être amenée à retirer sa demande en droits compensateurs? Vous savez certainement qu'en vertu du droit commercial américain, il faut qu'une importante partie d'un secteur donné, produisant un certain pourcentage par rapport à la production globale, intervienne pour que la loi soit modifiée. L'industrie américaine veut faire augmenter les prix et beaucoup de producteurs là-bas sont de petits indépendants. À partir de là, on devrait avoir une idée de l'importance de la Coalition. Ils veulent faire augmenter les prix et pour cela qu'ils imposent des droits compensateurs. Qu'est-ce qui pourrait les inciter à réduire ces droits?
M. Lazar: Il y a un grand joueur dans tout cela, International Paper, qui est le grand argentier. Personne ne pourrait assumer les frais juridiques sans sa contribution, car il ne faut pas oublier qu'International Paper est un super géant parmi les petites et moyennes entreprises du secteur. Les incitations à diminuer les droits sont multiples. Tout d'abord, si les Américains parvenaient à une entente, ils auraient la certitude de ne plus être soumis à ce qu'ils considèrent comme les aléas des tribunaux du commerce international. C'est une chose. Le secteur privé n'aime rien de plus que de savoir de quoi l'avenir sera fait parce qu'avant de faire des investissements, il veut savoir ce que sera le rendement.
Deuxièmement, les prix n'ont pas augmenté. Les droits antidumping ont pour effet pervers de tirer les prix vers le bas, parce qu'ils sont imposés sur les coûts d'exploitation. La seule façon d'échapper à de tels droits consiste à réduire les coûts d'exploitation et à fonctionner à faible coût 24 heures sur 24 pour abaisser le coût moyen. C'est là l'effet pervers qui a incité les Américains à reprendre les négociations avec nous.
Et puis, il y a un phénomène de moindre envergure, celui du regroupement des forces antiprotectionnistes aux États- Unis qui prétendent qu'il ne faut pas aller trop loin. À un moment donné, il y a toujours une gêne qui s'installe et un certain renversement sur le plan politique. Ce n'est pas une seule chose en particulier qui les fera changer. D'aucuns pourraient prétendre que la différence dans les politiques constitue la source du problème.
Je présenterai la chose un peu différemment, parce que j'estime que la racine du problème est double: d'abord, les producteurs américains sont moins productifs que les nôtres et ils craignent de perdre des parts de marché. Deuxièmement, nous sommes en présence de deux systèmes de gouvernance que l'on ne connaît pas bien. Nous pourrions aussi motiver les participants autour de la table de négociation en important une concurrence de l'extérieur du continent nord-américain. Les pays d'Europe de l'Est et la Russie regorgent de ressources ligneuses. Ils sont en mesure de faire concurrence sur le marché nord-américain parce qu'ils n'ont pas à verser les mêmes loyers à leur gouvernement et qu'ils n'ont pas à se plier au même règlement en matière de protection d'environnement. Un grand nombre de nos membres dit que la seule raison pour laquelle ces pays là ne sont pas plus présents avec leurs produits en Amérique du Nord, c'est qu'ils n'ont pas investi autant dans l'infrastructure pour servir nos clients. Nombre de nos concurrents américains se sont rendus compte que la véritable concurrence vient de l'étranger et qu'il s'agit d'une menace à l'heure où nous nous combattons l'un l'autre. Qui plus est, si les prix du bois augmentent suffisamment, les produits de substitution comme le béton et l'acier deviendront plus attrayants.
En fin de compte, quand on perd des clients, que ce soit aux mains des forestiers russes, suédois ou autres, ou encore de producteurs de béton ou d'acier, il est difficile de les reprendre même quand les prix baissent. La clientèle développe des habitudes et instaure des relations avec les fournisseurs. Tous ces facteurs mis ensemble devraient, pour les Américains, être des incitatifs pour revenir à la table, mais certains ne veulent simplement pas reprendre la négociation.
Le sénateur Carney: Qu'est-ce qui pourrait motiver les Américains à réduire leurs tarifs, puisqu'ils voulaient appliquer un système de marché qui, pensaient-ils, allait pousser les prix du bois d'oeuvre à la hausse?
Mme Blenkhorn: Je ne suis pas certaine d'être totalement d'accord avec tous les aspects de l'analyse, mais je ne suis pas en total désaccord non plus. Comme M. Lazar le disait, les droits antidumping ont eu un effet pervers. On trouve maintenant aux États-Unis un groupe de compagnies, responsable des procédures contre le Canada depuis 1982, qui va intervenir et déclarer avoir fait une erreur. Tous ces gens là reviennent à la table de négociation parce qu'ils veulent sauver le apparences dans leur désir de se débarrasser des droits antidumping.
Je vais remettre ce graphique au comité. Chacune de ces lignes représente une des étapes dont je parlais. À chaque fois, les prix ont considérablement augmenté jusqu'à l'application des droits antidumping, après quoi ils ont diminué.
Je pense qu'il faut nous concentrer sur l'importation de produits en provenance d'Europe. Nous ne pouvons pas considérer le dossier Europe comme complètement à part. La plupart des produits qui pénètrent aux États-Unis sont financés par des entreprises américaines. Ce sont les agences de classement américaines qui offrent le service pour permettre l'accès au marché, ces mêmes agences dont les conseils d'administration chapeautent les marchands de bois américains. Ces gens-là adoreraient réduire la part du Canada sur le marché américain parce qu'ils ont accès à des ressources illimitées dans lesquelles ils ont investi en Russie, en Autriche, en Allemagne et ailleurs. Il faut, je crois, examiner la question de la propriété dans le cas de ces importations croissantes par les États-Unis.
Le président: Est-ce que nous exportons vers l'Europe? Est-ce que nous exportons ailleurs qu'aux États-Unis?
Mme Blenkhorn: Nous exportions 40 p .100 du bois d'oeuvre de résineux vers l'Europe jusqu'en 1993, quand les Européens, invoquant la nématode du pin nous ont imposé des barrières non tarifaires. Avant, nous exportions donc vers l'Europe et vers le Japon, puis nous savons ce qui est arrivé avec la grippe économique asiatique.
Parallèlement au déclin de ces marchés, sous l'effet d'un approvisionnement intérieur constant en Europe — les forêts dont le Canada avait fait don à l'Europe après la guerre étant arrivées à maturité — les Européens disposaient maintenant de leur propre source d'approvisionnement en bois d'oeuvre. Ils ont alors décidé d'imposer des barrières commerciales aux produits canadiens. La seule chose qui a sauvé l'industrie canadienne c'est que la consommation américaine, de 1993 à aujourd'hui, a augmenté. Si nous avions perdu en même temps les marchés européens, japonais et américains, notre industrie se serait écroulée.
Le sénateur Graham: Nous avons assisté à des exposés très intéressants. Je suis d'accord avec le sénateur Di Nino quand il dit qu'il faut trouver une façon de consacrer plus de temps à l'audition de témoins aussi intéressants que ceux- là.
Madame Blenkhorn, le nom de votre organisation a piqué ma curiosité. Le Bureau du bois de sciage des Maritimes, fondé en 1938, comprend bien Terre-Neuve. Or, dans les Maritimes, quand Terre-Neuve est inclus, on parle de Canada atlantique. Comment donc êtes-vous parvenue à convaincre les Terre-Neuviens de conserver votre nom?
Mme Blenkhorn: Quand on réussit avec un tel nom et qu'on est présent sur la scène internationale, même les Terre- Neuviens sont d'accord.
Le sénateur Graham: C'est ce que j'espérais vous entendre dire.
Quelle est l'importance de votre représentation à Washington?
Mme Blenkhorn: Nous avons un bureau à Washington depuis 1986, quand nous avons commencé à prendre part aux différends commerciaux. Nous comprenons la valeur d'un travail de représentation sur place et du fait qu'il faut maintenir le contact avec les Américains. Notre démarche est un peu compliquée par l'APFC. Nous ne nous soucions pas que du consommateur, nous essayons aussi de former des alliances avec des participants à la Coalition américaine et nous prenons acte du contexte.
Le sénateur Graham: Avez-vous des contacts fréquents avec les autres organisations qui ont témoigné devant nous aujourd'hui?
Mme Blenkhorn: Oui. Comme je le disais dans mon exposé, nous sommes favorables à la recherche d'une solution durable et nous préférons collaborer avec les autres organisations, dans la mesure où elles ne se retournent pas contre nous en invoquant nos différences.
Le sénateur Graham: Monsieur Lazar, vous avez dit que la représentation canadienne aux États-Unis est bonne. Est- ce bien ce que vous avez dit?
M. Lazar: Elle est bonne, mais insuffisante.
Le sénateur Graham: Vous auriez dû le préciser dans vos remarques. Je ne pense pas vous avoir entendu dire qu'elle était insuffisante.
Vous avez aussi déclaré que l'industrie américaine n'est pas aussi productive que la canadienne. Est-ce exact?
M. Lazar: Dans le secteur du bois, la productivité n'a pas augmenté aussi vite aux États-Unis qu'au Canada.
Le sénateur Graham: D'autres m'ont parlé de la situation dans d'autres secteurs d'activité. Des représentants de filiales en Nouvelle-Écosse, et en fait d'organisations présentes dans le monde et dans tout le Canada, sont venus nous parler de notre productivité par rapport à celle des États-Unis.
Vous avez également dit que le Canada est le pays le plus fortement taxé du monde dans le domaine du bois d'oeuvre. C'est bien ce que vous avez dit?
M. Lazar: Je parlais des produits forestiers.
Le sénateur Graham: C'est ce que je voulais dire. Tout ce que nous disons ce soir concerne les produits forestiers. Mais dans vos propos, j'ai cru comprendre que vous citiez une source américaine.
M. Lazar: C'est exact.
Le sénateur Graham: Et qu'en est-il de nos sources au Canada? Avez-vous effectué vos propres études sur la fiscalité?
M. Lazar: Nous n'avons pas effectué une étude aussi poussée que celle de l'industrie américaine. Nous avons commencé à collaborer avec le Conference Board du Canada pour conclure que nos concurrents américains sont plus lourdement imposés sur la main-d'oeuvre que sur l'équipement, ce qui a pu les amener à se doter beaucoup plus que nous d'un équipement de pointe. Notre étude n'est pas aussi exhaustive que celle réalisée par l'industrie américaine. Si cette dernière étude avait été partiale, il est certain que l'industrie américaine aurait été tentée de retenir les services d'un consultant pour prétendre que les taxes aux États-Unis sont trop élevées. Or, ce consultant a bien conclu que les taxes aux États-Unis sont trop élevées mais aussi que les taxes au Canada le sont encore plus.
Le sénateur Graham: Avez-vous quelque chose à dire à ce sujet, madame Blenkhorn?
Mme Blenkhorn: Non, ce travail a été effectué par la Forest Products Association des États-Unis et je ne puis le commenter. Cependant, je me pencherai sur ce dossier.
Monsieur le président, j'ai donné une réponse plutôt désinvolte à la question du sénateur Graham au sujet de Terre- Neuve. Je tiens à préciser ma pensée pour le procès-verbal. Il faut faire une distinction importante. Le Bureau du bois de sciage des Maritimes, qui a été créé en 1938, a commencé par représenter Terre-Neuve vers le milieu des années 50. La véritable raison pour laquelle nous n'avons jamais envisagé de changer ce nom, c'est que les Américains eux-mêmes, reconnaissant la situation particulière de nos quatre provinces prises en tant que région, ont insisté pour les citer sous le vocable de «Maritimes» plutôt que de Canada atlantique. À la lecture de mon mémoire, vous constaterez que l'on peut utiliser les Maritimes pour le Canada atlantique et vice-versa mais que si les Américains estiment que nos quatre provinces forment les Maritimes, nous devons être cohérents.
Le sénateur Di Nino: Monsieur Lazar, en plus de la surimposition des produits forestiers, la politique canadienne intérieure fait problème dans ce dossier, surtout en ce qui concerne l'impôt sur le capital, les dédoublements des compétences territoriales et les restrictions imposées aux fusions. C'est ma formulation à moi, pas la vôtre. Mais ai-je raison? Est-ce que j'ai bien compris l'essence de vos remarques?
M. Lazar: Oui.
Le sénateur Di Nino: Estimez-vous que notre comité devrait se pencher sur ces questions dans ses délibérations et son rapport qui, nous l'espérons, sera lu par les autorités compétentes qui pourraient éventuellement modifier la politique?
M. Lazar: Nous ne pouvons que vous y encourager. Il ne suffit pas de pénétrer sur un marché étranger pour parvenir à vendre. Il faut offrir des prix compétitifs mais ce n'est pas facile surtout si vous nagez en pleine incertitude quant à l'origine des exigences qui nous sont imposées, si vous ployez sous un fardeau fiscal et, plus important encore, si vos institutions gouvernementales vous traitent comme si vous étiez une industrie intérieure. je vais vous donner un exemple.
Nous avons une entreprise, dans l'Ouest, qui produit du papier à bottin. Elle écoule 90 p. 100 de sa production sur les marchés internationaux. Comme ses concurrents sont beaucoup plus gros qu'elle et qu'ils peuvent travailler pour moins cher, cette entreprise a voulu acquérir une autre société canadienne pour grossir. Eh bien, elle a dû se battre pendant six mois avec le Bureau de la concurrence et attendre, en fin de compte, l'intervention personnelle du ministre pour obtenir l'autorisation d'acquérir l'autre entreprise à condition de s'engager, par écrit, à ne jamais grossir davantage.
À long terme, si l'on continue ainsi, je puis vous assurer que nos concurrents qui ont déjà une taille raisonnable vont nous enlever tous les emplois et qu'il n'y aura plus de travail dans l'Ouest du Canada. Il n'est pas ici question d'opposer les gros aux petits. Il est question de disposer d'un secteur qui offre des emplois viables plutôt que des emplois non viables. Nous ne pouvons pas uniquement nous intéresser aux questions de barrières commerciales. Il faut aussi savoir si nous sommes compétitifs.
Le sénateur Di Nino: J'ai une question pour vous deux. Pendant les audiences, un témoin nous a laissé entendre que les exportateurs canadiens devraient resserrer leurs liens avec Washington. Je pense d'ailleurs que c'est exactement ce qu'a dit l'un de nos témoins ce soir. Monsieur Lazar, j'ai jeté un coup d'œil sur votre document intitulé «Partnership for Growth» qui, je pense, porte sur la même chose.
Qu'avez-vous retiré de cette expérience? Est-ce que le projet a fonctionné et est-ce qu'il est utile? J'aimerais également entendre les réactions de Mme Blenkhorn, surtout aux remarques que vous avez formulées il y a quelques instants sur la représentation à Washington. Pourriez-vous étendre vos remarques aux autres dimensions du dossier?
M. Lazar: Quand nous avons lancé cette idée de partenariat pour l'expansion du marché, nous nous sommes entretenus avec un grand nombre de lobbyistes américains très connus. Ces gens-là se sont adressés à nous parce qu'ils savaient que nous avions de l'argent. Ils nous ont dit que tout ce qui concerne la consommation de bois d'oeuvre est sous-représenté dans la politique intérieure américaine, contrairement aux intérêts de la Colombie-Britannique, des Maritimes et du Québec, de même qu'aux intérêts du gouvernement canadien. Donc les intérêts pour des prix faibles sont sous-représentés. La firme de lobbyistes que nous avons engagée était cotée parmi les plus influentes à Washington par le magazine Forbes. C'est le conseil que cette firme nous a donné et nous avons beaucoup payé pour cela.
Les Américains pratiquent un lobby différent d'ici. Ils déterminent d'abord les groupes auxquels le président s'intéresse. Par exemple, il s'intéresse actuellement aux hispanophones, parce qu'il aura besoin d'eux à la prochaine élection. Ce groupe-là se retrouve majoritairement dans l'industrie de la construction. Le président s'intéresse aussi à cinq gouverneurs en particulier, parce qu'ils sont à la tête des cinq États qui peuvent pencher d'un côté comme de l'autre. Il y a des jeux d'influence et les lobbyistes aux États-Unis dressent une liste des points durs de leurs dossiers et aussi des points sur lesquels ils ont un avantage. Par la suite, ils entreprennent une campagne coordonnée visant à mobiliser tous ces gens-là pour soulever la question. La publicité ne sert qu'à faire écho à ce qui se dit en chambre.
Nous avons effectué un excellent travail dans le passé pour représenter nos intérêts et mobiliser nos alliés autour de notre cause. Mais ce travail n'arrive ni à la cheville ni au degré de raffinement des jeux politiques de Washington, jeux que nous devrions jouer pour évoluer à chance égale avec les Américains. Il est temps de nous rendre compte que nous vivons dans un marché nord-américain.
Dans une certaine mesure, comme le prouve l'histoire du bois de résineux, nous sommes à la merci des forces politiques américaines. Si le gouvernement ne peut pas être davantage présent et contrer les Américains sur le plan de la politique intérieure, il serait très utile que l'industrie, avec l'appui du gouvernement, soit davantage présente à Washington, comme ce fut le cas dans le passé. Cela avait alors été très efficace. Je ne prétends pas que ce serait suffisant. Je ne prétends pas que, d'un seul coup, les Américains vont nous dire: «Très bien, venez envahir notre marché». Il demeure que nous devons être là-bas et jouer la même partie que les Américains. Nous ne pouvons pas leur imposer notre jeu à nous.
Mme Blenkhorn: Notre approche est un peu différente. Nous considérons que Washington est important parce qu'il faut amener les gens à comprendre ce que sont les Maritimes. Quand nous avons commencé, la tâche était énorme.
À Washington, les gens ne savent pas où se trouve le Maine et encore moins la Nouvelle-Écosse, le Nouveau- Brunswick, l'Île-du-Prince-Édouard et Terre-Neuve. Il nous a donc été difficile de faire comprendre aux Américains influents ce que nous sommes et ce que nous représentons pour promouvoir la position des Maritimes.
Nous travaillons sur ce plan depuis plus de 18 ans. Nous le faisons de nombreuses façons, surtout par l'intermédiaire de notre cabinet d'avocats que nous avons mandaté. L'approche des Maritimes consiste à instaurer des relations personnelles, ce qui ne devrait pas surprendre les honorables sénateurs. Nous avons préféré cette approche à celle de la publicité. Ainsi, nous instaurons et entretenons des liens personnels avec des gens à Washington et surtout avec ceux qui comptent dans l'industrie.
Nous avons dégagé des domaines d'intérêt mutuel, comme les normes et les codes du bâtiment. Nous avons, avec l'industrie du côté américain, un grand nombre d'intérêts en commun. Nous avons travaillé sur ce plan-là. Nous avons envisagé des projets à mener en collaboration avec nos homologues du Nord-est, comme une intervention commune dans l'élaboration des codes du bâtiment et la promotion d'une consommation accrue des produits du bâtiment. Plutôt que d'affronter les Américains, nous cherchons à les gagner à notre cause.
Peu importe qu'on estime qu'ils aient raison ou tort — et je ne me prononcerai pas à ce sujet — les Américains sont une force avec laquelle nous avons toujours dû composer. Nous appliquons une démarche transparente. Nous pratiquons même le transfert de technologie à partir des Maritimes. Les propriétaires de scieries chez nous rendent visite à des homologues dans le Sud profond des États-Unis pour voir ce dont ils ont besoin, quels sont leurs véritables problèmes.
Nous n'appliquons pas une démarche coûteuse, très sophistiquée, avec force publicité à la clé. Mais c'est une démarche qui a donné des résultats pour la région des Maritimes.
Le sénateur Di Nino: Cela me semble excellent.
Le président: Je tiens maintenant à remercier nos témoins pour leurs excellents exposés. Au nom des membres du comité, merci de vous être rendus à notre invitation. Nous avons beaucoup de choses à digérer, mais c'est un dossier important et intéressant.
La séance est levée.