Délibérations du comité sénatorial permanent des
affaires étrangères
Fascicule 5 - Témoignages du 18 février 2003 - Réunion de l'après-midi
VANCOUVER, le mardi 18 février 2003
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit ce jour à 13 h 35 pour examiner les relations commerciales entre le Canada et les États-Unis d'Amérique et les relations commerciales entre le Canada et le Mexique et faire rapport à ce sujet.
Le sénateur Peter A. Stollery (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Honorables sénateurs, je suis ravi d'accueillir à notre réunion cet après-midi M. Fred McMahon, directeur du Centre for Globalization Studies de l'Institut Fraser.
Nous vous écoutons.
M. Fred McMahon, directeur, Centre for Globalization Studies, Insititut Fraser: Monsieur le président, je voudrais parler aujourd'hui de la vulnérabilité économique du Canada par rapport aux questions de sécurité et vous dire pourquoi j'estime que nous n'avons pas réussi à régler ces problèmes autrement que par une approche ponctuelle. Nous devons vraiment réfléchir à long terme dans ce domaine.
Il est clair qu'en octobre, les États-Unis mettront en place des mesures qui pourraient avoir des effets très néfastes pour le commerce du Canada avec les États-Unis. Il est clair que les États-Unis tiennent absolument à protéger leurs frontières. Il est clair aussi qu'ils ont le droit de le faire, aussi bien moralement que dans le cadre du droit international, et qu'ils le feront, malgré toutes nos protestations, à moins que nous ne prenions leur souci légitime de sécurité en considération.
Pour justifier les protestations canadiennes contre les États-Unis, on a dit entre autres que ceux-ci donnaient l'impression de mettre leur force et leur poids au service de leurs intérêts commerciaux avant tout et de contraindre les groupes spéciaux en matière de commerce à se soumettre. Ces deux déclarations, communes dans les médias canadiens et généralement acceptées, sont tout simplement fausses. En 2001, l'excédent commercial canadien avec les États-Unis était de plus de 130 milliards de dollars, ce qui représente plus de 12 p. 100 de notre PIB. Il est clair que si les États-Unis voulaient nous imposer leur loi en matière commerciale, ils ne toléreraient pas cet excédent de plus de 100 milliards que nous avons avec eux. Comme les sénateurs le savent, les États-Unis ont eu eux-mêmes quelques difficultés économiques. Une injection de 100 milliards de dollars dans l'économie américaine, ce qui représenterait notre excédent commercial, suffirait pour les sortir de leurs problèmes temporaires. Nous sommes économiquement vulnérables là aussi.
C'est grâce à l'ALENA que nous avons eu d'assez bons résultats devant les groupes spéciaux. L'Europe comme le Japon ont fait l'objet de beaucoup plus de poursuites commerciales que le Canada, avec un taux de succès beaucoup plus élevé. Les études effectuées sur les groupes spéciaux de l'ALENA varient beaucoup, ces groupes étant équitables selon certains, tandis que pour d'autres le Canada et le Mexique ont remporté un nombre de victoires disproportionnées. Absolument rien ne prouve l'argument en vogue selon lequel les groupes spéciaux seraient dominés par les États-Unis.
Il faut aussi comprendre, à l'encontre encore une fois de la sagesse populaire, que nous ne sommes pas des coupeurs de bois et des puiseurs d'eau par rapport aux États-Unis. Comme je le montre au tableau 3, nous exportons en grande majorité aux États-Unis des biens et des produits industriels ou manufacturés, ou — et c'est une catégorie nettement moins importante — des matières semi-transformées. Les matières premières proprement dites que nous envoyons aux États-Unis ne constituent en fait qu'une petite partie de nos échanges commerciaux. Nous avons un déficit commercial avec tous les autres grands blocs commerciaux. C'est notre commerce avec les États-Unis qui nous permet d'avoir assez de vins français, de textiles pakistanais, d'appareils électroniques sud-coréens, et cetera, parce que nous avons de gros déficits commerciaux avec l'Asie et l'Europe. La protection de la frontière est maintenant fondamentale pour le gouvernement américain.
On n'exagère pas en disant que George Bush et les membres de son administration se réveillent tous les matins en ayant peur de leurs responsabilités personnelles, en redoutant une attaque sur New York ou Los Angeles ou Dallas, qui ferait des dizaines de milliers de victimes ou, au pire des cas, qui est très peu probable, des centaines de milliers. À partir d'octobre, les États-Unis veulent recevoir une déclaration préalable sur le contenu de tous les envois commerciaux. Quatre heures pour les marchandises expédiées par camion, 12 heures pour le transport ferroviaire et aérien, et 24 heures pour les cargaisons acheminées par voie maritime. À une époque de livraison juste à temps et d'intégration planifiée des deux côtés de la frontière, il est difficile d'évaluer la gravité des répercussions de cette décision, mais l'Alliance canadienne du camionnage nous a déjà avertis que cela pourrait nous exclure de la chaîne d'approvisionnement des États-unis. Pour que les sénateurs comprennent bien la gravité de la situation, je voudrais dire que le connaissement, qui était utilisé jusqu'ici pour identifier le contenu d'un camion ou d'un conteneur, ne sera plus une déclaration de ce qui s'y trouve mais une prédiction de ce qui s'y trouvera.
Le président: Je dois avouer que je n'ai jamais vraiment compris cette notion.
M. McMahon: On remplit le connaissement au fur et à mesure que les conteneurs sont chargés sur le bateau, par exemple. C'est une déclaration de ce qui se trouve à bord du navire. Avec ce système de déclaration à l'avance, le connaissement devient une prédiction de ce qui va se trouver dans le conteneur ou à bord du navire le lendemain. Cela change considérablement la façon dont la chaîne d'approvisionnement fonctionne. Je ne suis pas expert en matière de chaîne d'approvisionnement ou de connaissement. Mais d'ici six semaines environ, l'Institut Fraser doit présenter un document approfondi sur la sécurité de la chaîne d'approvisionnement. On y abordera différentes questions comme la nature changeante du connaissement, et cetera.
Beaucoup soutiennent ou semblent croire que la dépendance du Canada vis-à-vis des États-Unis est due à notre accord de libre-échange et à l'ALENA. Comme je l'indique au tableau 4, les États-Unis fournissaient environ les deux tiers de nos importations bien avant l'accord de l'ALENA. Le pourcentage est à peu près le même aujourd'hui. Si ces accords commerciaux ont eu un effet sur le commerce canadien, cet effet s'est fait sentir dans notre capacité d'exporter vers le marché des États-Unis et de créer des emplois au Canada. En 1981, les États-Unis représentaient environ les deux tiers de nos importations et environ les deux tiers de nos exportations. Aujourd'hui, ils représentent environ les deux tiers de nos importations et 90 p. 100 de nos exportations. Ce sont des avantages massifs pour le Canada que nous risquons de perdre si nous n'avons pas une vision à long terme.
Dans mes recommandations, j'aborde quatre domaines. Il y a tout d'abord la sécurité de la chaîne d'approvisionnement. C'est quelque chose vers quoi divers pays évoluent actuellement de façon hésitante. Ce n'est pas prévu dans les divers accords que le Canada a maintenant avec les États-Unis pour améliorer la sécurité, mais c'est quelque chose que nous devrions envisager à beaucoup plus long terme et compte tenu de notre dépendance massive à l'égard de cette frontière, le Canada devrait être au premier rang pour l'élaboration de cette sécurité.
Ma deuxième recommandation concerne la sécurité humaine. Il est clair qu'avec notre système d'accueil de réfugiés nous laissons entrer un pourcentage plus élevé que celui qu'on constate dans la plupart des pays du monde. La plupart de ces réfugiés viennent de tiers pays sûrs. Évidemment, les possibilités d'entrée du côté des États-Unis vont se modifier, mais il reste quand même beaucoup de gens qui viennent de tiers pays sûrs. Si le Canada se souciait vraiment des questions humanitaires, ce n'est pas comme cela que nous accueillerions des réfugiés. C'est directement dans les camps de réfugiés que nous pourrions trouver les gens vraiment désespérés qui n'ont ni les contacts, ni l'argent nécessaire pour se présenter sur les côtes du Canada, souvent en passant par un autre pays et souvent en se servant de contacts avec des réseaux criminels ou terroristes. Je le répète, si nous nous souciions vraiment de l'aspect humanitaire, nous admettrions nos réfugiés d'une manière différente. Prétendre qu'il y a une justification humanitaire à la procédure d'accueil des réfugiés, c'est de l'hypocrisie de haut vol, puisque nous pourrions faire beaucoup mieux en allant recruter directement dans les camps de réfugiés.
Ma troisième recommandation concerne les questions de défense. Pendant longtemps, nous avons profité allégrement des États-Unis. Je pense que cela les énerve de plus en plus, compte tenu des diverses pressions qui s'exercent dans le domaine de l'économie et de la sécurité. Je pense que cela doit être conçu comme une partie intégrante de l'ensemble de nos relations avec les États-Unis.
Enfin, il y a les questions de périmètre. Quand on parle d'élaborer un périmètre nord-américain, on a souvent l'impression que c'est une menace pour la souveraineté. C'est totalement faux. Le devoir le plus souverain de toute nation est d'assurer la sécurité économique et physique de ses citoyens. Si nous ignorons le devoir de sécurité sous prétexte de protéger notre souveraineté, nous allons mettre en danger la sécurité physique et économique du Canada.
Il est aussi faux de dire que d'autres pouvoirs vont être érodés. C'est comme si l'on disait que les Italiens sont devenus Hollandais parce qu'il y a une Union européenne. En réalité, l'une des choses dont on parle souvent à cet égard, c'est la politique fiscale. Or, il y a dans l'Union européenne un éventail beaucoup plus vaste de politiques fiscales qu'en Amérique du Nord. Les impôts et les dépenses en Irlande et en Grande-Bretagne sont à peu près au même niveau qu'aux États-Unis; les Pays-Bas sont en gros au niveau du Canada; en France et en Allemagne, le niveau est bien supérieur à ce qu'il est en Amérique du Nord. Il est difficile d'imaginer qu'un périmètre commun et une sécurité commune nuisent à la capacité du Canada de fixer sa propre politique quand on constate les écarts énormes entre les pays de l'Union européenne.
La conclusion saute aux yeux: nous devons nous attaquer avec beaucoup plus d'énergie aux problèmes de sécurité et de défense.
Le sénateur Di Nino: Monsieur McMahon, nous avons entendu toutes sortes d'avis à propos de nos relations commerciales avec les États-Unis. Certains ont dit que nous devrions chercher à négocier une entente qui nous donnerait l'assurance d'un libre-échange à long terme, voire permanent, pour nos produits. Je ne pense pas que les services soient aussi touchés, mais ils pourraient bien l'être si nous nous efforçons de stabiliser nos relations. Certains ont dit qu'une telle entente n'était nullement envisageable et que ce serait la pire des choses à faire. Qu'en pensez-vous?
M. McMahon: Ce qui essentiel pour l'instant, ce n'est pas d'avoir un accord commercial plus poussé, et je reviendrai là-dessus dans un instant. En fait, je crois que le problème, c'est la menace qui pèse actuellement sur nos échanges commerciaux. Les questions essentielles sont des questions de sécurité que nous pouvons régler sans entente avec les États-Unis, je veux dire en nous préparant mieux à la menace terroriste et en gérant notamment mieux le dossier de l'immigration des réfugiés. En fait, je me suis trompé. Pour la chaîne d'approvisionnement elle-même, nous devons collaborer plus étroitement avec les États-Unis, mais c'est plus une question d'accord de sécurité qu'une question commerciale.
Je suis de tout coeur d'accord avec l'idée que nous devons élaborer avec les États-Unis un autre accord commercial plus poussé, amélioré et épaulé par un mécanisme de règlement des différends plus net et plus rapide. Je pense qu'il serait souhaitable d'avoir à cet égard des négociations dans le cadre de la zone de libre-échange des Amériques. Toutefois, il faut reconnaître que les États-Unis ont d'autres chats à fouetter actuellement. Ils vont se concentrer sur l'aspect sécurité des échanges commerciaux. Je pense que nous pouvons avancer dans ce domaine sans créer une nouvelle entente commerciale qui est certes un objectif valable, mais à plus long terme.
Le sénateur Di Nino: Parlons un peu de sécurité. La question de premier plan porte sur les paramètres de la région géographique de l'ALENA. Examinons les choses du point de vue des relations commerciales et du transport des marchandises entre les deux pays, ou les trois si l'on inclut le Mexique. Il existe des moyens d'éliminer les risques pour la sécurité à la frontière. On peut prendre des mesures au point de fabrication, au point de distribution ou à certains points géographiques à deux, trois, cinq ou 10 milles de distance, pour avoir toutes les garanties de sécurité voulues sur les marchandises transportées par camion ou par wagon. Mais parle-t-on vraiment du transport des voyageurs ou des déplacements de la population? Je ne vois pas la nécessité d'aller si loin dans les mesures pour assurer la bonne circulation des marchandises à la frontière.
M. McMahon: Évidemment, la question des personnes est importante, et nous y reviendrons.
Vous avez raison. Des contrôles ponctuels des expéditions au moment du chargement et du déchargement peuvent atténuer certains de ces problèmes. Naturellement, le Canada est aussi un point de transbordement pour beaucoup de marchandises destinées aux États-Unis. Nous avons probablement besoin de meilleurs renseignements sur l'origine des conteneurs au Canada et à l'étranger. On vide les conteneurs canadiens et on les réutilise. Est-ce qu'on les fouille complètement à chaque fois qu'on les vide pour les réutiliser? Il y a toutes sortes de façons de cacher des choses dans un conteneur apparemment vide.
Je pense que nous finirons par avoir une sécurité totale de la chaîne d'approvisionnement. Je pense qu'il n'est pas trop tôt pour en parler. Regardez par exemple la différence entre le secteur aéronautique et le secteur des transports par conteneur: quelques minutes après le premier attentat du 11 septembre, la haute administration connaissait exactement la provenance et la destination de tous les avions en vol. Elle contrôlait parfaitement le système et elle a pu détourner ces avions. Ce genre d'information est totalement inexistant à l'heure actuelle en ce qui concerne le mouvement des conteneurs. Imaginons par exemple que les États-Unis apprennent qu'il y a quelque part en Malaisie un conteneur bourré d'armes biologiques qui peuvent être très difficiles à détecter. On ne saurait pas vers quel port d'Amérique du Nord le navire se dirige ni où il est. Il serait très tentant, vu le problème de fiabilité des informations, de fermer les frontières américaines. En revanche, nous pourrions aussi assurer une sécurité complète de la chaîne d'approvisionnement. On ne peut évidemment pas le faire d'ici à l'automne. Il s'agit d'un projet sur une dizaine d'années que le Canada devrait entreprendre activement dès maintenant pour que nous ayons ces informations au même titre que nous en avons sur les avions.
Les dispositifs de renseignement informatique et les mesures de sécurité ne posent pas non plus de véritables problèmes s'ils sont correctement appliqués. Le voyageur qui met sa carte bancaire dans un guichet automatique en Espagne, par exemple, communique avec sa banque mais sans révéler des informations cruciales sur lui-même. On pourrait élaborer un dispositif analogue pour les conteneurs dans le monde entier. Je parle d'un dispositif futur qui s'inspirerait de ce que nous faisons actuellement. Or, nous ne sommes pas en train de travailler d'arrache-pied à l'élaboration d'un tel système, alors que c'est le seul moyen en fin de compte de garantir nos chaînes d'approvisionnement et par conséquent nos exportations.
Le sénateur Di Nino: Il est clair qu'on parle de la technologie qui existe actuellement, des systèmes de pistage, etc. Je ne pense pas que ce soit là le problème. C'est plutôt d'un état d'esprit qu'on parle ici. Que pensez-vous du plan en 30 points que nos deux pays envisagent de réaliser d'ici octobre? Est-ce que cela va dans le sens de ce que vous recommandez?
M. McMahon: Oui, je crois. C'est un plan qui ne va pas assez loin dans l'avenir et qui n'est pas assez ambitieux, mais je pense qu'on peut féliciter le gouvernement canadien de s'orienter dans cette direction. Ce sera toujours un bon point. Je suis simplement ici pour vous dire que vous devriez aller plus vite et regarder plus loin, mais c'est un bon départ.
Le président: Je comprends le périmètre de sécurité et les questions de sécurité. Je comprends de quoi on parle. Je suis tout à fait d'accord pour reconnaître que les Américains sont confrontés à une menace énorme qui va empirer, car elle ne va pas disparaître. Toutefois, j'ai l'impression que quand on parle de périmètre, tout le monde pense au NORAD et se dit que nous faisons partie du périmètre des États-Unis. C'est parce qu'il y avait la Russie là-bas de l'autre côté du pôle Nord. Toutefois, les Américains ont une autre frontière qui semble beaucoup plus poreuse que la frontière canado-américaine, c'est la frontière mexicaine qui est une telle passoire que des foules de travailleurs illégaux la franchissent chaque année. On nous a cité des chiffres assez astronomiques.
Le sénateur Di Nino: Ils s'en vont.
Le président: Oui, mais ce que je veux dire, c'est que malgré un dispositif massif, les États-Unis sont incapables de bloquer les immigrants illégaux à la frontière. Quand on parle de périmètre pour les États-Unis, tout le monde a l'air de parler de nous, mais j'ai l'impression que nous sommes un pays extrêmement sûr. Pour arriver au Canada, il faut passer par l'océan Atlantique, l'océan Pacifique, le pôle Nord ou les États-Unis; alors que les États-Unis ont de l'autre côté de leur frontière sud, si je ne me trompe, quelque chose comme trois pays où sévissent des guerres civiles épouvantables avec des frontières incontrôlables. On entend toutes sortes d'histoires sur la pagaille mexicaine. Est-ce qu'il n'est pas là, le problème? J'ai franchi la frontière en provenance de pays du sud peut-être 100 fois ces dernières années. Je connais ces gens, je les vois. C'est le chaos. Partout où je regarde, je vois des files d'attente. Ce n'est pas cela, le problème?
M. McMahon: Je pense que tout cela est exact. J'espère sincèrement que les Mexicains ont entamé leur propre débat.
Ce n'est pas parce que les États-Unis ont d'autres problèmes que nous ne sommes pas un problème pour eux. Ce n'est pas parce qu'on dit que la situation est pire au Mexique que les États-Unis vont oublier la menace pour leur sécurité à notre frontière. Je n'ai pas vraiment approfondi l'étude des relations américano-mexicaines, mais je crois que les Américains font des pressions considérables et qu'il y a beaucoup de travail en cours pour améliorer la situation. Je pense que vous avez parfaitement raison: la frontière mexicaine semble actuellement plus poreuse à bien des égards, mais il reste que les États-Unis cherchent à réduire les risques à toutes leurs frontières, et pas seulement la frontière mexicaine.
Le président: Je voudrais vous rappeler à tous que le seul endroit des États-Unis qui a été attaqué au XXe siècle, c'est Columbus, au Nouveau-Mexique. Cette ville a été capturée par Pancho Villa. La campagne du général Pershing contre lui a été un fiasco total. Pershing a traqué Pancho Villa pendant des mois, mais en vain. En fait, il a ruiné sa carrière. J'ai l'impression que les choses n'ont pas beaucoup changé depuis.
Le sénateur Setlakwe: Nous sommes ici depuis quelques jours à écouter des Britanno-Colombiens qui sont très inquiets à cause du conflit du bois d'oeuvre résineux. Vous venez de dire que ce n'était pas très important dans le contexte de l'ensemble des échanges commerciaux entre le Canada et les États-Unis, mais c'est tout de même quelque chose de très frustrant pour au moins quatre provinces canadiennes. Les gens ont l'impression que les Américains ne sont pas justes, or vous avez l'air de critiquer plus le Canada que les États-Unis à cet égard. Si nous avions un périmètre commercial ou un périmètre de sécurité avec les Américains, peut-être leur attitude envers nous s'améliorerait-elle.
M. McMahon: Vu la façon dont fonctionne le Congrès aux États-Unis, nous ne pourrons jamais mettre fin à ces frustrations. Je pense que les accords commerciaux les ont considérablement réduites. Je n'avais pas pensé avant de venir ici à faire une liste des différends commerciaux avant l'ALE et après, mais d'après les documents que j'ai pu lire, je pense que vous seriez très étonnés de constater que nous avions beaucoup plus de problèmes commerciaux avant l'ALE que depuis.
Je suis aussi un peu gêné de devoir dire que je suis assez d'accord avec les Américains sur la question du bois d'oeuvre résineux. Il est clair que ce ne sont pas les mécanismes du marché qui déterminent le cours du bois d'oeuvre. D'après les données comparatives, les prix du bois d'oeuvre fixés par le gouvernement sont inférieurs aux prix du marché. Je crois aussi que la gestion économique des billes de bois et des droits de coupe est plus néfaste qu'utile à long terme pour l'économie de la Colombie-Britannique, et celles des autres provinces aussi, d'ailleurs. Cela dit, c'est un différend qui n'est pas réglé.
En revanche, quand on dit que le Canada est injuste avec les États-Unis, je ne pense pas que ce soit le cas. Je crois que nous pratiquons le libre-échange. La dévaluation du dollar canadien qui se poursuit de façon presque ininterrompue depuis 25 ans avec des hauts et des bas comme quand John Crow se battait contre l'inflation, nous a rendus compétitifs aux États-Unis et c'est l'explication principale de notre énorme excédent commercial. Les États- Unis s'en sont pris à d'autres nations quand ils avaient l'impression que leur taux de change n'était pas équitable, mais ils ne s'en sont pas pris au Canada.
Non, je n'accuserais pas le Canada de ne pas pratiquer un commerce équitable et, pas plus que j'accuserais les États- Unis de pratiquer un commerce inéquitable dans l'ensemble.
Le sénateur Setlakwe: Regardez ce que nous avons fait ces dernières années, en prenant par exemple l'Agence des douanes et du revenu du Canada. Nous avons mis en place le CanPass pour faciliter le passage des personnes à la frontière. Nous le faisons aussi pour les marchandises. La quantité de marchandises qui franchissent la frontière chaque jour est phénoménale et nous n'avons pas de problèmes avec les Américains. Les attentats du 11 septembre n'ont pas été dus au fait que des terroristes se seraient rendus aux États-Unis en passant la frontière canadienne; ils y sont arrivés autrement.
M. McMahon: Nous sommes maintenant plongés dans une multitude de problèmes; les nouvelles exigences de préavis entrent en vigueur en octobre — quatre heures pour les expéditions par camion, 12 heures pour les expéditions aériennes et ferroviaires et 24 pour les expéditions de conteneurs. Pour les conteneurs, c'est évidemment une disposition à l'échelle mondiale; pour ce qui est des expéditions ferroviaires et par camion, c'est le Canada et le Mexique qui sont concernés. Cela risque de poser un sérieux problème aux usines et aux transporteurs de ce côté-ci de la frontière. Il ne faut pas s'imaginer que le 12 septembre les États-Unis avaient mis en place toutes les mesures de sécurité qu'ils voulaient prendre. La sécurité atteint sans cesse de nouveaux sommets. Cela m'étonnerait beaucoup, surtout s'il y a un autre attentat terroriste, que les exigences de préavis soient la dernière chose dont les États-Unis nous parleront à propos de la sécurité.
Je soutiens donc que nous devons prendre les devants et avoir une vision à long terme. Encore une fois, je crois que le Canada a fait du bon travail sur ce dossier. Je ne pense pas que nous soyons allés aussi loin et que nous ayons pris autant l'initiative que nous aurions pu le faire, mais je pense que le Canada a bien progressé tout de même. Nous avons cependant encore des difficultés sérieuses dans le domaine de l'immigration et de la défense. Je pense que nous ne savons pas encore très bien comment nous allons régler la question des expéditions transfrontalières, et je pense que cette exigence de préavis va nous obliger à y réfléchir à fond.
Le sénateur Setlakwe: Vous parlez d'immigration. Nous venons de lever le moratoire avec l'Algérie, ce qui veut dire que si nous trouvons des éléments indésirables au Canada, nous pourrons les renvoyer sans craindre qu'ils soient persécutés dans leur pays. C'est une initiative positive et nous en prenons beaucoup d'autres en même temps. Donc, nous prenons les devants, même sur les questions d'immigration. Nous n'essayons pas d'accueillir au Canada des immigrants qui sont indésirables soit pour nous, soit pour les Américains.
M. McMahon: Avec tout le respect que je vous dois, sénateur, d'après ce que je lis et d'après les discussions que je peux avoir, nous avons toujours un problème de sans-papiers qui arrivent au Canada et qu'on laisse filer librement peu de temps après sans vraiment être capable de savoir ce qu'ils deviennent. À ce propos, les États-Unis ont déjà eu tous ces problèmes eux aussi, et ils essaient de les régler. En fait, à bien des égards, notre système n'était ni pire ni meilleur que celui des États-Unis avant le 11 septembre, simplement différent, mais je pense qu'ils se sont attaqués plus sérieusement que nous à ces problèmes.
Le président: Je pense que la seule différence, c'est qu'on ne peut arriver ici par voie de terre qu'en passant par les États-Unis.
Le sénateur Austin: Nous avons entendu beaucoup de choses intéressantes et je tiens à dire à M. McMahon sur quoi je suis d'accord avec lui avant d'approfondir quelques questions.
Je crois que les États-Unis sont en pleine mutation structurelle en ce qui concerne leur sentiment de sécurité dans le monde, et je crois que nous devons faire face à cette mutation structurelle. La routine d'avant le 11 septembre n'existe plus. Aujourd'hui, dans la communauté internationale, il se passe des choses importantes que nous connaissons tous bien du côté de l'Irak, du côté d'autres pays aussi, et il y a un niveau d'hostilité qui crée un profond malaise dans le monde. Comme nous avons énormément d'intérêts en commun avec les États-Unis, nous devons apprendre à partager leurs inquiétudes aussi bien que leurs marchés. Là-dessus, je suis d'accord avec vous.
La question que j'aimerais aborder est la même que celle que le sénateur Setlakwe a posée, mais simplement sous un angle un peu différent: c'est celle de la différence entre le fond et l'apparence. Je lis de façon approfondie la presse américaine. Je pense que l'inquiétude des Américains a deux racines. Il y a d'une part les événements que nous avons vus, et d'autre part une question d'attitude qui suscite un débat public depuis l'arrivée de l'administration Bush, une attitude très différente de celle des précédentes administrations sur la question du multilatéralisme.
En matière de multilatéralisme, le Canada est un inconditionnel. Les États-Unis, qui estiment avoir un rôle différent à jouer dans le monde et un poids différent, ont tendance à prendre des positions plus unilatérales. Au cours de la première année de l'administration Bush, ils se sont dissociés de la communauté mondiale sur la question du traité de défense antimissile et celle de la cour pénale internationale proposée. Nous avons vu la déclaration de Bush dans laquelle il a parlé de l'attitude que les États-Unis adopteraient à l'égard des pays du Tiers monde qui les menaceraient et expliqué comment seraient prises les décisions. Elles ne seront pas prises par consensus multilatéral, elles seront prises par l'administration lorsqu'elle estimera que les États-Unis sont menacés. Je vous dis cela simplement à titre d'illustration, sans prendre aucunement parti.
Dans l'état actuel des choses, le rôle du Canada semble avoir été défini par l'administration Bush en fonction de raisons politiques. C'est au Mexique que le président a effectué sa première visite. Le président Bush n'est venu au Canada pour la première fois qu'en mai cette année. Les États-Unis ont-ils donné le ton de leurs relations avec le Canada avant le 11 septembre, et les événements du 11 septembre ont-ils ajouté quelque chose à cette situation? Il y a là toute une série de questions.
J'ai l'impression que l'administration Bush suit un cap bien défini. Ce n'est pas ma perception personnelle. C'est parfaitement clair pour nous tous: quelles que soient les politiques adoptées, elles sont axées sur un deuxième mandat de l'administration Bush. Par conséquent, nos questions commerciales sont mêlées à la politique locale, selon Tip O'Neill et tous les autres observateurs de la politique américaine. Il y a tout un ensemble d'événements qui ne sont pas localisés au Canada et ne viennent pas du Canada, mais qui constituent la réalité avec laquelle nous devons composer.
Pour en venir à ce que vous avez dit à propos des questions de périmètre, vous nous recommandez d'évoluer vers un système de frontière de type européen. Or, c'est un système qui est fondé sur une politique d'entrée commune, d'entrée unique dans cet espace. Franchement, il est beaucoup plus facile de coordonner les politiques sur les expéditions de marchandises. En matière d'immigration, nous y sommes presque. Nous y sommes presque — et je reprends ici votre liste — sur les questions concernant les réfugiés. Nous y sommes presque aussi pour ce qui est d'établir une politique coordonnée de défense. En revanche, nous sommes encore loin de la politique américaine face à la communauté mondiale, que je n'appellerais pas une politique de défense. Je parlerais plutôt de politique étrangère stratégique. Vous n'avez pas évoqué la question d'une monnaie commune et nous en sommes certainement très loin.
Pour en venir à une question plus précise, il serait assez pratique en principe d'avoir un périmètre de protection consistant en une série d'interventions sectorielles. Toutefois, nous avons entendu des partisans d'une union douanière de type européen. Compte tenu du contexte dans lequel nous évoluons, pensez-vous que le Canada est «coupable et condamné» ou que nous sommes confrontés à des États-Unis qui réagissent de façon unilatérale sans que nous puissions y faire grand-chose dans l'immédiat?
M. McMahon: J'ai utilisé l'expression «de type européen». Je crois que ce sont les mots que j'ai utilisés. Je ne voulais cependant pas imposer strictement le modèle de l'Union européenne. De toute évidence, c'est un modèle auquel on peut apporter toutes sortes de modifications.
Je partage une bonne partie de vos préoccupations, notamment au sujet de la politique étrangère dont nous n'avons pas parlé. Je me suis concentré intégralement sur l'économie, la défense et la sécurité dans le cadre de nos relations bilatérales plutôt que sur les grands enjeux des affaires étrangères et multinationales.
C'est un vaste programme. Dommage que je ne puisse pas vous proposer d'aller prendre une bière ou deux dans un bar pour discuter de tout cela. Ce serait bien plus agréable.
Le sénateur Austin: J'achète.
M. McMahon: Je ne pense pas que nous soyons injustement ciblés. Si vous lisez les médias américains, vous verrez qu'ils s'en prennent à tous ceux qu'ils soupçonnent d'avoir créé un problème susceptible d'avoir contribué aux attentats du 11 septembre ou de pouvoir contribuer à d'autres événements du même genre. Le Canada s'en tire plutôt bien comparativement à ce qui a été dit à propos du FBI ou de la CIA. Vous avez manifestement lu ce que raconte la presse américaine au sujet de leurs services d'immigration.
Non, je ne pense pas que nous soyons injustement visés. Les médias américains s'en prennent à nous comme ils s'en prennent à leurs propres organismes de défense.
Les États-Unis sont une nation curieuse. Quand ils sont attaqués, ils réagissent vraiment. Je vais vous donner un exemple qui n'a peut-être pas l'air très pertinent.
Quelques mois après Pearl Harbor, les États-Unis ont remporté une énorme victoire militaire — la victoire de Midway. C'était pourtant une vraie idiotie. Leur flotte était en piteux état mais ils s'en sont quand même pris à l'énorme flotte japonaise en risquant tous les navires qui leur restaient. C'est un peu comme quelqu'un qui se ferait frapper par un camion et qui déciderait de s'attaquer au chauffeur du camion alors qu'il aurait encore deux bras et deux jambes cassés. L'attitude logique pour les États-Unis aurait été de ne pas chercher à remporter la victoire à Midway mais de prendre le temps de reconstituer leur flotte et d'attendre d'avoir la certitude de remporter la victoire. Ils ont pris le risque de Midway. Quand ils sont attaqués, les États-Unis ont tendance à réagir de façon peut-être trop agressive. C'est ce qu'on constate actuellement dans les articles qui s'en prennent aussi bien au Canada qu'au FBI ou aux services de l'immigration américains, tout cela.
Ceci m'amène à ce que vous disiez à propos du multilatéralisme et du rôle du Canada dans le monde. Je ne suis pas expert en politique étrangère. Je crois qu'il faut être très prudent. Beaucoup des choses que font actuellement les États- Unis, et ce n'est pas vraiment de cela que nous nous occupons ici, m'inquiètent énormément. Le Canada a manqué de clarté et de courage face à cette situation, mais je crois que les États-Unis seraient heureux qu'un pays ami capable d'assumer sa part des problèmes de sécurité et de défense lui donne carrément son avis. Je crois que nos faux pas dans d'autres domaines, par exemple les déclarations haineuses contre les États-Unis, troublent vraiment les Américains. N'oubliez pas que le Canada s'est opposé aux États-Unis lors de la guerre du Vietnam, mais sans créer de ressentiment anti-canadien ou provoquer de véritables répercussions au Canada. L'anti-américanisme aujourd'hui a une tonalité différente, et vient s'ajouter à ce que je considère comme nos faiblesses, mais non notre échec total. Des sénateurs ont montré que nous avions bien progressé dans certains domaines, mais nous avons fait preuve de trop de mollesse dans notre réaction à certaines de ces questions clés.
En politique, tous les politiciens veulent se faire réélire et évidemment cela va jouer.
Le sénateur Austin: Malheureusement.
M. McMahon: C'est ce qui fait que le Sénat est la plus intéressante des deux Chambres du Parlement à mon avis.
Je n'ai pas d'opinion tranchée sur la question d'une monnaie commune. Je pense que c'est probablement une bonne idée.
Vous avez énuméré toute une liste de sujets, sénateur, et je ne suis pas sûr d'avoir relevé chacun de vos points.
Le sénateur Austin: Je vous ai proposé tout un menu et je vous remercie de votre réponse.
Je voudrais vous demander de développer une remarque fondamentale que vous avez faite. Vous avez détecté au Canada des sentiments anti-américains auxquels vous pensez que les Américains réagissent. Pourriez-vous nous donner des exemples de ce que vous considérez comme des sentiments anti-américains au Canada?
M. McMahon: Certainement. En fait, si je m'étais attendu à cette question, j'en aurais probablement préparé une liste.
Remettons les choses dans leur contexte. Je ne pense pas que cela aille bien loin aux États-Unis, mais de temps en temps on rencontre ou on entend parler d'un Américain qui regarde pour la première fois Newsworld et qui est complètement sidéré par ce qu'il voit. Écoutez, la personne qui est arrivée second dans la course à la chefferie d'un des principaux partis du Canada a dit que George Bush passait tout son temps à essayer de trouver comment il pourrait tuer des enfants irakiens. Il est stupéfiant que Bill Blaikie ait dit une chose pareille sans que pratiquement personne réagisse et dénonce cette affirmation. Quelques voix se sont élevées pour dire que c'était exagéré. Nous ne parlons que d'un seul parti, mais les autres candidats à la chefferie ont été tout aussi éloquents dans leur anti-américanisme. J'ai suivi le débat, et franchement je n'en revenais pas. On a vu un député libéral parler des grandes réformes humanitaires de Saddam et de la guerre de George Bush contre les enfants.
Le président: J'ai entendu personne dire que Saddam Hussein était un grand réformateur. Vous me surprenez.
Le sénateur Di Nino: Carolyn Parrish.
Le sénateur Austin: Tous ces exemples montrent bien que l'ambassade américaine comprend parfaitement le système politique canadien, situe parfaitement tout le monde et sait très bien qui parle ou ne parle pas au nom du Canada. D'après mon expérience avec l'ambassade et l'ambassadeur Cellucci, je trouve qu'il y a une dissymétrie dans l'inquiétude sur l'amitié du Canada pour les États-Unis. Nous avons des divergences, mais ce sont des divergences de degré et d'intérêt qui sont dans l'ordre normal des choses, et les Américains ont de leur côté de nombreuses divergences avec nous.
La question du bois d'oeuvre résineux, si douloureuse qu'elle soit pour la Colombie-Britannique, n'a pas suscité à ma connaissance de vague d'anti-américanisme en Colombie-Britannique. Notre industrie, nos travailleurs, nos employeurs, notre gouvernement provincial ne dénigrent pas les Américains. C'est comme si nous discutions avec un parent proche dans une famille où règne un profond désaccord; ce n'est pas pour cela qu'on dénigre la famille.
Sur toute cette question de l'anti-américanisme, il est peut-être vrai que la communauté politique devrait être beaucoup plus ferme avec les Américains. Mais pour cela, il faudrait certainement veiller à exprimer très fermement nos véritables intérêts.
Le sénateur Carney: Monsieur McMahon, j'ai trouvé que votre exposé abondait en généralités mais ne disait pas grand-chose sur les détails, et j'aimerais aborder certains de ces détails.
Dans votre paragraphe d'introduction, vous dites que le refus du Canada de prendre au sérieux les problèmes de sécurité des États-Unis risque d'avoir des conséquences catastrophiques pour les Canadiens. Je ne vois vraiment pas ce qui vous permet de dire que nous ne prenons pas au sérieux les préoccupations de sécurité des États-Unis. Nous vivons tout près de la frontière et la plupart d'entre nous savent avec quel soin intense on aborde les problèmes de sécurité à la frontière. Ceux d'entre nous qui prennent l'avion savent à quel point les Canadiens ont réagi dans ce domaine. Songeons aux mesures prises par John Manley. Le fait que nous ne puissions pas vraiment réagir à des problèmes qui n'ont pas été créés, ou le fait que les terroristes du 11 septembre ne soient pas passés par le Canada évoque plus un problème de sécurité du côté des États-Unis que du côté du Canada. Ce que je veux dire, c'est que si vous avez des preuves que nous ne prenons pas au sérieux les préoccupations de sécurité des États-Unis, vous pourriez nous les donner.
Deuxièmement, vous ne nous avez pas donné de preuves à l'appui de vos opinions. Vous nous avez cité deux références, le document d'Alan Rugman et celui de Patrick Macroy à propos du chapitre 11.
Vous parlez de tactiques canadiennes d'intimidation. Or, dans le cas du conflit du bois d'oeuvre ou du saumon enColombie-Britannique, il est largement prouvé que les États-Unis n'ont pas respecté leurs engagements et ont refusé de respecter le droit international dans un certain nombre de domaines.
Quant à vos tableaux, ils me laissent perplexe. Dans le tableau 1, vous présentez l'excédent commercial du Canada avec les États-Unis en 2001, simplement le nôtre. J'ai l'impression que vous vous êtes trompé dans la légende de ces tableaux parce qu'ils ne tiennent pas debout à mon avis. Vous voulez peut-être dire au tableau 1 que l'excédent commercial du Canada a représenté plus de 12 p. 100 du montant de notre économie, mais dans ce tableau il me semble que c'est de l'excédent commercial américain que vous parlez.
M. McMahon: Excusez-moi, c'est une erreur de légende.
Le sénateur Carney: Vous mentionnez aussi des exportations américaines qui représentent 35 p. 100 de l'économie canadienne. Je ne comprends pas très bien.
M. McMahon: Ce sont simplement des erreurs dans les légendes, sénateur, et je m'en excuse. Il devrait être assez évident que ce tableau parle des exportations canadiennes et de l'excédent commercial canadien.
Le sénateur Carney: Au tableau 2, vous présentez la balance commerciale du Canada en 2001. Vous avez l'air de dire que nous sommes déficitaires avec tous les autres pays ou groupes de pays. C'est le problème avec la façon dont vous avez regroupé les données.
M. McMahon: Je me suis servi des données agrégées de Statistique Canada.
Le sénateur Carney: Vous voulez dire que nous n'avons aucun excédent avec le reste du monde?
M. McMahon: Comme je viens de vous le dire, nous n'avons pas d'excédent avec les blocs tels qu'ils sont présentés par Statistique Canada. Je suis sûr que nous avons un excédent avec certains pays. Je n'ai pas épluché les quelques 170 pays du monde. Nous avons un déficit commercial avec l'Asie et avec les pays de l'OCDE; nous avons un déficit commercial avec l'Europe et avec le reste des Amériques. Nous avons peut-être un excédent avec l'Afrique, je ne me souviens pas exactement.
Le sénateur Carney: À mon avis, ces regroupements sont faussés et ne servent pas à grand-chose.
Nous en arrivons ensuite au tableau 3, qui donne la part des États-Unis dans les importations et les exportations du Canada. Vous soutenez que ce n'est pas vrai — et vous dites que c'est encore un grand mythe commercial — que nous exportons des matières premières brutes comme le pétrole et le gaz ou des produits semi-transformés comme le bois. Vous dites que les produits manufacturés représentent de loin la plus grande part de nos exportations vers les États- Unis.
Premièrement, le tableau 3 n'a rien à voir avec cela. Vous comprenez cela, honorables sénateurs? Le tableau 3 n'a rien à voir avec ce qui est dit dans le texte, mais supposons que le témoin parle du tableau 4. Il dit que les exportations du Canada vers les États-Unis incluent de la machinerie, du matériel, des biens domestiques et d'autres produits finis. Il ne mentionne pas les automobiles dans cette dernière colonne alors que les automobiles canadiennes sont de loin l'article le plus important de cette colonne. Je trouve que ce n'est pas très malin de les omettre. Peut-être que dans les catégories du recensement on parle de machinerie, d'équipement, de biens domestiques et d'autres produits finis. Mais si vous faites une distinction pour l'industrie et les secteurs de l'automobile, qui rapportent essentiellement à l'Ontario, et que vous examinez l'ensemble de nos échanges commerciaux avec les États-Unis, vous constaterez que le pétrole et le gaz, les produits semi-finis et les autres produits finis ont une place beaucoup plus importante que ce que vous suggérez.
Vous ne nous présentez aucune preuve à l'appui de votre affirmation que la politique du Canada à l'égard des réfugiés est presque certainement la plus hypocrite au monde. Beaucoup d'entre nous sont fiers de notre politique à l'égard des réfugiés. Certains pensent qu'elle est trop généreuse et d'autres estiment qu'on en abuse. Toutefois, sachant que d'autres nations comme le Japon n'acceptent personne dans leur pays, je dirais qu'il y a probablement là plus d'hypocrisie que chez nous.
Vous dites que la Colombie-Britannique n'a pas su se soumettre aux lois du marché pour le bois d'oeuvre. Vous dites que cela nous a été probablement plus néfaste qu'avantageux, et je le conteste. Pour vous présenter un peu le contexte historique de cette question, je vous dirai que la stratégie publique du Canada a été d'utiliser nos ressources pour développer la trame sociale et économique de la Colombie-Britannique. Au milieu des années 50, les économies de marché se sont traduites pour nous par la ville fantôme de Swanson Bay et la ruine d'autres collectivités sur la côte. Le régime d'exploitation mis au point au siècle dernier en Colombie-Britannique nous a donné Kitimat, qui sinon aurait été une ville mono-industrielle. Voici quelques exemples au hasard: Prince Rupert, notre plus grand port. Ce régime nous a donné Houston, il nous a donné Prince George. Nous avons là trois usines de pâte à papier dans ce qui n'était qu'une petite ville ruche de bûcherons. Il a permis à Cranbrook de passer de quelques centaines d'habitants à environ 20 000 habitants. Il a créé Mackenzie sur la rivière de la Paix; il a créé Gold River, il a créé Port MacNeil qui était une ville de bûcherons quand je l'ai connue. Il a certainement aidé Port Alice et Squamish; il a aidé Kamloops et tout l'intérieur et il a contribué à la trame sociale de la Colombie-Britannique. Dans le monde hypothétique des suppositions des économistes sur ce qui aurait pu se passer, si vous avez des informations à l'appui de votre thèse selon laquelle la politique sociale et économique suivie par le gouvernement jusqu'à présent a ralenti la croissance de la Colombie-Britannique, je serais vraiment très intéressée de les avoir.
Je m'en suis tenue à des généralités à propos de votre document, mais je le trouve très léger. À mon avis, il ne contient pas des informations exactes et il ne confirme pas les arguments que vous présentez. Je vous parais peut-être dure, mais nous avons passé plusieurs semaines à discuter avec des gens qui souffrent parce qu'ils sont victimes des enjeux de la politique commerciale. Un peu partout, des communautés ont été durement touchées. Nous avons entendu des gens qui sont très inquiets de l'orientation que prend la politique commerciale. Nous avons entendu ce matin deux professeurs, dont John Helliwell qui soutient que nous avons probablement tiré le maximum de l'intégration avec les États-Unis et que nous n'avons probablement plus grand-chose à en attendre.
Je vais m'arrêter là. Si vous avez des informations à l'appui des généralisations que vous faites dans ce document, je suis sûre que le comité serait heureux d'en profiter. Je peux faire des généralisations à outrance comme n'importe quel autre membre de ce comité, mais ce n'est pas à coups de généralisations que nous allons pouvoir régler les très graves problèmes auxquels nous faisons face.
M. McMahon: Sénateur, je crains de ne pas pouvoir répondre à tous vos commentaires, notamment parce que je n'ai pas pu vous suivre.
J'ai utilisé ces découpages dans les tableaux pour éviter justement les accusations que vous formulez. J'ai repris les découpages de Statistique Canada. Si cela vous pose un problème, j'espère que vous en parlerez à Statistique Canada. Ceci est valable pour le tableau 4, Exportations aux États-Unis, 2001.
Étant donné que cet exposé s'adresse à des sénateurs, je n'ai jamais pensé que l'on m'accuserait de chercher à dissimuler quoi que ce soit aux sénateurs en ne mentionnant pas explicitement les automobiles dans la liste. J'étais persuadé que les sénateurs savaient que les automobiles font partie de la machinerie, de l'équipement, des biens ménagers et autres produits finis. Il est vrai que le secteur automobile est un secteur très important, mais nous fabriquons aussi en grande quantité des produits de consommation, des biens d'équipement et divers autres produits manufacturés dans ce secteur. C'est vrai, il y a beaucoup d'automobiles.
Sénateur, je n'ai pas accusé le Canada d'avoir la politique la moins généreuse au monde en matière de réfugiés. J'ai employé un mot qui a un sens. Ce mot, c'est «hypocrite». Les Japonais ne prétendent pas avoir un système extraordinaire pour les réfugiés. Nous si. Si nous voulions être généreux, nous ne prendrions pas les réfugiés comme nous le faisons maintenant. C'est parfaitement hypocrite de dire que l'on a un système vraiment généreux pour les réfugiés alors qu'en fait la grande majorité d'entre eux sont ceux qui traversent les frontières et non ceux qui viennent des camps de réfugiés. C'est là que les Nations Unies nous recommandent d'aller chercher des réfugiés.
J'ai eu deux semaines très chargées, et je suis profondément désolé de cette erreur de légende concernant le Canada et les États-Unis au tableau 1.
S'agissant des avantages pour le Canada, qui ne sont pas démontrés d'après vous, si vous pensez qu'un excédent commercial représentant 12 p. 100 de notre PIB est sans importance...
Le sénateur Carney: Je n'ai pas dit ça. Je parle de la sous-estimation des bienfaits de la commercialisation du bois d'oeuvre. En fait, il y a tant d'erreurs dans les légendes des tableaux qu'ils ne sont absolument pas représentatifs, et je ne suis vraiment pas en mesure de les commenter.
M. McMahon: Sénateur, sauf votre respect, les données concernant les exportations et l'excédent commercial sont très claires, en dehors du problème de légende. J'ai du mal à croire que le tableau puisse être difficile à interpréter. S'il est difficile d'interpréter notre excédent commercial et notre déficit en utilisant les découpages de Statistique Canada, je vous demande de m'en excuser. Je ne crois pas que le tableau 3 sur la part des États-Unis dans l'ensemble du commerce canadien soit très difficile à comprendre.
Le sénateur Carney: Je conteste cela dans la mesure où nous sommes inondés de statistiques qui montrent que le Canada est le plus gros marché des États-Unis. Nous faisons tous des discours là-dessus; chacun est le plus gros marché de l'autre pour les importations et les exportations. Pour ce qui est du commerce transfrontalier dans les deux directions, nous somme chacun le plus gros client de l'autre, et à mon avis, vos tableaux ne le montrent pas.
M. McMahon: Je le répète, sénateur Carney, si ces chiffres ne vous conviennent pas, je vous invite à en discuter non avec moi, mais avec Statistique Canada. Nous avons un énorme excédent commercial avec les États-Unis, et bien sûr ceci se retrouve dans les parts relatives des importations et des exportations.
Je suis d'accord sur une chose que vous avez dite, c'est vrai qu'il y a beaucoup de généralités dans ces tableaux. J'avais l'intention, en venant ici, de vous donner un aperçu des différentes questions influençant le commerce canado- américain. Vous m'avez demandé de montrer quels étaient les avantages économiques pour le Canada de ce commerce avec les États-Unis, surtout dans le secteur industriel. J'espère sincèrement que vous ne voulez pas écarter l'industrie automobile sous prétexte qu'elle n'existe qu'en Ontario et qu'elle ne fait donc pas partie de nos exportations. Le secteur de l'automobile fait bien sûr partie de nos exportations industrielles et il est très important, pas seulement pour Ontario mais aussi pour l'ensemble du Canada.
Je crois que nous ne sommes vraiment pas du même avis en matière de politique forestière. Je crois personnellement que les forces du marché seraient plus bénéfiques pour le secteur forestier en Colombie-Britannique que le système actuel, mais ce n'est pas pour discuter de cela que nous sommes ici aujourd'hui.
Le sénateur Carney: Ce n'est pas ce que j'ai dit. Vous avez mis cela au passé. Vous avez dit que ce système avait fait — au passé — plus de tort que de bien. Je dis qu'historiquement ce n'est pas le cas.
Je ne veux pas passer mon temps à chercher la petite bête dans votre argumentation, je dis simplement que si vous avez des preuves pour appuyer vos déclarations, notamment la première phrase de votre mémoire disant que le Canada refuse de prendre les préoccupations de sécurité américaines aux sérieux, nous serions très heureux de les avoir. Ceci inclut l'étude que vous avez citée mais sur laquelle vous n'avez pas donné de détails.
M. McMahon: Cela va venir, comme vous l'indique le temps utilisé dans cette phrase, et nous ne sommes manifestement pas d'accord sur le passé. Je suis désolé de ne pas avoir utilisé le bon temps de verbe.
Le président: Je ne peux pas laisser passer la discussion sur la politique à l'égard des réfugiés, car dans une autre vie j'ai été président du Comité de l'immigration de la Chambre des communes. Si nous avions pour politique de n'admettre au Canada que les réfugiés venant des camps de réfugiés, aucun des Asiatiques ougandais, par exemple, qui ont tant apporté au Canada, et particulièrement à la Colombie-Britannique, n'aurait pu venir au Canada parce qu'ils ne venaient pas de camps de réfugiés. Il y a eu une situation d'urgence dont nous nous souvenons tous en Ouganda. En fait, nous avons envoyé des agents d'immigration à Kampala pour ramener au Canada des gens qui, d'après moi, et à tout point de vue, ont énormément apporté à notre pays. Je ne veux pas commencer une discussion, mais je pense que ce ne serait pas sage de suivre ce genre de politique.
Monsieur McMahon, nous vous remercions vivement d'être venu ici aujourd'hui nous présenter votre exposé. C'est un sujet très important. Nous sommes certainement tous d'accord sur un point: la situation à la frontière canado- américaine est actuellement très délicate.
La séance est levée.