Délibérations du comité sénatorial permanent des
affaires étrangères
Fascicule 7 - Témoignages
CALGARY, le jeudi 20 février 2003
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères s'est réuni aujourd'hui à 10 h 03 pour examiner les relations commerciales entre le Canada et les États-Unis d'Amérique et entre le Canada et le Mexique et pour en faire rapport.
Le sénateur Peter A. Stollery (président) est au fauteuil.
[Traduction]
Le président: Honorables sénateurs, aujourd'hui, nous poursuivons notre étude du sujet très important que constitue la gestion des relations entre le Canada et les États-Unis et, en particulier, les divers problèmes commerciaux que nous cherchons à résoudre. Nous avons entendu des témoignages extrêmement intéressants. Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères est chargé d'examiner les divers aspects de l'Accord de libre-échange après 15 ans d'application et d'en faire rapport.
Nos deux témoins sont M. Don Barry, professeur de Relations internationales à l'Université de Calgary, et M. Rolf Mirus, professeur et directeur, Western Centre for Economic Research, School of Business, Université de l'Alberta.
Nous tenons beaucoup à entendre votre témoignage, que nous examinerons lorsque nous serons de retour à Ottawa.
Professeur Barry.
M. Donald Barry, professeur de relations internationales, Université de Calgary: Merci, monsieur le président, de me permettre de présenter aujourd'hui cet exposé.
L'intégration accélérée du Canada et des États-Unis dans la foulée de l'Accord de libre-échange Canada-États-Unis et de l'Accord de libre-échange nord-américain, alliée aux incidences sécuritaires des attaques terroristes du 11 septembre 2001 contre les États-Unis, a propulsé la gestion des relations à l'avant-plan. Le défi le plus important qui se pose aux décideurs canadiens est de trouver le moyen de répondre au contexte sécuritaire de l'après-11 septembre 2001 tout en assurant le mouvement continu des échanges commerciaux entre le Canada et les États-Unis.
Toute l'ampleur de ce défi est devenue évidente au lendemain du 11 septembre 2001, lorsque les États-Unis ont fermé provisoirement leur frontière en réponse aux attaques. La réaction rapide des hauts fonctionnaires canadiens a mené, en décembre 2001, au plan d'action dit de la «frontière intelligente», qui visait à consolider la sécurité à la frontière tout en facilitant la circulation des personnes et des marchandises entre les deux pays. Depuis lors, Ottawa et Washington travaillent à étoffer les principes contenus dans le plan d'action et à soutenir la coopération en matière de défense. Toutefois, ces entreprises ont souvent été éclipsées par des allégations des médias et des législateurs américains concernant la porosité de la frontière entre le Canada et les États-Unis et le manque d'enthousiasme d'Ottawa à l'égard de la politique du gouvernement Bush.
Inquiets, des intérêts commerciaux canadiens ont réclamé une action énergique pour calmer les préoccupations américaines en matière sécuritaire afin de protéger notre accès au marché américain. En novembre 2001, par exemple, la Coalition pour des frontières sécuritaires et efficaces sur le plan commercial, qui est composée d'une quarantaine d'associations de gens d'affaires et de sociétés, a exhorté le gouvernement canadien à adopter «une solution globale et intégrée» aux questions de sécurité et de protection de la frontière.
Au printemps 2002, l'économiste Wendy Dobson a proposé qu'Ottawa conclue avec Washington un «marché stratégique» aux termes duquel le Canada appuierait les objectifs américains en matière de «sécurité à la frontière, d'immigration et de défense» en échange d'un accès amélioré au marché américain, qui serait rendu possible grâce à un arrangement de type «union douanière ou marché commun».
Récemment, le Conseil canadien des chefs d'entreprise a demandé qu'on adopte une politique commune à l'égard du commerce, de l'immigration, de l'énergie, de la sécurité et de la défense qui «transformerait la frontière commune en un poste de contrôle commun à l'intérieur de l'espace économique Canada-États-Unis».
Le thème qui revient dans toutes ces propositions, c'est que la sécurité et le commerce sont intimement liés et que des compromis explicites peuvent être faits entre les deux. L'idée n'est pas nouvelle. C'est le prolongement et le développement du paradigme du partenariat sur lequel reposait la gestion des relations canado-américaines au cours des deux décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale. Conçues comme un partenariat contre la menace soviétique, les relations étaient gérées par des élites gouvernementales qui avaient des visions du monde compatibles, qui maîtrisaient très bien les processus de leurs gouvernements respectifs et qui étaient en mesure de faire droit à des concessions essentielles à la stabilité des relations. Les États-Unis avaient offert au Canada un traitement économique favorable en échange du maintien d'un climat d'investissement ouvert et de sa contribution à la défense de l'Amérique du Nord et de l'Atlantique Nord.
Vers le milieu des années 60, l'érosion des conditions de guerre froide qui soutenaient le partenariat, des changements institutionnels des deux côtés de la frontière et la prolifération des acteurs et des problèmes dans des relations canado-américaines devenues de plus en plus interdépendantes avaient miné la capacité des élites gouvernementales de gérer les concessions mutuelles sur lesquelles reposait le paradigme du partenariat. C'est ce qu'a découvert le premier ministre Brian Mulroney lorsqu'il a pris le pouvoir, en 1984. Considérant le resserrement du commerce et des liens d'investissement avec les États-Unis comme la clé du redressement de notre économie après la récession du début des années 80, il a essayé de raviver le partenariat. Il a offert aux États-Unis une politique étrangère, un soutien de la défense et une législation libérale en matière d'investissement, espérant que le président Ronald Reagan accorderait une oreille sympathique au Canada en matière économique.
Une amélioration marquée des relations américano-soviétiques a plutôt amené le gouvernement Mulroney à appuyer la politique américaine. Reagan était un président fort, mais il n'a pas pu accorder à Mulroney le traitement économique favorable que celui-ci recherchait. Le gouvernement Mulroney a donc essayé plutôt de trouver des moyens d'exploiter l'interdépendance avec les États-Unis tout en assujettissant les autorités américaines à la contrainte de la loi. Il en est résulté l'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis et l'ALENA, qui ont amélioré l'accès du Canada aux marchés américain et mexicain et qui prévoient un mécanisme de règlement des différends visant à faire échec à l'application arbitraire des lois américaines portant sur les recours commerciaux.
Le gouvernement Chrétien a essayé de tirer parti de cette approche en faisant la promotion d'un libre-échange à la grandeur de l'hémisphère, d'un libre-échange qui s'étendrait au-delà du Pacifique et de l'Atlantique, afin que le Canada puisse diversifier son commerce, élargir la base de son interaction avec les États-Unis et assurer un meilleur appui au système multilatéral de commerce. Ses efforts n'ont pas donné grand-chose, toutefois, car le gouvernement américain, limité qu'il était par le fractionnement du consensus sur le commerce intérieur qui a suivi l'ALENA, n'a pas pu jouer son important rôle de leader dans ces entreprises.
Un partenariat ravivé peut-il fournir un cadre efficace pour la gestion des relations actuelles en matière de sécurité et de commerce avec les États-Unis? Probablement pas. D'abord, rien ne prouve que le gouvernement Bush, dont le regard est décidément tourné vers la sécurité et la politique nationales, s'intéresse le moindrement à de grandes idées. De plus, lorsqu'il est entré en fonction, le président Bush a répondu aux ouvertures de rapprochement du président mexicain Vincente Fox en faisant du Mexique une importante priorité en matière de politique étrangère. Les relations avec le Mexique ont cédé le pas à la guerre au terrorisme, mais Bush demeure sensible à la position du président mexicain. Donc, toute réelle coopération officielle ne pourrait probablement survenir qu'à l'échelle nord-américaine et non entre le Canada et les États-Unis seulement.
Même si le gouvernement Bush répondait favorablement aux propositions du Canada pour des arrangements officiels plus étroits, les résultats ne sont pas garantis. Il est probablement juste de dire que la priorité de Washington est la sécurité, alors que celle du Canada est le commerce. Comment équilibrer les concessions mutuelles? Quelle coopération en matière sécuritaire équivaudrait à telle ou telle coopération économique? Quel côté établirait les critères? Les législateurs américains seraient-ils disposés à collaborer? Dans la campagne électorale continue que constitue la politique américaine, les membres du Congrès et les sénateurs seraient-ils disposés à voir plus loin que leur intérêt immédiat? Le long différend sur le bois d'oeuvre suffit à nous en faire douter.
Que devrait donc faire le Canada?
Premièrement, nous devrions continuer de rappeler aux Américains l'importance du Canada en tant que partenaire économique des États-Unis, y compris le rôle vital que joue notre pays en tant que fournisseur de pétrole, de gaz naturel et d'électricité pour le marché américain.
Deuxièmement, nous devrions continuer d'accroître nos possibilités de sécurité et de défense, non seulement pour nous gagner la confiance des décideurs américains, mais encore pour rehausser notre propre capacité de prendre les bonnes décisions au plan de la politique à établir.
Troisièmement, nous devrions poursuivre les efforts discrets que nous déployons, dans le cadre du plan d'action dit de la «frontière intelligente», pour améliorer l'infrastructure frontalière et la compatibilité des mécanismes réglementaires canadiens et américains. Cette approche a déjà produit d'excellents résultats qui, sans être spectaculaires, serviront probablement bien le Canada à court et à moyen termes.
Enfin, nous devrions nous assurer que, dans toute la mesure du possible, les relations avec Washington soient menées conformément à un système de règles dans lequel les problèmes seront traités en fonction de normes convenues. De plus, nous ne devrions pas hésiter à invoquer ces règles pour contester des mesures américaines discutables.
M. Rolf Mirus, professeur et directeur, Western Centre for Economic Research, School of Business, Université de l'Alberta: Honorables sénateurs, je suis né et j'ai grandi en Allemagne. J'ai étudié aux États-Unis, et cela fait maintenant 30 ans que je vis et travaille en Alberta. Tout cela colore inévitablement, pour ainsi dire, mon opinion.
Je suis en grande partie d'accord avec le professeur Barry; je crois, toutefois, que nous devrions peut-être nous montrer un peu plus audacieux.
Les événements du 11 septembre 2001 ont changé les États-Unis D'abord, les préoccupations en matière sécuritaire dominent. Ensuite, sont survenues en novembre des élections qui ont transformé les États-Unis. Les républicains sont majoritaires dans les deux Chambres. Enfin, le président Bush a le pouvoir de stimuler le commerce.
Au risque d'enfoncer une porte ouverte, je dirai que les États-Unis sont le plus grand client du Canada. Quarante- trois pour 100 du PIB ont été exportés aux États-Unis en 2001. Quatre-vingt-sept pour 100 des exportations de marchandises sont allées aux États-Unis. Quatre millions d'emplois canadiens dépendent du commerce, du tourisme et de l'investissement étranger direct des États-Unis. J'insiste ici sur l'investissement étranger direct à cause de son effet à longue portée.
L'Alberta exporte 41,3 pour 100 de son PIB provincial. Près de 89 pour 100 des exportations de marchandises vont aux États-Unis; 70 pour 100 des exportations de marchandises du Canada passent par cinq postes frontaliers; 90 pour 100 des exportations de marchandises du Canada passent par onze postes frontaliers. Au risque d'enfoncer une porte ouverte, je dirai que nous faisons partie d'une économie nord-américaine.
Cette intégration est aussi une source de vulnérabilité. Il est dans l'intérêt national du Canada de prendre l'initiative avec les États-Unis de sécuriser et de réorganiser leurs relations en matière commerciale et sécuritaire. Le statu quo ne constitue pas vraiment une option. Les fermetures et les ralentissements à la frontière sont très risqués. Ils peuvent décourager l'investissement étranger direct, et le traitement au cas par cas n'est peut-être pas pratique dans un tel climat. Il faut mettre nos intérêts commerciaux vitaux à l'avant-plan de nos préoccupations.
Sénateurs, nous ne saurions prospérer sans les États-Unis. Il n'est pas réaliste de prétendre le contraire. L'accès au marché américain est vital pour le Canada.
Dans mon mémoire au présent comité, je préconise que le Canada développe des relations commerciales plus officielles avec les États-Unis, une union douanière, par exemple, à laquelle le Mexique pourrait se joindre plus tard. L'union douanière, officielle ou officieuse, reconnaît qu'il y a un seul marché nord-américain. Les produits venant de l'extérieur, où qu'ils arrivent, sont visés par les mêmes droits de douane, le même régime d'inspection, les mêmes procédures, au Canada comme aux États-Unis. Les produits importés de l'extérieur de l'Amérique du Nord ne seront plus meilleur marché aux États-Unis ou au Canada par suite d'une différence dans les tarifs douaniers. Cela signifie que nous n'avons plus besoin des règles d'origine. L'objet de celles-ci est d'empêcher l'importation dans le pays au tarif douanier le plus bas en vue d'un transbordement dans le pays au tarif douanier le plus élevé. Les règles d'origine agissent malheureusement de mesures protectionnistes, et elles sont coûteuses à administrer. Certains estiment que les règles d'origine dans la Zone européenne de libre-échange haussent de 3 à 5 pour 100 le coût des exportations. Un tarif douanier externe commun établirait une neutralité de destination pour les importations en Amérique du Nord.
Qu'est-ce que cela suppose? Deux choses, à mon avis. Cela suppose la négociation par un groupe de travail mixte d'un tarif douanier externe commun avec les États-Unis. Je ne préconise pas que nous refaisions l'ALENA. Je crois que cela peut se faire au moyen d'améliorations graduelles, comme l'a laissé entendre le professeur Barry. Il nous faut davantage d'institutions communes, en tout cas, pour nous adapter à une intégration de plus en plus grande et pour résoudre des contrariétés de plus en plus nombreuses.
Je propose la création d'un groupe de travail mixte et la conclusion d'accords parallèles à l'égard des embargos, tel celui qui frappe Cuba. Comme nous ne pouvons pas adhérer à la politique étrangère américaine, il nous faut conclure des accords parallèles.
Nous pourrions supprimer progressivement les règles d'origine. Nous pourrions exclure l'agriculture et d'autres secteurs sensibles. Nous pourrions établir des périodes de transition.
Le tarif douanier externe commun — et nos tarifs douaniers respectifs ne sont déjà pas si différents que cela l'un de l'autre — nous amène à adopter des procédures administratives communes à l'égard des échanges de biens et de services avec d'autres pays, diminuant la nécessité d'avoir une frontière commune pour le mouvement commercial.
Si l'on suppose l'existence d'un seul marché nord-américain, la deuxième mesure à prendre serait d'obtenir que les Américains cessent d'appliquer leurs lois antidumping et sur les subventions compensatrices, un peu comme le font les Européens avec leur marché commun unique et leur bureau de la concurrence unique. L'intégration ne sera pas aussi étendue en Amérique du Nord. Je ne préconise pas cela, mais nous pourrions demander aux Américains d'assujettir les importations canadiennes à leur tribunal de la concurrence, à savoir la Federal Trade Commission ou FTC. Ce tribunal s'occupe de tous les problèmes de concurrence interne, de tous les problèmes de commerce déloyal. De la même manière, nous assujettirions les importations des États-Unis à notre Bureau de la concurrence.
Je dirais que 95 pour 100 des cas d'antidumping et de subventions compensatrices que traite aujourd'hui la FTC ne vaudraient plus. Le bilan de la FTC, aux États-Unis, n'est pas arbitraire, professeur Barry, mais reflète une étude sérieuse de l'économie de chacun des cas. Les produits canadiens seraient assujettis à la FTC aux États-Unis. Les produits américains seraient assujettis au Bureau de la concurrence au Canada. C'est comme cela que s'y prennent les Européens. En fait, les Européens ont un système centralisé.
Ces deux mesures amèneraient une union douanière, officielle ou officieuse. Les produits canadiens auraient vraiment accès au marché.
Qu'est-ce que le Canada a à offrir? Il faut le faire savoir aux États-Unis. Le professeur Barry a dit ce que nous avons à offrir. Nous nous engageons à ouvrir les marchés, dont celui de l'énergie, et nous nous engageons à assurer la sécurité de notre frontière. Les États-Unis bénéficieront donc d'un approvisionnement énergétique sûr et d'une frontière sûre. Le Canada est, après tout, le principal fournisseur de pétrole des États-Unis. En 2001, je crois que nous avons exporté 14,5 milliards de barils aux États-Unis; nous étions donc leur principal fournisseur d'énergie. Nous avons certes là un moyen de négociation.
Nous pourrions avoir des protocoles administratifs communs pour les marchandises et les services, y compris les mesures de sécurité pour les navires et les avions, afin de dissiper les préoccupations américaines en matière sécuritaire. Nous céderions là une petite partie seulement de notre souveraineté, car je ne propose pas que nous ayons un marché commun pour les personnes, la libre circulation des personnes.
Je m'inquiète pour la libre circulation des biens et des services entre le Canada et les États-Unis. Il nous faut des gens pour faire l'entretien des machines, des consultants, et cetera. C'est déjà le cas. C'est déjà évident.
Je ne dis pas qu'il faille ouvrir la frontière à la libre circulation des personnes, comme le supposerait un marché commun. Je n'exige pas un marché commun.
Bref, je propose que nous fassions preuve d'audace et que nous profitions d'un ensemble de facteurs qui font que, aux États-Unis, le président exerce un certain pouvoir dans les deux Chambres et peut stimuler le commerce. Nous devrions aborder la question de façon officieuse et voir ce que cela donnera. Si nous n'essayons pas, nous ne le saurons jamais.
Le président: J'ai l'impression que l'Accord de libre-échange présente des avantages et des inconvénients. Nous avons entendu à Vancouver un témoignage très intéressant voulant que le taux de change a peut-être été aussi important que l'Accord de libre-échange, notamment si l'on compare les importations américaines au Canada aux exportations canadiennes aux États-Unis. Le pourcentage des importations américaines au Canada est aujourd'hui à peu près le même que lorsque l'Accord de libre-échange est entré en vigueur. Toutefois, il est à peu près aussi élevé qu'il peut être à ce moment-ci.
Vous dites, professeur Mirus, que nous devons faire preuve d'audace, mais c'est très difficile dans ce climat d'inquiétude en matière sécuritaire. Comment faire alors que les Américains internalisent tout?
L'autre problème dont nous n'avons pas tenu compte, je crois — nous en avons entendu parler, mais nous n'y avons pas réfléchi — c'est qu'il y a des élections tous les deux ans aux États-Unis, ce qui veut dire qu'on y est toujours en campagne électorale. Les démocrates essaieront manifestement de regagner le Congrès, et les questions et problèmes régionaux en matière commerciale nous occuperont pendant un certain temps, en partie à cause de ce cycle électoral de deux ans.
L'État de New York, surtout le nord de l'État de New York, dépend du commerce avec le Canada. La région est en général défavorisée et, pourtant, madame le sénateur Clinton ne cesse de dire qu'il y a des problèmes de sécurité à la frontière entre le Canada et les États-Unis. D'abord, vous dites qu'il n'est pas sûr que cela soit vrai. Je ne crois pas que cela soit vrai. Non seulement ce «n'est pas sûr», mais ce n'est pas vrai. Ensuite, il me semble qu'elle voudrait s'assurer que la circulation soit fluide à la frontière, car c'est important pour l'économie de villes comme Buffalo.
Que dire de l'OMC et du Cycle de Doha? Je sais aussi bien que tout le monde qu'on dit que le Cycle de Doha ne finira jamais. J'en suis conscient, mais le Cycle de Doha ne permettra-t-il pas de supprimer des barrières commerciales? Croyez-vous qu'un pays s'engagera avant d'avoir exposé clairement sa position au Cycle de Doha?
M. Mirus: Je suis disposé à parler des perspectives du Cycle de Doha dans la mesure où celui-ci peut servir de tremplin.
Le Cycle de Doha est très difficile parce que, dans le cycle précédent, le Cycle d'Uruguay, les pays pauvres et les pays en développement ont été déçus. Ils n'ont pas obtenu l'accès au marché auquel ils croyaient avoir droit et auquel ils avaient droit, à mon avis. Ils ont été très déçus et ils vont jouer très serré cette fois-ci. À moins que l'Europe ne fasse des concessions en matière agricole, ce cycle n'augure rien de bon. Aucune des négociations auxiliaires visant à réduire les obstacles aux services et à étendre l'accord à d'autres régions n'aboutira tant que la question agricole n'aura pas été résolue.
M. Barry: L'agriculture est une pierre d'achoppement énorme, et rien ne permet de croire que la question agricole sera résolue dans un avenir immédiat. C'est justement à cette question que les pourparlers s'achoppent à l'heure actuelle.
Le président: Le présent comité comprend assez bien cela. Pour avoir mené deux ou trois études sur la question, nous connaissons plutôt bien la situation de l'Union européenne. Il faudra, certes, que la question agricole soit réglée, car il faudra s'occuper des incidences budgétaires.
M. Barry: Il se peut que les Européens acceptent de bouger parce qu'ils devront affronter cet obstacle lorsqu'ils admettront de nouveaux membres dans l'Union européenne. Ils ne peuvent tout simplement pas se permettre les énormes subventions dont auront peut-être besoin ces pays, et ils devront peut-être régler la question à l'intérieur de l'Union avant d'accepter de bouger à l'extérieur de celle-ci.
Le président: Ils ne diront rien tant qu'ils ne seront pas prêts à dire ce qu'ils ont à dire.
M. Barry: Peut-être pas.
Le sénateur Di Nino: Les trois ou quatre dernières semaines ont été intéressantes. Nous voyons bien que les problèmes se ressemblent, en ce sens que les experts qui ont témoigné devant nous cherchent autant que nous des solutions à ces problèmes.
Vous constaterez que la Colombie-Britannique s'intéresse tout particulièrement au bois d'œuvre et l'Ouest, au Farm Bill et aux problèmes agricoles. Il n'y a vraiment que trois ou quatre ou cinq choses qui intéressent à peu près tout le monde.
Dans votre mémoire, professeur Barry, vous parlez des allégations des médias et des législateurs américains sur la porosité de la frontière entre le Canada et les États-Unis et sur le manque d'enthousiasme d'Ottawa à l'égard des politiques du gouvernement Bush. On nous a laissé entendre que nous ne réussissions vraiment pas à nous mettre en valeur auprès des Américains ni à leur faire comprendre qui nous sommes et ce que nous sommes, et que nous laissions peut-être trop des politiciens américains comme le sénateur Clinton faire des déclarations gratuites à notre égard.
Peut-être que nous, Canadiens, ne comprenons pas aussi bien que nous le devrions la réalité et le régime politiques américains. Peut-être que nous ne tenons pas suffisamment compte du fait, notamment, que la politique se fait beaucoup au niveau local aux États-Unis, beaucoup plus qu'au Canada. Êtes-vous d'accord là-dessus, et que pourrions-nous faire, selon vous, pour résoudre le problème?
M. Barry: Nous comprenons le problème, mais il faut consacrer davantage de ressources à le résoudre. Notre ambassade à Washington, en particulier, accomplit de l'excellent travail, mais elle dispose pour cela de ressources limitées.
La presse américaine nous éreinte. Les mythes qu'elle diffuse sont bien souvent repris par des législateurs américains, qui devraient avoir un peu plus de bon sens, mais qui sont très influencés par les médias et les préoccupations régionales.
C'est un travail très difficile et il n'y a pas de solution, à mon avis. On a proposé des campagnes médiatiques et d'autres choses du genre, mais je crois que cela donnerait des résultats limités.
Nous avons besoin de ressources pour nous faire valoir dans tout le pays, ce que nous faisons déjà. L'ambassadeur et le consul général ont beau travailler fort à la grandeur des États-Unis, notre couverture est plutôt limitée. Je crois que nous avons seulement 10 à 12 consulats.
Le président: À peu près.
M. Barry: Cela donne une portée très limitée. Compte tenu des liens entre les deux pays, il faut multiplier nos représentations là-bas afin qu'on sache bien que le Canada est un partenaire sûr des États-Unis en matière sécuritaire et un partenaire économique important de ce pays.
Le sénateur Di Nino: Que dire de la proposition de plus d'un témoin qu'il faudrait créer des alliances stratégiques, notamment, comme le disait le président, avec le nord de l'État de New York, qui est fortement tributaire du marché ontarien, du secteur du bois d'oeuvre, de la Home Builders' Association, et cetera? À votre avis, consacrons-nous suffisamment de ressources à ces choses et atteignons-nous les bonnes cibles?
M. Barry: Le problème fondamental de nos relations commerciales avec les États-Unis se situe dans la nature de notre impact sur ce pays. Comme l'impact est sectoriel et régional, les diverses perceptions du Canada donnent rarement une image globale au plan national, si ce n'est une opinion générale plutôt anodine et peu éclairée.
Compte tenu de la nature de notre impact, les voix sectorielles et régionales aux États-Unis l'emportent souvent lorsque des décisions sont prises, notamment au Congrès. Il nous faut des alliés pour contrer les pressions venant de ces sources, si ces pressions nous font du tort. Pour y arriver, il faut bâtir une nouvelle coalition à chaque fois, ce qui n'est pas facile. Il n'existe pas à proprement parler de coalitions permanentes. Pour chaque nouveau problème, il faut construire une nouvelle coalition. C'est ce qui rend les choses difficiles pour nous.
Le sénateur Di Nino: Vous parlez des relations entre Bush et Fox, entre les États-Unis et le Mexique, notre autre partenaire à l'ALENA, et beaucoup d'électeurs du sud des États-Unis sont d'origine latino-américaine. De nombreux Mexicains votent comme les autres immigrants latino-américains. Un témoin nous a dit que, avant les dernières élections, Bush voulait avoir le contrôle tant de la Chambre des représentants que du Sénat. Il savait qu'il lui fallait obtenir des votes dans des États du Sud pour reprendre le contrôle des deux, et cela a beaucoup joué. Est-ce vrai?
M. Barry: Dans les relations entre le Mexique et les États-Unis?
Le sénateur Di Nino: Oui.
M. Barry: Il y a trois raisons pour lesquelles cela a beaucoup compté dans l'élection de Bush.
Premièrement, bien sûr, en tant que gouverneur du Texas, Bush connaissait bien les problèmes frontaliers.
Deuxièmement, il y avait des problèmes frontaliers urgents à régler. Bush connaissait M. Fox. M. Fox était allé dans l'État mexicain de Guadalajara, je crois. Bush connaissait personnellement M. Fox.
Troisièmement, les quelque 35 millions d'Américains qui sont hispanophones constituent une force considérable dans la politique électorale américaine. La question est de savoir ce que cela a apporté jusqu'à maintenant aux relations entre le Mexique et les États-Unis. Pas grand-chose, en fait.
M. Fox est insatisfait du peu de progrès qui a été accompli dans le règlement des problèmes urgents entre les deux pays, celui de l'immigration, notamment. Le Mexique éprouve aussi des problèmes en ce moment dans ses relations avec les États-Unis.
Le sénateur Di Nino: Professeur Mirus, je serais heureux de savoir ce que vous pensez aussi de ces problèmes, mais le principal problème, si j'ai bien compris vos exposés oral et écrit, réside dans la création d'une union douanière au sein de l'ALENA. Des témoins nous en ont parlé; certains étaient en faveur et d'autres, résolument contre. Un des principaux opposants a dit qu'union douanière serait catastrophique, surtout parce qu'il nous faudrait adopter et respecter les règles américaines au lieu des nôtres et que ce n'est pas du tout ce que nous voulons. Peut-être pourriez- vous nous dire ce que vous en pensez?
M. Mirus: Je dirai d'abord quelques mots sur deux ou trois questions à l'étude.
Pour ce qui est du taux de change, monsieur le président, tant les exportations vers les États-Unis que les importations au Canada ont considérablement augmenté depuis la signature de l'ALENA, et le taux de change n'y est pas complètement étranger. La croissance des importations est tellement marquée, toutefois, que son incidence est faible. Je crois que l'ALENA a beaucoup joué.
Quant à vendre le Canada aux États-Unis, je vous dirai que j'ai fréquenté l'Université du Minnesota, où je me suis entretenu avec des Américains cultivés. Or, ceux-ci croyaient que le Japon et la Chine étaient les principaux partenaires commerciaux des États-Unis, et non le Canada. Pourquoi? Parce que ces pays-là sont plus en vue. Ils sont très puissants au plan politique, alors qu'on tient le Canada pour acquis. Le Canada, c'est l'ami sûr, au Nord, dont on n'a pas besoin de s'inquiéter.
Le président: Je suppose que les Américains voient la mention «Fabriqué en Chine» partout, alors qu'il n'y a rien d'écrit sur l'huile de canola qu'ils achètent.
M. Mirus: Il est très difficile pour une petite puissance comme le Canada de se faire connaître aux États-Unis. Des universitaires, tels le professeur Barry et moi-même, reçoivent des invitations. C'est encourageant, mais notre contribution n'est qu'une goutte d'eau dans la mer. Nous n'atteignons pas beaucoup de monde, même lorsque nous en avons le temps.
Les relations personnelles entre les politiciens américains et canadiens sont sous-exploitées. Le commerce Nord-Sud suppose désormais que nous soyons plus actifs — disons, le premier ministre Klein et les gouverneurs du Dakota du Nord et du Montana — et ainsi de suite. Des relations de ce genre commencent à se développer. Les relations entre le Michigan et l'Ontario, par exemple, ne peuvent que s'améliorer, à mon avis. En effet, les excellentes relations personnelles qu'entretiennent Tom Ridge et le ministre des Finances, John Manley, seront utiles. Meilleures sont les relations personnelles et mieux c'est pour nous. Un coup de téléphone suffit.
Il est vrai qu'une véritable union douanière, une union douanière typique, suppose la perte progressive de sa souveraineté. Nous perdons déjà notre souveraineté dans le commerce Nord-Sud, qui nous est absolument essentiel. Il faut se rendre à l'évidence: lorsqu'on vit près d'un éléphant, il faut faire quelques compromis.
Il faut voir où réside notre intérêt national et, en tant qu'économiste, je crois qu'il réside dans l'emploi, le négoce et l'économie. Nous ne pouvons nous permettre des programmes environnementaux, des programmes sociaux, des bourses d'études ou quoi que ce soit d'autre pour les Canadiens que si notre économie est prospère — nous dépendons donc des États-Unis
Je suis prêt à céder un peu au chapitre de la souveraineté. Je ne céderai rien au chapitre de l'immigration. Je crois que nous garderons nos critères canadiens à cet égard. Je ne céderai pas en ce qui concerne Cuba. Comme ce n'est pas une bonne politique pour les Américains, il nous faudra prévoir des accords parallèles prévoyant que l'embargo cubain ne s'applique pas au Canada.
Nous pouvons avoir un tarif douanier externe commun. Au plan administratif, c'est un espace nord-américain. Que cédons-nous à cet égard? Nous pouvons y penser, mais nos tarifs douaniers ne sont plus tellement différents l'un de l'autre. Si les négociations à l'OMC aboutissent, les tarifs douaniers disparaîtront de mon vivant. Nous aurons une union douanière sans tarif douanier externe commun. Voilà où on en arrivera éventuellement.
Je dirais que nous pouvons satisfaire les Américains quant à la sécurité des arrivées transatlantiques aux aéroports de Montréal, de Toronto et de Vancouver de telle sorte qu'ils soient assurés que nos inspections à la frontière n'augmentent pas leurs risques pour la sécurité. Ils ont assez des leurs. S'ils peuvent nous faire confiance pour les inspections à la frontière, et si nous traitons les formules de douane de la même manière qu'eux, cela facilitera les choses. La frontière commune ne posera alors plus aucun problème, car les préoccupations en matière sécuritaire seront dissipées ou réduites, et nous instaurerons la confiance.
Je conviens avec le professeur Barry que les États-Unis nous feraient davantage confiance si nos forces armées étaient mieux équipées. Je suis on ne peut plus d'accord avec lui. Les blagues que font les Américains à propos des Sea King m'embarrassent.
Le sénateur Setlakwe: Ma première question concerne nos relations avec la Commission européenne. En effet, grâce à votre expérience, vous êtes bien au fait de nos relations commerciales avec la CCE.
La Table ronde Canada-Europe, la TRCE, se réunit chaque année. Depuis que nous y avons participé, il y a deux ans, a-t-on fait des progrès dans la libéralisation des échanges entre le Canada et l'Europe?
La semaine dernière, l'ancien ministre du Commerce international, Roy MacLaren, nous a dit que Pascal Lamy avait déclaré que le libre-échange entre le Canada et l'Europe ne pouvait pas se faire. J'ai trouvé cela plutôt draconien, étant donné que les deux côtés semblaient vouloir libéraliser les échanges. Je connais les obstacles que constituent les politiques agricoles en l'Europe ainsi qu'aux États-Unis.
Nos échanges commerciaux avec l'Europe sont passés de 25 ou 28 à 5 pour 100, et cela, même si l'Europe représente 25 pour 100 de l'investissement étranger direct au Canada et inversement. Peut-être devrions-nous oublier cela et nous concentrer sur ce dont parle le professeur Mirus, soit une union douanière avec les États-Unis.
Professeur, vous avez bien dit que nous devrions continuer de rappeler aux Américains l'importance du Canada en tant que partenaire économique des États-Unis, y compris le rôle vital que joue notre pays en tant que fournisseur de pétrole, de gaz naturel et d'électricité pour le marché américain.
Hier, nous avons appris que l'Association canadienne des producteurs de pétrole se réjouissait fort des concessions faites par le Canada. Je croirais que, dans ce domaine — soit l'électricité, le pétrole et le gaz naturel — il existe bel et bien une sorte d'union douanière entre le Canada et les États-Unis.
Lorsqu'on demande aux secteurs qui en bénéficient s'ils seraient disposés à intervenir en faveur de ceux qui ne sont pas aussi bien servis par les Américains, ils disent que ce n'est pas dans leur intérêt. Il faut y songer, car les droits compensateurs et antidumping imposés par les Américains nous causent du tort. Un seul secteur très important de notre économie n'est pas visé par des droits compensateurs parce que cela arrange les Américains. Aucun groupe de pression, sectoriel ou général, ne se plaint aux États-Unis des importations de pétrole et d'électricité, alors que beaucoup le faisaient certes avant 1970. Si les Américains trouvent d'autres sources de pétrole et de gaz naturel ailleurs dans le monde, ils ne seront peut-être plus aussi généreux avec nous.
Ce sont là des généralités qui m'ont traversé l'esprit pendant votre exposé à tous deux, ce matin.
Professeur Mirus, vous avez dit dans votre exposé que l'Union européenne, qui est née d'un engagement commun non seulement à promouvoir les intérêts économiques des pays membres, mais aussi à éviter la guerre, aspire à devenir une fédération en tant qu'union politique. L'Union européenne comprend tellement d'États souverains qui sont disposés à sacrifier leur indépendance. En Amérique du Nord, toutefois, si l'on exclut le Mexique, qui est un acteur mineur, pourquoi le Canada voudrait-il entrer dans une union douanière et une éventuelle union politique avec les États-Unis, étant donné que l'économie et la population américaines sont dix fois plus importantes que celles du Canada? Nous ne gagnerions pas beaucoup à entrer dans une union douanière. Cela a déjà été dit par de farouches opposants à une union douanière. Leur principale raison de contester l'union douanière est que, selon eux, l'économie et la population américaines sont tellement importantes qu'elles nous absorberaient complètement.
M. Barry: Je crois que nos relations avec l'Union européenne sont pour nous d'une importance vitale. Pour commencer, plus nous nous intégrerons aux États-Unis et moins nous serons en vue partout ailleurs, alors que le Canada a des intérêts mondiaux. Nos autres liens sont donc importants, y compris nos liens avec l'Europe.
Nous partageons avec les Européens tellement de valeurs et d'intérêts sur lesquels fonder des relations. Dans la mesure où les Européens comprendront — et ce sont eux qui se montrent réticents jusqu'à maintenant — qu'il est dans leur intérêt d'y consentir.
Les relations entre le Canada et l'Union européenne ont pris énormément d'ampleur depuis 1996, mais il faudrait les endiguer dans une entente de partenariat qui leur donnerait une dimension stratégique et qui reconnaîtrait l'importance que les deux côtés leur accordent. Je l'ai proposé maintes fois, mais la réaction est toujours mitigée.
Il existe une certaine inertie au sein de la Commission européenne. Nous ne pouvons pas faire cela, car cela créera des attentes peu réalistes. Il vaudrait la peine d'approfondir la chose.
Le sénateur Setlakwe: J'ai oublié de signaler que j'ai appris la semaine dernière qu'il y aura une conférence de promotion du commerce entre le Canada et l'Europe, en Grèce, au printemps, et une autre en décembre. On y discutera de tout ce qui concerne le libre-échange et les barrières tarifaires. On veut discuter, par exemple, de règlement, d'investissement et de circulation des personnes, en général, et des professionnels en particulier.
M. Barry: C'est vrai. Il serait très utile qu'une entente porte sur toutes les facettes des relations, qui sont plutôt nombreuses à ce moment-ci. Il est vrai, comme vous le dites, que le commerce demeure au coeur des relations.
L'accueil réservé au libre-échange est soit enthousiaste, soit tiède, tout au plus. La Commission européenne semble considérer le Canada comme un marché libre, mais petit, qui n'apporterait que des bienfaits limités à la communauté. Du côté canadien, des représentants du secteur commercial soutiennent que nous devrions concentrer nos efforts sur le marché américain, sur l'OMC, où cela compte le plus, à leur avis.
En 1999, le Commissaire du commerce extérieur Lamy s'est dit prêt à envisager une analyse de rentabilisation du libre-échange. Depuis lors, un certain nombre d'études menées des deux côtés, mais surtout du côté canadien, ont révélé un appui substantiel pour le libre-échange. La première, qui a été menée par le ministère des Affaires étrangères, a montré qu'un accord de libre-échange serait avantageux pour les deux côtés. La Commission européenne et le ministère canadien des Affaires étrangères ont tous deux convenu de mener une enquête auprès des entreprises. L'enquête auprès des entreprises canadiennes, dont le rapport a été publié en novembre, a montré que les entreprises étaient très majoritairement en faveur du libre-échange. La Commission européenne n'a pas publié son rapport.
En décembre, le commissaire Lamy semble avoir changé quelque peu son fusil d'épaule. Après avoir dit qu'il était prêt à envisager une analyse de rentabilisation, il a soutenu en décembre, juste avant le sommet canado-européen, qu'il vaudrait mieux résoudre les problèmes d'accès au marché dans le cadre du Cycle de Doha.
Le gouvernement canadien a accepté de se contenter d'un accord de promotion du commerce et de l'investissement, dont le contenu n'a pas encore été établi, à ma connaissance. Apparemment, on est censé l'examiner et en faire rapport au sommet de décembre 2003.
La Table ronde Canada-Europe est évidemment à l'avant-garde des initiatives de promotion du libre-échange avec l'Union européenne, mais ses efforts, comme ceux du gouvernement canadien d'ailleurs, n'ont pas vraiment porté fruit, du moins jusqu'à maintenant. Il reste à voir ce que donnera cet engagement d'établir un accord de promotion du commerce et de l'investissement. Les deux côtés sont convenus d'examiner l'ensemble des relations, et d'en faire rapport en décembre prochain aussi, je crois. Voilà où nous en sommes à l'heure actuelle.
M. Mirus: Je veux revenir sur les observations du professeur Barry au sujet de négociations avec l'Union européenne. Je crois que ce serait une perte de temps, compte tenu des relations commerciales, compte tenu de la complexité, compte tenu du nombre limité de négociateurs commerciaux que nous avons et compte tenu du fait que tout résultat négocié devrait être compatible avec l'ALENA. Autrement dit, les résultats ne sauraient être incompatibles avec nos obligations envers nos partenaires américains. L'entreprise est très complexe.
Le sénateur Setlakwe: Vous dites que ce serait futile de notre part.
M. Mirus: Futile, non, car tous les accords commerciaux, tous les accords de libre-échange, présentent des avantages.
Le sénateur Setlakwe: Ce ne serait pas très productif.
M. Mirus: Ce ne serait pas très productif.
Le sénateur Setlakwe: Néanmoins, le Mexique a conclu un accord commercial avec les Européens. Les Américains négocient avec les Européens et ceux-ci négocient avec les Américains. Pourquoi ne ferions-nous pas la même chose?
M. Mirus: Nous pouvons le faire mais, pour ce qui est du côté américain du libre-échange avec les Européens, nous reprendrons les dispositions qui existent déjà, car si l'investissement vient en Amérique du Nord, nous devrons montrer que nous ne faisons pas aux Européens des conditions qui soient différentes de celles que nous faisons aux Américains. Nous profiterions de l'accord conclu par les Américains, et je ne vois pas ce que nous gagnerions à négocier séparément avec les Européens.
Nous avons de solides liens culturels, politiques et autres avec les Européens, et je voudrais que nous les entretenions, mais des négociations commerciales sont complexes. Le Canada est à bien des égards un exportateur de produits agricoles. Les Européens imposent des barrières dans ce secteur, et cela ne changera pas. Ils ont beaucoup de problèmes à cet égard. Pour eux, nous venons au 15e ou au 50e rang; c'est pourquoi je suis donc plutôt pessimiste. Je conviens, toutefois, que le libre-échange vaut mieux que pas de commerce du tout. Cependant, vous pouvez peut-être entretenir cela tranquillement et avoir votre Table ronde Canada-Europe. Je ne dis pas que vous devriez abandonner cela; je dis que nous ne devrions pas espérer des résultats rapides de ce côté-là.
Pour ce qui est de l'union douanière, la différence de taille et le manque de symétrie entre le Canada et les États-Unis rendent difficile la négociation d'un tel accord. Nous n'avons pas beaucoup de pouvoir de négociation en tant que plus petit pays. Cela étant dit, ce qu'il nous faut, en fait, en tant que petit pays, c'est une réglementation du commerce, comme l'a dit le professeur Barry. Il nous faut des règles pour pouvoir mener des affaires sans être tout le temps à la merci de la superpuissance. Par conséquent, une amélioration graduelle des règles serait la bienvenue.
Ce ne sera pas facile et nous nous heurterons à beaucoup de petits obstacles, mais si nous n'avons pas le courage de prévoir 10, 15 ou 20 ans d'avance, nous ne faisons pas notre travail d'universitaires. Le statu quo n'est peut-être pas une option à long terme.
Nous avons peut-être une possibilité. Les Américains veulent notre énergie, oui, et ils la prennent volontiers. Ils ne veulent pas de notre bois d'oeuvre, et je n'aime pas cela. La conjoncture est peut-être favorable pour lier des questions comme la sécurité et le commerce, puis redéfinir les relations. Il n'y a pas de mal à en parler.
Le sénateur Setlakwe: Vous liez bel et bien la sécurité avec la possibilité d'une union douanière. J'ai présenté au Sénat un projet de loi visant à modifier la Loi sur l'Agence des douanes et du revenu du Canada. C'était avant le 11 septembre 2001. Il s'agissait d'une mesure législative visionnaire. Le projet de loi visait, et réussissait, je crois, à modifier la loi de telle sorte que les expéditions entre les deux pays soient soumises à une inspection et à une autorisation avant d'arriver au point de dédouanement. Le projet de loi s'appliquait aussi aux personnes qui arrivent aux aéroports, prévoyant le dépistage des cas à risque élevé et autres choses du genre.
Pour ce qui est de la sécurité, on a signalé l'amitié qui lie le ministre Manley et l'Américain Tom Ridge et le fait qu'il n'existe aucun véritable goulot d'étranglement en matière sécuritaire, ni certes aucune intention d'en créer un. Par conséquent, je crois que nous nous conduisons en bons voisins et en bons citoyens du monde.
Le sénateur Di Nino: Vous dites qu'il faut faire comprendre aux Américains toute l'importance du Canada. Le Canada est le principal client, le principal partenaire commercial, de 38 États des États-Unis. Nous sommes leur principal fournisseur d'énergie. Nous comprenons comment cela se fait et nous comprenons les règles. C'est certes une des choses que nous devons leur rappeler sans cesse, s'il le faut, et il semble qu'il le faille.
L'autre question qui m'est venue à l'esprit pendant que vous parliez, c'est le fait que nous avons une autre denrée essentielle — l'eau. Je regrette vraiment de devoir le dire, mais un de ces jours, elle se posera d'une manière telle que nous ne pourrons pas l'éviter. Ces gens-là vont avoir besoin de notre eau. C'est certes là un autre élément qui peut entrer en ligne de compte au cours de la discussion.
M. Barry: Pour revenir à votre première observation sur la nécessité de transmettre le message canadien à la grandeur des États-Unis, le problème, en fait, c'est qu'il n'existe pas, aux États-Unis, de base politique et économique canadienne sur laquelle nous puissions compter.
Le sénateur Di Nino: Pas de votes.
M. Barry: Pas de votes. Nous ne sommes pas comme les Américains hispanophones ou tout autre groupe ethnique aux États-Unis, si je puis dire, ou tout autre groupe national. Il s'ensuit que nous devons créer une coalition chaque fois que surgit un problème. Il faut trouver des leviers à actionner, et ce n'est pas une tâche facile.
Ce que vous proposez, je crois, c'est que nous nous servions de denrées aussi essentielles que l'eau comme moyens de négociation stratégiques. Je ne vois pas très bien comment on pourrait justifier l'échange d'eau contre autre chose, ou d'énergie contre le bois d'oeuvre. N'oubliez pas que cette idée a soulevé beaucoup de résistance, le printemps dernier.
Je ne suis pas sûr qu'on puisse régler les problèmes au moyen d'échanges secteur par secteur. Je crois qu'il faut inclure cela dans quelque chose de plus global mais, alors, l'entreprise devient énorme et complexe. Les autres arrangements qu'on a proposés ici aujourd'hui, tel le tarif douanier externe commun, me plaisent parce qu'ils lient la sécurité à l'économie et à tout le reste. Tout est là d'une façon ou d'une autre, mais la question est de savoir si cela devient trop lourd à administrer.
Le sénateur Di Nino: Ce que je veux savoir, c'est si nous nous servons de ces outils. Arrivons-nous à faire comprendre ces choses aux Américains? En fait, nous faisons-nous bien valoir? Voilà ce que je voulais vraiment dire. Je conviens que l'entreprise est monstrueusement difficile, mais le Canada trouve-t-il les bonnes choses à dire à la table? Telle était ma question. Je ne l'ai peut-être pas bien formulée.
M. Barry: Nous faisons ce que nous pouvons, mais nous avons besoin de ressources pour faire plus. Par ailleurs, nous avons maintenant un énorme obstacle à contourner. On ne saurait surestimer le fait que les Américains se sentent très vulnérables à l'heure actuelle. Il s'ensuit que la sécurité est leur grande priorité. Le Canada aura beau faire tout ce qu'il faut, il aura beaucoup de mal à convaincre maintenant les Américains qu'il fait tout ce qu'ils croient devoir être fait.
Cela étant dit, je crois que nous parlons ici de perceptions publiques et de perceptions législatives. Nous devrions collaborer officieusement avec les hauts fonctionnaires américains à mettre au point des ententes pratiques. Je ne crois pas qu'une collaboration officielle serait très productive à ce moment-ci car, compte tenu de toutes les préoccupations actuelles en matière sécuritaire, nous n'arriverions probablement à rien de vraiment pratique.
M. Mirus: Je suis plutôt d'accord avec vous. Je ne veux pas soulever la question de l'eau. Les Canadiens ne veulent pas en entendre parler et il vaut peut-être mieux oublier cela.
Les Américains sont des gens avisés. Ils savent qu'ils ont besoin d'énergie. Ils veulent construire le pipe-line de l'Alaska et le faire passer par le Yukon grâce, peut-être, à des subventions. Ils savent qu'ils ont besoin de l'énergie, du gaz naturel et de l'électricité du Canada, notamment. Ils le savent.
Si nous allions au-delà de la méthode ponctuelle et progressive pour régler les problèmes à la frontière, je peux envisager un monde où nous appliquerions des procédures communes à l'égard des autres pays, créant ainsi un périmètre nord-américain. Les formulaires de douanes sont les mêmes et les formalités sont très similaires. Certes, la situation est différente quant aux réfugiés et à Cuba. La question de l'eau pourrait être explorée plus tard, peut-être officieusement. On ne va pas au devant de ce genre de chose, mais il ne faudrait pas l'ignorer. Ce dossier devrait être étudié car, à l'avenir, cela pourrait mettre cette importante relation commerciale sur une meilleure voie.
L'intégration sera un jour plus poussée. C'est inévitable. L'attraction nord-sud est très grande. Comme vous l'avez dit, le Canada est le principal fournisseur de 38 États américains. Ça ne changera pas.
Que pouvons-nous faire pour que le Canada soit mieux connu? Nous pouvons dépenser beaucoup d'argent pour faire de la publicité dans les journaux, mais je ne pense pas que ce soit très rentable. Je pense que nous devons simplement adopter certaines politiques.
La meilleure publicité pour faire connaître le Canada serait de rééquiper nos forces armées, prouvant ainsi que la défense nous tient à coeur et que nous ne sommes pas des profiteurs. Cela pourrait attirer leur attention.
Le sénateur Setlakwe: Nous pourrions également intervenir auprès des pays amis et ensemble les convaincre que la paix vaut mieux que la guerre.
Le président: Je pense que nous devrions nous rappeler que oui — et le sénateur Di Nino a parfaitement raison — nous sommes très importants pour ces 38 États. Par ailleurs, 35 p. 100 de notre PIB dépend de nos échanges commerciaux avec les États-Unis, alors que seulement 2 p. 100 de leur PIB dépend de leurs échanges commerciaux avec nous. Si leur taux de croissance cette année était de 2,5 p. 100 et qu'ils interrompaient complètement les échanges commerciaux avec le Canada, ils auraient quand même un taux de croissance de 0,5 p. 100. Ce point de vue est très important.
J'aimerais revenir sur la question de la frontière et, si je le peux, sur celle de l'Union européenne. Nous savons que ce n'est pas une solution de rechange à un pays situé juste à côté. C'est évident. Par ailleurs, l'Union européenne est le seul autre grand marché au monde: son PIB, selon le taux de change, est à peu près égal à celui des États-Unis. Or, nous en sommes essentiellement coupés.
Quand la dépression prendra fin au Japon, ce qui n'est pas pour bientôt, la région Asie-Pacifique sera alors importante. Le Japon continue à en être le centre bancaire. Cela fait déjà un certain temps que le secteur financier de ce pays est dans un état épouvantable.
En ce qui concerne l'Accord de libre-échange canado-américain et l'ALENA — corrigez-moi si j'ai tort — mais je pense que, à toutes fins utiles, le dossier des droits de douanes est fermé. Les choses ne bougeront pas. La véritable raison d'être de toute cette affaire était, bien entendu, de s'attaquer aux barrières non tarifaires parce que la Commission Macdonald avait décidé que les États-Unis étaient en train de devenir protectionnistes et que nous devions nous protéger contre leur protectionnisme.
Je pense qu'il est clair que l'Accord de libre-échange n'a pas réglé les problèmes que sont le dumping et les droits compensateurs.
L'autre argument était que nous aurions accès aux marchés publics. Les deux pays devaient y avoir accès ensemble. Je ne suis pas certain de ce que ça a donné car on n'en entend pas beaucoup parler.
La création d'une union douanière ou d'une union douanière sélective soulève une autre question. Le problème des normes me préoccupe car si nous acceptons une union douanière, même limitée, nous risquons d'être obligés d'accepter des normes qui ne nous plaisent pas, dans le secteur alimentaire par exemple. Depuis plus de 100 ans, le Canada a toujours eu des normes très différentes dans ce secteur et dans celui des vêtements.
J'ai eu une conversation intéressante avec un producteur laitier. Pour le fromage, par exemple, les normes canadiennes ont été rabaissées aux normes américaines. Beaucoup de gens ne savent pas que nous exportons beaucoup de cheddar en Angleterre. Je ne sais pas comment on en est arrivé là, mais on peut aller visiter un hangar d'affinage à Belleville, en Ontario, et, encore à ce jour, tout ce fromage est destiné à Salisbury, en Angleterre.
Que dire de la question des normes? Les Canadiens craignent pour leur souveraineté, naturellement, car la souveraineté est pas mal une question de normes. Si on a les mêmes normes que l'autre pays, on commence à perdre le sentiment d'être différent, ce qui explique le Traité de Maastricht — j'ai suivi le débat entre Mitterand et le président du Syndicat des agriculteurs français, et, à mon opinion, Mitterand l'a emporté haut la main. Néanmoins, en France, les partisans du Traité de Maastricht ont gagné par une marge de seulement 2 p. 100 parce que les gens craignaient la disparition des normes nationales dans une variété de secteurs. Que leurs craintes se soient avérées ou non, il n'en demeure pas moins que c'est ce qu'ils pensaient.
Est-ce que ce pas un gros problème? Si nous adhérons à une union douanière sélective, les normes seront fixées par le partenaire le plus important. Les États-Unis ne sont pas dix fois plus gros que nous, mais neuf fois, car notre population croît plus rapidement que la leur. Toutefois, est-ce que cela ne signifierait pas que nous serions obligés d'adopter leurs normes encore plus rapidement que nous ne le faisons déjà?
M. Mirus: En ce qui concerne les normes, il n'y a aucune différence entre une union douanière et un accord de libre- échange; nous avons bien adopté les normes américaines en matière de véhicules automobiles. Nous l'avons fait parce que c'était dans notre intérêt. L'industrie de l'automobile nord-américaine est intégrée car nous ne voudrions pas avoir deux cycles de production différents — l'un aux normes canadiennes et l'autre aux normes américaines. Les coûts nous tueraient. Nous avons donc adopté les normes américaines.
Avons-nous pour autant perdu une partie de notre souveraineté? Nous faisons des compromis, et je ne me prononcerai pas sur cette question. Il faut choisir. Je pense que c'est un choix raisonnable.
En vertu de l'ALENA, nous avons le pouvoir d'imposer nos propres normes, et nous conserverions ce pouvoir dans le cadre d'une union douanière. La question qui se pose est la suivante: voulons-nous d'un deuxième cycle de production qui obéirait à des normes américaines moins strictes, tant est qu'elles le soient, ou pouvons-nous nous entendre sur des normes communes?
Les Européens ont énormément de mal à s'entendre sur des normes pour le secteur du transport routier, et ils n'ont toujours pas de normes communes concernant la taille des essieux, les limites de poids et autres.
Nous pouvons continuer à avoir des normes différentes et à nous en accommoder, mais quand les pressions économiques seront très fortes, la tendance sera à l'harmonisation. Et ce, dans le cas d'un accord de libre-échange ou d'une entente douanière.
Le président: Je comprends, mais comment se passent les choses dans le cadre d'une union douanière lorsque des marchandises sont importées de l'étranger? Que se passe-t-il si l'entreprise du sénateur Setlakwe veut importer quelque chose de l'Angleterre ou du Royaume-Uni? Les normes posent un problème. Après tout, nous importons des marchandises de pays autres que les États-Unis. Dans le secteur des fromages, c'est un gros problème. Les États-Unis ne laissent pas entrer de fromages non pasteurisés dans leur pays alors que le Canada le fait. Si nous adoptions les mêmes normes, je suppose que le Canada ne pourrait plus importer de fromages de ce genre.
M. Mirus: Nous serions libres d'avoir nos propres normes tout comme maintenant. Cela peut être parfois d'avoir des normes différentes, mais si nous pensons que c'est important, nous pourrions avoir nos propres normes. Il n'y a aucune différence que ce soit un accord de libre-échange ou une union douanière. La différence réside dans le degré d'harmonisation douanière avec les non-membres.
C'est pour cela que nous n'avons pas parlé du Mexique car le Mexique est problématique. Ce pays n'a pas atteint le même point de développement économique que nous et pourrait donc avoir l'option d'adhérer plus tard. Il serait certes invité. Si nous choisissions cette orientation, il en serait informé et il serait tenu au courant car c'est un bon partenaire. Le marché mexicain, lui aussi, représente l'avenir pour nous en partie.
Je pense que la question des normes n'est pas une grosse difficulté.
M. Barry: Je pense que la question des normes communes est dans une certaine mesure, un produit de l'Union européenne car, très souvent, les décisions sont prises à la suite d'un processus de négociations intergouvernementales. De plus en plus souvent, ces décisions sont prises selon un système de vote pondéré, qui exclut le droit de veto.
Si on considère les normes sous un angle très large, les choses sont faites avec les ingrédients qui les constituent.
Que dire du problème du bois d'oeuvre? C'est réellement une question de normes d'une sorte spéciale, les normes qui régissent les conditions dans lesquelles les compagnies forestières ont accès aux arbres sur les terres publiques. À bien des égards, l'enjeu dans ce différend qui oppose le Canada aux États-Unis concerne les conditions dans lesquelles le bois est exploité. Il y a une différence.
Les solutions proposées par les Américains pour résoudre le différend obligeraient le Canada à adopter les normes américaines, à adopter un système d'appel d'offres et autres choses du genre. C'est ce qui m'inquiète.
Quand nous exportons 87 p 100 de notre production vers un marché donné, qui va capituler? C'est pourquoi je pense qu'il est important d'avoir des règles internationales et c'est pourquoi également je pense qu'il est très important que nous ne nous laissions pas faire et que nous nous en remettions à l'OMC pour résoudre ce différend.
Le sénateur De Bané: Professeurs, il est intéressant de voir que, comme d'autres témoins, vous n'êtes pas du même avis. Par exemple, le professeur Barry a dit dans son mémoire:
Même si le gouvernement Bush répondait favorablement aux propositions du Canada concernant des arrangements formels plus étroits, les résultats ne seraient pas garantis.
Par ailleurs, professeur Mirus, vous êtes un ardent défenseur d'une plus grande intégration, d'une union douanière. Vous êtes très franc quand vous écrivez:
En résumé, une union douanière signifie une profonde intégration économique et politique. Sur le plan économique, la profondeur est souhaitable: des formalités frontalières simplifiées et harmonisées facilitent le commerce; des normes de production communes assurent des cycles de production plus longs; et une politique plus rationnelle en matière de concurrence sert mieux un marché intégré. Le prix à payer pour ces avantages est la réduction de l'autonomie nationale, dont le coût est plus difficile à évaluer.
Récemment, l'ancien ministre du Commerce international Roy MacLaren a comparu devant le comité, en même temps que des témoins très compétents de Toronto; tous les trois ont dit que, en aucune circonstance, nous devrions envisager une union douanière. Je ne suis pas économiste comme vous, mais j'ai interprété leurs propos comme voulant dire qu'une union douanière avec un pays dix fois plus grand que le nôtre signifierait que nous ferions ses quatre volontés. C'est pourquoi le sénateur Setlakwe, qui est un homme d'affaires et un juriste, me dit qu'une union douanière se traduirait par une diminution importante de notre souveraineté.
Il y a deux jours, nous étions à Vancouver et nous avons entendu le témoignage du professeur Helliwell de l'Université de la Colombie-Britannique. J'ai compris d'après ce qu'il avait dit qu'un certain nombre d'études indiquaient que la majorité des avantages de l'ALENA pour le Canada s'étaient déjà réalisés sous la forme du libre- échange et d'une intégration économique plus étroite avec les États-Unis. Il a dit que toutes les études indiquaient que, à l'avenir, les avantages seraient au mieux marginaux. C'était son argument principal.
Peut-être aimeriez-vous lire le compte-rendu de nos réunions avec ces éminents témoins qui nous ont dit de ne pas envisager une union douanière. Le professeur Barry dit qu'il ne pense pas que les États-Unis soient pour le moment d'humeur à se lancer dans des négociations de fonds avec le Canada. Le professeur Helliwell, lui, dit que nous bénéficions déjà de la majorité des avantages. Il serait très intéressant que vous nous donniez tous les deux vos réactions à ce résumé très imparfait que je viens de faire de ce que j'ai entendu dire ailleurs.
M. Mirus: Sénateur De Bané, je suis très impressionné par la sagesse avec laquelle vous résumez les opinions des économistes et responsables de l'élaboration des politiques commerciales respectés que sont, entre autres, MacLaren et Helliwell. Je serai d'accord avec eux 90 p 100 du temps. Je pense qu'ils ont tous deux fait beaucoup pour le Canada: dans le cas de Helliwell, dans le domaine de la recherche; et dans le cas de MacLaren, dans le domaine des relations et des négociations commerciales. Là où je ne suis pas d'accord avec eux, c'est que je pense que nous sous-estimons les risques quand nous disons que nous n'irons pas plus loin. Nous pouvons continuer de façon ponctuelle avec les États- Unis. Le système fonctionne, on l'arrange, et ainsi de suite.
Il existe un risque élevé qu'il arrive autre chose en Amérique du Nord et que les Américains se replient encore davantage sur eux-mêmes, laissant le Canada en rade. Parce que je considère que le risque est très élevé, j'aimerais que l'on fasse de cette relation quelque chose que nous pouvons gérer: une relation dans laquelle nous avons notre mot à dire, où nous nous parlons, où nous convenons d'un ensemble de mesures et où nous n'annonçons pas par voie de presse les conditions dans lesquelles on est prêt à assurer l'accès aux sources d'énergie. Nous devons aborder le sujet avec nos amis et leur dire que nous avons des intérêts communs — dans le domaine de la sécurité et des ressources. Nous devons accroître notre base industrielle et garantir du travail aux jeunes Canadiens pour qu'ils n'aient pas à s'expatrier aux États-Unis ou ailleurs.
Pour toutes ces raisons je suis prêt, comme l'était Don Macdonald il y a longtemps, à faire un acte de foi en embrassant le libre-échange. Je pense que nous pouvons parier sur l'avenir et voir ce que nous pouvons faire. Si nous n'explorons pas les possibilités, nous ne connaîtrons jamais la réponse. Il se peut que les Américains n'aient aucune envie de nous parler, mais c'est à nous de faire le premier pas.
Je suis d'accord avec Helliwell. Les gains sont pour la majorité déjà acquis. Je ne le conteste pas, mais ces gains sont en danger si une autre tour s'effondre ou si les États-Unis se replient encore davantage sur eux-mêmes.
Je suis prêt à aller de l'avant, petit à petit, sans faire de bruit. La diplomatie commerciale doit être discrète, comme l'a mentionné le professeur Barry.
M. Barry: Ces idées circulent depuis un certain temps, à commencer par une monnaie commune, en 1999 je crois, et maintenant une entente stratégique. D'autres propositions ont été faites par la Coalition pour des frontières sécuritaires et efficaces sur le plan commercial et, récemment, par le Canadian Council for Business Executives. Ces propositions n'ont suscité aucune réaction de la part des Américains. Rien. Pour le moment, ils ne semblent pas être réceptifs. J'ai l'impression que ces propositions n'iront nulle part. J'ai également l'impression que les Américains sont déterminés à resserrer leurs liens avec les Mexicains et que nous n'obtiendrons rien que les Mexicains n'auront pas eux aussi obtenu. Ça va prendre du temps.
Oui, bien sûr, on peut toujours avancer des idées. Je sais qu'on a fait une analogie avec la campagne qui a précédé l'Accord de libre-échange Canado-américain, mais les circonstances étaient alors quelque peu différentes. Les Américains sont quelque peu moins bien disposés qu'ils ne l'étaient alors.
Je ne vois pas la nécessité d'aller de l'avant avec cette proposition alors que nous pourrions faire des progrès sur d'autres fronts. Je pense que c'est tout ce que nous pouvons espérer pour le moment.
J'ai deux autres brèves observations à faire, la première porte sur la question d'un périmètre de sécurité. Un périmètre de sécurité commun au Canada et aux États-Unis implique que nos deux pays adoptent des normes communes concernant l'entrée sur le territoire nord-américain. Cela aurait pour effet de diminuer l'importance de la frontière. Par ailleurs, nous tenons à demeurer différents en ce qui concerne notre politique en matière de réfugiés et nos normes de droit à l'égard, par exemple, du contrôle des armes à feu. Dès que nous commençons à parler de ces choses, nous parlons de nouveau de l'existence d'une frontière. Théoriquement, on a l'impression que c'est une concession facile à faire, mais dans la réalité, les choses se compliquent quand on commence à passer aux détails concrets.
J'aimerais dire, par ailleurs, que je pense que nous devrions accroître nos dépenses de défense, mais je ne suis pas certain que ce soit un remède miracle. Je ne crois pas que les choses changeront rapidement, même si nous augmentons le budget de la défense. Nous devons réellement nous concentrer pour le moment sur la sécurité de l'Amérique du Nord.
D'après ce que je comprends, les militaires canadiens travaillent en très étroite collaboration avec leurs homologues américains. Bien sûr, ce serait bien si on dépensait davantage pour la défense et je pense d'ailleurs que nous devrions le faire, ne serait-ce que pour accroître notre potentiel militaire de manière à décider nous-mêmes de notre politique de défense. Le danger actuellement est que nous risquons de ne pas pouvoir faire les mêmes choix que si nous avions une plus grande capacité de défense.
Je ne pense pas qu'une augmentation gigantesque résoudrait soudainement les difficultés que nous éprouvons dans nos relations avec les États-Unis. Il y a une disparité énorme. La puissance militaire des États-Unis est 30 fois celle du Canada. Cela ne ferait pas une grande différence.
Le président: M. Peter Berg, notre recherchiste en chef à la Bibliothèque du Parlement a une question pour vous.
M. Peter Berg, recherchiste, Bibliothèque du Parlement: J'aimerais poser quelques questions à M. Mirus au sujet de l'union douanière. Typiquement, on échange une diminution des coûts à la frontière contre la souveraineté, contre une certaine perte d'autonomie politique.
Premièrement, vous avez dit que dans le cas de l'Association européenne de libre-échange, on estimait que les économies à la frontière s'établissaient entre 3 et 5 p. 100. On supprime toutes les formalités douanières complexes. Avez-vous une idée approximative de ces économies au Canada, exprimées en pourcentage de notre PIB? Je sais que le professeur Harris en a fait une estimation. Je pense que, pour l'ALENA, le pourcentage est de 2 à 3 p. 100 du PIB.
Deuxièmement, en ce qui concerne un tarif extérieur commun, nos droits de douane sont, en moyenne, environ deux fois plus élevés que ceux des États-Unis; toutefois, j'ai également lu que, dans 40 p. 100 des cas, nos postes tarifaires étaient très similaires, la différence étant d'à peine 1 p. 100. Est-ce que nous devrions harmoniser en abaissant nos droits de douane au niveau des leurs, et est-ce que ce serait une bonne chose pour nous? Par ailleurs, pourrions-nous procéder par secteur? Est-ce possible de le faire pour ces 40 p. 100? Est-ce que ça pourrait se faire de manière progressive?
M. Mirus: Vos deux questions sont de nature technique. Contrairement au professeur Harris, je n'ai pas fait d'estimation. J'utilise les chiffres d'Anne Krueger, qui est maintenant économiste en chef au Fonds monétaire international. Elle a fait cette étude du temps où elle était à Stanford ou même avant. J'ai cité son estimation.
Les règles d'origine sont très lourdes. L'expéditeur ne s'en aperçoit pas, mais les coûts sont importants. C'est devenu une véritable industrie. Un lobby s'y opposerait immédiatement car il y a beaucoup d'argent à faire en remplissant tous ces formulaires, en les archivant, et cetera.
Comme dans beaucoup d'autres cas, une fois les choses en place, il est difficile de les éliminer. Je ne sous-estime pas la difficulté, mais je suis un universitaire payé pour trouver des idées créatrices et novatrices. Je suis donc prêt à étudier la question.
Au sujet des tarifs douaniers, quelle était la deuxième partie de votre question?
M. Berg: Nos droits de douanes sont, en moyenne, deux fois plus élevés que ceux des États-Unis. Est-ce que nous devrions les harmoniser à la baisse?
Je me permets une question complémentaire, est-ce qu'une réduction unilatérale des droits de douanes serait bonne pour le Canada?
M. Mirus: Je ne prétends pas que nous devrions procéder unilatéralement. Toutefois, le coût serait légèrement plus élevé pour le Canada que pour les États-Unis, évidemment, en raison de la différence de taille entre nos deux pays. Cela pourrait en fait avoir comme conséquence heureuse le renforcement de nos relations commerciales avec l'Europe, entre autres, car, si nous diminuions nos tarifs douaniers extérieurs, cela entraînerait une diversification de nos échanges commerciaux aux dépens du géant américain. Le fait que nous ayons des droits de douanes un peu plus élevés nous donne une marge de manoeuvre relativement plus grande pour diversifier nos échanges avec l'extérieur.
Si nous procédions unilatéralement, nous nous exposerions à une certaine opposition car la réduction des droits de douane doit se faire de manière commune. Si je cède un peu de terrain et que l'autre en cède également, nous faisons tous les deux des concessions. Les économistes, dont les professeurs Helliwell et Grubel, diraient tous: «Faites-le parce que c'est bon; il est bon que les prix à la consommation ne soient pas trop élevés.»
Je reconnais qu'il y a des difficultés politiques, et il faudrait les régler.
M. Barry: On a souvent dit que la diminution de nos droits de douanes nous rendrait plus concurrentiels ailleurs, en Europe peut-être. Ça ne semble pas marcher. On disait cela avant que l'Accord de libre-échange Canado-américain n'entre en vigueur et avant l'ALENA, mais nos échanges commerciaux continuent à diminuer.
Le président: Je vous remercie beaucoup, messieurs. Cette matinée a été très stimulante et vous nous avez donné énormément de renseignements très importants. Ils nous seront très utiles quand nous rédigerons notre rapport sur cette question.
S'il y a un thème commun intéressant depuis le début de nos audiences, c'est que presque tous les témoins voient dans la frontière et dans la question de la sécurité un énorme problème. Comme l'a dit le professeur Barry, les Américains sont préoccupés par leur propre sécurité, et cela ne changera pas.
La séance est levée.