Délibérations du comité sénatorial permanent des
affaires étrangères
Fascicule 11 - Témoignages
OTTAWA, le mercredi 19 mars 2003
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit aujourd'hui à 15 h 46 pour examiner les relations commerciales entre le Canada et les États-Unis d'Amérique et entre le Canada et le Mexique.
Le sénateur Peter A. Stollery (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Je tiens également à souhaiter la bienvenue aux jeunes du Forum pour jeunes Canadiens qui sont à l'arrière de la salle. C'est un plaisir de vous avoir avec nous aujourd'hui.
M. Waddell sait que nous avons entendu beaucoup de témoins dans l'ouest du Canada il y a quelques semaines sur la question du bois d'oeuvre. Nous nous sommes laissé dire qu'il s'agit d'un problème de longue date que nous avons avec les États-Unis — depuis le XIXe siècle, à tout le moins.
Je crois que M. Waddell était à Washington au moment où nous entendions les témoins dans l'Ouest du Canada au sujet de notre mandat qui porte d'abord, comme les honorables sénateurs le savent, sur les relations commerciales entre le Canada et les États-Unis.
Monsieur Waddell, nous sommes très heureux de vous accueillir. Nous savons que vous êtes l'une des personnes les plus compétentes au pays en ce qui a trait à la question du bois d'oeuvre. Je sais que les membres du comité voudront vous poser des questions. Si vous souhaitez faire une brève déclaration d'ouverture et nous faire une courte description de la situation, je céderai ensuite la parole à mes collègues qui vous poseront leurs questions. Allez-y.
M. Doug Waddell, sous-ministre adjoint, Politique commerciale, économique et environnementale, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international: Honorables sénateurs, je suis heureux d'être avec vous cet après-midi. Permettez-moi de vous présenter ma collègue, Elaine Feldman, directrice générale, Direction générale des contrôles à l'exportation et à l'importation, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international.
Je sais que vous avez longuement discuté de la question du bois d'oeuvre. Je vais donc répondre à votre invitation et vous donner un très bref aperçu du dossier, après quoi je me ferai un plaisir d'engager la discussion et de répondre à vos questions.
Comme vous le savez, nous avons adopté une politique à deux volets en réaction à la décision du gouvernement américain il y a un an, d'imposer des droits anti-dumping et compensateurs sur les importations de bois d'oeuvre en provenance du Canada. Nous voulons faire respecter nos droits et nous avons soumis le problème à des comités de règlement des différends de l'OMC et de l'ALENA. Cinq comités examinent actuellement les arguments du Canada, à savoir que les États-Unis ne respectent pas les obligations de l'entente commerciale, dans le cas de l'OMC, en imposant des droits anti-dumping et compensateurs, ni en ce qui a trait à la détermination des dommages; en outre, trois groupes, dans le cadre de l'ALENA, sont en train d'élaborer un argumentaire démontrant que les droits antidumping et compensateurs n'ont pas été appliqués conformément à la loi américaine. Les premières décisions du Comité sur le règlement des différends sont attendues cet été.
Du même souffle, depuis deux ans, nous avons examiné une deuxième voix pour déterminer s'il y a possibilité de trouver une solution négociée à ce différend vieux de plus de 100 ans, laquelle solution reposerait sur les changements de politiques apportés par les gouvernements provinciaux qui, comme les honorables sénateurs le savent, ont la responsabilité de la gestion de la ressource.
L'été dernier, le sous-secrétaire, Administration du commerce international, Grant Aldonas, a indiqué qu'il était disposé à utiliser son pouvoir au département du Commerce, en vertu de la loi américaine, de revoir et de révoquer les ordonnances de droits compensateurs pour tenir compte de la situation actuelle. Il s'est dit disposé à appliquer les droits compensateurs par province. M. Aldonas a indiqué qu'il était prêt à exercer son pouvoir, en vertu de la loi américaine, et de publier un communiqué (bulletin d'orientation) énonçant les politiques sur lesquelles se fonderait le département du Commerce pour convenir que la vente de bois d'oeuvre est effectuée à sa juste valeur marchande et par conséquent, ne bénéficie pas de subventions compensatrices.
Le département du Commerce examinerait les changements apportés aux politiques et aux pratiques par chaque province, changements qui, à son avis, empêchent les producteurs de bois d'oeuvre du Canada de s'adapter aux conditions du marché. Ces politiques et pratiques incluent les exigences concernant la coupe minimale, les restrictions relatives aux fermetures de scieries, les exigences minimales en matière de transformation et les droits d'exploitation non transférables et à long terme. Le département du Commerce déciderait également si le prix du bois d'oeuvre sur les terres de la Couronne est fixé en fonction du marché, et si la province reçoit une rémunération adéquate pour le bois d'oeuvre qui est exploité sur ses terres.
Nos discussions avec le gouvernement américain au cours des six derniers mois, sur la base de la proposition du sous-secrétaire Aldonas, ont essentiellement consisté à documenter la rédaction de son bulletin d'orientation, ce qui permettra au sous-secrétaire de rédiger son bulletin d'orientation en toute connaissance des circonstances particulières qui existent dans chaque province du Canada, et des réformes politiques que les gouvernements provinciaux pourraient envisager d'adopter afin de donner un nouvel éclairage et d'obtenir la révocation de l'ordonnance de droits compensateurs.
En outre, nous sommes conscients que la mise en oeuvre des changements stratégiques pour obtenir la révocation du décret de droits compensateurs pourrait prendre aux provinces de plusieurs mois à trois ans. Nous avons entrepris des négociations pour que le Canada puisse imposer une taxe à l'exportation en lieu et place des droits anti-dumping et compensateurs durant la période dont auront besoin les provinces pour apporter des changements à leurs politiques et pratiques ainsi que pour obtenir une décision de révocation du décret de la part du département du Commerce.
Pour que le Canada participe aux discussions sur une taxe à l'exportation, l'industrie américaine doit absolument retirer sa plainte pour dumping, et le bulletin sur les politiques doit donner toute latitude aux provinces du Canada de ne pas imposer la taxe à l'exportation, selon les réformes stratégiques qui reflètent la réalité des différentes circonstances dans chaque province. Voilà sur quoi ont porté les discussions. Les discussions sur le bulletin d'orientation sont assez avancées. Les provinces, pour la plupart, y voient une base permettant d'entreprendre un nouvel examen des circonstances au moment de leur choix.
Les négociations concernant une taxe d'exportation possible en lieu et place des droits anti-dumping et compensateurs ne vont pas aussi bien parce qu'il y a un très grand écart entre la position respective des industries aux États-Unis et des auteurs de la pétition sur le niveau acceptable de la taxe à l'exportation. C'est sur cette question que nous avons décidé d'interrompre les discussions à la fin de février.
Le sénateur Austin: Monsieur Waddell, vous êtes une personne importante en Colombie-Britannique d'où je viens. Votre équipe et vous êtes très appréciés par l'industrie, par la population et par les communautés économiques de la Colombie-Britannique qui sont touchées par cet enjeu économique important.
J'aimerais que vous nous disiez si, à votre avis, le Congrès va approuver les propositions de M. Aldonas. Nous savons depuis longtemps qu'au Congrès, on réclame par-dessus tout le contrôle de la politique commerciale. À moins que vous ne viviez dans un système différent de celui auquel j'appartenais lorsque j'étais sous-ministre, le département du Commerce est extrêmement sensible aux vues du Congrès.
À votre avis, sur quelle base y aura-t-il approbation d'une entente — une taxe à l'exportation à titre de mesure intérimaire, mais surtout une entente finale, c'est-à-dire, en fait, le libre-échange du bois d'oeuvre? Comment voyez- vous le rôle du Congrès qui appuie le département du Commerce? Dans quelle mesure une déclaration de dix sénateurs qui préconisent le libre-échange est-elle efficace quand on voit les pouvoirs plénipotentiaires de M. Aldonas et quand on se demande s'il peut tenir promesse par rapport à tout ce qu'il met dans son document? Dites-moi ce que vous en pensez.
M. Waddell: Je partage en tous points l'analyse du sénateur Austin concernant les relations entre le département du Commerce et le Congrès américain, plus particulièrement le Comité des finances du Sénat et le Comité des voies et moyens de la Chambre. Nous sommes du même avis en ce qui concerne votre prémisse.
Le sous-secrétaire Aldonas travaille dans les paramètres de la loi qui existe et qu'il a la responsabilité de faire appliquer. Le bulletin d'orientation n'est pas un document qui, en bout de ligne, sera négocié entre le gouvernement américain et le gouvernement canadien comme on négocierait normalement une entente commerciale. M. Aldonas a indiqué qu'il est disposé à exercer le pouvoir que lui confère la loi américaine pour préciser l'orientation stratégique que devrait prendre le département du Commerce pour interpréter et appliquer la loi existante.
Il fonctionne selon les paramètres de la loi existante et n'envisage pas de retourner au Congrès pour demander un changement à la loi américaine concernant ce processus particulier.
J'ai dit dans ma déclaration d'ouverture que l'objectif principal des discussions que nous avons eues jusqu'à maintenant avec le sous-secrétaire Aldonas au cours des six derniers mois est de l'éclairer dans la rédaction de son bulletin d'orientation pour, à notre point de vue, nous assurer qu'il tienne compte de la réalité de la gestion des ressources forestières dans chaque province du Canada — ces discussions ont été structurées province par province, conformément aux différences propres à chaque province — et pour éclairer le sous-secrétaire Aldonas et son processus de rédaction sur le type de changements stratégiques que les provinces pourraient être disposées à envisager.
Du même souffle, il est juste de supposer qu'un cadre supérieur du département du Commerce ferait son travail, à savoir consulter les bonnes bases politiques au sein du système américain, y compris les comités pertinents du Congrès, tout particulièrement le Comité des finances du Sénat et le Comité des voies et moyens de la Chambre. Je n'ai aucune raison de douter qu'il n'a pas fait un travail sérieux, c'est-à-dire consulter régulièrement le Congrès et l'industrie américaine dans la rédaction de ce bulletin d'orientation. Il saura dans quelle mesure la politique américaine endossera ses énoncés de principe.
Le sénateur Austin: Vous avez répondu à mon hypothèse. Je vous en remercie. Nous savons tous ici que si, pour une raison ou une autre, une entente est conclue, le bulletin d'orientation sera publié. S'il n'a pas l'aval des producteurs américains, ou d'importants membres du Congrès comme le sénateur Baucus notamment, alors la loi pourra être changée. Par conséquent, l'élément permanent que nous cherchons, en tout cas que l'industrie de la Colombie- Britannique veut certainement avoir, c'est une entente permanente sur le libre-échange du bois d'oeuvre. Par conséquent, la garantie de cette permanence est l'un des enjeux sur lesquels je me suis penché et auxquels on m'a demandé de réfléchir.
Autre chose. Je voulais vous demander ce qui advient de la décision de l'OMC concernant l'amendement Byrd, qui a été rendue comme n'étant pas conforme aux obligations des États-Unis en vertu des accords de l'OMC. Le Congrès américain a-t-il adopté une mesure quelconque pour supprimer cet amendement? Sinon, pouvez-vous nous dire pourquoi nous ne parvenons pas à comprendre ce qui se passe, surtout quand on pense que, d'après mon interprétation de la loi américaine actuelle, en novembre, la répartition des fonds recueillis sera autorisée par l'amendement Byrd? Est-ce une des questions que se posent ou pourraient se poser les producteurs canadiens de bois d'oeuvre, ne connaissant pas l'issue de ces tergiversations?
M. Waddell: Il est trop tôt pour savoir ce que feront les États-Unis des résultats des délibérations concernant le règlement des différends à l'OMC relativement à l'amendement Byrd. La réaction la plus importante à ce jour, c'est que le gouvernement américain a clairement manifesté son intention de donner suite aux résultats du mécanisme de règlement des différends de l'OMC, et d'informer le Congrès que le gouvernement veut modifier la loi.
Le gouvernement a exprimé ce voeu dans une communication adressée au Congrès, je crois à la fin de janvier, dans le cadre du processus budgétaire mis en place avec la reprise des activités du Congrès actuel. À ce que je sache, aucune mesure n'a été adoptée sur le front législatif de la part du Congrès pour donner suite aux désirs du gouvernement.
Le mécanisme de règlement des différends de l'OMC accorde une période raisonnable aux pays pour se conformer aux résultats des délibérations, surtout lorsqu'un changement législatif est nécessaire. On reconnaît que le processus prend effectivement du temps. La période raisonnable est généralement définie selon chaque cas, mais la jurisprudence qui s'est développée à l'OMC prévoit normalement 15 mois pour adopter les changements nécessaires à la loi.
Rien n'oblige les assemblées législatives à donner suite aux résultats du mécanisme de règlement des différends de l'OMC. Dans ce cas-ci, c'est le Congrès qui décidera. S'il s'agissait d'une loi canadienne, ce serait le ministère qui aurait le dernier mot, nonobstant les lois.
Ne pas donner suite à une conclusion a effectivement des conséquences. La procédure prévoit statutairement que les parties plaignantes, soit, ici, le Canada et neuf ou dix de nos partenaires commerciaux, peuvent retourner devant l'OMC et demander l'autorisation de prendre des mesures de rétorsion lorsque, comme c'est le cas pour l'amendement Byrd, par exemple, les États-Unis ne donneraient pas suite aux résultats. Ce n'est pas demain la veille.
En ce qui a trait à la question de temps qui s'applique au bois d'oeuvre, la loi américaine prévoit un examen administratif de la conclusion qui a été annoncé en mars dernier et qui commencera en mai 2003. Dans un cas aussi complexe que le bois d'oeuvre, on peut concevoir que le département du Commerce ne mettra pas un terme à cet examen administratif avant l'automne 2004. Hypothétiquement, les résultats de cet examen administratif en 2004 confirmeront que les droits imposés en mars dernier étaient justifiés, c'est-à-dire les droits compensateurs et anti- dumping. Dans les faits, cela confirmera, à l'automne 2004, les droits qui sont déjà versés pour la première année de la conclusion.
D'après l'amendement Byrd dans son libellé actuel, ce n'est qu'à ce moment que les demandeurs américains pourront réclamer les droits qui ont été perçus pour la première année de la conclusion. Ce n'est pas pour aujourd'hui.
Le président: Monsieur Waddell, pourriez-vous nous donner une brève description de l'amendement Byrd afin que nous la consignions au compte rendu? Je sais ce que c'est, tout comme certains membres, mais d'autres pas.
Je vous demanderais de décrire brièvement ce qui se passe avec cela, s'il vous plaît.
M. Waddell: Il s'agit d'une disposition relativement nouvelle de la loi américaine selon laquelle les droits antidumping et compensateurs perçus en vertu d'une loi américaine doivent être remis à l'industrie américaine qui a présenté la demande d'enquête. En réalité, c'est une subvention, un transfert direct de recettes du Trésor américain à l'industrie américaine qui a demandé l'enquête.
Le président: Cette décision a été renversée par un comité de l'OMC.
M. Waddell: C'est exact. Le comité a déterminé que cela est contraire aux obligations des États-Unis en vertu de l'OMC. Seul le Congrès pourrait l'éliminer.
Le sénateur Austin: Je tiens à préciser que l'amendement Byrd ne fait pas partie des responsabilités de M. Waddell concernant la politique commerciale, économique et environnementale.
Si le processus nous amène au point où l'industrie a droit à une répartition de l'argent en vertu de la loi américaine, est-ce que le département du Commerce a la possibilité de ne pas répartir l'argent découlant de l'amendement Byrd aux termes de sa propre loi?
M. Waddell: Le département du Commerce est tenu de respecter la loi américaine et de répartir les sommes qui ont été perçues sous forme de droits sous réserve des critères établis dans la loi américaine.
Le sénateur Austin: Ma dernière question concerne le projet de la taxe à l'exportation. D'après ce que je comprends, la réaction du Canada à cette taxe a été de la soumettre à la discussion, parce que l'objectif de toutes ces négociations est de supprimer tous les obstacles au commerce, au commerce du bois d'oeuvre notamment. Est-ce votre interprétation de votre mandat?
M. Waddell: C'est exact. Plus précisément, dans les discussions, nous avons précisé que nous accepterions de discuter d'une taxe à l'exportation à la condition que les droits antidumping cessent d'abord d'être prélevés. Ensuite, le bulletin d'orientation qui tiendrait compte des circonstances nouvelles, comme je l'ai dit, permettrait explicitement à toutes les provinces du Canada de se soustraire aux droits compensateurs en fonction des réformes apportées aux politiques.
Le sénateur Austin: Faut-il que les actions prises en vertu du chapitre 11 par certaines entreprises canadiennes, comme Canfor, cessent, ou font-elles partie de vos négociations?
M. Waddell: Outre la taxe à l'exportation, il y a deux autres problèmes majeurs qui font l'objet de négociations. L'un concerne la répartition des droits importants perçus à ce jour — environ 1 milliard de dollars. L'autre est de savoir si on devrait suspendre ou interrompre les litiges entrepris dans le cadre de l'OMC et de l'ALENA. Les États-Unis ont indiqué bien clairement qu'ils considèrent les plaintes déposées en vertu du chapitre 11 par trois entreprises canadiennes comme étant incluses dans ce chapitre.
Le sénateur Austin: Laquelle vient en premier, la suspension ou l'entente sur un régime de taxe approprié?
M. Waddell: Tout cela fait partie d'une négociation compliquée. Ces éléments sont reliés entre eux. En bout de ligne, si on en arrive à une entente, je pense que la conclusion globale sera que rien n'est accepté si tout n'est pas accepté.
Le sénateur Grafstein: Après avoir suivi l'évolution du dossier depuis tellement d'années maintenant, je tiens à féliciter M. Waddell et le ministère pour leur travail invisible mais important visant à maintenir une politique canadienne forte et uniforme, nonobstant le fait qu'il y a des intervenants différents de notre côté de la frontière. L'un des héros méconnus dans ce différend en cours est le ministre et son ministère qui ont fait un excellent travail pour toujours garder la position du Canada uniforme, ce qui est très utile. Je sais que les Américains essaient toujours de nous mettre les bâtons dans les roues. À ce jour, le ministère et le ministre ont fait un excellent travail et il est important de le signaler.
Il est important pour nous de signaler dans nos comptes rendus que c'est une action unique, en ce sens qu'elle ne repose pas sur le gouvernement américain. Cette mesure a été instiguée en tant que mesure privée par l'industrie privée, on a demandé l'appui du Congrès pour poursuivre cette action au privé, on a utilisé les mécanismes du gouvernement américain à cette fin. Cela accroît la difficulté du gouvernement de traiter ce problème. Ce n'est pas une question de gouvernement à gouvernement, c'est essentiellement un recours privé intenté par des entreprises privées qui demandent à l'État de résoudre un problème privé.
Je suppose que vous êtes d'accord, monsieur Waddell, pour dire que c'est différent en ce sens.
M. Waddell: Le sénateur a raison. L'industrie américaine s'est prévalue de recours offerts par la loi américaine pour demander le lancement d'une enquête anti-dumping et sur les droits compensateurs. Les efforts déployés pour trouver une solution négociée à ce différend prévoient la coalition, en effet, avec un siège à la table, parce qu'en bout de ligne, s'il doit y avoir une solution, il faut s'entendre pour retirer la pétition anti-dumping, car il n'y a pas d'autre façon de régler le problème sinon que d'emprunter les voies juridiques que j'ai décrites au début.
Le sénateur Grafstein: De toute évidence, cela complique la conclusion d'une solution entre les deux gouvernements. Est-ce que vous ou votre administration avez détecté une volonté politique, soit à l'exécutif, soit au Congrès, qui pourrait inciter les sénateurs et le gouvernement à agir plus rapidement pour en venir à une entente? Je prends note de l'intervention de M. Aldonas et du bulletin, mais j'essaie de voir si vous avez détecté une certaine marge de manoeuvre que nous n'avons pas encore été capables de découvrir et qui pourrait nous amener à une solution plus rapide parce que chaque mois qui passe porte sérieusement atteinte aux intérêts canadiens.
Y a-t-il des pierres que l'on n'a pas retournées qui pourraient nous permettre d'exercer certaines pressions sur le Sénat et le Congrès et indirectement, sur le secteur privé, ou vice versa, sur les intérêts privés qui sont en cause?
M. Waddell: Je crois que le gouvernement, l'exécutif, souhaite trouver une solution à ce différend commercial de longue date, et le processus de publication du bulletin d'orientation à l'annexe A va dans ce sens. À ce que je sache, toutes les pierres ont été retournées, mais j'accepterai volontiers les conseils de quelqu'un qui a une bonne idée qui n'a pas été examinée.
Le sénateur Grafstein: Je vais conclure en soulevant cette question. Je suis d'avis depuis un certain temps que l'une des pierres qui n'a pas été retournée est d'entreprendre une action au privé aux États-Unis contre l'industrie, et contre ceux qui ont nui au processus judiciaire lorsqu'est venu le temps de décider du dumping. En d'autres mots, une action au privé dans laquelle on dira, d'après ce que j'ai entendu, qu'il y a eu interférence dans la juste application de la loi aux États-Unis, mais qu'on utilise les tribunaux américains à cette fin.
Le ministère a-t-il envisagé de suggérer au secteur privé d'adopter cette voie?
M. Waddell: Pas à ma connaissance, sénateur, bien qu'à certains égards, le processus du chapitre 11 dont vous avez parlé tout à l'heure, les plaintes qui ont été portées par trois entreprises canadiennes, constituent une action au privé qui va au coeur de l'application par le département du Commerce des droits dans ce cas. En un sens, cela a déjà été fait par les trois entreprises canadiennes.
Le sénateur Grafstein: Je vais le répéter une fois de plus pour les fins du compte rendu. À nouveau, j'estime que l'industrie touchée ici n'a pas utilisé les recours qu'elle pourrait employer devant les tribunaux américains. Je sais que ces recours sont coûteux et difficiles, mais ce sont des recours qui existent au sein des tribunaux américains pour dire que l'application régulière de la loi n'a pas été respectée dans la décision des différents organismes et pour laisser entendre qu'il y a eu ingérence dans le processus. C'est prévu par la Constitution américaine.
J'ai soulevé la question auprès du ministre. Je l'ai soulevée auprès de vous. Je l'ai soulevée auprès du secteur privé. J'espère que quelqu'un l'explorera. Ce que je pense, c'est que c'est une pierre que l'on aurait avantage à retourner et qui pourrait accélérer ce que je considère un règlement juste et équitable pour les intérêts des deux côtés de la frontière.
Le sénateur Di Nino: Monsieur Waddell, j'ai assisté à la conférence de l'Institut canadien des affaires internationales à laquelle vous participiez. J'ai beaucoup appris ce jour-là. Je vous en remercie.
J'aimerais vous poser trois brèves questions. Premièrement, des témoins sont venus nous dire à plusieurs reprises que le Canada n'utilise ou ne comprend peut-être pas complètement le système politique des États-Unis. Particulièrement, plus d'un témoin s'est demandé si nous comprenons véritablement la politique locale aux États- Unis, surtout les interventions auprès des sénateurs. Certains ont dit que certaines de nos ressources seraient mieux utilisées si nous nous adressions à ces gens-là dans leurs circonscriptions plutôt que de centraliser les choses le plus possible à Washington. Qu'en pensez-vous?
M. Waddell: D'après ma propre expérience à Washington, sénateur, il ne fait aucun doute que toute la politique est locale. D'après mon expérience, la façon la plus efficace de faire valoir les intérêts du Canada au sujet d'une question en particulier est d'identifier les intérêts américains qui partagent le même objectif, peut-être pour des raisons différentes. Les électeurs américains et ceux qui participent aux campagnes politiques américaines ont un accès au processus politique des États-Unis qui n'est évidemment pas à la portée d'un gouvernement étranger ou d'un fonctionnaire d'un gouvernement étranger.
Nous pouvons également faire davantage pour mobiliser nos alliés américains. À mon avis, au cours des dernières années, nous avons réussi beaucoup mieux à mobiliser nos alliés américains que nous l'avons fait dans le passé en ce qui concerne la longue histoire de ce conflit commercial. La coalition des constructeurs de maisons a été très visible et active. Je crois que le sénateur Austin, dans son commentaire d'ouverture, a mentionné que 20 sénateurs ont parrainé une résolution, et cela reflète les résultats de ces efforts.
Mais encore une fois, en dernière analyse, d'après mon expérience, et c'est là une opinion personnelle, l'industrie américaine qui a adopté un programme protectionniste est, en bout de ligne, plus coordonnée et plus efficace pour mobiliser ses alliés du Congrès que les consommateurs, dont l'intervention est plus diffuse. C'est là un gros défi.
Je crois également savoir que lors d'une de vos séances antérieures, on vous a parlé des réactions qui ont été organisées aux États-Unis, des campagnes de publicité qui préconisent une solution négociée aux différends du bois d'oeuvre, dû au fait que le Canada est le plus grand marché de quelque 39 États américains. On assiste à une publicité ciblée dans chaque État qui souligne que nous sommes le fournisseur le plus important d'énergie. Là encore, ce sont des initiatives de défense qui s'adressent aux politiciens locaux, et même si vous les croyez inexistantes, elles ont été utilisées avec succès l'an dernier.
Le sénateur Di Nino: Comme vous le savez probablement, nous allons très bientôt nous rendre à Washington. Avez- vous des idées ou des suggestions à nous proposer quant aux points que nous devrions soulever, ou des questions spécifiques que nous devrions aborder et avec qui, plus particulièrement en ce qui concerne certains différends?
M. Waddell: Je crois qu'il vaut la peine de souligner que, peut-être pour la première fois dans la longue histoire de ce différend, les gouvernements provinciaux, qui ont la responsabilité d'assurer la gestion de la ressource, ont manifesté un intérêt pour les changements de politique, dans le but de trouver une solution durable et à long terme au différend et au libre-échange du bois d'oeuvre.
J'attire l'attention des honorables sénateurs sur le discours du Trône de la Colombie-Britannique prononcé il y a quelques semaines dans lequel le gouvernement de la province a précisé son programme concernant les changements de politiques touchant la gestion de la ressource forestière en Colombie-Britannique. Cela est extrêmement important. Les Américains soutiennent depuis longtemps que la cause première du différend est que les politiques canadiennes provoquent une distorsion du fonctionnement du marché tel qu'ils le définissent. Nous en sommes au point où la Colombie-Britannique envisage d'apporter d'importants changements à sa politique pour s'assurer que le prix du bois d'oeuvre chez elle reflète le prix du marché. À maints égards, on veut voir jusqu'où sont prêts à aller les protectionnistes des États-Unis, dans quelle mesure ils considèrent que ce sont des subventions ou si, en bout de ligne, le problème concerne vraiment le volume des importations et le prix du bois d'oeuvre sur le marché américain. Il est important de souligner ce qui en est des changements politiques dans chacune des provinces.
Le sénateur Di Nino: J'allais soulever la question de cette position pancanadienne qui semble parfois ne pas exister. Dans quelle mesure cela est-il difficile pour vous, compte tenu que vous devez équilibrer les intérêts de différentes régions du pays où il peut y avoir des positions contradictoires sur la façon de traiter avec les États-Unis? Est-ce là un gros défi?
M. Waddell: Cela prend beaucoup de temps. Je dis parfois que c'est comme rassembler des chats. Cela va bien. Dans une vaste mesure, il faut en accorder le crédit à l'engagement des gouvernements provinciaux au cours des dernières années de trouver une solution à ce différend sur la base d'une approche nationale et coordonnée comme celle d'Équipe Canada. À mon avis, la majeure partie du crédit doit revenir aux homologues provinciaux qui ont travaillé avec nous au cours des dernières années à ce dossier.
Le sénateur Di Nino: Je ne crois pas que l'on puisse fermer les yeux sur la réalité d'aujourd'hui. Nous allons peut-être nous retrouver dans une situation de conflit très grave très bientôt. Il est peut-être trop tôt pour le dire, mais à votre avis, est-ce que cela aura une influence sur nos relations avec les États-Unis? Est-ce que vous en avez perçu la moindre parcelle jusqu'à maintenant, surtout à cause du refus du Canada d'appuyer les États-Unis et de la question de l'Irak?
M. Waddell: Le premier ministre et les ministres se sont prononcés sur cette question depuis quelques jours. Je n'ai certainement rien d'autre à ajouter. Certes, je n'ai vu aucune preuve au cours des derniers jours de quelque mouvement dans le dossier du bois d'oeuvre. En bout de ligne, les États-Unis seront mus par leurs intérêts économiques concernant le bois d'oeuvre et ce sont les économistes et les politiciens américains qui dicteront leur position en ce qui a trait à ce différend.
Le sénateur Setlakwe: Monsieur Waddell, notre comité s'est rendu en Colombie-Britannique, en Alberta et au Manitoba. En Colombie-Britannique, on a parlé du bois d'oeuvre. En Alberta, du bétail et du canola. Au Manitoba, de l'orge et du blé et si nous étions allés au Québec, on nous aurait probablement parlé d'oeufs et de volaille.
Un témoin nous a dit que l'accord de libre-échange avec les États-Unis n'est pas entièrement responsable du volume d'activités commerciales générées avec les États-Unis, mais concerne davantage la devise que le libre-échange.
Dans quelle mesure les droits compensateurs, les droits antidumping et autres mesures de rétorsion par les États- Unis perturbent-ils l'accord de libre-échange? Est-il distortionné au point où il n'y a plus d'accord de libre-échange?
Nous ne semblons pas avoir de problèmes avec les Américains dans le domaine de l'énergie et ce, parce que nous l'exportons et qu'ils en veulent. Lorsque j'ai demandé aux producteurs de pétrole s'ils envisageraient de se ranger du côté de leurs compatriotes canadiens qui ont plus de difficultés qu'eux avec les Américains, ils ont dit que cela n'était pas un problème pour eux et que cela ne les intéressait pas. Dans quelle mesure le ministère envisage-t-il la possibilité d'établir un tel lien?
M. Waddell: L'accord de libre-échange s'est révélé un très grand succès du point de vue des statistiques économiques canadiennes. Les résultats d'ensemble au chapitre des échanges commerciaux attestent des avantages qu'a retirés le Canada depuis les négociations du premier accord de libre-échange commercial bilatéral. Cela étant dit, l'accord n'est pas parfait et certains points du libre-échange restent à régler.
Rappelons que l'accord de libre-échange prévoit l'application de droits antidumping et de droits compensateurs. Le recours à ces droits était une des cibles du Canada au moment des négociations du premier accord bilatéral; nous avons dû nous satisfaire d'un résultat en deçà de nos espérances, comme c'est souvent le cas lorsqu'on négocie. On fixe un objectif ambitieux et on négocie en fonction de l'atteinte de cet objectif.
À ce moment-là, les États-Unis n'étaient pas disposés à soustraire le recours aux droits antidumping et compensateurs de l'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis. Nous devions tenir compte de certaines questions névralgiques et nous n'étions pas prêts à envisager un marché nord-américain pleinement intégré; nous avons donc insisté pour que l'entente initiale maintienne la possibilité d'un haut niveau de protection contre les importations dont, par exemple, les produits soumis à la gestion de l'offre.
La politique américaine relative aux droits antidumping et compensateurs n'a pas changé. Le Congrès américain n'est toujours pas disposé à envisager de modifier les lois américaines pour soustraire l'application de ces recours du processus de libre-échange. À l'époque des négociations de la première entente, nous nous sommes contentés d'un processus de règlement des différends qui devait réduire l'élément stratégique lors de la prise de décisions par le département du Commerce. À ce moment-là, la question du bois d'oeuvre occupait une large place dans notre problématique et, comme le sénateur Austin le soulignait, le département du Commerce est très sensible à l'opinion du Congrès sur la façon dont les lois sont appliquées.
Lors des négociations de l'accord de libre-échange, nous avons réussi à obtenir la possibilité d'interjeter appel de ces décisions auprès de comités binationaux composés de Canadiens et d'Américains qui doivent rendre un jugement indépendant au sujet de l'application appropriée de la loi, plutôt que de renvoyer ces décisions aux tribunaux américains.
Il n'y a pas si longtemps, un groupe de producteurs de pétrole indépendants américains a demandé que l'on fasse enquête au sujet des importations de pétrole provenant du Canada. Cela s'est passé il y a sept ans, si je ne m'abuse. Dans le secteur de l'énergie au Canada, la mémoire des gens fait défaut s'ils croient qu'on ne réclamera plus l'imposition de droits antidumping et compensateurs. Étant donné l'importance qu'accorde le gouvernement américain à la sécurité de l'approvisionnement en pétrole en provenance du Canada, c'est peut-être même le bon moment de sonder le terrain au sujet de modifications à la loi américaine sur les droits antidumping et compensateurs, au moins en ce qui a trait au secteur de l'énergie.
Le sénateur Graham: Le sénateur Di Nino a tracé les grandes lignes des répercussions que la guerre imminente avec l'Irak pourrait avoir sur les relations entre le Canada et les États-Unis. La préoccupation des États-Unis sur la possibilité de guerre aura-t-elle un effet sur la reprise des négociations sur le bois d'oeuvre?
M. Waddell: Non. Leur position à l'égard du bois d'oeuvre est fonction de leurs intérêts économiques et politiques dans ce secteur. Je ne crois pas que leur préoccupation au sujet de la guerre influencera la reprise des pourparlers. Les discussions au sujet du bulletin d'orientation sont assez avancées et continueront cette semaine afin que les États-Unis puissent, d'après M. Aldonas, bientôt le publier au sein de leur système pour fins de commentaires publics. Rien ne me porte à prévoir que le calendrier ait pu être retardé par les événements des derniers jours. La décision d'interrompre les négociations sur une mesure intérimaire à la frontière est née de la constatation du grand écart des positions et de l'impossibilité d'y trouver solution. Encore une fois, il s'agira de savoir si les deux industries, notamment l'industrie américaine, en concluent qu'une entente est préférable aux conséquences d'une mesure antidumping.
Pour ce qui est des prix du bois d'oeuvre sur le marché américain, le résultat est que les entreprises canadiennes sont en train d'augmenter leur production pour garder les prix unitaires le plus bas possible, espérant éviter les droits antidumping au moment de l'examen administratif. Par conséquent, les prix sont relativement bas, contrairement à ce qu'on pourrait prévoir face à l'imposition d'une taxe de 27 p. 100.
Le sénateur Graham: Toutes ces contestations donnent d'excellentes occasions à la confrérie juridique de s'enrichir, sauf le respect que je dois à mes amis ici présents.
Avez-vous une idée du montant total des frais juridiques engagés par le secteur privé et les gouvernements depuis le début des grandes contestations des années 80 et 90? Est-ce que l'attribution d'une garantie de prêt par un organe comme la Société pour l'expansion des exportations est considérée comme une subvention?
M. Waddell: Je ne peux hasarder une hypothèse au sujet du total de ces coûts, mais c'est énorme. Toute une génération d'enfants américains ont pu s'instruire grâce aux honoraires payés à leurs parents dans ce dossier.
Le président: Sénateur Graham, depuis les années 80, on estime que ces coûts se chiffrent à environ un milliard de dollars, ce qui nous amène à nous poser certaines questions au sujet du premier Accord de libre-échange. Je siégeais au comité lorsqu'il a été question des frais juridiques et l'un des premiers objectifs de l'Accord de libre-échange était d'éviter les contestations judiciaires étant donné les sommes énormes consacrées au règlement de ces différends pendant les années 70 et 80. On nous a dit également que les frais juridiques afférents à l'OMC se chiffrent à 200 millions de dollars.
Le sénateur Graham: Qu'en est-il de la deuxième partie de ma question? J'espère que le sénateur Grafstein, un avocat éminent de l'Ontario, ne s'est pas retiré à cause de ma question.
Le sénateur Di Nino: Il ne fait pas de droit commercial.
M. Waddell: Je ne connais pas les chiffres, et je ne vais même pas vous donner d'estimation. Toutefois, je crois que votre commentaire est pertinent; c'est d'ailleurs le même message que les gouvernements canadien et américain ont transmis à leurs industries respectives, à savoir que ce ne sont que les avocats qui s'enrichissent grâce à ce différend de vieille date. Du point de vue des deux gouvernements fédéraux, les industries des deux côtés de la frontière feraient mieux d'investir cet argent dans des projets communs de développement des marchés outre-mer pour le bois d'oeuvre et de promouvoir les produits du bois nord-américains plutôt que de se concurrencer.
Je crois que c'est un point fort important. Pour revenir à ce qu'on disait un peu plus tôt, je crois que cette suggestion devrait compter parmi les messages à privilégier lors de vos discussions à Washington.
Au cours de quatre enquêtes étalées sur vingt ans, le département du Commerce a fait preuve d'une grande capacité de créativité dans son raisonnement visant à montrer qu'il s'agissait de subventions. Par conséquent, en ce qui concerne l'octroi d'une garantie de prêt par la SEE, je vous conseille de présumer que le département du Commerce la considérerait comme une subvention, au moins dans la mesure où il y a une différence entre le taux qu'une entreprise aurait à payer à la SEE comme organisme prêteur et celui d'un prêt accordé par une institution financière ordinaire. Ce serait certainement l'argument qui serait invoqué advenant le cas d'une enquête menée par le département du Commerce. L'envergure de la subvention vis-à-vis le portrait intégral du projet ferait également l'objet de discussions.
Le sénateur Andreychuk: On ne cesse de nous parler des coûts et du temps requis pour débattre les différends découlant de nos ententes. Toutefois, n'y avait-il pas des contestations et des coûts avant l'ALENA et l'Accord de libre-échange? Si on tient compte de l'accroissement du volume d'affaires, croyez-vous que nous sommes maintenant mieux placés qu'avant pour faire face à ces contestations?
M. Waddell: Il y avait effectivement des contestations avant les ententes de libre-échange, et ces disputes occupaient une grande place dans la décision d'entamer les négociations. Le volume commercial faisant l'objet de contestations est relativement petit comparativement au volume global des échanges commerciaux entre le Canada et les États-Unis. Si on examine les dossiers qui font encore l'objet de contestations commerciales entre le Canada et les États-Unis, on remarquera que ce sont toujours des secteurs liés à des enjeux pour lesquels, au moment des négociations du premier Accord de libre-échange, l'un des gouvernements ou les deux n'étaient pas disposés à envisager un marché nord- américain pleinement intégré. Parmi ces secteurs, notons, du côté canadien, la volaille, les produits laitiers et les secteurs à offre réglementée et pour les États-Unis, le sucre, les arachides et les enjeux touchant l'application de droits antidumping et compensateurs pour lesquels le Congrès, à l'époque et encore aujourd'hui, n'était pas prêt à modifier les lois américaines. Pour le Canada, il y avait préoccupation au sujet des industries culturelles. La politique était telle que l'un des gouvernements ou les deux n'étaient pas ouverts à voir un marché intégré canado-américain et il n'est pas étonnant de constater que ces secteurs demeurent la cible de nos mésententes périodiques.
Le sénateur Day: Monsieur Waddell, votre commentaire au sujet d'un marché pleinement intégré pour les arachides est intéressant. Avons-nous une industrie de l'arachide que nous souhaitons protéger?
M. Waddell: Non. Ce sont les Américains qui protègent leur industrie de l'arachide, ce qui a un effet sur notre accès à ce marché pour des produits comme le beurre d'arachide.
Le sénateur Day: Il me semble que nous aurions pu arriver à un marché pleinement intégré dans ce cas là.
Je pose ma question du point de vue de l'industrie forestière du Nouveau-Brunswick. Tout à l'heure, vous parliez de faire un examen de ces enjeux province par province. En ce qui concerne les droits compensateurs et les subventions, la province du Nouveau-Brunswick a réussi à éviter ce piège. Historiquement, les droits compensateurs sont appliqués selon la province.
Le problème auquel fait face le Nouveau-Brunswick se situe au niveau des mesures antidumping. Même s'il se fait du dumping à partir de la Saskatchewan, par exemple, nous, sur la côte Est, nous trouvons piégés. La question a déjà été abordée au niveau des provinces. Les diverses provinces de l'Est ont dépensé des milliers de dollars pour se distancer des autres parties du pays dans le dossier des droits compensateurs. Par exemple, le prix du bois d'oeuvre dans notre région est en général établi en fonction du marché; nous avons réussi à tirer notre épingle du jeu à cet égard.
Ces défis ne cessent de nous hanter.Nous gagnons une cause devant l'OMC et voilà qu'un nouveau recours commercial américain est imposé. Nous devons alors retourner à l'OMC et attendre un autre règlement. Si le motif est politique, nous devons trouver une autre manière de procéder.
S'il s'agit bien d'un motif politique, on peut espérer que l'introduction de la vente aux enchères pour le bois, ou toute autre mesure nécessaire, nous permettra de négocier le retrait du recours commercial américain, au moins en ce qui concerne certains secteurs. Par contre, s'il s'agit, comme le suggérait le sénateur Grafstein, d'actions pilotées par des particuliers ou des organisations, il est plus probable que le motif soit économique.
Les récents problèmes du secteur forestier sont-ils le reflet de questions politiques fondamentales ou si la politique découle du motif économique?
M. Waddell: Je suis d'accord avec vous sénateur. Comme vous le savez, depuis les vingt dernières années, nous avons conclu deux accords à court terme sur les mesures frontalières; ni l'un ni l'autre de ces accords n'a pu résoudre le différend commercial avec les États-Unis vieux de 100 ans.
La ronde de négociations actuelle tente pour la première fois de résoudre ce que certains considèrent comme le coeur du problème, c'est-à-dire les politiques. Les négociations visent à aborder la perception américaine qui suppose que les propriétaires des ressources publiques canadiennes n'obtiennent pas un prix équitable pour le bois récolté sur les terres publiques. C'est donc ce que le bulletin d'orientation tentera de corriger. Le bulletin n'obligera aucune compétence provinciale au Canada à changer la manière dont elle gère ses ressources. Toutefois, si la province souhaite éliminer les politiques et les pratiques qui empêchent les producteurs de bois de répondre aux forces du marché et qu'elle est disposée à mettre sur pied un système transparent qui montre que le prix demandé pour le bois provenant de propriété publique est équivalent au prix du marché, il sera alors possible de faire renverser la décision d'imposer des droits compensateurs. Nous pourrons alors enfin envisager le règlement permanent de ce différend récurrent en fondant la solution sur une politique durable.
Le fait que presque tout le bois récolté au Canada provienne de terres publiques a servi de trame de fond à l'industrie américaine et donne à ses décideurs des arguments pour imposer des mesures à la frontière. Ils prétendent que c'est un enjeu lié au volume et au prix du bois aux États-Unis. Nous pouvons les mettre au pied du mur.
Le sénateur Day: Ils reviendront avec une nouvelle contestation à moins que nous arrivions à faire retirer les recours commerciaux.
Je crois que la solution définitive sera de négocier le retrait des recours commerciaux locaux et nationaux, même s'il faut le faire un secteur à la fois.
Les États-Unis ont-ils accepté de négocier le retrait de certains recours commerciaux avec d'autres pays, soit de manière générale, soit un secteur à la fois?
M. Waddell: Non.
Le sénateur Day: Ils ne l'ont jamais fait?
M. Waddell: Non.
Le sénateur Day: Alors, obtenir leur agrément pour des négociations, même pour un seul secteur, serait une innovation?
M. Waddell: Oui.
Le sénateur Austin: Monsieur Waddell, lorsque vous avez répondu à une question tout à l'heure, vous avez parlé du recours de l'OMC que l'on appelle rétorsion commerciale. J'ai toujours pensé que ce mécanisme serait inapplicable dans les affaires commerciales canado-américaines. Étant donné le niveau d'intégration actuel du commerce entre les deux pays, il serait quasi impossible, pour toutes sortes de raisons économiques et politiques, d'appliquer des mesures de rétorsion.
Êtes-vous d'accord avec moi ou si vous avez un point de vue différent à ce sujet?
M. Waddell: Je suis d'accord que c'est un instrument brutal et extrêmement difficile à appliquer en pratique. Nous avons rarement emprunté cette voie. Au milieu des années 80, je me rappelle que le Canada a appliqué des mesures de rétorsion à la suite d'un différend lié au secteur de l'acier. Les mesures de rétorsion appliquées ont donné beaucoup de fil à retordre au gouvernement de l'époque parce que les Canadiens jugeaient avoir été blessés au coeur.
Le sénateur Austin: Ces mesures de rétorsion avaient-elles été appliquées au sein du même secteur?
M. Waddell: Non.
Le sénateur Austin: Elles étaient appliquées à d'autres secteurs?
M. Waddell: Oui, pour certaines mesures, parce que le gouvernement cherchait à imposer des tarifs de rétorsion sans nuire aux intérêts commerciaux canadiens. Il a donc dû le faire dans d'autres secteurs, provoquant ainsi beaucoup de mécontentement.
Le sénateur Austin: Le ministre des Ressources naturelles, M. Dhaliwal, a dit qu'on devrait lier la question de l'énergie à celle du bois d'oeuvre. Il est le ministre politique de la Colombie-Britannique et, même en Colombie- Britannique, l'idée d'établir ce genre de relation n'a pas été bien reçue.
J'ai une question qui a trait à une discussion que j'ai eue à Washington, il y a plus d'un an, avec des représentants du Congrès. Ces personnes disaient qu'elles aimeraient trouver une solution fondée sur le marché qui tiendrait compte des caractéristiques du marché intérieur où un régime de bas prix serait équilibré à l'aide d'un tarif suffisamment élevé pour éviter de voir les prix chuter davantage. À mesure que le prix aux États-Unis augmente, l'industrie accueillerait favorablement le bois canadien pour empêcher les prix de trop augmenter.
Est-ce qu'une telle idée figure dans vos discussions, c'est-à-dire que la taxe d'exportation éventuellement imposée comme mesure intérimaire soit fondée sur une formule respectant le prix et le volume du marché américain?
M. Waddell: Quand les discussions ont été interrompues à la fin de février, la proposition canadienne à l'étude consistait en une taxe qui varierait en fonction du prix du bois aux États-Unis, à savoir une taxe qui serait élevée quand les prix sont bas mais qui diminuerait, jusqu'à disparition complète, à mesure que les prix augmentent. Voilà donc la charpente de ce que nous tentions de négocier.
Le sénateur Austin: Les Américains étaient-ils ouverts à cette proposition?
M. Waddell: Oui. Pour ce qui est du concept et du principe, l'industrie américaine se disait ouverte à négocier une proposition comportant une taxe élevée lorsque les prix du marché sont bas. Par contre, j'ignore s'ils étaient prêts à envisager que cette taxe disparaisse complètement, quel que soit le niveau élevé du prix. Toutefois, je crois que ce serait négociable.
Le sénateur Austin: On peut donc dire que ce serait une entente intérimaire avant l'atteinte d'un état de libre-échange complet dans la mesure où les régimes des diverses provinces satisfont aux exigences des politiques.
M. Waddell: C'est exact.
Le sénateur Austin: Vous avez dit qu'il serait intéressant de découvrir ce qu'ils souhaitaient effectivement obtenir de ces négociations.
Le président: Monsieur Waddell, nous avons entendu beaucoup de témoignages sur la question du bois d'oeuvre qui semble être cyclique. Lorsque les prix sont bas, dans ce secteur comme dans d'autres, les Américains protestent et la coalition commence à faire du bruit. Lorsque les prix sont élevés, une des propositions pourrait être que les droits diminuent. L'ironie, c'est que ces contestations finissent par gâter les affaires des producteurs de bois américains. Plutôt que de faire augmenter les prix, les contestations entraînent une baisse des prix parce qu'on augmente la production canadienne. Ai-je raison?
M. Waddell: Tout à fait.
Le président: À Winnipeg, la Commission canadienne du blé a eu à faire face à des contestations récurrentes qui lui sont revenues 11 fois. Il semble que quelques mois après le règlement d'une contestation, une nouvelle plainte est déposée, entraînant de nouveaux coûts juridiques. La dernière ronde de différends juridiques leur a coûté 5 millions de dollars.
Cela revient à ce que le sénateur Day disait, c'est une question économique.
Ils ne veulent pas partager leur marché avec d'autres, surtout lorsque les prix sont bas, c'est logique du point de vue du producteur de bois américain. La Colombie-Britannique est libre de gérer ses forêts comme elle le veut. Si les producteurs américains trouvent que le Canada exporte trop vers les États-Unis exerçant ainsi une force baissière sur les prix, ils chercheront à contester, tout comme ils l'ont fait dans le secteur céréalier. L'ironie est que, en réalité, les contestations leur font du tort.
Comment l'industrie américaine réagit-elle au fait que ses contestations lui font du tort?
M. Waddell: Bien, elle n'est peut-être pas prête à admettre que les mesures, l'antidumping tout particulièrement, n'ont pas été rentables.
Le président: Les mesures antidumping n'ont-elles pas un effet baissier sur les prix?
M. Waddell: La conséquence de ces mesures est que les entreprises canadiennes augmentent leur production pour maintenir le coût unitaire moyen le plus bas possible afin de réduire la marge antidumping lors de l'examen administratif. L'industrie américaine a indiqué qu'elle préférerait une solution négociée. Toutefois, elle n'a pas fait preuve de la souplesse requise pour laisser croire qu'une entente est possible à ce moment-ci, notamment en ce qui concerne les mesures à la frontière dont nous discutions.
Le président: Monsieur Waddell, nous apprécions les réponses que vous avez fournies aux questions découlant de nos séances avec les intervenants de l'industrie du bois. Nous vous remercions d'être venu.
Mesdames et messieurs les sénateurs, je vous rappelle que nous rencontrons la délégation russe à 17 h 30.
En outre, notre greffier a communiqué avec vous tous au sujet de notre voyage à Washington. Nous en discuterons plus longuement mercredi prochain. Pour des raisons sur lesquelles je ne donnerai pas plus de détails ici, le voyage qu'on avait prévu faire le 7 avril sera reporté à la fin du mois. Je rappelle à mesdames et messieurs les sénateurs que nous prévoyons maintenant voyager la dernière semaine d'avril et les premiers jours de mai, donc le dernier mercredi d'avril et les jeudi et vendredi suivants.
Nous devons nous presser et c'est pourquoi je le mentionne officiellement. Comme vous le savez, l'année budgétaire se termine le 31 mars.
Le sénateur Di Nino: Monsieur le président, peut-on laisser partir les témoins? Ils n'ont plus besoin d'être présents.
Le président: Les témoins peuvent partir lorsqu'ils le souhaiteront et nous les remercions de leur présence. Nous partirons tous dans environ une minute. Je voulais simplement m'assurer que nous sommes tous sur la même longueur d'onde. Nous travaillerons sur le budget et nous garderons le contact.
La séance est levée.