Délibérations du comité sénatorial permanent des
affaires étrangères
Fascicule 12 - Témoignages du 25 mars 2003
OTTAWA, le mardi 25 mars 2003
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit aujourd'hui à 17 h 06 pour examiner les relations économiques entre le Canada et les États-Unis d'Amérique et entre le Canada et le Mexique.
Le sénateur Peter A. Stollery (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Tous les honorables sénateurs ont en main un exemplaire du nouveau budget. Nous avons déjà approuvé un budget plus important. Celui-ci est réduit parce qu'il nous est impossible de nous rendre à Mexico. Quelqu'un voudrait-il déposer une motion portant approbation du budget?
Le sénateur Austin: Je la propose.
Le président: Tous ceux qui sont en faveur du budget?
Des voix: D'accord.
Le président: Motion adoptée.
Honorables sénateurs, nous accueillons aujourd'hui, du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, Mme Suzanne Vinet, directrice générale, Direction générale de la politique commerciale, Services, investissements et propriété intellectuelle, ainsi que M. Claude Carrière, directeur général, Direction générale de la politique commerciale, et M. Matthew Kronby, avocat, directeur adjoint, Droit commercial.
Monsieur Carrière, je vous cède la parole.
M. Claude Carrière, directeur général, Direction générale de la politique commerciale I, Politique commerciale générale, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international: Je vais faire une brève déclaration d'ouverture. Je sais que les honorables sénateurs veulent entendre parler plus particulièrement du règlement des différends à l'OMC. Je ferai peut-être allusion également à l'ALENA. Mme Vinet est notre sous-négociatrice en chef pour les négociations de l'OMC. M. Kronby, de son côté, est sous-négociateur pour les négociations sur l'entente concernant le règlement des différends qu'examine actuellement l'OMC. Ils peuvent renseigner les honorables sénateurs autant sur le contexte général que sur des points spécifiques.
Le président: Nous avons appris que les mécanismes de règlement des différends s'exerceraient de plus en plus dans le cadre des accords de l'OMC que de l'ALENA. C'est cette tendance qui nous préoccupe, vous le comprendrez très bien.
M. Carrière: Je ne m'attarderai pas sur des généralités concernant l'OMC. Je suis sûr que vous avez déjà étudié cette organisation. Disons seulement que le système actuel a été conçu pour corriger les lacunes du précédent, le GATT, qui était en vigueur avant le cycle d'Uruguay.
Essentiellement, le GATT avait été conçu pour faciliter les négociations mais il n'était pas suffisamment prévisible et certain dans son ensemble. Les membres du GATT pouvaient empêcher l'adoption des rapports des comités, ou la création de comités. L'OMC a été conçue pour combler ces lacunes.
Dans son ensemble, le système vise à devenir plus automatique, exécutoire et juridique, surtout avec la mise en place de l'organe d'appel de l'OMC. Le système vise à corriger effectivement les lacunes, mais il est aussi plus complexe et plus fastidieux que le processus antérieur même s'il est essentiellement exécutoire et plus efficace pour le règlement de la plupart des différends. Certains différends sont plus difficiles à régler que d'autres.
L'ALENA a été négocié dans le cadre des négociations du cycle d'Uruguay et visait également à corriger les défauts du mécanisme de règlement des différends entre les États du système du GATT, qui précédait les décisions du cycle d'Uruguay.
Le mécanisme de règlement des différends prévu au chapitre 20 de l'ALENA est une amélioration par rapport au système antérieur du GATT, mais n'est pas aussi perfectionné que le système actuel de l'OMC. Il ne comprend pas d'organe d'appel. Il est moins automatique que l'OMC, même si la procédure est meilleure que celle de l'ancien système du GATT et que les procédures antérieures de l'ALE concernant les ententes entre États.
L'ALENA comprend d'autres mécanismes de règlement des différends. Notamment, le chapitre 18 pour les recours commerciaux ou les mesures anti-dumping et les droits compensateurs. Dans ces cas, on a convenu de s'adresser à l'ALENA dans une grande mesure et on continue de le faire aujourd'hui.
Le mécanisme prévu au chapitre 20 de l'ALENA, soit le mécanisme de règlement entre les États, n'est pas aussi utilisé. Je rejoins ici les observations du président au sujet de la tendance à confier les cas à l'OMC, tendance qui se vérifie dans une certaine mesure. Cela n'est pas vrai pour les situations impliquant les droits et obligations exclusifs de l'ALENA. C'est vrai pour les questions où il y a des obligations communes comme la violation de la clause du traitement national ou des violations de frontières qui contreviennent à l'article 11 de l'OMC ou à l'article 310 de l'ALENA.
En pratique, les gouvernements ont choisi d'utiliser l'exemple des États-Unis et du Canada. Les quelques cas que nous avons eus relevaient en général de la compétence de l'OMC et non du chapitre 20 de l'ALENA. Par contre, lorsque des obligations spécifiques sont en cause comme c'est le cas entre les États-Unis et le Mexique au sujet du camionnage, par exemple, c'est le système de l'ALENA qui est utilisé.
De toute évidence, vous avez le mécanisme de règlement des différends entre un investisseur et la Partie contractante d'accueil prévu au chapitre 11, que l'on ne trouve pas dans l'OMC, et qui fait également l'objet de discussions distinctes à l'ALENA en vue d'améliorer et de préciser certains des processus utilisés.
Pour revenir à l'OMC, on a enregistré quelque 275 demandes de création de groupes spéciaux de règlement des différends depuis l'entrée en vigueur de l'accord. De ce nombre, 69 se sont soldés par l'adoption des rapports de ces groupes spéciaux et des organes d'appel pertinents. Ces chiffres sont basés sur des données publiées au début de février, ils ne sont donc peut-être pas exacts.
Le Canada a joué le rôle de plaignant ou de défendeur dans 16 de ces 69 cas, dont six portaient sur des différends entre le Canada et les États-Unis. Dans ces 16 groupes spéciaux actifs actuellement, le Canada joue le rôle de plaignant dans deux cas, et il s'agit de différends avec les États-Unis.
Le Canada tient également des consultations actives au sujet d'un troisième cas, qui pourrait mener à la création d'un troisième groupe spécial. Ni le Canada ni le Mexique n'ont encore soumis un différend bilatéral entre eux à l'OMC. Le Canada a également participé à titre de tierce partie à 17 des 69 groupes spéciaux dont les rapports ont été adoptés, et joue actuellement le rôle de tierce partie dans quatre autres de ces cas actifs.
Nos avocats sont occupés. Ils ne se plaignent pas de s'ennuyer, même s'ils se plaignent parfois d'être surutilisés.
Le système nous a bien servis. Que l'on gagne ou que l'on perde, nous cherchons toujours à obtenir des conclusions claires et à faire respecter la loi. Dans certains cas, nous ne sommes peut-être pas satisfaits du résultat, mais nous avons eu la chance de faire valoir nos arguments. Nos arguments ont souvent été accueillis et lorsque nous perdons, notre politique est de nous soumettre aux décisions comme nous l'avons fait dans le cas du différend sur le lait, le groupe spécial le plus récent qui a rendu une décision à l'encontre de notre demande.
Dans d'autres cas, nous avons aussi utilisé l'OMC dans le cadre d'une stratégie de négociation globale pour en venir à une solution mutuellement satisfaisante. Le différend sur les aéronefs avec le Brésil est un exemple où le Canada a utilisé le système pour défendre et promouvoir sa position et pour demander un règlement négocié plutôt que d'utiliser l'instrument ultime du processus de règlement des différends, c'est-à-dire la mesure de rétorsion. Les deux gouvernements ont déclaré vouloir une solution négociée qui soit satisfaisante pour les deux parties plutôt que de recourir à des mesures de rétorsion.
D'autres caractéristiques de l'ALENA ressortiront peut-être de vos questions ou de la suite de votre étude. Les honorables sénateurs voudront peut-être éventuellement savoir pourquoi on s'adresse à l'un ou l'autre forum. Ce choix est en général laissé à la discrétion du pays qui demande la création du groupe spécial. Lorsqu'il y a obligations communes, c'est le demandeur qui choisit à quel forum soumettre le différend.
Il existe des dispositions dans des domaines concernant l'environnement et l'hygiène où la partie qui fait l'objet de la plainte peut choisir à qui confier le différend. Au moment de la négociation, l'ALENA était plus avancé dans ses méthodes — si vous me permettez l'expression — en ce qui concerne les questions environnementales et sanitaires. À l'époque, on se proposait de recourir à l'ALENA.
Dix ans plus tard, je ne suis pas certain que cela serait nécessairement le cas. L'OMC et la jurisprudence de l'OMC ont beaucoup évolué dans les questions d'environnement et d'hygiène. C'est peut-être là une question que les honorables sénateurs pourraient vouloir approfondir.
Le sénateur Austin: Ce qui nous intéresse particulièrement, c'est votre évaluation des divers mécanismes de règlement des différends; nous voulons aussi savoir si vous croyez qu'il existe des recours pratiques ou des changements que nous pourrions proposer. Notre liste comprend-elle la solution idéale? La solution mentionnée dans le rapport du comité de la Chambre des communes, à savoir qu'il y ait un changement majeur dans l'attitude des États-Unis à l'égard de la souveraineté commerciale, ne paraît pas une suggestion pratique.
Nous avons les mécanismes américains anti-dumping et de droits compensateurs. Ce sont ces mécanismes qui sont à la source de notre plus grande bataille dans bien des domaines. Premièrement, est-ce qu'il existe une façon de restreindre l'utilisation que font les États-Unis de ces mécanismes, en ayant recours aux règles de l'OMC telles qu'elles existent aujourd'hui? Quand je dis «restreindre», je veux dire ceci: est-ce que les mandats pourraient être mieux définis et mieux contrôlés, et être appliqués de façon plus sûre? Si vous prenez l'exemple du différend au sujet du bois d'oeuvre, notamment, ce que nous déplorons, c'est ce processus qui permet au département du Commerce d'entreprendre ses propres recours sans preuve ou peu s'en faut, peu importe le différend. Il n'est pas ici question d'une notion de commerce, mais de défense du commerce; tout ce que je vois, c'est la négociation en vue de la conclusion de l'ALENA, et ensuite la négociation pour appliquer l'ALENA. Qu'en pensez-vous?
M. Carrière: Les négociations de l'OMC constituent un forum qui nous permet de proposer nos idées pour apporter des améliorations et des précisions — pour utiliser votre terme, pour «restreindre» — l'usage abusif du recours à une mesure commerciale. Nous, et les industries canadiennes, recourons aussi aux recours commerciaux et, plus particulièrement, aux mesures anti-dumping. Cependant, grâce aux ententes de l'OMC, les mesures anti-dumping et les droits compensateurs peuvent néanmoins être améliorés pour réduire les abus, pour que le droit d'entreprendre une poursuite soit bien enchâssé, et pour que les mesures soient appliquées avec plus de rigueur. Là où nous avons la plus grande marge de manoeuvre, c'est lorsque nous pouvons nous allier avec d'autres qui ont les mêmes préoccupations, afin d'exercer des pressions sur les États-Unis et d'autres pays, et nous assurer que ces instruments sont utilisés de façon à éliminer les éléments protectionnistes.
Le sénateur Austin: Dans le cadre du cycle actuel de Doha, existe-t-il un comité à ce sujet?
M. Carrière: Oui, il existe des dispositions concernant les droits anti-dumping et les droits compensateurs, de même que des accords commerciaux régionaux. Nous sommes en voie d'identifier, dans les règles, les questions qui pourraient être soumises à des groupes de négociation. Nous avons présenté un document, après d'intenses consultations au pays, qui renferme les questions qui devraient être discutées à l'OMC dans le but d'améliorer les procédures. En outre, nous sommes en train de mettre au point des avenues de discussion sur d'autres questions qui pourraient être abordées, comme les subventions. Pour l'instant, nous avons présenté une proposition contenant les questions susceptibles d'être améliorées et je crois que ce document se trouve sur notre site Web. Le greffier du comité pourrait obtenir ce document et le soumettre à l'examen des honorables sénateurs.
Le sénateur Austin: Est-ce que nous avons entrepris avec les États-Unis une discussion bilatérale sur les points qui sont énoncés dans le document du ministère, ou si c'est simplement dans le contexte multilatéral?
M. Carrière: C'est dans le contexte des négociations de l'OMC à Genève.
Le sénateur Austin: Pas dans le cadre de discussions bilatérales, cependant, est-ce exact?
M. Carrière: Nous avons fait cette tentative à plusieurs reprises auprès des États-Unis. Pour une mesure comme le recours commercial ou d'autres mesures d'application générale, même si les États-Unis ne l'ont pas concrétisé par leurs actions, ils préfèrent aborder ces questions à Genève plutôt que d'élaborer des processus multiples.
Le sénateur Austin: J'aimerais poser une autre question qui concerne la frustration des Canadiens chaque fois qu'un processus, l'OMC ou l'ALENA, risque de nous valoir des sanctions, que ce soit du Brésil ou tout particulièrement des États-Unis. Est-ce que nous songeons à adopter — je n'ai pas consulté votre site Web — des indemnisations financières plutôt que de recourir aux sanctions ou si nous en discutons actuellement?
M. Carrière: Nous comprenons la frustration que vous évoquez à l'égard des mesures de rétorsion. Ces mesures servent souvent les intérêts des entreprises, des secteurs ou des sociétés qui ne sont pas visées par le différend. La rétorsion est un instrument brutal qui, à ce jour, ne s'est pas avéré aussi efficace qu'on l'aurait pensé.
Le sénateur Austin: On peut souvent dire qu'on «se tire dans le pied». Êtes-vous d'accord?
M. Carrière: C'est ce que certains prétendent. Jusqu'à maintenant, nous n'avons pas trouvé de solution de rechange pratique et par conséquent, nous n'avons rien proposé. Nous sommes tout à fait disposés à accueillir des suggestions pratiques de la part des honorables sénateurs ou d'autres personnes qui s'intéressent à cette question. Trouver une solution de rechange n'est pas une sinécure.
Le sénateur Di Nino: Le comité a utilisé la plus grande partie de son temps, et à juste titre d'ailleurs, pour examiner la frustration que le Canada et les industries qui ont des échanges commerciaux avec les États-Unis surtout, ont ressentie, lorsqu'est venu le temps de régler ce qui semble être un grand nombre de différends.
Officiellement, êtes-vous d'accord? Certains témoins nous ont dit que, dans l'ensemble, l'Accord de libre-échange Canada-États-Unis et l'ALENA ont eu pas mal de succès entre les deux pays au départ, et aujourd'hui entre les trois. Qu'en pensez-vous?
M. Carrière: Si l'on tient compte de l'ampleur des échanges commerciaux bilatéraux entre le Canada et les États- Unis, et si vous regardez l'augmentation des échanges commerciaux qui découlent soit de l'ALENA, soit de l'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis et que vous comparez cela avec la valeur des différends commerciaux qui existent, on peut dire que de loin, la plus grande partie des échanges commerciaux se font sans problèmes. Nous avons tendance à nous concentrer sur les problèmes, si bien qu'ils sont plus frais à notre mémoire. Cependant, la grande majorité des échanges commerciaux qui se font quotidiennement se font sans différends et sans problèmes.
L'ALENA et l'OMC, qui régissent les relations commerciales canado-américaines, ont obtenu le succès que l'on prévoyait lorsqu'ils ont été négociés. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de problèmes. Le bois d'oeuvre a déjà été mentionné. Le blé est aussi touché, et n'a pas été mentionné. Dans l'ensemble, l'agriculture fait l'objet d'irritants et de différends. Là encore, si on prend l'agriculture, nos échanges commerciaux avec les États-Unis sont passés d'un énorme déficit il y a dix ans à un très gros excédent aujourd'hui, notamment pour les produits bruts et transformés. Notre travail porte sur les problèmes, mais une grande partie des échanges commerciaux se font sans problèmes.
Le sénateur Di Nino: Pourriez-vous également faire des commentaires sur la preuve que nous avons entendue, à savoir que lors des différends, le Canada a été plus souvent gagnant que perdant? Les résultats nous favorisent davantage que les États-Unis, surtout lorsqu'on utilise le chapitre 19. Est-ce que vous êtes d'accord également?
M. Carrière: Je ne connais pas le pointage exact.
Le sénateur Di Nino: Je ne parle pas de pointage, je parle en termes généraux.
M. Carrière: Je pense que nous avons bien tiré notre épingle du jeu. Même si nous ne sommes pas les vainqueurs incontestés, la clarté des règles pour l'avenir est également un avantage pour l'ensemble du monde du commerce, cela évitera des différends dans d'autres domaines.
Nous avons obtenu pas mal de succès, mais nous devrions éviter de voir uniquement l'aspect vainqueur-vaincu.
Le sénateur Di Nino: Je suis d'accord. Le but de notre étude est de formuler des recommandations qui permettront d'améliorer les relations commerciales. Deux ou trois éléments ont été soulevés durant nos audiences. Premièrement, il y a parfois des différends où il n'y a pas nécessairement de position pancanadienne, différends qui touchent diversement une région ou un secteur.
Deuxièmement, certains nous ont dit que l'harmonisation des normes améliorerait les échanges commerciaux, non seulement avec les États-Unis mais aussi avec le Mexique.
Troisièmement, on a proposé la création d'un tribunal permanent de l'ALENA, ou d'un secrétariat permanent qui adopterait les paramètres de la Commission mixte internationale, qui joue bien son rôle.
Pourriez-vous faire des commentaires sur ces trois choses?
M. Carrière: Au sujet de la première, nous devrions nous réjouir de la richesse de la diversité au Canada. Les régions ont parfois leurs opinions bien à elles. Notre travail est de trouver des solutions créatrices, de nous assurer que personne n'est défavorisé, et de proposer une position canadienne unique qui porte sur les réalités des structures économiques et des ressources du pays. Ce n'est pas toujours facile.
La dernière question est essentiellement une question politique qui va au coeur des opinions sur la souveraineté, sur des institutions communes ou sur un tarif externe commun ou quelque chose du genre. Il semble bien que les trois pays ne manifestent pas grand intérêt dans ce sens. Cela prendra sans doute quelque temps avant que les trois pays entreprennent ce genre de discussion.
Prendre l'exemple d'institutions qui travaillent dans des secteurs ou des domaines particuliers pourrait nous permettre d'examiner d'autres institutions dans un champ plus vaste. Le gouvernement devrait en tenir compte, lorsqu'il réfléchira sur l'avenir des relations entre les pays. Les relations ne sont pas seulement de nature commerciale ou économique. Elles impliquent une vaste gamme d'intérêts dans plusieurs domaines, que ce soit le domaine socio- politique ou l'intégration économique générale.
Les fonctionnaires auraient avantage à considérer les institutions sous un angle qui dépasse les seuls enjeux économiques et commerciaux.
Votre deuxième question portait sur les normes. L'harmonisation des normes pourrait être un moyen, et vous avez peut-être utilisé cette expression pour résumer votre pensée. S'il y a un secteur qui contribuerait à réduire les coûts inutiles pour les entreprises canadiennes, tant les exportateurs que les importateurs, ce sont les normes et la réglementation sur les produits qui sont en vigueur au Canada, aux États-Unis et au Mexique, et on devrait trouver des moyens pour réduire les différences. Dans certains cas, nous pourrions peut-être recourir à l'harmonisation. Nous pourrions également envisager d'adopter les mêmes critères d'accréditation, d'approbation ou d'attestation en laboratoire pour réduire le coût de la réglementation, tout en continuant de respecter et d'améliorer les objectifs que nous poursuivons, notamment la sécurité du produit. C'est là un domaine où, à notre avis, nous pouvons réduire les coûts tout en atteignant l'objectif de la réglementation.
Le sénateur Di Nino: Savez-vous si des discussions sont en cours à ce sujet? Est-ce que cette question est examinée par les trois pays, surtout par les États-Unis et le Canada?
M. Carrière: Lorsque l'ALENA a été négocié, il prévoyait près de 30 comités et groupes de travail de fonctionnaires pour s'assurer que l'Accord demeurait pertinent avec le temps. Il se fait beaucoup de travail, sur une vaste gamme de secteurs, pour nous assurer que nous tenons compte des réalités de l'intégration trilatérale et de l'accroissement des échanges commerciaux, des investissements et des capitaux. Un très grand nombre de groupes de fonctionnaires de différents ministères se rencontrent régulièrement, que ce soit par téléconférence ou en personne, pour aborder certains des enjeux dans les domaines de l'agriculture ou des industries.
Le président: Nous avons appris à un moment donné que nous avions perdu à l'un des groupes spéciaux de l'OMC. Je crois que cela concernait un différend avec le Brésil. Nous n'étions pas conformes. Le problème s'est posé dans le contexte qui consistait à savoir comment amener les Américains à respecter les décisions. Aimeriez-vous revenir sur cette question? Avons-nous perdu une décision contre le Brésil et les aéronefs et est-ce que nous nous conformons à l'OMC?
M. Carrière: Oui et non, très bonne réponse, n'est-ce pas? Il faut voir le dernier groupe spécial qui a été créé. À ce groupe, dans le différend avec le Brésil sur les aéronefs, nous avons perdu la cause. Le Brésil est autorisé à nous présenter une facture de rétorsion d'environ 247 millions de dollars US. Cependant, il faut prendre tout le contexte. Il y a deux ans, un groupe spécial a interdit au Brésil de présenter au Canada une facture de rétorsion de 1,4 milliard de dollars US. Les deux gouvernements ont indiqué, et le Brésil a dit récemment la même chose, que les mesures de rétorsion ne sont pas le moyen privilégié pour trouver une solution à ce différend. Il est préférable de négocier une solution mutuellement satisfaisante. C'est ce que nous tentons de faire depuis un certain temps. Nous avons une meilleure chance, depuis que le Brésil a eu à son tour gain de cause, d'en venir à une solution mutuellement satisfaisante qui incite les gouvernements, lorsqu'ils subventionnent des exportations d'aéronefs, à tenir compte des décisions des deux groupes spéciaux qui se sont penchés respectivement sur les mesures canadiennes et brésiliennes.
Le président: Avons-nous convenu mutuellement qu'il était préférable de négocier une entente? Nous avons tous deux perdu et gagné. Nous ne pouvons pas vraiment refuser de nous conformer à une décision. Nous ne pouvons qu'essayer de nous tirer mutuellement de ce bourbier. Est-ce exact que le Brésil est d'accord pour accepter cette situation, c'est-à-dire régler le problème?
M. Carrière: Oui, c'est exact en un sens. Si on considère le passé et l'avenir, les conclusions des groupes spéciaux contre le Brésil et le Canada portent sur l'attribution de contrats antérieurs. Les décisions concernant la rétorsion portent là-dessus. Elles ne corrigent pas les erreurs du passé, elles proposent seulement une solution aux problèmes. Nous devrions nous concentrer sur l'avenir et chercher à en venir à une entente qui porte sur la concurrence future et à une entente sur le rôle du gouvernement dans le financement des exportations.
Le président: Merci. Je crois que cela règle la question.
Le sénateur Setlakwe: La question est vaste. M. Carrière vient tout juste de discuter de l'impact de l'OMC sur les relations commerciales entre le Canada et le Brésil. Dans quelle mesure les décisions de l'OMC à l'avenir auront-elles un impact sur les recours pris par les Américains à l'égard des Canadiens en ce qui concerne les droits compensateurs et les mesures anti-dumping? Empêcheront-elles les Américains d'aller aussi loin qu'ils l'ont fait dans le passé ou iront-ils plus loin à l'avenir?
M. Carrière: En bout de ligne, le gouvernement décidera comment faire respecter une décision d'un groupe spécial ou de l'organe d'appel qui réprouve ces mesures.
À l'instar d'autres pays, nous avons dit qu'il est préférable de traiter avec les pays qui respectent les règles. La plupart des échanges commerciaux se font dans un contexte sûr et prévisible. C'est dans notre intérêt. Dans certains cas spécifiques, cela dépend de l'équation qui existe au pays. Pour l'instant, notre position est que le processus des groupes spéciaux conclura que nous avons raison dans le cas du bois d'oeuvre auprès de l'OMC. Nous nous attendrons à ce que les États-Unis appliquent ces décisions. Mais ce sont des conjectures. Nous cherchons, en même temps, une solution qui soit une réponse à long terme. Je crois que mon patron était ici la semaine dernière pour discuter de cette question avec vous.
Nous croyons et espérons qu'en bout de ligne, les États-Unis appliqueront les décisions d'un groupe spécial, comme ils souhaiteraient que nous le fassions. C'est l'objectif de nos relations avec l'OMC, et de nos autres accords.
Le sénateur Setlakwe: Nous avons actuellement de la difficulté, pour ne donner qu'un exemple, à réunir des membres permanents au sein de ces groupes spéciaux. Dans nos déplacements au Canada, nous avons entendu parler du conflit du bois d'oeuvre, du bétail, du canola, du blé, de l'orge, du bison et de tout le reste. Ces réclamations de droits compensateurs ou anti-dumping entreprises contre nous par les Américains semblent se multiplier.
Quels en seront les effets sur nos relations commerciales avec les Américains, si l'OMC, dans la ronde finale de janvier 2005, fixe des règles plus rigoureuses en ce qui concerne les droits compensateurs ou les mesures anti-dumping entre des organismes internationaux et des pays?
M. Carrière: Dans les négociations sur les règles commerciales, notre objectif serait de négocier des règles qui restreindraient l'utilisation abusive de mesures anti-dumping et de droits compensateurs contre nous de la part des États-Unis, notamment. C'est là un des principaux objectifs de la négociation à l'OMC. Notre objectif absolu est de réformer les règles en matière d'agriculture, d'éliminer les subventions à l'exportation et de réduire considérablement le soutien accordé par les États-Unis à leurs agriculteurs. Ce sont là manifestement nos principaux objectifs.
Nous voulons également mieux contrôler les recours commerciaux et, plus particulièrement, ce que nous considérons comme une utilisation excessive et abusive des règles. Nous allons également chercher à améliorer l'accès au marché dans les tiers pays comme l'Europe et le Japon, mais aussi dans les pays émergents et en développement comme l'Inde, le Brésil, la Chine, notamment.
Ce sont là les principaux objectifs que nous poursuivons à l'OMC. Nous espérons et nous souhaitons certainement que le résultat améliorera notre situation par rapport aux États-Unis de même qu'à l'égard de tiers pays.
Le sénateur Setlakwe: Une dernière question, qui vient de très loin dans le champ gauche. Vous avez, pour l'instant, une situation où les relations entre les États-Unis et une partie de la Communauté européenne sont fracturées et les relations entre le Canada et les États-Unis sont possiblement plus refroidies qu'elles ne l'ont été. Croyez-vous que cette situation risque de créer une atmosphère où toutes les parties vont vouloir discuter un accord de libre-échange d'Atlantique Nord, y compris les Européens et peut-être des pays qui ne font pas encore partie de l'Union européenne mais qui sont sur le point d'en devenir membres comme la Pologne, notamment?
M. Carrière: Votre question ratisse large.
Le sénateur Setlakwe: Je vous ai dit qu'elle venait de loin.
M. Carrière: Premièrement, l'OMC est essentiellement une institution apolitique et n'est pas touchée par certains des problèmes que vous avez mentionnés. Par contre, les questions qu'aborde l'OMC sont déjà suffisamment compliquées. La seule complexité des enjeux pourrait représenter un plus grand défi que ce que l'on avait prévu au départ.
En ce qui a trait à l'Atlantique Nord, l'ALENA est un accord de libre-échange par lequel les trois pays constituants n'ont pas de politique externe commune de la même façon que l'Union européenne, pour les 15 ou 25 prochaines années. Nous nous rencontrons, nous échangeons des opinions et nous avons des politiques spécifiques qui ne sont pas coordonnées et qui ne sont pas identiques. C'est une difficulté. En outre, l'Union européenne est très peu désireuse de négocier quoi que ce soit qui ressemble à un accord de libre-échange avec soit les États-Unis, soit le Canada, et ce, depuis longtemps.
Le sénateur Setlakwe: Elle discute avec les Américains, mais pas avec nous.
M. Carrière: On nous parle. Nous allons travailler avec l'Union européenne pour mettre en oeuvre l'accord conclu lors du dernier sommet en décembre dernier, pour définir le contenu d'un accord d'amélioration du commerce et des investissements, pour négocier cet accord l'an prochain et pour faire rapport au prochain sommet en décembre. Cela se fera en parallèle avec les négociations de l'OMC.
Les États-Unis ont un processus différent issu des caractéristiques spécifiques de leur pays. Comme vous le savez, ils ont négocié un accord de libre-échange avec le Mexique au cours des dernières années.
Un accord pour l'Amérique du Nord ou l'Atlantique Nord ne semble pas être véritablement à l'ordre du jour.
Le président: J'aimerais vous poser une question au sujet de l'amendement Bird. La conversation avec le sénateur Setlakwe semble nous mener à la question suivante: que faisons-nous si, à cause des pouvoirs du Congrès, le gouvernement national perd? Je crois qu'il perd à Genève, à l'OMC, sur une question de subsides. Le gouvernement national des États-Unis aimerait régler le problème, mais il ne peut pas parce que le Sénat s'y oppose. Qu'advient-il alors des négociations commerciales avec les États-Unis si ce genre de chose se répète?
M. Carrière: C'est une question hypothétique, sénateur.
Le président: Ce n'est pas hypothétique en ce qui concerne l'amendement Bird.
M. Carrière: Le gouvernement des États-Unis a indiqué qu'il souhaite régler le problème de l'amendement Bird dans le budget et a présenté des propositions en ce sens. Du même souffle, à l'OMC, nous travaillons avec les autres coplaignants pour définir la période raisonnable qui doit être accordée aux États-Unis pour mettre l'accord en oeuvre. Pour l'instant, le gouvernement a fait part de son intention d'appliquer la décision. Cependant, les États-Unis et les coplaignants n'ont pas encore réussi à s'entendre sur le délai des États-Unis pour ce faire.
Le président: Peuvent-ils appliquer la décision sans l'accord du Congrès?
M. Carrière: Je ne crois pas. Ils devront négocier avec le Congrès. Le gouvernement a proposé de recourir à la loi. Il y a peut-être d'autres moyens. Nous allons les examiner. Je serais surpris qu'il y ait bien des façons de régler ce problème.
Le président: Ça n'augure pas très bien.
M. Carrière: Les États-Unis ont droit, dans un délai raisonnable, de rendre leurs mesures conformes aux règlements. Si nous ne pouvons négocier une telle entente, le directeur général de l'OMC nommera bientôt un arbitre. Nous négocions avec les États-Unis et les coplaignants cette semaine pour désigner l'arbitre et pour entreprendre le processus d'arbitrage dans le but de déterminer le délai raisonnable à accorder.
Le président: Dans cette approche, le chameau qui passe par le chas de l'aiguille, c'est la bonne volonté du sénateur Bird et de ses collègues. On nous a dit qu'ils ne veulent pas modifier l'amendement Bird. S'ils ne veulent pas, est-ce que cela lie les mains du gouvernement américain? Il me semble que le gouvernement a les mains liées et que cela n'est pas bon. Est-ce que je réponds à votre question?
M. Carrière: La réponse, c'est que vous faites un commentaire intéressant, monsieur le président. Actuellement, nous cherchons à définir le délai raisonnable. Nous disposons effectivement d'un système qui repose sur la bonne foi des gouvernements.
Le sénateur Andreychuk: Dans ce qu'on m'a dit sur l'OMC il y a environ un an, l'administration de l'OMC et son fonctionnement comme tel vont essayer de demeurer aussi neutres que possible, tant dans l'établissement des règles que lors de l'application du processus. À ce moment-là, on nous a dit que pour que l'OMC soit efficace, il faudrait qu'il y ait toute une hiérarchie de comités au niveau politique; par exemple, des réunions de ministres, peut-être de sous- ministres, peut-être de premiers ministres. En outre, l'OMC dépend de cette autonomie, mais qui est sous-tendue par le développement de tous les mécanismes politiques qui font qu'un système fonctionne. En ce qui concerne l'amendement Bird, ce n'est pas l'OMC qui va régler le problème, mais les gouvernements.
Est-ce que ces comités ont commencé à travailler? On nous a dit qu'ils allaient commencer, qu'ils existaient et qu'il y en aurait d'autres. Cela serait différent de l'OMC, en ce sens que le Canada et les États-Unis pourraient peut-être élargir la base du consensus politique et du dialogue.
Du côté négatif, on nous a dit de ne pas présumer que l'OMC, à moins d'un changement radical, réussisse autant dans le domaine de l'agriculture et de la culture, ni dans toutes les questions épineuses au sein de l'ALENA et de l'Accord de libre-échange. Quand on les soumet à l'OMC, tout ce qu'on fait, c'est élargir la base des discussions, les difficultés et les incertitudes. C'est une solution à long terme, pas à court terme.
Mme Suzanne Vinet, directrice générale, Direction générale de la politique commerciale II, Services, investissements et propriété intellectuelle, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international: Malheureusement, je ne suis au courant du commentaire fait l'an dernier. La question que vous soulevez est importante au moment où nous entreprenons une nouvelle ronde de négociations. Après Seattle, il était clair que les bureaucrates et les fonctionnaires ne pourraient amener le processus que jusqu'à un certain point. L'OMC est une organisation dirigée par des membres et mue par la volonté des gouvernements de faire progresser les choses.
Les ministres se sont engagés à se rencontrer de façon plus régulière. Cela fait déjà partie du processus de l'OMC, et ils se rencontrent tous les deux ans, mais si nous voulons faire avancer les travaux de l'OMC, nous devons avoir un engagement plus politique de la part des gouvernements, des ministres en particulier. Depuis l'automne dernier, il y a eu au moins deux réunions ministérielles auxquelles participent moins de ministres que l'ensemble des membres. On y discute certains des points chauds pour essayer de mieux comprendre la position des autres pays et de trouver des solutions créatrices à certains des enjeux et préoccupations des autres membres.
En parallèle, les parlementaires, surtout en Europe et en Amérique du Nord, souhaitent également mieux comprendre le processus et mieux y contribuer. Les parlementaires ont entrepris certaines activités et réalisé certains progrès. L'une de ces rencontres s'est tenue il y a environ deux semaines en Europe, et les parlementaires ont eu l'occasion de discuter certains des enjeux pour mieux comprendre les positions et les intérêts d'autres pays et pour contribuer à promouvoir le programme visant à faire avancer certaines questions.
Certes, le niveau politique s'est toujours engagé à faire avancer les choses. La prochaine rencontre de l'ensemble des membres au niveau politique aura lieu en septembre à la réunion ministérielle de Cancun. Les ministres auront alors l'occasion d'examiner les progrès réalisés dans les négociations et, on l'espère, de donner une nouvelle orientation aux négociateurs sur la façon de faire avancer les choses. La réunion ministérielle de Cancun est un examen semestriel, en ce sens que c'est la mi-temps des négociations. Il y aura une autre série de réunions, probablement en Égypte, en juin, et d'autres réunions se tiendront sans doute avant la réunion plénière de Cancun.
En ce qui concerne la question de la complexité des enjeux, l'agriculture est un des domaines difficiles dans les négociations. Cependant, l'OMC est le bon forum où l'on peut examiner ces questions. C'est le seul endroit où les pays petits et moyens ont la même voix que les grands pays et la possibilité de régler des enjeux difficiles, surtout à propos de l'agriculture et des subventions, par exemple. Il n'existe aucun autre organisme actuellement où des petits pays peuvent affronter les États-Unis ou les Européens relativement aux subventions qui sont offertes à leurs agriculteurs.
L'OMC est certainement le bon forum pour ce genre de négociations. C'est pourquoi l'implication des ministres sur ces questions est devenue une partie importante du processus de négociation.
Le sénateur Grafstein: J'aimerais attirer l'attention sur la comparaison entre le processus de l'OMC et le chapitre 19. La semaine dernière, nous avons entendu le témoignage de représentants du ministère qui nous ont dit que toutes les pierres avaient été retournées en ce qui concerne le différend du bois d'oeuvre. J'ai soulevé une question au sujet d'une requête privée. Est-ce bien certain qu'en ce qui concerne le mécanisme de règlement des différends prévu dans l'ALENA par rapport au processus de l'OMC, les mesures anti-dumping et les droits compensateurs ne nous aident vraiment pas? De toute façon, nous avons effectivement la possibilité de régler ce problème en invoquant l'article 6 du GATT de 1984, au cycle d'Uruguay, qui nous accorde un recours que nous n'avons pas en vertu de l'ALENA. Cela concerne la loi américaine. Si tel est le cas, pourquoi avons-nous perdu notre temps avec l'ALENA, quand il s'agissait d'une requête privée basée sur des mesures de rétorsion comme les mesures anti-dumping et les droits compensateurs? Nous savions au départ que l'ALENA ne pouvait pas nous permettre de régler ce problème. Pourquoi n'avons-nous pas eu le génie de nous adresser à l'OMC?
M. Carrière: Je ne suis pas d'accord avec vous pour dire que nous avons perdu notre temps. Le chapitre 19 prévoit une procédure complètement différente de celle du mécanisme de règlement des différends d'État à État, qui est prévu au processus de l'OMC. Le chapitre 19 est unique en ce sens qu'il donne aux Canadiens la capacité de juger si le gouvernement des États-Unis a bien appliqué sa propre loi. La norme d'examen des décisions concernant des mesures anti-dumping ou des droits compensateurs, c'est la loi des États-Unis. Le chapitre 19 remplace le Tribunal du commerce international aux États-Unis et ne peut faire l'objet d'un appel.
En outre, les parties à l'enquête, que ce soit les gouvernements ou le secteur privé, dans l'enquête sur les droits compensateurs, ont le droit de demander un examen de la décision finale en ce qui concerne et les droits compensateurs et les mesures anti-dumping, tout comme elles ont le droit de demander un examen en vertu du Tribunal du commerce international.
Le chapitre 19 porte sur une norme différente d'examen de celle qui est prévue à l'OMC. Celle qui est prévue à l'OMC, ce sont les ententes internationales. Cette norme n'est offerte qu'aux gouvernements et nous permet de savoir si une mesure est non conforme aux obligations du gouvernement en vertu de l'OMC.
Le sénateur Grafstein: Monsieur Carrière, c'est la position que nous défendons depuis le début. Ce que je veux dire, c'est que dès le début, nous avons décidé de procéder d'État à État et non de présenter des revendications privées, pour dire que nous protestions vigoureusement contre des prétentions présentées par des parties privées, parce qu'elles n'étaient pas conformes à l'OMC. La seule question que je veux vous poser est la suivante: Pourquoi, en toute connaissance des contraintes de temps et d'argent, n'avons-nous pas agi intelligemment, sachant qu'il serait difficile de dénouer le noeud gordien concernant la conformité à la norme de la loi nationale? Pourquoi n'avons-nous pas agi intelligemment auprès de l'OMC et pourquoi ne pas avoir soumis notre différend à l'OMC dès le départ? Pourquoi avons-nous attendu?
M. Carrière: Nous ne pouvons soumettre un différend à l'OMC tant qu'une mesure n'a pas été prise. Pour présenter une contestation à l'OMC, une mesure doit avoir été adoptée. Une enquête n'est pas une mesure en ce sens. C'est pourquoi nous avons dû attendre que la mesure soit imposée. On ne peut pas contester ce qui n'est qu'un processus. Nous avons contesté la décision préliminaire à l'époque dans le cadre d'une solution négociée. Cependant, la décision préliminaire a disparu lorsque la décision finale a été prise.
Le sénateur Grafstein: Là encore, monsieur le président, je suis quelque peu confus. Peut-être que je comprends mal. Je fais référence au mémoire du C.D. Howe Institute qui appuie ma position. On dit à la page 16, dernière phrase du premier paragraphe:
Ainsi, la seule façon dont un membre de l'ALENA peut contester la validité internationale d'une loi anti- dumping ou portant sur des droits compensateurs d'un autre membre, est de recourir au mécanisme de règlement des différends de l'OMC.
Là encore, si c'était la solution la plus claire et la meilleure, pourquoi n'avons-nous pas accéléré le processus? Je dis cela parce que, vous vous en souviendrez, nous savons qu'environ 900 millions de dollars ont été dépensés en frais juridiques.
Le président: C'est près de 1 milliard de dollars.
Le sénateur Grafstein: Corrigez-moi si j'ai tort. Ce que je veux dire, c'est que si nous avions cette évaluation dès le départ, pourquoi n'avons-nous pas accéléré les choses quand nous savions parfaitement bien, d'après l'expérience antérieure avec le bois d'oeuvre, que les Américains recourraient à cette mesure et diraient en bout de ligne: «Réglons les choses.» C'est la position qu'ils ont adoptée la première fois. Je le sais pour avoir entendu un autre témoignage d'un excellent représentant du ministère, dont le nom m'échappe pour l'instant.
Si vous voulez faire un autre commentaire, j'aurais une autre brève question à poser.
M. Carrière: L'excellent témoin était M. Doug Waddel.
Le sénateur Grafstein: Je m'excuse officiellement auprès de M. Waddel parce que j'aurais dû me souvenir du nom de cet excellent témoin.
M. Carrière: C'est l'expert du bois d'oeuvre, donc il peut me contredire.
Avant que les enquêtes sur le bois d'oeuvre ne commencent, le Canada a effectivement contesté les États-Unis lorsque nous estimions, avant l'enquête, que la loi américaine n'était pas conforme aux obligations des États-Unis. Nous avons réglé le problème des restrictions des importations de cette façon. Dans le cas actuel, les restrictions aux importations n'étaient pas un enjeu comme c'était le cas il y a dix ans.
Lorsque nous pouvions le faire, nous avons effectivement contesté les États-Unis et pris les devants pour améliorer notre position dans les enquêtes à venir. Cependant, la différence entre l'OMC et l'ALENA est qu'un projet de loi ou de règlement, tant qu'il n'est pas en vigueur, n'est pas contestable auprès de l'OMC, mais il est contestable auprès de l'ALENA où l'on peut soutenir qu'une obligation n'a pas été respectée.
Dans le cas des mesures anti-dumping et des droits compensateurs, il n'a pas été possible de négocier une norme conforme au GATT. La solution, c'était le chapitre 19.
À l'époque, notre objectif était différent. Nous avons pu négocier un processus en vertu du chapitre 19 portant sur la norme distincte, c'est-à-dire sur la loi américaine.
En réalité, nous avons deux processus pour contester une mesure américaine. Le premier se trouve au chapitre 19 de l'ALENA, et nous l'avons utilisé avec un certain succès dans des causes antérieures, y compris celles touchant le bois d'oeuvre. Nous pouvons aussi contester en vertu de l'OMC pour examiner la conformité internationale soit à la loi américaine, comme nous l'avons fait dans un cas, soit à un règlement issu de cette loi comme dans le cas du bois d'oeuvre, où nous avons deux demandes de création de groupe spécial et une troisième qui est sur le point d'être présentée sur les dommages.
Nous avons au total six enquêtes en cours, trois en vertu du chapitre 19, trois en vertu de l'OMC.
Le sénateur Grafstein: Le 31 mai 2003 est une date butoir importante pour le mécanisme de règlement des différends en vertu de l'OMC. Y aura-t-il des changements apportés à ce mécanisme avant cette ronde? Êtes-vous optimiste ou pessimiste?
M. Carrière: Je suis toujours optimiste. Je ne pourrais pas survivre dans ce travail si je ne l'étais pas.
Vous avez effectivement parlé de cette ronde et non de celle du 31 mai. Je ne crois pas que nous allons en venir à une entente. Mon collègue peut me corriger. Cependant, il n'y a aucune chance que l'examen du Mémorandum d'accord sur le règlement des différends soit terminé le 31 mai.
Tout le monde est d'accord pour dire que nous pourrions apporter certaines améliorations à ce mémorandum. Si vous voulez, ma collègue peut vous donner des détails, mais cette ronde est différente du délai du 31 mai.
Le sénateur Grafstein: Je vais conclure avec ce commentaire: La semaine dernière, nous avons eu le privilège d'entendre un ancien haut commissaire en Grande-Bretagne, un de mes collègues, l'honorable Roy McLaren.
Le président: Il a également comparu devant le comité.
Le sénateur Grafstein: Dans son discours de la semaine dernière, il a dit effectivement que le cycle de Doha était une perte de temps.
Le sénateur Day: J'aimerais poser deux questions. La première est plus spécifique et s'adresse à Mme Vinet. La seconde est plus ésotérique, je la réserve pour M. carrière.
La première question concerne la propriété intellectuelle. Vous êtes également responsables des politiques sur la propriété intellectuelle. Les aspects commerciaux de la propriété intellectuelle qui ont été discutés au cycle d'Uruguay sont actuellement assez bien appliqués. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
Il semble qu'on a éliminé le principal irritant qui existait entre le Canada et les États-Unis. Il s'agit des médicaments génériques et des sociétés pharmaceutiques. Pourriez-vous faire un commentaire général sur les enjeux touchant la propriété intellectuelle et, plus particulièrement, nous dire si vous commencez à sentir une certaine pression ou irritation de la part des États-Unis par suite de la décision de la Cour suprême sur la souris de Harvard? Que prévoyez- vous à cet égard?
Mme Vinet: Nous avons reçu la décision sur la souris de Harvard. Nous sommes en train de déterminer les prochaines étapes. Les consultations sont en cours. Aucune décision n'a été prise sur la façon de nous conformer à cette décision.
Le sénateur Day: Vous voulez dire de notre point de vue? Les États-Unis font-ils pression? Est-ce que c'est devenu un irritant commercial?
Mme Vinet: Pas du tout. La question n'a été soulevée dans aucune des communications bilatérales que nous avons eues avec les Américains. Ce n'est pas un problème.
Je suis d'accord avec vous sur la bonne marche de la mise en oeuvre des engagements en vertu de l'Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce. Cela ne fait pas partie du programme de développement pour l'instant. Quand ces questions se poseront, nous les traiterons. Plus précisément, en ce qui concerne la souris de Harvard, aucune pression n'a été exercée pour savoir quelles seraient les prochaines étapes que le Canada pourrait franchir.
Le sénateur Day: On nous a dit que les États-Unis, dans toutes leurs ententes bilatérales ou multilatérales, n'ont jamais abandonné leur droit d'appliquer leurs recours commerciaux à l'échelle nationale. Est-ce que le Canada a fait la même chose dans ses accords bilatéraux, plus particulièrement avec le Chili?
M. Carrière: C'est une question très pratique. Le Canada et le Chili ont convenu d'éliminer l'utilisation des mesures anti-dumping.
Le sénateur Day: Mais les Américains ne l'ont jamais fait. Est-ce que c'est ce que vous comprenez?
M. Carrière: Tout à fait.
Le sénateur Day: S'ils ne l'ont jamais fait et qu'ils ne montrent aucune disposition à le faire dans les accords bilatéraux, pourquoi devrions-nous croire qu'ils sont susceptibles de faire preuve de souplesse dans les négociations multilatérales sur ces sujets? Devrions-nous passer plus de temps à essayer de faire de la micro-gestion pour rendre le mécanisme de règlement des différends plus efficace, par exemple? Devrions-nous essayer de les amener à convenir, si le problème est résolu, qu'ils appliquent leurs lois locales ou nationales? Devrions-nous penser en termes de micro-gestion sur ce que nous pouvons contrôler plutôt que d'espérer l'impossible?
M. Carrière: Nous ne proposons pas d'éliminer les mesures anti-dumping ou les droits compensateurs pour l'instant, certainement pas au sein de l'OMC. Nous sommes de grands utilisateurs de ces instruments.
Nous proposons d'aborder des questions plus spécifiques et particulières portant sur des mécanismes et des méthodologies d'anti-dumping et de droits compensateurs, en commençant par le début où nous souhaitons pouvoir aider davantage l'industrie qui veut entreprendre une poursuite. Nous aimerions avoir un seuil plus élevé que les 25 p. 100 prévus actuellement.
Nous voulons améliorer le fonctionnement du système. Nous voulons nous assurer que seules les bonnes causes sont soumises, parce qu'une enquête est coûteuse pour les gouvernements et les industries touchées. Nous croyons également que l'industrie nationale doit pouvoir entreprendre une poursuite pour se défendre contre les importations subventionnées ou le dumping qui leur portent préjudice. Nous voulons que les procédures ne soient pas l'objet d'abus ou de possibilités de harcèlement indu.
Le sénateur Day: Diriez-vous qu'entre le Canada et les États-Unis, ça ne vaut pas la peine de discuter à l'ALENA — le Canada, les États-Unis et le Mexique — pour amener les États-Unis à abandonner leurs recours à des mesures autres que commerciales?
M. Carrière: Nous ne leur demandons pas de faire cela pour l'instant. Nous l'avons fait sans succès dans le passé.
Le sénateur Bolduc: Pour donner suite à l'intervention du sénateur Day, il existe une énorme différence entre négocier avec les Américains et négocier sur une base internationale. Les pressions, même pour les Américains, sont différentes. C'est pourquoi il est possible d'améliorer quelque peu la situation.
Le président: Je tiens à remercier nos témoins. Vous nous avez aidés à éclaircir plusieurs sujets. Nos gens ici prennent des notes, et nous commençons à rédiger un rapport. Comme vous le savez, nous examinons toute cette question après 15 ans, et certains d'entre nous faisaient partie du premier comité créé il y a 15 ans.
La séance est levée.