Délibérations du comité sénatorial permanent des
affaires étrangères
Fascicule 14 - Témoignages du 9 avril 2003
OTTAWA, le mercredi 9 avril 2003
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit aujourd'hui à 15h30 pour faire une étude et présenter un rapport sur les relations commerciales entre le Canada et les États-Unis d'Amérique et entre le Canada et le Mexique.
Le sénateur Peter A. Stollery (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Honorables sénateurs, c'est notre 24e et peut-être notre dernière séance sur ce sujet.
Je souhaite la bienvenue aux représentants de l'Alliance canadienne du camionnage, M.David Bradley, président- directeur général, et MmeElly Meister, vice-présidente des Affaires publiques.
Je rappelle que nous étudions les problèmes engendrés par l'Accord de libre-échange 15ans après sa mise en place. Certains d'entre nous faisaient déjà partie du comité lorsque cet accord a été conclu.
Nous avons été informés que nos échanges avec les États-Unis dépendent notamment d'une cadence de passage à la frontière d'un camion toutes les deux secondes et demie. Tout délai plus long a des répercussions importantes.
M. David Bradley, président-directeur général, Alliance canadienne du camionnage: Honorables sénateurs, je serai très bref. Je m'emballe parfois quand je parle de ces problèmes, mais MmeMeister me donnera un coup de pied sous la table.
Cette discussion tombe de toute évidence à point nommé en raison des événements actuels et elle est extrêmement importante pour nous. Le président a signalé qu'un camion traverse la frontière canado-américaine toutes les deux secondes et demie, et c'est bien cela. Environ 14,3millions de camions par an traversent la frontière, la plupart de ces passages étant, bien entendu, concentrés aux postes frontaliers les plus fréquentés. Soixante-dix pour cent des marchandises faisant l'objet d'échanges commerciaux entre le Canada et les États-Unis sont transportées par camion grâce à l'évolution de la production manufacturière et des techniques de stockage au cours des 25dernières années.
À propos de la discussion en cours, on me demande souvent quelle est la situation à la frontière et comment nous pensons qu'elle évoluera au cours des prochaines années. Les événements du 11septembre ont indéniablement eu un impact indélébile sur la situation à la frontière. Cependant, depuis le début du conflit en Iraq, nous n'avons plus vu de retards comparables à ceux auxquels nous avons dû faire face au cours des premières semaines qui ont suivi les attentats du 11septembre. L'amélioration de la situation est due en grande partie à une collaboration nettement accrue entre les divers intervenants —services douaniers, services de l'immigration, services de police, industrie, etcetera— et aux leçons que nous avons apprises à la suite de ces attentats.
Deux autres facteurs qui ne doivent pas être perdus de vue ni pris à la légère interviennent également. Le premier est un ralentissement économique dans les deux pays. L'économie américaine est dans le marasme depuis deux ans et ne manifeste aucun signe concret de reprise. Le Canada est généralement un bon indicateur avancé de l'activité économique et le secteur canadien du camionnage est en proie à une certaine instabilité et à une certaine apathie depuis quelques mois. Si l'on tient compte du fait que le nombre de voitures aux postes frontaliers les plus fréquentés a diminué d'environ 20 à 25p.10, cela a permis, surtout du côté américain, d'assurer le passage rapide des véhicules avec les ressources actuelles. Quelques délais prolongés se sont encore produits à l'occasion, et par intermittence —hier encore, au pont Ambassador, les retards pouvaient atteindre cinq heures—, mais plus des délais interminables, comparables à ceux qui ont suivi les événements du 11septembre.
Les problèmes frontaliers sont antérieurs au 11septembre. En effet, il y avait déjà des problèmes d'infrastructure, de manque de communication entre les systèmes des deux côtés de la frontière et surtout de ciblage différent, le Canada ayant toujours mis surtout l'accent sur la facilitation des échanges, sur des programmes comme le programme de prédédouanement électronique, alors que les États-Unis ont toujours accordé beaucoup plus d'importance à la sécurité. Nous savons pourquoi depuis le 11septembre et il n'y a eu aucun relâchement à cet égard.
Nous avons réalisé des progrès importants depuis 18mois, grâce à l'Accord sur la frontière intelligente que le vice- premier ministre Manley a négocié avec le gouverneur Ridge. Il ne faut pas sous-estimer l'importance des efforts déployés pour convaincre les Américains de discuter de l'instauration d'un système douanier bilatéral à la frontière et conclure un accord. On a encore du pain sur la planche, mais l'accord en 30points sur la frontière intelligente et l'investissement dans l'infrastructure pour assurer l'efficacité de ce système représentent un effort très constructif.
Cependant, au cours des derniers mois, d'autres secteurs de l'actuel Homeland Security Department (département de la Sécurité du territoire) ont axé beaucoup plus leurs efforts sur les contrôles des entrées-sorties de voyageurs, sur les propositions de préavis concernant les données importantes et autres initiatives de ce genre, que je tenterai d'évoquer, mais qui pourraient saboter les progrès réalisés grâce à l'Accord en 30points sur la frontière intelligence et avoir des répercussions très néfastes sur les livraisons transfrontalières juste à temps.
Les membres de mon association et moi-même pensons que la principale priorité économique actuelle du Canada est d'assurer l'accès à ce marché. Ce qui est peut-être notre principal atout économique est cet accès libre et unique au marché américain que nous envient la plupart des autres pays. C'est toutefois également notre plus grande vulnérabilité. Comme nous avons pu le constater au cours des 18derniers mois, nous sommes très vulnérables aux événements susceptibles de perturber le fragile équilibre qui permet d'assurer le passage facile des marchandises à la frontière.
Étant donné que les présentes discussions portent sur les relations, je ne puis m'empêcher de faire des commentaires sur certains événements récents, à savoir sur les déclarations qui ont été faites des deux côtés de la frontière et qui n'ont probablement pas amélioré les relations. D'après de nombreux entretiens qui ont eu lieu et d'après des informations anecdotiques, il semblerait que les camionneurs canadiens n'aient pas toujours été traités avec beaucoup de courtoisie aux États-Unis, mais je n'en ai aucune preuve formelle. Il s'agit d'informations anecdotiques rapportées par des tiers. Je présume qu'il y aura toujours des personnes ayant une attitude déplacée. Nous n'avons toutefois pas été témoins d'un incident majeur. Je suis allé à Washington la semaine dernière et n'ai perçu aucune réaction d'animosité.
Il est toutefois possible que les réactions soient beaucoup plus subtiles que cela. Si nous voulons maintenir l'investissement direct au Canada, il est nécessaire de faire tout en notre pouvoir non seulement pour réparer les éventuels dommages dans les relations entre les deux pays —étant donné que les États-Unis sont indéniablement nos principaux clients et nos meilleurs amis—, mais aussi pour effacer toute incertitude à la frontière.
Après les attentats du 11septembre, certaines personnes ont mentionné que les systèmes de stockage juste à temps subiraient le même sort que les bisons. Je ne le crois pas un seul instant. En fait, je pense que la conjoncture économique actuelle nous incite à accroître l'efficacité et la productivité et que, par conséquent, on aura encore davantage recours à ces systèmes de stockage. Cependant, les livraisons transfrontalières juste à temps pourraient être en danger. Par conséquent, nous devons mettre l'Accord en 30points sur la frontière intelligente en oeuvre pour améliorer la situation. Je pense que c'est le principal enjeu économique actuel.
Nous nous sentons en outre quelque peu vulnérables. Le gouverneur Ridge et le vice-premier ministre Manley ont fait de l'excellent travail et de nombreux observateurs ont signalé le caractère particulier de la relation entre ces deux hommes. Cependant, il est important que cette relation ne se limite pas aux contacts personnels entre ces deux hommes.
En ce qui concerne le Mexique et l'ALENA, le secteur du camionnage a tiré un grand profit, quoique indirect, de cet accord. Le flux des échanges a changé de façon marquée et s'est déplacé de la direction est-ouest à la direction nord- sud, le transport étant principalement assuré par voie routière. Notre niveau d'activité a considérablement augmenté au cours des 10dernières années.
En ce qui concerne le transport, on pourrait considérer que l'ALENA était inexistant ou qu'il a été abandonné peu de temps après sa création. Ce fut le cas lorsque, sous l'administration Clinton, les États-Unis ont décidé unilatéralement de fermer leur frontière sud au camionnage transfrontalier et à l'investissement dans des entreprises de camionnage mexicaines. Tous les efforts et le mandat qui était prévu en ce qui concerne l'uniformisation des règlements sur le camionnage —poids des véhicules, dimensions, et cetera— à l'échelle nord-américaine ont été oubliés. Actuellement le Sous-comité des normes relatives aux transports terrestres de l'ALENA se réunit, mais il est essentiellement composé de représentants du gouvernement et l'industrie en est exclue, ce que je trouve étrange, mais je ne pense pas que ce soit à cause du Canada. Quoi qu'il en soit, le comité n'a pas pu aller de l'avant et est resté impuissant.
Il convient maintenant de se poser des questions sur l'avenir de l'ALENA dans le contexte du nouvel ordre mondial actuel. On peut en tout cas se demander si nous le remettrons sur la bonne voie en ce qui concerne les transports. Je ne suis pas particulièrement optimiste pour l'instant.
Le secteur du camionnage mexicain ne fait pas partie de la même ligue que le secteur américain. Cette différence est liée au volume des échanges. De toute évidence, les États-Unis dominent les relations commerciales entre les deux pays. Cependant, quelques signaux importants méritent notre attention. Par exemple, les exportations mexicaines aux États- Unis se sont accrues dans d'énormes proportions au cours des dernières années alors que la part canadienne des importations américaines est restée relativement stable. Les fonctionnaires d'Industrie Canada et d'autres observateurs prévoient que d'ici quelques années, la principale source d'achats américains à l'étranger sera le Mexique et plus le Canada. Il est nécessaire que nous en soyons conscients, surtout au cours d'une période de grande incertitude comme celle-ci; il est nécessaire d'exploiter tous nos atouts sur le plan de l'efficacité et de la productivité pour que nos industries demeurent concurrentielles.
Je reste extrêmement optimiste. Les relations demeurent généralement vigoureuses quoique tendues. Nous devrons faire des efforts pour arriver à réparer les pots cassés dans certains cas. Nous nous réjouissons toutefois de la croissance des échanges entre les deux pays. Le transport continuera d'être assuré par camion, mais il sera nécessaire de faire des efforts considérables pour qu'il continue de se faire à une cadence accélérée.
Le sénateur Austin: Monsieur Bradley, je voudrais examiner deux points avec vous. Plusieurs témoins ont préconisé l'établissement d'un périmètre commun. Nous avons également entendu le témoignage du ministre Manley qui a été l'artisan de l'accord en 30points avec le secrétaire Ridge. M.Manley n'est toutefois pas convaincu de l'opportunité de créer un périmètre qui constituerait une frontière externe commune.
J'ai deux questions à vous poser à ce sujet. La première est: l'établissement d'un périmètre de sécurité serait-il intéressant pour le secteur du camionnage et pour ses clients ou votre situation économique resterait-elle pratiquement la même?
La deuxième question est dans le même ordre d'idées. La réponse est peut-être évidente, mais un périmètre commun ne pourrait jamais assurer une sécurité totale aux États-Unis à moins d'inclure également le mouvement des personnes. Pourriez-vous faire des commentaires à ce sujet?
Je sais que dans ma province et celle du sénateur Carney, c'est-à-dire la Colombie-Britannique, un pourcentage élevé des camionneurs ne sont pas nés au Canada. Ils n'ont peut-être pas la citoyenneté canadienne. C'est un des problèmes au sujet desquels je voudrais que vous donniez votre opinion.
M. Bradley: L'interprétation du concept du périmètre de sécurité varie selon la personne. Certaines personnes l'associent à une union douanière. Ce concept a peut-être été interprété dans un sens plus large. La notion d'union douanière soulève de nombreux problèmes. Je ne conçois pas que le Canada, le Mexique et les États-Unis veuillent établir un parlement commun comme en Europe. Certaines personnes recommandent la création d'une union semblable à l'Union européenne, mais ce n'est de toute évidence pas si facile que cela. En Europe, les personnes et les produits circulent librement. Les points de contrôle ne sont plus que des coquilles vides. J'ai eu dernièrement l'occasion de traverser certaines frontières. J'ai ralenti malgré tout parce que je pensais qu'il y avait quelqu'un au poste, mais il n'y avait personne. Ce serait extraordinaire sur le plan économique.
Avant les événements du 11septembre, nous étions en faveur de la création d'un périmètre de sécurité pour détourner un peu l'attention de notre frontière. Je pense toutefois qu'il n'est plus très utile de parler de ce périmètre de sécurité. Nous avons fait des investissements colossaux dans la sécurité et les systèmes douaniers à la frontière nord et, par conséquent, nous devons les rentabiliser. Nous devons contenir le flot des initiatives qui viennent quotidiennement du Congrès et concentrer notre attention sur des situations comme celle évoquée dans votre deuxième question.
Nous ne discutons plus de périmètre de sécurité. Le principe était excellent, mais je ne vois pas la possibilité d'emprunter cette voie dans les années à venir. D'après les discussions que j'ai eues avec mes homologues américains et avec des fonctionnaires américains, je ne pense pas que ce concept suscite encore beaucoup d'intérêt. Il n'en a pas été question au cours des deux dernières semaines et je présume qu'il n'en est toujours pas question pour le moment.
En ce qui concerne les problèmes de nos chauffeurs, ils sont généralisés, quelle que soit la région. Nous éprouvons de la difficulté à trouver des chauffeurs disposés à se soumettre à toutes les formalités nécessaires pour traverser la frontière. Certains d'entre eux sont rémunérés en fonction de la distance et perdent par conséquent de l'argent quand ils sont à l'arrêt. Cela doit être frustrant pour eux d'être bloqués ne fût-ce qu'une ou deux heures, ce qui représente un délai normal ces jours-ci.
Bien des personnes pensent que les camionneurs ont de la chance parce qu'ils visitent notamment les États du sud, mais c'est un dur métier. Quand de nouveaux obstacles s'ajoutent, il est encore plus difficile de trouver des personnes disposées à le pratiquer. Nous en avons souffert.
Le pourcentage beaucoup plus élevé d'immigrants dans notre métier qu'aux États-Unis et le fait que plusieurs pays du Commonwealth soient directement visés par les nouveaux règlements américains causent des problèmes à certains camionneurs et à certaines entreprises du Canada, quoique la situation soit moins grave que je ne le craignais. Je ne sais pas très bien ce qui s'est passé, mais je présume que certains chauffeurs ont décidé que ce n'était plus intéressant de traverser la frontière et exercent maintenant leur métier uniquement à l'intérieur du pays. C'est dans notre secteur que le taux de vieillissement de la population est le plus élevé. Le camionnage est un des secteurs d'activité principaux pour les hommes au Canada puisqu'il occupe environ 263000 personnes. Les jeunes ne s'y intéressent pas beaucoup et nous devrons compter sur l'immigration pour assurer la relève. Si nous éprouvons de la difficulté à faire travailler les immigrants dans le contexte de notre marché le plus important, à savoir les échanges entre le Canada et les États-Unis, la situation continuera de dégénérer.
Le sénateur DiNino: Monsieur Bradley, je pense que votre message est généralement optimiste. Vous avez mentionné que, d'une manière générale, la situation a été et demeure assez satisfaisante. Pourriez-vous donner des informations, si vous en avez, en ce qui concerne les camionneurs américains qui traversent la frontière? La situation est-elle semblable? Est-elle différente?
M. Bradley: Le passage à la frontière des exportations américaines vers le Canada a toujours été plus facile que celui des exportations canadiennes. L'Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC) a toujours été plus innovatrice et a toujours eu davantage recours à la technologie que les services des douanes américains. Que l'on soit Canadien ou Américain, il a toujours été plus facile de passer la frontière en direction nord. C'est le passage en direction sud qui a toujours posé des problèmes. Les camionneurs américains sont bloqués dans les files comme les autres.
Aucune information ne me permet de croire qu'ils fassent l'objet d'une surveillance moins stricte de la part des fonctionnaires des Douanes. Ils sont coincés dans les files comme nous. Il y a une dizaine d'années, de nombreuses personnes pensaient que le secteur canadien du camionnage ne survivrait pas; elles pensaient qu'il ne resterait pas concurrentiel et qu'il serait absorbé par le secteur du camionnage américain. Pourtant, nous détenons une part de marché de 68p.100 du camionnage transfrontalier, ce qui explique que le pourcentage de camionneurs touchés par les problèmes qui se posent à la frontière soit plus élevé au Canada qu'aux États-Unis. Les camionneurs américains sont avantagés par une économie nationale qui leur permet de rester actifs la plupart du temps. Nous avons d'ailleurs pu tirer avantage de ce marché. Cependant, les camionneurs américains sont confrontés aux mêmes problèmes que les nôtres.
En ce qui concerne les solutions, on met beaucoup plus l'accent sur la sécurité et l'intérêt national que sur la facilitation du commerce dans les milieux d'affaires américains, et pas seulement dans le secteur du camionnage. On a eu beaucoup de difficulté à attirer l'attention des Américains sur la facilitation des échanges commerciaux. Toute leur attention semble être axée sur la sécurité. Chaque fois que nous sommes parvenus à éveiller leur intérêt, nous avons dû présenter les changements sous forme de mesures de sécurité plutôt que comme des mesures visant à faciliter les échanges.
Le sénateur DiNino: Collaborez-vous avec vos concurrents ou avez-vous formé une alliance avec le secteur du camionnage américain dans le but de régler ces problèmes et les problèmes ultérieurs?
M. Bradley: Nous collaborons constamment. La situation a été difficile pour les Américains. Ils ont été préoccupés par la situation et par la sécurité intérieures, ce qui est compréhensible dans une certaine mesure. Ils ont par ailleurs été très coopératifs lorsque c'était dans leur intérêt.
C'est beaucoup plus important pour l'économie canadienne que pour l'économie américaine.
Le sénateur DiNino: On discute beaucoup des nouveaux règlements et des nouvelles mesures de sécurité frontaliers qui sont mis en place et des changements recommandés. Avez-vous constaté un accroissement des ressources, ou du moins un transfert judicieux de ressources du côté canadien, sur lequel vous êtes peut-être mieux renseigné? Savez-vous également si les Américains mobilisent des ressources appropriées pour résoudre ces problèmes? Un plan en 30points, c'est bien beau, mais manifeste-t-on la volonté de le réaliser et mobilise-t-on les ressources nécessaires à cette fin?
M. Bradley: Oui, dans la plupart des cas. J'ai mentionné que le Canada était en avance sur les États-Unis en matière d'investissement dans la technologie, dans les systèmes douaniers automatisés, par exemple. Depuis de nombreuses années, les services des douanes américains n'obtiennent plus les fonds nécessaires du Congrès pour mettre leurs systèmes informatiques à jour. Ils utilisent toujours essentiellement la technologie des années70 et des années80.
Les honorables sénateurs étaient probablement au courant des problèmes qui se posaient déjà à la frontière avant le 11septembre. Les systèmes tombaient en panne et cela causait des files d'attentes et des retards. Il semblerait que les services des douanes américains reçoivent maintenant des fonds. Ils nous ont assuré qu'ils tenaient à mettre en oeuvre le programme EXPRES et qu'ils obtiendraient les fonds nécessaires.
Les honorables sénateurs se rappellent peut-être qu'immédiatement après le 11septembre, nous étions dans une situation qui, en raison du code orange ou rouge, nécessitait une inspection systématique des marchandises avec des effectifs insuffisants, même si l'on avait instauré des voies spéciales. Les États-Unis ont dû faire appel à la Garde nationale, par exemple.
Il semblerait que l'on ait atteint actuellement un certain niveau d'équilibre. Il ne faut toutefois pas oublier que le trafic a diminué, ce qui contribue à améliorer la situation. En outre, l'accroissement du nombre d'inspecteurs entraînera à long terme des inspections plus poussées et, finalement, des ralentissements. Si les ressources humaines semblent actuellement suffisantes, nous pensons que ce n'est pas la solution à long terme.
Le problème est que le département de la Sécurité du territoire (Department of Homeland Security) est une entité énorme regroupant un très grand nombre de ministères différents. Son budget est tout aussi élevé que le budget fédéral total du Canada. De nombreuses mesures sont en voie d'adoption, particulièrement au Congrès. Le Congrès adopte toutes ces lois sans avoir une idée précise des modalités de la mise en oeuvre; ce sont les employés du département de la Sécurité du territoire qui devront s'en charger. Nous éprouvons des difficultés à nous tenir au courant de tous les changements. En ce qui concerne certaines des mesures que nous devrons respecter, les Américains n'ont manifestement pas tenu compte du tout de leurs répercussions sur le commerce ou sur les affaires.
Est-ce que les ressources nécessaires sont en place pour certains des programmes que nous appuyons? Oui. Ce que je crains, c'est que les ressources soient épuisées par d'autres programmes. À Washington, on ne tient pas du tout à ce qu'une autre attaque terroriste se produise. Les fonctionnaires en font trop pour s'assurer que, dans une telle éventualité, ce ne soit pas à cause d'une négligence de la part de leur direction ou de leur service ou à cause de leur programme. Le chevauchement des efforts et les risques d'exagération sont élevés.
On a de la difficulté à présenter un plan d'affaires dans un tel contexte. Je pense que nous avons toutefois réussi. Certains fonctionnaires le comprennent, mais ce n'est pas une tâche facile pour l'instant.
Le sénateur DiNino: Étant donné que vous avez mentionné que ce n'était pas une solution durable, savez-vous où il faut chercher des solutions aux problèmes?
M. Bradley: Oui. La solution est le programme EXPRES. C'est la solution aux problèmes. Divers facteurs doivent intervenir pour la mettre en place. Il faut avoir les systèmes, les ordinateurs et la capacité nécessaires pour faire efficacement les inscriptions. Il est toutefois également nécessaire de se pencher sur l'infrastructure frontalière pour s'assurer que l'on a mis en place les voies rapides réservées pour que les transporteurs, les importateurs, les exportateurs et les chauffeurs de camion qui se sont soumis aux contrôles de sécurité appropriés des deux côtés de la frontière puissent éviter les files et traverser rapidement. Je pense que c'est la solution à long terme.
Si à un moment ou l'autre la situation évolue et que l'on est disposé à envisager la création d'un périmètre de sécurité, c'est parfait, mais cette option ne m'emballe pas particulièrement.
Le sénateur Graham: Pourriez-vous être plus précis en ce qui concerne le délai d'attente moyen de passage à la frontière pour un camion à destination du Sud par rapport au délai moyen pour un camion qui se dirige vers le Nord?
M. Bradley: On a de la difficulté à établir des moyennes parce que c'est une cible mouvante. Depuis le conflit en Iraq, je présume que le délai moyen de passage à la frontière lorsqu'on se dirige vers le Sud est d'une demi-heure à 45minutes, ce qui n'est pas trop mal. Il devrait être plus court et il pourrait l'être, mais c'est un délai normal. Cependant, à plusieurs reprises, surtout aux points frontaliers où le trafic est le plus dense, les délais ont atteint deux ou trois heures. Hier, au pont Ambassador, le délai était de cinq heures. Au cours des deux semaines qui ont suivi les attentats du 11septembre, les délais étaient de plusieurs jours en ce qui concerne le trafic en direction du Sud alors qu'ils étaient encore relativement minimes en ce qui concerne le trafic en direction du Nord.
C'était dû aux approches différentes des deux services douaniers et au fait que le Canada avait investi dans le Programme d'autocotisation des douanes qui est devenu le prototype de EXPRES. C'est un programme de prédédouanement électronique des personnes et des marchandises à faible risque qui permet aux fonctionnaires des douanes de savoir, avant même que le véhicule n'arrive à la frontière, qui est le conducteur, qui sont les passagers et si tous les occupants ont fait l'objet d'un contrôle approprié. Ce système a contribué à accélérer le passage des marchandises en direction du Nord.
Nous n'avons rien d'analogue au code orange au Canada, ou au code rouge. Je suis toutefois certain que nous avons mis en place plusieurs niveaux de sécurité. Les États-Unis viennent d'imposer le code orange, qui représente un niveau d'inspection plus élevé. Par conséquent, un plus grand nombre de véhicules devront être inspectés à fond, ce qui entraînera naturellement des ralentissements.
Si vous traversiez la frontière aujourd'hui à Windsor en direction sud plutôt qu'en direction nord, il faudrait que je vérifie quelle est la situation. Vous pourriez peut-être vérifier ce qui se passe sur Internet. Je n'ai pas vérifié, mais je suppose qu'hier, alors que les retards en direction sud pouvaient atteindre cinq heures, le passage en direction nord était probablement extrêmement rapide.
Le sénateur Graham: C'est le type d'information que je souhaitais obtenir.
Nous avons fait des commentaires sur les récents événements, sur les attentats du 11septembre et sur l'Iraq ainsi que sur leurs incidences sur les relations entre le Canada et les États-Unis, surtout en ce qui concerne le commerce. J'ai ici une nouvelle qui a été diffusée par la CBC. Elle est intitulée «Des cibles canadiennes sur la route, d'après des camionneurs québécois»; cette dépêche vient de Québec.
D'après des employés du consulat américain à Montréal, les tensions dues à la position du Canada au sujet de la guerre en Iraq risquent d'entraîner des réactions anticanadiennes sur les routes américaines.
Le vice-président de l'Association du camionnage du Québec, Marc Cadieux, a déclaré que ses membres reçoivent davantage de contraventions des autorités routières et sont harcelés.
«Plusieurs véhicules ont été collés de près par d'autres véhicules et quelques camionneurs ont reçu des coups de klaxon et se sont fait montrer le doigt», d'après Marc Cadieux.
D'après lui, plusieurs camions ont été victimes de vandalisme pendant que les chauffeurs étaient à l'arrêt pour dormir. «Des pneus ont été crevés et, dans certains cas, des suspensions et des attaches ont été démontées.»
D'autres incidents sont survenus, mais auriez-vous des commentaires à faire à ce sujet?
M. Bradley: Nous en avons effectivement entendu parler au cours des dernières semaines. Comme je l'ai mentionné dans mes commentaires liminaires, je n'ai pas eu l'occasion de parler directement avec un chauffeur qui avait eu ce type de problèmes. Il s'agit de commentaires faits par des tiers, mais j'en ai entendu beaucoup. Je n'ai pas eu l'occasion de parler à Marc aujourd'hui. J'aimerais savoir s'il en a des preuves concrètes.
Je ne doute pas que de tels incidents se produisent. On rencontre partout des personnes qui sont grossières et d'autres qui jouent aux justiciers. Cependant, aucune information nationale ne me permet d'affirmer que l'on assiste à une recrudescence générale de ce type d'incidents, par rapport aux actes de vandalisme habituels et aux autres incidents qui se produisent sur la route, aux États-Unis et dans d'autres pays. Je ne doute toutefois nullement que certaines personnes se comportent ainsi après avoir vu les plaques minéralogiques.
La grosse majorité des Américains ne sont pas au courant de ce qui se passe ici ou ne s'y intéressent pas. Il est à espérer que les insultes ne mettent pas fin à nos relations. Nous avons toutefois du pain sur la planche pour réparer les dommages.
Le sénateur Carney: J'ai quatre petites questions à vous poser pour avoir des clarifications sur certains de vos commentaires.
Certains de vos commentaires m'ont rappelé le vieux dicton que l'on entendait quand nous étions jeunes: les bonnes clôtures font les bons voisins. La plupart des contrôles frontaliers sont en réalité des clôtures.
Aimeriez-vous que d'autres initiatives viennent se greffer au plan d'action concernant la frontière? Vous avez mentionné le programme EXPRES. Aimeriez-vous que d'autres mesures viennent s'y ajouter?
M. Bradley: J'aimerais que le programme EXPRES soit utilisé comme plate-forme pour d'autres initiatives axées sur la sécurité qui ne sont pas prévues dans l'accord en 30points sur la frontière intelligente. Par exemple, on examine actuellement aux États-Unis un projet de loi visant à instaurer une carte d'identité pour les travailleurs du secteur des transports. D'ici un certain temps, 20millions de travailleurs américains de ce secteur devront être munis de cette carte. Pour une raison inexplicable, aucune disposition de la loi n'indique si les Canadiens auront l'occasion de présenter une demande pour obtenir cette carte et cet oubli nous place dans une situation très vulnérable. D'autres programmes ont été mis en place également. Par exemple, on a prévu d'établir un type de carte de sécurité spéciale pour chaque port américain, pour les personnes qui circulent dans les ports.
La nécessité de passer de nombreux contrôles de sécurité entraîne une redondance, une inefficience et une inefficacité coûteuses. La carte EXPRES est une carte bilatérale pour laquelle il faut se soumettre à un contrôle de sécurité non seulement au Canada mais aussi aux États-Unis. Ne serait-il pas possible que cette carte devienne en quelque sorte la carte d'identité des travailleurs du secteur des transports d'Amérique du Nord, pour les personnes qui ont déjà passé ces contrôles? C'est ce que nous souhaitons ardemment. Nous avons cru comprendre que c'était prévu au programme des dernières rencontres entre M.Manley et M.Ridge. J'ignore quels ont été les sujets de leurs entretiens dans le contexte du TWIC, mais la possibilité de réduire autant que possible le nombre de cartes et de contrôles de sécurité était à l'ordre du jour. Je ne sais pas si certains progrès ont été réalisés.
Le sénateur Carney: Je vous remercie. C'est intéressant. D'après le 14epoint du plan d'action, le Canada et les États- Unis ont instauré un programme commun à l'intention des compagnies de transport à faible risque, qui permettra d'accélérer la circulation transfrontalière des marchandises à faible risque dans les deux directions. De quoi s'agit-il?
M. Bradley: Il s'agit du programme EXPRES.
Le sénateur Carney: Qu'entend-on par faible risque? Il est possible que dans ma région, c'est-à-dire en Colombie- Britannique, les marchandises qui passent la frontière soient différentes de celles qui passent la frontière à Windsor. Qu'entend-on par «faible risque»?
M. Bradley: On doit fournir une série de renseignements. Il est nécessaire de présenter une demande pour être inscrit au programme EXPRES. Il est nécessaire de démontrer que l'on est en conformité avec diverses lois. Dans le cas d'une compagnie de camionnage, il est essentiel de démontrer que les chauffeurs se sont soumis aux contrôles de sécurité, que l'on est bien informé à ce sujet et que l'on s'est assuré qu'ils n'aient pas de casier judiciaire. Il est nécessaire en outre d'être membre de ce qu'on appelle le C-TPAT aux États-Unis ou de PEP (Partenaires en protection) au Canada, programmes qui exigent que l'on soit un participant, un membre de la chaîne d'approvisionnement, afin de protéger ses installations personnelles par des clôtures ou par diverses autres mesures de sécurité. Il s'agit essentiellement d'un système de points et si l'on a le nombre de points requis, on est accepté, sinon, il est nécessaire de faire des efforts supplémentaires.
Le sénateur Carney: C'est la réponse à ma question sur les critères précis. Par conséquent, l'appellation «à faible risque» n'est pas liée à une décision prise par un agent des douanes en Saskatchewan, par exemple.
M. Bradley: Non.
Le sénateur Carney: Le 16epoint concerne les installations communes. Je suis étonnée de voir que les localités où le Canada et les États-Unis ont convenu d'envisager d'établir des installations communes, ce qui accélérerait les livraisons, je présume, ne sont pas particulièrement connues du public, comme Snowflake (Manitoba), par exemple. Je pensais bien connaître la Colombie-Britannique, mais je ne connais pas Chopaka, par où l'on passe pour se rendre à Nighthawk (État de Washington), ni Rykerts, d'où l'on peut se rendre à Porthill (Idaho). Il serait peut-être préférable de poser la question à un fonctionnaire, mais pourquoi a-t-on choisi des localités comme Highwater, Winkler et Northgate? Ce sont de très petites localités. Comment cela vous aidera-t-il?
M. Bradley: Je pense effectivement que les fonctionnaires pourraient peut-être donner des renseignements un peu plus précis. Je peux toutefois dire ce que j'en pense. La présence d'inspecteurs communs dans certains ports où il y avait peut-être un fonctionnaire américain sur place a fait beaucoup de bruit. À la suite des événements du 11septembre, une certaine coordination et une certaine communication ont été mises en place. Une autre question très politisée concerne notamment l'opportunité de mettre en place du côté canadien des fonctionnaires américains armés.
Je pense que le plan en 30points ne va pas jusqu'au bout. Nous souhaitons instaurer un système bilatéral et si nous utilisions tous le même système, on ne se demanderait pas si c'est un Canadien qui fait l'inspection du côté canadien avant de permettre à quelqu'un d'entrer aux États-Unis.
Je pense qu'on en a discuté dernièrement. Il y a quelques semaines, l'ambassadeur des États-Unis aurait suggéré une solution applicable à long terme.
Le sénateur Carney: Ma dernière question porte précisément là-dessus. Le fait que ce soit un Canadien ou un Américain qui fasse l'inspection ne devrait avoir aucune importance. Un problème qui a de l'importance est celui de l'application de barrières non tarifaires, notamment dans le domaine de la santé. Nous avons appris hier qu'au Mexique, on instaurait des barrières techniques non tarifaires dans les domaines de la santé et de la sécurité et dans d'autres domaines afin de réduire ou d'éliminer le mouvement. Ça, c'est important.
M. Bradley: Comme nation souveraine, nous devons être sur nos gardes dans ces domaines. Chaque fois que l'on ouvre Macleans, notre revue nationale, on y voit des annonces comme: «Voulez-vous vous établir à Buffalo pour éviter les problèmes frontaliers?» Je suis bien d'accord, mais en ce qui concerne une inspection douanière, je ne pense pas que la nationalité importe.
Il sera effectivement nécessaire d'établir des protocoles dans d'autres domaines, mais ce ne sera pas facile.
Le sénateur Carney: Je vois que votre position à ce sujet est très rationnelle sur le plan économique, mais je ne pense pas que ce sera réalisable, étant donné que les intérêts nationaux sont différents et que l'Accord de libre-échange a démontré que les agents des douanes peuvent entraver le mouvement des produits et des services pour des raisons liées uniquement à leur culture professionnelle. Je suis heureuse que vos commentaires à ce sujet soient consignés au compte rendu.
M. Bradley: C'est pourquoi l'Alliance canadienne du camionnage n'a pas fait beaucoup de battage à ce sujet ou au sujet de ce qu'on appelle «l'interchangeabilité des services d'inspection». Les problèmes à régler sont légion. Nous voulons régler le plus rapidement possible les plus immédiats pour aller de l'avant et nous laisserons à d'autres personnes le soin de régler les questions plus générales.
Le sénateur Day: J'ai une petite question à poser au sujet de la dernière série de questions du sénateur Carney. En ce qui concerne les inspections phytosanitaires, le système d'inspection interchangeable qui a été mis en place est très efficace. Nous tenons à le signaler à titre d'exemple.
M. Bradley: Et également dans les aéroports.
Le sénateur Day: Dans certains secteurs, nous avons obtenu de très bons résultats. En ce qui concerne la carte EXPRES et son lien avec la carte d'identité des travailleurs du secteur des transports, la police fait-elle des vérifications pour s'assurer que ces personnes n'ont pas de casier judiciaire?
M. Bradley: Oui.
Le sénateur Day: C'est une assurance du point de vue de la sécurité.
M. Bradley: Oui, une vérification est faite par la GRC et une par le FBI.
On m'a demandé tout à l'heure ce que l'on pourrait faire. Nous avons maintenant des entretiens avec les fonctionnaires américains, à Washington, ce qui change tout. Il y a cinq ans, on n'aurait jamais osé imaginer une rencontre entre des représentants de l'industrie canadienne et des représentants du gouvernement américain. Aux États-Unis, il y a donc des gens qui veulent entendre des suggestions et trouver des solutions. Je ne tiens pas à adopter une attitude trop critique parce qu'il s'agit de questions complexes. Cependant, la réponse du gouvernement fédéral du Canada à ces problèmes pourrait être mieux coordonnée. Nous devons communiquer avec quatre ou cinq ministères différents pour savoir si on approuve nos démarches. Lorsque nous allons aux États-Unis pour nous entretenir avec des fonctionnaires américains, nous avons parfois l'impression d'être des porte-parole du gouvernement du Canada. Je pense qu'il est encore nécessaire de réaliser des progrès sur le plan de la coordination et d'exprimer les mêmes opinions devant les Américains.
Le sénateur Day: N'hésitez pas à communiquer avec nous par l'intermédiaire de notre greffier si vous avez des questions à nous signaler.
Le sénateur Corbin: Je voudrais revenir à la question abordée par notre collègue, le sénateur Graham, au sujet du sentiment anticanadien aux États-Unis. Je pense que cette réaction a été provoquée en grande partie par l'ambassadeur des États-Unis au Canada.
La nouvelle que le sénateur Graham a entendue à CBC a également été publiée aujourd'hui dans les principaux journaux québécois. Bien qu'il ne s'agisse pas en particulier du secteur du camionnage, il s'agit d'un secteur qui y est relié, celui du tourisme. Je vais lire le paragraphe suivant en français pour éviter toute erreur de traduction.
Il s'agit d'une déclaration faite par le président de Yankee Holidays, Charles de Gaspé Beaubien. C'est un nom très connu au Québec et dans d'autres régions du Canada.
[Français]
Selon lui, ce sentiment anti-canadien a tout à voir avec cette désormais «célèbre» partie de hockey, qui a eu lieu à Montréal, il y a deux semaines et au cours de laquelle l'hymne américain a été hué.
«Mes ventes se sont mises à diminuer à partir de ce moment» affirme le président de Yankee Holidays.
Quand l'ambassadeur des États-Unis au Canada, M. Paul Cellucci, a fait part de sa déception du fait que le Canada ne participe pas à la guerre en Irak cela a été le dernier clou dans le cercueil. Nos ventes ont cessé instantanément.
[Traduction]
«Cela a été le dernier clou dans le cercueil,» a-t-il déclaré. «Nos ventes ont cessé immédiatement.»
Je suis conscient que certains Canadiens aiment jouer le rôle de défenseurs des Américains, mais je pense qu'il est nécessaire de tenir compte du contexte. Les Américains n'ont pas toujours collaboré. Leurs médias ont eu une attitude extrêmement méprisante à l'égard du Canada. J'ai suivi la plupart des émissions au cours des trois dernières semaines. Je me souviens de ce que l'on disait une heure à peine après les attentats du 11septembre; on disait que les terroristes s'étaient rendus de Yarmouth à Portland par traversier, puis de là à Boston et de Boston aux divers lieux de destination.
Je ne pense pas qu'il faille minimiser ces incidents. Je reconnais qu'il est nécessaire de calmer les esprits, mais les hauts fonctionnaires américains ne nous facilitent pas toujours la tâche en mettant en doute l'indépendance de notre pays et son droit de prendre des décisions qui le concernent. Je suis très agacé par l'arrogance dont les Américains ont fait preuve à l'égard des Canadiens, dans le cadre d'incidents concernant non seulement notre secteur, mais aussi les autres secteurs.
Je pourrais mentionner d'autres frictions dans les relations entre le Canada et les États-Unis. Je pense qu'il est nécessaire de rétablir une certaine normalité, mais les citoyens américains ont plus de chemin à parcourir que nous. C'est ce que je pense. Vous pouvez faire des commentaires à ce sujet si vous le désirez. C'est une question qui me démange depuis un certain temps.
M. Bradley: Je n'ai pas de commentaires à faire à ce sujet. Je pense avoir mentionné clairement que le principal enjeu économique de l'avenir serait de réparer les dommages dans les relations avec les États-Unis et d'instaurer une frontière efficiente. C'est tout ce que j'ai à dire.
Le président: Monsieur Bradley, je vous remercie au nom de mes collègues de nous avoir aidés à faire le bilan au sujet de ces questions avant de préparer notre rapport.
Notre dernier témoin est M.Jean, sous-ministre adjoint à Citoyenneté et Immigration Canada. Nous avions invité M.Jean à une date antérieure, mais il n'avait pas pu s'absenter de la Chambre et avait dû ensuite assister à une réunion de comité du Conseil des ministres, si j'ai bonne mémoire.
[Français]
M. Daniel Jean, sous-ministre adjoint intérimaire, Développement des politiques et des programmes, Citoyenneté et Immigration Canada: Honorables sénateurs, je vous remercie de m'avoir invité à comparaître. Je discuterai des questions de sécurité frontalière et parlerai des questions de réfugiés, parce que cela attire beaucoup l'attention. Je vais aussi parler de la participation du ministère de la Citoyenneté et Immigration Canada dans la facilitation des déplacements dans le contexte des ententes commerciales.
Dans le monde d'aujourd'hui, le concept de la frontière vu comme étant une ligne séparant deux états-nations est caduc. Compte tenu des divers modes de transport, on préfère parler du concept de «frontières multiples».
Du point de vue de l'immigration, on définit une frontière comme étant tout point situé le long du parcours d'un voyageur où l'on peut vérifier son identité. À chacun de ces points de contrôle existe une opportunité de procéder à la vérification de l'identité d'un voyageur. Cela permet l'interception de personnes pouvant représenter une menace pour la sécurité et de voyageurs illégitimes avant même qu'ils n'arrivent au Canada.
Je suis heureux de vous annoncer que nos voisins du Sud ont aussi adopté cette stratégie de frontières multiples. Tout récemment, Citoyenneté et Immigration Canada et le Service d'immigration américain ont signé un cadre de travail sur la gestion du risque basé sur le concept des frontières multiples. Le Canada et les États-Unis ont une longue tradition de coopération en ce qui concerne la gestion de la frontière car ils ont des objectifs communs en termes de sécurité et font face au même défi inhérent au mouvement de personnes, c'est-à-dire l'abus des programmes d'immigration et d'asile.
Signé en décembre 2001, le plan d'action pour une frontière intelligente a servi de catalyseur à une action concertée pour renforcer la sécurité des deux pays. Ce plan d'action s'appuie sur quatre grands principes qui sont le mouvement sécuritaire des gens, le mouvement sécuritaire des biens, une infrastructure sécuritaire accompagnée du partage de l'information et la coordination de la mise en oeuvre de ces objectifs.
Citoyenneté et Immigration Canada est le chef de file en ce qui concerne 10 des 30 points du plan d'action et j'aimerais identifier quelques réussites importantes. En juin 2002, après plusieurs années d'efforts, CIC a finalement introduit la carte de résident permanent. Cette carte est extrêmement sécuritaire. Elle est remise aux personnes qui ont le statut d'immigrant reçu au Canada. Cette carte a d'ailleurs remporté des prix pour être la carte la plus sécuritaire en termes de technologie.
On a accru la capacité de contrôle et de lutte contre la fraude dans nos bureaux à l'étranger. En 1990, le Canada était le premier pays à déployer des agents pour travailler avec les autorités étrangères et les transporteurs aériens et maritimes dans le but d'intercepter les gens avant même qu'ils essaient d'entrer au Canada.
En 1990, on interceptait 30p. 100 des gens qui tentaient d'entrer directement au Canada. Et l'année dernière, 70p. 100 des gens qui essayaient de venir directement au Canada en utilisant de faux documents étaient interceptés. Le Canada est perçu comme étant un chef de file en cette matière.
En ce qui concerne l'information préalable sur les passagers, elle figure sur les passeports et nous parvient dans les manifestes de passagers au moment même où les gens traversent l'océan. Cela permet de mieux cibler les visiteurs illégitimes ainsi que les gens qui peuvent constituer un risque pour la sécurité.
Parmi les programmes alternatifs d'inspection, nous avons NEXUS qui s'adresse aux voyageurs et EXPRESS qui vise les transporteurs commerciaux. CIC a récemment signé une nouvelle entente d'échange d'information avec le Homeland Security Department et collabore avec le Département d'État qui émet les visas à l'étranger.
Depuis le 11septembre, le Canada a retiré la dispense de visa à dix pays et l'a fait tout récemment pour la Malaisie et l'Arabie Saoudite. En juin dernier, CIC a mis en œuvre la plus importante réforme de sa loi qui procure maintenant de nouveaux outils sur le plan de la sécurité. De plus, CIC a renouvelé le protocole d'entente avec l'Agence des douanes et Revenu Canada pour essayer d'améliorer la façon de gérer les frontières et de cibler les risques.
CIC continuera à suivre rigoureusement les principes de la gestion du risque dans sa gestion de l'accès au Canada. Son succès dépendra de la coopération avec ses partenaires clés. CIC ne peut y arriver en étant isolé. C'est la raison pour laquelle une coopération au niveau international, en particulier avec les États-Unis, est nécessaire pour maintenir la sécurité des frontières.
J'aimerais maintenant parler de la question des réfugiés.
[Traduction]
Comme vous le savez, le Canada se doit de respecter ses diverses obligations internationales en ce qui a trait à la protection des réfugiés. Les défis auxquels nous faisons face sont alors d'identifier les réfugiés légitimes et de les protéger, tout en s'assurant que des migrants économiques ou des personnes posant une menace n'abusent pas de notre générosité. Nous ne sommes pas les seuls. Tous les pays développés font face à ces défis. De récentes études faites par un groupe de pays développés indiquent que ce sont des non-réfugiés qui bénéficient des neuf dixièmes des fonds dépensés dans ce domaine.
Comme je l'ai déjà mentionné, la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés est entrée en vigueur le 28juin2002 et a instauré de nouveaux outils de contrôle en matière d'accès et d'asile au Canada. Nous avons signé l'Entente sur les pays tiers sûrs avec les États-Unis. Il s'agit d'une entente en vertu de laquelle, à quelques exceptions près, les personnes concernées devraient bénéficier d'une protection dans le premier pays où elles arrivent. Si elles arrivent d'abord au Canada, c'est là que la demande d'asile doit être entendue, et réciproquement. L'entente fait partie intégrante du plan d'action en 30points.
Vous avez peut-être noté récemment dans les médias un grand nombre d'articles sur la hausse du nombre de demandeurs de statut de réfugié à nos postes frontaliers terrestres. J'ai le plaisir d'annoncer que la demande a baissé depuis la mi-mars.
Pour éviter de compromettre de quelque façon que ce soit la sécurité d'un système de traitement initial des demandes, consistant à faire un contrôle efficace au sujet de ces personnes afin de protéger la sécurité publique, nous avons eu recours à une méthode appelée «renvoi temporaire», à savoir que lorsque nous n'avions pas la capacité de faire un contrôle initial en bonne et due forme, nous avons renvoyé les personnes concernées aux États-Unis en leur donnant rendez-vous à une date ultérieure pour l'audience sur leur demande d'asile. Dans le contexte d'un aéroport où le renvoi temporaire n'est pas possible, nous avons eu recours à la détention de façon ciblée en ce qui concerne les personnes sur l'identité desquelles nous avions des doutes, en veillant à faire un contrôle efficace avant de prendre une décision concernant leur admission.
Vous avez peut-être entendu notre ministre, dans le discours qu'il a prononcé à Toronto le 7mars dernier, parler du besoin de réforme de notre système de détermination du statut de réfugié. Bien que je sois certain que ceci soit d'intérêt pour vous, il serait prématuré pour moi d'en parler car nous n'en sommes qu'au début de la réflexion qui s'oriente autour de quatre lignes de conduite: premièrement, le Canada devrait continuer à respecter son engagement de longue date à l'égard des réfugiés; deuxièmement, le Canada devrait continuer à accorder l'asile aux personnes qui doivent effectivement être protégées; troisièmement, le Canada devrait pouvoir remplir ses obligations internationales relatives à la protection des réfugiés et quatrièmement, le Canada devrait maintenir sa tradition humanitaire et préserver ses valeurs fondamentales que sont la compassion et l'équité.
J'aimerais maintenant parler du rôle de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) dans la facilitation du commerce, surtout avec le Mexique et les États-Unis, nos deux principaux partenaires. CIC appuie les priorités du Canada en matière de commerce et d'investissement internationaux en jouant un rôle actif dans les ententes et dans les négociations, notamment en ce qui concerne l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) et l'Accord général sur le commerce des services (AGCS) de l'Organisation mondiale du commerce. Ces accords portent sur l'admission et le séjour temporaire d'hommes et de femmes d'affaires hautement qualifiés, mais excluent les questions d'immigration permanente. En général, ces accords commerciaux favorisent ou facilitent l'admission et le séjour temporaires des gens d'affaires étrangers hautement qualifiés.
Dans un effort coordonné avec le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, CIC travaille avec les responsables des États-Unis et du Mexique à améliorer la mise en oeuvre des dispositions du chapitre16 de l'Accord de libre-échange nord-américain. Ce chapitre contient des dispositions sur l'admission temporaire des gens d'affaires hautement qualifiés. Nous négocions des engagements plus fermes sur l'admission temporaire avec les 144membres de l'Organisation mondiale du commerce. Nous négocions des dispositions d'admission temporaire pour d'autres accords commerciaux, notamment pour la Zone de libre-échange des Amériques. Nous contribuons aux discussions pour de futurs accords internationaux avec d'autres pays de l'hémisphère occidental, notamment avec les pays des Antilles.
La plupart des gens d'affaires canadiens obtiennent sans difficulté l'admission temporaire aux États-Unis en vertu de l'ALENA ou suivant les règles générales d'immigration des États-Unis. Cependant, certains Canadiens ont des problèmes, en particulier avec l'immigration américaine. Les responsables canadiens et américains du commerce et de l'immigration tentent de régler ces problèmes par de nouvelles consultations et par des séances d'information à l'intention des groupes de gens d'affaires canadiens et américains, et par des discussions bilatérales sur l'ALENA et d'autres cadres de coopération comme la Vision de la frontière et l'Initiative de la frontière intelligente.
En ce qui concerne les accords commerciaux, la Zone de libre-échange des Amériques est bien avancée au chapitre du commerce proprement dit, mais les négociations concernant l'admission temporaire ne font que commencer. Nos relations avec le Mexique sont très bonnes. Nous entretenons un dialogue permanent en ce qui concerne les questions frontalières, les questions commerciales et le mouvement des personnes.
Le Mexique est notre principale source de travailleurs agricoles. Le Programme des travailleurs agricoles saisonniers conclu entre le Canada et le Mexique est un exemple de coopération réussie qui profite aux deux pays. En2001, approximativement 119000travailleurs temporaires ont été admis au Canada, dont environ 26p.100 des États-Unis (31000 personnes) et environ 12p.100 du Mexique. Ces statistiques n'incluent pas les milliers de gens d'affaires des deux pays. En2001, environ 13000 travailleurs saisonniers sont venus au Canada, dont 7000 d'entre eux en provenance du Mexique.
En conclusion, CIC réitère son engagement vis-à-vis le maintien et le renforcement de l'intégrité de nos programmes d'immigration et de protection des réfugiés. Nous réitérons aussi notre engagement de renforcer la sûreté du pays et la sécurité de tous les Canadiens, tout en facilitant le déplacement des gens de bonne foi et du commerce légitime. J'espère que ma brève présentation pourra vous donner l'assurance que nous prenons les mesures nécessaires jour après jour afin de respecter ces engagements, en partenariat avec d'autres ministères, d'autres pays et des organisations internationales.
Le sénateur Carney: Je remercie le témoin pour son mémoire et son exposé exhaustifs. Je dois reconnaître toutefois que je trouve certaines informations inquiétantes. Vous avez mentionné que la stratégie des frontières multiples nous amène à regarder au-delà de notre frontière terrestre commune vers les autres points de contrôle stratégique situés endeçà des frontières nord-américaines et à l'étranger. Vous avez fait un autre commentaire analogue dans votre exposé.
Quel est le cadre juridique dans ce contexte? En vertu de quel pouvoir international le Canada peut-il mettre cette stratégie en oeuvre? Vous mentionnez que vous avez développé le concept des frontières multiples et je reconnais que dans le contexte mondial actuel, on ne peut pas nécessairement les arrêter au 49eparallèle, mais le fait que cela permette, d'après vous, d'intercepter des personnes posant un risque pour la sécurité ou d'autres voyageurs illégitimes avant leur arrivée au Canada est très inquiétant. En vertu de quel cadre international ou de quel pouvoir législatif pouvez-vous intervenir de la sorte?
M. Jean: Je clarifie volontiers ce point. Nous sommes habilités à décider si nous exigerons des visas de la part de ressortissants d'un pays étranger. Nous avons la compétence voulue dans les ambassades et les consulats pour prendre des décisions individuelles en ce qui concerne les visas. D'autre part, les dispositions actuelles de la Loi sur l'immigration précisent que les compagnies de transport ont la responsabilité de s'assurer que leurs passagers sont admissibles au Canada.
Nous jouons un rôle de conseiller. Nous ne pouvons certes pas interdire l'admission d'un voyageur dans un aéroport ou dans un port étranger dans n'importe quelle situation. Nous jouons toutefois un rôle consultatif actif auprès des autorités étrangères et des compagnies de transport. Ces dernières ont certaines obligations en vertu des dispositions de notre loi.
Nous prenons des décisions selon nos prémisses et conformément à notre mandat. À l'extérieur de notre champ de compétence, nous jouons le rôle de conseillers. Nous sommes conscients que nous n'avons pas compétence dans un aéroport, par exemple. C'est pourquoi nous avons établi un protocole très précis avec les autorités locales et les compagnies de transport. Ce que l'honorable sénateur a appelé cette vision a été adoptée en1990. Comme je l'ai mentionné, ce fut une stratégie extrêmement efficace. Elle est tellement efficace qu'on intercepte maintenant deux personnes sur trois qui tentent d'avoir un accès direct au Canada de façon illégale, sans compter les personnes dont l'admission est rejetée dans le cadre du processus régulier d'octroi des visas.
Le sénateur Carney: D'après votre mémoire, on avait l'impression que vous aviez recours à une compétence extraterritoriale. Je suis consciente que certaines politiques que vous avez mentionnées sont en place depuis des années.
Ce n'est pas mentionné dans votre mémoire, mais l'Agence des douanes et du revenu du Canada représente le fisc et les services douaniers. Ce n'est pas mentionné clairement dans la version anglaise.
Vous signalez que CIC est préoccupée par le nombre croissant de citoyens mexicains qui demandent le statut de réfugié au Canada. Les Mexicains représenteraient le troisième groupe principal de demandeurs d'asile au Canada l'année dernière, ce qui est étonnant. Les demandeurs d'asile des Philippines représentent un groupe important et il y en a d'autres, mais pourquoi un Mexicain pourrait-il être admissible à une demande d'asile? Quels sont les motifs pour lesquels les Mexicains constituent le troisième groupe le plus important de demandeurs du statut de réfugié?
M. Jean: Ce n'est pas parce qu'ils présentent une demande qu'ils sont admissibles.
Le sénateur Carney: J'en suis consciente.
Le président: Pourquoi les Mexicains décideraient-ils de devenir des réfugiés au Canada? Je ne comprends pas non plus les motifs d'une telle démarche.
Le sénateur Carney: C'est une excellente question, monsieur le président.
M. Jean: Nous recevons également occasionnellement des demandes de statut de réfugié faites par les habitants de pays d'Europe occidentale. Nous n'en recevons pas aussi souvent, mais parfois.
Comme je l'ai mentionné dans mon exposé, nous ne sommes pas les seuls à faire face à ce problème. Les États-Unis y font face également, et les pays d'Europe occidentale aussi. Les personnes qui n'ont pas besoin de protection abusent toutefois généralement d'un système qui vise à assurer une protection aux personnes qui en ont besoin et dans les cas où le soutien public est vigoureux. La présentation d'une demande leur donne le droit de travailler pendant le traitement de la demande. Cela leur donne peut-être accès à des services sociaux. Une demande peut être présentée pour diverses raisons, même si le demandeur ne pense pas avoir des chances d'être admissible.
Le sénateur Carney: Combien de demandes sont effectivement acceptées?
M. Jean: En ce qui concerne le Mexique, le nombre est très limité. Je vous ferai parvenir volontiers les statistiques que nous pourrons obtenir auprès de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Comme vous le savez, la détermination du statut de réfugié est faite par un tribunal administratif au Canada.
Le sénateur Carney: Insinuez-vous que la plupart des demandeurs exploitent le système pour avoir accès aux services sociaux ou pour avoir le droit de travailler au Canada, et pas parce qu'ils sont persécutés dans leur pays?
M. Jean: Ce que j'ai mentionné, c'est qu'il ne faut pas oublier que le Canada n'est pas le seul pays qui soit confronté au problème des réfugiés. C'est ce que M.Lubbers, le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, appelle les «mixed flows» (mouvements mixtes). Autrement dit, certaines personnes méritent vraiment une protection et il est nécessaire de leur donner asile. Cependant, d'autres personnes exploitent le système pour obtenir divers avantages, notamment pour avoir le droit de travailler ou pour d'autres raisons, comme gagner du temps.
Le président: On aurait tendance à croire que lorsqu'une personne présente une demande, c'est qu'elle a de bonnes raisons. On se demande quelles pourraient être ces raisons dans le cas d'un Mexicain qui veut s'établir à Toronto, à Vancouver ou à Montréal. Laissons la question de côté, parce que je pense qu'elle n'a pas beaucoup de rapport avec le sujet principal. Je comprends les mouvements de main-d'oeuvre, mais c'est curieux.
Le sénateur Corbin: Le mémoire présenté par le témoin contient la réponse à la question suivante: pourquoi des gens d'affaires connaissent-ils des problèmes? Le troisième volet de la réponse est: «Les agents à la frontière américaine sont davantage sensibilisés à la sécurité et appliquent avec plus de rigueur les règles d'admission temporaire».
Je pensais que ces mesures n'étaient pas nécessairement temporaires, qu'elles présentaient un certain caractère de permanence et que, par conséquent, nous serions soumis à un régime de surveillance plus étroite à l'entrée des États- Unis.
Vous avez toutefois employé le terme «temporaire». Pourriez-vous expliquer de façon plus précise dans quel but?
M. Jean: «Admission temporaire» est l'expression technique qui permet de faire la distinction entre l'admission temporaire dans un pays et l'admission permanente qui s'apparente au statut d'immigrant.
Le sénateur Corbin: Il ne s'agit pas de règles temporaires mais de règles d'admission temporaire.
M. Jean: Le chapitre16 de l'ALENA renferme par exemple des dispositions concernant l'admission temporaire de gens d'affaires dans les trois pays partenaires.
Le sénateur Corbin: L'autre petite question que je voudrais poser est: est-ce que, quand le niveau d'alerte aux États- Unis passe de jaune à orange, ce changement a des répercussions pour vous?
M. Jean: Cela dépend, selon que la menace est uniquement dirigée vers les États-Unis, selon qu'elle est dirigée sur l'un ou l'autre des pays parties ou que le Canada peut être choisi comme base d'opérations.
Le sénateur Corbin: Le public n'est pas nécessairement au courant de cette situation, mais bien le ministère. Est-ce bien cela?
M. Jean: Le ministère devrait être au courant. Nous avons en outre instauré avec nos partenaires américains des mécanismes leur permettant de nous signaler d'avance tout relèvement du niveau d'alerte et de justifier cette décision. Si nous étions la cible commune d'une menace ou s'il y avait possibilité que l'on nous choisisse comme base d'opérations pour une activité illégale, nous ajusterions nos processus en conséquence.
Le sénateur Corbin: Ce préavis est-il de quelques heures ou de quelques jours?
M. Jean: Tout dépend de la situation, sénateur.
Le sénateur Corbin: Comment a-t-on procédé jusqu'à présent?
M. Jean: Dans le contexte du récent système d'alerte, nous avons généralement reçu un préavis d'un jour environ.
Le sénateur Corbin: Comment réagissez-vous à partir du moment où vous recevez le préavis? Que dites-vous à vos collaborateurs?
M. Jean: Nous expliquons généralement quelle incidence le niveau d'alerte aura sur les services d'inspection américains afin de permettre aux services concernés de faire les ajustements nécessaires aux points d'entrée.
Nous ne nous sommes pas encore trouvés dans cette situation jusqu'à présent, mais si, d'après la nature de l'information, tout semblait indiquer que la menace pourrait être dirigée sur le Canada ou que le Canada pourrait être utilisé comme point d'escale, nous déciderions peut-être d'accroître notre sécurité. Nous n'avons pas encore atteint cette étape.
Le sénateur DiNino: Monsieur Jean, je suis certain que vous êtes conscient qu'au cours des dernières années, et surtout depuis le 11septembre, un certain nombre d'Américains accusent le Canada d'avoir des frontières poreuses ou d'avoir des services de contrôle de la sécurité nettement insuffisants aux frontières. Avez-vous lu le rapport de la vérificatrice générale qui a été rendu public hier?
M. Jean: Oui.
Le sénateur DiNino: Je suis certain que vous n'avez pas la même opinion que moi, mais j'interprète le rapport de la vérificatrice générale comme une critique cinglante à votre endroit en ce qui concerne la protection des frontières contre l'admission de terroristes potentiels ou de personnes qui posent une menace pour la sécurité. Vous avez pourtant mentionné aujourd'hui que tout allait bien et que nous n'avions pas de problèmes. C'est du moins ainsi que j'interprète votre exposé.
Je suis très préoccupé. Nous en discutons depuis longtemps. Votre ministère fait depuis longtemps l'objet de critiques. La vérificatrice générale a en fait mentionné dans son rapport que nous n'assurons pas la protection des frontières contre l'admission potentielle de terroristes ou contre des menaces potentielles à la sécurité. Comment expliquez-vous cette situation?
M. Jean: Nous avons eu de nombreux entretiens avec la vérificatrice générale au cours de la préparation de ce rapport. Je signale que le Bureau du vérificateur général a reconnu que nous avons fait des progrès importants sur de nombreux fronts. La vérificatrice générale a mentionné trois domaines où elle nous recommande de faire davantage de progrès. L'un d'eux concerne les mesures de renvoi non exécutées, un autre concerne l'affectation de ressources aux enquêtes et le troisième concerne nos relations à la frontière avec l'Agence des douanes et du revenu du Canada.
Nous sommes en train de régler la question en ce qui concerne Douanes Canada. Nous venons de signer un nouveau protocole d'entente. Nous nous sommes basés sur les problèmes signalés l'année dernière par la vérificatrice générale pour élaborer des mécanismes qui nous permettent de faire un ciblage plus efficace à la frontière en ce qui concerne les risques.
La question des mesures de renvoi non exécutées est complexe. Le rapport mentionne qu'un nombre croissant de mesures de renvoi ne sont pas exécutées étant donné qu'il est possible que 36000 personnes visées par une telle mesure soient toujours au Canada. Je dis «possible», parce que de nombreuses personnes qui font l'objet d'une mesure de renvoi peuvent quitter le pays de leur plein gré, sans que nous le sachions. Nous n'avons pas mis en place de système de contrôle des entrées-sorties. Nous n'avons pas mis en place de mesures incitatives ou dissuasives afin de forcer les personnes concernées à signaler leur départ. Certaines le font et leur nom est supprimé de la liste, mais d'autres ne nous avertissent jamais. Nos ressources sont limitées et nous nous efforçons de les consacrer aux cas les plus problématiques sur le plan de la sécurité publique.
Nous ne prétendons pas être parfaits. Je pense toutefois que par rapport à plusieurs rapports antérieurs de la vérificatrice générale, nous avons fait des progrès importants. J'ai eu l'honneur de passer cinq ans à Washington et le nombre de mesures de renvoi non exécutées atteint 300000 aux États-Unis. La population des États-Unis est environ dix fois plus élevée que celle du Canada et le nombre de mesures de renvoi non exécutées se chiffre à 300000. Nous ne sommes pas les seuls à être confrontés à ce problème. Il ne s'agit pas en l'occurrence de montrer les coupables du doigt mais plutôt de se serrer les coudes pour régler les problèmes.
Le sénateur DiNino: Monsieur Jean, la valeur de nos échanges commerciaux avec les États-Unis est d'environ 380milliards de dollars. Nos échanges commerciaux avec les États-Unis représentent approximativement 88p.100 de notre commerce extérieur. On a mentionné aujourd'hui qu'environ 70p.100 des marchandises sont acheminées par la voie routière. On ne peut pas se contenter d'un commentaire comme: «Nous ne sommes pas les seuls». Nous sommes au courant de ce problème depuis des années. Je n'irai pas jusqu'à dire que c'est de la mauvaise gestion, mais je pense que la vérificatrice générale vérifie les problèmes qui se posent au ministère depuis des années. Ce n'est pas suffisant. Il est important d'éviter de donner des munitions supplémentaires aux Américains ou aux personnes qui voudraient exploiter cette information pour imposer des obstacles supplémentaires aux entreprises canadiennes désireuses de faire du commerce avec les États-Unis.
En toute sincérité, je pense que votre réponse n'est pas satisfaisante. Vous ne pouvez pas mentionner, comme vous l'avez fait il y a quelques minutes, que tout va très bien quand pas plus tard que ce matin, la vérificatrice générale signale que la frontière est une véritable passoire. Notre frontière est en fait poreuse et nous ne savons pas d'où viennent les terroristes et les menaces à la sécurité. Ces commentaires ne viennent pas de moi. C'est la vérificatrice générale qui les a faits. Il n'est pas acceptable de signaler que, tout compte fait, nous ne sommes pas les seuls et que la situation est la même dans de nombreux pays. C'est une situation qui nuira aux échanges commerciaux. Elle aura des conséquences néfastes sur nos relations avec les États-Unis. Le comble, c'est qu'elle apportera de l'eau au moulin des Américains qui exploiteront cette information pour causer préjudice à nos relations, du moins à nos relations commerciales et probablement aux autres relations également. Nous attendons de vous la confirmation que votre ministère tient à régler ce grave problème.
M. Jean: Nous ne le prenons pas à la légère. Comme je l'ai mentionné, je ne prétends pas que nous sommes parfaits. Cependant, il y a plusieurs années, la vérificatrice générale aurait peut-être signalé une dizaine de problèmes alors qu'elle n'en a signalé que trois. Nous devons réaliser des progrès, c'est certain. Nous avons déjà mis en place un plan d'action dans le but de régler certains de ces problèmes.
Cependant, la question des mesures de renvoi non exécutées sera toujours difficile à régler.
Le sénateur Graham: Monsieur Jean, vous avez mentionné dans votre mémoire un discours que le ministre a prononcé à Toronto le 7mars.
Dans ce discours, il a signalé la nécessité d'entreprendre une réforme de notre système de détermination du statut de réfugié.
Alors que vous reconnaissez notre intérêt pour cette question, vous mentionnez qu'il serait prématuré pour vous d'expliquer ce qu'il entendait par là. Le ministre savait certainement ce qu'il envisageait et il devait savoir, sur les recommandations de personnes comme vous, quels secteurs seraient touchés par cette réforme. Vous reconnaissez que vous n'en êtes qu'au début de la réflexion sur les lignes de conduite, dont quatre ont été mentionnées par le ministre dans son discours.
Ce discours a été prononcé il y a un peu plus d'un mois. Serait-il prématuré de nous signaler ce qui a été entrepris dans ce domaine? A-t-on entrepris une réforme? Vous êtes-vous fixé des échéances fermes pour accomplir cette tâche? Peut-on s'attendre à ce qu'on nous propose cette année un projet de loi visant à mettre en oeuvre les réformes mentionnées par le ministre?
M. Jean: Je ne peux pas donner d'information concrète sur la nature des réformes car nous n'avons pas encore atteint cette étape, ni sur les échéances.
Dans son discours, le ministre a mentionné deux perceptions qui représentent des positions extrêmes. L'une est celle adoptée par les personnes qui estiment que l'on abuse de notre système et qu'il est nécessaire d'y remédier en le modifiant. L'autre position est que le système n'est pas assez généreux et que les demandeurs devraient avoir accès à des possibilités accrues de faire appel et d'établir le bien-fondé de leur demande de protection. La difficulté pour tout pays qui veut élaborer un système d'immigration efficace en ce qui concerne les réfugiés est de viser un juste milieu entre ces deux extrêmes. Ce n'est pas une tâche facile. De nombreux pays ont fait des essais et un très petit nombre seulement ont vu leurs efforts couronnés de succès.
Nous examinons les possibilités. Nous examinons les leçons que l'on peut tirer des tentatives qui ont été faites dans d'autres pays. Comme quelqu'un l'a mentionné, il n'est pas humanitaire d'accepter une demande mais d'attendre deux ans avant d'accorder un visa d'immigrant à la personne concernée. Les études indiquent que les réfugiés s'adaptent d'autant mieux dans notre pays que l'acceptation de leur demande et leur intégration à nos programmes sont rapides. Certaines personnes pensent peut-être que notre système est humain et généreux, mais il pourrait être plus efficace pour les personnes qui méritent notre protection. Ne serait-il pas possible d'autre part de mettre un frein à certains abus? Ce sont les possibilités que nous comptons examiner.
Le sénateur Graham: Autrement dit, vous voulez être justes tout en supprimant autant que possible les échappatoires.
M. Jean: De l'avis de n'importe quel expert, le système idéal est celui qui permet d'accepter ou de rejeter une demande dans de très brefs délais. Il faut une finalité et il est essentiel que le processus soit rapide.
[Français]
Le sénateur Setlakwe: Je voudrais vous féliciter ainsi que votre ministère pour le travail magnifique fait à l'extérieur du Canada. J'ai eu l'occasion à quelques reprises de voyager avec votre ministre et j'ai constaté l'excellent travail que font vos officiers d'immigration dans des pays comme la Hollande, la France, l'Algérie, l'Égypte, la Syrie et la Turquie. Ces officiers d'immigration méritent la reconnaissance du peuple canadien. Je voudrais tout simplement que vous le transmettiez à votre service.
M. Jean: Avec plaisir, sénateur Setlakwe.
Senator Day: Je vais poser quatre questions pour clarification seulement.
[Traduction]
La première question concerne le Système d'information préalable et les Services d'analyse des passagers que vous avez mis en place aux États-Unis. Vous pourriez peut-être donner des informations séparément sur chacune de ces initiatives. Un projet pilote d'une durée de six mois a été mis en place à Washington et à Vancouver, avec le concours des services américains. La période de six mois est écoulée. Qu'est devenu ce projet?
M. Jean: Le délai de six mois est écoulé. Nous faisons une évaluation pour déterminer si l'initiative est intéressante. Je n'ai pas encore reçu les résultats de l'évaluation. Aux aéroports de Vancouver et de Miami, nous avons pu détecter certaines menaces. Il reste à déterminer si l'investissement a été assez rentable pour justifier le maintien de cette initiative.
Le sénateur Day: Le projet est-il tombé dans l'oubli?
M. Jean: L'évaluation sera terminée d'ici la fin du mois.
Le sénateur Day: J'aimerais faire un commentaire, moi aussi. Vous répondrez si vous le jugez nécessaire. Vous avez mentionné que Citoyenneté et Immigration créait son propre groupe de renseignement pour recueillir et analyser des renseignements. Vous travaillez en étroite collaboration avec les fonctionnaires des Douanes également.
Je crains qu'un trop grand nombre de ministères n'instaurent leur propre service de renseignement. Je pense que c'est une tâche qui devrait être accomplie par la GRC et par le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) plutôt que par plusieurs ministères comme Agriculture et, maintenant, Citoyenneté et Immigration. Les ministères créent l'un après l'autre leur propre service de renseignement. Ces initiatives risquent d'engendrer un autre problème semblable à celui qui a entraîné la création d'un département de la Sécurité du territoire aux États-Unis. Vous ne voudrez peut-être pas faire des commentaires à ce sujet parce que c'est une question stratégique.
M. Jean: Nous en sommes très conscients, sénateur. Nous investissons dans le renseignement dans la mesure nécessaire pour accomplir notre mandat et pour nous conformer à la loi qui nous concerne. Il y a des leçons à tirer des événements du 11septembre; 19personnes ont détourné des avions et ont commis des attentats spectaculaires. Seulement deux de ces 19personnes étaient fichées dans les bases de données d'un service de renseignement. Pourquoi est-ce que je le signale? La capacité de faire un triage dans un contexte d'immigration est directement liée à la qualité des renseignements que l'on reçoit de ses partenaires —de la GRC, du SCRS et des partenaires étrangers— et à l'application de ces renseignements au système de filtrage des demandes d'immigration.
Le SCRS et ses alliés étrangers font la collecte de renseignements pour leurs propres besoins. Ils ne transposent pas nécessairement cette information sous une forme qui répond aux besoins des services d'immigration; c'est ce que font nos services de renseignement. La présence de ces divers services n'entraîne pas une redondance des efforts. Notre service ne recueille pas activement des renseignements sur la sécurité, par exemple. Il recueille de l'information sur les mouvements de personnes et sur le lien entre ces mouvements et notre mandat.
Nous collaborons activement avec le SCRS. Par exemple, nous faisons un triage sécuritaire des immigrants. En1991, le SCRS et CIC ont décidé conjointement que le traitement initial serait fait par des agents de CIC au moyen d'indicateurs établis par notre ministère de sorte à ne mobiliser l'attention et des spécialistes que pour les cas qui les préoccupent. En quoi serait-il utile que le SCRS mobilise des ressources pour une personne âgée de 65ans venant du Chili? Nous travaillons en étroite collaboration avec nos partenaires pour éviter de faire deux fois le même travail.
Le sénateur Day: Vous avez mentionné que nous pourrions concentrer nos efforts sur les activités criminelles; est-ce que vous intervenez avec le concours du SCRS dans ce cas-là?
M. Jean: Oui. Nous travaillons également en étroite collaboration avec la GRC. Nous avons renouvelé notre protocole d'entente avec ces deux organismes.
Le sénateur Day: L'accord concernant les pays tiers sûrs a-t-il été mis en oeuvre? On le dirait, d'après vos propos.
M. Jean: Cet accord a été signé en décembre. Au Canada, nous avons prépublié notre règlement et nous nous préparons pour la publication définitive.
Les États-Unis sont sur le point de prépublier leur règlement qui entrera probablement en vigueur au cours de l'été ou de l'automne.
Le sénateur Day: C'est ce que je pensais. Vous avez également mentionné que vous aviez recours à plusieurs processus aux postes frontaliers pour éviter la formation de groupes importants aux frontières. Nous en avons vu au cours de diverses visites aux postes frontaliers. Si vous ne pouvez pas faire une sélection préliminaire à ce moment-là, est-ce qu'ils sont systématiquement renvoyés ou la décision est-elle laissée au jugement de l'agent d'immigration au point frontalier?
M. Jean: Nous avons donné les instructions suivantes à nos agents aux points d'entrée: ils doivent être en mesure de faire un triage de sécurité complet. Si aucun interprète n'est disponible ou si une trentaine de personnes arrivent le même jour et que l'on n'a pas la capacité d'examiner tous les cas, ces personnes doivent être renvoyées aux États-Unis et devront revenir à une date ultérieure.
Le sénateur Day: Je présume qu'ils ne sont pas concernés par la carte de résident permanent que vous avez mentionnée. Je présume que si vous faites un examen préalable et qu'ils sont autorisés à entrer au Canada, on ne leur donne pas de carte de résident permanent.
M. Jean: Non.
Le sénateur Day: Le problème qui a été signalé ce matin par la vérificatrice générale n'est-il pas précisément lié notamment aux personnes qui sont autorisées à entrer au Canada et auxquelles on demande de se présenter à nouveau dans quelques semaines pour examiner leur demande de statut de réfugié? Ces personnes disparaissent. De nombreuses personnes ont disparu dans la nature et vous avez perdu leur trace.
M. Jean: Le problème signalé par la vérificatrice générale dans son rapport concerne les personnes qui ont dépassé cette étape. Leur demande a été examinée, mais elle a été rejetée et elles ont reçu une ordonnance de renvoi. En l'absence d'un système des entrées-sorties ou de toute autre mesure forçant les personnes concernées à signaler leur départ, on ne peut présumer qu'elles ont toutes quitté le Canada ou qu'elles y sont toutes restées. C'est notamment de là que vient le problème.
Le sénateur Day: La vérificatrice générale a également mentionné qu'elle pensait qu'il y en avait environ 26000.
M. Jean: Trente-six mille. C'est le chiffre cumulatif.
Le sénateur Day: Combien d'étrangers, c'est-à-dire de demandeurs d'asile non résidents, qui ont passé la frontière et dont la demande n'a pas été traitée parce qu'on a tout simplement perdu leur trace sont encore maintenant au Canada? À combien estimez-vous leur nombre?
M. Jean: Je ne tiens pas à tenter d'évaluer leur nombre.
Le sénateur Day: Des milliers ou des centaines de milliers?
M. Jean: L'année dernière, nous avons reçu 33000 demandes d'asile. Certaines ont été approuvées et les demandeurs ont reçu le statut de résident permanent. D'autres ont été rejetées; ces demandeurs tentent peut-être d'être admis en ayant recours à d'autres processus et recevront une ordonnance de renvoi à un moment ou l'autre. L'année dernière, nous avons émis 8500 ordonnances de renvoi. Ça ne touche pas toutes les personnes dont la demande a été rejetée.
Le sénateur Day: Je voudrais clarifier un point: ne pouvez-vous pas demander à vos collaborateurs de vous communiquer un chiffre estimatif sur le nombre de personnes qui, parmi ces 33000 demandeurs de statut de réfugié, ont disparu dans la nature? Ne pouvez-vous pas le faire?
M. Jean: Nous pouvons communiquer des chiffres sur le nombre de personnes qui présentent une demande de statut de réfugié et qui ne se présentent pas à leur audience. Nous pouvons communiquer des chiffres sur le nombre de demandes approuvées et de demandeurs qui ont reçu le statut de résident permanent. Nous pouvons communiquer des chiffres en ce qui concerne le nombre de personnes dont la demande a été rejetée.
La plupart des ordonnances de renvoi sont ce que l'on appelle des «mesures de renvoi volontaire». Certaines personnes quittent de leur plein gré sans signaler leur départ à nos services. En l'absence de contrôle des sorties et de mesures incitatives efficaces, la plupart d'entre elles ne signalent pas leur départ. Certaines personnes ont quitté le Canada et d'autres y sont restées. Je reconnais que, comme le sénateur l'a mentionné tout à l'heure, c'est une piètre consolation de faire une comparaison avec d'autres pays. Nous voulons faire de notre mieux. Notre situation est semblable à celle de la plupart des pays développés.
Le sénateur Day: Dans certains pays développés, les demandeurs de statut de réfugié sont détenus jusqu'à ce que leur demande ait été traitée. En ce qui nous concerne, nous les laissons entrer après l'examen préalable en leur demandant de se présenter à nouveau pour un examen complet. Est-ce bien cela?
M. Jean: Le seul pays qui mette systématiquement en détention les demandeurs d'asile est l'Australie. C'est un système extrêmement coûteux. Il convient de se demander s'il est efficace en définitive.
Le président: Il n'a certainement pas contribué à rehausser l'image publique de l'Australie.
Le sénateur Day: Cette information sera utile. Est-ce que je pourrai effectivement savoir combien de personnes ont disparu dans la nature grâce aux renseignements que vous communiquerez?
M. Jean: Comme je l'ai signalé, c'est un problème que nous avons expliqué clairement et je pense que la vérificatrice générale le comprend. Il n'est pas possible de faire le calcul parce qu'on ignore combien de personnes ont quitté le pays et combien y sont restées.
Le président: Je me permets de rappeler à mes collègues que M.Jean est venu témoigner dans le contexte de notre mandat et pas au sujet du rapport de la vérificatrice générale. Il est acceptable qu'on pose quelques questions à ce sujet, mais notre étude porte sur les relations commerciales entre le Canada et les États-Unis et sur les problèmes à la frontière.
Le sénateur DiNino: C'est précisément l'objet des commentaires de la vérificatrice générale. Elle a signalé que, d'après les renseignements qu'elle avait recueillis, elle ne pouvait pas conclure que les frontières sont imperméables aux criminels et aux terroristes. C'est pourquoi ses commentaires avaient un lien direct avec notre étude.
Le sénateur Day: Quelqu'un a mentionné tout à l'heure que les États-Unis avaient des questions à poser au sujet de notre situation en matière d'immigration. Ce que je tente de démontrer c'est que nous avons réalisé d'énormes progrès, mais qu'il nous reste encore bien du chemin à parcourir. J'espère que c'est ce qui se dégagera de toutes ces discussions. Si vous arrivez à nous en convaincre, cela facilitera les relations entre le Canada et les États-Unis.
Le président: J'ai représenté pendant des années la circonscription de Toronto-Spadina où le pourcentage d'immigrants était alors très élevé. J'ai été membre du comité qui a publié le livre vert au cours des années70. Les chiffres que l'on citait généralement à l'époque —et personne ne connaît les chiffres exacts; c'est précisément là que réside le problème— étaient de 6 à 7millions d'immigrants illégaux aux États-Unis. Je présume que leur nombre n'a pas diminué.
Le sénateur Graham: Mes questions concernent les questions qui ont été posées par le sénateur Day au sujet des commentaires de la vérificatrice générale, voire ses généralisations. Je voudrais des renseignements au sujet des jeunes étudiants étrangers qui ont un visa temporaire. Certains d'entre eux ont disparu dans la nature, je présume. Pourriez- vous mentionner le nombre approximatif de personnes qui sont ici avec un visa d'étudiant et signaler si la vérificatrice générale a été en mesure d'évaluer le nombre d'étudiants dont on a perdu la trace?
M. Jean: Nous accordons environ 100000 visas d'étudiants par an. Nous pourrons vous communiquer le chiffre exact plus tard.
D'une façon générale, nous évaluons minutieusement les demandes faites par des étudiants étrangers. Le taux d'infraction est généralement faible. Je pourrais vous communiquer les chiffres que nous avons à ce sujet également.
Le sénateur Graham: Je pense que cela nous intéresserait. Ce type de renseignement nous intéresserait certainement.
M. Jean: C'est une question à laquelle nous accordons beaucoup d'attention.
[Français]
Le sénateur De Bané: Pour faire suite à la question du sénateur Graham, j'aimerais vous faire part d'une information que j'ai. Le système informatique du ministère ne permet pas de suivre la trace d'un étudiant d'un pays qui se serait présenté à notre consulat dans un pays donné et qui possède, par exemple, une lettre de l'Université Dalhousie de la Nouvelle-Écosse disant qu'il y est accepté en tant qu'étudiant. On remet un permis à cet étudiant pour venir étudier à l'Université Dalhousie puisqu'il a une lettre d'acceptation. Il arrive au Canada et il ne se présente pas à l'Université Dalhousie. L'information que j'ai, c'est que l'Université Dalhousie n'avertit pas la ministère que cette personne ne s'est pas présentée. Ai-je raison?
M. Jean: Oui, vous avez raison.
Le sénateur De Bané: Les États-Unis ont-ils mis en place un système? On me dit que les universités américaines se sont fait dire par le gouvernement américain que si désormais une personne à qui on a donné un permis pour venir étudier à une université ne se présente pas, elles doivent envoyer un courriel au gouvernement disant que la personne ne s'est pas présentée. Est-ce vrai?
M. Jean: À ma connaissance, les États-Unis ont mis un système similaire en place, mais seulement pour les citoyens de certains pays.
Le sénateur De Bané: Je vois. Est-ce que nous allons, d'après vous, mettre bientôt en place un tel système? Afin que, par exemple, lorsque notre officier à Tunis donne un permis à quelqu'un qui a été accepté à l'Université de Moncton, si l'étudiant ne se présente pas dans les 30 jours suivant son arrivée au Canada, l'Université de Moncton doive envoyer un courriel pour signaler que la personne ne s'est jamais présentée.
M. Jean: Concernant les gens ne se présentant pas à leur lieu d'éducation, ce n'est pas vraiment un problème, ou du moins ce n'est pas un problème avec la majeure partie des institutions. Certaines institutions sont plus problématiques, par exemple celles où l'on retrouve des «visa school». Cependant, on examine de façon plus spécifique les demandes faites dans ces institutions. On n'a pas de gros problèmes avec le mouvement des étudiants. Certains pays ont beaucoup de problèmes avec les étudiants étrangers, mais ce n'est pas notre cas puisque nous sommes assez vigilants pour l'émission des visas.
Le sénateur De Bané: J'ai eu la chance inouïe d'être accepté en tant que citoyen canadien. Je me souviens que mon père m'avait dit que c'était plus difficile d'entrer au Canada que d'aller au ciel, en tout cas dans le temps. C'était une autre loi dans les années 1940, que celle adoptée dans les années 1960. Ce qui me choque, c'est lorsque quelqu'un passe avant sont tour et se présente à l'ambassade et se dit: «Je vais obtenir un visa d'étudiants. Je serai là dans trois mois.»
Puis là, il arrive ici et ne se présente jamais à l'université. Nous devons avoir un système impeccable, afin que personne ne se présente au Canada avec l'habit d'un étudiant dans l'unique but de rentrer au Canada et, ainsi, priver un autre étudiant qui, lui, attend peut-être depuis 10 ans ou 15 ans. C'est ce qui me fait de la peine.
M. Jean: Je ne veux pas vous laisser sous l'impression qu'on ne fait rien. Lorsqu'on identifie un étudiant qui a violé la Loi de l'immigration, un rapport va au bureau de visas. On fait aussi une collecte de ces données pour connaître les indicateurs de risques. Cela influence nos décisions quotidiennes par rapport à l'émission des visas. Le niveau de refus des visas dans le monde varie.
[Traduction]
J'ai mal interprété vos propos parce que je pensais que vous aviez mentionné que l'université ne vous avertissait jamais lorsqu'un candidat ne se présente pas.
[Français]
M. Jean: Oui, mais j'aimerais essayer de clarifier ce point. Par exemple, même si on avait un système en place qui nous disait que cette personne ne s'est pas présentée, cela ne nous dit pas où elle est.
Le sénateur De Bané: Non, non.
M. Jean: Est-ce que cela nous dit où on pourrait l'appréhender? Si cette personne avait des intentions malveillantes elle ne nous donnerait pas nécessairement sont adresse réelle.
[Traduction]
Le sénateur DeBané: Aux États-Unis, un certain budget a été accordé par le gouvernement aux universités pour qu'elles lui transmettent des renseignements sur les étudiants qui ne se sont pas présentés. Les universités ne reçoivent pas de subventions de notre ministère à ma connaissance et elles ne sont donc pas encouragées à faire un suivi et à communiquer avec le ministère.
Le président: Sénateur DeBané, je présume que si on a pris cette mesure aux États-Unis, c'est à cause des personnes qui ont détourné les avions et qui en ont pris les commandes pour foncer dans le World Trade Center. Comme l'ont mentionné les journaux, ces personnes étaient inscrites à une école de pilotage, peu importe qu'elles aient suivi les cours ou non; cette affaire est mystérieuse. Si j'ai bonne mémoire, certains des pirates de l'air et des terroristes responsables du drame du World Trade Center avaient présenté une demande qui avait été approuvée par les services d'immigration américains et ceux-ci avaient perdu leur trace jusqu'à ce que surviennent ces terribles événements.
Le sénateur Corbin: Ces personnes faisaient des études dans des universités européennes.
Le président: Oui. Il a aussi été question des étudiants qui voulaient apprendre à faire décoller un avion, mais pas à le faire atterrir.
Le sénateur DeBané: Vous avez parfaitement raison, monsieurle président. À la suite de cette tragédie qui a coûté la vie à 3000 personnes, le gouvernement américain a décidé d'accorder des subventions au système éducatif pour que celui-ci communique des renseignements au ministère.
Notre comité est chargé de faire une étude pour déterminer les possibilités d'améliorer notre système de façon à ce que les Américains soient rassurés. Si l'on a pris cette décision aux États-Unis après la disparition de ces 3000 personnes, il serait peut-être bon que nous envisagions également d'adopter des mesures strictes pour que les Américains aient confiance dans notre système. C'est tout ce que je voulais dire.
Le président: C'est une bonne suggestion, sénateur. Je suis sûr que nous envisagerons de faire une recommandation à cet effet dans notre rapport.
Je remercie tout particulièrement les témoins.
La séance est levée.