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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international


Délibérations du comité sénatorial permanent des
affaires étrangères

Fascicule 15 - Témoignages


OTTAWA, le lundi 5 mai 2003

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit aujourd'hui à 16 h 36, pour examiner les relations commerciales entre le Canada et les États-Unis d'Amérique et entre le Canada et le Mexique.

Le sénateur Peter A. Stollery (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, nous allons entendre aujourd'hui le secrétaire aux Affaires étrangères du gouvernement du Mexique.

Monsieur le ministre, en tant que président du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères, permettez-moi de dire que nous sommes honorés et ravis de vous recevoir aujourd'hui.

Notre comité est chargé d'examiner les relations commerciales entre le Canada, le Mexique et les États-Unis; considérant que l'ALENA et l'ALE célèbrent leur dixième et quinzième anniversaire respectivement, votre visite tombe à point nommé.

Nous venons juste de rentrer d'un voyage très fructueux de quatre jours à Washington. Sur place, le personnel de l'ambassade du Canada ainsi que des représentants du commerce et de la sécurité intérieure nous ont donné des séances d'information. Nous avons également eu l'occasion de rencontrer des sénateurs et des membres de la Chambre des représentants de haut rang. Nous en avons retiré l'impression que nos relations avec nos voisins restent sûres, qu'à quelques exceptions près, nos relations commerciales fonctionnent comme elles le devraient et que la coopération en matière de sécurité aux frontières est sans précédent.

Notre objectif consiste maintenant à trouver un moyen moins litigieux et moins coûteux de régler nos différends commerciaux actuels, qui semblent porter essentiellement sur le bois d'oeuvre résineux et sur le blé.

À titre d'information, nos témoins nous ont indiqué que le différend du bois d'oeuvre a coûté 800 millions de dollars en frais judiciaires, tandis que le recours relatif au bois d'oeuvre à l'OMC, à Genève, a coûté 200 millions de dollars américains.

Nous sommes vivement intéressés par ce que vous allez nous dire des relations commerciales avec votre pays, notre voisin le plus au sud. Nous vous invitons à prendre la parole et je suis sûr que les membres du comité auront des questions à vous poser.

Nous sommes heureux de pouvoir vous entendre.

L'honorable Luis Ernesto Derbez Bautista, secrétaire aux Affaires étrangères, gouvernement du Mexique: Honorables sénateurs, je tiens à vous remercier de me donner l'occasion d'être parmi vous. Il est très important pour le Mexique de commencer à établir des relations plus solides avec le Canada.

Au cours des 10 dernières années, par suite de l'Accord de libre-échange entre nos trois pays, la croissance des échanges commerciaux et de l'investissement entre nos deux pays a été sans précédent, ce dont nous nous réjouissons. L'un des grands enjeux de la politique étrangère du Mexique aujourd'hui, c'est de renforcer nos relations avec le Canada.

Nos deux pays sont amis depuis 60 ans, mais n'ont pas pris suffisamment de mesures pour renforcer les liens, non seulement du point de vue du commerce et de l'investissement, mais aussi dans les domaines culturel et politique. C'est pour cette raison que je suis très heureux de pouvoir m'entretenir avec vous aujourd'hui.

Aux yeux du Mexique, le Canada est un partenaire stratégique pour trois raisons. Tout d'abord, bien sûr, les trois pays doivent travailler ensemble dans le contexte de l'ALENA.

Pour ce qui est de nos relations avec le Canada, nous pensons pouvoir modifier la nature des relations que représente l'ALENA aujourd'hui. Nous aimerions passer à ce que le président Fox appelle l'ALENA Plus, c'est-à-dire, approfondir les relations qui consolident les liens commerciaux et d'investissement entre nos deux pays depuis 60 ans. Nous allons continuer de viser cet objectif.

Pour ce qui est de l'ALENA Plus, le président Fox pense non seulement se pencher sur les possibilités des 10 prochaines années, mais aussi envisager le long terme, soit les 25 à 30 prochaines années. Il veut voir comment le Mexique, le Canada et les États-Unis peuvent parvenir à un accord de libre-échange pour les Amériques et travailler ensemble dans d'autres domaines du dialogue politique.

Le deuxième point d'importance de notre point de vue, c'est qu'il faut travailler avec le Canada compte tenu de notre vision commune du multilatéralisme. Nous avons besoin d'institutions multilatérales pour chapeauter les éléments politiques en place. C'est un élément clé des relations que nous envisageons avec le Canada. Nous avons de nombreux points de vue en commun à l'heure actuelle, non seulement en matière d'échanges commerciaux, mais aussi à propos de l'utilisation politique des institutions multilatérales.

Enfin et bien sûr, nous devons envisager la possibilité de travailler dans deux domaines communs fort importants. Nous devons examiner comment nous pouvons, ensemble, améliorer la situation des droits de la personne dans le monde entier. Ensuite, nous devons nous pencher sur la question de l'environnement. Que peuvent faire le Mexique et le Canada pour sauvegarder l'environnement dans le contexte du développement à l'échelle mondiale?

C'est ainsi que nous envisageons nos relations avec le Canada et j'espère que ce sera également le sentiment des autorités canadiennes, ce qui nous permettra au cours des deux ou trois prochaines années de consolider nos relations ainsi que la coopération entre nos deux pays.

Le président: Comme vous le savez, monsieur Derbez, notre comité avait prévu se rendre à Mexico, mais en raison des élections dans votre pays et du calendrier législatif très chargé du Congrès, nous avons décidé de retarder notre visite; je tiens toutefois à préciser qu'elle est certainement prévue dans notre programme après les élections.

Nous ne sommes pas aussi bien renseignés qu'il le faudrait. Nous comprenons certaines choses, mais nous entendons toujours parler de problèmes, quand nous étions à Washington, par exemple.

Vous avez un problème à régler avec les États-Unis en ce qui concerne le camionnage. Il semble que certaines questions se posent, mais je ne crois pas que beaucoup d'entre nous en ayons conscience. Je tiens à souligner que les différences entre les États-Unis et le Mexique ne nous touchent pas habituellement, mais il reste que la question du camionnage nous intéresse, vu que les produits venant du Mexique et qui sont acheminés à destination du Canada doivent de toute évidence passer par les États-Unis.

Pourriez-vous nous éclairer à ce sujet?

M. Derbez: Les échanges commerciaux entre le Mexique et les États-Unis atteignent les 300 milliards de dollars par an, soit, grosso modo, un milliard de dollars par jour. Compte tenu de l'importance de ces relations, il est tout à fait impressionnant de voir que les différends commerciaux sont si peu nombreux. Le camionnage est un différend d'importance, et nous avons également un différend à propos du sucre et du fructose.

Pour ce qui est du camionnage, nous considérons que les règles approuvées par le Congrès américain et émises par le U.S. Department of Transportation à propos du passage des camions mexicains à la frontière des États-Unis sont discriminatoires à l'égard du Mexique et ce, pour deux raisons précises. Premièrement, certaines des règles visent la vérification de notre flotte ainsi que le contrôle des aptitudes des chauffeurs mexicains en matière de lecture et autres, alors que ces règles ne s'appliquent pas aux camionneurs ou camions canadiens, ni non plus aux camionneurs ou camions américains. Dans l'accord de libre-échange que nous avons signé, la non-discrimination entre les parties est l'une des clauses conditionnelles importantes.

Depuis près de deux ans, l'administration Fox discute des détails de ces relations. Nous exigeons actuellement une égalité de traitement de la part des États-Unis. Si nous n'en bénéficions pas, nous considérerons que l'accord conclu à propos du camionnage en vertu de l'ALENA n'est pas réalisé. Si tel est le cas, nous considérons ne pas pouvoir mettre en oeuvre les mesures que les États-Unis exigent de la part de nos camionneurs, puisque nous les jugeons discriminatoires. Deuxièmement, puisque l'ALENA n'est pas respecté, nous n'autorisons pas l'entrée des camions américains sur le territoire mexicain.

De toute évidence, des répercussions vont se faire sentir sur nos relations commerciales avec le Canada par suite d'une augmentation des coûts de transport. Pour l'instant, les camions qui arrivent à la frontière mexicaine ou américaine, du Canada ou des États-Unis, ou qui traversent les États-Unis pour se rendre au Canada, devront être changés. Par conséquent, cela s'accompagnera d'une augmentation des coûts.

Nous espérons que les discussions que nous menons avec les autorités américaines aboutiront à la suppression de ces exigences qui sont discriminatoires. Sinon, nous devrons saisir un groupe spécial de l'OMC de la question.

Le même problème se pose à propos du sucre. Nous avons discuté des conditions dans lesquelles l'ALENA sera respecté. Nous n'avons pas encore fait les progrès souhaités. Nous sommes toujours tout près d'un règlement final, mais, malheureusement, nous n'y sommes pas encore parvenus. Nous allons continuer de travailler avec les autorités américaines pour régler la question du fructose et du sucre.

Comme vous le savez, c'est en raison d'une telle situation que notre congrès a institué une taxe sur la consommation de fructose au Mexique. À de nombreux égards, ce n'est pas discriminatoire, puisque cette taxe vise le fructose des États-Unis, du Canada et du Mexique. Néanmoins, nous pensons que pour faciliter les échanges, nous devons également conclure un accord à ce sujet.

Nous n'avons pas d'évaluation du coût de ces différends. Malheureusement, il est clair que si nous poursuivons de la sorte, non seulement faudra-t-il prendre en compte les frais judiciaires, mais aussi le préjudice causé à l'économie et aux consommateurs de notre pays. Nous travaillons avec zèle avec les autorités américaines à cet égard.

Comme je l'ai dit au début de mon intervention, compte tenu de l'importance de nos relations commerciales, le fait que l'on puisse compter les différends sur les doigts de la main sous-entend que l'ALENA a été très efficace. Dans le contexte de nos relations avec le Canada, il l'a été encore plus, puisque nous avons encore moins de différends, peut- être un ou deux. L'expansion du commerce et de l'investissement entre le Mexique et le Canada est telle que l'on peut dire que l'ALENA est une réussite complète.

Le sénateur Austin: Nous avons été très heureux d'apprendre que vous pouviez nous parler cet après-midi. Comme vous le savez, le Sénat ne siège pas aujourd'hui, ce qui explique l'absence de certains de nos collègues.

Je connais également l'importance du Cinco de Mayo au Mexique, merci donc d'être parmi nous en ce jour férié pour vous.

Je suis heureux d'apprendre ce que vous pensez de l'ALENA. J'aimerais approfondir un peu plus la proposition du président Fox, soit l'ALENA Plus, qui a perdu beaucoup d'impulsion; cela ne veut pas dire que ce ne soit pas une bonne idée; j'y ai fait bon accueil, croyant qu'elle favoriserait le développement d'une communauté nord-américaine.

Nous avons vu que l'ALENA connaît effectivement des problèmes, mais il fallait s'y attendre. Ne serait-ce que pour donner un nouvel élan en Amérique du Nord, vos relations bilatérales avec les États-Unis sont importantes, tout comme les nôtres.

Notre comité était à Washington la semaine dernière. J'ai l'impression que les relations nord-américaines n'occupent pas une place importante dans le plan d'action des États-Unis en ce moment. Nous devons toutefois établir des relations plus efficaces, aux plans bilatéral et trilatéral.

Quelles sont les initiatives offertes au Mexique et au Canada dans ce domaine? Par exemple, est-il possible de procéder par petites étapes en ce qui concerne la mobilité de la main-d'oeuvre au lieu d'opter pour l'initiative d'envergure proposée par le président Fox?

Les États-Unis semblent être réceptifs à des mesures sectorielles ou régionales plutôt qu'à de grandes initiatives. Qu'en pensez-vous?

M. Derbez: Permettez-moi de vous indiquer ce à quoi pense le président Fox. Comme les honorables sénateurs le savent sans aucun doute, dès le début de son administration il y a à peine deux ans, il a tout de suite indiqué qu'il aimerait parler de la possibilité de ce qu'il appelle l'ALENA Plus. Deux ou trois étapes peuvent être envisagées dans le cadre de ce processus. Premièrement, nous avons conclu un accord avec l'Union européenne qui est un accord commercial élargi, puisqu'il dépasse l'accord que nous avons avec le Canada et les États-Unis. On retrouve dans l'accord conclu avec l'Union européenne des dispositions relevant du domaine de la coopération, la coopération culturelle et le dialogue politique, qui ne figurent pas dans l'accord ALENA. Selon nous, il faudrait explorer sans tarder ces dispositions qui fonctionnent bien avec nos homologues européens.

Il s'agit bien sûr d'un précédent en ce qui concerne l'Union européenne. À de nombreux égards, certains des accords signés aujourd'hui dépassent les aspects purement commerciaux et visent à englober les autres aspects de la société. Ce serait une étape initiale possible. Cela ne veut pas dire que nous visons une union politique; ce n'est pas le but recherché et, comme les honorables sénateurs peuvent bien l'imaginer, ce n'est pas ce que nous avons conclu avec l'Union européenne.

Nous partageons avec l'Union européenne le concept du dialogue politique, sans compter la coopération sur les questions politiques d'intérêt international et, bien sûr, la coopération technique. Nous pourrions commencer à envisager ces points dans le cadre de la démarche par étapes dont vous faites mention.

Par ailleurs, les événements du 11 septembre nous ont prouvé à tous que le terrorisme est quelque chose que nous devons combattre ensemble. Le Mexique a soulevé ce débat tout comme le Canada, j'en suis sûr. Les États-Unis, le Mexique et le Canada ont décidé que la priorité numéro un est la lutte contre le terrorisme. Dans ce contexte, nous pouvons réaliser ce que l'on pourra appeler un «périmètre de sécurité,» calqué sur les frontières de la région ALENA. C'est une question importante que nous pouvons ensemble envisager de régler.

On a fait mention de la mobilité de la main-d'oeuvre. On observe une intégration de nos sociétés, c'est une réalité. Dans le contexte des relations entre le Mexique et les États-Unis, cette question touche directement près de 20 millions de personnes d'origine mexicaine ou latino-américaine. Nous progressons lentement, mais il apparaît clairement que l'on se dirige vers une intégration sociale.

Au début de notre administration, nous avons pensé et cru qu'un accord global entre gouvernements fédéraux serait logique. Il s'agit, d'après nous, d'une option réalisable. Plus important, nous devons examiner les mesures susceptibles d'améliorer le quotidien de nos migrants.

L'accord sur la main-d'oeuvre que nous avons conclu avec le Canada est un excellent exemple de la façon dont nous pouvons améliorer le sort de nos travailleurs migrants. Cet accord illustre l'approche par étapes qui permet de modifier nos relations en la matière.

La question des relations de travail doit être à l'ordre du jour au Canada, aux États-Unis et au Mexique. Les problèmes relatifs à la main-d'oeuvre ne seront pas réglés en l'espace de deux ou trois ans et nous devons être prêts à mener des négociations pendant les 25 à 30 prochaines années. De toute évidence, nous devons commencer à agir pour que, en l'espace d'une génération, nous puissions parvenir à une meilleure intégration sous tous les angles, y compris celui de la migration.

Le sénateur Austin: Je suis complètement d'accord avec votre approche, monsieur le secrétaire. Je crois que les progrès ne se feront pas seulement au plan politique.

On a remarqué que le Mexique compte trois fois plus de consulats aux États-Unis qu'au Canada. Pourriez-nous dire si c'est parce que le Mexique veut davantage nouer des relations avec le système politique américain ou si c'est pour d'autres raisons?

Selon certains Canadiens, nous ne portons pas suffisamment attention aux régions des États-Unis. Si vous pensez être plus intelligents que nous, vous avez probablement raison.

M. Derbez: En fait, nous nous sentons aussi intelligents que vous.

Cela me ramène au début de mon allocution. L'administration Fox se préoccupe du fait que les relations entre le Canada et le Mexique ne constituent pas encore une priorité pour les deux gouvernements. Je parle ici des deux gouvernements, et non seulement du gouvernement mexicain.

Nous avons mené une série d'analyses sur la façon dont il serait possible de consolider les relations entre nos deux pays. Il nous paraît important de considérer nos relations comme une priorité qu'il faudra définir, tant au plan politique qu'au plan multilatéral; je veux parler ici des institutions internationales. Nous recherchons davantage d'échanges commerciaux ainsi que des relations commerciales différentes entre nos deux pays.

Comme le savent sans aucun doute les honorables sénateurs, nous allons célébrer le 60e anniversaire des relations entre le Canada et le Mexique. Nous pensons qu'il faudrait en tirer parti et souligner l'importance de ces relations ainsi que la raison pour laquelle elles devraient constituer une priorité pour notre pays.

Cela peut nous amener à définir le genre de consulats qu'il faudrait prévoir au Canada pour que nous puissions élargir l'éventail de nos activités, dans la mesure où le gouvernement du Canada est d'accord avec l'approche que nous allons adopter. Il est à espérer que le gouvernement canadien envisagera également la façon dont il pourrait rehausser les structures politiques et diplomatiques afin que nos relations correspondent à celles qui s'imposent. Nous allons travailler sur ce point.

J'ai une dernière chose à dire à propos de ce que nous pouvons faire. Nous avons discuté du rôle que peuvent jouer les trois gouvernements dans le cas d'industries particulières où les choses se passent plus ou moins de la même façon dans nos trois pays. Ce système pourrait améliorer nos relations. L'industrie de l'acier est l'exemple qui me vient spontanément à l'esprit.

Il s'agit en effet d'un domaine où le secteur privé de nos pays respectifs est assez d'accord sur ce qui s'impose. Par conséquent, si les gouvernements peuvent s'entendre et si nous pouvons mettre sur pied une structure adéquate, l'industrie de l'acier en Amérique du Nord pourrait être plus intégrée et nous n'aurions plus une industrie spécifique dans chaque pays, soit au Canada, aux États-Unis et au Mexique.

Nous sommes en contact avec le secteur privé de l'industrie de l'acier et examinons ce que nos gouvernements pourraient faire pour appuyer ce genre de programme. Une industrie de l'acier intégrée en Amérique du Nord était ce que nous recherchions dans le contexte de l'accord ALENA.

Selon l'accord ALENA, nos pays allaient se spécialiser dans divers secteurs de la fabrication et de la production dans des régions géographiques données. On pensait que cette approche permettrait à l'industrie de se renforcer.

À l'instar de l'Europe, nous nous apercevons, ce qui est assez étrange, que l'acier pourrait être le point de départ d'un tel concept, en raison de la situation de l'industrie de l'acier elle-même.

Le sénateur Corbin: Monsieur le ministre, au début de votre allocution, vous avez parlé des droits de la personne et de l'environnement dans le domaine des priorités. J'aimerais vous ramener à la période où notre Parlement examinait le traité ALENA. Toutes sortes de scénarios cauchemardesques nous étaient présentés: des usines canadiennes allaient fermer pour s'installer au Mexique où les normes environnementales ou antipollution ne correspondaient pas à celles du Canada, et autres histoires d'horreur de ce genre. Nous n'en entendons plus parler. Je ne pense que nous en avons entendu parler depuis la mise en application du traité.

Pourriez-vous traiter de cette question et peut-être nous dire franchement si, en fait, les investisseurs canadiens ont été attirés vers le Mexique en raison de normes moins élevées ou autres considérations du genre? Quelle est en fait la situation actuelle, s'il vous plaît?

M. Derbez: Le fait que j'aie été secrétaire de l'Économie avant de devenir secrétaire aux Affaires étrangères il y a quelques mois, va m'aider à répondre à cette question en toute franchise et avec précision.

Nous avons fait une étude au Mexique visant à déterminer pourquoi nous perdions notre capacité d'attirer des investissements directs étrangers au Mexique, au profit de la Chine. Je prends la Chine comme exemple pour apaiser vos inquiétudes. Le fait est que la plupart des sociétés du Canada, des États-Unis ou de toute autre région du monde ne cherchent pas à esquiver les droits de la personne relatifs au travail des enfants, ni non plus les restrictions environnementales imposées au Canada ou dans d'autres pays. Le fait est que les gens viennent au Mexique, en raison d'une main-d'oeuvre de qualité qui réduit les coûts, tout en respectant les restrictions internationales en matière de droits de la personne et d'environnement.

Notre étude a permis de conclure qu'il ne s'agissait pas d'une question portant sur les règles environnementales ou les droits de la personne. Aujourd'hui, les lois mexicaines sont modernisées et appliquées; la non-application des lois était ce qui faisait problème autrefois.

En fait, notre ministre de l'Environnement a récemment fait une déclaration à propos de la sécurité environnementale de certaines plages mexicaines. Cela vous indique que notre gouvernement s'occupe avec sérieux des questions environnementales et qu'il adopte et applique des lois pour régler ces problèmes. Notre gouvernement est d'avis qu'il faut protéger l'environnement.

Nous nous sommes aperçus que même en imposant des règles très strictes pour éviter la dégradation de l'environnement, notre capacité d'attirer les investissements n'en avait pas été amoindrie. Au contraire, si l'environnement est protégé et si les règles qui s'y appliquent sont pertinentes, les investissements se multiplient parce que les gens savent alors avec certitude ce qu'ils sont tenus de faire dans ce contexte.

L'investissement étranger n'est pas le problème. Le problème, c'est la compétitivité, comme nous la comprenons. Nous devons éliminer bien des lourdeurs administratives, car le coût s'en trouve répercuté sur les investisseurs. Nous devons simplifier nos règles fiscales pour faciliter le démarrage d'entreprises au Mexique. Nous devons continuer à fournir aux investisseurs une bonne main-d'oeuvre qui soit en mesure d'atteindre des niveaux élevés de productivité.

Je peux vous dire en toute franchise que nous mettons en oeuvre des règles et des règlements qui vont correspondre à ceux que vous avez au Canada dans le domaine de l'environnement ainsi que dans ceux des droits de la personne et du travail.

Le sénateur Graham: Lorsque votre excellent ambassadeur a comparu devant notre comité, il a été fait mention du 60e anniversaire des relations entre nos deux pays. J'avais indiqué au comité à ce moment-là que l'Indonésie avait célébré le 50e anniversaire de ses relations avec le Canada cette année et que quelques manifestations fort intéressantes avaient eu lieu pour marquer cette occasion particulière, y compris la visite de certains représentants indonésiens de haut rang au Canada. Je sais qu'un livre spécial est publié pour marquer cet anniversaire et j'espère que nous aurons des événements spéciaux tant dans notre pays que dans le vôtre l'année prochaine, au moment des célébrations de ce 60e anniversaire.

Je tiens également à vous féliciter pour votre nomination, puisque votre réputation de secrétaire et de ministre vous a précédé. Nous avons noté une amélioration marquée dans nos relations depuis janvier.

Nous avons souvent parlé d'investissement et je me demande les progrès que vous attendez de l'ouverture du secteur énergétique de votre pays à l'investissement étranger, notamment l'investissement canadien.

M. Derbez: Je suis heureux que vous posiez cette question, car pas plus tard qu'aujourd'hui, j'ai lu un article dans un journal mexicain selon lequel le gouvernement de M. Fox est en train de privatiser lentement le secteur de l'énergie, la société Pemex en particulier. Cet article est un peu critique de ce que nous faisons et indique que nous laissons le secteur privé entrer dans un domaine réservé jusqu'ici au secteur public. Toujours d'après cet article, les règles imposées par Pemex en matière d'investissement du secteur privé, qu'il s'agisse d'un investissement étranger ou national, créent une situation telle que l'on a jamais vu un investissement aussi important dans le secteur énergétique mexicain en l'espace de 15 ans. En d'autres termes, le secteur énergétique n'avait pas bénéficié d'un investissement de cette ampleur depuis longtemps.

Ce sont les premières mesures que nous prenons. Grâce aux lois actuelles, nous avons les moyens d'assurer une participation de plus en plus importante des investisseurs du secteur privé dans le domaine de l'exploration et du développement. Cela devrait ouvrir la porte aux sociétés canadiennes qui se classent parmi les meilleures dans ce domaine et que nous voulons donc vraiment voir s'implanter au Mexique.

Par ailleurs, nous cherchons à faire approuver un projet de loi sur l'électricité par notre congrès en septembre prochain pour véritablement ouvrir le secteur à l'investissement que nous savons pouvoir attirer.

Bien sûr, c'est le Congrès qui prendra la décision finale après analyse, évaluation et modifications jugées nécessaires. L'administration Fox va continuer à attirer davantage d'investissement direct étranger et d'investissement privé national dans le domaine de l'énergie. Nous ne pensons pas uniquement à l'investissement direct étranger, mais aussi à l'investissement du secteur privé en général.

Le sénateur Graham: Avez-vous des suggestions quant à l'aide que le Canada pourrait apporter en matière de financement de l'infrastructure nécessaire au développement économique des régions désavantagées du Mexique?

M. Derbez: Le Canada pourrait apporter son aide dans deux domaines. Pour commencer, il faut parler de l'approche du président Fox en matière de relations avec non seulement l'Amérique centrale, mais aussi la partie sud du Mexique, par l'entremise de ce que nous appelons le plan PPP, soit le Programme de Puebla Panama.

Nous ferions bon accueil à la participation du Canada dans le développement de l'infrastructure et de la coopération technique dans ces régions, ainsi qu'aux plans social et de l'éducation. Une agence comme l'ACDI pourrait nous aider à créer un programme susceptible, à long terme, d'améliorer la vie de bien des gens de la région méso-américaine.

Par ailleurs, l'investissement du Canada pourrait permettre l'établissement d'une infrastructure. Le ministère mexicain des Travaux publics et du Transport cherche actuellement à élaborer des instruments permettant la participation et l'investissement du secteur privé dans les routes, les ports et les aéroports, si nécessaires pour notre développement économique.

Le président: Au nom de mes collègues, monsieur le ministre, je vous remercie d'avoir pris le temps de venir rencontrer notre comité, malgré votre horaire certainement très chargé. Votre visite tombe à point nommé. Nous allons sans nul doute donner suite à notre étude sur les relations commerciales entre le Canada et le Mexique.

M. Derbez: Nous vous remercions pour l'excellente étude que vous menez. Elle servira de fondement à bien des mesures que nous pourrons prendre à l'avenir. Si avant les élections mexicaines du 6 juillet, vous souhaitez venir dans notre pays, n'hésitez pas à nous le faire savoir. Nous nous ferons un plaisir de prévoir un programme pour vous. Vous ne rencontrerez pas nécessairement le Congrès, mais nous pourrions sans aucun doute vous faire rencontrer des gens intéressants. J'espère que votre participation ne sera pas retardée, parce que nous tenons à ce que le Mexique et le Canada établissent rapidement de meilleures relations. S'il vous est possible de venir dans notre pays, nous nous ferons un plaisir de vous accueillir au Mexique.

La séance est levée.


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