Délibérations du comité sénatorial permanent des
affaires étrangères
Fascicule 16 - Témoignages
OTTAWA, le mercredi 14 mai 2003
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit aujourd'hui à 15 h 45 pour examiner la relation commerciale entre le Canada et les États-Unis d'Amérique et entre le Canada et le Mexique, et en faire rapport.
Le sénateur Peter A. Stollery (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Honorables sénateurs, ce qui importe, de cette réunion, est que nous ayons au compte rendu la réponse aux observations qu'a fait M. William Lash, secrétaire adjoint du Commerce des États-Unis sur la Commission canadienne du blé.
Comme nous en sommes aux derniers stades de la rédaction de nos rapports et de nos recommandations sur certains des différends commerciaux entre le Canada et les États-Unis, nous avons pensé qu'il serait opportun, monsieur le ministre Goodale, que vous puissiez nous faire part de vos points de vue en réponse aux observations de M. Lash, que nous avons rencontré à Washington. Je dois ajouter que cette rencontre a été fructueuse.
Je vous laisse la parole, monsieur Goodale.
L'honorable Ralph Goodale, c.p., député, ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux et ministre responsable de la Commission canadienne du blé: Monsieur le président, merci beaucoup de me donner cette occasion de discuter avec vous d'un sujet très important, soit la relation entre le Canada et les États-Unis en matière de commerce des grains.
Tout d'abord, je voudrais souligner, et je suis sûr que M. Lash le ferait aussi, l'immense valeur marchande des échanges commerciaux en général entre le Canada et les États-Unis, tous ces biens et services qui font le va-et-vient sur notre frontière commune. Dans les deux sens, ces échanges commerciaux se chiffrent à près de 2 milliards de dollars par jour. Du point de vue canadien, nos exportations comptent pour environ 45 p. 100 de notre PIB, et sur ces exportations, environ 85 p. 100 sont destinées aux États-Unis. De toute évidence, ces exportations revêtent une immense importance, dans les deux sens, pour les deux pays.
Plus précisément, en ce qui concerne l'agriculture et l'agro-alimentaire, la valeur annuelle de nos échanges commerciaux se chiffre aux environs de 30 millions de dollars par année. C'est, grosso modo, équivalent dans les deux sens. Ça monte et ça baisse une année sur l'autre, mais de façon générale, c'est relativement égal. On enregistre une hausse des échanges une année sur l'autre.
Pour sa plus grande partie, ce commerce agricole va et vient sur notre frontière commune sans la moindre difficulté, à part quelques secteurs problématiques évidents, dont l'un qui fait l'objet de notre discussion ce soir — le commerce du blé.
Je viens du sud de la Saskatchewan, à quelques milles au nord des frontières du Montana et du Dakota du Nord. Dans un café de Minot, j'ai entendu la rumeur voulant que la Commission canadienne du blé est lourdement subventionnée. À Wolf Point, au Montana, le bruit court que la Commission canadienne du blé vend sous les cours américains et que, par conséquent, elle fait du dumping. À Bismarck, une anecdote circule au sujet d'une inondation de céréales canadiennes aux États-Unis où, selon la saison, ce peut être une avalanche, tandis qu'en même temps, toujours selon l'anecdote, pas un boisseau de grains américains ne peut aller au nord, vers le Canada. Chacune de ces quatre allégations — la subvention, le dumping, l'inondation et l'absence de réciprocité — est, dans les faits, fausse. Je le répète: pas une n'est vraie. Cependant, elles sont répétées et les gens y croient comme à l'Évangile, ce qui suscite colère et amertume des deux côtés de la frontière et fait perdre du temps, des efforts et de l'argent à courir après un faux croque-mitaine, tandis que le cancer qui ronge réellement les marchés mondiaux des grains reste sans traitement et que la tumeur continue de croître. Il nous faut nous débarrasser des mythes. Une relation commerciale bilatérale saine et mutuellement gratifiante ne peut être fondée sur des anecdotes et des rumeurs. Elle doit être fondée sur des faits.
Quels sont les faits en matière de vente de grain canadien aux États-Unis? Les faits ont été l'objet de recherches et de comptes rendus exhaustifs depuis 10 ou 15 ans par la Commission internationale du commerce des États-Unis en 1990, 1994 et 2001; par l'United States General Accounting Office en 1992, 1996 et 1998; par un comité binational, et ensuite par un vérificateur international indépendant, dans le cadre de l'Accord de libre- échange Canada-États-Unis en 1993, puis en 1994. Par l'Economic Research Service du ministère de l'Agriculture américain en 1999; et encore une fois par le ministère du Commerce américain en 1999. Mettez tout cela ensemble, et nous avons 10 examens détaillés et bien fouillés des États-Unis, et 10 bulletins de comportement consécutifs favorables au Canada, chacun confirmant que la Commission canadienne du blé est, de fait, une entité commerciale équitable qui obéit aux règles de l'ALENA et de l'OMC.
Vous pouvez comprendre, j'en suis sûr, la frustration que suscitent les mesures qu'ont pris les États-Unis contre le blé canadien depuis l'année dernière et qui se poursuivent cette année, tandis qu'ils allèguent à la fois de subventions et de dumping, et les poursuites du ministère du Commerce américain et de la Commission du commerce international des États-Unis.
On trouve une autre source de preuves qui tendent à disculper la Commission canadienne du blé et les agriculteurs canadiens sur les marchés mondiaux dans un sondage indépendant des acheteurs de grains du monde entier, qui a été effectué dans les années 90. Ce sondage faisait un examen de la performance du marché canadien de grains, de la perspective des clients, en comparaison avec les fournisseurs concurrents américains, européens, australiens et argentins. Le sondage attribuait une cote supérieure au Canada, qui était en tête de file dans le monde en regard de facteurs comme la qualité intrinsèque, la propreté, l'uniformité, le soutien technique, la fiabilité, l'exécution des contrats et le service à la clientèle.
La plus grande critique de nos clients à l'égard du Canada est que la Commission canadienne du blé fixe des prix trop élevés. Je le répète: trop élevés, et non pas trop bas. C'est difficilement la réputation d'un commerçant qui mine les prix du marché.
Par contraste, ces mêmes acheteurs mondiaux de grains désignent les États-Unis, et non pas le Canada, comme la source principale de la faiblesse du cours des grains. La Commission canadienne du blé s'efforce de mettre en marché du blé et de l'orge canadiens en tant que produit de grande qualité différencié conçu sur mesure pour les besoins de clients spécifiques plutôt que de produits en vrac homogènes. Nous visons la partie supérieure du marché, et non pas inférieure, surtout avec la conjoncture actuelle des marchés.
Pour faire comprendre cet argument, permettez-moi de citer un commentaire récent de M. John Gilchrist, le président de la North American Millers Association, sise à Washington, D.C. Son organisation représente la plupart des grandes meuneries des États-Unis. Le 2 mai 2003, en réponse aux poursuites les plus récentes pour les droits compensateurs et l'anti-dumping entreprises par l'administration américaine, M. Gilchrist a dit ce qui suit:
Il est tout simplement ridicule de parler de dumping en ce moment. Les stocks de blé sont au plus bas niveau, ou presque, qu'ils aient atteint depuis des décennies et, dans certains cas, au plus bas niveau qu'ils aient connu depuis la fin des années 40, lorsque les stocks de blé avaient baissé en conséquence de l'aide alimentaire fournie par les États-Unis à l'Europe de l'après-guerre. Mais bien entendu, nous allons coopérer pleinement en fournissant nos données au gouvernement, à sa demande. Nous sommes convaincus que, lorsque ces données seront analysées, l'administration [...]
... il s'agit ici de l'administration américaine...
[...] ne peut tirer qu'une conclusion, et c'est que le commerce du blé est équitable sur le marché nord-américain. Après tout, la Commission du commerce international des États-Unis a déclaré l'année dernière que les meuniers américains avaient dû payer plus, et non pas moins, pour le blé canadien que pour le blé américain pendant 59 des 60 mois de référence de l'étude.
C'est l'avis de la plus importante association d'acheteurs de grains des États-Unis, et ils l'ont répété à maintes reprises.
Si vous revenez sur les preuves qui ont été présentées au ministère américain du Commerce ou à la Commission du commerce international des États-Unis depuis deux ou trois ans, recueillies auprès de meuniers américains et de producteurs américains de pâtes, vous constaterez qu'ils sont du même avis que M. Gilchrist. Si vous permettez, je vais en lire quelques-unes aux fins du compte rendu. Voici ce qui vient de meuneries américaines ou de compagnies de production de pâtes:
À aucun moment n'y a-t-il eu une situation où du blé m'a été offert à escompte. De fait, à plusieurs reprises, j'ai, de mon plein gré, payé une prime.
Citation:
Lorsque nous avons travaillé avec la Commission canadienne du blé, c'était avec des commerçants de grains professionnels et sophistiqués. Ils ne donnent rien pour rien. S'ils font du dumping sur le marché américain, alors je suis le pire acheteur de durham pour pâtes du pays, parce que nous n'avons jamais vu de cours inférieurs à ceux de Minneapolis si on les compare d'égal à égal, jamais.
Citation:
Pourquoi nous, et d'autres meuniers, achetons du blé canadien? L'une des raisons est la perception du client. On a l'impression que le blé canadien a des qualités qui sont la réalité. La deuxième est qu'il est plus uniforme.
Une autre citation:
Les États-Unis ne produisent pas de durham d'assez grande qualité pour répondre à nos besoins. Nous avons absolument besoin du durham canadien. Nous achetons au Canada pour la qualité, et le Canada, à son tour, ne fait pas de dumping sur ses prix. C'est ce que nous sommes venus vous dire.
Enfin:
Ce que nous avons découvert, c'est que sur quatre ou cinq critères de qualité, le Canada est constamment à un niveau plus élevé. C'est très uniforme. Il est un fournisseur très stable de grains, et c'est ce qu'il nous faut pour nos marchés.
Ce sont là des témoignages de diverses personnes qui représentent environ 90 p. 100 de l'industrie meunière américaine et plus de la moitié de la production totale de pâtes aux États-Unis. Ils veulent du grain canadien. Ils achètent du grain canadien et ils sont prêts à payer une prime pour lui parce qu'ils en ont besoin pour sa qualité. Il n'est pas subventionné, et il n'y a pas de dumping.
Pour ce qui est des principes fondamentaux de la Commission du blé, il n'y a pas de grand mystère. La Commission fonctionne largement comme une grande coopérative de mise en marché pour le compte des agriculteurs. Ce n'est pas un organisme de gestion des stocks. Elle est financée par les agriculteurs eux-mêmes, au moyen du produit de ses ventes. Après déduction de tous les frais de manutention, de transport et de mise en marché, les bénéfices nets sont versés aux agriculteurs, et ceux-ci prennent leurs propres décisions en matière de récoltes en fonction des signaux directs du marché, sans subvention. Ces signaux, dernièrement, et je suis sûr que vous le savez, n'ont pas été particulièrement positifs. Ils ont reflété la situation mondiale des stocks, un certain pouvoir d'achat du blé sur certains marchés traditionnels, et l'effet inhibiteur des distorsions des échanges commerciaux internationaux, venant surtout de subventions européennes et, permettez-moi de le préciser, aussi, des subventions américaines.
Le Canada a complètement supprimé toutes nos subventions à l'exportation des grains en 1995, lorsque notre ancien programme de transport par rail a été éliminé. Depuis ce temps-là, il n'est plus du tout question de subvention à l'exportation. Nous aimerions pouvoir dire qu'il en est de même du reste du monde, mais, malheureusement, ce n'est pas le cas.
Sans subvention, un vendeur de grains du Canada ne vise qu'un objectif primordial, celui d'avoir le meilleur prix possible sur le marché, et non pas de vendre sous la valeur du produit. La CCB n'a pas aucun intérêt à inhiber les prix, où que ce soit. Les prix de tout le blé vendu par la Commission canadienne du blé aux États-Unis sont fixés avec efficacité d'après les marchés des produits de base américains, principalement le Minneapolis Grain Exchange, comme l'indiquait l'une des citations que je vous ai lues plus tôt.
Permettez-moi de revenir un moment sur la critique selon laquelle la Commission canadienne du blé n'est pas transparente comme ses concurrents du secteur privé. Elle subit, de fait, une vérification financière approfondie tous les ans, par la société comptable internationale Deloitte et Touche, qui est respectée dans le monde entier. Des rapports exhaustifs de vérification sont publiés chaque année dans chacun des rapports annuels de la Commission canadienne du blé. J'ai déposé ce rapport au Parlement, mais il est accessible au public, au Canada et à l'échelle internationale.
Quand avez-vous vu la dernière la publication d'un état financier pleinement vérifié, affichant les recettes et les coûts de notre organisme de commerce des grains? Quand avez-vous vu la dernière fois une compagnie céréalière privée donner le genre de détails, en public, que la Commission canadienne du blé est tenue de fournir?
Quand avez-vous la dernière fois convié l'une d'elles devant votre comité ou devant tout autre comité du Sénat ou de la Chambre des communes? Si vous conviez, ou si un membre de l'autre Chambre convie la Commission canadienne du blé à une audience comme celle-ci, la Commission canadienne du blé s'exécute et vient répondre à vos questions. Pas les autres.
La Commission canadienne du blé, de fait, fournit plus d'information sur ses opérations que tout autre concurrent du commerce, dont les plus grands sont la propriété d'intérêts privés et révèlent bien peu de choses, sinon rien.
Il est aussi important de souligner qu'en fait de gouvernance, la Commission canadienne du blé est une organisation tout à fait différente aujourd'hui ce qu'elle était il y a quatre ans. Nous avons modifié la loi en vigueur, depuis le 1er janvier 1999; elle a subi les changements les plus importants qu'elle ait connus en un demi-siècle. Plus précisément, en ce qui touche les États-Unis, en vertu de cette loi, la Commission canadienne du blé est maintenant tenue, explicitement, par la loi du Canada, de respecter les principes de l'ALENA.
Toutefois, la nouvelle loi ne fait pas que cela. La Commission canadienne du blé n'est plus une société d'État. Beaucoup de gens pensent qu'elle l'est encore, mais ce n'est pas le cas. Dans notre jargon parlementaire, elle n'est plus un agent de la Couronne. L'ancien système public qui faisait qu'un groupe de commissaires étaient désignés par le gouvernement n'existe plus. Pour la première fois de son histoire, la Commission canadienne du blé est dirigée par un conseil d'administration moderne, comme celui d'une entreprise, composé de 15 administrateurs, dont 10, soit pas moins des deux tiers, qui constituent la majorité dominante, sont des agriculteurs élus directement par d'autres agriculteurs. Les cinq autres administrateurs ne sont pas des représentants du gouvernement. Ils viennent du secteur privé, comme cela se fait dans d'autres entreprises qui ont des administrateurs de l'extérieur, ils ont une expertise très diversifiée dans le commerce des grains, la profession juridique, l'industrie pétrolière, l'industrie minière, les finances internationales, et cetera. Tous les pouvoirs de la Commission canadienne du blé sont aux mains de ces administrateurs qui ont, de toute évidence, de nouvelles obligations de reddition directe des comptes aux agriculteurs, puisqu'il s'agit d'un régime électoral.
La nouvelle loi donne aussi à la Commission du blé une flexibilité plus axée sur les marchés. Par exemple, les administrateurs peuvent autoriser des ventes en espèces de blé et d'orge, des périodes différentes de groupement, des décaissements précoces, des certificats de producteurs négociables et de nouveaux marchés à prix fixes. C'est le genre d'innovations que nous avons faites depuis quelques années. Elles font partie des éléments dont il faut tenir compte dans l'examen de la relation entre le Canada et les États-Unis relativement au commerce des grains: la longue liste des études et des enquêtes qui ont constamment disculpé la Commission canadienne du blé; l'absence de subventions qui faussent les échanges au Canada; l'accent que met la Commission canadienne du blé sur la partie supérieure, et non pas la partie inférieure du marché, son nouveau système de gouvernance; son obligation de rendre compte au public; et ses obligations, imposées par la loi, d'observer les accords commerciaux.
Autre élément important, c'est le volume du grain qui circule entre le Canada et les États-Unis. Grosso modo, de façon générale, la production annuelle de blé des États-Unis s'établit aux environs de 65 millions de tonnes. Du côté canadien, nous en produisons moins de la moitié. C'est environ 20 à 25 millions de tonnes. Les États-Unis, en général, exportent 45 p. 100 de leur production, soit environ 30 millions de tonnes. Nous devons exporter plus de 70 p. 100 de notre production, soit environ 18 millions de tonnes.
La Commission canadienne du blé transige sur 70 marchés différents du monde, la plupart étant en Asie et en Amérique latine. Une petite quantité seulement de son blé est vendu aux États-Unis, et ne constitue qu'une fraction minime de la production pour consommation américaine. Je dis cela pour vous faire comprendre qu'on ne peut avec justesse décrire ce volume canadien relativement faible comme une espèce «d'inondation» ou d'«avalanche», comme c'est fait parfois. C'est un faible volume, et il fluctue de façon relativement appropriée en réponse au flux et reflux normal de l'offre et de la demande et, en particulier, des spécifications en matière de qualité.
Le simple fait que notre système de la Commission canadienne du blé soit différent de celui des États-Unis ne signifie pas qu'il soit mauvais ou inéquitable, ou même désuet, comme certains le laissent entendre, pas plus que ce système ou d'autres ne peuvent fonctionner efficacement en respectant les disciplines internationales équivalentes avec les régimes commerciaux qui sont en vigueur. La structure d'une entité commerciale particulière n'est certainement pas l'élément crucial, et l'idéologie ne l'est pas plus. C'est le comportement du marché en soi qui est l'enjeu réel. Nous sommes disposés à avoir une discussion rationnelle avec les pays du monde au sujet des soi-disant entreprises commerciales d'État, mais cette discussion doit être fondée sur des faits réels et non pas sur des mythes trop souvent ressassés. Elle ne doit pas présenter les commerçants comme la Commission canadienne du blé sous un jour injustement avantageux comparativement à d'autres types de commerçants qui exercent un pouvoir similaire ou même plus grand et plus secret sur le marché.
J'ai essayé de parler des nombreux mythes, rumeurs et allégations que nous entendons trop souvent sur le commerce canadien de grains et la Commission canadienne du blé: subventions, non; dumping; non; manque de transparence comparativement à d'autres du milieu, non; et inondation de grains vers le Sud pour nuire au marché américain, non.
Et qu'en est-il d'une autre plainte des États-Unis sur la réciprocité, selon laquelle les gains américains ne vont jamais, jamais vers le Canada — c'est, encore une fois, faux. C'est contraire à toutes les anecdotes mal informées que j'ai entendues, mais les grains américains viennent, de fait, vers le Nord, au Canada — le maïs, l'orge, le blé, à l'occasion, et d'autres encore. Fait plus important encore, le Canada est aussi un gros client des produits alimentaires céréaliers à valeur ajoutée: les pâtes, les céréales de petits-déjeuners, les produits de l'orge — nous sommes le plus gros marché d'exportation pour les ventes américaines de ces produits.
Si on veut situer la position relative dans un contexte global approprié, les Canadiens dépensent en moyenne environ 220 $ par personne, par année, sur les produits agricoles américains. Les Américains, eux, dépensent, en moyenne, environ 30 $ par personne, par année, sur des produits agricoles canadiens. Par habitant, c'est sept fois plus en faveur des États-Unis.
Permettez-moi de vous exposer une autre comparaison assez révélatrice au sujet des programmes de soutien financés par l'État dans nos deux pays. Si on en croit une source indépendante d'information, l'Organisation de coopération et de développement économique, l'OCDE, le niveau de soutien fourni aux producteurs de blé américains par les programmes publics en 2001 était plus du triple de celui offert au Canada. Avec ces faits incontestables, on peut comprendre la frustration des Canadiens devant le harcèlement répété que subissent les agriculteurs canadiens et leur système de mise en marché de la part des lobbyistes américains et de leurs avocats. Ce n'est pas seulement inconvenant, c'est aussi très destructeur, non seulement pour le Canada, mais encore plus pour les agriculteurs qui subsistent difficilement, dans la plus abjecte pauvreté dans les pays moins développés du monde. Le niveau brut de subventions aux États-Unis, et aussi dans les pays de l'Union européenne, inhibe les marchés de grains à l'échelle mondiale, et aussi les chances de vivre de ceux qui en ont le plus besoin et les plus désespérés qu'il y ait sur cette terre. Ils sont condamnés à se contenter de moins que le minimum vital de subsistance, tandis que les subventions américaines et européennes sont maintenues au niveau où elles sont aujourd'hui.
La Commission canadienne du blé n'est pas le vrai problème de l'administration américaine ou des agriculteurs américains. Le vrai problème, pour tout le monde, vient des programmes du gouvernement qui entravent le commerce. Plutôt que de s'en prendre au Canada, le gouvernement américain aurait peu de succès, et à mon avis il serait beaucoup plus pertinent qu'il joigne ses forces à celle du Canada pour s'attaquer au problème des subventions croisées, à l'amélioration des marchés pour les agriculteurs de partout et, aussi, si je peux me permettre de le dire, si les États-Unis s'attaquaient avec le Canada aux défis du développement du continent africain pour vraiment changer cette statistique des plus scandaleuse selon laquelle 800 millions de personnes se coucheront l'estomac vide ce soir, tandis que nous avons cette discussion plutôt superficielle sur les systèmes de mise en marché de l'Amérique du Nord.
Le sénateur Austin: Monsieur le ministre, nous vous remercions pour votre présentation, et j'accepte sans réserve les arguments que vous avez présentés. J'aimerais poser quelques questions pour en savoir plus sur le processus en vigueur.
À ce que je comprends, une décision provisoire a été rendue et une décision définitive — est-ce que c'est par la Commission internationale du commerce aux États-Unis — devrait être rendue à la fin de l'été? Pourriez-vous nous donner un aperçu du processus qu'appliquent les Américains?
M. Goodale: Oui, monsieur le président, avec plaisir.
Nous arrivons maintenant à la fin d'un processus entamé il y a plusieurs années en conséquence d'une plainte qui avait été déposée par la North Dakota Wheat Commission auprès de l'administration américaine, alléguant de toutes sortes de choses, dont plusieurs dont j'ai parlé dans mes observations. La CCI américaine a fait une enquête approfondie. Elle a conclu en 2001 qu'il n'y avait aucune preuve de tout cela; les pétitionnaires du Dakota du Nord n'avaient pu rien présenter pour justifier l'adoption de mesures à l'époque, par l'administration américaine.
En même temps, désireuse, je suppose, de faire preuve d'une espèce de solidarité avec ses producteurs de blé, l'administration américaine a entrepris d'examiner plus en profondeur la possibilité d'une poursuite relative aux droits compensateurs qui alléguerait de subventions par le biais des politiques publiques et, exigeant ainsi l'imposition de droits compensateurs. L'administration américaine a aussi entamé une enquête sur l'anti-dumping dans cette affaire, alléguant cette fois non pas que la conduite du gouvernement était la cause du problème, mais plutôt les prix trop faibles, si on veut, que fixait la Commission canadienne du blé elle-même.
Il y a quelque temps, des conclusions préliminaires dans le dossier de la procédure des droits compensateurs amenaient la CCI américaine à proposer des droits préliminaires de 3,94 p. 100 sur le blé de printemps et le durham. Les gens du Dakota du Nord et d'autres avaient demandé 30, 40, 50 p. 100, et après toute leur recherche, les quelques Américains ont donné 3,94 p. 100. C'est relativement peu comparativement à la demande originale. C'était dans l'affaire du droit compensateur, en réaction aux subventions. De toute évidence, en faisant leur calcul, ils ont décelé, d'après eux, un certain montant de subventions, mais c'était manifestement un montant assez faible.
Il y a environ deux ou trois semaines, nous avons reçu les conclusions préliminaires dans le dossier des allégations de dumping, et dans ce dossier-là, ils ont imposé un droit compensateur d'environ 6,18 p. 100 sur le blé de printemps, et plus ou moins 8,18 p. 100 pour le blé durham. Si on fait l'addition, le droit compensateur qui a été appliqué plus tôt et le droit anti-dumping imposé il y a deux ou trois semaines, le droit qui est maintenant prélevé sur le blé de printemps montre à environ 10 p. 100 et celui imposé sur le blé durham est d'environ 12 p. 100.
Ce sont les conclusions préliminaires. Le processus de la CCI et du ministère du Commerce américain déterminera si, oui ou non, elles devraient être définitives, vers la mi-juillet. Ensuite, il y a une question importante à régler, et nous nous attendons à ce qu'elle soit réglée au cours du mois d'août, celles de savoir si, nonobstant ces conclusions, il y a vraiment eu atteinte au marché américain. Il est évident que nous soutiendrons fermement, d'abord que ces droits ne devraient pas être définitifs et, deuxièmement, s'ils doivent l'être, qu'il n'y a aucun fondement pour détecter qu'il y a eu préjudice.
Nous attendons une décision sur la finalité des droits en juillet, et sur le préjudice en août. Entre-temps, nous comptons, et nous espérons que nos bons clients américains le feront aussi, tout faire pour les convaincre que ces décisions, lorsqu'elles seront rendues en juillet et en août, devraient être négatives et non pas affirmatives.
Le sénateur Austin: En supposant qu'elles soient négatives et qu'une décision définitive soit rendue au sujet des droits compensateurs ou du dumping, ou les deux, doit-il y avoir ensuite un processus relatif à l'ALENA ou à l'OMC qu'à votre avis, la Commission canadienne du blé devrait suivre?
M. Goodale: Nous maintenons ouvertes toutes les possibilités et les entretenons, tant en ce qui concerne l'ALENA que l'OMC. Deux poursuites de l'OMC sont en cours actuellement, encore une fois sur une initiative des États-Unis. Il y a, bien entendu, la ronde de Doha, où on examine la nouvelle entente sur l'agriculture. C'est, comme vous le savez, une ronde de négociations qui a eu beaucoup de mal à démarrer et qui n'est pas très avancée. C'est en partie attribuable à la difficulté de s'entendre dans le monde de l'agriculture. Certaines des versions préliminaires de textes ont, à notre avis, largement débordé du mandat convenu pour les négociations de Doha, dans la manière, par exemple, où ils essaient d'attaquer une institution comme la Commission canadienne du blé. Nous pensons que certaines de ces ébauches de textes qu'appuient les États-Unis et d'autres débordent tout simplement du mandat qui a été convenu pour les négociations de Doha. Nous verrons comment le tout finira, mais il est certain que nous allons vigoureusement défendre nos intérêts là-bas.
Plus précisément, lorsque la CCI a tiré ses conclusions généralement négatives, en 2001, que l'administration américaine a déclaré «D'accord, il n'y a pas de fondement pour l'adoption de mesures pour l'instant, mais nous allons examiner la question de l'antidumping et du droit compensateur». Ils ont dit aussi, à ce moment-là, qu'ils verraient s'il y a de quoi justifier la création d'un comité de règlement des conflits devant l'OMC, et ce processus est à l'étape préliminaire de son lancement.
Ils s'en prennent à nous avec les droits compensateurs, ils s'en prennent à nous avec l'antidumping, et ils s'en prennent à nous avec le Comité de règlement des conflits à l'OMC. C'est une espèce de bataille sur tous les fronts, fondée sur un argument qui, selon nous, est fondamentalement erroné, particulièrement venant des États-Unis qui, selon la manière dont on regarde la situation, peut être le plus grand ou le deuxième plus grand État subventionnaire du monde.
Le sénateur Austin: En ce qui concerne la perception de droits compensateurs, à ce que vous sachiez, est-ce que les fonds recueillis seront conservés en attendant le résultat des processus de l'ALENA ou de l'OMC, ou est-ce que vous voyez dans les revendications des agriculteurs du Dakota du Nord et de leur institution, en partie, une tentative de tirer parti de l'amendement Byrd pour se faire distribuer de l'argent?
M. Goodale: Je ne sais pas s'il y a un rapport avec l'amendement Byrd ou non, monsieur le sénateur. J'espère que non. Si, en août, on conclut qu'il n'y a pas préjudice, tout ce qui aura été perçu jusque là doit être remboursé. Nous sommes passés par un processus assez pénible il y a quelques années, si vous vous en rappelez, relativement aux porcs, et à une plainte que le programme de stabilisation qui était en vigueur, en ce qui concernait les porcs, était une forme de subvention. D'immenses sommes ont été perçues en droits compensateurs à l'époque. Au bout du compte, nous avons réussi à persuader les autorités que, comme nous avions eu raison, les droits devaient être remboursés. Au bout du compte, ils l'ont été, mais cela a pris un temps fou. Ce qui compte, c'est que nous essayions d'éviter le problème pour commencer.
Le sénateur Di Nino: Monsieur le ministre, votre éloquente présentation a illustré avec conviction, aux fins du compte rendu, des positions que, de toute évidence, au Canada, nous connaissons bien, ou du moins assez bien. Nous espérons pouvoir communiquer vos points de vue à un public plus vaste pour mettre les choses au clair. Je suis assez impressionné par votre présentation et j'ai quelques questions à vous poser.
Tout d'abord, nous avons entendu, pendant la tenue des audiences sur le sujet, ces dernières semaines, que nous, au Canada, n'avons peut-être pas fait assez pour nous faire valoir aux États-Unis. Nous n'en faisons peut-être pas assez, non plus, pour rétablir les faits tels qu'ils sont aux États-Unis, particulièrement si on pense, comme vous l'avez expliqué avec tant d'éloquence, que nous avons des intervenants, des partenaires américains, si on veut, ces organisations qui achètent nos produits.
Avez-vous des commentaires à faire là-dessus? Est-ce que ce reproche est mérité et devrions-nous faire quelque chose à ce sujet?
M. Goodale: C'est une préoccupation tout à fait justifiée, monsieur le sénateur. Peut-être est-ce dû avec notre nature canadienne assez passive. Nous tendons à agir en réaction à une crise, mais à nous laisser aller un peu entre les crises. Nous devons reconnaître que cette relation commerciale, avec les États-Unis, revêt une immense importance. Elle est terriblement précieuse, tant pour nous que pour eux, de même que notre relation à plus grande échelle ici, sur le continent nord-américain. Nous devons y travailler, pas seulement de façon ponctuelle lorsqu'il y a des problèmes mais tout le temps, pour mieux parvenir à nous comprendre mutuellement. Nous devons y oeuvrer à tous les niveaux, celui des plus hauts fonctionnaires du gouvernement au Canada et aux États-Unis, mais aussi dans les États et les provinces, dans les organisations des deux côtés de la frontière et parmi les gens d'affaires qui font la navette entre les deux pays.
On pourrait espérer que cela se fasse de façon spontanée, mais le fait est que ce n'est pas le cas. Nous devons trouver des occasions pour les Canadiens et les Américains de mieux communiquer entre eux, de pleinement comprendre les faits, de se défaire de certains de ces mythes et anecdotes idiots qui persistent. Ils sont tellement faux dans les faits, que c'en est presque risible du côté canadien mais, pourtant, les Américains y croient ferme.
Je me rappelle avoir prononcé une allocution devant une organisation appelée North American Wheat Growers, aux États-Unis, il y a quelques années. C'est la plus grosse organisation agricole qui représente les producteurs de blé des États-Unis. Ils s'en sont pris à moi avec les gros canons, à propos d'un programme de subvention particulier du Canada qu'ils n'aimaient pas et qui, selon eux, était à la source de tous les maux. Tandis que je subissais le feu nourri des questions, j'ai finalement pu mettre le doigt sur le programme dont ils parlaient. Il s'agissait de la Loi sur les paiements de transition du grain de l'Ouest. Ma rencontre avec eux a eu lieu vers 1997. Nous avions aboli cette loi en 1995. Pourtant, cette organisation de grande envergure et très sophistiquée qui représentait les producteurs de blé ne le savait même pas. Ils pensaient que les anciennes subventions sur les tarifs marchandises étaient encore en vigueur et que le Canada les versait encore.
J'ai eu tout le mal du monde à les convaincre que nous avions abrogé la loi, que le programme n'existait plus et qu'il n'y avait plus de subvention des tarifs marchandises, point à la ligne. Ils sont probablement encore convaincus aujourd'hui — à en croire les pétitions déposées — qu'il doit y avoir une subvention cachée, quelque part.
Nous devons nous efforcer d'améliorer le niveau de communication et le degré de compréhension et des rapports avec nos collègues américains. Nous ne devrions pas les considérer comme notre problème, et ils ne devraient pas voir en nous leur problème.
Le problème véritable, ce sont les subventions internationales. Le coupable véritable est, surtout, l'Europe, mais les Américains en font presque tout autant. Les Américains auraient un peu de ménage à faire, eux aussi, dans leurs subventions.
Nous irions tous plus loin si, plutôt que de nous lancer des pierres d'un côté et de l'autre du 49e parallèle, nous unissions nos forces relativement à cette question du commerce du grain dans le monde, et engagions d'autres alliés comme l'Australie et l'Argentine, d'autres pays qui faisaient partie ou font partie du groupe Cairns, pour nous en prendre aux vrais coupables en matière de subventions, soit l'Union européenne.
Le sénateur Di Nino: Il y a d'autres faits que nous devrions faire connaître à nos voisins américains, nos meilleurs amis, comme vous l'avez dit. Il règne une grande ignorance, aux États-Unis, sur les avantages que présentent le Canada et les Canadiens pour les États-Unis. Par exemple, les gens sont le plus souvent étonnés d'entendre que 38 États considèrent le Canada comme leur plus gros client de l'exportation, et d'apprendre que le Canada est le meilleur marché des exportations américaines, en plus d'être son plus gros fournisseur d'énergie. Ils ne le savent pas.
M. Goodale: Nous avons exporté pour 50 milliards de dollars d'énergie l'année dernière.
Le sénateur Di Nino: Avez-vous d'autres suggestions spécifiques pour nous aider dans la rédaction de notre rapport? Comme vous le savez, ces derniers temps, un petit nombre de cultivateurs de grains ont manifesté le désir de pouvoir traiter directement avec les autres pays, particulièrement les États-Unis, et cetera, ce qui a peut-être contribué aussi à troubler les eaux.
M. Goodale: À ce propos, il est clair qu'il y a certaines différences d'opinions au Canada même, en ce qui concerne les préférences des agriculteurs en matière de systèmes de mise en marché. Tout ce que nous voulions faire, en modifiant la Loi sur la Commission canadienne du blé, en 1998, et les modifications sont entrées en vigueur le 1er janvier 1999, c'était transférer le plus gros du pouvoir de décision sur le mandat et les procédures d'exploitation de la Commission canadienne du blé des gouvernements, des politiciens et des bureaucrates aux agriculteurs eux-mêmes. Si on veut, c'était dans le but de démocratiser la Commission canadienne du blé pour la rendre plus imputable, plus flexible, et pour qu'elle ait une espèce de gouvernance d'entreprise de style moderne. Ainsi, nous avons aboli l'ancien système des commissaires. La Commission canadienne du blé était, auparavant, dirigée par cinq commissaires, désignés entièrement par le gouvernement du Canada et relevant tout à fait de lui. Ce système n'est plus. Ils ont maintenant un conseil d'administration composé de 15 personnes. Sur ces 15 personnes, 10 sont directement élues par les agriculteurs pour des mandats de quatre ans. Les mandats sont échelonnés, et nous avons des élections tous les deux ans. Il y en a eu à l'automne dernier, avec un bon taux de participation. Cinq des administrateurs producteurs ont été réélus ou élus, selon le cas.
Tout cela a fondamentalement changé la Commission canadienne du blé, de sorte que tout le pouvoir et l'autorité de la Commission sont maintenant non plus entre les mains du gouvernement, mais dans celles des agriculteurs. Si les agriculteurs du Canada veulent changer leur système de mise en marché, ils en ont parfaitement le droit par des moyens démocratiques qui dépendent maintenant d'eux.
Les gens font parfois remarquer que les agriculteurs de l'Ontario ont un autre type de flexibilité en matière de mise en marché, avec l'Ontario Wheat Producers' Marketing Board, que ne peut pas avoir la Commission canadienne du blé. Cette flexibilité a pu être obtenue, en Ontario, par le biais de décisions démocratiques des administrateurs de l'Ontario Wheat Producers' Marketing Board. Depuis que nous avons modifié la loi qui régit la Commission canadienne du blé, les agriculteurs de l'Ouest canadien ont maintenant le même pouvoir démocratique, s'ils veulent exercer ce pouvoir.
Je pense que plutôt que ces décisions soient surtout prises par l'appareil politique, il vaut beaucoup mieux qu'elles émanent des agriculteurs eux-mêmes. C'est pourquoi nous avons démocratisé la loi en 1999.
Si les agriculteurs veulent un changement, tout dépend d'eux. Leurs voeux, à cet égard, doivent être respectés. Ce que j'aime bien voir, c'est que la majorité des agriculteurs qui souhaitent des changements au pays, à la Commission canadienne du blé, affirment en même temps que c'est une décision que doivent prendre les Canadiens eux-mêmes, et qu'elle ne devrait pas être motivée par des pressions exercées par des intérêts étrangers.
La présidente de la Western Canadian Wheat Growers Association, par exemple, a adopté ce point de vue. Il est fermement convaincu que la Commission canadienne du blé doit changer, mais il pense que la décision devrait être prise au Canada par les Canadiens pour l'intérêt des Canadiens et ne devrait pas nous être imposée, d'une façon ou d'une autre, par des pressions exercées par l'étranger.
Je rends hommage à cette organisation pour avoir adopté ce qui, à mon avis, est une bonne position en matière de politique. Ils peuvent être favorables à la Commission canadienne du blé, ou contre elle au pays, mais c'est à nous d'en décider, au Canada. Nous prendrons cette décision à notre bonne vieille manière canadienne. Ce ne serait pas une décision importée d'un autre pays.
En ce qui concerne votre rapport, c'est à vous d'en décider. J'apprécie que vous rédigiez un rapport, et que vous ayez offert une occasion d'intégrer à ce rapport certaines informations pour faire la juste mesure avec les propos qu'a tenus M. Lash plus tôt.
Il serait important d'encourager notre relation d'échanges commerciaux de céréales avec les États-Unis et, de fait, avec le reste du monde, en se fondant sur des faits concrets et des preuves réelles plutôt que sur des mythes, des rumeurs et des sous-entendus.
J'espère que les statistiques que vous avez vous convaincront qu'il n'y a ni subvention, ni dumping. Il n'y a pas d'avalanche, ou d'inondation qui passe nos frontières. Il n'y a qu'un commerce normal, approprié, pleinement respectueux des règles qui s'appliquent au Canada et de celles qui s'appliquent aux États-Unis.
Il nous faut travailler plus fort pour nous comprendre mutuellement, pour comprendre les faits tels qu'ils sont des deux côtés de la frontière afin de voir où se trouvent nos intérêts communs et de nous attaquer au problème réel dans le monde, soit les subventions internationales qui faussent les échanges. C'est cela, le fond du problème; ce n'est pas la Commission canadienne du blé.
Le sénateur Corbin: Merci, monsieur le ministre, de nous avoir expliqué tout cela en détail. Je comprends certainement votre indignation, mais je remarque aussi votre attitude positive dans le sens de solutions.
J'aimerais savoir ce qu'ont coûté ces querelles depuis des années. Auriez-vous des chiffres approximatifs, une idée du prix de ces conflits?
M. Goodale: Quand il s'agit des droits compensateurs, en principe, c'est un programme public qui est en faute; par conséquent, c'est le gouvernement qui dirige la défense.
S'il s'agit d'anti-dumping, ce qui est sous-entendu, c'est qu'une entité commerciale vend en dessous du cours et, par conséquent, c'est elle qui dirige la défense; dans ce cas-là, ce serait la Commission canadienne du blé. Il y a donc une procédure de défense du gouvernement et une procédure de défense de la Commission canadienne du blé. Très souvent, les producteurs sont appelés à participer d'une façon ou d'une autre. Il en a certainement coûté des millions de dollars, qui ont été absorbés par les activités de lobbying et les procédures juridiques depuis une dizaine d'années. Quant à savoir exactement combien de millions, ce serait difficile à estimer au pied levé, mais toutes ces mesures ont coûté beaucoup aux agriculteurs américains. Il en a coûté encore plus aux agriculteurs canadiens pour se défendre contre ces procès. Tout cela est tout à fait contre-productif, quand on s'en prend à un bouc émissaire qui n'est même pas la source réelle du problème.
J'aimerais beaucoup faire comprendre aux agriculteurs américains que s'ils ont quelques millions et nous aussi avons quelques millions, nous pourrions trouver de meilleurs moyens de dépenser cet argent quand nous engageons dans ces fausses luttes les uns contre les autres.
Le sénateur Corbin: Pour ce qui est du droit compensateur, c'est le gouvernement qui s'en occupe. D'après la longue liste des incidents que vous avez donné, je soupçonne que vous avez maintenant un poste budgétaire, des années personnes et tout ce que vous voulez, pour réagir à ces allégations malvenues et non fondées.
M. Goodale: Vous avez probablement raison, sénateur Corbin. Votre question m'incitera à demander aux fonctionnaires s'ils peuvent calculer le prix de la défense.
Je sais que la Commission du blé, de son côté, doit puiser dans ses propres ressources pour payer tout cela. Elle se préoccupe beaucoup de ce fardeau financier qu'à son avis, les agriculteurs doivent si injustement assumer.
Le sénateur Corbin: Il est important que le public le sache. Si vous pouviez donner ces chiffres au comité assez rapidement, ce serait apprécié.
Saviez-vous, par exemple, que pour les problèmes de bois d'oeuvre, il en a coûté au Canada en gros, depuis 1987, plus de 800 millions de dollars en frais juridiques, plus 200 millions de dollars à l'OMC? Je crains que ce soit le genre de chiffres que vous obtiendrez.
M. Goodale: C'est une somme prohibitive. Permettez-moi de dire ceci: un système d'échanges commerciaux multilatéraux fondés sur les règles est une bonne chose. Cependant, assurer ces droits en vertu des règles, ou se défendre selon les règles peut parfois s'avérer très onéreux.
Je suis tout à fait d'accord avec la suggestion du sénateur Di Nino et d'autres, qu'il nous faut investir beaucoup plus de temps et d'efforts dans l'entretien préventif, pour constituer et entretenir une bonne relation de manière que nous n'ayons pas à nous engager dans ces procédures coûteuses, chronophages, contre-productives, exaspérantes et harcelantes. Elles ne servent à rien, à personne.
Le sénateur Austin: Monsieur le ministre, au sujet de votre dernier argument, je serais curieux de savoir pourquoi vous avez conservé le terme «commission» lorsque vous avez éliminé le gouvernement de cet organe. C'est un problème. Le terme «commission» suggère un organisme du gouvernement. Si vous l'aviez appelé la corporation canadienne du blé, la perception de ce qu'elle fait serait plus exacte; qu'en dites-vous?
M. Goodale: Vous avez un bon argument. On y a un peu songé à l'époque. La ferme opinion de nos clients du monde entier, de la Chine, du Japon, de la Corée, de l'Indonésie, de pays de l'Afrique, de l'Asie septentrionale et de l'Europe, était que l'acronyme anglais «CWB» a une valeur intrinsèque. Il existe depuis 1935. La Commission exerce son pouvoir de mise en marché, tel qu'il est actuellement, en grande partie, depuis 1943. C'est un titre respecté sur les marchés internationaux de grains.
Cependant, il se pourrait bien qu'à un moment donné le titre «Canada Grain Inc.» soit plus représentatif de la réalité.
Le président: Nous apprécions vraiment que vous ayez répondu aux propos de M. Lash pour le compte rendu. Nous étions à Winnipeg et nous avons eu un entretien avec la Commission canadienne du blé. Nous avons entendu le témoignage de la Commission, mais il était important que vous veniez pour donner à notre personnel une occasion d'intégrer à notre rapport quelque chose qui reflète, selon nous, les arguments tout à fait justes que vous avez soulevé.
Honorables sénateurs, avant de partir, j'ai une motion à proposer rapidement, soit que, conformément à l'autorisation budgétaire adoptée par le Sénat le 3 avril 2003, que le comité retienne les services d'un éditeur anglais et français qui contribuera à l'examen de l'étude spéciale sur la relation commerciale du Canada avec les États-Unis d'Amérique et le Mexique, dans les limites dudit budget. Tout est dans le budget, et c'est une bonne chose.
Le sénateur Corbin: Je le propose.
Le président: Sommes-nous d'accord, honorables sénateurs?
Des voix: D'accord.
La séance est levée.