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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
affaires étrangères

Fascicule 18 - Témoignages du 8 octobre 2003


OTTAWA, le mercredi 8 octobre 2003

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit aujourd'hui à 18 h 08 pour examiner, afin d'en faire rapport, les relations commerciales entre le Canada et les États-Unis et entre le Canada et le Mexique.

Le sénateur Peter A. Stollery (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, je m'excuse auprès de nos témoins du retard que nous avons pris. Le comité a déposé en juin le premier volume de son étude de l'ALENA. Cette étape nous a conduits vers une série de rencontres au cours desquelles nous recueillons plus de témoignages. Jusqu'ici, de bons témoins nous ont fourni beaucoup de renseignements sur l'importance du taux de change pour le commerce entre le Canada et les États-Unis — ce qui ne devrait étonner personne. On nous a rappelé les fluctuations du taux de change entre 1998 et 2000. Nos exportations, dans une certaine mesure, suivent ces taux de change.

Notre premier témoin d'aujourd'hui est M. Michael McCracken, qui a comparu devant le comité à de nombreuses reprises. Nous allons également entendre M. Ted Carmichael et M. Jim Stanford.

Monsieur McCracken, la parole est à vous.

M. Michael McCracken, président, Informetrica Limitée: J'ai distribué un résumé en PowerPoint, mais mon témoignage, je pense, vous servira aux fins souhaitées. Je m'excuse de ne pas vous l'avoir présenté en anglais et en français. Je ne l'ai terminé que cet après-midi.

Avec votre permission, j'aimerais d'abord planter le décor. Ce qui me frappe, c'est que la première question à laquelle il serait utile que je réponde concerne ce que nous savons des taux de change. Essentiellement, c'est relativement clair, et nous disposons de nombreuses données selon lesquelles les fluctuations du taux de change influent sur le prix des exportations et des importations. Nous avons également appris que ces fluctuations prennent du temps; elles ne surviennent pas instantanément, du moins pas dans tous les marchés. Une fois que, dans une économie moderne, les prix commencent à changer, d'autres prix réagissent — les taux salariaux, le prix des biens produits au pays. Le temps de le dire, le chat sort du sac, et on se retrouve face à une série de changements beaucoup plus complexes.

Comme si ce n'était pas suffisant, les variations de prix, en particulier des prix relatifs, entraînent de véritables changements dans l'économie. Des gens décident de faire des mises à pied, d'embaucher des travailleurs, d'investir, de ralentir leurs investissements, d'acheter ou non des voitures. Lorsqu'on se pose des questions sur l'effet des variations du taux de change, on est très vite amené, en un sens, à se poser des questions sur la situation de l'économie totale. Confronté à ces questions, on constate — comme toujours lorsque le système subit tel ou tel type de choc — que les effets sont positifs pour certains et négatifs pour d'autres. Il en va de même pour les entreprises, les régions, les ordres de gouvernement et ainsi de suite.

À propos des taux de change, un économiste de qualité — et il n'y a que de telles personnes ici — poserait une question supplémentaire: quel genre de politique monétaire la banque centrale applique-t-elle? Va-t-elle se contenter d'observer la situation sans intervenir ou se concentrer sur l'inflation? Si l'inflation, par exemple, compte tenu de l'amortissement, est sensiblement plus élevée, la banque réagira-t-elle en haussant les taux d'intérêt? L'appréciation du dollar canadien, conformément à ce qu'on a observé récemment, se traduira-t-elle par une prévision de prix plus bas? En résultera-t-il des taux d'intérêt plus bas? La banque aura-t-elle recours à une méthode encore plus raffinée — une forme d'indice des conditions monétaires, en vertu duquel les fluctuations des taux d'intérêt permettent d'annuler une part de l'appréciation?

Si vous lui posiez la question, la banque centrale, naturellement, vous répondrait qu'elle ne commente jamais le taux de change; cependant, elle soulignerait aussi, après avoir sondé son for intérieur, qu'elle aimerait vraiment savoir combien de temps durera la fluctuation du taux de change en question. Une augmentation de un demi de 1 p. 100 comme celle d'hier est une chose; un phénomène qui persiste pendant cinq ans en est une autre. À moins que la hausse ne soit renversée deux jours plus tard, auquel cas la banque, prenant acte de l'apparition du phénomène, puis de sa disparition, dira peut-être qu'elle n'entend pas répondre.

À propos des banquiers, en particulier ceux des banques centrales, une autre question nous préoccupe, celle de savoir s'ils vont réagir de façon symétrique. Si la valeur du dollar diminue, que cela entraîne une hausse de l'inflation et qu'ils prennent une série de mesures pour hausser les taux d'intérêt, feraient-ils la même chose en sens contraire si le dollar s'appréciait du même montant? Sinon, l'économie risque d'être ballottée d'un extrême à l'autre, ce qui pose problème.

Nous aimerions également savoir s'ils réagiraient différemment à de petites fluctuations par rapport à de grandes. Réagiront-ils avec beaucoup de retenue à une fluctuation de un cent, mais, en cas d'appréciation de cinq cents, seront- ils non pas cinq fois plus énervés, mais bien dix fois plus énervés?

Pourquoi poser ces questions maintenant? A-t-on tenu des audiences il y a deux ans, à l'époque où nous faisons face à une dépréciation de 35 p. 100? Nous aurions pu réfléchir et nous tordre les mains — il aurait été plus approprié de le faire. Il est intéressant de constater que ce n'est qu'après un changement marqué que nous souhaitons en parler. Bien entendu, cela se produit habituellement lorsque la situation s'inverse et part dans l'autre direction puisque c'est à ce moment que nous entamons notre examen. Étant donné l'appréciation que nous avons connue, nous sommes peut-être confrontés au pic à la faveur duquel nous nous rencontrons pour nous tordre collectivement les mains. Je ne sais pas.

En fait, les deux phénomènes se produisent. Depuis le début des années 90, le dollar canadien, sur les plans nominal et réel, a connu une forte dépréciation par rapport à la devise américaine. Depuis le début de l'année, nous faisons face à une appréciation relativement marquée. Si nous souhaitons en parler, c'est peut-être aussi parce que nos partenaires commerciaux, en particulier les États-Unis, s'inquiètent du fait que le dollar canadien ne s'apprécie pas assez. En fait, je me souviens d'avoir vu un groupe de sénateurs des États-Unis venir ici au milieu des années 80 pour dire leur inquiétude au sujet de notre faible dollar. Naturellement, entre le moment où la rencontre a été organisée et celui de leur visite, le dollar avait bondi et repris deux ou trois cents. Pour ce que j'en sais, ils sont venus, mais je n'ai pas réussi à les rencontrer. Tout le monde a dit qu'ils se trouvaient quelque part à Hull.

J'entends des économistes américains dire que la faiblesse de notre dollar nous a permis de profiter des États-Unis et que cela doit cesser. Une telle affirmation est-elle fondée ou non? Bien entendu, les mêmes économistes tapent en même temps sur le clou de la Chine; en fait, nous avons jusqu'à un certain point uni notre voix à la leur — ce qui m'amène d'ailleurs à m'interroger sur nos motivations.

Il est également possible que nous craignions que notre secteur de la fabrication et des ressources soit trop vigoureux et que nous voyions dans la présente appréciation le moyen de les ralentir un peu. Ces secteurs ont été avantagés, peut- être trop, par un faible dollar, et ils ont peut-être fait preuve d'un peu de laxisme sur le front de la productivité. Il n'y a donc rien comme une bonne appréciation pour les amener à poursuivre des objectifs plus élevés.

Les changements, vous les connaissez — on vous en a parlé. On parle, depuis le début de l'année, d'une appréciation du dollar canadien de l'ordre de 15 à 18 p. 100 — et d'une dépréciation de l'ordre de 37 ou 38 p. 100 du dollar depuis 1991. À l'heure actuelle, nous avons en gros récupéré la moitié du total. Vous voulez des chiffres simples? Représentez- vous une dépréciation de 30 p. 100, dont environ la moitié a été annulée par le redressement récent de notre devise.

À propos de la fluctuation du taux de change, j'ai fait état des liens avec l'économie canadienne, mais nous devons nous rendre compte du fait que le Canada ne constitue qu'un maillon de l'économie mondiale. Nous sommes en partie dépendants de l'état de l'économie des États-Unis — laquelle aura un effet sur notre taux de change, peu importe ce que nous faisons ici. L'économie canadienne reçoit des rétroactions. L'économie des États-Unis influe sur l'économie canadienne et donc, de façon indirecte, sur le taux de change. Tout est lié. En réfléchissant aux causes du changement, nous voudrons donner suite à cet état de fait.

Très brièvement — postulons une appréciation durable de 20 p. 100 du dollar canadien — sinon, corrigez-moi, et je rectifierai le tir. En d'autres termes, imaginons que nous allons rester à 75 ou à 77 cents dans un venir prévisible — ce qui représente une hausse par rapport à la moyenne observée en 2001-2002, soit environ 65 cents. Comment la situation évoluera-t-elle au cours des prochaines années du point de vue des effets sur l'économie — est-ce bien l'orientation que je dois donner à mes propos, monsieur le président?

Le président: Nous sommes relativement centrés sur l'effet du dollar sur notre commerce avec les États-Unis. Notre ordre de renvoi porte sur le commerce entre le Canada et les États-Unis, et les membres du comité s'intéressent aux effets que tout cela a eus et aura sur le commerce entre le Canada et les États-Unis.

M. McCracken: Je vais tenter de m'en tenir à cet aspect, mais vous allez rapidement vous rendre compte que nous devons déborder sur d'autres enjeux.

En cas d'appréciation, le prix des biens exportés et importés va augmenter — dans certains cas, on fera face à une augmentation immédiate correspondant presque au montant total, soit 20 p. 100. Le pétrole constitue un bon exemple. À tort ou à raison, nous avons décidé au Canada d'adopter le prix mondial du pétrole et d'ajuster le prix en vigueur quotidiennement en fonction du prix mondial du pétrole. Cette décision a une incidence sur d'autres prix dans le domaine énergétique. Ces derniers sont eux aussi rajustés assez rapidement. D'autres prix des produits de base — les métaux et les produits fibreux, par exemple — entretiennent aussi des liens avec les prix internationaux des produits. Pour une large part, ces prix réagiront presque immédiatement à des prix plus élevés ou moins élevés en dollars canadiens.

Les prix de certains produits d'exportation ou d'importation ne changeront pas autant. On décidera peut-être qu'un changement de prix risque de faire en sorte qu'un produit ne sera plus concurrentiel aux yeux des acheteurs. Dans ce cas, le prix étranger n'est pas rajusté dans la même proportion, et on en compensera en partie les effets en rajustant dans une proportion plus ou moins grande, selon le cas. On peut envisager des diminutions du montant total de 20 p. 100 pour les produits du marché et de par exemple 10 à 15 p. 100 pour certains autres produits.

Les réductions de prix entraîneront une diminution des profits des sociétés et de l'indice des prix à la consommation, l'IPC. Les prix d'autres importations concurrentes seront aussi touchés. Les salaires augmenteront probablement moins, diminueront ou ne diminueront pas, la seconde hypothèse étant la plus probable, tandis que les prix de la machinerie et de l'équipement diminueront. L'un des principaux effets de la fluctuation du taux de change est que l'appréciation du dollar canadien constitue essentiellement un transfert de revenu du secteur des entreprises à celui des particuliers. Un peu comme si on supprimait un tarif sur des importations et qu'on cessait de subventionner des exportations C'est une autre façon de voir une appréciation du taux de change ou une dépréciation dans l'autre sens. C'est comme si on imposait un tarif sur l'ensemble des importations et qu'on accordait une subvention à l'ensemble des exportations.

Le revenu réel disponible et la consommation qui en découle entraîneront probablement, presque inévitablement, une augmentation des importations. Selon l'adaptation des intéressés et la perception des effets sur le revenu, les exportations réelles augmenteront peut-être. Lorsqu'on s'engage sur cette voie, on ne doit pas perdre de vue l'autre côté de la médaille. Je voulais simplement ouvrir la porte à ce sujet. N'oubliez pas que la fluctuation du taux de change au Canada qui prend ici la forme d'une appréciation correspond à une dépréciation du dollar américain par rapport à la devise canadienne. Cette dépréciation du dollar américain aura des effets aux États-Unis. Elle entraînera un déplacement des revenus des consommateurs vers les entreprises. Elle générera une activité économique additionnelle aux États-Unis. Comme nous le savons, une partie de ces effets débordera et entraînera une hausse de la demande au Canada. La question est maintenant de savoir quelle sera la force nette de ces activités.

Si, de la même façon, les consommateurs canadiens sont en meilleure posture, la demande d'automobiles au Canada, par exemple, augmentera peut-être — même si, du côté de l'exportation, la demande risque de diminuer en raison du prix plus élevé des voitures exprimé en dollars US au sud de la frontière.

Voilà ce qu'on doit prendre en considération — les autres changements, l'inflation et les taux d'intérêt. Vous devriez également suivre les bilans du gouvernement fédéral. Une appréciation, je le répète, frappe de plein fouet les profits des entreprises. Or, le gouvernement fédéral tire le gros de ses revenus des profits des entreprises; les gouvernements provinciaux reçoivent beaucoup moins. En revanche, les gouvernements provinciaux paient des sommes considérables au titre des traitements, salaires et paiements de transfert, dont certains sont indexés. Par conséquent, un taux d'inflation moins élevé est avantageux pour elles. Ainsi, les effets sur les bilans du gouvernement seront modestes. La différence majeure est la suivante: en cas d'appréciation, le gouvernement fédéral paie davantage, a un déficit accru ou un surplus moindre, tandis que la situation budgétaire des provinces s'améliore. En gros, les chiffres devraient être environ du même ordre. Voilà une autre optique qui vous donne une idée de la réaffectation qui s'effectue.

Que s'est-il produit dans le cas de l'appréciation récente? À l'heure actuelle, trois versions circulent, et j'ai l'impression que la réalité réside dans une combinaison des trois. Il s'agit d'un récit complexe. Selon l'une des versions, la devise américaine se déprécie enfin par rapport aux devises majeures comme l'euro et le yen, et le Canada suit le mouvement créé par cette dépréciation, mais plus lentement ou dans des proportions moins grandes. Le résultat net, c'est que le dollar canadien doit forcément s'apprécier par rapport à la devise américaine. Cependant, je n'ai rien dit à propos de la situation en vigueur au Canada ni de la politique canadienne — cette version, nous pourrions donc la qualifier d'»indirecte». Au risque de choquer certains d'entre vous, je précise que la devise canadienne ne compte pas parmi les devises majeures. Les fluctuations majeures interviennent entre le dollar américain, l'euro et le yen. De l'avis de nombreuses personnes, voilà en partie ce qui s'est produit au cours des dix à 15 dernières années. Le dollar américain s'est apprécié par rapport à toutes les devises majeures, et notre devise s'est appréciée aussi, mais pas dans les mêmes proportions. Par rapport à la devise américaine, la devise canadienne a fini par se déprécier.

En vertu de la deuxième version, on s'interroge sur la situation en vigueur au Canada, et on constate que les facteurs économiques fondamentaux sont merveilleux. Nous avons un taux d'inflation enviable, sensiblement supérieur au rendement économique affiché par les États-Unis depuis quelques années, et le taux de change commence enfin à en témoigner. Même si certaines personnes sont d'avis que les marchés sont parfaits et se rajustent quotidiennement au gré des dernières nouvelles, on oublie parfois cette version, laquelle tire de la patte et met quelques années à s'imposer.

En vertu de la troisième version que vous entendrez, la situation actuelle s'explique en totalité par des facteurs particuliers. J'y reviendrai dans un moment.

Si on croit la première version ou des éléments de cette dernière, on doit comprendre pourquoi il y a une dépréciation de la devise américaine. Certains sont d'avis que le déficit des comptes courants est intenable. Il se chiffre à de 400 à 600 milliards de dollars, et rien n'indique que la tendance sera rapidement renversée. Pour une raison ou pour une autre, les gens sont disposés à accepter des dollars américains et à le faire aux taux de change actuels. Ils risquent d'être moins intéressés à le faire puisque, aux États-Unis, les taux d'intérêt sont bas et que, en raison de frictions internationales accrues, certains pays risquent d'être moins désireux de détenir des actifs américains. Encore plus récemment, on a commencé à se poser des questions au sujet de la Californie et de l'opportunité d'avoir des dollars américains dans son portefeuille.

Du côté canadien, j'ai fait allusion au rendement relatif de l'inflation, qu'il s'agisse de l'indice implicite du produit intérieur brut ou de l'IPC. Au Canada, les taux d'intérêt sont plus élevés qu'aux États-Unis, dans une proportion d'environ 175 points de base. Nous nous attendons à ce que la croissance soit du même ordre ou légèrement supérieure, même si les prévisions ont quelque peu été rajustées à la baisse. La plupart des gens commencent à penser que l'économie américaine est en reprise et que les prix mondiaux des produits vont augmenter. Habituellement, il s'agit d'une bonne nouvelle pour le Canada par rapport aux États-Unis. Le Canada est un important exportateur net d'énergie, tandis que les États-Unis sont un important importateur net d'énergie.

Nous bénéficions également de solides excédents courants, ce qui est un signe positif, ainsi que d'un fort solde de la balance courante à long terme, nettement plus que les États-Unis. Ces éléments devraient laisser croire à des pressions persistantes en faveur de l'appréciation, du moins du côté canadien.

Enfin, dans la troisième version, il y a des facteurs spéciaux. Certains affirmeraient que la menace séparatiste québécoise pèse aujourd'hui moins lourd qu'il y a de deux à six ans. Il y de nouveaux débouchés, par exemple le bois d'œuvre, le cours inférieur du fleuve Churchill, le gazoduc de la route de l'Alaska et les découvertes de gaz naturel en Colombie-Britannique. Certains attribueront cette situation au nouveau Premier ministre qui se profile en coulisse. On assiste aussi au renversement de facteurs négatifs. Le SRAS terminé, il n'y a plus de maladie de la vache folle, et le black-out n'était pas d'origine canadienne, du moins nous l'espérons.

L'ensemble de ces choses et de ces facteurs entre en jeu. Le problème qui se pose au gouvernement à ce stade-ci est le suivant: le cas échéant, que devons-nous faire? Pour ma part, je lui suggérerais ce que je lui suggère depuis 20 ans — et il a fait la sourde oreille. Je l'encouragerais à réduire les taux d'intérêt, à stimuler les investissements, à créer de nouveaux débouchés pour les exportations là où il en existe, à tenter de profiter de ces débouchés au lieu de ne faire qu'en parler, à encourager l'emploi et, dans la mesure où des taux d'intérêt plus bas génèrent des dividendes budgétaires — si les banques centrales donnent suite en accordant des taux d'intérêt plus bas, comme elles devraient le faire au vu de ce genre d'appréciation, et que l'inflation plus basse favorise l'équilibre budgétaire grâce à une croissance réduite des salaires et des paiements indexés — à donner suite. Ma remarque s'adresse tout particulièrement aux gouvernements provinciaux, qui, dans ce contexte, devraient voir leur situation s'améliorer tout particulièrement.

Du côté du commerce, la mise en place de l'ALE et de l'ALENA constitue peut-être bien une explication fondamentale. Ces accords ont entraîné des améliorations considérables. Il est certain que le Canada est un pays voué à la cause du libre-échange au lieu de n'être qu'un participant du libre-échange, comme le sont les États-Unis. Dans ce contexte, les accords ont bien fonctionné. L'accumulation de la croissance de même que la diversification de l'emploi en témoignent à coup sûr.

Il est possible qu'on recueille enfin les dividendes. À l'époque de la négociation de l'ALÉ, en particulier au début des années 90, on a beaucoup débattu de la question de savoir si nous avions ou non tout fait de travers. Imaginez. En même temps que nous nous attaquions à cette importante méthode de stimulation du commerce, nous avons délibérément plongé l'économie dans une profonde récession. La hausse des taux d'intérêt ne me semblait pas à l'époque — et je n'ai pas changé d'avis — la mesure la plus brillante que nous ayons prise. Néanmoins, c'est maintenant de l'histoire ancienne.

Enfin, nous récoltons les fruits de notre labeur. À propos de l'ALENA, on assiste parfois à un débat intéressant sur la question suivante: ALENA a-t-il cessé de produire ses effets? En d'autres termes, les avons-nous réalisés? C'était un accord. Nous avons effectué les rajustements qui s'imposaient. Peu importe où nous en sommes maintenant, il s'agit d'un nouveau plateau. C'est un point de vue.

Certains soutiendraient que les effets ont été petits et que, au départ, il n'y avait pas de quoi s'énerver. D'autres disent que les effets de tels instruments mettent du temps à se faire sentir. La restructuration des industries et des investissements se fait non pas après cinq ans, mais bien au contraire après dix ou 15 ans. On n'a parcouru que la moitié du chemin. Quels que soient les effets que vous associez à ALENA ou à l'ALÉ, positifs ou négatifs, vous auriez intérêt, au bout du compte, à les multiplier par deux pour avoir une idée de ce qui vous attend. Il est possible que nous constations maintenant les effets entre la septième et la dixième années, de même qu'entre la douzième et la quatorzième années de l'ALÉ et de ALENA, et non à quelque chose de tout à fait différent.

Pour ma part, je pense qu'une bonne part des effets de ALENA et de l'ALÉ se sont fait sentir et que nous vivons dans un monde où les effets positifs soutenus que nous tirons de ALENA et de l'ALÉ tiennent à la légère réticence des États-Unis, étant donné que ces accords sont en place, à prendre de fortes mesures protectionnistes à notre encontre.

Le sénateur Austin: Comme je viens de la Colombie-Britannique, j'aimerais savoir ce que vous entendez par «fortes».

Le sénateur Di Nino: Le bois d'œuvre.

M. McCracken: D'abord, le bois d'œuvre n'a jamais fait partie de l'accord, et c'est pourquoi, dit-on, ils ont la partie belle.

Le président: En revanche, le mécanisme de règlement des différends était là, et il n'a pas donné les résultats escomptés.

M. McCracken: Nous cherchons toujours à déterminer dans quelle mesure il va bien fonctionner. Seul le temps le dira. C'est tout de même préférable à ce qui existait auparavant. En 1986, j'étais d'avis que le débat entourant l'ALÉ et le fait d'éviter les mesures commerciales entre 1986 et la date d'entrée en vigueur de l'accord allaient nous procurer des avantages considérables. C'était moins grâce à la mise en œuvre elle-même qu'au fait qu'on dissuadait les Américains de s'orienter vers des mesures protectionnistes plus sévères alors que, à l'époque, vous vous en souviendrez, les États- Unis penchaient vers le protectionnisme. Mais je m'éloigne du débat sur le taux de change.

Le président: Je vais devoir vous interrompre et céder la parole à M. Carmichael. Le comité a une bonne idée de la question de l'ALÉ et de ALENA puisque nous avons tenu des audiences poussées à ce sujet. Je pense que nous maîtrisons assez bien ce dossier.

Monsieur Carmichael, la parole est à vous.

M. Ted Carmichael, économiste, J. P. Morgan Valeurs Mobilières Canada: D'entrée de jeu, je devrais peut-être établir une distinction entre le problème à court terme que représente aujourd'hui la très forte appréciation du dollar canadien au cours des neuf derniers mois ou environ et le problème à long terme que représente la question de savoir si les fluctuations à la hausse et à la baisse du dollar canadien sont ou non une bonne chose pour le commerce entre le Canada et les États-Unis, d'une part, et l'économie canadienne, d'autre part. À l'heure actuelle, à la lecture des journaux, on se rend compte que toute l'attention porte sur la question à court terme. L'impact à court terme de la hausse marquée du dollar canadien que nous avons vue, laquelle, comme M. McCracken l'a dit, se caractérise probablement davantage par une diminution marquée de la devise américaine par rapport aux devises du monde entier, a trait non pas à la version concernant le dollar canadien que nous avons véhiculée au cours des neuf derniers mois, mais bien plutôt au fait que l'administration américaine a renoncé à la politique d'un dollar fort qu'elle appliquait depuis des années essentiellement parce qu'il n'y a pas de croissance de l'emploi aux États-Unis et que le déficit des comptes courants est de plus en plus préoccupant pour ce pays.

À l'heure actuelle, l'administration américaine minimise la valeur de sa devise. Elle souhaite que la valeur du dollar diminue et que les devises asiatiques s'apprécient. Cependant, dans la version «indirecte» à laquelle M. McCraken a fait allusion, toutes les devises s'apprécient par rapport au dollar américain. En fait, le mouvement du dollar canadien a suivi en gros celui de l'euro. La différence, c'est que 85 p. 100 des exportations canadiennes vont vers les États-Unis, tandis que le marché des États-Unis est important pour l'Europe, le Japon et d'autres régions du monde, mais pas à hauteur de 85 p. 100. Il ne représente pas la part du lion de la même façon. Nous sommes confrontés à ce problème à court terme qui retiendra notre attention pendant un certain temps, et des gens vont se demander ce que la Banque du Canada fera à ce sujet la semaine prochaine. C'est un problème qui mérite qu'on en parle, mais il y a sans doute un enjeu plus important qui se présente dans le cadre de vos audiences générales — c'est-à-dire la question de savoir si les fluctuations à la hausse et à la baisse du dollar canadien seront, au fil du temps, favorables à l'accroissement du commerce entre le Canada et les États-Unis, font en sorte que ce commerce est plus stable avec le temps et ajoute à la capacité de l'économie canadienne de créer de la richesse et des emplois, d'accroître la productivité, et ainsi de suite. Ce sont deux questions différentes. Nous pouvons débattre pendant longtemps de la question à court terme et de ce que la Banque du Canada devrait faire à ce sujet au moment où nous parlons, mais je suis d'avis que nous devrions aussi nous intéresser au problème à plus long terme.

À la page 2 du document en bleu qui vous a été remis, vous trouverez le taux de change des dollars des États-Unis et du Canada de 1987 à 2003. Nous pourrions commencer par le début de cette période, soit 1987, c'est-à-dire, dans le contexte de vos audiences, l'époque où a commencé à se dégager le consensus qui allait déboucher sur l'Accord de libre-échange qui est entré en vigueur en 1989. M. Crow était le gouverneur de la Banque du Canada. Fait intéressant, le dollar, au début de cette période, était à 75 cents. Pendant le mandat de M. Crow, des problèmes d'inflation se sont posés. Nous avons été témoins d'un boom de l'immobilier. La Banque du Canada a appliqué une politique monétaire très restrictive, les taux d'intérêt canadiens étant supérieurs de quatre à cinq points de pourcentage à ceux des États- Unis. En 1991, le dollar canadien a atteint son sommet de 89 cents — 14 cents au-dessus de son niveau actuel. Par la suite, la valeur du dollar a diminué progressivement.

M. Thiessen est entré en fonction en 1994. Donc, nous étions confrontés à la crise du peso mexicain. La valeur du dollar canadien a fléchi. Les agences de cotation ont abaissé la cote de crédit du Canada parce que, à l'époque, nous étions aux prises avec un important déficit budgétaire. Malgré un taux de chômage supérieur à 10 p. 100, la Banque du Canada a dû hausser les taux d'intérêt de façon spectaculaire pour tenter de protéger le dollar canadien. Ce dernier s'est stabilisé pendant un certain temps, mais, si vous consultez sur la carte l'année 1998, vous vous rendrez compte que le monde était en proie à des turbulences. Il y a eu la crise asiatique qui a atteint son point culminant avec le défaut de paiement de la Russie. Le dollar canadien a chuté à ce qui était alors son plus bas niveau historique. La Banque du Canada a une fois de plus haussé les taux d'intérêt de 100 points de base, en dépit du fait que l'économie, à l'époque, suscitait des inquiétudes. Le dollar canadien s'est légèrement redressé.

M. Dodge est alors devenu gouverneur de la Banque du Canada. Les taux d'intérêt canadiens étaient inférieurs à ceux des États-Unis. Le dollar canadien a chuté à son plus bas niveau historique, soit 61 cents — fait intéressant, 14 cents sous le seuil des 75 cents. Par conséquent, l'amplitude se répartit comme suit: 75 cents au milieu, 89 cents au haut de la courbe, soit un écart de 14 cents, et 61 cents au bas de la courbe, soit un écart de 14 cents. Au cours des neuf derniers mois environ, nous sommes sortis des bas-fonds pour remonter jusqu'à 75 cents.

Pourquoi donc tout ce tapage? Nous sommes au milieu de la courbe. Tout paraît conforme: ni trop chaud, ni trop froid, juste parfait.

Ce n'est pas l'opinion de tous puisque nous sommes aujourd'hui passés du plus bas niveau ou presque pour revenir au milieu de la courbe. En un très court laps de temps, nous avons connu l'augmentation de 15 à 20 p. 100 évoquée par M. McCraken.

Pour ceux d'entre vous qui suivent le dollar canadien depuis longtemps — et certains d'entre vous le faites peut-être depuis plus longtemps que moi —, il s'agit de l'appréciation du dollar canadien la plus importante et la plus rapide par rapport à la devise américaine dont je me souvienne et que, me semble-t-il, on puisse documenter au cours des 75 à 100 dernières années.

Est-ce important? Est-ce bon pour le commerce entre le Canada et les États-Unis? Cela a-t-il pour effet de stabiliser notre commerce avec les États-Unis? Probablement pas. Je ne vais pas passer en revue toutes les diapositives qui vous ont été distribuées, mais je tiens, en débutant, à poser la question de savoir si les mouvements de balancier qui montent à 89 cents, descendent à 61 cents et reviennent à 75 cents constituent une bonne ou une mauvaise chose.

Si M. Thiessen avait comparu devant vous, comme il l'a par exemple fait à l'occasion d'une audience préalable, il vous aurait parlé du rôle d'amortisseur de chocs que le dollar canadien a joué. L'idée est séduisante dans la mesure où le dollar canadien, d'une façon ou d'une autre, amortira un éventuel choc venu de l'extérieur. Il fluctuera d'une façon utile pour nous. Pendant son mandat, M. Thiessen s'est souvent référé à l'exemple de la crise asiatique, particulièrement dans le cadre des débats entourant l'établissement d'une devise commune avec les États-Unis. Pendant la crise asiatique, en effet, les prix des biens produits au Canada ont chuté de façon spectaculaire. Le dollar canadien les a accompagnés dans leur chute. Or, cette diminution de la valeur du dollar canadien a contribué à amortir l'impact de la réduction marquée des prix des produits sur nos producteurs de ressources. Il avait absolument raison. Dans ce cas, le cours de change flottant a fait office d'amortisseur de choc pour l'économie canadienne.

Je veux pour ma part rappeler qu'il arrive parfois que le dollar canadien fasse subir des chocs relativement importants à l'économie canadienne. C'est précisément ce que nous vivons aujourd'hui.

Or, ce n'est pas parce que David Dodge applique une mauvaise politique budgétaire ici, à Ottawa. Je le répète, le phénomène s'explique davantage par le fait que les États-Unis ont décidé de renoncer à la politique du dollar fort qu'ils appliquaient auparavant pour favoriser une dévaluation du dollar américain par rapport à toutes les devises, et le dollar canadien n'a fait que suivre le mouvement.

Ce type de mouvements abrupts est-il une bonne chose pour le dollar canadien? Si le cours de change fluctuant ou flottant arrive parfois à amortir les chocs et se révèle utile, un dollar canadien élevé ou s'appréciant de façon marquée — ou même, pendant que nous y sommes, un dollar canadien se dépréciant — a déstabilisé l'économie canadienne, que ce soit parce que la Banque du Canada a réagi en haussant ou en abaissant de façon sensible les taux d'intérêt ou parce que le mouvement de la devise elle-même a été tel qu'il a entraîné de véritables problèmes pour l'industrie canadienne.

J'aimerais maintenant que vous vous référiez à la page 5, où figure le principal tableau sur lequel s'appuie mon exposé. Je vais devoir vous fournir quelques explications puisque nous n'avons pas examiné ensemble tous les tableaux dont celui-ci est l'aboutissement.

Il s'agit d'un tableau représentant les coûts unitaires de la main-d'œuvre au Canada et aux États-Unis. Essentiellement, les coûts unitaires de la main-d'œuvre désignent le coût, au Canada, d'une unité produite. Il y a un trait rouge pour les coûts unitaires de la main-d'œuvre au Canada, exprimés en dollars canadiens; le trait bleu renvoie aux coûts unitaires de la main-d'œuvre aux États-Unis, exprimés dans la devise du pays; la ligne verte est celle qui fait en sorte que ces lignes directrices sont comparables. Nous prenons les coûts unitaires de la main-d'œuvre au Canada, et nous les convertissons en dollars US.

Lorsque nous étudions la compétitivité relative des coûts au Canada par rapport aux États-Unis, nous devrions nous intéresser à deux lignes, la verte pour le Canada et la bleue pour les États-Unis. Elles sont établies en fonction de la même devise. À mon avis, c'est ainsi que les entreprises se penchent sur le cas du Canada. Elles se disent: «Comparons des pommes avec des pommes. Quels sont, à la lumière d'une devise commune, les coûts de main-d'œuvre dans les deux pays?»

Au début des années 90, à l'époque où M. Crow était gouverneur de la Banque du Canada, les coûts de main- d'œuvre au Canada, même exprimés en dollars canadiens, augmentaient à un rythme plus rapide que les coûts unitaires de la main-d'œuvre aux États-Unis. Cependant, étant donné la très forte vigueur de la devise américaine à l'époque, en partie en raison de cette très stricte politique monétaire, on voit ce qui est arrivé à la ligne verte par rapport à la ligne bleue. Elle a monté en flèche. Les coûts canadiens ont donc augmenté de façon très considérable par rapport aux coûts américains. Pendant cette période, nous sommes devenus très peu concurrentiels.

Le résultat net de cette situation a été que la récession que le Canada a connue a été plus longue et plus profonde que celle qui a frappé les États-Unis. La valeur du dollar canadien a diminué de façon très marquée; dès 1995, la ligne verte rejoint de nouveau la ligne bleue. Nous sommes de retour là où nous étions en 1987, là où le tableau débute, et nos coûts correspondent davantage à ceux qu'on observe aux États-Unis. Nous sommes restés là pendant quelques années, soit jusqu'en 1998, année de la crise asiatique et du défaut de paiement de la Russie. À ce moment, le dollar canadien a chuté au plus bas niveau de son histoire. Voici ce qui s'est produit: les coûts unitaires de la main-d'œuvre au Canada sont devenus nettement inférieurs à ceux des États-Unis, et le Canada a gagné un avantage concurrentiel marqué par rapport aux États-Unis.

À partir de là, la croissance de l'emploi au Canada a été supérieure à celle des États-Unis. Le phénomène s'est poursuivi tout au long de la dernière année. Pendant cette période, en effet, de nombreux autres événements se produisaient dans le monde. La Chine occupait une part plus grande du commerce mondial, le Mexique occupait une part plus grande du commerce régi par l'ALENA, et le Canada était si concurrentiel par rapport aux États-Unis que nous avons réussi à conserver notre part du marché des États-Unis et que nous constituions un pays très attrayant pour les entreprises souhaitant étendre leurs activités.

On a atteint le point culminant en 2002: le dollar canadien ne valait toujours qu'un peu plus de 60 cents, et 600 000 emplois ont été créés ici, au Canada, tandis que, aux États-Unis, quelque 600 000 emplois ont été perdus.

Qu'est-il arrivé depuis? Le dollar canadien s'est apprécié de façon très marquée. Au cours des dernières années, notre croissance de la productivité a été médiocre. En revanche, la croissance de la productivité aux États-Unis a été forte. Les coûts unitaires de la main-d'œuvre diminuent aux États-Unis, tandis que les nôtres ont augmenté en flèche. En neuf mois, nous avons perdu l'avantage lié aux coûts dont nous bénéficiions depuis 1998.

Que cela présage-t-il pour l'avenir? Pour devenir plus concurrentiel ou préserver la part du marché dont elles bénéficient aux États-Unis, les entreprises canadiennes devront procéder à un rajustement massif.

Je vais maintenant revenir à mon thème initial. Est-il bon pour le Canada que le dollar canadien fasse subir de fortes fluctuations à la compétitivité relative de l'industrie canadienne? Lorsque le dollar est faible, la situation paraît favorable. Nous générons plus d'emplois. La croissance de la productivité a beau être plus faible, on a l'impression qu'il n'y a pas lieu de s'en préoccuper; notre économie conserve tout son dynamisme. Si notre devise s'apprécie, comme elle le fait maintenant, nous allons cependant devoir effectuer un rajustement pénible.

Sous le régime d'une devise commune, il n'y a pas de mouvement du taux de change. Si le dollar américain s'appréciait ou se dépréciait par rapport à l'euro ou au yen, le dollar canadien suivrait. Notre compétitivité par rapport aux États-Unis ne serait pas touchée.

Le message que je veux faire passer est le suivant: comme le président l'a indiqué au début, le taux de change est important pour le commerce entre le Canada et les États-Unis dans la mesure où il a un impact considérable sur notre compétitivité par rapport aux États-Unis. À l'heure actuelle, le problème à court terme auquel nous sommes confrontés est suivant: nous avons perdu l'avantage lié aux coûts que la faiblesse du dollar nous a assuré de 1998 à 2002, et nos industries devront s'adapter.

En conclusion, je donne une fois de plus raison à M. McCracken, qui a indiqué que la situation actuelle allait se traduire par une rentabilité moins grande pour les entreprises canadiennes. Il en résultera des revenus moindres pour les gouvernements, exactement comme M. McCracken l'a indiqué. La rentabilité réduite des entreprises mettra un terme au boom de l'embauche que connaît le Canada depuis quelques années.

Confrontées à un dollar à 75 cents ou, si les prévisions se vérifient, à 80 cents au cours de la prochaine année, environ, les entreprises canadiennes devront réaliser des gains de productivité spectaculaires, et la façon d'accroître la productivité est d'investir plus massivement et de réduire dans les faits la taille de l'effectif. Du point de vue des perspectives économiques à court terme du Canada, ce n'est pas une bonne nouvelle.

La reprise américaine est une bonne nouvelle; le dollar canadien élevé est une mauvaise nouvelle. D'une façon ou d'une autre, les deux phénomènes s'annuleront l'un l'autre. À mon avis, voici ce à quoi vous devriez vous attendre pour l'économie canadienne au cours des mois à venir: après avoir eu un rendement supérieur à celui des États-Unis l'année dernière et avoir fait en quelque sorte figure d'économie miracle au sein du G-7, le Canada, en raison de la fluctuation de sa devise, se fera damer le pion par les États-Unis sur le plan du rendement.

Voilà qui soulève une question qui a en quelque sorte disparu avec l'appréciation de la devise. Lorsque le dollar canadien était à 62 cents et se dirigeait allègrement vers 61 ou 60 cents, on s'est demandé dans de nombreux articles de journaux si nous devrions ou non miser sur une devise commune puisque l'étape suivante était celle des 50 cents. Ce que je veux vous dire, c'est que la question de savoir si nous devrions avoir une devise commune est tout aussi pertinente aujourd'hui, avec un dollar à 75 cents, qu'elle l'était à l'époque où le dollar était à 61 cents, puisque ces fluctuations de la devise déstabilisent le commerce et l'économie. Puisque nous avons misé sur le libre-échange nord- américain, nous devrions, à mon avis, être conséquents et chercher à créer, avec le Mexique et les États-Unis, une devise commune dont l'avènement aurait pour effet de réduire ces fluctuations qui ont des effets très spectaculaires sur les entreprises canadiennes et le rendement de l'économie.

Le président: Je vous remercie beaucoup, monsieur Carmichael.

M. Jim Stanford, économiste, Travailleurs et travailleuses canadien(ne)s de l'automobile (TCA): Honorables sénateurs, merci beaucoup de votre invitation à comparaître. Je vous félicite également de la prescience dont vous avez fait preuve en fixant la présente audience sur l'impact du dollar le jour même où votre devise a atteint son plus haut niveau en sept ans.

Le président: Nous avons failli ne pas y arriver.

M. Stanford: Je vais peut-être demander au président comment il savait ce qui allait se produire. Si vous êtes en mesure de faire des prévisions aussi exactes, peut-être pourrions-nous effectuer certains bons placements ensemble lorsque l'occasion s'en présentera.

Je vais vous parler de quelques-uns des tableaux et des graphiques que vous avez reçus avec les informations que nous vous avons fait parvenir.

D'abord, je vais reprendre pour mon compte ce que mes deux collègues ont affirmé plus tôt, à savoir qu'une énorme partie de la prospérité unique et incroyable dont a bénéficié l'économie canadienne au cours de la deuxième moitié des années 90 et des premières années de la présente décennie est manifestement attribuable au fait que le taux de change était bas et sous-évalué au sens où les économistes l'entendent traditionnellement. Notre devise sous-évaluée a fait en sorte que notre croissance de l'emploi était plus rapide que celle de nos partenaires commerciaux et que notre niveau de vie a augmenté plus rapidement que celui de nos partenaires commerciaux. Les nombreuses pertes au chapitre du niveau de vie que nous avions encaissées plus tôt dans les années 90 ont été annulées. Pour cette raison, les revenus du gouvernement et sa situation budgétaire se sont améliorés. Bref, les choses allaient bien mieux lorsque notre devise était faible, ce qui nous amène à contester l'idée traditionnelle selon laquelle la devise est le baromètre de l'économie. En fait, dans de nombreux cas, c'est plutôt le contraire. Depuis le milieu des années 90, notre économie, suivant à peu près tous les indicateurs réels que vous puissiez imaginer, s'est amélioré à toute allure, et la faiblesse de notre devise a joué un rôle crucial.

Je vous en ai fourni un indice dans le premier graphique portant sur le dollar et l'industrie. La ligne du haut est un indice mesurant les niveaux d'emploi dans le secteur manufacturier au Canada par rapport à ceux des États-Unis. Depuis 1995, nous avons créé quelque 450 000 nouveaux emplois dans le secteur de la fabrication, soit une augmentation de plus de 20 p. 100, tandis que l'industrie américaine, par suite de la perte de 2,5 millions d'emplois nets, diminuait. Au cours de cette période, si vous préférez, notre part de l'emploi total dans le secteur de la fabrication en Amérique du Nord a connu une augmentation de près de 50 p. 100, soit une incroyable réalisation en un si bref laps de temps.

Comme j'ai affaire à des sociétés appartenant à un large éventail de secteurs manufacturiers, il fait peu de doutes dans mon esprit que la forte compétitivité liée aux prix dont a bénéficié le Canada, laquelle est largement attribuable — pas uniquement, mais largement attribuable — à la valeur de notre devise, a joué un rôle crucial. Ces fluctuations des taux de change, positives ou négatives, à la hausse ou à la baisse, comme mes collègues l'ont indiqué, ont clairement surpassé l'impact de tous les accords de libre-échange que nous avons signés sur les tarifs. De toute évidence, l'importance de l'impact sur les prix relatifs de fluctuations des taux de change de cette importance constitue une tout autre dimension.

Au cours des premières années d'application de l'Accord de libre-échange Canada-États-Unis, nous avons déployé des efforts considérables pour négocier certaines réductions des tarifs appliqués à nos produits, puis nous nous sommes tiré dans le pied en augmentant le taux de change dans des proportions de trois à quatre fois supérieures aux réductions de tarif que nous avions eu tant de mal à négocier. À compter du milieu des années 90, nous avons fait le contraire, mais, en quelques mois, nous nous sommes essentiellement imposé à nous-mêmes un tarif de 18 p. 100 sur l'ensemble de nos exportations en raison de l'appréciation du taux de change. Avec un peu de chance, ce tarif que nous nous imposons à nous-mêmes ne sera pas permanent.

M. McCracken a passé en revue les théories possibles expliquant l'appréciation du dollar canadien. Je ne partage pas l'opinion de mes collègues en ce sens que j'attribue la majeure partie de la responsabilité de ce qui s'est produit, non pas seulement au cours de la période actuelle, mais à plus long terme, aux leviers stratégiques intérieurs sur lesquels nous exerçons une certaine influence, en particulier la question de la politique monétaire.

Le tableau sur le dollar et les taux d'intérêts qui figure à la deuxième page montre assez clairement, je crois, le lien étroit entre l'écart entre les taux d'intérêt à court terme au Canada et aux États-Unis et le niveau de notre dollar. Au début des années 90, l'écart entre les taux d'intérêt se situait à son plus haut niveau, et notre taux de change, de toute évidence, s'est apprécié pour atteindre des sommets. Lorsque l'écart s'est rétréci à la suite de la transformation de la politique monétaire qui a suivi la nomination du gouverneur Thiessen, le dollar a perdu de la vigueur. Lorsque la situation s'est corsée, pensons à la quasi-récession du milieu des années 90, à la crise du peso mexicain et aux effets de l'érosion fiscale des revenus imputable aux réductions des dépenses, nous avons, pour la première fois depuis des années, ramené nos taux d'intérêt à des niveaux inférieurs à ceux des États-Unis, et notre dollar a chuté en conséquence. De toute évidence, cela n'explique pas tout.

M. Carmichael a raison de souligner l'impact de l'instabilité internationale sur notre dollar, et ainsi de suite, mais le fait que les écarts entre les taux d'intérêt sont de retour à leur plus haut niveau des dernières années explique de façon manifeste, immédiate et autonome pourquoi notre dollar a lui aussi atteint son plus haut niveau au cours des quelques dernières années. Nos taux d'intérêt sont aujourd'hui supérieurs de près de deux points à ceux des États-Unis. Si, dans le monde des finances, on peut obtenir deux points d'intérêt additionnels sur des placements à court terme d'un côté d'une ligne tracée le long d'un continent plutôt que de l'autre, il est facile d'imaginer où les gens vont investir, et c'est cet afflux de capitaux qui exerce des pressions à la hausse sur le taux de change.

Pour ma part, je réfute le charabia selon lequel les marchés financiers mondiaux ont fini par reconnaître la vigueur des facteurs économiques fondamentaux au Canada. Ces gars-là sont grassement payés pour rester au fait de la situation, au fur et à mesure que les choses progressent. Ils n'ont pas besoin de sept ans pour déterminer que nous avons équilibré nos finances. Je n'attribue pas cette appréciation des choses au fait que nous ayons amélioré nos bases. Je vois une conséquence plus directe et plus immédiate de la décision de notre Banque du Canada, soit de s'attaquer avec vigueur à l'inflation, plus tôt, durant l'année. Avec le recul, on voit que c'était une fausse alerte. L'inflation a lâché prise plus vite que la Banque et d'autres l'auraient cru.

La conséquence de la décision de s'écarter des taux américains avec autant de vigueur, nous la subissons aujourd'hui. La banque a relâché son effort à quelques reprises depuis, même si, fait paradoxal, le 3 septembre, elle a réduit son taux d'un autre quart de point. Elle rend d'une main, mais elle prend de l'autre, car la banque a signalé très clairement aux marchés financiers qu'elle était favorable aux réductions de taux, décision que je ne comprends pas. Depuis, bien sûr, le dollar a remonté de trois cents ou de trois cents et demie. J'aimerais que la Banque du Canada réexamine sa façon de procéder ici, avant que des dégâts plus importants ne soient causés.

Le prochain graphique, dont le sujet est «le dollar et l'investissement dans le secteur de l'automobile», représente ma façon de traiter d'une hypothèse souvent invoquée. C'est ce qu'on appelle l'hypothèse des fabricants paresseux. C'est l'idée selon laquelle la faiblesse du dollar, à la fin des années 90, aurait rendu douillets les fabricants canadiens, au point où ils fonctionneraient de manière improductive. Nous ne leur avons pas mis de pression, et ils ont pu affronter la concurrence sur les marchés internationaux grâce au dollar. Ils ne se sont pas souciés d'investir dans des économies de main-d'œuvre, une amélioration de la productivité ou des progrès techniques. Cette hypothèse ne tient pas, sur le plan strictement théorique. Le degré de concurrence entre les fabricants canadiens est d'une intensité incroyable — il n'y a pas de cercle de gentilshommes où les intéressés s'installent pour parler d'économie. Chacun essaie énergiquement de contrecarrer l'autre. Par ailleurs, n'importe qui peut venir au Canada et profiter des prix relativement faibles et d'un dollar faible, et encore employer une nouvelle technologie et avoir une nouvelle productivité en vue d'améliorer sa marge bénéficiaire. Théoriquement, cela n'a aucun sens.

Les conséquences pour les décideurs de l'hypothèse du laxisme des fabricants sont absurdes. Le gouvernement pourrait résoudre le problème simplement en imposant une taxe de laxisme à l'ensemble des fabricants, fixée à 10 ou 15 p. 100, pour faire contrepoids aux économies que leur procure le dollar faible, de manière à exercer sur eux de la pression. Or, quelle serait la réaction des fabricants? Sinon, tous les travailleurs des entreprises de fabrication pourraient recevoir une augmentation salariale de 10 ou 15 p. 100 pour compenser les économies réalisées grâce à la faiblesse du dollar. Est-ce que cela renforcerait notre industrie? Je ne me prononce jamais contre les augmentations de salaire, bien entendu, mais il est peu susceptible que cela se produise.

De fait, il existe de nombreux cas où la faiblesse du dollar, du fait qu'elle rend plus attrayante l'implantation d'une entreprise au Canada, améliore notre productivité en attirant le genre d'investissement — machines, matériel et nouvelle technologie — qui nous rend plus productifs. Je donnerai un exemple qui se rapporte à l'industrie de l'automobile. Le graphique que vous avez devant les yeux laisse voir l'investissement fait dans les machines, le matériel et les structures, dans le secteur de l'assemblage des véhicules automobiles — le cœur même de l'industrie. Durant la deuxième moitié des années 90, des sommes records de plus de trois milliards de dollars ont été investies tous les ans, en moyenne, dans les immobilisations, dans le secteur de l'assemblage. Les retombées de l'investissement en question ont pour nom emploi, production et exportation, mais aussi productivité. La plupart des usines d'assemblage canadiennes ont été remises à neuf parce que les grands fabricants tenaient les installations canadiennes pour des lieux très profitables et très rentables. Le résultat, c'est que l'assemblage des automobiles représente un des deux ou trois secteurs de fabrication où, au Canada, nous sommes plus productifs que les États-Unis. Au chapitre de la productivité, nous avons un avantage de 10 à 12 p. 100 sur le secteur américain. C'est la seule industrie où c'est le cas. Ce sont les sommes importantes investies au pays, du fait de la faiblesse de notre dollar, qui expliquent cet état de choses.

Il y a aussi la question des liquidités. Plus le dollar est fort, moins les marges bénéficiaires sont grandes, de sorte qu'on dispose de moins d'argent pour acheter du matériel et investir, car l'investissement est financé à même les bénéfices non répartis de l'entreprise. Je ne suis pas d'accord pour dire que la faiblesse du dollar a nui à notre productivité. De fait, je crois que je peux faire valoir que, même si ce n'est pas là un argument universel, elle a, de fait, renforcé notre productivité.

Pour ce qui est des grandes questions qui intéressent le comité, sénateurs, et de l'impact du dollar sur les flux du commerce, la page suivante de l'exposé laisse voir certains des impacts immédiats que nous vivons, étant donné l'appréciation actuelle. Évidemment, la hausse du dollar a pour nos échanges commerciaux des conséquences à court terme et des conséquences à long terme. Pour toute denrée dont le prix est fixé en dollars américains, immédiatement, l'appréciation équivaut à une baisse de la valeur canadienne des exportations en question. Il y a aussi des répercussions à court terme sur les livraisons manufacturières, les fabricants ne pouvant en arriver à une offre profitable. À plus long terme, l'impact se fait sentir une fois que les entreprises tiennent compte d'un dollar plus élevé quand vient le temps d'investir à tel ou tel endroit. Si elles estiment que le coût du dollar demeurera à 75 cents ou qu'il montera un peu, comme le précisent certains analystes, alors le choix du Canada comme lieu des nouveaux investissements est réenvisagé.

Certes, elles ne présumaient pas que le dollar demeurerait à 62 ou à 65 cents, à long terme. Tout le monde reconnaissait le fait que ce n'était pas là un résultat permanent, mais, certainement, on ne croyait pas que cela allait grimper jusqu'à 75 cents, du point de vue de la planification interne, chez les grands fabricants.

Nous avons déjà été les témoins d'un impact marqué du phénomène sur la composition sectorielle de nos flux de commerce, accompagnant la hausse rapide du dollar. Le secteur des produits de l'automobile a été le plus durement touché par l'augmentation. Nous avons constaté un déclin des exportations nettes des fabricants d'automobiles canadiens — pièces et véhicules assemblés — de 50 p. 100 au cours des six premiers mois de l'année, par rapport aux niveaux enregistrés il y a un an. C'est un déclin de 50 p. 100 de l'excédent commercial net.

Le secteur de l'automobile est une des seules industries à forte valeur où le Canada bénéficie de tradition d'un excédent commercial. Dans la plupart des secteurs à grande valeur ou secteurs de technologie de pointe, nous importons davantage que nous exportons. Le secteur de l'automobile constitue une exception, et, de tradition, nous avons compté sur un excédent commercial solide à cet égard pour financer certains des déficits commerciaux que nous avons dans d'autres secteurs à valeur ajoutée. La moitié de cet excédent commercial est disparue. Je prédis que si le dollar demeure à 75 cents ou s'il augmente encore, en termes nets, nous allons devenir des importateurs de produits de l'automobile — nous allons importer plus que nous exportons d'ici cinq ans.

Ce sont des conséquences inquiétantes du point de vue de la structure industrielle du Canada. Nos exportations des produits énergétiques et d'autres ressources connaissent une hausse vertigineuse, exception faite du bois d'œuvre, bien entendu, malheureusement. Nos exportations de produits à valeur ajoutée ou de produits à forte concentration technologique, éprouvent de graves difficultés. Si vous me permettez de citer un des tout nouveaux politiciens en Amérique du Nord, voici ce qu'il dirait à propos de l'excédent commercial dans le secteur de l'automobile du Canada si le dollar demeurait à 75 cents ou encore augmentait: «Hasta la vista, baby.»

À la dernière page, nous allons essayer de voir ce que devrait représenter le taux de change. J'ai entendu les suggestions ou observations de M. Carmichael à propos des difficultés que suscite l'imprévisibilité des taux de change. Je ne suis pas d'accord avec la conclusion selon laquelle il nous faut donc envisager d'adopter une monnaie commune. Le degré d'indépendance que le taux de change permet aux décideurs aussi bien que sa capacité d'absorber les chocs sont importants, particulièrement s'il faut envisager une union monétaire ou une monnaie commune, car nous perdrions alors la possibilité de fixer nous-mêmes les taux d'intérêt canadiens. Ce serait une grave erreur.

Par contre, là où nous disposons de cette indépendance, nous devons tout de même la gérer de façon sensée. J'aimerais que l'autorité monétaire — la Banque du Canada — accorde une plus grande attention directe au taux de change, pour reconnaître l'importance d'une certaine stabilité du taux de change. Ça n'a pas forcément à être une formule fondée sur un taux fixe; plutôt, il pourrait s'agir d'une des variables dont on tient compte, plutôt que d'envisager seulement les taux d'intérêt et l'inflation.

L'argument que je souhaite faire valoir est le suivant: étant donné les niveaux actuels de rémunération minimaux au Canada et aux États-Unis dans le secteur de la fabrication — le secteur capital des biens d'exportation que nous avons — et étant donné aussi la faiblesse des niveaux de productivité — le secteur de l'automobile est une exception — qui se chiffre autour de 15 p. 100 de moins, par rapport aux États-Unis, et il nous faut un taux de change de 72 cents US, ou moindre, pour maintenir de façon absolue le coût unitaire de main-d'œuvre au point où le secteur canadien de la fabrication demeure concurrentiel. Quand le cours du dollar est supérieur à 72 cents, les fabricants sont incités à réinstaller la production aux États-Unis. Quand il est inférieur à 72 cents, ils ont intérêt à élargir leurs opérations canadiennes. C'est exactement de cela que nous avons été témoins, à notre grand avantage, durant la deuxième moitié des années 90. Avec le dollar canadien à 72 cents US, les gens avaient intérêt à rester là où ils sont.

Je ne suis pas sûr d'avoir rendu compte de tout, mais voilà quand même un tableau approximatif de la situation. J'espère que la Banque du Canada, en écoutant nos conseils collectifs à l'arrière-plan, commencera à réfléchir aux mesures qu'elle envisage en rapport avec les taux d'intérêt dans l'idée de maintenir le taux de change à 72 cents ou, de préférence, à un niveau un peu inférieur à cela, si notre objectif consiste à élargir le secteur à valeur ajoutée de notre économie.

Je vous remercie de l'intérêt que vous portez à la question et de la patience dont vous faites preuve; nous avons tous hâte de pouvoir discuter.

Le sénateur Austin: Merci de nous avoir présenté une série fascinante d'exposés. Vous avez soulevé un tel nombre de questions — depuis la monnaie chinoise jusqu'au critère de détermination de la compétitivité du dollar canadien, en passant par le dollar commun — que de savoir où commencer pose une sorte de dilemme. Tout de même, j'ai décidé de la question qu'il faudrait aborder en premier. J'aimerais que M. Carmichael se reporte à la page 4 de son livre bleu — vous y dites quelque chose qu'on m'a enseigné, soit: des périodes marquées par une faible croissance de la productivité ont tendance à suivre les périodes marquées par la faiblesse du dollar canadien, alors que la force du dollar canadien a tendance à stimuler la productivité.

L'affirmation de M. Stanford se situe tout à fait à l'opposé, si j'interprète bien ce qu'il a dit. Je me demande si je peux vous poser la question: êtes-vous en train de dire des choses différentes, sinon y a-t-il une sorte de terrain d'entente où vos propos peuvent se rejoindre?

M. Carmichael: Je ne suis pas sûr qu'il y ait un terrain d'entente. En regardant l'histoire du dollar canadien, on constate que, pour les périodes où le dollar canadien a été très fort, quand nos coûts sont devenus hors de proportion, nous avons dû corriger le tir. Il y avait deux façons d'agir: avec un grand rajustement du taux de change, ce qui s'est fait après 1991; sinon, avec une amélioration de la productivité, ce qui s'est produit dans les années suivant le ralentissement économique en question.

Vous vous rappellerez peut-être que la reprise connue au début des années 90 a été la première à être qualifiée de reprise sans emploi. C'était vrai aux États-Unis, et d'autant plus au Canada pendant quelques années. Autrement dit, dans notre économie, nous en étions encore à essayer de nous adapter à la force du dollar et à une détérioration marquée de notre rendement relatif du point de vue des coûts. La baisse du dollar explique cela en partie. Tout de même, il nous a fallu en arriver à un redressement de la croissance économique qui ne s'est pas accompagnée d'une réelle croissance de l'emploi, pendant plusieurs années, jusqu'au moment où l'amélioration de la productivité nous a aidés à ravoir des coûts de main-d'œuvre corrects.

La période de faiblesse du dollar canadien que nous avons connue de 1998 à 2002 — M. Stanford a mentionné que cette période a été marquée par un très bon rendement économique de la part du Canada. C'est bien le cas, mais c'est une période où, à la fin, la productivité canadienne se révèle nettement plus faible que la croissance de la productivité aux États-Unis. Autrement dit, la faiblesse du dollar a servi à encourager plus d'embauches et moins d'investissement dans les technologies utiles pour améliorer la productivité que cela aurait été le cas si le cours du dollar n'avait pas tant baissé.

Ce que j'affirme —regardons le graphique qui se trouve à la page 4, c'est que nous nous dirigeons au Canada vers une période nouvelle où la ligne «productivité» sera ce qu'elle était en 1991. Après une période de grande faiblesse, elle commencera son ascension. Nous allons probablement obtenir à nouveau une convergence de la croissance de la productivité dans les deux pays. Cela va se produire parce qu'un dollar américain faible stimulera l'embauche ici et que la croissance de la productivité aux États-Unis va ralentir; un dollar fort ici même au Canada servira à ralentir la croissance de l'emploi, et notre productivité reprendra. C'est le point que je voulais faire valoir.

Quant à savoir ce que peut en penser M. Stanford, cela tient en partie aux fluctuations des taux de change, puis aux rajustements subséquents de l'économie. M. McCracken a mentionné de fait qu'il faut du temps pour qu'un accord de libre-échange ou un important rajustement du taux de change se fasse sentir. Nous ne devrions pas être à l'affût des effets qui se manifesteraient d'ici trois à six mois; nous devrions plutôt envisager comme terme deux, trois ou quatre ans, pour que les effets se fassent sentir. Je dirais que la période marquée par la force du dollar et les coûts de main- d'œuvre élevés que nous avons connus au début des années 90 s'est accompagnée d'une croissance très faible de l'emploi, aux premiers stades de notre reprise durant les années 90, et que la faiblesse du dollar que nous avons connue à la fin des années 90 s'est accompagnée, sur le plan de l'emploi, de meilleurs gains ici au Canada qu'aux États-Unis, jusqu'en 2002. Tout de même, nous nous dirigeons maintenant vers une période où il y aura une sorte de renversement de cette situation, maintenant que la devise a connu un si important mouvement.

Le sénateur Austin: J'ai toujours cru que l'économie canadienne devait présenter une productivité semblable à celle de l'économie américaine, pour que l'intérêt que portent les investisseurs au Canada demeure — et aussi pour rassurer les Canadiens, en tant que consommateurs et citoyens, sur le fait que leur valeur nette, la parité de leur pouvoir d'achat, sont raisonnables par rapport à ce que l'on trouve de l'autre côté de la frontière.

Bon, j'aimerais que M. Stanford commente ces propositions, car ce que vous dites pose un problème ardu.

M. Stanford: Quelques réponses possibles me viennent à l'esprit, sénateur. Premièrement, je crois que mon récit de la situation serait probablement un peu différent de celui que donne à voir le graphique de M. Carmichael. C'est toujours «d'une part, bla bla bla, mais, d'autre part, bla bla bla»; c'est pour cela que vous ne verrez jamais d'économistes à la piscine: ils n'aiment pas se mouiller. La période forte du dollar sous le règne du gouverneur Crow à la Banque du Canada a commencé en 1988-1989, et s'est terminée au moment où nous étions dans le creux de la récession en 1991- 1992, moment auquel la Banque a réduit les taux et où le cours du dollar a baissé. Cette période de force de la devise correspond à la période de baisse de la productivité que l'on voit sur le graphique de M. Carmichael.

Quand j'envisage la période de faiblesse du dollar, le dollar sous-évalué, je remonterais à 1995, moment auquel nous avons commencé à accroître notre part de la fabrication en Amérique du Nord. Jusqu'à l'an dernier, sur le graphique de M. Carmichael, notre croissance de la productivité était égale de celle des États-Unis. Pour ce qui est de la productivité américaine, il y a quelque chose qui se passe en ce moment qu'on arrive difficilement à comprendre.

Je peux vous révéler une façon dont vous pourriez aussi procéder pour accroître de façon marquée la productivité de votre économie. Trouvez cette moitié des entreprises qui est moins productive que l'autre, et mettez la clé dans la porte. Vous allez ressentir un effet immédiat et spectaculaire sur la productivité. Ce n'est pas tout à fait ce qui est arrivé aux États-Unis, mais c'est quelque chose comme cela. Certes, cela est arrivé dans le secteur de la fabrication, où les coûts des entreprises américaines sont si décalés par rapport à ceux de leurs concurrents, y compris les nouveaux concurrents en Chine et ailleurs en Asie, que les licenciements et les fermetures d'usine représentent un mouvement massif — et, évidemment, on commence par fermer les moins productives. Je ne crois pas que ce soit là la seule chose qui se passe aux États-Unis — la croissance de la productivité y a été spectaculaire l'an dernier, si vous êtes d'avis que la croissance de la productivité est le but à atteindre. Malheureusement, cela a donné uniquement des pertes d'emploi, parce que la demande ne suffit pas pour que ces gens soient engagés.

Le sénateur Austin: Que pensez-vous de ce qu'a dit M. Carmichael: que, dans l'ordre des choses, la prochaine chose à venir est une amélioration des statistiques d'emploi aux États-Unis? Il faudra que des emplois soient créés pour accompagner une économie qui reprend du souffle.

M. Stanford: On pouvait voir cela en partie. Au début, cela peut déboucher, en fait, sur une croissance soutenue de la productivité. Si les employeurs ont à leur disposition un peu plus de main-d'œuvre que ce dont ils ont vraiment besoin, parce qu'ils n'ont pas coupé jusqu'à l'os, alors, au départ, la nouvelle demande manifestée se traduira par des heures supplémentaires et, simplement, une utilisation plus intense de la main-d'œuvre. Par contre, à un moment donné, les emplois devraient être créés. Quant à savoir si nous allons être les témoins d'une forte augmentation de notre productivité comme cela s'est fait à partir de 1991-1992, je soupçonne que ce sera peut-être le cas — mais ce sera peut- être pour les mauvaises raisons. Ce sera peut-être à cause du fort prix que nous allons faire payer à une très grande part de notre industrie.

Le sénateur Austin: Pour conclure, je dirais ceci: je détesterais cela si j'étais obligé de dire aux Canadiens que, en permanence, nous avons un pouvoir d'achat qui est plus faible que celui du consommateur américain, car cela nous permet de mieux faire fonctionner notre économie. Il n'est pas facile de faire passer un tel message, mais j'apprécie les idées que vous faites valoir et je sais qu'il s'agit d'un sujet très difficile.

Le sénateur Di Nino: C'est fascinant. Voilà un débat sur une question qui est telle que si je recourais à cinq ou six économistes de plus, je soupçonne, nous aurions droit à cinq ou six opinions différentes de plus.

Le sénateur Graham: Vous seriez bien seul dans votre piscine.

Le sénateur Di Nino: Tout à fait. En même temps, il devient très difficile de tirer des conclusions à ce sujet.

J'ai quelques questions à poser, une qui est d'ordre général, et j'inviterais quiconque le souhaite à en parler. Pour la majeure partie, la discussion que nous avons eue ce soir a porté sur le secteur de la fabrication et du commerce, les relations canado-américaines ainsi que l'achat et la vente de produits. On a très peu parlé de l'effet qu'ont les changements récents du cours du dollar canadien sur l'investissement d'argent américain au Canada —les investissements étrangers directs et autres formes d'investissement —en particulier la tendance que nous observons depuis quelques années —les Américains et d'autres étrangers, mais surtout des Américains achètent des entreprises canadiennes. J'aimerais que vous commentiez cela, tout au moins pour que je comprenne moi-même.

M. McCracken: Certes, l'effet net de cela, c'est que si vous faites un achat en dollars américains, l'entreprise sera plus chère aujourd'hui qu'elle l'était auparavant. Je crois que nous allons peut-être voir moins de cas où les actifs existants sont achetés. Une bonne partie de ce qui se fait, et une bonne partie de l'investissement étranger direct que nous mesurons, prend la forme d'investissements faits par des sociétés étrangères qui sont déjà établies au Canada. Quand elles accroissent leurs investissements ici, cela rentre dans les statistiques portant sur le nouvel investissement étranger —mais, de fait, ce n'est pas le cas. En fait, cela se fait de manière quasi automatique: ce que nous faisons, c'est que nous indiquons que la totalité de leurs bénéfices non répartis sont rapatriés. Puis, nous prenons ces bénéfices non répartis et disons qu'ils ont été investis au Canada. Dans la mesure où cette appréciation nuit aux bénéfices non répartis et aux marges bénéficiaires, vous allez voir une certaine diminution de ce flux.

La difficulté est la suivante: qu'en est-il de la traduction de la mesure financière que nous venons de décrire en investissements en capital réel —les machines dont il a été question auparavant? N'oubliez pas que le prix des machines et du matériel aux États-Unis est nettement plus bas, même plus bas que ce qui est produit au Canada parce qu'ils affrontent les mêmes entreprises aux États-Unis.

Nous constatons un effet de compensation important là où les machines et le matériel sont plus attrayants, de telle sorte que l'investissement au Canada est encouragé. Que cela soit suffisant ou non dépend beaucoup des effets néfastes que cela peut avoir sur l'industrie. L'industrie, par exemple le secteur de l'automobile, peut avoir de la difficulté à justifier une avancée, même s'il coûte maintenant moins cher, avec les investissements nouveaux, parce que ces gens-là ont perdu 100 p. 100, si vous voulez, de l'appréciation du taux de change du côté de leurs recettes, car il fonctionne, essentiellement, en dollars américains.

Dans d'autres industries, par contre, ils peuvent juger cela très attrayant. Certains des secteurs de service et certains éléments du secteur de la fabrication, là où les concurrents proviennent non pas des États-Unis, mais d'autre parties du monde, peuvent dire: «Voilà l'occasion pour nous de remonter la pente et d'améliorer nos biens d'équipement, maintenant que nous pouvons profiter d'une réduction de 15 p. 100 à cet égard.»

Vous allez voir un peu de tout. N'oubliez pas que le cours de notre devise monte par rapport au dollar américain, mais qu'il diminue par rapport à d'autres devises —on peut en parler maintenant. Vous allez peut-être constater une reprise des investissements européens au Canada. Vous allez peut-être constater une reprise des investissements japonais au Canada.

Ce sont les autres voies. Nous ne sommes pas liés par de vieilles actions ni par le même genre de sources, et la règle magique des 80-20 ne s'applique pas forcément.

M. Carmichael: Du point de vue d'une banque d'investissement, nous avons ici au Canada un groupe financement des entreprises et un groupe marchés. Le groupe financement des entreprises traite des activités liées aux fusions et acquisitions. Notre groupe services bancaires d'investissement se soucie davantage des flux d'investissement étranger directs. Notre groupe marchés a tendance à regarder les investissements qui viennent au Canada, dans les cas où les investisseurs cherchent uniquement une transaction financière, à jouer sur les taux d'intérêt plus élevés, comme M. Stanford l'a mentionné, par rapport à ce qui est offert dans d'autres pays, ou encore à jouer sur la hausse du dollar canadien. Ils s'intéressent peut-être au Canada en vue de tirer parti de cette appréciation.

Depuis un an, pour ce qui représente nettement la plus grande part, l'investissement étranger au Canada visait soit à tirer parti des taux d'intérêt élevés, soit à profiter de l'ascension du dollar canadien par rapport au dollar américain. Or, ce sont là des investissements à court terme qui ne serviront pas forcément à stimuler l'investissement direct à long terme ni à améliorer la productivité —souvent, ils ne le font pas du tout.

Par ailleurs, comme M. McCracken l'a bien dit, les actifs canadiens sont plus coûteux, surtout pour les Américains, qui sont les principaux investisseurs au Canada. Les projets de fusion et d'acquisition ont connu une baisse il y a quelques années; il n'y a pas lieu de croire que cette activité reprendrait, pour l'instant.

En ce moment, le capital attiré concerne des placements de portefeuille à court terme et non pas des flux à long terme. Cela fait partie du rajustement qui s'effectue en fonction d'un dollar canadien dont le cours est plus élevé.

Je dirais que je suis d'accord avec d'autres points que M. McCracken a fait valoir —que certains secteurs, du côté des services, voient d'un bon œil la hausse du dollar canadien.

Le sénateur Di Nino: Avant de demander à M. Stanford de se prononcer, je demanderais si je me trompe en employant l'expression IED «passif», IED désignant investissement étranger direct, par rapport à un IED actif, l'IED passif désignant l'argent investi à court terme pour profiter de l'ascension du dollar, par l'achat de devises, ou par l'achat d'obligations, par opposition à une somme investie dans des machines pour accroître la productivité ou dans la fabrication de produits et ainsi de suite. Est-ce un terme que je peux employer?

M. McCracken: Je crois que vous seriez mieux avisé de parler de «placements de portefeuille», qui visent à obtenir un rendement élevé et à spéculer sur le cours du dollar, et l'autre catégorie serait l'investissement direct. Pour qu'il y ait investissement direct, il doit y avoir participation. Vous possédez plus de 10 p. 100 de l'entreprise et vous avez le contrôle. Dans un cas comme dans l'autre, nous ne savons pas si cela donne un investissement dans quelque chose de proprement physique, car il s'agit d'une opération distincte. Une entreprise amasse des fonds, puis quelqu'un doit dire: «Bâtissons quelque chose.» C'est un investissement d'une autre catégorie, dont l'appellation, d'une certaine façon est complètement différente.

M. Carmichael: Il n'y a pas que les investisseurs internationaux qui envisagent peut-être l'investissement direct. Ce sont les investisseurs canadiens qui sont beaucoup plus importants. C'est un signe criant, quand le cours du dollar connaît une telle ascension, pour ce qui est des investissements nouveaux dans des usines canadiennes. Le dollar canadien va-t-il revenir à 65 cents US? Ou encore, va-t-il atteindre 80 ou 85 cents US? S'il y a de l'incertitude à ce sujet, il n'y a pas d'investisseurs canadiens ou étrangers qui vont choisir cette catégorie d'investissement à long terme.

M. McCracken: La voie inverse peut toutefois être attrayante. Si vous en envisagez, disons, d'acheter une compagnie d'assurances aux États-Unis, voilà que cela vous coûterait subitement 10 p. 100 de moins.

M. Stanford: Pour une société dont les opérations sont multinationales et dont l'envergure est multinationale, la notion d'un dollar fort qui rend moins coûteux les biens d'équipement réels n'entre pas vraiment en jeu à mon avis. Une entreprise comme Ford ou GM, quand elle achète son équipement, pense en dollars américains. Elle s'adresse au même fournisseur; c'est établi. Le seul impact qu'aurait donc un dollar plus fort concernerait les coûts variables, c'est- à-dire, pour l'essentiel, les coûts de main-d'œuvre et d'autres coûts variables liés aux opérations.

On dit souvent que cela comporte des avantages et des inconvénients du point de vue de l'investissement. Le dollar fort rend les biens d'équipement importés moins onéreux, mais il fait augmenter ici le coût de production. Pour toute société, qu'elle soit canadienne ou étrangère, dans la mesure où elle est d'envergure multinationale, il n'y a que le mauvais côté. Elle paie un prix fixe pour le matériel. Le seul choix à faire, c'est l'endroit où l'installer.

Le sénateur Di Nino: Monsieur Stanford, votre graphique à propos du dollar et du commerce brosse un tableau assez sombre de l'industrie de l'automobile. Il y est question de l'effet qu'a l'augmentation du cours du dollar canadien, à court terme, sur l'industrie de l'automobile. Nous avons entendu un point de vue différent de la part de la Banque du Canada là-dessus, hier. Les responsables ont donné à penser que, en raison du fait que l'industrie de l'automobile comporte un élément étranger si imposant qui se rapporte aux États-Unis en particulier, l'impact sera peut-être moindre que dans le cas de certaines autres industries. Vous faites valoir l'inverse. Pouvez-vous commenter cela?

M. Stanford: Je devrais peut-être inviter certains des responsables de la Banque du Canada à prendre un congé sabbatique et à travailler directement dans l'industrie de l'automobile pour un certain temps. Sénateur, je ne comprends honnêtement pas la logique qui sous-tend ce raisonnement. C'est une industrie où les coûts comparatifs sont importants, à court terme aussi bien qu'à long terme pour l'allocation des investissements.

À coup sûr, comme l'industrie de l'automobile est une des industries où nous détenons un avantage par rapport aux Américains du point de vue de la productivité, une bonne part de l'industrie pourrait tolérer un taux de change plus élevé, si on la compare avec les fabricants basés au Canada dans d'autres industries. Par ailleurs, c'est une industrie qui est à ce point intégrée que 90 p. 100 de nos produits sont exportés, et que 99 p. 100 le sont aux États-Unis. L'impact de la fluctuation du taux de change Canada-États-Unis est marqué, et je crois que les données le confirment.

Durant la deuxième moitié des années 90, notre excédent commercial au chapitre des produits de l'automobile était de l'ordre de 20 milliards de dollars par année. Cette année, nous entrevoyons sept ou huit milliards de dollars, peut- être, à ce chapitre. Cela aura des répercussions sur l'ensemble de notre situation liée au compte courant. On ne peut pas attribuer tout ça au dollar. Ce qui s'est produit cette année est important.

Le sénateur Day: Messieurs, je commence par le commentaire de M. Carmichael selon lequel nous ne devrions pas abandonner le débat sur l'adoption d'une monnaie commune. Au lieu de la monnaie commune, je serais intéressé à entendre vos commentaires sur l'idée de fixer la monnaie à un pourcentage donné et sur la proposition de M. Stanford de la fixer à environ 72 cents et d'utiliser l'écart du taux de change pour la maintenir à ce niveau; ou envisageriez-vous de fixer les taux d'intérêt et de les utiliser pour contrôler l'inflation? M. Stanford a essentiellement dit qu'il fallait oublier l'idée de miser sur les taux d'intérêt pour lutter contre l'inflation, que l'écart est un élément plus important. C'est ce que j'ai compris de ses commentaires.

M. Carmichael: Si je croyais que nous pouvions fixer le dollar canadien à 72 cents, qu'il resterait fixe et stable, je dirais que ce serait probablement une bonne idée et que nous devrions le faire. Toutefois, l'expérience internationale semble montrer que les taux de change fixes, au Canada ou dans d'autres pays, finissent par crouler sous la pression. Ils mènent parfois à des crises de change qui mènent à une grande déstabilisation des économies concernées.

Cela s'applique même à un pays comme l'Argentine, qui a adopté le dollar américain comme monnaie, mais qui est devenu instable et qui n'a pu s'accrocher au taux qu'il avait fixé. À l'heure actuelle, on pourrait affirmer que la même chose se produit avec la Chine et Hongkong, c'est-à-dire que leur monnaie rattachée au dollar américain ne tiendra pas le coup.

Je n'ai rien contre le taux à 72 cents. Aujourd'hui, c'est mieux que 61. C'est mieux que 75. Si nous pouvions aller de l'avant, fixer le taux à 72 et savoir qu'il y resterait, ce serait bien. Par contre l'expérience internationale montre que la seule façon de faire accepter aux marchés que quelque chose est vraiment fixe, c'est de faire ce qu'ils ont fait en Europe —autrement dit, adopter une monnaie commune et s'engager à la maintenir. Néanmoins, il est encore vrai qu'un pays peut décider ultérieurement de s'en détacher. Toutefois, si les marchés ont évolué vers l'adoption d'une monnaie commune, il est évident que, pour nous, le problème tient au fait que nous avons affaire à un pilier, soit les États-Unis, qui ne s'intéresse pas vraiment à nous, ni au Mexique. Cela rend toute l'idée d'une monnaie commune plus difficile.

Je crois toujours qu'il ne faut pas abandonner cette réflexion sur ses avantages ou désavantages pour le Canada, jusque parce que la valeur du dollar a augmenté. Dans le contexte de vos audiences, et lorsqu'on envisage les dix prochaines années au chapitre du libre-échange canado-américain et de ALENA, afin de trouver une formule optimale permettant de faire du commerce une force stable et positive pour le Canada, nous devrions tenter de déterminer, à long terme, comment nous pourrions en arriver à une entente avec les deux autres pays en vue de fixer un taux de change stable. J'ai ici un document fournissant quelques suggestions qui vous permettraient peut-être d'y arriver si les trois parties aimaient l'idée. Ce n'est évidemment pas une chose facile à faire, et cela ne se produira pas du jour au lendemain.

M. Stanford: Sénateur, je fais partie de la majorité d'économistes qui croit qu'un taux de change fixe nous ferait perdre sur tous les tableaux. On perd la capacité d'adaptation du taux de change souple, sans pour autant acquérir sur les marchés financiers la sécurité et la stabilité institutionnelles à long terme que procurerait une union monétaire officielle. Par conséquent, je n'appuie pas l'idée de fixer le taux de change à 72 cents. Ce n'est qu'un repère permettant à la Banque du Canada d'équilibrer ses cibles. Certes, il est important de se pencher sur l'inflation et sur l'état de l'économie nationale, mais n'oubliez pas d'examiner aussi le taux de change au moment de prendre votre décision, car il s'agit aussi d'un facteur important. Voilà pourquoi j'estime qu'il est plus pragmatique et plus prudent d'adopter une politique monétaire plus large et plus souple, au lieu de s'en ternir strictement à une stratégie fondée sur une cible d'inflation.

Pour ce qui est de la monnaie commune, il ne faut pas perdre de vue qu'en Amérique du Nord, tout d'abord, même si on adoptait une monnaie commune au lieu de recourir à la dollarisation, ce serait, de fait, la même chose que la dollarisation. Avec une monnaie commune, le Canada aurait peut-être un siège au Federal Reserve Board, et cela nous donnerait autant de poids que le Midwest ou la région du Nord central ou la Californie — Dieu du ciel — pour ce qui est de décider ce qui se produit aux États-Unis. Toutefois, il n'est pas réaliste de s'attendre à ce que les Américains cèdent à des étrangers une part de contrôle sur leur politique monétaire.

C'est vraiment une question de dollarisation —soit que nous adoptions unilatéralement le dollar américain, soit que nous restions avec le dollar canadien. Je le répète: l'expérience à l'échelle internationale appuie fortement la deuxième option.

Le sénateur Graham: Pourrions-nous entendre le point de vue de M. McCracken sur l'adoption d'une monnaie commune?

M. McCracken: Je suis plus pragmatique. S'il y a parité monétaire et qu'ils sont disposés à en assumer le coût, comme lorsque l'Allemagne de l'Ouest a pris le contrôle de l'Allemagne de l'Est, alors c'est un bon marché. Nous serions tous environ de 30 à 40 p. 100 plus riche si nous avions des actifs.

En réalité, l'acceptation d'une monnaie commune n'est pas une fin en soi. C'est une étape qui suppose l'intégration de nombreux autres aspects. N'oubliez pas que, dans le cas de l'Europe, il y a un parlement commun. Il y a des règles qui s'appliquent à l'échelle de l'Union. Il y a une union économique. Les gens sont libres de circuler d'un pays à l'autre, du moins professionnellement.

Cela touche de nombreux autres aspects. Lorsqu'on envisage une «monnaie commune», il faut se demander si on veut, par exemple, un sénat commun, si on est disposé, essentiellement, à effacer les frontières et, bien sûr, à renoncer aux redressements de paiement. Cela soulève des enjeux délicats, et c'est le genre de chose qu'on ne fait pas du jour au lendemain. On ne le fait du jour au lendemain que lorsqu'on est en crise, mais l'Europe a mis 30 ans, 40 ans, pour faire démarrer le processus, et il se poursuit.

En attendant, nous posons la question, tel que soulevée par M. Carmichael, de belle façon, selon moi, concernant cette variation du taux de change. S'il y a un groupe au pays qui est censé être composé de magiciens pouvant composer avec ces variations, c'est celui de nos génies financiers dans les banques ainsi que les grands importateurs et exportateurs. Ce sont tous des piliers. Ils ont la possibilité d'établir un contrat à terme qui fixe le taux de change —un an, deux ans, trois ans; j'ignore pendant combien d'années ils peuvent le fixer. Ils sont mécontents de ne pas l'avoir fait dans certains cas, mais c'est leur responsabilité financière. Ce sont de gros intervenants. Ils peuvent composer avec les variations.

Si ces variations nous permettent aussi d'obtenir des redressements au chapitre du flux des échanges commerciaux, pas seulement de notre côté, mais aussi pour d'autres pays qui s'adaptent aussi à cette fluctuation du taux de change, alors c'est probablement un bon compromis qui nous éviterait tous les contrecoups d'un choc externe. Je crois que c'est ce qu'avance M. Stanford, et la plupart des autres économistes disent qu'un système fondé sur un taux de change souple permet de mieux absorber les chocs.

Certains jours, nous prions que la politique monétaire américaine soit acceptée ici, et, mon Dieu, nous embarquerions et partirions sans mot dire. Il y aura, j'espère, d'autres jours où nous serons heureux d'avoir la politique que nous avons actuellement, par rapport à celle des États-Unis.

Maintenez le taux de change souple. Le Canada a montré la voie aux autres pays pendant la période de l'après- guerre, avec le taux de change souple qu'il a appliqué de 1950 à 1961. Il nous a bien servi. Nous y sommes ensuite revenus, seuls, en 1970. Encore une fois, il nous a bien servi. Nous avons dû abandonner le taux fixe que nous avions adopté pendant les années 60, et ensuite, le monde est passé aux taux souples pendant la période de 1972-1973.

Nous avons une formule gagnante. Nous devrions plutôt faire porter notre attention sur les règles que nous souhaitons appliquer à la politique monétaire. Quels sont les objectifs et les buts de notre société? Nous pouvons sûrement faire mieux que de nous attacher simplement à l'IPC.

Le président: La monnaie commune, c'est une tout autre affaire.

Nous tentons de nous attacher au commerce canado-américain. Pour ce qui est de la question de la monnaie commune — je connais très bien le cas de l'Argentine. L'Équateur est un autre pays qui a adopté le dollar américain, et c'est un fiasco. La dollarisation semble fonctionner sur des territoires plus réduits, comme Panama, Hongkong, Singapour et des endroits comme ça. Comme nous le savons tous, tous les pays d'Europe ne veulent pas souscrire à l'euro. Le problème de déficit de l'Allemagne et de la France pourrait fort bien miner ce processus. Mais ce n'est pas ce que nous envisageons aujourd'hui. En 1988, environ 76 p. 100 de nos exportations allaient aux États-Unis. Ce chiffre est maintenant à environ 86 p. 100. C'est une hausse d'environ 10 p. 100.

Au chapitre de l'investissement étranger direct, je crois que l'investissement étranger direct qui connaît la croissance la plus rapide provient de l'Union européenne. La croissance se fait plutôt rapidement.

Laissez-moi me concentrer un moment sur nos exportations. J'ai l'impression que vous dites des choses comparables à ce que nous ont dit nos témoins d'hier. Le taux de change a augmenté jusqu'à 88 cents ou 90 cents, et est tombé à 64 cents ou 63 cents, même jusqu'à 61 cents, mais très brièvement. On s'attendrait à ce qu'une telle baisse occasionne une hausse de nos exportations. Tout le monde semble s'entendre sur le fait qu'elles augmenteraient. Il ne reste, je suppose, qu'à se demander à quel point elles augmenteraient, et si cette augmentation de 10 p. 100 reflète la variation du taux de change. Est-ce qu'une part importante de ces 10 p. 100 est reflétée dans le taux de change? Si le taux commence à monter —M. Carmichael a parlé de l'abandon éventuel de la politique américaine fondée sur un dollar fort, et cela renvoie à une foule d'éléments connexes —, dans quelle mesure cela influera-t-il sur nos exportations? Je ne veux pas me montrer pessimiste, mais est-ce qu'elles retomberaient à 76 p. 100, comme en 1988? Est-ce une possibilité?

M. Carmichael: J'acheminerai au comité un tableau qui compare le taux de change réel du Canada à ses exportations nettes réelles. Voici ce que le tableau révèle: quand le dollar canadien a atteint son sommet de 88-89 cents, les exportations nettes réelles du Canada étaient en position déficitaire, et correspondaient à environ 2 p. 100 du PIB. Quand le dollar canadien s'est retrouvé dans le creux de la vague, elles étaient en position d'excédent, et correspondaient à 5 ou 6 p. 100 du PIB. Ainsi, en sept ou huit ans, nous sommes passés d'une situation déficitaire correspondant à 2 p. 100 du PIB à une situation d'excédent correspondant à 6 p. 100 du PIB.

L'information fournie par M. Stanford sur l'industrie automobile fait partie de cette histoire. Nous avons déjà commencé à faire changer cette situation. Nous sommes passés de 5 ou 6 p. 100 du PIB à 4 p. 100. Avec le taux de change actuel, je crois que nous tomberons à 2 p. 100. Cela signifie qu'il ne faut pas seulement se pencher sur les exportations. Cela signifie que, en passant d'un déficit de 2 p. 100 à un surplus de 6 p. 100, nos exportations ont connu une croissance plus rapide que nos importations pendant l'ensemble de cette période. Nous nous dirigeons maintenant vers une période où nos exportations connaîtront une croissance plus lente que nos importations. Les importations sont moins coûteuses pour les Canadiens. Aujourd'hui, nous pouvons acheter davantage de produits américains avec 100 $ canadiens qu'il y a six mois. Nous allons donc importer davantage. La croissance de nos importations sera supérieure à celle des exportations. Notre situation commerciale nette se détériorera, et cela tient vraiment à l'ampleur de la croissance de la valeur du dollar canadien. Si le dollar remonte à 89 cents, nous reviendrons probablement à un déficit des exportations réelles correspondant à 2 p. 100 du PIB. Cela nuirait grandement à l'économie canadienne pendant plusieurs années, tout comme le fait de passer de moins deux à plus cinq donnerait de fouet à l'économie canadienne — et c'est de cela que parlait M. Stanford.

M. McCracken: Si cela vous intéresse, je peux vous acheminer un tableau qui décrit de façon plus détaillée ce que nos modèles prédiraient en ce qui concerne les effets d'une appréciation ou d'une dépréciation après deux, cinq ou dix ans, et ainsi de suite.

L'histoire est simple. S'il y a une appréciation ou une dépréciation de 10 p. 100, et si on croit qu'elle est symétrique, il y aura donc une variation des exportations. S'il y a une baisse de l'ordre de, disons, 10 p. 100, on perdra environ 2 p. 100 au chapitre des exportations réelles. Avec le temps, la perte sera moindre, peut-être de l'ordre de 1 p. 100, après cinq ou six ans. Il ne faut pas perdre de vue que, pendant cette période, les salaires augmentent moins rapidement, et les coûts unitaires de la main-d'oeuvre baissent, de sorte qu'on récupère une certaine compétitivité lorsque le taux de change augmente.

C'est du côté de l'importation que se passe le gros de l'histoire. Il y aurait une augmentation réelle de 4 p. 100 à la suite d'une appréciation de 10 p. 100. Si vous voulez l'envisager en dollars courants, en règle générale, on obtiendrait une détérioration du compte courant de l'ordre de 1 p. 100 du PIB après deux ou trois ans, soit environ 10 milliards de dollars dans le monde actuel, après une appréciation de 10 p. 100. L'envers de la médaille, c'est que s'il y a une dépréciation de 30 p. 100 pendant cette période, on pourrait attribuer environ trois points de pourcentage de l'excédent du compte courant à la dépréciation. Le reste, qu'il soit positif ou négatif, pourrait être attribué à l'impact net de vos accords commerciaux, car c'est l'autre facteur, bien sûr, qui agit pendant cette période, ainsi qu'un certain nombre d'autres facteurs. Tout ce que nous faisons ici, c'est de tout garder constant et de changer le taux de change.

Nous procédons actuellement à une étude. Nous le faisons en partie parce que nous voulons examiner l'effet de l'application de diverses règles aux taux d'intérêt. Si la Banque du Canada agit de façon sensée, nous croyons qu'elle aura tendance à atténuer les effets néfastes de la fluctuation du taux de change. Si cela est susceptible de vous aider à examiner tout cela, je serai heureux de vous fournir un ensemble de règles générales simples.

Le président: J'aimerais ajouter un commentaire. Un accord commercial ne signifie pas qu'on s'engage à acheter 60 000 paires de chaussures. Il s'agit tout simplement d'un environnement dans lequel on achète les chaussures. En soi, l'accord ne garantit aucunement qu'on achètera ou qu'on vendra quoi que ce soit.

M. Stanford: Votre question initiale, sénateur, mettait l'accent non pas sur le niveau global de nos exportations, mais bien sur leur composition. À cet égard, même si l'appréciation actuelle exercera des pressions à la baisse sur l'exportation, stimulera l'importation et réduira la balance commerciale, jusqu'au déficit si elle dure assez longtemps, je ne suis pas certain que son impact irait jusqu'à modifier la concentration de nos échanges commerciaux avec les États- Unis, notre principal partenaire commercial. Structurellement, au cours des 15 ans depuis l'entrée en vigueur de l'accord de libre-échange canado-américain, il aurait tendance à être plutôt résistant. Le fait que notre dollar acquière de la valeur par rapport au dollar américain, mais pas vraiment par rapport à la devise d'autres pays, réduira les répercussions de l'appréciation sur nos exportations vers d'autres pays.

Dans l'ensemble, structurellement, compte tenu des perspectives de gestion, du niveau d'intégration et des relations au chapitre de l'approvisionnement, je soupçonne que la tendance selon laquelle 90 p. 100 de nos échanges commerciaux sont avec les États-Unis est probablement ici pour de bon, quelle que soit la valeur de notre dollar.

Le sénateur Sparrow: Cette pertinence est peut-être importante. Je ne me souviens pas en quelle année, mais le gouverneur de la Banque du Canada était probablement M. Crow. Nous tentions continuellement, presque frénétiquement, d'acheter des dollars canadiens afin d'en contrer la baisse et d'en accroître la valeur. Nous n'avons pas fait cela au cours des dernières années. Que s'est-il produit? Quel est le changement d'attitude qui nous pousse à ne plus faire cela?

M. Carmichael: La dernière fois que nous avons fait cela, c'était en 1998. Pendant la période de la crise asiatique et du défaut de paiement de la Russie, le dollar canadien a connu une chute non pas record, mais marquée. À l'époque, la Banque du Canada tentait encore d'intervenir sur le marché des devises en achetant des dollars canadiens lorsque la devise s'affaiblissait gravement. En un mois, en août 1998, la Banque du Canada a utilisé environ 5 milliards de dollars de sa réserve de change, ce qui n'a eu pratiquement aucun effet. S'il y a eu un renforcement mesurable du dollar canadien, il était impossible de le déterminer. Elle avait environ 30 milliards de dollars dans la réserve de change américaine. Autrement dit, à ce rythme, la Banque du Canada aurait pu continuer à acheter des dollars canadiens pendant six mois. Cela n'aurait tout de même pas eu beaucoup d'effet.

Après cela, la Banque du Canada a émis un avis selon lequel elle n'interviendrait plus sur le marché des devises pour tenter d'équilibrer la valeur du dollar canadien. Toutes nos études montrent que cette pratique n'est pas efficace et que le marché des devises est trop imposant. Les échanges sur le marché des devises sont trop gros pour que la Banque du Canada ait un impact important.

La semaine dernière, nous avons appris que la Banque du Japon avait dépensé 40 milliards de dollars américains au cours du mois qui a précédé le 26 septembre afin d'empêcher le yen de prendre de la valeur par rapport au dollar américain. De même, la mesure n'a eu aucun effet. Je crois que la Banque du Canada ne recourra plus à cette mesure, et je ne crois pas qu'elle doive le faire.

M. McCracken: Elle a d'autres instruments, et n'oubliez pas qu'elle peut aussi se servir des taux d'intérêt. Au lieu de recourir à l'achat et à la vente, elle fixe des taux d'intérêt supérieurs à ceux qu'on fixe aux États-Unis. Cela attire plus qu'assez d'apports privés au pays pour exercer une pression à la hausse convenable sur le taux de change. Elle n'utilise plus les réserves, car elle dispose d'instruments plus efficaces, et ses réserves ne sont pas suffisantes.

Le sénateur Sparrow: Cela n'influe pas aussi rapidement sur le taux d'intérêt.

M. McCracken: La Banque du Canada peut augmenter le taux rapidement.

Le sénateur Sparrow: Est-ce que l'effet est plus lent?

M. McCracken: Non, je crois que l'effet est plus rapide, car cela attire davantage de dollars d'investissement — de 20 à 50 milliards de dollars — qui traversent la frontière très rapidement. Nos échanges s'élèvent à plusieurs centaines de milliards de dollars par année, et les mouvements de capitaux sont de l'ordre de un billion de dollars. Cela correspond à environ cinq fois le total des mouvements dans les deux directions. Toute l'action a lieu au chapitre du mouvement des capitaux, et tous les intervenants cherchent à obtenir 2, 3, 5 ou 10 points de base de rendement supplémentaires. C'est un marché très sensible.

Le président: Je vous remercie de cette soirée fascinante.

La séance est levée.


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