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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
affaires étrangères

Fascicule 19 - Témoignages du 22 octobre 2003


OTTAWA, le mercredi 22 octobre 2003

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit aujourd'hui à 16 h 05, pour examiner, en vue d'en faire rapport, les relations commerciales entre le Canada et les États-Unis d'Amérique et entre le Canada et le Mexique.

Le sénateur Peter A. Stollery (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Pour la gouverne de nos témoins, je dirai que nous avons toujours cette zone grise entre 15 h 30 et 16 heures quand nos comités siègent le mercredi. Il se déroule actuellement une procédure inhabituelle au Sénat qui siège encore. Je vais cependant ouvrir la séance parce que nos attachés de recherche seront occupés à prendre des notes.

Nous avons analysé l'Accord de libre-échange et déposé le Volume 1 de notre rapport en juin. Nous étudions maintenant l'impact du taux de change. Au cours de nos audiences au printemps, il a vivement été porté à notre attention que le taux de change est un élément important de nos exportations vers les États-Unis.

Nous sommes ravis que vous puissiez nous faire bénéficier de vos lumières aujourd'hui. Nous recevons cet après- midi M. Drummond et M. Vasic. Comme il s'agit de notre quatrième réunion sur le sujet, nous sommes relativement bien informés. Nous avons vos mémoires; veuillez nous en faire le résumé pour laisser du temps pour les questions.

Monsieur Drummond, nous vous écoutons.

M. Don Drummond, premier vice-président et économiste en chef, Direction de l'Économie TD: J'ai remis un petit dossier de présentation intitulé «Questions relatives au commerce au Canada.» J'ai également remis un mémoire comportant des commentaires et des graphiques. Cependant, pour me conformer à vos instructions, avec votre indulgence, je ne vais pas les passer en revue en détail. Je vais plutôt vous en présenter une version abrégée.

Parler du taux de change tombe à point nommé. Je fais des tas d'exposés devant des gens d'affaires et je constate qu'ils ne veulent parler que de deux choses ces jours-ci: du dollar canadien et de la Chine.

S'agissant des accords commerciaux, il y a cette idée que certains des effets que les gens ont attribués à une libéralisation de nos échanges sont en fait peut-être attribuables au dollar. Je ne crois pas que ce soit un argument très probant. Je suis d'avis que les accords de libre-échange produisent un réel impact et je vais vous en fournir des preuves.

Le premier graphique montre que les exportations ont décollé en proportion de l'économie et qu'elles ont commencé à le faire au début des années 90. Le dollar canadien se dépréciait plus ou moins régulièrement depuis le début des années 70 et les échanges commerciaux n'avaient pas augmenté par rapport à l'économie au cours de cette période. La chose la plus remarquable n'est pas que le commerce ait pris de l'essor avec tout le reste du monde, mais qu'il en ait pris de façon disproportionnée avec les États-Unis, peu après la signature de l'Accord de libre-échange.

Au haut de la page 2 il y a une idée qui m'a tenu pas mal occupé. Je travaillais au ministère des Finances quand l'Accord de libre-échange a été signé, et je ne pouvais l'imaginer comme étant une transaction si importante sur le commerce au fur et à mesure qu'on rédigeait les documents parce qu'il s'inscrivait dans un ensemble homogène de réduction des barrières commerciales. Ce n'est pas comme si tout d'un coup le monde avait changé avec l'Accord de libre-échange. Il y a une quarantaine d'années, les droits de douane sur les importations étaient d'environ 10 p. 100 et ils avaient été ramenés à 3 p. 100 au moment de l'Accord de libre-échange. Nous avons continué de les réduire et ils se situent maintenant à 1 p. 100. Si on songe à un changement fondamental à être survenu dans l'économie canadienne et dans nos relations commerciales, on ne s'étonnera pas de trouver les barrières tarifaires au lendemain de la signature de l'Accord de libre-échange étant donné que cette libéralisation du commerce est présente depuis longtemps au Canada et dans d'autres pays.

Le graphique de la page suivante montre la même tendance dans les importations après la signature de l'Accord de libre-échange et leur importance relative pour l'économie canadienne. Si l'accord avait été le facteur dominant dans les échanges commerciaux, on se serait attendu au contraire: la faiblesse du dollar canadien aurait entraîné une réduction des importations.

Le graphique de la page 4 montre la perspective de l'ensemble de l'économie canadienne. Il y a à peine 20 ans chaque dollar d'exportation aux États-Unis correspondait à un dollar d'importation au Canada. En peu de temps, la proportion est passée à deux dollars d'exportation pour un dollar d'importation. Les distances sont plus courtes et la population et les marchés économiques, plus grands. L'Ontario, qui est particulièrement axé sur les importations, exporte maintenant pour trois dollars aux États-Unis contre un dollar dans les autres provinces.

J'ai été heureux en juin de voir un rapport sur l'importance de l'établissement d'accords commerciaux. On avance comme argument principal pour la signature de l'Accord de libre-échange et de l'ALENA et pour une libéralisation accrue du commerce, que le Canada peut dire aux entreprises du monde entier que si elles veulent avoir accès au marché américain, elles ne devraient pas s'inquiéter de s'installer au Canada plutôt qu'aux États-Unis. Le Canada peut leur dire qu'il peut leur assurer un accès sans aucune restriction à l'économie américaine. Si nous n'avions pas de libre- échange avec eux — non seulement au sens juridique, mais aussi au sens où les arrangements transfrontaliers donnent des résultats satisfaisants — il n'y aurait pas de préoccupations liées à des questions juridiques ou administratives, car elles ne viendraient tout simplement pas ici.

Ces dernières années, les préoccupations à ce sujet se sont faites de plus en plus grandes. Comme vous pouvez le voir sur le graphique au bas de la page 3, la part du Canada de l'investissement direct étranger en Amérique du Nord a considérablement diminué. En fait, ce qui est inquiétant, c'est que cette baisse coïncide avec la période qui a suivi la signature de l'Accord de libre-échange. Une bonne partie de cet investissement est récupérée par le Mexique, mais nous en avons également perdu une partie aux mains des États-Unis. De nombreuses questions doivent être réglées pour récupérer cette part, mais l'assurance que nous donne le libre-échange en est certainement un élément important.

Au haut de la page 4, j'ai indiqué la perspective à plus long terme du dollar canadien parce que nous avons tendance à avoir la mémoire courte. Il n'y a rien de particulièrement important, d'inhabituel, et certainement rien d'inédit au fait que le dollar canadien vaille 0,76 $. Ce qui est exceptionnel, c'est la rapidité de la hausse. Comme nous pouvons le voir, au cours des 20 dernières années — et nous pourrions reculer beaucoup plus loin — 0,76 $ n'est pas un niveau particulièrement élevé pour le dollar canadien. Les problèmes ne sont pas causés par sa valeur; ils tiennent au fait qu'il s'est apprécié de 20 p. 100 jusqu'ici cette année. Il y a incontestablement des difficultés d'ajustement.

L'autre chose, c'est que ce n'est pas un phénomène purement canadien. La situation cette année tient en grande partie à la faiblesse du dollar américain. Au bas de la page 4, vous pouvez voir que la plupart des autres devises ont connu des hausses semblables à la nôtre.

Le graphique au haut de la page 5 ressemble à un tas de gribouillis et c'est en fait l'objet du graphique. Ce graphique montre que lorsque notre devise fluctue aussi rapidement qu'elle l'a fait cette année — comme elle l'a fait dans le passé — nous avons tendance à croire que notre taux de change est extraordinairement volatile, instable et imprévisible. Vous pouvez constater que la plupart des devises dans le monde sont beaucoup plus volatiles que la nôtre.

Le graphique au bas de la page 5 montre le dollar canadien par rapport à l'inverse de notre position en matière d'exportations nettes. En théorie, on s'attendrait qu'au fur et à mesure que le dollar canadien se raffermit, notre balance commerciale se détériore. Et c'est effectivement ce que nous constatons.

Passons au haut de la page 6. Les économistes sont esclaves du passé. Nous utilisons des modèles et des méthodologies qui extraient des données de rapports historiques et essayons d'en faire une extrapolation dans l'avenir. Une institution comme le ministère des Finances ou la Banque du Canada a des modèles reposant sur les rapports entre taux de change et leur effet sur le rendement économique passé.

Il s'agit de très vastes estimations, comme je l'ai indiqué dans le graphique. D'après le modèle de la Banque du Canada, on s'attend à une réduction de 1,8 p. 100 de la production dans environ un an. D'après le modèle du ministère des Finances, on s'attend à une réduction de plus de 1 p. 100 de la progression du PIB en 2003 et en 2004. Reste ensuite à savoir si les rapports passés sont des guides fiables.

Un certain nombre de choses ont changé. Je ne sais pas si le comité aura le moyen de le quantifier. J'aimerais pouvoir le faire, mais je trouve que c'est très difficile. Par exemple, à la fin des années 80, peu d'entreprises couvraient leur position en devises étrangères; bon nombre d'entre elles le font maintenant. Cela ne change pas totalement le rapport, mais cela pourrait bien retarder l'impact d'une appréciation du taux de change.

En raison de l'investissement étranger direct depuis le Canada vers les États-Unis, beaucoup plus de sociétés canadiennes sont en fait actives aux États-Unis maintenant. C'est une protection naturelle; cela leur donne une source de revenu en dollars américains. Ces dernières années, les sociétés canadiennes ont été plus nombreuses à emprunter en dollars américains. C'est une autre protection naturelle. Il est difficile de quantifier l'importance de ces changements.

La Banque du Canada a aujourd'hui publié son Rapport sur la politique monétaire. Elle prévoit une croissance de 3,3 p. 100 pour 2004. Je ne pense pas qu'elle utilise les rapports historiques de son modèle pour en arriver à cette prévision. Si elle l'avait fait, la croissance aurait été beaucoup moins élevée que cela. Pour certaines raisons, peut-être suggestives — et nous faisons probablement tous les deux la même chose — elle suppose que l'impact s'amenuisera à la longue. Nous tirons peut-être en partie une leçon de l'époque où le dollar fléchissait; nous n'avons certes pas constaté une forte hausse de l'inflation au Canada. L'impact a semblé avoir changé avec le temps.

Si vous passez maintenant au graphique au bas de la page 6, vous verrez les résultats d'un exercice effectué de nombreuses fois au Canada. Vous verrez fréquemment des gens examiner la concentration au niveau des exportations de divers secteurs. Un secteur sera décrit comme très sensible au taux de change parce qu'il fait beaucoup d'exportations, alors qu'un autre n'en fait pas beaucoup.

Nous avons examiné non seulement la concentration au niveau des exportations par secteur, mais aussi au niveau des importations. Nous sommes partis du principe que pour les grands importateurs, les coûts devraient diminuer au fur et à mesure du raffermissement du dollar, ce qui devrait les aider. Nous avons ensuite examiné l'effet net des deux. Secteur par secteur, nous avons examiné la position nette.

Nous les avons ensuite classés en ordre à partir des plus sensibles au Canada aux variations du taux de change. Ce sont les secteurs liés aux forêts qui sont les plus vulnérables. Ils ont tendance à exporter presque tout ce qu'ils produisent. Ils ont tendance à très peu importer. Par contre, les secteurs de l'habillement, des boissons et du tabac n'exportent pas autant et importent beaucoup. Fait intéressant, le secteur de l'automobile est habituellement le premier mentionné dans toute étude du taux du change. Ce secteur a un important contenu d'exportation, mais il importe également beaucoup, si bien qu'il n'est pas aussi vulnérable que certains des secteurs comme les forêts.

Nous avons creusé davantage et avons étudié la composition sectorielle par province. D'après l'analyse sectorielle, nous pouvons voir quelles économies provinciales ont été le plus exposées aux fluctuations du taux de change. Ce sont le Québec et l'Ontario qui ont été le plus touchés, suivis de la Colombie-Britannique en raison de son secteur forestier.

En conclusion, je ne pense pas que la fluctuation ou la hausse du dollar soit le principal problème. Le principal problème de l'économie canadienne reste encore sa faible productivité par rapport aux États-Unis. Si nous pouvions le régler, notre dollar continuerait probablement de s'apprécier dans ces circonstances, mais cela ne nous préoccuperait probablement pas autant. Nous serions en position concurrentielle et notre niveau de vie s'élèverait.

Comme l'a fait remarquer votre comité en juin, il serait bon que nous puissions diversifier nos échanges au-delà des États-Unis. Je me rends compte qu'il s'agit d'un marché naturel et d'un gros marché. Les frais de transport sont bas; les goûts du consommateur sont sensiblement les mêmes. Diversifier constitue un objectif héroïque. Cependant, comme nous l'avons vu, notre dollar s'est apprécié de 20 p. 100 par rapport au dollar américain, mais n'a pas autant fluctué vis-à-vis du reste des autres devises. Si l'éventail de nos échanges était plus vaste, nous n'aurions pas subi de répercussions aussi grandes.

Je maintiens que bien que le dollar ait fortement contribué à la progression des échanges au cours de la quinzaine d'années qui s'est écoulée depuis la signature de l'Accord de libre-échange, il n'a pas été le facteur dominant. Des gains énormes ont découlé des accords de libre-échange.

Je me rends compte, du fait que je parle aux gens d'affaires et que je suis représentant de la Chambre de commerce, qu'on s'inquiète fortement sur le front commercial. On perçoit des sentiments protectionnistes croissants aux États- Unis. Il y a possibilité de problèmes à la frontière. Nous ne devrions pas nous reposer sur nos lauriers, mais les gains sont là. Quel que soit le taux de change, le Canada profitera de l'Accord de libre-échange actuel. Grâce au travail de votre comité et à d'autres, nous espérons accroître ces bénéfices.

M. George Vasic, économiste en chef canadien, UBS Securities Canada Inc.: Honorables sénateurs, je suis ravi d'être ici. J'aimerais signaler que bien que notre société ne soit peut-être pas connue partout, comme l'est la TD, UBS est une institution financière internationale dont le marché est plus grand que celui des trois plus grandes banques canadiennes combinées. Nous sommes également un important gestionnaire de fonds de retraite au Canada et à l'échelle internationale. Nous sommes également le plus important négociant d'actions canadiennes partout dans le monde. Cette comparaison comprend notre position par rapport à nos homologues au pays. Nous avons beaucoup de contacts avec des institutions étrangères, des gestionnaires de fonds étrangers et des investisseurs étrangers. J'espère que vous ne m'en voudrez pas d'avoir apporté cette précision au cas où vous n'auriez pas été familiers avec notre nom au début des remarques.

Le président: UBS, c'est l'«Union de Banques Suisses,» n'est-ce pas?

M. Vasic: Ce l'était, en fait. La banque résulte de la fusion d'UBS et de l'ancienne banque suisse avec les anciennes S.G. Warburg, Paine Webber, Dillon Read et d'autres entreprises.

J'ai le plaisir de vous apprendre que nous nous sommes récemment donné une nouvelle image mondiale et que nous avons repris le nom d'UBS.

Le sénateur Di Nino: Le fait que Michael Wilson soit associé avec vous représente, pour beaucoup d'entre nous, un important avantage.

M. Vasic: C'est encourageant à entendre.

J'aborderai six points. Tout d'abord, je suis sensible au fait que vous avez entendu beaucoup d'autres personnes, non seulement aujourd'hui, mais auparavant, et que vous en entendrez probablement d'autres après. Avec un tel sujet, vous allez sans doute ressasser les mêmes questions plus d'une fois. J'espère ne pas trop répéter ce que vous avez peut- être déjà entendu.

Pour ce qui est de l'effet du taux de change sur le commerce, l'histoire nous montre qu'il est ambigu. Les circonstances dans lesquelles il se produit tendent à importer davantage. De ce point de vue, il nous faut considérer les répercussions éventuelles de la devise au regard de notre situation actuelle.

Deuxièmement, l'appréciation que nous avons constatée dernièrement s'est produite pour une devise clairement sous-évaluée. La plupart conviendraient qu'un dollar dans les 0,70 $ est juste. Dans le contexte actuel, même avec le raffermissement actuel du dollar, il se peut bien qu'il y ait surévaluation, mais il faudrait la décrire comme modérée et, par conséquent, les répercussions sur le commerce seraient moindres que prévu.

Troisièmement, ce qu'il y a d'encourageant, c'est que la hausse du dollar canadien s'est produite alors que nous étions dans une position de force économique. Plus précisément, les profits au Canada sont élevés. Cela permet une plus grande marge de manoeuvre pour rajuster les prix. En conséquence, les répercussions relatives à l'emploi et les autres répercussions seront soit minimes, soit retardées par rapport à l'attente. Une fois de plus, l'incidence sur le commerce sera inférieure à ce à quoi vous vous attendriez autrement.

Quatrièmement, la remontée de la devise canadienne a été rapide. Cela obligera l'industrie canadienne à se rajuster plus tôt. Cette fois-ci, les effets cumulatifs d'un dollar qui s'affermit ou fléchit graduellement ne s'accumuleront pas dans le système parce que toutes les personnes à qui nous en parlons ne s'attendent pas à ce qu'il reperde sa valeur et prennent maintenant les mesures qu'elles jugent appropriées.

Cinquièmement, un aspect qui nous échappe dans tout cela et dont je n'entends pas parler en ce qui concerne les répercussions pour les échanges canadiens, c'est ce que les États-Unis vont faire au sujet de leur propre compte courant. Leur déficit est important. S'ils doivent régler la situation en important moins, l'incidence pour nous pourrait être grave, quel que soit notre taux de change ou peu importe ce que nous faisons. De toute évidence, nous n'avons aucun contrôle sur cet aspect.

À cet égard, des études ont démontré qu'historiquement la plupart des ajustements du compte courant surviennent davantage suite à des changements au niveau des exportations et beaucoup moins en raison de changements au niveau des importations. En outre, des études réalisées dans les pays industrialisés tendent à indiquer que la demande relative entre les deux pays est plus importante pour la performance commerciale que le taux de change.

J'ajouterais même que nos procédés de production sont devenus beaucoup plus intégrés au fil des ans. C'est facile et accrocheur pour certaines études de dire que 40 p. 100 du PIB est exporté et que près de 90 p. 100 de ces exportations sont à destination des États-Unis. Vous faites le calcul; c'est beaucoup. Ce dont on ne se rend pas compte, c'est qu'une partie importante de nos exportations sont en réalité des importations. Si nos exportations fléchissent, il arrivera la même chose à nos importations. L'incidence nette est que c'est un pourcentage du PIB beaucoup moindre que ce que vous pourriez croire quand vous voyez ces données brutes.

Il y a bien longtemps, j'ai construit un modèle économétrique du Canada. J'y ai consacré neuf mois. Comme j'ai participé à un grand nombre de ces modèles mathématiques, je vous dirais tout simplement que si toutes ces répercussions et si tous ces coefficients étaient exacts, notre économie serait beaucoup plus volatile et notre taux d'inflation aurait varié beaucoup plus souvent. Nous serions déjà en récession compte tenu de la montée du dollar que nous avons observée cette année, etc.

Finalement, nous devons nous préoccuper pour ce qui est du commerce — pas seulement des produits, mais aussi des services. Une devise appréciée à sa juste valeur rend les acquisitions étrangères beaucoup plus attrayantes. Donc, si ces acquisitions sont faites de façon prudente, on pourrait assister à un flux de recettes à long terme? Cela aidera à réduire l'important déséquilibre entre notre excédent de produits et notre déficit de services dans le compte courant.

Cela fait partie de la maturation normale d'une nation de passer de productrice de produits à une nation qui veut vivre des recettes. Voilà une situation à laquelle tous les pays et tous les citoyens aspirent.

En résumé, les répercussions commerciales seront beaucoup moins importantes que celles auxquelles vous vous attendriez. Deuxièmement, la plupart d'entre nous ne savent pas de quelle façon les États-Unis s'ajusteront au déficit important de leur compte courant et à leur passage d'une nation créancière à une nation débitrice importante. La façon dont cet ajustement se fera aura une incidence beaucoup plus grande sur notre compte courant et notre performance commerciale avec eux que les fluctuations du taux de change.

Finalement, nous aimerions faire remarquer que le bon côté de tout cela, c'est que la montée rapide redynamisera la productivité beaucoup plus vite que cela n'aurait été le cas autrement et, peut-être, amorcera un cercle vertueux d'augmentation de la productivité, ce dont nous avons besoin, conjugué à une devise canadienne plus forte et à un compte courant plus équilibré dans l'ensemble.

La plupart des observations que nous entendons au sujet des fluctuations de la devise et des répercussions sur les échanges commerciaux ont trait au genre d'analyse «toutes choses étant égales par ailleurs» à court terme, ce que la plupart des gens comprennent. Cependant, il ne s'agit là que d'un faible pourcentage du résultat final.

Si l'on examine les données antérieures, on constatera que les fluctuations du dollar d'un bout à l'autre du Canada et en fonction d'autres expériences internationales ont donné un résultat beaucoup plus ambigu pour ce qui est de leurs répercussions. Il s'agit d'un sujet plus complexe et qui est davantage le reflet du contexte actuel.

Il faut souligner que la devise était sous-évaluée. Personne ne dirait qu'à 0,63 $ le dollar canadien était à son bon niveau, même dans des résultats d'un modèle. De façon anecdotique, si vous examinez le comportement des gens, 0,63 $ n'était pas la bonne valeur. Vous avez vu un grand nombre de produits américains dont le prix était fixé uniquement pour le Canada en raison du taux de change qui n'était pas logique. Vous avez vu une quantité de voitures être réexportées aux États-Unis en raison de l'écart dans les prix. Je suis convaincu que vous avez constaté au cours des derniers mois que soudainement des observations comme celle-là avaient disparu de la conversation générale.

Vous pouvez examiner le rapport entre le prix des produits non énergétiques — et nous illustrons dans le graphique un ensemble de devises pondéré par le commerce extérieur — et le dollar canadien. Cependant, ce n'est pas le seul facteur. D'autres viennent empiéter sur ce dernier, mais je dirais qu'une valeur dans la plage inférieure des 0,70 $ est à peu près appropriée. Ce serait conforme à d'autres types d'analyses.

Comment saurons-nous lorsque qu'elle est surévaluée? Tout simplement, lorsque les gens iront à Buffalo faire des achats, nous le saurons. Nous n'y sommes pas encore. De façon générale, je dirais que dans la tranche inférieure des 0,70 $, c'est la bonne valeur, quoique je m'avance peut-être un peu trop vite. En ce moment, notre dollar est légèrement surévalué et le fait que la devise était passablement sous-évaluée doit entrer en ligne de compte dans l'évaluation des répercussions commerciales dans le contexte actuel.

Pour ce qui est de notre économie vis-à-vis de celle des États-Unis, il faut signaler que le taux de change est un phénomène relatif. Nous n'avons pas à faire de grandes choses. Si quelqu'un agit mal, cela nous avantage relativement. Nous dirions, comme l'a mentionné M. Drummond, que l'appréciation du dollar canadien cette année est dans une grande partie davantage un reflet de la faiblesse des États-Unis que de notre force.

Cependant, elle se produit à un moment où l'économie est structurellement plus forte et mieux équilibrée que celle des États-unis. Ces dernières années, nous sommes devenus une nation débitrice nette beaucoup moins élevée. Collectivement, nous sommes en tant que nation débitrice nette la moitié de ce que nous avons été pour la plus grande partie de l'après-guerre et nous sommes beaucoup moins une nation débitrice nette que les États-Unis. Ils se dirigent vers une position de plus grande vulnérabilité et cette voie semble prendre inexorablement une tangente ascendante, compte tenu de leur déficit de 5 p. 100 du compte courant par rapport au PIB. Une comparaison secteur par secteur du consommateur canadien et du consommateur américain indiquera que le fardeau que nous supportons au niveau de l'intérêt est inférieur à celui des Américains. Le bilan de nos entreprises est meilleur; notre répartition des profits est plus élevée; et notre situation fiscale dans son ensemble est mieux que celle des États-Unis. Les perspectives d'avenir sont également meilleures.

C'est une position désagréable. Nous ne sommes pas dans notre zone de confort vis-à-vis des États-Unis, mais c'est vraiment nous qui sommes en contrôle de la situation cette fois-ci. Nous avons passé une plus grande partie de notre vie adulte alors que les États-Unis étaient dans une meilleure position financièrement et fondamentalement que nous. Ce n'est plus le cas.

S'il y a un moment où la devise canadienne peut s'apprécier de façon imprévue, vous voulez que ce soit lorsque vous êtes en plein contrôle et non dans un marasme. Je dirais qu'il s'agit là de l'un de ces moments. Plus précisément, dans le cas des sociétés, le fait que les profits sont solides leur donne plus de marge de manoeuvre pour s'ajuster. Si leur part était extrêmement faible et que les profits étaient minces, une partie des résultats du modèle serait sur une base d'échange mutuel. Nous avons plus d'options en ce moment et les ajustements qui en résulteront, pour ce qui est de l'emploi et d'autres facteurs en raison de notre situation relativement forte du côté des profits, seront soit reportés, soit minimes.

Malgré la baisse du dollar, notre compétitivité s'est amoindrie lentement en raison d'une décennie de faible productivité vis-à-vis des États-Unis. Si l'on prend des chiffres ronds, un dollar à 0,80 $ serait aujourd'hui à peu près — du point de vue d'un concurrent — aussi désagréable que le dollar à 0,90 $ il y a 10 ou 12 ans.

Quoi qu'il en soit, je suis surpris du manque de plaintes et, de façon anecdotique, du manque d'observations pour dire que la situation est vraiment mauvaise. Je m'attendais à en entendre beaucoup plus aux niveaux actuels. Si vous m'aviez demandé lorsque le dollar était à 0,63 $ quels seraient les commentaires généraux et la situation des affaires à 0,75 $ ou 0,76 $, je me serais attendu à entendre beaucoup plus de plaintes que ce n'est le cas. Cette situation est attribuable en partie au fait que cela se produit au cours d'une période de bonne performance de l'économie et d'une relativement bonne performance vis-à-vis des États-Unis.

La situation aurait été beaucoup plus serrée que vous ne pourriez l'imaginer aux niveaux actuels. Si tout cela s'était produit il y a 10 ans, vous auriez entendu des gens prédire que le dollar rebaisserait. Personne ne fait une telle prévision par les temps qui courent. De plus, on prépare un plan de bataille pour un dollar dans les 0,70 $ et probablement près des niveaux actuels. Ce n'est pas du tout comme à la fin des années 80 alors que l'appréciation du dollar s'est faite sur plusieurs années. On espérait toujours, je m'en rappelle, qu'il cesserait sa remontée et redescendrait de sorte que nos problèmes seraient terminés. Il ne l'a pas fait et, soudainement, la position concurrentielle s'est érodée, de façon cumulative, et de façon très importante. Il était alors trop tard pour apporter les correctifs nécessaires.

L'aspect peut-être le plus important que je tiens à souligner est présenté sur les deux prochaines diapositives — le rajustement du compte courant aux États-Unis. Il faut signaler que dans le contexte actuel, la devise américaine perd de la valeur. Les États-Unis ont réalisé une étude de 25 épisodes de rajustement du compte courant dans les pays industrialisés au cours des 20 dernières années. Tel que je l'ai mentionné plus tôt, le principal message qui en ressortait était que ce n'était pas une diminution des importations qui aidait à rétablir le compte courant; c'était plutôt une augmentation des exportations.

Les entreprises canadiennes et américaines sont tellement intégrées que, dans la mesure où les États-Unis peuvent avoir plus d'exportations en raison de la faiblesse de leur dollar, nous y participerons même si leurs importations stagnent. Les gens n'ont pas vu ce résultat. Une importante diminution des importations n'a pas réglé les épisodes antérieurs du compte courant.

Cette étude a également démontré que dans l'ensemble, la taille du compte courant est un reflet des demandes relatives beaucoup plus que du taux de change. La façon dont le Canada et les États-Unis vont croître ensemble aura probablement une incidence plus grande sur la position commerciale que sur le niveau du dollar. Comme le dollar est à portée d'une valeur juste — étant donné qu'il est difficile de lui attribuer une valeur — je dirais que la demande de performance intérieure relative entre les deux pays sera plus importante en bout de ligne pour ce qui est de façonner notre performance commerciale que le taux de change.

Parlant d'intégration, un fort pourcentage de nos exportations sont en réalité des importations. Un grand nombre des simulations sur modèle tendent à surestimer l'incidence sur le commerce parce qu'elles auront une certaine sensibilité aux exportations. Cependant, dans les équations concernant les importations, il n'y aura aucune mention du fait que si les exportations fléchissent, les importations fléchiront également. Au fil du temps, cette intégration a pris de l'ampleur et l'incidence — la surestimation probable comparativement au contexte actuel — est probablement plus grande. Vous pouvez voir qu'elle va de 56 p. 100 pour les véhicules automobiles et les pièces jusqu'en bas. Ce sont des secteurs dont le contenu est supérieur à 30 p. 100. Cependant, c'est gros et le résultat final est que notre exposition nette, si vous préférez, aux États-Unis est considérablement moindre que la donnée de 36 p. 100 que vous pourriez obtenir tout simplement en consultant les comptes du PIB.

Finalement, nous voulons mettre en contexte le fait que le commerce global — ses produits et ses services — importe. Un déséquilibre c'est le niveau très élevé d'exportation de produits, mais un déficit au niveau des services. Au fil du temps, une devise se situant à une valeur plus juste aiderait à rapprocher ces deux droites. C'est un objectif souhaitable.

Une devise à une valeur plus juste signifiera que nous achetons des compagnies étrangères plutôt que le contraire. Si nous procédons avec prudence, nous aurons un flux de revenus à long terme qui atténuera notre déficit au niveau des services. Je suppose que cela nous gardera honnêtes pour ce qui est de la croissance de notre productivité, ce qui nous permettra d'avoir une juste valeur à la hausse du taux de change au fil du temps et nous gardera prospères de ce point de vue.

La montée rapide et importante que nous avons observée, quoiqu'elle ne soit pas très divergente de la juste valeur, nous donne l'occasion d'amorcer un cercle plus vertueux, chose que le Canada n'a pas vu depuis plusieurs décennies. S'il y a un bon côté à la chose, c'est celui-là.

Le président: Merci, monsieur Vasic; c'était des plus intéressants.

Le sénateur Graham: Lorsque Jim Stanford des Travailleuses et Travailleurs canadiens de l'automobile a comparu devant le comité, il a laissé entendre que la juste valeur du dollar était de 0,72 $. Monsieur Vasic, vous parlez maintenant de la tranche inférieure des 0,70 $. Monsieur Drummond, avez-vous une suggestion à nous faire quant à ce que serait la valeur du dollar?

M. Drummond: Vous avez modifié la question un peu pour savoir où j'aimerais que le dollar se situe. En fait, je serais en désaccord avec l'approche adoptée par les autres personnes. Je ne pense pas qu'il y ait une valeur précise qui soit constante dans le temps. Comme l'a répété M. Vasic, avec la détérioration de notre performance au niveau de la productivité vis-à-vis des États-Unis, essentiellement un dollar à 0,80 $ aujourd'hui se compare à un dollar à 0,90 $ il y a 10 ans. C'est une notion fluide.

Je vais raconter une expérience intéressante que j'ai vécue lorsque je travaillais pour le ministère des Finances, au moment de cette appréciation dans la deuxième moitié des années 80. Nous avions l'habitude de rendre visite aux sociétés à chaque trimestre. La question standard que nous posions était de savoir à quel niveau du dollar les sociétés s'estimaient concurrentielles. Lorsque nous avons commencé, la valeur du dollar s'établissait à 0,73 $ et la réponse était 75. Le trimestre suivant, le dollar était à 75; la réponse a été 77. Puis, il était à 77 et la réponse était 79. Nous avons continué avec des augmentations de 0,02 $ jusqu'à ce que le dollar atteigne 0,85 $; personne n'est allé plus haut que 85. Cela s'est fait sur une période de deux ans et les entreprises ont ajusté leurs réponses, passant de 75 à 85. C'est une notion fluide.

Pour ce qui est du concept de la parité du pouvoir d'achat — c'est-à-dire le taux de change qui ferait que nos coûts sont les mêmes que ceux d'autres pays — si vous prenez l'OCDE ou le FMI, les estimations seront dans la tranche supérieure des 0,70 $ ou dans les 0,80 $. Des preuves anecdotiques très brutes laissent entendre que c'est probablement dans ces valeurs-là. Nous avons encore un excédent commercial. Il se détériore, mais cela laisserait entendre que le dollar n'est pas très élevé. Vous pouvez mettre cela en rapport avec des preuves anecdotiques personnelles. Est-ce qu'il y a quelqu'un ici qui est allé ailleurs dans le monde et qui s'est senti obligé d'acheter quoi que ce soit? Je ne le pense pas. Si vous allez en Europe, vous vous rendrez compte que tout ce qu'il y a en Grande-Bretagne, par exemple, est au même prix qu'ici, mais qu'on lui a affiché une valeur en livres, et que par conséquent il coûte le double. Vous pouvez aller dans le district des appareils électroniques à Tokyo et je vous assure que vous reviendrez et attendrez pour acheter le produit chez Future Shop.

Il n'y a rien de magique quant à un niveau donné du dollar. Il n'existe pas une seule réponse lorsque vous êtes concurrentiels ou non. La question qui confronte l'économie canadienne en ce moment, c'est la vitesse. Si les gens ont adapté leurs plans d'affaires pour qu'ils se sentent à l'aise avec un dollar à 0,63 $ — il faudrait espérer qu'il n'y en a pas beaucoup qui l'ont fait — ils ne seront pas à l'aise dans 10 mois. Pourtant, peuvent-ils l'être dans deux ou trois ans? Probablement. Il y a beaucoup plus de chances que ce soit le cas.

Je ne suis pas tellement convaincu que le dollar soit surévalué à 76 cents. Je pense qu'il y aura une période de transition difficile pour beaucoup d'entreprises, qui durera un an ou deux, jusqu'à ce qu'elles soient à l'aise avec ce niveau. Je soupçonne que si, dans deux ans, on demande aux gens s'ils sont à l'aise avec un dollar à 76 cents, ils répondront probablement «oui,» tout comme on obtenait cette réponse à la fin des années 80. En fait, il se pourrait bien que le dollar ne soit pas à 76 cents. Si le dollar US continue de s'affaiblir, la valeur du nôtre pourrait bien commencer par un «8» à ce moment-là.

Le sénateur Graham: Récemment, à notre comité, j'ai rappelé l'époque où la valeur du dollar atteignait 93 cents, en 1977. Tom Kent s'était alors adressé à un groupe de parlementaires et, alors que le dollar était à 93 cents, il avait laissé entendre qu'il devrait être fixé à 75 cents.

Comment voyez-vous le dollar à la fin de l'année et à la fin de l'année prochaine?

M. Drummond: Je n'investirais pas beaucoup sur ma réponse, parce que mon bilan, pour ce qui est de prédire le dollar, est épouvantable. Depuis trois ans, les gens n'arrêtaient pas de me rire en pleine face à chaque fois que je prévoyais que le dollar allait se renforcer. Je souhaitais presque que certains groupes ne m'invitent plus parce qu'ils revenaient toujours à la charge avec cela. Quand le dollar a fini par bouger dans le sens que j'avais prévu, il est monté trois fois plus vite en trois fois moins de temps. Dans ce contexte, vous comprendrez que je ne suis pas tellement confiant.

La situation dans son ensemble nous dit que le dollar US va continuer de s'affaiblir. Ils ont un énorme déficit du compte courant — plus de 5 p. 100 de leur économie — et leur gouvernement fédéral enregistre maintenant des déficits d'environ 5 p. 100; presque tous les États de la fédération ont des déficits. Il n'y a aucune raison de croire que le Canada ne fera pas mieux que cela. Nous avons des finances à peu près équilibrées. Nous avons des surplus du compte courant, des taux d'intérêt plus élevés et les prix des denrées sont fermes. La direction sera à la hausse.

Ma façon de me dérober à cette réponse, comme je le disais, c'est que chacun veut parler du dollar et de la Chine. C'est la première question. Je dis toujours aux gens que s'ils ont un plan d'affaires sérieux, ils doivent le mettre à l'épreuve en supposant un dollar à 80 cents dans un avenir relativement proche. Je ne dis pas que c'est ma prévision. Je ne rencontre vraiment pas beaucoup de gens qui s'attendent à ce qu'il baisse. J'en rencontre beaucoup qui pensent qu'il va demeurer stable. C'est bien beau de faire des prévisions, mais il faut les mettre à l'épreuve. Nous pourrions nous retrouver là en un tournemain.

Notre dernière prévision date de septembre et nous disions alors qu'il atteindrait 78 cents au milieu de l'année prochaine. Encore une fois, je n'avais pas prévu, quand j'ai quitté mon bureau à midi aujourd'hui, qu'il se situerait un peu au-dessus de 76,5. Je pense que le dollar va monter. Chose certaine, le conseil que je donne à toute entreprise canadienne et aux banquiers qui font affaires avec elle, c'est que j'espère qu'ils ont des plans d'affaires avec lesquels ils peuvent vivre à l'aise même à 80 cents. Si ce n'est pas le cas, ils devront faire des rajustements.

M. Vasic: Je voudrais revenir sur ce point de la juste valeur. Si vous me demandiez aujourd'hui quel est le bon chiffre, je dirais qu'il se situe un peu au-dessus de 70. Comme je l'ai dit pendant mon exposé, la cible est fluctuante et je ne vais donc pas répéter tout cela.

Je vous renvoie au tableau que j'ai présenté tout à l'heure sur le coût unitaire de main-d'oeuvre pour la fabrication. Le dollar ne sera jamais au chiffre idéal en un moment donné, mais si vous examinez les données des 18 dernières années, c'est-à-dire depuis 1985, et si vous vous demandez quelle valeur du dollar correspond au niveau moyen de compétitivité pour cette période, on obtient un chiffre d'environ 70 cents, ce qui est également le chiffre obtenu en calculant l'indice du prix des denrées. S'il y a augmentation de la productivité, ce chiffre peut monter. Si celle-ci demeure faible, le chiffre peut baisser. Il vaut la peine d'en prendre bonne note.

Notre prévision pour le dollar était d'environ 77 cents. Est-ce qu'on va relever ce chiffre? Oui. En général, comme je l'ai dit au début, tout cela est dû à la baisse du dollar US. C'est clair et net. Notre prévision pour le dollar US est qu'il va atteindre 1,32 $ par rapport à l'euro. Je répète que nous avons une équipe mondiale; c'est notre prévision mondiale.

Le président: Il était à seulement 1,08 $ le 1er septembre.

M. Vasic: Il était à 1,20 $ avant cela. Il était à 82 cents il y a deux ans.

Tout cela est dû à l'affaiblissement du dollar US. Le bilan historique des rajustements des comptes courants dans les pays industrialisés ou en développement montre qu'il y a d'importantes dépréciations. Tout indique que cette dépréciation n'est pas terminée. C'est pourquoi nous prévoyons 1,32 $.

La question est celle-ci: dans quelle mesure le dollar canadien participe-t-il au mouvement? Si l'on examine la première partie de l'année, l'appréciation du dollar canadien a été presque aussi importante que la dépréciation du dollar US par rapport à l'EURO. À partir de maintenant, ce ratio va probablement s'atténuer. Si l'on gagne encore 10 p. 100 ou 20 p. 100 sur l'euro, le gain sera peut-être d'un quart de cela pour le dollar canadien.

Que fait la Banque du Canada dans tout cela? Je soutiens que si elle croyait vraiment en ses propres modèles, elle aurait déjà coupé furieusement les taux après une appréciation de 20 p. 100. Néanmoins, si l'on examine l'effet cumulatif, et si le dollar US devait baisser encore de 20 p. 100 ou à peu près, la Banque va intervenir et commencer à ralentir l'appréciation. C'est ce facteur qui va atténuer la hausse du dollar canadien à partir de maintenant.

Je prendrais au sérieux quelques-uns des arguments de M. Drummond. Premièrement, notre devise n'est pas aussi volatile que la plupart. Compte tenu du potentiel de fluctuations importantes ailleurs, les Canadiens, de façon générale, doivent se préparer à affronter des changements potentiellement importants de notre dollar. Nous en avons eu un avant-goût cette année.

Le sénateur Di Nino: Certains ont exprimé l'opinion que la faiblesse du dollar US résulte d'un changement de politique de la part des Américains. J'ai entendu une fois ou deux l'expression «politique délibérée de la part des Américains.» Je voudrais vos commentaires là-dessus.

De plus, si c'est bel et bien ce qui se passe, est-ce que notre gouvernement, par opposition à la Banque du Canada, a riposté au problème en modifiant sa propre politique pour essayer d'influer sur la situation et de contrer le déséquilibre qui peut en résulter?

M. Drummond: Je suis fasciné par ces rumeurs de politique d'un dollar fort ou d'un dollar faible de la part des États- Unis, mais je ne comprends pas du tout d'où cela peut venir. Je ne pense pas qu'ils aient jamais eu une politique du dollar fort et je ne pense pas qu'ils ont maintenant une politique du dollar faible. Tout cela, ce sont des mots.

Les mots devraient avoir un certain poids. Si l'on croit que l'on peut s'attendre à une baisse subite de la valeur du dollar US, ceux qui affirment que les Américains souhaitent un dollar fort devraient supposer que les autorités interviendraient et ne permettraient pas cette baisse. Pourtant, qu'ont-ils fait, en termes de politiques? Ils font baisser leur taux d'intérêt jusqu'à atteindre le taux à peu près le plus bas au monde. Ce n'est pas très bon pour leur dollar. Ils n'ont rien fait de particulier. Ils sont passés sans rien faire d'un énorme et temporaire surplus financier à un énorme déficit financier. Ce n'est pas très bon pour le dollar non plus. Je ne pense pas qu'ils aient appuyé par leurs actes ce dollar fort.

Une fois de temps en temps, à l'occasion, le premier ministre, mais surtout les divers secrétaires au Trésor ont dit qu'ils s'en félicitaient et qu'ils y trouvaient des avantages. Si l'on voit ce qui s'est passé parallèlement au Canada, une fois de temps en temps, pas très souvent, on semble entendre des déclarations de la part de personnes occupant des postes d'autorité au Canada qui semblent mécontents de l'appréciation du dollar canadien. Cependant, notre politique était probablement plus favorable au renforcement de notre dollar que la politique américaine ne favorisait la hausse du dollar US.

En fin de compte, je pense que ce ne sont pas les paroles qui comptent. Dans les deux cas, ce ne sont que des mots. Ce qui compte, c'est la réalité de la politique et des conditions économiques. Aux États-Unis, les conditions économiques et les politiques favorisent sans équivoque une devise plus faible. Au Canada, les deux contribuent sans équivoque à l'heure actuelle au renforcement de la devise. Je trouve que tout cela est pure folie. On entend dire, alors même qu'on se dirige vers un déficit de 500 milliards de dollars aux États-Unis, que l'on consomme énormément plus que ce que l'on dépense. Le secrétaire au Trésor dit qu'ils tiennent à leur politique d'un dollar fort. Si jamais ils ont déjà eu une politique du dollar fort, celle-ci a certainement été jetée par la fenêtre il y a longtemps.

M. Vasic: Je suis d'accord qu'aux États-Unis, il y a eu un effort délibéré de stimulation parce que deux ans après le début du cycle présidentiel, il n'y avait pas d'emplois. En bref, on a forcé la baisse des taux, nous avons eu un crash boursier et les dépenses gouvernementales ont augmenté pour un certain nombre de raisons. Même si cela devait provoquer une très légère hausse de l'emploi aux États-Unis, tout cela est défavorable au dollar, et il faut dire que c'était la bonne orientation. Les gens prédisaient un dollar US plus faible depuis des années.

C'est en quelque sorte le contraire des autres prévisions de M. Drummond quant au dollar canadien. L'effondrement du dollar US a été annoncé il y a un certain nombre d'années et a commencé il y a environ 18 mois. C'est toujours comme cela que ça se passe. C'est arrivé en 1985, 1986, 1987 ou 1983-84: le dollar n'a cessé de monter et tout le monde disait qu'il baisserait, et en fin de compte il a fini par baisser effectivement. Certaines déclarations politiques ont effectivement béni cette baisse dans une certaine mesure.

Il y a la réalité et il y a les discours et, quand c'est commode, les gens établissent des liens entre les deux. Il est clair que la politique américaine en était une de stimulation. Une partie de cette stimulation, en termes de politique fiscale et monétaire, consiste en un dollar faible, et tous ces éléments se sont influencés l'un l'autre.

Au Canada, c'est la même chose. Étant donné notre performance relativement meilleure, la situation se prêtait assurément à une politique moins axée sur la stimulation, surtout quand les banques ont commencé à augmenter les taux il y a un an et demi, mais cette politique a néanmoins été appropriée. Parallèlement à la faiblesse du dollar US, notre dollar s'est renforcé. Il ne faut jamais perdre cela de vue. Ce n'était pas nécessairement souhaitable, mais c'est ce que nous avons eu, compte tenu de notre position de force économique.

Le sénateur Di Nino: Je voudrais que vous énonciez publiquement votre opinion sur deux expressions: «taux fixe» et «devise commune.» Pourriez-vous tous les deux commenter cela?

M. Vasic: Je suis contre un taux fixe. Je le répète, le plancher bouge et l'on ne va jamais le mettre parfaitement droit de toute façon. Voilà qui est clair à 100 p. 100. Personne ne peut prédire ce qu'il adviendra du dollar. On ne va jamais prendre exactement la bonne décision et cela aura des conséquences imprévues auxquelles les gens ne s'attendaient pas.

Nous ne sommes pas tellement loin d'une devise commune de toute façon, étant donné l'intégration des économies. Un dollar flottant accompagné d'une certaine marge de rajustement, c'est une bien meilleure solution que de fixer le taux, parce que dès que l'on a un taux fixe, il faut commencer à avoir des discussions en vue d'un éventuel changement du taux, etc. En fin de compte, bien que ces fluctuations ne soient pas prévues — elles sont parfois brusques et inconfortables —, c'est probablement quand même mieux que de faire établir le taux par diverses personnes, car leur décision serait toujours rendue avec un décalage beaucoup plus important que ce qui est souhaitable et que ce qui se passerait naturellement sur le marché.

La situation actuelle est très bien et, avec une plus grande expérience, on s'habituera à des fluctuations de la devise, tout comme on s'est habitué aux fluctuations de tout le reste. Pour une raison quelconque, les Canadiens s'imaginent que ces chiffres devraient changer très peu avec le temps. Ce n'est tout simplement pas ce que l'expérience nous apprend. Partout ailleurs dans le monde, on s'est habitué aux changements, et nous nous sommes d'ailleurs habitués à des écarts de température que personne d'autre dans le monde n'est capable d'imaginer, mais nous l'avons fait. Par conséquent, je ne pense pas que ce soit tellement important.

M. Drummond: J'exclurais totalement de l'équation toute possibilité d'un taux de change fixe. Ça n'a absolument aucun sens. Pour avoir un taux de change fixe, il faut qu'il y ait quelque chose d'autre de variable ailleurs et, en pareil cas, il faut que la politique des taux d'intérêt soit entièrement consacrée à obtenir la parité du taux de change. C'est le pire scénario possible.

Les taux d'intérêt peuvent causer des ravages dans l'économie intérieure beaucoup plus facilement que les fluctuations des taux de change. En tentant de remédier à une situation que certains pourraient juger non souhaitable, on crée une situation bien pire. Je soutiens que cela n'a pas fonctionné et qu'en fin de compte, quand les politiques économiques et les marchés s'y opposent, personne dans l'histoire n'a jamais réussi à maintenir des taux de change fixes; au bout du compte, cela finit par craquer. Chacun se rappelle l'exemple le plus éclatant d'une telle situation: en Suède, quand ils ont essayé de maintenir leur taux de change, leur taux d'intérêt au jour le jour a atteint 600 p. 100 à un moment donné, dans leurs efforts pour bloquer ce taux de change fixe. Nous ne voulons pas faire pareil.

Je suis content que vous n'ayez pas posé de question sur l'union monétaire, parce qu'on nous la pose souvent. Il n'y a aucune perspective d'union monétaire. Je suppose que vous êtes conscients qu'il est extrêmement douteux que les Américains n'acceptent jamais de renoncer à leur dollar pour le remplacer par une réalité où l'on reconnaîtrait un tiers du drapeau canadien et un tiers du drapeau mexicain. Il n'y a aucun avantage pour eux.

Ce serait une devise commune, mais soyons bien clairs: une devise commune, cela veut dire que nous utiliserions le dollar US. Les gens citent des précédents comme celui de Panama, qui utilise une petite fraction. Utiliserions-nous 10 p. 100 de la devise américaine, irions-nous les supplier à genoux de nous laisser faire partie de leur système de compensation des chèques? Est-ce qu'on les supplierait de permettre que leur banque centrale soit un prêteur de dernier recours? Cela fait beaucoup à avaler.

Il n'y a qu'une seule raison d'avoir notre propre devise, à savoir que la structure de nos économies est différente. Quatorze pour-cent de notre production est en ressources naturelles, tandis que pour eux, c'est 8 p. 100. C'est une différence importante, mais 50 p. 100 de notre surplus commercial provient de nos denrées. Eux sont, bien sûr, importateurs nets. Nous avons eu un exemple très clair des conséquences de cette situation en 1997, lors de la crise asiatique: les prix des denrées ont plongé. Cela nous a fait mal, mais les a aidés au contraire. Nos résultats commerciaux ont connu des sorts contraires et nos taux de change ont évolué dans des directions contraires. Nous avons obtenu exactement la réaction tampon qu'il nous fallait. Je pense que cela conserve une certaine valeur.

Vous êtes dans l'arène politique. Si vous pensez que le libre-échange était un dossier chargé d'émotion au Canada, essayez d'imposer le dollar américain. J'en ai eu un avant-goût ici même, dans cette ville, où nous avons rédigé en avril 2001 un rapport dans lequel on disait que l'argument en faveur de l'utilisation du dollar US ne tenait pas, et que le rédacteur en chef du Ottawa Citizen a publié en première page un grand titre laissant entendre que nous étions en faveur d'une devise commune. J'ai tenu le compte des gens qui nous ont écrit, téléphoné et envoyé des courriels pour dire qu'ils fermaient leur compte à la Banque TD. Cela m'a donné un avant-goût de ce qui attendrait celui qui s'orienterait dans cette voie dans un avenir rapproché.

Si jamais nous décidons d'utiliser le dollar américain, ce sera quand nos économies seront alignées de très près. Nous n'en sommes pas là. En fait, il n'y a aucune garantie que ce sera jamais le cas. Les gens disent que nous devons sûrement nous diriger vers la convergence parce que notre dépendance envers les ressources naturelles diminue. En fait, la concentration de notre économie dans le secteur des ressources naturelles diminue d'un point de pourcentage du PIB tous les 10 ans. Mais on observe exactement le même rythme aux États-unis.

Il y a 20 ans, nous en étions à 16 et eux à 10. Aujourd'hui, nous sommes à 14 et ils sont à 8. Nous évoluons parallèlement, avec des structures qui sont considérablement différentes. Nous sommes pris avec le taux de change flottant. C'est la meilleure option possible actuellement.

Honnêtement, je crois qu'on lui accorde un intérêt démesuré. L'écart de productivité entre les deux économies est le problème. Si nous pouvions le résoudre, le dollar se porterait mieux et nous nous en préoccuperions beaucoup moins.

Le président: Je comprends que personne n'ait jamais pu prévoir à court terme la valeur du dollar. Comme vous le dites, il y a des années que l'on prétend que le dollar canadien est sous-évalué et qu'il l'est resté pour les diverses raisons avancées par la Banque du Canada. M. Murray a indiqué les quatre raisons: la demande dans le marché américain, l'inflation, les taux d'intérêt et le prix des produits. Voilà les facteurs fondamentaux qui régissent la valeur du dollar.

Qu'en est-il des effets des fluctuations du dollar sur les régions du Canada? Prenons, par exemple, le bois d'oeuvre en Colombie-Britannique dont l'économie dépend tellement des exportations de bois.

Voulez-vous donner un avis à ce sujet?

M. Drummond: En haut de la page sept de mon exposé, l'analyse sectorielle des gagnants et des perdants s'étend aux structures des différentes provinces. Nous avons classé les provinces en fonction de leur degré de vulnérabilité à l'appréciation. Le Québec et l'Ontario, suivies de près par la Colombie-Britannique et le Nouveau-Brunswick, sont les plus vulnérables. La Saskatchewan, la Nouvelle-Écosse, Terre-Neuve-et-Labrador sont moins vulnérables. Ce classement repose essentiellement sur leur dépendance par rapport aux exportations et aux importations.

À mon avis, le problème est plus sectoriel que régional. Dans une région vous pouvez avoir deux entreprises voisines qui ont des résultats complètement différents. Ainsi qu'il a été mentionné, vous avez là un système qui enregistre des résultats complètement différents. Depuis la fin des années 80, de plus en plus d'exportateurs canadiens importent aussi beaucoup. Ils l'ont d'un côté mais pas de l'autre.

La ligne de séparation traverse directement les entreprises et les secteurs du Canada. Il y a les entreprises sensibles aux exportations, ce qui est un atout car leurs prix à l'importation diminuent. Il est sûr qu'une compagnie en pleine croissance qui importe de la machinerie et des équipements — surtout des produits tels les logiciels — a enregistré une diminution importante de ses coûts, ce qui lui assure un gros avantage concurrentiel. Par ailleurs, si les coûts d'une entreprise sont établis en dollars canadiens et ses ventes se font en dollars américains, sa marge de profit en souffrira considérablement. On peut raisonner ainsi pour toutes les provinces, mais il est plus facile de formuler la question autour de la façon dont les secteurs, au lieu des régions, sont touchés.

Le président: Je m'en suis aperçu quand je vous ai posé la question. J'étais un peu surpris d'apprendre que les provinces de l'Ontario et du Québec — sur une base régionale, par sectorielle — sont plus touchées que la Colombie- Britannique, que l'on conçoit comme dépendant totalement de l'exportation d'un produit précis. Monsieur Vasic, désirez-vous dire quelque chose?

M. Vasic: Nous n'étudierons pas vraiment les régions.

Le président: Pouvez-vous dire quelque chose sur l'analyse sectorielle?

M. Vasic: Sectoriellement, nous faisons des analyses en termes d'équité. Notre bureau d'études suit les grandes sociétés cotées en bourse. Évidemment, au cours des 18 derniers mois, nous leur avons demandé plusieurs fois ce qui se passait avec le dollar canadien? Les investissements étrangers feraient de même si nous pensions que le dollar canadien était à la hausse, que faire dans ce cas?

La réponse est que c'est plus difficile qu'on ne l'imagine à cause de toutes les ramifications qui existent aujourd'hui. À l'époque c'était très simple. En se basant sur les exportations, la production nationale, les ventes à l'étranger, etc., on arrivait à ce à quoi je faisais allusion tout à l'heure: ces effets simples dont tout le monde sembler parler inopinément. Si l'on faisait le tri des entreprises, celles de l'industrie papetière et de l'industrie forestière seraient les plus négatives car elles sont liées à la production nationale, à la valeur du dollar américain et à une dette plus élevée.

Puis ça devient rapidement flou. Toutes ces entreprises disposent de modèles immenses. Ils demandent aux entreprises ce qu'elles pensent parce qu'ils le savent par coeur. Ça devient de plus en plus difficile à déchiffrer. Je crois que cela veut indiquer que les effets ne sont peut-être pas aussi importants que l'on imagine secteur par secteur. On finit par examiner les effets indirects qui ne font pas partie de l'appréciation pure.

Il y a eu, peut-être dans le secteur de la câblodistribution, quelques entreprises très endettées qui en ont bénéficié avec un auditoire canadien mais une dette extérieure. C'est l'autre extrémité du spectre. La plupart se situent quelque part au milieu. Changeaient-ils leurs estimations? Pas vraiment. Je dirais que c'est devenu un problème beaucoup plus complexe.

Le sénateur Graham: On ne cesse de nous répéter que la productivité au Canada est constamment inférieure à celle des États-Unis. À votre avis, quelle en est la raison?

M. Vasic: Encore une fois, il est difficile de cerner les causes de la productivité. Cependant, les gains de productivité apparaissent lorsqu'une pression est exercée à cet effet. La baisse continue du dollar canadien qui mène à une «sous- évaluation» a, en partie, accéléré le processus. Nous avons relâché notre vigilance.

Je crois que rien ne nous oblige à avoir des gains de productivité plus faibles. On pourrait dire que vu l'échelle de leur pays, ils devraient pouvoir atteindre des niveaux de spécialisation et de productivité plus élevés. Cependant, en ce qui concerne le taux de croissance, rien ne dit que le nôtre devrait croître moins rapidement. Je crois que cela est dû au fait que le système n'a subi aucune pression.

En ce qui concerne le cadre stratégique bien que ce soit difficile à affirmer, quelques obstacles en place depuis longtemps y ont peut-être contribué. Je crois que leur effet s'est amoindri ces dernières années. En définitive, il faut pousser les entreprises à augmenter leur productivité, mais on ne l'a pas fait et on leur a un peu laissé les coudées franches.

M. Drummond: La productivité est difficile à analyser car c'est un nombre global. Si l'on considère le rendement à l'heure des deux économies, le Canada enregistre un manque à gagner de 25 à 30 p. 100. On commence à voir quelques progrès. Comme pour le taux de change, il faut le considérer sur une base sectorielle. Nos secteurs ne sont pas tous inférieurs de 25 ou 30 p. 100; nos industries des ressources naturelles ont un pourcentage égal ou peut-être même supérieur. C'est à peu près la même chose pour la productivité sectorielle, quoique le secteur des services accuse un pourcentage un peu plus faible.

La différence est marquée dans le secteur manufacturier. Une partie de la différence est compositionnelle. Un fabricant de cuir au Canada n'est pas vraiment loin derrière son homologue américain. Le nombre de fabricants ayant une productivité très élevée — surtout dans le domaine de la haute technologie — est bien moindre au Canada. Nous ne fabriquons pas beaucoup d'ordinateurs. En ce qui concerne le rendement par heure de travail, ce secteur a la plus grande productivité aux États-Unis. Le secteur des technologies de l'information et des communications représente 1,4 p. 100 de notre PIB et 4,5 p. 100 de celui des États-Unis. Dans les deux économies, la productivité de ce secteur est beaucoup plus élevée que celle des autres secteurs. C'est seulement une moyenne de pondération. Cela ne signifie nullement que la productivité de notre secteur est très inférieure à celle enregistrée aux États-Unis.

Je dirais qu'il y a longtemps que les États-Unis, grâce à l'esprit d'entreprise et non à une politique gouvernementale, montrent un plus grand intérêt envers la R et D. Nous connaissons toutes les études faites à ce sujet. Malgré un assez bon régime fiscal, le niveau de la R et D dans le secteur privé au Canada est très bas. Peut-être est-ce une conséquence qui relève davantage d'un modèle de succursale où la recherche se fait dans le pays de la société mère. Bon nombre de ces innovations, qui ont suscité cette productivité aux États-Unis dans les années 90, étaient issues d'industries liées à la défense, ce qui n'a pas été le cas chez nous. Les innovations provenaient des laboratoires d'universités. Au Canada les universités commencent à faire beaucoup de recherches, mais les universités américaines en font 14 fois plus. Les recettes tirées de sources commerciales et réalisées par les universités américaines sont 47 fois plus grandes que celles des industries canadiennes. D'où proviennent tous les produits de Microsoft et tout ce développement? Ils proviennent des laboratoires des universités et des industries de la Défense. Cela n'a pas été le cas chez nous.

Je dirais, comme M. Vasic l'a dit, que la force du dollar américain a été l'un des catalyseurs des accroissements de productivité depuis le milieu des années 90. Il les a lancés dans une dynamique de plus en plus rapide. Ils ont dû maîtriser la productivité pour le maintenir élevé. Je crois que l'élément fiscal continue à y jouer un rôle. Au Canada, les charges fiscales sont plus lourdes. Une fois de plus, la prise en compte de la totalité du fardeau fiscal ne nous mènera pas loin. Je ne crois pas que nos taxes de vente plus élevées freinent notre productivité. Cependant, l'impôt sur le capital est plus élevé. Je parle du capital au sens large du terme — c'est-à-dire les profits des sociétés et l'impôt sur le capital. Quelques provinces imposent le capital pour leurs taxes de vente provinciales. Nous ne disposons pas de plans d'amortissement aussi généreux. Certains de ces points ont été soulevés, surtout pour l'Ontario qui a pour objectif un taux d'imposition des sociétés de 8,7 p. 100. Ils sont passés aujourd'hui à 14 p. 100. Cet écart revient nous hanter et reste assez important.

Hélas, il n'y a pas de solution unique. De nombreux éléments sont en jeu et il faudra beaucoup de changements — en politiques et dans le comportement du secteur privé — pour bien combler cet écart. Cela demandera probablement quelques années.

Le sénateur Di Nino: Vous savez sans doute que ces audiences se tiennent de concert avec notre étude sur l'accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis et ses répercussions sur l'économie de notre pays. La hausse du dollar a, bien sûr, eu un effet sur notre économie et c'est cet effet, dans le cadre des relations économiques avec les États-Unis, qui nous intéresse particulièrement.

On a peu parlé du secteur des services et de son point de vue sur la façon dont le dollar canadien a influé sur l'économie. Pouvez-vous nous éclairer à ce sujet, s'il vous plaît?

M. Vasic: Je suis un stratège du marché d'actions pour une banque mondiale aussi je ne peux pas répondre à cette question. Cependant, je voudrais parler brièvement de l'esprit d'entreprise aux États-Unis.

N'oublions pas qu'au milieu des années 80, quand le dollar américain s'était tant apprécié, cet esprit semblait absent. On nous répétait que les États-Unis n'étaient pas concurrentiels. Des usines ont fermé leurs portes; les États-Unis déclaraient qu'ils devaient être comme le Japon, l'Allemagne, etc. Ils pouvaient utiliser de tels arguments — et une foule d'autres choses sous l'administration Reagan — à titre de catalyseurs qui relanceraient la productivité et la maintiendraient au beau fixe. Évidemment, beaucoup d'autres choses en résultèrent. À la fin des années 90, en présence de facteurs tels l'appréciation, la vente des actions américaines et la hausse du dollar, ils se demandaient pourquoi ils devaient aller plus vite. Ils l'ont pourtant fait et ne se sont pas arrêtés. Il est important de souligner que cela n'a pas toujours été l'état d'esprit ou le point de vue de tous les Américains. Ils ont pu s'y adapter; cet exemple pourrait aussi nous servir de catalyseur ici au Canada.

Je reviendrai plus tard sur les questions portant spécifiquement sur les services.

M. Drummond: J'ai deux choses à dire concernant l'effet de la valeur du dollar sur le secteur des services. D'abord, le secteur des services est plus centré sur le marché intérieur que le secteur des biens. On pourrait s'attendre à ce que les fluctuations du dollar aient moins d'impact sur l'activité économique de l'ensemble des services. Pour les services comportant une composante commerciale, il agirait exactement comme un fabricant ou un exportateur de ressources naturelles. Le tourisme est un exemple frappant. Une hausse de 20 p. 100 du dollar canadien se traduirait pour un Américain par une augmentation de 20 p. 100 de ses frais de voyage au Canada et on verrait beaucoup moins de touristes. De même, un plus grand nombre de Canadiens iront certainement passer l'hiver en Floride ou en Arizona puisqu'il sera beaucoup moins cher pour eux d'y aller.

Cependant, avec la concurrence venant de Chine, si nous voulons être concurrentiels, il nous faudra le faire par le biais de services à forte valeur ajoutée. Ce secteur enregistre la plus forte croissance et c'est de lui que viendra l'augmentation de nos échanges commerciaux. La proposition concernant le taux de change est exactement la même pour un ingénieur-conseil essayant de travailler ailleurs dans le monde que pour un fabricant ou un exportateur de ressources naturelles. Pour le moment, leurs marges de profit diminuent.

Le sénateur Di Nino: Disposez-vous de renseignements sur d'anciennes fluctuations de notre dollar qui pourraient nous aider à prévoir ce qui peut arriver dans un secteur très important comme celui du tourisme en Ontario? Avons- nous ce genre d'informations?

M. Drummond: Oui. Elles ne sont pas particulièrement encourageantes. Si nous prenons l'impact partiel du taux de change sans tenir compte de la diminution des voyages après les événements du 11 septembre, le rapport est étroit et inverse. La balance touristique change rapidement et complètement — les changements proviennent du taux de change. Les citoyens des deux pays réagissent à ces mécanismes de prix différents. L'affaiblissement du dollar a vu une augmentation du nombre de touristes au Canada et plus de Canadiens ont passé leurs vacances au pays plutôt que d'aller à l'étranger et vice-versa. L'analyse des situations antérieures laisse prévoir une grave détérioration de notre balance commerciale cet hiver et l'été prochain.

Le sénateur Corbin: Cette question s'adresse à M. Drummond. Vous concluez votre exposé par l'importance à ne pas limiter nos échanges commerciaux aux seuls États-Unis, puis en déclarant que le marché américain est encore important. Nous souhaitons tous élargir nos échanges commerciaux avec des pays autres que les États-Unis. Cela a été déclaré maintes fois au Canada. Cependant, il semble qu'il y ait des obstacles.

Sommes-nous vraiment prisonniers de nos échanges commerciaux avec les États-Unis? Il semble aussi que nous ne pouvons pas dépasser le niveau actuel de nos échanges commerciaux avec d'autres pays. En fait, y a-t-il des pays qui veulent faire des échanges commerciaux avec le nôtre? Il y a le bloc européen et les nouvelles situations dans les pays de l'ex-Union soviétique et de l'Extrême-Orient. Pourtant, nous n'avançons pas.

À votre avis, quels sont les obstacles au développement de nos relations commerciales et à la multiplication de partenaires économiques?

M. Drummond: Le seul obstacle naturel est la distance géographique. Puis, à l'exception des États-Unis, nous avons des différences culturelles avec les autres, et cetera. C'est pour cela que les États-Unis dominent nos relations commerciales. Ils nous ressemblent et ce sont nos voisins. Il est, évidemment, moins cher d'exporter une marchandise d'Ottawa vers les États-Unis que vers la Colombie-Britannique ou vers la Nouvelle-Écosse, ce qui explique l'axe nord- sud.

Cependant, les grands changements du taux de change et notre vulnérabilité vis-à-vis des États-Unis donnent à penser qu'il faut élargir nos relations commerciales à d'autres pays. Je ne crois pas que nos échanges commerciaux avec des pays autres que les États-Unis dépasseront plus de 20 p. 100. Cependant, il serait souhaitable de retourner à ce niveau. Par exemple, 94 p. 100 du commerce de l'Ontario se fait avec les États-Unis. Une dépendance commerciale aussi étroite n'est pas réjouissante.

Nous parlons surtout des frictions commerciales entre le Canada et les États-Unis. Toutefois, l'Europe a érigé toutes sortes de barrières au commerce de nombreux produits canadiens y compris le vin et parfois des produits forestiers. Nous devons accorder une plus grande place à la Chine dans nos relations commerciales, comme ce fut le cas avec le Mexique lors de la croissance rapide de son économie au début des années 90. Tout ce que l'on entendait, au Canada, était que le Mexique était une menace pour le pays. Personne n'envisageait que ce pourrait être un débouché commercial. Cela est vrai aussi pour la Chine. Nous la percevons tous comme une menace, mais ce pays aura une classe moyenne, quoique avec un revenu plus bas. Il y a ou il y aura certainement un marché en Chine.

En ce qui concerne la question des services, il existe assurément un marché pour les services professionnels — les architectes, etc. Le secteur de l'immobilier en Colombie-Britannique est associé à la construction d'immeubles d'appartements en Chine. Tous ceux à qui j'ai parlé se sont dits satisfaits de cet accord, du soutien du gouvernement du Canada et de leurs rapports avec ce même gouvernement. Le marché chinois offre des perspectives, mais je dois admettre que la tâche est difficile pour votre groupe qui étudie les accords de libre-échange au niveau mondial. C'est déjà suffisamment dur avec les États-Unis, mais c'est encore plus difficile ailleurs.

Cependant, les perspectives existent et nous devons continuer nos efforts. C'est la raison pour laquelle, si je devais essayer de vous convaincre, je vous dirais de ne pas laisser la fixation qu'ont les Canadiens sur les taux de change vous faire oublier l'importance et les perspectives économiques de ces accords de libre-échange, pas seulement avec les États- Unis mais à l'échelon mondial.

Le président: C'est intéressant et nous pouvons ajouter quelques nouveaux éléments probants dans nos notes. Je vous remercie d'être venus. Notre comité reconnaît la nécessité de diversifier la destination de nos exportations. Nous parlons tous de diversification. Nous sommes pratiques. Nous savons que la frontière des États-Unis est à environ 80 kilomètres d'ici. Comme vous l'avez dit, la proximité géographique est un élément essentiel de toute cette question. Nous souhaitons tous exporter vers d'autres pays.

Je vous remercie.

La séance est levée.


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